cahier pedagogique la vie devant soi

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Cahier pédagogique © i. de Beir La Vie devant soi Romain Gary /// Michel Kacenelenbogen Adaptation de Xavier Jaillard Une création et production du Théâtre Le Public Salle de La Grande Main 25 et 27 février 2014 // 13:30

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  • Cahier pdagogique

    i. de Beir

    La Vie devant soi Romain Gary /// Michel Kacenelenbogen

    Adaptation de Xavier Jaillard

    Une cration et production du Thtre Le Public

    Salle de La Grande Main

    25 et 27 fvrier 2014 // 13:30

  • 2

    Sommaire

    Romain Gary 3

    Biographie 3

    Bibliographie 7

    La Vie devant soi 8

    Rsum 8

    Le roman 8

    Le langage 9

    Extraits 9

    Les personnages 12

    Le contexte historique et gographique 15

    Le quartier de Belleville 15

    La Rafle du Vel dHiv 18

    Analyse 22

    Lapproche de la mort 22

    Chienne de vie 23

    Rencontre entre Gary et Ajar 24

    Le bonheur 25

    Le prix Goncourt 26

    Les adaptations 29

    Lquipe du spectacle 32

    La presse 41

    Crdits bibliographiques 44

    Infos pratiques 45

  • 3

    Romain Gary / mile Ajar (1914-1980)

    J-L Sieff

    Roman Kacew nat en 1914 Wilno (Vilnius) en Lituanie qui faisait alors encore

    partie de la Russie impriale. Il est le fils dun marchand juif de peaux et fourrures,

    Arieh Kacew, et de Mina Owczynska, qui aurait t actrice Rien nest moins sr ; le

    flou artistique qui entoure la vie du petit Roman dbute donc avant mme sa

    naissance. En 1925, Arieh quitte femme et enfant et Mina lve seule son fils unique

    sur lequel elle fonde les espoirs les plus fous de grandeur et de gloire, elle qui ne fut

    jamais la grande comdienne quelle avait tant rv dtre. Sous diverses formes,

    elle sera le personnage souvent central de bien des uvres de Gary, et la Madame

    Rosa de La Vie devant soi doit beaucoup cette figure de mre juive, forte et

    angoisse la fois, lionne dfendant son petit contre le monde entier et ne doutant

    jamais quil deviendra un grand fauve admir de tous. Mina, malgr les difficults

    financires, lve donc Roman comme sil tait un prince, lduquant notamment

    dans lamour de la France. Cette France lumire du monde, terre promise de libert

    et de culture, berceau des grands potes, patrie des arts. Fuyant les pogroms du

    communisme, elle lemmnera Nice o ils sinstallent en 1928. Roman, qui est

    devenu Romain, a 14 ans. Il fait ses tudes au lyce de la ville tandis que sa mre

    parcourt les grands htels de la Riviera cherchant fourguer aux richards de

    passage les pices que lui confient quelques bijoutiers et antiquaires de Nice. Elle

  • 4

    finira par soffrir une pension de famille, lhtel Mermonts, quelle grera dune main

    ferme et douce la fois jusqu sa mort.

    En 1933, Romain dcroche son bac et monte Paris pour tudier le droit. En 35 il

    obtient enfin cette nationalit franaise tant dsire. Cest le temps o sont publies

    ses premires nouvelles, mais son premier roman Le Vin des Morts est refus par

    tous les diteurs. Sa licence de droit en poche, il entre en 1938 lEcole de lAir de

    Salon de Provence. Quand la guerre clate, il fuit jusqu Glasgow en passant par

    Alger, Casablanca et Gibraltar. Il rallie alors les Forces Franaises Libres et vouera

    jusquau bout une admiration sans faille De Gaulle. Il commence durant la guerre

    jeter sur le papier les bauches de ce qui deviendra Education europenne, son

    premier succs littraire.

    En 1941, Mina meurt sans que Romain ait pu la revoir. Aprs un passage en Afrique,

    il combat au Proche-Orient o il contracte le typhus dont il rchappe par miracle. De

    retour en Angleterre, il est incorpor au groupe de bombardement Lorraine et

    participe de nombreux raids. En 1944, il est grivement bless puis est dcor de

    la croix de guerre. Londres, il fait la connaissance de Lesley Blanch, une

    journaliste quil pouse en 45. La mme anne, la Lgion dHonneur lui est attribue,

    mais surtout, Education europenne est publie chez Calmann-Lvy et obtient le prix

    des Critiques. Malraux, Camus, Aragon et Kessel, entre autres, reconnaissent la

    naissance dun grand crivain. Romain Gary entre alors en diplomatie et se retrouve

    en poste Sofia. Aux prmices de la guerre froide, on juge quun homme qui parle

  • 5

    couramment le russe, le polonais, langlais et lallemand peut y tre utile. Il songe

    crire une pice de thtre pour Louis Jouvet quil admire, mais le matre se montre

    critique et difficile. Suite cet chec, Romain renoncera presque dfinitivement

    crire pour la scne.

    1948 : il publie Le Grand Vestiaire chez Gallimard, qui deviendra le confident

    paternel de cet auteur tortur et versatile. Lanne suivante, il achte avec Lesley

    une vieille maison de Roquebrune dont il fera un temps son havre de paix. Au dbut

    des annes 50, il se retrouve affect Berne o il sennuie prodigieusement, tandis

    que les traductions anglaises de ses romans le font connatre aux Etats-Unis.

    Romain Gary devient officiellement son nom dtat civil. Il fait paratre Les Couleurs

    du jour alors quil est porte-parole de la dlgation franaise lONU. Puis il quitte

    New York pour Los Angeles o il sera Consul gnral de France jusquen 1961. Il

    frquente alors tout le beau monde dHollywood. Il est La Paz, en mission de

    remplacement, lorsquil apprend que le Goncourt 1956 lui a t attribu pour Les

    Racines du ciel et il rentre Paris prcipitamment pour recevoir son prix.

    En 1959, il rencontre lactrice Jean Seberg et ils tombent perdument amoureux. En

    60, publication de La Promesse de laube, qui dcrit son parcours et dans lequel la

    figure maternelle est centrale et omniprsente. La longue procdure de son divorce

    avec Lesley Blanch trouve son terme en 1963. Jean et lui, entre deux tournages,

    sinstallent Majorque o, en octobre, nat leur fils Alexandre Diego. Romain crit en

    anglais ce qui deviendra Adieu Gary Cooper. En 66, il visite avec elle Varsovie et ce

    qui fut lemplacement du ghetto. Ce voyage bouleversant donnera naissance

  • 6

    La Danse de Gengis Cohn qui paratra lanne suivante. Certains de ses romans

    sont adapts au cinma et Romain lui-mme ralise Les Oiseaux vont mourir au

    Prou. Il publie Chien blanc qui parat en 1970, lanne de la disparition du Gnral

    De Gaulle, o lon verra Gary sortir de sa tanire pour assister aux obsques, revtu

    de son vieux blouson de pilote, toutes ses mdailles la poitrine et arborant sa

    Lgion dHonneur. Il publie aux Etats-Unis un hommage vibrant dans Ode to the Man

    who was France. Spar de Jean Seberg depuis 1968, les ex-amants vivent

    cependant dans la mme rue Paris. Gary narrte pas dcrire, sous divers noms.

    En 1975, Gallimard fait paratre au Mercure de France un roman sign dun certain

    mile Ajar : La Vie devant soi reoit le prix Goncourt la mme anne, le deuxime de

    Gary qui se cache sous ce pseudonyme avec la complicit de son petit cousin, Paul

    Pavlowitch. Gary, sous son vrai nom, publie encore en 77 Clair de femme. Cette

    mme anne, ladaptation cinmatographique de La Vie devant soi vaut un Csar

    Simone Signoret. En 1979, Jean Seberg meurt. Lanne suivante Romain Gary met

    fin ses jours avec son vieux pistolet dordonnance. Il laisse un mot dclarant que ce

    suicide na aucun lien avec la mort de Jean. En 1981 enfin, le mystre Ajar est lev :

    Gary et lui ne font plus quun dfinitivement.

  • 7

    Bibliographie

    Nouvelles publies sous le nom de Romain Kacew :

    1935 : LOrage et Une Petite Femme 1937 : Le Vin des morts

    Sous le nom de Romain Gary :

    1945 : ducation europenne 1946 : Tulipe 1949 : Le Grand Vestiaire 1952 : Les Couleurs du jour 1956 : Les Racines du ciel (prix Goncourt) 1960 : La Promesse de l'aube 1961 : Johnnie Cur (thtre) 1962 : Gloire nos illustres pionniers (nouvelles) 1963 : Lady L. 1965 : Adieu Gary Cooper (The Ski Bum) 1965 : Pour Sganarelle (Frre Ocan 1) (essai) 1966 : Les Mangeurs d'toiles (La Comdie amricaine 1) 1967 : La Danse de Gengis Cohn (Frre Ocan 2) 1968 : La Tte coupable (Frre Ocan 3) 1969 : Adieu Gary Cooper (La Comdie amricaine 2) 1970 : Chien blanc 1971 : Les Trsors de la mer Rouge 1972 : Europa 1973 : Les Enchanteurs 1974 : La Nuit sera calme (entretien fictif) 1975 : Au-del de cette limite votre ticket n'est plus valable 1977 : Clair de femme 1977 : Charge d'me 1979 : La Bonne Moiti (thtre) 1979 : Les Clowns lyriques 1980 : Les Cerfs-volants 1981 : Vie et mort d'mile Ajar (posthume) 1984 : LHomme la colombe (version posthume dfinitive)

    Sous le pseudonyme de Fosco Sinibaldi : 1958 : LHomme la colombe

    Sous le pseudonyme de Shatan Bogat : 1974 : Les Ttes de Stphanie

    Sous le pseudonyme dmile Ajar :

    1974 : Gros-Clin 1975 : La Vie devant soi (prix Goncourt) 1976 : Pseudo 1979 : LAngoisse du roi Salomon

  • 8

    La Vie devant soi

    Rsum

    Momo, 10 ans, vit depuis tout petit chez Madame Rosa, une ancienne prostitue.

    Rosa, cest la seule maman qui lui reste Momo. Il y a bien son pre qui dbarque

    un beau jour pour larracher sa nouvelle vie... mais repart aussitt en croyant que

    Momo, son enfant musulman, est devenu juif ! Et puis, aprs tous ceux quelle a

    recueillis et levs dans le quartier, Momo, cest le dernier enfant qui lui reste

    Rosa, elle ne veut pas le voir partir. Mme si ce nest pas vraiment le sien, il est son

    souffle de vie le petit... Alors oui, entre la vieille dame juive et le petit musulman, cest

    une histoire damour qui se tisse au quotidien, qui les lie lun lautre avec

    tendresse, avec ironie, mais surtout avec une fidlit froce, sauvage, pour faire face

    au monde qui gravite autour de leur petit univers cocasse... Ils vont tre ensemble,

    complices, jusquau bout de la vie.

    Le roman

    Ds les premires pages, on est embarqus dans ce quartier de Belleville1 des

    annes 70. Momo (Mohammed) a 10 ans (en ralit, il a 14 ans), il a t recueilli ds

    son plus jeune ge par Madame Rosa qui sest spcialise en nounou de fils de

    putes .

    C'est Belleville, au sixime sans ascenseur, chez Madame Rosa, une vieille Juive

    qui a connu Auschwitz, et qui autrefois, il y a bien longtemps, se dfendait2 rue

    Blondel. Elle a ouvert une pension sans famille pour les gosses qui sont ns de

    travers, autrement dit une crche clandestine o les dames qui se dfendent

    abandonnent plus ou moins leurs rejetons de toutes les couleurs. Momo raconte sa

    vie chez Madame Rosa et son amour pour la seule maman qui lui reste, cette

    ancienne respectueuse, grosse, virile, laide, sans cheveux, et qu'il aime de tout son

    cur presquautant que son parapluie Arthur, une poupe qu'il s'est fabrique avec

    un vieux parapluie ; il n'a pas de pre et chez Madame Rosa, les autres gosses

    s'appellent Mose ou Banania. Lorsque Madame Rosa meurt, il lui peint le visage au

    Ripolin, l'arrose des parfums qu'il a vols et se couche prs d'elle pour mourir aussi.

    1 Le quartier de Belleville est le 77e quartier administratif de Paris situ dans le 20e arrondissement. Dans les reprsentations

    des Parisiens, le quartier de Belleville est plus vaste. Au 19e sicle, l'habitat y est de mauvaise qualit gnrale (construction avec des matriaux peu coteux et faible entretien). Le tissu social du quartier est largement dfavoris. La Ville de Paris va dbuter une rnovation du quartier ds 1952. Voir pp.15-17. 2 Se dfendre signifie ici se prostituer.

  • 9

    Le langage

    Dans La Vie devant soi, Gary/Ajar invente un style, dans le genre parl, familier,

    mais sans argot, qui clate en formules cocasses, incongrues, lapidaires. Les

    phrases sont dformes et provoquent un effet comique.

    La Vie devant soi est avant tout une histoire de langue. Ds les premires pages, on

    tombe sous le charme du parler du petit Momo. lev lcole de la rue, Momo

    maltraite la grammaire et la syntaxe, dforme les mots et les expressions, mais offre

    en mme temps un langage potique et puissamment littraire.

    Tout le rcit repose sur cet exercice de style extrmement prilleux mais

    parfaitement russi puisque ds la premire page, on oublie totalement lcrivain.

    Toute lattention du lecteur est porte vers cet enfant singulier qui nous raconte la vie

    de tout ce petit monde sa manire.

    Extraits

    La premire chose que je peux vous dire cest quon habitait au sixime pied et

    que pour Madame Rosa, avec tous ces kilos quelle portait sur elle et seulement

    deux jambes, ctait une vraie source de vie quotidienne, avec tous les soucis et les

    peines. Elle nous le rappelait chaque fois quelle ne se plaignait pas dautre part, car

    elle tait galement juive. Sa sant ntait pas bonne non plus et je peux vous dire

    aussi ds le dbut que cest une femme qui aurait mrit un ascenseur.

    Je devais avoir trois ans quand jai vu Madame Rosa pour la premire fois. Avant, on

    na pas de mmoire et on vit dans lignorance. Jai cess dignorer lge de trois ou

    quatre ans et parfois a me manque.

    Il y avait beaucoup dautres Juifs, Arabes et Noirs Belleville, mais Madame Rosa

    tait oblige de grimper les six tages seule. Elle disait quun jour elle allait mourir

    dans lescalier, et tous les mmes se mettaient pleurer parce que cest ce quon fait

    toujours quand quelquun meurt. On tait tantt six ou sept tantt mme plus l-

    dedans.

    Au dbut je ne savais pas que Madame Rosa s'occupait de moi seulement pour

    toucher un mandat la fin du mois. Quand je l'ai appris, a m'a fait un coup de savoir

    que j'tais pay. Je croyais que Madame Rosa m'aimait pour rien et qu'on tait

  • 10

    quelqu'un l'un pour l'autre. J'en ai pleur toute une nuit et c'tait mon premier grand

    chagrin.

    Madame Rosa a bien vu que jtais triste et elle ma expliqu que la famille a ne

    veut rien dire et quil y en a mme qui partent en vacances en abandonnant leurs

    chiens attachs des arbres et que chaque anne il y a trois mille chiens qui

    meurent ainsi privs de laffection des siens. Elle ma pris sur ses genoux et elle ma

    jur que jtais ce quelle avait de plus cher au monde mais jai de suite pens au

    mandat et je suis parti en pleurant. pp.9-10

    ()

    Pendant longtemps je n'ai pas su que j'tais arabe parce que personne ne

    m'insultait. On me l'a seulement appris l'cole. Mais je ne me battais jamais, a fait

    toujours mal quand on frappe quelquun.

    Madame Rosa tait ne en Pologne comme Juive mais elle s'tait dfendue au

    Maroc et en Algrie pendant plusieurs annes et elle savait l'arabe comme vous et

    moi. Elle savait aussi le juif pour les mmes raisons et on se parlait souvent dans

    cette langue. La plupart des autres locataires de limmeuble taient des Noirs. Il y a

    trois foyers noirs rue Bisson et deux autres o ils vivent par tribus, comme ils font a

    en Afrique. Il y a surtout les Sarakoll, qui sont les plus nombreux et les Toucouleurs,

    qui sont pas mal non plus. Il y a beaucoup dautres tribus rue Bisson mais je nai pas

    le temps de vous les nommer toutes. Le reste de la rue et du boulevard de Belleville

    est surtout juif et arabe. Ca continue comme a jusqu la Goutte dOr et aprs cest

    les quartiers franais qui commencent.

    Au dbut je ne savais pas que je n'avais pas de mre et je ne savais mme pas qu'il

    en fallait une. Madame Rosa vitait de m'en parler pour ne pas me donner des ides.

    Je sais pas pourquoi je suis n et quest-ce qui sest pass exactement. Mon copain

    le Mahoute qui a plusieurs annes de plus que moi ma dit que cest les conditions

    dhygine qui font a. Lui tait n Casbah et il tait n parce quil ny avait ni bidet

    ni eau potable ni rien. Le Mahoute a appris tout cela plus tard, quand son pre a

    cherch se justifier et lui a jur quil ny avait aucune mauvaise volont chez

    personne. Le Mahoute ma dit que les femmes qui se dfendent ont maintenant une

    pilule pour lhygine mais quil est n trop tt.

    Il y avait chez nous pas mal de mres qui venaient une ou deux fois par semaine

    mais ctait toujours pour les autres. Nous tions presque tous des enfants de putes

    chez Madame Rosa et quand elles partaient plusieurs mois en province pour se

    dfendre l-bas, elles venaient voir leur mme avant et aprs. Il me semblait que tout

    le monde avait une mre sauf moi. J'ai commenc avoir des crampes d'estomac et

    des convulsions pour la faire venir. pp.12-13

  • 11

    Une nuit j'ai entendu que Madame Rosa gueulait dans son rve, a m'a rveill et

    j'ai vu qu'elle se levait. () Elle avait la tte qui tremblait et des yeux comme si elle

    voyait quelque chose. Puis elle est sortie du lit, elle a mis son peignoir et une cl qui

    tait cache sous l'armoire. Quand elle se penche, elle a un cul encore plus grand

    que dhabitude.

    Elle est alle dans l'escalier et elle l'a descendu. Je l'ai suivie parce quelle avait

    tellement peur que je nosais pas rester tout seul. () Quand elle est arrive au rez-

    de-chausse, Madame Rosa nest pas sortie dans la rue, elle a tourn gauche,

    vers lescalier de la cave o il ny a pas de lumire et o cest le noir mme lt.

    Madame Rosa nous interdisait daller dans cet endroit parce que cest toujours l

    quon trangle les enfants. Quand Madame Rosa a pris cet escalier, jai cru vraiment

    que ctait la fin des haricots elle tait devenue macaque et jai voulu courir rveiller

    le docteur Katz. Mais javais prsent tellement peur que je prfrais encore rester

    l et ne pas bouger, jtais sr que si je bougeais, a allait hurler et sauter sur moi de

    tous cts, avec des monstres qui allaient enfin sortir dun seul coup au lieu de rester

    cachs, comme ils le faisaient depuis que jtais n.

    Cest alors que jai vu un peu de lumire. a venait de la cave et a ma un peu

    rassur. Les monstres font rarement de la lumire, cest toujours le noir qui leur fait

    le plus de bien. Je suis descendu dans le couloir qui sentait la pisse et mme mieux

    parce quil ny avait quun W.C. pour cent dans le foyer noir ct et ils faisaient o

    ils pouvaient. La cave tait divise en plusieurs et une des portes tait ouverte. Cest

    l que Madame Rosa tait entre et cest de l que sortait la lumire. J'ai regard.

    Il y avait au milieu un fauteuil rouge compltement enfonc, crasseux et boiteux, et

    Madame Rosa tait assise dedans. Les murs, c'tait que des pierres qui sortaient

    comme des dents et ils avaient l'air de se marrer. Sur une commode, il y avait un

    chandelier avec des branches juives et une bougie qui brlait. Il y avait ma grande

    surprise un lit dans un tat bon jeter, mais avec matelas, couvertures et oreillers. Il

    y avait aussi des sacs de pommes de terre, un rchaud, des bidons et des botes

    carton pleines de sardines. Jtais tellement tonn que je navais plus peur, sauf

    que javais le cul nu et que je commenais me sentir froid.

    Madame Rosa est reste un moment dans ce fauteuil miteux et elle souriait avec

    plaisir. Elle avait pris un air malin et mme vainqueur. C'tait comme si elle avait fait

    quelque chose de trs astucieux et de trs fort. Puis elle s'est leve. Il y avait un

    balai dans un coin et elle a commenc balayer la cave. () Bon, je ny comprenais

    rien, mais a faisait une chose de plus. Je ne savais pas du tout pourquoi elle avait la

    satisfaction de descendre six tages et des poussires au milieu de la nuit pour

    sasseoir dans sa cave avec un air malin.

    Quand elle est remonte, elle n'avait plus peur et moi non plus, parce que c'est

    contagieux. pp.36-38

  • 12

    La seule chose qui pouvait remuer un peu Madame Rosa quand elle tait

    tranquillise c'tait si on sonnait la porte. Elle avait une peur bleue des Allemands.

    Cest une vieille histoire et ctait dans tous les journaux et je ne vais pas entrer dans

    les dtails mais Madame Rosa nen est jamais revenue. ()

    Ctait du dernier comique, cette peur que Madame Rosa avait des coups de

    sonnette. Le meilleur moment pour a, ctait trs tt le matin, quand le jour est

    encore sur la pointe des pieds. Les Allemands se lvent tt et ils prfrent le petit

    matin nimporte quel autre moment de la journe. Il y avait un de nous qui se levait,

    qui sortait dans le couloir et appuyait sur la sonnette. Un long coup, pour que a

    fasse tout de suite. Ah quest-ce quon se marrait ! Il fallait voir a, les quatre-vingt-

    quinze kilos et des poussires, eh bien, elle giclait de son lit comme une dingue et

    dgringolait la moiti dun tage avant de sarrter. pp.59-60

    Les personnages

    Momo, en vrit Mohammed, est un enfant qui croit avoir dix ans mais qui en a en

    fait quatorze. Il est le fils prsum de Monsieur Yossef Kadir et d'une prostitue,

    tue par ce dernier lors d'une crise de folie. Mais cela, Momo ne l'apprendra que

    tardivement, lorsqu'il rencontrera son pre pour la premire et dernire fois puisque

    celui-ci, qui tait dans un asile depuis 11 ans, dcdera sans avoir pu reconnatre

    son fils.

    Momo ayant t spar de sa mre trois ans, il a t lev par Madame Rosa,

    lev dans l'Islam puisque c'est cette condition qu'il lui avait t confi. Momo,

    nanmoins, connat l'hbreu et le yiddish, ce qui cause une certaine surprise ceux

    qui le ctoient. An des enfants levs par Madame Rosa, Momo joue le rle du

    grand frre. Il assume trs bien mais n'en rve pas moins une autre vie, dans

    laquelle, devenu adulte, il serait puissant, c'est--dire policier, terroriste ou crivain,

    comme Victor Hugo. Pour l'heure, cependant, il rflchit la vie : la sienne, celle

    de Madame Rosa, celles des personnes qui l'entourent.

    Madame Rosa a soixante-cinq ans. C'est une Juive polonaise, devenue prostitue

    en Afrique du Nord, revenue en France, elle a vcu la rafle du Vel dHiv et la

    dportation Auschwitz. son retour des camps, Madame Rosa a continu faire

    le trottoir pendant quelques annes puis elle a cr une sorte de garderie pour lever

    les enfants de prostitues qui, sinon, auraient t placs l'Assistance publique.

    De la guerre, Madame Rosa a gard le souvenir des policiers franais qui sont, un

    jour, venus chez elle pour l'arrter et la conduire au Vel d'Hiv et une crainte des

    sonnettes qui sonnent au petit matin. Depuis, elle s'est fait faire de nombreux faux

    papiers qui lui permettraient, le cas chant, de prouver qu'elle n'est pas ce qu'on

    croit qu'elle est. Elle a galement gard un portrait de Hitler qu'elle regarde dans ses

    jours de dsespoir pour se dire qu'elle a connu pire et une chambre amnage dans

  • 13

    sa cave, ce qu'elle appelle son trou juif", dans laquelle se rfugier en cas de pril.

    Avec le temps, la sant de Madame Rosa se dtriore. Son mdecin veut qu'elle

    aille l'hpital. Elle s'y refuse.

    Monsieur Hamil est un vieil arabe devenu presque aveugle qui fut, dans sa

    jeunesse, marchand de tapis ambulant, ce qui lui a permis de voir du pays. Il

    frquente assidment le caf et Momo va souvent le voir pour bavarder avec lui.

    Monsieur Hamil a deux passions : le Coran et la posie de Victor Hugo. Mais les

    deux textes lui sont si familiers qu'il les confond, attribuant au pote des versets du

    livre sacr et celui-ci des vers du pote. Il aime beaucoup Momo.

    Le docteur Katz est le mdecin de Madame Rosa et de la maisonne. C'est un

    homme bon, qui comprend Madame Rosa, qui la rassure tout instant sur elle-

    mme (elle craint d'avoir un cancer) et sur Momo (elle craint que, fils de son

    pre, psychiatrique , il ne soit lui-mme hrditaire ). Momo aime frquenter

    son cabinet. Le docteur Katz sait que Madame Rosa ne veut pas vieillir comme un

    lgume mais sa conscience professionnelle lui interdit l'euthanasie. Il militera donc

    (mais sans zle) pour qu'elle aille l'hpital.

    Madame Lola est une voisine de Madame Rosa. C'est un travesti qui se dfend au

    Bois de Boulogne aprs avoir t champion de boxe au Sngal. Madame Lola est

    la bont-mme et c'est elle qui aidera Momo et Madame Rosa lorsque celle-ci sera

    devenue impotente.

    Monsieur N'Da Amde est un proxnte, venu du Niger, souvent tout de rose vtu,

    portant diamant chaque doigt. Lui aussi aidera beaucoup Momo et Madame Rosa.

    Il contrle les vingt-cinq meilleurs mtres de Pigalle. Mais il finira dans la Seine, les

    doigts bagus coups.

    Banania est un jeune enfant lev un moment par Madame Rosa. Son nom lui vient

    du sourire ravi qu'il affiche tout moment. Momo est charg de promener Banania

    dans les foyers africains du quartier pour qu'il s'habitue.

    Mose est un autre enfant. Il est blond aux yeux bleus, et Juif.

    Nadine est une jeune femme qui travaille dans le cinma. Momo fera sa rencontre

    par hasard. Elle est belle et gentille. Marie un professeur ( moins que ce ne soit

    un mdecin), mre de deux enfants, elle se prendra d'affection pour Momo. la fin

    du livre, Momo va vivre chez elle.

    Monsieur Yossef Kadir est le pre de Momo. Proxnte, il a tu la mre de Momo

    dans une crise de folie et a t intern. Sorti de l'asile, il se prcipite chez Madame

    Rosa pour faire la connaissance de son fils. Madame Rosa va lui prsenter Mose et

    dclarer qu'elle s'est trompe et qu'elle a, par erreur, lev son fils dans la religion

  • 14

    juive. Sous le coup de l'motion, Monsieur Yossef Kadir va avoir une crise

    cardiaque et dcder.

    Monsieur Waloumba est un voisin de Madame Rosa. Il connat les musiques

    magiques d'Afrique et sera souvent mis contribution par Momo pour essayer de

    rendre la sant Madame Rosa.

    Arthur est un parapluie que Momo a habill en personne et qui est son ftiche.

  • 15

    Le contexte historique et gographique

    Lhistoire se passe dans le quartier de Belleville

    Le tissu urbain le plus ancien encore existant date de la fin du XIXe sicle. cette

    poque, la population ouvrire augmente fortement notamment dans les faubourgs

    qui entouraient la ville et qui sont inclus dans son primtre aprs 1860. Le nouveau

    tissu urbain est n sur un terrain prcdemment cultiv en vignoble. Les parcelles

    ont dailleurs, encore aujourd'hui, une forme troite et profonde, et sont disposes

    transversalement la pente du terrain, selon la vieille orientation des vignobles.

    L'habitat originel du faubourg est souvent caractris par sa mauvaise qualit

    gnrale. Une construction effectue avec des matriaux peu coteux en est

    l'origine. Par la suite, le faible entretien apport par les propritaires, qui n'avaient

    pas de ressources suffisantes dans un quartier tissu social traditionnellement

    dfavoris, n'a gure contribu une bonne conservation.

    La densification du quartier tant son maximum, le mouvement immobilier de

    Belleville devient trs faible, voire inexistant, pendant la premire moiti du XXe

    sicle. Ce ralentissement de la construction explique aussi les mauvaises conditions

    de conservation du quartier au dbut des annes 1960.

    La rue de Belleville en 1910 La rue de Belleville vers 1900

    On voit le tramway funiculaire

    de Belleville qui circula de 1891 1924

    La rnovation des annes 1960-1970

    L'anne 1952 marque le dbut des oprations de rnovation urbaine menes par la

    ville de Paris. Diffrents lots insalubres, identifis ds 1909, font l'objet de vastes

    programmes d'amnagement. Les oprations de rnovation se feront en trois temps :

    le premier secteur sera rnov entre 1956 et 1965, le deuxime, le secteur

    "Couronnes", sera achev la fin des annes 1960 et le "Nouveau Belleville" en

    1975. L'impact sur le tissu urbain n'est pas ngligeable. Le vieux bti de cette zone

    tait constitu d'immeubles de hauteurs variables entre 3 et 5 tages, desservi par

    des petites rues, des cours, des impasses et de multiples jardinets. L'opration

    d'amnagement a ras presque compltement les lots concerns. Dans le

    "Nouveau Belleville", la hauteur moyenne se situe entre 10 et 15 tages. Le vieux

  • 16

    parcellaire est compltement effac, les troits passages sont transforms en

    amples alles et les barres et tours faonnent le paysage urbain du quartier. La

    multitude des petits espaces verts privs se mue en grand jardin collectif tel le grand

    parc dit "des Hauts de Belleville".

    Les oprations des annes 1980 et 1990

    Un nouveau programme est conu au dbut des annes 1970. Il concerne deux

    autres lots. La rnovation de ces deux lots devait se faire sur le mme principe que

    celle des lots prcdemment rnovs. Mais en 1977, la mairie de Paris change en

    profondeur ses options d'urbanisme. Le nouveau schma directeur d'amnagement

    et d'urbanisme vise dsormais dfendre la fonction rsidentielle, opte pour la

    rhabilitation du parc ancien de logements, prvoit de dvelopper les espaces verts,

    etc. Il est notamment envisag de conserver les immeubles existants qui ne sont pas

    trop dgrads. La voirie fait l'objet de quelques amliorations, mais en respectant

    l'ancien trac. On cherche aussi maintenir des fonctions conomiques similaires,

    en prvoyant la rinstallation ou l'implantation d'activits industrielles et artisanales

    emblmatiques du quartier.

    Aprs 7 ans de lutte, Jean Tiberi dcide en 1996 de revoir le projet en associant La

    Bellevilleuse. 18 mois de ngociations permettent enfin d'aboutir un compromis et

    le vote l'unanimit par le Conseil de Paris en juin 1998 du nouveau projet. 80 %

    des immeubles ont t sauvs et les habitants relogs en totalit. Les constructions

    neuves (uniquement des logements sociaux) sont en harmonie avec les btiments

    anciens.

    En 2009

    Aujourd'hui : un paysage urbain contrast

    Les rnovations successives, avec notamment la construction d'immeubles de

    grande taille en bton dans certaines zones, ont cr de forts contrastes paysagers

    dans le quartier. Dans le bas-Belleville, ces immeubles ctoient en effet des maisons

    faubouriennes et des immeubles de rapport, ainsi que de nombreux ateliers, des

    ruelles et des passages qui conservent la mmoire du double pass de Belleville,

    rural et ouvrier.

  • 17

    Vie du quartier

    Depuis longtemps, le quartier Belleville-Mnilmontant est un quartier d'accueil pour

    migrants. Ds la fin de la guerre de 1914-1918, les premires vagues de migration

    peuvent tre observes : Polonais, Armniens et Juifs d'Europe centrale. Ces

    derniers souffrirent particulirement pendant l't 1942, lors des grandes rafles

    organises conjointement par la police franaise et la Gestapo. Des rues compltes

    furent quasiment vides de leurs habitants. partir de 1950, plusieurs autres vagues

    d'immigration de la communaut juive tunisienne en font le premier quartier juif de

    Paris. Aussi dans les annes 1960 le verlan s'est install Belleville. Aujourd'hui

    encore il reste une importante communaut juive de souche orientale. Dans les

    annes 1960, ce sont les communauts maghrbines qui s'y installent. En juin 1968

    clatent des meutes suite un fait divers. Dans les annes 1980, une importante

    communaut asiatique s'y implante, on y trouve de nombreux restaurants et

    associations ainsi que des magasins de produits chinois. Sur un plan conomique et

    dj depuis 1820, Belleville fut un quartier trs industrieux avec d'innombrables

    petites entreprises industrielles et ateliers artisanaux. Ces mtiers se trouvaient

    rassembls par domaines d'activit : petits mtiers de Paris, chaussures,

    habillement, maroquinerie, machines outils... Cette caractristique fit de Belleville le

    premier quartier ouvrier et vit natre les tout premiers syndicats franais (chapellerie,

    mtallurgie, etc.). Depuis plus de trente ans, la vie artistique est trs active. On y

    trouve de nombreux ateliers, et tous les ans, au mois de mai, un week-end portes

    ouvertes permet de les dcouvrir.

    La rue Denoyez regroupe notamment

    plusieurs associations d'artistes et les

    grapheurs se sont empars d'un mur aveugle

    pour y exercer leur talent.

    Un immense march populaire occupe l'alle centrale du boulevard de Belleville,

    depuis la station de mtro Belleville jusqu' celle de Mnilmontant. Il s'y tient tous les

    mardis et vendredis matin.

    dith Piaf et Maurice Chevalier ont t les deux plus clbres personnes nes et ayant vcu Belleville. Ils incarnent une sorte d'image traditionnelle du titi ou de la mme parisienne. Le chanteur Eddy Mitchell, originaire de la Place des ftes (Haut Belleville), voque Belleville dans certaines de ces chansons : Nashville ou Belleville, La Dernire Sance, Et la voix d'Elvis, M'man http://fr.wikipedia.org/wiki/Quartier_de_Belleville

  • 18

    Momo parle souvent de la dportation de Madame Rosa Auschwitz suite la rafle du VeldHiv

    La Rafle du Vlodrome dHiver

    La rafle du Vlodrome d'Hiver (16 juillet 1942), souvent appele rafle du Vel' d'Hiv',

    est la plus grande arrestation massive de Juifs ralise en France pendant la

    Seconde Guerre mondiale, essentiellement de Juifs trangers ou apatrides rfugis

    en France. En juillet 1942, le rgime nazi organise l'opration Vent Printanier :

    une rafle grande chelle de Juifs dans plusieurs pays europens. En France, le

    rgime de Vichy mobilise la police franaise pour participer l'opration : Paris,

    7 000 policiers et gendarmes raflent les Juifs. Le 13 juillet 1942, une circulaire de la prfecture de police ordonne larrestation et le

    rassemblement de 27 427 Juifs trangers habitant en France.

    Finalement, un peu de retard est pris. Les autorits allemandes vitent d'ordonner la

    rafle pour le 14 juillet, bien que la fte nationale ne soit pas clbre en zone

    occupe : ils craignent une raction de la population civile. L'opration a donc lieu le

    surlendemain soir.

    13 152 Juifs sont arrts : 4 115 enfants, 5 919 femmes et 3 118 hommes. Un

    nombre indtermin, prvenu par la Rsistance ou bnficiant du manque de zle de

    certains policiers, parvient chapper la rafle. Il est difficile de connatre

    vritablement les modalits des actions qui ont permis de nombreuses personnes

    d'chapper la rafle, mais les plus antismites des partisans de Vichy se sont alors

    plaints de la mauvaise volont des policiers.

    Aprs leur arrestation, une partie des Juifs est emmene par autobus dans le camp

    de Drancy (au nord-est de Paris). Une autre partie est envoye vers le Vlodrome

    d'Hiver (situ dans le 15e arrondissement), qui sert de prison provisoire (cela avait

    dj t le cas lors d'une rafle l't 1940). Ce sont donc environ 7 000 personnes

    qui devront survivre pendant cinq jours, sans nourriture et avec un seul point d'eau.

    Ceux qui tentent de senfuir sont tus sur-le-champ. Une centaine de prisonniers se

    suicide. Les prisonniers seront conduits dans les camps de Drancy, Beaune-la-

    Rolande et Pithiviers, avant d'tre dports vers les camps d'extermination

    allemands.

    Cette rafle reprsente elle seule plus du quart des 42 000 Juifs envoys de France

    Auschwitz en 1942, dont seuls 811 reviendront chez eux aprs la fin de la guerre.

    En 1979, Jean Leguay, le reprsentant du secrtaire gnral de la police nationale

    en zone occupe, est inculp pour son implication dans l'organisation de la rafle,

    mais il meurt avant d'tre jug, en 1993. http://fr.wikipedia.org/wiki/Rafle_du_V%C3%A9lodrome_d'Hiver

  • 19

    Prolongements

    La Rafle.

    Film dramatique et historique crit et ralis par Roselyne Bosch, sorti en 2010.

    Avec : Mlanie Laurent, Jean Reno, Gad Elmaleh, Sylvie Testud,

    La ralisatrice propose une fresque grave et documente des vnements de juillet

    1942.

    Dans le quartier de la Butte Montmartre, deux familles juives vivent comme les autres habitants de ce quartier, l'exception prs qu'tant juifs, ils apprhendent l'arrive de la Gestapo. Dans la nuit du 15 au 16 juillet, leur destin bascule la suite d'un accord entre les nazis et les autorits franaises sur l'arrestation et la dportation des nombreux Juifs, accord qui dbouche sur la rafle du Vlodrome d'Hiver. Le quartier de la Butte Montmartre n'y chappera pas, en effet la famille de Joseph Weismann, un enfant juif d'une dizaine d'annes, et leurs voisins sont arrts aprs avoir tent par plusieurs moyens d'y chapper. la suite de cette rafle, ils sont amens dans le vlodrome d'Hiver, o Joseph et No, le petit frre de son meilleur ami, rencontrent une infirmire, Annette Monod, qui fera tout son possible pour les aider eux et les autres enfants juifs. Dans ce vlodrome, les conditions sont prcaires et insalubres

  • 20

    Le quartier de Belleville est un quartier multiethnique. Momo est

    arabe, probablement dorigine algrienne, comme beaucoup

    dhabitants de son quartier. LAlgrie fut franaise jusquen 1962.

    Aprs lindpendance, beaucoup de Pieds-noirs et de Harkis

    sont venus en France.

    La guerre dAlgrie

    La guerre d'Algrie, mene par la France de 1954 1962 contre les

    indpendantistes algriens, prend place dans le mouvement de dcolonisation qui

    affecta les empires occidentaux aprs la Seconde Guerre mondiale, et notamment

    les plus grands d'entre eux, les empires franais et britannique.

    Quand l'insurrection est dclenche, l'indpendance du Vit Nam vient d'tre

    arrache les forces franaises ont t dfaites Din Bin Phu, ce qui constitue un

    encouragement pour tous les peuples coloniss. Quant l'indpendance des deux

    protectorats maghrbins, le Maroc et la Tunisie, elle est en cours de ngociation.

    Cette guerre que, jusqu'en 1999, l'tat franais s'obstina ne dsigner

    officiellement que par les termes d'oprations de maintien de l'ordre allait

    apporter, aprs maints dchirements entre opposants rformistes et nationalistes,

    l'indpendance au peuple algrien. Elle allait aussi traumatiser durablement la

    socit franaise : le soulvement des nationalistes algriens frappait un pays

    peine remis de la guerre ; il allait durer huit ans et finir par emporter la IVe

    Rpublique. Elle oppose l'tat franais des indpendantistes algriens,

    principalement runis sous la bannire du Front de libration nationale (FLN).

    La guerre d'Algrie est aussi une double guerre civile, entre les communauts d'une

    part et l'intrieur des communauts d'autre part. Le conflit dbouche, aprs les

    Accords d'vian du 18 mars 1962, sur l'indpendance de l'Algrie le 5 juillet de la

    mme anne, et entrane l'exode de la population des Europens d'Algrie, dits

    Pieds-Noirs, ainsi que le massacre de plusieurs dizaines de milliers de musulmans

    pro-franais dont les harkis.

    L'exode des Pieds-Noirs (Europens d'Algrie, par extension, certains l'appliquent

    aux Juifs sfarades dont l'arrive en Algrie a t antrieure la conqute franaise

    de 1830), dsigne les vagues successives de migration de la communaut pied-noir

    des dpartements franais d'Algrie vers la France mtropolitaine (et tout

    particulirement la vague massive d'avril juillet 1962) aprs laccs

    l'indpendance de l'ancienne colonie de peuplement, compose de dpartements

    franais de 1848 1962. Plusieurs gnrations de Pieds-Noirs ont vcu en Algrie

    franaise de 1830 1962. Les Juifs d'Algrie sont prsents dans le territoire par

    plusieurs migrations d'une priode allant de l'Antiquit au XVIIe sicle.

    Les harkis (ces Algriens qui avaient choisi de combattre aux cts de larme

    franaise), craignant les reprsailles du Front de libration nationale (FLN), se voient

  • 21

    contraints lexil. Environ 100 000 dentre eux ont quitt lAlgrie pour sinstaller

    dans le sud de la France. Certains ont t aids par des soldats de larme franaise,

    dautres par des pieds-noirs.

    Les exils proviennent de diverses communauts :

    europenne, Pieds-Noirs catholiques, protestants en petite minorit.

    juive ashknaze (originaires d'Allemagne, de France et d'Europe de l'Est)

    juive sfarade (originaires d'Espagne, du Portugal, d'Italie, de Grce, de Turquie,

    d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient)

    berbre (ensemble d'ethnies autochtones d'Afrique du Nord).

    algrienne et musulmane (pro-franais)

    Lhostilit entre Juifs et Musulmans

    Bien que certains fondements religieux expliquent en partie lhostilit entre Juifs et

    Musulmans, ils sont loin den tre lunique cause.

    Les dissensions entre Juifs et Musulmans commencrent ds le VIIe sicle quand les

    Juifs de Mdine refusrent de se convertir et de soutenir l'Islam comme l'avait prvu

    Mahomet. Toutefois il ne faut pas oublier que le monde musulman a t beaucoup

    plus tolrant vis--vis des Juifs que le monde chrtien.

    Au cours du XIX et du XX sicles certains pays musulmans furent coloniss ou

    placs sous mandat par les occidentaux. Ainsi, suite la guerre de 1914-18, l'empire

    ottoman s'effondra et fut divis en diffrents pays qui furent placs sous mandat de

    la France ou de l'Angleterre ; dans ces nouveaux tats de mme que dans les pays

    qui taient dj coloniss se dveloppa un fort courant nationaliste, souvent lac, qui

    vint concurrencer l'Islam.

    C'est en 1947 que prit fin le mandat britannique de la Palestine, ce qui devait

    conduire deux tats distincts : Palestine et Isral. Cette partition, refuse par les

    Arabes, aboutit la formation de l'tat d'Isral aprs une courte guerre isralo-arabe

    (en 1948) qui se termina l'avantage des Israliens ; ces derniers s'emparrent d'un

    territoire plus grand que celui qui leur avait t primitivement allou par l'ONU. L'tat

    dIsral fut reconnu par les Nations Unies. Le sionisme politique fond en 1896 par

    Thodore Herzl donnait naissance un tat comme l'avait promis Balfour en 1917.

    Les Palestiniens s'expatrirent dans les pays limitrophes. A ce jour le problme

    palestinien n'est toujours pas rgl. www.larousse.fr/encyclopedie/divers/Algrie/104808

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_d'Alg%C3%A9rie

    http://www.gotquestions.org/Francais/juifs-arabes.html#ixzz2efQktXay

  • 22

    Analyse

    Les deux premires pages de La Vie devant soi sont trs fortes, essentielles. Tout

    mile Ajar est l, ds les premires lignes, comme le parfum d'une uvre o

    l'homme, dpouill de ses artifices, se trouve d'emble confront son irrmdiable

    condition.

    Si Momo est ce narrateur essentiel qui donne le ton au rcit, Madame Rosa en est

    l'picentre. C'est autour d'elle, de ses hantises, de son inexorable dtresse qu'est

    construite toute l'uvre. C'est d'elle que nat l'motion. Autour de toute cette vie

    qu'elle a derrire elle et de la mort qui est devant.

    L'approche de la mort

    Momo est beaucoup plus qu'un tmoin pour qui la mort ne serait qu'un spectacle, un

    accident incomprhensible, proprement impensable. Ici la mort surgit au cur de

    l'enfance, de l'existence mme. Momo fait l'exprience de la vie travers le

    dlabrement de Madame Rosa. Son agonie elle se vit en lui. La fin surgit ds le

    dbut.

    mile Ajar, c'est Gary expulsant son angoisse de vieillir, une perspective qui le rend

    malade et pas seulement au sens figur. Entre Madame Rosa qui meurt et Momo qui

    la voit mourir, Gary ne se retrouve pas ncessairement du ct du narrateur. La

    jeunesse de Momo est confronte l'angoisse d'une vieillesse dsespre ou

    presque. Chaque fois, la mort ou le vieillissement qui la prfigure, ses souffrances,

    ses humiliations constituent la matire du roman. Comment survivre quand on a pour

    toujours la nature contre soi ? Thme suffisamment essentiel pour dterminer les

    deux uvres majeures d'mile Ajar.

    Ce monsieur Charmette avait un visage dj ombrag, surtout autour des yeux qui

    sont les premiers se creuser et vivent seuls dans leur arrondissement avec une

    expression de pourquoi, de quel droit, qu'est-ce qui m'arrive. Je me souviens trs

    bien de lui, je me souviens comment il tait assis tout droit en face de Madame

    Rosa, avec son dos qu'il ne pouvait plus plier cause des lois du rhumatisme qui

    augmente avec l'ge, surtout lorsque les nuits sont fraches, ce qui est souvent le

    cas hors saison. [] Ils avaient peur, tous les deux, car ce n'est pas vrai que la

    nature fait bien les choses. La nature, elle fait n'importe quoi n'importe qui et elle

    ne sait mme pas ce qu'elle fait, quelquefois ce sont des fleurs et des oiseaux et

    quelquefois, c'est une vieille juive au sixime tage qui ne peut plus descendre.

    [.] Je ne suis pas tellement chaud pour les lois de la nature.

  • 23

    Il y a aussi une description du temps qui est trs pertinente :

    Je suis rest un bon moment avec lui en laissant passer le temps, celui qui va

    lentement et qui n'est pas franais. Monsieur Hamil m'avait souvent dit que le temps

    vient lentement du dsert avec ses caravanes de chameaux et qu'il n'tait pas

    press car il transportait l'ternit. Mais c'est toujours plus joli quand on le raconte

    que lorsqu'on le regarde sur le visage d'une vieille personne qui se fait voler chaque

    jour un peu plus et si vous voulez mon avis, le temps, c'est du ct des voleurs qu'il

    faut le chercher.

    L'angoisse de Madame Rosa est de mourir dans les conditions auxquelles elle a

    chapp Auschwitz, d'tre oblige de vivre de force, l'hpital, transforme en

    lgume, comme ce comateux prolong 17 ans par les progrs de la mdecine, ce qui

    constitue jusqu' prsent un record du monde de longvit vgtative. Il est un ge

    o l'on perd l'esprit de comptition. Elle qui a connu les camps d'extermination craint

    que la mort ne soit plus mal administre par les bourreaux en blouse blanche que

    par les brutes casques qui ne respectaient aucune loi.

    Les mdecins ont le droit pour eux et, pour les victimes, c'est vraiment sans espoir.

    Ils vont me faire subir des svices pour m'empcher de mourir [.]. Ils vous en font

    baver jusqu'au bout et ils ne veulent pas vous donner le droit de mourir, parce que a

    fait des privilgis. Elle a donn son corps aux clients toute sa vie, a suffit. Elle

    ne veut pas donner ce qu'il en reste la recherche mdicale. Les lois humaines sont

    pires que celles de la nature. Ils ont des lois pour a. C'est des vraies lois de

    Nuremberg.

    Ce n'est pas tant la mort qui lui fait horreur que les conditions dgradantes de survie

    qui l'accompagnent. Cette vie en forme de lgume symbolise toute la vie, ce

    prolongement d'Auschwitz quand on a eu le malheur d'en revenir. Madame Rosa a la

    mort en elle, peut-tre depuis sa naissance et c'est ce qui explique qu'elle est Juive.

    D'ailleurs tous ses malheurs viennent de l car si elle n'avait pas t Juive, elle

    n'aurait pas eu le dixime des emmerdements qu'elle avait eus .

    Chienne de vie

    Malgr l'actualit de l'uvre enracine dans un quart monde immigr, le roman n'a

    pas de vrit sociale ni documentaire. Gary a juste pass quelques heures la

    Goutte-d'Or1 pour vrifier son intuition d'un monde qui n'tait plus le sien et lui tait

    devenu tranger, depuis sa venue en France. Ajar n'est pas Zola. La socit n'est

    1 71e quartier administratif de Paris, situ dans le 18e arrondissement, lest de la butte Montmartre.

    Cest un des quartiers les plus cosmopolites et multiethniques de la capitale. Cest notamment un lieu de

    rendez-vous pour les populations maghrbines et africaines subsahariennes.

  • 24

    pas mise en accusation, malgr ses tares. C'est la vie qui est une chiennerie, le mal

    social n'en est que l'illustration. Pas question d'en faire un rcit engag. Malgr ses

    allures gauchistes Ajar est nettement moins politique que Gary. La Vie devant soi

    traduit une vrit intrieure, une philosophie de l'existence pas seulement propre aux

    apatrides : On nest jamais chez soi sur terre . La socit est l uniquement

    comme dcor.

    Mais cette chiennerie de la vie n'est jamais vcue de faon dsespre ou haineuse.

    Il faut seulement faire avec, quand on peut. L'humour involontaire et l'infinie

    tendresse de Momo l'gard des hommes nous font chapper la noirceur.

    Son regard vaut tous les maux de la mort et justifie l'optimisme du titre. Madame

    Rosa n'est jamais seule. Ni Momo. Il y a toujours quelqu'un, quelque chose, ft-ce un

    parapluie, des rves Personne ne peut vivre sans amour. Elle, elle a cet ultime

    tmoin qui l'empche de s'abandonner, cet enfant qui ne peut renoncer aimer et

    s'invente des raisons d'aimer.

    La vieillesse et la mort sont aperues, vcues par un narrateur fondamentalement

    optimiste qui met des couleurs roses sur les joues des agonisants et n'a pas encore

    peur du nant. C'est toute l'originalit dAjar : le vieillissement de Gary, ses

    angoisses, sa solitude, son refus de la dgradation sont dcrits travers le regard

    d'un autre. Un enfant.

    Momo, qui ignore son ge, n'a qu'une certitude, c'est qu'il avait srement un pre

    et une mre, parce que l-dessus la nature est intraitable . Il est de pre inconnu

    garanti sur facture, cause de la loi des grands nombres . C'est tout. Il n'est pas

    question d'en conclure qu'avec Madame Rosa Gary dvoile la vrit sur sa propre

    mre : pas de papa, tous les papas possibles. Le peu que l'on sache de Madame

    Kacew exclut cette hypothse tout fait insense. Mais avec Madame Rosa, ou la

    jeune paume qui a abandonn Momo, Gary expulse certainement un fantasme

    d'enfance, un horrible soupon proprement impensable que n'ont sans doute pas

    manqu de lui suggrer ses camarades de classe ou de jeu, toujours prompts

    suspecter un fils sans pre, btard venu de l'Est, pauvre et juif la fois.

    Avec une extrme pudeur, mile Ajar raconte une histoire damour filial entre un petit

    musulman et une vieille juive, entre deux tres qui ont pourtant t privs damour

    toute leur vie et qui ne se sont jamais autoriss lexprimer.

    Rencontre entre Gary et Ajar

    Pour ceux qui recherchent des points de rencontre entre Gary et Ajar La Promesse

    de l'aube prfigure La Vie devant soi qui en est comme le remake ajarien. Pas

    seulement dans les thmes (la vieillesse d'une mre tutlaire revcue par un enfant)

    et les situations (on retrouve jusqu' cet escalier symbolique mont et descendu

  • 25

    vingt fois par jour et dans lequel madame Kacew mre - comme Madame Rosa -

    laissera ce qui lui reste de jambes et de sant), mais galement dans le ton et

    l'inspiration ancrs dans l'intime conviction que, malgr tous ses malheurs,

    l'homme est quelque chose qui ne peut pas tre ridiculis . La Vie devant soi est

    une histoire d'amour, belle, tragique comme tout amour humain.

    La vrit est qu'on trouve du Ajar dans toute l'uvre de Gary. Mme si on ne pouvait

    s'en apercevoir avant, Ajar est partout prsent, avec son ironie introvertie, son parler

    dcal, sa philosophie parodique, son humour, humour juif dit-il, un produit de

    premire ncessit pour les angoisss . Il sait dire sans provocations inutiles ni

    excs affectifs la cruelle lucidit de Gary et son refus de dsesprer. Car il est

    toujours plus dsespr que cynique, d'un pessimisme comique, presque consolant.

    Son humour n'teint pas l'espoir. Sa lucidit ne se nourrit ni d'aigreurs, ni de

    rancurs, encore moins du mpris des autres, mais d'un idalisme totalement

    insens d'une poignante et tragique humanit.

    Le bonheur

    A propos du bonheur Momo dit Moi, l'hrone je crache dessus. Les mmes qui se

    piquent deviennent tous habitus au bonheur et a ne pardonne pas, vu que le

    bonheur est connu pour ses tats de manque. Pour se piquer, il faut vraiment

    chercher tre heureux et il n'y a que les rois des cons qui on des ides pareilles.

    [] Je ne tiens pas tellement tre heureux, je prfre encore la vie. Le bonheur

    c'est une belle ordure et une peau de vache et il faudrait lui apprendre vivre. On est

    pas du mme bord lui et moi, et j'ai rien en foutre. J'ai encore jamais fait de

    politique, parce que a profite toujours quelqu'un, mais le bonheur, il devrait y avoir

    des lois pour l'empcher de faire le salaud. Je ne vais pas vous parler du bonheur

    parce que je ne veux pas faire une crise de violence, mais monsieur Hamil dit que j'ai

    des dispositions pour l'inexprimable. Il dit que l'inexprimable, c'est l qu'il faut

    chercher et que c'est l que a se trouve.

    Dans La Vie devant soi c'est toute une vision distancie de l'existence qui s'affiche,

    usant de cette lgitime dfense qu'est l'humour contre toutes les formes d'adversit,

    et principalement contre cette inhumaine situation qu'est la condition humaine qui

    nous fut impose de l'extrieur .

    Ce roman est tour tour lyrique, naf, sombre et violent mais baigne,

    paradoxalement, dans une perptuelle bonne humeur contagieuse.

  • 26

    Le prix Goncourt

    Le prix Goncourt est un prix littraire franais rcompensant des auteurs

    d'expression franaise, cr par le testament d'Edmond de Goncourt en 1896. La

    Socit littraire des Goncourt fut officiellement fonde en 1902 et le premier prix

    Goncourt fut proclam le 21 dcembre 1903. Ce prix annuel est dcern au dbut du

    mois de novembre par l'Acadmie Goncourt, aprs trois prslections successives,

    en septembre et en octobre, parmi les romans publis dans l'anne en cours. C'est

    le prix littraire franais le plus ancien et considr comme le plus prestigieux.

    Le prix Goncourt, cr pour rcompenser chaque anne le meilleur ouvrage

    d'imagination en prose, paru dans l'anne est attribu presque exclusivement un

    roman.

    En 1862, les frres Goncourt dcident quaprs leur mort, leurs biens seront vendus,

    leur capital plac et que les intrts de cette somme serviront leur Acadmie

    Goncourt pour rmunrer dix auteurs avec 6 000 francs or par an (avec cette rente

    vie, les dix acadmiciens pouvant ainsi vivre de leur plume), et pour dcerner un prix

    annuel de 5 000 francs or. Mais l'Acadmie Goncourt devant tre reconnue d'utilit

    publique, elle doit placer ses fonds sur des obligations d'Etat peu rmunratrices, ce

    qui rduit trs tt nant les montants des rentes et du prix, d'autant plus que les

    dvaluations successives (notamment la dvaluation lie au franc Pointcar en

    1928) font fondre la valeur du capital de l'Acadmie littraire pour aboutir une

    somme de 50 nouveaux francs en 1962.

    Un chque est remis au laurat depuis 1903, il clbre l'origine des romans pour

    chapper l'rudition qu'affectionnent les acadmiciens. Aujourd'hui, ce montant, du

    fait de l'inflation, ne reprsente plus qu'un prix symbolique actualis 10 euros

    que les laurats font encadrer mais la notorit promise au laurat ds la fin

    de la Premire Guerre mondiale par l'acadmicien Jean Ajalbert, qui verra son

    uvre accder au palmars des meilleures ventes, est une rcompense bien plus

    convoite. En marge du prix Goncourt, l'acadmie dcerne en outre les bourses

    Goncourt de la posie, de la nouvelle, de la biographie, de la jeunesse et de premier

    roman.

    Les dix membres de l'Acadmie Goncourt se runissent chaque premier mardi du

    mois depuis 1920 dans leur salon, au premier tage du restaurant Drouant, rue

    Gaillon, dans le deuxime arrondissement de Paris. Le prix est attribu dbut

  • 27

    novembre. Si aprs quatorze tours de scrutin il n'y a pas de laurat lu le prsident a

    une voix double pour dterminer une majorit de vote.

    Le prix ne peut tre dcern qu'une seule fois un mme crivain. une exception

    prs : la supercherie de Romain Gary qui l'a reu en 1956 pour son roman Les

    Racines du ciel, puis en 1975 sous le pseudonyme d'mile Ajar, pour le roman La

    Vie devant soi.

    Les membres de l'Acadmie Goncourt, qui sont coopts par les autres membres,

    sont dsigns vie. Ils sont bnvoles, hormis le couvert qui leur est assur chez

    Drouant. Depuis 2008, les membres sont Edmonde Charles-Roux (prsidente du

    jury), Didier Decoin, Franoise Chandernagor, Bernard Pivot, Tahar Ben Jelloun,

    Patrick Rambaud, Rgis Debray, Pierre Assouline, Philippe Claudel et Paule

    Constant.

    Quelques romans rcompenss :

    Civilisation de Georges Duhamel (1918)

    lombre des jeunes filles en fleurs de Marcel Proust (1919)

    La Condition humaine dAndr Malraux (1933)

    Le Rivage des Syrtes de Julien Gracq (1951)

    Les Mandarins de Simone de Beauvoir (1954)

    Les Racines du ciel de Romain Gary (1956)

    Le Roi des aulnes de Michel Tournier (1970)

    La Vie devant soi dmile Ajar (1975)

    Rue des boutiques obscures de Patrick Modiano (1978)

    LAmant de Marguerite Duras (1984)

    Les Noces barbares de Yann Quefflec (1985)

    La Nuit sacre de Tahar Ben Jelloun (1987)

    Le Rocher de Tanios dAmin Maalouf (1993)

    Un aller simple de Didier van Cauwelaert (1994)

    La matresse de Brecht de Jacques-Pierre Amette (2003)

    Le Soleil des Scorta de Laurent Gaud (2004)

    Trois jours chez ma mre de Franois Weyergans (2005)

    Les Bienveillantes de Jonathan Littell (2006)

    Trois femmes puissantes de Marie NDiaye (2009)

    La Carte et le territoire de Michel Houellebecq (2010)

    LArt franais de la guerre dAlexis Jenni (2011)

    Le Sermon sur la chute de Rome de Jrme Ferrari (2012)

    Au revoir l-haut de Pierre Lematre (2013)

  • 28

    En 1974 quand Romain Gary, 60 ans, ralise quil est catalogu gaulliste

    dmod . Il invente alors un personnage, mile Ajar, mystrieux crivain

    vivant au Brsil, et publie alternativement sous son nom et celui d'Ajar.

    Son but ? Obliger la sage Acadmie Goncourt entrer dans lillgalit ! Il a dj reu

    le sacro-saint prix une fois mais, afin de contredire le rglement du Goncourt, il n'a

    qu' en dcrocher un second. Et, comme si ctait simple, il remporte le Prix

    Goncourt en 1975 avec La Vie devant soi... d'mile Ajar.

    Quelques jours avant de se suicider, Romain Gary rvle la vrit, dans un

    manuscrit intitul Vie et mort dmile Ajar. Un vritable pied de nez au Tout-Paris

    littraire.

  • 29

    Les adaptations

    Au cinma

    Simone Signoret

    Le roman a t adapt pour le cinma en 1977 par Mosh Mizrahi. Musique de

    Philippe Sarde et Dabket Loubna. Avec : Simone Signoret (Madame Rosa), Samy

    Ben Youb (Momo), Michal Bat-Adam (Nadine), Gabriel Jabbour (M. Hamil),

    Genevive Fontanel (Maryse), Bernard Lajarrige (M. Charmette), Mohamed Zinet

    (Kadir Youssef), Elio Bencoil (Mose), Stella Annicette (Madame Lola), Abder El

    Kebir (Mimoun) et Bernard Eliazord (Banania).

    Oscar du meilleur film en langue trangre 1978

    Simone Signoret : Csar de la meilleure actrice 1978

    Bernard Evein : nomination Csar 78 catgorie Meilleur dcor

    Jean-Pierre Ruh : nomination Csar 78 catgorie Meilleur son

  • 30

    Au thtre

    Myriam Boyer et Aymen Sad

    Adapt au thtre par Xavier Jaillard en 2008 dans une mise en scne de Didier

    Long et avec Myriam Boyer, Aymen Sad, Xavier Jaillardet Magid Bouali dans les

    rles principaux.

    Molire de la meilleure comdienne pour Myriam Boyer

    Molire du meilleur spectacle du thtre priv pour Franois de Carsalade du Pont

    Molire de la meilleure adaptation pour Xavier Jaillard

    En 2009 ce spectacle obtient un Globe de Cristal pour la meilleure Production de

    spectacle priv produit par Franois de Carsalade du Pont.

  • 31

    la tlvision

    Tlfilm de Myriam Boyer, avec Myriam Boyer, Julie Soster, Eddie Rahaingo.

  • 32

    L'quipe du spectacle

    Le metteur en scne

    Michel Kacenelenbogen

    Michel Kacenelenbogen est un comdien et metteur en scne belge n en 1960.

    Il est galement co-directeur du Thtre Le Public, quil a fond avec son pouse

    Patricia Ide en novembre 1994. Ils installent Le Public dans les anciennes brasseries

    Aerts Saint Josse, et avec laide du scnographe, architecte et ami Luc D'Haenens,

    ils la transforment en salle de spectacle. Linitiative, lance partir de fonds propres

    au dpart, est audacieuse. On a pu apprcier dernirement sa mise en scne de

    Cyrano de Bergerac dEdmond Rostand au Thtre de la Place, ou lapprcier

    comme comdien dans Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran d'Eric-Emmanuel

    Schmitt, dans une mise en scne d'Olivier Massart.

  • 33

    A propos de La Vie devant soi : quelques perles

    Vous tes une personne qui fait le bien tout le temps. Je sais que y'a beaucoup de gens

    qui font du bien dans le monde, mais eux ils le font pas tout le temps, il faut tomber au bon

    moment.

    J'tais tellement heureux que j'aurais voulu mourir parce que le bonheur il faut le saisir

    pendant qu'il est l.

    Les choses c'est comme les gens, a n'a de valeur que si quelqu'un les aime.

    Parfois on se regardait en silence et on avait peur ensemble parce qu'on avait que a au

    monde.

    Je ne tiens pas tellement tre heureux, je prfre encore la vie.

    Elle parlait trs bien l'arabe, sans prjugs.

    Quand on est mme, pour tre quelqu'un, il faut tre plusieurs.

    Moi le bonheur, je vais pas me lancer l-dedans avant d'avoir tout essay pour m'en

    sortir.

    On peut tout faire avec les mots et mme tre plus fort qu'en tuant des gens.

    Elle avait eu beaucoup de malheurs et maintenant il fallait payer parce qu'on paye tout

    dans la vie.

    La nature fait n'importe quoi, parfois c'est des fleurs et des oiseaux et parfois c'est une

    vieille juive qui va mourir, je suis pas tellement chaud pour les lois de la nature.

    Je suis contente de mourir, Momo.

    On est tous trs contents pour vous, Madame Rosa, vous n'avez que des amis ici.

    C'est un grand homme, mais les circonstances ne lui ont pas permis de le devenir.

    Maintenant on devient de plus en plus cons mais c'est parce qu'on nest pas prvus pour

    vivre si vieux.

    Rien n'est blanc ou noir : le blanc, c'est souvent le noir qui se cache, et le noir, c'est parfois

    le blanc qui s'est fait avoir.

    Elle disait toujours que les cauchemars c'est ce que deviennent les rves en vieillissant.

    Madame Rosa dit que la vie peut tre trs belle mais qu'on ne l'a pas encore vraiment

    trouve et qu'en attendant il faut bien vivre.

    Jai un grand dsir de partager ces perles extraites du roman La Vie devant soi et

    plus encore avec vous.

    Comme diraient Romain Gary et mile Ajar : il faut aimer

    Michel Kacenelenbogen

  • 34

    Les comdiens

    Rencontre avec les deux protagonistes du spectacle

    Janine Godinas, qui est Madame Rosa ?

    Madame Rosa est une ancienne prostitue qui en fin de carrire a ouvert sa maison

    aux enfants des prostitues quelle connaissait. Des enfants de toutes races, et de

    toutes religions qui grce elle vont sen sortir.

    Un public trs clectique remplissait le parterre du thtre, et on a senti que ce

    texte parlait tout le monde

    Le mlange des cultures, le mlange des religions sont des sujets trs actuels. On

    pingle les problmes et les dangers sans cesse et chez Madame Rosa on fait

    linverse, et on se dit que tout pourrait trs bien marcher, mme si on peut percevoir

    une forme de violence parfois.

  • 35

    Mais ce qui transparat en permanence cest lamour et une grande humanit,

    le tout sur le ton de lhumour ?

    Le sujet est trs srieux mais on rit beaucoup grce lhumour de Romain Gary. Et

    puis en effet cest une pice sur lamour, et mme dans la violence on ne parle que

    damour. Et je sais que le spectateur apprcie la pice pour cette raison ; cest

    lamour. Une fraternit universelle qui est rare de nos jours.

    Aujourdhui Madame Rosa na plus quun petit pensionnaire. Elle souhaite

    freiner le temps pour lempcher de senvoler, par amour mais aussi pour ne

    pas mourir ?

    Oui, certainement pour ne pas mourir seule. Mais cet amour-l est aussi le signe

    dune grande solitude. Et puis, cest un amour sans calcul, o lon ne compte pas et

    finalement, cest le seul et vritable amour quelle aura connu. La conclusion sera

    peut-tre quon existe que par lamour et le regard de lautre. Son mtier la souvent

    laisse seule. Cet amour, cest aussi la libert de lautre.

    Cest un texte et un personnage qui vous sient bien ?

    Je les aime bien oui, parce que jaime cette femme, jaime comme elle cause et

    jaime lamour quelle propose. Et puis je trouve quil y a beaucoup de ma maman

    dedans.

    Itsik Elbaz, vous tes Momo, le protg de Rosa, au cur de cette pice qui

    parle damour ?

    Oui dun amour qui ne dit pas son nom pendant trs longtemps. Un amour partag

    par deux tres trs abms. Et le gnie de Romain Gary a t de faire passer cette

    histoire inspire des Misrables travers les yeux dun enfant.

  • 36

    Un enfant qui sexprime mal en franais et qui fait normment derreurs. Mais des

    erreurs avec le gnie de Gary, qui rendent la chose trs drle.

    Vous interprtez un garon de 14 ans, cest un exercice difficile ?

    Jouer un enfant, cest un dfi quand on a 36 ans. Je nai plus le physique et tout le

    travail a t de trouver le moment qui tait crdible. Au dpart jen faisais beaucoup

    trop et au fur et mesure les choses se sont calmes. Jai essay de me souvenir

    comment jtais petit, et jai observ les enfants autour de moi. Ensuite jai essay de

    comprendre comment lenfant fonctionne motionnellement. Jai choisi la franchise

    de lenfant, dans la colre, le rire En plongeant trs vite dans une motion, dont il

    fallait sortir aussi vite.

    Christine Pinchart

  • 37

    Janine Godinas joue Madame Rosa

    i. de Beir

    Comdienne de thtre, de cinma, de tlvision et metteure en scne belge, elle

    dbute au Thtre de l'Enfance en 1960. Janine Godinas travaille au Vaudeville,

    l'Alliance, au Thtre de l'Equipe, chez Claude Volter, aux Galeries, au Rideau, au

    Parc, l'Ensemble Thtral Mobile, au Thtre du Crpuscule. Elle est galement

    professeur d'interprtation l' IAD et l'Ecole Nationale de Thtre de Strasbourg.

    Fidle interprte de Sireuil, Dezoteux ou encore Bourdet, elle est aussi indissociable

    de Gil Lagay dont elle partagea la vie et la passion du thtre.

    Elle dit propos de Madame Rosa:

    Elle est le bonheur et le malheur mlangs.

    Elle est la diffrence et le semblable.

    Elle est la joie trouve et retrouve.

    Elle est la mre de tous les enfants oublis.

    Elle est tout en humour d'elle-mme.

    Elle est aussi l'outrance de la mauvaise foi.

    Elle est la terre en paix.

    Elle est l'amour incommensurable.

    Et elle a dcid de mourir intacte.

  • 38

    Philippe Sireuil, metteur en scne, a notamment dirig Janine Godinas dans Pleurez

    mes yeux, pleurez d'aprs le Cid de Corneille, Mort de chien de Hugo Claus, Caf

    des patriotes et Scandaleuses de Piemme, La Mouette de Tchkhov, etc...

    Michel Dezoteux l'a mise en scne, notamment dans La Cerisaie de Tchkhov,

    Sauv d'Edward Bond, Les Prsidentes de Werner Schwab, Pricls, prince de Tyr

    de Shakespeare, etc...

    Gildas Bourdet, metteur en scne franais, a dirig Janine Godinas dans Le

    Saperleau de G. Bourdet, Une station service de G. Bourdet, Les Bas-fonds de

    Gorki, etc..

    Itsik Elbaz joue Mohammed

    i. de Beir

    N Jrusalem en 1976, Itsik Elbaz passe son enfance en France, Paris. Il arrive

    en Belgique quinze ans, en suivant son pre. Form l'Institut des Arts de

    Diffusion de Louvain-la-Neuve, il a eu la chance d'exercer son mtier dans de

    nombreux thtres de Belgique o il a rencontr beaucoup de metteurs en scnes

  • 39

    passionns et passionnants. Au Public, il a jou dans La Princesse Maleine de

    Maurice Maeterlinck et L'Ombre, tous deux mis en scne par Jasmina Douieb.

    La Vie devant soi est sa premire collaboration avec Michel Kacenelenbogen.

    Je peux juste vous dire que jouer une histoire de transmission en partageant la

    scne avec Janine qui fut pour moi ce professeur exigeant et magnifique (elle

    va dtester lire a mais c'est ainsi...) provoque en moi des motions joyeuses

    et pleines de sens. La suite sur scne...

    Benot Van Dorslaer joue le docteur Katz

    i. de Beir

    Pre de famille, comdien, jouteur, doubleur, metteur en scne, professeur, Benot

    Van Dorslaer cume les planches de manire polymorphe. Il jongle avec passion

    avec ses multiples casquettes. Il touche au cinma depuis 2008 grce Fien

    Troch (Unspoken), Philippe Blasband (Maternelle) et Yves Hanchar (Sans

    Rancune !).

    Spectateur insatiable, je suis mont sur les planches pour pouvoir regarder les

    acteurs de plus prs

  • 40

    Le docteur Katz fait figure de pre de Mohammed, de complice, d'ami presque intime

    de Madame Rosa... Il incrmente de ses apparitions le temps qui passe et fait figure

    d'il pragmatique de la ralit face la relation d' amour irrationnelle entre

    Madame Rosa et Momo... Ses deux dernires scnes sont trs belles, trs fortes,

    mais difficiles aborder... Quel travail d'irrationalit va devoir faire ce mdecin face

    ce choix cornlien : rpondre aux exigences de l'ordre des mdecins ou laisser sa

    part de subjectivit l'entraner vers un acte irrationnel ?

    Nabil Missoumi joue Monsieur Kadir Youssef

    i. de Beir

    Lorsque vous rencontrerez Monsieur Kadir Youssef, vous dcouvrirez un homme

    malade du cur et de la tte. Dans un piteux tat psychiatrique qui le fait ressembler

    une limace plutt qu' un homme, un vrai ! Mais il n'en a pas toujours t ainsi.

    Monsieur Kadir Youssef a vcu comme un lion. Il tait l'mir des Halles. Son nom

    inspirait la crainte et le respect. Ce qu'il voulait, il le prenait sans rien demander

    personne. Ses Gageuses taient les plus jolies du quartier et lui rapportaient

    beaucoup d'argent. Un jour il trouva Acha Cette fille, frachement dbarque de

    Kabylie, possdait une beaut sauvage, une grce cleste et des yeux d'un bleu

    profond. Les hommes dpensaient sans compter pour la possder. Il en tomba

    perdument amoureux et en fit sa favorite. Youssef tait fou de cette femme qui lui

    donna un fils. Mais un soir, dans une crise de jalousie, ses mains commirent

    l'irrparable. Acha n'tait plus. S'en suivit un procs o, pour viter la guillotine,

    Monsieur Kadir jura au juge que des djinns malfiques s'taient empars de son

    corps pour commettre cet acte barbare et qu'il ne se souvenait de rien. Il fut intern

    pendant onze longues annes dans un tablissement psychiatrique. Aujourd'hui,

    Youssef Kadir est un homme vid de sa substance et d'une pit misricordieuse. Il

  • 41

    a perdu toutes ses certitudes. Il ne sait plus qu'une chose, une toute petite chose

    laquelle il s'est accroch durant toutes ces annes : il a un fils musulman qui se

    prnomme Mohammed.

    La presse

    Un hymne la tolrance et la vie servi par une magistrale interprtation dItsik

    Elbaz et Janine Godinas

    La Vie devant soi, bons sentiments, humour et posie.

    La Vie devant soi, cest lhistoire dune supercherie littraire ; celle dun auteur,

    Romain Gary, qui changea de nom (devenu mile Ajar) pour obtenir un

    deuxime Prix Goncourt. Cest surtout un hommage la Mre (juive et

    prostitue ici) et un plaidoyer un peu optimiste sur un possible dialogue judo-

    arabe.

    Ce roman, Prix Goncourt 1975, fut dj transpos au cinma en 1978, avec

    linoubliable Simone Signoret, dans le rle-titre de Rosa, la mre juive, ex-

    prostitue au grand cur. Au Thtre Le Public, la mise en scne de Michel

    Kacenelenbogen sappuie sur deux interprtes idaux, une trs grande Janine

    Godinas, incarnant Rosa, sensible et vacharde, selon les cas, et Itsik Elbaz qui, dans

    le rle de Momo, incarne, sans invraisemblance, 34 ans, un narrateur adulte et un

    gamin de 10 14 ans, selon limagination de sa roublarde mre adoptive. Un duo

    patant, jouant avec naturel et conviction ce joli mlo, bti sur les bons sentiments et

    la croyance en un possible dialogue entre juifs et musulmans, dans le respect, la

    bonne humeur et mme lamour. Une jolie utopie, surgie dun sicle des lumires

    bien oubli, un peu la manire de Nathan le Sage de Lessing, qui faisait dialoguer

    catholiques, juifs et musulmans en plein Jrusalem, au Moyen Age. Ici on est en

    plein Paris du XX sicle. Et le dbat est plus sentimental que philosophique. Rosa

    est une vieille prostitue juive sans enfant mais qui en a adopt une ribambelle, dont

    son favori, le petit Mohammed, dit Momo, confi par lAssistance publique pour en

    faire un bon petit musulman. Lenfant - n dune prostitue musulmane assassine

    par son mac musulman dclar fou (et re-mlo, dans le mlo) - Momo donc

  • 42

    vit une vie paisible, idyllique, baign de tendresse rugueuse. Quand surgit le pre,

    sorti de lasile, Momo accepte sans broncher le mensonge de Rosa, qui le baptise

    Momo/Mose pour le sauver des griffes dun pre dont il ne veut plus. Autre morceau

    danthologie, trs bien agenc: la mort de Rosa, dont le mdecin, ici lexcellent

    Benot Van Dorslaer, hsite faciliter leuthanasie. Au total une intrigue

    sentimentale, avec des rpliques la franaise qui font mouche sur un public

    conquis davance. Momo : Moi, le bonheur, je vais pas me lancer l-dedans, avant

    davoir tout essay pour men sortir Ou encore : On peut tout faire avec les mots

    et mme tre plus fort quen tuant des gens. Lieux communs ? Peut-tre mais au

    temps des identits meurtrires, un brin doptimisme ne nuit pas latmosphre.

    Christian Jade RTBF, le 28 septembre 2011

    N'y allons pas par quatre chemins : La Vie devant soi est un cadeau, chambouler

    chacun ! Les raisons ? Un texte (trs efficace adaptation de Xavier Jaillard), des

    comdiens, un juste quilibre de la scne. La langue de Roman Gary/mile Ajar

    flamboie, elle s'invente des dtours cocasses, des subversions ironiques qui

    pressent le sens du mot, pour qu'en jaillisse le jus de la vie. Alors, forcment, on rit et

    on pleure. Et ce texte redoutable, sans gras ni complaisance, dpasse de loin

    d'autres uvres sur ce mme sujet, dans le mme registre : l'histoire d'une amiti

    double d'une initiation la vie, la vieillesse, la mort, la tolrance, l'amour. De

    bien grands mots ? Il y a tout cela, imbriqu dans ce quotidien que se tissent

    Madame Rosa et Momo.

    Elle, la vieille dame juive, malade, use par son 6e tage sans ascenseur, ses kilos,

    rescape d'Auschwitz par erreur, ex-prostitue. Elle l'aime comme une mre ce

    Momo, le gamin musulman, le seul qui lui reste de tous ceux qu'elle a recueillis, ces

    enfants de toutes les couleurs, abandonns parce que les putes n'ont pas le droit de

    les garder... Et Madame Rosa, avec ses faux papiers, loignait ainsi le spectre de

    l'Assistance publique. Parfois, on se regardait en silence et on avait peur ensemble

    parce qu'on n'avait que a au monde." Entre ces deux-l c'est la vie... et la mort.

    Le cynisme, la haine n'ont aucune place entre ces corchs, ils se sont fondus en

    une humanit rejetant le pessimisme. La vie devant soi n'a rien d'une tranche de vie

    naturaliste !

    Janine Godinas est Madame Rosa, des pieds la tte, immense, poignante, en

    parfait quilibre des multiples couches qui l'habitent, toutes perceptibles sans une

  • 43

    once de thtre". Elle est femme, mre, elle a son poids de vie, de chair, elle

    traverse des phases de dconnexion" dit Momo, elle est grandiose, rayonnante

    quand elle rveille en elle sa jeunesse, elle a de ces regards, de ces silences qui

    disent tout un monde.

    Une formidable complicit l'unit Itzik Elbaz, la fois rcitant de cette histoire

    l'avant-scne et interprte de Momo. Pas facile de se glisser dans la peau d'un

    enfant/adolescent, ce qu'il russit avec son grand corps mince, ses longues mains

    qui trahissent admirablement son dsarroi, son amour, ses rvoltes. Une boule de

    nerfs, Momo, submerg d'motion. A leurs cts, Benot Van Dorslaer (le docteur) et

    Nabil Missoumi (Mr Youssef), excellents et sobres. Rien, dans la mise en scne de

    Michel Kacenelenbogen, qui dtourne du corps, de la voix des comdiens. C'est un

    art, pas un dfaut. Raliste, le plateau vit aussi de la musique la manire Klezmer

    crite par Pascal Charpentier, du beau travail des ombres et des lumires de

    Maximilien Westerlinck et... d'une montagne d'objets o l'on pche ce dont on a

    besoin : la cave, l o Madame Rosa fait son trou de Juive, mais aussi

    l'amoncellement de toute une vie.

    Michle Friche - Le Soir, le 29/08/2012

  • 44

    Crdits bibliographiques

    Romain Gary/mile Ajar de Jean-Marie Catonn, ditions Les dossiers Belfond"

    Romain Gary de Dominique Bona, ditions Mercure de France

    Romain Gary, le camlon de Myriam Anissimov, ditons Denol

    La Vie devant soi programme de la saison 2012 ralis par Le thtre Le Public

    La Vie devant soi Romain Gary (Emile Ajar) Editions Folio

    http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Vie_devant_soi#Adaptation_au_th.C3.A9.C3.A2tre

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Prix_Goncourt

    http://focus.levif.be/culture/tele/sur-les-chaines/la-vie-devant-soi-difficile-adaptation-

    tele-de-la-vie-de-romain-gary/article-normal-1577.html

    http://www.theatrelepublic.be/play_details.php?play_id=356&type=2

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Kacenelenbogen

    http://www.theatrelepublic.be/presentation.php

    http://www.rtbf.be/culture/scene/detail_la-vie-devant-soi-jusqu-au-22-septembre-au-

    theatre-de-namur?id=7841577

    http://www.bellone.be/fra/persondetail.asp?IDfichier=1684353

    http://www.botgeo.be/sequences/AJAR2.pdf

    http://www.alalettre.com/gary.php

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    Infos pratiques

    La Vie devant soi

    De Romain Gary (mile Ajar)

    Adaptation Xavier Jaillard

    Mise en scne Michel Kacenelenbogen

    Assistanat la mise en scne Kim Leleux

    Scnographie Delphine Cors

    Costumes Hlose Mathieu

    Lumire Maximilien Westerlinck

    Cration musicale Pascal Charpentier

    Rgisseur Rmy Brans

    Stagiaire rgisseur Gatan Bergmans

    Avec Janine Godinas (Madame Rosa), Itsik Elbaz (Momo), Nabil Missoumi (M Kadir

    Youssef), Benot Van Dorslaer (docteur Katz)

    Production Thtre Le Public

    Daprs luvre publie au Mercure de France, avec laccord des ditions Gallimard

    Dure 1h40

    Au Thtre de Lige // Salle de la Grande Main // 25 et 27/02/2014

    13h30

    Ralisation du cahier pdagogique, rdaction et mise en page Romina Pace.

    Mise en page pour la mise en ligne : Nathalie Peeters Thtre de Lige

    Pour contacter le service pdagogique du Thtre de Lige

    Bernadette Riga Responsable du service pdagogique

    04/344.71.79 // [email protected]

    Sophie Piret 04/344.71.91 // [email protected]