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44 forum 290 Apocalypse : La 2 e Guerre mondiale est incontes- tablement l’événement de la rentrée chez France Télévisions. Cette série documentaire, en six épi- sodes de 52 minutes, s’est donné pour ambition de « raconter la véritable histoire de la Seconde Guerre mondiale, pour que les générations se sou- viennent de l’Apocalypse ». Pour cela ses auteurs, Daniel Costelle et Isabelle Clarke, se sont appuyés sur près de deux ans de recherches, qui leur ont permis de collecter 650 heures d’archives filmées, dont la moitié sont inédites. Mais surtout, les images ont été colorisées, le son d’époque remas- terisé et la narration confiée à Mathieu Kassovitz. Clarke et Costelle confient avoir volontairement choisi de « faire d’Apocalypse une œuvre cinéma- tographique », pour « aborder l’Histoire d’une fa- çon nouvelle » et ainsi « transmettre aux jeunes générations la mémoire de cette folie meurtrière généralisée ». Impressionnés par le dispositif, les médias ont, dans l’ensemble, encensé le projet. Sans plus d’explications, le fonds historique a tout natu- rellement été crédité de la rigueur et de la nou- veauté reconnues à la forme. Pourtant, à y regar- der de plus près, le traitement de l’histoire dans Apocalypse n’a non seulement rien de nouveau, mais il véhicule même un discours franchement réactionnaire. Douce France des années 1930 re- grettée, Vichy présenté de manière indulgente, sa responsabilité dans la déportation des Juifs de France éclipsée, partis de gauche accusés d’avoir permis l’arrivée au pouvoir des nazis, chambres à gaz et bombardements des villes allemandes jux- taposés : telle est la manière d’ « aborder l’Histoire d’une façon nouvelle » dans Apocalypse. Ça sent si bon la France Prenons d’abord la méthode. Elle est purement événementielle et s’abstient de toute analyse économique ou sociale. Mince concession à l’his- toire des mentalités, la vie quotidienne est parfois abordée, mais sans troubler un récit rythmé par les grandes figures historiques et les faits mili- taires. Ce qui fait que de l’espace est accordé à des détails, tant qu’ils ont un rapport quelconque avec les combats. Dans l’épisode 2, 21 secondes (ce qui est long en télé) sont ainsi consacrées à la découverte de la réserve de caleçons de l’ar- mée française par la Wehrmacht. La situation so- ciale et politique de l’Allemagne de l’entre-deux- guerres, puis la mise en place du régime nazi sont en revanche survolées en à peine 12 minutes. La même chose vaut pour la description de la France d’avant-guerre. Oubliés la crise économique, les tensions politiques et sociales, les ligues fa- scistes ou encore le Front populaire. Après tout, « la France est encore un pays très agricole » et c’est, finalement, un paquebot de luxe qui, selon Clarke et Costelle, semble le mieux la décrire : « Normandie, symbole d’une époque qui va dispa- raître. Ce magnifique Transatlantique représen- tait l’apogée d’un style, d’une douceur de vivre, du progrès et de la paix. » En conséquence, la défaite n’est considérée qu’à travers un argumentaire d’ordre militaire qui, neutre en apparence, est en réalité fort orienté. A Geschichte Apocalypse : un lifting de vieilles idées La charge de travail qu’a exigée la réalisation d’Apocalypse impressionne. Mais derrière l’effort technique et esthétique se cache un discours idéologique. Le documentaire-choc de la rentrée véhiculerait-il des thèses révisionnistes, notamment sur l’holocauste ? Vincent Artuso est doctorant en Histoire à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, en cotutelle avec l’Université du Luxembourg sur la collaboration au Grand-Duché de Luxembourg, 1940-1944. [...] le traitement de l’histoire dans Apocalypse n’a non seulement rien de nouveau, mais il véhicule même un discours franchement réactionnaire. Vincent Artuso

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Apocalypse : La 2e Guerre mondiale est incontes-tablementl’événementdelarentréechezFranceTélévisions.Cettesériedocumentaire,ensixépi-sodesde52minutes, s’estdonnépourambitionde « raconter la véritable histoire de la SecondeGuerremondiale,pourquelesgénérationssesou-viennentdel’Apocalypse».Pourcelasesauteurs,DanielCostelleetIsabelleClarke,sesontappuyéssurprèsdedeuxansde recherches,qui leurontpermisdecollecter650heuresd’archivesfilmées,dont la moitié sont inédites. Mais surtout, lesimagesontétécolorisées,lesond’époqueremas-teriséetlanarrationconfiéeàMathieuKassovitz.ClarkeetCostelleconfientavoirvolontairementchoiside«faired’Apocalypseuneœuvrecinéma-tographique»,pour«aborderl’Histoired’unefa-çonnouvelle » et ainsi « transmettre aux jeunesgénérations lamémoiredecette foliemeurtrièregénéralisée».

Impressionnés par le dispositif, les médias ont,dans l’ensemble, encensé le projet. Sans plusd’explications, le fonds historique a tout natu-rellement été crédité de la rigueur et de la nou-veautéreconnuesàlaforme.Pourtant,àyregar-derdeplusprès, le traitementde l’histoiredansApocalypse n’a non seulement rien de nouveau,mais il véhicule même un discours franchementréactionnaire.DouceFrancedesannées1930 re-grettée, Vichy présenté de manière indulgente,saresponsabilitédansladéportationdesJuifsdeFrance éclipsée, partis de gauche accusés d’avoirpermisl’arrivéeaupouvoirdesnazis,chambresàgazetbombardementsdesvillesallemandesjux-taposés:telleestlamanièred’«aborderl’Histoired’unefaçonnouvelle»dansApocalypse.

Ça sent si bon la FrancePrenons d’abord la méthode. Elle est purementévénementielle et s’abstient de toute analyseéconomiqueousociale.Minceconcessionàl’his-toiredesmentalités,laviequotidienneestparfoisabordée,mais sans troublerun récit rythméparles grandes figures historiques et les faits mili-taires. Ce qui fait que de l’espace est accordé àdesdétails,tantqu’ilsontunrapportquelconqueavec les combats. Dans l’épisode 2, 21 secondes(ce qui est long en télé) sont ainsi consacrées àla découverte de la réserve de caleçons de l’ar-méefrançaiseparlaWehrmacht.Lasituationso-cialeetpolitiquedel’Allemagnedel’entre-deux-guerres,puislamiseenplacedurégimenazisontenrevanchesurvoléesenàpeine12minutes.LamêmechosevautpourladescriptiondelaFranced’avant-guerre. Oubliés la crise économique,les tensions politiques et sociales, les ligues fa-scistesouencore leFrontpopulaire.Après tout,« la France est encore un pays très agricole » etc’est,finalement,unpaquebotdeluxequi,selonClarke et Costelle, semble le mieux la décrire :«Normandie,symboled’uneépoquequivadispa-raître. Ce magnifique Transatlantique représen-tait l’apogée d’un style, d’une douceur de vivre,duprogrèsetdelapaix.»

En conséquence, la défaite n’est considérée qu’àtravers un argumentaire d’ordre militaire qui,neutreenapparence,estenréalitéfortorienté.A

Geschichte

Apocalypse : un lifting de vieilles idées La charge de travail qu’a exigée la réalisation d’Apocalypse impressionne. Mais derrière l’effort technique et esthétique se cache un discours idéologique. Le documentaire-choc de la rentrée véhiculerait-il des thèses révisionnistes, notamment sur l’holocauste ?

Vincent Artuso est doctorant en Histoire à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, en cotutelle avec l’Université du Luxembourg sur la collaboration au Grand-Duché de Luxembourg, 1940-1944.

[...] le traitement de l’histoire dans Apocalypse n’a non seulement rien de nouveau, mais il véhicule même un discours franchement réactionnaire.

Vincent Artuso

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proposdunombredecharsdont sonarméedis-pose,l’onapprendque«laFranceenproduitbientroiscentsparmois(Note de l’auteur : en mai 1940, les Alliés disposent d’autant de chars que la Wehr-macht sur le front ouest.), mais les disperse danstouslessecteurs,enappuidel’infanterie».Aprèsunblancdeprèsde10secondes,letextereprend:« L’aviation française souffre aussi d’un grandretard. La France a commandé aux Etats-Unis4 000avions. »Commentpeut-onn’avoiraucunretard dans la production de chars et en avoiraussidanslaproductiond’avions?Pourcompren-dre ce curieux paradoxe, il faut revenir aux dé-batsqui,pourschématiser,ontlongtempsopposélagaucheàunecertainedroite.Selon lagauche,la défaite était due au conservatisme de l’État-major qui n’avait pas compris que l’heure étaità la création de puissantes unités de chars, nonà leur dispersion. Pour la droite non-gaulliste,c’étaitleFrontpopulairequi,enpayantdescongésauxouvriersaulieuderéarmerlepays,portaitlaresponsabilitédudésastre.

L’effort de Clarke et Costelle tend à mettre enavantcettedernièreinterprétationsansattaquerdefrontlapremière.Autreexemple:Leserreursdu général Gamelin, commandant en chef destroupesalliéesaudébutde laguerre, sontexpo-sées par la voix off dans une langue neutre, enévitanttoutjugement.Quandils’agitparcontrede mettre en évidence le manque d’équipement,laparoleestdonnéeàunsoldatde2eclassequidéclare:«Ilfallaitvraimentqu’onmanquedema-tériel de guerre… On avait un fusil pour deux,parcamion.Onavaituneboîtededixcartouchesqu’onn’avaitpasledroitd’ouvrir.Quellemisère!Parcequesionavaiteudequoisebattre,onseserait battu. On n’est pas du genre à aimer lesBoches ! » C’est également grâce à cette appro-cheenapparenceneutre,carévénementielle,queVichy peut être présenté sous un jour un peumoinsnégatif.

Une présentation indulgente de VichyMalgré son impréparation et une gestion poli-tique lamentable (voixoff : « Personnen’a enviede la faire cette guerre, pas même le Gouverne-ment,quiabienétéobligédegesticuler,maissansconvictions.» ), l’armée française s’est tout demêmebattuedurantla«Drôledeguerre».ClarkeetCostelleenveulentpourpreuve«lesincursionsdecommandosdechoc, lescorps-francs,dont lehéros,JosephDarnand,estnommépremiersoldatdeFrance.Ildeviendral’undesplusférocescolla-borateursdesAllemandsetfinirafusillé.L’arméefrançaise,malgréseshérosetsasupérioriténumé-rique, ne bougera plus ». Sous-entendu : JosephDarnand, lefondateurde laMilice, futunhérosqu’un funeste destin détourna du droit chemin,pourdes raisonsquine sontpas indiquées. Evi-demment,enévitantdeparlerdudéveloppement

dans l’avant-guerre d’une extrême-droite révolu-tionnaire,auseindelaquelleDarnandétaitparti-culièrementactif,ilestpossibled’interprétersonengagement ultérieur sur l’air mélancolique du«soldatperdu».

Autrepoint.Malgréladéfaite, laflottefrançaiseestquasiment intacte. «Hitlerademandéseule-mentqu’ellesoitdésarméedanssesportsd’atta-ches,carilaeupeurqu’ellesejoigneàl’Angleterre.Churchillalacrainteinverse:quelesAllemandsnes’enemparent.Ildonnel’ordreàlaRoyal Navydelaneutraliser.»UneforteescadrebritanniquesedirigealorsversMers-el-Kébir,l’unedesprinci-palesbasesnavalesfrançaises.«Churchillneveutprendre aucun risque, il fait envoyer ce signal :rejoignez-nous ou sabordez-vous ou partez pourlesAntilles.Vichyn’estinforméquedesdeuxpre-mierspointsetrefuse.»Lemessageimplicitedecepassageestque,s’ilenavaiteuconnaissance,Pétainauraitéventuellementchoisicetteoption,ce qui lui aurait permis de reprendre un jour lalutteauxcôtésdugénéralDeGaulle.Cettedou-loureuse zone d’ombre qu’est aujourd’hui Vichyneseraitdoncquelerésultatd’unetransmissiondéfectueuse.

Cesoupçond’apologie–nondeconnivence–seconfirme dans la suite de la série, moins par cequiestditqueparcequinel’estpas.Dansl’épi-sode 3, la politique de collaboration avec l’Alle-magne est condamnée. Le statut des Juifs du 3octobre1940,quiévincelesFrançaisisraélitesdelaviepublique,yestaussiévoqué.Iln’envapasdemêmedelaprogressioncriminelledecettepo-litiqueantisémitedeVichy,saresponsabilitédansles rafles, les milliers d’hommes, de femmes et

Geschichte

Clarke et Costelle ra-

content l’histoire de la Seconde

Guerre mondiale de manière

partielle car partiale.

© Archives Normandie 1939-1945

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d’enfantsjuifslivrésàl’Allemagnenazie.Pireen-core,bienquel’épisode4évoquelavenued’Hey-drichàParisen1942, ilyest justeditquecettevisiteavaitunrapportavecla«solutionfinale»etnonque lebrasdroitd’Himmlervenaitnégocierdirectementavec lesautorités françaises lesmo-dalités de déportation des Juifs de France. Pour-quoifrôlercetteinformationsansladonner?

La gauche responsable de la guerreClarke et Costelle racontent l’histoire de laSeconde Guerre mondiale de manière partiellecar partiale. Leur vision du monde est d’ailleursmoinsfrappantelorsqu’onsecontented’isolerlesacteurs de l’histoire qui sont décrits avec indul-gence.Ilfautlesmettreenrapportavecceuxquin’ontpasdroitaumêmetraitementpourensaisirlacohérence.

Revenonsaudébutdel’épisode1.L’AllemagneyestcertesprésentéecommeunpaysendeuilléparlaPremièreGuerremondialeetfrappéparlacrisedes années 1930, mais aussi comme la patrie deMarleneDietrich etdeThomasMann.Berlin,yapprend-on,est«l’unedescapitalesdelacultureeuropéenne, l’une des villes les plus libres aumonde ».Riendoncne laissepressentir l’arrivéeaupouvoirdesnazisqui,àencroirelanarration,vafrapperl’Allemagnecommeunesortedecatas-trophenaturelle:«Toutbasculeen1933.HitleretsesmilicesarméescommelesSA[…]fontmainbasse sur l’Allemagne par l’intimidation, par ladémagogie, par l’exploitation de l’amertume desancienscombattantsallemands.»

Laseuleexplicationd’ordrepolitiqueàcetteap-paritionintempestiveseraitlasuivante:«Lesna-zisprofitentdeladésuniondespartisdegauche

quemêmeHitlersemblevouloirséduireenlevantle poing. Les communistes allemands sont auxordresdeMoscoupourquilessocialistessontlesvrais adversaires. Pas d’alliance avec eux. » Celan’estpasfaux.Ilestparcontreétonnantdel’affir-merenoccultantcomplètementlacoalitionaveclesconservateurs,quiapermisauxnazisd’arriverlégalementaupouvoir.RiennonplussurlevieuxmaréchalHindenburgqui,entantqueprésident,contribuaàlégitimerlechancelierHitler.

Lescommunistesnesont,parailleurs,passeule-mentresponsablesdel’arrivéeaupouvoird’Hitler,mais également du déclenchement de la guerre.Un peu plus loin, il est dit : « Pour dissuaderHitler, l’URSSest ledernierrecours.Elleest liéeà la France par un traité d’assistance mutuelle.[…] Malgré leur crainte du communisme, lesOccidentaux comptent sur l’URSS. Mais Hitlerva les prendre de vitesse. » Un accord est signéen août 1939. « Pour le monde entier, le pactegermano-soviétique,c’estlesignaldelaguerre.»

Question : Comment les Occidentaux peuvent-ils se laisser « prendre de vitesse » alors que laFrance est déjà liée à l’URSS par un traité d’as-sistancemutuelle?Ceparadoxes’expliquepeut-être par le fait que la signature de ce traité en1935 ne fut jamais suivie de gestes concrets, lacrainte du communisme l’emportant finalementauseindelaclassepolitiquefrançaise.EtpuislaFranceétaitaussiliéeàlaTchécoslovaquieparuntel traitéd’assistancemilitaire, cequine l’apasempêchéedeconsentiraudépeçagedecepaysenfaveur d’Hitler. Or, en évoquant les Accords deMunichunpeuplustôt,ClarkeetCostellen’ontpas mentionné ce fait. Evidemment, cela auraitexpliquélesdoutesdel’URSSquantàlavolontédelaFrancederesterfermefaceàl’Allemagneet,parlàmême,gênéleurargumentation.

Un parallèle entre les bombardiers alliés et les chambres à gaz ?Mais laissons là ces débats et venons-en enfinau fait : Clarke et Costelle reprennent desthèses qui font fortement songer à celles défen-dues par les historiens révisionnistes au coursde la « querelle des historiens » dans les années1980. En substance, ceux-ci mettaient en doutel’existence d’une « voie singulière » de l’histoireallemande, menant inévitablement au nazisme ;interprétaient les crimes nazis comme une réac-tion aux crimes communistes ; établissaient unparallèleentrel’holocausteetlesreverssubisparleTroisièmeReich.

Nous avons déjà vu que, dans Apocalypse, l’ar-rivée au pouvoir des nazis est présentée commeunerupturehistorique.Encequiconcernelese-cond point, voyons la façon dont est décrite la« shoah par balles », à partir de l’épisode 3. Oncommenceparnousmontrerdesimagesdeliesse

[...] dans Apocalypse, l’arrivée au pouvoir des nazis est pré-sentée comme une rupture historique.

Le coffret DVD de la série documentaire

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quiauraientététournéesdansdesvillesbaltesàl’arrivéedestroupesallemandes:«LaterreuraététellequetoutvautmieuxqueleNKVD,laterriblepolice politique soviétique, qui s’est retirée enassassinant les Baltes anticommunistes dans lesprisons.LesantisémiteslocauxaccusentlesJuifsd’être complices des communistes. Ils les ras-semblent, leur font porter les corps. Les Baltesse livrent ensuite à des pogroms, des violencescontrelesJuifs,quelesAllemandsfavorisentaveccommeconsigne:nepaslaisserdetraces.»

NonseulementlesmassacresdeJuifssontexpli-cités par l’évocation d’un lien de causalité avecles exactions du NKVD, mais l’initiative en est,deplus, imputéeauxpopulationslocales, lesAl-lemandssecontentantdeles«favoriser».Cettemême structure narrative est reprise pour dé-crire les massacres en Ukraine. Ce n’est qu’en-suite qu’entrent en scène les Einsatzgruppen, les« commandos d’exécution », mis en place, nousdit-on, par Himmler et Heydrich – donc les SS.LacomplicitédelaWehrmacht,pourtantconnueaujourd’hui,esttue.

Troisièmepoint.L’interprétationdela«solutionfinale » par Clarke et Costelle n’est pas « inten-tionnaliste » mais « fonctionnaliste », c’est-à-dire qu’ils estiment qu’Hitler n’avait pas d’em-blée prévu le génocide, mais que cette solutions’imposa à lui au gré des événements. En soi,celan’arienderévisionniste,d’autreshistoriensle pensent. Ce qui l’est par contre, c’est de voirdans l’holocauste une action de représailles desAllemands.Cettethèsen’estpasexpriméeexpli-citement dans Apocalypse, mais elle est induiteparlaconstructionnarrative.Auboutd’unquartd’heure, l’épisode 4 évoque les bombardementsmassifs des villes allemandes par les Alliés. Desraidsqui ferontdescentainesdemilliersdevic-times civiles. Sur des images de villes dévastéesetdecivilsallemandssous lechoc, le textedit :«QuantauxAllemands,ilscommencentàmesu-rerlesconséquencesdelapolitiquehitlérienne.Lerégime hitlérien qui s’enfonce dans la démesuremeurtrière.Hitler,Goering,Himmler,sonadjointHeydrich mettent en place ce qu’ils appellentla “solution finale”, l’extermination des Juifsd’Europe,organiséeà laconférencedeWannsee,prèsdeBerlin,enjanvier1942.»

L’intentionest-elledesuggérerunliendecauseàeffetentrecesdeuxsujets,abordésl’unàlasuitedel’autre,ouest-cesimplementuneconstructionhasardeuse?D’unstrictpointdevuechronolo-gique,parlerd’aborddesbombardementsmassifs,puisdela«solutionfinale»est,entouscas, in-correct.LapremièrevilleallemandeàsubiruntelsortfutLübeck,danslanuitdu28mars1942.Laconférence de Wannsee avait eu lieu deux moisplustôt,le20janvier1942.

L’impressionnantdispositifdéployépourproduireApocalypseaàcepointréussiàfairediversionque

mêmelesrarescritiquesnégativesn’ontviséquesaforme;était-ilvraimentnécessairedecoloriserles images ? Pourquoi celles liées à l’holocausten’ont-elles pas subi le même traitement ? Cettedernièrequestionn’ad’ailleurspasétépousséeauboutde sa logique. Interrogédans leParisiendu8septembresurlaraisonpourlaquellelesimagesen rapport avec l’holocauste avaient été laisséesen noir et blanc, Daniel Costelle a répondu quec’étaitpournepasrisquerd’offrirdesargumentsauxnégationnistes,tentésdecrieràlamanipula-tion.ClarkeetCostellecroient-ilsdoncsipeuenleurpropreaffirmationdevouloir«raconterla vé- ritablehistoiredelaSecondeGuerremondiale»?Si leur approche était réellement convaincante,ne pourrait-elle pas, au contraire, faire taire dé-finitivement les assassins de la mémoire ? Iln’est pas à exclure que, conscients de leur tar-tufferie, ils aientpréférénepas lapousser aussiloin.u

(14 septembre 2009)