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Jacques Connan Bernard Maurin Luc Long Heather Sebire Identification de poix et de résine de conifère dans des échantillons archéologiques du lac de Sanguinet : exportation de poix en Atlantique à l'époque gallo-romaine. In: Revue d'Archéométrie, N°26, 2002. pp. 177-196. Citer ce document / Cite this document : Connan Jacques, Maurin Bernard, Long Luc, Sebire Heather. Identification de poix et de résine de conifère dans des échantillons archéologiques du lac de Sanguinet : exportation de poix en Atlantique à l'époque gallo-romaine. In: Revue d'Archéométrie, N°26, 2002. pp. 177-196. doi : 10.3406/arsci.2002.1032 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arsci_0399-1237_2002_num_26_1_1032

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Jacques ConnanBernard MaurinLuc LongHeather Sebire

Identification de poix et de résine de conifère dans deséchantillons archéologiques du lac de Sanguinet : exportationde poix en Atlantique à l'époque gallo-romaine.In: Revue d'Archéométrie, N°26, 2002. pp. 177-196.

Citer ce document / Cite this document :

Connan Jacques, Maurin Bernard, Long Luc, Sebire Heather. Identification de poix et de résine de conifère dans deséchantillons archéologiques du lac de Sanguinet : exportation de poix en Atlantique à l'époque gallo-romaine. In: Revued'Archéométrie, N°26, 2002. pp. 177-196.

doi : 10.3406/arsci.2002.1032

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arsci_0399-1237_2002_num_26_1_1032

RésuméLes outils géochimiques moléculaires et isotopiques, couramment mis en oeuvre pour étudier le pétroleet les asphaltes naturels, ont été utilisés pour déterminer la nature des échantillons de trois sitesarchéologiques de la région du lac de Sanguinet dans les Landes. Les échantillons de « poix » du sitesublacustre de Losa sont datés du le au IIIe siècle ap. J.-C. Ceux du village de Sanguinet, au bord dulac, proviennent d'une fouille de sauvetage (IVe-VIe siècle ap. J.-C. ?). A ces échantillons, souventassociés à des dépôts carbonisés sur des jarres ou cuviers, sont venus s'ajouter :-un échantillon de « résine » jaune, prélevé dans un amas de plusieurs kg à l'intérieur d'une barque dela fin du XVIe ap. J.-C. coulée au droit du site protohistorique de Put Blanc,-un tesson de poterie de ce site daté de l'Age du Fer (750-400 av. J.-C),-un échantillon de « poix » faisant partie de la cargaison d'un navire gallo-romain (IIIe siècle ap. J.-C.)coulé dans le port de St Peter à Guernesey.Tous les échantillons des sites de Losa et Sanguinet montrent la présence indiscutable de poix, c'est-à-dire un goudron produit par le traitement thermique de bois résineux. Cette conclusion est basée surl'identification de diterpénoïdes (ester méthylique de l'acide déhydroabiétique, rétène, abiétatriènes,tétrahydrorétène, etc.) dérivés du réarrangement thermique de l'acide abiétique, abondant dans les boisrésineux et la gemme brute. L'échantillon de la barque du site de Put Blanc n'est pas une poix mais unerésine de conifère, probablement purifiée par un traitement thermique modéré. La de cette résine avecune résine actuelle de pin maritime montre de grandes similitudes moléculaires. La poix présente enquantité (1/2 tonne récupérée) dans la cargaison de l'épave gallo-romaine de Guernesey, corrèleparfaitement avec celle de Losa. En conséquence il est vraisemblable que ce navire qui a coulé vers280 ap. J.-C, ait chargé sa poix quelque part sur le littoral des Landes.

AbstractGeochemical tools, currently used for the study of petroleum and oil seeps, were applied to investigatethe nature of a set of samples, originating from three archaeological sites within and nearby theSanguinet lake (Landes area, France). The pitch-like samples from the subaqueous Gallo-Romanvillage of Losa are belonging to the lst-3rd Century AD. Those from the Sanguinet village, ashore, comefrom a salvage excavation, possibly from the 4th-6th Century AD. To these tarry samples, sometimeassociated to carbonised residue on potsherds of jars, we have added : a yellow "resin- like" piecetaken from a mass of several kg within a wooden boat of the end of the XVIth century AD, a potsherdfrom the proto-historic site of Put Blanc dated 750-400 BC, a sample of "pitch" belonging to the cargo ofthe Gallo-Roman ship which sunk in the St Peter Port harbour in Guernsey around 280 AD.All the samples from Losa and Sanguinet villages clearly show the occurrence of pitch, i.e. a tarproduced by the thermal treatment of resinous woods. This conclusion is based on the identification oftypical diterpenoïds namely dehydroabietic acid methyl ester, retene, abietatrienes, tetrahydroretene,etc. which derived from the thermal treatment of the abietic acid, abundant in the pristine conifer woodand related resin. The sample of the Put Blanc wooden boat is not a pitch but a conifer resin which waslikely purified by a mild thermal treatment involving water. The chemical comparison of this "resin" with apresent day resin of pinus maritima shows many molecular similarities.The pitch discovered in great quantity (half a ton recovered) in the cargo of the Guernsey Gallo-Romanshipwreck perfectly with the Losa pitch. Consequently this good geochemical agreement suggests thatthe Gallo-Roman ship which sunk around 280 AD loaded its pitch somewhere on the West coast of theLandes area in present France, between the Gironde estuary and Bayonne.

Revue d'Archéométrie, 26, 2002

IDENTIFICATION DE POIX ET DE RÉSINE DE CONIFERE

DANS DES ÉCHANTILLONS ARCHÉOLOGIQUES

DU LAC DE SANGUINET :

EXPORTATION DE POIX EN ATLANTIQUE

À L'ÉPOQUE GALLO-ROMAINE

Jacques CONNAN1, Bernard MAURIN2 , Luc LONG3 et Heather SEBIRE4

Résumé : Les outils géochimiques moléculaires et isotopiques, couramment mis en oeuvre pour étudier le pétrole et les asphaltes naturels, ont été utilisés pour déterminer la nature des échantillons de trois sites archéologiques de la région du lac de Sanguinet dans les Landes. Les échantillons de « poix » du site sublacustre de Losa sont datés du le au IUe siècle ap. J.-C. Ceux du village de Sanguinet, au bord du lac, proviennent d'une fouille de sauvetage (TVe-VIe siècle ap. J.-C. ?). A ces échantillons, souvent associés à des dépôts carbonisés sur des jarres ou cuviers, sont venus s'ajouter : - un échantillon de « résine » jaune, prélevé dans un amas de plusieurs kg à l'intérieur d'une barque de la fin du XVIe ap. J.-C. coulée au droit du site protohistorique de Put Blanc, - un tesson de poterie de ce site daté de l'Age du Fer (750-400 av. J.-C), - un échantillon de « poix » faisant partie de la cargaison d'un navire gallo-romain (IUe siècle ap. J.-C.) coulé dans le port de St Peter à Guernesey. Tous les échantillons des sites de Losa et Sanguinet montrent la présence indiscutable de poix, c'est-à-dire un goudron produit par le traitement thermique de bois résineux. Cette conclusion est basée sur l'identification de diterpénoïdes (ester méthylique de l'acide déhydroabiétique, rétène, abiétatriènes, tétrahydrorétène, etc.) dérivés du réarrangement thermique de l'acide abiétique, abondant dans les bois résineux et la gemme brute. L'échantillon de la barque du site de Put Blanc n'est pas une poix mais une résine de conifère, probablement purifiée par un traitement thermique modéré. La

de cette résine avec une résine actuelle de pin maritime montre de grandes similitudes moléculaires. La poix présente en quantité (1/2 tonne récupérée) dans la cargaison de l'épave gallo-romaine de Guernesey, corrèle parfaitement avec celle de Losa. En conséquence il est vraisemblable que ce navire qui a coulé vers 280 ap. J.-C, ait chargé sa poix quelque part sur le littoral des Landes. Abstract : Geochemical tools, currently used for the study of petroleum and oil seeps, were applied to investigate the nature of a set of samples, originating from three archaeological sites within and nearby the Sanguinet lake (Landes area, France). The pitch-like samples from the subaqueous Gallo-Roman village of Losa are belonging to the lst-3rd Century AD. Those from the Sanguinet village, ashore, come from a salvage excavation, possibly from the 4th-6th Century AD. To these tarry samples, sometime associated to carbonised residue on potsherds of jars, we have added : a yellow "resin- like" piece taken from a mass of several kg within a wooden boat of the end of the XVIth century AD, a potsherd from the proto-historic site of Put Blanc dated 750-400 BC, a sample of "pitch" belonging to the cargo of the Gallo-Roman ship which sunk in the St Peter Port harbour in Guernsey around 280 AD. All the samples from Losa and Sanguinet villages clearly show the occurrence of pitch, i.e. a tar produced by the thermal treatment of resinous woods. This conclusion is based on the identification of typical diterpenoïds namely dehydroabietic acid methyl ester, retene, abietatrienes, tetrahydroretene, etc. which derived from the thermal treatment of the abietic acid, abundant in the pristine conifer wood and related resin. The sample of the Put Blanc wooden boat is not a pitch but a conifer resin which was likely purified by a mild thermal treatment involving water. The chemical comparison of this "resin" with a present day resin of pinus maritima shows many molecular similarities. The pitch discovered in great quantity (half a ton recovered) in the cargo of the Guernsey Gallo-Roman shipwreck

perfectly with the Losa pitch. Consequently this good geochemical agreement suggests that the Gallo-Roman ship which sunk around 280 AD loaded its pitch somewhere on the West coast of the Landes area in present France, between the Gironde estuary and Bayonne. Mots-clés : Poix antique, résine de conifères, diterpénoïdes, sesquiterpénoïdes, hydrocarbures aromatiques,

saturés, acides, composition chimique et isotopique, asphaltènes, épave, Guernesey, Losa, Sanguinet, Landes, gallo- romain. Key-words : Pitch, conifer resin, diterpenoids, sesquiterpenoids, alkanes, alkenes, aromatic hydrocarbons, acids,

composition, isotopic data, asphaltenes, Losa, Sanguinet, Landes, Gallo-Roman period.

1 -Institut de Chimie, Université Louis Pasteur, 67008 STRASBOURG Cedex, France. 2 - Centre de Recherches et d Etudes Scientifiques de Sanguinet, Espace Gemme, 263 Avenue du Born, 40460 SANGUINET, France. 3 - Département des Recherches Archéologiques subaquatiques et sous-marines, Fort Saint-Jean, 13235 MARSEILLE Cedex 02, France. 4 - Guernsey Museum and Galleries, St Peter Port, GUERNSEY, UK.

178 Revue d'Archéométrie, 26, 2002

INTRODUCTION

Ce projet a pris naissance en relais d'une étude sur des échantillons de poix gallo-romaines de la région de

(Connan et al, 2000). Ces poix se à l'état brut dans des fonds d'amphorette ou en

application sur des tissus servant au calfatage des bateaux romains de la Saône (Lonchambon, 2000, 2001).

L'échantillonnage disponible sur la région du lac de Sanguinet dans les Landes était attrayant à plusieurs égards.

En premier lieu, l'enjeu majeur de l'étude résidait dans la mise en évidence, sans ambiguïté, de la fabrication de poix par pyrogénation de bois résineux et de gemmes dans les jarres et les cuviers de Losa-Sanguinet. En effet bien que l'un d'entre nous (B. Maurin) était convaincu dès 1983 que Losa était du le au Ille siècle un centre important de production de goudrons de bois résineux, les analyses de Richir et al. (1974), reprises et

par Aufan et Thierry (1990), jetaient le doute en accréditant une toute autre version. Richir et al. (1974) concluaient leur étude des « masses sablo-goudronneuses et des enduits goudronno-charbonneux » en affirmant que le produit goudronneux avait été obtenu à partir de végétaux non résineux, en l'occurrence des tourbes de sphaignes formées dans les zones marécageuses. Losa était-il réellement un centre de production de poix

à partir de bois résineux ou de tourbes ? Là était l'une des énigmes majeures, sur laquelle B. Maurin (1983) avait trouvé sage de ne pas se prononcer, et qu'il fallait donc s'attacher à résoudre en priorité avec des moyens analytiques modernes et plus performants.

En second lieu, ce cas de figure était stimulant car il apportait un nouvel exemple de poix gallo-romaine, dans une autre région de France, proche de l'Atlantique. La confrontation de toutes les données acquises, y compris celles que nous avions déjà sur des poix de la

extraites de chargements d'épaves, était susceptible de fournir des éléments de réponse à une question plus générale : est-on capable de reconnaître l'origine

d'une poix ? A notre connaissance, il n'existe pas de typologie moléculaire ou isotopique des poix capable de différencier une poix de Norvège, des Landes, de Bourgogne, d'Espagne ou d'Asie Mineure. Le sujet, encore vierge, méritait donc d'être abordé à cette

car il est au cœur des préoccupations des qui ne cessent de se poser la question des

de matériaux afin d'enrichir leurs idées sur les d'échanges et les réseaux commerciaux dans

En dernier lieu, l'étude de cet exemple archéologique présentait des challenges techniques, liés à la nature même des matériaux à traiter. Les observations et

antérieures, synthétisées il y a une vingtaine d'années (Maurin, 1983) soulignaient en effet une forte

des dépôts qui ne permettait pas, à l'époque, des végétaux ayant fait l'objet de pyrogénation

dans les cuviers et jarres, appelés dolia ou urnes chez les résiniers de l'Aveyron (Loir, 1940 ; Soutou, 1959). Cette observation naturaliste pertinente, situait d'emblée l'étude géochimique à entreprendre dans un contexte défavorable et de toute évidence à risque. En effet

y a carbonisation intense d'un matériau organique, l'empreinte moléculaire diagnostique renfermant les

biologiques spécifiques, clés d'identification du matériau, se trouve en général détruite et substituée par une empreinte moléculaire pyrolytique, difficile à relier

aux précurseurs biologiques primaires donc au matériau d'origine. La carbonisation qui s'accompagne d'un

moléculaire intense oblitère les spectres utilisables et entraîne des modifications significatives

des valeurs isotopiques du carbone, éléments génétique. La recherche de la poix dans les

de Losa-Sanguinet s'inscrivait donc a priori dans un contexte difficile avec de fortes chances de ne pas aboutir.

Pour les trois raisons évoquées, l'étude a été entreprise. Au fil de l'avancement du projet et du dépouillement des résultats, de nouvelles ramifications intéressantes sont apparues.

Tout d'abord, au moment de l'échantillonnage et du choix de la panoplie analytique à mettre en œuvre, l'un des échantillons manifestement altéré en surface, s'est avéré propice à l'étude des effets de l'altération

(oxydation ? biodégradation ? lessivage ? ?) sur le cortège moléculaire de la « poix ».

Par la suite dans la phase d'interprétation, l'étroite parenté entre la poix de Losa et celle de la cargaison d'un navire gallo-romain de Guernesey (Rule et Mona- ghan, 1993), a permis d'élargir les thématiques abordées en se penchant sur le problème de l'exportation de la poix des Landes dans l'Atlantique à l'époque gallo-romaine. Apparemment le bateau gallo-romain qui a coulé dans le port de St Peter Port à Guernesey pourrait avoir

son chargement de poix dans les Landes (Boios- Audenge dans le bassin d' Arcachon ? à l'embouchure de la rivière qui servait d'exutoire au lac de Sanguinet ? près de Pyla ? dans l'estuaire de la Gironde ? etc.).

A l'issue de cette étude, les caractéristiques chimiques et à travers elles la marque des procédés de fabrication lorsqu'il ne s'agit pas de produits naturels, nous ont amené à réfléchir sur les mots les plus appropriés pour désigner les matériaux antiques.

Un exemple de la confusion qui règne actuellement dans la littérature des sciences humaines mérite d'être présenté pour donner la mesure du problème. Cet

est tiré de l'analyse de trois articles récents sur le de l'épave 9 de la Place Jules Verne à Marseille,

d'époque archaïque (fin du Vie siècle av. J.-C). P. Pomey évoque en 1995 la présence « de restes de corail

dans le brai de la coque » et parle « d'une épaisse couche de brai appliqué à chaud à l'intérieur de la carène ayant servi à parfaire l'étanchéité. C'est d'ailleurs grâce à cet enduit que les ligatures et les tissus d'étanchéité ont été conservés ». Dans l'ouvrage de synthèse sur la

dans l'antiquité, Gianfrotta et al. en 1997 qu'« une fois la coque achevée, l'étanchéité finale

est parfaite en recouvrant l'intérieur et l'extérieur de la coque d'une épaisse couche de résine de pin ». Dans un autre document plus récent, Hermary et al. (1999)

: de « petits fragments de corail rouge, incrustés dans lapoix, assurant l'étanchéité de la carène », « d'une épaisse couche de poix appliquée à l'intérieur de la carène ; c'est cette poix qui a permis la conservation exceptionnelle de nombreuses ligatures ». A l'évidence poix, résine et brai sont interchangeables dans ces

puisqu'ils se rapportent à la même épave et au même revêtement, pourtant pour le chimiste une résine de pin brute ou gemme a une toute autre typologie moléculaire qu'un brai ou une poix végétale, produits par traitement thermique d'un bois ou d'une écorce. La hardiesse des auteurs va même bien au delà. C'est ainsi que P. Pomey (1995), en présentant les résultats de l'épave romaine n° 3 (Ie-IIe siècle ap. J.-C.) également de la place Jules

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Verne, dit ceci : « un soin particulier a été apporté à l'étanchéité de la coque, avec autour du puits, une épaisse couche de brai et de bitume ». Il fait donc référence ici à un enduit composite, mélange de brai végétal (poix) et de produit pétrolier (du bitume) dont la détermination n'est possible qu'avec l'aide d'analyses chimiques.

Tout ceci montre simplement qu'il est indispensable pour être précis d'étalonner les mots par référence à des analyses chimiques et qu'en l'absence de tels éléments, il est préférable d'utiliser des formulations moins

En définitive, dans les exemples cités, a-t-on affaire à une résine de conifère brute, produit du séchage d'une oléorésine ou à un brai, une poix, un goudron c'est-à-dire les produits de la pyrolyse de bois résineux ou de gemme, ou encore est-on en présence d'un mélange de « poix végétale » et de bitume ? A ce stade de connaissance la question de la nature réelle du produit de calfatage reste totalement ouverte car l'identification chimique n'a pas été faite. Ce produit pourrait même être d'une tout autre nature comme vient de le prouver l'étude

(Connan, 2002) du calfatage de l'épave archaïque 7, autre épave trouvée près de l'épave 9 de la Place Jules Verne à Marseille. Cette étude vient en effet de révéler que le calfatage a été réalisé avec un mélange de cire d'abeille et de poix (= brai ou goudron de conifère) que Pline l'ancien a décrit dans son Histoire Naturelle comme étant la zopissa.

Toute l'argumentation qui vient d'être développée montre in fine qu'il est indispensable de procéder à

chimique des matériaux si l'on souhaite que la utilisée soit validée par des données précises

qui éviteront amalgames et inexactitudes. Dans la suite du texte nous réserverons le mot poix

végétale ou plus simplement poix au goudron formé dans le traitement thermique des bois résineux. C'est

ce que les Romains désignaient sous le nom de « pix », les Grecs sous celui de « pisso » et les

du littoral sous le nom de « pègo », francisé en « pègue ». L'ambiguïté dans la terminologie existait cependant déjà dès l'Antiquité puisque les écrivains romains utilisent indifféremment le mot « pix » pour

le goudron végétal et la gemme (Aufan et Thierry, 1990). Pline l'Ancien parle de « résine » pour désigner manifestement la poix qui était utilisée pour enduire les amphores lorsqu'il précise « si la résine du Bruttium, en Italie, à partir d'épicéa, est la plus estimée pour enduire les récipients vinaires, celle d'Espagne, à partir de pin maritime a fort peu de valeur car elle est amère, sèche et d'une odeur forte » (Histoire Naturelle, Livre XTV, 127). Pline l'Ancien fait d'ailleurs référence à la méthode de préparation de cette poix antique par le procédé dit de combustion externe (Histoire Naturelle, Livre XXXVI, 17). Les textes anciens font état de deux utilisations

de la poix (Acovitsioti-Hameau et al, 1993) : agent d'étanchéité (jarres, récipients, bateaux, etc.) et

du vin (poix mélangée au moût). Les Romains connaissaient aussi la résine crue obtenue par gemmage et qui était appelée couramment térébenthine. Ce mot antique, qui se retrouve encore aujourd'hui dans

de térébenthine, une coupe légère produite par de la gemme, est l'objet de confusions

car nous l'avons vu traduit chez des égyptologues par résine de terébinthe ce qui n'est pas du tout la même chose puisque qu'il s'agirait alors de la résine du Pista- cia atlantica, considéré autrefois comme une variété de Pistacia terebinthus, ou du Pistacia lentiscus (= résine de Chio, Mills et White, 1989) donc de résines qui ne

viennent pas du tout de conifères. Afin d'éviter toute ambiguïté nous utiliserons l'expression « résine de

» pour désigner une oléorésine naturelle, recueillie par gemmage des conifères puis durcie à l'air.

TECHNIQUES ET ÉCHANTILLONS

TECHNIQUES ANALYTIQUES

Les techniques analytiques employées pour l'étude archéométrique de ces échantillons ont été exposées en détail dans Connan & Deschesne (1996) et Connan (1999) ainsi que dans un article archéométrique récent (Connan, 2002) dont nous avons reproduit

dans la figure 1 . Afin de ne pas alourdir ce texte, axé sur la présentation et la discussion des résultats

nous demandons au lecteur de se reporter au chapitre sus-mentionné pour prendre connaissance des détails techniques et des principes d'interprétation. Des précisions seront apportées au cours de l'article ainsi que dans les figures et tableaux.

Dans le cas présent l'essentiel de l'information sur la nature des matériaux a été extraite de

l'interprétation de l'analyse des « fractions aromatiques et saturées » par couplage chromatographie en phase gazeuse-spectrométrie de masse.

LES ÉCHANTILLONS

L'étude a porté sur 9 échantillons datés de l'Age du Fer au XIXe siècle et localisés dans 2 régions distinctes :

- 8 échantillons proviennent de sites archéologiques landais, dont 7 de 3 sites du lac de Cazaux-Sanguinet et 1 de la région de Biscarrosse,

- 1 échantillon est originaire de Guernesey. A ce corpus qui constitue le noyau dur de l'étude nous

avons ajouté quelques échantillons de notre banque de références afin de faciliter la discussion des résultats

La localisation géographique des échantillons est dans la figure 2. Les échantillons du lac de Cazaux-

Sanguinet ont été collectés dans trois sites : le village sublacustre de Losa, le bourg de Sangui-

net au bord du lac, le site sublacustre de Put Blanc. A cette collection initiale est venue s'ajouter un échantillon d'un four à poix traditionnel de la région de Biscarrosse ainsi qu'un échantillon du port de St Peter Port dans l'île de Guernesey.

La description détaillée des échantillons bruts et des prélèvements multiples effectués pour analyse est

dans le tableau 1 . Les échantillons Losa 1 et Losa 5 correspondent à

des fragments de jarres et de cuviers (fig. 3), interprétés comme étant les récipients dans lesquels la « poix » était fabriquée ou stockée. En général ces gros tessons

une surface interne avec un dépôt noir, d'aspect partiellement carbonisé et une surface externe de poterie grossière, sans trace apparente de « suie ». La poterie, à dégraissant végétal visible sur les faces beiges et grises, montre une cassure fraîche très noire présumée être due à des imprégnations de goudrons. Afin d'explorer les diverses questions posées par ces échantillons, plusieurs extractions en cascades ont été pratiquées sur les tessons (cf. n° 1458a, bl et b2 et 1462a et b, tab. 1). La croûte noire (n°1458a et 1462a, tab. 1), d'apparence carbonisée a été grattée et étudiée séparément. La poterie, restant après ce grattage, a été broyée puis extraite afin d'atteindre

180 Revue d'Archéométrie, 26, 2002

extrait organique

extrait déaaphalté |

Echantillon archéologique

Prélèvement pour analyses

I I I

Broyage et extraction au dteWorométhaiw

* > *

•asphaltènes"

MPLC10O

"hydrocarbure» salure»0 'hydrocarbures aromatiques" " résines"

GC-C4R-MS , . \ ISC-TC4R4SIS

«o spectre complet

résidu insoluble au dichlorométhane

phase organique phase minérale

«cetyjgtkm O&&M

COOH

/

Fig. 1 : Organigramme des techniques analytiques mises en œuvre pour l'étude des résines de conifères et des poix (d'après Connan, 2002).

Revue d'Archéométrie, 26, 2002 181

Navire gallo-romain de Guernesey

(vers 280 apr.j;-C.)

héologiques du lac dé Sanguinet

Site de Losa

ite de Sanguinet

Le Lac aujourd'hui l

Fig. 2 : Localisation des sites archéologiques où les échantillons ont été collectés.

Jarre de Losa (0-300 apr J -C ) Dépôt à l'intérieur d'un cuvier

n° 1460: échantillon analysé

Cuvier de Sanguinet (400-600 apr.J.-C.)

Fig. 3 : Jarre de Losa et Cuvier de Sanguinet photographiés au Musée de Sanguinet (Landes). Le remplissage du cuvier en exposition au Musée a fait l'objet d'un prélèvement (n° 1460) dans lequel on distingue très nettement les débris de végétaux herbacés.

182 Revue d'Archéométrie, 26, 2002

référence des échantillons

Losai

Losa 2

Sanguinet 3

Sanguinet 4

Losa 5

Put Blanc

Put Blanc

Four Vincent

pitch

Localisation

Losa

Losa

Sanguinet

Sanguinet

Losa

Put Blanc

Put Blanc

Biscarrosse

Guernesey

nature des échantillons

échantillon brut

prélèvements pour analyses

échantillon brut

prélèvements pour analyses

échantillon brut prélèvements pour analyses

numéro banque de données

1458a 1458b1 1458b2

1459

1460

1461a

1461b

1462a 1462b

1463

1464

1598

1457a

date 0-300 apr. J.-C. 0-300 apr. J.-C. 0-300 apr. J.-C. 0-300 apr. J.-C.

0-300 apr. J.-C.

400-600 apr. J.-C?

400-600 apr. J.-C?

400-600 apr. J.-C?

0-300 apr. J.-C. 0-300 apr. J.-C.

fin du XVI* siècle

750-400 av. J.-C.

1650-1900 apr.J.-C.

vers 280 apr. J.-C.

Description macroscopique fragment de jarre très "imprégnée" présentant une surface noire et une surface beige avec un amas de goudron sur la tranche grattage de la surface noire échantillon obtenu après traitement aux ultra-sons par 400 mL de dicholorométhane de l'échantillon prélavé par 300 mL de dichlorométhane poterie sans 1458a et 1458b1 , broyée puis extraite au dichlorométhane Bloc répertorié en tant que "colophane". Échantillon contaminé par de la terre de fouille. Après nettoyage échantillon noir (brillant et mat) avec bulles de dégazage. Colle aux doigts et dégage l'odeur de la poix du cordonnier Dépôt à l'intérieur d'un grand cuvier trouvé dans le bourg de Sanguinet à l'occasion d'un curage de fossé. Cuvier actuellement au Musée de Sanguinet. Terre mélangée à débris végétaux (tiges de plantes herbacées). Poudre montre des grains de sable, des grains noirs et colle aux doigts dépôt aggloméré à l'extérieur d'un cuvier du village de Sanguinet Echantillon représentatif, très dur, cassé au marteau, montrant du sable cimenté par une "résine" brune-jaune orange avec parfois des passées noires et des bulles de dégazage Surface de l'échantillon, manifestement oxydée, se délite en poudre brune dans laquelle on note des grains de quartz pratiquement pur. Cette couche brune avait 1 à 2 cm d'épaisseur fragment d'un cuvier très imprégné montrant une surface gris mat à noire (suie ?) ainsi qu'une surface de poterie grise avec des figures d'altération et des restes végétaux dans la poterie grattage de la surface noire (suie ?) poterie sans 1462a broyée puis extraite au dichlorométhane. La cassure fraîche du tesson montre une poterie très noire masse jaune ayant l'aspect de résine de conifère, trouvée à l'intérieur d'une pirogue monoxyle de la fin du XVI" siècle ayant sombré au droit du site de l'Age du Fer, près de la pirogue 1 1 vase 99-14 qui présentait une croûte noire extérieure apparemment carbonisée sable cimenté par un "goudron" noir luisant qui paraît assez carbonisé. L'échantillon a été trouvé à la surface du four traditionnel Vincent de Biscarrosse gros morceaux de "poix" pluricentimétriques nettoyés de la surface oxydée. Forte odeur de poix du cordonnier. Aspect rouge orangé à noir. Colle aux doigts

Tab. 1 : Description des échantillons bruts et des prélèvements effectués pour les analyses archéométriques.

le cœur du tesson pour préciser la nature de son contenu organique.

L'échantillon Losa 2 était répertorié au Musée de en tant que bloc de « colophane » tandis que

l'échantillon Sanguinet 4 faisait figure de goudron ayant imprégné le sable dans l' environnement immédiat d'un cuvier de production de Sanguinet. A l'examen détaillé, ce dernier échantillon s'est montré encore plus

que prévu car à l'évidence il présentait une surface très oxydée (1461b) qui s'individualisait par sa couleur brune et sa très grande friabilité. Cet échantillon a donc été séparé en deux fractions, 1641a (échantillon

car non oxydé) et 1641b (surface altérée), afin de permettre une analyse fine des effets de l'oxydation sur le cortège moléculaire et isotopique.

L'échantillon Sanguinet 3 a été collecté au fond d'un cuvier du Musée de Sanguinet. Il se présentait sous la forme d'un mélange de terre et de débris végétaux (fig. 3). A première vue cet échantillon évoquait le matériau dont avaient parlé Richir et al. en 1974, c'est-à-dire la tourbe à sphaignes avec laquelle la poix aurait été

par pyrogénation. Après examen de l'échantillon par J. Wiethold (communication personnelle), il s'est avéré que cet échantillon renfermait essentiellement des tiges de plantes herbacées sans aucune trace de sphaignes et qu'en définitive il s'agissait plutôt d'un échantillon de la couverture du four comme le suggère par ailleurs la présence de grains noirs (poix ?) qui collent aux doigts.

A cet ensemble, constituant le corpus de référence sur le thème « fabrication de la poix antique » est venu se greffer quelques autres échantillons particuliers :

1- l'échantillon de Put Blanc 1463 possède l'apparence d'une résine de conifère brute et pure. Il a été prélevé dans l'un des amas solides, trouvés à l'avant et à

d'une barque de chêne à fond monoxyle de la fin du XVIe siècle ap. J.-C. (datation dendrochronologique communiquée par O. Hulot, 2002). Cette barque a été découverte en 1991 près de la pirogue 11 datée de l'Age du Fer-début de l'ère chrétienne. Elle transportait une quantité importante de « résines » au moment du

car l'amas principal situé à l'arrière s'étend sur 2 m de long et 50/60 cm de large ;

2- l'échantillon de tesson de Put Blanc, de l'Age du Fer (750-400 av. J.-C), était couvert d'une croûte noire

carbonisé sur la face extérieure dont l'origine méritait d'être examinée ;

3- l'échantillon du four traditionnel Vincent de la de Biscarrosse (Aufan et Thierry, 1990) complète

la série d'échantillons en fournissant un sable imprégné de « poix » prélevé dans le four qui est supposé avoir fonctionné entre le XVIIe et le début du XIXe siècle.

4- l'échantillon de poix antique de la cargaison du navire gallo-romain du port de St Peter Port à

coulé à la fin du Ille siècle ap. J.-C, est donc du site de production de poix de Losa dans les

Landes.

Revue d'Archéométrie, 26, 2002 183

RÉSULTATS

LES DONNÉES GLOBALES : TENEUR EN ORGANIQUE ET DONNÉES DE PYROLYSE

ROCK-EVAL

La pyrolyse Rock-Eval a été utilisée comme outil de dégrossissage du contenu organique des échantillons. Elle a été appliquée sur échantillon brut car elle procure une donnée essentielle qui est la teneur en carbone

total et qu'elle donne déjà des pré-indications sur la nature globale de l'échantillon. Elle a été employée une deuxième fois, après l'extraction des échantillons au dichlorométhane afin d'affiner le pré-diagnostic en

des informations exclusivement sur la matière organique résiduelle, insoluble au solvant organique. C'est en particulier à ce stade que l'on a pu obtenir une confirmation du caractère carbonisé des dépôts sur les tessons de jarres, de cuviers et de poteries.

La pyrolyse Rock-Eval II avec module de carbone, outil classique pour caractériser les roches mères

et décrite en détail par Espitalié et Bordenave (1993), fournit un pyrogramme avec 4 pics : SI

thermovaporisés à moins de 300°C), S2 libérés par cracking entre 300 et 600°C), S3

(CO2 formé à moins de 400°C), S4 (CO2 généré par du carbone résiduel à 600°C). Le carbone

total (COT en % en poids / échantillon) est à partir des pics SI, S2 et S4. Un exemple d'un tel

pyrogramme est reproduit figure 4a. Il s'agit de celui de l'échantillon 1461a de Sanguinet pour lequel on constate immédiatement qu'il ne s'agit pas d'un bitume antique, en effet dans les bitumes antiques SI « S2 et la

maximale du pic de pyrolyse Tmax est voisine de 423 °C (Connan et al, 1998).

Ce dispositif de pyrolyse permet de calculer d'autres grandeurs intéressantes : Indice d'Hydrogène (IH= S2 en mg d'hydrocarbures ou HC / g de COT), Indice

(IO= S3 en mg CO2 / g de COT), Température du maximum du pic de pyrolyse sensu stricto S2 (Tmax en °C). Ces données sont rassemblées dans le tableau 2.

La première constatation que l'on peut faire est que tous les échantillons sont riches en carbone organique (COT > 5 % / échantillon, tab. 2) mais le report de cette teneur en carbone organique en fonction de

d'hydrogène IH (fig. 4b) montre que l'on a affaire à une grande diversité de situations qui s'ordonne en trois grands ensembles :

1- un premier groupe (I), assez riche en hydrogène (600<IH<900), est constitué par l'échantillon de la barque

de Put Blanc 1463, celui de Guernesey 1457a et la « » de Losa 1459 ;

2- un deuxième groupe (II), très pauvre en hydrogène (IH<100), rassemble les échantillons de la jarre de Losa 1458a et b2, du cuvier de Losa 1462a et b, de la poterie de Put Blanc 1464 et du four de Biscarrosse 1598. Cet ensemble cohérent se rapporte à tous les échantillons qui

des dépôts d'apparence carbonisée (voir tab. 1) ; 3- un troisième groupe (III) se place en position

(250<IH<500) avec deux échantillons de à savoir l'échantillon terreux trouvé dans le fond

du cuvier 1460 et le sable imprégné 1461. A l'évidence ces deux échantillons composites contiennent une part de poix en imprégnation.

La prise en compte d'autres données dans les IH vs. 10 (fig. 4c) ou IH vs. Tmax (fig. 4d) tend à

réduire la classification précédente à deux grands car la différence entre le groupe I et III se manifeste

simplement par une teneur plus élevée en oxygène dans le groupe III (fig. 4c) qui n'est cependant pas suffisante pour occulter la véritable nature de la matière organique dominante. Celle-ci est en définitive globalement assez semblable si l'on en juge par les Tmax assez homogènes entre le groupe I et III. Il n'en est pas de même lorsque l'on compare le groupe I + III au groupe II où

très nette des Tmax (fig. 4d) est en accord avec le caractère carbonisé de la matière organique des dépôts. Ce groupe à matériel organique très carbonisé, évoqué par B. Maurin dès 1983, se trouve donc confirmé par pyrolyse Rock-Eval sur matériel brut.

A ce stade préliminaire de l'étude géochimique, la pyrolyse Rock-Eval montre l'existence de deux grandes catégories d'échantillons :

- des échantillons assez riches en hydrogène (groupe I et III) qui s'avéreront après étude chimique être soit de la poix, soit de la résine de conifère,

- des échantillons à résidu fortement carbonisé (groupe II) dans lesquels nous verrons qu'il sera encore possible de retrouver la présence de poix.

L'EXTRAIT AU DICHLOROMÉTHANE EN EXTRAIT ET COMPOSITION

TENEUR

Passé le stade d'inventaire sur échantillon brut, du contenu organique se poursuit par une

au dichlorométhane (fig. 1) qui conduit à isoler un extrait organique d'une part, un résidu d'autre part. L'étude de l'extrait au dichlorométhane (tab. 3) permet d'entrer plus avant dans le véritable contenu organique

référence des échantillons

Losai Losai Losa 2

Sanguinet 3 Sanguinet 4 Sanguinet 4

Losa 5 Losa 5

Put Blanc Ml Put Blanc

Biscarrosse Guernesey

numéro des échantillons

1458a 1458b2 1459 1460 1461a 1461b 1462a 1462b 1463 1464 1598 1457a

S1 (en mg HC / g d'échantillon) 9,6

4,7 81.9 59,6 38,1 15,1 0,7 0.2

127.6 0,6 0,5

183,5

S2 (en mg HC / g d'échantillon) 43,4

7,5 191,5 95

35,5 14,5 3,1 1.3

352,4 8,7 1,3

457,5

S3(enmgCO2/g d'échantillon) 18,4

4,06 2,9 14 3

2,5 5,3 1.6 6,7 11,6 3,7 4,9

COT(en%/ échantillon)

52,5 43,8 27,9 30,4 8,1 5,2 26,8 8,4 39,8 66,3 26,3 60,9

IH (en mg HC / g COT)

34 17 686 312 440 281 11 15 884 13 5

751

IO (en mg CO2 / a COT) 82

9 10 46 37 49 19 19 16 17 13 8

IP 0,18 0,38 0,30 0,39 0,52 0,50 0,19 0,13 0,27 0,07 0.27 0,29

Tmax (en °C) 439 428 392 395 390 393 420 425 550 585 393

Tab. 2 : Résultats des analyses Rock-Eval II sur échantillons bruts. Signification des abréviations : HC = hydrocarbures, COT (en % / échantillon) = Carbone Organique Total (en % en poids / échantillon brut), IH = Indice d'Hydrogène, IO = Indice d'Oxygène, IP = Indice de production = SI/ SI + S2, Tmax (°C) = Température du maximum du pic de pyrolyse S2.

184 Revue d'Archéométrie, 26, 2002

SI 1461a-Sanguinet Ihrogramme Rodk-Eval

300

190 °C

400 j 500 600 / \|

I 1

S4i

700

500

300

200

/'l 1461a- /

\ ^4> 1461b-

1

14&

146»>ut Btanc

^

.-groupe III

H460- SfajQUhwt

H6- arosM JS.

groupe II / &■ 14581

2a-Losa ^ 4

©

1467a-

groupe 1

^^Li484^>i

0 10 203040506070 COT (%/ échantillon)

1000

900

700

600

500

400

300

200

100

© Btanc

1457a- ♦ OuanwMy

SangukMi

1460- ♦

4> 1461b- Sangutnot

Btanc

2O 1462"^18 60 80 100

0

'Sangulnet 1460- Sanguinet

1461b- Sangulrwt

145Bb2-L0MT

14(2a-U)M 1462b-Lou 1458a*Lou 1464-Put

Btanc 1568-

♦ A_ 3a04004204404604aO80O920540SM6Ma0O

Tmax rC)

Fig 4 • Diagrammes présentant les résultats de la pyrolyse Rock-Eval sur échantillon brut, a) exemple de pyrogramme d'un échantillon de Sanguinet montrant le pic SI, S2, S3 et S4 et la position du Tmax (°C). b) diagramme IH vs. COT. c) diagramme IH vs. IO. d) diagramme IH vs. Tmax.

Revue d'Archéométrie, 26, 2002 185

Référence

des échantillons Losai

Losa2 Sangulnet 3 Sanguinet 4

Losa5 Put Blanc NI Put Blanc Bfscarosse Guernesey

Numéro d'échantillon

1458a 1458b1 1458b2 1459 1460 1461a 1461b 1462a 1462b 1463 1464 1598 1457a

Matière organique extractible

au dichlorométhane (%/ échantillon)

4,25 1.18 51.5 27.7 12.3 4,07 0,18 0,11 100 0.19 0.14 100

MOE/COT (en %)

8.1 2.7

184.6 91,1 78.3 151.9 0.7 1.4 251 0.31 0,54 164.2

Constitution MOE (latroscan)

"sat" % 0,9 1.4 2,2 0 0 0,3 0,4 3.1 5,0 0

6,9 1

0,2

"aro" %

20.0 9,8 5,4 14,8 17,2 15.4 16.2 4,0 20,6 0,8 8,1 7,9 13,9

"polaires" %

79,1 88,8 92,4 85.2 82.8 84,4 83,4 92,9 74,4 99.2 84.9 91,1 85,9

Constitution MOE (MPLC100)

"sat" % 0,3 2,3 1.8 0

0.7 0r7 2.0 4.5 0

0.1

"aro" %

16.1 11.0 9.3 14.4 17.9 14,6 15,3 29,1 11f9

15,8

"résines" %

47,3 35,3 41,9 63,6 32.6 41,1 35,4 60,9 79,9

61,7

"asphattènes" %

36,3 51.3 47,0 21,9 48,8 43,6 47.3 5.5 8.3

22,4 nota: 251 pour l'échantillon 1463 est trop élevé par suite d'une sous-estimation indéniable du carbone

Tab. 3 : Teneur en matière organique extractible au dichlorométhane et composition de cet extrait. Signification des abréviations : MOE = Matière Organique Extractible au dichlorométhane (% en poids / échantillon brut), COT = Carbone Organique Total (% en poids / échantillon brut), Constitution MOE (latroscan) = constitution par analyse latroscan, « sat » = « hydrocarbures saturés » en % / MOE, « aro » = « hydrocarbures aromatiques » en % / MOE, « polaires » = « polaires » en % / MOE, Constitution MOE (MPLC100) = constitution sur 100 mg d'échantillon obtenue par précipitation des asphaltènes au n- hexane et séparation de l'extrait déasphalté par MPLC, % = % de chaque fraction en poids / MOE en poids.

des échantillons et in fine donne accès à la collecte des informations moléculaires et isotopiques, éléments

pour être en mesure de proposer un diagnostic sur la nature des échantillons analysés.

Le premier élément examiné est le rendement en matière organique extractible au dichlorométhane (MOE / COT) en fonction de la teneur en carbone organique correspondante (COT). Ce diagramme (fig. 5) montre que les échantillons se répartissent en 3 groupes :

1- le groupe 1 est constitué des échantillons riches en matière organique extractible (MOE/COT

>100%) ce qui était attendu pour la « résine » (1463), la « poix » de Guernesey (1457a), les échantillons de sables imprégnés (1461 a et b) et l'échantillon de « colophane » (1459). En fait ce groupe correspond aux échantillons qui seront identifiés comme poix et résine de conifère ;

2- le groupe 2 se rapporte aux échantillons dominés par un résidu très carbonisé. On y retrouve l'échantillon du Four Vincent de Biscarrosse (1598), le tesson de Put Blanc, la couche superficielle grisâtre sur le tesson du cuvier de Losa (1462a) ;

3- le groupe 3 se limite à trois échantillons de Losa dont deux caractérisent le contenu à l'intérieur des

A noter que la jarre 1458b2 est extrêmement riche en carbone (>40%) par rapport au cuvier 1462b (<10%). Cela dit, ces échantillons en position

entre les deux pôles extrêmes contiennent de l'extrait (1%<MOE/COT<10%) donc probablement un mélange de poix et de résidu carbonisé. A noter aussi que la matière organique extractible est bien plus importante à la surface de la jarre 1458 qu'à l'intérieur du tesson ce qui n'est pas surprenant étant donné le contact direct de cette surface avec le goudron de bois résineux.

L'extrait au dichlorométhane est fractionné sur Chro- marods de silice 5u SIII dans un appareil IATROSCAN MK IV afin d'obtenir trois fractions : « hydrocarbures saturés », « hydrocarbures aromatiques » et « polaires ». Ces fractions sont volontairement désignées par des noms entre guillemets car elles ne correspondent pas à des familles moléculaires bien définies c'est-à-dire

ment des hydrocarbures saturés ou des hydrocarbures aromatiques. Cette méthode analytique détruit les

mais permet une quantification au moyen d'un détecteur FID. L'isolement des fractions « saturés », « aromatiques » et « résines » se fait sur l'extrait au dichlorométhane préalablement déasphalté par traitement au «-hexane (fig. 1). La séparation s'effectue par chro- matographie liquide à moyenne pression sur 100 mg (MPLC 100). Les 4 fractions sont pesées.

Les compositions résultantes (tab. 3) sont représentées dans deux diagrammes ternaires. Ces diagrammes ont été comparés à des diagrammes de référence obtenus sur des résines de conifères brutes (Pinus halepensis de

et d'Israël, Pinus pinaster de France et cèdre de France) ainsi que sur des goudrons de conifères (= poix ou brai) obtenus comme sous-produits de la fabrication du charbon de bois (échantillon des usines CECA et de la Société Navarre dans les Landes) ou comme

fabriqués de façon artisanale dans des éco-musées norvégien et finlandais. A ces échantillons de référence actuelle, il a été ajouté l'échantillon de « résine » trouvée dans une amphore africaine aux 2/3 pleine sur l'épave de Pampelone, près de St-Tropez, datée du IVe siècle ap. J.-C. (Lequément, 1976). Les précisions concernant ces références sont données dans le tableau 4.

Dans le premier diagramme ternaire (« sat. », « aro », « pol », non reproduit) la population relative aux résines de conifères est extrêmement homogène avec une

polaire dominante (tab. 3). A cette famille se deux échantillons : la « résine » de la barque de Put

Blanc I-II (1463) et la résine de l'épave de Pampelone (1551). Tous les autres échantillons s'inscrivent plutôt dans la population goudron de conifères bien que l'on note d'ores et déjà plus de « saturés » dans certains

à matériel carbonisé par exemple 1464, 1462a et b, 1458b2. Les poix antiques par contre sont bien groupées dans la zone des goudrons de conifères et l'échantillon de Guernesey (1457a) est très proche de ceux de Losa- Sanguinet (1460, 1461, 1459).

La figure 6 procure une représentation plus car elle se réfère à deux éléments quantitativement

186 Revue d'Archéométrie, 26, 2002

Matière Organique Extractible / COT (en % )

Fig. 5 : Matière organique extractible au dichloromethane et Carbone organique sur échantillon brut : diagramme COT vs. MOE / COT.

important : les fractions chromatographiques « résines » et « asphaltènes » (fig. 1). La résine de la barque de Put Blanc comme d'ailleurs celle de l'épave de la baie de Pampelone s'inscrivent parfaitement dans la population définie par les résines des conifères actuels de référence. Une bonne concordance est par ailleurs obtenue lorsque l'on compare les résines brutes à des sous-produits

industriellement par distillation de la gemme ou du tall-oil, huile récupérée dans les papeteries après

basique des copeaux de bois résineux. Ces produits commercialisées par la Société des dérivés résiniques et terpéniques de Vielle-St Girons servent d'intermédiaires

dans des industries diverses : parfumerie, encre, peinture, vernis, savon, adhésifs, détergents, etc. Dans le cas

les produits de distillation du tall-oil à savoir la « acides gras » qui contient en fait 30% d'acides

la fraction « acides résiniques » ou « colophane » et la fraction « poix » s'alignent sur la droite définie par les données acquises sur les résines de conifères brutes. A souligner que la « poix » telle qu'elle est définie à l'heure actuelle parmi les produits industriels n'a rien à voir avec la poix antique qui nous concerne dans cette étude car la « poix » de l'usine des Landes est un résidu de distillation de la colophane donc un produit directement issue de la

type d'échantillons

résine de

conifère

goudron de bois résineux

produits industriels distillation de la

gemme et du tall-oil

numéro banque de données

296 315 316 1068 1463

1551

294

295

1552

1563

1564 1485 1487 1331

nature de l'échantillon

actuel

antique

actuel

actuel

date

IV apr. J.-C.

origine Weizmann Institute à

Rehovot (Israël) Bergerac (France) Hérault (France) Landes (France)

région de Kusadasi (Turquie)

amphore africaine dans épave de Pampelone, Saint-

Tropez (France) CECA-Usine de Parentis-

(Landes, France) Société Navarre-Garein-

(Landes, France) Finlande-Echantillon du

Musée Maritime de Bergen (Norvège)

Musée de la Forêt (Norvège)

Usine de St-Girons (Landes, France)

nature de l'échantillon résine de Pinus halepensis var. brutia*

résine de cèdre résine de Pinus pinea

résine de Pinus pinaster* résine de Pinus halepensis

résine de Pinus pinaster *

goudron de pin obtenu par pyrolyse de bois résineux dans le procédé de fabrication du charbon de bois

goudron de pin obtenu par pyrolyse de bois résineux dans le procédé de fabrication du charbon de bois goudron de pin ou de sapin

mélange eau + goudron collecté en début de distillation du bois résineux

goudron de conifère produit après expulsion de échantillon 1563 fraction "acides résiniques" ou "colophane"

fraction "acides gras" fraction "poix"

* échantillon contrôlé par analyse des pollens par Michel Girard à Sophia-Antipolis

Tab. 4 : Données de base sur les échantillons de références : résine de conifères, goudrons de bois résineux et produits industriels dérivés de la gemme.

Revue d'Archéométrie, 26, 2002 187

gemme par distillation tandis que la poix antique est un goudron libéré à température élevée (300-400°C ?) par pyrolyse de bois résineux.

Cet exemple illustre ce que nous avons déjà souligné à propos de la terminologie des produits, évolutive dans le temps. Ces mutations, difficiles à connaître au travers des écrits qui sont des comptabilités d'achats ou de ventes, doivent susciter des contrôles qui ne peuvent se faire qu'en ayant recours à des données objectives permettant de mettre en parallèle analyses, compositions chimiques et noms consacrés par l'usage à un moment donné. Au plan très général, il est très satisfaisant de constater que les résidus dérivés directement de la gemme

sans problème dans le groupe défini par les résines de conifères non traitées.

La comparaison des échantillons de Losa-Sanguinet- Biscarrosse-Guernesey (fig. 6) montre que ces

ont de fortes affinités avec les goudrons de actuels. Dans ce diagramme, la similitude entre Losa

2-1459 et Guernesey-1457a se trouve à nouveau renforcée.

LES DONNÉES MOLÉCULAIRES : DES OUTILS POUR L'IDENTIFICATION DES MATÉRIAUX

Les fractions « hydrocarbures saturés » et « aromatiques » ont servi de référence pour établir le

diagnostic géochimique. Elles ont été analysées par chromatographie en phase gazeuse - spectrométrie

de masse en mode spectre complet. Les noms des analysées ont été mis entre guillemets pour

que ces fractions ne contiennent pas uniquement des hydrocarbures saturés ou des hydrocarbures aromatiques. La fraction « hydrocarbures saturés » par exemple

des hydrocarbures insaturés comme nous le par la suite. La fraction « hydrocarbures » quand à elle renferme l'ester méthylique de

l'acide déhydroabiétique, fort utile d'ailleurs pour des diagnostiques géochimiques (oxydation par

exemple). Il en est en général ainsi avec le matériel archéologique mais la situation est légèrement différente en exploration pétrolière où les fractions contiennent essentiellement des hydrocarbures saturés et aromatiques vrais.

Les fractions « aromatiques » des poix

L'essentiel du diagnostic a été réalisé à partir des « hydrocarbures aromatiques » dans lesquelles 13

molécules de diterpénoïdes dont 12 sont des aromatiques (fig. 7) ont été systématiquement

et quantifiées. Ces molécules ont été identifiées par leur spectre de masse en se référant aux travaux de Evershed et al. (1985), Robinson et al. (1987), Bastow et al. (1999), Reunanen et al. (1989). Un doute subsiste cependant dans l'identification des structures 3 et 5 qui sont peut-être à permuter car 5 est plus stable que 3

Résines de conifères

Finns halepe

Binus pine a

inaster

Goudrons de conifères

Finlande

"\ Norvège!

Losa-Sanguinet-Put Blanc- Biscarosse Guemesey et produits Usine St-Girons

100% « saturés ̂ aromatiques »

a-Guernese^)

1460 1461a 1458bl

« résines. »t j<< asphaltènes»,

« Acides Gras » Usine St-Girons

« colophane » Usine de St-Girons

« poix » Usine St-Girons

Fig. 6 : Composition des extraits au dichlorométhane : diagramme ternaire « sat + aro »-« résines »-« asphaltènes » pour les échantillons de références (résines et goudrons de conifères) et les échantillons de l'étude.

188 Revue d'Archéométrie, 26, 2002

let 2 3 4 5 19-noratoietatriène 19-norabiëta-8,l 1,13-triène 19-norabiéta-4(18),8,l U3-tétraène. 18-norabiéta-8,l 1,13-triètie

déméthylé, R=GH3 et C2H5

1 ,7 - diméthylphénantr ène norsimonellite tétrahydrorétène

1 -ffléthylj-élhylphénanthrène 12

9-méthylrétène

9 simonellite

13 ester méthylique

de l'acide déhydrcabiétique

Fig. 7 : Structure moléculaire des 13 diterpenoïdes pris systématiquement en compte dans la fraction « hydrocarbures aromatiques ».

total

G J .2 - ^ ; -M ■

O '

Losa 2-1459

.5 3

t 4 1 1 h k .

13 ": a I rt : 2

ë : o ^ O :

Guernesey-1457a

5 f4

1 7

8 r-A

910i M It

8

?io| vaJAmJUU

12 I

11

i

12

13

' COOCH,

13

Fig. 8 : Courant d'ion total partiel (TIC) de la fraction « hydrocarbures aromatiques » montrant la distribution des diterpénoides : comparaison de la poix de Guernesey (1457a) à celle de Losa dans les Landes (1459). Conditions expérimentales : Hewlett-Packard 6890/5973 GC/MSD, 70eV avec m/z 50-600, colonne DB5 (J&W, 60m x 0.25 mm, épaisseur de film = O.lu avec une pré-colonne déactivée de 5m x 0.32 mm entre l'injecteur et la colonne chromatographique pour améliorer la résolution. La température du four a été programmée de 40 à 300 °C à 2°C/ min puis maintenue à 300 °C pendant 66 min.

Revue d'Archéométrie, 26, 2002 189

(B. Carpy, communication personnelle). Des travaux en cours actuellement devraient permettre de lever cette incertitude dans un proche avenir.

L'examen des empreintes moléculaires des « fractions aromatiques » montre que tous les échantillons, à

de la « résine » de Put Blanc, contiennent la des composés diagnostiques (composés 1 à 13) des

goudrons de conifères de référence. En conséquence on peut affirmer que tous les échantillons contiennent de la poix même quand ils sont constitués de résidus

dominants. La comparaison de l'empreinte de l'échantillon 1459 de Losa 2 et 1457a de Guernesey fait ressortir une étroite similitude de composition

entre ces deux poix antiques (fig. 8 et 9). Si tous les échantillons montrent la présence de structures

diagnostiques de goudrons de conifères ou poix, même dans les échantillons les plus dégradés thermique- ment, il n'y a pas constance du profil moléculaire. Des différences significatives apparaissent et elles sont

en terme d'histoire thermique. Les figures 9 et 10 regroupent les histogrammes qui

ont été obtenus sur les différents échantillons. Ils ont été construits à partir de l'intégration du courant d'ion total (TIC) de la fraction « aromatiques » restreinte aux diter- pénoïdes et calcul du % représenté par l'aire de chaque composé. Le coefficient de réponse de chaque structure moléculaire n'a pas été pris en compte cependant tous les histogrammes sont comparables car ils ont été acquis dans les mêmes conditions expérimentales.

La figure 9 regroupe tous les échantillons définis comme à poix dominante (1459, 1457a, 1460, 1461a et b). Elle appelle les commentaires suivants :

1- la poix de Losa 2 et celle de Guernesey possèdent des compositions voisines avec en particulier une teneur importante en ester méthylique de l'acide déhydroabiéti- que;

2- l'échantillon 1460, riche en débris de plantes contient aussi de la poix mais sa composition est

marquée par plus de tétrahydrorétène et de 18-norabiéta- triène ;

3- le sable imprégné de Sanguinet 4 est également riche en poix de composition comparable à celle de Losa 2. L'oxydation de cette poix en surface affecte le cortège moléculaire avec disparition sélective de l'ester méthylique de l'acide déhydroabiétique convertit en ester méthylique de l'acide 7-oxodéhydroabiétique (Beck et al, 1994 ; Beck et Borromeo, 1990 ; Proefke et al, 1992, Richardin et al, 1992) et perte de nombreux

mono- et diaromatiques. La figure 10 se rapporte surtout aux échantillons où la

poix, souvent en trace, se trouve associée à une matière organique extrêmement carbonisée. Dans ce cas le

moléculaire se trouve enrichi en structures triaroma- tiques stables : rétène et ses dérivés 1,7-diméthylphénan- trène, l-méthyl,7-éthylphénantrène, 9-méthylrétène (cf. le tesson de poterie de Put Blanc n°1464 et l'échantillon du four Vincent de Biscarrosse). Dans le cas de

1464, l'empreinte moléculaire des « aromatiques totaux » (fig. 11) est particulièrement éloquente

montre le caractère composite de la matière à savoir le reliquat de poix, très dégradée ther-

miquement (cf. prédominance des diterpénoïdes triaro- matiques) au sein d'une matrice carbonisée matérialisée par la présence de fluoranthène et de pyrène,

courant en tant que produit de pyrolyse (Howsam et Jones, 1998). Avec ces seuls éléments chimiques il

n'est pas possible de dire si le résidu carbonisé provient intégralement de la dégradation de la poix mais c'est ce qui paraît le plus vraisemblable. Dans ces échantillons à matière organique carbonisée, l'ester méthylique de l'acide déhydroabiétique a souvent quasiment disparu. Dans ce cas ce phénomène ne semble pas imputable à une oxydation superficielle car il est également de mise au cœur du tesson de jarre qui correspond à un milieu assez bien protégé comme on peut aussi le constater avec les résultats du tesson de cuvier de Losa 1462b. Dans ce cas d'ailleurs le tesson a conservé la mémoire d'une poix assez classique (fig. 10) malgré la présence d'une matière organique carbonisée.

La fraction « aromatiques » de la « résine » de la barque monoxyle de Put Blanc

L'empreinte moléculaire d'une partie de la fraction « aromatique » d'un échantillon de « résine » du

de la barque de Put Blanc a été reproduite figure 12 avec pour référence la partie correspondante d'un

de résine de pin des Landes actuel (Pinus prélevé près de Hossegor. Parmi les composés

présents plus de 25 sesquiterpènes et diterpènes de mêmes structures sont identifiables dans l'un et l'autre échantillon. Les plus significatifs sont le caryophyllène et l'oxyde de caryophyllène, le calaménène, le cadinène, le 19-norabiéta-8,ll,13-triène3,le 18-norabiéta-8,ll,13- triène 5, le rétène 11. La prédominance de 18-norabiéta- 8,11,13-triène 5 (ou du 19-norabiéta-8,ll,13-triène 3) a été reconnue également dans la résine de pin d'Alep (J. Connan, non publié). En général les résines de pins actuels qui ont été analysées (Pinus pinea, Pinus hale- pensis, Pinus pinaster) contiennent surtout des

monoaromatiques, produits dérivés directement de l'acide abiétique et pimarique et un peu d'ester

de l'acide déhydroabiétique. Les analogies entre l'échantillon actuel et l'échantillon de la

barque de la fin du XVIe siècle suggèrent que les masses jaunes, trouvées à la poupe et à la proue de la barque monoxyle, sont des amas de résine de conifère (Pinus pinaster ou pin maritime ?). Une recherche de pollens, faite par Michel Girard (communication personnelle) confirme que les pollens dominants sont effectivement ceux du Pinus pinaster. S'il y a vraisemblablement

de la source, il n'y a probablement pas identité de l'histoire des deux échantillons. En effet la présence de rétène en abondance dans l'échantillon archéologique, semble indiquer qu'il a subi un traitement thermique ayant amorcé des réarrangements moléculaires avec aro- matisation. Aufan et Thierry (1990) nous apprennent que les Romains connaissaient la résine cuite et exposaient la gemme au soleil afin de faire évaporer « l'huile

». Ils évoquent aussi l'existence de résine jaune ou « brai clair » qui est obtenue après deux heures de cuisson et mélange avec de l'eau. Lorsque l'on

l'échantillon de la barque on est frappé par deux choses : son extrême pureté et sa couleur franchement jaune. Ces deux caractéristiques nous semblent de nature à justifier l'existence d'un traitement thermique

qui a permis une purification de la gemme brute, sa conversion en une résine d'un jaune plus vif et son

en amas de plusieurs kilogrammes. Ce peut être à l'origine de l'apparition des structures

di- et triaromatiques, tétrahydrorétène 8 et rétène 11, qui ont été identifiées.

190 Revue d'Archéométrie, 26, 2002

1460-Sanguinet 3- intérieur de cuvier

25-f 20-

molécules

1457a-Guernesey- poix- chargement de navire gallo-romain

molécules

1461b-Sanguinet 4-sable imprégné de poix-surface oxydée

molécules

i Oxydation 1461a-Sanguinet 4- sable imprégné de poix- échantillon représentatif 25 1

molécules

1459- Losa 2- poix

molécules

Légende des motifs graphiques

1 2 3 4 5 6 7 8 9

10 11 12 13

C17 19-norabiétatriènedéméthylé C18 19-norabiétatriène déméthylé 1 9-norabiéta-8, 11,1 3-triène 1 9-norabiéta4(1 8),81 1 , 1 3-tétraène 1 8-norabiéta-8,1 1 ,1 3-triène 1 ,7-diméthylphénantrène norsimonellite tétrahydrorétène simonellite 1 -méthyl ,7-éthylphénantrène rétène 9-méthylrétène ester méthylique de l'acide déhydroabiétique

Fig. 9 : Distribution des diterpénoïdes de la fraction « hydrocarbures aromatiques » des échantillons de poix de Losa, Sanguinet et Guernesey. Effet de l'oxydation sur la distribution des diterpénoïdes.

Les fractions « hydrocarbures saturés » de la résine de Put Blanc

La fraction « hydrocarbures saturés » de la résine de la barque monoxyle de Put Blanc a été comparée à celle de la résine d'un pin maritime de la région d'Hossegor ainsi qu'à celle d'une coupe de « sesquiterpènes » produite par

distillation de la gemme via la térébenthine dans l'usine de la « Société des dérivés résiniques et terpéniques » de Vielle-Saint-Girons dans les Landes.

Tout d'abord ce qui marque la fraction « » c'est la prédominance du longifolène (5), de 4 autres sesquiterpènes répertoriés de 1 à 4 dans la

figure 13. Ces 5 composés se retrouvent dans la résine de

Revue d'Archéométrie, 26, 2002 191

1458a-Losa 1- surface de la jarre

molécules

1458b1-Losa 1 -lavage tesson de jarre

molécules

1464-Tesson de Put Blanc-750-400 av.J.-C.

molécules

1= C17 19 norabiétatriène déméthylé 2= C18 19 norabiétatriène déméthylé 3= 19 norabiéta-8,1 1 ,13-triène 4= 1 9-norabiéta-4(1 8),8. 11,1 3-tétraène 5= 18-norabiéta-8,11,13-triène 6= 1,7-diméthylphénantrène 7= norsimonellite 8= tétrahydrorétène 9= simonellite 10= 1 -méthyl, 7-éthylphénantrène 11=rétène 12= 9-méthylrétène 13= ester méthylique de l'acide déhydroabiétique

1458b2-Losa 1- jarre broyée

molécules

1462b-Losa 5-poterie broyée

molécules

Fig. 10 : Distribution des diterpénoïdes de la fraction « hydrocarbures aromatiques » des échantillons à matière organique carbonisée : jarres de Losa (1458 et 1462) et tesson de poterie de Put Blanc (1464).

pin maritime brute, ainsi que dans l'échantillon de résine de Put Blanc. Dans ce dernier échantillon les sesquiterpè- nes sont accompagnés de diterpanes : norabiétane et nor- pimaranes qui ne sont pas présents dans la résine de pin maritime où l'on rencontre uniquement des diterpènes. La présence de ces diterpanes, alcanes stables, au lieu des structures insaturées dans la résine de Put Blanc tend

à confirmer à nouveau que cette résine a subi un thermique modéré. Ces composés sont en effet les

espèces prédominantes dans la plupart des échantillons de poix analysées à Losa-Sanguinet ainsi que dans les poix de Chalon-sur-Saône et du petit Creusot (Connan et al, 2000).

192 Revue d'Archéométrie, 26, 2002

soufre

70.00 75,00 80.00 85.00 90.00 95.00 100,00 Temps (minutes)

Fig. 1 1 : Courant d'ion total partiel (TIC) de la fraction « hydrocarbures aromatiques » du tesson de poterie protohistorique de Put Blanc (mêmes conditions analytiques que fig. 8).

O -s

I

1 •s

Pinus pinaster (Landes) ^

«81L4 ,4.

Put Blanc Fin du

XVI° siècle

Temps (en minutes)

3

JuL Temps (en minutes)

Fig. 12 : Courant d'ion total (TIC) de la fraction « hydrocarbures aromatiques » : comparaison de la résine actuelle du Pinus pinaster des Landes et de la résine de la barque de la fin de XVIe siècle de Put Blanc (mêmes conditions analytiques que pour fig. 8).

Les fractions « hydrocarbures saturés » des contenant de la poix

Le dépouillement des chromatogrammes de masse des échantillons contenant de la poix montre une grande diversité de détail qui est révélatrice du contenu

des échantillons. Les fractions sont en général dominées par des diterpé-

noïdes, accompagnés par des séries mineures de n-alca- nes et de «-alcènes, avec ou sans longifolène. Toutes

ces informations, même relatives à des familles sont diagnostiques de particularités attachées à ces

échantillons, par essence composite. Quelques chromato- grammes-types sont représentés figure 14 et les

détaillées sont rassemblées dans le tableau 5. Dans la population concernée, la poix 1459 de Losa et

la poix de Guernesey 1457a s'individualisent Dans ces échantillons (cf. 1459, fig. 14) les diterpé-

noïdes sont essentiellement constitués de molécules avec une distribution de composés linéaires, alca-

Revue d'Archéométrie, 26, 2002 193

n*échantlll on

1458a

1458b1

1458D2 14S9 1460

1461a

1461b

1462b

1464 1457a

n*labo

C10673

C10674A

C10674B C10675

C10676

C10677 (échantillon sain) C10678 (oxydé)

C106S0

C11219 C10671

caractères dominants longlfolêna

présent

présent

présent

présent

présent

traces

traces

dltarpénoides saturas norabietaneet norpimaranes norabiétane et norpimaranes norabiétane et norpimaranes

norabietaneet norpimaranes

norabiétane et norpimaranes norabietaneet norpimaranes norabiétane et norpimaranes

Insaturés

dominant la distribution présent

traces

dominant la dlstnbution

structures linéaires n -alcanas 13 14 11

15

15

15

15

I 17

17

l

wmm

21

22 23 24

i

I 1

23

23

B

25

25

25

27 27

27

27 27 27

27

1 27

29

29

29 29 29

29

29 29

30 31132 31

31

31

.2? 33

33 H 33

31

31 31 33

n -alcanas

22:1 et 24:1 22:1 et 24:1

22:1 et 24:1

22:1 et 24:1

22:1 et 24:1

distribution distribution bimodate avec séries homologues iso-, antéiso-et cydo-alcanes monomodale avec séries homologues iso-, antéiso- et cydoalcanes et prist/phyt<1 monomodale avec séries homologues iso-, antéiso- et cycloalcanes et prist/phyt<1 typique goudron de pinus maritima n-ateanes dominée par contribution des débris d'herbes mais présence de poix visible

rvalcane dominée par contribution de la poix et qq séries homologues iso- antéiso, etc.,prist/phyt<1 n-ateanes biodégradés mais reste semblables a ceux de 1461a n-ateanes à forte prédominace en C15 et C17 et série homologue iso-et antéiso-alcanes. prist/phyl>1 n-alcanes marquée par végétaux supérieurs

typique goudron de plnus maritima

Tab. 5 : Principales caractéristiques moléculaires des fractions « hydrocarbures saturés ».

nés et alcènes, caractéristique des goudrons obtenus dans le processus de fabrication industrielle du charbon de bois à partir de pin des Landes. Cette distribution possède les caractéristiques suivantes : gamme moléculaire entre C15 et C25 avec un maximum à «-C23 et présence des n-alcènes 24 .1 et 22 :1 ; Macke et al, 2002). Cette

suggère que les poix antiques ont également été préparées à partir de bois résineux.

Dans un deuxième groupe il est possible de placer l'échantillon 1460, dépôt au fond d'un grand cuvier. L'empreinte chromatographique est marquée cette fois par la présence de 3 structures saturées ou diterpanes (le norabiétane et deux norpimaranes, fig. 14) avec quelques diterpènes minoritaires. Dans ce cas particulier la

des structures linéaires est dominée par le végétal d'accompagnement c'est-à-dire les herbes

(cf. forte prédominance impaire entre «-C23 et «-C33 avec «-C3 1 pour maximum) mais la poix demeure visible en début de spectre (cf. 22 :1 et 24 :1). Cet échantillon semble contenir un reliquat de poix assez carbonisée (cf. aussi forte teneur en tétrahydrorétène et rétène dans les aromatiques).

Dans un troisième groupe entre les échantillons de sable imprégné de poix de Sanguinet 1461a et b. Le

est surtout composé de longifolène et de diterpanes, norabiétane et norpimaranes donc par les diterpanes

Les structures linéaires sont à nouveau typiques de la poix de bois résineux (tab. 5). La comparaison des deux échantillons, surface oxydée et échantillon

montre des modifications reconnaissables en la biodégradation sélective des structures

et l'évaporation du longifolène en surface. Dans un quatrième groupe se rassemblent les

1458a, bl et b2, 1462b où la poix se trouve accompagnée de résidu carbonisé. Les diterpanes y

à nouveau avec ou sans longifolène. La des structures linéaires, bimodale (1458a) ou non,

montre l'apparition de séries homologues d'iso- et d'an- téiso-alcanes qui sont la marque d'un cracking

important. Les isoprénoïdes pristane et phytane sont

1 •s 2? ljM 1 Él

5 y-, /D OK

,4

« sesquiterpènes » Usine Vielle -St-Qirons

(Landes)

g -s

,4

Temps (en minutes)

Résine de pin maritime (Landes)

I Temps (en minutes)

5=longifolène RésittC de Put Blanc I"n FmduXVP siècle apr. X-C.

norabiétane norpimaranes /

mu si am asm Temps (en minutes)

Fig. 13 : Courant d'ion total (TIC) de la fraction « hydrocarbures » : comparaison de la résine de la barque de Put Blanc de la fin du

XVI' siècle à deux références : « sesquiterpènes » de l'usine Vielle-St Girons et résine de pin maritime des Landes. également présents. Les n-alcanes sont marqués par une forte prédominance de n-Cl5 et «-Cl 7 qui proviennent probablement de la contamination des échantillons par des algues du milieu lacustre. L'existence d'une

végétale très minoritaire est également décelable par les prédominances impaires entre «-C27 et «-C33.

194 Revue d'Archéométrie, 26, 2002

•g I

norpimaranes

2 \

\\ norabiétane y 1461a Poix de Sanguinet 4

OU 7Q-ΠVim ' IQΠCTirp ' 1 1DH3 ' ISO ' Temps (en minutes)

norabiétane 146O.Dépôt / cuvier Sanguinet 3

n-C22 n-.Ç25 n-C24 n-C29 n-C31

I£D DIS diterpènes insaturés

Temps (en minutes)

1459 Poix de Losa

•s

Temps (en minutes)

Fig. 14 : Courant d'ion total (TIC) de la fraction « hydrocarbures » : comparaison des poix de Losa et Sanguinet.

Ces informations traduisent le caractère composite de ces échantillons où un reste de poix assez dégradée thermi- quement se trouve mélangée à des résidus carbonisés.

Un cinquième groupe est constitué uniquement du tesson de Put Blanc où aucun diterpane n'a été reconnu. Les linéaires sont exclusivement des n-alcanes avec une empreinte de contribution végétale.

DISCUSSION ET CONCLUSIONS

Au terme de cette étude, force est de constater que les objectifs fixés au départ ont été largement atteints, et ceci malgré les réserves de principe suscitées par la nature souvent carbonisée du matériel à traiter.

En définitive tous les échantillons de Losa-Sanguinet- Put Blanc sauf celui prélevé dans les amas jaunes

dans la barque monoxyle de la fin du XVIe siècle se sont avérés contenir de la poix, c'est-à-dire des

produits par traitement thermique de bois résineux. Même dans le résidu carbonisé du tesson de poterie de Put Blanc 99-14, daté de 750-400 av. J.-C. ou celui du four Vincent de Biscarrosse, il a été possible de

quelques composés triaromatiques, diagnostiques de la poix, dont le rétène. Cette dernière information

que l'utilisation de poix et peut-être de résine de conifère à des fins domestiques a débuté dès l'Age du Fer ; cependant, cet emploi demeure très anecdotique et le seul témoignage avéré est limité à cet unique tesson. Il faut attendre l'époque gallo-romaine, illustrée par les installations (cuviers et jarres) du village sublacustre de Losa pour qu'une véritable production de poix par des artisans « résiniers » se mette en place entre le premier et le Ille siècle et se poursuive au delà comme en témoigne la découverte de cuviers avec de la poix à Sanguinet au bord du lac.

Les amas de « résines » jaunes, trouvés à la proue et à la poupe de la barque monoxyle de Put Blanc, sont de véritables amas de résine de conifères extrêmement pure. Une bonne correspondance chimique a été trouvée avec la résine brute du pin maritime actuel des Landes (Pinus pinaster). Plus d'une trentaine de structures moléculaires présentes dans les fractions « hydrocarbures saturés » et « hydrocarbures aromatiques » de la gemme actuelle ont été reconnues dans la « résine » de Put Blanc. Cet échantillon cependant n'est pas identique à l'échantillon actuel et la présence de diterpénoïdes triaromatiques dont le rétène semble indiquer que l'échantillon a subi un traitement thermique modéré afin de purifier la résine brute collectée et d'en façonner les amas trouvés dans la barque (traitement éclaircissant en présence d'eau ?). A ces détails près, cet échantillon peut-être assimilé à de la résine de conifère brute.

L'étroite analogie de composition tant moléculaire qu'isotopique (résultats non présentés) entre la poix de Losa et l'échantillon de Guernesey amène à conclure tout d'abord que la cargaison du navire gallo-romain de Guernesey était bien constituée de poix. Cette conclusion jette un éclairage différent sur le matériau lui-même car Evershed (1993) concluait son étude en disant « que la poix correspondait à une résine de pin modifiée et qu'elle n'avait pas été produite par distillation

du bois de pin, c'est-à-dire par traitement à 350 °C comme c'est le cas pour la production du goudron de Stockholm ». En vérité il s'agit bel et bien d'un produit de dégradation thermique de bois résineux comme nous l'avons montré mais il est vraisemblable que les

atteintes dans les fours antiques aient été moins élevées que dans la référence industrielle utilisée par Evershed d'où l'erreur de diagnostic. Le navire chargé de poix et qui a brûlé et coulé dans le port de St Peter Port à Guernesey vers 280 après J.-C, a probablement

sa cargaison (une demie tonne de poix a été !) entre l'embouchure de la Gironde et Bayonne et

pourquoi pas dans le Bassin d'Arcachon ou à de la Gourgue qui permettait de faire communiquer

Losa avec la mer. Cette hypothèse est confortée par éléments archéologiques. Apparemment la poix

était transportée sur le navire dans des tonneaux comme cela se pratiquait en Europe de l'Ouest et non dans des amphores comme cela était de mise en Méditerranée. Des poteries attribuée à des régions côtières de l'estuaire de la Loire ou en Gironde avaient été embarquées

à bord du navire. Le sable isolé de la poix (Bull et Magee, 1993) ne vient pas de l'environnement du port de St Peter Port à Guernesey mais possède les

d'un sable de dune à proximité d'un estuaire. Tous ces éléments ne sont pas en contradiction avec une origine landaise pour la poix de Guernesey.

pas un chargement chez les « résiniers » du Bassin d'Arcachon ?

L'étude montre aussi clairement les différences entre une résine de conifère et des goudrons de bois résineux (brai ou poix). En l'état et par manque d'analyses

il est impossible de distinguer la nature exacte des nombreux produits qui ont été décrits dans la synthèse très détaillée de Aufan et Thierry (1 990) mais il est d'ores et déjà possible de clarifier un peu les choses en évitant des inexactitudes majeures. Nous recommandons en

de réserver le mot résine pour la résine brute, purifiée éventuellement par un traitement thermique à faible température et de privilégier le mot poix pour les goudrons et les brais archéologiques c'est-à-dire les

obtenus par pyrolyse de bois résineux. Cette défini-

Revue d'Archéométrie, 26, 2002 195

tion implique immédiatement de parler de chargements de poix pour désigner la plupart des chargements dits de « résines » trouvés dans les épaves antiques en

Il en va de même des calfatages de bateaux antiques que ce soient ceux de la Saône (Connan et al, 2000), de Ma'agan près de Haifa en Israel (Ve siècle av. J.-C), de l'épave Jules Verne 7 de Marseille (Connan, 2002). Jusqu'à présent deux échantillons seulement : Put Blanc et Pampelone ont été trouvés comme étant

aux résines de conifères brutes. A souligner de plus que l'amphore qui contenait la résine de conifère sur l'épave de Pampelone était unique et qu'elle a été

comme faisant partie du matériel de l'équipage donc aucun point commun avec les amphores servant au transport de poix, qui sont de véritables chargements en quantité et sont monnaie courante dans la littérature

aux recherches archéologiques sous-marines.

REMERCIEMENTS Les auteurs expriment leur gratitude à tous ceux qui ont participé à

la mise à disposition d'échantillons de référence en particulier la de l'usine des « dérivés terpéniques et résiniques » de Vielle-St-

Girons, des usines CECA et Navarre dans les Landes. Notre reconnaissance va aussi à toute l'équipe du laboratoire de

organique de Elf Exploration Production, dirigée par Philippe Blanc et Daniel Dessort et en particulier à Jean-Bernard Berrut, Yannick Poirier, Nadine Loubère, Philippe Poli, Dominique Duclerc-Mouton et Béatrice Ruiz dont le savoir-faire est à la source du corpus de données analytiques.

Nos remerciements s'adressent aussi à Michel Girard, du laboratoire de Palynologie du CNRS de Sophia-Antipolis, pour l'analyse des

qui a permis de préciser l'origine des résines de conifères utilisées comme références, à Olivia Hulot qui nous a communiqué les dernières résultats de la fouille 2001 de l'épave de Put Blanc, à Bernard Dubos qui nous a transmis les documents photographiques pour la réalisation des figures de présentation des échantillons, à Julian Whiethold qui a effectué la recherche des sphaignes.

RÉFÉRENCES

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