chapitre 6 : quête identitaire à caractère diasporique dans les migrations camerounaises

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Repenser la promotion du tourisme au Cameroun Approches pour une redynamisation stratégique

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Repenser la promotion du

tourisme au Cameroun

Approches pour une redynamisation

stratégique

Repenser la promotion du tourisme au Cameroun

Repenser la promotion du tourisme au Cameroun

Dirigé et coordonné par :

Pierre KAMDEM

Mesmin TCHINDJANG

Repenser la promotion du

tourisme au Cameroun

Approches pour une redynamisation

stratégique

IRESMA-KARTHALA

Repenser la promotion du tourisme au Cameroun

Repenser la promotion du tourisme au Cameroun

Les Editions Karthala

22-24, boulevard Arago

75013 Paris

Copyright © IRESMA Editions - 2011

Avenue Kennedy, Immeuble CNPS,

B.P. 30456 Yaoundé

ISBN 978-9956-795-00-5

Repenser la promotion du tourisme au Cameroun

Repenser la promotion du tourisme au Cameroun

Remerciements

Nos sincères remerciements vont à tous ceux et celles qui, de près ou de

loin ont contribué d’une manière ou d’une autre à l’aboutissement de cet

enthousiasmant projet collectif. Puissent toutes ces personnes retrouver dans

la qualité de ce travail qui reste en toute humilité autant le nôtre que le leur,

l’expression de notre profonde gratitude. Notre sagesse multiséculaire ne dit-

elle pas qu’une seule main ne saurait sans risque attaché un paquet tout en

confirmant que l’intelligence reste un fruit qui se ramasse dans le jardin du

voisin ?

Repenser la promotion du tourisme au Cameroun

Repenser la promotion du tourisme au Cameroun

Préface

Objectifs du Millénaire (ODM), VISION 2035 et bien d’autres sont autant

de défis que le Cameroun s’est engagé à relever. Cet engagement passe par

une mobilisation rationnelle de l’ensemble des atouts, patrimoines et

potentiels, tant naturels qu’humains dont il dispose dans un contexte de crise

et d’instabilité globale. A ce jour, la mayonnaise semble peiner à prendre dans

l’ensemble des secteurs d’activités, notamment celui du tourisme, force étant

alors de constater qu’il ne s’agit ni d’une fatalité, ni d’une ingratitude de la

nature, à en croire les travaux foisonnant de la période coloniale allemande à

nos jours.

Des ressources forestières et minières aux ressources halieutiques, en

passant par les conditions naturelles avantageuses favorisant un contexte

agricole prometteur, le Cameroun dispose davantage de potentiels de

développement que viennent renforcer les richesses culturelles ancrées dans la

grande diversité ethno-démographique qui est la sienne. Il s’avère alors

impérieux de prendre en compte toutes ces variantes dans la conception, la

mise en œuvre et le pilotage de stratégie de développement durable, à toutes

les échelles. A ce titre, l’activité touristique actuellement considérée comme le

premier secteur économique global, ne doit, en aucun cas, déroger à la règle

dans notre pays.

C’est dans cette optique que les auteurs de ce bel ouvrage se sont attelés à

déblayer, en quinze chapitres, l’énorme chantier du secteur touristique dont

les embellies d’antan, relayées par des slogans fort justes du type l’Afrique en

miniature, ou encore toute l’Afrique dans un seul pays, ne se sont pas soldées

par le décollage attendu.

Ce travail collectif, pionnier en la matière, mérite d’être salué à sa juste

valeur, et recommandé tant aux chercheurs qu’aux enseignants en tourisme.

Ils ne manqueront pas de trouver de la matière dans les approches

épistémologiques et critiques développées dans cet ouvrage. Les acteurs de

terrain que sont consommateurs, professionnels et divers opérateurs

économiques du champ du tourisme seront éclairés par des cas probants de

mise en situation de tourisme du territoire. Les décideurs politiques y

trouveront un appui dans les approches d’ordre prospectif qui sont davantage

délivrées avec des arguments solides.

Il ne reste donc plus qu’à prendre connaissance de ces diverses ressources

que cet excellent ouvrage met à la disposition de tous pour accompagner les

chantiers et les nobles ambitions qui sont celles du pays des Chars des Dieux.

A vos lectures.

Pr. AMOUGOU AKOA

Repenser la promotion du tourisme au Cameroun

Repenser la promotion du tourisme au Cameroun

PREMIERE PARTIE

REFLEXION HISTORIQUE, EPISTEMOLOGIQUE ET

CRITIQUE DE LA PERCEPTION DU TOURISME AU

CAMEROUN.

Repenser la promotion du tourisme au Cameroun

Repenser la promotion du tourisme au Cameroun

Chapitre 6 : QUETE IDENTITAIRE A CARACTERE

DIASPORIQUE AU SEIN DES MIGRATIONS CAMEROUNAISES :

UNE AUBAINE POUR LE TOURISME DES RACINES AU

CAMEROUN ?

Pierre KAMDEM

Impulsé depuis la période coloniale, le flux migratoire camerounais s’est

fortement intensifié durant ces trois dernières décennies. Il a amorcé une

diversification progressive des trajectoires ainsi que des zones d’accueil

(Kamdem 2008). Cette intensification résulte de nombreux facteurs tant

exogènes qu’endogènes au Cameroun. Sur le plan exogène, ce rôle est dévolu

aux diverses considérations géopolitiques ayant prévalu à la reconfiguration

de l’ordre mondial durant cette période dont les marqueurs majeurs se

trouvent être la crise pétrolière de 1974 et la chute du mur de Berlin. Il s’agit

ainsi des principales matrices socio-historiques1 ayant sous-tendu les diverses

mutations accompagnant l’accélération considérable des flux migratoires

d’origine camerounaise.

Parmi ces diverses mutations, le souci d’insertion, d’intégration voire

d’implantation de ces populations dans des zones spécifiques au gré des

opportunités débouchent progressivement sur le phénomène de diasporisation,

caractéristique des combinaisons socio-spatiales2 dont il nous sera intéressant

de lire la trame en fonction de son implication dans la production d’une

nouvelle forme de tourisme, à savoir le tourisme des racines.

Cette contribution s’appuie sur un travail de recherche d’ensemble,

particulièrement mené dans la principale zone d’accueil des migrants

camerounais, à savoir l’Ile-de-France. La méthode mise en place pour

conduire ces travaux s’est principalement appuyée sur une vaste enquête de

terrain soutenue par un questionnaire mixte en complément des nombreux

entretiens semi-directifs avec les différentes cibles de la région, ainsi qu’une

approche participative par immersion du chercheur dans l’objet de recherche

s’agissant des fêtes et manifestations concernant ces cibles.

A partir d’un modèle conceptuel reposant sur une théorie structuralo-

constructiviste de l’espace des sociétés développée en géographie sociale, à

1 La matrice socio-historique se définit comme un outil conceptuel et méthodologique permettant de «

suivre et de retracer l’évolution des sociétés dans une relation espace-temps totalement imbriquée ». Il est ainsi question « des tendances profondes d’une époque », faites « d’un subtil mélange d’évènements, de

circonstances et d’actions concrètes dont certains traits marquent durablement, dans l’espace et dans le

temps, l’univers des sociétés qui les produisent » (Di Méo, Buléon, 2007 : p.57). 2 La combinaison socio-spatiale en tant que réplique miniature des formations socio-spatiales dont elle ne

dispose pas de l’ensemble des outils opérationnels tels que le territoire dans sa dimension politique et le

temps long d’existence, se définit comme organisme social temporellement déployé à l’intérieur ou à côté d’un autre de taille plus importante et dont elle en réclame une appartenance dans la singularité. C’est le cas

des diasporas.

Repenser la promotion du tourisme au Cameroun

savoir les combinaisons socio-spatiales dans leur double dimension

herméneutique du matériel et de l’idéel, cette contribution vise à prospecter

des possibilités touristiques exploitables au-delà de la dimension

infrastructurelle couramment avancée, en postulant la superstructure3 comme

un champ de promotion et de développement plausible d’une activité

économique telle que le tourisme.

Les migrations camerounaises s’offrent ainsi en champ de recherche fertile

en la matière. Sa compréhension nécessite de mener dans un premier temps

une analyse judicieuse des procédures de mise en place, des stratégies

d’implantation et d’intégration dans les pays d’accueil par ailleurs principaux

pourvoyeurs de la clientèle du tourisme ordinaire. Dans un second temps, un

complément de cette analyse impose une invocation des processus de retours

matériels et immatériels à vocation de développement de liens divers avec

leur pays d’origine.

Cette démarche à forte charge théorique permet au final de s’interroger sur

l’efficience paradigmatique d’un modèle conceptuel en termes de mise en

œuvre dans un champs de recherche aussi transdisciplinaire que le tourisme,

tout en en dégageant les capacités promotionnelles pour cette activité en

difficulté au Cameroun en dépits de ses nombreux atouts naturels et

patrimoniaux scandés.

I. La combinaison socio-spatiale des migrants camerounais comme

socle de gestation et de production du tourisme des racines

Initiée principalement dans l’optique de suppléance coloniale, l’émigration

camerounaise s’est originellement orientée vers la France, principale tutelle

coloniale. La fin de la première guerre mondiale avait conduit à déposséder

l’Allemagne défaite de ses positions coloniales conquises entre autres par le

truchement de la conférence de Berlin de 1884-1885. Cette dépossession sous

l’égide de la Société Des Nations (SDN) instaurait de nouvelles formes de

3 Par opposition à l’infrastructure particulièrement matérielle de nature géographique ou économique, la

superstructure se définit comme outil conceptuel permettant de percevoir les projections et inscriptions idéelles, idéologiques et in fine politiques d’un groupe donné, qu’il s’agisse d’une combinaison socio-

spatiale telle une diaspora, ou d’une formation socio-spatiale telle un Etat-nation.

Planche 1 : Le centre d’accueil de la presse étrangère de Radio France à Paris recevant en

2004 des chefs traditionnels de l’Ouest-Cameroun en campagne de mobilisation de la diaspora pour le soutien des localités d’origine, dans la perspective du festival des

peuples Bamiléké LAM 2005. Photo : Pierre KAMDEM, 2004.

Repenser la promotion du tourisme au Cameroun

rapports sociaux dans ces types de formations territoriales dont la principale

caractéristique était d’être placées sous tutelle avec une mission claire de

conduite à l’autonomie par le mandataire. C’est dans ce contexte particulier

que s’amorçaient les migrations camerounaises dont le souci de retour et

d’affranchissement du territoire allait durablement constituer le socle de

croyance de ces migrants.

Ainsi, pour cette combinaison socio-spatiale, s’est progressivement

élaborée au fil du temps sa superstructure organisée autour d’instances idéelle

voire idéologique et politique la caractérisant actuellement. De ce fait, les

premiers gouvernements d’indépendance se sont vus constitués depuis la

métropole ou du moins avec une forte implication de la puissance de tutelle.

Ses principaux membres relevaient alors de cette composante démographique.

Ils ancreront ainsi des postures politiques fortement éprises des rapports intra-

groupes propres à cette combinaison socio-spatiale en gestation. Ces rapports

intra-groupes étaient alors fortement influencés voire pilotés par

l’exacerbation des clivages idéologiques de l’époque liée à la configuration

géopolitique globale marquée par les effets de blocs.

Carte 1 : Présence camerounaise dans les pays de l’OCDE à la fin des années 1990

Optant alors pour un suivisme de la puissance coloniale de tutelle, le

pouvoir installé se dotera de mesures de nature à tourner le dos à une frange

Repenser la promotion du tourisme au Cameroun

de cette composante démographique plus sensible aux sirènes opposées4.

C’est en fait ici que se situe le véritable point de départ d’une diasporisation

originellement forcée. Elle prendra par la suite des allures nettement plus

économiques à la suite des effets conjugués autant des errements structurels

liés aux mauvaises orientations stratégiques en matière de développement5,

que du sévère contrecoup imputable à une conjoncture économique

internationale fortement défavorable6.

Ainsi, aux nombreux départs qui s’accéléraient autant avec le temps

qu’avec l’amélioration des conditions d’ensemble régissant les mobilités de

grande ampleur, correspondaient de moins en moins de retours. Par

conséquent, les migrants étaient alors voués à ruser pour réussir une fixation

et un ancrage dans la principale zone d’accueil où ils n’étaient pas forcément

les bienvenus, contrairement aux autres ressortissants d’Afrique francophone

dans cette formule d’accueil7.

Cette stratégie de fixation devait aussi prendre en compte une posture de

suspicion de la part des structures institutionnelles autant du pays d’accueil

que du pays de départ. Ce dernier affichait alors une très forte distanciation

administrative traduite par une politique de nationalité assez discriminatoire

ainsi qu’une gestion de la citoyenneté éprise de déni systématique à l’égard de

cette combinaison socio-spatiale8. En dépit d’une homogénéité des

infrastructures socio-spatiales de ces migrants qui dans l’ensemble s’articulent

autour d’une instance géographique où le contexte géo-historique pèse

lourdement ainsi qu’une instance économique régie par le net déséquilibre

infrastructurel entre leur pays d’origine et les différents pays d’accueil, cette

situation viendra à produire trois types de diasporisation développant des

postures spécifiques en matière de tourisme des racines.

4 Les limitations des mobilités spécifiques qui permettaient à cette frange de migrants considérés comme

« subversistes » ont entre autres inspiré la mise en place de la disposition de remise en cause par le pouvoir

camerounais du principe de la pluri-nationalité à travers le décret-loi du 11 mai 1968. 5 Un développement spécifiquement basé sur la rente des matières premières, à très forte charge

d’extraversion économique. 6 Le choc pétrolier de la fin des années 1970 et ses diverses conséquences sur le plan des mobilités humaines, aboutissant à termes aux plans d’ajustements structurels difficilement vécus dans ce pays. 7 Le statut de tutelle du territoire camerounais procurait à ses ressortissants une fois arrivée en France un

statut juridique en terme de droit de séjour différent de celui des ressortissants des autres territoires

francophones d’Afrique qui pour la plupart était plus ou moins assimilés à des « nationaux » français. Les

effets du décret-loi de 1939 bâillonnant les organisations associatives étrangères et résilié en 1982,

s’appliquaient alors plus nettement aux Camerounais qu’aux autres Africains francophones, impactant ainsi les modes de grégarité à l’origine de la structuration d’une combinaison socio-spatiale à caractère

diasporique. 8 Les confusions en cours en matière de gestion des chancelleries à l’étranger sont ainsi de nature à tenir à distance la quasi-totalité de ces combinaisons socio-spatiales par le biais entre autres, du refus d’exercice

du droit dévolu à la citoyenneté camerounaise à travers la participation aux différents scrutins en vigueur

dans le pays d’origine. La principale raison en cela reste la profonde mutation des pratiques relevant de l’instance politique en vigueur au sein de la formation socio-spatiale de départ ne trouvant absolument plus

d’écho au sein de cette combinaison socio-spatiale.

Repenser la promotion du tourisme au Cameroun

I.1. Une diasporisation à tropisme originellement hexagonale aux

effets contrastés de retour en pays d’origine : de l’omniprésence

des instances politique et idéologique dans la production du

tourisme des racines

Carte 2 : Présence camerounaise en en pays européens de l’OCDE à la fin des années

1990

Les enjeux de formation ont ainsi très tôt conditionné les trajectoires des

flux migratoires d’origine camerounaise (Kamdem, 2009). Il s’agissait

originellement d’une migration pour formation et études (Bouly de Lesdain,

1999). Elle avait pour principal but la suppléance et à terme la relève de la

puissance coloniale. C’était donc tout naturellement que les infrastructures

éducatives et académiques de l’Hexagone étaient mises à contribution pour

l’accueil des migrants camerounais. L’apogée de ce tropisme sera atteint à la

fin des années 1980, période pendant laquelle la France réajustera

sérieusement sa politique migratoire. Par ailleurs, l’internalisation des

formations et le renforcement de structures locales adéquates ont eu le temps

de rendre le pays de moins en moins dépendant de l’externalisation des

formations sans que la qualité soit cependant au rendez-vous (Ela, 1998).

Repenser la promotion du tourisme au Cameroun

Des besoins d’externalisation continuaient alors de progresser avec une

très forte implication des diverses composantes de la société camerounaise

(Kamdem, 2009). On assistait ainsi au renforcement des facteurs

indispensables à la mise en diasporisation, d’autant que les instances

géographique et économique constituant l’infrastructure de la formation

socio-spatiale d’accueil s’y prêtaient fort bien.

La fin des années 1980 produit alors un effet « d’otages par destination »

(Dumont, 2007) d’une bonne frange de cette population d’étudiants dont une

importante partie était déjà prise de doute et d’hésitation dès le début de cette

décennie 1980 ouverte sur un contexte économique et politique peu viable au

Cameroun9.

I.2. De l’éclatement du tropisme hexagonal à une nouvelle diffusion

européenne de la diasporisation camerounaise

Le tropisme hexagonal a ainsi été longtemps piloté par les instances

idéologique et politique de cette combinaison socio-spatiale. Elles ont

contribué à l’élaboration et au renforcement des stratégies migratoires de

Camerounais dont l’un des dispositifs déterminants s’avère être le mouvement

associatif en migration. Malgré les diverses péripéties ayant jalonné sa mise

en œuvre, l’espace associatif des migrants camerounais s’est en définitif

élaboré sur des acquis sociétaux du pays d’origine où la prééminence

communautaire voire tribale sur l’esprit républicain a fini par être

institutionnalisée10

. Dès lors, la notion de « pays » indispensable à l’expansion

du tourisme des racines, s’est ainsi dotée d’une intense charge affective au

substrat purement idéologique et tribal11

. Ce qui explique la recrudescence et

la prédominance des regroupements affinitaires sur fond tribal dans

l’élaboration de l’espace associatif camerounais dans l’Hexagone (Kamdem,

2008).

Le renforcement croissant de ce tissu associatif traduit autrement non

seulement une tendance à la fixation en pays d’accueil, mais aussi une

stratégie d’adaptation aux restrictions des mobilités inhérentes aux

orientations politiques françaises en matière de gestion des faits migratoires.

Ces restrictions et limitations ont donné lieu à la prospection de nouvelles

destinations migratoires gravitant alors autour de l’Hexagone. Cette

redistribution autour de l’Hexagone s’accompagne des pratiques adoptées, en

l’occurrence l’élaboration de structures associatives sur des bases

sensiblement similaires.

9 En effet, les années 1980 s’ouvrent sur l’impact de la détérioration des termes de l’échange économique

mondial au Cameroun ainsi que sur une sévère crise politique avec bain de sang lors des diverses tentatives

de push de 1983 et 1984. 10 Fixation des concepts d’allochtonie et d’autochtonie dans la constitution de juin 1996. 11 Voir le concept de « pays organisateur » d’Atéba Eyene (2009)

Repenser la promotion du tourisme au Cameroun

Cependant, la faiblesse des effectifs dans ces nouvelles destinations

européennes moins marquées par les pesanteurs géo-historiques que la France,

procure plutôt une forme d’affectivité où la notion d’appropriation territoriale

ne se traduit pas de la même manière. Le caractère affinitaire des

constructions associatives s’y exprime alors sur une échelle nettement plus

nationale que régionale en France, voire clanique et tribale en Île-de-France.

Cette dimension nationale davantage déconnectée des mécanismes des

instances politique et idéologique de la formation socio-spatiale en pays de

départ tend à confiner cette diasporisation dans une orientation nettement plus

humanitaire et sociale. Les politiques d’accueil et d’intégration

(particulièrement les politiques de nationalité) dans ces nouvelles destinations

y contribuent tout autant. Ces caractéristiques bien souvent enregistrées dans

les destinations latines d’Europe sont davantage exacerbées dans les

destinations anglo-saxonnes préfigurant le troisième type de diasporisation

s’orientant vers l’Amérique du Nord.

Figure 1 : Evolution des créations annuelles par types d’associations camerounaises

enregistrées en France de 1997 à 2007

Sources : base de données Journal Officiel français

I.3. Symbolique des vacances en lieux de départ et d’accueil, et

ancrage du tourisme des racines dans la diaspora camerounaise

Bien que les deux pays constituant l’Amérique du Nord développent des

politiques d’accueil et d’intégration différentes, un paramètre majeur reste

déterminant dans la production du tourisme des racines. Il s’agit de l’instance

géographique, marquée par des distances autant matérielles que culturelles

régissant alors la mise en œuvre du tourisme des racines des migrants

camerounais. Cette instance affecte ainsi l’intensité et la fréquence des

déplacements rendus onéreux du fait non seulement de la distance réelle mais

Evolution des créations annuelles par types d'associations camerounaises

enregistrées en France de 1997 à 2007

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Années

Eff

ecti

fs

affinitaires

humanitaires

économiques

religieuses

politiques

Repenser la promotion du tourisme au Cameroun

aussi de la marginalisation du territoire d’origine par rapport à la géographie

des transports aériens et des principaux flux touristiques ordinaires. Le soutien

à la famille immédiate devient alors le lien majeur avec le pays d’origine que

la naturalisation exclusive dans le cas des Etats-Unis, principale destination

nord-américaine, vient à fragiliser davantage. Le tourisme des racines acquiert

de ce fait un caractère plus consumériste qu’affectif, évoluant

progressivement vers les réalités de la formation socio-spatiale du pays

d’accueil où une très ancienne diaspora africaine (les Afro-américains) semble

en être précurseur12

. Les caractéristiques majeures du tourisme des racines en

particulier et du tourisme en général s’accélèrent au sein de cette combinaison

socio-spatiale, le ludique prenant de plus en plus le pas sur les déplacements

utilitaires encore fréquents au sein de cette catégorie en Europe.

Telles sont dans l’ensemble les éléments déterminants de l’essor du

tourisme des racines au sein du courant migratoire camerounais, dont les

diverses postures et pratiques contribuent certainement à sa fixation. Pour

mieux le comprendre, nous prendrons appui sur des travaux que nous avons

menés au sein de la plus importante combinaison socio-spatiale de cette

origine en œuvre en Ile-de-France. Bénéficiant du prodigieux essor de

l’espace associatif dans la formation socio-spatiale d’accueil, la diaspora

camerounaise d’Ile-de-France a ainsi développé et entretenu des us et

pratiques de nature à promouvoir fortement le tourisme des racines tout en

renforçant le caractère identitaire fort en contradiction avec le processus

institutionnel d’intégration visant exclusivement à l’assimilation. Dans cet

ordre d’idée, l’espace associatif de ces migrants met à leur disposition une

panoplie d’outils devant leur permettre de forger cette identité en diaspora. Au

rang de ces outils, figurent des idéologies territoriales bien nourries par des

postures quasi exclusives en matière de destination des vacances que

renforcent les stratégies matrimoniales et pratiques culturelles dominantes.

II. Idéologie territoriale spécifique et expansion du tourisme des racines

Fondue dans un ensemble de croyances, us et pratiques ancrés de manière

affective et appropriative dans un espace précis, l’idéologie territoriale se

trouve pour cette combinaison socio-spatiale vissée de manière multiscalaire

en pays d’origine.

Dans le cadre des croyances et représentations diverses, le baromètre se

situe plus dans les postures d’ensemble en ce qui concerne la structuration

sociale traditionnelle. Dans l’ensemble, la majorité de ces migrants

camerounais tendent à s’inscrire plus ou moins en phase avec l’organisation

12 On enregistre actuellement aux USA un engouement certain des Afro-américains à la recherche de leurs

origines lointaines comme l’attestent les travaux du biologiste Rick Kittles sur les recherches en génétique humaine, valorisées sous l’enseigne « African Ancestry », et revivifiant ainsi une ancienne diaspora dont

l’impact en matière de tourisme des racines s’avère considérable.

Repenser la promotion du tourisme au Cameroun

traditionnelle bien que l’implication directe dans son fonctionnement ou sa

revivification en cas de dépérissement ne les interpelle que très faiblement.

Ainsi l’adhésion aux associations concernant 55% des membres de cette

population en Ile-de-France est majoritairement souscrite dans les structures à

caractère identitaire qui, dans plus de 80% des cas, renvoie à une inscription

territoriale en pays d’origine (Kamdem, 2007). C’est donc dans ce registre

que se forgent les volontés de perpétuation de l’ordre traditionnel en pays

d’origine, ici soutenue à plusieurs titres par les diverses occasions festives que

procurent entre autres les acquisitions de titres de notabilités effectuées en

terroir d’origine.

Plus qu’à des symboles de survivance de cette culture, on assiste

généralement à un prosélytisme essentialiste à base clanique, tribale ou

ethnique, voire quelques fois nationale. Les facteurs primordiaux d’une

opérationnalité du tourisme des racines ainsi mis en œuvre, se renforcent alors

des aspirations à la réification des langues maternelles (Kamdem, 2007) que le

recours aux habitudes alimentaires vient naturellement compléter.

Planche 3 : Soirée de célébration d’acquisition de titre de notabilité traditionnelle dans un

pavillon privé en Ile-de-France. Décors, mobiliers, ornements et postures vestimentaires sont

mobilisés dans une optique de réification des valeurs traditionnelles. Les attributs royaux sont alors mis en exergue par des chefs traditionnels et notables établis en région parisienne.

Photos : Pierre KAMDEM, 2005.

Planche 2 : Une vedette camerounaise (à gauche) résidant en Ile-de-France comme la majorité

d’entre elles, anime à l’aide d’instrument traditionnel adapté (au centre), une soirée de consécration du jeune notable (à droite) dont le décor a été soigneusement élaboré en

conséquence. Photos : Pierre KAMDEM, 2005.

Repenser la promotion du tourisme au Cameroun

Par conséquent, l’espace associatif s’érige en lieu privilégié de

construction et de structuration identitaire où s’opère la mutualisation des

informations indispensables au projet identitaire en filigrane. Le substrat

affinitaire de ces divers espaces associatifs tend à irriguer les connexions vers

le pays d’origine, en soutenant de manière assez efficace les diverses

occasions de voyage de ses membres en pays d’origine à travers des

mécanismes particuliers de solidarité13

. Ces mécanismes s’adossent ainsi sur

l’un des principaux temps forts de ces organisations associatives que sont les

tontines. Elles sont différemment structurées à l’intérieur de chaque

association, afin de parvenir à l’intégration de la quasi-totalité de ses

membres.

Figure 2 : Vacances de Camerounais d’Ile de France : leurs destinations principales et

fréquences

Sources : Enquêtes de terrain 2002-2003

13 Les associations disposent de caisses de solidarité obligatoires aux montants variés en fonction des

ambitions du groupe en termes de réponses aux sollicitations des membres.

Planche 4 : La variété des mets proposés se doit d’opérer un rappel à la mémoire collective,

revêtant un caractère cathartique (à gauche). Au centre, ‘miondo’ ou bâtons de manioc au premier plan servent d’accompagnement au ‘ndolè’ et boulettes de viande épicées, avec en

arrière plan, du 'kondré', ragoût de banane plantain aux épices du terroir dont certains mets sont

symbolisés par leurs contenants tels que celui du taro taillé de manière rustique dans un tronc de

kolatier ici à droite. Photos : Pierre KAMDEM, 2005.

Repenser la promotion du tourisme au Cameroun

C’est aussi là que se déploient les stratégies d’insertion socioéconomique

de ces migrants à travers la consolidation des trajectoires de consommation au

cœur desquelles s’inscrivent les produits du pays d’origine. A ce fait, les

expériences de réseaux d’approvisionnement et de faisceaux de divers lieux

de consommation (culturels, cultuels et économiques) s’y échangent

allègrement dans une optique de consolidation du projet commun. C’est en

cela qu’une trame d’économie ethnique s’essaye à divers moments. L’une des

meilleures réussites en la matière reste les divers services de transfert de toute

nature (messagerie, fret et fonds) et de voyage principalement pour vacances

bien souvent à destination du pays d’origine, consolidant ainsi le mécanisme

du tourisme des racines. En quoi ces voyages pour vacances contribuent-ils au

façonnement du tourisme des racines ?

III. Des voyages pour vacances différemment ancrés en lieu de départ et

en lieu d’accueil.

III.1. Symbolique des vacances en lieux de départ et d’accueil, et

ancrage du tourisme des racines dans la diaspora camerounaise

Moulée dans la culture de sa principale puissance coloniale, la société

camerounaise s’est très tôt structurée autour des vacances scolaires. En effet,

l’éducation qui fut très tôt la principale tâche du dominateur d’alors, imposa

un rythme des vacances assis sur le programme scolaire de la métropole.

Ainsi, malgré son incohérence climatique et sociale, la période estivale en

métropole fut alors retenue dans les territoires sous domination pour

l’exécution de ce droit acquis en 1936. Cette structuration s’imposait alors à

tous les secteurs d’activité de l’époque entièrement tenus par des acteurs et

opérateurs coloniaux dont le précieux retour estival en métropole14

allait

produire son pendant auprès des différents agents locaux principalement issus

de l’exode rural naissant. Ainsi, se mettait en place le fameux « retour au

village » (Kengne Fodouop, 2004) dont l’ampleur suivait le dynamisme

urbain et ses transformations de mode de vie, synchrone à l’expansion

démographique dont il était porteur. N’assistait-on probablement pas ainsi

dans ces contrées à la mise en place des bases d’un nouveau paradigme

géographique aujourd’hui formalisé sous le concept de tourisme des racines,

si tant il est que nous nous en tenions à sens le plus élargi de la définition du

tourisme, sans toutefois abonder dans la confusion de l’organisation mondiale

du tourisme (Duhamel, Knafou, 2007) ?

14 La préciosité de ce retour estival en métropole pour les colons s’appuyait sur deux raisons majeures. La

première relevait de la compensation de l’effet nostalgique rendu plus rude encore à vivre par l’éloignement de l’époque dû à la faiblesse des moyens de communication d’alors. La seconde raison beaucoup plus

pratique était liée aux conditions climatiques et leurs répercutions négatives sur le vécu au quotidien, la

forte saison d’hivernage tropicale étant aussi celle de la recrudescence des épidémies de paludisme, véritable fléau sanitaire dans cette zone où cette combinaison socio-spatiale en aura payé un très fort tribut

lors de sa mise en place (Ngongo, 1982).

Repenser la promotion du tourisme au Cameroun

En effet, ces retours de citadins aux villages n’avaient nullement pour

intention une quelconque implantation immédiate dans ces campagnes. Ils

consistaient plutôt à jeter un pont culturel entre la ville et la campagne, cette

dernière étant alors investie en ressource récréative réciproquement

transformée par les pratiques urbaines de ces visiteurs d’un autre genre. Ceux-

ci s’érigeaient ainsi entre autres en véritables passeurs culturels dont la

dimension économique à travers les flux financiers mobilisés dans le cadre de

l’économie « présencielle » du fait de la nouvelle donne économique, jouait

un rôle capital dans l’effet de rééquilibrages territoriaux (Davezies, 2008).

N’était-ce aussi déjà pas là les prémisses locales de l’effet de « genre

commun » attribué au tourisme « infusant » actuellement la société-Monde

selon Michel Lussault (Duhamel, Knafou, 2007) ?

Ces transformations s’opéraient alors sur une base de construction

culturelle à finalité identitaire pour les progénitures des citadins nées en ville.

Elles s’attribuaient aussi la vocation de reconstruction culturelle aux finalités

identiques pour les migrants eux-mêmes, dans une perspective de

réconciliation et de réadaptation aux valeurs traditionnelles. Celles-ci usaient

alors de différentes panoplies telles les pratiques alimentaires et

matrimoniales. C’étaient ainsi, entre autres, l’occasion de renouer avec les

mets locaux et leurs méthodes de cuisson pour certains, les pratiques

authentiques des langues maternelles, et les retrouvailles aboutissant aux

stratégies matrimoniales spécifiques pour d’autres (Ghomsi, 1981). Telles

étaient donc certaines des principales démarches guidant les retours aux

villages résolument ancrés dans une démarche d’acquisition de marqueurs

identitaires forts, jadis supposés authentiques dans ces contrées. C’était aussi

l’occasion de nombreuses festivités diverses (fiançailles, mariages, passages

de rites initiatiques traditionnels et de divers congrès des ressortissants de

l’extérieur revenus à cet effet) entretenant alors des convivialités que l’on

perdait progressivement en milieu urbain.

Figures 3 : Adhésions aux pratiques traditionnelles camerounaises, et moyens de

transmission des us et coutumes en Ile de France :

Repenser la promotion du tourisme au Cameroun

Ces divers mécanismes alimenteront une puissante reproduction sociale en

migration plus lointaine que l’on retrouve actuellement au sein de la diaspora

camerounaise. Ici, les liens pratiques avec les villes d’origine où se situent

bien souvent les points de départ de la majorité de ces migrants de la diaspora

restent prédominants. La quasi-totalité de ces membres de la diaspora relève

d’une origine urbaine (Kamdem, 2007), progénitures urbaines des principales

grandes villes camerounaises jadis imprégnées de cette pratique de tourisme

domestique de leurs parents, précurseurs du tourisme des racines actuel. C’est

en fait ce qu’illustrent entre autres non seulement les profils

socioprofessionnels des parents de migrants camerounais d’Ile-de-France,

mais aussi le profil matrimonial d’ensemble confirmant alors une forme

d’endogamie ethnique dont on pourrait attribuer la permanence aux retours en

pays d’origine, telle que l’affirment bons nombres de ces personnes

concernées.

On en vient ici à avancer l’hypothèse entre autres d’un tourisme nuptial

constituant alors dans ce cas précis une sous-catégorie du tourisme des

racines. En effet les artifices mis en œuvre pour aboutir ce pèlerinage nuptial

s’accomplissent suivant un rituel hybride associant pratiques traditionnelles

sous les auspices du mariage coutumier et pratiques importées faites de

festivités diverses dans la foulée du mariage civil et en plus pour certains, du

mariage religieux. A cet effet, de nombreuses relations sont ainsi mobilisées

non seulement dans une optique de célébration du mariage en soi, mais aussi

dans une finalité de célébration territoriale. Les migrants semblent ainsi avoir

à cœur de s’inscrire de manière effective et efficace dans leur territoire

d’origine. Cette stratégie s’observe alors dans la mise en scène des diverses

délégations de tout horizon migratoire dont l’ampleur et la ferveur s’avèrent

toujours très significatives.

Ces grands moments de liesses collectives à caractère cathartique se

doivent de renforcer les convictions identitaires de ces migrants. Cependant,

ces derniers se trouvent bien souvent confrontés aux difficultés d’offres en

Figures 4 : Origines ethniques de partenaires en relations amoureuses de

Camerounais d’Ile-de-France

Sources : Enquêtes de terrain 2002-2003

Repenser la promotion du tourisme au Cameroun

matière de supports touristiques principaux que constitue l’hébergement

(Tchindjang, Kengne, 2003). En ce sens, la mise à contribution des structures

familiales et amicales impulsée dès l’émergence de ce courant migratoire

semble accuser un sévère repli depuis un certain temps, particulièrement

depuis l’accélération des flux en début de la dernière décennie du 20ème

siècle. Ce repli s’attribuerait autant au fait des comportements acquis en

migration fortement épris d’individualisme, qu’aux rivalités et conflits larvés

hantant les relations avec les « sédentaires ». C’est en cela qu’émergent

depuis un certain temps, de nombreux investissements immobiliers

résidentiels de migrants autant dans les villes que dans les campagnes, bien

souvent celles dont sont originaires les maîtres d’œuvre.

Il s’agit ainsi de sérieux palliatifs en matière de carences infrastructurelles

pour ce type de tourisme dont les usages en viennent à produire une nette

spécificité en matière d’habiter touristique. En effet, les pratiques liées à ce

type de tourisme ne s’accommodent nullement pas des offres d’hébergement

en cours dans le tourisme ordinaire somme toute déjà très restreintes dans ces

contrées depuis de longues dates (Handy, 1992). Par ailleurs, ce type de

touristes devient à ce titre un puissant acteur économique dans ce secteur

d’activité où il revêt des casquettes multiples. Il s’avère ainsi être producteur

d’infrastructures touristiques dont on peut alors imaginer les répercussions

économiques dans de nombreux secteurs induits, au même titre qu’il se trouve

impliqué dans les mutations sociales aux travers de ses us et pratiques

quotidiens bien souvent transposés dans ses lieux de séjours touristiques. Ce

sont autant de points qui, cernés grâce aux outils conceptuels de formation

socio-spatiale et combinaison socio-spatiale, nous permettent d’exhumer les

caractéristiques de tourisme des racines inhérentes aux pratiques des vacances

de Franciliens d’origine camerounaise.

III.2. Effet « métabolique » des formations socio-spatiales sur

les combinaisons socio-spatiales et perspectives du tourisme des

racines au Cameroun

Le caractère occlusif exhibé voire parfois revendiqué et défendu par les

combinaisons socio-spatiales lors de leur mise en place n’a cependant rien

d’hermétique. Il se lézarde plus ou moins rapidement au gré des

enchevêtrements des relations avec la formation socio-spatiale d’accueil. A ce

propos, Di Méo et Buléon estiment que, des divers échanges issus des

pratiques communes des lieux du quotidien, surviennent des transformations

mutuelles plus ou moins marquées, bien souvent au détriment de la

combinaison socio-spatiale alors fragilisée par sa faible durée et une absence

de formation sociale à la fois ample et diversifiée (Di Méo, Buléon, 2007). A

ce titre, la combinaison socio-spatiale se trouve selon eux plus éphémère que

la formation socio-spatiale dans laquelle elle s’insère. Ainsi, dans la

Repenser la promotion du tourisme au Cameroun

perspective du tourisme des racines, les vacances et le logement secondaire

s’avèrent ici d’une importance capitale.

Véritable institution issue des mutations sociales de la première moitié du

20ème siècle dans les pays industrialisés, les vacances rythment à leur

manière le quotidien des Franciliens. Leur caractère légal explicitement gravé

dans le droit du travail, est jalousement protégé par des groupes sociaux

fortement structurés principalement dans les corps syndicaux. Il est aussi

farouchement défendu par des groupes économiques dont les activités

relèvent des loisirs et temps libres, bref des éléments inhérents à la

consolidation du secteur du tourisme. A ce titre, la pratique des vacances

imprègne progressivement les habitudes de la combinaison socio-spatiale

camerounaise en Ile-de-France. Les grandes transhumances qui animent gares,

aérogares et autoroutes franciliens et français en périodes de vacances

impactent certainement les représentations et imaginaires des migrants

camerounais autant qu’ils agissent sur leurs pratiques en la matière.

C’est en cela que les départs en vacances des Camerounais de la région se

concentrent aussi massivement en période estivale, non seulement pour des

raisons pratiques dans la mesure où cette période connaît un très fort

ralentissement des activités dans la région, mais aussi du fait d’un

prolongement des habitudes héritées en la matière des pratiques en cours au

pays d’origine. L’unisson de la combinaison socio-spatiale camerounaise

d’Île-de-France et sa formation socio-spatiale d’accueil se trouve ici complété

par d’autres pratiques telles que les possessions de résidences secondaires.

Avec une estimation de l’ordre de 10% de son parc résidentiel, la France

passe pour détentrice du record mondial en la matière. De nombreux

spécialistes y voient une pratique généralisée dans la société française

(Dubost, 1998), pratique à laquelle ne semble pas déroger les Franciliens

d’origine camerounaise. En effet, ils sont ainsi à près de 46% à affirmer

disposer d’un logement secondaire autant à titre de propriété que

d’hébergement familial ou amical, qu’ils situent pour 96% d’entre eux au

Cameroun (Kamdem, 2007).

Ce qui nous permet ainsi d’avancer l’hypothèse d’une intériorisation des

pratiques en cours dans la société d’accueil avec une mise en œuvre à travers

le tourisme des racines. En effet, bien qu’évidents et assez conséquents, les

potentialités et atouts du pays en termes de tourisme ordinaire ne parviennent

toujours pas à soutenir efficacement le décollage attendu de la destination

camerounaise (Handy, 1992 ; Tchindjang et Kengne, 2003), en dépit des

espérances miroitées par le premier rang mondial qu’occupe sur le plan

économique ce secteur générant près de 10% des activités économiques

mondiales (Lozato Giotart, 2008) ! Ce qui interpelle ainsi à la prospection

d’autres leviers supplémentaires que le tourisme des racines serait en capacité

de procurer. Ce constat s’appuie entre autres sur les méthodes statistiques

destinées à rendre compte de l’activité du tourisme au Cameroun, reposant

alors principalement sur les décomptes de visas court séjour délivrés par les

Repenser la promotion du tourisme au Cameroun

chancelleries camerounaises de l’étranger ainsi que ceux obtenus aux

frontières aériennes et terrestres du pays.

Figure 5 : Evolution du nombre de dossiers de demande de naturalisation et des

décisions prononcées de 1986 à 2001 en France.

Source : Ministère français de l’emploi et de la solidarité, DPM.

Or, un fait reste fort remarquable, à savoir celui de la fréquence de plus en

plus accrue des visites au pays de Camerounais de naissance, juridiquement

ou par filiation. Ces visites sont par ailleurs soutenues par l’accélération des

flux migratoires en provenance du Cameroun, associées aux politiques

d’intégration à caractère majoritairement assimilationniste dans les différents

pays d’accueil. Le caractère assimilationniste des principaux pays d’accueil

est davantage renforcé par une politique d’exclusion à la citoyenneté

camerounaise au regard de la disposition légale du 11 mai 1968 proscrivant la

pluri-nationalité au Cameroun. En effet, tout Camerounais porteur d’une

nationalité supplémentaire se voit systématiquement opposé l’obtention d’un

visa pour l’entrée sur le territoire. Ce qui explique en partie l’aubaine

touristique qu’affiche progressivement le pays, en témoigne le rythme soutenu

de naturalisation de ses ressortissants à l’étranger (Figure 5). Ce rythme

semble croître autant que les chiffres officiels en matière de tourisme, ainsi

qu’une frilosité voire une certaine réticence institutionnelle à prendre en

compte ces diverses combinaisons socio-spatiales.

Par ailleurs, ces effets se ressentent actuellement à deux niveaux dans le

ciel camerounais en termes de transport aérien. D’une part, ils sont relayés par

la sévère concurrence que se livrent depuis quelques temps de nombreuses

compagnies aériennes pour la conquête du ciel camerounais, alors que le

Evolution du nombre de dossiers de demande de naturalisation et

des décisions prononcées de 1986 à 2001.

0

200

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1999

2000

2001

Années

Eff

ectifs

Refus Accords Total dossiers déposés

Repenser la promotion du tourisme au Cameroun

tourisme ordinaire s’y trouve paradoxalement de plus en plus handicapé par

des enjeux géopolitiques, politiques, sociaux et sécuritaires défavorables.

Carte 3 : Taux de naturalisation de Camerounais dans les pays de l’OCDE à la fin du 20ème

siècle

C’est dans ce registre que s’inscrit la défiguration des sites touristiques

balnéaires tels que Kribi ou Limbé par des infrastructures industrielles et plus

particulièrement pétrolières dans une zone d’insécurité permanente que

constitue le golfe de Guinée. C’est aussi le cas de l’instabilité quasi-chronique

sévissant dans les pourtours du lac Tchad, liée autant aux crises

environnementales qu’aux récurrents troubles politiques secouant tous les

autres pays riverains; la déferlante insécuritaire qui en résulte se traduit dans

les faits par le caractère endémique du phénomène de coupeurs de routes

écumant le Septentrion abritant alors de nombreuses réserves et sites naturels

voués au tourisme ordinaire. Dans le même ordre d’idée, s’observe une

instabilité sociale dont les manifestations de février 2008 en constituent une

des illustrations récentes. Cette instabilité s’avère liée aux difficultés

structurelles inhérentes à la faible maturité politique du pays.

D’autre part, ces effets se perçoivent aussi dans la ferme volonté affichée

par les pouvoirs publics camerounais à remettre en fonctionnement la défunte

compagnie aérienne nationale dont il n’est de secret pour personne que la

Repenser la promotion du tourisme au Cameroun

quasi-totalité de sa clientèle relevait de cette diaspora. En effet, du fait des

diverses turpitudes qui ont octroyé à cette entreprise le doux sobriquet

d’ « Air Peut-être », la fidélité de sa clientèle ne dépendait plus que d’un lien

affectif au logo de la Cameroon Air Lines minée par des scandales de gestion

de tout ordre, dont le rôle identitaire n’était cependant pas à sous-estimer.

Somme toute, à la lumière des outils conceptuels que sont les formations

socio-spatiales et les combinaisons socio-spatiales, il nous apparaît que la

quête identitaire de la diaspora camerounaise s’opère entre autres à travers la

mise en œuvre de mécanismes stimulateurs du tourisme des racines dont nous

avons ainsi pu percevoir l’impact dans le soutien du secteur touristique du

pays d’origine. La perspective d’évolution des combinaisons socio-spatiales

vers une insertion (parfois métabolique) dans les formations socio-spatiales

d’accueil s’avère être à terme un véritable levier pour ce secteur dans ce pays

qui malgré les nombreux atouts lui conférant affectueusement son statut

d’ « Afrique en miniature », peine encore à sortir des ornières en la matière.

Pour ce faire, une véritable stratégie en matière de politique du tourisme se

devra d’être mise en place. Elle s’imposera ainsi de viser principalement sa

diaspora en terme de clientèle touristique à même de divulguer, voire diffuser

la destination Cameroun auprès des consommateurs du tourisme ordinaire de

leur pays d’accueil.

De ce qui précède émergent quelques suggestions fondamentales de nature

à accompagner efficacement la promotion du tourisme au Cameroun, tant

dans sa dimension conceptuelle, que dans sa mise en œuvre pratique. Au-delà

de la rengaine habituelle exhortant à juste titre à la réévaluation en profondeur

des politiques de recherches et formation ainsi que d’investissement et

d’aménagement du territoire, des mesures significatives se doivent d’être

prises afin de stimuler cette source de développement en général, et plus

particulièrement de développement touristique dans le champ novateur du

tourisme des racines que constitue les combinaisons socio-spatiales

camerounaises à caractère diasporique.

Ainsi, la suppression des visas opposés à une frange de cette catégorie

pour l’entrée sur le territoire national s’avère être la mesure la plus immédiate

et la plus efficace en termes de déploiement des visites alimentant les

décomptes touristiques. Les lourdeurs administratives entourant ces

procédures d’obtention de visas inhérentes entre autres à une gestion

consulaire non des moins perfectibles à souhait, constituent un des freins

majeurs à la mobilité de ces potentiels touristes des racines. L’entretien avec

ces personnes met au premier plan les tracasseries consulaires comme

principal frein aux voyages familiaux d’agrément au Cameroun. Le coût du

visa en lui-même perçu exorbitant vient enfoncer le clou, étant entendu que

ces personnes reproduisent en pays d’accueil les schémas familiaux de leur

Repenser la promotion du tourisme au Cameroun

pays d’origine, tout du moins en ce qui concerne la taille des familles

(Kamdem, 2007). Pour exemple, de la France il vous en coûtera 92 à 100

euros par personne pour un séjour maximum de 90 jours ! Une piste de

recherche s’ouvre ici sur le plan économique afin de mettre en lumière les

impacts d’une telle mesure de suppression de ces visas, autant en termes de

stratégies de fiscalité de compensation qu’en termes de développement réel de

cette niche touristique et ses répercussions sur l’activité du tourisme

camerounais dans son ensemble.

Par ailleurs, dans le train des mesures impératives se situe aussi la réforme

du code de la nationalité concernant cette catégorie de personnes dont les

prémisses pourraient alors passer par la mise en place assez urgente d’un

statut particulier de la diaspora à l’image de bons nombres de pays émetteurs

de migrants internationaux15

. Une fiscalité spécifique fortement incitative

orientée vers cette catégorie de population est à penser et à intégrer à ces

diverses mesures qui se doivent d’être impulsées à très brève échéance à

l’image de pays tels que l’Inde, le Mexique, le Ghana ou Israël (Maimbo,

Dalip, 2005), si le Cameroun escompte tirer partie d’un secteur d’activité

aussi dynamique par ailleurs, à même d’accompagner valablement le

développement national.

Dans le même ordre de perspective, la réification des stratégies de

célébration territoriale qui émergent des fêtes, festivals et congrès divers jadis

fréquents dans ces contrées et actuellement remis au goût du jour renforcerait

davantage le développement de ce secteur d’activité. En effet, la quête

identitaire des diverses composantes de la diaspora camerounaise nourrissant

les évènements tels que le Ngondo des peuples Sawa, le Nguon des peuples

Bamoun, le Lam des peuples Bamilékés et bien d’autres encore, mérite en ce

sens une attention particulière, autant entre autres de la part des chercheurs,

des décideurs politiques et économiques, du fait de leur aptitude avérée à

contribuer au développement local au titre de puissants patrimoines culturels

(Violier P., 2008), produits par excellence du tourisme des racines.

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15 L’Inde fait office de modèle spécifique dans le genre. A défaut de généraliser la double nationalité à tous

ses ressortissants à travers le monde (Leclerc E, 2005) dont une frange relève de la génération issue de

« coolie trade » ayant suivi la vague abolitionniste de l’esclavage du 19ème siècle, ce pays a développé un système de double citoyenneté différencié. Ce système a été établi en 2003, à la suite des travaux de la

Haute Commission de la Diaspora indienne mise en place en 2000. Le résultat patent s’est traduit entre

autres par la position du pays au rang de premier bénéficiaire mondial des transferts de fonds des migrants internationaux en 2004 soutenu par une fiscalité différenciée (Maimbo S, Ratha D., 2005), ainsi que par un

fort déploiement du « root tourism » (Leclerc E., 2005).

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