gerber (f.), bambagioni (f.) — le lacus des hospitalières (poitiers, vienne)

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L’eau : usages, risques et représentations Le lacus des Hospitalières (Poitiers, Vienne) Frédéric Gerber, Flavien Bambagioni Le site de Poitiers est un vaste promontoire calcaire de 2,3 km de long sur 1,3 km de large, borné par les vallées de la Boivre et du Clain, qu’il domine d’une cinquantaine de mètres. Il est relié au plateau environ- nant par un étroit pédoncule. Un fossé défensif pourrait avoir fermé le plateau de ce côté comme en témoigne le nom d’une des rues actuelles : la Tranchée. Le centre historique est localisé sur le sommet du plateau, où se trouvent les arènes, les thermes et le forum. La population semble importante, comme l’atteste la superficie de la ville et pourrait le laisser imaginer la taille des arènes. Le site des Hospitalières se trouve dans le bas de la ville, vers le sud-est, sur une zone relativement pentue (nord-sud), juste en bordure de la rupture de pente marquant le lit du Clain. Ce secteur est considéré comme tardivement bâti (fig. 1). Des vestiges de l’époque antique y sont connus 1 essen- tiellement par l’intermédiaire des fouilles de l’Espace Pierre Mendès-France, du baptistère et de l’ancienne abbatiale Sainte-Croix 2 , auxquelles il faut aussi ajouter les petites campagnes conduites dans le lycée voisin 3 et dans l’enceinte des Hospitalières 4 . 1- Informations tirées de l’étude documentaire réalisée par A. Champagne, Université de Pau, Gerber, dir 2007. 2- Labande-Mailfert 1996. 3- La fouille (1932-33) de la cour du lycée au coin des rues Jean- Jaurès et Sainte-Croix a permis de mettre au jour un habitat (Boissavit- Camus 2001, fig. 219). 4- Fouilles de N. Le Masne de Chermont et Chr. Ranché. ——— Fig. 1. Localisation sur site des Hospitalières sur un extrait de la carte IGN de Poitiers E172 au 1/25000 E , avec les principaux monuments antiques de la ville. ———————

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L’eau : usages, risques et représentations

Le lacus des Hospitalières (Poitiers, Vienne)

Frédéric Gerber, Flavien Bambagioni

Le site de Poitiers est un vaste promontoire calcaire de 2,3 km de long sur 1,3 km de large, borné par les vallées de la Boivre et du Clain, qu’il domine d’une cinquantaine de mètres. Il est relié au plateau environ-nant par un étroit pédoncule. Un fossé défensif pourrait avoir fermé le plateau de ce côté comme en témoigne le nom d’une des rues actuelles : la Tranchée.

Le centre historique est localisé sur le sommet du plateau, où se trouvent les arènes, les thermes et le forum. La population semble importante, comme l’atteste la superficie de la ville et pourrait le laisser imaginer la taille des arènes. Le site des Hospitalières se trouve dans le bas de la ville, vers le sud-est, sur une zone relativement pentue (nord-sud), juste en bordure de la rupture de pente marquant le lit du Clain. Ce secteur est considéré comme tardivement bâti (fig. 1). Des vestiges de l’époque antique y sont connus 1 essen-tiellement par l’intermédiaire des fouilles de l’Espace Pierre Mendès-France, du baptistère et de l’ancienne abbatiale Sainte-Croix 2, auxquelles il faut aussi ajouter les petites campagnes conduites dans le lycée voisin 3 et dans l’enceinte des Hospitalières 4.

1- Informations tirées de l’étude documentaire réalisée par A. Champagne, Université de Pau, Gerber, dir 2007.2- Labande-Mailfert 1996.3- La fouille (1932-33) de la cour du lycée au coin des rues Jean-Jaurès et Sainte-Croix a permis de mettre au jour un habitat (Boissavit-Camus 2001, fig. 219).4- Fouilles de N. Le Masne de Chermont et Chr. Ranché.

———Fig. 1. Localisation sur site des Hospitalières sur un extrait de la carte IGN de Poitiers E172 au 1/25000E, avec les principaux monuments antiques de la ville. ———————

542 L’eau : usages, risques et représentations

Saint-Germain 7. “D’autre part, les fouilles de la rue Oudin ont fait apparaître, près des vestiges d’un des aqueducs 8, un massif de maçonnerie à degrés, revêtu de ciment hydraulique, qui était évidemment une fontaine monumentale” 9.

un riche quartier antique

C’est durant le dernier tiers du ier s. p.C. que la zone des Hospitalières est urbanisée de manière évidente. Cela se traduit sur le secteur fouillé 10 en 2005 (fig. 2) par l’implantation d’un decumanus dont la bande de roulement est large de 8,30 m, et d’un cardo large de 6,40 m. Les deux voies s’adaptent au

7- Picard 1982, 538.8- Il s’agit en fait de l’égout sortant des latrines découvertes aux Cordeliers (cf. Bouet 2009, 249-253).9- Note 18 de l’article de Picard 1982, 539 : Gallia, 37, 2, 401, cf. plan, p. 402, carrés CDE5.10- Fouille réalisée par l’INRAP, sous la direction de Fr. Gerber, du 6 juin au 10 novembre 2005, sur deux zones de 760 et 270 m2 (rue Saint-Simplicien et rue Jean-Jaurès), dans le cadre d’un projet immobilier touchant le terrain de l’ancienne abbaye Sainte-Croix de Poitiers (Gerber 2007).

Les sources d’alimentation en eau de la cité sont relativement bien connues en dehors de la ville. En 1852, le maire de Poitiers mandate l’ingénieur en chef du département pour réaliser une enquête visant à remettre en service les aqueducs qui alimentaient Poitiers en eau à l’époque romaine. Le bilan de son enquête paru dans les Mémoires de la Société des Antiquaires de l’Ouest fait encore référence 5.

Cette alimentation se faisait par trois aqueducs, partant de Montreuil-Bonnin, Fontaine-le-Comte et Croutelle. Le plus long mesurait 25 km. Quelques piles sont conservées au niveau du village de Saint-Benoît. Ils arrivaient tous les trois par le sud de la ville à l’endroit où le promontoire forme une pointe. Un tronçon en a été découvert à Poitiers même, rue Magenta 6.

Les thermes dégagés sous le musée Sainte Croix sont datés de la fin du ier s. p.C., comme ceux du forum ou encore ceux fouillés sous l’actuelle église

5- Dufaud 1855.6- Boissavit-Camus 1987, 243-247.

Rue Saint-Simplicien

Rue Jean-Jaurès

CathédraleSaint-Pierre

Baptistère Saint-Jean

Secteur 2

Secteur 1

0 75 m

N

———Fig. 2. Localisation sur fond cadastral des deux zones fouillées sur le site des Hospitalières.———————

Le lacus des hospitaLières (poitiers, Vienne) 543

relief. Elles ne sont pas réellement perpendiculaires. Le decumanus est bordé de trottoirs. Celui du côté occidental, large de 2,60 m, est couvert par un portique. Un réseau d’égouts dessert également le quartier (fig. 3). Des bâtiments bordent ces rues. Bien que le plan de la zone soit incomplet, les vestiges identifiés donnent l’image d’un quartier densément construit. Une salle décorée d’enduits peints et une autre chauffée par hypocauste (fig. 4) témoignent du caractère relativement cossu des constructions.

Lacus pictavus : la première fontaine publique trouvée à Poitiers

Les restes d’une fontaine publique (lacus) témoi-gnent de cette importance et d’une fréquentation dense de ce secteur de la ville. Apparue à l’angle nord-ouest du carrefour, adossée à l’égout qui longe le

trottoir, elle empiète largement sur la chaussée. Elle avait l’aspect au moment de son apparition, lors de la fouille des niveaux du Bas-Empire, de grosses dalles usées par le passage des chariots et autres usagers de la voirie (fig. 5). La fouille et le démontage de l’aménage-ment ont ensuite révélé que ces éléments apparte-naient à une fontaine publique, et même en fait au second état de celle-ci.

0 25 m

N

Hypocauste

Bâtiment

Égout

Égout

Lacus

Bâtiment

Rue Jean-Jaurès

Bâtiment

Trot

toir

Trot

toir

Trot

toir

couv

ert

Bâtiment

Bâtiment

Cour ? ?

Enduit peint

Rue

Sain

t-Si

mp

licie

n

———Fig. 3. Plan général des structures du Haut Empire du site des Hospitalières. © F. Gerber. INRAP.———————

———Fig. 4. Soubassements d’une salle sur hypocauste. Bâtie durant le Haut Empire, elle ne sera abandonnée qu’au viie-viiie s., comme en témoigne le mobilier retrouvé dans les niveaux de démolition et dans le praefurnium. © F. Gerber. INRAP.———————

———Fig. 5. Première apparition des blocs de la fontaine antique pris dans les niveaux de voirie. © L. Destrade. INRAP.———————

544 L’eau : usages, risques et représentations

La fontaine origineLLe

La mise en place de cet aménagement intervient alors que le quartier est déjà au minimum doté de son premier réseau viaire et que les premiers bâtiments sont érigés.

Le massif de fondation quadrangulaire, de 2,00 x 2,08 x 0,30 à 0,40 m, est composé de blocs calcaires

noyés sans parement dans un mortier de chaux orangé. Ce socle maçonné recevait à l’origine le fond de la fontaine. Ce dernier se compose de deux blocs calcaires quadrangulaires de 2,02 x 1,05 et 1,08 m chacun, disposés à l’envers à l’est et au sud de la fontaine lors de la reconstruction de celle-ci (fig. 6 : blocs 2/7 et 10 et fig. 7 et 8). Les deux blocs devaient être disposés côte à côte sur le socle maçonné, comme

NGF 80,86 m

NGF 80,81 m

NGF 80,89 m

NGF 80,08 m

NGF 80,88 m

NGF 80,88 m

NGF 81,07 m

NGF 81,23 m

NGF 80,87 m

NGF 80,87 m

NGF 80,89 m

NGF 80,90 m

NGF 80,90 m

NGF 80,79 m

NGF 80,86 m

NGF 80,85 m

NGF 80,85 m

NGF 80,87 m

N

0 1 m

Bloc 7

Bloc 3Bloc 1Bloc 5

Bloc 9

Bloc 2

Bloc 10Bloc 8

Bloc 4/6

———Fig. 6. Plan général des éléments liés au lacus, avec numérotation des blocs. © F. Bambagioni d’après un relevé de G. Lavoix, INRAP.———————

Le lacus des hospitaLières (poitiers, Vienne) 545

———Fig. 7. Relevés et photographies des blocs 2 et 7, correspondant au bloc initial formant la moitié du fond du premier lacus. © F. Bambagioni, F. Gerber. INRAP.———————

546 L’eau : usages, risques et représentations

———Fig. 8. Relevés et photographies du bloc 10, correspondant à l’autre moitié du fond du premier lacus. © F. Bambagioni, F. Gerber. INRAP.———————

Le lacus des hospitaLières (poitiers, Vienne) 547

dans le second état. Ils constituaient ainsi un fond mesurant 2,15 x 2,02 x 0,32 m. L’étanchéité était assurée par un joint en mortier hydraulique (tuileau fin orangé) coulé dans une gorge longitudinale circu-laire creusée en demi-cylindre sur chacune des faces jointives (environ 9 cm de diamètre). On remarque que les percées perpendiculaires, destinées à couler le mortier hydraulique dans cette veine, n’apparaissent que sur l’un des blocs 11, l’autre en étant dépourvu. L’accès à cette gorge est en effet possible par l’intermé-diaire d’un trou perpendiculaire apparaissant sur le fond de la fontaine, et un à chacune des extrémités.

Le même système de gorges est utilisé pour assurer la fixation et l’étanchéité des quatre montants monoli-thiques calcaires (fig. 9 à 12) sur de probables piliers d’angle et sur le fond. Ils ont également été retrouvés en réemploi au nord et au sud-est du second lacus (fig. 13 à 15). Ces blocs mesurent 1,35 x 0,98 x 0,32 m en moyenne, l’un étant retaillé

11- Inv. bloc 7. On ne connaît en réalité qu’un seul de ces percements, l’autre extrémité du demi-fond (inv. bloc 2) étant fortement endommagée.

Montant 1 (inv. bloc 1) : il s’agit d’un montant avec trois cupules d’usure par l’eau sur la tranche supérieure. Dimensions : 1,37 x 0,98 x 0,36 m.

Montant 2 (inv. bloc 3) : ce montant présente une découpe en forme de trou de serrure sur la partie haute. Il est lui aussi très usé par l’eau (cupules). Le contour du bloc a été bouchardé au point de faire pratiquement disparaitre la gorge périphérique. Dimensions : 1,35 x 1,02 x 0,32 m.

Montant 3 (inv. bloc 5), très abîmé sur sa partie supérieure. Dimensions : 1,35 x 0,98 ? x 0,28 à une extrémité et 0,32 m à l’autre.

Montant 4 (inv. bloc 9) : retaillé dans sa partie inférieure, il présente des traces d’usure par frottement (corde ?) sur sa partie supérieure. Dimensions : 1,28 x 0,77 ? x 0,28 à une extrémité et 0,32 m à l’autre.

Tous les blocs présentent sur la tranche supérieure, près des extrémités, des saignées et creusements destinés à la mise en place d’agrafes en fer (avec des restes de métal dans la plupart d’entre elles).

———Tableau 1. Inventaire des blocs architecturaux conservés aux services techniques de la ville de Poitiers.———————

N° Type Longueur Largeur ou hauteur Épaisseur Caractéristiques N° US

1Montant sous l’arrivée d’eau 1er lacus

1,37 0,98 0,36 Trois cupules sur la partie supérieure, dûes à l’usure par l’eau. Gorge centrale sur la tranche inférieure et sur les petits côtés.  

2 Fond 1er lacus 1,36 0,98 0,32 Découpe quadrangulaire à la base (évacuation ?). Bloc cassé en deux. Autre partie = bloc 7. 3176

3 Montant 1er lacus 1,35 1,02 0,32 Perforation oblique en forme de trou de serrure en partie supérieure. Cupule due à l’eau vive. 3224

4 Fond 2e lacus 1,86 1,24 0,29 Bloc cassé en deux. Autre partie = bloc 6.  5 Montant 1er lacus 1,35 0,98 ? 0,28 / 0,32 Montant dont la partie supérieure est très abimée.  6 Fond 2e lacus 0,39 1,25 0,32 Bloc cassé en deux. Autre partie = bloc 6.  7 Fond 1er lacus 0,98 0,60 0,32 Bloc cassé en deux. Autre partie = bloc 2.  8 Fond 2e lacus 2,05 1,03 0,29 Bloc plus court que son pendant (bloc 4+6) 32259 Montant 1er lacus 1,28 mini 0,77 mini 0,28 / 0,32 Traces d’usure par frottement par une corde ? Bloc retaillé.  

10 Fond 1er lacus 2,02 1,08 0,32 Moitié de fond du 1er lacus. Le bloc n’a pu être que soulevé pour l’étude et non retourné.  

11 Élément indéterminé 1,10 0,60 0,30 Bloc portant des traces de chariot sur une face. 3223

«12» en vrac Montant 2e lacus 2,04 1,35 0,35 Bloc nord du 2e lacus retrouvé en partie en place à sa base et en

partie effondré sur la chaussée. 3220

           2+7 Fond 1er lacus 2,02 1,07 0,32 Remontage des deux parties de cette moitié de fond.  

4+6 Fond 2e lacus 2,25 1,25 0,29 / 0,32 Remontage de cette moitié de fond qui s’est brisée en deux au démontage.  

4+6+8 Fond 2e lacus 2,05 / 2,25 2,28 0,29 / 0,32 Emprise complète du fond du 2e lacus.  

548 L’eau : usages, risques et représentations

———Fig. 9. Relevés et photographies du bloc 1, correspondant au montant 1 du premier lacus. © F. Bambagioni, F. Gerber. INRAP.———————

Le lacus des hospitaLières (poitiers, Vienne) 549

———Fig. 10. Relevés et photographies du bloc 3, correspondant au montant 2 du premier lacus. © F. Bambagioni, F. Gerber. INRAP.———————

550 L’eau : usages, risques et représentations

———Fig. 11. Relevés et photographies du bloc 5, correspondant au montant 3 du premier lacus. © F. Bambagioni, F. Gerber. INRAP.———————

Le lacus des hospitaLières (poitiers, Vienne) 551

———Fig. 12. Relevés et photographies du bloc 9, correspondant au montant 4 du premier lacus. © F. Bambagioni, F. Gerber. INRAP.———————

552 L’eau : usages, risques et représentations

reconstitution et histoire du premier lacus

Si l’on admet que les blocs retrouvés appartiennent à une seule et même construction, on constate qu’ils sont plus courts que ce qu’on attendrait en se fiant aux dimensions de la gorge de jointoiement creusée sur les dalles de fond. D’autre part, les gorges de jointoiement vertical se trouvent uniquement sur les tranches des blocs. Cela implique la présence d’élé-ments d’angles non retrouvés (fig. 16 et 17).

Plusieurs indices témoignent d’une durée de vie relativement longue du premier lacus, avec des répara-tions importantes qui ont nécessité un démontage au moins partiel du monument. L’usure identique de deux blocs due à l’eau vive (blocs 1 et 3), témoigne de toute évidence d’une interversion de ces blocs. Comme il est difficilement imaginable que l’arrivée d’eau ait été changée de place, il est probable que le bloc 3 (avant qu’il ne soit perforé pour constituer une évacuation du trop plein) était disposé sous l’arrivée d’eau. Les deux blocs présentent des cupules similaires qui permettent de restituer une arrivée d’eau par trois bouches, celle de gauche ayant un jet puissant, celle du centre un jet moyen, et celle de droite un jet plus puissant que celui du centre mais moins que celui de gauche.

Le raccourcissement d’un des blocs en cours d’uti-lisation (bloc 9 avec traces de frottements) et la perfo-ration d’un trop plein sur le bloc 3 à la même hauteur que la cupule du bloc 1 la plus profonde et que le sommet du bloc 9, amène à supposer au moins deux réparations importantes de la fontaine avant son remplacement total (fig. 18).

Ainsi le premier lacus qui avait à l’origine une capacité d’environ 1,75 m3 (niveau d’eau d’environ 0,95 m), s’est retrouvé dans une seconde phase avec une capacité de 1,20 m3 (niveau d’eau de 0,65 m).

———Fig. 13, 14 et 15. Démontage des éléments du premier lacus (bloc 5 sur la première photo, bloc 1 sur les deux autres). On remarque que les gorges de jointoiement ont été en partie vidées du mortier de tuileau qui les remplissait, avant leur mise en place autour du deuxième lacus.———————

Le lacus des hospitaLières (poitiers, Vienne) 553

1m

0

1m0

Bloc 1

Bloc 5

Bloc 3

Bloc 9

Bloc 7 Bloc 2

Bloc 10

———Fig. 16. Assemblage des montants sur les blocs de fond du premier lacus en mettant les gorges de jointoiement en vis-à-vis. © F. Gerber. INRAP.———————

554 L’eau : usages, risques et représentations

Ncôtéface

dessus

Caniveau

InFographie F. Bambagioni. Inrap ©2009

0 2m

———Fig. 17. Proposition de restitution du premier lacus. © F. Bambagioni. INRAP.———————

Le lacus des hospitaLières (poitiers, Vienne) 555

N

côtéface

dessus

Caniveau

InFographie F. Bambagioni. Inrap ©2009

0 2m

———Fig. 18. Proposition de restitution du dernier état du premier lacus. © F. Bambagioni. INRAP.———————

556 L’eau : usages, risques et représentations

Le second lacus

L’usure générale du lacus a conduit à sa totale reconstruction. Seul le socle est a priori préservé, bien que la borne ou la stèle d’alimentation ait pu rester en place. Un nouveau fond est installé sur le socle et la zone périphérique est décaissée au nord, à l’est et au sud sur une trentaine de centimètres à travers la voirie afin d’y installer à plat, les blocs monumentaux issus du démontage de la fontaine originelle (fig. 19).

La nouvelle fontaine est dorénavant mise en valeur par le dallage cyclopéen qui l’encadre sur une bande large de 1,20 m en façade et 1,50 m sur les côtés nord et sud. Ce dallage qui affleure au sommet de la voirie ne gêne en rien la circulation comme en témoigne les ornières tracées par les chariots sur son angle nord-est.

Les deux épaisses dalles calcaires qui composent le fond de ce nouveau lacus ne sont pas tout à fait symétriques (fig. 20 et 21). L’une mesure 2,25 x 1,25 m x 0,29 à 0,32 m, alors que l’autre est un peu moins longue et moins large : 2,05 x 1,03 x 0,29 m. Les variations de longueur et d’épaisseur traduisent soit un moindre soin apporté à la réalisation, soit un réemploi. Les dimensions du fond varient peu par rapport au premier lacus : 2,05/2,25 x 2,28 x 0,29/0,32 m.

L’étanchéité du raccord entre les deux blocs est de nouveau assurée par un cordon de mortier hydrau-lique coulé dans un canal constitué par les deux gorges taillées dans les faces jointives des dalles. L’accès au canal se fait par le biais des remontées situées à chaque extrémité et au centre. Ces tuyères sont percées cette fois sur chacun des blocs. Pour une raison inconnue, seule l’extrémité sud a été remplie de mortier.

Il restait en place la quasi-totalité de la base du panneau nord (le reste étant couché au sol), et un fragment de la base du panneau est. Les débris du premier permettent de reconstituer un montant de 2,04 m de long par 1,35 m de haut et une épaisseur de 0,35 m. Les gorges verticales apparaissent près des deux extrémités sur la face interne, alors que celle du panneau oriental apparaît sur la tranche (épaisseur de ce panneau : 0,32 m). Les panneaux étaient donc montés les uns contre les autres sans pilier d’angle. Même s’il n’y aucun vestige des panneaux ouest et sud, on peut imaginer que le premier devait être équivalent au panneau est, et le second au panneau nord. Les dimensions internes du lacus seraient ainsi de 1,40 x 1,28 m, ce qui lui donne une capacité de 2,40 m3 ; soit le double de celle du premier lacus dans son état final (fig. 22 et 23).

Comme dans le premier état, des gorges en demi-cercle ont été creusées au centre de chacune des tranches entrant en contact avec un autre bloc (montant ou fond). Les blocs ont ensuite été mis en place et un béton de tuileau liquide a été coulé dans des tuyères créées dans les assemblages. Malgré le soin apporté, des poches d’air, vides de mortier, ont été constatées en plusieurs endroits, principalement au niveau des raccords avec le fond. C’est probablement du fait de cette faiblesse de la technique, qu’un petit canal peu profond a été creusé sur le fond, côté interne du bassin, afin de recevoir un boudin d’étanchéité supplémentaire, en quart de rond, à la base des montants (fig. 24). Le fond porte par ailleurs de nombreuses traces de raclures et des délitages proba-blement dus à l’entretien de la fontaine.

———Fig. 19. Vue d’ensemble du second lacus. On distingue nettement le panneau nord tombé sur le dallage cyclopéen, constitué des éléments de la première fontaine. © F. Gerber. INRAP.———————

Le lacus des hospitaLières (poitiers, Vienne) 557

———Fig. 20. Relevés et photographies des blocs 4 et 6, correspondant au bloc initial formant la moitié du fond du second lacus. © F. Bambagioni, F. Gerber. INRAP.———————

558 L’eau : usages, risques et représentations

———Fig. 21. Relevés et photographies du bloc 8, correspondant à l’autre moitié du fond du second lacus. © F. Bambagioni, F. Gerber. INRAP.———————

Le lacus des hospitaLières (poitiers, Vienne) 559

côté

face

InFographie F. Bambagioni. Inrap ©2009

0 2m

InFographie F. Bambagioni. Inrap ©2009

0 2mN

dessus

———Fig. 22 et 23. Proposition de restitution du second lacus. © F. Bambagioni. INRAP.———————

———Fig. 24 Joints d’étanchéité au niveau de l’angle nord-ouest du deuxième état de la fontaine. On distingue en premier plan le boudin de mortier orangé en quart de rond disposé à l’intérieur du bassin contre la base du panneau septentrional, et sur la gauche celui qui était pris entre le fond et la paroi occidentale. © F. Gerber. INRAP.———

560 L’eau : usages, risques et représentations

Les traces d’outiLs

L’étude détaillée des blocs a permis de mettre en évidence, malgré l’usure du temps, un certain nombre de traces d’outils. Les tranches en vis-à-vis des blocs de fond du second lacus, bien conservées du fait que les blocs sont restés en place, portent par exemple des traces de sciage très nettes, alors que les autres faces ont été grossièrement bouchardées au pic avec une légère reprise au taillant. Les traces relevées sur ces mêmes blocs au niveau des gorges destinées à recevoir les joints d’étanchéité montrent que celles situées sous les montants ont été soigneusement taillées au ciseau. À l’inverse, celles destinées à la mise en place du bourrelet de mortier à la base des blocs à l’intérieur du bassin, ont été grossièrement taillées au pic. Cela laisse penser que si les premières faisaient en toute logique parties de la construction initiale, les secondes ont été faites plus tard, probablement dans le cadre d’une réfection pour colmater des fuites. Les trous de louve, destinés au levage des blocs, visibles sur les tranches des blocs ont tous été taillés grossièrement.

L’aLimentation en eau et L’éVacuation

Le seul emplacement possible pour l’alimentation en eau et l’évacuation de celle-ci est situé au centre de l’aménagement du côté ouest. Une large et profonde dépression, correspondant probablement à l’arrache-ment de la borne ou de la plaque servant à supporter le déversoir, a été observée entre le socle de la fontaine et le parement est de l’égout longeant le trottoir. Il est probable que l’alimentation, qui se faisait dans des tuyaux en bois (décomposés) ou en plomb (récupérés) passait dans ce même égout.

Alors que le decumanus semble avoir été doté d’un égout latéral maçonné dès sa création, le cardo a reçu un fossé central probablement boisé, plus tardive-ment. Cet aménagement a été doublé un peu plus tard par la mise en place d’une canalisation en bois d’environ 10 cm de diamètre interne dont l’empreinte a été observée en deux endroits dans le remplissage bas du fossé. Une frette en fer, servant à assurer la jonction entre deux éléments de canalisation a égale-ment été retrouvée. Un égout maçonné a pris place par la suite par-dessus ce premier aménagement. Une saignée, large de 0,36 m pour une longueur de 1,50 m et une profondeur de 0,80 m, a été réservée entre le

dallage et le socle de fondation de la seconde fontaine. Le sédiment et le micro-litage de son comblement indiquent clairement que de l’eau a stagné dans ce conduit qui pourrait avoir rejoint l’égout en arrière de la fontaine. Les arrachements postérieurs ont malheu-reusement fait disparaître toute trace à ce niveau. L’absence de parement indique que ce conduit, qui tient plus du bricolage que de la construction, n’exis-tait pas dans l’état primitif de la fontaine.

Une stèle : support d’une dédicace ?

Une stèle retrouvée disposée à l’envers sur le dallage bordant la fontaine à l’est, semble corres-pondre à la partie supérieure de cet élément disparu 12. Elle est fortement fragmentée du fait de son intégra-tion à la bande de roulement de la voirie du Bas-Empire (fig. 25). Elle se présentait à l’origine sous la forme d’une dalle monolithique, large de 0,70 m et haute de 2,00 m minimum 13. Épaisse d’une vingtaine de centi-mètres à la base, elle s’affine progressivement à partir de 0,75 m de haut, vers le sommet, pour ne plus faire au niveau préservé que 0,09 m d’épaisseur 14. Le dos, particulièrement abîmé et érodé par la circulation ne peut plus livrer aucun renseignement. Il semble avoir été plan et lisse. La face est décorée d’un panneau central en creux situé à 0,35 m de la base et 0,15 m des bords. Encadré d’une moulure, large de 0,07 m, celui-ci présente des traces de taille (brettures) qui correspondent à l’affinement du façonnage du panneau.

Cela peut avoir plusieurs significations : ou la stèle n’a jamais été terminée, ce qui est peu probable ; soit on lui a volontairement laissé cet aspect fruste (pour mettre en valeur un déversoir central par exemple) ; ou encore, elle était à l’origine peinte ou recouverte d’une plaque de bronze portant éventuellement une inscription dédicatoire (aucune trace de clou, ni même d’oxydation métallique n’a été relevée sur les divers fragments) ; ou enfin les traces d’outils résultent

12- Nous avons préféré toutefois sur les propositions de restitution, la figurer en arrière plan, sur le mur de la maison.13- En fait, sa hauteur minimale peut même être amenée à 2,15 m si l’on tient compte des dimensions minimales du retour supérieur de la moulure encadrant le panneau central.14- C’est l’affinement de la dalle d’un côté qui laisse penser que sa longueur correspond au sens vertical. Toutefois, elle pourrait avoir été disposée horizontalement, en débordant légèrement des deux côtés du bassin.

Le lacus des hospitaLières (poitiers, Vienne) 561

du bûchage volontaire de la dédicace qui aurait été gravée dans la pierre, bien que, dans ce cas, il semble curieux que les traces couvrent la totalité de la surface de manière homogène.

L’idée d’une dédicace est renforcée par la forme de la moulure qui de plus est suivie à la base du bloc par une excroissance triangulaire comme sur certaines tablettes de marbre. Cette stèle peut également être rapprochée de celle de Bordeaux 15 dont l’inscription est horizontale, ou de celle de São Pedro del Sul 16, au

15- CIL, XIII, 596.16- HEp 4, 1994, 1101 (Hispania Epigraphica n°23110).

——— Fig. 25. Vue d’ensemble de la stèle après sa dépose © G Lavoix. INRAP.———————

Portugal, dont l’inscription est verticale. Une partie du panneau manque au niveau du centre de ce qui est conservé. Si l’on admet que cette stèle correspond à la borne d’arrivée d’eau, c’est probablement là que se trouvait le déversoir, soit un simple embout en bronze, soit un élément plus complexe, éventuellement sculpté en forme de masque de théâtre ou encore de mufle animal.

Datation

La mise en place des voiries semble contemporaine de la construction des bâtiments retrouvés en fouille. Les éléments de datation sont très peu nombreux. Les plus anciens appartiennent au dernier tiers du ier s. p.C. Cela conforte les datations obtenues lors des fouilles de l’Espace Mendès-France dans les années 1980. Rien, en revanche, pour le premier état du lacus, même si les niveaux d’occupation contemporains ont livré quelques éléments céramiques du Haut-Empire. Le contexte stratigraphique et la datation générale-ment admise pour la construction des aqueducs alimentant les différents thermes publics (fin du ier s.), placerait toutefois le lacus des Hospitalières entre la fin du ier et le début du iie s. La mise en place tardive de l’égout du cardo 17 et un peu plus tard de la canalisa-tion en bois trouvée dans son remplissage, n’a pas nécessairement de lien avec la fontaine, l’égout du decumanus étant lui mis en place dès l’origine de ce dernier.

Le second lacus est attribuable à la seconde moitié du iie s., voire au iiie s., si l’on se fie au mobilier céramique issu de la tranchée de pose des blocs périphériques, et à une monnaie de Trajan (98-117) trouvée dans une tranchée antérieure à la voirie contemporaine du second lacus.

La fontaine est abandonnée dans le courant du iiie s., et le réseau d’égouts à la fin de ce même siècle. L’occupation ne semble cependant pas connaître de grand changement au début du Bas-Empire. Les bâtiments sont toujours occupés et les voiries entrete-nues et rechargées. Seule la partie la plus proche de la nouvelle enceinte urbaine est modifiée.

17- Qui s’écoule du nord-ouest vers le sud-est, et ne peut donc pas évacuer les eaux de la fontaine.

562 L’eau : usages, risques et représentations

Le lacus dans le monde romain et en Gaule

Même si l’épigraphie témoigne dès l’époque républicaine de l’installation de lacus en Narbonnaise 18, et de l’importance de l’acte édilitaire que constituait le fait de faire le don de l’eau à travers l’implantation de nombreuses fontaines en une seule campagne de travaux (cf. Pompei qui en compte des dizaines) 19, les témoins concrets de ces installations dans le reste de la Gaule sont très rares.

La fontaine publique apparaît dans les centres urbains dès le début de la période augustéenne, pour se généraliser à partir du ier s. Il s’agit, comme ici à Poitiers, “d’un bassin de pierre quadrangulaire surmonté d’une bouche d’eau, le plus souvent insérée dans une borne-pilier ou dans une plaque, qui pouvait être agrémentée d’un masque ou d’une protomé animale 20”.

La construction de ces points d’eau est avant tout une œuvre édilitaire, connue par les inscriptions dédicatoires comme étant le “don de l’eau”. La réali-sation d’un captage et d’un réseau de distribution (aqueduc, conduites en bois, céramique et/ou plomb) accompagne généralement la mise en place de ces fontaines construites en plusieurs exemplaires 21 (cinq à Bordeaux 22, trois à Périgueux, huit à Vienne 23), qui sont répartis aux points stratégiques de la ville, c’est-à-dire sur les points les plus densément peuplés et visibles. Les domus étaient, elles, directement reliées au réseau d’eau.

Ces aménagements, avant tout fonctionnels et participant à la salubrité publique, semblent tous avoir présenté un caractère fruste. Ils sont disposés généralement le long d’un axe principal 24 (Bavay 25, Carhaix 26), voire à un carrefour, soit à cheval sur le

18- Augusta-Boularot 2008a, 97.19- Que l’on retrouve à la fin de la République en Narbonnaise. Le lacus apparaît à Rome au iie s. a.C. Agusta-Boularot 2008b.20- Agusta-Boularot 2004, 5.21- Bedon et al. 1988, 286-287.22- CIL, XIII, 596 à 600 = ILA Bordeaux, 40-41.23- CIL XII, 1889 et 1882-1888.24- Mais pas nécessairement. Par exemple, celle du Clos du Verbe-Incarné à Lyon, est placée au carrefour de deux voies secondaires (Delaval & Savay-Guerraz 2004).25- Loridant 2004. Il faut noter qu’à Bavay, en l’absence d’adduction d’eau, F. Loridant propose d’y voir un bassin destiné à recueillir les eaux de toiture du portique qu’il bordait.26- Le Cloirec 2004.

trottoir, soit totalement en empiètement sur la voirie. Elles peuvent même condamner une rue à la circula-tion charretière comme la fontaine du Clos du Verbe-Incarné à Lyon 27. Plusieurs inscriptions témoignent de l’entretien de ces fontaines, voire de leur recons-truction en même temps que celle de la voirie 28.

Dans au moins trois cas, la fontaine n’est connue que par sa borne ou sa plaque dédicatoire. Celle du duumvir Lucius Marullius Aeternus retrouvée à Périgueux 29 lors des travaux de la cité administrative mesure 1,95 m de large pour 0,65 m de haut. Elle est percée d’un trou de 9 cm de diamètre en son centre. Celle de Limoges, également percée, donne le nom du vergobret d’Augustoritum. Une seconde fontaine serait attestée à Limoges par la découverte des dalles de granite portant les saignées caractéristiques des éléments de fontaine 30. La borne de fontaine décou-verte à Lyon dans le quartier des Choulans comporte une inscription avec le nom des donateurs et l’occa-sion du don de cette fontaine : le triomphe de Claude après sa campagne contre les Bretons 31. Elle est taillée dans un bloc de 0,46 x 0,26 m conservé sur 1,485 m de haut. La bouche est décorée d’un mascaron repré-sentant une tête de cyclope.

La technique de construction semble avoir été partout la même. Ainsi, le système assurant l’étan-chéité du monument reposant sur le principe de cordons de mortier prisonniers n’est pas une innova-tion technique. C’est même en fait, le mode de construction standard des lacus dans tout l’empire 32. Même le boudin à la base des montants à l’intérieur du bassin, prenant parfois la forme d’un glacis, est fréquemment rencontré, comme sur la fontaine du carrefour de la rue de l’Abondance et de la rue de Stabies à Pompei 33. Le fond n’est pas toujours composé de deux grandes dalles. Il est même le plus souvent composé de plusieurs morceaux.

27- Delaval & Savay-Guerraz 2004.28- Agusta-Boularot 2004, 6-7.29- CIL, XIII, 966-967 = Bost & Fabre 2001, n°28-30.30- Loustaud 1991, cité par Bedon 2002, 342.31- Bedon et al. 1988, 286.32- Adam 1989, 279-281.33- Adam 1989, 280.

Le lacus des hospitaLières (poitiers, Vienne) 563

Comme il a été dit, il y a relativement peu d’exem-plaires connus en Gaule. On peut citer celles de Bavay, de Carhaix, du Clos du Verbe-Incarné et de l’Odéon à Lyon, de Périgueux, de Saint-Romain-en-Gal, et de Vieux. Aucune synthèse technique n’existe néanmoins sur ces différents éléments (voir tableau 2). Celles de Saint-Romain-en-Gal, assez exceptionnelles par leurs dimensions, sont placées au niveau de carrefours importants, adossées à des murs aveugles en bordure de chaussée 34.

34- Brissaud 2004, 106.

Un curieux massif de fondations : un autel de carrefour ?

Même si, compte-tenu de la faiblesse des éléments disponibles, l’hypothèse est osée, elle mérite d’être posée. Un massif constitué de deux gros blocs calcaires (1,50 m de long, 0,70 m de large et 0,50 m minimum de haut), fait face à la fontaine au sud du carrefour avec le cardo. Outre sa localisation à l’est de l’égout, la présence de niveau de voirie sur la couverture de la canalisation à cet emplacement rend peu probable son utilisation comme support de la couverture d’un portique. Il pourrait s’agir du soubassement d’une borne signalant la présence du lacus qui occupe l’autre angle du carrefour. Cet élément pourrait également correspondre à la base d’un autel dédié aux Lares Compitales.

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Bavay2,85

et 2,74

2,70 et

2,682,42 2,2 1,98 1,76 0,22 1,07 à

1,10 3,83 m3 début Vespasien non  

Sur la chaussée du decumanus, près du

carrefour avec un cardo

1974

Carhaix 3,05 2,6     1,75 1,35   1 supposé 2,35 m3       Sur la chaussée le

long du trottoir  

Javols Informations non trouvéesSur la chaussée au

croisement du cardo et du decumanus

 

Périgueux Informations non trouvées

Lyon - Odéon 3 2,3 2,5 2 1,8 1,2 0,35   2 m3 supposés

1ère moitié ier ou fin ier

s. ?  milieu

iie s.

Sur la chaussée d’une rue étroite,

rendue piétonnière. 

Lyon - Verbe Incarné - État 1         2,3 1,4   1

supposé 3,22 m3milieu

ier s. (Claude)

   

Sur la chaussée au croisement de deux

rues secondaires rendue pour l’une

piétonnière

 

Lyon - Verbe Incarné - État 2 2,45 1,85     1,75 1,15   1,05 2,11 m3   milieu

iie s.   idem  

Saint-Romain-en-Gal Rue des thermes / ruelle des jardins

        3,2 1,7       fin iie s.    Croisement de la rue des Thermes et de la

ruelle des Jardins 

Saint-Romain-en-Gal Rue du portique         2,55 1,1       fin iie s.     Sur la chaussée

adossée au portique.  

Vieux Informations non trouvées                             Les Hospitalières - État 1 2,13 2,02 2 2 1,36 1,36 0,30 /

0,36 0,98 1,75 m3 Fin ier s. ?     Sur la chaussée adossée au portique. 2005

Les Hospitalières - État 1 après réfection

2,13 2,02 2 2 1,36 1,36 0,30 / 0,36 0,77 1,20 m3 ?     Sur la chaussée

adossée au portique. 2005

Les Hospitalières - État 2 2,34 2,22 2,04   1,40 1,28 0,35 1,35 2,40 m3   milieu

iie s. iiie s. Sur la chaussée adossée au portique. 2005

———Tableau 2. Recencessement en cours des informations disponibles sur les autres éléments de lacus trouvés en France.———————

564 L’eau : usages, risques et représentations

Les compitalia

Les lares de carrefour (compitum) étaient célébrés à travers l’empire au moment de la fête des Compitalia dont la date était fixée depuis Auguste, par les magis-trats du quartier (vicomagistri). Un autel bâti, ou parfois simplement peint sur un mur, était généralement dressé aux carrefours importants, ceux-là mêmes où l’on trouve les lacus. Les plus célèbres sont ceux de Pompéi, mais on en connaît aussi ailleurs, comme à Aoste dans l’Isère, Saverne dans le Haut-Rhin 35, ou encore à Avenches en Suisse. Ce dernier porte la dédicace : Bivis trivis quadruvis (Aux divinités des carre-fours à deux, trois et quatre branches).

Même si les exemples archéologiques restent peu nombreux 36, les auteurs antiques comme Perse 37 témoignent du culte qui y était rendu. Il était ainsi habituel lors des compitalia de suspendre les instru-ments de labourage au-dessus de ces autels. La repré-sentation “officielle” des Lares compitales dans la sculpture et la peinture antique est celle de deux personnages en tunique courte et bottes légères élevant un rython à hauteur de leur front 38.

35- Gnaedig et al. 1986.36- On citera notamment les fondations d’un autel et d’un petit podium à Limoges (Loustaud 2000, 92) : “Le carrefour du decumanus D-VI conduisant au forum et du cardo C-5 conservait, dans l’un de ses angles, les restes dépouillés de ce qui doit être considéré comme un laraire abritant une statue sur socle. Il se composait d’un massif maçonné de 1,12 x 1,18 m, surmonté d’un socle de grand appareil sur lequel se dressait l’“objet” de la dévotion. Pour en protéger la base contre les exhaussements répétés de la rue, il fut entouré d’un mur circulaire d’un diamètre extérieur de 2,60 m. Devant le côté sud-est du socle, probablement face à la statue qui s’y élevait, était érigé un autel quadrangulaire en maçonnerie…”. On peut se demander combien de soubassement de ces autels ont bien pu être trouvés en fouilles tout en restant incompris.37- Sat. 4.28 : jugum pertusa ad compita (Cartault 1920). J. Lacroix précise à propos de ce passage : “Il y avait, dans les carrefours, des autels et de petites chapelles à quatre faces ou à quatre ouvertures (pertusa). Il était d’usage, chez les anciens, de suspendre, aux jours de fêtes, les instruments de labourage à l’autel du carrefour. On nommait ces fêtes Compitales” (Lacroix 1846).38- J.A. Hild, in : Daremberg & Saglio 1877, article Lares, 940 et 948.

Les Lares compitales n’étaient pas honorés que durant ces fêtes. On pouvait leur rendre un culte régulier. Ils interviennent également au moment du mariage. J.A. Hild écrit en 1877 dans le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines : “Dans l’union célébrée sous la forme de la coemptio, la mariée arrivait dans la maison avec trois pièces de monnaie dissimulées, l’une dans sa main, l’autre dans sa chaussure, la troisième dans une bourse ; la première était pour l’époux, la seconde pour l’autel des Lares domestiques, la troisième pour l’autel du carrefour le plus proche : dans cette pratique, nous surprenons le lien qui unit la religion du Lar familiaris à celle du Lar compitalis” 39.

pour concLure

La découverte assez inattendue d’un lacus dans ce secteur de la ville, montre que le quartier, loin d’être en zone périurbaine, était probablement fortement développé et occupé dès la fin du ier s. (fig. 26, 27, 28 et 29). Ce lacus n’est pas exceptionnel en soi, il ressemble en tout point à ceux connus en Italie dès l’époque républicaine. Il présente cependant l’avan-tage d’être un des rares exemplaires conservé en Gaule. Si l’on se fie à ce qui se passe ailleurs, il est peu probable que cette fontaine ait été installée seule. D’autres devaient immanquablement lui être associées dans différents quartiers de la ville. Reste à les trouver.

Les éléments lapidaires sont actuellement conservés aux Services techniques de la ville de Poitiers. Stockés à l’air libre, ils attendent un éventuel remontage pour une présentation au public.

39- J.A. Hild, in : Daremberg & Saglio 1877, article Lares, 943.

Le lacus des hospitaLières (poitiers, Vienne) 565

face0 2m

a

N

InFographie F. Bambagioni,Inrap ©2009

dessus

côté

0 2m

InFographie F. Bambagioni. Inrap ©2009

———Fig. 26 et 27 (même échelle). Proposition de restitution du carrefour, avec le lacus sur le côté septentrional du decumanus, et le laraire compitale en vis-à-vis du côté sud © F. Bambagioni. INRAP.———————

566 L’eau : usages, risques et représentations

———Fig. 29. La première fontaine peu avant sa reconstruction. Maquette au 1/32e © F. Gerber & C. Grancha. ArchéoMiniatures. ———————

———Fig. 28. Évocation du carrefour du lacus de Poitiers. Aquarelle, © F. Bambagioni. INRAP. ———————

Le lacus des hospitaLières (poitiers, Vienne) 567

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