faciès et transferts sédimentaires associés au tsunami du 26 décembre 2004 sur le littoral au...

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Géomorphologie : relief, processus, environnement 4/2007 (2008) Varia ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Patrick Wassmer, Philippe Baumert, Franck Lavigne, Raphaël Paris et Junun Sartohadi Faciès et transferts sédimentaires associés au tsunami du 26 décembre 2004 sur le littoral au nord-est de Banda Aceh (Sumatra, Indonésie) ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sous réserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluant toute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue, l'auteur et la référence du document. Toute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales développé par le Cléo, Centre pour l'édition électronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV). ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Référence électronique Patrick Wassmer, Philippe Baumert, Franck Lavigne, Raphaël Paris et Junun Sartohadi, «Faciès et transferts sédimentaires associés au tsunami du 26 décembre 2004 sur le littoral au nord-est de Banda Aceh (Sumatra, Indonésie) », Géomorphologie : relief, processus, environnement [En ligne], 4/2007 | 2008, mis en ligne le 01 janvier 2010, consulté le 10 octobre 2012. URL : http://geomorphologie.revues.org/4702 ; DOI : 10.4000/ geomorphologie.4702 Éditeur : Groupe français de géomorphologie http://geomorphologie.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://geomorphologie.revues.org/4702 Ce document est le fac-similé de l'édition papier. © Groupe français de géomorphologie

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Géomorphologie : relief,processus, environnement4/2007  (2008)Varia

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Patrick Wassmer, Philippe Baumert, Franck Lavigne, Raphaël Paris etJunun Sartohadi

Faciès et transferts sédimentairesassociés au tsunami du 26 décembre2004 sur le littoral au nord-est deBanda Aceh (Sumatra, Indonésie)................................................................................................................................................................................................................................................................................................

AvertissementLe contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive del'éditeur.Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sousréserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluanttoute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue,l'auteur et la référence du document.Toute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législationen vigueur en France.

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Référence électroniquePatrick Wassmer, Philippe Baumert, Franck Lavigne, Raphaël Paris et Junun Sartohadi, « Faciès et transfertssédimentaires associés au tsunami du 26 décembre 2004 sur le littoral au nord-est de Banda Aceh (Sumatra,Indonésie) », Géomorphologie : relief, processus, environnement [En ligne], 4/2007 | 2008, mis en ligne le01 janvier 2010, consulté le 10 octobre 2012. URL : http://geomorphologie.revues.org/4702 ; DOI : 10.4000/geomorphologie.4702

Éditeur : Groupe français de géomorphologiehttp://geomorphologie.revues.orghttp://www.revues.org

Document accessible en ligne sur : http://geomorphologie.revues.org/4702Ce document est le fac-similé de l'édition papier.© Groupe français de géomorphologie

Géomorphologie : relief, processus, environnement, 2007, n° 4, p. 335-346

Faciès et transferts sédimentaires associés au tsunami du 26 décembre 2004 sur le littoral au nord-est

de Banda Aceh (Sumatra, Indonésie)

Sedimentary facies and transfer associated with theDecember 26, 2004 tsunami on the north eastern littoral

of Banda Aceh (Sumatra, Indonesia)

Patrick Wassmer*, Philippe Baumert**, Franck Lavigne*, Raphaël Paris***, Junun Sartohadi****

* Laboratoire de Géographie Physique UMR 8591 CNRS - université Panthéon-Sorbonne (Paris 1), 1 place Aristide Briand, 92195 Meudon Cedex.Courriel : [email protected] ; [email protected]** Institut de géographie, université paris-Sorbonne (Paris 4) 191 rue Saint-Jacques, 75005 Paris. Courriel : philippe [email protected]*** UMR 6042 CNRS-université Blaise-Pascal, 4 rue Ledru, 63057 Clermont-Ferrand Cedex 1. Courriel : [email protected]**** Fakultas Geografi, Universitas Gadjah Mada, Yogyakarta, Indonesia. E-mail: [email protected]

Résumé

Le secteur de Kajhu Perumnas situé au nord-est de Banda Aceh à l’extrémité nord de Sumatra correspond à une vaste plaine côtière sur-baissée où la dizaine de vagues constituant le train d’ondes du tsunami du 26 décembre 2004 a totalement arraché les arbres, gommé lesdunes du bord de mer, arasé le bâti et pénétré à plus de trois kilomètres à l’intérieur des terres. Les dépôts sédimentaires, étudiés à la lumiè-re des témoignages recueillis sur le comportement des vagues, présentent une différenciation nette et progressive de la signature du tsunamià mesure qu’on s’éloigne du rivage. Les dépôts grossiers et indifférenciés en domaine proximal présentent un nombre croissant deséquences à granoclassement positif à mesure qu’on passe en domaine intermédiaire puis distal, au sein duquel sept séquences peuvent êtreobservées. Une fois les espaces côtiers libérés des eaux, les sédiments de surface ont subi une déflation éolienne active qui a contribué àformer de petits champs de dunes qui s’engraissent rapidement. Au cours de l’année qui a suivi le tsunami, 1 100 m3 de sable par hectareont ainsi été accumulés dans le secteur étudié. Cette dynamique s’est ralentie, puis a cessé entre six mois et un an après l’événement à causede la reconquête végétale sur les zones de déflation. Cette reconquête est commandée par la désalinisation du sable sous l’effet de la pluie.L’association végétale de reconquête actuelle n’est pas différente des successions pionnières habituelles sur les espaces sableux de cetterégion. Le retour d’importants volumes de sédiments vers la mer lors des épisodes pluvieux contribue à alimenter la dérive littorale quifavorise l’engraissement des plages et le déplacement du trait de côte vers la mer, de 150 à 500 m en un an entre juin 2005 et août 2006.

Mots clés : tsunami, flux, reflux, déflation éolienne, reconquête végétale, trait de côte (évolution), Sumatra (Indonésie).

AbstractThe Kajhu Perumnas District located north-east of Banda Aceh at the northern extremity of Sumatra corresponds to a wide coastalplain where the ten waves constituting the December 26, 2004 tsunami wave train totally uprooted the trees, planed off the sea frontdunes, destroyed all the buildings, and penetrated more than 3 km inland. The sediment deposits, which have been studied in the lightof the evidence collected on wave behaviour, show a clear and progressive landward differentiation in sedimentary signatures. In theproximal zone, the deposits are coarse and ungraded, whereas they show an increasing number of fining-upward sequences in the midd-le area. In the distal zones a maximum of seven sequences can be observed. After the water had retreated from the flat coastal plain,the surface sediments were subjected to wind deflation, which contributed to the creation of small dunes fields that grew rapidly. Duringthe year following the tsunami, a volume of 1100 m3 of sand per hectare accumulated. Subsequently, this process slowed down and cea-sed six to twelve months after the event due to the stabilising effect of plant growth in the deflation zones. Reconquest by vegetation hasbeen accelerated by the desalinisation of the sand by rainfall. The current plant assemblage is similar to the successions of pioneerplants commonly found on other sandy soils in this area. The displacement of large volumes of sediment towards the sea by runoffduring the rainy season contributes to the longshore sediment flux ensured by littoral currents. This transfer of sediment has promotedbeach accretion and seaward progradation of the shoreline by 150–500 m during just one year.

Key words: tsunami, runup, backwash, wind deflation, vegetal reconquest, coastline evolution, Sumatra (Indonesia).

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Patrick Wassmer, Philippe Baumert, Franck Lavigne, Raphaël Paris, Junun Sartohadi

Abridged English version

The tsunami that struck the Indian Ocean shores onDecember 26, 2004 was triggered by an earthquake ofexceptional magnitude with disastrous consequences for thenorthern shores of Sumatra close to the epicentre, wheremore than 17,000 people died. This event is an unpreceden-ted human disaster but offers a unique opportunity toimprove our knowledge of such devastating natural hazards.The environmental impact of huge tsunamis like this one,with waves reaching up to 34 m on the south-western coastand 15 m on the north-western coast of Aceh Province,varies with wave height and coastal morphology. On thesouth coast of Banda Aceh, where steep slopes descend intothe sea, only the lowest areas, i.e. 20 to 30 m above sea-level, were scoured. Due to conditions causing a wave trap,however, a maximal height of 51 m was recorded in thesmall bay of Labuhan. In other locations such as Lhok NgaBay and Banda Aceh Bay, the extremely flat topographyallowed wave penetration far inland — attaining 5 km insome places. The district of Kajhu Perumnas, located north-east of Banda Aceh (fig. 1), is a flat area where buildingswere totally wiped out by the waves. The topography waslocally modified by the turbulent wave front and then buriedby a layer of sediment translocated from the beaches anddunes of the seafront. In order to better understand the linkbetween wave dynamics and sediment facies in that particu-lar context, the sedimentary deposits were studied in thelight of direct and indirect evidence concerning the numberand behaviour of the waves involved. Sediment transloca-tion was practically instantaneous during the event. Therespective roles of the run-up and backwash on the sedi-mentary signature were also studied. Stacked layers ofnormal graded sequences have commonly been reported inthe context of tsunami deposits (Dawson et al., 1996; Daw-son and Shi, 2000; Hawkes et al., 2007; Hori et al., 2007).However, this study reveals a sharp facies differentiationbetween the deposits located near the shoreline (proximalzone) and those located far inland (distal zone). Near thesea, the deposits were found to be coarse and ungraded,whereas inland the frequency of stratified normal gradedsequences increases (fig. 3). As many as seven sequenceswere observed. Each one corresponds to the sediment massbrought by one wave. These deposits are well preservedbecause the power generated by the movements to and fromthe sea (beginning of the backwash and end of the run-upmovements) was too low to enable removal of the materialdeposited by the previous waves.

Once the water had completely retreated, the entire areaaffected by the tsunami, which is covered by unconsolidatedsands, became prone to active wind deflation caused by anincrease in wind speed. Rather than a regional-scale chan-ge in wind patterns, this was due to the decrease in surfaceroughness as a consequence of building and vegetation des-truction along the sea front (i.e. mangroves when they stillexisted, coconut trees, casuarina stands). On flat zoneslocated inland, the deflation caused an accumulation ofsand, which now forms fields of small dunes that are rapid-

ly growing in size (fig. 6) and progressively burying thesites where building were destroyed by the waves. Measu-rements carried out in August 2005 have estimated that~1100 m3·ha–1 of sediment was translocated from the seashore to the interior. During the year following the event,active wind-related morphogenesis decreased and eventual-ly ceased due to the growth of pioneer vegetation, which isvery efficient at reconquering wave-disturbed areas (fig. 8).Installation of this non-halophyte vegetation is promoted bythe desalination of the sediment mass by rainfall. During theyear following the event, the displacement by runoff backtowards the sea of sediment that was initially spread inlandby the tsunami wave train has been feeding the longshoredrift. It contributed to beach progradation and the displace-ment of the coastline towards the sea (fig. 2) at a rate of150 m to 500 m during the year following the event.

Introduction

Un tsunami est généralement constitué par un traind’ondes se comportant lors de son arrivée à la côte commeun puissant agent d’érosion et de transport. Un systèmed’érosion continental est constitué par la prise en charge, parles agents de transport, de matériaux d’altération ou d’éro-sion des régions continentales et leur transfert vers les zonesde sédimentation, dont le terme ultime correspond souventau milieu littoral marin. Au contraire et à l’instar des cy-clones et des tempêtes, un tsunami peut engendrer une crisemorphogénique inversée puisque les vagues vont préleverdes matériaux sédimentaires en milieu littoral marin pour lesdéposer en milieu continental. L’importance des volumes dematériaux déplacés est liée en premier lieu à l’existence dematériaux mobilisables sur le front de mer (Dawson et Shi,2000), mais aussi à la violence de la turbulence sur le frontde chaque vague, à la vitesse et à la hauteur de l’eau à sonarrivée à la côte, qui déterminent les forces de traction à labase de la colonne d’eau. La topographie préexistante estalors modifiée puis fossilisée sous une couche de sédimentsd’épaisseur variable selon les endroits, avec une signaturepropre à la dynamique de l’eau qui les a mis en place. Cettesignature a déjà fait l’objet de nombreuses études (Shi et al.,1995 ; Hindson et al., 1996 ; Dawson et al., 1996 ; Bonde-vik et al., 1997 ; Minoura et al., 1997 ; Dawson and Shi,2000 ; Scheffers and Kelletat, 2003 ; Gelfenbaum and Jaffe,2003 ; Jaffe et al., 2003 ; Cantalamessa and Di Celma,2005 ; Cisternas et al., 2005 ; Pérez-Torrado et al., 2006).Ces prélèvements, transferts et accumulations de matériauxsont quasi instantanés lors de l’événement. Lors du mouve-ment de reflux (backwash), qui peut être rapide si la côte esten pente forte mais qui peut nécessiter plusieurs jours sur unlittoral sub-horizontal, une partie des sédiments déposéssont repris en charge et réorganisés. Ce remaniement n’af-fecte en général que la partie superficielle des dépôts en rai-son d’une vitesse moindre de l’eau et d’un écoulement à do-minante laminaire (Umistu et al., 2007), sauf lorsqu’il estconcentré dans les ravines et les fleuves côtiers (Dawson,1994 ; Paris et al., 2007a et b ; Srinivasalu et al., 2007 ; Fa-gherazzi et Du, 2008).

Le tsunami du 26 décembre 2004 a été déclenché par unséisme exceptionnel, dont l’épicentre s’est produit dansl’océan Indien, à 30 km de profondeur au sud de l’extrémi-té septentrionale de l’île de Sumatra (3° 316’ N – 95° 854’ E ;fig. 1). La magnitude (Mw) du premier choc enregistré à7 h 58 (0 h 58 GMT) a été estimée à 9,15 par A.J. Melzner etal. (2006). Le brusque réajustement des plaques tectoniquesaustralienne et Sunda dans la zone de subduction a entraînéun déplacement de la plaque supérieure (Sunda) de 12 à15 mètres vers le haut selon C.E. Synolakis et al. (2005) etT. Lay et al. (2005), voire d’une vingtaine de mètres selonG. Fu et W. Sun (2006), ce qui a engendré le train d’ondesdévastateur. À leur arrivée sur le littoral de l’extrémité nordde Sumatra, 20 à 40 minutes plus tard, les vagues ont péné-tré profondément sur les plaines côtières dans le secteur deLhok Nga, au sud-ouest, et dans le secteur de Banda Aceh aunord-ouest (fig. 1 ; Lavigne et al., sous presse).

Le tsunami a engendré un important transfert de sédi-ments qui ont été étalés sur l’ensemble de la zone inondée.Cet événement a relancé la recherche dans le domaine de ladynamique sédimentaire synchrone du tsunami. De nom-breuses équipes ont en effet mené des investigations surl’ensemble des littoraux touchés (Hawkes et al., 2007 ;Hori et al., 2007 ; Narayana et al., 2007 ; Paris et al.,2007a et b ; Srinivasalu et al., 2007 ; Umitsu et al.,2007), qui permettent de mieux comprendre la dynamiquedes vagues et les processus de sédimentation qui leur sontassociés. Ces processus sont toujours complexes puisqu’ilssont liés à l’intervention d’un train de vagues et non pasd’une onde simple. Par consé-quent, ces dépôts sont caracté-risés par une structure internequi constitue une signature sé-dimentaire spécifique de l’évé-nement et qui traduit les condi-tions hydrodynamiques au mo-ment du dépôt. En fonction descaractéristiques propres à unevague donnée dans ce traind’ondes, cette signature peut setraduire, soit par une conserva-tion intégrale des dépôts, soit

par un effacement total ou partiel de ces derniers par lavague suivante (Dawson et Shi, 2000).

L’objectif de notre étude est double : le premier est d’ana-lyser les variations spatiales de la signature sédimentairepropre au tsunami depuis la zone proximale, proche du traitde côte, jusqu’à la zone distale où le tsunami a perdu lamajeure partie de son énergie. L’originalité de notre étuderéside dans le fait qu’elle a été menée dans un secteur où lescaractéristiques de la propagation des vagues (nombre, direc-tion, hauteur, etc.) est bien connue (Lavigne et al., souspresse), ce qui n’est pas toujours le cas pour des tsunamis peuétudiés et/ou anciens. Le second objectif de notre étude estde présenter les modes de remaniement des dépôts du tsuna-mi durant l’année qui a suivi l’événement du 26 décembre2004. L’évolution géomorphologique à plus ou moins longterme des dépôts de tsunamis n’a quasiment jamais fait l’ob-jet d’observations décrites dans la littérature. L’impactmorpho-sédimentaire des tsunamis n’a en effet été appréhen-dé que de façon instantanée jusqu’ici.

Le cadre du secteur d’étude

Dans la partie septentrionale de l’île de Sumatra, d’uneorientation générale sud-est – nord-ouest, l’extrémité de ladorsale montagneuse qui s’étend d’un bout à l’autre de l’îleest constituée par des reliefs vigoureux qui longent la côteau sud de Banda Aceh (les crêtes atteignant 1 100 m d’alti-tude) et plongent vers la mer avec des pentes subverticales.La dorsale se termine à la pointe nord-ouest de l’île entre la

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Faciès et transferts sédimentaires associés au tsunami du 26 décembre 2004

Fig. 1 – Carte de localisation dela région de Banda Aceh. 1 :plaines côtières inondées par letsunami ; 2 : plaines côtières noninondées ; 3 : hautes terres. En-cart : Carte 3D de Sumatra, zoned’étude et site de l’épicentre duséisme du 26/12/2004.

Fig. 1 – Location map of theBanda Aceh region. 1: coastalplains flooded by the tsunami; 2:non flooded coastal plains; 3:uplands. Insert 3D-map showingthe Sumatra Island, the studiedarea, and the epicentre of the26/12/2004 earthquake.

baie d’Aceh et de Lampuuk, mais se prolonge en mer par lesîles de Nasi et de Breueh. À une soixantaine de kilomètres deson extrémité, cette dorsale montagneuse se dédouble, carune digitation d’altitude moins marquée (300 à 400 m) courtvers le nord-ouest parallèlement à la chaîne principale. Jalon-née par des édifices volcaniques culminant à 1 700 m, lacrête secondaire se termine à la pointe nord de l’île. Les deuxreliefs enserrent une dépression d’une vingtaine de kilo-mètres de large qui, s’ouvrant au nord-ouest, forme la largeplaine côtière de Banda Aceh (fig. 1).

Le secteur étudié est celui de Kajhu Perumnas au nord-estde l’agglomération de Banda Aceh (fig. 2). Kajhu Perum-nas (Perumahan Nasional) avait été loti, il y a une quinzai-ne d’années, à l’instigation gouvernementale et correspon-dait aux quartiers résidentiels des classes moyennes de laville. Ce secteur littoral dont la topographie plane n’excèdepas quelques mètres au-dessus du niveau de la mer est situéà l’embouchure du fleuve Lomnga (fig. 1), constituantainsi une zone particulièrement exposée à l’aléa tsunami.Les densités de population très élevées (750 hab./km2)conféraient en outre à tout ce secteur une vulnérabilitéconsidérable. La présence le long de la côte d’importantsbassins d’aquaculture, construits à partir des années 1970aux dépens des mangroves, augmentait encore localementcette vulnérabilité.

Le choix de ce site d’étude a été guidé par plusieurs rai-sons. La côte est plane et seules deux directions de vaguesont été rapportées et confirméespar des arguments de terrain(Lavigne et al. sous presse ;Umitsu et al., 2007). Il existait

un important stock sédimentaire mobilisable sur le front demer (dunes, sédiments fluviatiles) permettant l’inscriptiond’une signature sédimentaire significative de l’événementgrâce à un dépôt de quelques centimètres à 71 cm d’épais-seur. Les dépôts sableux imputables à l’événement sontfacilement identifiables car ils sont limités à leur base parun contact tranché avec le sol noir des rizières, la fondationen ciment des habitations ou l’argile des bassins d’aquacul-ture. Un dernier intérêt du secteur de Kajhu tient dans le faitqu’après le retrait de l’eau, ces vastes espaces balayés parles vents ont été soumis à une déflation éolienne dont il estpossible d’étudier l’évolution temporelle à mesure que lareconquête végétale progresse. Les apports de sédimentspar une dérive littorale active contribuent à l’engraissementdes plages, dont l’étude permet de suivre l’évolution dutrait de côte.

Méthodes de terrain et de laboratoire

Les investigations de terrain ont été effectuées au cours detrois missions en août et décembre 2005, puis en août 2006.Des fosses mesurant 80 cm sur 120 cm ont été creusées àla pelle dans les dépôts laissés par les vagues jusqu’à trou-ver la surface du sol précédant le tsunami, facilement iden-tifiable par sa couleur, sa structure et la présence de végé-taux encore intacts. Les secteurs d’investigation s’échelon-nent entre 1 330 m et 1 810 m de distance à partir du ri-

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Patrick Wassmer, Philippe Baumert, Franck Lavigne, Raphaël Paris, Junun Sartohadi

Fig. 2 – Localisation de la zoned'étude de Kajhu Perumnas. 1 : di-rection de la vague principale (se-conde ou troisième selon les sec-teurs) ; 2 : direction principale dubackwash ; 3 : hauteur de run-up(m) ; 4 : trait de côte en octobre 1995(photographie aérienne 1/20 000) ;5 : trait de côte en juin 2005 (photo-graphie aérienne Bakosurtanal1/5000); 6 : trait de côte en décembre2005 (relevés GPS) ; 7 : trait de côteen août 2006 (relevés GPS) ; 8 :fosses creusées pour l’étude des sé-diments liés au tsunami ; 9 : secteurd’étude des dunes.

Fig. 2 – Location of Kajhu Perum-nas study area. 1: direction of themain wave (second one or third one);2: main direction of backwash; 3: run-up height (m); 4: coastline in October1995 (aerial photograph Bakosurta-nal 1/20,000); 5: coastline in June2005 (aerial photograph Bakosurta-nal 1/5000); 6: coastline in December2005 (GPS survey); 7: coastline inAugust 2006 (GPS survey); 8: Sec-tions dug out in sediment depositedby the tsunami; 9: dunes study area.

vage antérieur au tsunami (fig. 2et fig. 3). Les fosses sont dispo-sées le long de transects orientésparallèlement aux directions prin-cipales des vagues, attestées pardes témoignages et de nombreuxarbres encore enracinés et orientésparallèlement aux vagues mon-tantes. Les profils ont été minu-tieusement décrits puis photogra-phiés et un échantillon a été préle-vé dans chaque niveau identifié.

Les traits de côte consécutifs ontété tracés par cheminements avecun GPS (GeoXT™ portable de lasérie GeoExplorer® dont la préci-sion est décimétrique) le long du lit-toral, en juin 2005, décembre 2005et août 2006, et ont fait l’objet decorrections en fonction des marées(marnage < 2). Les données ont étécomparées au trait de côte établi àpartir d’une mission de photogra-phies aériennes au 1/20000 datantde janvier 1995 et d’images satelli-tales postérieures au tsunami (Iko-nos, 28 décembre 2004 et Spot 5,30 décembre 2004). Les trois dimen-sions des dunes ont été mesurées.Pour certaines d’entre elles le volu-me a été calculé par la méthode desintégrales graphiques. Une étude desrelations existantes entre les dimen-sions deux à deux a été réalisée(coefficient linéaire de Bravais-Pear-son : r). Les moyennes de r étantproches de 1, nous avons admis quela corrélation linéaire était positive etque L, l et h variaient proportionnellement, ce qui permettait depasser des dimensions aux volumes avec une approximationacceptable et de calculer ainsi les quantités de sable accumu-lé. Les échantillons de sable ont été soumis à une analyse gra-nulométrique après destruction de la matière organique àl’hydrogène peroxyde (granulomètre Laser Beckman CoulterL 230, module voie fluide ; fractions de 2000 à 0,040 µm).Enfin, une morphoscopie a été faite au binoculaire sur lesrefus de tamis de 125µ à 500µ (tamisage à sec) afin de déter-miner l’origine des sables et les marques éventuelles impu-tables au tsunami.

Mobilisation et transferts sédimentaires dus au tsunami

Dans le secteur de Kajhu Perumnas, dix vagues sont sur-venues, si l’on compte les trains d’ondes de faible intensitéqui ont suivi les trois vagues principales. Elles ont abordé lesecteur avec une incidence principale nord-ouest (Lavigneet al., sous presse), libérant une énergie considérable res-

ponsable de la destruction totale du bâti sur toute cette zoneouverte sur la mer. Nous ne disposons pas de témoignagespermettant d’évaluer la vitesse de l’eau au moment de l’évé-nement. Celle-ci aurait été assez proche de celle qui furentestimée à 4 m/s par H.M. Fritz et al. (2006) d’après unevidéo amateur, tandis que la hauteur de submersion mesuréecorrespond à une quinzaine de mètres (Lavigne et al., souspresse). Nous distinguons au sein des dépôts et, par déduc-tion, des transferts liés à l’événement que nous qualifieronsd’instantanés, ceux qui sont liés au passage des vagues suc-cessives lors de la vague montante (run-up), et ceux qui sontimputables au retrait de la mer (backwash).

Les observations de terrain montrent que la signature sé-dimentaire du tsunami devient plus complexe à mesure quel’on s’éloigne de la mer. La figure 3, avec quatre coupes dis-posées selon un transect orienté WNW – ESE, conformé-ment à l’une des deux directions de vagues principales, ré-vèle cette différenciation. En secteur proximal, les dépôts decouleur beige apparaissent massifs et homogènes, sans stra-tification ni grano-classement, et sont constitués de sables

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Faciès et transferts sédimentaires associés au tsunami du 26 décembre 2004

Fig. 3 – Différenciation sédimentaire progressive des dépôts par stratification et grano-clas-sement le long d'un transect WNW-ESE conforme à la direction principale des vagues. 1 :sable gris, fin à très fin ; 2 : sable gris présentant un litage fruste ; 3 : sable beige moyen ; 4 : sablebeige moyen à grossier ; 5 : sable grossier ; 6 : fine couche de sable fin noir ; 7 : lit fin présentantune coloration rouille ; 8 : sol brunâtre ante-tsunami ; 9 : sol brunâtre ante-tsunami, présence deracines très abondantes ; 10 : séquences identifiées ; 11 : échantillons ; 12 : distance au trait decôte ante-tsunami. Coordonnées des profils sédimentaires - Coupe 1 : 46 N 0763815 / UTM0620350 ; Coupe 2 : 46 N 0764049 / UTM 0620318 ; Coupe 3 : 46 N 0764202 / UTM 0620272 ;Coupe 4 : 46 N 0764300 / UTM 0620224.

Fig. 3 – Sedimentary differentiation exhibits progressively more accentuated stratificationand grading within the tsunami deposits along a landward transect from the coastline. 1:fine-grained grey sand; 2: roughly laminated grey sand; 3: medium-grained beige sand; 4: beigemedium- to coarse-grained sand; 5: coarse-grained sand; 6: thin layer of fine black sand; 7: rust-coloured thin layer; 8: pre-tsunami brownish soil; 9: pre-tsunami brownish soil with abundant roots;10: identified sequences; 11: samples; 12: distance from the former shoreline. Sedimentary profilscoordinates: Log 1: 46 N 0763815 / UTM 0620350; Log 2: 46 N 0764049 / UTM 0620318; Log 3:46 N 0764202 / UTM 0620272; Log 4: 46 N 0764300 / UTM 0620224.

assez grossiers exempts de débris co-quilliers (coupe 1, fig. 3). Ces sablesbeiges, grossiers, constituent la base del’ensemble des coupes observées dansle secteur et comportent souvent dans lapartie inférieure de nombreux fragmentsde sol arrachés et entraînés par le tsuna-mi ; il s’agit de rip-up clasts d’argilebeige des bassins d’aquaculture, dont lataille est millimétrique à décimétrique(fig. 4). À 230 m de cette coupe 1, versl’intérieur des terres, le profil de lacoupe 2 montre une transition progressi-ve entre les sables grossiers de la base etles sables gris clair, qui les surmontentet à la base desquels des laminationsfrustes sont visibles. L’ensemble consti-tue une séquence normalement grano-classée. Une transition abrupte marquele contact supérieur de ce dépôt avecune seconde séquence sableuse aux ca-ractéristiques identiques. Cette évolu-tion s’affirme dans le secteur distal parl’adjonction d’une, puis deux nouvellesséquences similaires (coupes 3 et 4,fig. 3). Sur un autre transect orientéNNW – SSE, les coupes situées dansle secteur distal présentent cinq à six sé-quences identiques, superposées et biendifférenciées (fig. 5). À l’intérieur de chaque séquence,dont l’épaisseur peut varier entre 2 et 20 cm, la base estconstituée d’une couche homogène de sables beigesplus ou moins grossiers, coiffée par une autre couche desables gris présentant un grano-classement normal.Chaque séquence se termine vers le haut par une dis-continuité nette souvent soulignée par un lit limoneuxlaminaire d’épaisseur millimétrique et de couleur brun ànoir. À la surface, un lit d’épaisseur millimétrique rema-nié et postérieur au tsunami se distingue parfois du som-met de la dernière séquence.

Une analyse granulométrique pratiquée sur lestrois séquences identifiées dans la coupe 4 (fig. 3),localisée à 1 810 mètres de la côte, souligne uneévolution de la taille moyenne des sables de la baseau sommet, confirmant le grano-classement normal :de 234µm à 70µm dans la séquence basale, de 122µmà 111µm dans la médiane et enfin de 134µm à 111µmdans celle du sommet. Les courbes granulométriquesmontrent un très bon tri du matériel dans l’ensemblede la coupe (σϕ ou indice d’Inman le plus souventcompris entre 0,5 et 0,8). L’analyse morphoscopiquepermet de constater que, de la base au sommet, lesgrains des deux premières séquences présentent tous unesurface mate, qui ne s’estompe pas sur les parties convexesdes grains. Seule la séquence superficielle, dans laquelle lesgrains mats prédominent, présente respectivement 4 % degrains luisants parmi les sables grossiers et 12 % parmi lessables fins. Une proportion des grains, qui varie entre 25 et

30 % selon les niveaux, montre de nombreuses écailles dé-limitées par des fissures visibles, qui rappellent celles quisont décrites par C. Bruzzi et A. Prone (2000). Elles sont su-perficielles ou au contraire affectent la masse du grain. À lasurface, leur amorce correspond en général à un petit éclatcaractérisé par une surface en creux souvent anguleuse et

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Patrick Wassmer, Philippe Baumert, Franck Lavigne, Raphaël Paris, Junun Sartohadi

Fig. 4 – Profil sédimentaire différencié présentant des « rip-up clasts » à la base destrois premières couches. 1a : sable gris-beige, présence de rip-up clasts ; 1b : sable gris fin ;2a : sable beige, grossier à la base, présence de petits rip-up clasts ; 2b : sable gris, fin, ausommet ; 3a : sable beige grossier, présence de petits rip-up clasts ; 3b : sable gris fin ; 4a :sable beige moyen ; 4b sable gris fin ; R : couche superficielle remaniée.

Fig. 4 – Sedimentary profile displaying rip-up clasts at the base of the first three layers.1a: grey-beige sand with rip-up clasts; 1b: fine grey sand; 2a: coarse beige sand with rip-upclasts at the base; 2b: fine grey sand at the top; 3a: coarse beige sand with rip-up clasts; 3b:fine grey sand; 4a:mean sized beige sand; 4b: fine grey sand; R: disturbed surface material.

Fig. 5 – Profil sédimentaire n° 5 (voir fig. 2) présentant une séquence decinq unités principales superposées à grano-classement normal.

Fig. 5 – Sedimentary profile n° 5 (see fig. 2) showing five stratified,fining-upward main sequences.

présentant un aspect lisse et brillant sous la lumière. Enoutre, 2 à 3 % seulement des grains montrent une cassureluisante, mais ces cas existent à tous les niveaux, alors quecette proportion atteint 15 % dans la couche de surface.Dans l’ensemble du profil, une proportion également faiblede petits éclats coquilliers ne prédomine dans aucune des sé-quences, mais semble augmenter avec la distance à la mer.

Mobilisation et transfertssédimentaires postérieurs au tsunami

Une fois l’inondation terminée, les vastes surfaces litto-rales planes dévastées étaient couvertes de débris divers etd’une couche de sédiments d’épaisseur variable. Une inves-tigation, menée sur une surface sub-horizontale, à l’aide de150 trous creusés jusqu’au sol sous-jacent, avec un mailla-ge de 7 m, montre une variation d’épaisseur du dépôt detsunami de 0 à 71 cm et indique que ce dépôt a régularisé lasurface topographique antérieure. Les épaisseurs de sédi-ments les plus importantes correspondent aux dépressionstandis que les dépôts sont absents là où la topographie pré-existante affleure, comme en témoigne la couvertureherbeuse originelle encore en place après le tsunami, prou-vant qu’elle n’a pas été recouverte. Cependant, les dépôtssableux observables ne correspondent pas toujours auxdépôts initiaux du tsunami, qui ont très souvent été remaniéspar les agents atmosphériques. Cette situation correspond àune crise morphogénétique brutale car le manque de cohé-sion du matériel rend la nouvelle topographie susceptible demodifications plus ou moins rapides.

Transferts à court terme

Le travail des eaux de ruissellement, en particulier lorsdes averses de forte intensité pendant la saison des pluies,peut fréquemment engendrer des phénomènes d’érosion ;cependant, ceux-ci restent concentrés le long des berges descours d’eau. En revanche, la destruction desmangroves, des cocoteraies, des filaos maisaussi de l’ensemble du bâti a eu pour consé-quence un accroissement de la vitesse du ventd’ouest, appelé localement angin bohorok, quisouffle régulièrement sur l’extrémité nord deSumatra. Cette modification très sensible desdonnées anémométriques a été observée parl’ensemble des personnes questionnées dans laville de Banda Aceh et le secteur de Kajhu Per-umnas. Elle ne correspond pas à une modifica-tion réelle du régime anémométrique régionalmais à une conséquence locale, liée à une di-minution drastique de la rugosité. Les coups devent s’accompagnent d’une prise en charge dusable qui se déplace en formant un nuagedense au ras du sol. Ce processus de déflationtrès efficace entraîne un transfert du sable pré-levé dans les espaces côtiers vers l’intérieurdes terres selon une direction prédominantevers l’est.

La mission de janvier 2005 a permis d’observer cette dé-flation active et la formation de champs de petites accumu-lations de sable affectant l’ensemble du secteur de Kajhu.Six mois plus tard, ces petites formes s’étaient transforméesen dunes (fig. 6), dont nous avons étudié les processus deformation, la progression et la stabilisation. La hauteur despetites dunes varie de 30 cm à 1,5 m. La figure 7 présenteune dune oblongue de 42 cm de hauteur, 3 m de largeur etde 5,5 m de long, avec une dissymétrie entre la pente auvent (2 m de longueur et 12 %) et celle sous le vent (3,5 met 8 %). Le versant sous le vent, concave et généralementsurcreusé, donne à ces formes un aspect de barkhanes enformation. Toutes les petites accumulations dunaires de cetype sont rapidement colonisées par des plantes variées quise localisent en général sur la pente au vent pour les cypéra-cées (Cyperus pedonculatus, Cyperus stoloniferus) et lesgraminées (Thuarea involuta, Spinifex littoreus) et au som-met pour les succulentes (Carpobrotus glaucescens ;fig. 8). Ces plantes sont les compagnes habituelles de Ipo-mea pes caprae dans l’association « Pes caprae », quiconstitue le groupement pionnier de reconquête habituelledes milieux sableux sur le littoral de Sumatra. Espèce domi-nante de l’association, Ipomea pes caprae, ou pied dechèvre, appartient à la famille des Convolvulus. Elle émet àpartir d’une racine centrale des stolons rayonnants qui,croissant rapidement, peuvent atteindre 40 m de longueurdans le secteur d’étude. La figure 9 montre le dynamismedes stolons sur les espaces sableux et l’efficacité de la cou-verture que produit ce végétal. Toutes les plantes de cette as-sociation sont adaptées au milieu extrêmement contraignantde la frange littorale, c’est-à-dire aux périodes de sécheres-se édaphique prolongées et aux températures élevées du sol.Les déchaussements ou les recouvrements par du sable neconstituent pas de gêne à leur développement, car elles sontadaptées aux supports sableux, à très faible teneur en nutri-ments. Le seul facteur limitant leur implantation est la dis-ponibilité en eau douce. Aucune de ces espèces n’est halo-

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Faciès et transferts sédimentaires associés au tsunami du 26 décembre 2004

Fig. 6 – Champ de petites dunes, photo prise en direction du NW.

Fig. 6 – Field of small sand dunes, picture taken to the NW.

phile, ce qui explique leur installation privilégiée sur les ac-cumulations de sables remaniés et lavés par les pluies, alorsqu’elles sont totalement absentes, huit mois après le tsuna-mi, des espaces inter-dunaires affectés par les remontées ca-pillaires d’eau salée (fig. 6). Une fois que les plantules par-viennent à s’enraciner sur les espaces ouverts, balayés parle vent, elles piègent le sable qui forme toujours une petiteaccumulation au pied de la plante. L’accumulation du sableensevelit la plante qui croît vers le haut et se développe ànouveau à la surface de la dune et ainsi de suite (Carolin etClarke, 1991). Ce fonctionnement, identique à celui de laformation des nebkhas en milieux désertiques, est caracté-ristique de Carpobrotus glaucescens de la famille des Ai-zoaceaea, dont quatre des vingt-cinq espèces du genre sontoriginaires d’Australie. La figure 8 montre une dune, colo-nisée par Carpobrotus, dont l’un des flancs a été recoupédans le sens longitudinal. Le système racinaire est constitué

d’un pivot principal (a sur la fig. 8) qui traversela dune et s’enfonce dans le dépôt sableux laissépar le tsunami. Un système traçant, abondant,part de la racine pivot à différents niveaux. Lesracines traçantes les plus longues prennent nais-sance à l’interface entre le dépôt du tsunami et labase de l’accumulation (b, fig. 8). Un ancrage ef-ficace à la surface de la dune est assuré par desracines verticales, de quelques centimètres delong, qui sont émises au niveau des nœuds sur lesstolons rampants sur le sable (c, fig. 8). La raci-ne principale qui montre des sections plusépaisses et d’autres plus étroites, ainsi que le dé-part de racines traçantes à divers niveaux dans lematériel d’accumulation, traduisent une croissan-ce du végétal par étapes et l’ajustement à la hau-teur du sable qui s’élève au fur et à mesure del’engraissement de la dune.

Cette dynamique éolienne est très active danstous les espaces dévastés dans le secteur deKajhu Perumnas en raison de l’importance lelong du littoral des sources de sable alimentantces transferts. Le volume de sable éolien ainsiaccumulé en un an est de 1 100 m3 par hectaresur les 100 hectares du secteur étudié. Ces trans-ferts de sable succédant au tsunami se sont pro-gressivement ralentis puis ont cessé dans l’annéesuivant l’événement. Les dunes, puis les espacesinter-dunaires, sont rapidement envahis par unevégétation luxuriante qui fige, pour un temps,l’évolution morphologique.

Transferts à long terme

Le séisme du 26 décembre 2004 a provoquéune subsidence de l’extrémité nord de Sumatrade quelques dizaines de centimètres à 2 mètresde hauteur (Meltzner et al., 2006). Cette subsi-dence est partiellement responsable du recul dutrait de côte, qui varie en fonction de la pente durivage. En prélevant des sédiments sur les plages

et les dunes, le tsunami a également contribué à ce recul. Lacomparaison des lignes de rivage retracées à partir d’un lotde photographies aériennes (janvier 1995, échelle 1/20 000)et d’images satellitales postérieures au tsunami (scènes Iko-nos du 28 décembre 2004 et Spot 5 du 30 décembre 2004)(fig. 2), révèle un retrait de 750 à 2000 m selon les secteurs.La surface correspondante est estimée à 2,1 km2 pour unezone côtière longue de 1,5 km. Des relevés du trait de côtepar cheminement GPS montrent une progradation régulièredu trait de côte depuis le tsunami, de l’ordre de 150 à 500 mentre juin 2005 et août 2006.

Le déplacement de sédiments contribue au rééquilibragedes zones littorales perturbées par les modifications brutalesprovoquées par le séisme et le tsunami. Dans le secteur deKajhu Perumnas, l’impact morphologique du tsunami a étérelativement faible. Si l’ensemble des quartiers densémentbâtis a été complètement détruit par les vagues, le passage de

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Patrick Wassmer, Philippe Baumert, Franck Lavigne, Raphaël Paris, Junun Sartohadi

Fig. 7 – Dune en formation dans le secteur 9 (voir fig. 2). Hauteur : 0,42 m,longueur 5,5 m, largeur 3 m.

Fig. 7 – Developing dune in area 9 (see fig. 2). Height: 0.42 m, length: 5.5 m,width: 3 m.

Fig. 8 – Coupe dans une dune, longue de 1 m, montrant le système racinairede Carpobrotus glaucescens. A l'avant, la crête de la dune est dirigée vers l'est.

Fig. 8 – Section through a dune (length: 1m) showing the root system of Car-pobrotus glaucescens. At the front, the dune crest is oriented to the east.

ces dernières fut surtout efficace sur le front de mer où lesdunes ont été arasées. Ailleurs, les traces d’érosion étant rares,c’est l’accumulation qui a prédominé. L’étalement de sédi-ments sableux sur une épaisseur variant entre 1 et 71 cm n’aconstitué qu’une retouche apparemment légère sur l’en-semble de la plaine littorale. Le fond des lagunes et desbassins d’aquaculture a été tapissé par 30 à 40 cm de sable,mais n’a pas été totalement oblitéré. Seul le fleuve Lomngaqui longeait la côte vers l’ouest, débouchant dans une laguneséparée de l’océan par un lido (interrompu par la passe deGigien), a été comblé. La flèche de sable a disparu au momentdu tsunami. Il aura fallu à ce fleuve un peu plus de deux anspour se reformer et retrouver son cours initial ; il longeaujourd’hui la côte vers l’ouest et débouche à nouveau dansla lagune, puis dans la mer par la passe de Gigien qui s’estrétablie sur son ancien emplacement.

Discussion

Au moment de l’événement, le mouvement fortement tur-bulent au front des vagues du tsunami, visible sur de nom-breux films vidéo, ainsi que la vitesse et l’épaisseur de lalame d’eau, ont été responsables de la prise en charge d’unequantité considérable de matériaux dans un laps de temps ex-trêmement court. Les témoignages recueillis à Lampuuk ontsouvent fait état d’un « grand geyser jaune », tant la pro-portion de sable, mis en suspension lors du passage desvagues sur les dunes du front de mer, était importante. Lessables de la séquence de base dans le secteur de Kajhu pré-sentent tous une surface mate. Seule la séquence de surface,déposée à la fin de l’événement, contient une faible propor-tion de grains luisants qui atteint 12 % dans le lit de surface.Les sables déposés proviendraient ainsi majoritairement desdunes du front de mer. Ceci est confirmé par les courbes gra-nulométriques qui témoignent d’un bon tri du matériel. Lesgrains luisants proviendraient du remaniement des sédiments

marins ou fluviatiles. Leur concentrationdans le niveau de surface pourrait être liée auremaniement éolien pelliculaire qui, surve-nant après le tsunami, se distingue très maldes sables fins sous-jacents. Il est difficile desavoir si l’aspect brillant des petits éclats (quiaffectent près d’un tiers des grains) au départdes fissures, doit être mis en relation avec leschocs violents entre les grains lors du trans-port et/ou à cause de la turbulence sur le frontdes vagues, ou s’il préexistait au moment dutsunami. Cette turbulence liée au passage desvagues a pu être suffisante pour fissurer oucasser les grains de sables. Elle n’a cependantpas duré assez longtemps pour permettrel’usure et l’estompage de l’aspect mat sur lesparties convexes des grains. En revanche, laproportion de grains cassés dans la couche desurface, 15 % contre 2 à 3 % pour le reste dudépôt, reste difficile à expliquer. Le remanie-ment pelliculaire de surface correspond à unereprise en charge d’origine éolienne. Les

chocs durant leur transfert éolien ont pu casser des grainsdéjà fragilisés par les fissures.

Le tsunami a comporté un train d’une dizaine de vagues.Les trois premières vagues décrites comme les plus vio-lentes et les plus turbulentes ont été les plus destructrices.Les deux dernières ont été les plus faibles. Chaque ondeabordant la côte correspond à une poussée de l’eau vers laterre avec une turbulence très forte au passage du front, lesondes successives « surfant » sur les précédentes. Enconséquence, la progression de l’eau à l’intérieur des terress’est accompagnée d’un ralentissement et du passage pro-gressif d’un écoulement turbulent à un autre de type lami-naire. Cet aspect de la dynamique d’inondation est essentielpour comprendre les conditions prévalant au moment dudépôt en secteur proximal, médian puis distal. Un autre as-pect fondamental de cette dynamique tient à l’épaisseur dela lame d’eau. La première vague, d’une hauteur inférieureà deux mètres mais à vitesse élevée, est très érosive. La sui-vante, beaucoup plus élevée (environ 20 mètres), se com-porte de la même façon car une partie de l’eau de la vagueprécédente s’est retirée. Toutes les vagues suivantes sontmoins fortes car elles arrivent dans une lame d’eau de15 mètres d’épaisseur. Leur action sur le fond est de fait plusréduite. Il est alors possible de proposer un modèle associantdépôt et reprise en charge des sédiments en fonction de ladistance au trait de côte.

En secteur proximal, lors du flux, les vitesses élevées et laforte turbulence confèrent à chaque vague une énergie suffi-sante pour mobiliser les matériaux et par conséquent effaceren grande partie la signature de la vague précédente (Paris etal., 2007a). La deuxième vague a mobilisé les dépôts de lapremière. Les ondes suivantes n’ont peut-être pas permis demobiliser les dépôts des vagues antérieures. Lors du reflux,l’eau descendante, en fin de course, a acquis une vitesse quilui a permis de mobiliser à nouveau la partie supérieure dumatériel déposé. L’énergie de l’eau a été considérable lors

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Faciès et transferts sédimentaires associés au tsunami du 26 décembre 2004

Fig. 9 – Restes de constructions envahies par Ipomea pes caprae.

Fig. 9 – Remains of buildings covered by Ipomea pes caprae.

de ce reflux puisque la majeure partie des débris provenantde la destruction du bâti a été entraînée vers la mer. Le dépôtmassif et grossier correspond ainsi à la base de la secondeséquence, tronquée par l’érosion due au reflux.

En secteur intermédiaire, au moment du flux, la signaturede la première vague est certainement effacée. Les sé-quences dont le grano-classement est normal s’engraissentau gré des bouffées sédimentaires apportées par chaque nou-velle onde sous une hauteur d’eau toujours importante,comme l’ont montré par exemple A.G. Dawson et al.(1996). La contribution des deux dernières vagues, qui sontde faible puissance, est maigre voire inexistante. Il est pos-sible que sept séquences aient été ainsi déposées, même siles deux dernières restent peu visibles sur la figure 4, du faitdu faible contraste de la photographie. Lors du reflux, ca-ractérisé par une accélération de l’eau vers la côte, la com-pétence des eaux de retrait peut avoir décapé le sommet desdépôts, laissant sur place de quatre à une séquence seule-ment. Aucune marque d’érosion attribuable au reflux n’a ce-pendant été observée sur le terrain. Le secteur médian pré-sente en effet tous les intermédiaires entre le dépôt massif etsans structure du secteur proximal et celui des nombreusesséquences superposées du secteur distal. Ceci confirme,comme l’ont déjà montré A.G. Dawson et al. (1996), G. Gel-fenbaum et B. Jaffe (2003) et R. Paris et al. (2007a), qu’iln’existe pas nécessairement de relation simple entre lenombre de vagues et celui des séquences à grano-classementnormal dans les dépôts.

Le secteur distal correspond à l’arrivée des vagues en boutde course. Les deux premières séquences ont été effacéesjusque dans ce secteur. Le flux dépose les séquences 2 à 8(fig. 4) que le reflux ne peut mobiliser à nouveau en raisond’une vitesse trop faible de l’eau. Entre ces séquences, lesdépôts laminaires brun noir correspondent au dépôt des li-mons en suspension et de la décantation au moment où la vi-tesse de l’eau, en bout de course, est quasi nulle. Un maxi-mum de six séquences est observé à Kajhu en secteur distalalors qu’il devrait être possible de dénombrer sept séquences.Il est probable que le remaniement éolien de surface ait effa-cé la dernière séquence déposée. Des superpositions compa-rables, quoique moins nombreuses, de séquences présentantun grano-classement normal ont été observées par de nom-breux auteurs (par exemple Dawson et al., 1996 ; Dawsonand Shi, 2000 ; Hawkes et al., 2007 ; Hori et al., 2007 ;Paris et al., 2007a). Dans ce secteur distal, nous attribuons àla deuxième vague la séquence de base, qui est la plus épais-se dans toutes les coupes.

Lors du reflux, la reprise en charge des éléments fins, quiconstituent le sommet des séquences, requiert une vitesse del’eau plus importante que celle qui est nécessaire pourremettre en mouvement du matériel plus grossier, moinscohésif. Cette reprise en charge ne peut se faire en secteurdistal car l’eau, en début de course, a une vitesse très faible(inférieure à 1 m/s). La vitesse nécessaire au remaniementdes sédiments déposés a pu être atteinte en secteur médian eta fortiori proximal, autorisant ainsi l’érosion plus ou moinsimportante de la partie supérieure des dépôts. Les coupes 1et 2 (fig. 3) présentent des profils tronqués dont les lits supé-

rieurs de sables fins sont absents. Paradoxalement, cetteabsence peut constituer ici une signature du backwash. Il estprobable que cette différenciation nette de la signature sédi-mentaire entre les deux secteurs proximal et distal ait étéfavorisée par les conditions topographiques planes, permet-tant une diminution régulière de la turbulence lors de laprogression de l’eau dans les terres.

L’importance des perturbations engendrées par le tsunami(décapage des sols, salinisation du substratum) a laissé penserque la catastrophe humaine se doublerait d’une catastropheécologique sans précédent pour l’ensemble des terres bassessubmergées. Sur la côte de Sumatra, il est surprenant de noterque l’association de reconquête succédant au tsunami etdominée par Ipomea pes caprae ne se différencie pas de l’as-sociation pionnière habituelle des littoraux de cette région.Cette végétation, naturellement inféodée à la frange littorale,s’est rapidement étendue sur les vastes espaces parcourus parles vagues et recouverts de sables. Les plantes ont retrouvésur ces milieux dévastés des conditions propices à leur instal-lation : un substrat sableux qu’elles ont colonisé à mesureque la désalinisation progressait, favorisée par les précipita-tions abondantes et la porosité du matériau. Le climat chaudet humide contribue également à la revégétalisation rapide.En février 2007, une formation très dense et fermée, consti-tuée de buissons et d’arbustes de 3 à 4 m de hauteur, avaitdéjà recouvert une grande partie des espaces affectés par letsunami. Selon les témoignages recueillis auprès des pay-sans, cette végétation est identique à celle qui a toujoursexisté à cet endroit.

Le trait de côte a brusquement reculé au moment de l’évé-nement. Il est difficile, sur cette côte basse, de savoir quellepart du recul est imputable à l’érosion effectuée par lesvagues du tsunami, puisque nous savons aussi que le séismea provoqué une subsidence de quelques dizaines de centi-mètres à 2 mètres (Meltzner et al., 2006), entraînant unrecul du trait côte, avant même l’arrivée des vagues. Lespreuves de cet enfoncement sont visibles partout : arbresbaignant dans l’eau de mer, sols des maisons au niveau de lamer, etc. Depuis la catastrophe du 26 décembre 2004, l’en-graissement des plages est régulier : il est alimenté par unedérive littorale active à partir des apports du fleuve Angan,à l’est, qui au moment des crues de la saison des pluies, libè-rent dans l’océan un panache turbide, nettement observableau large à plusieurs kilomètres du rivage.

Malgré son intensité hors du commun, les raisons dufaible impact morphologique du tsunami, tant en termesd’érosion que de modification du trait de côte, sont certai-nement à rechercher dans le contexte morphologique initialdu secteur étudié : une basse plaine quasi horizontale. L’es-sentiel de l’énergie de la première vague, dont le frontturbulent est arrivé au niveau du sol, a été absorbé par ladestruction des bâtiments. La vague suivante, la plus puis-sante, qui est arrivée dans une lame d’eau qui n’excédaitguère 2 m d’épaisseur, a terminé le travail de destruction dela première. Les vagues suivantes sont arrivées alors quel’eau atteignait déjà 15 mètres de hauteur. Moins puissantesque les premières, elles n’ont donc pas pu jouer un rôle mor-phogénique important. À hauteur d’inondation égale, sur la

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Patrick Wassmer, Philippe Baumert, Franck Lavigne, Raphaël Paris, Junun Sartohadi

côte plate, ouverte vers la mer, mais dépourvue de construc-tions au nord de Meulaboh, l’impact morphogénique a éténettement plus important. En témoigne un énorme bloc de80 m x 60 m x 2 m, constitué d’un morceau de terrainavec des arbres enracinés (et toujours verts longtemps aprèsl’événement), qui a été décollé de son support et poussé parles vagues sur plus de 100 mètres, puis abandonné en tra-vers de la route littorale reliant Meulaboh à Banda Aceh. Surla côte ouest de Banda Aceh, où les vagues ont atteint desaltitudes excédant 30 m (51 m au maximum cf. Lavigne etal., 2006), le tsunami a également arasé les dunes, maisaussi balayé les plages, érodé les versants et les berges descours d’eau, décapé les sols et mis à nu les racines des arbreset les fondations des bâtiments (Paris et al., 2007b).

Conclusion

Un tsunami est un événement brutal, susceptible de modi-fier profondément les équilibres sédimentaires littoraux enremaniant des volumes de matériaux meubles considérablesen quelques heures (4 730 m3 par hectare en secteur distaldans le district de Kajhu) c’est-à-dire de manière quasi ins-tantanée. Une fois la crise passée, des rééquilibrages seproduisent, assurés par des transferts de sédiments à courtterme (quelques mois) et à long terme (excédant l’année).Sur la côte nord-est de Banda Aceh, l’essentiel des maté-riaux pris en charge par les vagues et redistribués sur lavaste zone plane littorale jusqu’à 3 km de distance du traitde côte a été prélevé sur des stocks sédimentaires dunairesen arrière de l’ancien rivage et, en moindre proportion sur lelido, sur des stocks fluviatiles de la Lomnga qui longeait lacôte avant de déboucher dans la mer. L’état de surface desgrains de sables mobilisés, mats en très grande majorité (88à 100 %), correspond à une éolisation préalable des maté-riaux transportés. Le mode principal des grains correspondà la compétence du vent. Une proportion non négligeabledes grains (30 %) présente en outre des fissures ou des cas-sures fraîches. Celles-ci, acquises récemment, sont dues à lacollision des grains dans un écoulement turbulent durantleur transport. La dynamique de l’eau lors de l’avancée dechaque vague à l’intérieur des terres engendre une structuredu dépôt qui devient plus complexe au fur et à mesure de laprogression dans les terres. En secteur proximal, elle corres-pond à une séquence généralement tronquée tandis qu’ensecteur distal un nombre croissant de séquences identiquesse superposent lorsqu’on s’éloigne de la côte.

Après le tsunami, la reprise en charge, par le vent, dessédiments déposés fut très active sur ces vastes espaces ara-sés et dépourvus de végétation. Des champs de dunes seformèrent rapidement. L’engraissement de ces dunes, rapi-de dans les six premiers mois après l’événement, décrutprogressivement car il fut freiné par l’efficacité de la recon-quête végétale. Celle-ci ne progressa pas partout à la mêmevitesse car elle dépendit de la désalinisation du support(sable ou sol) liée à l’abondance des précipitations. Laréinstallation de la végétation sur les zones sources qui, enarrière de l’estran, alimentaient la déflation, limita puis blo-qua les processus de transferts éoliens dans un laps de temps

de six à douze mois après le tsunami. Les sables acheminésle long de la côte par la dérive littorale participent depuis àl’engraissement des plages et à la progression de l’estranvers la mer.

Les impacts morphologiques sur cette côte plane de KajhuPerumnas restent limités et c’est certainement l’arasement desdunes du front de mer qui constitue la perturbation majeuredans ce secteur. Somme toute assez limité par rapport à lamagnitude du séisme et du tsunami, cet impact est certaine-ment lié au fait que la destruction du bâti a absorbé la plusgrande quantité d’énergie des premières vagues. Les sui-vantes, moins fortes, sont arrivées dans une lame d’eau de15 mètres et leur action au sol aurait été nul. Le backwash, aucomportement laminaire sur cette surface subhorizontale, adécapé les dépôts apportés par les vagues en secteur proximal,mais n’a pas engendré de marques d’érosion significatives,comme ce fut pourtant le cas dans la baie de Lhok Nga, ausud. Une comparaison entre les effets des vagues dans cesecteur, très densément bâti avant le tsunami, et une zoneidentique dépourvue de constructions et également submer-gée, pourrait peut-être permettre de comprendre larépartition irrégulière des retouches morphologiques exer-cées par les vagues. Dans le secteur de Kajhu Permunas, letsunami n’a donc pas abouti à la création d’un nouveau sys-tème morphogénique. Un retour au système préexistant estprogressivement survenu en moins de trois ans, c’est-à-diredans un laps de temps rapide. Les observations systéma-tiques à plus long terme nous permettront de savoir si lasituation décrite est déjà figée ou si d’autres retouches mor-phologiques vont se poursuivre.

RemerciementsCette étude a été conduite dans le cadre du programme

Tsunarisque, financé par la Délégation Interministériellepour l’Aide Post-Tsunami (DIPT) et de l’ATIP Jeunes Cher-cheurs du CNRS. Les auteurs remercient chaleureusementF. Flohic et B. De Coster pour leur contribution à la réali-sation de cette étude, ainsi que Adi Widagdo, étudiant engéographie à l’université Gadjah Mada à Yogjakarta, Java,pour son aide précieuse sur le terrain. Nous remercionségalement C. Thouin, qui a amélioré la version abrégéeanglaise. Nous remercions enfin chaleureusement J.-C. Thouret et H. Regnauld pour la relecture de ce travail etleurs précieuses remarques.

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Article soumis le 9 novembre 2007, accepté le 6 décembre 2007.

346 Géomorphologie : relief, processus, environnement, 2007, n° 4, p. 335-346

Patrick Wassmer, Philippe Baumert, Franck Lavigne, Raphaël Paris, Junun Sartohadi