archÉologie navale expÉrimentale: synthÈse des reconstructions de navires mÉditerranÉens...

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2e année de Master Sciences humaines et sociales Archéologie Archéologie des périodes historiques (ED 112) ARCHEOLOGIE NAVALE EXPERIMENTALE SYNTHESE DES RECONSTRUCTIONS DE NAVIRES MEDITERRANEENS ANTIQUES UFR 03 Histoire l'art - Archéologie Mémoire préparé sous la direction de Mr Eric Rieth et de Mr François Villeneuve Présenté et soutenu par Romain Fougeron Année universitaire 2013/2014

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2e année de Master

Sciences humaines et sociales Archéologie

Archéologie des périodes historiques (ED 112)

ARCHEOLOGIE NAVALE EXPERIMENTALE SYNTHESE DES RECONSTRUCTIONS DE NAVIRES

MEDITERRANEENS ANTIQUES

UFR 03 Histoire l'art - Archéologie

Mémoire préparé sous la direction de Mr Eric Rieth et de Mr François Villeneuve

Présenté et soutenu par Romain Fougeron

Année universitaire 2013/2014

2

La trière Olympias quittant l’île de Poros pour Corinthe à la rame, 1992 (Alexandra Guest)

3

“ On lance le vaisseau à la mer... Leur premier soin fut d'entourer le vaisseau, suivant le conseil d'Argus, d'un câble bien tendu pour assujettir la charpente et la fortifier contre la violence des flots. Ils creusèrent ensuite depuis la proue jusqu'à la mer, un fossé d'une largeur suffisante et dont la pente augmentait toujours de plus en plus. On le garnit de pièces de bois bien polies, et on inclina la proue sur les premières, afin qu'emporté par son propre poids et poussé par la force des bras, le vaisseau glissât facilement. On retourna les rames et on les attacha plus fortement aux bancs. S'étant ensuite rangés autour du vaisseau, ils appuyèrent contre les extrémités des rames leurs bras et leur poitrine. Tiphys, monté sur la poupe, donna le signal en jetant un grand cri. Au même instant, chacun déploie toutes ses forces; le vaisseau s'ébranle, un dernier effort le pousse en avant, il glisse avec rapidité. On le suit en courant et en jetant des cris de joie. Les poutres gémissent et crient sous le poids, une épaisse fumée s'élève dans les airs, le vaisseau se précipite dans les flots...“

Apollonios de Rhodes, Argonautiques, I, 27 (trad. Jean-Jacques Antoine Caussin)

4

Remerciements:

Je tiens à remercier tout d'abord Monsieur François Villeneuve et Monsieur Eric Rieth pour

m'avoir proposé ce travail de recherche, pour leurs conseils et leur suivi tout au long de l'année.

Je voudrais exprimer toute ma reconnaissance à Pierre Poveda (docteur en archéologie navale

de l'Université d'Aix-Marseille) qui m'a permis de participer à une navigation expérimentale à bord du

Gyptis et qui durant cette navigation a pu m'apporter des éléments de réponse sur des questions

d'ordre méthodologique ayant trait à l'archéologie navale expérimentale.

Je souhaite également adresser toute ma gratitude à Patrice Pomey (directeur de recherche

émérite au CNRS, Centre Camille Jullian), avec qui j'ai pu m'entretenir à bord du Gyptis lors de la

descente du Rhône.

Enfin, je désire remercier tous mes proches pour leur soutien indéfectible mais surtout pour

leur aide dans mon important travail de relecture et de correction, ô combien indispensable.

5

SOMMAIRE

INTRODUCTION p.6

I- L’ARCHEOLOGIE NAVALE EXPERIMENTALE : APPARITION ET EVOLUTION

1.1 Premier témoignage : une origine française p.11

1.2 L’ «Ecole» scandinave : un modèle dans l’expérimentation navale p.14

1.3 Les années 1980 : période de grands projets en Méditerranée p.18

1.4 L’archéologie navale expérimentale aujourd’hui en Méditerranée p.20

II- QUELLE(S) METHODE(S) POUR L’ARCHEOLOGIE NAVALE EXPERIMENTALE ?

2.1 Les enjeux et les problèmes p.24

2.2 Une évolution dans les méthodes? p.30

2.3 L’apport de l’informatique dans les reconstitutions p.31

2.4 Les méthodes : ce qui détermine une réplique d'une « hypothèse flottante » p.35

III- BILAN ET CRITIQUE DES PROJETS

3.1 Les répliques navigantes p.44

3.2 Les hypothèses flottantes p.56

3.3 Autres programmes p.69

CONCLUSION p.81

GLOSSAIRE p.84

BIBLIOGRAPHIE p.85

TABLE DES ILLUSTRATIONS p.93

6

INTRODUCTION

7

’archéologie navale expérimentale est une discipline qui a pris naissance au XIXe siècle en

France à l’époque du Second Empire et qui apparaît presque concomitamment avec

l’archéologie navale. A cette époque, l’archéologie navale antique n’en est qu’à ses balbutiements, bien que

le premier grand traité d’histoire de la navigation antique ait été rédigé en 1536 par Lazare de Baïf12. Mais

on considère que les premiers grands travaux - qui selon les termes de Patrice Pomey - « poseront les bases

de l’archéologie navale en tant que discipline d’étude des navires et de la navigation antiques », reviennent à

l’historien français Augustin Jal qui fut l’auteur en 1840 d’un ouvrage s’intitulant Archéologie navale. A

vrai dire, les recherches et les travaux à cette époque s’appuient essentiellement sur des sources historiques

comme les textes anciens et/ou des sources iconographiques (bas-reliefs par exemple). Il est donc encore, à

cette date, difficile de parler réellement d’archéologie navale. Néanmoins ces premières grandes études

portant en majorité sur les navires de guerre antiques vont aboutir à des tentatives de reconstitution de ce

type de navires. Or, il apparaît difficile à cette époque d’avoir une idée précise des techniques mises en

œuvre pour construire de tels navires. Ce manque de précisions est notamment dû au nombre restreint de

sources auxquelles les historiens avaient accès. En effet, la majorité des travaux s’appuyaient comme nous

l’avons vu plus haut sur des sources textuelles et iconographiques qui pouvaient présenter un problème

d’interprétation, le problème majeur étant celui de la crédibilité que l’on peut accorder à l’auteur ancien

quant à ses réelles connaissances du milieu marin sans oublier la place qu’ a pu prendre son imagination

dans son récit. De plus, les textes anciens ont pour principal inconvénient d’être peu précis sur le plan

technique bien qu’ils aient tout de même l’ avantage de nous donner des éléments non négligeables sur la

navigation car ils témoignent de la vie quotidienne à bord et de la façon dont étaient accomplies certaines

manœuvres. Les sources iconographiques ont, quant à elles, l’avantage de donner une idée générale sur la

forme du navire, ainsi que des détails importants sur le système de nage, le gréement et l’appareil de

gouverne . Ces sources présentent néanmoins des difficultés d’interprétation, du fait de l’absence d’une

échelle de référence sans compter que parfois la dextérité de l’artiste peut laisser à désirer.3 On notera qu’à

cette époque, hormis quelques exemples bien précis4, les sources directes5 sont quasi absentes car les

moyens techniques étaient loin d’être aussi développés qu’aujourd’hui. Il n’existait à l’époque aucune

possibilité de mener des investigations en milieu aquatique. Et pourtant, la pauvreté et le mutisme des

sources n’ont pas empêché que soient menées des études très poussées sur les navires antiques.

1 Il s’agit du premier grand ouvrage s’intitulant De re navali connu démontrant l’importance de la navigation de la période antique 2 P.Pomey, 1997, p.6 3 ibid 4 Voir note 6 5 Par « sources directes » nous entendons l’étude à proprement dite d’épaves comme éléments archéologiques

L

8

Il faudra attendre les années 1950, pour que l’archéologie sous-marine - développée grâce à l’amélioration6

du scaphandre autonome en 1943 par l’ingénieur Emile Gagnan et le commandant Jacques-Yves Cousteau-

permette l’étude directe d’épaves qui faisait cruellement défaut jusqu’à lors7. Ainsi on peut dire que le

développement de l’archéologie sous-marine a permis de donner un nouveau souffle à l’archéologie navale.

Le présent travail n’a pas vocation à retracer l’histoire de l’archéologie navale mais plutôt à

replacer l’archéologie navale expérimentale dans cette discipline car aujourd’hui l’une ne va pas sans l’autre.

Mais si de nombreuses épaves ont été découvertes ces quarante dernières années, la reconstruction grandeur

nature de navires antiques demeure très limitée. En effet, ces projets sont extrêmement coûteux et

chronophages. Ils nécessitent l’intervention de nombreux spécialistes (archéologues, architectes navals,

charpentiers de marine, etc.) , ils obligent à entreprendre de nombreux essais, à construire des maquettes afin

de comprendre et de s’approprier les techniques de construction qu’il faut le plus souvent tenter de retrouver.

L’archéologie navale expérimentale a pour but de reproduire de façon conforme un navire afin d’en

comprendre le principe de construction, l’aspect physique et la tenue en mer, pour en comprendre également

la fonction et comment se faisait la navigation aux époques anciennes. Or, si les débuts de la reconstruction

de répliques se faisaient à tâtons, aujourd’hui, comme nous pourrons le voir au cours de ce travail, cette

discipline reste très encadrée et doit respecter des protocoles bien définis à l’avance. On notera qu’un projet

d’expérimentation navale nécessite la contribution active d’une multitude de disciplines telles que

l’archéologie, l’histoire ou l’ethnologie, pour n’en citer que quelques unes. Dans cette recherche, nous ne

détaillerons pas toutes les maquettes ayant servi à la reconstitution de navires pour des projets

expérimentaux (montage de la maquette, essais dans des bassins), ni-même des éléments de navires

reconstruits en grandeur nature. Ces aspects ne seront pas développés, mais simplement mentionnés, car il

n’est pas question ici de tout cataloguer de manière exhaustive. Néanmoins une recherche approfondie sur

les reconstructions de navires méditerranéens pour la période antique sera menée. Cette recherche permettra

de cataloguer tous les travaux d’expérimentation ayant abouti à une reconstruction afin d’y apporter une

analyse critique. Nous verrons que certains projets ont donné lieu à de nombreuses publications scientifiques

et sont aujourd'hui bien connus dans le monde de l'archéologie navale expérimentale; on pense, par exemple

à la reconstruction d'un navire marchand grec du IVe siècle le Kyrenia II, ou encore à la reconstruction d'une

trière grecque de l'époque classique, l'Olympias. Mais d'autres projets sont difficiles à recenser car ils n'ont

pas bénéficié d’un suivi scientifique très poussé ou n'ont donné lieu qu'à un nombre restreint de publications.

Pour ces derniers, il est donc difficile de connaître la légitimité scientifique de leur étude expérimentale.

6 L'invention du scaphandre autonome revient au commandant Yves Le Prieur 7 le propos mérite d’être quelque peu nuancé car la découverte d’épaves en milieu terrestre est attestée au XIXe siècle. Telle la découverte de la galère dite de César à Marseille en 1864 ; ou encore la découverte de navires funéraires vikings en 1859 et 1880. Néanmoins les découvertes de ce type à cette époque sont exceptionnelles.

9

Pour mener à bien notre étude, il conviendra dans un premier temps de retracer une chronologie

de l'archéologie navale expérimentale en essayant de comprendre l'élément déclencheur dans la volonté de

reconstituer en grandeur nature un navire des temps anciens. Toujours dans cette première partie, nous

déterminerons l'évolution de cette discipline et nous en définirons les objectifs actuels au regard des objectifs

du passé. Dans un second temps nous nous attacherons à étudier et à comprendre la méthodologie appliquée

permettant l'élaboration de la reconstruction d'un navire antique. Nous verrons qu'il y a un protocole stricte à

respecter; c'est notamment le respect de ce protocole qui permettra de définir si la reconstruction est une

réelle "réplique navigante" ou si au contraire il ne s'agit que d'une réplique hypothétique et dans ce cas nous

parlerons plutôt d'une "hypothèse flottante"8. Nous verrons également dans cette partie l'importance donnée

aux nouvelles technologies – tel le recours à l'informatique - qui ont permis de révolutionner les méthodes et

permettent aujourd'hui de gagner un temps précieux pour les reconstitutions de navires. Enfin la dernière

partie de cette recherche permettra de dresser un bilan complet des projets de reconstruction de navires

antiques de la Méditerranée. Cette partie s'attachera à être la plus exhaustive possible et donnera lieu à une

analyse critique de ces reconstructions.

8 les termes de "réplique navigante " et d"'hypothèse flottante" sont la traduction des termes définis par Sean McGrail Replicas et Hypothetical reconstructions

10

PARTIE I

L'ARCHEOLOGIE NAVALE

EXPERIMENTALE :

APPARITION ET EVOLUTION

11

1.1 Premier témoignage : une origine française

C'est en France sous le Second Empire qu'est entreprise la première expérience de

reconstitution d'un navire antique à l'échelle 1. Il faut savoir qu’au XIXe siècle, de grandes découvertes

ont permis d’augmenter considérablement le nombre de documents figurés. Ainsi de nombreux vases

grecs archaïques qui représentent des navires sont retrouvés dans des nécropoles étrusques. A cela

s’ajoute une date importante : le 12 septembre 1834, jour où sont découvertes les « inscriptions

navales », lors des travaux sur le Pirée. Ces inscriptions de la période hellénistiques (377 – 323 av. J.-

C.), ont la particularité de dresser des inventaires de trières athéniennes et de leurs équipements9. On

note qu’au XIXe siècle l’agencement des rames des trières grecques ou trirèmes romaines est au centre

de toutes les préoccupations. En effet, de nombreux historiens navals et architectes, essayent de

reconstituer les différents systèmes de nage des navires antiques de guerre dont font mention les

sources anciennes. Ainsi, John Charnock essaya de reconstituer et d’apporter des solutions aux

problèmes que pouvaient représenter le système de nage de la trière voire de la tessarakontère (navire à

quarante rangs de rames), navires forteresses tant décrits pour la période hellénistique qui semblaient

se détacher des autres navires de la même époque par leur dimension impressionnante. Cette obsession

de vouloir comprendre comment fonctionnaient et comment étaient agencés les différents rangs de

rames d’une trière donna lieu à la première expérience d’archéologie navale expérimentale. En effet

Napoléon III, qui portait un intérêt tout particulier à l’histoire de Rome et notamment au personnage de

Jules César10, demanda au grand historien de la marine de cette époque Augustin Jal d’effectuer des

recherches pour permettre la reconstruction d’une véritable trirème romaine en collaboration avec

l’ingénieur naval Dupuy de Lôme qui fut également l’inventeur du vaisseau à hélice et du cuirassé11.

Le but était de vérifier si l’hypothèse, avancée par Jal sur l’agencement des rangs de rameurs d’une

trirème, était valable.12Nous reviendrons plus en détail sur l’étude de la Trirème Impériale13dans la

dernière partie de ce mémoire où nous établirons un bilan de toutes les reconstructions, que nous

commenterons. L’intérêt de cet exemple réside dans le fait que nous avons à faire à une première

reconstruction complète d’un navire ancien. La démarche certes innovante, présentera néanmoins

9 L.Basch, 1987, p.25 10 E.Rieth, P.Pomey, 2001, p.239 11 L. Ba sch, 1987, p. 31 12 Jal, à la demande de l’empereur Napoléon III, rédigea un mémoire en 1861, s’intitulant La Flotte de César, dans lequel il proposa un arrangement des rangs de rameurs ; arrangement qui sera donc repris dans la reconstruction de la trirème. 13 Nom donné à la réplique

12

quelques lacunes et n’aura pas le succès escompté. Cependant, cette première reconstitution marquera

les débuts de l’archéologie navale expérimentale.

Revenons sur la démarche et les questions qui ont abouti à cette reconstruction. Afin de

vérifier une hypothèse, il fallait essayer de comprendre le fonctionnement d’un système, d’un

agencement : c’est en réalité ce qui définit l’archéologie expérimentale, et c’est ce que ceux qui ont

reconstitué la Trirème Impériale ont fait. Cette réflexion préalable à toute reconstruction est

nécessaire encore aujourd’hui avant de se lancer dans un projet d’archéologie navale expérimentale.

Ainsi à travers cette première véritable expérience, les bases de cette nouvelle discipline - partie

intégrante du domaine de l’archéologie navale - sont posées14. Cette étude de l’historien Jal, s’appuya

sur des sources bien peu nombreuses, au regard du projet. Ces sources étaient principalement

littéraires15 et concernaient la disposition des rangs de rameurs ; pour définir l’allure de la galère il

s’appuya sur des données iconographiques. Le recours à si peu de sources, s’explique notamment par

la pauvreté du corpus iconographique et archéologique disponible à cette époque. Ce témoignage a

failli tomber dans l’oubli, mais heureusement des études récentes ont permis de le faire renaître et de

lui redonner la place qu'il mérite en considérant qu’il marquait indubitablement le point de départ de

l’histoire de l’archéologie navale expérimentale.

Il est intéressant de noter que l’apport des sources directes ne semblait pas encore être

primordial à cette époque malgré deux occasions qui se sont présentées d’étudier un véritable navire

antique16. En effet, en 1864, soit trois années après la reconstruction de la Trirème Impériale, des

fouilles sur le site du port antique de Marseille ont permis la découverte d’une épave dont la quille

faisait 17 mètres de long17, mais l’étude approfondie de celle-ci ne fut entreprise qu’ un siècle plus tard

par C. Varoqeau. L’autre épave antique, découverte en Corse en 1777 et sur laquelle l’amiral Pâris18

s’était penché jusqu’à en publier les plans ainsi que l’histoire, a du attendre 1973 pour être finalement

étudiée par Lucien Basch. Ces deux exemples confirment bien le peu d’intérêt porté à l’étude directe

des sources archéologiques. On peut se demander si le mauvais état des épaves est à l’origine du

désintérêt des historiens de l’époque qui peut-être préféraient se référer à l’iconographie comme étant

une source plus sûre plus fiable. Il est possible que ces épaves leur soient apparues comme des

sources muettes, donc peu valables19car impossible d’en tirer parti en l’absence de méthodes pour les

14 Une étude plus approfondie de la trirème de Napoléon III sera menée en dernière partie de ce travail ; cette première partie se bornant à retracer l’histoire de cette discipline. 15 Les sources seront développées en dernière partie 16 L.Basch, 1987, p.31 17 Epave qui porta le nom de Galère de César 18 Officier de marine français du XIXe siècle, connu pour ses travaux sur la construction navale, pour son approche ethnographique des modes de construction navale dans le monde et pour son rôle dans l'organisation du Musée National de la Marine 19 Il s’agit d’une réflexion personnelle

13

étudier. Quoiqu’il en soit, aucune avancée significative en archéologie navale n’eut lieu pendant une

grande partie du XXe siècle car malgré un corpus de sources plus importantes, l’accès aux données

archéologiques (épaves), n’était pas encore possible.

Figure 1 Trirème antique de Napoléon III en cours de construction sur le chantier naval d'Asnières - Vue latérale de la poupe (photographie Comte Aguado Olympe- 1861)

14

Figure 2 Trirème antique de Napoléon III en cours de construction, vue latérale (photographie Comte Aguado Olympe - 1861)

1.2 L’ « Ecole » scandinave20 : un modèle dans l’expérimentation en archéologie navale

Peu de temps après l'expérience de Napoléon III, en 1880, une fouille d'un tumulus en Norvège,

plus exactement dans la ferme de Gokstad à Sandfjord, a permis la découverte d'un navire viking très

bien conservé. Cette découverte a permis d'envisager la reconstruction d'une réplique. Comme le

souligne Eric Rieth21, les fouilles scandinaves qui ont permis de mettre au jour des navires vikings

depuis 1859 (avec les fouilles de Nydam) et le Gokstad en 1880, montrent à quel point les

archéologues scandinaves étaient en avance sur leur temps, de par leurs techniques et leurs méthodes

pour fouiller ces sites.

La découverte de l'épave du Gokstad par Nicolay Nicolaysen, navire funéraire, dont la fonction

première était de servir au transport mais aussi au combat, lance la première expérience d'archéologie

navale expérimentale à partir d'une source archéologique. En ce sens, les Scandinaves sont les

précurseurs de cette discipline, qui nous le verrons se développera largement un siècle plus tard. Bien

que les navires médiévaux et ceux en-dehors de la Méditerranée, ne rentrent pas dans le sujet, il

semble important d'évoquer l'apport en archéologie navale expérimentale de cette célèbre "école"

scandinave, qui, encore aujourd'hui apparaît comme la plus compétente, mais diverge de l'"école"

anglo-saxonne qui se développe à partir des années 197022.

Ce navire du Gokstad, long de 23,5 mètres et large de 5,3m, visible au musée des navires vikings à

Oslo, dont la dendrochronologie donne comme datation environ 895 apr. J.-C., donnera lieu à la

20 le terme d"école" est évoqué par E.Rieth, 2012 pp. 6-7 21 E.Rieth, 2012 p.7 22 Ce point sera développé plus largement par la suite, car il est intéressant et représente un élément clé pour comprendre l'archéologie navale expérimentale aujourd'hui

15

première réplique d'un "drakkar"23. Qu'est-ce qui a suscité à une telle entreprise? Pour commencer, la

découverte d’une épave en très bon état permet d’obtenir de précieux renseignements sur les

techniques de construction, sur la forme du navire ainsi que sur sa taille. Ces éléments facilitent

grandement une opération d'archéologie navale expérimentale. Le fait de trouver des navires en bon

état de conservation sur les sites scandinaves n'est pas nouveau, et aurait déjà pu permettre des études

expérimentales. L'idée de la construction d'une réplique du navire de Gokstad commença à se

développer dès l'année 1889. L'élément déclencheur du projet fut l'ouverture d'une exposition en 1892

à Chicago consacrée à la célébration des quatre-cents ans de la découverte de l'Amérique par

Christophe Colomb. En effet, une rumeur courait en Norvège, qu'à l'occasion de cette exposition, une

réplique du navire de Christophe Colomb, la Santa Maria, serait exposée. Ainsi la Norvège, voulut

démontrer que cinq-cents ans avant Christophe Colomb, les Vikings possédaient des navires capables

de traverser l'Atlantique. Les scientifiques à cette époque, s'appuyaient sur les sources écrites que sont

les sagas des Groenlandais et d'Eric le Rouge, datant du XIIIe siècle. Ces textes anciens, relatent les

expéditions vikings en Atlantique nord, avec une occupation de l'Islande, du Groenland et de

l'Amérique du Nord. Au XIXe siècle, il n'y avait pas encore de témoignages archéologiques

confirmant la présence d'une implantation viking en Amérique du Nord (actuel Canada). Ainsi, douze-

mille couronnes norvégiennes sont réunies pour financer le projet. La direction est attribuée à Magnus

Andersen qui obtient le grade de Capitaine du Gokstad. La construction est confiée à Chr. Christensen,

Ole Wegger et au charpentier de marine Carlsen. La plus grande partie du navire fut construite en bois

de chêne. La construction de la réplique fut terminée au cours de l'hiver 1893. Le 30 avril 1893, le

Viking24 effectue la traversée de l'Atlantique Nord. Il mettra 28 jours a effectuer la traversée. Par cette

expérience, on assiste à une première mondiale en terme d'archéologie navale expérimentale; d'une

part il s’agit de la construction d'une réplique effectuée entièrement d'après des sources

archéologiques à laquelle vient s’ajouter l’utilisation des sources historiques afin d’effectuer une

navigation expérimentale confirmant ainsi la faisabilité d’une traversée de l’ Atlantique à l’aide des

embarcations Vikings de l’époque.

23 terme commun pour nommer les navires vikings, ce mot signifiant "dragon", était souvent représenté en figure de proue. Mais ce nom, ne définit en aucun cas un type de navire en particulier. 24 Nom donné à la réplique du bateau de Gokstad

16

Par la suite d'autres opérations auront lieu. Notamment en 1904 avec la découverte du navire

d'Oseberg. Mais c'est surtout en 1962 grâce aux fouilles du site de Skuldelev dans le fjord de Roskilde

au Danemark et la découverte de cinq bateaux du XIe siècle que l’archéologie navale expérimentale va

prendre de l’ampleur

Cette découverte fut le point de départ d'une opération d'archéologie navale expérimentale d'une très

grande envergure, qui n'a encore jamais été égalée. En effet, la remarquable préservation des vestiges

et l'arrivée de nouvelles méthodes en archéologie navale, notamment la dendrologie et les

connaissances accumulées par un siècle de découvertes de navires médiévaux scandinaves, vont mettre

les équipes scandinaves sur le devant de la

scène internationale du point de vue de

l'archéologie navale expérimentale, mais aussi

dans le monde de l’archéologie navale. En

effet, le premier à introduire les notions de

construction « sur bordé » et construction

« sur squelette » (cf sur membrure*) est O.

Hosslöf, dans son article Wrecks, Archives

and Living Tradition en 1959. Il va ainsi

« modifier radicalement l’analyse de la

construction navale 25». Le grand spécialiste

Ole Crumlin-Pedersen sera à la tête de cette

initiative et sera le fondateur du célèbre musée

des navires vikings de Roskilde. Ainsi après

des études approfondies des cinq épaves de

Skuldelev, un programme de reconstruction

sera entrepris entre 1982 et 2004. Ce

programme fera l'objet de nombreuses

publications scientifiques et vulgarisation pour le grand public, sous forme de documentaires

notamment. Mais il s’agit surtout d’une application minutieuse des méthodes de construction en

respect de la tradition scandinave26qui donne à cette école une parfaite authenticité de leurs répliques.

25 P.Pomey,2001, p.618 26 A ce propos, il est intéressant de signaler que la tradition de la construction navale scandinave ne s'est pas perdue contrairement à celle de la Méditerranée antique

Figure 3 Le navire du Gokstad photographié lors de la fouille de 1880 (photographie: Université du Musée National des Antiquités, Oslo, Norvège)

17

Skuldelev 1

(vers 1030)

Skuldelev 2

(1042)

Skuldelev 3

(vers 1030)

Skuldelev 5 Skuldelev 6

(vers 1030)

Nom de la réplique Ottar Havhingsten

Fra

Glendalough27

Roar Ege Helge Ask Kraka Fyr

Année de

construction de la

réplique

1998-2000 2000-4 1982-4 1990-1 1998

Nature/fonction

du navire

Marchand de

type « long-

courrier »

type : knarr

Navire de guerre

connu sous le

nom de skeio

Marchand/Fret Navire de

guerre

type connu

sous le nom

de snekkja

Navire de

fret

Equipage 5 à 8 hommes De 60 jusqu’à

100 guerriers

5 à 6 hommes Environ 30

guerriers

4 à 5 hommes

Ci-dessus Tableau 1 Répliques des navires de Roskilde28

27 Connu aussi sous le nom de Sea Stallion 28 Tableau effectué d’après les données de Damgård-Sørensen (T.), « Les bateaux de Skuldelev (Roskilde) et leurs répliques modernes », in Ridel (E.) (dir.), L’Héritage maritime des Vikings en Europe de l’Ouest,Colloque international de la Hague, Presse universitaire de Caen,1999, pp.1999-227. Et d’après Johansen (R.), « The viking ships of skuldelev » in Bennett (J.) (ed.), Sailing into the Past : Learning from Replica Ships, Seaforth publishing, 2009, p. 62.

18

Figure 4 Photo des cinq répliques des bateaux de Skuldelev en 2006. Photo issue de Archéothema, n°18, jan-fév. 2012

1.3 Les années 1980: période de grands projets en Méditerranée

L'archéologie navale expérimentale, commence à connaître un large succès à partir des années

1980. Ces importants projets d'archéologie navales expérimentales ont donné lieu à de nombreux

suivis scientifiques pour certains, tandis que d'autres sont passés presqu'inaperçus. De plus, des projets

plus anciens, datant des années 1950 et 1960 ont été quasiment oubliés et masqués par les années 1980

mais ne doivent pas être négligés, car ces projets "oubliés" ont un rôle à jouer dans l'historiographie et

l'évolution de l'archéologie navale expérimentale. On peut citer par exemple le norvégien Thor

Heyerdhal, navigateur anthropologue et archéologue, connu pour ses navigations expérimentales, à

19

travers la célèbre expédition du Kon-Tiki29en 1947 ou encore celle du Râ II30en 1969. Thor Heyerdhal,

inspirera notamment Tim Severin31 lors de ses "aventures" sur l'Argo.

Face à cette "école" scandinave, une autre "école" se développe, celle de John Coates, qui aura

un point de vue différent sur l'archéologie navale expérimentale. Ces deux "visions" sur « comment

faire de l'archéologie navale expérimentale », vont s'"affronter" au travers de nombreuses publications

scientifiques32, qui se développent largement à partir des années 1980 et jusqu'aux milieux des années

1990. Ainsi, les années 1980, vont apparaître comme des années fastes pour l'archéologie navale

expérimentale, avec les reconstructions de navires antiques méditerranéens, tels le Kyrenia II ou

encore la trière Olympias. Cet engouement pour cette discipline, réside essentiellement du fait, qu'on

assiste a de plus en plus de découvertes archéologiques en milieu marin et spécialement en

Méditerranée; l'archéologie sous-marine est alors en plein essor et les découvertes d'épaves sont de

plus en plus fréquentes.

L’intérêt pour les navires antiques n'est pas l’apanage exclusif des archéologues et historiens,

mais aussi celui des amateurs passionnés qui n'hésitent pas à faire construire des navires aux allures

anciennes, sans toutefois s’appuyer sur un programme scientifique rigoureux. C'est le cas notamment

du navire d'André Gil-Artagnan et sa pseudo-réplique d'un navire égyptien des temps pharaoniques.

Ou encore Tim Severin, passionné par la mythologie, notamment par les aventures de Jason et

d’Ulysse, qui fait reconstruire un navire, l'Argo, afin de retracer les itinéraires de ces héros de la

mythologie grecque.

On note surtout depuis le milieu du XXe siècle, une nette augmentation des publications traitant de

l'archéologie sous-marine et navale. Ainsi en 1972 est fondée en Angleterre la revue reconnue

internationalement, The International Journal of Nautical Archaeology, bien qu'une revue plus

ancienne fondée en 1911, The Mariner's Mirror, traitant de l'histoire maritime en générale, soit

toujours d'actualité. En France, la revue Archaenautica voit le jour en 1977. Mais surtout, il convient

de mentionner les rencontres internationales qui foisonnent dans les publications scientifiques à l’instar

29 Le Kon-Tiki est un radeau construit dans la tradition des embarcations traditionnelles indiennes. Mais il s'agissait essentiellement d'effectuer une navigation expérimentale au moyen d'une embarcation rudimentaire en ralliant les îles polynésiennes au départ de la côte ouest de l'Amérique du Sud, dans l'objectif d'apporter de nouvelles connaissances et explications sur le peuplement de l'Océanie aux époques lointaines. Cette expédition a donné lieu à une publication L'expédition du Kon-Tiki, ainsi qu'à un documentaire en 1950. Désormais, le Kon-Tiki est visible au musée éponyme à Oslo. 30 Avant dernière expédition (la dernière étant l'expédition du Tigris), celle du Râ II eut lieu en 1969. Ces programmes de navigations expérimentales, relevaient plus du domaine de l'ethnologie que de l'archéologie. Thor Heyerdhal, par ces expéditions voulait apporter des explications sur les peuplements de certaines régions dans le monde et sur les influences de certaines civilisations sur d'autres. 31 Tim Severin mentionne Thor Heyerdhal dans son livre Le Voyage de Jason, p.57: "explorateur et anthropologue Thor Heyerdahl, à bord de ses répliques de radeaux égyptiens Râ et Tigris" 32 C'est notamment le cas à travers des publications d'articles dans la revue International Journal of Nautical Archaeology (IJNA)

20

de l’International Symposium on Boat and Ship Archaeology (ISBSA) depuis 1976, ou encore de

l’International Symposium on Ship Construction in Antiquity depuis 1985. Depuis les années 1950-

1960, les problèmes de la construction navale antique, longuement mis de côté33, reviennent au cœur

des débats. Les épaves découvertes n’apparaissent plus comme de simples curiosités, comme cela

pouvait être le cas à la fin du XIXe siècle et pendant une grande partie du XXe siècle. En effet, les

épaves vont devenir les sources fondamentales de l’archéologie navale. Ces nouvelles considérations

vont de ce fait, élargir et renouveler en profondeur les problématiques et les enjeux soulevés par les

scientifiques. Ainsi, des thèmes jusqu’alors peu développés, prendront une place importante et

justifieront le recours à l’archéologie navale expérimentale. Il s’agit notamment des études purement

architecturales, comme les études des structures et les modes de construction des navires antiques, de

même que des interrogations sur les qualités nautiques des navires antiques et de leur tonnage. Ces

nouvelles problématiques en amèneront d’autres ; ainsi les études sur les constructions des navires

antiques élargiront le champ des questions touchant à l’approvisionnement en bois par exemple, ou

encore à propos des matériaux et outils de construction. Toutes ces réflexions convergeront également

vers les problèmes liés à la charpenterie navale, au choix des espèces de bois et de leurs différentes

qualités. Ce sont ces questionnements qui ont permis le renouvellement de l’archéologie navale. Les

« blocages idéologiques » sont dorénavant dépassés. De ce fait, de nouvelles approches

méthodologiques sont avancées. La diversité des sources utilisées va ainsi permettre l’établissement de

rapprochements entre ces dernières, amenant un regard nouveau sur d’autres. Désormais, le croisement

des sources iconographiques et archéologiques sont possibles mais surtout nécessaires. Ce croisement

va permettre d’apporter un nouvel éclairage, par exemple à des sources littéraires. Enfin,

l’ethnographie34 et la tradition navale seront également au cœur des sources utilisées.

1.4 L’archéologie navale expérimentale aujourd’hui en Méditerranée.

Aujourd'hui, les méthodes en archéologie expérimentale sont abouties. En effet, les avancées et

les nombreuses publications des années 1980 ont permis, véritablement, d'ancrer cette discipline au

sein de l'archéologie navale. Ainsi, l'expérimentation par la reconstruction grandeur nature d'un navire

ou d'un élément particulier appartenant à un navire apparait comme la phase finale à toute étude d'un

navire retrouvé, autrement dit d'une épave. Dorénavant, l'expérimentation arrive en dernier lieu dans

l'étude des vestiges d'un navire ou d’une embarcation. Les derniers grands projets d'archéologie navale

33 Comme le souligne P.Pomey l’idée prédominante au XIXe siècle à propos de la construction navale antique était, qu’elle ne devait pas être beaucoup différente de la construction traditionnelle à cette époque. 34 La première approche ethnographique dans des études de constructions navales a été initiée par l'Amiral Pâris, dans son ouvrage datant de 1841 et s'intitulant Essai sur la construction navale des peuples extra-européens.

21

expérimentale, sont pour la France le Projet Prôtis et la reconstruction d'un navire grec archaïque le

Gyptis. En Egypte, la reconstruction d'un navire de mer égyptien de l'Age du Bronze, le Min of the

Desert. Ou encore en Turquie la reconstruction d'une birème antique, le Kybele. En parallèle, on

assiste à un développement de cette discipline pour toutes les périodes et dans tous les milieux : mer,

lacs, rivières. Le nombre d'épaves antiques découvertes dépasse les huit-cents35 pour la Méditerranée

antique. (Un panel de projets scientifiques est illustré dans L'Archéo Thema n°18 qui donne un bon

aperçu des derniers grands programmes).

Aujourd'hui il y plusieurs façons de se lancer dans l'archéologie navale expérimentale, tout dépend de

l'objectif fixé au départ, des sources étudiées et de la méthode employée. Selon ces critères, la méthode

"Coates" ou celle de "Crumlin Ole-Pedersen" sera appliquée. Ainsi pour la première méthode, les

sources utilisées importent peu, il faut avoir la même démarche que pour les sciences exactes. C'est-à-

dire qu'on doit émettre des hypothèses à partir d'éléments observés ou analysés. La formulation

d'hypothèses doit donner lieu à toute une série de tests qui seront par la suite étudiés et dont les

résultats seront publiés, ouverts au débat et à la critique. Nous développerons plus en détail cette

méthode dans la seconde partie de ce travail, mais il faut noter que cette démarche n'engendre pas

systématiquement la reconstruction grandeur nature d'un navire, mais peut s'intéresser à un élément

particulier (assemblage de la coque, système de nage, gréement, etc.) pour reconstruire grandeur nature

cet élément en particulier. Pour la seconde méthode (« Crumlin Ole-Pedersen »), les sources

archéologiques sont essentielles ; en effet sans elles (vestiges, épaves, etc.) mener une expérience

d'archéologie expérimentale est strictement impossible et toute tentative est vouée à l'échec. Cette

seconde méthode, plus concrète que la première semble l'emporter aujourd'hui en raison de sa fiabilité

scientifique. Néanmoins, comme nous aurons l'occasion de le voir par la suite, la première méthode

(Coates), semble toujours prédominer à travers certains projets (Cf Min of the Desert). Toutefois,

certains programmes sortent complètement de ces deux écoles, et ne peuvent donc prétendre à une

quelconque reconnaissance scientifique. Nous verrons en dernière partie qu'il s'agit d'une majorité des

programmes qui se prétendent d'archéologie navale expérimentale.

Cette première partie nous a permis de retracer l’histoire de l’archéologie navale expérimentale

et de replacer cette discipline au cœur de l’archéologie navale. Nous avons pu voir qu’encore

aujourd’hui, les archéologues, ne sont pas systématiquement d’accord sur la méthode à appliquer dans

les projets de reconstruction des navires anciens. Des points de vue semblent diverger entre une

volonté d’expérimenter à la manière des sciences dures, excluant l’archéologie en tant que discipline

35 http://oxrep.classics.ox.ac.uk/databases/shipwrecks_database/

22

centrale d’une part, et d’autre part, une volonté de placer l’archéologie au centre du projet

expérimental, tout en intégrant de nombreux spécialistes de différentes disciplines .

23

PARTIE 2

QUELLE(S) METHODE(S) EN

ARCHEOLOGIE NAVALE

EXPERIMENTALE?

24

2.1 Les enjeux et les problèmes

Pourquoi faire de l'archéologie navale expérimentale? Quels en sont les enjeux et les objectifs?

Nous tenterons d'apporter des éléments de réponse à travers cette seconde partie.

Tout d'abord il y a, comme nous avons pu le voir plus haut, différentes façons d’envisager

l'archéologie navale expérimentale. Une première façon, qui, pour reprendre les termes d'Eric Rieth est

plus une expérimentation par le "mot et l'image" ; cette première catégorie n'a pas forcément besoin de

s'appuyer sur des vestiges archéologiques, c'est surtout la méthode et la démarche qui sont

déterminantes. La seconde, développée par les Scandinaves, est plus liée à l'archéologie au sens propre

du terme. En effet, cette dernière, lors du processus d'expérimentation reste très proche du vestige

archéologique en effectuant une analyse complète aussi bien des matériaux que des méthodes de

construction observées, essayant de replacer l’embarcation dans un contexte socio-économique et

ethnographique précis. Nous tenterons de déterminer quelle démarche est la plus pertinente en

archéologie navale expérimentale. Le projet d’expérimentation devant mener à la reconstruction

grandeur nature d’un navire ancien doit passer par plusieurs phases. La première démarche consiste à

restituer un navire à partir de la fouille d’une épave/vestiges archéologiques. Une fois la restitution

effectuée, sous forme de maquette(s), entre autres, il est possible d’envisager une reconstruction

grandeur nature. La deuxième démarche consiste à expérimenter sans s’appuyer sur les données d’une

fouille. Cela peut être le cas par exemple, lorsqu’on s’intéresse à un élément en particulier d’un navire

et qu’on souhaite en comprendre le fonctionnement.

Toute fouille d’une épave doit permettre, dans un premier temps, d’en envisager une restitution

afin d’en appréhender l’étude. Cette restitution est une première approche expérimentale pour

permettre l’étude d’un navire en termes de machine, d’ensemble fonctionnel et d’espace de vie.36La

restitution d’un navire ne peut se faire uniquement qu'à partir de vestiges archéologiques. C’est

pourquoi, il est nécessaire d’effectuer un enregistrement le plus exhaustif possible durant la campagne

de fouilles. Plus les relevés et les enregistrements seront complets et précis, plus la restitution du

navire sera fiable. Un des objectifs de la restitution d’un navire, c’est sensiblement de retrouver la

forme qu’il pouvait avoir. En effet, les vestiges d’une épave peuvent révéler une déformation naturelle,

due à un long séjour dans l’eau, ou à la violence du naufrage et le bois peut ainsi se déformer. Cette

déformation des vestiges représentent par conséquent un frein à toute interprétation et à l’étude de

l’épave. A cela s’ajoute l’état de conservation des vestiges ; or, dans la quasi-totalité des cas, une

36 P.Pomey & E. Rieth, 2005, p.142

25

grande partie de l’épave disparaît, généralement les parties hautes du navire, les superstructures37 et les

extrémités de la coque (étrave* et étambot*). Durant le laborieux travail de restitution, il convient de

retrouver l’aspect d'origine du navire. Pour ce faire, les archéologues doivent faire appel à de multiples

méthodes telle que l’iconographie, notamment, pour appréhender ces lacunes ou encore par la

comparaison avec d’autres épaves de nature et d’époque similaire à celle étudiée, afin de permettre la

reconstitution de certaines parties absentes sur l’épave étudiée, mais attestées sur les épaves servant de

comparaison. Il y a donc les données in situ qui servent de base à toute restitution, mais insuffisantes

du fait de la conservation limitée des vestiges, ainsi que des données extérieures, qu’il faut alors

extrapoler et mettre en relation avec celles du site. La restitution peut prendre plusieurs formes, en

fonction de la qualité et de la quantité des données. Néanmoins, toute restitution doit être minutieuse et

respecter un certain nombre d’étapes, afin d’en vérifier et de valider scientifiquement le résultat. La

première méthode de restitution - largement développée par J.R. Steffy38, notamment à travers son

ouvrage qui est une référence en archéologie navale Wooden ship building and the interpretation of

shipwrecks – consiste à effectuer des maquettes de contrôle. La construction de maquettes doit suivre

également différentes étapes. La première consiste à effectuer une maquette la plus précise possible

des vestiges grâce à la pertinence des relevés. A partir de cette maquette des vestiges, il est possible de

corriger la déformation au fur et mesure de l’avancement de la restitution à travers d’autres maquettes,

donnant par la suite une idée de l’origine de la forme initiale. L’inconvénient principal du recours à

cette méthode de restitution, est comme le souligne Patrice Pomey, qu’elle n’est valable qu’à condition

que les vestiges soient dans l’ensemble homogènes mais surtout peu déformés.39 En cas de vestiges

lacunaires ou très déformés, il convient d’effectuer une ou plusieurs restitutions graphiques afin de

corriger les défauts liés à la déformation. Le résultat apporté par cette restitution devra être vérifié à

travers une maquette de contrôle. Cette vérification doit permettre de voir si toutes les parties du navire

forment un ensemble cohérent, sans écart apparent ou sans juxtaposition ni chevauchement. Une fois la

reconstitution complète de la carène établie, il faut restituer les parties disparues du navire

(superstructure, gréement, système de gouverne) ; pour ce faire il faut avoir recours à des données qui

peuvent être comparées (iconographie par exemple). Bien sûr, il ne s’agit que d’un aperçu des

méthodes permettant une restitution d’un navire à partir de vestiges. Le propos de ce travail n’étant pas

de faire un exposé approfondi des méthodes mais plutôt de donner un aperçu de la démarche globale.

37 La seule épave antique connue actuellement possédant encore des éléments de superstructure est l’épave romaine Laurons II, découverte en 1978 par Serge Ximénès. 38 John Richard Steffy fut professeur émérite à l’Institute of Nautical Archaeology de l’Université Texas A & M, dont il fut l’un des fondateurs. 39 P.Pomey & E.Rieth, 2005, p.144

26

Figure 6 Restitution (échelle 1) du système d'assemblage par ligatures de l'épave Jules Verne 9 (Réalisation R.Roman; M. Rival; CNRS; CCJ ) Image issue de P.Pomey, "Les épaves grecques et romaines de la place Jules Verne à Marseille, in Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 139e année, N.2, 1995, pp. 459-484

Figure 5 Exemple d'une maquette de vestiges. Epave Jules Verne 7. Photo CNRS/CCJ - http://protis.hypotheses.org/

27

Figure 7 Maquette de remise en forme des vestiges de l'épave Jules Verne 7. Photo CNRS/CCJ- http://protis.hypotheses.org/

28

Figure 8 Maquette de restitution final de l'épave Jules-Verne 9 - échelle 1/10e. Réalisation R.Roman. Photo Ph. Foliot, CCJ -CNRS (Image issue d'Archéologia, n°520, avril 2014)

Dans une majorité de cas, l’étape de restitution d’une épave et de sa reconstitution graphique,

par maquette ou par ordinateur constitue l’étape finale. On peut alors se demander dans quels cas a-t-

on recours à l’expérimentation à travers la reconstruction à l’échelle 1 d’un navire ? Et pourquoi les

programmes d’expérimentation sont-ils si rares, malgré le nombre important d'épaves découvertes au

cours des dernières décennies ?

L’archéologie expérimentale est rattachée à l’histoire des techniques. Cette discipline, dont

l’objectif est de reconstituer l’usage et le mode de fabrication grâce à l’analyse et à l’étude des

vestiges, permet aux archéologues d’étudier les modes de fabrications/constructions passés, ainsi que

les fonctions des objets, notamment grâce à la tracéologie40. Cette discipline, se prête particulièrement

bien à l’archéologie navale. Le fait de reconstituer un bateau/navire en grandeur nature, apporte de

nombreuses réponses quant aux procédés de construction, sur le type d’utilisation du navire, et sur la

navigation. Reconstruire un navire, aujourd’hui disparu, dont seuls les vestiges nous sont parvenus, est

souvent l’aboutissement d’un programme de recherches intenses, longues et fastidieuses. Ainsi par

exemple, l’épave du Kyrénia découverte en 1968-1969 fut reconstruite entre 1982-1985, soit

40 Cette disciple étudie les traces laissées sur des objets, permettant ainsi de restituer le type d’outil et la technique de façonnage de l'objet

29

presqu’une vingtaine d’années après sa découverte. De même, Ole Crumlin-Pedersen insiste sur la

quantité impressionnante de ressources et de temps mobilisés par les programmes sérieux

d’expérimentation en archéologie. Il précise qu’il ne faut pas ignorer cet aspect de l’archéologie

expérimentale, et nous indique qu’au Danemark, une telle entreprise ne représente pas moins de vingt

années de travail ainsi qu’un nombre conséquent de personnes mettant à disposition leur savoir, leur

professionnalisme et leur talent.41 De même, le Projet Prôtis, qui débuta par la découverte de deux

épaves grecques archaïques lors des fouilles de la place Jules Verne à Marseille en 1993, dura vingt

ans, avec la reconstruction de l’épave Jules-Verne 9 qui s’acheva en octobre 2013. Par ces exemples,

on voit à quel point les programmes d’expérimentation en archéologie navale sont longs. Cela

constitue déjà un frein au développement de ces programmes. Autre problème, qui est central, c’est le

recours à de multiples spécialisations. En effet, l’archéologue, à lui seul, ne peut entreprendre un

programme d’archéologie navale expérimentale, il est obligé de s’entourer de nombreux spécialistes,

comme les architectes navals, les charpentiers de marine, les dendrologues, les historiens, les marins,

pour mener à bien son projet. Cela implique un investissement important, comme on l’a vu, en temps,

en ressources humaines mais également en argent. De ce fait des programmes parfois ambitieux sont

abandonnés pour des raisons financières. Un exemple qu’on peut citer c’est le Projet Prôtis, dont

l’objectif premier était de réaliser la reconstruction de deux navires grecs archaïques (Jules- Verne 9 et

Jules-Verne 7). Le coût important de la plus petite réplique le Gyptis (reconstruction de l’épave Jules-

Verne 9), a fait abandonner l’idée de la reconstruction de Jules Verne 7, qui aurait dû être baptisée

Prôtis42 43.

Ces programmes longs et coûteux, s’inscrivent dans des projets menant à la réalisation de répliques

navigantes, basées sur des données archéologiques issues de fouilles. Il s’agit-là des meilleurs

procédés d’expérimentation, s’inscrivant directement au sein la méthode scandinave. Cependant, les

façons d’expérimenter sont multiples ; l’une d’elles peut prendre la forme de maquettes, la plupart du

temps reconstituées à une échelle de 1/10e et dont les performances sont testées dans des bassins de

carènes. Une autre manière d’expérimenter peut prendre la forme d’une reconstitution, également

grandeur nature d’un élément particulier d’un navire tel le système de nage, le gouvernail, ou encore

une partie de la coque afin d’en étudier et d’ en comprendre le système d’assemblage (par ligature,

tenons* chevillés dans des mortaises*, ou les deux). Pour le dernier cas deux exemples peuvent être

41 O.Crumlin-Pedersen, IJNA, 1995 p.305 42 Ainsi pouvons nous lire dans l'article de Patrice Pomey dans l'Archéothéma, 18, jan-fév.2012: "Ce sont ces restitutions qui donneront lieu aux répliques navigantes baptisées Prôtis pour l'épave de Jules Verne 7 et de Gyptis pour l'épave de Jules Verne 9." 43 "Plusieurs années seront nécessaires pour monter le projet, qui sera limité, pour des raisons financières évidentes, à la construction de la réplique navigante de la plus petite des épaves, Jules-Verne 9, baptisée Gyptis." P.Pomey, 2014, p.40

30

cités. La reconstitution grandeur nature du système de nage de la trière antique par John Coates,

architecte naval du projet The Trireme Trust, en avril 1983, avec une démonstration devant le musée

maritime de Greenwich44, en est le premier exemple. Le second est la reconstitution grandeur nature

d’un élément de la coque de Jules-Verne 9, afin de comprendre et d’expérimenter la technique

d’assemblage par ligatures, caractéristique de cette épave.

Figure 9 Démonstration du système de nage d'une trière antique. J.S. Morrison; J.F.Coates-1983

2.2 Une évolution dans les méthodes ?

L’historiographie de l’archéologie navale expérimentale, montre comme nous l’avons vu en

première partie qu’il existe deux façons de mener un projet de reconstruction en grandeur nature d’un

navire ancien. La description et la justification de ces méthodes ont été ancrées, véritablement dans les

années 1980 avec les nombreux projets d’archéologie navale expérimentale, avec d’une part la

reconstruction d’une épave grecque classique le Kyrénia II, grâce aux plans et maquettes réalisés par

J.R. Steffy , ou encore avec le navire du projet Roar Edge, reconstruit à partir des données recueillies

44 J.S. Morrison & J.F. Coates, 1986, p.16

31

lors des fouilles de Skuldelev , et d’autre part le projet The Trireme Trust, dirigé par J.S. Morrison et J.

F. Coates, qui a permis la reconstruction d’une trière, l’Olympias, d’après des études iconographiques

et la comparaison de données archéologiques issues de fouilles d’épaves antiques. Aujourd’hui, nous

sommes encore tributaires de ces travaux et réflexions développés et fixés depuis la fin des années

1980 au début des années 1990. Le choix de la méthode qui s’offre aux archéologues est donc limité

en fonction du problème posé initialement, des objectifs fixés à atteindre, et surtout en fonction des

vestiges archéologiques et des données qui lui sont parvenues. C’est le choix de la méthode et de la

nature des sources utilisées qui détermineront si la reconstruction est une « réplique navigante », ou

s’il s’agit d’une « hypothèse flottante ». La description complète de ces deux méthodes sera détaillée

au cours de la dernière sous partie de ce chapitre, car elle sera mise directement en rapport avec le

bilan des reconstructions qui sera dressé dans la dernière partie de ce travail.

2.3 L’apport de l’informatique dans les reconstitutions

L’évolution des méthodes, ne se traduit pas uniquement par l’évolution de la démarche mais

également par les outils dont dispose l’archéologue. L’arrivée des nouvelles technologies, aussi bien

pour l’analyse des épaves mais aussi pour les reconstitutions, représente une avancée capitale pour les

archéologues spécialisés en archéologie navale. Cela se traduit par un gain de temps considérable

pour l’enregistrement des données, dans leur optimisation tout autant que dans la quantité de données

traitées. Ainsi différentes techniques, telle la photogrammétrie permettent de numériser le site

archéologique en 3D facilitant de ce fait l’étude à terre grâce à des logiciels spécialisés. De plus, cela

donne une vision d’ensemble du site ainsi qu’une meilleure visibilité sur certaines particularités que

l’archéologue-plongeur n’aurait pas forcément perçues durant la fouille. Ce procédé est notamment

très utile pour l’archéologie sous-marine, car il constitue un moyen efficace de surpasser les

contraintes liées au milieu subaquatique dont la pression en fait partie. Pour ce qui est de la restitution,

la numérisation des relevés d'une épave permet d’en effectuer une restitution 3D par ordinateur, ainsi

que d’effectuer des tests hydrostatiques et de performances par simulation. L'outil informatique

représente par conséquent une grande avancée, voire une révolution, car il permet à la fois de gagner

un temps précieux pour les reconstitutions, en limitant l'usage des maquettes de contrôle, en facilitant

la correction d'un ou de plusieurs défauts qui pourraient survenir, et enfin en limitant les coûts

puisque désormais les essais peuvent se faire directement par calculs informatiques, sans

nécessairement avoir recours aux bassins de carènes.

32

Il est intéressant de noter à ce propos que les restitutions en 3D d'épaves antiques, ainsi que les calculs

des tonnages, des qualités et des performances nautiques45 ont fait l’objet d’une thèse récente.

45 Thèse de P.Poveda, Le navire antique comme instrument du commerce maritime : restitutions 3D, tonnage, qualités nautiques et calculs hydrostatiques des épaves : Napoli A, Napoli C, Dramont E et Jules-Verne 7, Université Aix-Marseille CCJ, décembre 2012.

Ci contre exemple de photogrammétrie d'un site archéologique sous-marin. Epave de Gnalic, Croatie. Pierre Drap. http://nauticalarch.org/blogs/gnalic-project/

33

Figure 10 Exemple de restitution 3D par ordinateur. Epave Napoli C - réalisation P. Poveda, CCJ-Université Aix-Marseille

34

Figure 11 Exemple de restitution 3D par ordinateur. Epave Napoli C - réalisation P. Poveda, CCJ-Université Aix-Marseille

35

Figure 12 Restitution de la forme d'un carène d'un navire antique - Napoli C - par ordinateur. Centre Camille Jullian, P. Poveda, R. Roman 2009 - http://ccj.cnrs.fr

Bien que l'outil informatique apporte une aide précieuse pour les restitutions, comme les

exemples ci-dessus le montrent, il ne remplace en aucun cas l'expérimentation matérielle

lorsque celle-ci est effectuée en grandeur nature46.

2.4 Les méthodes: ce qui détermine une "réplique" d'une "hypothèse flottante".

Les termes de réplique navigante et d'hypothèse flottante, ont été prononcés

initialement par l'archéologue naval Sean McGrail. Il explique, qu'il a entendu pour la

première fois le terme de "réplique" appliqué à l'archéologie navale en 1973, alors qu'il était

assistant conservateur au musée maritime de Greenwich47. D'après lui, il est très important de

définir les objectifs d'un projet de reconstruction d'une réplique. Ces objectifs doivent être

précis et rentrer soit dans le domaine archéologique soit dans le domaine historique. Ainsi,

toute reconstruction motivée par une "nostalgie" historique, ou encore par une "aventure

humaine" ne peut être considérée comme scientifiquement valable. S.McGrail, donne

quelques exemples de pistes d'études pouvant amener à la reconstruction d'une réplique:

concevoir, construire et utiliser une reconstruction authentique d'un type particulier de

vaisseau, a pour but d'élargir notre connaissance sur les aspects technologiques et socio-

économiques des sociétés passées. Une fois les objectifs clairement définis, alors le degré

d'authenticité à atteindre et les techniques de construction utilisées deviennent clairs, de même

46 P.Pomey, E.Rieth, 2005, p.150 47 S.McGrail in Jenny Bennett, Sailing into the past: Learning from Replica Ships, 2009, p.16

36

que les hypothèses à expérimenter et les questions auxquelles on pourra répondre grâce aux

essais en mer. Cependant, ce ne sont pas uniquement les objectifs définis au départ qui

permettront de qualifier la reconstruction de réplique ou non. En effet, ce sont les sources

utilisées afin de permettre la reconstruction d'un navire qui, en partie, statueront sur sa

qualification future. Ces sources peuvent être nombreuses: vestiges archéologiques,

iconographie à travers des monuments (bas reliefs, vases peints, fresques), à travers la

numismatique ou graffiti, fresques, sources historiques grâce aux textes anciens et sources

ethnographiques: l'étude des savoirs chez certaines populations qui peuvent permettre

certaines comparaisons, notamment sur les façons de construire, les types d'assemblage. Bien

entendu, il reste primordial de croiser ces sources. Afin d’assurer une indispensable rigueur

scientifique, la comparaison, la confrontation de nombreuses sources permettront d'obtenir le

plus de renseignements possibles sur l'aspect et le mode de construction d'un navire ancien.

Mais c'est surtout la nature de la source utilisée au départ qui permettra clairement de qualifier

la reconstruction de "réplique" ou d'"hypothèse". Ces deux termes concernent les

reconstructions propres au domaine de l'archéologie navale expérimentale ; ainsi les

reconstructions n'ayant pas fait preuve d’un suivi scientifique rigoureux ne peuvent prétendre

au statut ni de réplique ni d’hypothèse en archéologie navale expérimentale. Maintenant il

convient de définir les méthodes et les démarches permettant d'une part, la reconstruction

d'une véritable réplique et d'autre part, la reconstruction d'une réplique hypothétique.

Aujourd'hui, les archéologues s'accordent à dire que la rigueur, le respect des méthodes et du

processus d'expérimentation, assurent la crédibilité scientifique de la restitution grandeur

nature d'un type de navire disparu. Cependant, les sources utilisées pour une reconstruction

sont celles qui vont permettre de définir s'il s'agit d'une réplique ou bien d'une hypothèse. Ce

qui différencie ces deux termes - réplique et hypothèse - c'est la part de doute qui subsiste sur

l'authenticité de la reconstruction. En effet, on parlera plutôt d'une réplique lorsque la part de

doute est limitée, et, d'hypothèse, lorsque celle-ci est importante. Il est alors justifié de se

demander ce qui permet d'éliminer ou amoindrir la part hypothétique dans un programme de

reconstruction. Tout d'abord, pour être qualifiée de "réplique", la reconstruction doit s'appuyer

sur les bases de vestiges archéologiques; c'est-à-dire une épave. Cependant, cette épave doit

être dans un état de conservation suffisant pour pouvoir non seulement en restituer les formes,

mais également pour mener toute une série d'études nécessaire à son analyse, afin de

déterminer son mode de construction, le type de bois utilisé, la date approximative du

naufrage ou de la construction du navire. Cette étude se fait aussi bien sur l'épave que sur son

éventuelle cargaison. Mieux les vestiges seront correctement conservés, et plus on pourra

37

envisager une restitution fiable et par la suite une reconstruction. Pour résumer, l'étape

primordiale est donc de disposer des restes d'une épave dans un état correct de conservation.

La deuxième étape est d'étudier et d'enregistrer toutes les données issues de la fouille de

l'épave pour parvenir à sa restitution. La construction d'une réplique nécessite la succession de

nombreuses étapes que nous avons pu voir précédemment (notamment la comparaison avec

d'autres sources pour restituer les parties disparues). Ensuite c'est le processus de

reconstruction qui permettra de définir si au final, il s'agira d'une réplique ou non. Afin de

garder l'authenticité du processus de construction, il est nécessaire d'appliquer les méthodes

des anciens charpentiers de marine. Or, en ce qui concerne la Méditerranée, la tradition de

construction de navires antiques a totalement disparu. Il faut donc retrouver cette tradition.

Pour ce faire, il est nécessaire de connaître le principe de construction de l'épave devant servir

de "modèle" à la future reconstruction. Pour les navires antiques, nous savons grâce aux

nombreuses études d'épaves, que la construction se faisait selon le principe de "bordé

premier*"; cette façon d'assembler un bateau a complètement disparu aujourd'hui. Dans ce

cas, le premier principe d'expérimentation, sera de retrouver cette tradition oubliée. Il est

primordial que l'archéologue à l'initiative du projet joue le rôle de "chef d'orchestre". Il doit

guider les charpentiers de marine et les architectes navals, pour que l'assemblage du navire se

fasse dans le respect des traditions antiques. Il faudra faire particulièrement attention au choix

des essences d'arbres utilisées pour la construction du bateau. Le choix des essences est rendu

possible par à l'étude du bois des vestiges de l'épave en laboratoire. Cette étude du bois, en

amont, est très importante car les navires antiques témoignent d'une grande ingéniosité et

sont, de ce fait, très complexes car plusieurs essences de bois constituent le navire en fonction

de leur qualité et en fonction de leur utilisation en terme d'architecture48. Un ouvrage, qu'on

peut qualifier de référence, de Michel Rival49, donne de nombreux détails sur

l'approvisionnement en bois durant la période antique, sur le choix des essences et les modes

d'abattage. Un schéma de M. Rival, indique comment, de part la forme de l'arbre, cela

permettait déjà de savoir qu'elle pièce pourrait en être issue (membrure*, quille*, etc.). Il

utilise, dans ses exemples, en sus de la tracéologie (traces d'outils laissées sur le bois) pour

analyser le débitage, l'ethnographie, notamment à propos de l'équarrissage* des grumes*, dont

il compare la technique antique avec celle utilisée de nos jours dans un chantier naval

traditionnel dans le golfe persique.

48 F.Guibal et P.Pomey, "Essences et qualité des bois utilisées dans la construction navale antique: l'apport de l'étude anatomique et dendrochronologique" in Forêt méditerranéenne t. XXIII, n°2, octobre 2002, pp.91 - 104 49 M.Rival, La charpenterie navale romaine, Paris, CNRS, 1991

38

Figure 13 Equarrissage des membrures dans un chantier naval traditionnel dans le golfe persique- Photo issue de M.Rival, 1991, p.129

Ce qui en ressort, c'est que l'étude du bois (choix des essences, qualités, débitage, etc.) est un

processus complexe, long mais inévitable dans un projet de construction d'une réplique. Avant

même de réaliser la réplique, il convient de faire des expérimentations pour maîtriser

parfaitement les outils, les modes d'assemblage des éléments du navire. Ces expérimentations

préalables, se font à partir de modèles "tests" à l'échelle 1. L'objectif étant de se réapproprier

les techniques d'autrefois. C'est une fois les techniques retrouvées et maîtrisées, qu'il est

possible de se lancer dans la reconstruction de la véritable réplique. La reconstruction se fera

donc dans le respect de la tradition antique, en corrélation avec l'étude de l'épave qui doit en

rester la source principale. Néanmoins, certaines contraintes peuvent apparaître, notamment,

comme le mentionne P.Pomey, se voir dans l'incapacité de trouver les matériaux identiques à

ceux d'origine. Par conséquent, on pourra utiliser d'autres matériaux à condition qu'ils

possèdent les mêmes caractéristiques techniques. Tout comme il faudra utiliser un outillage en

adéquation avec ceux utilisés à l'époque. Certes cet outillage doit être utilisé lors des

expérimentations sur des modèles de taille réelle pour en comprendre l'usage, mais pour

gagner du temps, il est possible d'avoir recours à la force mécanique (outils électriques) lors

de la reconstruction de la réplique50. Lorsque la construction de la réplique est enfin terminée,

on peut alors se lancer dans une expérimentation de navigation, pour retrouver les techniques

50 P.Pomey, E.Rieth, 2005, p.153

39

des manœuvres antiques et s'adonner à des calculs sur les vitesses à voile à allure portante, les

vitesses à rames, la maniabilité de la voile, etc. Tout comme pour la construction, il existe des

limites à l'expérimentation de la navigation d'une réplique. Ces limites sont notamment

d'ordre sécuritaire limitant l'authenticité de la navigation antique: il en va par exemple, de

l'obligation d’être équipé d’un certain matériel de sécurité à bord, à l’obligation de limiter la

navigation selon l'état de la mer et la force du vent. Il faut bien sûr posséder une autorisation

pour naviguer émanant d'une autorité compétente (par exemple des Affaires Maritimes pour la

France). Tout ceci a pour effet de diminuer la part d'authenticité de la réplique et de la

navigation expérimentale. C'est pour cela qu'il faut au préalable définir des objectifs précis et

les respecter. Enfin, il est important que les projets de reconstruction de répliques navigantes,

aient un caractère pédagogique et soient largement diffusés pour le grand public à travers des

publications, des documentaires, des expositions et lors de journées de démonstrations comme

lors de fêtes nautiques par exemple.

Figure 14 Le Gyptis lors de l'Escale à Sète 2014 - Fête des traditions maritimes. Photo issue du journal Midi Libre

Nous venons de voir dans quels cas il est possible de qualifier une reconstruction d'un navire

ancien de réplique navigante. C'est un cheminement long, puisque cela nécessite l'étude d'une

40

épave de façon approfondie et rigoureuse, ainsi que la mise en place d'une méthode de

construction qu'il est souvent nécessaire de retrouver, et qui soit en parfaite adéquation avec

les données analysées sur l'épave. Cette démarche est considérée comme étant la plus

authentique à l'heure actuelle.

Dans certains cas, des projets de reconstruction peuvent différer par leurs démarches

et leurs méthodes tout en restant scientifiquement valables. Mais dès-lors que le programme

de reconstruction d'un navire ancien ne s'appuie par sur les vestiges d'une épave donnée, il ne

pourra être qualifié de réplique. Comme on l'a vu précédemment, c'est l'analyse de l'épave qui

est au cœur du projet, puisque c'est son étude et l'observation de certaines particularités, qui

vont orienter l'équipe scientifique - essentiellement composée d'archéologues, d'historiens, de

charpentiers de marines, d'architectes navals et de dendrologues - sur les principes de

constructions (méthodes d'assemblages). Or, en lançant un programme de reconstruction, hors

épave donnée, l'authenticité de la reconstruction est d'emblée limitée. En effet, on ne pourra

qu'émettre des hypothèses concernant l'assemblage de la coque ou le type de bois utilisé et il

ne sera jamais possible d'en avoir l’absolue certitude. C'est bien ce cumul d'hypothèses

difficiles à valider qui permettent de qualifier ces reconstructions d'"hypothèses flottantes".

Néanmoins, la démarche scientifique n'en est pas pour autant négligée. Afin de se représenter

l'aspect que pouvait avoir le navire qu'on souhaite reconstruire, le recours à diverses sources

iconographiques est nécessaire. De plus, il ne s'agit pas de reconstruire un navire antique

uniquement pour le plaisir, cette reconstruction doit être motivée scientifiquement. John

Coates, appelle ces reconstructions grandeur nature des "FSR" Full-Scale Reconstruction, et

précise qu'en raison du coût important d'une telle entreprise, il est nécessaire de justifier ce

type d'opération devant un "conseil universitaire"51. Ainsi, il est nécessaire dans un premier

temps de planifier l'expérience d'archéologie navale, en délimitant les objectifs et les

méthodes - tout comme cela est nécessaire pour la reconstruction d'une réplique. Une fois le

travail préliminaire effectué par la rédaction de plusieurs publications, et d'une présentation

du projet devant un comité scientifique, on doit réunir les sources sur lesquelles il sera

nécessaire de s'appuyer. La méthode qui est ici décrite est celle émanant de J.Coates et de

S.McGrail. Il s'agit d'une démarche s'apparentant à celle utilisée pour les sciences exactes. Les

sources utilisées sont aussi bien les sources littéraires (documentation), l'épigraphie,

l'iconographie et les fouilles archéologiques que les sciences naturelles et appliquées,

l'environnement, l'économie et l'ethnographie. Cette étape est importante, car c'est la qualité

51 J.Coates & alii, IJNA,1994,24.4,p.298

41

des attestations par l'étude des sources qui va permettre de "façonner" la reconstruction. Cette

reconstruction, cependant, ne pourra être aussi minutieuse que celle décrite pour les répliques;

le recours aux méthodes d'assemblage et de construction de l'"hypothèse" flottante se fera

notamment grâce à l'archéologie comparative. On entend par-là, la réutilisation des données

issues de la fouille d'une épave, mais aucune garantie sur l'authenticité n'est assurée52. Le but

de la reconstruction d'une hypothétique réplique, n'est pas de se réapproprier une tradition de

construction nautique aujourd'hui disparue, mais véritablement, de vérifier un "système" un

élément qu’on ne parvient pas à se représenter et à en comprendre le principe de

fonctionnement. La restitution à l'échelle 1, se fera en fonction des hypothèses émises, et des

modifications pourront par la suite être apportées en fonction des problèmes rencontrés. Cela

donnera, bien évidemment lieu à des publications et sera ouvert à la critique. La démarche scientifique

doit être respectée, bien que la rigueur soit moindre par rapport à la reconstruction d'une véritable

réplique.

Figure 15 Diagramme indiquant les différentes étapes dans un projet d'expérimentation en archéologie navale - d'après l'Institute of Archaeology - Oxford

52 A titre d'exemple la trière Olympias fut assemblée en adéquation avec ce qui a été observé sur l'épave du Kyrénia; Le problème c'est que la trière est un navire de guerre, tandis que le Kyrénia est un navire de pêche; il est à même de penser qu'il y avait une multitude de types de navires de nature et de fonction différentes, se traduisant à la fois par les formes, mais également par les techniques d'assemblage et de construction.

1

2

3

4 5

6

Etape supplémentaire

42

Cette seconde partie, a permis de montrer les différents processus,

scientifiquement valables, amenant la construction grandeur nature d’un navire antique. La

complexité de la démarche dépend de ce qui sera envisagé de reconstruire : « réplique » ou

« hypothèse ». Pour la première, on a pu voir que l’opération est très délicate car il faut

respecter au mieux les traditions, qui en ce qui concerne l’Antiquité, ont disparu et donc

pouvoir se réapproprier des techniques vieilles parfois de plusieurs millénaires. Ces projets,

présentent des contraintes en temps (opérations longues nécessitant des études approfondies

de l’épave, point de départ du projet de reconstruction) ; des contraintes également

financières, l’investissement est très important et nécessite de nombreuses subventions mais

également contraintes en terme de navigation expérimentale, avec, comme nous l’avons dit

précédemment, la nécessité, entre autres, d’être aux normes. Il s’agit-là de contraintes

majeures, qui nous le verrons à travers la dernière partie, se traduit par la rareté des

programmes de reconstruction de répliques navigantes.

L’hypothèse, bien qu’également scientifique d’un point de vue méthodique, est moins

rigoureuse sur le caractère authentique de la reconstruction. En effet, ne prétendant pas être

l’aboutissement d’une reconstruction à partir d’une épave donnée, il s’agit souvent de la

reconstruction d’un type de navire, décrit dans les textes, ou bien visible à travers diverses

représentations iconographiques. Dans ce cas, les sources utilisées pour mener le projet d’une

reconstruction hypothétique doivent être variées et précises.

43

PARTIE 3

BILAN ET CRITIQUE DES PROJETS

44

3.1 Les répliques navigantes

En lumière des méthodes qui ont été décrites dans la seconde partie de ce travail, les

objectifs de cette dernière partie, sont, d’une part, de recenser toutes les reconstructions de

navires antiques entreprises en Méditerranée, d’autre par classer ces reconstructions en

fonction du degré d’authenticité qu’elles ont atteint, et enfin d’apporter une analyse critique

du point de vue de la démarche et de la validité scientifique qu’on peut leur accorder.

A l’heure actuelle, nous dénombrons seulement deux véritables répliques de navires

antiques en Méditerranée. La première réplique est celle d’un navire marchand grec du IVe

siècle av. J.-C. La deuxième est celle d’un navire de pêche grec de l’époque archaïque : VIe

siècle av. J.-C.

La première réplique, baptisée Kyrenia II, est la copie presque conforme de l’épave du

Kyrenia, bateau découvert par Andreas Cariolou au nord de Chypre. Il s'agit de la première

épave antique retrouvée dans un très bon état. En effet, cette épave qui reposait à trente mètres

de fond, a la particularité d’avoir conservé 75% de sa coque. Seulement les extrémités de la

coque (étrave* et étambot*) avaient disparu ainsi que les superstructures et les parties hautes.

L’enregistrement a été fait de façon très méticuleux in situ et documenté de façon précise par

J.R. Steffy. La datation a pu être établie grâce aux monnaies retrouvées, celle-ci se situerait

vers 310-300 av. J.-C et par datation au carbone 14. Après avoir été entièrement fouillée et

enregistrée avec sa cargaison, l’épave fut traitée, réassemblée et exposée au château de

Kyrenia qui fait office de musée. Cette découverte allait donner naissance à la première

reconstruction d’une réplique d’un navire antique.

Les origines de projet : l’état de conservation exceptionnel des vestiges a permis de définir

rapidement un premier objectif, celui de reconstruire la coque de 14 mètres de long le plus

conformément possible à l’originale. Une autre priorité était d’utiliser les matériaux

conformes à ceux utilisés par les anciens grecs, et enfin reconstruire ce bateau en respectant

les traditions des charpentiers de marine grecs grâce aux éléments observés sur l’épave.

Les caractéristiques définies par J.R. Steffy sont les suivantes : l’analyse approfondies des

vestiges et des éléments de la coque, a permis de définir une construction sur « bordé

premier » ; cependant la découverte de clous en cuivre nous laisse penser que les membrures*

devaient être cloutées à la charpente et non chevillées53, selon la technique d’assemblage dite

53 F.Foerstrer Laures, 1987, p.175

45

par « tenons et mortaises ». Une explication détaillée du processus de reconstruction est

donnée par Michael L. Katzev et Susan-Womer Katzev54.

Pour cette épave et sa réplique nous avons la chance de posséder de nombreuses publications

(cf. bibliographie). Cette abondance de publications donne une légitimité importante aux

projets d'archéologie expérimentale.

Les fouilles de l'épave du Kyrenia, dirigées par M.L. Katzev, se sont déroulées de 1967 à

1968. L'inventaire de toutes les pièces a été effectué ainsi que celui de toute sa cargaison.

Chaque pièce de la coque, après avoir été inventoriée, a été prélevée, désengorgée et traitée

avant d'être chaucune réassemblée en surface.

C'est en 1982, sous l'impulsion de Harry E. Tzalas, alors président de l'Institut Hellénique

pour la Préservation de la Tradition Nautique, qu'est avancée l'idée de reconstruire le Kyrenia

en grandeur nature. Une coopération avec le département d'archéologie navale de l'Université

du Texas A&M est alors entreprise. J.R. Steffy est chargé d'entreprendre la construction de la

réplique. Il met au point une méthode qui fera ses preuves car elle permet d’ atteindre une

authenticité maximale ; cette méthode s’appuie sur des restitutions aussi bien graphiques que

matérielles (maquettes) ainsi que sur l'expérimentation à travers la construction de modèles

d'un élément de la coque, d'une représentation du système d'assemblage, etc. D'ailleurs, il

appelle cela la "Three-Dimensional Research55", autrement dit, la procédure de recherche

tridimensionnelle. Il explique que le recours à cette méthode dans une démarche de

reconstruction d'une réplique, est un outil efficace pour interpréter les vestiges d'une épave.

Cela permet en effet, de se réapproprier les techniques de construction aujourd'hui oubliées et

de comprendre le système d'assemblage, afin de pouvoir le reproduire lors de la véritable

construction. Ce procédé, est particulièrement long car il faut retrouver des automatismes

aujourd'hui disparus. Les charpentiers de marine ayant travaillé sur la construction du Kyrenia

II, ont dû être guidés par J.R. Steffy pour respecter le procédé d'assemblage des charpentiers

de marine de la Grèce antique. Ces expérimentations effectuées sur des modèles et maquettes

doivent être réalisées avec des outils conformes à ceux des anciens grecs ainsi que sur des

matériaux aux caractéristiques similaires. Ainsi, on a dû utiliser des essences de bois

différentes de celles utilisées pour la construction du Kyrenia. Par exemple, la quille, quelques

planches du bordé et la charpente étaient en pin d'Alep. Cette espèce n'est aujourd'hui plus

disponible en Grèce ; il a donc fallu utiliser une autre espèce de pin, importé de Samos.

54 Katzev ( Michael. L) & Katzev, (S.-W.), 1985, pp.163-176 55 J.R. Steffy, 1985, p.249

46

Cependant, le bois utilisé pour les tenons et les chevilles correspondait à celui utilisé par les

Anciens: le bois de chêne de Turquie. Les clous, permettant d'assembler les membrures, ont

également été forgés à la main à partir de tiges de cuivre56.

Il aura fallu trois années pour redécouvrir à travers l'expérimentation et la méthode des "trois-

dimensions", les procédés ancestraux de construction de la coque selon le principe du "bordé

premier" et l'assemblage par "tenons et mortaises".

A l'issue de la construction de la réplique, une navigation expérimentale eut lieu de septembre

1986 à avril 1987. Cette navigation avait pour but dans un premier temps d'effectuer le

voyage de l'ancien Kyrenia avant que celui ne sombre à cause d'une attaque de pirates et dans

un second temps, de s'approprier les techniques de navigation antique comme le maniement

de la voile carrée. En dix-neuf jours, le Kyrenia II, parcourut six-cent-soixante milles

nautiques entre Chypre et la Grèce. 70% de cette navigation se fit sous voile. La vitesse

moyenne enregistrée fut de 2,85 nœuds. Cette navigation expérimentale a permis de montrer

la maniabilité de ce type de navires et la possibilité de remonter au vent avec une voile

carrée57.

Le Kyrenia II, est une véritable réplique, dans le sens où cette reconstruction est le résultat

d'une longue recherche à travers l'analyse des vestiges d'une part, mais surtout grâce à

l'expérimentation qui a permis de retrouver un savoir-faire oublié depuis plus de mille ans. La

mise à contribution des compétences des archéologues et des charpentiers de marine s'est

avérée fructueuse et prometteuse pour l'avenir, comme en témoigne la deuxième réplique,

construite près de trente année après le Kyrenia II.

Cette reconstruction, outre sa primauté, a bénéficié d’une renommée internationale; ainsi une

copie du Kyrenia II, fut reconstruite en 2002 et présentée en 2004 lors des Jeux Olympiques

d'Athènes, et prit le nom de Kyrenia Eleftheria (Liberté de Kyrenia). Mais là il ne s'agit pas

d'une réplique, la construction ayant été réalisée selon les techniques modernes.

56 Katzev ( Michael L.) & Katzev, (S.-W.), 1985, p164 57 Katzev (M.), 1990, p. 255

47

Figure 16 L'épave du Kyrenia en cours de fouilles -1968- Photo M.L. Katzev

Figure 17 2 vues. A gauche: les vestiges du Kyrenia après dégagement de sa cargaison. A droite: Les vestiges du Kyrenia ré-assemblés et exposés au musée. Photo de gauche 1968; photo de droite 1974. Robin C. M. Percy & Susan W. Katzev.

48

Figure 18 Le Kyrenia II sous voile près d'Athènes -1985 - photo Yiannis Vichos

49

Figure 19 carte représentant le trajet aller-retour du Kyrenia II - Carte issue de M.Katzev, 1987, p.256

La deuxième véritable réplique, qui fut elle aussi issue d'un long programme, est le

Gyptis. Il s'agit cette fois, d'une réplique navigante d'un bateau grec archaïque, retrouvé dans

un contexte terrestre lors des fouilles de la place Jules Verne à Marseille en 1993. Lors des

fouilles en 1992-1993, dirigées par Patrice Pomey, plusieurs épaves antiques58 ont été

dégagées. Deux épaves grecques du VIe siècle av. J.-C. et plusieurs épaves romaines. L'état

de conservation des deux épaves grecques a mis en évidence de précieux témoignages sur le

mode d'assemblage et l'utilisation de ces bateaux. L'état de préservation des deux épaves fut

suffisant pour que l'équipe d'archéologues décident de les prélever du lieu de fouilles, de les

conserver59 et de les faire exposer. Aujourd'hui, les épaves Jules-Verne 7 et 9 sont visibles au

musée d'Histoire de Marseille, récemment rénové.

Ainsi, le Projet Prôtis60 prit pour origine cette découverte. Il s'inscrit dans la lignée des

projets d'archéologie expérimentale que sont la reconstruction du Kyrenia II ou encore celle

des répliques des navires vikings de Roskilde. A travers ce projet, la France tient à combler un

certain retard, car aucune reconstitution grandeur nature de navire antique n'a eu lieu depuis la

58 Au total sept épaves sont découvertes. P.Pomey, 2014, p.38 59 Le traitement de conservation des deux épaves a été effectué par le laboratoire Arc-Nucléart. 60 Prôtis vient du nom du chef du premier groupe de colons grecs ayant débarqués et fondés Marseille.

50

Trirème Impériale de Napoléon III. Ce programme, qui est toujours d'actualité car récent, a

permis la reconstruction d'une réplique navigante à partir de l'épave Jules-Verne 9, grâce aux

analyses et travaux effectués depuis 1993. Les techniques de restitution s'inspirent des travaux

menés par J.R. Steffy, lorsque ce dernier a reconstitué l'épave du Kyrenia grâce à la "Three-

Dimensional Research". Patrice Pomey explique notamment, que pour retrouver l'aspect du

navire d'origine, il faut passer par toute une succession d'étapes, qui permettent de valider les

restitutions graphiques à travers tout un ensemble de maquettes au 1/10e ou 1/5e61. En plus

des restitutions graphiques et tridimensionnelles, le recours à des données comparatives62 ont

été nécessaires pour la restitution finale de l'épave Jules-Vernes 9. Les épaves Jules-Verne 7

et 9 sont particulièrement intéressantes, car elles mettent en évidence une tradition de

construction massaliote du VIe siècle av. J.-C. qui correspond aux traditions égéennes, en

usage à Phocée63 à la même époque64. Les analyses ont conclu que les deux bateaux grecs

archaïques ont été construits par la génération suivant les premiers colons grecs, soit environ

cinquante ans après la fondation de Massalia. Ces deux épaves illustrent également des

techniques d'assemblage différentes. L'épave Jules-Verne 9 présente comme principale

caractéristique d'être entièrement assemblée par ligatures selon la tradition dite des bateaux

"cousus". Il s'agit d'un procédé archaïque, qui tend à être supplanté par l'assemblage dit par

"tenons et mortaises", qui se développera largement au cours de l'Antiquité. L'épave Jules-

Verne 7, quant à elle, présente la particularité de posséder un système d'assemblage mixte,

témoin d'une transition dans les traditions navales antiques. En effet, les extrémités du bordé

sont assemblées par ligatures, tandis que le reste du bordé est assemblé par des tenons

chevillés dans des mortaises; les membrures sont dorénavant cloutées. Nous ne détaillerons

pas plus les caractéristiques de l'épave Jules-Verne 7, car c'est l'épave Jules-Verne 9 qui sera à

l'origine de la réplique navigante Gyptis65.

Lors des analyses des vestiges du Jules-Verne 9, les archéologues ont identifié la fonction du

bateau comme étant une grande barque côtière dont le mode de propulsion devait

majoritairement se faire à la rame, parfois compensé par l'utilisation d'une voile carrée. Des

61 "Maquette de vestiges; maquette des vestiges remis en forme; maquette de restitution de la carène; maquette de restitution finale": P.Pomey, 2014, p.39 62 Une extrémité de la coque de l'épave du Jules-Verne 9 avait disparu, il a donc été nécessaire de s'appuyer sur les caractéristiques d'épaves de même époque et aux formes architecturales similaires. Le recoursà des données iconographiques a également été nécessaire. 63 P.Pomey, 2012, p.27 64 Marseille est une citée grecque fondée au VIe siècle av. J.-C. par des colons phocéens, cité grecque d'Asie mineure. 65 Nom du la fille du roi local au moment de l'arrivée du premier groupe de colons grecs. Son union avec Prôtis scella la fondation de la cité Massalia.

51

traces de coraux retrouvés lors de l'analyse du bois66, ont pu déterminer que ce bateau devait

être utilisé pour la pêche au corail.

La construction de la réplique a dû tenir compte des éléments observés lors des travaux

antérieurs : des liens ayant servi à ligaturer des éléments du bateau étaient encore visibles, ce

qui témoignait du bon état de conservation des vestiges. Il s'est avéré, que l'assemblage par

ligatures, bien qu'archaïque, était très complexe et "loin d'être primitif67". Une description

détaillée après une analyse minutieuse du procédé d'assemblage est donnée par Patrice

Promey68 qu'il convient de citer : "Ainsi les planches du bordé étaient assemblées entre elles

et à la quille au moyen de liens passant à travers des canaux tétraédriques régulièrement

ménagés le long du bord d'assemblage de chaque élément. De petites chevilles enfoncées dans

les canaux obliques à partir des évidements tétraédriques bloquaient les ligatures en place.

Des chevilles horizontales, disposées au préalable dans les plans de contact, avaient pour objet

de maintenir les planches en place, tout d'abord lors de leur assemblage et, par la suite, pour

éviter le cisaillement des ligatures. l'étanchéité était assurée par une bande de tissu disposée

au-dessus de chaque joint avant le ligaturage et par une épaisse couche de résine appliquée sur

toute la face interne de la carène. C'est grâce à cette résine que de nombreuses ligatures ont pu

être exceptionnellement conservées en place. Les membrures étaient de même ligaturées à la

coque selon le même principe mais au moyen de canaux obliques situés transversalement au

centre de chaque virure. Les membrures, à dos arrondi et au pied régulièrement entaillé

d'évidements, ont une morphologie très particulière qui se justifie par la technique

d'assemblage utilisée: le dos arrondi et le pied étroit permettant un meilleur serrage; les

évidements évitant l'écrasement des liens du bordé. L'ensemble témoigne d'une grande

régularité et d'une extrême minutie obtenus grâce à de nombreux tracés préliminaires

effectués à la pointe sèche par les charpentiers. De même, des marques incisées sur le dos de

la quille à l'emplacement de chaque varangue devait guider les constructeurs lors de la

construction du bateau réalisée selon les principes et les méthodes de la construction "bordé

premier" ".

66 Plus précisément dans la résine d'étanchéité interne de la coque 67 P.Pomey, 2014, p.39 68 P.Pomey, 2001, pp. 426 - 427

52

Figure 20 Système d'assemblage par ligatures de l'épave Jules-Verne 9, décrit ci dessus. Vue du dessus, vue latérale, coupes transversales. (Dessin Michel Rival - issu de P.Pomey, 2001, p. 435).

De plus pour maintenir une certaine solidité, les ligatures sont réalisées avec un triple fil de

lin. Enfin, des traces de substances permettant d'assurer l'étanchéité ont été retrouvées de

chaque côté des virures constituant le bordé. Ainsi, on a pu définir qu'un mélange de poix

issue de la résine de pin et cire d'abeille était badigeonné à l'intérieur comme à l'extérieur de la

coque.

Le principal objectif de la reconstruction de l'épave Jules-Verne 9, était de contrôler, grâce à

l'expérimentation, les restitutions préalables, et de tester les qualités nautiques de la réplique.

La construction du Gyptis s’est effectuée en plusieurs étapes. Il est important de noter,

que la technique d'assemblage et les méthodes de construction de ce type de navire ont

aujourd'hui complètement disparu. Un des enjeux du programme d'expérimentation est de

retrouver ce savoir-faire ancestral. La première étape est donc de s'approprier les techniques à

partir d'un modèle grandeur nature de la coque, à savoir appliquer le procédé de construction

antique de type "bordé-premier69" et ensuite assembler les éléments par le système de

69 le détail du procédé est décrit par Patrice Pomey. Il faut placer les planches du bordé sont directement mise en place à partir de la quille sans le recours à de gabarits. Les membrures, ne sont mises qu'une fois le bordé assemblé, et ont pour rôle de consolider la structure. L'ajustement des virures du bordé, se fait grâce à la technique du ployage, permettant de donner une forme courbe des planches. Une première courbure est faite par

Evidement tétraédrique Ligature

53

ligatures avec des outils rudimentaires. Il est important lors de cette première étape d'effectuer

la construction en respectant les méthodes anciennes à l’aide d’outils manuels. Enfin, toujours

sur ce modèle d'étude, il faut appliquer l'enduit assurant l'étanchéité, à base de poix et de cire

d'abeilles, pour lequel il faut retrouver et reconstituer le bon mélange. Une fois les techniques

réappropriées, (les maîtriser demande un certain temps), on peut débuter la construction de la

réplique. La reconstruction peut alors s'effectuer avec des outils modernes pour gagner du

temps, car l'utilisation des outils rudimentaires a déjà été assimilée sur le modèle initial.

Cinq kilomètres de ligatures ont été nécessaires pour l'assemblage70, ce qui a rendu l'opération

assez longue. Les matériaux utilisés sont du pin pour les planches du bordé et les pièces

transversales de la membrure, du chêne pour la quille et les pièces de la partie axiale du

bateau. Le choix des espèces a dû être défini par des spécialiste, les billes* ne devant pas

présenter de défauts. Le débitage des grumes* s'est fait dans une scierie, en accord avec les

directives données par les archéologues. Cependant un recours à la modélisation en trois-

dimensions de chaque pièce appartenant à la structure du bateau a été réalisé, cela assure un

gain de temps non négligeable lors de la construction, car le façonnage est de ce fait plus

précis71. Le gréement, l'appareil de gouverne et le système de nage ont été assemblés en

rapport avec la tradition antique, largement étudiée dans l'historiographie de l'archéologie

navale antique. Ainsi, le navire comporte une voile carrée de 25m² suspendue à une unique

vergue* perpendiculaire et en haut du mât. La superficie de la voile est déterminée en

fonction de la surface de frottement du bateau dans l'eau ; elle doit donc être égale ou

supérieure au double de la surface de frottement72. L'appareil de gouverne est constitué de

deux gouvernails latéraux, en usage durant l'Antiquité. Durant la navigation, un seul est en

fonction. L'utilisation du gouvernail tribord ou bâbord se détermine en fonction du

positionnement du bateau par rapport au vent. Des tolets* amovibles munis d'une estrope*

permettent d'assurer un point d'appui aux avirons, l'estrope permettant de maintenir l'aviron

contre le tolet. En tout, six avirons constituent le système de propulsion principal du Gyptis.

Chaque aviron étant manié par une seule personne. L'utilisation de la rame permet une

meilleure maniabilité de l'embarcation, qui part sa nature devait naviguer le long de la côte.

La voile carrée, n'est que complémentaire mais très efficace aux allures portantes.

vapeur et l'ajustement se fait directement sur place à la flamme, sur le bois abondamment mouillé(. P.Pomey, 2014, p.41) 70 P.Pomey, 2014, p.42 71 Ibid 72 Explication orale donnée par P.Poveda, lors de la navigation expérimentale du Gyptis en avril 2014

54

Enfin, un enduit est utilisé pour la peinture de la coque (enduit noir pour la carène et rouge

bordeaux pour le pavois*). Selon la tradition antique la proue est ornée des fameux yeux

apotropaïques73. Enfin sept-cents kilos de lest composés de galets répartis dans des sacs pour

assurer l'équilibre du bateau ont été utilisés.

Le Gyptis fut inauguré le 12 octobre 2013. Plusieurs navigations expérimentales ont suivi, la

dernière en date remontant à avril 2014. Ces navigations expérimentales, dirigées par Pierre

Poveda, ont permis d'appréhender les techniques de navigation antique, notamment la maîtrise

du maniement de la voile carrée.

Cette description assez détaillée de la reconstruction grandeur nature de l'épave Jules-

Verne 9 a pour but de justifier l'emploi du terme "réplique navigante" pour le Gyptis. Le

processus d'expérimentation par sa précision, ses recherches scientifiques préliminaires et

poussées, a permis de respecter et de retrouver l'esprit des charpentiers de marine de la

Marseille antique. A cela, s'ajoutent les nombreuses publications depuis la fouille de la place

Jules-Verne jusqu'à la construction de la réplique de l'épave Jules-Verne 9, un suivi

médiatique important (nombreux articles de presses) et une ouverture vers le grand public

avec une présentation détaillée du Projet Prôtis, accessible sur un site internet dédié et par la

mise en ligne de documentaires.

Cependant un problème se pose, celui de l'entretien du navire. En effet, les ligatures végétales

ont une durée de vie limitée et doivent être régulièrement changées, ce qui implique un

démontage complet des pièces du navire afin d’en ré-effectuer le ligaturage complexe, ce qui

représente un processus long et fastidieux.

73 Dans les croyances antiques, le bateau était personnifié, et les yeux qui ornaient la proue avaient comme principale fonction de guider le navire en mer.

55

Figure 21 Assemblage par ligatures de deux planches du pavois sur le Gyptis - Photo Romain Fougeron

Evidement tétraédrique: permet le passage des liens tout en les préservant d'une usure prématurée

Cheville permettant d'assurer le maintien des liens

Tissus en lin, assurant l'étanchéité du joint

Ligaturage à triple fils de lin

Figure 22- Ci-contre présentation actuelle de l'épave Jules-Verne 9 au Musée d'Histoire de Marseille. (Vestiges et restitution de la forme de la carène).

56

Figure 23 Le Gyptis lors d'une navigation expérimentale entre Port-Saint-Louis du Rhône et Marseille - Photo G. Contini

3.2 Les hypothèses flottantes

Les hypothèses flottantes sont également issues de programmes scientifiques, mais leur

authenticité est moins avérée faute de données archéologiques précises. Ces reconstructions,

en grandeur nature, ne doivent pas être définitives, mais justement ouvertes aux débats et aux

critiques en fonction de l'évolution de la recherche. Cela implique, d'éventuelles modifications

au fur et mesure de l’avancée des recherches et de l'expérimentation.

La première reconstruction que l'on peut qualifier d'"hypothèse" - malgré quelques

lacunes que nous détaillerons par la suite, est la Trième Impériale74. Nous en avions donné

quelques principes au cours de la première partie du mémoire. Cette reconstruction est

particulièrement intéressante car il s'agit de la première expérience d'archéologie navale

expérimentale. Cette reconstruction, dont l'initiative fut prise par Napoléon III lui-même, et

dont la direction du projet fut confiée à l'historien de la marine Jal et à l'ingénieur Dupuy de

Lôme, eut pour principale objectif de comprendre l'agencement du système de nage à trois

rangs superposés propre aux navires de guerre antiques. La première étape du projet fut la

rédaction d'un mémoire intitulé La Flotte de César, dans lequel Jal expose ses recherches sur

74 la description qui s'en suit est basée sur l'étude très détaillée de Patrice Pomey et Eric Rieth de la Trirème Impériale , article de 2001, voir bibliographie.

57

l'agencement du système de nage des navires de guerre antiques et propose diverses

restitutions à travers des illustrations. Pour appuyer sa recherche il mentionne les sources qui

lui ont permis d'affirmer sa thèse. Ainsi Jal indique après examen de ces sources, que les

rameurs étaient disposés sur trois niveaux. Un premier se situait au niveau de la ligne de

flottaison sur un faux-pont, il s'agit du niveau inférieur, où la classe des rameurs la moins

importante était disposée (thalamites). Un pont, juste au dessus des thalamites permettait

l'installation de deux rangs grâce à une différence de hauteur des deux bancs de nages. Les

zygites de classe plus élevée que les thalamites prenaient place sur les bancs inférieurs et les

thranites, hiérarchiquement plus élevés que le reste des rameurs se plaçaient sur les bancs

supérieurs.

Figure 24 disposition des rangs de rameurs d'une trirème antique d'après Augustin Jal, La Flotte de César, 1861, p.156. A' correspond au rang des thalamites, B' à celui des zygites et enfin C' à celui des thranites.

Les sources principales utilisées par Jal sont littéraires, aussi bien antiques que

médiévales. Ainsi, son étude repose essentiellement sur un paragraphe des Guerres civiles de

l'Histoire romaine d'Appien, d'un vers du poète latin Silius Italicus et d'un extrait de Tactica

de l'empereur Léon VI. Le recours à si peu de sources sera en partie la cause de son relatif

échec. Jal ne disposait, en effet, d’aucune données archéologiques, ni des sources littéraires et

iconographiques en nombre suffisant pour lui permettre de poser des jalons solides

indispensables pour étayer à la fois son étude et sa future expérimentation. A cette époque il

n'y avait aucune connaissance de la tradition navale antique, encore moins de ses méthodes de

58

construction. D'ailleurs, la reconstruction le confirmera ; en effet, les plans de la trirème

effectués par Dupuy de Lôme ont une apparence moderne. Les traits et les courbes de la

carène semblent similaires à ceux des plans de la frégate cuirassée Gloire, dont il fut

également l'architecte naval75, inaugurée en 1860. Des indices, montrent également une

construction sur squelette ou type "membrure première", qui n'était pas encore en usage à

l'époque Antique. A cela s'ajoute les dimensions finales qui ont été déterminées en rapport

avec celles des galères du XIVe siècle et sont modifiées pour permettre à la "galère antique"

de naviguer sur la Seine, alors que les dimensions des trières antiques n'étaient pas encore

connues, les sources à cette époque étant encore muettes. Les détails de la construction de la

trirème ne sont pas donnés par Jal et Dupuy de Lôme, mais on sait que la construction dura

environ dix mois. La Trirème Impériale fut inaugurée à Asnières et lancée sur la Seine le 9

mars 1861. La navigation expérimentale s'est faite en présence de Napoléon III. Les qualités

nautiques sont alors testées et les vitesses à la rame mesurées. Ce projet se termina aussi vite

qu'il avait commencé, la Trirème Impériale fut remorquée jusqu'à Cherbourg en juin 1861, où

elle fut désarmée. Finalement elle sera détruite au cours de l'année 1876.

Les problèmes relevés par Eric Rieth et Patrice Pomey sont les suivants, tout d'abord des

divergences entre les deux personnalités clés du projet, Jal et Dupuy de Lôme. A cela s'ajoute

le nombre restreint de sources éclectiques utilisées par Jal uniquement pour donner son point

de vue sur la disposition des rangs de rameurs. L'éclectisme des sources prouve également

que Jal sous-estime la complexité des navires antiques, que, par exemple, la galère médiévale

ne peut en rien être considérée comme étant une évolution de la trirème antique. L'utilisation

des sources iconographiques servent en grande partie à donner à sa "trirème" une allure

romaine. Dans ses recherches Jal pense qu'il n’existe qu’un seul type de navire de guerre

durant l'Antiquité, or les sources et les recherches aujourd'hui tendent à démontrer l'inverse,

c'est-à-dire qu'il existait de nombreuses classes de navires de guerres, dont les types et les

fonctions étaient différents selon les régions et les époques. Cependant il est nécessaire de

relativiser cet échec ; en effet les performances lors des essais sur la Seine, ont montré que le

navire était néanmoins manœuvrable et pouvait atteindre des vitesses satisfaisantes malgré les

défauts dans sa conception et l’expérimentation lacunaire (il faudra attendre la reconstitution

de la trière Olympias pour que l’expérimentation soit plus poussée). Mais c'est surtout l'aspect

novateur du projet que l’on doit retenir, car il constituera le point de départ de nombreuses

reconstructions de navires anciens, bien qu’il faille se résoudre à attendre plus d'un siècle

75 Cette question est soulevée par Patrice Pomey et Eric Rieth, 2001, p.249

59

pour que les archéologues et les historiens se penchent à nouveau sur les problèmes liés aux

trières, à ce jour non résolus.

Restons dans le domaine des navires de guerre antiques ; le prochain exemple

d'hypothèse navigante issu d'un programme scientifique plus poussé que la Trirème Impériale,

est, comme nous l’avons annoncé plus haut, la trière Olympias. Cette dernière est

mondialement connue du fait des nombreuses publications et débats à son sujet. De plus, elle

participa au transport de la flamme olympique lors des Jeux Olympique d'Athènes en 2004.

Tout comme le Kyrenia II, la construction de la trière Olympias, se fit en Grèce grâce à un

partenariat entre une équipe américaine et une équipe grecque. Le projet est présenté lors

d'une conférence en 1983 au Musée maritime de Greenwich par J.S. Morrison, historien et

spécialiste des navires de guerre antiques, et J.F. Coates, architecte naval. L'Olympias fut

lancée au Pirée en juin 1987 et fut testée pour la première fois en août de la même année.

L'association "Trireme Trust" est créée dès le début du projet. Des travaux antérieurs ont

permis de servir de base au projet. En effet, J.S. Morrison a déjà publié un certain nombres

d'articles et livres à propos des trières athéniennes, comme notamment son article dans la

revue Mariner's mirror de janvier 1941 s'intitulant "The Greek Trireme", ou encore son

ouvrage publié en 1968 Greek oared ships, 900 - 322 B.C.. Un autre ouvrage76, coécrit avec

J.F. Coates, met en lumière les axes de recherches ainsi que les hypothèses de restitution,

notamment des rangs de nages de la trière athénienne, en fonction des sources littéraires et des

représentations iconographiques beaucoup plus nombreuses et plus précises que celles ayant

servi à Jal en 1861. D'ailleurs l'expérience malheureuse de Jal est mentionnée dans

l'introduction de cet ouvrage. C'est néanmoins celui-ci qui servira de base à la démarche

scientifique de la reconstruction de la trière Olympias.

L'objectif de cette expérience d'archéologie navale expérimentale est de restituer en

grandeur nature une trière athénienne de l'époque classique (Ve - IVe siècles av. J.-C.), en

rassemblant de façon exhaustive les descriptions et les mentions littéraires des auteurs

anciens, traitant des trières et en utilisant les données littéraires pour identifier les

représentations iconographiques de ce type de navires. A cet aspect historique de la recherche

par l'établissement d'un corpus de sources, il faut ajouter des éléments mathématiques et

physiques77 - domaine de J.F. Coates - dont le but est d'amener à la restitution graphique de la

trière ainsi qu'à la réalisation d'une maquette, dont les caractéristiques hydrostatiques seront

76 Voir bibliographie, J.S. Morrison et J.F. Coates, 1986 77 J.F. Coates, 1985, pp. 83 - 87

60

évaluées. Ce programme est l'exemple type du schéma défini par McGrail, que nous avons vu

à la fin de la seconde partie.78 Les preuves archéologiques, concernant les navires de guerre

antiques font encore à l’heure actuelle cruellement défaut. Les seuls exemples que nous

possédons, sont deux épaves découvertes en 1969 et fouillées par l'équipe d'Honor Frost à

partir de 1971, qui seraient deux navires de guerre carthaginois ayant sombré lors de la

première guerre punique. La date donnée par le carbone 14 donne environ 235 av. J.-C. Les

explications avancées par J.S. Morrison sur la rareté des découvertes de navires de guerre

antiques et l'absence notamment de découverte de trières athéniennes, se justifie d'une part du

fait que les navires de guerres ne transportaient aucune cargaison; il faut savoir que la

majorité des épaves sont découvertes grâce aux cargaisons qu'elles transportaient. Et d'autre

part, il serait très difficile d'identifier la nature du navire de guerre à partir des éléments

inférieurs de la coque, qui sont souvent les seuls vestiges conservés sur une épave. De plus

d'après J.S Morrison, les trières ne pouvaient pas couler, car même avec une voie d'eau leur

flottabilité restait positive. En effet, Les matériaux utilisés pour la construction d'une trière,

permettaient à cette dernière de conserver une densité inférieure à celle de l'eau79.

La reconstruction de la trière s'est faite après l’analyse de différentes sources directes

et indirectes. Les sources directes concernant de façon précise la trière athénienne, sont par

exemple les cales de Zéa80, dans le port du Pirée, qui donnent une idée des dimensions

maximales d'une trière, soit environ trente-cinq mètres de long et cinq mètres de large. Ces

cales furent creusées au Ve siècle dans la roche calcaire de la côte81. Mais les deux sources

fondamentales restent les inscriptions navales et le "Décret de Thémistocle". Les inscriptions

navales donnent des renseignements sur l'organisation à bord des trières au IVe siècle av. J.-

C., notamment une information précieuse concernant le nombre total de rameurs - 170 répartis

de chaque côté de la trière avec 62 thranites, 54 zygites et 54 thalamites. Le "Décret de

Thémistocle" nous informe que les trières possédaient un pont pour faciliter l’embarquement

des défenseurs. Les performances de la trière classique sont révélées dans un extrait des

Histoires d'Hérodote, dans lequel il mentionne des qualités concernant leur rapidité ainsi que

leur maniabilité. Ainsi un des objectifs finaux est de vérifier l'affirmation d'Hérodote82.

Néanmoins, les formes définitives de la trière Olympias seront définies par des données

iconographiques. La restitution de la partie arrière s'est faite grâce aux fragments du relief

78 Cf. Fig.15 p.40 79 J.S. Morrison, 1993, p.18 80 J.S. Morrison, 1985, p.216 81 J.S. Morrison, 1993, p.20 82 J.S. Morrison, 1985, p. 212

61

d'Aquila83. La partie centrale, grâce au relief Lenormant84 et enfin la partie avant à partir de

dessin d'un relief antique disparu de la collection dal Pozzo du XVIIe siècle85.

Figure 25 relief Lenormant - Musée de l'Acropole d'Athènes. Photo issue de J.S. Morrison & J.F. Coates, 1986, p.16

Cependant faute de source archéologique adéquate, aucune méthode de construction

n'a pu être déterminée. Pour ce faire, J.S. Morrison et J.F. Coates, ont utilisé les données des

découvertes archéologiques des navires antiques que sont le Kyrenia et les navires puniques

de Marsala86. Ainsi la trière Olympias a été construite selon le procédé bordé premier avec un

assemblage de ses éléments par tenons et mortaises. L'utilisation de ces deux sources

archéologiques pour construire la trière Olympias est le principal reproche qui a pu être émis

par la classe scientifique. Déjà, la reconstruction s'appuie sur deux données archéologiques de

nature, de fonction et d'époque différentes et ne semblent pas être comparables aux trières

athéniennes de l'époque classique. Cela donne une image trop simpliste mais surtout

réductrice de la manière dont étaient construits les navires à l'époque antique. A ce propos, les

navires de Marsala apportent des éléments importants : en effet, des marques d'assemblage

83 J.S. Morrison, p.215 84 Ibid 85 P.Pomey, 1997, p.70 86 J.S Morrison & J.F. Coates, 1986, p.20 : "For the structure of the hull we proposed to take as a model the third century Phoenician oared ships found by Miss Honor Frost off Marsala (anc. Lilybaeum) and also the fourth-century Kyrenia merchant ship."

62

ont été retrouvées sur les différentes pièces constituant les vestiges de l'épave. Cela confirme

la thèse de certains spécialistes qui avançaient la possibilité qu'il puisse exister une

construction d'"Etat" et une construction "privée". La construction d'"Etat" devait permettre la

mise en place rapidement d'une flotte, assemblée de manière uniforme; tandis que la

construction "privée" devait s'effectuer selon une tradition régionale et ancestrale des

charpentiers de marine. Ainsi, il s’agirait effectivement de deux manières bien distinctes de

construire les navires.

Malgré cela, les essais en mer se sont avérés concluant et des modifications du

système de rames de l'Olympias ont été nécessaires87. Ne s'agissant que d'une hypothèse à

partir d'éléments dont le fondement n’est pas avéré, il reste toujours des zones d'ombres et

par conséquent des problèmes impossibles à résoudre tant qu'aucune épave de trière

athénienne ne sera véritablement découverte. Quoiqu'il en soit, la trière Olympias a fait couler

beaucoup d'encre et n'a pas fait l'unanimité au sein de la classe scientifique. Pourtant, J.S.

Morrison avance que ce programme pourra s'adapter en fonction des nouvelles découvertes

car il présente l’avantage d’établir les bases à partir desquelles des travaux ultérieurs sur les

navires de guerre antiques en général pourront être entrepris. Nous le verrons dans l'avant

dernière sous-partie consacrée à d'autres programmes de reconstruction de navires antiques.

La trière Olympias a fait des émules, preuve de l’impact international de ce programme

quelles qu’en soient par ailleurs les imperfections ; il fait partie d'un projet d'archéologie

expérimentale qu'il ne faut pas sous estimer, ne serait-ce que par sa qualité de pionnier en la

matière.

87 J.F Coates, 1993, p.23

63

Figure 26 La trière Olympias en cale sèche au Pirée

Figure 27 La trière Olympias lord d'une navigation expérimentale

La dernière reconstruction que l'on peut qualifier d'hypothèse flottante est celle d'un

navire de haute mer égyptien des temps pharaoniques baptisé Min of the Desert. Il s'agit d'un

programme assez récent - 2006 à 2009. Ce programme dirigé par l'archéologue américaine

64

Cheryl Ward est particulièrement intéressant car il s'appuie sur des vestiges archéologiques

variés et sur des représentations iconographiques très détaillées. L'objectif du projet était de

comparer les vestiges de navires retrouvés dans un contexte terrestre avec les représentations

du relief de Deir el-Bahari afin de pouvoir reconstituer grandeur nature un navire de mer

égyptien de l'âge du Bronze et démontrer sa capacité à naviguer en mer, parfois dans des

conditions difficiles, comme cela peut être le cas en mer Rouge88, pour rejoindre le pays de

Pount, qu'on situerait à environ 1100 kilomètres89 du comptoir de Mersa Gawasis. C'est

d'ailleurs les fouilles terrestres de ce comptoir des temps pharaoniques, qui ont permis de

mettre au jour des pièces entières appartenant probablement à des navires égyptiens90.

Malheureusement, aucune de ces pièces n'étaient assemblées, et on ne sait pas s'il s'agit

d'éléments appartenant à un seul ou plusieurs navires. Pour établir les plans de la

reconstruction du Min of the Desert, l'équipe de Cheryl Ward a dû s'appuyer sur des données

d'une vaste période chronologique, environ 500 ans91. Les pièces de charpentes retrouvées à

Mersa Gawasis ont été comparées avec des maquettes de bateaux égyptiens fluviaux ainsi

qu’avec des épaves présentées au musée du Caire. L’objectif de ces comparaisons était non

seulement de retrouver les dimensions du navire, mais aussi d’en comprendre le mode

d'assemblage tout comme les éléments du gréement et du décor. La longueur du navire a pu

être déterminée grâce à la comparaison des pièces retrouvées sur le site de Mersa Gawasis

avec la dimension de ces mêmes pièces telles qu’elles sont représentées sur le bas relief du

temple de Deir el-Bahari. Les mesures ont montré que le relief devait représenter un navire à

une échelle proche de 1/10e. Ainsi les archéologues ont pu déterminer les dimensions

probables des navires de mer de la reine Hatshepsout: à savoir une longueur de 20,3 mètres à

partir de l'analyse du bas relief du temple de Deir el-Bahari et une largeur de 4,9 mètres92 à

partir de l'analyse des dimensions d'une barque retrouvée à Dahshur et exposée au musée du

Caire. L'assemblage des navires de mer égyptiens était différent de celui rencontré en

Méditerranée et décrit plus haut. Cheryl Ward, dans ses recherches a pu définir le mode de

construction de ces navires, selon un principe particulier. La rareté du bois dans les régions

désertiques a poussé les Egyptiens à construire leurs navires d'une façon astucieuse afin

d'économiser leurs ressources. Ils devaient en partie importer du bois, notamment du cèdre du

88 R.Fougeron,, Routes maritimes, cargaisons et épaves en mer Rouge de l'âge du Bronze à l'époque moderne, mémoire de Master 1, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2012, pp. 37 - 43 89 Ch. Ward, 2012, p. 21 90 d'après Cheryl Ward, ce serait un peu plus de cents fragments de bateaux qui ont été ainsi découverts à Marsa Gawasis. 91 Ch. Ward, 2012, p. 21 92 Ibid

65

Liban pour les grandes planches du bordé, par contre ils utilisaient des espèces locales tel

l'Acacia, pour des éléments de charpente de moindre dimension. Leur technique d'assemblage

particulière était conçue pour permettre le démontage et le réassemblage de leurs navires sans

trop de difficulté. N'ayant pas véritablement de port en mer Rouge, les Egyptiens

entreposaient les éléments du navire une fois démontés dans des entrepôts, comme c'était le

cas à Mersa Gawasis. Pour permettre un démontage aisé, ils assemblaient le bordé à l'aide de

planches épaisses, emboitées les unes aux autres par leur can* par un système de tenons et

mortaises non chevillés. Les planches constituant le bordé sont uniques et possèdent des bords

inégaux qui doivent être compatibles avec les bords des autres planches qui sont en contacte.

Chaque planche a donc une place clairement définie pour permettre de s'imbriquer dans la

structure comme dans un puzzle.

Le mode de construction et d'assemblage ne sont toujours pas clairement définis par

manque de preuves archéologiques, cependant une scène représentant un chantier naval

égyptien daté de 2400 ans av. J.-C. apporte de précieux renseignements sur les outils utilisés

par les Egyptiens à cette époque pour la construction de leurs bateaux: il s'agit d'un bas relief

du mastaba de Ti (tombeau du contrôleur des fermes royales). A partir de cette donnée

iconographique, l'équipe de Cheryl Ward, à fait appel à un chantier naval traditionnel

égyptien dont les caractéristiques de construction se rapprochent de celles visibles sur le bas

relief du Mastaba de Ti, il s'agit là d'une approche ethnographique, permettant de retrouver

une tradition ancestrale de conception de bateaux sur des chantiers contemporains qui

continuent d’utiliser des méthodes de construction traditionnelles.

66

Figure 28 Détail du relief du Mastaba de Ti à Saqqarah représentant une scène de construction navale - Photo Berthold Werner - 2011

La construction du Min s'est donc faite de façon hypothétique en s'appuyant

sur des données archéologiques, iconographiques et ethnographiques. Cependant, le bois

utilisé autrefois n'est plus disponible aujourd'hui. Il a donc fallu remplacer l'essence de bois

initiale (cèdre du Liban) par du pin Douglas, qui possède des caractéristiques similaires. De

plus aucune attestation du système d'étanchéité n'apparaît sur les données archéologiques de

Mersa Gawasis. Une première tentative pour étanchéifier le Min fut de le laisser se remplir

d'eau afin de provoquer un gonflement du bois des charpentes pour boucher les interstices.

Cette première tentative s'est rapidement transformée en échec. Pour permettre l'étanchéité du

navire, l'équipe d'archéologues a donc utilisé les attestations connues à travers d'autres

civilisations méditerranéennes antiques. Ainsi, chez les Grecs, le calfatage se faisait grâce à

de la cire d'abeilles, de la poix et des tissus en lin (cf. Gyptis). C'est cette dernière technique

qui sera utilisée pour la reconstruction du Min et qui s'avérera satisfaisante. Lorsque les

données permettant la reconstruction d'une véritable réplique sont lacunaires, il est nécessaire

d’utiliser des données comparatives pour combler les lacunes, tout comme ce fut le cas pour

la trière Olympias. Ces données utilisées pour tenter de retrouver des méthodes de

construction aujourd'hui disparues ne sont que des hypothèses et ne sont en aucun cas

définitives.

67

La reconstruction ici, d'un navire de mer égyptien du moyen Empire, ne peut être

considérée comme satisfaisante au plan de l’archéologie navale expérimentale. En effet, les

sources archéologiques ne sont d’abord pas suffisantes, mais de plus, la réalisation du plan en

3D (confiée à l’architecte naval Patrick Couer) à partir des plans reconstitués d’après les

mesures prises sur les bas relief de Deir el-Bahari et au musée du Caire (barque nilotique) a

révélé des erreurs. En effet, les tests hydrostatiques à partir des plans en 3D n’ont pas été

concluants. Au lieu de rechercher plus avant les raisons de ce problème il a été décidé de

modifier les plans du Min jusqu’à le rendre stable donc navigable. L'erreur principale du

projet de reconstruction se situe à ce moment-là. Il aurait peut-être fallu construire une

maquette avec les plans tels quels et la tester dans un bassin de carène pour vérifier de façon

plus concrète sa stabilité et ses différentes caractéristiques avant de procéder à une

amélioration directe par ordinateur. En effet, des changements importants ont été effectués

pour assurer une meilleure stabilité du navire, comme augmenter la hauteur du pont. Ces

modifications conséquentes grâce à l'emploi de techniques modernes de calculs, ne font que

diminuer la part d'authenticité de la reconstruction finale. Dans la démarche, tout a été fait

pour rendre la navigation du Min possible, ce qui a pour conséquence d'écarter ce projet du

champ de l'archéologie navale expérimentale, au profit d’une reconstruction plus "fantaisiste".

D'ailleurs, la navigation expérimentale effectuée sur cette "hypothèse flottante", a montré des

capacités de manœuvres presque trop satisfaisantes. Une autre critique peut être apportée au

niveau de l'analyse du câble de tension visible sur les représentations des navires

d'Hatchepsout, dont la fonction n'a jamais été clairement établie. Pour certains, ce câble

permet de renforcer la stabilité de l'embarcation en complément de la quille, pour d'autres, il

devait servir à éviter les déformations de la carène durant la navigation grâce au maintien sous

tension de l'avant et de l'arrière du bateau. Or, bien que présent sur la reconstruction du Min,

Cheryl Ward n'a pas pu établir la véritable fonction de ce câble. Or, la quille, telle qu’elle a

été reconstruite sur le Min était suffisante pour maintenir la stabilité du navire…

68

Figure 29 Le Min of the Desert lors de sa navigation expérimentale en mer Rouge - Photo Cheryl Ward - 2009 Hypothèse flottante d'un bateau de mer égyptien du temps de la reine Hatchepsout, qui se caractérise par une voile carrée de 80m², prenant appuie sur deux grandes vergues horizontales, perpendiculaires au mât, par un câble de tension et de deux gigantesques gouvernails latéraux prenant appui sur l'étambot. 11 tonnes de ballast réparties dans des sacs de sable, ont dû être nécessaire pour assurer une parfaite stabilité du Min.

69

3.3 Autres programmes

Dans cette dernière sous-partie, nous répertorierons tous les programmes, dont les

bases scientifiques ne sont pas forcément avérées, soit par manque de publications, soit parce

qu'il s'agit de programmes qui relèvent plus de l'aventure humaine; et enfin, ceux ayant une

connotation de prestige national, reposant sur des projets scientifiques antérieurs. Nous

verrons que ces projets de reconstructions sont beaucoup plus nombreux que ceux ayant des

bases scientifiques avérées, nous verrons également qu'il sera difficile de détailler les

méthodes et les sources utilisées car nous possédons peu ou pas de publications, ou alors qu'il

s'agit de projets essentiellement présentés à travers des sites internet ou des blogs n’exposant

qu’un seul point de vue fermé à la critique. Les deux premiers programmes de reconstructions

qui seront mentionnés ont donné lieu à au moins une publication, mais n'ont pas forcément

bénéficié d'un grand écho dans le monde scientifique.

Le premier qu'on peut citer est le Pount d'André Gil-Artagnan. Il s'agit de la reconstruction

d'un navire des temps anciens de l'Egypte pharaonique. Ce projet présente des similarités avec

celui de Cheryl Ward, cependant celle-ci ne mentionne à aucun moment le travail d'André

Gil-Artagnan qui a tout de même étudié de façon approfondie le problème de la navigation au

temps de l'Egypte antique. De-même, il a réussi à déterminer bien avant Cheryl Ward les

dimensions probables des navires d'Hatchepsout dont il estime la longueur à 20,15 mètres

pour une largeur de 5,12 mètres93. Son projet était de vérifier, avec un navire armé comme à

l’époque antique, la faisabilité aux temps anciens des circumnavigations autour de l'Afrique,

telles qu’elles sont décrites par différents auteurs de l’antiquité (périple de Néchao vers 600

av. J.-C, périple de Satapsès début du Ve siècle av. J.-C. périple d'Hannon milieu du Ve siècle

av. J.-C.) Le point de départ de son projet d'archéologie navale expérimentale repose sur des bases scientifiques.

En effet, André Gil-Artagnan crée avec des spécialistes "l'Association Pount pour l'Etude des

Navigations Egyptiennes" à l'issue d'un colloque tenu à Dakar en janvier 1976, dont le thème

était "Afrique noire et Monde méditerranéen dans l'Antiquité", mais surtout à l'issue de la

présentation faite par Raoul Lonis sur "les conditions de navigation sur la côte atlantique de

l'Afrique dans l'Antiquité"94. Ainsi, le projet Pount, avait pour objectif de vérifier

l'authenticité des textes sur les différentes circumnavigations ainsi que de prouver que les

navires égyptiens à voile carrée étaient tout à fait en mesure d'évoluer en mer et d'effectuer de

longs périples. Son projet s'est déroulé en trois parties. Une première partie concerne des

93 A. Gil-Artagnan, 1995, pp. 51 - 53 94 A. Gil-Artagnan, 1995, p.13

70

recherches exhaustives sur les types de navires égyptiens à travers les représentations

iconographiques et des travaux de chercheurs. Il étudie notamment les caractéristiques de la

voile carrée par rapport aux différentes directions du vent et par rapport à la voile aurique

(voile moderne). A cela s'ajoute également une étude environnementale et météorologique sur

les différents littoraux africains. Notamment, il se renseigne sur les courants principaux, les

vents et leur saisonnalité. Cette recherche, qui sert de base au projet, permet d'une part de

vérifier la possibilité d'effectuer une navigation autour du continent africain avec des bateaux

antiques, et d'autre part de déterminer les plans de sa future reconstruction. Bien que cette

étude paraisse scientifique à travers tous ces aspects, il n’en va pas de même pour la

reconstruction du navire à l'allure égyptienne. Cette reconstruction pose problème car elle ne

peut être qualifiée ni de réplique ni d'hypothèse, en l’absence d’une authentique démarche

d’archéologie navale. A travers la démarche décrite par André Gil-Artagnan sur la

construction du Pount, on remarque qu'il n'y a aucun travail de recherche sur les procédés de

constructions au temps de l'Egypte ancienne. Il se justifie d'une simple phrase: "il est à noter

que nous ignorons encore le mode d'assemblage utilisé au temps de la reine d'Hatshepsout"95.

Les plans de formes du Pount sont terminés en mars 1980. Cependant le plan initial n'est pas

complet, car l'architecte naval était débordé. A cela s'ajoute des problèmes de subventions qui

vont en retarder le projet de reconstitution. Les techniques de constructions vont sortir

complètement du cadre des traditions de la construction antique. Tout d'abord, la construction

se fait avec la technique sur squelette, c'est-à-dire la mise en place des membrures avant le

bordé: "Ce n'est qu'en septembre que toutes les membrures sont définitivement en place,

prêtes à recevoir la quille."96 Or cette technique d'assemblage ne rentre pas dans la tradition

navale antique, comme nous avons pu le voir dans les parties précédentes. L'assemblage se

fait également selon des techniques modernes, André Gil-Artagnan précise que la quille est

reconstituée avec la méthode du lamellé-collé97. Enfin, le Pount est aménagé pour que

l'équipage participant à la circumnavigation puisse vivre dans un minimum de confort; à cela

s'ajoute un moteur auxiliaire de 61 ch.

Aucune étude du bois utilisé aux périodes anciennes n'a été menée, puisqu'il utilise

essentiellement du pin d'Oregon, or les navires égyptiens étaient principalement en cèdre du

Liban et en acacia.

95 A. Gil-Artagnan, 1995, p. 77 96 A. Gil-Artagnan, 1995, p. 76 97 Ibid

71

Figure 30 Le Pount sur son chantier d'assemblage, le 6 avril 1983. A. Gil-Artagnan p. 74. Sur cette photo on voit clairement que la construction s'est faite selon le procédé membrures premières.

Tous ces éléments décrits plus haut, font que cette reconstruction ne peut être

considérée comme scientifique, malgré un travail de recherche sur la navigation égyptienne

assez poussé. Les nombreux anachronismes dans les méthodes de construction et les

matériaux font que toute part d'authenticité est effacée. Le Pount par conséquent ne peut en

aucun cas être qualifié d'hypothèse dans l’acception scientifique du terme. Cela reste une

aventure humaine anecdotique sans retombée significative.

72

Figure 31 Le Pount. A. Gil-Artagnan p. 94. Construit entre 1981 et 1985. 1ère navigation expérimentale en 1986.

Circum navigation autour de l'Afrique: 1988 -1989

Un autre projet qui se révèle être plus du domaine de l'aventure humaine que de

l'archéologie navale expérimentale est l'expérience de Tim Severin avec la reconstruction du

mythique Argo (1984). Cette reconstruction lui servit pour ré-effectuer le voyage de Jason

puis il réutilisa cette reconstruction pour retracer l'Odyssée d'Ulysse. Pour la reconstruction du

navire de Jason, il s'appuya sur les descriptions données par Apollonios de Rhodes ainsi que

sur des représentations iconographiques, notamment une représentation d'une galère grecque,

peinte sur des tessons de poterie ancienne à Volos vers 1600 av. J.-C. Il s’inspira également

des descriptions des différents types de navires mentionnés dans les poèmes homériques98.

Ainsi, Tim Severin décida de faire construire une galère à 20 rameurs. Il confia la conception

du projet à l'architecte naval Colin Mudie99, ce dernier fut à l'origine de la maquette et du

plan. La construction fut confiée à un charpentier de marine traditionnel grec à Spetsai. Les

dimensions de la galère Argo sont de 16,46 mètres de long pour 2,84 mètres de large, avec

des bancs pour 20 rameurs.

98 T. Severin, 1986, p.25 99 T. Severin, 1986, p.26

73

Les étapes de la construction du navire Argo sont décrites dans l'ouvrage de Tim Severin

s'intitulant, The Jason Voyage: The Quest for the Golden Fleece (1986). Cependant, il ne

s'agit pas d'un ouvrage à caractère scientifique, puisqu'il est rédigé sous la forme d'une

épopée, dont Tim Severin est le héros principal qui incarne Jason. Ainsi un passage explique

clairement les intentions de Tim Severin: "Vingt-deux-siècles plus tard, mes compagnons et

moi-même nous sommes élancés, nous aussi, pour commémorer ces héros d'autrefois, les

Argonautes en poésie, nous espérions les suivre dans la réalité. Nous sommes donc repartis à

la rame sur la réplique d'une galère de l'époque de Jason, bateau à vingt avirons d'un type

datant de trois mille ans, en quête de notre propre Toison d'Or: les faits réels qui sous-tendent

la légende des Argonautes. Notre guide? un exemplaire des Argonautiques d'Apollonios,

enveloppé dans plusieurs couches plastique pour le protéger de la pluie et de l'embrun, à bord

d'une embarcation non pontée..."100

Le détail de la construction de l'Argo est donné dans le chapitre intitulé Vasilis, qui est en fait

le nom du charpentier de marine. Nous apprenons à travers ce chapitre que Tim Severin s'est

documenté, notamment sur la nature du bois utilisé dans la construction navale grâce aux

analyses des épaves découvertes en Méditerranée.

La maquette de l'Argo conçue par l'architecte naval Colin Mudie, est testée dans un bassin de

carène, pour déterminer les longueurs du taillemer (parfois utilisé comme bélier à l'avant des

galères), ce qui permet au bateau de mieux fendre les flots, avant d'être utilisé comme arme.

C'est cette maquette qui va servir de base au travail du charpentier de marine Vasilis, qui

n'utilisera pas les plans établis par Colin Mudie. Une étude ethnographique est donnée par

Tim Severin à propos du travail du bois. En effet, il s'aperçoit que le charpentier de marine,

n'utilise que du bois fraichement découpé pour les pièces du bateau. Or l'inconvénient

principal est que le bois venant d'être coupé a tendance à "travailler" et donc changer de forme

ce qui présente un inconvénient lorsqu'on désire obtenir une forme spécifique pour un

élément. Mais l'avantage réside dans le fait qu'il est beaucoup plus facile de travailler du bois

"frais" que du vieux bois séché car il est plus souple. Il faut donc empêcher le bois de vriller

grâce à des outils. Tim Severin avance que c'est sans doute ce que faisaient les anciens

charpentiers de marine de la Grèce antique101. Cependant, Tim Severin bien qu'au courant de

la technique de construction "bordé premier" d'usage durant la période antique, précise que

cette dernière ne fut pas appliquée à la construction de l'Argo102; et que l'important "c'était que

100 T. Severin, 1986, pp. 14 -15 101 T. Severin, 1986, p.51 - 52 102 Ibid

74

la coque terminée ait la forme" de la maquette initiale; c'est-à-dire que cette dernière ait une

allure antique. L'assemblage de la coque a été effectué selon le principe de tenons chevillés

dans des mortaises. Un passage de l'Iliade donne des indices sur le mode d'assemblage des

navires des temps homériques, en indiquant que les navires grecs après neuf années

d'échouage, commencent à avoir leurs liens qui pourrissent103. On peut donc supposer que le

navire de Jason aurait dû être assemblé selon la technique des navires cousus. Mais à l'époque

où Tim Severin conçoit son navire, aucun véritable bateau antique "cousu" n'a encore été

retrouvé.

La reconstruction de Tim Severin ne peut être considérée comme scientifiquement fondée,

puisque le charpentier est entièrement libre dans la conception du bateau Argo et les méthodes

d'assemblage et de construction ne paraissent pas assez documentées. Mais cela s’explique du

fait que Tim Severin n'a pas l'intention d'effectuer une étude d'archéologie navale

expérimentale, mais plutôt de retracer le périple de Jason et pour vivre une aventure.

Figure 32 plan de l'Argo de Tim Severin. Issu de T.Severin, 1986.

103 J.Cuisenier, 2003, p.99

75

Figure 33 L'Argo. Photo issue de T.Severin, 1986

Au fil des recherches, il est apparu que de nombreux programmes de reconstruction

ont été entrepris ces dernières années. Au total nous en dénombrons à l'heure actuelle seize,

avec ceux décrits plus haut. Il serait trop long ici d’en analyser la totalité de façon précise et

exhaustive, surtout qu'il nous manque beaucoup d'éléments nous permettant d’apporter une

critique objective. En effet, ces programmes de reconstruction n'ont pas forcément donné lieu

à des publications. On trouve mention de ces projets essentiellement à travers internet, sur des

sites spécialisés ou des blogs. Ce qui est frappant c'est qu'une majorité d'entre eux affirment

être issus de programmes scientifiques, avec la présence d'un comité, mais leur légitimité

reste à déterminer, car il est clair qu'une unique mention à travers un site internet ne peut en

aucun cas se suffire à elle même. Mais, surtout, ces programmes s'inspirent beaucoup des

travaux scientifiques vus et cités précédemment ; c’est ainsi que les reconstructions de

navires de guerre antiques, s'appuient essentiellement sur les données de la trière Olympias104.

De même, l'aventure de Tim Severin a inspiré la reconstruction en 2006 d'un Argo II, cette

fois à cinquante rameurs (Pentekontores) dont la technique de construction s'appuie en

grande partie sur les données de la trière Olympias105.

104 par exemple on peut citer les dières construites en Ukraine IVLIA et IVLIA II; la birème construite par une équipe turque Kybele. 105 http://lakodaemon.co.uk/the-ships-of-the-sea-peoples-part-3/

76

On remarque également que c'est en Grèce que les reconstructions de navires antiques sont les

plus nombreuses ; il est alors légitime de s’interroger sur la réelle motivation derrière ces

reconstructions ; on ne peut s’interdire de penser qu’il s’agit davantage de redorer le blason

national en faisant revivre un patrimoine culturel riche en vue d’un évènement d’ampleur

internationale (les Jeux Olympiques de 2004 ). On s'aperçoit, que les données fiables

manquent pour ces reconstructions, les concepteurs préfèrent, en effet, donner une "allure"

antique plutôt que d'essayer de comprendre et de rechercher de façon minutieuse des

témoignages permettant de restituer d'une façon plus authentique un navire ancien dont

aucune trace archéologique ne subsiste.

Toutes les reconstructions ont été regroupées dans un tableau visible ci-dessous. Ce tableau

classe ces reconstructions selon trois critères: réplique, hypothèse avec une base scientifique,

hypothèse non scientifique, fantaisiste, ou lorsque l'étude scientifique n'est pas avérée.

Dans ce classement, il se peut toutefois que certains programmes possèdent une légitimité

scientifique ; il faut donc nuancer notre propos car nous n’avons disposé que de peu

d’informations au moment où cette recherche a été entreprise.

77

pliq

ue

Hypo

thès

e

Autr

e Source(s) principale(s)

Epoque et type de navire

Date de reconstruct

ion

Pays de construction

Miniature

Kyré

nia

II

Epave du Kyrenia

Navire marchand grec du 4e siècle av.

J.-C.

1984 Grèce

Gyp

tis

Epave Jules-Verne 9

6e siècle av. J.-C. 2013 France

Trirè

me

Impé

riale

Documents iconographiques et sources

littéraires

Trirème romaine 1861 France

Oly

mpi

as

Documents iconographiques et sources

littéraires. Données

comparatives

Trière de l'époque

classique 5e - 4e siècle av. J.-

C.

1987 Grèce

Min

of t

he D

eser

t

Données iconographiqu

es. Données archéologiques

Navire égyptien de l'âge du

Bronze. Environ 1500

av. J.-C.

2008 Egypte

78

Poun

t

Données iconographiqu

es

Navire égyptien de l'époque pharaonique

1985 France

Argo

Données iconographiques et littéraires

Galère à 20 rameurs des

temps homériques

1984 Grèce

IVLI

A

Données iconographiques; littéraires.

Navigation expérimentale

Dière. 7e - 6e siècle av. J.-C. 1989 Ukraine

IVLI

A II

Données issues des recherches lors de la

conception de l'Olympias

Dière. 7e - 6e siècle av. J.-C. 2005 Ukraine

Argo

II

Reconstruction d'après les expertises

menées pour la construction

de la trière Olympias et d'après les

travaux de Tim Severin dans la conception de

l'Argo

Pentekontores des temps

homériques 2006 Grèce

Ulu

buru

n II

Reconstruction d'après l'épave

de l'âge du Bronze

Uluburun (sources

archéologiques)

Bateau de commerce daté

du 14e  - 13e siècle av. J.-C.

2006 Turquie

79

Kybe

le

Reconstruction à partir de documents

iconographiques et

littéraires. D'après les

études ayant menées à la

reconstruction de la trière

Olympias et du Kyrenia II

dière 6e siècle av. J.-C. 2009 Turquie

Phoe

nici

a

Sources archéologiques

. La construction

repose en partie sur

l'épave Jules-Verne 7

Navire phénicien du 6e siècela av. J.-C. Utilisé pour la

Circum navigation autour de l'Afrique

2004 Syrie

Min

oa

Sources iconographiqu

es (représentatio

n d'une procession

navale datant de 1600 av. J.-C. retrouvée sur l'île de

Théra)

Navire de l'époque

minoenne 2004 Grèce

Euro

pa

Source principalement

littéraire. D'après une description

biblique: Ezekiel 27

Navire phénicien 2004 Liban

Mel

qart

Pas d'informations

Navire de commerce phénicien

1997 Ukraine

pas d'image disponible

80

Libe

rté

de K

yren

ia

D'après la réplique Kyrenia II

Navire marchand grec du 4e siècle av.

J.-C.

2002 Grèce

Tableau 2: classement des reconstructions de navires antiques en fonction de leur authenticité et de leur programme

scientifique

81

CONCLUSION

82

Ce travail a permis de recenser toutes les reconstructions de navires antiques de

l'espace méditerranéen, en apportant une analyse sur la part d'authenticité qu'ils pouvaient

présenter en fonction des règles et méthodes énoncées lors des deux premières parties. En

effet, il s'est avéré nécessaire de justifier le classement donné en précisant les critères amenant

à ces résultats. La première partie du mémoire, consacrée à l'histoire et au développement de

l'archéologie navale expérimentale, a permis de borner notre propos en replaçant nos

recherches dans un contexte bien précis. La seconde partie apparaît comme essentielle car elle

permet la mise en relation avec la dernière partie dont l'objectif est de fournir un bilan

complet des programmes de reconstructions de navires antiques de la Méditerranée. Ce qui

ressort principalement ici, c'est la complexité que peut représenter un programme

d'archéologie navale expérimentale dont l'aboutissement est la construction grandeur nature

d'un type de navire aujourd'hui disparu avec des méthodes authentiques. Cette complexité

nous l'avons essentiellement vue à travers les projets ayant abouti à ce que l'on peut

considérer comme de véritables répliques: Projet Prôtis et la reconstruction du Kyrenia II.

Ainsi, plus on souhaite être précis et proche d'une certaine authenticité dans le programme de

reconstruction, plus il y a de paramètres à prendre en compte, de données à posséder et à

analyser, sans oublier une lourde logistique à mettre en place. Cela a pour conséquence de

limiter considérablement le développement de tels projets.

Au cours de ces recherches sont apparues également de nombreux problèmes au

niveau du classement de ces reconstructions. Le problème principal est souligné en dernière

partie et concerne les restitutions grandeur nature de navires dont les mentions ne se trouvent

qu'à travers internet et qui n'ont a priori, donné lieu à aucune publication mais se prétendent

être, malgré tout, des programmes fondés scientifiquement. Pour ceux-ci, de futures

recherches devront être menées afin de déterminer une possible base scientifique.

Un autre inconvénient majeur, rencontré lors de la consultation des sites internet faisant

mention de ces restitutions à l'échelle 1, réside dans le point de vue trop subjectif des auteurs

sur leur conception des navires antiques grandeur nature. Ainsi, il faudrait des points de vue et

des avis critiques extérieurs pour nuancer le propos, et permettre une analyse plus objective.

C'est notamment une des raisons pour lesquelles peu d'études ont été détaillées en fin de

troisième partie et que nous avons choisi d'établir un tableau synthétisant ces programmes.

De la même façon, les reconstructions de navires à l'"allure" antique ne respectant pas les

principes d'archéologie expérimentale, même si l'amorce d'une démarche scientifique est

avérée ne peuvent être considérées comme scientifiquement valable, à l'instar du Pount

d'André Gil-Artagnan ou l'Argo de Tim Severin.

83

Enfin, il n'est pas exclu que cette synthèse doive bientôt être mise à jour en raison de l'avancée

des découvertes dans le domaine de l'archéologie navale, de l'évolution des techniques et du

développement de nouvelles méthodes qui permettront d'atteindre une authenticité optimale.

84

Glossaire (d'après P.Pomey, 1997)

- Bille: Grume découpée

- Bordé premier: Technique d'assemblage où les éléments de la coque sont assemblés avant

les éléments de la charpente transversale.

- Can: Surface la plus étroite d'une pièce de bois dans sa longueur

- Equarrissage: Action qui consiste à transformer une grume en une pièce à faces. La plupart

du temps de section carrée ou rectangulaire

- Etambot: Pièce de bois prolongeant la quille à l'arrière

- Etrave: Pièce de bois prolongeant la quille à l'avant

- Estrope: Ceinture en cordage retenant un aviron à un tolet

- Grume: Tronc d'arbre abattu dont on a coupé les branches mais qui est toujours recouvert de

son écorce

- Membrure: Elément de la charpente transversale d'un navire

- Membrure première: Technique d'assemblage, pour laquelle la charpente est assemblée

avant les éléments de la coque.

- Mortaise: Entaille pratiquée dans l'épaisseur d'une pièce de bois et destinée à recevoir un

tenon

- Pavois: Partie prolongeant le bordé de coque au-dessus du pont

- Quille: Pièce maîtresse de la charpente axiale de la coque d'un navire

- Tenon: Pièce de bois taillée de manière à s'introduire dans une mortaise

- Tolet: Tige de fer ou de bois que l'on enfonce de la moitié de sa longueur sur le plat-bord

(latte de bois qui termine le bord d'un navire) d'une embarcation pour servir de point d'appui à

l'aviron

- Vergue: Longue pièce de bois perpendiculaire au mât supportant une voile carrée

85

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92

Table des illustrations

Figure 1 Trirème antique de Napoléon III en cours de construction sur le chantier naval d'Asnières - Vue latérale de la poupe (photographie Comte Aguado Olympe- 1861) ______ 13 Figure 2 Trirème antique de Napoléon III en cours de construction, vue latérale (photographie Comte Aguado Olympe - 1861) ____________________________________ 14 Figure 3 Le navire du Gokstad photographié lors de la fouille de 1880 (photographie: Université du Musée National des Antiquités, Oslo, Norvège) ________________________ 16 Tableau 2 Répliques des navires de Roskilde 17

Figure 4 Photo des cinq répliques des bateaux de Skuldelev en 2006. Photo issue de Archéothema, n°18, jan-fév. 2012 ______________________________________________ 18 Figure 6 Restitution (échelle 1) du système d'assemblage par ligatures de l'épave Jules Verne 9 ________________________________________________________________________ 26 Figure 5 Exemple d'une maquette de vestiges. Epave Jules Verne 7. Photo CNRS/CCJ - http://protis.hypotheses.org/ __________________________________________________ 26 Figure 7 Maquette de remise en forme des vestiges de l'épave Jules Verne 7. Photo CNRS/CCJ- http://protis.hypotheses.org/ 27 Figure 8 Maquette de restitution final de l'épave Jules-Verne 9 - échelle 1/10e. Réalisation R.Roman. Photo Ph. Foliot, CCJ -CNRS (Image issue d'Archéologia, n°520, avril 2014) __ 28 Figure 9 Démonstration du système de nage d'une trière antique. J.S. Morrison; J.F.Coates-1983 _____________________________________________________________________ 30 Figure 10 Exemple de restitution 3D par ordinateur. Epave Napoli C - réalisation P. Poveda, CCJ-Université Aix-Marseille _________________________________________________ 33 Figure 11 Exemple de restitution 3D par ordinateur. Epave Napoli C - réalisation P. Poveda, CCJ-Université Aix-Marseille _________________________________________________ 34 Figure 12 Restitution de la forme d'un carène d'un navire antique - Napoli C - par ordinateur. Centre Camille Jullian, P. Poveda, R. Roman 2009 - http://ccj.cnrs.fr _________________ 35 Figure 13 Equarrissage des membrures dans un chantier naval traditionnel dans le golfe persique- Photo issue de M.Rival, 1991, p.129 ____________________________________ 38 Figure 14 Le Gyptis lors de l'Escale à Sète 2014 - Fête des traditions maritimes. Photo issue du journal Midi Libre _______________________________________________________ 39 Figure 15 Diagramme indiquant les différentes étapes dans un projet d'expérimentation en archéologie navale - d'après l'Institute of Archaeology - Oxford ______________________ 41 Figure 16 L'épave du Kyrenia en cours de fouilles -1968- Photo M.L. Katzev ___________ 47 Figure 17 2 vues. A gauche: les vestiges du Kyrenia après dégagement de sa cargaison. A droite: Les vestiges du Kyrenia ré-assemblés et exposés au musée. Photo de gauche 1968; photo de droite 1974. Robin C. M. Percy & Susan W. Katzev. ________________________ 47 Figure 18 Le Kyrenia II sous voile près d'Athènes -1985 - photo Yiannis Vichos_________ 48 Figure 19 carte représentant le trajet aller-retour du Kyrenia II - Carte issue de M.Katzev, 1987, p.256 _______________________________________________________________ 49

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Figure 20 Système d'assemblage par ligatures de l'épave Jules-Verne 9, décrit ci dessus. Vue du dessus, vue latérale, coupes transversales. (Dessin Michel Rival - issu de P.Pomey, 2001, p. 435). ___________________________________________________________________ 52 Figure 21 Assemblage par ligatures de deux planches du pavois sur le Gyptis - Photo Romain Fougeron _________________________________________________________________ 55 Figure 22- Ci-contre présentation actuelle de l'épave Jules-Verne 9 au Musée d'Histoire de Marseille. (Vestiges et restitution de la forme de la carène). _________________________ 55 Figure 23 Le Gyptis lors d'une navigation expérimentale entre Port-Saint-Louis du Rhône et Marseille - Photo G. Contini __________________________________________________ 56 Figure 24 disposition des rangs de rameurs d'une trirème antique d'après Augustin Jal, La Flotte de César, 1861, p.156. A' correspond au rang des thalamites, B' à celui des zygites et enfin C' à celui des thranites. _________________________________________________ 57 Figure 25 relief Lenormant - Musée de l'Acropole d'Athènes. Photo issue de J.S. Morrison & J.F. Coates, 1986, p.16 ______________________________________________________ 61 Figure 26 La trière Olympias en cale sèche au Pirée _______________________________ 63 Figure 27 La trière Olympias lord d'une navigation expérimentale____________________ 63 Figure 28 Détail du relief du Mastaba de Ti à Saqqarah représentant une scène de construction navale - Photo Berthold Werner - 2011 _______________________________ 66 Figure 29 Le Min of the Desert lors de sa navigation expérimentale en mer Rouge - Photo Cheryl Ward - 2009 _________________________________________________________ 68 Figure 30 Le Pount sur son chantier d'assemblage, le 6 avril 1983. A. Gil-Artagnan p. 74. Sur cette photo on voit clairement que la construction s'est faite selon le procédé membrures premières. ________________________________________________________________ 71 Figure 31 Le Pount. A. Gil-Artagnan p. 94. Construit entre 1981 et 1985. 1ère navigation expérimentale en 1986. ______________________________________________________ 72 Figure 32 plan de l'Argo de Tim Severin. Issu de T.Severin, 1986. ____________________ 74 Figure 33 L'Argo. Photo issue de T.Severin, 1986 _________________________________ 75 Tableau 2 Synthèse des reconstructions de navires antiques méditerranéens 77-81