thomas de quincey mangeur d'opium

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Confessions d'un mangeur d'opium (Nouv. éd.) Thomas de Quincey ; première trad. intégrale par V. Descreux Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

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thomas de quincey

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Page 1: Thomas de Quincey Mangeur d'Opium

Confessions d'unmangeur d'opium

(Nouv. éd.) Thomas deQuincey ; première trad.

intégrale par V.Descreux

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

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De Quincey, Thomas (1785-1859). Confessions d'un mangeur d'opium (Nouv. éd.) Thomas de Quincey ; première trad. intégrale par V. Descreux. 1903.

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D<Sbut d'une sërio de docuxK'otsen couleur

Couwettute mMtieuœ ntanquante

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BïBLÏOTHtQUN CO~MOPOMTB N" C

THOMAS DIS QUINCEY

CONFESSIONSD'UNMAMECRDOPIUM

~S~3e~~M~TnADUCTÏONÏNT~HAhH

DESC.REUX

– ~0<7~Ef.Z.E ~DJT.fOjV –

PARIS.–1~P..V. STOCK, ËD!TEUR

(Anetwmme' ~tb)'<Hrte TSXaMt ~-aTOO~.t7.RUEOSRICUEL!BU, 2?

'9o3Toa< dMita Je traduction,de TtpTCttaetion et d'att*t}r<6 t~aertet peut tou<

)eep*y<, y compris t~SnMe et ttNt.rftg'

Page 5: Thomas de Quincey Mangeur d'Opium

-ya~A"LÀ M&ME ~BRAIRÏË

BIBLIOTHEQUE COSMOPOUTE

M~o(!!er)na)t). Ï'<M,t<:t-man traduit <tu bannis j~t-M.teC'*ï'MXt)K.Un\o!.in.tB. aM

BjOK~SMU<J.).–~MtO'<)'<'<~MJt~X'.–tMMOXft'fOf.t'M't.r«'<.–Traduit tht))t)fVH«!t)upxrMM.Aua.MoxMUERct A.ALMAKt.Unvot.in.<<)

– ,'<M.f~M des /i)! i" t't 2'parties. – Tr<<dut't{on do <MM. A. Monniot' <itLi!t)))3)t-son.UnYohin-tS.350

-– t/ae/ai!ft~, pi6co on t actes.adaptation fran<dsûdu MM.Scharmann ot J. Loxaire.Un9br.in-i8.ï'rix.a

-– t/M~ant, comëdîo en 3 Rctes.Traduction ttc Aug. M<)n.nier.Unvol.in.i8. Prix. 3SO

– Z~na~a, p!6co en 4 a.!tcs.– Une ~f!<Mt<e,pi&ce en 4 ac.tes, 6 tableaux. Traductionde M. Aug. Monnier. Un~ol. in-i8. 3SO

– 3f~My<<'e< Po~aMte. Tr&-dncUon de MM. Aug. Mon- (nier et G. Montignac. – Unebrochure in-iS. 1

– J~'fOt, dramo en 4 actes. –te /OMftM~f< drame en 4 ac-tes. Traduction de M. A.lMonnier. Un voL in.tS. 3 SO

BRAfDËs (Edouard). – MA!-.<<(Une visite. – Sous la

Loi. – Les Pitu~tdUci). –J-ei) RouAd~). Traduit dudemnioparMM.):K(:ot.m.vn.LK fit V. t'K XK~nx. Unvo!.in.<:<3~

nu')~K'r ~). – A<j< F.u)~t'onMi~ en a aetea. Adtpta-t)on française par MM.J..Lonaira et Schûrmana.Unehrût-huro in.<S. i!

<:ttTCtttn!<ifnE. – .Wc~eM~<MM/<~ ronan traduit (tu-russf, par M" Mnrina Po-lonsky et G. Dobesso. Unyot.in.i8.3 M

– ~At~o))M d'HM/)f/OM. Vi'iet twuturcs de NicitKorXa.trapuxny. Traduit du russe,par M'"Mari))'tPo!on8kyotG.Dehcssc. Un volumein-tS. 3 50

HCUEGAKnAY. – tf ~)YM<< Ga-~~o, pièce an 3 notes. Adap-tation française de MM.Schurmann et J. Lemaire.Unebr.in.t8.Prix. 2

GRtGOROviTCH (Dhnitri). Lesf<!f€n<t <~ /a Ca;)!<o<e, ro~taMtraduit du russe, par M"*E!éoNoro Tsaknv. Un vo).in.iS. 3 SO

ïlAUi'TMÀNN (Gerhart).– ~MMMf!<a:)'M. Traduction d'A-lexandre Cohen. Un .volumei!t.i8.

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Fin d'une sert': do d<K:m[)t:nts

en t:ou!our

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~CONFESSIONS:'<

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MANGEUR D'OPIUM

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A I,A MSMR I.I-nHAtRïR

a

HTTtBtTURE <ttSUUSE

TxnMA~ )'K Qutxct~. –Sou.veniK <mtoMogHtpM.que<duMMtgeurd'apium. tin ohnuo.in.iC, traductionde M. A!!)ertStudno. a fr. Kû

8nKH.Kï. – CE~Mt on pMxe, <M<)ui<c~ par M. AU'crt :<M)nc.– !'au'.p!))ots pn't<ique-i. – H<'mtatiou du dÈtsmc. – yMi-tnt'nts du )ro)nM)s. Cnti~MR littéraire ot ('ritifjne d'att.Phi!t'hop!o. <Jn '.oiamo in-16. a fr !it)

Swf.LE~.– CEawexpoétiquetoomplètet, traduites !Mr Mti<Habbo.

1. – rc~'<f<.Reine Nfab, Alutor, I.<mn et Cythaa, etc.Il. H,wnM. ~ex Cenoi, ï'Mïn6th~e, I.& Ma~o~naf,

Kptpty.~hidion, Adonaïa, H~Uas. tn:. – Petits poèmes et firagaieuta. –. Défense de lapo0!iie.Tfôis votumcs no so vendantpas sûpar~'tpnt. if) fr. !io

ïtABBR (i''<)!ix). – SheUey, <& vte et sas œu~teh. Un fortvotumoin-i8. 4 ff. o

A. C. SwfsB~K. – Po&m<!t et KtaUades, traduction doGabriel Mo~roy, avec de') notes sur Swinburft< peu' Uuy doMaupa'-s9at. Un voluntcin-i8. 3 fr. MU

A. C. Sw):<BUMXR. – Nouve&nx jpo~mes et BaUadeB, traduR-tion p~r M. Albert Savine. ~n volume !n-i(! 3 fr. M

CHm&TOFnBMAMt.owe.– Théâtre complût. Traduction, ëtudesu<* Marlowe, sa vie et sei (ouvres, par F6H\ Rabbe. avec unepréface par Jean Mchnp)n. Deux volumes in-~8.. 1 fr. a

~us.\BKTH HAttRET HKOwsMG. – Aurora Leigh) roman. Un jvolume ini8. 3 fr. :i00

OscAR WtLOH. – Le portrait do DoritHt Gray, roman. Unvolumein-!8. 3 fr. 50 1

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Page 9: Thomas de Quincey Mangeur d'Opium

THOMAS DE QUÏNCEJ-–––~ -'y

CONFESSIONS!)'!JMN

~àN,&EUR D'OPIUMJ~R~U~RHTKADtJCTtONtNTKGRAL);

P.~V. DESCREUX

– NOUVRI.Ï-.H MMl-i'ION –

PARIS – I~r~RR.T?,-V. STOCK, ÉDITEUR

27, RUE DE RICHELIEU, 27

1903'tous droits réserva.

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PREFACE DU TRADUCTEUR

Les CoM/MtOH.? <fw! M<ïMg-<?«r ~'o~!Hn: présentent.le double caractère, Is double intérêt d'eue une auto-biographie et le récit d'expériencesnombreuses et va-riées sur un des agents les plus puissants que la natureait donnés a l'homme. Toutefois elles ne sont pas com-plètes en tant que confessions, car très développéesence qui concerne l'enfance et la jeunesse de l'auteur,elles ne s'étendent guère sur sa vie littéraire et sa ma-turité. Elles ne sont pas absolument complètes, en tantque récit d'expériences sur l'opium: un accidentqu'ilraconte dans son introduction l'a prive de nombreuxdocuments et l'a réduit en certaines circonstances àconsulter ses souvenirs. Or, l'on sait que trop de pré-cision dans ceux-ci expose le narrateur au même soup-çon que trop de précision dans les prophéties onsuppose dans les deux cas de l'illusion, sinon de lamauvaise ibi,

L'autobiographie de l'écrivain le défendra de ces

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deux reproches. U est des qualités qu'on peut avouersans fausse modeste le sévère I.a RochetbuciuUd metdans ce nombre la mémoire. Ce droit est encore moinscontestable lorsque, par une discipline suivie, l'on afait subir :t cette t.tcultc un entraînement énergique;ainsi qu'on le verra, c'est le cas de notre auteur. Donc,pas d'illusion de sa part, et de plus il notait pas dansla nécessite de conblcr par l'imagination les lacuneslaissées par la perte de ses documents.

Quant a sa bonne loi, il l'a détendue par des argu-ments irréfutables. Il fait remarquer la prévention deses compatriotes contre tout écrit ayant un caractèreautobiographique, contre la sincérité à outrance d'unJ.-J. Rousseau. II a lutté contre cette réserve presquefatouche qui fait du Aowe anglais un sanctuaire 'impé-nétrable, et du for intérieur d'un Anglais un MHC~M:.sanctorum dans ce sanctuaire même. La variété, l'inté-r~t.de ses autres écrits le dispensaient d'avoir recoursaux confessions et de'raconter des expériences .psycho-logiques dans le simple but de captiver l'attention. Onpeut le croire quand il dit qu'il a souffert de passerpour un Mangeur d'opium, qu'il a plus souffert encore

après avoir avoué son habitude, et que le seul .désird'être utile l'a décidé à écrire.

Cette apologie à l'égard de l'erreur de l'illusion etde la mauvaise foi seraitnécessaire aujourd'hui eoeore,car l'opium est resté l'objetd'une aversion avouée, pu.blique, d'autant plus bruyante, qu'elle sert à dissimu-ler l'usage qu'on fait de cette substance. H est difficilede persuader qu'on s'y abandonne par la seule impossi-

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b!H!e défaire autrement. Tout homme qui en use estr<u'd~ )~~ /~f.'<t' comme un chercheur de paradis t<r-tihciei~, comme poursuivant la volupté phyiiiquc dansce qu'eue a de plus intense et de p!us rauine, ennncomme lui donnant ce ratunement suprême qui con-siste a la rendre purement intellectuelle.

Une cause qui contrihue a an~mouer ces préven-tions, c'esUft erainte~uiest venue à quetqucs espritsde voir i'optum remptacer i'tdcont comme poison na-tiona! et ~urtom comme poison poput.urc. M. Vercs-cha~<n, dont on connaît te ta!ent et la sincérité tantcomme artiste que comme explorateur, déclare quedans un avem!' assez rapproche, cette substitution seraaccomplie.. HnAng~e!e~c, elle est ircquente, commel'x démontreTh. dcQuinccy lui-même, nonseuicmentp~rmi les hautes classes, mais, encore dans les crandscentres ouvriers. Alphonse Esquiros nons apprend quele laudanum~ c'est-à-dire un liquide capable d'ajouteraux effets de l'opium ceux d'un alcool très concentré,est émployé couramment a Liverpool par les ouvrièresqui ont de jeunes enfantsafin de pouvoirtravaillerdansles ateliers en laissant leurs enfants la maison. L'ondiraitque la Chine,à qui l'Angletcrrea Impose !!M)H< xu'litari-l'usage de l'opium, se venge de sa défaite par untalion rigoureux et exact comme une loi de la nature.~L.a France même, qui a été quelque peu complice decett~ ~ol~nco, n'est pas à l'abri de l'invasion. Lesétudes de M. Charles Richet ont prouvé la diffusion dumorphtnisme~qui est une forme plus subtile et plusdangereuseencore de l'opiomanie. Et nous ajouterons

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ici que, comme tous les exemples corrupteurs, cetexemple vient d'en haut, H y restera confiné sansdoute l'admirable équilibre de notre tempéramentnational, qui nous fait bientôt revenir des extrêmes etnous montre tôt ou tard tout excès sous un aspect rldi-cuic, nous arrêtera bientôt dans cette voie. Nous pou-vous donc espe~t'que la race anslo.saxonnc garderale monopote de ce fléau, avec tl'autres monopoles nonmoins pesants, comme son paupérisme~ son esprit dedestruction qui fait que, partout où e!îe se montre, lesraces antérieures et leurs monuments semblent s'évu-noui: Race extrême~ avec son sang-froid proverbial,elle doit subir une loi naturelle que je me hasarderaisà formuler ainsi. Dans les caractères nationauxcommedans les caractères individuels, les extrêmes s'appellentcoexistent et agissent soit en se combattant,; soit enalternant leur action. C'est ce qu'exprime un livredépourvu de la sereine clarté des Grecs, mais non moinsbeau par les innombrables lueurs d'éclair qu'il jettedans la nuit delà nature et de Famé. On devine qu'ils'agit ici de la Bible. EUeditqucIque part cequete puisbien appliquer ici ~MM~MMtM!M~oc<!<. Les citésles plus adonnées aux préoccupationsmatericHesetmer-cantiles n'ont pas été par cela préservées, ou si l'onaime mieux, privées des écarts de l'imagination et desillusionsmystiques. Lorsque mille signes y persuadaientl'observateur superficiel qu'on adorait un seul Dieu,Mammoa, Plutus, le dieu des voleurs et des mat'.chands, tout y laissait voir un fonds puissant de rêveries~d'atTracticn Four ic côté chimérique, ténébreux des

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choses. Les J<om.un~ ces modules de Fcspnt posi-tif, tt qui la conquête et l'exploitation du monde hu-posuient comme une nécessité lit vision exacte de toutce qui les entourait, eux qui ont créé un empire par lesdeux réalités les pins inexorablesde tontes, le droit etl'épée,ont créé aussi la superstition. L'homme qui n leplus aime et le mieux connu icnr poète natiomd,Heync,réditeur de Vigile, insiste fréquemment sur le carac-tère H la fois naturaliste et sombre~ des mythes itatiqucs.La contre-partie de cette loi démontre !a loi e!!e-meme.L'Allemagne, réveillée par IH Prusse de son sommeilplein de rcvcs mctftphysiques, est devenue industrielle,et a fait de ïa guerre même une science dirigée vers lesapplications immédiates.

Indépendamment de cette loi, qui fait correspondredans le même être un extrême a un autre, loi sunisantepour exalter chez la race anglo-saxonne les dons decréation imaginative, que semblerait neutraliser sonesprit positif, les faits sont là-pour démontrersa hautevirtualité intellectuelle. Le plus vigoureux penseur dece siede est peut-être Herbert Spencer; Darwin etWallacc ont donné à l'Histoire naturelle des sièclesd'impulsion et de progrés l'ère de Victoria, comme onla nomme en Angleterre n'est pas moins féconde quel'ère d'Elisabethen poètes profonds et subtils,en mêtnetemps qu'elle lui est bien supérieure en délicatesse. L'onne voit pas même que cette.ère soit séparée des précé-dentes par des époques de stérilité relative. Or, l'on abien le droit de regarder une telle culture comme unemanifestation extrême, une exacte compensation au

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génie poaitit qui disperse partout et enracine solide-ment la race tngto-saxonno.

Si, de ces considérationssacrales, nous revenons parune transition naturelle al'amen)- qui a connu p~r uneexpérience de cinquante ans Fun des u~ents les pluspuissants du réve~ nous trouverons dans le sujet qu'il atraitè un autre sujet qui y est rehterme. et qui ne man'que pas d'intérêt. Th. de Quincey a décritav~ minutie,avec précision, les effets de l'opium; nulle part il. ne cher-che & les expliquer. C'est là une question qui se po'sed'eHe-tneme.

Dans ces descriptions l'on remarquera abondancedes ëiëments moraux, logiques, imaginants, l'absencetotale de i~tement sensuel. C'est une surprise pour lelecteur/qui sait dans quel but l'Orient se livre il i'o-pium. On peut attribuer cette iacùnea plusieurscauses.La principale est peut-être !n réserve excessive del'Anglais, qu:<~Midére ieseut fait d'écrire des confes-sions.commeune audace. On peut admettre !tuasiqa&Th. de Quineey 'n'a pas connu ce cùin du paradis del'opium, et que, rompu de bonne heurea là méditationpurentent intellectuelle,il devait échappera cei entraî-nement Qu'on iise l'Opium de ï~. Paul Bonhetain,livre qui porte la trace de bien des impressionsperson':nelles, on sera frappé desa différence, de son oppositionabsolue avec les Co~MfoM. L'on ne saurait expliquercettè diversité par la manière de prendre ropîum quel'un fume et que l'autre emploie sous forme de solutionAU <4" :,I~-.J. on~.t.u;ArQA~¡"eu ~etne~i nN'sr&~l'ea doi* supp~s*" ~~K~<rg<*nt<.t-

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tions différentes qui font glisser les deux t~rivainssurdeux versants opposés, alors même qu'ils ont le Mêmepoint de départ. De plus, l'auteur francaia place sonpersonnage dans )a partie de l'Kxtreme-Onent ohl'agitation des couleurs et des mouvement:: est h plusintense; il remplit ses journées par des songeriesamou-reuses, ou par les scènes d~ lu vie alternativement iié-

vrcuse et torpide qu'on mené dans cette région, et tomcela est d'origine extérieure. Quand l'opium étend surnos deux personnages sa toute- puissante innucnce, ilagit d'un côté sur un hommequi a médité et contemple,dont lit vie psychologique est aussi animée que sonexistence matérielle est tronquilic et pum- ainsi direvide, de l'autre sur un homme qui remplit cette exis-

tence par des passions, du mouvement, des rêveriesindéterminées. De partetd'aune, I'inteUi~ence,revcillecpar l'opium, se b;Uit son théâtre avec les matériauxqu'elle renferme, y joue en drames ses souvenirs, sesidées, ses sensations; de part et d'autre ellene tired'ellc-même que sa propre reproduction.

Ce n'est pas que la sensibilité fasse défaut à Th. deQuincey. L'on ne saurait accuser de sécheresse d'âmecelui qui a ose écrire l'épisode de la pauvre Anne, et afait par un simple récit, d'une prostituée de Londres,une charmante et sympathique ngure féminine. Maiscette sensibilité n'est pas la passion. Elle s'étend à toutce qui souffie dans rhumilianon et le malheur, ellerefuse même de tenir à distance par une rigueur phari:.saïque, les êtres qui ont mérité ce malheur et cett&humiliation jelle puise dans le souvenir de ses propres

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fautes l'indulgence pour celles d'autrui. Lu sensibilitéchez Th. de Quincey, est donc une harmonie exacteentre l'émotion personnelle, instinctive, et des motifstout intellectuels pour cette émotion. La passion diffèrede cette sorte de sensibilité par la violence, l'ëgoïsme,l'aveuglement, c'est-à-dire qu'elle en diffère du tout autout, qu'elle en est pour umsi dire la négation.

Th. de Quincey insiste longuement sur .la facultéque possèdeFopium.au moins au début de son action,d'établir un parfait équilibre entre les affections et lesidées, de donner à l'Intel [tgenc~ la sensation et la santémentale, où l'imagination, la mémoire, le jugement,les sympathies, les antipathies, tiennent leur place,jouent leur rôle, se renferment dans -h:urs limites et lesatteignent dans tous les sens. En face de ce tableau, iltrace avec une singulière puissance descriptive, celuide l'excitation que donne l'alcool, et què la langueanglaise appelle si énergiquement intoxication. Ainsi,voilà deux substances dont Func est connue, au pointque M. Berthelot a pu la reconstituer de toutes pièces,l'autre l'est en partie. Toutes deux se réduisent en défi-nitiveà des groupementsd'atomes. Qu'onfasse pénétrer

ces substances dans la circulation, que la circulationles mette en rapport avec les éléments, cérébraux,aussitôt la scène psychologique s'ouvre, s'éclaire, sepeuple; une vanété infinie de spectacles intérieurs s'ydéploie. Et cela a lieu devant une partie de nous-mémequi est la conscience, et qui éprouve devant ces spcc-tacles, terreur, extase, colère~ remords. Cette même jJI

jConscièttCc qu; tout & i'h$t!<* ~!<"t pMMMnte<Jibre.et

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disait ~Ia mémoire: tais-toi, a l'imagination: tu ha!.jusque-là et pas plus loin; elle est immobile, muette,quand le spectacle est terminé, elle éprouve une senau-tion de regret ou de soulagement par laquelle elleexprime l'impossibilité absolue où elle était de diriger,de prolongerou d'interrompre le drame intérieur.

Cette idée qui ne s'est pas prexemcea Th. dsQuincey,terrinait Baudelaire. Lui qui a si bien analyse les fan-taisies de l'opium et du haschich, apprécie et traduitl'alcoolique Edgar Poe, il n'a jamais recouru a cesexcitant:, et comme le dit Th. Gautier, rM~~e~M&erMa~re lui, reftrayuit, au lieu de l'attirer. Qu'est-cedonc que penser maigre soi, sentir maître soi, commecela arrive sou~. l'innuence de certains agents, commecela arrive aussi en dehors de leur influence?

Un auteur ingénieux, mois par malheur un mauvaisécrivain,De la Salle, compare la mémoire a une longuebande de parchemin qui s'enroule ù la façon d'unvolumende Pompée à mesure que s'y inscrivent toutesles idées, toutes les sensations, sans qu'aucuneéchappeà cet enregistrementautomatique. La mémoire est souscertains rapports une faculté indépendante, isolée, unesorte d'agenda que nous pouvons consulter, mais au-quel nous ne pouvons rien ajouter, rien retrancher.A de certains moments, sous des influences violenteset soudaines, extérieures, morbides, le rouleau sedéploie tout à coup dans toute sa longueur, et oSre.anos regards toute notre vie passée, non pas en symbolesplus ou moins abstraits, non en induÏerentes.nptauons

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algébriques, niais en représentation:) directes. Nouspemont Mux funérailles d'un grand homme cela Mreproduit aux regards de la conscience sous la formed'une pa~o de livre, d'une colonne de journal quandnous avons ninsi connu lu f.)it; mais si nous en avonséte les témoins ocui~ires, nous assistons à uneveritabierésurrection de la scène, exacte comme une photo~r~phie, mais vivante, pleined'uu bruit etd'un mouvementde foutf?, comme ces réapparitions de nos existencesantérieures, que M. Camille Fiammarion nous prometdans Lumen. D'autres fois, ce tableau qui se pfesenîcànous, a été réellemcnt sous nos yeux, nous croyons nel'avoir jamais vu. Richard Snva~c Landor raconte,avecun souvenir de terreur, l'impression qu'il ressentit envoyant pour la première fois (c'est-ù-dire en croyantvoir pour la première fois) un pays~e absolumentiden-tique à celui qu'il avait vu en rêve quelques jours

auparavant, fait qui prouve que les choses oubliées nedisparaissentnullement de notre esprit. Les auteursctas*siques de la psychiatriecitent un homme qui, dans unaccès de délire, récitait de longues tirades de PAMr~,

avec une intonation fort dramatique. Une savaitni lire,ni écrire, et le seul incident de sa vie qui eût quelquerapport avec la pièce de Racine, c'était qu'il l'avait

vu représenter une seule fois. Il n'avait rien corn-'pris, mais il avait vu et entendu, il n'en avait pasfallu davantage pour graver dans sa mémoire uneinutile représentationde la pièce.

Ainsi, de l'action de certaines substances sur l'intel*+. .1'KgcMC, ïîcssF~CMx }'cx<rci?e sstOT!tiqas,inv!

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lontaire et pour ainsi dire convulsif d'une paniùitnport<ntedel'tntdlijt<ence.N'y a-t-il pxsl~ uupo~a~C.tout naturel? L'analogie sera bien p'm marquée jt~nous nous reportons aux travaux récents sur )a phy-siologie cérébrale. Ils nous décomposeront lu n'.em'~ire

en plusieurs mémoires bien distinctes, dont chacunepeut disparaît) e internent; ils placeront ce-: f«cul!es demême ordredons une certaine circonvolutionde Broca.

Certains faits donnent à penser que l'intelligence,entant que distincte de lu mémoire, c'est-à-dire en tantque faculté de combinaison,dcconstruction,ne s'exerce

pas toujours avec conscience et volonté. Le docteurLove, prédicant américain, rapporte un de ces faitsUn voyageur, endormi dans une chambre d'hôte!, futréveillé par le bruit d'un coup de feu tiré dans la piècecont:i.;ue; entre le momentoit le son arriva a son oreilleet celui où il se r~veilia, il avait eu le temps de voir ~edévelopper le songe suivant. Il était reporté au tempsde sa jeunesse, s~en~ageait. prenait part à diversesbatailles, désertait, était repris, jugé et condamné nêtre passé par le& armes; il avait confondu le coup defeu tire à côté de lui avec celui du peloton d'exécutiondevant lequel il se croyait place, et il se réveillait avecle souvenird'aventures militairesqui avaient duré plu-sieurs années. –M. Alfred Maury, dans son livre sicomplet sur !e~MttN~ les /~t'M,en rapporteun dumêmegenre. Comme il dormait; la barre tjui soutenaitles rideaux de son Ut; tomba sans lui faire de mal, mais~<L~~M-te(i~Faa~Hcont<M:tde cette

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barre froide avec son cou suffit cependant pour fairenaître un rêve complet, parfaitement ordonné, danslequel il assistait tout le développementde la Révo-lution française, depuis l'ouverturedes Ktats.Genërauxjusqu'à la Terreur. 11 se croyait l'une des vi(.'imes duTribunal révolutionnaire, il montait sur Fëchafaud, ilavait la tête engagée dans !a ~uitiotine, et il s'étaitrevdUe confondantle choc de ~a barre avec la chute ducouperet. On sait aussi qu'un des épisodes du Mâha-bhârata est fondé sur un rêve de cette sorte, qui fait

passer pendant la durée d'un éclair, devant rinteUi-

:;ence d'Ard}ounatout un systèmemétaphysique. Enfinle mystique Ballanche, dans sa F~tfM d'jH~&a~, asdopté la même mise en scène.

Du reste, il n'est pas nécessaire de recourir à ces faitsqui, sans être rares par eux-mêmes,le sont par la diffi-culté de les constater par soi-mème et chez les autres,et dont robservanon suppose une grande habitudepsychologique. Pour peu qu'on se soit adonné auxrecherches philosophiques, aux exercices littéraires,

on sait qu'à certaines heures, dont on profité sans pou-voir les ramener pu les prolongera l'on est dans unedispositiond'esprit particulière, qu'alors les idées appa-Missent avec des rappôrts, des enchaînements ingénieux

et justes, qu'elles se présentent vêtues de métaphoresexactes ou brillantes, tandis qu'à d'autres moments,elles sont pour ainsi dire de si mauvaise humeur, etarrivent dans un négligé tel qu'on préfèreles repousser'et attendre le retour de ce qu'on nomme Finspi ration.

Une autre observation que chacmt « pu f5!rC)'sc

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rapporte & ces révélationssoudaines qui nous font voirla combinaison longtemps cherchée, et à laquelle, endésespoir de cause~ nous avions essayé de ne plus son-ger. Cela n'indique.t-il pas un travail souterrain, oul'intelligence reprend, loin du regard de h conscience,la tache que la volonté avait renoncé à exécuter? H

semble qu'on voit se réaliser le conte de fées ci) unejeune princesse enferméepar une marâtre avec un tas degraines mêlées ensemble,a pour obligationde les trier;elle se désespère, mais arrivent des fourmis que jadiselle a évite d'écraser, €t en peu d'instants, à son insu,tout est rangé par tas distincts. Dans le j~orc desHighiands, les brownies se rendent utiles de lit mêmefaçon pendant la nuit, mais s'ils s'aperçoivent qu'oncherche à les épier, ils disparaissent après avoir commisun méfait. Peut-être aussi, la psychologie fera-t.ellebien aussi de laisser l'intelligence inconsciente accom-plir son œuvre dans l'obscurité.

Mais tout en constatant ces faits, nous bornant là, etnous gardant de vouloir en pénétrer la substance, nouspouvons nous demander s'ils ne contiennent pas tousles élémentsde la fantasmagorieque déploient en nousl'opium et les substances analogues. Ils nous prouventun phénomène d'une importance capitale, la distinctionqui existe entre les facultés mentales; l'intelligencepeut échapperà la volonté et à la conscience, travaillerloin de leur action avec force et régularité, pour neleur apporter ensuite que le résultat dénnitif, la solu-tion du problèmecherché; elle peutaussi travailler sans

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but proos, sans un problème résoudre. comme quandle compas do l'architecte se distroh en n~ures symé-triques et compliquées, qui n'ont aucun rôle dans rcdi*Rce. Elle peut eniin prendre la mémoire pour com-pagne de ses jeux et de ses excursions capricieuses,ou lui laisser toute la place. H résulte de tunt cela descombinaisonsbien plus vari~ que cdtes du kaleido~-cupe, car ia reguiaritéet la symétrie sont un accidentfortuit et non d'e~t néceMaire de !a disposition de l'ins-~runtentiMeUectueLU n~t pas nécessaire de montrer que cette indépen'dance de la mémoire et de rtnteUi~ence ne sont pasdes phénomènes propres à l'état de rêve. Sans doute lesommeil relâche jusqu'à les rendre flottants et insen-sibles les liens qui nous rattachant au monde extérieur,liensqui pendant Fêtât de la veiUe sont tendus parfoisau pointdevibrer douloureusement en nous. Mais cetétat de veille n'est autre chose que la volonté et l'atten-tion nous savons bien que toutes deux nous coûtentun effort continuel. Il faut une sorte de volonté pourvouloir; dès que le regard est nxé sur un point, il selasse et recommence à errer; pour pèu que la sur-veillance se suspende, toutes les folles du logis s'ccbap'pent, s<: groupent, s'isolent, racontant, raisonnant,rieuses ou grondeuses; cela constitue l'état aussi agréa-ble que dangereux qu'on nomme rêverie, maladie quipousse Ter< lA~oiKude, et qu'à son -tour la solitude«ggr,a<M!.

Ces fànt~ste$.d?j~ mémoire, de nation duraispnoemea~ i(C. ;a€tlieai ioft bieOt avec ce bel :~u i-

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libre intellectuel que l'h. de Quincey nous dépeintcomme un effet de l'opium. Cet a~ent a une vertu nar-cotique remarquable, et celle-ci ne se borne pas uneaction toute-puissHute sur lu douleur physique. HUcs'exerce avec non moins d'énergiesur la douleur moraleaiguë ou chronique;, sur celle que cause en nous unchoc violent et subit, sur celle que nous fait éprouverla morsureincessanted'un amour trompe par l'abandonou la mort, d'une ambition dont l'objet nous fuit etnous inquiète. Est-il prouvé d'ailleurs qu'une douleurmorale diS'ere essentiellementd'un& douleur physique,qu'elles soient confinées dans des régions qui ne com-muniquent jamais eatrc elles? Cet équilibre inteHecmelque Th. de Quincey décrit avec tant d'éloquence,avec la sensation d'une incomparablevolupté qu'est-il,sinon l'anesthésiede la douleur morale au mctne de~reque l'engourdissementde la douleur physique? Il restealors l'intelligence, la mémoire, l'imagination;devantces facultés passent des objets qu'elles contemplentà loisir, sans être violemment distraites par ces dou-leurs. Sans doute, Th. de Quincey nous laisseentendrequ'à la longue, cette action anesthésique s'épuise, et faitplace a des souffrances. C'est là un phénomène physio-logique nous savons que la plupart des agents pro-duisent par leur abus ou leur long usage l'effet mêmequ'ils étaient destinés à combattre. Il n'est donc pasétonnant que ce bel équilibre-que Fopium. produisaitsoit détruit par l'opium lui-même, que les fresquesmajestueuses et calmes, devant lesquelles on se pro-menait en dilettante charmé, soient remplacées par des

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courses haletantes à travers un enfer aux cercles bienautrement nombreux que l'enfer dantesque.

Un caractère frappant sur lequel Th, de Quinceyinsiste avec raison, consiste dans un lien intime entreles visions de l'opium et les incidentsde notre vie. Cesocéans agites dont l'étendue interminable donne levertige, et dont chaque vague est composée de figuresqui grimacent, menacent ou supplient; ils ne sont pasautre chose que ces foules qu'il a jadis parcourues.,regardant attentivement chacune des molécules hu-maines qui les composent,dans l'espoir toujours tromped'y découvrir sa pauvre amie. C'est encore un souvenirdes foules de Londres, de ces deux ou trois millionsd'êtres entassés dans une cité, de ces deux ou troismillions d'êtres dont le piétinementanairé s'entenddeloin, et qu'un poète anglais contemporain a comparéau puissant rugissementdu tourbillon central (mightycentral upwar). Cette poursuite d'Anne, dont tous lesincidents réels sont devenus les textes d'autant dedrames visionnaires, n'est que la vie de Th. dé Quin-cey comme il l'a dit lui-même, son autobiographieest la substancede ses rêves.

Une dernière question se pose; que les observa-tions précédentes nous aideront à résoudre. L'hommede lettres peut-il puiser dans l'opium ou dans lessubstances analogues des ressources intellectuelles?Nous répondrons oui et non. Oui, s'il s'agit de se placerdans des dispositions favorables au travail, et de com-

battre h do"r physique et morale qui est le princi-

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pal, et, au fond; le véritable obstacle il ce travaiLOui,encore,s'il s'agit de soutenir cet effort en vue d'accomplir

une tâche qui demande l'unité d'inspiration. Non, s'U

veut créer, ou simplement voir. Shakespearedit dans.HaM!~ « H y a bien plus de choses dans la réalité, que

ne saurait en rêver toute votre philosophie. » L'opium,avec toute la splendeur, la variété, le mouvement de sesvisions, restera toujours au-dessous de cette réalité, etl'auteur du Cosmos, alors même qu'il se bornait aumonde physique, n~vaitrieu a enviera Th. de Quincey,à Edgar Poë, à Hoffmann. L'opium restera donc, à cepoint de vue, un plaisir ëgoïste, et .peut-être par celaseul, un plaisir stérile. H n'ajotiterit rien a nos facultés,ni aux objets de nos facultés. Se bornant tirer de nosressources intellectuelles ce qu'elles contenaientil l'étatlatent, ce que nous y avons accumule par un travailantérieur, à dissiper, sans qu'on puisse compter toujourssur cet effet, les obstacles qui nous empêchaientdc lesemployer, il est incapable denous révélerdes problèmes,des solutions, des aspects inconnus des choses.

V. Dt:SC!:EUX

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AU LECTEUR

Je vous présente ici, bienveillant lecteur, le récitd'une période remarquable de ma vie. S'il répond à

mon désir, j'espère qu'il offru'a non seulementFintëretdes faits, mais encore une grande part d'utilité et d'ins-truction. Je l'ai écrit surtout pour ce dernier motif, etcela doit me Mre pardonner d'être sorti de la délicateréserve qui le plus souvent nous empêche d'étaler enpublic nos erreurset nos faiblesses.

Le malheureux et le coupable ont une tendance na-tùrelle à fuir les regards du monde ils préfèrent l'obs-curité et la solitude jusque dans le choix d'une tombe,ils cherchent à s'isoler parmi la foule souterraine. Ondirait qu'ils renoncent à revendiquer leur part de fra-ternité dans la grande famille des hommes, qu'ilsveulent, comme le dit cnergiquementWordsworth,

Exprimeravec humilitéLeur remords par la solitude.

En somme, dans notre intérêt à tous, il vaut mieux

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qu'il en soit ainsi, et pom' moi, je me ~ardenu bien deblâmer des sentiments aussi salutaires. Mais d'unepart, ma confession volontaire n'est pas un aveu deculpabilité, d'autrepart, si elle en était un, je persiste-rais peut-être encore & penser qu'en racontant une ex-périence payée aussi cher, je rends autrui un servicetel qu'il compense largement toute violence fuite auxsentiments dont j'ai parle et qu'il justifie une excep-tion à la règle générale. La faiblesse et la misère nesont pas fatalement liées à une faute. Les ombres dece couple ténébreux se confondent ou se séparent selonles motifs visibles, le but qu'avait l'offenseur, les excu-

ses manifestes ou cachées de l'offense, la force des ten-tationsqui ont fait faire le premierpas verscelle-ci, selonl'énergieavec laquelle on a lutté pour agir ou résister.En ce qui me concerne, je puis sans faire tort à la vé-nte ou a la modestie, aMrmer que ma vie dans sonensemble, a été celle d'un philosophe; ma. naissancem'avait destiné à une existence intellectuelle dès le

temps. même de mon séjour à l'école, mes projets etmes plaisirs ont été intellectuels. Si l'usage de l'opiumest une volupté sensuelle, si je reconnais m'y être livréjusqu'à un degré qui n'a été atteint par aucun homme,de son ~i~M, il n'en est pas moins vrai que j'ai luttécontre cette ensorcelante domination avec un zèle reli-gieux, que j'ai fini par accomplirune tâche qui n'avaitété imposée & aucun homme, que j'ai brisé un à un,jusqu'au dernier les anneaux de la chaïne mauditequi m'enserrait. Une telle victoire sur soi-même doit,~n toute juM'ce, faire pardonner la faiblesse qu'on s'est

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permise, quelle qu'en soit la nature on l'étendue, Et jen'insiste pas sur ce fait, que ma victoire a étc incontes.table, alors que j'aurais pu justifier ma défaite par desargumentsde casuisie. On pnut employer cette expres-sion soit qu'il s'agisse d'actes ayant pour but uniquede souder la souffrance, soit qu'ils aient été inspirespar la recherche d'un plaisir superflu.

Coupable, je ne le suis donc pas, ù mon sens, e!quand je me reconnaîtrais tel, je pourrais persister aécrire ces confessions, en songeant au service que jerendraisainsi à la classe des mangeurs d'opium. Maisy ena-t-il? Lecteur, je suis oblige de le dite cette classeest très nombreuse. J'en ai eu la preuve il y a quelquesannées, en comptantceuxqui m'étaientconnus directe-ment ou indirectement comme mangeurs d'opium,dans une partie très restreinte de la société anglaisepartie composée d'hommes remarquables par leurs ta-lents ou leur notoriété. Je citerai par exemplel'éloquentet généreux William Wilberforce, le défunt doyen deCarlisle, docteurIsaac Milner', le premier lord Erskine~.

ÎMacMitner. – Le public le désignait sous ie nom de doyen-deCarlisle; dans laconversation,l'on s'adressaittoujours nu ~qye'!Milner; mais dans son propre cercle, il était traité endettementcomme le chef de Queen's College Cambridge, sa résidenceordinaire. Ainsi que son frère Joseph (de Hut) it était, au fond,.néthodiste wesleyen, et c'est sous l'influence de ces principes etdes sympathies qu'ils lui suggéraient, qu'il a continué et con-<tJusqu'au temps de Luther l'ouvrage de son frère, t'o!re~?<'McAr~<<e)t)M.Denos jours, oni'eût considérénon commeméthodiste,mais simplementcomme partisan de l'Eglise infé-rieure. Quoi qu'il en soit, on peut se demander en passantcomment un homme d'une honnête~ aussi bien établie que<.e!!t:uu doyett Mnnet-, tneHattn'Mttû.d M~ idées morsies st !=cumul d'une fonction ecclésiastique importante, comme ce

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M. D. le phHosophe un sous.Kcr<<a!re d~Rtat

doyenn):, avec la direction d'un coH~ do même importanceL'une dct deux chnrses c~it ~br~tnent ne~ti~ee. Cet exemptel,'itüU de.r :l~llX Clr1t'~CS était forvnteut rtr:r;linée, t:et exentpla~h voir quels prf~re~ t't-~iM a )ca)i~< pendant h dernière~~MMtiûn, dans Fobaert'ation pratique des principe i'eti~ieuxde désintéressement.Aujourd'hui, l'homme te plus ind~tic.ttrtfuteMitcequetrenteans .utpaMvan: ~'n ecf'csiastiqua metho.disM, rigide, et mémo innati~uc, sctnn t]uciqucs-un&, per~~t.tit

faire, Mni: se croire tenu i\ aucune csptic.uion. Si j'.u pre~ut~cet exeMpte sous son vrai jour, n est t~s propre a rrou~rqueh ~!)~<tt!oft uctueUe a un ..entituent plus eleyj de b diotH~morate. Nous ne cessons de traitct' injui-tentent notre temps, etCtpendan!, à certains &if;nes m~niiestet nu secret, je vois quedepuis t'epn~ued'Kti.ah~h et de Charte~ nutjc période n'~tplus inteileetuette, ptuAnnitMce, ptusditticifeenveMeite-metue'rexcimtion oxtrenrd'nnirc()Ut rùHnc dans !'tntctli~cn;e ne tardepa~ il se. traduire par un de~etnppententproportionnel de la sen-fibititc n)t.M}e. Les distinctions p~'c)to)oi;iques ot! meMp)))'.&)qu(.-s ttU) servent à notre pen~ moderne commede membreset d'articuiations, accusent )e car.tctefe plus défie des sujets quioccupent nos réflexions. De teitc~ distinctionsaumient paru, ily a cant trente ans, entachées de pédantisme, ou même pleinesd'une obscurité suspecte, on les eut Ju~esimpMtic.tbies- peut-être on les eût eUees commecoupablesauxsessions trimestriellesde Middiesex, avec l'.&'coMfwcpoiitiquc de Mande~itie.Revenonsau doyen Miiner. Pour montrer quelle place ses talents luidonnaientdans la première génération du dix-neuvième~c!eje rappellerai qu'il ne faut pas le juger par ses ocrin; ils luiont été imposés par quel;:lue circonstance pressante et fortuitee est dans la conversation qu'il retrouvait sa vraie p!aM à unrang supérieur. Pour Wordsworth, qui l'a souvent rencontre àla Mbte du feu JordLonsdaie, etait~ miitre incontesté des cau-seurs de son temps; lui seul, depuis la mort de Burke, savaitsans être réduit i des souvenirs, entrer dans un sujet qui luiplaisait, te manterd'un mouvement personne)et aisé, lui donnerun tour original et nouveau. Commemangeur d'opiu.n. le doyen~.htner, dit-on, faisait face avec vigueur à la neeessue que h.):&vait tmpos~ cette habitude. J'ai appris de divers côtés que sadose était de grains (environ N~o gouttes de ~udanumiqu'itprenait de six en six heures, avec l'aide d'un domestiquedeconfiance, u~

~uel est ce ph!:osophe nomme &? En vérité, )c ne m'enMUt-tens plus. Sans que fy fusse pour rien, grâce à un absurde

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(c'était feu M. Addington, frère du premier lord Sid<mouth). Il me décrivit les sensations qui l'avaient amenéà l'usage de l'opium dans des termes identiques à ceuxqu'employait le doyen de Carliste « C'était comme sides rats lui mordillaientles membranes de l'estomac.Nommons aussi Samuel Taylor Colerid~e il y avaitbien d'autrespersonnes à peine moins connues.Si doncune classe relativement très nombreuse a pu fournirautant d'exemples,et cela dans les limites d'informationd'un seul curieux, il était naturel de conclure que lapopulation de toute l'Angleterre présenterait la mêmeproportionde cas.

Cetteconclusionne me parut pourtantpasassez rigou-rcusc jusqu'au jour ou certains faits arrives H ma con-naissance me nrcnt asscx voir qu'elle était parfaitementcorrecte i" Trois pharmaciens de Londres, gcnscsti-mable&; établis Ibrt loin les uns des aunes, chez lesquelsj'achetaipar hasard de petites quantités d'opium, m'as-surèrent qu'il y avait alors un nombre infini de gens

poltron quj avait de l'autorité sur la presse, tous les non~ pro-pres furent supprimés a mon insu dans la première édition dece livre, il y a ttente-e;))q ans. Je ne fus pas consulté, et je nedécouvris ces blancs absurdes que plus tard quand je fus railléà leur sujet, et avec grande raison par un journaliste satirique..Rien ne pouvait être plus plaisant quecesappeis à des ombres,a Lord D. au doyen D, au philosophe P. En tout cas, n'yavait aucun prétexte pour justificr cette absurde intervention,en alléguant qu'il y avait là des personnatites qui mouvaientoffenser les hommes désignes. Tou$ )c$ cas, sauf peuMtre ce!utde W))berfotce, au sujet duquel j'eus alors de légers doutes,étaient connus ~amjfierementdans des cercles nombreux d'amis.Je dois rendre justiceM. John Taylor, l'émineat éditeur d,e c~livre, en dëciarant qu'il n'eut aucune part dans cette ineptesuppression. ~<

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qui prenaient de l'opium par plaisir (on peut bien lesnommer des amateurs), que la difnculté de distinguerces personnes, auxquellesl'habitude avait rendu l'opiumnécessaire, d'avec celles qui en achetaient en vue d'unsuicide, leur occasionnait chaque jour des embarraset des discussions. Ce renseignement ne concernaitque Londres. s" Mais ceci paraîtra peut-être plus éton-nant au lecteur. H y a quelques années, en passantpar Manchester, j'appris de plusieurs manufacturiersen coton que leurs ouvriers s'adonnaient de plus enplus à l'usage de l'opium, si bien qie le samedi à partirde midi, les comptoirs des pharmaciens étaient chargésdepilulesde un, deux ou trois grains, fabriqués pourfaire face aux demandes prévues pour la soirée. Lacause prochainede cet usage était le psu d'élévationdessalaires d'alors, qui ne permettaient pas aux ouvriersde s'adonner à l'ale ou aux autres spiritueux. On pen-sera qu'une augmentation des salaires aurait mis finà cet usage, mais je suis fort éloigné d'admettre qu'unhomme, après avoir savouré les divines voluptés del'opium, se dégrade par la suite jusqu'aux grossiers etmortels plaisirs de l'alcool. Ce qui me paraît bien établic'est que

Ceux-là en usent aujourd'hui, qui n'en avaient ja-mais usé auparavant.

Et ceux qui en avaient toujours usé auparavant,en'usent aujourd'huiplus que jamais.

D'ailleurs le pouvoir fascinateur de i'opiHmest admismême par les écrivains médicaux, ses plus grands ad-versaires. Par exemple Àrosiier, pharmacien dei'hôpi-

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tul de' Greenwich dans son J~AMt sur les <~<?~ de/'oy<!<)!! publié en t~ë~. indique dans un passagepourquoi Mead n'a pas été assez explicite dans l'exposédes propriétés de cette substance, des remèdes qui lescombattent, et il s'exprime lui-même en termes mysté-rieux, mais p~M cru~to<o!j fort clairs pour les adeptes

« Peut-être pensait-il que ce sujet est d'une nature tropdélicate pour être éclairci à tout le monde beaucoupde gens ayant les moyens d'cn user sans réserve, celaaurait pu leur ôter cette crainte et cette hésitation quiles empêchentde faire l'épreuve des :nnombrab!es pro-priétés de Fopium. Car il y a dans cette substance~!eM des qualités dont la COnn<M(!MCC rCM~t'~t~ ~OM

usage habituel et le ttte<<'r<ïtf CM y<~CW C~f~ MO?M

encoreplus que c~e~ les Turcs e«.v-t:M. La diifu-sion de cette connaissance,ajoute.il, serait un malheur

public:~ Je n'admets pas sous réserve la nécessité decette dernière conclusion, mais c'est un sujet que ~au-rai l'occasion de traiter avec plus de liberté au coursmême de cet ouvrage. A ce point de vue, je me borne-rai à dire t" que l'opium a été jusqu'à présent le seulanalgésique universel qui ait été révélé à l'homme

2" qu'il est le seul, l'unique analgésique qui soit in-faillibledansuneproportionextrêmementgrande de cas;~° que sa puissance dépasse de beaucoup celle de tousles agents connus contre l'irritationnerveuseet la mau-

dite maladiedu~p~:MMH~~P, 4." qu'il pourrait bien êtreet je le pense d'après un fait absolument convaincantpour moi, le seul remède qu'il y ait, non pour guérirquand elle a éclaté, mais pour arrêter quand sue es~

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latente phtisie pulmonaire, ce HëaH si redouMb!e fnAngkt<rre. Je dis que si Fopiunt possède ces quatrepropriétés on quelques-unes d'entre elles, tout agentqui justifie d'aussi belles prétentions peut, que) que soitaon nom, se refuser trônent omor tinns la d~~a.tion et à subir tMhetnent que ~'on impose d l'opiumdans les livres, je dis que l'opium ou tout ~um-eagent d'égale puissance peut uMn~et' qu'ii ~erévélé à l'homme pour un but plus élève, que d~servir de cible a des dénooewions morales ou sugge'rces par l'ignorance~ sinon par l'hypocrisie,–qu'il de-vrait être clevuà la di~nited'ëpouvantaHsc~nMuepourmême en fuite les terreurs superstitieuses;car ceUea~in'ont le plus souvent d'umre résultat que d'ôter lasou~tance j)umainecequilu soulasernitle plus promp.îement leur objet est d'amuser les enfants et defournirdes textes de composiuons Itttéraire » ut pue-ris placeant, et declamanio fim).

En un sens, et de loin, tous les remèdes, tous lesmodes de traitement médical nous sont offerts commeanalgésiques, leur but définitif étant de soulager laspuS'rance qui est la suite naturelle des maladies etdes infirmités. Mais nous n'employons pas le mot d'a-nalgésiquedans son senspropre et ordinaire, en l'appli-quant à des remèdes qui se proposent le soulagementde la douleur comme un enct secondaire éloigne,conse~cutif à la guérison du mal. Ce mot ne s'applique avecjustesse qu~uxremèdes qui produisent ou poursuiventce résultat comme but premieret immodiat. Lorsqu'onads's!re de? toniqHM à u'jt cMMurquïsoucrc peno-

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diquement de l'estomac, et qu'on supprime a!a longueces sounrauces, cela ne nous autorise pas à qualifierces toniques d'analgésiques; la suppression de la dou-leur est le terme extrême d'un circuit que la natureparcourt et demande sans doute des semaines pour être'accomplie. Mais un analgésique véritable, par exemplesix gouttes de laudanum, ou une cuillerée d\m carmi-natif chaud mélange A du brandy, peut souvent guériren cinq ou six minute:, ta torture que soutire un enfant.Parmi 16$ plus puissants des analgésiques,nous citeronsla ci~në, la {usqniame, le chiorotbrme et Foptum.Mais il est incontestable que les trois pt'emiers out unchampd'action fort restreint, quand on les compare al'opium. Celui-ci surpasse de beaucoup tous les agentsconnus a l'homme, car il est le plus puissant dans sonaction, et sur la douleur cette action est trëj étendue.

dépasse tellement les autres en puissance que selonmoi, si dans un pays païen, l'on était arrive a la con-naissance adéquat" de ses effets, si l'on avait connu

La connaissanceadéquate. -C'est justement là qu'était l'im-possibilité. Parmi les détails de la vie antique, il en est un quia entièrement échappé notre intention, c'est l'excessive rareté,la cherté, la difficulté de se procurer les drogues les plusactives,surtout celles d'origine minérale, celles qui exigeaient une pré-paration minutieuse, ou une grande habileté industrieHe.Quandil faUait du temps et de la peine, pour se procurer une denréeartificielle, on eu faisait rarement usage et si l'usage en étaitrare, quel motif avait-on de )a fabriquer? Que le lecteur jetteun coup d'œii sur l'histoire et l'époque d'Herode le Grand, tellequ'elle se trouve dans Josèphe, il verra, quel mystère, quelledë<iance soupçonneuse entourait l'introductionde ces drogues,que l'on pouvait regarder comme des moyens d'assassinats; il

.se rendra compte des lenteurs, des difncult~s, des (tankers quis'opposaient à ce que la connaissancede l'opiumfût familière.

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par l'expérience l'étendue de ses effets magiqueset leurrapidité, l'opium aurait eu des autels et des prenezpour célébrer ses facultés bienfaisantes et tutélaires.Muis tel n'est pas l'objet de ce petit livre. Bien des

gens s'en sont fait une idée absolument fnusse. Qu'on

me permettede profiter de cette premièrepréface, légère-ment modifiée pour dire que mon but, en ces confes-sions; était de décrire le pouvoir que l'opium possède

non seulement sur les malaises et les soutfrances ducorps, mais encore sur le monde plus vaste et plus téné-breux.des songes,

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PREFACE DE LA DERNIER ÉDITION

Lorsqu'il a été décidé que dans cette réédition de

mes oeuvres, les Confessions d'«M Mangeur d'opiumformeraient le cinquième volume; j'ai voulu mettre aprofit cette occasion pour revoir l'ouvrage tout entier.Par suite d'un accident, une grande partie des Con-fessions (en un mot le tout excepté les songes) avaientété primitivement écrite a la hâte; différents motifsm'avaient empêché de les revoir et de leur donnerquelque chose de plus que la simple correctiongram-maticale. Mais il leur fallaitbien plus encore. La partienarrative se seraitnaturellement promenée à traversune série d'épisodes secondaires, et avec du loisir pourles retoucher, il aurait acquis par là une grande ani-mation. Les circonstancesn'ayant pas permisces amé-

liorations, ce récit a été forcément appauvri. Il en estrésulté qu'il aurait besoin de corrections et de retran-chements, mais surtout qu'il laisse à désirer l'achève-ment de ce qui n'était qu'à l'état d'ébauche, lé déve-loppement de ce qui avait été indiqué d'abord d'unemanière trop sommaire.,

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Hn suivant <:a plan, c'eût été une tâche facile, bien

que laborieuse, de refondre le petit ouvrage dans unmoule meilleur, et à tous les points de vue, le résultateût pu obtenir tout au moins l'approbationdes premierslecteurs. Comparéce qu'il était jadis, le livre doittendre,par le seul fait de son ehangemeQt, et quelle quesoit l'exécution de ce changement, à devenir meilleur;dans mon opinion il est en effet meilleur, si l'on veutbien accorder l'indulgence et faire les concessions quemérite le bon vouloir. Il suffiraitpour y avoir droit, defaire appel à la nécessité logique et rationnelle, car ense bornant à développerce qui a reçu déjà un bon ao-cueil~on ne fait qu'ajouterà ce qui existaitauparavant.Tout ce qui était bon dans le premier ouvrage secomplète par beaucoup de détails qui sont nouveaux.De plus cette amélioration est due à des efforts; à dessouffrances qui paraUnuent incroyables si l'on pou-vait les représenter exactement.' Une maladie ner-veuse d'un caractère tout particulier qui m'a atteintpar intervalles pendant ces onze ans, est revenue aumois de mai de cette année, au moment même où jecommençaiscette revision; cette maladie a poursuivison siège silencieux, je dirai même souterrain, caraucun de ses symptômes ne se manifësM à l'extérieur,et cela d'une façon si obstinée, qu'après m'être entière-ment consacre dans la solitude à cette seule tache, etFavoir poursuivie-sansrinteï'rompre ou la ralentir, j'airëeHement dépensé en quelques ~Gurs six grands moispour refaire ce Htnpie petit volume.

Les conséquences ont été déplorables pour tous.les

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intéfessës l'imprimerie t'est plaintede mes fréquentesvisiter les cônapositeu!t frissonnentla vue de monécriture bien qu'on <t< puisse l'accuser d'être illisible,et j'ai bien des motifs pour craindre que dans les joursoit mes souffrances m'accablaientde leur poids le pluslourd, U~'en soit résulté un certain affaiblissementdans la cl«të de mon coupd~co! critique. Je puis avoiri-laissé échapperbien des bévues, des erMura, des répétl-tionl de faits ou même de mots. Mais plus souventencore j'ai pu me tromper en appréciant les effets réels,dans l'ordonnance inexacte du style et des couleurs.Ainsi parfois la lourdeuret l'enchevêtrementdes phra*

ses a pu détruire Peftèt d'un détail qui, jeprësenté na-turellement, aurait été pathétique il n pu arriver aucontrairequc,par une légèreté inopportune, j'aie éteignela sympathie de mes lecteurs–de tous ou de quelques-uns. Mille occasions ouvrent la porte à de& erreurs dece genre,c'est-à-dire dos erreurs qui n'apparaissentpas évidemmenttelles. Quelqucibismêmëil s'agit d'unefaute incontestable on la voit, on !a reconnaît, onpeut l'effacer par un soudain et vigoureux effort, dontroccasionnereviendra pas lorsque par exempte l'épreuveest devant vous pour vingt minutes, prête à recevoirune modincation, après quoi elle sera reprise et signée

sans appel, toutes ces circonstances étant réunies,l'humanité du lecteur pardonnera la faiblesse qui laisse

passer une erreur dont -on a nettement conscience,lorsque la €orrectienqui la ferait dispat~ttre exige tmeffort, à l'instant même ou la souffrance s'exaspère,lorsquesurtoutcette correction en impose ïinq ou six

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autres, afin de rétablir dans les idée! un enchaînementtolërable. Je ne dis pas cela parce ~«e je crois avoircommis d<~ ces fautes, je ne le croit pas. Mais je préfèreimaginer une erreur conservée en.pleine connaissancede, cause, afin que des négligences vénielles puissentparcomparaisonavec ces licences tout apparentes, ob--tenir l'indulgence d'un critique bienveillant. Luttercontre les attaques épuisantes d'une maladie qui se dé-veloppe, exige unegrande énergie.Je n'essaiepas de dé-crire cette lutte; on ne saurait ni se faire comprendre,ni être intéressant quand on veut exprimer l'inexpri-mable. Mais le généreux lecteur ce sera pas moins dis-posé à l'indulgence, à raison des concessions que je de-mande, si contre ma volonté,Foccasionse présente poury faireappel.

J'ai fait aussi connaître, au lecteur l'un des deux-"1courants qui tendaient à contrarier mes efforts pour

améliorer cepetit'Iivre. Hyen a eu un second, et moinsaccessible à ma volonté même avec. toute son énergie.Pendant longtemps j'avais compté sur une fin intéres-sante dont je me proposais: de former-lesdernières pagesdu volume; c'était une série'de vingt, ou vingt-cinqsonges ou visions diurnes qui avaient surgi devantmoi dans les derniers temps où l'opium exerçait surmoi son influence. Ces feuilles, ontdisparu, les unesdans des circonstances. qui me laissent un espoir assezfondé de les retrouver, les autres par des hasards.inex-pHcabIes~d~autresën6npar'de&motHs'peu honorables.pinqou six furent, je crois, brûlées; pendant que j'étaisMul, occupé à lire dans ma ehamhj~à.~Mteh~f~ Nae

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étincelle tomba sans que je la visse, de ma bougie surun tes de papier, et y mit le feu. Si elle était tombée<~aH) le tas et non dessus, le feu aurait bientôt été leplus fort ,etse communiquant à la boiserie légère etaux draperies du lit, il aurait atteint les solives duplafond comme il n'y avait pas de pompes dans Jevoisinage. toute la maison aurait été brûlée en unedenn-heure. Mon attention fut d'abord attirée par uneclarté soudaine sur mon livre, et toute la différenceentre la destruction totale de ce qu~on possède et laperte insignifiante de livres qui valaient ciaq guinées,fut duc à un large manteau espagnol on le déployaet on le maintint fortement sur le foyer de l'incendie,avec Faide d'une personne, qui malgré son agitationn'avaitpoint perdu sa présence d'esprit, et l'incendiefut étouffé. Parmi les papiers qui furent atteints, maisnon au point de devenir illisibles, se trouvait < Lafille du Liban. » Je Fai imprimé et placéavec intentionà la fin du volume, comme formant la suite naturelled'un récit ou l'histoire d'Anne, la pauvre mépriséen'était pas seulement l'épisode le plus remarquable etle plus douloureusement pathétique, c'était aussi unescène qui m'apparaissait sous des couleurs nouvellesdisons mieux: cette scène transformée, faite, refaite,~aa$ cesse composée, recomposée, formait la substancecommune à tous mes rêves d'opium.Les traits decetteAnne que gavaisperdue, et que j'ai poursuiviedans lesfoules de Londres, )e les ai cherchés dans un sens plusN~al dans mes rêves, pendant bien des années.:+- .i~ aâ~o,an'ia..xasuO.T~!5eë gênera <rsi:C~CTS~K~,d~!aec~M~

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*m<M~<ea«k<fonnet w<tnést h pen~trne, kMMag,t'~tk <~<ne,<otM <~Mtn~M<t<MM jCM<te. Mais il y Mt~Mh to~emn:qoet~et<nMt< qtM Mpt~mMMM pl<M ewBMMM~~FMm&monefMBXteaamëM~k~~M~e, uotdesae'otmcttr~tcrtxtqtM'ioi dëfabxit «tu tMMh de M<MfOber toute rëbttbMhwtM'n et tome <Mp6BM«; Ttissont les <net<fs pour Ke~qnek c<!tte ad<~t!on <pëeM~,

sur i<tqueHe<ontp«ti<ntA bon dtjroM ~tMieoM de nM<<m!M, pu <tre donnée en eotier M M peut r~re<<Hec tnoMMK voilà en <tcc<"nd lieu pom-~u<Mte fn~aMM<t<M )~B puMie, a ëté )~ à So, dmot lt~<tMe~N<)oe)~tle<[<t~<myMM<ertd'épït~ue,

.A~Mnxt&M~

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CONFESSIONS

0'U.M

MANGBUR D'OPIUM

L*<M*. m'a aoaveM demanded<ths quelles circonstances,

par quel enchaînement je suis devenu mangeur d'opium.f&Me par degré, par CM<ds, avec défiance, comme on4esc<atdpar Me plage de sable-vers les profondeursde !a

mef,<n McbMtt d'avance quds dangers on trouve en ehe-'BMa, en te louant ces dangers avec une sorte de coquet-tene, qM 'revient <n deftnhtvë à les braver? Ou bienencore fm-ce par ignorance compiéte de cesdangcts, encédant aveugtëtoent aux conseils intéresses d'un cmpi-nqae ? i~as d'une fois des préparationsdestinéesau iràhe-meot.des aSections pu.tmonaine6 ont dû leur ef6cactt<?à `

!'<pMt)n q~i entrait ~aas leur composnion, à lui seul, bienqu'on pKHeetAtbrnyamment contrecet auxiliairecompro-mettent Y~MtB ce déguisement fallacieux, une foule de~ensocjcoM IwiMé attirer dans ~tneeelavage qu'ilsn'avaient pas prévu, par WB remède ignoré qu'ils ne

<e~BaMs~ni de-nom, II wn~as~ sourveatttuam qu'on ne dëcotFM'e~esHen&d'uneabjecte servitude que~aànd&~BttMsëtetjrrTeMaoinextricaMeà travers toute

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l'économie organtque. En troisième et dernier lieu, celase tRt-it. Ou!, réponds-je, dans mon empressement pas-sionne, avant que la question soit nnie. sous l'impulsionsoudaine et toute-puissante qu'exerçait une souffrancecorporelle? Je répète à haute voix, oui, je le redis avecforce, avec indignation pour répondre à une opiniâtrecalomnie. Ce fut comme à un simple analgésique, et parla seule viotence de la douleur la plus cruelle, que j'euspour la première fois recours à l'opium, et il Vagissaitjustement de cette même douleur, ou de quelqu'une deces variétés qui entrainent la plupart des gens à l'emploide cet insidieux remède. Voilà le fait, voilà l'occasion.Si, dès le principe, j'avais connu les subtiles énergiescontenuesdans cette puissante substance, et dont l'emploibien réglé a pour effets, – t* de calmer toutes les irrita-tions du système nerveux, a* de stimuler les dispositionsgaies, }" de répondre à l'appel d'un effort extraordinaire,comme les hommes en trouvent des occasions fréquentes,et de soutenir pendant vingt-quatre heures de suite, lesforces animales, qui sans ceia diminueraient par degrés,– très certainement j'aurais débuté dans l'usage del'opium, en appelant un supplément extérieur de force etde joie, au lieu de m'y jeter pour fuir une tohure exté-rieure. Et pourquoi non? Si c'est là une faute, n'est-ce pasaussi une faute que commettent tant de gens, et tous lesjours, avec l'alcool ? Sommes-nousautorisésà le regarderseulementcomme un remèdeP Le vin est-il permis sim-plement à titre d'analgésique ? Je pense que non; autre-ment je serais obligé de mentir et de prétexter un ticanormal dans mon petit doigt, et ainsi comme dans une<M?fawwyAoM d'Ovide,moi qui suis un amant de la vérité,]C deviendrais, jour par jour et pouce par pouce,, untrompeur. Non, toute l'humanité proclame qu'il est permisde boire du vin sans donner pour excuse un certi&catttumédecin. Ce quon.a le droit de chercher dans le vin, on atûremeat le même droit de le. tro~tr dans l'opnjtn,jtj)lus

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forte raison uaM les cas nombreux et analoguesau mien,où !'opium exerce sur l'économie des ravages bien moinsgraves qu'une quantité équivalente d'alcool. Coleridge setrompait ldonc deux fois, quand il se donnait la liberté dediriger les attaques les moins amicales contre le prétenduraffinement de volupté qui me faisait employer l'opium;il M trompait en principe, il se trompait en fait. Unelettre de lui qui a été publiée sans son aveu, je l'espèredu moins,mais qui n'en a pas moins paru, attire l'atten-tion de son correspondant sur la différence profonde qu'ily aurait eu entre sa situation comme mangeur d'opium etla mienne it semble qu'il soit tombé dans cette habitudepar des causes excusables,c'est-à-dire par nécessité, l'opiumétant la seule ressource médicale qui f&t efficace contte samaladie à lui. Et moi, scélérat que je suis, j'ai,. commechacun sait, reçu des fées un charme contre la douleur;si j'ai adopté l'opium, c'est par un penchant abominablepour la recherche aventureuse de la volupté, et j'ai péchéle plaisir dans toute sorte de ruisseaux, Coleridge setrompe dans toute l'étendue possible du mot, il se trompedans son fait, il se trompe dans sa théorie; un petit fait,une grosse théorie. Ce dont il m'accuse, je ne l'ai pas fait,et quand cela serait, il ne s'ensuivrait pas que je suis uncitoyen de Sybaris ou de Daphné. Jamais distinction nefut plus mal fondée, plus fantastiqueque celle qu'il lui aplu d'établir entre ses mobiles et les miens, et il n'est paspossible que Coleridge ait été induit dans son erreur parde faux renseignements,car personne sans dout~ n'a pré-tendu en savoir plus long que moi sur une question quiétait du domaine de mon expérience particulière. Mais s'ilexiste une telle personne, elle trouvera peut-être quelqueintérêt a refaire ces confessions d'un bout à l'autre, à cor-riger leurs innombrables fautes, et comme lés fragmentsqui n'y ont pas été publiés ont été en partie détruits, elleafMt ~honté de les rétablira pile pourra encore rendre dei'éeiat aux couleurs fanées, retrouver l'inspiration qui

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s'est évanouie, combier les hiatus béants qui sans celapourraient bien m'échapper et défigurer pour toujoursmon petit ouvrage. En fait le lecteur, s'il s'intéresse à laquestion, trouvera que pour moi, qui dons un tel sujetsuis non seulement le menteur, mais le seul juge, je n'aijamais varie d'une ligne eh racontant l'anhire d'une façon

~entièrement dinërente. J'ai été véridique en disant aulecteur que c'est non pas la recherche du plaisir, maisl'extrême vioience d'un mal de dents causa par le rhuma-tisme, que c'est cela, cela seul qui m'a conduit à l'usage del'opium. La maladie de Coleridge était le rhumatismesimple. Pour moi, cette maladie, qui était revenueavec violence pendant dix ans, était un rhumatismefacial combiné av.ec là névralgie dentaire. Je le devais a'imon 'père, ou, pour mieux dire, je le devais a mon igno-rance honteuse, car une dose in~igniname de coloquinte,ou de quelque autre remède, prise trois fois pnr semaine,,m'aurait,plus sûrement que l'opium, arrache à cette ter-rible malédiction Mais en cette ignorance, qui m'ame-nait à faire la guerre à la rage de dents quand elle étaitmûre,, quand elle eclntait en sensations douloureuses, aulieu de l'attaquerdans ses germes et. dans sa marche, je nefaisais que suivre l'habitude gêné' nie. Atteindre le mal,quand il en était encore à sa période déformation, telétair le vrai remède~ alors que dans mon aveuglement, je

D~ux causes contribuent 4 aH'aibtir le sentiment d'horrear qui,sans elles, s'attacherait à !<t rage de dents, savoir son extrême fré-quence; o't trouverait ma)a!~ment en Europe' une fantiite qui eft ait<tëeMmpte, une maison dont chaque chatnbre n'ait. pas retenti des~mi~'ementsarrachés par cette cruelle douleur. Cette ubiquité contribuet ttfttre traiter légèrement. En second Ueu. <T) n'y ztfache ptts d')n)por.ttnee pour un niotif indtqud dans un pr.apoe qn'en Ettrjbueà ainPhiUpSMn~y, )e~ B< Mi9 sur quelle autorité.; < S'i) y avait des cas mortels derage de dents, fussent-ifs innnimentrares,certen)t)adieserait regardce

«tmntt'<.m<<pi<'«'SeB)Tt de )'e~?~te.)]Uff)iti<)e.M.<iseot!)nM )es,pa-jftntysn'este&ptu~aiguan'ont jamaiseu d'isMamofKXe, comme ses crisestêt plus violentes cessent tout à coup pour faire place à d< Jonguespériode" auni caimee que te temps des atcyons,' il en résulte uu d~dimt

<tM<x <)M<MM" ~s~??y~&~ J* <.cttfMtjtitMe, er on oe Mit p)u&

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me bornais à chercher quelque adoucissem~M au matquand il était déjà constitue, et qu'il échappait touteprise. Dans cet état de sounrance, état complet et déve-loppé, j'étais expose sans défense a un conseil fortuit, etpar là même, par une conséquence naturelle, ù l'opium, leseul, l'unique analgésique qui soit universellementreconnu comme tel, le seul auquel tout le monde recon-naisse ce rôle important.

Ainsi donc, Coleridge et moi, nous occupons la mêmesituation, au point de vue de notre initiation baptismaleaux. effets de cette substance énergique. Nous sommesembarqués sur le même esquif, et le pouvoir que posséde-rait un. ange même, pour fendre un cheveu en quatre, nesuffirait pas pour trouver une dincrcnce, fût-elle aussi finequ'une pointed'aiguille, entre les ombres que nos fautes,la mienne et la< sienne, jettent sur ce terrain. Faute contrefaute (en supposantqu'il y aie faute), ombre contre ombre(si cette faute pouvait jeter une ombre sur-le disque etin-celant comme la neige d'une moraleascétique),1& fait, chezlui, comme chez moi, recevrait une interprétation iden-tique, serait compté comme une dette d'égale valeur,serait mesuré comme une faute dans la même balance deresponsabilité.C'est en vain que Coleridge essaie de créerune différence entre deux situations qui concourentversune identité absolue, et ne varient que comme lerhumatisme diffère du mal de dents. J'ai toujours été aupremier rang parmi les admirateurs de Coleridge, mais je.n'en fus que plus étonné quand on me prouva bien des

ttf et)e qu'une épreuve pour notrecourage et notre patience. Je ne sauraismieux représenter son intensité, son extrême violence,que par )M faitssuivants. Dans )e certie de mes connaissance5 particulières, j'ai ren'aenMdtox personnes qui avaient subi en même temp&ies~ tortures du;nui de dents-et:du cancer.. E))e~dêe)araientquele premier etatf. je beau-Mtip~e.ptus crud. sur rccheUe de la souffrance. Tousles deux, présententpar intervallesce quêtes chirurgien!: appeXeHtdMsenMtionsfanctnanteSt– ce sont des radiations rapides, eNouissaotes, vibrantes de) douleur,–et sur cette ba~e de comparaison, paroxysme contre paroxysme, )eur opi'-

tMOttpiaMitt'naedet deux. Muiîr<m<:ts. comme )e l'ai indiquée.

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fois combien il est négligent dans l'ordonoonce d'un sujetdiscutable, et quel démon le possède pour l'empêcherdeconstater exactement lès faits. Je n'en ai que mieuxressenti l'étourderie injuste que Coleridge témoigne en cequi me concerne personnellement. Si Coleridge commetune aussi grosse erreur dans l'énoneiation des faits,pro-pos de nos fréquentes expériencessur l'opium, cela vienten partie de ce qu'il lit à la volée, en partie de ce qu'il litavec partialité, et sans suite, et oublie naturellement cequ'il a lu. Chacune de ces négligences habituelles,commele lecteur M le dira de lui-même, est une faiblesse veoieUe,cela est certain. Mais ce qui n'est pas véniel, c'est de sepermettre ces négligencesau point de nuire gravementà laréputation qu'un ami fraternel possède de se gouvernerlui-même, et c'est un frère qui n'a jamais parlé de lui sansexprimer une admirationenthousiaste,admirationque lesouvrages exquis justifient si amplement. Supposez qu'enfréalité j'aie mal agi il aurait alors même été peu géné-reux, et j'aurais été attristé que Coleridge se fut précipitévers le public pour lui dénoncer ma faute a Par les pré-sentes, on fait savoir a tous que moi, S. T. C., hommed'aspect agréable, avec des grands yeux gris s, je suis unmangeur d'opium patenté, tandis que cet autre est unboucanier, un pirate, un flibustier' et il ne peut avoirqu'un faux permis dans sa poche suspecte. Au nom de lavertu, nrrêtez.lei < Mais la vérité est que la nègligence<lans les faits et les citations tirées des livres, était, chez

Voir !e charmantportrait que fait Wordsworthde S. T. C. et de lui.même, tous le costume d'tSmnehis. dans le CAafMtt ~f.MoA'ac~.

Ce mot était emp!oye dansie sens que je lui donne et eveet'orthogropheque )'emptoie,,pM!n~!et j;rand~ boucaniers d'autrefo; )cs Angtais etFrançaiscontemporain! de notre grand Dampier, vers 1a Sn duxvn' :iec]e.–J) Il a reparudans je! {ourMuxd:s Eott.t'nt".d propos des xtMrts de<~iba, mais avec une orthographe différente, ei on écrit tuaiours, je neMis pourquoi ~<tM<~r.t. ~<)oi qu'il en soit, et sousces deux formes, ilresteundenvep&rcor)rcptw) dans la bouche du Franco-Espagnols,dumotans'aitfreebootM~fM.ac-eithrdit. -–––

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Coleridge, une in~rmitJ naturelle. 11 y a moins de troisjours, je lisais une courte appréciation de feu l'archidiacreHare (dans Les Conjectures $!~ la vérité) relativementà des considérationstrès hardies, et non moins fantastiquesde Coleridge sur la manière dont on fabrique des verslatins à Eton. Mon ancienne manière de voir Il ce sujet merevint danstoute sa fraîcheur avec une force d'un comiqueirrésistible, attendu que Coleridge, voulant appuyer sonopinion' de citations tirées des livres, ne manque jamaisde citer des endroits rêvés par lui-même sans qu'on puisse

un instant le soupçonner de mauvaise foi dans ce déver-gondage d'imagination c'est là même ce qui fait l'intérêtde ce cas. Le sourire bienveillantde l'archidiacreà proposde cette méprise étonienne me fit naturellement penserau cas dont il s'agit maintenant, en ce qui concerne l'his.toire de nos divergences dans la profession de mangeursd'opium. Il est inutile que j'en parle plus longuement, lelecteurëtantprëvenuque toutcequ'n ditColeridgeaeesujetestparfaitementlunatique,et ressemble auxscchessculptees

sur la lampe suspendue dans C~r~fa~. « Tout était des-

siné conformémentaux images cérébrales du sculpteur.Cette affaire peut donc être considérée comme

tranchée, et tout ce qu'elle pouvait contenir de diver-tissant paraît véritablement épuise. Mais, après réflexion,

une autre erreur de Coleridge, erreur bien plus grave,devient plus évidente comme elle est )iée à l'affaired'une façon qui explique à fond tout l'ensemble de ceseon~ssions, l'on ne saurait la laisser de côté. Tout lecteur

attentif,après quelques instants de réflexion, sentira que,quelle qu'ait été la cause occasionnelle qui nous entraîna,Coleridge et- moi, à l'usage de l'opium, elle ne peut expli-

quer l'usage continu de ~'q~t'Mt)!. Ni le rhumatisme,ni lemal de dents ne sont des maladies qui durent et habitentdans l'économie.Tous deux sont intermittents, et ne peu-vent nullement expliquer une, habitude permanente demangerdeTopiuut des mois x~nt n~ststires pouf en

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arriver !<t. Bn tenant compt< des. dinerences constitution.MUes, je dirai qu'en'moin& de cent vingt jours, l'habitudede l'opium n'est pas si profondcmentenracinée, qu'il faiUe

an enbrc surhumain sur soi-même pour y renoncer, etmême lit' quitter tout d'un coup. Le samedi vous eMs unmangtur d'opium, le dimanche vous. ne t'êtes plus. Quelleest donc la. cause qui fit de Cotend~e l'c9c]ave de l'opium-,un esclave qui jumais ae put rompre $a chaîne? Dans-sonéternelle; légèreté, il imagine qu'il a expliqué cette habi-tude et cet esclavage, et il n'a pus dit un Mot qui puisseéetairer cette question. Le rhumatisme, dit-i!Fa conduit

!~iun), tret bien, mais avec un trai«m<ant médicalapproprié; le rhumatisme aniMMt diapartc; U fmnHt mêmediaparu~nsfr~ifenteot, parler osei!)a!)OtMtordinaires quifont sesuccéder les causes naturelles. Er !a! doui~afcess:tac,l'usage d~ l'opium auraitdû cessera I~ourqunrn'ea fut-H pa:ainsi? Parce que Coleridge avait fini par apprécier !eplaisir reniât que doano l'opium, et qu'ainsi; !e'véritableobstacle qu'il s'imaginait avoic esquivé par quelque voiemystérieuse, se représente devant iui~ avec une ibrce infi)-térée. L'attaque rhumatismale aurait pris nn longtempsavant que l'habitude eût le temps de se former. Supposezque j'exagère !a &ibiesscde l'habiiude probable ? Celaseraitégalement en ma faveur, et Coleridge nfavaitpns le~dMitde'me refuser un-ptaidoyer dont il usait four lui-même.C'est vëritaMemtnt un fait à. inscrire dans les annalesdeserreurs volontairesde l'liomine, que Gotendgemt pu tenir~ta tel langage devnnt telles réalités. Moi,.q<ti.nc vais pasproclamantmes victoiressur moi-même,, et qui n'emploieaucun argument moral contre l'usage de lfoptutB, ;en'enai pas moins brisé plus d'une fois mon engage-.aent, par desmotifs de ~rM~tMC, a tors que j'ai faitpour cela des enbrtsqui'figurent dans mon récit comme les plus ardues dessouffrances. Goleridge qui professe, sans' en donner deïnonts, que manger de l'opium est un crime, et'un, crimephi~grave, ponr des TâJHoas. myst~t~t~M~~p~~ hssx.~u

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vin ou du porter, et .qui a, par suite, les motifs les plusgraves pour s'en abstenir, n$ s'en laisse pas moins choirdans les liens de ce maudit opium, et ce):) dans les condi-tions les plus cruelles dont on ait jamais parle, sans y êtreobligé, sinon par le peu qu'il nous en a dit. U était l'esclavede cette puissante substance, au .même point que CaHhanl'était de Prospère il détestait son despote. Comme Cali-'ban, il use les fibres de son coeur contre les anneaux des:t chaine. Parfois, a quelquesreprises, pendant les sombresveillée*) de sa captivité, vous entendez les grondementsëtouBës d'une révolte impuissante, dont la brise vousapporte les dernières vibrations

Itaxquc tconmnVincta rccus.mt'~n

Recusanttim,-on refuse, c'est vrai, on refuse, et on acceptesans cesser de protester contre le mors impitoyable ettout-puRsant, et pour toujours, on se soumet, on se lelaisse mettre à la bouche. Ceci est connu a Bristol (pourcette ville je puis en répondre moi-même, mais la choseest probablement vraie pour d'autres), il en était venu àpayer des gens, – commissionnaires, charretiers, etc., –afin qu'ils l'empêchassentpar force d'entrer chez les phar-maciens. Mais comme l'autorité qui permettait de l'arrêtervenait de lui seul, ces pauvres gens se trouvaient naturel-lement pris' d'ans un piège métaphysique tel que ne l'ontprévu ni Thomas d'Aquin, ni le prince de la casuistiquedes ]ësU'tes. Erce redoutable dilemme devait amener desscènes d'ans le genre de celle-ci

– Oh, Monsieur, disait le commissionnaire d'un. ton.suppliaut (suppliant, niais. assez impératif, car qu'il semontrât dispose a l'ëner~'e~ou aux concessions, les cinq,shillings pan )ourqufattendait! le pauvre homme ctaiencégalement compromis). Monsieur, il 'ne faut pas. Mon-sieur~ !Hechissez~ songez à votre femme, et.

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Le philosophe transcendantal. Ma femme 1 Quellefemme ? Je n'en ni pns

Le commissionnaire.– Mais vraiment, Monsieur, vousavez tort; vous me disiez pas plus tard qu'hier.

Le philosophetranscendantal. Peuh 1 hier est passédepuis longtemps, Savez-vous, mon garçon, que des genstont morts pour n'avoir pas eu de l'opium à temps ?

Le commissionnaire. C'est possible, mais vous medisiez de ne rien entendre.

Le philosophe transcendantal. C'est absurde. Unaccident ennuyeux, un accident est arrivé, tout à coup.Peu importe ce que je vous ai dit il y a longtemps ce queje vous dis à présent, c'est que, si'vous n'ôtez pas votrebras qui m'empêche d'entrer chez ce brave pharmacien,je vais avoir de quoi vous assigner pour coups et violence.

Est-ce à moi de reprocher.à Coleridge cette soumissionservile à l'opiumDieu m'en "préserve. Ayant moi-mêh.egémi sous ce joug, je le plains, je ne le blâme pas. Maisassurément il doit s'être imposé à lui-mêmeune telle servi-tude, en toute liberté et pleine conscience, par son propredésir de se donner les stimulations géniales; !e blâme nevient pas de moi, mais de Coleridge lui-même. Quant àmoi, dès que cessaient les tourments qui m'avaient forcé àchercher un soulagement dans l'opium, je renonçais àcelui-ci, sans avoir. le mérite d'une difficile victoire, pré-tention que je ne mets nullement en avant. C'était lesimple instinct de la prudence qui m'avertissaitde ne pasjouer avec un instrument si terrible de consolationet desoulagement, de ne pas gaspiller, pour un instant demalaise, ce qui contenait un élixir de résurrection au seinmême des ouragans capables de tout bouleverser. QueUe estdonc la cause qui, en réalité, a fait de moi un mangeurd'opium ? Cette anection qui a fini par étabiir en moit'<Mffe de rbpium, quelle ~tait-eHe ? Etait-ce la dou-

Voyez (~Mo.

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teur? Non, c'était l'abattement. Etait-ce la disparitionaccidentelle de la lumière du soleil? Non, c'était la lividedésolation~ Etait-ce une obscurité qui pouvait se dissiper ?

Non, c'étaient des ténèbres fixes, perpétuelles,c'était

« !<'ëc)!pse toute,Sans espérance d'un jour nouveau

Mais d'où venait cet état ? QueMes en étaient les causes ?H venait, je pourrais le soutenir sincèrement, des misèresde ma jeunesse à Londres. !1 est vrai que ces misèresétaient dues, en dernière analyse, à mon impardonnablefolie, et qu'a cette folie je dois bien des ruines. 0 espritd'interprétation compatissante, ange d'oubli pour la jeu-nesse et ses erreurs, toi qui exauces toujours comme si tuentendais la musique délicieuse d'un lointain concert devoix féminines!0 choeur qui intercédez,ange qui oublies,consentez à vous réunir, pour mettre en fuite la fantômepuissant,qu'ont engendré les brouillards du remords Ilvole à ma poursuite, il s'élance du sein des jours oubliés,il grandit toujours, il prend des proportions colossales; ils'élève au-dessus de moi, et son ombre pèse sur ma tête,comme s'il était derrière moi, tout près, et pourtant sanaissance date d'une heure qui est écoutée depuis plusd'un demi-siècte. 0 ciel, se peut-il qu'un enfant de dix-septans à peine ait, par un aveug!ement passager, pour avoirécouté le faux, le menteur conseil que lui donnait soncoeur exaspéré, pour un seul pas hors du chemin, pour unsimple mouvementà droite ou a gauche, se peut-il que sadestinée ait changé de direction, que le poison ait souilleles sources de son bonheur, qu'un clin d'oeil ait fait detoute sa vie un constant remords 1 Mais, hé!as, il me fautrester dans les réalités des choses. Ce qui est évident, c'estque parmi les amersreprochesque je me fais à mot~mè'ne,

'Vo~«&!MM)t<M!!fM.

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etque m'arrachent aujourd'hui les douleurs évciMëes parmes souvenirs, ce n'est pM pour combiner des excusespIaunMes ou échapper au blumc, que je fais remontermon<'lMtb!tude dénnittM de l'opium jusqu'aux besoinsqu'ont crée en moi mes anciennes souffrances dans lesrues de Londres. Car si le contre-coupde ces nou<ïrancesde Londres m'a forcé, plusieurs années «près, a employerl'opium, il,n'est pas moins vrai que ces souftrances eUes-mêmes avaient pour cause ma propa e folie. Ce qui demandeà être excuse, ce n'est pas .l'usage de l'opium, si l'opiumest devenu le seul remède efncace pour la maladie ce sontles foliesqui ont elles-mêmes produit cette mtdadie.

Quant à moi, après être devenu un mangeur d'opiumpar habitude, après etretomba par inexpérience dans depitoyables excès d'opium, j'ai néanmoins lutté quatre foisavec succès contre !n dominationde cettes~bstance. J'y airenonce quatre fois, j'y ai renoncé pendant de lon~aespériodes, et si j'y suis revenu après des énexions lucideset persévérantes, c'est que de deux maux, j'ai choisi lemoindre de beaucoup. En cela je ne vois rien qui demcndeune justification. Je le répète une fois encore, ce qui metourmentece n'est pas l'empli de l'opium, avec ses éner-gies qui tranquillisent et vont jusque dans les dernièresprofondeurs apaiser les maux causes par mes souffrancesde Londres; c'est l'extravagance de la folie enfantine quime précipita au mitieu de scènes qui devaient amener cessouffrances comme tésultat naturel,

Ce sont ces tableauxque je vais retracer.'Il se peutqu'i!~aient par eux-mêmes un intérêt qui leur mérite un courtsouvenir. Mais, en ce moment, et dans les .circonstancesactuelles, ils sont devenus indispensables pour rendre intel-ligible tout ce qui. suit. Ces incidents de ma Jeunessefbrmentle s)ibsiratum ~fondamental, le secret MM<t/ des rêves res-

Le motif. Le terme de motif est employéici dans le sent que )e9artistesetles amateurs d'art attachent au terme techniquede <Vof;fp, appii-qué aux tableaux, ou aux devetoppemeutssuccessifs d'itmiMmeamsiciU.

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ptendissants, des déploiements fantastiques qui étaient eatealitë l'objet de ces confessions,et qui le sont encore.

Mon père mourut lorsque j'avais sept ans. }Haissait ~ix.enfants, moi compris, savoir quatre lUs et deux fuies, auxsoins de quatre tuteurs et de ma meff, « qui tu loi on don-nait aussi l'autorité. Ce mot excite un frémissement decolère dans mes nerfs, tont le pouvoir spécial du tutorat,tel que l'exerça l'un d'eux, a -eu d'influence sur l'erreurunique, mais capitule de mon onfancu. Elle n'aurait pasété surp<)<sëe par ma folie, si celle-ci n'avait pas été aidéepar l'obstinationdes-autres.

L'amer souvenir de cette'faute de <na part, de cette obs.tination chez un tuteur qui m'était hostile me fera pnr-donner si je m'arrête un instant a considérer les devoirslégaux de cette charge.

A mon avis, il n'est pas dans !a société humaine, quelleque soit sa forme de civiiisation, un devoir impose par laconfianceou la loi, qui ait été aussi souvent expose auxeffets de la nëgHj~enceou même de la perfidie. Pour lestemps classiques de la Grèce et de Rome, la comparaisonde nombreux détails m'a donne cette impression que detoutes les formes de l'autorité domestique, nulle n'a, plusqua ceUe-ci, ouvert un vaste champ a la rapacité facile àla concussion. Là relation de père à fils, telle que 'l'étaitcelle du patron au client, était généralement dans la pra-tique de la vie ordinaire, l'objet d'un amour et d'un dé-vouementtout religieux, tandis que les devoirs sacres d'untuteur envers son pupille-avaient leur véritable origine,leur source dans les plus tendres adjurationsd'un ami mou-rant bien que rappelés à l'espritparle spectacle continueldes orphelins sans protectionqui jouent autour des-préci-ptces caches sous les fleurs, ils ne parlaient que rare-ment a la sensibilité d'un 'Romain avec le ton impsrntifd'un oracle. Les obligations qui influaient sur le Romain,dans un senspurement moral, étaient bien-peu nombreuse,

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ti même il en existait. Les pures sources de l'obligntionmorale avaient été profondément empoisonnées a Romepar la loi et la coutume. Le mariage s'était corrompu delui-même par la facilité du divorce grâce aux suitesdecette facilité, c'est-à-dire à la légèreté dans les choix, ànnconstance à rester fidèle dans ce choix, il en était ré-sulté un si subtil trafic d'égoïsmc, qu'il ne pouvait assortirun modèle idéal de sainteté. L:< relation du mari et de lafemme avait perdu à Rome tout ce qui en fait le caractèremoral. La relation du père et du fils avait perdu de mêmetoute sa sainte tendresse, sous l'innuence écrasante et !epoids impitoyabledes sévérités pénates et vengere&se!. Lesdevoirs du client envers son patron n'étaient point fondés'

sur la simple reconnaissanceou la simple fidélité, corres-pondantà ce que le moyen âge nommait ~«H~, mais surune terreur liée à la prudence, terreur qu'inspirait ouloi où l'opinion sociale. Dès que la loi intervient dans lesmouvements des plus hautes affections morales, c'en estfait de la liberté d'action, de la pureté des motifs, de la di-gnité dans les relations des personnes. C'est ainsi qu'enFrance avant !a Révolution, en Chineà toutes les époques,la loi positive n'a pu venir en aide à l'autorité paternelle,sans produire les plus désastreux effets. En ce. qui con-cerne l'ancienne histoire de Rome, on peutdire que ce viceoriginel.et primitif atteignant la sainte libertédes atïectionshumaines, a eu pour effet de détruire toute inspiration dela conscience dans les temps postérieurs,et dans toutes lesdirections. Par suite, chezun peuple qui devait à !a nature.des principes plus élevés que n'en possédait la Grèce, si-l'on excepte les explosions d'esprit publicet de patriotismeet trop souvent d'un chauvinisme sans noblesse, le .motifdesactions ne s'élevait pas au-dessus t" de la stricte léga-lité; 2~ de la crainte superstitieuse; 3*' de la complicitéservUe* avec les exigences insolentes de l'usage populaire.

.11 eût donc été étrange que le tuteur d'orphelins obscurs,entoure de tentation~ ayant M portée les moyens

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de iM MtJnfaire, se' fût montre plus fidèle à son mandatque ie gouverneur des provinces, un préteur ou unproconsul. Et qui montra plus de perfidie, plus de rapa-cité ? Bien rares ét'ient les gouverneurs intègres qui n'ac-ceptaient aucun présent des coupables, n'extorquaient pasde rançon aux faibles. Et pourtant,en qualité de déposi-taire d'un pouvoir public, un gouverneur était surveillépar la jalousie de eompétiteurspolitiques; il pouvait avoirà faire face à un interrogatoire solennel dans le sénat oudans le forum, ou dans l'un at l'autre. Mais le tuteur quiremplissait une t3che privée envers des orphelins était as-sure que l'attention du public ne se porterait jamais sur desanatres si obscures et si dépourvues d'importance poli-tique. Oh peut donc admettre en raisonnantpar analogie,que, pourun Romain, !e tuteur particulier était forcementun délinquant secret, qui mettait pront les occasions etles droits de sa chargepour travailler à la spoliation et à laruine de l'héritage connë a ses soins. Ce vice mortel etdestructeur de l'époque païenne a dû mille fois épaissirles ténèbres qui entouraient le lit de mort des pères. Tropsouvent le père mourant lisait avec certitude dans l'expe-fience de toute sa vie la perspective-de suspendre sur sesenfants un danger distinct et imminent, alors qu'il cher-chait pour eux une -protection toute particulière. H lais-sait derrière lui une maison peuplée d'enfants, une petiteflottille (on pouvait la représenter ainsi) de charmantsvais-seaux, prêts à lever l'ancré, sur le point de partir pour tra-verser les infinies profondeursde la vie, il faisait le signald'appel pour les escorter. Un homme ou deux, ceux qu'ilconnaissait le moins mal parmi les hommes qui avaientparcouru les mêmes mers, s'ocraientpour cette tàche ilacceptait avec doute, avec chagnn, avec effroi. Au momentoù les .traits de ses enfants s'enaçaient dans le brouillarddela mort,sonâme devenueprophétiqueétait traverséeparuneéhorrible pensée; peut-être l'escorte, cédant aux tentationspressantes de l'occasion, aHait.ellese changer en corsaire,

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tout au moins en voleur; peut-être le tuteur deviendrait-ilde paru pris un e~dùeieur perttde pour l'iMxperieueedeses enfants.

Cette aggravation des angoisses qui assirent le !it demort des pa<en<& enlevés à leurs enfants en bas âge a étédis~ip~ par l'innuence libératrice qu'a exercée le ehri-ni~.nisme en s'étendant de siècle en siècle. A notre époque,partout où l'on respire un air purifie par la charhc oh-c.tienne, par les principes chrétiens, ce fléau domestiques'est atténue peu à peu, et dans l'Angleterre actuelle, il n'va pas de sorte de fraude, dont on entende parler plus rare-ment. On en -trouve une preuve dans k peu- d'tatepetqu'inspire en générai l'absolue sécuritécherté par !t Courde la chanceuerie.Aussi, mon père bénéficiapour te reposde ses derniers moments du bonheur de son temps et deson pays. H choisit pour tuteurs de ses six enfants les per-sonnes qui; parmi ses relations, lui oS'raieM }e plus de ga.ranties; il tit appel, .'dans le cercle de ses amis intimes, aceux qui occupaient le plus haut degré dans son idéald'honneuret de sagessepratique; ensuite, comptant, pourcompenser ce qu'il y aurait de trop dur dans l'influencedequatre hommes, sur le pouvoir discrétionnaire dont mamère était investie, il sentit ses inquiétudes se dissiper. Detous ces tuteurs, aucun ne se montra indigne de son choixau point de vue de l'honneuret de l'intégrité. Mais, aprèstout, il y a une limite (plus vite atteinte peut-être eh An-gleterre que dans le reste de la chrétienté) pour le bien quel'on peut réaliser par une sage prévoyance. Oh peut direde la race anglaise avec plus de justice que de toute autre,que nous ne sommes pas des fainéants chez nous, riche,pauvre, chacun a quelque chose à faire. C'est en Italie quenous trouvons des paysans qui passent les deux tiers deleur temps à ne rien faire. C'est en Espagne qu'il faut allerchercher une aristocratie physiqaecaeatdégradée par l'a-

H est reconnu par des ~oya~ear!. – :6it tt~tais,soit fun~is, soit~tman~~qaero~pe ducatd'E~F~M, tMKMi~Usementàt'ëMr: d<

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vitisMnteeducation des femmesetdespretresetqu'ontrouvedes prince qui, comme Ferdinand VI I, se Rusaient gloired'avoir brodé un jupon. Dans notre générationactuelle, onpeut compter sûrement que le tuteur exercera ses fonc-tion!: avec une loyauté consciencieuse, en eo qui concernei'intcrct de ses pupilles, mais on tant qu'elles exigent unevi~itance de tous les insunts, et de la prévoyance à longuedate, eUcs sont, à vrai dire, à peine compatibles avec l'étatprient de notre société nngiaise. Les tuteur,! choisis parmon père, lors même qu'i!s eussent été les plus sa~s et!esplus énergiques des hommes, n'aureient pu réaliser, dansbien des occasions, ses secrets désirs. Parmices quatreper-sonnes, l'un était marchand. Je ne prends pas ce mot ausens étroit qu'on !ui donne en Ecosse, d'après le mot cm*pruntéâia France, où jamais les princes n'ont exerce lecommon: tnais dans le sens large et noble de l'Ang~terre, de Florence, de Venise. Par suite ses relations etcn-*dues avec les ports de mer et les colonies lointaines absor-baient son attention, exigeaient noëtne sa présence, l'enïe-vaient à sa vie domestique, et l'on ne pouvait s'attendre àce qu'il fit davantage pour ses pupilles; il devait se borne!'à surveiller somnMirement leurs intérêts pécuniaires. Notresecond tuteur était un magistrat rura! d'un district popu-leux aux environs de Manchester,et à cette époquemême,il était aux prises avec une population turbulente et tou-jours plus nombreuse d'étrangers,Gallois et Irlandais. Luiaussi, accablé par les occupations de sa charge publique, ilavait peut-être le droit de penser qu'il avait entièrementrempli ses devoirsde tuteur quand il se tenait prêt à agirà propos de quelque difficulté accidentelle; et dans les cas

ce que, dan; te Kentacky, l'on nommerait une n'étb~e rude et tarba!e!)f~(roag hand tumbte)d'eduMtion poputnire. trahit jusquedans)'extent<n etted~tfoppement physique les eSeM ~vidects d'h~bitM<iM ea'<mineM qTticet agi pendant plusieurs genetation?. ii serait intéressant <!ecom):!tfesut ce point ia vérité exacte, mais la vérité non travestie par des pr~)U{ie$aati&Max et démocratiques.

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ordinaires, il se reposait de ses devoirs sur ceux qui avaientplus de loisirs.

A. cène uerniëte catégorie appartenait assurément letroisième tuteur, le révérend Samuel H. qui, à la mortde mon père, était.vicaired'une église, à Manchester ou àSalford, à ce que je crois'. Ce personnage faispit partied'une. classe que la nature. de l'homme a nécessairement'rendue nombreuse en tout temps, mais qui l'était encoreplus alors qu'aujourd'hui. La classe dont je parie estcelle. qui ne possède aucune sympathie pour le sens intel-lectuel et les facultés intellectuelles de l'homme, elle con-sidère la religion comme un code de règles respectables,fondées sur de grands mystères tracés obscurément, etrappelés à la mémoire dans certaines grandes fêtes ecclé-siastiques. Celles-ci ont été établies par les Eglises primi-tives de la chrétienté, par exemple par l'Eglise anglicane,qui-ne date que de la Réforme, par 'l'Eglise rvmaine, parl'Eglise grecque. Il avait composé un recueil de trois centtrente sermons environ, à raison de deux par dimanche.il y en avait:pour:uncycle de trois ans; sa modestie luifaisait regarder ce temps comme suffisant pour assurerl'oubli total de son éloquence. Un impertinent aurait pusoutenir qu'il fallait beaucoup moins de temps pour pro-duire cet e8et, car les sujets traités ne s'élevaient pas au-dessus du niveau de conseils utiles, et !e style, sans man-quer de correction-académique.n'était pas d'une passionentraînante. Gomme p'édicateur.M. H. était de bonnefoi, mais il manquait de vivacité. C'était un homme bon etconsciencieux il regardait la chaire commeun instrument

Sa!fordest une grande ville, séparée légalement. de Manchester pourdes rationsélectorales, séparée physiquement d'elle par cce rivière, maisà cela près, au pointde vue des relations et de t'inauence, eétait un. quar-tier de Manchester, commeSouthwark est un qûartitr de Londres. Si le!e<tM)' ~eut se faire une idée de celle situation par un souvenirctassique,c'étaitJe tn~me rapport qnecetui d'Argos avec Mycfnes.Uneinxitationàdtner, procfamee par le herau)t pub)ic d'Ar~o~. pouvait s'entendre dumilieu deMycene! et un gourmand t'aurait entendue des faubourgs !etp!<p~"j &i tentenu était M[Ueuti<.t'cmedtetM.meant.

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actif de civilisation qui devait aider les livres. Mais quandon prend des sujets aussi terre à terre, aussi ternes, aussidécousus que ceux-ci les bienfaits de l'activité, le dangerdes mauvaises compagnies, la nécessite des bons exemptes,les effets de la persévérance, il est difficile de produire ensoi-même et chez ses auditeurs un courant énergique depassion. H est vrai que ses auditeurs ne formaient pas une.classe qui eut grand besoin d'émotions \'i\es. Elle n'étaitpas composée de gens de rien; beaucoup d'entreeuxétaientriches et venaient a l'église en voiture. Le résultat naturelde l'estime qu'ils avaient pour mon tuteur fut qu'un cer-tain nombre d'entre eux s'associèrent pour lui bâtir uneégu!e,celle de Saint-Pierre, à la rencontre de la rue Mo-rely et de la future rue d'Oxford, qui venait d'être décidéeet qui alors n'existait que sur le plan d'un ingénieur. Lacirconstance qui me mit en rapports individuels avecM. H. fut celle-ci deux ou trois ans auparavant, un demes frères qui était mon aîné de cinq ans, et moi, nousfûmes confiés à ses soins pour recevoir l'instruction clas-sique. Cela fut fait, je crois, pour obéir h une volonté su-prême de mon père, qui avait une estime bien fondée pourle caractère de M. H. mais qui se faisait une idée trophaute de sa valeur comme lettré, car il n'entendait rien augrec. Quoi qu'il en soit, il en résulta que ce gentleman,qui auparavantétait notre tuteur à tous dans le sens queles Romains donnaienta es mot, devint un <Kfor pour monfrère et moi, dans le sens anglais de ce mot. Depuis l'âgede huit ans jusqu'à celui de onze et demi, le caractèreet lefonds intellectuelde M. H. eurent doncune grandeimpor-tancepour le développementde mesfacultés, telles qu'elles.Même les trois cent trente sermons qui se déroulaientsansfaire grand enet sur l'ensemble de.sa congrégation,contri-buèrent en réalité à mon instruction. En fait, je n'enten-dis que la moitié des sermons;.la maison paternelle deGreenhay se trouvait alors en pleine campagne, Manches-ter ne s'étant pas encore agtandi jusque-là, l'éloignement

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noas oMigeait !< prendre une witure, pMM~ot le service dumatin. Mais chaque sermon de cet office m'était icoposécomme un texte sur lequel ;'avais à improviser dojtxsortesd'imitations. tantôt le diminutif, la miniature, tantôt l'ttm-puacation oratoire, en conservant autant que potM&tt tesexpre~Hono original et aussi (ce qui m'impoaut un t~Rwrtdouloureux) l'ordre des idées. Ceta eut été bien &d!e, sicesidccs avaient été rattachées naturellement les unes auxautres, &i par exemple, elles avaient été !esdëve}oppMaeatsd'un sujet, mais teur disposition arbitraire, toute iottoite,me rendait cet exercice aussi mataMp que de danser sur latorde. Aussi, j'étais !e seul. de toute ia congrë~attoc', àécouter avec une attention dévorante, à éprouver <teTen-tation sous rinHu~oce n~~e de eerte parole qw cox!aitsur les autres têtes, comme r«m mr des da!!es de ttxn~r~,c'cst-â-diresous l'influenceendonnante de quelque«nnonde mon somnolent tuteur. Mais cet ennui ne fut pa: entiè-rement perdu; ces mêmes sermons, dont ta dufae ne dé-passait pas seize minutes, et qui étaient aussitôt oabHesqu'approuvés par chacun, furent pour moi un exceHent

Tb)tt<<t<-<MtS)'ot!.–ï)s'<ts[t:eid'~i<tt9<!onti'aiottNtOt'com:tncn}eant ~«pargnait.ttors&m~ mùnoire.desftpde<nnm<op~<tr~.Deux OM trois ans .plus tard, quand )'approc))!)i de tnj dixi~toe année,l'église de S&int-Pietfefut terminée et ouverte au service. 11 y eut donctmetm)t<ertt)ond< t'ediSM par !que de <e diMtte (diee. <te Chtater).En qualité de papiUt du tituteire.)e Sgttr~i mtartntment pM<ot!ttper-sonnes invitées à cette Kte, et je me rappelle un petit incidentqui montrebien la httt< de ~CHtiments qui i) «e léguée à t'É);ttte d'Angteterre ~r!ts Puritains du xvn* iiede.L'tptiMétait tpattr~itedans le t'j~< <r«;assurément les ornenxnts extéricurs et nntrieurs étaient assez r~ret,ossM maigres. Mais au centre du plafond, pour dimintter t'eftet mMtotmtd'une vaste Mffftce Manche, onavait app~iqee .t!M tOMtt to pMtttie. tBpt)~sentant uj)e.corne .d'abondance, avec des Heurs, des fruits. Pendant ji)u<nous étions réunis dans la sacristie, recteur, gardient, architecte. ettertMedM <;&f!it yeat an gMBd 'intH'nutK'd'iH~~tutt,q*! ~tt~hpas a s'exprimer en parties;~ T-ed~ttait qu~.t'~vt~Me oe ~e.crùt <tb)i}!ccomme les ieonoctastcs bourras de :6<t5, afntnnn~r ttn dcerct da pros-cription contre cettesimple orMratnttttionde )a:votte.Me<n!de eranne,nous parcottrûttc~ ta;p<m<e <Mf,.A S)tite.<hu!p)M)«t. SaStij;<te)M'KJe'~Jes yeux. rnai$,fut-ce par courtoisie, pu par approb.ation, ce dont~e-=~1'v:t:'¡¡'t1; _q-

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exercice de gymnastiquemteUeetueue, bien plus en rap<port avec ma ~ib)esse enfantine que ne l'eussent été lessermons d'Isaac Barrow ou de Jëremie Taylor. Ceux-ci,avec leur luxe d'images, auraient ébloui ma pauvre vue, lagrandeur gigantesque de leurs idées aurait accablé les ef-iorts de mon intelligence. En fait je tirai donc de cet exer-cice hebdomadaire !e plus grand profit. Peut-être aussi seforma dès lora une faculté qui ne devait mûrir que plustard je me plaignis longtemps, avec amertume, de ce quel'emploi du crayon pour prendre des notes m'était interdit,et ma mémoire avait :t supporter tout !e fardeau. Mais onsait que plus l'on charge la mémoire, plus elle se fnriine,que plus on a de confiance en elle, plus elle méritecette confiance. Aussi, aprts trois ans de cet c~ercic. .jetrouvai que ma facutte d'abstraire et de condenser avaitpris un développement sensible. Mon tuteur était de plusen p!uss&Tis&it, mais par malheur (dans tes premierstemnsc'était ~w M!eur) il n'y avait d'autre moyen de vérifiermon exactitude que de recourir au sermon même bienqu'it fût sûrement caché parmi les 330, le mauvais échap-pait aisément au coup de harpon. Mais ces recours de-vinrent de plus en plus rares, et comme je l'ai dit, mon tu-teur était chaque fois phjs cou.tent. D'autre part, on sedemanderasi j'étais toujours content de lui et de ~es troiscent trente sermons Oui, je l'étais, j'avais afïection etconSance, sans arncre-pensce, sans reserve, grâce auxprincipes de vénération profondémentenracinésdans moncaractère, lorsque je rencontrais une expression de forcesupérieureà la moyenne ordinaire de mon tuteur, jamaisil ne me yint~ l'esprit qu'il fût mains bon, moins intel-ligent que les autres; je Je trouvais simplement différent.Je ne lui cherchaispas querelle pour son engourdissementcaractéristique, pas plusque je n'en aurais voulu à un rubanvert de n'être pas bleu. Un simple hasard fit qu'un jourje citai un distique qui me parut sublime. il était questiond'un prédicateur, comme il en'apparaît parfois dans'les

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temps difficiles, aux époquesd'e!Ïervtscenee, un Hhdu.tonnerre, qui regarde en face tous les ennemis, et qui re*lève un dén, alors même qu'il lui, serait facile de t'éviter.Ces vers ctnie.nt de Richard Baxter, qui se battit souventnvee des orages qu'il avait crées tui-mcme, depuis l'au-:rore de la guerre parlementaireen (G~a, pendant )'! périodede Cromwell, qui le détestait cordialement,et enën jusque.sous les règnes timides de Charles H et de Jacques Il.Comme orateur religieux, il était peut-être le Whittield duxv)t* siècle, le I.eMConowM de Cowp<;r.

Voici comment il décrit l'ardeur passionnée de sa prédi-cation

< Je prêchai comme tûrement je ne prêchera! plus, »

cela est déjà quelque chose, mais Ja suite est un coup detonnerre..« Et commeun homme qui meurt~àdes hommes qui meurent.

Ce distique, qui me paraissait de l'or en bâfre, pastant par son éclat que par sa pesanteur, dévoilait w!autre aspect de l'Église catholique, et la révélait commeune ÉgHsede soldats et de croisés.

Par là je ne veux point pourtant sigoa!er utMHmperfec-tion positive chez mon tuteur. Lui et Barrer avaient étéplacés par le hasard dans des générations dinérentes. Lesièc!e de Baxter, du commencement jusqu'à la fin,' étaitrévolutionnaire. Pendant toute la durée de ce xvu* siècle,les. grands principesdu gouvernement représentatif et lesdroits de la conscience traversaient les épreuves douiou-reusesde la résistance et d'une dure expérience. Mais de mon

temps, a ta Sn du xvm* siècle, il est vrai que tous tes été-

'.Les droitsde la conscience. !) est ptnjMe de constater que Baxtern'ev*!t aucun goot pour eux. t) qualifiait la tolérance re!)gteu!ele n)eur*tfodes~met'.Et quand on lui objectait que c'était à l'intolérance reli-~icuse qu'i) devatt ses plus crueite!. souti'r.tnce!. )! r~potd~it < Aht ~5Ci~ttaientbien différent:;j'avais raison, tandis'que l'immente majorité deceux qui profiteront de cette nouvelle invention qu'on nomme tolérance,.&oat dans une erreur révoltante. <

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mentt de.Ia vie sociale furent jetés au creuset; toutefois ils'agissait de nos voisins, et non plus de nous-mêmes. Dé-sormais on n'avait plus besoin du prédicateur héroïque,prêt au martyre, et parlant « comme sûrement il ne parie-rait plus Aussi je ne songeai plus à reprocher à montuteur !e manque d'énergie pour combattre contre desmaux aujourd'hui' oubliés, il n'avait pas davantage le de-voir de se lancer avec un dévouement patriotique,dans ungouffre, comme le Romain de la fable, Curtins, ou demonter sur un échafnud par zèle pour la liberté, commeAlgernon Sidney, le véritable martyr anglais. Chaque di.manche me ramenait régulièrementcette cruelle inquié-tude. La nuit du samedi, par cette triste prévision, la nuitdu dimanche, après une expérienceencore plus triste, )edormais mal; mon oreiller était bourré d'épines; tant quele lundi n'avait pas ramené l'inspection du matin et la re-vue d'armes, et ensuite la nn de la parade, puis le cpM~,je me sentais dans l'état d'un sous-ofncier en mute, au mo-ment où il va passer en conseil de guerre. Supposez quele lundi soit envahi par quelque intrus assommant, pnrquelque visiteur faisant partie de la troupe des parentspauvres qu'avait mon tuteur. Il me semblait en voir four-miller dans quelque partie' inconnue du Lancashire; unseul cri de <c caw, caw les faisait envolerpar nuageépais,comme les corbeaux, et ils venaient s'installer pendant dessemaines a la table de mon tuteur, et de sa femme, qui,dans.leurhospitalité généreuse, n'auraient pas laissé le plushumble d'entre eux sous la triste .impression d'un accueilglacial. Dans ces circonstances il pouvait arriver que la se-maine entièrese passât sans mettre un terme à mes ennuis.

C'est.ainsi que pendant trois ans et demi, c'est-à-diredepuis ma huitième jusqu'aprèsma onzième, année nousvécûmes en bonne intelligence, mon tuteur et moi. I! nese factia.it jamais, et a vrai dire il n'en avait aucune occa-;sion; de mon côté, je ne laissai pas voir ce que je trouvaisd'odteux dans ma tâche (et elle l'était d'une manière abo-

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miaxbt~), M h* f~ble <Hbr< qu'été me contai:, après quel'habitude m'eut rendu 'capable de la remplir ~v~: unetMMtce prë4<>mptueute. En dernier lieu, je M trouvais

aucune facilité A exécuter cet exercice hebdomadaire,qui

ne cessa jamais d'être « une épine dans la chair x. Je.crois

que mon tuteur, comme certaines divinitéscru<ll(;sdu Pa-ganisme, respirait un parfum d'encens brûlé, 01 voyantrotation, l'irritation inquiète ~u'il entretenait, commeune. vestale surveMc !e ~u sacré, par ce tourment periodique. éprouvait du plaisir à me poursuivre jusque dansmes s<M)~s. asile &ûr a;etne pour un paria, si bien que ledimanche, ce )oarqin ouvre aux hommet, et même auxanimaux, te~ poftea du repos, éMtt pour moi un.jour demartyre. Mais après tout, il est possible qu'il n~ait renduservice, car !< constitution matadiv<* de mon espfit nem'enirainait que trop vers te s<MDM. de la rêverie sansnn, et l'cbignement de ]a vie et de ses reatités, que jefuyais dans des Astractiônschin~enques..

Qu'il fût utile ou non, mon séjour chez coon tuteur tiraità sa fin. Quelques mois âpres Je onzièmeanniversaire de

ma naissance, Creenhity* fut vendu, et la maison de mamère, enfantset domestiques, futtransportëe à Bath. Pen-dant peu de mois, mon frère et moi no~s fômes laissés auxsoins de M. Samuel H. du moins en ce qui concernenotre éducation. Quant au luxueuxcontortabte d'une vert-table d':meure anglaise, nous devînmes, par une invitationspëeiate, les hôtes d'un jeune ménage de Manchester,M.<:tMme K. CetëvéncnaeM, bien qu'il n'ait pas.eu de suites,

a laissé en moi des sentimentsd'une inexprimableprofon-deur, il forme comme une parenthèse ~iamanMe de boN-heur intime, tel quel'homme !e coanattuae fois~ une

Ct-Mata~– Maison <fe campagne bâtie par mon père. A i'~pnque desa construction (<7<)t ou 1792), elle était ~toignée d'un j;r:tnd-mij)e desdtrniefM m~spns de MtnttMter.ai~tnainteaaut, tt m~roe<jc.)tusjM)f;.temps,e))eété at~etnte.fa'' tes r~i~s.MMois~eoM.nts de.eeU~tmu.tfMUC, etaepois JOngKOpSabsotMe da)~ i<pn bruys)!: et vmtë to.trbition.

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seuk.daas~outt'une vie. M. K. était un jeune ax~c!t!H)dqui devenaitAméricain; je veux dire par là que c'était UNAn~!ais qui exportait aux Ëta~-Unis. H avait épouse, troisans auparavant, une jolie et charmante jeune femme, bienéievëe et douée d'une remarquable largeur d'intelligence.Mais le traitdistinctifde cette maison était l'esprit d'amourqui, sous l'influence bienfaisante de la maîtresse, se répan-dait chez tous ceux qui en faisaient partie.

Feu te docteur Arnold, de Rugby, entre autres idéesnouvel qui n'ëMient pas toujours bien accueiUiesmcmcde ses amis, insistait fréquemmentet-avecibfcesur e~le-ci, savoirque notre système social en Angleterrett~tt me-nace d'an grand péril, par la sëparat~n inexorable tNK'enos classes s!evces et nos classes laboneuses; que, si Jt'o)an'adoptaitpas un tMO.~ v!f<M~! plus conciliant entre cesdeux n-actionStJiver~entcsde notre corps social, ou toutautre moyen, il fallait s'attendre à une effroyable rcvotu-tion. Ce n'est pas '!e lièu de discuter un &u}et aussi va'!te;je me bornerai donc à faire deux observions. Voici !apremière Bien qu'un changement tel que le désirait ledocteur Arnold, si on le considère comme Ctuse, puisseproduire des effets avantageux, d'autre part, si on leregarde comme effet lui-même, il constituerait Mne sortede société moins noble que celle que nous avons possédée,moins noble de beaucoup. Chez les nations où ~M classessupérieuresont à l'égard des classes laborieuse~et surtoutà l'égard des domestiques, un langage paternel et Menveiî-lant, il en est ainsi parce que ces classes occupent unesituation élevée et qu'elles se composent de personnes quiont des droits civijs, en- face de personnes qui n'ea ontaucuns. H y a de tx siècles, quand un chef militaire lisaità ses-soldats Mes enfants a, il agissait ainsi pafce ~u'Hc~KT!R dcspo~~n-esponsaMc,qui cxcrpaii sans coa~Iele droit de vie ou de mort. Mais dès le jour où les droitslégaux ont été concédés aux classes les plus pauvret, }erespect iacvKS&Ic ccs'cissses supërtcures etetn: pour

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jours l'affection et fait. disparohre le langage avec lequel.

on traitait naturellement des classes en état de minuriteou de sujétion enfantine.

Voilà ma première remarque. Voici la seconde Lechangement que demande le docteur Arnold,.soitqu'il le

promette ou non, est pratiquement impossible, ou, s'il estpossible, il ne l'est que dans un champ limité, celui de laservitude doniestique. C'est là seulement que les deuxclasses en question sont en contact continuel. C'est surcette scène qu'elles se rencontrent sans se heurter. ousortir de: leur place, et là seulement peut avoir lieu unchangement. Une sage maîtresse demaison, ayant ..assezde tact pour allier une gracieuse affabilité avec une dignitéqui ne s'endort pas, qui ne lui permet pas de s'abaisser aubavardage étourdi, s'attachera l'affection de toute femmejeune et capable d'émotion. Telle était mistressK. Elleavait gagné tout d'abord la reconnaissancede ses gens enleur assurant un large bien'être;leur confiance en lesécoutant patiemment et leur donnant de sages conseils;leur respect; en refusant de s'intéresseraux cancans, auxpropos qui n'avaient d'autre objet que des médisances.Jusque-lù, il ne manque peut-être pas de maîtresses demaison qui pourraient suivre son exemple. Mais le bon-heur qui régnait alors chez-M. K. dépendait surtout decauses toutes particulières. Les huit personnes qui l'habi-taient avaient l'avantage de la jeunesse; les trois jeunesservantes ressentaient l'influence.d'un enchantement telqu'on le voit rarement, par le spçctacle qu'elles avaient àtoute heure sous les yeux, tableau qui de tous est le'phis

propre à émouvoir une sensibilité iéminine; chacuned'elles pouvait espérer, sans présomption,qu'il serait celuide sa propre vie. Je veux parler d'une heureuse unionconjugale.entredeux personnes qui vivaient en si parfaiteharmonie, qu'elles étaient entièrement indépendantes dumonde extérieur. Ce qu'il y avait de tendresse, de satisfac-ti,on ispme dans c~ttë union, .cHës~touvuiënt !ë voir, par

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elles-mêmes. On était alors au milieu de l'hiver, époquequi a pour effet de resserrer tous les liens domestiques.Leur travail, comme dans toutes les maisons anglaises quisont bien ordonnées, était d'ordinaire achevé h deuxheures; lorsquearrivait le soir, et que l'instant où le maîtrede la maison allait rentrer sans retard, s'approchait, rienn'était plus gracieux que le sourire qui se dessinaitd'avance sur la jolie figure de la jeune femme; il y avaitplus de grâce encore dans le sourire qui se rëncchissait, àmoitié involontaire, à moitié contenu, sur les physiono-mies des servantes,qui tympathisaient avec cette joie. Uneenfant, une petite HHe de deux ans, avait alors mis lecomble au bonheur des K. Elle se prêtait naturellementa toute heure, et en tous les endroits à In fois, à ce qu'ilsemblait, a compléter des groupes de famille. Mon frèreet moi, nous avions été, depuis notre enfance, élevés àtraiter les domestiques avec politesse; nous remplissionsles places qui restaient libres dans cette gradation d'âgeset nous ressentions à différents degrés la profonde paixque nous ne pouvions comprendre ou apprécier d'une

-manière raisonnée. Parmi nous, il n'existait pas un mau-vais caractère; il n'y avait aucune occasion pour des ja-lousies personnelles; grâce au privilège de la jeunesse,

que nous possédions tous, il n'y avait.pas de passé doulou-reux dont le souffle .se :fît sentir, on n'éprouvait pas lesinquiétudes irritantes qu'amasse l'avenir. L'Esprit d'espé-rance, l'Esprit de paix, aiHsi que cela m'apparaissait quandje me rappelais ce calme profond,,avaient formé pour leurpropre plaisir, une alliance fraternelle pour enfler unebulle isolée de bonheur fantastique,pour faire le silence etle sommeil pendant quatre mois, autour dune demeuresolitaire de huit personnes, au sein même des éternelsorages de la vie; il semblait que'ce fût une tente arabe,plantée dans .un désert inconnu~ l'abri de.tout envahis-sement humain. de tout soupçon même.de son existence,~race à des sphères Qe:DrMutUafd'prctceteur.

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Qu'il était profond, ce repos! mais comme il étaitentouré d'une atmosphère humaine, cwnbicn il était fr<gtte! Cette bulle d'illusion se rompit-elle, tout d'un coupt'PNon; elle se fondit peu à peu, on silence, comme un palaisde neige se dissout. Seldn la magnifique expression qu'aemployée Shakespeare, et qu'il n tirée de son a~nennefantaisie, elle se dé-de&sina (dis)imned)comme un nuage ~`

perd ses contours, par degrés ifnper<ep.iHe: Déjà ie motdépart (mon frère et moi nous étions rappelés & Bath)avait donné !e premiersignal de cette dissolution. Ensuite,fort peu de temps après, ce fat un autre signal confus,l'alternance des mots joyeux et douloureux- le mariage etla mort désunirent lo groupe cffcctueux des jeunes ser-vantes. Enfin, en troisième lieu, mais bien des annéesaprès, la maîtresse même de la maison, en même tempsque son enfant, quitta cette terre, quitta le repos le plusdoux que cette terre puisse souffrir, pour entrer dans unrepos plus doux encore. Bien des années, peut-eire vingtàns après cette époque, un jour que, pour m'abriter contrela pluie, j'étais entré dans une boutique, dans la rue laplus animée de Manchester, le maître de la maison me-montra un gentleman qui était de l'autre côte de la rue etqui errait d'un pas incertain, paraissant touf à fait etran"ger à l'attention qu'il attirait < Voyez, me dit le maîtrede la boutique, c'était autrefois un des principaux négo-ciants de notre ville, mais il s'est trouvé dans do grandsembarras commerciaux; il n'y avait rien à dire de sonintégrité, ni, je pense, de sa conduite, mais par le fait deces malheursen aSatres, et des décès quront eu lieu danssa famille, i! est tombe dansje désespoir, et vous voyez dequelle manière iL se console, Il donnait à entendre quela démarché de ce gentleman était celle d'un homme ivre.Je ne pensai pas qu'i! en fût ainsi. Son regard exprimaitune désolation habituelle, mais en même temps un égare-ïaeat nerveuxqui ne pouvait- augmenter sans lui faire dela v'~ua.uppors:bis f~rdMti.Jt: ne tercvis plus, je

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penstt avec horreur qu'il était destine a lutter dans savieillesse avec k's tragiques cruautés de la vif. Bien desraisons m'empêchèrent de me. faire reconnaître de lui;mais j'avais appris, quelque temps aupnravnnt, qu'il étaitavec moi, le seul survivant de cène famille autreibis sijoyeuse. Aujourd'hui, depuis bien des années, je suis leseul qui reste de ce sanctuaire sacré, si doux, si solennel,si profond, qui, semblable à l'arche flottant sur tes mersdésertes, contenait huit personnes; toutes, excepté moi,ont été l'une après l'autro rappelées pour entrer dans leseul repos qui puisse etr« plus profond que celui dont nousjouissions alors.

En quittant les K. je quittai Manchester; pendantles trois années suivantes, je fus envoyé ù deux écoles biendiiïerentes, savoir, d'abord a une école publique, celle de!~th, alors et depuis célèbre par son excellence, ensuite àune école privée dans le Wittshirc. Ces trois ans écoutes, [

jo me retrouvai à Manchester. J'avais alors un peu plusde quinze ans. L'un de mes tuteurs, M. H. banquierdans le Lincotnshirc, que j'ai omis plus haut de mention-ner, était celui que l'éloignement empêchait le plus deremplir ses fonctions; sans cela je lui aurais rendu volon-tiers hommage, comme au plus capable de tous. H avaitappris que certains avantages pécuniaires résulteraient demon séjour à l'école de grammaire de Manchester, etcomme sous d'autres rapports elle valait autant que celle-ci ou celle-là, il conseilla ma mère de m'y envoyer. Enfait, un séjour de trois ans a cette école faisait obtenirpendant ser'1 ans une aUocation de cinquante livres, oupeu s'en faut, ce qui, ajoutea me; cent cinquante livres derevenu, aurait fait un 'oral de deux cents livres par an;c'est l'a!ljcation moyenne qu'il faut à un sous-gradudd'Oxford. Comme il n'y eut d'objectiond'aucun côté, ceplan ut adopté, et ne tarda pas a ctre mis à exécution.

En conséquence, vers la fin- de l'automne, ou plutôt aucsn!meas:!Bsat de i'hi'*e'' <e 8< jf Si* HM~ &au@e d.ms

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recote de-grammaire de Manchester. La salle de classe,par sa grandeur, affichait déjà la prétention qu'avait l'écoled'appartenir a une catégorie élevée~ cette sorte d'écolesque je crois particulières a l'Angleterre. Pour atteindrecebut si rapproché, l'on avait eu recours à l'influence impo-sante de l'architecture, mais avec une gauche parcimonie,et l'on s'en était tenu la. Les murs immenses et blancsétaient ornés à peu de frais de moulureset de grands me-daillons en plâtre qui rappelaient aux jeunes élèves lesprincipales gloires de la littérature; à cela près, ils étaientnus comme les murs d'un dépôt de mendicité ou d'unlazaret. Ces derniers édifices dont la. destination évoquedes idées tristes et noires, éloignentde l'esprit tout desseinde les embellir par des peintures ou des sculptures, mais lasalle dont il s'agit avait un caractère plus noble, et lanudité de ses murs implorait quelque décoration. Il eût étébien facile d'y moulerdes scènes variées. L'on aurait toutd'abord, pour rendre hommage aux lettres, représentéAthènes; la sagesse d'Athènes, personninéedansPisistrate.il aurait fait de son mieux pour donner l'~t'~e complèteet correcte. En second lieu, les captifs athéniens en Sicile,quatre cents ans avant Jésus-Christ. Ils s'attiraient unegénéreuse compassion, « en redisant les chants du mélan-colique poète d'Electre <. Les passions terrestres étaientsi promptement oubliées, grâce au poète athénien d'alors,que l'orage de la colore sicilienne, avec ses vagues, faisaitsoudain place au calme céleste il suffisait pour se racheterd'un souvenirfortuit,d'un fragment mutilé des vers divinsd'Euripide; aussitôt les chaînes tombaient, le captif qui lematins'était réveilléesclave dans une-mine~ entrait commehôte bienvenu dans un palais de Syracuse. On aurait pureprésenter « le conquérant glorieux d'Emathie '~au débutde sa carrière, parcourant Thèbes avec des désirs de ven-geance, et calmé par des pensées littéraires, « ordonnantd'épargner la maison de Pindarè, alors que les temples, lestours s'abattaientsur le sol a. Oh 'eût'pu montrer Alexandre

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sous les cotonnades d'une ville persane, Echatane, Baby-lone, Suse, P~rsëpolis, lorsqu'il recevait de Grèce unnuzzur plus vénérable qu'aucun présent de la « barbarieorientale », une cassette ornée de pierres précieuses, etcontenant l'Iliade et l'O~~f, ces créations déjà aussianciennes que les Pyramides.

J'éprouvai donc un sentiment de répulsion à l'aspect de

ces murs et de leur nudité puritaine, lorsque mon tuteuret moi nous entrâmes dans ce hall. Nous marchionsd'unpas solennel, non pas, comme Milton, pour. aller nousprésenter devant le trône du Soudan mais vers le siègeoù trônait un despote aussi absolu, bien que son royaumefût tout petit. Le despote, c'était le directeur, l'<!rcÂ!M-calus de l'école de grammairede Manchester, et cette écoleavait des qualités bien diverses. i" Elle était ancienne safondation remontait à un évêque d'Exeter, au commen-cement du vt* siècle; ainsi elle a maintenant (!856) plus detrois cent trente ans; – 2". elle était riche et le devenaitda-vantage tous les jours; –3° elle était distinguée par lesrestions bénéficiaires qu'elle ava~t avec la magnifiqueUniversité d'Oxford

Le directeur était alors M. Charles Lawson. Dans lespremières éditions de cet ouvrage, je l'ai élevé au rang dedocteur, afin de déguiser la réalité, et de supprimer par làles personnalités bien qu'elles me fussent indifférentes,elles auraient pu, dans certains cas, déplaire à quelquespersonncs.MaisM.Lawson n'était nullement docteur. Iln'était pas non plus un clergyman, au sens légal. du mot.Bien des gens néanmoins, sous l'influence.d'associationsmvolon;aires dans les idées complexes qui représentent undirecteur d'école, lui attribuaient un caractère ecclésias-tique. Le fait est qu'il avait reçu l'ordre du diaconat dans

Le pt!Mge par t'~cote de- Manchester conférait certains avantages ài'Univertite d'Oxford. L'on a vuptus haut qu'its assuraientà fauteur unrevenu ce onqutatthTrtsptndttntseptsn!a cette université (N. d. 'r.i.

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t'Élised'Angleterre.Mais U se considéraitlu!-mcmecommeun laïque, et recevait cette qualificationsur les adresser deslettres de ses correspondantsdistingués, eton peut supposerqu'Us étaient bien au fait des règles techniquesde l'étiquetteanglaise. L'étiquette, d~ns les cas de ce genre, ne ditïere

pas entièrement de la forme onEdeUe. Aujourd'hui la loianglaise, ainsi qu'on l'a vu pour l'adiré de Horne-Tooke,est celle-ci quiconquea été cler~ymau, reste cter~ maa.Le caractère sacre dont on est revMu par l'ordination estindéiébi.e. Mais, d'autre part, qu'~t-ce qu'un clergyman?On ne l'est pas quand on a reçu seulementl'ordre d~ diacre,à ce qae j'ai du moins entendu dire; on l'est sermentquand ona reçu lesecondordre, qui estdéfinitif,la prêtrise.S'il en était autrement, les amis de M. Lawson cotaoaet-taient une bien grande erreur en le qualifiant de squiredans leurs lettres

Qu~il fût squire ou non, clergyman ou non, qu'il eût uncaractère sacré ou profane, M. Lawson n'en méritait pasmoins quelque intérêt par sa position et son existenceclaustrale. La vie n'existait plus pour lui, quant à ses es-pérances ou sçs épreuves. La seule épreuve qui lui restait

subir, était de lutter avec une maladie douloureuse,et decombattre à mort. Il avait a payer sa dette de mortel, ilétait en retard; à cela près, tout était fini pour lui. Je insfrappé de l'idéequ'il avait une pauvre espèce-d'intelligence;je pouvais me tromper, à cause de mes moyens limitésd'appréciation. Mais cela ne détruisait pas Tintérat qu'ilinspirait alors dans sa vieillesse: il avait au moins soixante-quinze ans; cela n'ôt~it rien à mon désird'épeleràrebourset de lire ainsi -le livre de sa vie. Quelles avaient été sesaventures en ce monde Avait-il -eu 'des hauts et desbas dans sa carhere?'Quels-triomphesavarMi-obtenusdans

t I.e sens de mots tels quec~rgym~n, gM~nMK,squire,est trop connuen France pour qu'il soit nécessaire de !es,remp)xeerpar des equivateNtsceux-ci d'ailleurs manqueraient d'exactitude; un clergymann'est pas.tout&fait un eecMsiastique, un~;ent)emann'estasut] ~toasteur d..3\).

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les paifubles et ~enneilex voûtes d'Oxford? Queues ~col-lusions lui &vait causées le rude contact du moudeeMoieur!'De celles-ci, deux seulement avaient survécu dans les sou-venirs malicieux de < ses amis )'. Il était jacobite, comme

l'eiaient tant de gens parmi mes chers compatriotes dul.ancashirt,! il avait bu à la santé du prétendant;'il avaitfait cela en présencedu docteur Byrom, qui gratifia l'as-semblée de son célèbre, mais équivoque impromptu a lasanté de ce prince A!. Lawson fut donc obligé d'assisterà l'écrasementde son parti politique. Telle fut la premièremortification qu'il éprouva. La seconde lui arriva sept ansplus t~rd,et d'aprèsce qu'onm'a dit, elle fut accompagaeedecruelles épreuves de dédain. Avait'il interprète dans unsens trop favorable pour lui les indices douteuxde la faveurde la dame? Celle-ci avait-elle, en coquette impitoyable,désavoué les espérances qu'elle avait encouragées ? Quoiqu'il en soit, un demi-siècle avait passe .en adoucissant, encicatrisant )es,blessures du pceur de M. Lawson. Si la damede !y5x vivait enco.re en t8oo, elle devait être bien ridée.ïci surgit un singulier problème métaphysique. Lorsquel'objet d'un amour passionne est devenu un )/ain fantôme,l'ardente passion peut-elle survivre, prendre une formeabstraite, se .désoler des souffrances qu'elle éprouve, im-plorer leur ~onsolatiQa? J'~i entendu dire .que cela était

'DaM cette réunion M;~ro!M~)MCaputets se trouvaient m6)cs avectes-MontaigM; ru't de ceux-ci invite le docteur Byrom à porter Ja.siintfidu roi « Dieu, bénisse le roi! Qu'i) confonde)e prétendant! x Ettedoeteurchanta

D&u MxtUt le roi, <~x:«M-de ~Me c< de ;<at/Dieu t:<tH!< ~'M ~< .f~pas eu ttmMMiM ~.f</ /<)-t~«<&)~/

Lequel est le prétendaut, lcq:lel of /< rM? –~KM nous Mn<</~«t U' bien autreB~t'1

Le docteur .n'était pas connu seulement comme Jacobite. Il a écrit un'manuel fort bien fait, qui, d'âpres ceux qui )'ont)u, s'ë!eveà une-hauteurvraiment phitosophique. !)avia MartLey, entre autres, eu parle ainsi « Sijamais il yenait à se former nue langue phi!osophique,telle que t'ont sou-haitéeTevequeMitkins.Leibnitz,etc., t'ouvrage du D'Byrom fournirait lesiMfacteresqutMavieadMienl.te~eux~sonAcMtur~

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arrivé. Dans !e poème de Ruth, qui est fondé sur des évé-nements réels, ainsi que je l'ai appris, Wordsworth place

un épisode pathétique.Quand les soins médicaux eurentapaisé chez la jeune personne les premières fureurs de lafolie, et que la maladie eut pris une forme plus douce, oncessa de la tenir renfermée. Se retrouvant en libertéparmiles scènes champêtres au milieu desquelles elle avait passé

son enfance, elle reprit peu à peu les habitudes qu'elleavait, avant que son esprit fût troublé par le chagrin.Quelquechose de pareil était arrivé à M. Lawson; peu de

temps après avoir reçu le premier choc, il avait cherchéles moyens d'effacer l'impression profondément gravée,

et l'un d'eux fut de revenir autant qu'il lui fut possible, àl'état d'élevé de collège. Il fut aidé dans cet enbrt par lasingulièredisposition de l'édinceoù il exerçait ses fonctionsofficielles. Pour une maison située en Angleterre, elle nemanquait pas d'originalité, car elle était bâtie comme unemaison romaine. Toutes les chambres de tous les étagesavaient leurs fenêtres sur une petite cour centrale. Cette

cour était carrée, mais de dimensions si exiguës, qu'unRomain l'aurait appelée un tw~MWMM!. M. Lawson.. avecun petit effort d'imagination, se la représenta comme lacour d'un collège. C'était là qu'avaient lieu les appels quo-tidiens, auxquels chaque élève devait répondre quand onprononçait son nom. Le malheureux M. Lawson, à forcede tenir toujours en éveil l'idée qu'il était encore dans,lacour d'Oxford, parvint peut-être à se mettre dans la tête,que tout ce qui concernait la dame avait été un rêve, etque la dame n'était qu'un fantôme. D,e plus, les usages ducollège, eh ce qu'ils pouvaientfortifièr cet imaginairealibi,étaient respectés à Miltgate; ainsi celui qui consistait àavoir deux assiettes, à dîner, l'une pour la viande, l'autrepour les légumes. Le seul luxe qu'il eût gardé, bien qu'ilfût assez coûteux, était celui qu'il se donnait à Oxford,comme les jeunes gens bien rentés, et il y persistait, bienqu'il ne pût en profiter qu'à des intervallesde plus-enplus

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éloignés. C'était un cheval de selle pour lui, un secondpour son domestique; il s'obstinait à les conserver malgrél'augmentation des taxes de guerre, et cela pendant desannées après qu'il eut cessé de monter à cheval. Une foisen trois ou quatre mois, il faisait seller et sortir les chevauxil se donnait beaucoup de peine pour se hisser sur la selle,partait à un amMe bien modéré, et quinze ou vingt mi-nutes après, on le voyait revenir dc sa chevauchéede deuxmilles, avec la conviction qu'il s'était donné de l'exercice,et que cela devait suiïirc pour une autre période de centjours. Mais M. Lawson cherchait le meilleur de sa conso-lation dans les grands classiques d'autrefois. Les grandsélèves s'adonnaient à l'étude des grands tragiques quiavaient fait frissonner le public athëmen pour lui biendes leçons, qu'il commençait toujourset ne finissait jamais,furent des occasions journalières de se consoler avec tesgaîtés .d'Horace dans ses Epitres pu ses Satires. Les plai-santeries d'Horace ne s'usaient jamais pour lui. Lorsqu'ilretrouvait le~<MMO~M,ou quelque autre bonnesaillie, il se renversait encore dans son fauteuil, toutcomme il l'avait fait pendant cinquante ans, et paraissaitéprouver de ces accès de gaîté contagieux qui secouentbruyamment la poitrine. M. Lawson aurait pu convenirque le mot de~<MH~ était le véritable motif de sa gaîté.H existe de sombres tyrans qui se délectent dans une dis-cipline de terreur pour eux et pour leurs élèves, ce motdoit ramener des souvenirs trop dégradants pour que leur'hilarité ne soit pas feinte.. Les allusions, quand elles sontdes personnalités terribles, cessent d'être une occasion, deplaisanterie. C'est l'hypocrisieseule qui éclate de rire en cecas, et cette hilarité n'est que le langage d'une malédictionrentrée et sournoise. A la vérité, il n'en était pas de mêmei-l'école de grammaire de Manchester. Il faut le dire àl'honneur des maîtres et des grands élèves, qui les uns etles autres étaient seuls les auteurs de ce. résultat, tant quejeconnus.ee!te ëco~t c'€5t-dir~ d? '?<}<; a !8o2, toutes

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tes punitions qui avaient pour principe !a dou)ei)r cof-porelle, tombèrent en de&uemde, et cela longtemps .nvnnfque l'opinion publique se fût émue à ce propos. Commenf 1

la discipline etait-eiïe donc maintenue? Elle l'émit par h<i

conduite que, s imposaientles grands ejèves et par l'emcrf-cité de leur exemple, combinéeavec leur système d'e'règtes.Les instincts naturels sont noofes, dès qu'ils ne sont pasfoncièrement mauvMs,U'heure de h~'irinténais~nte~eveuxpar!er du moment o{t le sens poétique donne ses premières.fleurs, et oit les adolescents commencent entrevoir !eparadis qui se dessine furtivement dans un sourir" fëfti-nin.Si !'étab)issement n'avaiteuque ses etève'!exterses,i: estplus que prpbabte que les tendancesà la \'u!gatrité bruyantey auraient prévalu. Mais il se trouvait que la partie la plustigëe de l'école, eest-à-dire celle dont les élèves étaientsur la marge de l'adolescence, et se montraientde beaucouples plus studieux, ayant tous le goût de la lecture, de laréflexion, tous sentant se développer en eux l'amour deslettres, cette partie se composait de pensionnaires. Lesélèves appartenant à la maison exerçaient donc une in"Huence prépondérante sur l'école. Ils étaient unis entreeux par des tieTis fraternels, tandisque les externes étaientisolés. Mais, ce qui était l'essentiel, il n'y avait point deconr de récréation, si petite qu'elle fût, dans l'école; ouplutôt il n'y en avait point pour la classe supérieure ou laclasse de grammaire. Cap i!ex!&tatt aussi, grâce aux libe~ratthes pùbHque~, une école inférieure, ou toute Porg~ni*satioa: de l'enseignement était ~ëduits' aux procèdes lesplus elémentaires pour apprendre à lire ë< à écrire. Lasa)!e où s'exécutait; cette' tâche urvile é~it: située sousl'éCoie supérieure, et formait, je pease~ es repr&duetioasouferfaine de !a salle d'en haut. CeHe-'et étant de deux outrois piedsseulement au-dessus du niveaQ de la ru& voisine,l'ëcoleinfërieure devait être Sttuecbten au-d~soos d&ceïliveitU. E)!e ëfatf sans doute une crypte obscure, commeotï en voit sous maintes'cathedfaies t it faoff que la coQ<<-

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true!eur ait été siogutièrement imprëvcyaat pour avoircondamne une partie -de son édidce à une obscurité sépul-crale. Cette école plébéienne n'était accessible que par delongues séries d'escaliers, et je n'ai jamais eu de l'énergiede reste pour étudier la question sur place. Comme leterrain descendaiten pente extrëme.nent raide vers ce basfond, je pense en y réfléchissant que la crypte soutenainea pu recevoir quelquefois la visite du soleil ou de !a lune.H est possible, après tout, que cette classe inférieure vouéeaux exercices manuelsait possédé une cour de récréation;mais la nôtre qui était située dans les régions supérieuresn'en avait pas, ainsi que je l'ai dit, et cette lacune offraitdes avan.tage!, qui n'avaient pas etc prévus.

C'est lord Bacon qui remarque les subtils arrangementsque peut dissimuler la forme extérieure d'une table. Sielle est carrée, comment nier qu'elle a une tête, des pieds,deux pôles opposés, l'un boréal, l'autre austral, un péri-hélie, un aphélie, des côtés qui représentent l'équateur ?Cela ouvre une vaste perspective à l'ambition. Mais unetable ronde coupe court à ces rêves de grandeur, de même

une table triangulaire. Pourtant si cette dernière a unangle droit, le Lucifer placé à cet angle peut dire qu'ilsous~tend ses deux voisins à chaque bout de l'hypoténuse,et se croire supérieur à eux, comme Atlas était ph tnoble que le globe qu'il portai:. Disons en passant qu'unedisposition de ce genre formait la base de la hiérarchiechez John O'Groat lui-même, et non dans les hautes lati-tudes septentrionales de sa demeure. H paraît que JohnO'Groat,-au lieu de décider les querelles de préséanced'après cette règle-ci ou ce principe-là, les tranchait patla racine, au moyen: d'une table ronde. Il est probablequele roi Arthur en usait, de même à l'égard de ses chevaliers,Charlemagne avec ses preux, et c'est ainsi que font lesmatelots pour décider qui s'exposera au danger d'uneréclamation s-éditieuse.. Comme le remarque Harringtondans son OeMK~ deux fillettes, sans autre ressource que

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l'esprit qu'elles tenaient,de leur mère, ont découvert lemoyen de partager une orange de telle sorte que toutesdeux soient satisfaites; ce moyen est si efficace que toutesles sectes de philosophie n'auraient pas trouvé mieux c'estque la premièrecoupe l'orange et que la seconde a le droitde choisir. Tu partages, et moi je choisis, voilà la recette.-Un ange ne trouverait-rien de plus ?ur pour garantirl'équité d'un partage forcer celui qm le fait à hériter desinégalités qu'il a pu faire dans l'opération delà division.En ces cas une précaution qui semble banale fait voir dans.la scène qui: précède tout un monde, de conséquencesnécessairesfatales. Dans notre situation, un résultat tout.-aussi disproportionné provint de ce fait tout fortuit quenous n'avions pas de cour de récréation. Nous autres~înés, par nos dispositions méditatives, par l'amour-propre.-que nous inspiraient nos rapports fréquentsavec les lettres,.nous étions déjà peu disposés aux jeux .d'enfants, et nouscouvâmes que l'absence d'une cour de récréation nousfaisait une .nécessité de notre préférence et de. cotreorgueil. Même les plus fiers d'entre nous bénéficièrent decetteobligation, plus d'un aurait vendu son privilèged'orgueil pour une heure d'amusement et serait devenuconformiste, au moins par occasion. Un jour plus beauque d'ordinaire, une lutte d'habileté qui aurait excité plusque d'habitude le sentiment d'une supériorité particulière,.aurait.pu engager plus d'un parmi .nous à se départir de;son isolement,. et.pour. toujours. Une. familiarité .sans-ilimite aurait été la conséquence, le résultat était cer-tain, Si l'on accepte la société d'autrui pour faire desaffaires, il peut n'en résutter aucun, inconvénient pour:le résultat de la réserve. Grâce aux intérêts communsquefMpus,avions comme habitant.sous:le même toit, grâce aux'restions amicales que créaient entre nous.les sujets de-discussion tirés des livres, nous avions fbtmé un clubd'adolescents dont quatre ou. cinq. âgés de dix-hu)t ou

t~x-neuf ans, .étaient.déjà .des jeunes hommes, et on y

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montrait autant de réflexion et Ut. respect pour soi-mêmequ'il y. en a souvent même parn.i des adultes. L'écolesouterraine contribuait aussi quelque peu à notre bonnetenue. Elle formait dans notre établissement une divisionsubalterne qui rendait plus sensible à nos yeux, par laforce du contraste, la réserve qui nous était naturelle. Sonprogramme se-bornait aux humbles résultats qui sont.dansla limite bornée des efforts mécaniques; tout ce qui estmécanique est restreint. Pour nous au contraire, alorsmême que le. terme d'école de grammaire donnait enapparence l'idée .d'un cercle d'études bien étroit, noussentions que réellement ce cercle était vaste, et s'étendaitmême à l'infini.

Il me fallut peu de temps pour m'apercevoir que ce motnous donnait à tous une idée fausse. Si l'on demandaitladéfinition d'une école de grammaire, et le sujet de sonenseignement, il est presque sûr que l'on obtiendrait cetteréponse ~«L'enseignement? mais c'est celui de la gram-maire, et pas autre. chose. C'est 1~ une erreur. Commeje l'ai montré ailleurs, le mot de gr<!H!)Ha<!Mpris dans essens, ne signifie pas la grammaire, bien que la grammaireobéisse, elle aussi, à des lois d'une subtile philosophie,mais la littérature. Voyez Suétone. Ces ~'<~Mw<:<!C!qu'ilreprésente comme inondant Rome sous le règne des Fla-viens,.n'étaient j)as des ~<:M!M:f!'eM~ le moins du'monde,ils appartenaient à ce qu'on désigne -en France par le. mottrès compréhensifde littérateurs. Cela veut dire i" qu'ilsavaient pour profession d'étudier la littérature; 2" qu'ilsl'enseignaient;3° qu'ilsycontribuaientpar leurs travaux.Ensommele mot de granttK~tM est. peut-être. le terme latin

qui représente le moins inexactementnotre mot /er<t<Mrc.Maintenant .que j'ai esquissé. les traits caractéristiques

qui distinguaient notre.école et son' directeur (quant auxprofesseurs de premier et de second.rang; il y en avaitquatre .pour la.classe supérieure), je reviens à mon examend'entrée. Ce jour.est.MëmorabIepour moi, en ce qu'tl.est

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le p~tM de départ d'MM longue sériede ~eaot attristes parl'Of~eiu~Mtobstia~ioa d'un côté, et ke MsuhaM qu'allaproduisitgrâce à ma propre- folie de l'autre côté. Ausait~tque mon tuteur ae fut retiré, M. L~wa~t prit dans. aoabureau un volume du $~c~<'<et me p<iade meure enaussi bon latin que po&~ble quelques page: de Stt.eit,a.p<atprès le tiers d'un am~éro. Le hasard ne panom tu~muune tMitleureoccasionpour attester tout* fet<ta<k<€ dé me<forces com'atel.Hiaiste. !ei)edoMtqu<tqa<M expHcatioas.Dans la precëd~me tdtuon 4e ce* Cw</itMm~, qm avM<~tété écrites trop M&b&<e,et d'MUMaiOre trop peu pré-cise d.)a~ les dettits MM MOpOttoM~ j'ai produit uneimpression qui n'était p<& daM mon dessin, en ce quiregarde vrai cara<tért de a;e& aptitudes «Marne hetie-tHSte. Je dois <tne<ttW de ht même manière ce qui estrelatif à la facuit~ pttK luaitee qui était l'objet de monexMaeo. ~ctue!. En ~c, aussi bien qu'en latin, nMs con.aaiss<mçes n'e<«ieot p$s et~<fHfa; à mon âge cela étaitimpossib~ et il y <a avait une autre cause toute particu-Here; à cetteépoqwei!n'existait aucun guide qui pût nousconduire avec sûreté dans les )ungk& épineux du latin, età p!u& forte raison, du grec. Quand j'aurai dit ~'ta lagrammaire ~ue de Porc-Royai traduite parle docteur:Nu~t&at était la seule clef que nous possédions en Angle-terre pottf les innombrables difncultés dejt constructiongrec<t«~ M que pour la ~< M<a<ftc<:r, l'estimable Thesau.ra~ de More! n'ayant pas été réimprime, se trouvaitfjtftatent, !e lecteur icoaclura-que la tecce d'un ecoiter.cooeoe helléniste ne pouvait être quepau de chose. Et la.mienne était fort p~u de chose. Mais eriteadons-nousQ~e~t-ce qui était ~eM de cAoM? c'était seulememnwconnaissancedu grec, et cette connaissance a des limitesextrêmement étendues. !1 n'en était pas ainsi de ma~aMeM«M du grec. La cor naissance est toujours presqueproportionnelle au temps q't'on y a consacré, et parMnMqueMyfuponidnho!ipsans doute à l'âge de l'etu-

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diant. Mah h poxseMion d'un langue, la ~c~tàde l'adap.<er, dé la mouler sur vos propres pensées, est absolumentu~tquMfKnïnn don naturel, et le temps n'y.estque pourpeu de chose. Que l'on prenne h trinité domiaMte desérudits heMén~tes qui norissment entre la cév<tlutionanglaise de t688 et le commencement da x;x* siècle,trinité que l'on formera, je pense, de Bentley, Valckcnneret Porson, l'on s'imagine généïalement que ce sont leshommes' auxquels il faudra nous adresser si nous voulonsune éloquente inscription grecque pour un monumentpeM<. Je ne suis pas de cet avis. Les plus grandséruditsse sont d'ordinaire montrés les plus piteux écrivains dansles !angue& classiques, qusUes qu'elles soient. H y asoixante ans,. quatre docteurs nous donnèrent autant detraductionsde l'Elégie de Gray, et ces quatre traductionsfaisaient fort peu d'honneur à l'érudition anglaise.. Et pour-tant l'un de ces docteurs avait précède Porsondans la chairede grec de Cambridge. Si l'on objecte que le docteurC&okc (n'est de lui que je parle) n'avait guère de réputation,nous ~!Ion& prandre un helléniste indiscutable,un hommed'une précision pointilleuse, Richard Dawcs, l'auteur bienconnu des « Misce)kneacritica! Celui-là, il était un vraigourmet en fait des finesses de la syntaxe grecque il eutété en Grèce un érudit de quelque valeur, et plus d'unefois il prit à la gorge Richard Bentley. M écrivit, il publia.la traduction grecqued'une partie du Paradis perdu, ainsique deux idylles pleines de flagorneries qu'il dédia aGeorges HI,. au sujet de la Mort da son < auguste papa,Il est difficile de rien concevoir de plus niais dans laconception,, de plus enfantin dans l'exécution que cesdeux tentatives. Je vais maintenant '~Hf opposer le~ver~iambiques composéspar ur enfant qui mourut à dix-sépSans il était fils de Aï. Tomtine, évêque de Winchester,qui fut le précepteur de M. Pitt Je soutiens absolument

f~f~M'M~M~.–Onte~ trouve~am i~n'~M de'~Jjt.itcH.cv?',e jgCa);utta, sur t'afticfcgrec.A cetteoccMio)), je ferji ) c~t~tqt.t.~tiû u< \e):t

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que la faculté de donner aux idées un vêtementgrec estdu ressort de la sensibilité naturelle, et qu'elle est presquesans rapport avec l'étendue ou la précision grammaticale-que possèdecelui qui écrit en grec.

Ces explications sont-trop longues. Le lecteur compren-dra en somme que ce qu'il me fallait en pareil cas, cen'était poi!M-!a-c<w)ajssance précise et familière de lasyntaxe en cette langue, ce n'ëttMî pc'mt une copia verbo-.TMM!, ce n'était point uneexirême agilité à parcourir lesrapports mutuels des idées, c'était surtout la faculté deconsidérer les objets modernes, étrangers à- l'antiquité.sous un aspect capable de me suggérer des périphrasesquand !e mot propre faisait défaut, et de donner de lavivacité à ma traduction avec des idiotismes pleins desaveur et de variété, partout où l'occasion se présentait.J'y réussis et je me surpassai, car pour la première fois,M. Lawson.me félicita vivement. Cela. ne lui était jamais-arrivé, comme on le savait, et ce fut aussi la dernière fois.il me fit un autre compliment d'une nature plus substan-tielle, qui mit le comble à sa gracieuse condescendance,~e veux dire qu'il me plaça provisoirement dans la classesupérieure. Ce n'était point alors la classe supérieure, caril y en avait une autre plus élevée, mais les jeunesgens~ui la forntaientallaient prendre leur vol vers Cambridgedans quelques semaines; alors ia première classe s'ouvritpour nous, c'est-à-direpour, moi et deux autres.Deux ou trois jours après cet examen, un dimanche,je transportai mes pénates chez. M..Lawson., Vers neuf

-tomme ceax de Dawes,où l'on se propose d'imiter Homère ou Théocriteg.en d'une manière generate, que des vers hexamètresdactyliques, sont par.~aitement inutiles pour. prouyt:r qu'on a la facutte de penser en grec. En!es examinant, on verra que la magnificenceorehe:tra)e du mètre, que la-c~denc:sonore qui est propre à chaque vers isoté, impose nécessairement-jt la pensée tadiseontinuite;Le~ yers iambiquess~nairessottseuisexen~pisde ce défaut, car ce mètre possède la facutté de se'rEouter, de recevoir

~i'T!'=f! d-* !s~<-a!e*, et Mu: r:ppc:t i! ts: :~sb'sb!e,s! is:ar~)n vers bhnc des Anglais, tel qu'il est mani~ par Mi)ton.

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heures du soir, un domestique me conduisit par un petitescalier, me fit traverser une enfilade de petites chambresobscures et démeublées, qui avaient des fenêtres, mais pasde portes, jusqu'à la salle commune (comme on dit xOxford) qu'occupaient les seniors. Tout s'était réuni pourm'accabler. Je quittai la société de femmes charmantes, cequi était déjà une perte sensible. De plus, la saison étaitpluvieuse, et cela est suffisant pour produire de la dépres-sion. L'aspect désolé des chambres mit le comble à monabattement. Mais la scène changea dès que la porte futouter:~ Je vis apparaître des physionomies pleines d'ani-mation. Quinze ou seize jeunes gens étaient dispersés dansla chambre; deux ou trois d'entre eux, qui paraissaientd'âge à les diriger, vinrent à ma rencontre et me reçurentavec une politesse sur laquelle je ne comptais pas. Labonté sérieuse, la sincérité absolue qu'on voyait dansleurs façons me fit l'impression la plus favorable. J'avaisvécu familièrementavec des enfants venusde toutes Ie&

parties de l'Me, à l'école de grammaire de Bath, et pendantquelque temps, a Eton lorsque je rendais visite à LordAltamont, j'avais fréquenté des enfants qui se piquaientd'appartenir à la plus haute aristocratie.A Bath et à Eton,.régnait, à des degrés divers, un ton souverainementpoli;l'extérieur, le langage, la tenue annonçaient chez presquetous et dès l'abord' une connaissance prématurée dumonde. Ils avaient sans doute l'avantage sur mes nou-veaux amis, sous le rapport de la réserve gracieuse, maisd'autre part, ils perdaientà être comparés avec ces :n{antsde Manchester au point de vue des qualitésd'amour-propie extérieur et de dignité. A Eton, les titres étaienten grande abondance; dans l'école de Manchester, beau-coup d'enfants étaient fils d'ouvriers, ou de personnesdecette clause, quelques-uns même'avaient des scëurs quiétaient servantes. Ceux qui occupaient le rang le plusélevé par la naissance et l'ancienneté appartenaientpour lap~psrt $ Sa ncMcssc de cs!)!psgncos as cierge. Je crc~

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atM&i qu'à l'eMeption de troi&~t ~wtre itères, qwi <!«<iaatfils d'un clergyman a Ynri~ tous étaient eotmne moi duI~anof&hire. A cette époque j'avais tr&p peu d'e\périencepour avoir une opinion de quelque poids au sujet desprétentions de supériorité morale on intellectuelle quirégnaient dans les différentes provinces de hêtre île. Maisdepuis j'ai reconnu que je pouvais être d'accord avec leuled<*cteur'CookeTayIo'r, et concéder !a supër<oritë auxnatifs du Lancashire, au point de vue de l'énergie, del'aptitude à affronter la souffrance et d'autres beU<;s qua-lités. Il y a un siècle, ils se distinguaient déjà par leurculture et la délicatesse de leurs goû<s. Nulle part enEurope si ce n'est dans quelques partie de l'Allemagne,ils n'avaient de rivaux dans l'habilite 'nwsicale et-la sensi"bilité; .aussi même aù temps de Haend~, les chanteurs dechœurs du Lancashire jëtaicat les .seuts pfmr qui sesoratorios ont dû ètre un trésor, q.nip~urles~utres .futtoujours sinon formé, du moins tr'es imparfaitement<;onnn.

Un des jeunes .gens, remarquant mon air abattu, m'ap-porta un peu de brandy. Je n'avais jamais soute l'alcop)sous cette forme, ne connaissantque le vin et n'en ayantjamais bu en quantité suffisante pour me troubler l'-esprit.Aussi je fus très surpris .du changement soudain qMi s'o-péra dans mon état, changement ..qui me .rEndLt .aus-sitôt .mon aptitude naturelle pour la conversation. Il nelui manquaitplus qu'un sujet assez intéressant. Et ce sujet*sortit de la manière la plus simple d'une remarque qui mefut faite .par un des enfants il donnait & entendre que je.m'étais.arrange de mon mieux pouresquiver, en arrivant,..l'exercisedu-dimanche;soir.– Non, repondis-je, pas duMut, mais quel eMit cet exercice? –Tout .simplement Jatraduction orale dans le petit livre, .de Grouus sur l'E~*.depce du chrtst~iMsme~ –- Connaissais-je Je jivre? -–

't.eM<e<x<ctee9t:t~cAr~Mt<Fr~t'Ot!fx.tr~

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Non; «Mt ce que je savais par moi-même de Grotiutmvait

pour base ses traductions en vers latins, de nombreuxfragments qui restent des tragiques grecs, traductions quim'avaient frappe par leur beauté remarquable. D'autrepart, son livre d'un caractère plus élevé « De Jure j?~~ et

dont lord Bneon a fait un si grand doge, m'étaitentièrement inconnu, mais j'en avais entendu parler parune personnefort réuéchiedans des termes tels que, seiontoute probabilité, Grotius était mieux doué et se savaitmieux doue comme homme de lettres que comme philo-sophe. A propos de son petit livre sur les révélationsmo-saïque et chrétienne, j'avais entendu des jugements toutà fait dédaigneux, deux entre autres. De l'un, il ressortaitsimplement que le sujet était traité avec une force logiquebien inférieure a celle de Lardnerou de Patey. Aussitôt,plusieurs jeunes gens exprimèrent vivement leur appro-bation, surtout n l'égard de Patey. L'~y~c~cM de cetauteur, avait paru sept ans auparavant, et énit deve-

nue déjà un sujet d'étude parmi eux. Quant à l'autre ob-jection, elle s'attaquait inoins a la pénétration dialectiquede Grotius qu'à son érudition, du moins sur un point par-ticulier. Selon une anecdote bien répandue, le docteurl'EdwardPococke, le grand orientalisteanglaisdu xvue siècle,fut engagé à traduire en arabe ou en turc le petit ouvragede Grotius; il réponditen mentionnant la sotte légende du

.pigeon ou,de la tourterelle qui servait d'intermédiairecntre-le prophète et le ciel; légende accréditée et adoptée parGrotius avec la plus aveugle crédulité. Une fable aussi malfondée produirait,selon Pococke, un double inconvénient;

-d'abord elle détruirait l'autorité de ce livre-là en Orient,deplus elle nuirait au christianisme pendant bien des géné-rations, en apprenant aux sectateursdu prophète que leurmaître était l'objet du mépris des Francs à cause de ce

conte de nourrice, et parce'que des contes de ce genretrouvaient accueil auprès des ér~dits chez les Francs..11 ~njésulterait~undosbif dommage.) d'abord, le chrjstia-

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nisme serait méprisé dans son érudition et-dans la per-sonne de ses érudits, mais cette conséquenccpouvaitlaisseraux mahométansla conviction'quele christianisme avaitune force propre, indépendante des erreurs et des sottisesqùeses.déienseurs commettaient. Non, en outre, il se pro-duirait dans ce cas une forte réaction contre If chistianismelui-même. On soutiendrait d'une façon assex plausiblequ'une vaste philosophie religieuse ne 'devait guère avoird'arguments puissants en reserve, s! elle attaquait le maho-métisme sur une fable aussi puérile. Adopter cette légende

cmême sans la blûmer, parmi des nations qui niaient pase!t rapports directs avecles musulmans,cela seul indiquaitnans le christianismeune faiblesse choquante, et tous sesarguments étaint fondés non pas sur la force propre, mais r

sur les points défectueux de son adversaire.t

La cause de Grotius paraissait tout à fait désespérée. sG. )eune garçon, dont j'eus plus tard occasion d'admirer ttout la fois le courage, la loyauté et la prévoyance,chan- {

gea tout à coup le terrain du combat. H'ne'cherchapas a [

défendre la ridicule fable du pigeon au contraire il mitdans un même sac le pigeon et un autre oiseau qui, selontes musulmans, conduisit les premiers croisés, une oie quisans doute a été un personnagehistorique, dans un cer-tain sens. Il reconnut donc que sous ce rapport Grotiusn'était pas défendable. Mais en somme, quand il s'agit dupoint essentiel, de l'inférioritéapparente de Grotius enpré-sencedePaley, etc., il bouleversa d'une phrase tout l'édi-fice. de ce parallèle.– Pale Lardner, dit-il, quel but se j~

proposaient-ils? Leur bût avoué c'était de triompher partous les arguments, toutes les évidences, toutes les pré-

'somptiohs, quellequ'en fût la~source, et de les faire con-courir à prouver tous les éléments du christianisme sansexception. Bien, c'était là ce qu'ilsvoulaient, était-ce aussice qu cherchait Grotius? Pas--du tout. Bien souvent lejeune G. avait remarqué à part lui, que Grotius laisse de

'côté sans' motifs visibles, des arguments de premièreforce;

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auMi G. Je soupçonnait-ilde rétrécir lui-même son champclos~volontairementet cela-pour des raisons tout extë-rieures. Il lui semblait évident que Grotius avait ses motifspour refuser les évidences qui lui venaient d'une classeparticulièrede témoins. La-dessus plusieurs d'entre nousse mirent à rire de le voir se faire sa part avec une har-diesse orgueilleuse. Il paraissait agir comme certains versi-ficateurs dont l'adresse acropatiques'évertueglorieusementa composer une série de stances d'où ils excluent succes-sivement chaque consonne,chaque voyelle, chaque diph-tongue; leur succès peut se comparer à la couronne delauriars .qu'un coureur gagnerait en sautant a cloche pied,à ceUe qui imposeraitaux copcurrents l'inhumaine condi-tion d'avoir les deux jambes dans un sac. – « Non, non,interrompit C. avec impatience,, toutes ces luttes fantas-tiques avec des difficultés qu'on s'est données soi-même,ont un but d'ostentation et ne profitent à personne. MaisGrotius, en s'imposantces exclusions, avait un dessei)\par-

sticulier, et il a obtenu un résultatqu'il ne pouvait atteindreautrement. Si Grotius n'accepte d'autres évidences et.d'autres probabilités que celles qu'admettent les musul-mans, les infidèles ou ceux qui restent neutres, c'est qu'ila écrit son livre pour un public distinct et particulier.L'in-diHer.entsera docile aux autorités tirées des indifterentsnotoires les musulmans témoigneront de la déférence auxaftirmationsdes musulmans; les sceptiques s'inclineront.devant les arguments du scepticisme. Tous ces gens, quiauraient été arrêtés dès le seuil par des témoignages quis'annoncent avec un caractère hostile, écouteront attenti-

.vement les suggestions qui leur sont offertes dans un espritconciliant, et à plus forte raison, celles dont les auteurssont partis de l'endroit même ou ces auditeurs sont res-tes.

Au risque de commettre une longue digression, je mesuis kisse alier rapporterune première conversation entreces pnnopaux ëiéyes. G. avait* tout à fait raiso~ quand

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il voulait employerune clefsecrète pouf er~querte{~tlivre de Grotius, je l'ignore. Si je l'ignore, c'~M par mafaute, car j'ai dû être invité hpayermoa écot dansles étudesdu 'dimanche soir sur le De Veritate et par suite tMmoyens propres résoudre la question ont été i 'ma =

portéeEn tout cas cette force solitaire d'observaltonsi)enctt.ase

chez un garçon de quinze ans, cette idée perspicace de iG.en opposition direcce avec l'idée .reçue, me frapperont.d'admiration. En même temps <e me demandai ï'H avahtort-ou raison en ce qui regardait le fait lui-même. Lorsque,dans une chasse entraînante comme un torrent, t~t'une.ardeur précipitée dirige tous les.éians da.nsui seubcoarant,une personne est capable de songer en un clin d'ceit auxcrochets inattendus du gibier, qu'elle le suit du mêmemouvement, qu'elle résiste avec obstination aux inc'!nct'id'une arrogance impérative, cela n'indiqùe-t-il pas ~ie.sagacité bien rare dans l'enfance. G.avait-il raison PAloitl ouvraitpar surprise une serrure que les autres n'avaient.pas su ouvrir. Se trompait-il? Dansée cas il avait tracé leIle.plan et l'esquissed'unouvragemeilleurque celui de<jrotius,.en ce sens qu'il aurait été :plus original et 'plus approprié.a un but déterminé..Toutefois ce n'est pas à cet enfant, mais à !toute l'écoleque j'ai voulu rendre hommage -et témoigner ma recon-naissance en cette occasion. Plus Mrd., ,quand )'étMs sous-gradué à Oxford, j'étais bien piacéipour voir comme dans unmiroir, les prétentions caractéristiqueset le niveau moyen.de la plupart des écoles renomcoé&s. Ce miroir, c'était laconversation ordinaire et les JivMs.favoris des jeunes gens

'Je su'd <xcusab)s, dans unocertatae mefMre, de tette négligence,carpeu de temps après monentrée, M. l.awsonrEtt)p)a;ai!atecon dudimanchesoir, Grotius par )e Nouveau Testament, du docteur Ciarke. < Loin des

.~Btix,.)oiodu &0)tveair. » <T~t ')A ~e 'iettt.focf qu<: je paiste Uottuer pourmon oubli d'éclaircir ce sujet. J! peut.se.faire, après tout, que je i'itte-réellement êctait'ci.m~isque te courant des années ait fini par ftjeter lettMdtjUturtebofd. j.),)

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en r&be qui .appartenaient aux nombreuxcollùges d'Oxford.Disons d'une manièregénérée que chaque collège était onrelations niiales (strictes ou non) avec une .ou plusieurs.de nos grandes écoles publiques. II es,t heureux pourl'An~lMerre que ~es écoles soient dissén~inées dans tousles ~om.tes. Comme toutes les nominations aux principauxemplois dans ces écoles .publiques sont souventconféréesparJa loi aux Universités .d'Oxford ou .de .Cambridge, i) enrésulte que le système d'enseignement .~at exilent. S'il Mproduit des .lacunes, on peut sans doute jt~s .attribuer auxindividus et leurs études. Et m&oie, à mon avis, casiacuoesN~en sont pas. Les prodiges d'instruction classiques,ceux mèn:<es qu'on pourrait qualiner de merveilleux, n'é-taient pas alors, et n.e :sont pas aujourd'hui, peu communs.Et cepBndjMt, sous un certain rapport fort important,nombre de ces écoles .et des meilleures,a les juger par leursiruits, laissaient l'impression désagréable d'une lacune. Ou

plutôt ce n'était pas une lacune au point de vue de l'objetqu'elles se proposaient forœeUementj jc'etait un dédainvolontaire, systéma.tique a. l'égard d'un objet qu'elles con-sidéraient comme étranger à leur tâche; cène lacune étaitrelative à la littérature tMC~?' on négligeait d'en lire leschartes expressives, et dans cette littérature moderne, ondédaignait par une faveur spéciale, qui paraît fort brutale,notre littérature nationale, anglaise, et cela tout en pro-clamant à son .de trompe son évidente supêdorité. Moi,qui jour et nuit faisais brûler J'encens de mes hommagessur les grands .autelsde la Poésie ou de.Hcloquence anglaise,j'éprouvais Mn sentiment .d'h.unuJ.iMion et de révolte, lors-

que .je refMootrais des .}euNes .gens à l'esprit sievé, dont j.e

coeur brûlait en ivaia d'une sensibilité qui cherchait unobjet digne d.elle, et .que je trouvais en eux Mne ignorance

*&rt0f<'t Ott «xt. -:Dans quelques collèges les droits des abattit(bo:trMers) de certaines écoles étaient formels; dans.d'Mtres, ils ettientcoadiHonne)s~ dans d'autres enfin; iis étaient en compétition avec ies'–" !)<<–<–<<:«. n~~ fjt«<'tf..

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absolue d'un culte qui eût pu les satis<«ire largement; )e!veux dire d'un magninquehéritage littéraire, qui parfoisexcitait: l'envie de nos ennemis. Qu'il est'douloureuxdevoir ou de savoir qu'il existe des mondes de'grandeur etde beauté voués & une destruction incessante, des forêts où<e déploie une vie luxuriante, des fleurs sauvages éternelle- sment inaccessibles, alors que d'autre part à ce malheurcorrespond un malheur égal, je veux dire, alors que la ?même puissance pour éprouver le bonheur se dépense enpure perte se consume sans avoir jamais eu d'objetC'estlà en .éalité un gaspillage,dans le monde des impressionsde plaisir, et il est parallèle à une perte égaie dans les or-ganes et le système du plaisir. Ce. tableau n'est-il paspropre à serrer le cœur d'un Anglais? Quelques années,c'est-a.dire vingt ans avant mon entrée, à Ox{<~rd, circons-tance qui m'a fait souvenir douloureusementde ce dédaina l'égard de notre littérature nationale, il y avait à laCour de Londres.un ambassadeur français, homme qui,aeion quelques-uns, représentait brillamment l'esprit na-tional à vrai dire il possédait quelque chose d'infinimentplus noble etpiusprofond,depatriotisme.Car le patriotismevéritableet dépourvu d'affectation, se fait aimerd'un amourgénéreuxpar !a sincérité et la vérité.' L'esprit national, aucontraire, ainsi que je -l'ai toujours vu, est niais; il estmalhonnête,il est dépourvu de grandeur, il est incapablede simplicité; toujours assiégé par des tentations de mau-vaise foit il finit par se changer peu.peu en esprit demensonge. Ce Français mettait au-dessus de tout Ja litté-rature c'était sur ce champ de bataille qu'il avait conquistous ses trophées, et pourtant, quand ii dut passer en revuela littérature de l'Europe, il se~it dans son honnêteté cons-ciencieuse, obligé à faire de sop ouvrage un-monument àl'honneur d'un seul homme, qui avait pour patrie un paysennemi. A ses yeux le nom de Milton effaçait tous lesautres. Cet homme était Châteaubriand. L'éclat personnelqui l'entpurait.donnait un éçtatnare~a<sduits..Etpar

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suitede sa qualité d'ambassadeur, .c'est-à-dire d'hommereprésentatif, cette, conduite pouvait être prise pour un.acte représentatif.Dans cette circonstance le génie tutélairede la France semblaits'inclinervisiblement .devant le géniede l'Angleterre. D'autre part un hommage aussi libre, unaveu aussi noble avait droit de recevoir un accueil égale-ment empreint de générosité. Ce n'était pas comme letémoignage de Balaam en face d'Israël, une soumissionforcée à. une vérité odieuse, c'était l'honneur rendu dansun esprit de magnanimesainteté, à un intérêt qui, dans lanature humaine, dépasse d'une grande hauteur toutes les.considérations purement nationales.

Cela dit, à ce respect sans bornes que professait envers.un astre brillant de.notre monde, littéraire, et que rendaitpubliquement .un Français. notre ennemi par .nature,erparéducation, opposons le spectacle humiliantde jeunesAnglais, à qui on laisse, du moins pendantleur instruction,.ignorer jusquà l'existence de ce puissant poète..Celaveut-il dire qu'il faille, selon moi, placer le..Par~er~K, leParadis reconquis, et le ~tM~OM, dans la bibliothèquedes.écoliers? Nullement. Le degré de sensibilitéqu'il faut pour-éprouver la sublimité miltonienne,est rarement développé-pendant l'enfance; la prudence demande que ces ouvrages.divins soient mis en réserve pour la virilité, accom-plie.. Mais on devrait faire connaître qu'ils existent, etquels sont les principes de respect souverain pour le.poète qui font agir ainsi. Jusque-là, des extraits de Milton,de Dryden, de Pope, et de bien d'autres écrivains, alors même;qu'ils ne seraient pas appréciables à toute leur valeur pourceux qui ne connaissent pas grand'chose de la vie, ne dé-passeraient pas, en général, l'intelligence ou la sensibilitéd'un enfant de seize ou dix-sept ans. Dans les autres.branches de la littérature, il en est deux que je vais indi-quer, qui sont capables (ou pourraient le devenir entredes mains habiles) d'exciter l'intérêt .chez ceux. qui sontbords ae l'enfance et n'ont pas encore atteint l'âge moyen

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<~t ]roo! pM<< se faire imm<Mtie~!er dans une Uoiversitéanglaise, jet feo~ dt~e !& fin de ht dix-hmiteme année.Che!fche<daas Ïe~.hmgueade tous tes pays, depuis ta mys-tique Benarès, les bords du. Gange, a!!M à l'ouest auxsources de fHudson, vous mets ait dën. d? .trouver,pour former une bibliothèque micressartM en vo<' de lajeunesse,rMn: do mieux que ce qui suit

En premier lieN, M. Cousin a sewena' fecenttMfMt âneerreur que l'on pourrait qualitier -de mensonge, si eUe nes'expliquaitsimplement par l'i~nofanceeonftplète da sujet;H préteMd <p«~ nous n'avons pas de ppesaMur passabledepuis Bacon. Cela est faux Icxvn* siécfe, et surMer lapartie de ce siècle- à laquelle il fait aUusion, e'est-â-diretëzS-tyoo, a produitdes oeavres d'une etoqacnçe achevée,éloquence philosophique et en même temps pa.faite aupoint de vue de la forme littéraire et de la passion; il est.d'une: richesse' que ne connaît pas ta !ittera<ure française-en prose, il est le point culminant'de notre littérature, etpas une lit~ïe de' cas ceu~res qui ne soit postérieure a lamort deLordi Bacon. DonKe, ChUiingwoFth, sirThotHa~B:'Gwne, Jeramië Taylor, MUfon, South, Barrow formentun~~t~, un~ constellation des sept étoiles d'or, dontaucune littérature ne peut offrir l'équivalent dar~ leurgenre. Il me suffirait de prendre ces sept écrivains, etd'omettre tous leurs contemporains, si je me proposais deconstruire un système complet de philosophie refatTfauxintérêts suprêmes'de rhuma'aité~. Uneerreurde M..CoNsïn<onsïstë'e~tdenientà ne pas voir ee' iait, qu~ tous lesproblèmesphiitoMphiques,quels q~'Hs soient, peuvent se i

'PA~oM~At'e.–C.'estàpfopu~dect'motqu'ilpourraity «voirunnuJee.-tendu. B!e') des ge~s..se jffguroont que le magasin.de ces fcrhain~ cot-t~entt 'l tt~c'egxt et non dtf )a pMtotOphië.Mais j'<i stiMeatt qteh)Bepart que la totai~de ce qu'il ya dephUosophieenAngteterre~'est. tourjours cachée dans fa scieuce ecc)~!astique angtaise. Jerémie TAytor, par~ttmpie~ooayatbntre-.Muttes c6t~s p!%tii!ue:'d<~ia p!nfoso))t:ti~d~ ce!)6~<i a ~eui'. 6S{ett!ft v)e, ta me<~)e, h pfttdenea.soaTeratUtted'.ttd'ttM;de Cette que les Grecs rapportaiertai !Mm);t)tM toHMM,

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présenter de nouveau sous un masque thooh)giqac; il s'estaina.di~eMe de 1~-e bien des libres anglais qu'H prenah,d'après les. a.pparencos, pour des traités de controversepro.testante, alors qu'ils sont réellement une mine inépuisable.d'eloq~mc~et de spéculation phitosophique.Ea second lieu un choix très complet dans la littéra-turc dramatique anglaise, depuis l'année !~So }usqu'en~t635, époque où elle fut congelée par le froid do l'espritpuritain qui assaisonnait toute chair pour Ja guerre par!e-mentaire. Il n'est pas de littérature, sans excepter mêmecelle d'Athènes, qui ait jamais offert un théâtre aussi va-rM~ u~ déploiement aus&i carnavalesque; tant de typesmaaqMes ou démasques, tant de vie passionnée, qui Kspi-ra.y remMait, agissait-, souffrait, riait

Q)«~Htc! <u)t< /tOM)t)te~, votum,, timor, ira, fo!i'p~,GftH<<)'~ (fi~CM).!t<~

Tout c<Ia, mais avec plus de sincérité, plus d'exactitudequ'on n'en trouve, et qu'il ne peut y en.avoir dans legenre adopté ph<' !e sombre satirique, tout ce que- nos an-cêtres du moyen âge représentaient; dans. leurs « DansesQ&& Morts scènes d'ivre~s douloureuseou riante, tQutcela, nous le retrouvons en groupes scéniques, sn vête-mea,Met en couleurs.resplendissantes.Qu~le aut):& n~taonpeut offrir une littérature dramatique comparable. Ledrame athénien, a disparu en grande partie, celui de Romea péri, étouffé'dès sa naissance par les sanglantes réalitésde l'amphithéâtre, comme la lumière d'uae bougie devientinvisible. au soleil. Le drame espa~nol~même après a.voirpassé par les mains de Calderon n'offre que des esquissesinachevées. Ls théâtre françs::s a bien des défaut essen*tiels que l'on n'a pas encore définis avec )usiesse,*tnais il Ilcette infériorité évidente, qu'il n'atKigaits.on~apogée que.soixante ans, que deux générations, âpre:; le nôtre. H este?' <MM! grande periads du drame anglais se fermaprecisëmem quand s'ouwcit l'époque di: théâtre, tt'&a'.

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cmx celui-ci a donc perdu tu supérioritémerveilleuse quet}onne à la scène une époque romantique et pittoresque.Cette époque s'était évanouie quand le théâtre françaisatteignit son apogée; i) s'ensuivit naturettement.que tadélicatesse française, qui alors était trop développée,étouffa ou fit'dévier tes libres mouvements du génie de !a<union.

Je prie le lecteur de me pardonner cette digression troplongue, & taquette m'ont entrainè mon amour pour notrebelle littérature nationale, mon désir de la voir figurerparmi les moyens d'éducation, avec des ressources minis-îërieHes d'une étendue bien plus grande; j'ai voulu, entout cas, protester contre le dédain superficiel qu'on pro-fesse a l'égard de nos:meilleurs écrivains h ce dédain nouspourrions devoir un reproche cuisant, celui de « marcheravec des souliers à srosc!ous)t (pour employer t'expres-sion de TCowtM) sur ce que les étrangers d'un esprit élevérégaident comme le. )oy<tù le plus précieux de notre dia-dème nationaL

Ce reproche tombait ;de tout son poids, comme monexpérience dans ses limites m'obligeaità le cratndrt, <arla plupart de nos grandes écoles, si admirablementdtngees

faut -remarquer qae dom !& période qui précéda immédiatementCorneille, la tragédie française avait fait des t(ror:t pour exprimtr ueenotarepta!forte et plus vivante. Gttiïot a tiré d'une vieille pièce (je ne!aittt e))f est de Rotrou, ou de Hardy) une scène extrêmement émou.vante. tt s~f;!t d'un prince qui est devenu amoureux d'une jeune CHe debasse naiMance. Elle est fidèle et constante, mais les eouttiMm quientourent le prince, la calomnient par pure méchanceté; le pftneeMttrompé par les apparences dans les bruits qu'ils font courir, il y afoute cfoi, mais sans se décider, comme ses courtisans l'espèrent, à renoncer àton amour. Au contraire. H esthanté parcène imagede Mn esprit de plusen. plus malade; dans une. scène, le plus vil de ces catomnieteorif~itdeMn mieux pour détourner la pensée du prince vers d'autresobjets' noua~oyomieprince faire d'inutiles efforts pour se maîtriser,pour être at:en.tif, )M!!t !a profondeur de son amour lui fait trouverdes souvenirs atten.drissantsdans les paroles mêmes dont !e but est de )es!ui faireoubiierSelon la remarque de Guizot !ui-meme, cette scène en tout A fait dans lamanière de Shakespeare,et je me hasarde à dire qu'une telle appréciationXUt«!ttic~HHttt);fMt~tttChitt!tB!.t<)UU.

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sous d'autre rapports'. Mais une critique de ce genreaurait. rebondi sans effet sur l'école de grammaire,deManchester, Ma première conversation avec les. ct~ves-avait été amende naturellement sur un sujet fortuit, etm'avait fait voir qu'ils étaient assez familiers avec les uic.ments do la controversechrétienne dans sa lutte avec leJuif, le MahomëMn, l'inndelo et le sceptique. Mais ce n'é-tait la qu'un CM exceptionnel,et nous ne tarâmes pas &

chercher nos sujets ordinaires de conversationduns ht lit-térature, c'ett-à-diredans la littérature nationale. Ce futalors que je commen~ma eprauver un respect profondpour mes compagnons oui, ~'Jtait un respect profond, etil ne fit que s'accroître par une expérienceplus longue.Depuis j'ai connu bien des gens de lettres, des hommes.qui faisaient professiqn de littérateurs, qui étaient connuscomme des hommes voués !t la littérature; quelques-unsavaient adopte un genre spécial, un petit coin où ils exer-çaient leurs talents-!iueraires avec un soin minutieux.Mais parmi de telles gens, je n'en ai trouvé que deux outrois qui sé rapprochaient de ce que je considérais commeune connaissance étendue, telle que je la voyais chez ces.jeunes gens, pris ensemble. Ce qui manquait& l'un, l'autrele possédait; aussi, par des échanges continuels, la contri-bution incomplète de l'un s'ajoutant à la contribution in-complète d'uft autre, les connaissances individuelles dechacun s'étendaient peu a peu jusqu'au total de ce quiexistait.dans toute la réunion des seniors. Il va sans direque quelques points littéraires restaient inaccessibles,mais c'était parce que les livres eux-mêmes étaient horsde ta portée.d'enfants à l'école tel était Froissart, dans.l'antique et trois fois séculaire traduction de Lord Ber-

L'on ptitMnt que des cavra~ tels que le .WcroM!)nc,que l'on saitÏtf< t'œuvft des jeunes cens d'Eton, et par )& mEme de Cannfn~,un dfde!<ttr< );uif)e;,ont d& prodaire un effet étonnant, car la connaissance de-'f!t_)it(j!ratttrenationale était pour chacun des collaborateursnomeutement.atMire de !ym~x!Nt, m.5 :CK:re :d"KMt MiMtenMbte.

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nera; d'Mtoa pMtitt de b it~r~M é!«!ent MtureHc-ment an<}pMM(}<xs de jeunes }!)tt~o<M, M.ua on aeppii*.

quant le terme g~Mr~ d'âpre la. assure que )'ai troMVteen mMge pour les UttOrateura de pro&stion, ~'ëproavaft :tl'égard dû pres<;u< tous let ~niors mes condiscipkt unrespect que je ne <n'ë!<tM) guère aucnttu h r<xaontif à t'gard. de n'itnportt quels eufams. Mea Mbangeit d'Me<&

av<<: ceux d'entre eux qui avaient du talent pour la paro!e/stimulèrent vi«m<nt mon intelligence,

Cet échange fut cepood~t r<!n!erim~ dans de plusétroites limites peu de temps tpr~s moa entrée. Je recon-nais avec an grand !~w~r<'aqne;C)<mitt~«txdetouh:tlexfacilités qui étaient eompanb~es avec t'orsaaiMtion de i'e~tabHM<uaent. Aussi ;'avai& une chambre particulière, quime serMH non s<;).]ement de <:f)binet.d'étude, mais encore.de chambre & coucher. Comu)~ elle était acrëe et bienédaïrce, je n'éprouvai aucun iaconi.'entent h l'employer &

ce's) deux fins. Mais l'effet naturet de cette iadHite deretraite était de me séparer de mes compa~no)~, car, touten nimant la soctété de quelques-uns d'enur~eux, j'avaispour la solitude un'goût mortel, peut-~tre une dispositionmaladive. PotM'donnerun pouvoir plus fatcinateur a ma'solitude, ma mère m'envoya un ~f<T. de Cinq guioec~ann de payer mon ndmiïMon~ a la bibticibjeque de 'Man~che~ter. Aujourd'hui je ne regarderaispas une te!ie bibUo-*thèque comme fort ~~Me, mais eMe e~n.~ompoeced'une manièro fort utile, et très bien admiahtree,grâce anbon sens er a l'inteHJ~encede quelques membres du co~mité fondateur. VoH~ deux choses qui: étatent rëe!tenMntt))n luxe. Uoe troisième, dont m'etai&promit par avanceun plaisir encore plus grand, échoua eamptÈtemeo~poaaun motif qu'il est bon d'indiquer, car il peut être utile àd'autres. J'eus un piano-forte, et en même temps lasurnage nécessaire pn.tn'p'rendre des Iecos<n«t}vi<s d'unmaître de musiQue. Je découvris tout d'abord que huit etmême dix heuce! d'exercicepar jour étaient indispeaMMes

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pwuc Mre un pfcyrM Mtitfhxmntsur <:ct instrument. Une<utre d~tou~orte mit comutt: à mot dtsenehuntew~nt,ce fut f~ie'ei. Étaot du~tM If but p~rticulMr qu~ )t" meproposà<s, il devint aident poof mot qu'aucun degréd'hubilete sur cet instrum~nr, que !t talent nome de That-b~s, <attituuf6jMtMt. Je ~'arriva! que trop tôt !t reùonnn~re<}a< pour goûter touttt !a profon~tuf du. ptaisir mu~teat,l'auditeur doit )5<reth)ns)mé!.nabMtutïM'ntpa~if. ~vene~aussi habile t)u<} vous voudret, il n eo fucdrj pas mo<nsd<r<Mnthe, de'iat vh!t)an<:e, Je!me~tion pour etcumsrd'une manière !rrëprochah!e, < cette dhpumion est in"compatible avec i'exta&e, t<! repcn qm est n~~saire poufjoeif vraiment de la musiqué suppeae< m&w ~u'&apaHi~ff coa~itmMe une vusie machine capable d'exécutertout un oratorio, s'il ~tut un petit nMmvemcM du pied, àde longs !n<e~<ue~ pour que l'~udiMar coUahore rexc-<;utt0«, cela suffirii pour dëfruire tout son p!aisir. Ce futdonc une simple d<!couvcfM pxyehotogiqu)! qui lit évanouird'avance mes arnbhians musi<:a!<!s. AuK.i un do mes p!:m-&iM de luxe creva comme une bulle, dès le temps de monentanM. Puisque dans cet état de chose, l'instrumentétait pMS~ l'état de bulle, il fallait que H} :professeur demusique subit, la même métamorphose. Comme il ctaicirès bon et qu'il me plaisait, je ne pouvais me r~eoneiliefavec ridée d'uacteUecatastrophe. Mais martela honncvolonté dent il faisait preuve dans de certaines limites, ilétait consciencieux et avait un amour~proptslégitime, ïi&'apercBt que je ne faisais aucun e&a't seMeax pour meperieettonaof; aussi un beau jour, ii at< serra la main etprir congé ptntr toujours. A moins d'être employé poursouligner une n~orale ou pour enobe!l'cun; eoote, te pianoétait devenu in'atHe il était trop gros poup titre suspenduaux saule~ et H h'.y a~ait pas de saules dans le voisinage.H reaa làpendant dte& mois~comfne monumeat'encom~brant de travail mal emptoye, de.plaisir .ditaipé eo~meune bulle de mon, coMtCMt~paYeatf de Twoas musicales

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qu'un examen psychologiqueavait disperséespour toujours.Oui, cela était eer«in,sur trois ou: quatre objets, de

luxe, il en était disparu un, qui avait prouvé sa naturefugitive de bulle aérienne; cela était trop certain il s'étaitfondu, mais il en restait bien deux. La chambretranquille,située à deux étages au-dessus des exhalaisons terrestres,et interdite à toute intrusion importune; la bibliothèquede Manchester, dont les divisions les plus intéressantesétaient pourvues avec tant de symétrie et de jugement, –pas une qui empiétât sur les autres –- ce n'étaient pas desbulles, et rien ne s'en était évanoui. Oh 1 comment expli-quer, comment faire concevoir l'inexplicable développe-ment delà destinée mauvaise en moi.meme et chez lesautres dans l'été de !8ot ? Alors que régnait ~sur toute laterre une paix qui succédait h sept ans de guerre sanglante,.mais une paix qui annonçait déj~t l'explosion d'une guerrebien plus sanglante, mon cœur refléta dans ces troublesobscurs, sembla répéter comme.un écho, reproduirecomme un miroir les menaces de la politique;;les nuagesque chassait l'ouragan dissipèrent la radieuse: et.sereineaurore qui .alla précéder mes premiers-, pas dans. lavie ?Inexplicable :.tel est le terme dont j'ose qualifier cettefatale erreur, de ma vie, car c'est ainsi qu'elle doit appa-raître aux: autres. Même pour moi, toutes les fois que jetente de .réaliser le fait. en reproduisantpar un retour enarriére la nature et. le degré des: souffrances qui firentdisparaître mon meilleur ange,,oui, même pour moi cetévanouissement de; mes. facultés de résistance paraît inex-plicable. Mais disons la'vérité pure, maintenant que leschangements amenés par le temps.me mettent:en état dedire. la chose telle! qu'elle fut, au lieu de n'en dire qu'unepartie comme dans les précédentes éditions, il est certainqu'elle n'était nullement mystérieuse. Toutefois ia cir-constance dont il s'agit est un des cas nombreux.qui prou-vent ppurmonesprit l'impossibilité absolue.de faire desconfessions.entiéres~ d'une parfaite franchise, aussi long-

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temps qu'il existe encore des personnes qui eurent 'dnnsles événements. La chose est encore plus difficile quandces personnes,étant mortes et enterrées,surviventtoujoursdans d'autres pe~onnes qui sont attachées à elles parl'affection et la parenté. Plutôt que d'infliger des mortifi-cations à des gens ainsi places, l'homme doué d'un cceursensible préférera mutiler son récit, H supprimera desfaits, et ses explicationssorant illusoires. Par exemple, encet endroit de mon rëdt, j'ai acquis le droit, je devraispeut-être dire que j'aiassume le devoir de qualifierde-bruteun médecin de l'avant-dernière génération oui, certes j'aile droit de l'appeler une'brute criminelle. Mais puis-je lefair~, sans ressentir un profond remords tant que ses fils etses filles vivront, après en avoir reçu pendant monenfance tes soins lea plus dévoués? Souvent le même jouroù mes souffrances me démontraient l'horrible ignorancedu papa, j'éprouvaisquelque soulagement gr~cc aux bontésde ses filles et aux connaissances scientifiques du fils.Il n'en est pas moins vrai que cet homme est devenu monmauvais génie au moment même où l'obscurité d'un orages'épaississait sur ma route. Ce n'est pas qu'à'lui seul, ileût pu faire réellement un mal durable, mais il était pourd'autres un coopérateur inconscient, et par 1~ il a scellé etratiué la condamnation qui tenait menaçant sur ma têteun orage de ps:nes. En'fait trois personnes ont contribuésans le vouloir a ce désastre, cette ruine qui étend sonombre sur moi jusqu'à maintenant encore, et qui alors fitde moi un vagabond errant sans asile, quand je n'avais pasencore dix-sept ans. De ces trois personnes, je fus lapremière par suite de mon désespoir volontaire, de monrenoncement résolu à toute espérance de second-ordre,alors qu'après tout, je pouvais comptersur quelque adou-cissement, en supposant que -la' guérison complète n'étaitpas possible. La. seconde personne futce médecin sansconsciencequi ne sut pas arrctennamaladie avant qu'e!!eeut atteint un degré avancé. En troisième lieu ~venait

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M. Lawaon, dont les intirmi'ttstoujours ~roimnte< ~n~oM(M( )Mttre oa maladie et l'avaient accrue de be«tae tteure.H Mt .etcMt~e, mais il est vrai pourtant que M. L~wtoodevint par décret ua fléau pour to~M ceuK qui tototweMMa< son ta~enee, et cela par son ~Matt<nae & retnpUr t~d~foirt. S'U «It été pire, it aurait ëté béai bicc-plu:) !.inc6-mmeat dans <on entourage. S'U avait pu <e reeonciHeravec ridëe d'oefompUr avec nc~ji~emoe M tâche, il n'au-rait pas si bien fait Y<Mr combien il e!:ut au-dessousde cettetAche tn~me. Man il' ne voulait pas en entendre p<M-ler.Il s'MtèMit i parcourir jusqu'au dernier pwce:Ia <~rri~rcqui lut ,était prescrite, et les x:ea)Mquen&M prouvaientdouiouccutementle mtiMte de ~ous aeua qui J'eaipuraieni,Seten iet <atiqMe< et <MditionBe~t Mswfr<s de l'école, lae!a<M «MnaMHncth&<ept t~eure*du ~Min~aMa~uriootda!a quitter & neuf, et jouir.une hBure.e'MtètB.de repos avantiedc~oer. En CMete~tUM, ~M~~i)iFe~~j'«posétaitstric-.tem=t due Hux.ëJÈ~s, et ne devait aubif tuc~ne .rcduc-~!on 'par le &it .du caprice ou de la lenteur du m~ïn~suprême. Mais ptr suite des empit&temejMs xucce~&if:. surtcette heure, les cloches de l'église oollégiale qui, -selon unwieil usage, .Monnaient depuis neuf heures ~et demie )usqu'a-dix, et marquaient par Aeurs'ehaBSt.nxeat! de .ckf muiie.i!set de rythme l'approche de dixieBwe~hcMre, jBnirent parnous-annoncer qu'à la sortie de la das$e, le,pain etle lait:composant aMtre modeste dë}eucer devaient .être expédiestvee une rapiditéqui convenoitMieux ~ux ;oAsea,ux de l'air.qu'a de: dttciptes de la plutosop~e grecque. N'avions-'&ous pas caeMM compensation, le .dfcit. d'etapiëter mr'rheure SMiv.tta.te, de.dix à OMe? N'9n,:pas tueme d'uoc.fraction de oeeottde.. JM~queJte dertuer.coup de clocheaM<it MMKMaeédix heun:&, 00 voyait M. Lawson monMr~caJier ~e .ta db~c <:dui ~ui sou~'Kut .;e plus .de ce-rigouBea)f. accomp!igsMnent du devoir,, ne. pauvait* pas~àMgwer q~ J~ jL.a~on .en souSrait jmouM..S'~jetait:Mn~pu!)MUt ~j~d d'autnn, U. s'~eoMttait Ae sa dette

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)U<)qu*)r< Atfn!er farthin~. Le n~mo entpif~ment se pré"dui~it, M de même sans amener la moindre compensationpour et qui aurait dû ~tre notre tem}~ de )r<'))('s, les deuxheures <prM io d!ner. Ce fut seulement pour de*: motrfsmystérieux, sans doute pur égard pour les raii~Hs defamille des externes, dont une seule Ytoiation aumit déter-miné une i<t<.urrection de pères et de mères, ~u'H s'~ntint ~d~Iement a cinq heures du soir, cotunif tnomc~tde !a ctôtura des exercices journaiiersde l'école.

Dès que tout fut or~tnise ainsi, la n~ifai~jtnte machinefonctionna avec régularité au bout de six mais, sauf uncourt répit df quatre semaines, eHe avait produit quelqueelfet. Pour commencer, M. Lawson avait s.ms le vouloir,et m&tae à ton insu, fermé toutes les i~u~s par lesquellesnous poovion!,dun)tHin jusqu'au soir, prendre quelqueexercice -corporel. Deux ou trois iatervaUes de cinqmitlUtes chacun, et tous longuementsépnrés, ~'oitu tout cedont nous disposions pour :dter nous promonet' dans lacampagne. Mais dans nnevasM cite comme Mxnchester,nous ~'eussions pas atteint l'entrée des faubourgs que cecourt intervalle était termina. 'Lu manie de M. Lawsondès qu'elic agit avec quelque -résultat fâcheux aur l'abrevia'tion de nos tnstants de repos, ne tarda pus inftuuncct'~r&vement ma santé débite. Le foie devint pardegrëx, et cet état 'fut accompagne de !a disposition qu'ilproduit d'ordiMire, d'une profonde metuncohe. Dans cescirconstances, comme d'ailleurs à la moindre indisposi-tion, t'arais été sconse, par 'mes tuteurs, faire venir lemédecin, mais )e n'avais ~s été laissé libre de choisir moncoasetUer. Celui-ci n'était pas tnedecin; un docteuraurait demandé Je prix réglé d'une ruinée par visite; iln'était pas chirurgien c'~taM'unjMOpie pharmacien. Danste cas d'une maladiesérieuse ~'<tvatsle droK de recourir àtmfaedeem. Mattunoeonsultatiûnd'un prix mMcscie'vépourraitfaiMn~abiementparaîtresufftsantepour une indts--poMKMt peNBettait au pa~Mt-de toaMhier, ~-t'sftt&

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.doute eUe l'eut été, car rien n'était plus simple que tR~ncas. Trois doses da calomel oudepi!u!es hleues, ce quepar. malheur j'ignorais alors, m'auraient certainementrétabli en huit jours. Un moyen, meiUeur encore, et qui ftoujoursopéré sur moi avec une rapidité, une. sûretémagique, aurait consisté A m'ordonner, après avis donné enparucuHer à M. Lawson, une promenade dt. soixante-dixmilles par semaine. Maiheureusejfnent mon conseillermédical était un vieux monsieur comateux, riche au delàde ses besoins, insouciant dans l'exercice de sa professionpar suite de l'usage qui réglaitalors la pratique de la méde-clne, il était interdit aux pharmaciens de recevoir deshonoraires pour consultations, et H lui fallait subir Jedouloureux expédient qui consistait à se faire payer en.recommandantune quantité fabuleuse de remèdes. Mais.~in)p!ement par paresse, il s'abstint de me tourmenter parla variële de ses médecines; avec une simplicité sublime, il~'en tint à une affreuse mixture, dont la compositions'était-présentée h son esprit quelque jour ou i! avait eu ùtraiter un tigre. Dans les circonstancesordinaires, avec unexercice suffisant personne ne se portait mieux que moi.Mais mo~ organisation était d'une fragilité périlleuse lut-ter en même tempscontreun telle ma!adie,etcontre un te!}~médecine, celq semblait trop. Le proverbe nous apprendque trois déménagements sont aussi désastreux qu'unincendie..qela, se peut. Je suis porté à croire, d'après Je 1même etpri~ de comparaison mathématique,que trois dosesbonnes pour un tigre équivalent à une attaque d'apo-plexie, ou même au tigre lui-même. Apresen avoir prisdeux, qui me secouèrent assez pour me laisser à peinevivant, je me refusai à exécuter l'injonction coUée sur.chaque fiole, et ainsiconçue < Repetatur haustus. Au lieude me. hasarder à cet acte périiïeux, j'envoyai chercherM. (le pharmacien)et je lui demandai si dans l'arsenal deson art, qui passe pour posséder une innnité de ressources,Hn'txistait aucun remède qui fût moins abominable, et S

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qui ebranUt moins un organisma aussi délicatque cetui.ci.

– < Non, il n'y en. a pas », me répondit-il. H était très t'en,il insistait pour que je vinsse prendre du thë avec sesfilles, qui étaient réellement aimable, mais il me répétaità différents intervalles <t Non/il n'y en a pas, il n'y en apas puis il rassemblait ses forces, et criait très haut

n H n'y en a pas x en appuyant sur les dernières syllabes,qu'il prononçaitainsi n en-en-en a-a-a pa-a-as 1 a Toutl'esprit que possédait cet homme avait.ctd dépensé, sem-b!ait-it, dans la composition de cette infernale mixture.

D~ lors, à nous trois, M. Lawson, le'somnolentpharmacien,et moi–nousavions construitune echeHe oùles fautes allaient croissant. M. Lawson n'avait eu qu'~ semontrer scrupuleux,pour détruire ma santé le pharma'cien avait souscrit pour sa petite contribution en ratifiantet triplant les effets fâcheux de cette vie renfermée. C'étaita moi, le dernier.de la série, à parfaire et compléter lerésultat en apportant ma faible part, la seule chose quej'eusse à offrir, c'est-a'dire mon désespoir absolu. Ceuxqui ont parfois souncrt d'un grave dérangement du foie,savent pf;ut-ëtre que dans toutes les gammes du decoura".gemcnt humàin et leurs infinies variétés, il n'en est pas deplus redoutable. L'espérancese mourait en moi. Je n'avaisaucun secours a attendre de la médecine, grâce a 'maprofonde ignorance, qui n'avait d'égale que celle de monconseiller officiel. Je ne pouvais espérer que M. Lawsbnmodifierait son système; l'instinct du devoir était tropfort en lui, et son incapacité à remplir ce devoir devenaitchaque jour plus évidente. « J'en arrive au point, pen-sai-;e, qu'il ne reste plus de secours qu'en moi-mêmeD'ailleurs pour tout homme, la dernière ressource n'estautre chose que. sa propre personne. Mais ce lirai-mêmeparaissait en état de banqueroute complète, banqueroutede conseil, d'avis, d'effort dans le sens de l'action, –de suggestion dans le sens dé la direction suivre. Depuisdeux mois je poursuivais ~«~m de mes tuteurs ce quei~)t4J.'

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j'appelais une négociation dans ce but; l'objet que je me

proposant était d'obtenir que mon séjour à r<co!<: f<threge de beaucoup. Mais le mot de négociation était unedésignation trop Hatteuso pour une correspondance oudepuis le commencement je n'avais trouvé en mon tuteur,rien qui ressemblâtà l'ombre ou h l'apparence d'un com-promis. A vrai dire, quel conirromis e~i: possible, quandd'aucun côté l'on ne pouvait faire de concession p~rdettc,si petite qu'elle fût il fallait tout ou rien, car nul M<e~o~W!M~ n'était admissible. Lorsque je jetai un premierregard sur cette vérité désagréable – qu'il n'existaitaucune possibilité de concession ntutneUe, et que l'unedes'deux parties devait tout céder, je fus frappé de l'idéenaturelle qu'it ne faHatt compter pour cela sur aucuntuteur. En m'me temps je fus frappé de cette autre idéeque mon tuteur n'avait pas un seul instant discuté en vued'un résultat eSecttf, mais simplementdans l'espoir de meconvertir à ce qui, raisonnable ou non, était irrévocable-ment etab!i. Ces deux découvertes par leur lueur soudaineet simultanée, étaient tout fait suffisantespour mettre finbrusquement a la correspondance. Je compris aus.si undétaU qui par un fait 'étrange, m'avait échappé jusqu'aumoment où tous ces désappointementsse révélèrent, savoirqu'un de mes tuteurs, fût-il même disposé à céder, n'étaitque l'un des cinq. Tant mieux dans les ténèbres quim'entouraient de touscôtes, cela fut pour moi comme unelueur de vrai encouragement.Après avoir dépensé si long-temps jusqu'à minuit d'excellent papier et du suif (j'aihonte d'employer. ua mot aussi bas, mais ma véracitém'empêchede dire de l'huile) si le résultat obtenu devaitêtre insignifiant, c'était une sorte de consolation que dene pas l'avoir atteint.Toutes les raisonspossibles s'accor-daient 'désormais pour m'engager à ne plus perdre marhétoriquemon. suif et ma logique avec ce tuteur, blocimpassible de granit. A la vérité, en relisant sa dernière<:oaimuatcation,}e soup~ant!M$quej'avais cpuise jusqu'au

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Jcr'tkt pMM <)~ M p.tHentë, ou pour cmployemn termede marme qu'il avait toute la lon~"r du câble aubout duquel il s'asi'ait. Des. lors si gavais voulu imiterFapothicaire avec son « rcj~ctatur hausties et voulu luifaire avaler une dose nouvelle de sollicitation, il auraitimité ma réponse à l'invitation d'avaler la troisièmepotion, en m'opposant son tion résolu H mon auda-cieuse MUttHive. Je dois cependant rendra justice ti montuteur d'abord et surtout l'absence d'arguments do mapart, et de motifs d'une apparencesérieuse, le peu d'impor-tance qu'il attachait à ma maladie de foie, qui pour luiavait dît n'être qu'un mot, s'ajouteraient aux considéra-tion* puissantes qui suivent tt que cet enfant étourdi,aurait-il dit, trouvera de quelque poids dans trois ans.Mon revenu patrimonial, comme celui de mes ft~res, atûiaau nombre de trois, était de ceht cinquante livres lors dela mort de mon père D'après l'opinion courante, ou pourparler plus hardiment, d'après la maxime d'une autoritétraditionnellequi était répandue en Angleterre, ce revenuétait trop faible pour un sous-gmduë passant quatre tri-mestresà Oxfordou à Cambridge~ Trop faible de combien?de cinquante livres, le revenu nécessaire étant fixé à deuxcents livres. En conséquencela somme que l'on supposaitil tort ainsi qui je le vis plus tard par moi-même, manqueril mon revenu pour vivre à Oxford, était justement celleque la caisse de l'école de Manchesterallouait a ses élèvesaprès âne résidence de trois ans, et qu'elle payait nonpendant trois'ans, mais pendant sept ans consécutifs.II fallait des raisons bien décisives pour lutter contre lesmotifs aussi évidents de juste et honorable prudence quiexigeaient ma soumission à un plus long séjour a l'école.

Cent c~ttt.ttfc ~'yr<~ rfMHM. – Comment se fit~-it que pendentune Jonque tute))e de ptds de quatoMeans. ce revennsoitque Station-une longue tutelle de plus-de quatorzeans, ce revenu soit resté Station-Mhe? Je n'ai pu )t tt~'oir. Personne n'était nposé à des soupçons ded~:oufBttaentrcti, cependant cette circonstance doit s'aiouter aux c.t'idea~igeece pMsivt, de torts ncgjtiriqui rendent ai <K!agreaHe &contem-pttr le MM<tQ je la situationdes o'pht)ins t<Mt toatt la thretXott.

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Lec<M! n'MCttM) pas tM arguments qui crient en fureur,en désordre, contre moi. J'en éprouve un chagrin tropsincère. Sur la résidence exigée de trente-six mois, j'enavais déj.\ dix-neuf, c'est-a'dire plus de la moitié, de ter-minée. D'autre part, il est vrai que mes souffrancesétaient absolument intolérables, et que sans concoursaveugle et inconscientde deux personnes, ces soun'rancetn'auraient pas existé ou auraient été promptement soûla.gées. Dans la grande ville de Manchester, il existe sansdoute assez de mercure pour charger tout un vaisseau, etil en faut gros comme un gland de chêne pour le calomelqui aurait fait changer d'aspect toute une existencehumaine, et fait taire la cloche funèbre dont les sonsdouloureux, douloureux encore, bien qu'etoun~s en par-tie, lui répètent les reproches qu'elle se fait avecremords.Des lors, le seul excès de mes souffrances corporelles et

de mes désillusions inte!!ec!uc!tes, suffit pour développerune frénétique et enthousiaste énergie. Aux Etats-Unis, ilest un fait bien connu, très souvent décrit par les voya-geurs sous t'innuence des variations dans la quantité dusel de la nourriture, un instinct furieux attire toutes lesbandes de bisons vers le centre commun des < lèche-selC'est une impulsion analogue qui pousse les sauterelles,qui chasse les lemmings dans leur marche mystérieuse,ïlssont sourds au danger, sourds au cri de la bataille, sourdsaux trompettesde la mort. Que la mer se trouve sur leurchemin, que des armées avec de l'artillerie leur barrent la_

route, ces obstacles terrinants ne les arrêtent qu'en lesdétruisant les abîmes les plus affreux, lorsqu'ils se dis-posent à les. engloutir, lorsqu'ils,sont prêts à les entraîner,ne suffisent pas pour modifier ou retarder la ligne quiavanceinexorablement.

Tel était cet instinct; son commandement était aussiimpérieux, aussi puissant, mais hélas aussi aveugle,quand le coup de fouet d'une indignation tumultueuse,

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d'une espérance naissants, l'atiuma en moi et tran~gurasoudain tout mon être. Un clin d'œi! donna à ma résolu-t!on la dureté du diamant, comme si elle n'était pas le ré-sultat d'un acte ou d'une délibérationvenant de moi, maisl'effet subi passivement de quelque oracle dicte par unesombre puissance située hors de moi. M'échapper de Man"chester, telle était la résolution. Afe cacher aurait été levrai mot, si }'avai:. médite quelque chose de criminel. Maisd'où venaient cette indignation, cette espérance? L'indi-gnation avait sa cause naturelle en mes trois bourreaux,le tuteur, l'archididascalus et le professeur de <<o~!eEn e<Tet ceux qui coopèrent matériellementa un résultat,même par une intention trcs vague, sont réunis par JL'es.

prit en une fatale confédération. Quant u l'espérance,comment l'expliqua. ? Etait-elle tepremier.no de la résolu-tion, ou la résolutionétait.elle le premier-néde l'espérance?Elles allaient ensemble, inséparables, comme l'éclair et le

tonnerre, ou bien l'une courait tour a tour devant ouderrière l'autre. Grâce à cette extase transcendante quefaisait éclater la perspective d'une soudaine dd!!vrance,toute anxiété naturellequi, sans cela, se fût entrelacée avecmes sentiments,disparaissait dès lors dans un flamboiementde joie, comme la lumière de là planète Mercure estpendue et éteinte à cause de son trop grand rapprochementde la splendeur solaire. En pratique, je ne portais pas messoucis au delà d'un avenir qui dépassât deux ou troissemaines. Ce n'est pas par insouciance ou imprévoyance.car je vais naturellement dans d'autres directions. N~ :tcela s'expliquesecrètementpar ce que Wordsworthindiqueen décrivantla joyeusedisposition de la France pendant labelle aurore de sa première Révolution (tySS.t~o) ilnomme cet état une joie ~'OK ne sent pas (senselessnessof joy), c'est-à-dire une joie emportée,.frénétique, irreSé-

'~?!.d.T.~

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chie, et par cela même subtile comme Wordsworth ledit avec raison, une joie qui submer~etut toutes les veni-meuses inquiétudes, tous les doutes qui ton~M le coeur.J'éttus, ;'<vais été longtemps prisonnier, )'6ta~'enfermedans une maison de force; un mot puisant comme Infoudre, sois libre, était prononce dans un repli secret dema volonté, et il avait fait tomber comme par un tremble-ment de terre, les portes de ma pr~un. A chaque instantje pouvais sortir. Mon imaginmmn me précédait sur lesdoux sentiers galonnés des coUines champêtres; je re:-pirais d'avance les brises des montagneseterneHe~dont )eMutHe me semblait venir du jardin du Paradis; au scuitde ce ciel terrestre, il m'était désormais impossible de dis-tinguer nettement, ou avec uno longue attentionnés détailsépineux qui pouvaient plus tard se multiplier autour demoi, de même qu'au milieu des roses de juin, et pendantquelque belle matinée de juin, je n'aurais pas réussi memettre sous la froide impression et dans l'abattement queproduisent les brouillards vers la fin de décembre. P<H tn',voilà qui était décide? Mais quand? Mais où? Le quand?ne pouvait avoir qu'une réponse. Bien des raisons m'obli-geaient à choisir la saison d'ëtë, dès son commencementsi possible. Outre ces rinçons-la, le mois d'août devait ra-mener mon anniversaire, et un des articles de ma chartegénérale était que mon anniversaire ne me retrouveraitpas à l'école. J'avais aussi quelques préparatifs faire!d'abord j'avais besoin de quelque argent. Par suite, j'écrivisà la seule personne qui fût mon ;amie confidentielle, àlady Carbery. Autrefois, elle et lord Carbery, anciensamis de. ma mère, m'avaient honoré à Bath ~t ailleurs,quelques années, d'attentions flatteuses; 'en particulier,dans ces trois années, lady Carbery, jeune femme qui

.C€ttc)oie;qtt'on ne sentait pas, était sublime. < ACatais,Word&worth(voir Frc anwnetFl eé ~reoortait eu 1802. à ireise-avr.eucrrièra,à la grandeère de la résurrectionsociale de en t8ot. à qui avait suivi un sommeil dixtrede).t ~surfection sociatede ~SS.Sg, qui avait suivi on sotMMit dixfois sfcuhirc.

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avait dix ans de plus que moi, et qui était aussi remarquablepar ses qualités intellectuelles, que par sa beauté et suhanté, avait entretenu une correspondance avec moi surdes questionslittéraires. Elle avait une opinion trop hautede mes facultés et de mes propres, et partout elle parlaitde moi en termes enthousiastes, u tel point que si j'avaiseu cinq ou six ans de plus et possédé quelques avantagespersonnel, son langageaurnit pu faire sourirea ses dépens.Je lui écrivis alors, pour la prier de me prêter cinq guinées.Une semaine se passa tout entière sans m'apporter deréponse. Cela me ntéprouverde l'indécision et de l'inquié-tude sa seigneurie possédait une grande fortune tout &

fait indépendantedu contrôie de son mari, et j'étais assuréqu'elle m'eût envoyé avec empressementune somme vingtfois plus forte, à moins que sa sagacité ne fût parvenue,contre toute mon attente, a pénétrer dans quel dessein jedemandais ces cinq guinees. Avais-je commis l'imprudencede laisser échapper dans ma lettre me'nc des mots dénon-ciateurs? – Certainement non, mais a:ors pourquoi.? Ace momentmême toutes mes suppositions furent interrom-pues brusquementpar une lettre qui portait un sceau ornéd'une couronne. Elle était de lady Carhery, comme celas'entend, et contenait dix guinées au lieu de cinq. Lesvoitures allaient lentement à cette époque; de plus ladyCarbery était partie pour.les bords de !a mer, et c'était làque ma lettre avait dû la rejoindre. Des lors, avec ce quirestait en poche, j'avais douze guinées qui me paraissaientune somme suffisante pour mon but immédiat. Quant a cequi arriverait plus tard, le lecteur se doute bien que je mar-chais dessusavec dëdan. Pourtantcette somme dépenséel'hôtel sur le pied de la plus stricte économie, ne pouvaitpas durer plus d'un mois pour ce qui est de vivre dansles auberges de second < rJrc, d'abord elles ne sont pastoujours moins coûteuses, et une objection décisive seprésente Dans les contrées solitaires de montagnes,~cambriennasaussi bien que cumbriennes), on armement

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rembarras du choix, celle qui coûte cher est !a seule. De0ces douze-guinées, il fallait déjà en déduire trois. L'époque

des pourboireset des étrennesdonnées aux trois ou quatredomestiques de la personne chez laquelle vous dînez, cetteépoque-la est passée depuis .trente ans environ. Mais cetabus évident n'avait aucun rapport avec l'habitude de dis'tribuer de l'urgent entre les domestiques dont la tachejournalière était augmentée par suite du séjour d'un visi-teur dans la famille. Cette habitude, qui, je pense, estpropre à la gentry anglaise, est honorable et juste. Je 'atenais de ma mère qui avait en horreur les façons sordides,et je regardais comme ignoble pour un gentlemande

?quitter u<M maison sans reconnaître l'obligeance de gensqui ne peuvent rappeler tout haut leurs droits. En cetteoccasion la seule nécessité me contraignit à ome'tre lagouvernante de la maison; H m'était impossible de lui

=offrit' moins de deux ou trois guinées; mais, comme elleétait inamovible, je renëchisque je pourrais les lui envoyerplus tard. Pour les trois domestiques de second rang, jepensai ne pouvoir donner moins d'une gumee a. chacun.dans ce but je laissai la somme nécessaire aux ma!as deG. le plus honorable et le p!us intègre des seniors; laremettre moi-même, c'était m'exposer à faire connaîtremon dessein prématurément. Ces trois guinées 'déduites,il m'en restait neuf ou à peu près. Des lors tout étaitarrangé, excepté une chose; j'avais tranché-les questions~K<M<< et co~MWMf, mais non la question CM P Elle restait<M~~H~!C~.

Mon dessein primitif avait été de voyager vers le nord,c'est-a-dir~vers la région des lacs anglais. Ce petit districtmontagneuxest placé comme une tente entre quatrepointsbien connus, savoir les petites villes d'Ulversione et dePenrith ses deux pôles, nord et sud, entre Kendall àl'est, Egremontà l'ouest; la premièredistance est d'environquarante milles, la dernière d'à peu près trente-cinq milles.Cette <:on~e exerçait ~ur moi une attraetioa fascinante,

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$uhtUe, douée, fantasque, qui n agi avec force sur moni~Uigence dès l'âge de dix-sept ou dix-huit ans. La partieMéridionale de ce district, d'environ dix-huit ou vingtnnUes de longueur qui porte la nom do Furness, ngurctdgaiement dans la géographie de l'Angleterreprovinciale,comme une section du I.ancashire,bien qu'elle soit séparéede ce comté par l'estuaire de la baie do Morccombe. Or, leLancashire étant mon pays natc!, j'avais, des mon énonce,

par Fetiet de cette simple fiction légale, aime comme unprivilège mystérieux, aussi tenu qu'un n! de la vierge, n

me regarder comme client, comme affranchi dans le petitdomaine féerique des lacs anglais. La plus grande partiede ces lacs se trouve dans le Westmorelandet le Cumher-land, mais les eaux si belles et si calmantes d'Esthwaite,avecquelques petites îles d'cmeraude,et la plus grandeiie deConiston, avec leur subHme chaos de groupes montagneux,le petit réseau de vaHëcs tranquilles qui s'étend vers latête et suit tout le cheminen remontant vers !e Grasmere,

ces eaux se trouvent dans lit partie supérieuredu Furness.C'était sur elles, ainsi que sur les ruines d'une abbaye sifameuse jadis que s'était, quelques années auparavant,

ta<<– L'extrémité d'un h)C port': dans le pays le nom de f<?~ dansl'endroit où i) re;o!t les cours d'eau et les futMe.tUtqui )'.t)imentent parla MSme mttaphoft, rextrcmtt~ opposée, par où torte~t les e.<ux, senomme pied. Cette distinction toute naturelle me donne t'ocMs:on detcni.irquer en passant, que l'existenceréelle d'une <f~ et d'un ~Mf dansfouies les étendues d'eaux ternies, ôte tout fondementà l'ironie de LordByron Il l'égard des poète: lakistes, qu'il qualifie avec dédain de poètesde marais. Le public presque entier a cnnsidtre cette altération des faitscomme une conséquence naturelledu dépit si bas, et en app.ir.iuce -.i tna~fonde, que.Lord Byron éprouvait si vivement à t'tigard de Wordswortilet pour desmotiftpiusfaotas~ues encoreenvers Southey. Lef.'itdettans.former une image vivante qui représentaitun mouvement incessant, enun tableau de stagnation torpide, avait un resuiw tansib'e. Mais quelledifférence y avait-il entre les t'M ~tCM de Virgile, et les marais cor-rompus et couverts d'une nappe verte, sinon que les premiers avaient.que les derniers n'aient pas une {~fc <t un pied, ces principes a;t mou-vement incessant. Remplacer ie mot de lac, par un terme qui ex'.intousupprime la di.îerence essentielle qui caractérise un lac, c'est-à-diresamobllitéagitée et éternelle, c'est se rendre coupable d'une ins~ite, où lap*{* is*Me c'e** !*M "K* t! «!ttint*.

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étendue la splendeur solaire que leur donnait td grandeenchaatar:5Sù d'alors, Anne Raddine. Mais plus encorequ'Aaat Rtdctifte, les peintres paysagistes, si nombreux,si varies, avaient contribué à la gloire du district des lacs~ng!a!$; ils avaient retracé aux yeux, ils raient gravé dansle coeur ses retraites pudiquesavec-leursaintrepos, les gran-deur!: alpestresde plusieurs dentés tels queWaatdate-Head,Langdale-Head, Horrowdalp, Kirskstone, Htwsdaie, etc.Ils n'avaient pas néglige ta paix monastique qui paraitrégner sur cet aspect particuUer de ln vie pastorale, biengrandiose, comme le remarqueWordsworth,avec sa rudesimplicité, la lutte avec le danger que recèlent dans leursvastes draperiesles brouillardsqui entenèhrentles hauteurs,et celui qu'apportent les vents du nord dans leurs oragesde neige et de grêle, si on la compare avec la vie enemineedes bergers dans i'Arcadie classique, ou dans les pâturagesfleurisdo la SieHc.

A toutes ces choses qui m'attiraient si fortement versles lacs, vers cette aimable contrée, s'ajoutait la puissancemagnétique, qui à cette époque me paraissait unique aumonde, de WUiam Wordsworth. Cette connexion intimedu poète qui m'avait le plus dmu, avec la région, te paysagequi tenait à mon cœur par les tiens les plus forts, etcaptivait mon imagination, devai: avoir pour effetinévitable, en des circonstances ordinaires, d'exercer surmes délibérationsincertainesune action rapide etdécisive.Mais dans les impressions faites sur moi tant par la poésieque par l'aspect du pays, il y avait trop de solennelle pro-fondeur, ainsi que je puis le dire sans exagération,pourqu'elle, pût produire un entraînement hâtif ou fortuit,comme résultat capable de traduire exactement sa force,ou de réfléchir son caractère intime.

Si vous étiez, lecteur; un Mahomëtan dévot qui tournechaque jour des regards pleins de respect mystique vers laMecque, si vous étiez un Chrétien religieux qui contempleavec même extase l'&oruoa vers.Saint-Pierre de Rome,

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ou vers Et Kodah, la sainte cité de Jeru~lem, ainsi nom-mée par les Arabes mêmes, qui haïrent élément ~~hM-tiens et J~ifs, n'eprouveriM.vous pas une vive douleur,si un ami vous rencontrait sur une grande route, et qu'en-toure, selon la circonstance,d'un nombreux équipage dechameaux ou de voitures, il vous dit en acccidnmt tout h

coup sa marche « Allons, vieux camarade, trottons côteà côte; me voilà parti pour la mer Houge, et j'ai un cha-meau de reste a ou bien s'il vous disait « Me voUa enroute pour Rome, et j'ai une voiture bien capitonnée. Hpeut se faire que l'invitation tût h propos, qu'elle fût nvan-tageuM; mais vous n'en seriez pas moins choque de ccqu'un voyage qui prendra forcément le caractère formeld'un pèlerinagereligieux, puisse avoir pour point de dé-part, pour cause occasionnelle, une otTrc fortuite, une cir-constance née d'une rencontre passagère. Dans lo cas ac-tuel, aucun fait ne me permettait de rêver que je nie pré-senterais moi-même à Wordsworth. Le principe devénération, pour parler comme les phrenoto~istes, étaittrop développé en moi pour me porter n un tel acte. C'està peine si je serais allé le trouver, si j'aurais repondu aune telle invitation venant de lui. Je ne pouvais me faireà l'idée, envisagée comme une simple possibilité, queWordsworth aurait entendu prononcer mon nom pour lapremière fois au moment mê.ne où je me trouvais dansquelque embarraspécuniaire.Ce n'était pas tout. La poésieet Je pays enchante auraient perdu à mes yeux tout intérêt(c'est le seul mot qui puisse rendre mon idée d'une ma-niera totale); tout mon intérêt pour les personnes et lesêtres, la vigne et la vendange, les gardiens et les, dames deces Hespérides, et en même temps pour leurs fruits d'or,se serait évanoui, s'il m'avait fallu y bire irruption dansun état de bouleversementqui neutralise la pensée. Cetteprécautiondsticate m'était rappelée par une tradition qu'aconservée Pausanias.A ce qu'il raconte, les gens qui visi-taient pendant la nuit le Janaeux champ de bataille de Ma-

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rathon, parcouru à certainesépoques par des cavalieu fan-tômes qui faisaient des charges et des manoeuvres de com-bat, si ces gens étaient attirés par une vulgaire curiosité,et n'obéissaient pas à des mobiles plus nobles qu'unedégradante indiscrétion, étaient accueillis et maltraitésdans les ténèbres par des êtres analogues sans doute a ceuxqui infligèrent une si rude correction à Falstaff sous lesvénérables ombrages de Windsor; ceux qui au contrairevenaient en visiteurs pieux, et animés d'une véritable etfiliale sympathie pour les hauts faits de leurs ancêtresathéniens, ceux qui se présentaient comme nls de lamême terre, recevaient l'accueil le plus hospitalier, etpouvaient remplir en toute sQrcto les devoirs de pèlerinageou de mission religieuse. Dans les circonstancesoù je metrouvais, je vis que les motifs d'affection et de respect quiauraient si fortement fait pencher !a balance en faveur deslacs dunord, étaient justement ceux qui me poussaientavec force dans la direction contraire/lescirconstancesdont je parle étant de nature !t produire en moi du troubleet de l'incertitude. A ce moment même se révéla un nou-veau motif puissant pour m'empêcherd'aHer vers le nordje songeai a ma mer*. Mon cœur se serrait à seule pen-sée de lui causer une émotion trop vive qu'y avait-ilde mieux pour la calmer que ma présencemême, dans unmoment opportun? A ce point de vue, le nord de la Prin-cipauté de Galles était le havre le meilleur pour moi; la

route qui partait de mon séjour actuel, traversait Chester,où ma mère avait alors nxé sa résidence.

Si j'avais éprouvéquelque hésitation, et je dois dire quej'en éprouvai, sur cette manière d'exprimer les égards queje devais à ma mère, cela venait non de quelque indé-cision dans mes sentiments, mais- de ce que-je craignaisqu'on interprétât cet acte de tendresse, en disant quej'exagérais mon importance aux yeux de ma mère. Pourque je fusse capable de lui causer une émotion alarmante,il fallait que je me. supposasse l'objet d'un intérêt tout

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particulier? Non, je n'admettais pas cetto conclusion. Maispeu importe. Mieux valait m'exposer ù mille raineries,que d'encourir un seul de ces remords que l'on se fuit àsoi-même et que le temps n'adoucit jamais. Aussi je merésolus a braver ces raiHeries sans faibiir, et o faire uneexcursion vers ic Prieuré Saint-Jean qu'habitait ma mère,ptcsde Chester. Au moment même où je prennis ce parti,un incident singulier vint m'y confirmer. La veiiic mêmede mon fatal départ, je reçus pnr !a poste une lettre dontl'adresse était tracée d'une écriture inconnue A Mon-sieur, Monsieur de Quincy-Chester ». Cette répétition doMonsieur Monsieur,qui était pour tes usages français'l'é-quivalent de notre expression de ~M!'rc, émit alors pourmoi une nouveauté ininielUgibie. La meilleure manièrede me l'expliquer était de lire la lettre, ce que je m'enbr-çai de faire, dans la mesure du possible, mais en vain. J'endeehinrai cependant assez pour rcconn:ntre que la lettren'était pas pour moi. Le timbre de h! poste était, je pense,~fatM&oufg',mais elle était datée a l'intérieurd'un endroitsitué en Normnndie. 11 était possible qu'eiio fùt adresséeil un pauvre émigré, à quelque parent des Quairemere deQuincy', qui était venu it Chester comme professeur defrançais sans doute, et h qui la courte et pernde paix d'A-miens avait permis de revenir en France en 1802. Un

'Pottr~MMMyM/'MK~t!– Ce n'étalent point des usages modernesLa fameuse comtesse de'Derby, Charlotte de la Tr<mo)))e qutdiffgM ladéfense de Lathom'HouM (le principal château des Stanley était I.~thomet non Know~cy). écrivait au prince Rupert en adressant 'ses lettres:A Monsieur, AMK~~xr fe prince Rupert, au tieu de A .VoM~wM)-pr<wf Rupert; c'était en l'année 1644, dans t'ennte de Marston-Moor,l'avant-dernière de )« guerre parlementaire.

'De QMtKcy. La famille de Quincy, ou Quincey, ou Quincie, dont !enom s'est écrit commetous les noms propres au temps de)'anarchie ortho'graphique qui régnait Il y a cinq ou six cents ans, de toutes les façonsque pouvait inventer le tapr!c<,était d'origine nor\veRtenne.Dès le com-mencement du xt* siècle, elle émigra de Norw&ge dans le sud; et se brisaen trois partie!), une funcatse, une anglaise, une ongtû-ftmericaine, dontchacone écrit Mn nom avec de tegere" différences.

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homme Mai obscur devait être forcément inconnu danstous les bureaux de poste en An~eterre, et )a lettre m'a-vait été adressée, comme au plus ~gé des repré::ent«ntsmasculins de la famille de Quincey, qui était, comme onle pente, très connue à Chester.

~~efH~ étonné de me voir transforméd'un tr.-it de plumenon seulement en un Monsieur, mais en un AfoMMKt'multiplié,ou pour parler en termesd'algèbre, en un ~'OM<

jt«Hr élevé au can'e, ce q~i me faisait prévoir !< possibithëd'être un jour Monsieur uu cube (Monsieur). Quant à lalettre, en l'ouvrant à la hâte, j'en fis tomber un effet surSmith, Ptiyne et Smith, d'environ quarante guinées. Onpourrait croire qu'à ce moment, l'intérêt que ma decou**

verte m'inspirait prit plus de force, car si cet envoi fortuitm'était adressé tout exprès, il n'y avait pas malentendu;jamaishomme, à la veille de s'engagerdans une périj!euseaventure, n'avait vu tomber un secours plus opportun, etqui vînt à un moment plus critique. Mais hëlus monregard'n'eut pus de peine à raisonner les chances défavo-rables. Prophète de malheur, je le suis toujours pour moi-même, forcé que je suis à tirer de tristes augurer, sanspouvoir les dérober à mon cceur, même pendant les rêvesd'une seule nuit. En un instant )e vis trop clairement queje n'étais point le Monsieurau carre. Je pouvais être AfOM*

WMf, je ne pouvais pas être AfoH~'eKr à !a ssconde puis-sance. Qui donc m'aurait dû quarante guinëes? Si j'avaisun débiteur, pourquoi avait-il recuté jusqu'à ce moment!<: paiementde sa dette? Qu'il était honteux pour lui d'a-voir attendu ma dix-septième année avant de me faireconnaître sa dette ou même son existence si intéressante?Il est incontestableque la morale en toute rigueur rendaitce retard sans excuse. De plus, comme cet homme témoi-gnait-son repenUr sous la forme ia plus pratique, M M<sous la forme d'un paiement, je me sentais tout disposé àlui donner l'absolution pour ses péchés passés, une quit-tance générale de ses arriérés,s'H en existait, et cela pour

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toam !et génération! à venir. Mois hélasl il suffisait quecet avoir fût opportun pour qu'il fit tomber mes espé-roneex. Un homme qui aurait dû cinq guindés pouvaitêtre un personnage réel, il pouvait exister un tel débiteuren choir et en os; cela était croyable, mais ma crédulitén'allaitpas au delà, et si l'argent m'était ree"ement adressé~ott~~c. à coup sûr, il ne pouvait venir que de l'Ennemi,et dans ce ces il fallait examiner sur-le-champsi je devaisl'accepter. Dans le moment actuel, il s'unissait d'uneénigmede Sphinx, et la solution,s'il en existait une, devaitêtre cherchée dans la lettre. Mais, ôcieHô terre aveccette lettre). Si le Sphinx dnutrefois avait propose sonénigme à Œdipe par correspondance, et In lui eut faitremettre par le bureau postal de Thebes, il était pour moid'une évidence frappante, qu'il aurait bien fait d'employerla main d'un Français, pour que son énigme pût braveréternellementson fatal interprète. A Hath, où les émigrésfrançais étaient reunis en grand nombre, six mille, ceque je crois, pendant les trois dernières années duxvm* siècle, j'avais, grâce aux relations de ma mère avecles principales familles emigrées, acquis une grande con-naissance de la calligraphiefrançaise. Cette connaissancem'avait prouvéque l'aristocratie française persistaitencore,et pendantcette périodede iyoy-j8oo, dans le mépris tra-ditionnel pour tous les talents de cette catégorie, lesregardant comme bons pour des gens de loi et des gensdu peuple,gens qui, comme le dit Shakespeare en parlant'!e préjugés analogues chez ses compatriotes, ne sont queIl bons à servir un yeoman M. Tous s'en remettaient dusoin d'écrire aux valets et aux femmes de chambre, parfoismême ceux d'entre eux qui battaient leurs habits et leurstapis, épluchaient aussi leur écriture, je veux dire leurécriture de la.semaine,car,pour leurécrituredn dimanche,cette écriture surfine qu'ils réservaientà leurs prpductionslittéraires, ils s'en rapportaient aux compositeurs. On con-serve encore aujourd'hui des lettres écrites par la famille

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royale de France en ty~a-gS, dans les mémoires de Cléry,et d'autres fidèles serviteurs, et on y trouve la plus grandeignorancede la grammaire et de 'l'orthographe. Quant àl'écriture, elles paraissent toutes de la même main, toutestaillées dans le même bloc de vieux bois, dans la mêmevénérable planchette, toutes présentent ces mêmes traitsraides et verticaux que l'on dirait tracés avec une paire demouchettes.Je n'en parle pas ainsi pour m'en moquer; leslatents de cette sorte étaient négliges avec' !M<eM<!OM, pnramour-propre, et leur absence était une façon de proc)a-mer hautement son mépris pour les arts à l'aide desquelsbien des pauvres gens gagnaient leur vie. Un homme dehaute naissance ne se considérait pas plus comme désho-nore par des lacunes dans la perfection banale de l'écri-ture, de la grammaire,de l'orthographe, que chez nous ungentlemanqui ignorerait les mystères de l'art de cir<r lessouliers ou de faire briller les meubles. Néanmoins leurmépris systématique et affecté pour la calligraphie,entraîneles plus grands embarras pour les personnes qui sont obli.gees de déchiffrer leurs manuscrits. H arrive que les effetsde leur insouciance dînèrent de beaucoup; l'écriture estgrossière et peu élégante, cela est constant, mais parfois,disons une fois sur vingt, elle est remarquablement lisible.Il en était tout autrement de la lettre que je tenais. Vive.ment trouble par mon départ du lendemain, je ne pus liredeux phrases de suite. Malheureusementil n'en fallait quela'moitié d'une pour me montrer que le contenu étaitadressé à un Français qui était dans le besoin, loin de sonpays, et qui luttait probablement avec les maux qui ac.cbmpagnent cette situation, – l'absenced'amis, et l'exil.La lettre avait subi quelques jours de retard avant dem'être remise; quand je m'en aperçus, je sentis ma sym-pathie pour le pauvre ëtt'anger. s'accroître naturellement.Déjà, et fatalement, il avait eu à sounrir par suite des re-tards dans la remise de la lettre, mais des ce moment,ettoujours, il lui faudra souffrir encore par l'inquiétante

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pensée que la lettre est perdue. Pendant ce jour d'adieux,je ne pouvais prélever un instant pour aller au bureau deposte de Manchesteret je ne pouvais me décider !t me sé-parer de cette lettre sans avoir donné mes explications enpersonne, pour m'ôter tout scrupule, et me décharger parune reconnaissanceécrite de la poste, de toute responsa-bilité future. H est vrai que pour toucher l'argent parfraude, il aurait fallu commettre un faux matériel, crimequi à cette époque était impitoyablementpuni de mort, etce fait, s'il avait été connu du public, suffisait a écartertout soupçon à Fëgard de la personne que le hasard avaitrendue détenteur de la lettre. Mais le danger était aiUeurspendantque l'affaire serait étudiée et jugée, et qu'elleatten-drait sa solution définitive, des rumeurs fâcheuses pour-raient se répandre parmi bien des personnes qui ne con-naitraient la chose que partiellement, et ces rumeursiraient trouver une de ces personnes.

Enfin tout était prêt. La Saint-Jean, pareille à une ar-mée avec ses drapeaux, s'avançait dans le ciel; déjà le jourle plus long de l'année avait fui les quelquesarrangementsincomplets par lesquels j'avais voulu éviter en partie lesobstacles qui allaient sans doute surgir, étaient achevés;de toutes les choses que je pouvais faire, laquelle restait àfaire? Aucune, et cependantau moment même où il m'é-tait permis de reprendre ma liberté, j'hésitais encore; jem'attardais comme sous l'influence de quelque obscureperplexité, ou même de je ne sais quel attrait passagerpour cette captivité, au moment même où je faisais unviolent effort pour m'en délivrer. Mais ce qui m'apparais-sait le plus clairement, c'était un attachementaux êtresanimés ou inanimés qui avaient entouré et égayé cetteprison. Ce que j'avais hâte de quitter, j'éprouvais de lapeine en le quittant; sans la lettre étrangère, j'aurais pulongtemps encore hésiter et traîner. Mais grâce à celle.ciet aux motifs variés et pressants qu'elle tenait éveillés, jehâtài mes préparatifs. La même heure qui apporta la lettre

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jusqu'en mes mains, fut témoin de ma résolution, que jeformulai h haute voit dans ma chambre, de partir le len<tiemain matin de bonne heure. Il ctait donc enfin, il étaitpresque soudainement arrivé un certain jour qui seraitle dernier, le denuer de tous ceux que je passerais àl'école?

I.e docteur Johnson a fait une remarque aussi juste que

touchante, quand il dit que faisant pour la dernière lois,et sachant que c'est la dernière fois, une chose qui nousest depuis longtempshabituelte, nous éprouvons toujoursun serrement de cceur. Ce sentiment secret d'adieu oud'acte testamentaire je le portai avec moi, je le mis danschaque moi, dans chaquemouvement de ce jour mé<no-rable. Que je fusse actif ou passif, isolé ou dans un groupe,j'entendais sans cesse un nouvel et soudain écho d'adieudans tout changement fortuit ou régulier qui marquait le

cours des heures depuis le matin jusqu'à ï< nuit. Je trou-vai ce son d'adieu comme un emouv~t appel, surtoutquand cinq heures amenèrent avec la fin du cours leservice solennel du soir de l'Eglise anglaise, lu parM. Lawson, lu cette fois comme les autres au milieu dusilence respectueux de toute l'école. Outre la solennité desprières, la lumière du jour mourant possède par elle-mêmeune sorte de tristesse pensive et sympathique. Et si leschangements de la lumière se font remarquer d'unemanière moins profonde dès cinq heures du soir en été,nous sommes néanmoins sensibles à l'approche du tempsde repos, avec les secrets dangers de la nuit, autant que sinous étions en plein hiver. En ces circonstances même, ily avait pour moi quelque chose de profondément émou-vant dans la cérémonie du soir, et dans la prière contreles périls des ténèbres. Mais cet effet était encore aug-menté par la. manière symbolique dont la liturgie parle decette obscurité et de ses dangers. J'avais été amené àMCoanaUrenatureUenKnt/cavoyant cette peprésem~tiM~,

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le ï~marqu«Me pM~Mr de rhaMomancit ou d'évoca-tion magique que le christianismea dep!oy~en cela et dansdes cas semblables. Celui qui pratique h rhaMomancieordinaire et natureUe, qui entreprend de tirer des sombrescavité de notre terre !es puits d'eau perdus dans ses pro"fondeurs, ou qui plus rarement se propose de fairennr.titre tes minéraux, ou les dépôts de bijoux et d'orenseveus, :;race a une sympathie magnétique entre sabinette et l'objet cache de sa divination, ceh)i-!a possèdeta faculté d'indiquer Fendroit oit l'on pourra chercher'cet objet avM quelque espérance. H en c&t de même duchristianisme, dont le merveiUeux magnétisme a fait sortir

'M.).fo')).t))c< – Le mot ~'e~ cortetj'ond.utt !)n mot Mf!))cft-to"i!M )'e)(ment <i<f d'un grand nombre d.' t'<'n)p<<. t) '.ijinitK' diti-mnon. ou f:eu)ï<tde d~doirema~i~uen~nt,d'une f.t~~t ordin-tirementpro-ph~tiqne, une .?ertion import-tutt: tt) h tir.txt de ~u:)qu'nn~ de:. :tourcMMn~t~usM qu'autori'ait h i.upemitiott patcnnj. Kn g'in~r.'tj.t source <~td~i~n~e proprement par )c premier terme du mot compose niosi on~')'MUnifie e~) (;'cc le 'oose, et !c mot OMt.w;t;tC;t'indique le n)odede d!vi-tutiot),quit:.tfoude sur )'iuterpretatiot) de'- !o))~c' f)~ mSmeo~f~auj;~ni(i! omt/Ao~, est le mot grec qui :i,;nifie oiseau. et le mot orft/fAo.t;f<!);ct'<* désigne cenre particulier de propti~tie fonde sur t'o~ervntiol)du vol dans certains rassembtemcnt'.fortuiti. d'oi~M~x. C/tA')', est te motgrec qui signifie main; d'oh )a cAf'ro'MKC't'est l'art de prédire la destinéed'un homme par les iignet de st main, ou par ):< f<m; /.? (du toth)p.!h;M, creux de la m~in). 'A't~o~ (cadavrehumain) n <brm~ .tA)f));M<'t\prophétie fondée sur la réponse qu'on arrache A des fantôme<. cnmmec'e~tle cas pour la Pythonised'Endor, ou au~ t~davre~ eux-m~m~, eo:nmele fait Erichtho dans Lucain;Je me suis !a)ss~ aller A éclaircir ce sujet p.trplus:eursexemples,parce que, depuis bien des nnn''e~,des tectenr~- avoucu:'ngenument leur ignorancedes JanguM classiques,et me reprochent d'ex-pliquer trop brièvement les mots que ;'tmp)oie. Je continuer.)! en disantque le mot rhabdos veut dire \erg?. Ce n'est pas cette sorte de vxr~c qniétait portée par les licteurs romains et qui ~ta!t en réalité un f~o: debranehaf;e!,mais une baguette de la grosseur d'un crayon, ou tout au plusde celle des tiges de !aiton qui 'errent & fixer les Upi~ d'eM~Her; cettetaguette faite en bois de *au)e, était et est encore aujourd'hui dans uncomté méridional de t'Angieterre, un puissant instrument de divination.Mais il faut savoir que le sens de ce dernier mot est bie:t plus étendu quecelui du mot ~cfAAt'f, bien que ce mot de prophétie, tout en ayant u.tsens plus étroit qne celui de divination, soit encore rétréci à tort dans lesens que lui donne notre traduction o<B:ie)!a de ta Bibte. Devoiter o~déchiffrer ce qui est caché, tel est le sens r~et du mot divination. En co:t<siquenee, dans les écrits de saint Panl, les mots dans de p)'ojfA<'i:'en'in-diquent pas uue seule fo:s ce que suppose te lecteuranglais, mais les dons

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des ténèbresles sentimentsles plus augustes, inconcevablesauparavant, informes et sans vie; en effet, avant lui,nulle philosophie religieuse n'avait sufR à la tache de fairemQrir de tels sentiments. Do plus, et en même temps il aincarné ces sent!caents dans des images d'une grandeurégale, et par là il a exalté leur puissance de manïerea lesimplanter éternellementdans le cœur de l'homme.

Un exemple les fleurs qui nous font tant d'impressionpar leur beauté aussi fragile que les nuages, par leur <:o!o-

ration aussi splendide que les cioux, ont été, pendant desmilliers d'années, l'héritage des enfants eux seuls leshonoraient comme les joyaux divins, quand soudain la

exotique!, les dons d'interprétation appliquée A ce qui est obscur, ledon d'analyser ce qui cMcompiiquéttupoint de vue logique, de développerce qui est condense, d'exécuter d'une manière pratique ce qui pourraitparaître purement tpecuiatif. Dans le Somersetshire, qui est le comté lepins défavorablement traité parla natureau point de vue des eaux, lors-qu'cn vent bâtir une mai<on, l'on se trouve toujours en présenced'uneditScuité, qui consiste & trouver un endroit convenable pour creuser unpuits. La solution consiste convoquerune troupe de rabdomantistes dupays. !.€<. hommesparcourentie terrainenvironnant, ettiennentlabaguette~e tante horizontalement; l'endroit où elle dev!e, ou s'incline d'e))e-ni6me~-trs le sol, est celui où l'on trouvera de l'eau. J'ti vu d'une part ce pro--cédé réussir, et d'autrepart j'ai été témoin des peine! énormes,des retardsdes frais que l'on avait à subir quand on se rangeait au parti contraire quirefuse les avantagesde cet art. En suivant un plan empirique, e'est.a-direen perçant le sol au hasard pour trouver i'eau, on finissait,d'âpres ce quej'ai toujours vu, par des ennuissans nombre. En réalité, ces pauvres gens~ont preuve, après tout, d'un esprit bien plus philosophique que ceux quirejettent leurs servicesavec dédain. Les artistes subissent sans le savoirla logique de lord Baeoit.its bâtissent sur une longue chaîne d'induction,sur les résultats uniformesd'une expériencede tous les jours. La faction«ppcsee ne nie pas cette expérience. tout ce qu'elle peut xiieguer,c'est que s

d'après toutes les lois qui lui sont connues à priori, ii n'y aurait pas d'ex-périence applicable à ce cas. Or, une série suffisante de faits bouleversetoutes les probabilités antérieures.Quoi que puissent dire les savants ou tles sceptiques, la plupart des bouilloires à thé de la vaifée de Wrington lsont remplies grâce à !a~rhabdomancie. Après tout, les scrupules qu'on =

se fait d'avanceau sujet démette rhabdomancie, sont du même ordre que `

ceux quiaaraientdec)aret'impoMibiiitéde)abousso)emarine,s'i)sn'avaientété précèdespar l'expérience. !i y a dans les deux cas une sympathieinvi- 1

sible entre des forces inconnues, que personne ne peut exptiquer: ii y aun indice )'5ifquidirigcprati~'ien)'"t a'ec )mteMe,dorsmême qu'ontrouverait MephistopheK:au fond de l'affaire. r

>

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voix du christianisme, appuyant celle de l'enfance, les aélevées une grandeur qui dépasse celle du trône hébreu,qui pourtant était de fondation divine, et a prononce queSalomon, dans toute sa gloire, n'était pas orné commel'une d'elles. Quant aux vents, aux orages, éternelleshaleines violentes ou calmes du règne d'Eole, pourquoiont-ils dans leur rage, comme dans leur sommet), échappea toute prison morale, ù la captivité ? Simplement parcequ'il serait vain d'offrir un nid a la naissance de quelquenouvel être moral, alors que la religion n'existe pas chezles hommes sous une forme capable de le produire. Cesten vain qu'on voudrait représenter par une image un sen-timent céleste, si le sentiment n'est pas né. Mais aussitôtqu'il est devenu nécessaire au but d'une religion spiri-tuelle, que l'esprit de l'homme, source de toute religion,contemple sa grandeur et sa profondeur mystérieuseréfléchies dans une image proportionnée à lui, alors lamajesté et les routes inconnues des vents et des tempêtes,qui soufrent à leur gré, et qui viennent de sources secrètespour l'homme, sont évoquées, hors des ténèbres et del'oubli, pour donner et recevoir un état saisissant, danslequel le mystère d'en bas fait'resplendir et étinceler lemystère d'en haut. Appelez devant vous le plus gran-diose de tous les spectacles terrestres qu'est-il ? C'estcelui du soleil couçhant. Appelez le plus grandiosede tous les sentiments humains qu'est-il ? C'est quel'homme oublie sa souffrance avant de s'étendre pour lerepos. Et ces deux grandeurs, la puissance du sentiment,la puissance du spectacle, sont mariées par le christia-nisme.

Ici donc; dans cette prière < Eclaire notre nuit, noust'en supplions, Seigneur! a l'obscurité et les grandesombres de la nuit étaient représentées d'une manièresymboliquement significative ces deux grandes puis-sances, ta nuit et les ténèbres, qui appartiennent au chaosprimordial, étaient figurées comme signes des périls qui

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menacent incessamment notre pauvre et malheureusenature humaine. Ce fut avec une sympathie des plusprofondes que je m'unis à la prière contre les dansera dmténèbres ces périls, je les voyais dresser leurs pièges noc-turnes autour des lits où dormaient les nouons )e voyaisces périls d'aspect encore plus effrayant surgir dans le-;

rep!is des aveugles coeurs humains, les périodes tentationstissant leurs filets invisibles devant notre marche, lespcriis que nous font les bornes de notre connaissancemaldirigée.

Les prières étaient terminées, l'école se dispersa. Sixheures sonnèrent, sept, huit heures, qui rapprochèrentd'autant le jour mourant de sa <in. Nous étions donc rap-prochés de trois heures de cette obscuritéque notre liturgieanglaise évoqueavec tant de grandeur symbolique, commecachant sous son manteau noir tous les périls qui uss!egentnotre faiblesse d'hommes. Mais en été, aux faubourgsimmédiats de la Saint-Jean, la vaste proportion des mou-vementscélestes se lit dans leur lenteur; le temps devientla inesuM de l'espace. Alors, lorsqu'il fut huit heuressonnées, le soleil s'attardait encore au-dessus de l'horizonla lumière, large et belle, avait encore deux heures devoyage à parcourir avant de prendre cette nuance douceet évanouie qui préludeau crépuscule Alors avait lieu ladernière cérémonieofficielle de la journée tous les élèvesétaient réunis, et les noms de tous étaient appelés dansl'ordre de préséance. Le mien le fut, comme d'ordinaire,le premier 8. Je m'arrêtai en passant devant M. Lawson, j

/tM crèpuscule. I) s'agit du second crépuscule. Je me sonv.'trns<neffet d'avoir lu dans un tj~te aUemaud sur les nntiquites hM)ra!qms, ainsique et ex nn grand th~otos'cn anglais de t63o,!s;f.!e A~brose, qne )esanciens juifs avaient deuc crtpMeute!, savoir, le cr~puKute de ta tour-terelle, ou du jour, le second était le cttpu'.cute de la nuit, on du eorbc'u. g

'e~remf~?'. – Dans l'ensemble de l'école, je n'auraispas été te pré-m!cr, car dans )K trinitc que formait la premicre classe, il n'y avaitpas denrtt<titr<piatt absolue ou !ner!ttt;c))e n'était qu'une anititc de hasard.Notre dignité, comme chefs del'école. nous interdisait les mfnue< )!tK- R!ite~ !Mi! comme il était inévitable qu'i) y eût un classement, il e faisait ,j

n

f.

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je m'inclinai, en le regardant gravement en face et medisant !t est ~ieux et innrmo, et en ce monde je ne tereverrais plus. x Je ne me trompais pas je ne l'ai jamais

revu et je ne le verrai plus. H me rendit mon regard aveccomplaisance, me sourit placidement, répondit a monsn!ut sans savoir que c'était un adieu, et nous nous se-parâmes pour toujours. Au point de vue de l'intelligence,je n'avais rien vu en lui qui méritât mon respect dans levrai sens de ce mot, mais j'avais ce respect sinccre pourlui, parce qu'il était consciencieux,ndcie il ses devoirs, etlors même qu'il avait en ces derniers temps tuttc avec peude succès pour les remplir, i! s'était impose plus de sout"irances qu'il n'en avait cause aux autres, ~ntin ie le res-pectais comme un lettre solide et attentif, quoique sanséclat. Pour ma part, }eiui devais beaucoup de reconnais-sance il m'avait témoigne une bonté toujours e~atc,m'avait accordé toutes les ~acitites qui dépendaient de lui,et je songeais avec peine la mortiitcation que j'aUaislui causer.

Le matin arriva qui devait me lancer dans le monde

pif <n<:ft))ne!e. AuM), en tant que~MMt'or, j'étais <c)'<t'xt~fc~ y<!)-< Matsmes deux seniors eta':t externes, l'occupais la ptori~rc p)aeednnsr-:ï;<-Mi'-seme))t~e M. Law-.o)). ~)M j'étais jM'tM~ M)MtM. Je do))!)<: toust< minces ii~taUt pour qn'o!) ne puisse )ne )tptoc);tt- aucune n~'Rcneecrjnje oa petite. t.'h'tcrCt qu'oit prend~it à cet unvra, diminuerait sile )e:)cur pouvait supposer un moment qne quelque fait a 'm d<')).<!u))i

ou mx!i!c. DèB )<) p'cMK't'c )isne. )'<') observé fidèlement les toit de t'txnc-titude, même dans des choses absolument insignifiantes. Mais je suitdevenu jatoux de M soin, depuis qu'un critique irhodais, de Rrand éclatcomme homme d'esprit et comme lettré, a voulu contester l'exactitude de

mon récit, dansft p~rHequ) concerneLondres, et m'a attribut d~s raisonsposonnc)kspour cette (nexactitude.

J'aurais voulu pouvoir dire avec vérité que nous, qui composions )apremière clisse. nous n'etieM pas une H-Md<?. mais une ~N<t~. Mnis lesfaitsne )t)e perm:ent pas de t'.tmrmer. !.c! faits, ainsi que tOft )e n)ondeen convient, sont det êtres entêtes. Sans doute, et trop souvent aussi, ilssont des êtres htit~nt', car s'iis éoit:)t autre! )e pourrais prétendre queje u'avais qu'un Mut camarade de c);!6M;d.)ns ce ça! nous aurions et<i

conhne Castor et Po!)ux, qui se succedjtcut comme )e'. seaux montent etdescendent, l'un se tev~ut avec t'auro.e, c'<'t.)it Phosphores, et l'autre.c'e!M-di[e)ttu!,M:t~f::H«F:rs*, t! ~t.M')d«ttt~t)tt)jH]uit.

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ce matin qui par lui'meme et par ses conséquences en biendes points importants, « donné à ma vie consécutive sapropre couleur. A trois heures et demie, je me levai, jocontemplai avec une émotion profonde l'ancienne églisecollégiale, revêtue de la lueur matinale elle commen-çait à rougir sous l'éclat ëtincelant d'un jour de juillet ùson aurore sans nuage. J'étais ferme, inébranlable dansmon dessein, et pourtant agité par la perspective de dan-gers et de peines incertaines. Ce trouble formait uncontraste émouvant avec la sérénité innnie du matin, et ytrouvait en quelque sorte un remède. Le silence était plusgrand encore qu'a minuit; pour moi, je suis plus sensible ausilence d'un matin d'été qu'à tout autre. La lumière, toutaussi large et forte que celle de midi dans les autres saisons,semble digérer du jour complet, ce qui vient principale-ment de l'absence de l'homme; aussi la tranquillité de lanature et des innocentes créatures de Dieu paraît durableet profonde, tant que l'homme, a~ec son inquiétude d'es-prit, ne vient pas en troubler la sainteté par sa présence.Je m'habillai, je mis mon chapeau et mes gants, jem'attardai un peu dans la chambre. Il y avait un an etdemi que ce lieu était devenu la « forteresse de ma pensée )'.Là, j'avais lu et étudié jusqu'aux heures avancées de lanuit. Il est vrai que pendant la dernière partiede ce séjourj'avais perdu ma gaîté et la paix d'esprit dans la lutte etla fièvre de mes contestations avec mon tuteur, maisd'autre part j'étais un enfant passionnémentamoureux deslivres, et consacré aux exercices de l'intelligence et j'avaispu trouver bien des heures de bonheur dans mon étatordinaire d'accablement.

Heures de bonheur? Oui, et était-il certain que dans lasuite je retrouverais jamais dételles heures?A ce moment,il n'est pas impossible que, laissé à moi-même, à mes im-pressions finales, je renonçasse à mon projet. Mais il mesembla, comme il arrive souvent en pareil cas, que laretraite m'était fermée.. La confidence que j'avais été

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contraintde faire an domestique de Lawson étaitun danger.L'enet que produisit cette rénexion détournée fut non pasde modifier mon plan, mais de jeter pendant une demi-heure une impression de découragementsur toute la pers-pective qui s'étendait devant moi. En cet état, les yeuxouverts, je me mis S rêver. Tout à coup un saisissementpareil au frisson glacial qu'aurait produit une révélationmortelle, m'enveloppatout entier, et je sentis se renouveleren moi le souvenirodieux d'un moment qui était bien loindans le passé. Deux ans auparavant,quand j'étais aussiloinde mes quinzeans accomplis que je l'étais alors de mon dix-huitième anniversaire, j'avais passe a Londres une partiede la journée, avec un ami de mon âge. Naturellement,parmi les huit ou dix grands spectaclesqui attirèrent notreattention la plusvive, se trouvait celui de la cathédrale deSaint-Paul. Nous visitâmes, et par suite nous vîmes lagalerie sonore De tout ce que je vis, rien ne me fit uneplus forte impression. Encore une demi-heure après, nousnous trouvions sous le dôme, et autant que je m'en sou-viens, près de l'endroit même où peut-être plus de cinqans après fut enseveli lord Nelson de ce point nousvoyions flotter triomphalementdans les hauteursd'une ailede l'édifice qui se prolongeait à l'ouest de notre place, denombreux drapeaux pris à la France, à l'Espagne, à laHollande. La sensation de respect que j'éprouvais étaitdevenue profonde à la vue de ces trophées solennels deshasards et des changementsentre de puissantes nations, etje me trouvai tout à coup plongé dans un rêve aussi saisie-sant que maintenant, et dans lequel une pensée qui m'avaitsouventobsédé faisait un rôle dominant. Cette pensée avaitpour objet la fatalité qui d'ordinaire est réservée a un

Pour ceux qui n'ont jamaism )a g-~r/c.MKor~,ou qui n'ont lu aucunedescription des phénomènes acoustiques qui 5'y remarquent, it peut êtreutile de dire pour en donner une idée nette, qu'un mot ou une questionmurmure dt!a manière la plus faible à un bout de la gâterie,est répète &

s'iti~ &<-«! «M utte {orM :omp:rs&te & c:'te de tcaatft?,

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mauvais choix, Je me rapp<h~ comme un oracle terrifiantce redoutable conseil ro~ata A~~e~ y<w M)tM« tw~r«(le mot qu'on a laissé échapper ne revient plus) et il meparut un arrêt froid comme la glace jeté dans les mouve-ments d'espérance trop. bruyante qui me hantaient sousdiverses formes. Longtemps avant ma quinzième année,j'avais remarqué e<Mt<ne un ver cacha dans le coeur de lavie et qui en ron~t !a sécurité, ce fait que d'innombrableschoix prennent un autre aspect et sont di~remment ap-préciés aux diiïertntsâges de la vie, qu'ils se transformentpar la succes$!on des heures. Des t'age de quinze ans,j'avais été profondëmùnthumilie de jugements que j'avaisformulés jad!<~ de vains espoirs que j'avais jadis encourages,de temoig«agtt d'admiration ou de mépris auxquels j'avaisjadis donné mon assentimcnt. Et quant aux actes à i'es<desquels j'éprouvais que!ques doutes, je n'étais jamais sûrque !a sueeetsion des années ne m'amènerait pas de nou- 1

veaux motifs de doute, tant au point de vue des principesqu'à ce!«i des résultats inévUabies.

Ce sentiment d'hésitation nerveux pour toute parole outout acte qui ne pouvait être modifié, avait été soudainréveillé en cette matinée de Londres, par l'expérienceft-appaNteque je fis dans la galerie sonore. Mon ami, placéà un bout de la galerie, mo chuchota dans le plus..douxmurmure, une vérité solennelle, mais mal venue. A l'autrebout,cette vérité solenheUe, après avoir roulé le long desmurs, m'arriva en grondements menaçants d'une forceassourdissante. Et maintenant, dans mes derniers momentsd'hésitation, quand je rêvais les yeux ouverts dans machambre de Manchester, en cherchant des présages, cetteMenace, entendue à Londres, venait de nouveau fondretuf moi avec fureur, comme un épais et violent orageune voix, trop tardive pour être obéie, me criait « Sorsde cette maison, et un Rubicon se formera entre toi ettoute posstbUitéde retour. Tu ne <iiras pas que tout ce quetu fais, tu l'approuves dans le fond de ton coeur. En ce

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moment même, ta conscience le combatdans son murmuresoudant, mais il l'autre bout de la galerie de m vie, cetteme)ne conscience te le répétera avec une voix de tonnerre, a

Un pas retentit tout à coup sur les escaliers, et dissipamon rêve, en me rappelant à moi. Les heures dangereusesraient venir, et je me préparai en toute hâte aux adieux.

Je versai des larmes en jetant autour de moi un regardsur la chaise, le foyer, le bureau, et lcs autres objets quim'étaient familiers, sachant trop sûrement que je les con-templais pour la dernière fois. Dix.neuf ans se sontécoutes depuis, et pourtant je vois aussi distinctementquesi Jetait hier, les traits et l'expression de l'objet sur lequels'arrêtèrent mes derniers regards. C'était te portait d'uneaimabledame il était suspendusur la cheminée. Les yeuxétaient si beaux, et tout l'ensemble rayonnait d'une si cé-leste tranquillité que j'avais mille fois dépose ma plumeou mon livre pour lui demander quelque consolation,comme un dévot le fait pour son saint patron Pendantque je la contemplais, les sons graves de la vieille clocheannoncèrent six heures. Je m'avançai vers le tableau, jele laissai, je m'en éloignai sans bruit, et je fermai laporte pour toujours.

H y a tant de hasard et de bizarrerie dans l'alternativedes occasions qui font naître le rire et les larmes, que je

Ecrit <n«oût tStt.La gouvernante avait t'habitude de me raconter que cette dame avait

vécu (eUe voulait dire sans doute qu'elle était n~e) deux cents ans aupt.ravant, date qui concordait mienx avec la tradition qui attribuaitson por*trait à Vau Dytk. Tout ce qu'elle s~ait de plus rehtivementà !a dame,c'était quelleavait été une bienfaitrice defoH~e. soit pour )'e;o)cde Hr''m-tMire, soit pour le to)'~e d'Oxford qui était en relation avec l'école, soitpour )e cott~ed'Oxfordauquel c'ait spcciatementattaché M. La\s0n,soitenfin pour M. !.awson lui mCmc. t:Ue avait am.si été une bienfaitrice sps-ciale pour moi, gtâcc à ton expression charmante de Madone. Ce qui con.tneHeau~si jusq~ un certain point à rendre ce bienfait plus idéal, plusoet't:, c'est qu'elle me le rendait t.ans le savoir, sans que je connussesoncom, ni son rang, ni son âge, ni le pays oh elle av;)it vécu et fini sa vie;t'!e ttait séparéede moi par deux siècles,et t'étaisséparé d'ellepar l'abîme«< !'<:tctn:t;.

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ne puis maintenant me rappeler sans sourire un incidentd'alors qui fut bien près de déconcerter l'exécution demon plan. rabais une malle d'un poids énorme, car outremes effets, elle contenp.it presque toute ma bibliothèque.La difnculté était d'arriver à la remettre à un voiturierma chambre était située a un étage aérien de !a maison, et,qui pis était, l'escaliercorrespondant,à l'angle du briment,n'était abordable que par une galerie qui passait devant lachambre à coucher du professeur. J'étais en excellentstermes avec tous les domestiques sûr de leur discrétionet de leur connivence, je fis part do mon embarras à 'unvalet du professeur. Le valet jura qu'il ferait ce que }evoudrais et quand le moment fut arrivé,~ monta l'escalierpour descendre la malle. Je craignais que cela ne dépassâtles forces humaines, mais le valet était un homme

Aux fautes d'Atjas. faites }Mur porterLe poids des plus puissantes monarchies,

et il avait le dos aussi large que la plaine de Salisbury.En conséquence, il s'entêta à vouloir descendrela malle àlui tout seul, tandis que j'attendais au bas de la dernièremarche, inquiet de ce qui pouvait arriver. Pendantquelque temps je l'entendis descendre à pas lents et fermes,mais malheureusementcomme il tremblait en franchissantle passage dangereux, a quelques degrés de la galerie, lepied lui glissa, l'énorme fardeau, tombant de ses épaules,prit un élan croissant à chaque marche de l'escalier, etarrivé au bas, il roula ou plutôt bonditen droite ligna, enfaisant autant de bruit que vingt diables juste devant lachambre à coucher de l'archididascalus. Ma premièrepensée'fut que tout était perdu, que la seule chancequime restât d'exécuter une évasion était de sacrifier monbagage/Cependant, après réflexion, je me déterminai àattendre les événements. Le valet était dans la plusgrande alarme, tant pour son compte que pour le mien,mais, en dépit de cela, le'sentiment de. ce qu'il y

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avait do grotesque dans ce fâcheux contretemps s'~aitsi fortement empara de son imagination, qu'il poussaun long, sonore, bruyant éclat de rire capable deréveiller les sept dormants, Je ne pus m'empêcher de par-ticiper aux éclats de cette gaité tapageuse, aux oreillesmêmes de l'autorité ainsi bravée j'étais moins diverti parl'empressement risible avec lequel la mftiie bondissait damarche en marche, avec une vitesse croissante, un tapn~oredoublé, comme la ~aa: a~S~ (le rocher indomptnble)de Si;yphe', que par l'effet produit sur le valet. Nousnous attendions naturellement à voir M. Lawson bondirhors de sa chambre, car d'ordinaire, au moindre trottine-ment de souris, il en sortait comme un mMn de sa niche.Chose étrange pourtant en cette circonstance,quand levacarme des éclats de rire eut cessé, nous n'entendîmesdans la chambre a coucher ni un bruit, ni même un mou-vement. M. Lawson avait une douloureuse maladie quisouvent le tenait éveillé, mai:, rendait aussi son sommeiltrès profond quand elle le permettait. Encourogé par cesiience, le valet reprit la malle, et accomplit le reste de ladescente sans accident. J'attendis jusqu'à ce que j'eusse vula ma!!e chargée sur une brouette, et la brouette partiepour la voiture alors < avec lu Providence pour guide a,ou pour mieux dire, dirigé et conduit par ma folle étour-derie, je m'éloignaià pied, emportant sous le bras un petitpaquet <~ui contenait quelques articles de toilette, dans unepoche un poète anglaisqui était mon préféré, et dans uneautre un singulier volume qui renfermait la moitié despièces de l'Euripide édité par Canter.

Au sortir de Manchester, je pris une route qui se diri-geait par le sud-ouest versChester, et le pays de Galles, etj'arrivai tout d'abord (si mes souvenirs sont exacts) à laville d'Altrincham, dont le nom se prononce .AM~W~ew.Agé de trois ans et atteint de la coqueluche, j'avais été

Honore. (MyM~.

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transporté, pour être traité par le chaat;emen< d*<lr, surdinerents points du Lancashire, et pour que je profitassedans la plus large mesure possible de la variété dans lanature de l'atmosphère, on nous avait envoya, ma bonneet moi, passer la première nuit de notre voyage dans cettejolia petite ville d'Attrincham. Le lendemain qui annon-çait comme une splendide journée do juillet, je me levaiplus tôt que ma bonne n'aurait voulu, mais peu d'instantsaprès elle jugea bon de suivre mon exemple, et aprèsm'avoir infligé mon ablution matinale, suivie de la prièredomlnicnle, elle n)e revêtit de mes jupons, me couvrit, etme soulevant dans ses bras, elle ouvrit largement lafenêtre, ce qui offrit soudain à mon regard la scène laplus gaie que j'eusse vue jusqu'alors c'était la petite placed'Altrinchamà huit heures du matin. Il y avait marche ce;our-lâ, et comme jusqu'alors je n'avais pas la moindre

~idee de ce qu'était une vitie, réprouvai autant d'étonne-ment que de joie devant ce spectacle nouveau et animé.Des fruits comme on peut en avoir en juillet, des fleurs, ily en avait des monceaux. Les étals de bouchers, grâce àleur brillante propreté, me semblaient aussi intéressants,de même que les bonnes jeunes femmes d'Altrincham, quicirculaient en bonnet et *n tabliers coquettement arran-ges. La gaîté de cet ensemble,à cette heure matinale,jointe au murmure d~ ;?sversationsjoyeuses et des rires,qui montait comme celui d'une source jusqu'à la fenêtre,me firent une imp~ssiû~ si profonde qu'elle ne s'est pasdissipée. Tout cela, comme je l'ai dit, était réuni à huitheures dans une superbe matinée de juiMet. Ce fut aussià ce moment, par une autre superbe matinée de ;'uHet,que deux heures après mon départ de Manchester, je meretrouvai au milieu du marché d'Altrincham. Rien n'yavait changé. C'étaient les mêmes fruits, les mêmes fleurs,les mêmes bonnes jeunes femmes qui circulaient avec lesmêmes jolis bonnets, qui pourtant n'étaient pas les M~)K~.Peut-être la fenêtre de la chambre où gavait couché

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ctait*<ti< encore ouverte il n'y manquait que moi et maboMC, car hfhts quatorze ans entiers avaient pusse surcette scène, et j'y songeais. Ne.mmoins le moment dudéjeuner est toujours une des agréables péripéties de lajournée, c'est bien alors qu'un homme peut oublier dessoucis, c'est alors, et pour une raison de plus, quand il afuit une promenade de sept milles. Je le "entais; aussime suis-je arrêté a faire cette remarque, à noter lasingulière coïncidence qui me ramenait deux fois et tou-jours par simple hasard par le fait, les cloches sonnaienthuit heures, un même jour de juillet, quand elles m'appor-tèrent cette sensation agréable a l'œil et à l'oreille qu'of-frait k petit marche d'AItrincham. J'y déjeunai. Déjà part'enet de deux heures de marche, j'avais éprouve unedemi-guérison.Après un repos d'une heure, je me remisen route; toute ma tristesse, tout mon découragementavaient disparu, et quand je sortis d'Ahrincham, je me dis

Tous les endroits ne sont pas la G< M~iore. La dis-tanceentre Manchester et Chesterétait d'environ 40 milles.Qu'est-elle devenue par l'effet des chemins de fer ?Je l'ignore. Je comptais la parcourir en deux jours, carbien que je pusse faire ce trajet en un seul, je ne croyaispas utile de me fatiguer a l'excès, et mes f.~cu)tes ambula-toires étaient rouillées par un long repos. Je me proposaisde couper le voyage en deux parties égales, et a bien peude chose près, c'est-à-dire à deux ou trois milles, ce par-tage égal était obtenu en m'arrêtant à une auberge fortproprette située sur la route, et d'une catégorie assezcommune en Angleterre. Une bonne et maternelle pro-priétaire, jouissant de quelque aisance, que rien ne forçaità être rapace, et qui tirait les ressources moins de l'aubergeque de sa ferme, voila qui me promettait pour la nuit unsûr et profond repos. Le lendemain matin, il ne me restaitplus que dix-huitmilles à parcourir pour atteindre lavénérable Chester. Avant que j'y fusse arrivé, l'effet salu-taire que l'air et l'exercice avaient produit en moi, comme

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ils l'avaient fait et l'ont toujours fait depuis, était si éner-gique, que je me sentais enivré et débordant d'ardeur rbouillonnante. Sans la maudite lettre qui parlois

Planait sur moi,Comme le font Jet corbeauxau-dessusde la maison condamnée,

je n'aurais pas tardé à oublier ma gravité sous l'influencede cette santé renaissante.Car deux heures avant d'arriver& Chester, par suite de la direction sud-ouest que la routesuivait, je vis se déployer complètement devant moi cetincomparablespectacle

Nouveau et cependant aussi antiqueQue les fondations du ciel et de la terre

d'un splendide et triomphant coucher de soleil au-dessusdes montagnes du nord du pays de Galles. Les nuagespassèrent graduellement par des formes diverses, et dansla dernière je lus distinctement!a scène que t'avais trouvéesix mois auparavantdansun poème parfaitde Wordsworth;elle était tirée entièrement d'un journal de Londres, laCAroM~Me ~<!tM<-J<!MtM, à ce que je crois; il s'agissait 1

d't'n lac canadien

Avec toute sa foule féeriqueD'iles qui <cnt groupées ensemble,Et reposent avec un calme comparable aux coins du cielQui se voient entre les nuages du soir.

Cette peinture, que l'auteur du poème de ~M<A.avaitfaite d'après le ciel, il semblaitque 1~ ciel la ressuscitait etlui rendait la vie en copiant le ciel du poète. En juillet ï8oa,pouvais-je donc citer réellement Wordsworth ? Oui, lec-teur, et j'étais le seul en Europe. En 1700, j'avais connu~VbM~OMMte.! sept, à Bath. Dans l'hiver de tSot-zj'avais lu Ruth en entier; dès le commencementde t8o3,j'avais écrit à Wordsworth, et en mai i8o3, j'avais reçu deWordsworthune longue réponse.

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I,e matin, dès que je fus arrivé a Chester, la premièrepensée qui m'assaillit à mon lever, fut le souvenir de lamalencontreuse lettre tombée h ma charge. L'odieuse res-ponsabilité que m'imposait cette lettre devenait h chaqueheure plus irritante, car chaque heure ajoutait à rem-barras de mes mouvements cette lettre pouvait mettre les

employés de ln poste au nombre des gens qui étaient à ma~ro-trsuitc. L'indignation me saisissait, h la pensée qu'ellefaisait peut-êtrede moi un complice coupable de l'anxiété,ou même du malheur du pauvre émigré. Elle m'exposaitdoublement à être soupçonne avec injustice; d'abord sonétat le faisait présumer pauvre; de plus, il était étranger.J'étais furieux de voir que ce chitïbn de lettre allait meforcer, dans les auberges, à toutes sortes de démarchesévasives et sournoises, car il me paraissait important par-dessus tout, de n'être point arrêté, de n'être pas même in-terrogé un instant comme détenteur illégal 'd'une lettreimportante, et il fallait, en la remettant moi-même, dé-montrer que je n'avais nullement caressé l'idée de l'utiliserà mon profit. J'étais en quelque sorte obligé de rapporterla. lettre. Mais alors une démarche qui n'était pas simple,c'était de prendre mon chàpeau avant de déjeuner, de meprésenter au bureau de poste, d'offrir mes explications, etalors, comme le chrétien dans l'allégorie de Bunyan, dedéposer le fardeau qui accablait mon âme aux pieds deceux qui pouvaient me signer un certificat d'absolution.Quoi deplus simple?QuoideplusfaciIe?Riennel'étaitdavan-tage cela était hors de doute. Et si le faon que vous aimezétait emporté par le lion, rie serait-il pas fort simple, fortaisé de suivre le voleur jusque dans son antre, et de dé-montrer à ce gredin toute l'indélicatesse de sa conduite.Dans la situation toute particulière où je me trouvais,-lebureau de poste n'était rien moins que l'antre du lion..Heux troupes distinctes; comme je le savais à merveille,étaient à ma poursuite en ce moment, et toutes deuxallaient se réunir au bureau de poste. De tous les objets

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que j'avais an vue, il M'en était point de plus importantque d'éviterd'être repris. J'étais inquiet au sujet du pauvreétranger, mais je n'étais pas frappe de Jt'idée que je dusseme sacrifier à cette inquiétude, et ce-sacrifice me.paraiasaitle résultat inévitable de ma démarche au bureau de poste,et dans la suite, j'ai appris que cette crains était bienfondée. Mais je m'aperçusque, le contenu de la lettre, nepomment être détourne de sa destination sous un fauxmatériel, j'étais le seul a connaître cette circonstance.Desdoute< sur ce point devaient fortiner les soupçons de.ceuxqui auraient été en rapport avec moi, ou ~n rapport avec

-le fait.-On se serait adressé plus instamment au bureau depostepour réclamer le tt Monsieur Monsieur~, et-par suite,le bureau de poste aurait eu recours au prieuré; par suiteencore, ie bureau de poste et le prieuré se seraient concer-tés plus aisément pour arranger ma capture, dans le cas oùje me serais dirige vers Chester, ce que je devais fairenaturellement, si je voulais remettre moi-mêmela lettre~tux autorités ofHcielIes. II est évident qu'aucune de cesmesures ne m'était alors connue avec certitude, mais je lesregardaiscomme des probabilités raisonnables. H était évi-dent que mon évasion de Manchesterdatant de cinquanteet quelques heures, on avait eu tout le loisir nécessairepour concerter les préparatifs nécessaires. Il me restait unedernière ressource, en cas extrême, et elle m'eût sansdoute suggéré un moyen de me débarrasser de mon in-commode dépôt, et -j'aurais pu jeter de ce côté le regardbrûlant de malice que Simbad avait/sans .doute ~ancé auvénérablerufEan qui se tenait à cheval sur ses épaules.Mais les choses n'étaient pas aussi désespérées que pourSimbad: aussi, dès que j'eus fini mon déjeuner, je prismon chapeau et je me résolus à examiner l'affaire et à

..prendre un parti décisifen plein air. En cHet, j'ai toujourstrouvé plus facile de rénécbir sur un sujet embarrassant,en me promenant en plein air, sous le .vaste regard du cielnaturel, qu'en nrenîcrmant dans une chambre.. M~is a

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peine avais-je mis le pied sur le seuil que je fus arr&tJ parune idée évidemment quelques-uns des domestiques duprieure se trouvaient chaque matin dans les rues. Sansdoute je pouvais éviter ces rues en longeant les murs de laville. Je le fis, et {'arrivai a une aUëo obscure qui me con.duisit peu à peu jusqu'au bord de la rivière Dec. Depuissa source,danssa route par les montagnesdu Denbighshire,cette rh'iere fameuse dans notre histoire d'avant ic> \or~mands, par !a. plus ancienne des parades qu'a données lamonarchie anglaise <, est sauvage et pittoresque, et me'ncen aval du Prieure, où habitait ma mèrc, eHe a un aspectintéressant. Mais depuis ce point jusqu'à environ un millede son embouchure, de Chester u Parkgatc, eUe estpitoyablement doci!e,.M la plus grande partie de son coursofh-<: toma fait l'apparence d'un canal. Sur la rive droite*se trouve une levée artificielle qu'on nomme le Cop(sommet). Cet ouvrage a été bâti par les Danois, à ce queje crois,. et certainement ce mot est d'origine danoise,c'esl-â-dirc qu'il est islandais ou vieux danois. C'est lemême qui a formé le terme de eq~M~ (faite, chaperon)employé en architecture. Je suivais.cette rive et promenaismes regards sur l'ensemble du tableau que formaitle coursdelà rivière. Teuton me livrant à cette contemplation,

'jDMjMr, Cette paradc.tà fut fort décorative, car il quelque Qis<!an<:ed:)&<st-â-<!ireimmtidiMementau-desMnsduptieur~deStit)t-Ji:anEdgar, le pMfnitr.Mtn-entio de toute l'An~etertc, a)!a eu bateau, ayantpour rameurs huit roitelets ses vassaux.

La rive droite. Mais laquelle des rives est la d[oite ou la gauche,dans-des tireonstances qui varient à l'infini Geia peut causer UtteheM.Mioo,maisc'MnbarMuera qu'un iettem- sans expérience,car ta positiondu spectateur est toujours fixée d'une manière conventionnelle. Dans t&tactique militaire, dans la géographie raisonnee, dans l'histoire, on sup.pose uniformément que vous toun!M it: dos la source de la riviet~, etque vos yeux sui vent le courant.Dans ces conditions, le bord de la rivièrequi est à votre droite, esna rive droite-dansan sens absoluet non Teiatifcommecela serait dans une chambre, ï) suit de Jaque .tebord de iaT&taittqui ionseJeMiddlesexest toujours la rive gauche, et que la rive de Surreyest toujours la rive droite, soit que vous alliez de Londres à Oxford, soit~M'&iM.“ y0~f<<i<!à ?.vut!M:

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j'éprouvais d'abord quelque inquiétude, craignant qu'il yeût des Philistins par le pays, et il pouvait se faire à cemoment que j'eusse été épié. Mais j'ai remarqué, engênerai, que quand on cherchequelque moyen d'échapperaux Philistins de toute espèce, employés du shcriff,persécuteurs,peu importe, – on ne trouvera de plus sureretraité que dans les chemins bordés de haies, dans leschamps, parmi les vaches et les moutons; nuls êtres nese montrent plus tendres envers leurs petits, quand ils ensont séparés; en somme, je n'ai pas honte d'avouer unprofond amourpour ces tranquillescréatures.A ce~moment*là, nombre de vaches paissaient dans les champs au bas duCop; mais sur la longueur du Cop lui-même je n'aperçusaucun être qui me donnât l'idée d'un Philistin: en effet, iln'y avait personne, qu'une femme qui paraissait d'âgemoyen(j'entends parler de trente-cinq a quarante-cinqans), proprement vêtue, et qui ne pouvait en aucunefaçon appnrtènir ;a la catégoriede mes ennemis; je m'étaisassez rapproche d'elle pour en être sûr. Elle était àenviron un quart de mille devant moi, et s'avançait d'uttpas ferme de mon côté, face à face. Aussi je ne tardai pasà lire distinctement l'expression de ses traits, et son atti-tude devint un miroir qui reflétait et me renvoyait mespropres sentiments j'y vis en conséquence l'horreur, etje n'exagère pas en employant ce mot pour exprimerl'impressionque me causa un bruit formidable et tumul-tueux que j'entendis en avant. Je dis en avant par rapportà moi, mais c'était en arrière par rapport à elle. En deuxmots voici quelle était'notre situation. Environ p. un demi-mille en arrière de l'endroit où était la femme, lè bord dela rivière que nous suivions tous deux se terminait pic,de telle sorte que lè bord voisin, formant presque un angledroit, était caché entièrement à la vue. C'était de ce bordinvisible que partait ce bruit inquiet, si passionné, si mys-térieux. Pour moi qui jamais en ma vie n'avais entenduces 'clameurs de bataille funëuse, et n'avais pas même

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connu c<t bruit par les livres ou sur ht scène, ett prose nien \et$, je ne pouvais que murmurer un essai do conjec'ture sur sa cause probable. Je sentais seulementque c'étaitun être aveugle et sans organisation, dans une colère quin'avait rien d'humain ni de bestial, qui pouvait s'exprimerainsi par un tel tumulte de grondements océaniens. Qu'yavait-il? On ce!a se passait-ii? D'où cela venait-il? Etait-ceun tremblement de terre, une convulsion du sol ferme?r

rEtait-ce une antique lagune comme celle du Soiway, quibrisait ses chaînes? Cela était plus vraisemblable qued'admettre l'alto no-~c~ d'Euripide (un fleuve qui couleen remontant vers sa source) enfin réalise après des sièclesd'attente. Je n'eus pas longtemps h attendre une demi-minute après que notre attention avait été éveillée, lacause prochaine du mystère se révéla à nos yeux, bien quela cause éloignée, cause secrète d'une cause visible, fûtaussi obscure qu'auparavant. Autour de ce coude a angledroit que formait la rivière, ainsi que je l'ai décrit, aussivite qu'une charge de cavalerie, mais avec une régularitéparfaite, l'eau du bord le plus éloigne allant aussi rapide-ment que celle du bord le plus'rapproché, de façon a pré-senter une ligne tout à fait droite, s'avançaitvers la partietranquillede la rivière, une grande masse d'eau, qui rem-plissait toute la largeur du lit, et progressait à raison dequarante milles à l'heure. Il était heureux pour nous, moiet la respectable dame de la campagne, le Deucalion et laPyrrhade ce dangereuxmoment, seuls survivants probablesde ce déluge, que grâce au Cop et aux anciens travaux desDanois, qui. peut-être n'ont pas encore été payés, nouspuissions survivre, car à ce moment-là, et sur le Cop enquestion, il n'y avait personne que nous deux. En fait,cette fortification d'eau, mur perpendiculairequi s'avançaitaussi vertical.que s'il eût été réglé par le fil à plomb d'unmaçon, allait avec une rapidité telle que, sanscontredit, leplus léger des chevaux ou des dromadaires n'eût pu luiéchapper. Plus d'un chemin de 1er, parmi les cheminsde,

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fer qui lui ont succédé à Fenvi, n'aurait eu le tiers d'unechance. On pense bien que je n'eus pas le temps d'étudierïa chose en détail; je suis un pauvre sire, au point de vuedes facultés observatrices;sans cela j'aurais pu dire que cebloc liquide marchait non pas au galop, mais à un trotallongé, oui, très allongé, l'allure la plus redoutable chezan tigre, un buffle, une masse d'eauxen révolte. Un fan-tôme même, j'en suis sûr, me ferait plus de peur, s'il arri-vait sur moi à un diable de trot allongé, que s'il fondait augalop. Le premier mouvementfut pour nous un effet de-latacheté, de la lâcheté la plus abjecte, la plus égoïste. Telest l'homme, mème un Deucalion de choix; telle est lafemme même, une Pyrrha convenable. Nous nous mimestous deux & courir comme des lièvres, et pendant les pre-mières soixante secondes, Deucalion n'eut pas la moindrepensée pour la pauvre Pyrrha. Mais encore pourquoi? Jem'imaginai sérieusementque le canal Saint-Georges, et parsuite, sans doute, l'océan tout entier, avait brisé sesbarrières, et que sans doute aussi, il se livrait aux mêmesinconvenantes gambades sur les riviér&s, le long d'unrivage de six ou- sept millè milles. Dans ce cas, c'en étaitfait de l'espèce féminine. C'était pour moi un sujet despéculation fort romanesque étant le dernier des lettrés,qui survécût, j'avais devant moi pour sujet de réflexionune pauvre Pyrrha probablement tout a fait iUettrëe, et àlaquelle je n~avais jamais adressé là'parole. Cette idée mefrappa. Je ne lui avais pas parlé. Alors, je lui parlerais,cela était d'autant plus urgent, que le bruit de l'eau quiavançait m'avertissaitque la fuite était inutile. De plus, siun reporter, un second rédacteur de quelque journal deChester promenait à ce momentsa longue-vue sur le €<~p,'et me découvraitdans cette attitude peu chevaleresque,ilme condamnerait sans faute au gibet pour l'éterni t~ Jem'arrêtai donc; je n'avais d'ailleurs fait que quatre-vingtsou-cent pas au plus, et j'attendis ma solitaire co-propfié-tair< du Cnn.KUe étaitun peu esM~ftMe d~oircfMtEU,. et

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.n'ait quelque peine à répondre, En outre, à ce momentmcme, la colonne jiHftM~r~ d'eau, marchant dans unsans tout à fait opposé a celui du courant K.«M~ de litrivière, allait de notre côte, en faisant un bruit d'ouragan,et envoyait aux rives du Cop un salut aquatique elleaffirmait hypocritement son intention de nous baiser lespieds,. mais il n'échappait à aucun des intéressés, qu'il yavait la une traîtreuse prétention de nous entrnlner dansle déluge des vagues pendant ce temps-la, le Ûot puissantqui refluait, grondait comme une charge de cavalerie, etlaissait dans la vue comme dans l'ouïe, les preuves de saterrible puissance. Mais que me dit la partenaire qui étaitassocia avec moi à ce drame enrayant, lorsqu'elle vint àmoi? Que dis-je alors? Le hasard ilt que je lui parlai lepremier, malgré le fait notoire et incontestable, que /<? lielui <!MM pas d~n~e~. H faut établir, comme une rcg)csolennelle décidée et sans appel possible, qu'au milieu desgrandes convulsions de la nature, comme un tremblementde terre, une trombe/un cyclone,une éruption du Vésuve,il est et sera légal a l'avenir, nonobstant tout usage, toute:tradition contraires,. que deux Anglais pourront commu-niquer ensemble, lors même que par déposition faitedevant deux juges de paix, il aura été prouvé qu'ils n'ontpu être présentes l'un a l'autre; dans toutes les autres.circonstances, l'ancienne législation qui prescrit de ne pas,se connaître,. reste en vigueur. Le cas actuel, a. défaut de-témoignages plus évidents, pouvait être regardé, sinoncomme un tremblement de terre, du moins comme faisantpartie des fruits ou des fleurs que produit d'abord letremblement de terre. Je n'ai aucun scrupule à m'exprimer.ainsi. Toute ma frissonnante réserve angtaise se dissipasous l'impression brûlante d'avoir été vu. pendant que jecourais pour sauver ma vie; supposons que la colonned'eau, se fût mise redescendre le courant, au. lieu de. le.remonter; dès lors nous et tout le comté Palatin, nousaurions dû encore courir pour lui échapper. Quand uh tel

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pé)U menace tout à la fois, assurément la n~pp~~h (lefranc-parler) doit obtenir la liberté de s'exercer sansattendre une autorisation.

Aussi je demandai à la femme ce que signinnit cet hor-rible bouleversementdes eaux comment comprenait-ellece mystère EHe répondit que bien qu'elle n'eut jamaisvu jusqu'alorspareille chose, elle en avait souvent entenduparler par sa grand'mère, que si elle avait couru du mêmecôté, c'était parce que je courais, et peut-être aussi unpeu parce que le bruit l'avait enrayée. Mais qu'était-ce?Je le lui demandai. – C'est le Bore, me répondit-elle. C'estune indisposition laquelle sont sujettescertaines rivières,et la Dee en était une. J'étais si ignorant que jusqu'alorsjè n'avais jamais entendu dire que certaines rivièreseussent une telle maladie nerveuse. Dans la suite, j'apprisque, dans le voisinage, un cours d'eau bien plus impor-tant-éprouvait, aux marées de printemps, les mêmesaccès hystériques, qu'il en était de même de quelquesautres rivières en petit nombre en Angleterre, et que dansles Irides, il n'y avait que le Gange.

Enfin, quand le Bore eut été considéré sous tous lesrapports possibles par notre ignorance mise en commun,j'abordai un sujet tout aussi encombrant, et qui m'en-nuyait bien plus que n'importé quel Bore, savoir lalettre étrangère qui était dans ma poche. Le Bore nous

-avait causé une alarme qui avait bien duré quatre-vingt-dixou cent secondes, mais la lettre aûrait empoisonné monexistence entière, comme le diable prisonnier dans labouteille, aussi longtemps que je n'aurais pas réussi à latransférer à une personne qualifiée légalement pour larecevoir. Ma belle.amie du Cdp ne serait-ellè pas m'arquéepar le Fatum comme- la a femme future a née pour medélivrer de cette malédiction*de poche! Il est certainqu'elle montrait une simplicité rustique comparable àcelle d'Aubreydans « CowMte yoM p/<!t'ra ». Elle n'avaitpas plus qu'Aubreyreçu des dieux le don d'être « poétiques,

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mais au point de vue de.ma mission spéciale, cela pouvaitêtre au nombre de ses meilleuresqualités. De toute fa~onj'avais l'esprit accablé sous le poids de la responsabilité i

nie présenter en personne au bureau de la poste, c'était,je le savais sincèrement, ruiner mon. entreprise dès le:premier pas. Plusieurs agents pouvaient être employés,et pouvait-on en trouver un qui par ses regards, son lan-gage, ses manières inspirât plus de confiance que cettefemme, envoyée par le hasard ? Le cas s'expliquait de lui-même elle comprit aisément, comment une ressemblanceJe nom avait fait tomber la lettre entre mes mains, et quele procédé le plus simple consistait l'expédier à son vraipropriétaire par le vrai canal, savoir la poste générale, cetteinstitution qui ne sera jamais assez estimée, et qui plantesa tente nocturne à Lombard Street, mais qui pour ce casspécial était également représentée par le bureau de postede Chester. Ce service ne lui causerait aucun désagrémentet d'autre part tous les intéressés lui devraientde la recon-naissance. J'avais été sur te point de donner à ma recon-naissance la forme d'une demi-couronne, mais j'eusnaturellementquelque incertitude sur la situation qu'elleoccupait dans la société. Elle pouvait être la femme et non.la domestique d'un fermier, et je trouvai ingénieux de

supposerqu'elle avait une jeune sœur; et ce fut à cettepersonne imaginaire que je demandai à offrir mon présentsous la forme d'une poupée.

Je puis donc, après avoir été provisoirementDeucalionpendant le court intervalle de cette panique, prendre congéde ma Pyrrha, la seule compagnedes périls et des angoissesde ce terrible Bore, et j'envoyai ma Pyrrha, la .Thessa*lienne Pyrrha, non pas à la vallée thessaliennede Tempé,mais- ô puissance de l'anachronisme de l'imagination1.

– au bureau de poste de Chester, non sans l'avoir avertie-de ne se laisser à aucun prix arracher son secret. Sa posi-'tion, au point de vue diplomatique, était, comme je k:lui..ns comprendre, meilleure qu~ celle du bureau .de

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poste; elle avait plein pouvoir sur quelque chose idsur un bon do quarante guioees, tandis que l'orgueilleuxbureau de poste a'avxit, pour repondre à «y plein pouvoir,aucun titre, dont il pût se prévaloir, soit dans le présent,soit dans l'avenir. Elle pouvait être comparée a, unePandore, et la bo!)e qu'elle portait contenait au fondquelque chose de rieux que l'espérance, car l'espérancenous trompe souvent, mais une traite snr Pnyne, Smith etPayne, ne trompe jamais, et la valeur de ce titre était unesomme qui, d'après Goldsmith, suffitpourMre d'unclergy-man anglais un homme « rëputë riche » pendant unedouzaine de mois cela lui donnait le droit de regarderavec dédain tout« les pefxonHM qu'te rencontrerait.

Environ deux heures- après, la compagne de monroyau'3'te solitaire sur le Cop reparut, me rapportant l'ua'suraace bienvenue que Chester avait survécu au Bore,et que tout ce qui était courbe allait être rendu aussi droitqu'un trajet de nèche. Elle avait donne mon « pouletJt

comme elle disait, au bureau de poste, elle avait étéremerciéepar plus d'un ou deux des hommes de lettresqui figuraient dans le personnel de cet établissement onlui avait assuré. que, bien avant la fin du jour, une vastsCornucopiade justice et de bonheur serait répandue surla tête de toutes les personnes qui avaient pris part.à'l'ac-tion. Pour moi, qui n'étais pas le moins accable desacteurs, je -me sentis soudain soulagé et remis de tout lepoids injuste de la responsabilité qui pesait sur moi; lepauvre émigré fut délivré de sa lutte avec des craintes quiétaient incertaines et des créanciersqui étaient trop. cer-tains; le bureau de poste fut délivré du scandale et desembarras d'une irrégularité si grossière, qui auraient pumettre à bas le directeur général des-postes; enfin leshabitants-du Prieuré furent soulagés des anxiétés grandesou petites, fondées ou imaginaires,qu'aurait pc'leur causermon indélicatesse supposée.

il était une personne qui ne pouvait coade~cendre à

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participer à cette inquiétude. C'était mn sM-ur Marie, plusu~je que moi de onze mois accomplis. C'était lit pluanoble fille qu'on pût voir, et au premier mot, elle avaitmanifesté le plus incrédule dédain pour toute suppositionque son frère iut capable d'avoir seulementconçu la bassepensée de faire du tort h un exilé pauvre. Kn ce moment,j'échangeai quelques mots d'adieu avec mon ûdete agentféminin t n'ayant plus rien qui me retînt à Chcster,l'exception de ce qui regardait cette sœur. L'affaire enquestion n'était pas de la remercier pour m'avoir rendurésolument justice, car je ne pouvais rien savoir de cettebienveiHanie action je voulais seulement la voir,apprendre d'elle ce qui se passait au Ptiemé, et tue mettreen état de correspondre régulièrement avec elle, d'aprèsles moyens qui m'étaient permis dans ma situation. Or, unoncle maternel, qui avait un grade dans l'armée du Ben-gale, était venu en Angleterre avec un conga de trois ans,comme c'était l'usage alors, et était en visite nu Prieuré.Le personnel domestique de ma mère se composait ordi-nairement de cinq personnes, toutes âgées et peu actives.mon oncle qui avait ramené en Angleterrede beauxchevaux persans et arabes, avait jugé nécessaired'adjoindreà son écurie un supplément de valets et de grooms. Tousétaient alertes et actifs, et quand, a travers le crépuscule,je regardai les fenêtres du Prieuré dans l'espoir d'attirerl'attention de ma sœur, je n'atteignis pas mon but.Je n'aperçus pas de lumière dans la chambre qu'elle devaitcertainementhabiter, et de plus je m'aperçus que j'étaisdevenu l'objet d'une attention particulière pour certainsdomestiques inconnus, qui avaient évidemment reçudes ordres pour me rechercher, et à qui mes allures

Certainesf;etts MM irrite!,ou mïme croientînMtMtpar des 9Ui!<S)at!on9 déguises comme d'aatret !e sont par des MtembouM.A. cepKt-pos, qu'on me perateftt de dire que s'il y < dtns ma phrase huit motsde Mite <Mn«)t<Utt par un. c'est par pur <ccideat. II yen a.'ait neafd?n~ le texte primitif mais pour 4patgner ces gent sU9ceptU)!e& j'ai6ubstitu<~m~<'<tà,MM/c./ft'

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inquiètes firent supposer que )'ëtais lit personne en ques.non. Déconcertepar Fnspect nouveau de toutes choses, }em'éloignai~ et je revins une heure après/porteur d'unbillet pour ma sœur je la priais dans ces lignes de guetterune occasion pour venir pendant quelques. minutes sousles ombres des petites ruines dans te jardin du Prieuréoù je l'atténdais, Je remis ce billet h un étranger, dont lecostume m'annonçait un groom, et le priai de le remettre

/.M ) «~~ J<<))! ~r~'M ~M ~rxH~. – Le prieuré de Stint-Jto)avait f.)it partie d'une fondationmoustique anaehttAhtres antique églisede Saint-Jean, située hors de l'enceinte de Chetter. Dtt )ecommencementdu xvu* siècle, le prieure, ou ce qui en restait, fut utilisé comme maisond'habitationpar tir Robert Cotton, l'archéologue, qui, Mion iatradittou,y reçut la visite de Ben JonMn. Ce qui avait furTecu du prieuré, quandttet~thtbitepMCotton. ettit,Muf)teuhine, la n))ni:nured'une mottonnoble, avec un toit de pierre en \'oa<e, tout comme il avait été'fait pourks nMResd'un ~t.)b))SMme))tmonastique.!.c petit hall de l'entrée, la salleà ))m'f;e')aprinci)'x)echambre à coucher, <!tt)ie))t d'une tteg.~ncemodeste,et* rapport exact avec le ~enre de vie d'un lettré cetibataire, et étaientMites dans le :nSmeetato&Cottontes avaitlaissésdeux sièclesttup~WMtMa)<! cet aspect de petit château qu'avait le prieure, avait, ~(âce A desretMnchemeuts successifs, fait succéder les dimensions de i'in-ta àt'in-Mio royal; i) se devinait surtout aut belles ruines qui ornaient lapetite peiouse. et qui conduisaient a la maison, à travers le hall. Cesruines consistaient et) trois arcades, qui étant en demi-cercle,et non oei-\'i))es, étaient ditti saxonnes, et non gothiques. A quelle forme architec.turate appartenaient-eites réellement, c'est ce que j'ignore. En tout casla vieille églisede Saint-Jean,dont le prieureavait à une certaine époqur,été une dépendanceavait un caractère désagréablede simplicité grossièreet nue. Mais les petites rujnes avaient une beauté réelle, et attiraientpendant tout l'été, et chaque année, des artistes, des dessinateurs. Je lieme souviens, pas si elles étaient embellies d'ornements architecturaux,mais elles intéressaienttout le monde, d'abord parleurproportion deminia.ture, qui, si e'tes eussent été portatives. leur auraient valu d'être intro-duites directement, comme décors et efron~ft! fe)'MH<e sur les scènesdramatiques de Londres; de pius, elles étaient surmontées d'un couronne-ment naturel de la plus riche composition, forme de buissons, de lieurssauvages, de fougères, e: qui était d'une beauté ravissante.Ce fut souscet aspect attrayant que ma mère vit le petit prieuré, qui était alors àvendre. Comme résidence, il avait ]e grand avantage d'être situé à uneeertaine distance de ChestCr, bien que cette ville, ecmme toutes les viliesépiscopales,eSt une population tranquine et respectable. Ma m~re t'acheta,y ajouta un salon, huit ou neuf chambres à coucher, cabinets de toilette,tt< en te conformant an plan original de cette miniature;elle en fitainsi une très jolie résidence,une petite retraite sur laquelle régnait toutela grâce de t'tntiquité monastique

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à la jeune dame dont il portait l'adresse. H me réponditd'un ton poli qu'il allait le faire, mais ce ne pouvait êtreune réponsesincère, carla chose était impossible, comme jel'appris bientôt. En enet, moins d'uneminute après, je vis

se glisser a travers les ruines, non pas ma jolie sœur, maisl'oncle que le Bengale avait bronzé 1 Un tigre du Bengale

ne m'aurait pas terrifié davantage. C'était, j'en étais mor-

tellement sûr, une barrière qui allait opposer une résis-tance iatale a la poursuite de mon projet. Je me trompais.Entre mon oncle et ma mère, il existait une profondeaffection. Ils se regardaient l'un l'autre comme les seulsrestes d'une famille où avait règne une mémorable har.monie, mais, par certains'traits du caractère, il n'existaitpoint au monde de personnes qui fussent plus vivementopposées, et cela se vit bien dans la circonstance actuelle.Dans le repos immuable de sa maison pleine de décorum,

ma mère regardait tout mouvementviolent et irrégulier,et par conséquent le mien, du même œil qu'elle aurait vul'ouverture du septième sceau dans l'Apocalypse. Mais

mon oncle était tout a fait du siècle, et, ce qui parlaitencore plus puissamment à mon égard en cette circons-

tance, il était d'une activité maladive. Rien ne lui parais-sait plus naturel qu'une personne douée de raison préférâtle voyage a travers les fraîches montagnesdes Gatles, il laroutine servile des études parmi des livres rébarbatifset lapoussière, en compagnie de maîtres aussi poudreux aussiparaissait-il enclin à regarder ma conduite comme un acteextraordinaire de courage..Sur son avis, il fut décidé qu'ilne fallait pas espérer de lutter contre mes désirs, et que jeserais laissé libre, de poursuivre mon premier projet deparcourir les montagnes de Galles, à la condition de mecontenter de la mince allocation d'uneguinée par semaine.Mon oncle dont la prodigalité indienne courait après touteoccasion de se manifester bruyamment, aurait consentiVolontiers ce qu'on me fît une allocation bien plus ét .<due, et m'aurait lui-mêmedonné en cachette tout ce que

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j'<mraït demande. M~as, ~dane /moa ~gnonmce ~énerate,Kience que je possédais à fond, i}e jugeais cette sommesuf&MuMe, et.à ce moment, ma mère qui avait adhèrepassivement aux propeaitions de mon onde, intervint avecune ngw~r, qu'au ~ond de mon eceur }e ne pouvaisdésapprouver. < Un subside plus considérable, disait-ellefort raisonnablement, Jte serait qu'ua encouragementprouvant à mes deux frères cadets que la révolte étaitrécompensée,et que l'indocilité était le meilleur moyende se procurer des aises et du bien-être. A ces mots, ma.conscience s'émut. Je reçus comme une commotion elec-trique cette allusion, exprimée d'une manière si inat-tendue, par rapport à mes frères. A dire la .vérité, je ne lesavais jamais fait entrer dans mes réflexions en examinantles conséquences éventuelles qui pouvaient les détournerd'imiter mon téméraire .coup de tête. Ainsi donc, le troi-sième jour, résonnait avec un tintement solennel, .répètepar un écho retentissant dans ma conscience réveillée,l'un des nombreux reproches que j'avais a mc~aire~ .mas'que et prédit sans détails précis par la pensée secrète .quej'avais -eue sous le dôme de la cathédrale de Saint-Paul,dans la G<7er/e sonore. Dans cette circonstance spéciale,je sais quemon mauvais exemple n'a jamais eu de résul-tats fâcheux, mais au moment où ma mère exprima cettetristesupposition,la crainte de voir se produire ces jresul-tats excita mes remords. Mon frère cadet, enfant d'uncaractère généreux et héroïque, avait pour maître d'écoleun homme brutal et sauvage. Ce frère, je,le sais bien,avait des raisons plausibles, dix fois plus puissantes quetoutes celles que je pouvais alléguer, pour imiter monexemple. Il était infiniment probable qu'il agirait ainsi,.mais bien des années plus Mrd, rappris de lui-mêmequ'ilne Ie.&tpas. La méchanceté .diabolique de son-maitreluidéviât a lal&n insupportable sans songer à oon exemple.<t dans des circonstancestout à jait diRëcemMs, Jean &)Bre-conquit sa liberté par .des moyens que hti:suggérerent ses

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preste, d~nales Hmnesque lui laissaientses ressourcesil s'embarquasur la vaste étendue de l'océan, parcouruten sept ans ia périlleuse carrière du roman nautique sonnom fut enacé de tous les souvenirs en Angleterre ildevint par nécessité pirate parmi les pirates, fut exposé àmourir comme meurent les pirates quand ils sont pris,maisonmatin de batniUe, il réussit à déserter le drapeausanglant, parvint h rejoindre l'expéditionaventureuse desAnglais à Montevideo, combattit sous les yeux de l'amiralHome Popham, le commodore, et vingt-quatre heuresaprès la victoire, fut élevé au grade de midshipman,sur leDiadème; vaisseau'de guerre de 64 canons, qui portait lepavillon de Sir Home. J'ai raconté tout cela àilleurs avecplusde détail. Je raconte ces faits ici encore et en résumépour-dire que ce ne fut pas par mon influence qu'il s'en-fuit loin d'un tyran brutal. Je suis arrivé maintenantàsavoir cela, mais alors je ne pouvais que l'ignorer. Et puis-que j'avais.si bien oublié qu'un tel résultat fût.possible, etcausât tant de malheurs à mes jeunes frères, commentn'aurais-je pas oublie cent autres conséquences également.probables, également pleines de dangers? Cette réflexionm'attrista, et rendit de plus en plus pénétrante la penséeprophétique, de l'oracle à la voix funèbre, dont les éclatsde tonnerre avaient retenti, comme la menace faite àBalthazar, le long des murs de la Galerie 30?!0~. En fait,il y a dans la vie des sentiers embrouillés et inconnus unchoix arbitraire est d'abord le seul motif qui vous fasse faireou vous empêche de faire Ie;premier pas c'est un voyagea travers une vaste forêt kercynienne,que nui n'a exploréeni décrite; chaquepas que vous y faites vous fait entrevoirl'inconnu tout auïOMr de vous, dans ce que vous allez par-courir, et par la même modifié vos-jugements sur ce quevous laissez en arrière. Et même ce que vous connaissezpar une expérience absolue,passée et achevée, ce qui'vousparatt de tuâtes les~hos~s ~iu monde le plus sûrementscellé, leplut certainement fixé, cela même, vous devez le

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tenir en suspens, le regarder comme exposé à des eondi~tions contingentes,possibles, comme sujet à subir dans soncaractère provisoire des afnrmations, des négations,. selondes combinaisons nouvelles où cette chose peut entrer avecdes. éléments qui peut-être ne viennent que du point dedépart ancien et primitif.

Attristé par ces réflexions, je le fus encore plus par lafroideurde ma mère. Si je pouvais me hasarder supposeren elle un défaut, c'est que dans son caractère hautementtendu, elle dirigeait trop exclusivement sa froideur versceux qu'elle savait ou croyait les auteursd'un mal, à quel-que degré que ce fût. Parfois, son austérité pouvait pa.raître injuste. Mais alors toute l'artillerie de son déplaisirsemblait se démasquer, et avec justice, pour tirer sur uneaberration morale, qui n'offrait à ce moment aucuneexcuseadmissible; cela se disait dans un coup d'oeil, s'expri-mait d'un seul mot. Ma mère avait de t'inciinaïion à jugerdéfavorablementles causes qui avaientbesoin de beaucoupde paroles; de mon côté, j'avais du talent pour les subtilitésde toute nature et de tout degré, et j'étais devenu naturel-lement expert dans les cas qui ne pouvaient laisser. tomberleur appareil extérieur et se présenter sous un aspect aussisimple. S'il y a au monde quelque misère sans remède,c'est le serrement de cœur que donne !'7<KWKwuM!<'<e.,Qu'un autre sphinx vienne proposer à l'homme une nou-velle énigme en ces termes Y a-t-il un fardeau, absolu-ment insupportable pour le courage humain? – je répon-drai aussitôt c'est le fardeau de l'incommunicable.A cemoment-la, alors que j'étais assis dans le salon du Prieuréavec ma mère, sachant combien elle était raisonnable,combien patiemment elle écoutait les explications, com-bien elle était franche, ouverte à la tendresse, je n'en estais-pas moins abîme dans.un désespoir infini par la difncultë'de me faire entendre. Elle et moi, nous avions sous. tesyeux le même acte, mais elle le regardait .d'un .centre,et:.ïno:.d'an autre. J'étais ~certam' s' pendantune demi-

a

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minute elle pouvait ressentir l'impression mortelle dessouffrances que j'avais combattues pendant plus de troismois, cette somme d'angoisse physique, cette désolationde toute vie intellectuelle, elle aurait exprimé avec élanson pardon pour tout ce qui lui apparaissait alors commeun simple éclat d'insoumission capricieuse. « Dans cettecourte expérience, se serait-elle écriée, je lis un arrêt quivous acquitte; dans ces dures soufïrances, je reconnais unerésistance digne d'un gladiateur, » Voilà ce qu'aurait étéalors son verdict, dans le cas que je suppose. Mais des rai-sons infiniment délicate: rendaient cette supposition irréa-lisable. De tout ce qui se présentait à ma rhétorique, iln'était rien qui ne représentât mes souffrances d'une ma-mëre aussi faible que puérile. Je me sentais impuissant,désarmé dans cette difficulté languissante ù affronter, ouà essayer d'affronter l'obstacle qui était devant moi,commeil nous est souventarrivé, dans nos rêves enfantins,de lutter contre un lion formidable. Je sentais que la situa-tion était sans espérance un mot unique, que j'essayaisd'exprimerde mes lèvres, se mourait en un sanglot, et jeme laissais aller passivement à un aveu apparent qui sedessinait dans toutes les apparences, à l'aveu de n'avoiraucune excuse acceptable à présenter.

Une des alternatives, dans l'offre qui m'avait été faite,était la permission de rester au Prieuré. On me laissaitlibre de choisir entre le Prieuré et le voyage dans les mon-tagnes des Galles. Ces dernières et le Prieuré m'offraientun séjour attrayant. On pourrait s'imaginer que ce dernierme laissait exposé à des reproches nouveaux et intermit-tents il n'en était rien. Je connaissais assez ma mère pourêtre sûr qu'apïês avoir exprimé avec chagrin sa désappro-bation pour ma conduite, après avoir rendu toute mépriseimpossible ce sujet, elle était prête me donner unehospitalité bienveillante, et dans les choses ordinaires, àme témoigner sa bonté; mais cette bonté ne serait pasce!;? qutjM~ fera:! oublier ma situation douteuse sous

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~'e'mbre de son déplaisiron me lai~MMh l'esprit a!H<~Ubft'pour m'entretenir à l'aise sur n'importe quel ~o~t. Uahomme dont la conversation est simplementtuppe~tee~etqui laTient expQMe à une protestationeoanoucUe, coo~n~<etnitle cil, pourmoi, ne peut éprou~fcetK liberté ttisëe,h OMintd'avoir un.; scnsi')iHtJ ohtuM et gr&Mier~.

Lft mienne, d.ms des cirootMtanc'M comme ccHcs où ;eme trouvai!, était si loin d'~re obtuse, qu'eU~ë~it d'uneacuité morbide tt ettraf~~nte. r&vais commis. unefaute, je le snvait, et je ne cherchais p;)s me k' di~simu*let. Vrauntat la Yioh:nù&de !'angfttMc. qui m'avanMft re-courirà l'expériencede ht Galeriesonore,et i<t!i:;cifiextiooL&ymbott<;ue que )'avais attribuée à cette expérience, maai-fe'Haien.t indirectementmon profond sentiment de L'erreurcommise parque adonnais; pour.moi, par des voies mystérieuses, le sens et les conséquencesde cette erreur devaient s'ngrandir à chaque époque de lavt~ à mesure que ie reporterais mon regard sur cette er-reur, d'une distance ptu-: éloignée. De plus, cette tUusiottfortuite à mes frères m'avait fait soudain, et douloureuse-taent songer à une autre, à une nouveUe faute côntre mesdevoirs de fils. Une mère, surtout quand elle est veuve, a.tout particulièrement le droit de réclamer le concoura deson S): aîné et toute son aide pour exercer une influencesalutaire sur les pensées et les desséins des enfants plusjeunes, et si tel est le droit d'un&mere, combien plus pos-séde-t-eite celui d'exiger un tel concours~ quand eUe !t,comme le fit ma mère, satisfaità tous le: devoirs maternelspar des sacrifices de toute sorte, dont je connaissais toutela valeur. Elle était camparativement jeune, n'ayant que-trente-six. ans, et avait fermement refusé toute proportion,au moins dans deux occasions distinctes~où on lui oSraitd'honorables partis, -et cela par iidetitépour I& souvenirde mon père, et dans l'intérêtde ses enfants~

U ;m'ëtait impossible de ne. pas lire, dans des exemplespareil~ et-dépourvus -de ~oate oa:<tt!pHe<s, ma- ci~p

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mootr&H sx bonté, un appel u prouver d~ nwn côté t~

tneMû e'apres~ment à diminuer de mon mieux le poidsJe sa responsabilité. Hélas en ce qui regardait ce devoir,je ne M.)tais que trop certainement mon erreur une o&-casioH avait été volontairement négligëet et cependant }<:

sentais qu'un arbitre impartial lui-même ne pouvait voirdans les apparencesqu'une faible piu'tiù de ce qui phtidaiten ma faveur. Ce qu'il eût i'.)Uu dire pour me justifie,- avec~u<:< dev.tit être dit non par moi, mais pur un ~oc:ndtsint<res~e, et je n'en avais &ucun ai ma disposition. J)an.;i.r~veuglû détresse de mon Sme, dans l'angoisse de maconscienceet de mon cœur, j'étendis les bras pour cher-cher mon seul auxiliaire c'était ma sœur aînée Mary, carnM sceur Jeanne parlait a peine. Ce fut aveuglement,ma-ch~naiement, que )'etendi& les bras comme' pour appelerson attention et pour donner une forme à la pensée qui sedébattait, j'allais parler, quand je m'aperçus tout a coupque Mary n'était point la. J'avais entendu un pas derrièremoi, je supposais que c'était le sien. Le domestique,en sechargeant si vite de nm lettre, m'avait fait croire qu'clieallait apparaître dans quelques instants. Mais elle était bienloin, elle accomplissait une mission d'amour inquiet et'fraternel. Aussitôt après ma fuite, un exprès avait été en-voyé de Manchester au Prieure; cet exprès bien montéavait fait tout le chemin en quatre heures. H avait dû medépasser dès le premier jour de ma marche,et moins d'uneheure après son ayri.vce, il vint du bureau de poste unecommunication qui expliquait la nature et le contenu deh lettre tombée si mal a.' propos entre mes mains. L'a-larme se répandit aussitôt au Prieure, il faut avouer que lacoïncidencede mon évasion avec cette remise certifiée d&la lettre entre mes mains ne donnait que trop de fonde-ment la. connexion qu'on établissaitentr& les. deux fMt&.

Je fu& reconnaissantenvers ma sosur Mary pour avoir ?é<sisté aux apparences qui parlaient si fort contre moi, etcepend&nti&n'a.vai&aucun dro'ide me plaindre de c:ux1

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qui auraient cède à ces apparences. H semblait probableque j'avais viole les lois de quelque manière, soit par unfaux, soit en m'appropriant frauduleusement le contenude la lettre. Dans les deux cas, ce qu'il y avait de mieux àfaire pour moi, était de m'expatrier. La France, à causede la paix qui était faite alors, ou la Hollande étaient l'asilele plus sûr pour moi jusqu'à ce que l'affaire fût éclaircie,et'comme il ne pouvait y avoir en aucune façon de l'in-quiétude au sujet du résultat dennitif, c'est-à-dire de l'ar-gent, il ne pouvait y en avoir davantage pour redouterune poursuite judiciaire au criminel, même en se plaçantau point de vue le- plus défavorable, celui d'un fait délic-tueux. Un vieux gentleman, depuis longtempsen relationsavec ma famille, et qui bien souvent avait servi d'intermé-diaire à mes tuteurs, ofirit ses services à ce moment commeconseiller,et pour servir de protecteur a ma sceur Mary.Aussi, deux heures après l'arrivée de l'express de Manches.ter, qui parti à i heures du matin, était a sa destination à3 heures du soir, toutes les démarches nécessaires auprèsune banque de Chester ayant été faites pour obtenir deslettres de crédit, une voiture à quatre places était à laporte du Prieuré. Ma sœur Mary y monta avec une domes-tique et l'ami qui l'escortait.

Le jour même où je quittai M. Lawson vit commencerma poursuite. Le coucher du soleil fut témoin du passagede mes chasseurs sur la Mersey, et de leur entrée au trotdans Liverpool. De là ils firent treize milles pourOrms-kirk, de là à la~rcct~ de Preston, vingt autres. A peude chose près, ces trois étapes faisaient cinquante milles;voilà ce que firent mes chasseurs avant de se coucher, enpoursuivantquelqu'un qui ne fuyait pas. Le lendemain,bienlongtempsavant que,sous l'humble apparenced'un piéton,~*eusse atteint Chester; la troupe de ma sceur arrivait àAmbleside, à environ gz milles de Liverpool, ce qui leséloignait en conséquenced'environ toy milles du.Prieure.Cette partie de chasse avait de bonnes raisons pour se

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croire sur la vraie route, même après avoiratteint l' « or-gueilleuse Preston qui est le point où se reunissent lesroutes qui, de Liverpoolet de Manchester,vont vers leNord. Car je m'étais d'abord proposé d'aller aux lacs an-glais, et j'avais intentionnellement laisse quelques indica.lions dans ce sens derrière moi, dans l'espérancede lancersur une fausse piste tous ceux qui me poursuivraient.

Cette chasse me fut rappelée environ quatre ans plus tard,sous la forme désagréable d'une '< petite note <' de près det5o livres à prélever sur ma petite fortune patrimoniale.De toutes les lettresdu prieure., auxquelles,par une méprisenaturelle, on ne songea pas jusqu'au jour qui suivit monarrivée, c'est-à-dire jusqu'au troisième jour après le départde ma sœur, aucune ne la rejoignit, ce qui fut un malheur.Car le voyage pour aller aux lacs et en revenir, joint àleur circuit de plus de t5o milles, aurait fait un totald'environ 400 milles, mais il arriva que ceux qui me pour-suivaient, n'ayant pas le temps de peser les renseignementsqu'ils recevaient, furent entraînes a y ajouter un supplé-ment de 200 milles, pour poursuivreun « moi imaginaire

aux souterrains, puis a BoIton-Abbey, et de là jusqu'àYork. De cette sorte, le voyage fut de plus de 600 milles,

que l'on fit entièrement avec quatre chevaux. Ces quatrechevaux qui, à l'époque où le foin et les grains étaient auplus bas prix, coûtaient trois shillings par mille, et quatredans la saison la plus chère, firent une dépense de troisshillings trois pence par mille, tarif auquel il était d'usaged'ajouter un shilling par mille pour les barrières, lespostillons, les hôteliers; aussi le total ajouté à la dépenseque faisaient naturellement trois voyageurs dans les hôtelss'éleva à cinq shillings par mille. En conséquence cinqshillings étant le quart d'une livre sterling, six cent millescoûtèrent le .quart de six cents livres. Le seul article decette longue note qui me consola par un seul sourire deMût cet argent dépensé inutilement, se trouvait dans la

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colonae relathfe A PaMenhtie (au eonMXMCttueiat dei'U~<swater),&tvoir:t

Pour an <ecito, de {wemière q~dité lifres o, &h. «x.dito tccandeqtialité tt <h. $.

TTei est le prit que coûte un écho, raisonD<M<)'Mat v«-ié,pour la poudre que l'on hfûle. Mais à Lew%'<Mni, Mr !eWindermerCt il y des échos au prix d'une oteeai-coMmaaepour les badauds de choix inférieur qui sont capables deprendre un cailloudu Rhia, pour < rarthie authettttque M.

Mais cette invasioa acadta~Ue sur 'moa pMntaoitMet)ut un incident sans uaporMnce, au pomt de vue dessuites durables.qu'il pouvait avoir. Si j'avait attendu jus-qu'au retour de ma Meur, retour -qui, j'en <tus $Ûf,<fAttété DeMpdé par l'imperfectiondu système <~e conpMpon-dence que itwosaïi&ns concerté, toutoura!tf~u<d.J'au!'<tisre~c d'eHe l'accueil cordiaj, 1a sympathie pr~nde qui~n'étaient nécessaires; j'aurais poursuivi traaqm~emeotmes Mudes, et mon entrée Oxford aurait eu lieu par,uacsuite aam<ne~ des choses. Mais par malheur, après unébranlement aussi sérieux de ma santé, la moindre in-terruption dans le système sauvage de vie en jpMa air quej'avais adopté, me jetait à l'instant dans des crises ner-veuses. Sans nul doute, cette vie y<wcp, <qui m'avait

<hMtaë tant d'espoir de tTecom'ner fapidccMctet sûreœentla saute, <~Mt agi avec plu$ d'énergie qu~ }~ ne lavaissupposé elle paraissait, à la lettre, opéfer d'MnemaateMirrésistiblela reor~anMatton dermes facultés hmguksahtes.Aussi, impatient de ~'absence de ma sc&ur, et agité de -voirque mon séjour était si ~oa~entps prive de <ce qui ifaMcharme central de itûMte.-&mUIe, ua tr~~p~o~ )5.)t~ ~unregard pateT~ael) rayonnant de sympathie ~e pris iepa.nide m'oirtf ces pMsir& d~s -bais -et des ouMMa~nex, qui<ëtMent désonaais si près de œoi. Les parties du FIjjUshtreet-mêaM -da Dcnbj~~M-e qui a'ïM.dnemt Ghe$ter &e sontpas, i vrai idire, ~ineaMttt .attrayantes. AinH-l.! v~!iaede

.Gressfofd,sur la luioite dtt Fjintshire~t.alad~Mmce/de

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stp! otHiet toutau plus, o&rait une timabte pedte netnaite,H laq~eUe j'avais un accès privilège. J'en essayai d'abord,mais c'était une c&Mpagae soigasusemejtt aménagée, etattire. Deux dattes de quelque distiaetion, proches p!hreatet) anciennes amies de ma mère, étaient en quelquesorte les reines qui régnaientdans l'enceintede cette v~Hëearcadienne. Ce n'était pas c<: que je cherchais. Toutétait élégant, poli, tt;a.jaqutHû,~uriespet~useset ~es cheminsde cette verdoyante retraiM; la r~dexse n'y était pas sup-portée les mjoittdr~ atets d'eaux a~ent reçu des laçonsde AKMMM tenue, et !cs deux Y<!hn des dames régnantes{MrsWfn'rington<;t\M)sParry), montraient la perfectiondu boa goût. Cn ea<:t. les deux dame; avaient cultive ieurgo~t pour la peinture, et je eroM; qu'eHes avaient reussia$sez bien. J'y fus introduitet trop bien reçu, car e!!e~ meforcent faire partie de la société. Quant à Gressfordconsidérécomme r~&idenee )ourna!:ére,itm'apparut bientôtsous un aspect peu eagageaut, malgré la fascination dont ledotai~ot les. charmes de ses deux propriétaires. D'autrepart, à xx milles de Chester, s'eteaJ une scène bien autre-n)em _grande< belle v,tliee de Uangoten, au eentre duDenhighshire. Ce royaume était aussi gouverne par deuxdames leur ëloigaernen~t roma-nesquedu monde, a un ~gc<ort peu a~aa~e, attirait depuis bien des années ~intérêtgë~é;~ sur ~ur personne, leurs haltitudes, i~tr$ opinions.Ces .datées étaient Irlandaises, Miss Pocsoaby et ladyEipaaor Butler, scsurde lord Ormond. Je ~e<)u' avais étéprésenté, deux fois.par des. personnesdont ~e faog doanatttune certaine valeur à cette introduction. Mais bien queleur courtoisie de haute éducation leur permît de cacherl'expressionde leurs sentiments,elles doivent avoir éprouve

peu d'intérêt pour ma per~nae <M mes opinions J'ai

B ~et }t 'ptutt .d'auliquer id -q<tt, EB i~M ~t.<n Ujd, <)M)Mt .itnt'~oattt! <}< tenf donner une opMtMMt &wcrs&!ede WofdKWth, coaMB~poète (Mt)tt dt cça~e~mtiott~))U -*tatt )Hé hnt~ TKM pM Moi, niais paraot4~j~M~<M~t<t~id~t~~[aitcaeMtM)M'fertMtaWcrd<*

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peina t dire que mes sentiments nétatent pas des plusardents A leur égard.. Néanmoins je me présentais à leurcottage toutes les fois que je traversais Uangolen, et jefus toujours reçu courtoisement quand il leur arrivait dese trouver à la campagne. Mais comme ce n'était pasdesdames que je cherchais dant les Galles, je continuai jus-qu'au comté de Caernarvon, et pour quelque temps jelouai un appartement en miniature, c'est-à-dire unechambre et un cabinet à Bangor.

Ma propriétaire avait été la servante ou la bonne, ouquelque chose de ce genre dans la famille de l'évoque deBangor; elle n'avait quitté cet emploi que fort tard pourse marier, ou pour parier comme elle, « faire une nn )'.Dans une petite ville comme Bangor, !le seul fait d'avoirvécu dans la famille de l'évoque conférait une certainedistinction, et ma bonne propriétaire avait plus que sapart de l'orgueil que fait nnître naturellement un tel avan*tage. Ce que < Mylord disait, ce que « My lord a faisait,et combien il était utile dans le Parlement, et combien ilétait nécessaire à Oxford, tel était le refrain journalier do

sa conversation.Je supportaisfort bien tout cela, car il neme coûtait pas grand effort pour être indulgent envers laloquacité d'une vieille domestique, et heureusement il n'yavait rien dans le train-train quotidien de notre existencequi nous imposât la société fréquente de l'un à l'autre.Cependant nous nous rencontrions quelquefois, et il fautbien que dans ces occasions, je ne lui aie pas sembléfrappé autant qu'il convenaitde l'importance de l'éveque,

worth, <t peut-<tre aussi ses œuvres), aucune d'e!)c! ne me parut d!Mpesée à prendre'quelque intérêt ou à concevoir des espérances pour sesefforts. Mais !ot)j!temps après cela, quand la Chambre des Commnnetéclata en appjtudissementsà eon nom cité par Sergeant Talfourd, et queles, voyageurs américains de quelque distinction venaient par troupes4Ryda! Mount, tes poèmes de Wordswbrth lui-même prouvent qu'unegrande rcvctation&'iitaitproduite à L)MBo)en. Je cite cette anecdoteparceque }'<tt bien des raisons de croire que si beaucoupde gens se sont acon-~erti<*àà l'égard de Wcrdsworth,ce fut grâce à ces mêmes circonstances.

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et de la grandeur qu'il y avait a avoir vécu dans un palais;peut-être pour me punir de mon indifférence, peut-êtreaussi par hasard, tout simplement, elle me rapporta unjour une conversationoù il avait été question de moi d'unemanière indirecte. Elle avait été au palais, et comme le

dîner allait être servi, on l'avait retenue dans la salle àmanger; pour donner une idée de son économie dames-tique, elle dit qu'elle avait loué co qu'elle appelait avecpompe « ses appartements Le bon évoque avait~paraît-il, saisi cette occasion pour l'avertir d'être prudentedans le choix de ses locataires; il avait dit f Vous savez,Betty, que Bangor est situé sur la grande route qui mèneà Head (ia Tète, désignationemployée couramment pourHolyhead) et que nombre d'aventuriers irlandais pouréchapper au paiement de leurs dettes en Angleterre, demême que nombred'aventuriersanglais que le même motifpousse vers l'îlede Man, sont conduitsnaturellementa passerpar ici. Cetavis ne manquait certespas de fondementrai-sonnable, mais il était donné à Miss Betty pour qu'ellel'approfondît dans des méditations personnelles, et nonpour m'être communiqué spécialement; or ce qui suitétait pire encore – Oh! my lo?d, répondit ma proprié-taire, d'après ce qu'elle me racontait de l'anaire, je croisassurément que ce jeune gentleman n'est'pas un aven-turier, parce que. – Vous ne pensez pas que je sois unaventurier, dis-je en l'interrompant dans un éclat d'indi-gnation à l'avenir, je vous épargnerai cette inquiétude. »

Et sans retard, je me préparai à partir. La bonne femmeparaissait toute disposée à faire quelquesconcessions, mais

une âpre et méprisante expression.que je crains d'avoirappliquée au savant dignitaire lui-même, excita à son tour'rson indignation, et toute réconciliation fut dès lors im-possible. J'étais, à la vérité, fort en colère contre cet évêquequi avait suggérédes soupçons, tout indirectsqu'ils fussent,

contre une personne qu'il n'avait point vue, et je songeaià lui faire connaître mon sentiment en grec. Cela aurai.t

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<a le doubte M'MMge de lui donner uc pre~w~ <)~or<Mesur ma re~ect<tMMtë, et de forcer, coottOM i*Mper<tM,Jt'<v&<tae & fepMJre<hm! ~Mc langue; « <~MM ce cts!i

oM.d&ut&i* p<s de ma aupeuM-ité & mx «MM«Mr x~eescrimeur, «!~nt que rar~tneai on e~np~o~< <~<c adressecontre toutes les terreurs qu'inxpiratt lu pon~que de SaSeigoeu~e.

JCai ea Mft, « dans ma <x)!crc, j'ai dit <;u<t< qae ce «Mtqui pût MbMSaer ou contester h T<i«M' inte~ectu~te dur~que tes ta!<nts étaient nûo jMM~eMnt de bon j~tM,<mtM encore tn*t juppropnes <ax <<xp)<Ms <[u~t ttVMt &

TetMpHr. Ea <~et ~eyeque de B<taytf, qui «att alors Scd<Mt€<Mf Cte~er, était aussi i<' ~opect<uf de SraMWM<r,O~toni, et « coHc~ <!teM<~ <Ke adtainix~H~oa~,au

'Le M~t<M)~ Bftt<)t<nM~x~<tMt<~)t <}<)M !'<tttnxde rMt~M,fut mh .en ptetn jour !'attn~e <t~<e«, La famille priao~te de )< mal.ton 'igett:) de GTenvittc, ~tMtt etOe tpoqnc. celle <tti Matqut* de tSuc'tchtjihMt, qui <ttp<~ ~t ~Mt~<t. ~t tMtMt tit de, ~e tjeamheaime, ~efdGM)~ GrtnviUt.~ui t MUM~dë <[$M iay~trie au «tre Nu~t .!mitcette année-là ou 1<t suivftntt, <e<f pour le coUtee, ce qtii :.)gn:6e ;hA*(t)eterfe, ~u'H tf~tOt ~m <Mt ~ftat, mais un ~eane ~~nxot, et M'!)tWHt~t.huittM,~e,<)r<ti)M)M<k Mttt t&tttH'it<. D'~pr~t tout ititprt-c<dent* connus, il Mmit' da <etftràChjjM Chureh, n)e!s iorsque cette<~tes6<afut~t~.«~~)')e)<tfat nt~rcOement contiuht; cet ouclé, lord~~vMe. ,t(mt~~t'~M~.A)~tet< <MpttMi<i'MoMcre <!tCfeuy)ite,<tqui paMtit pour ut)) trudit <CMt~]i, asshta an couseit de f<tni))e: sur so)<<ftt; et ta gnmd <to~nt(M«t ~Oxford,Brasenosefut cttob!de prSf~reneeai C.hftt.t Obun~« entt* <~e ae oh~m.fm ~~Mntin~ ptr te ~t~tau'intpir~tM)e~ateaM téaiatsttttits, ainsi que i'~rudjtioa reaM~uab}.:du O~OeaTer. <C<!tM ))r<~t«!f)tMc fortuite de Brasetose~quine reposa?:itpm ttttt, ~tt<tuf~'<B«t&ptr~ene~,tombt <)MH) vite qtr<t)e it~tt.<ttu~i,<t Uy.t~gtemptt~t'<!)e es:<MMfee. tfttt de f.tit~~ief.ftoiikstampagnarde~ habittût tMa d'Oxford, Mppostntnn~ eupenorit~ n3<ure))c«x ~ottc~es ~m<M<~t)tt directeurau ev~qu~ eUes ignortttt ~u'à Ox~'ord

st4 ~tmjtMt~tMtt )*t.4tf~tt<mnt~e; eoi)tett Mop<mMnts s.e tu-M)M)t <t&ont tenus pour~tM M'rMj; et en disoit~ M.bw4M ~que~A OxfordM~ar~ca)itr,«rt<e <t<<ttr!ae < at)<'prtttYept)TMntMt:~edoje~dudto-~e att3cu<MU-&<'tMettt)<)<t)t'~e~trecte))f<<eQh-in <jbtMx:h, qxi: p.dejU)(Bhre~J<qo~ttt,<t<t<:<~tev<s,cMMpeMtt~ag ou'MtcM) t:o)M$e<te~i'<a~utt_cbmsto<tt<Tt)~<.rsit~.MM ce r6!e, monsienr le Do)'ene~t un~<t-M*~eWMt~t)dén~)<t~M~4-~{qM. l.'Mf~crjtÉMr--MMJte q~ ~J~WN~it .A~ttJMp&fW-itt!a!)jnfM:e, fut a~me~te parP"?"~A' ~at quemer&'d'~ëquM,)U!.quà c< que quetques<tet<MM'ettMent~)tt<t)ti~e MqtttMt~e dans la Asmbction'dM~6i.

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point de vue de l'eaMM~emeht et dé la dt<apnne. JFj~pprisplus tard que dans ce rôle tK~demtqae, il méritait ia repu"Mtioa de feformatear, de sage, de teaapërÊ, d'heureuxTëfanoateur; quant à son erudirioa, je ~s, bien de~ annéesâpre):, qu'il avait été nacntionn.ë a'vec éloge pM* Porson.Mais d'un autre côte, l'é.êque n'était pasl'abri du re-proche d'abuser de ton influence locale, iut*cc par allusiondirecte, ou par inzouation, contre un e!r<mgt:ï- sans dé-fense. Un homme .àu~t important, dans uae aussi petiteville, était en &it arrnë d'un pouvoiraussi absolu que celuidont jouit un capitaine en second sur le pant de sonvaisseau. Ua < !ëg;ste de mer » serait, dans cette circons-tance, obligé de garder ses plaintes duns sa poche/jusqu'àce qu'il p~î les fatre valoir a <e< re, auprès du capitaine.Du t'émet après tout, mon idée n'était pas si absurde quecela, coière qui m'avait inspiré le commen~ment,seserait protBptemeht ibndue dans la gaît~ qui en auraitaccompagne l'exécution. Le lecteur va croire que œouprojet de rfprgsai)!cs manqua en armant conn-g moii l'or-gaeil oSciel de révêque. Tout homme, penser~-t'oh,qui<)ceupeune place aussi considérabledans ~e publique.un lord du parlement, 'an hommequi a gagne un gros Jotà la loterie episcopale (car BM~or en un ëyêcjté de sixmille livres par an), un don souverain A Ojfjtbfd, en unmot un splendide cMtMM~r~, armé de ia coudre et de l'eelairdu diocèse, ne quittera jamais son attitude olympienne,pour prendre connaissanced'une commuoiomoh que luifait un enfant. Mais tout l'univers doit saisir le caractèrede cette iCommunieation.qui était supposée écriteen grec.Et dans ce cas, Ja sunnite suSsan pour porter l'evèqueà la lire. Et comme ùae telle démarche était d'une hTegu"larité choquante. il éprouverait Ja fatale ie&tMtoa de <?:risquer à Mce une expérience dtttget'ec&eet de r~Mhre-en grec. H ne se~Mt pas agréablede .neEuaeran de6 ~eté octsilence jMMïs oette &Tme exoennique de lettre, .a elle etMtrédigée en termes respectueux :pour l'âge et iasou&t«Mt

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ecclésiastique d'un eveque. Et il était évident qu'il s'abatserait moins en répondant même à un enfant s'il possédaitcette sorte de supériorité. Mais l'évoque n'était.il pas unhommeinstruit,bien qualiuëpour répondre,et dont les lec<turcs devaient être bienautrementétenduesque les miennes?Je l'avais entendu dire; on m'apprit aussi, mais longtempsnprès, qu'il avait écrit avec élégance et érudition, maisnon en ~-<-c, sur les marbresd'Arundel. Le seul fait d'avoirchoisi ce sujet, de notre temps oh les travaux de deuxsiècles ont réduit à d'étroites dimensions le champ ouvertà une sagacité originale, témoigne d'une instruction quiMtfortbindela moyenne. Mais j'ai déjà dit ce que je penseà ce sujet, savoir qu'il n'y a aucune proportion entre !esles connaissances générales qu'un homme peut posséderen grec, et la faculté d'écrire en cette langue, c'est-à-direcelle de se servir comme d'un moyen de communicationfamilière et aisée. Cet avantage, qui n'appartient pas né-cessairement et ordinaire ~ent à la plus profondeéruditionen grec, je me l'attribua, ainsi qu'uneadresse surnaturelleà varier les formes de l'expression, et à faire entrer lesidées les plus réfractaires dans le vêtement de la phraséo-logie hellénique. Si î'evéque avait cède a la tentation derépondre, je me représentais le résultat inévitable cett6masse épiscopale immobile sur l'eau comme un vastetrois-ponts, incapable de riposter par un seul coup decanon, tandis que ma légère et agile frégate aurait voltigéautour de lui en tous sens, et l'aurait attaqué à plaisir,sans perdre une occasion. Ïl n'aurait trouvé aucun moyend'employer son érudition à lui, par exemple celle qu'ilpossédait sur les marbres d'Arundel, sans 'rappeler cepersonnagecosmogonique du VicairedeWakeMd, avec sona~pxov Spef xa! A-K~-K~ -ta ~v. Une fois tombée dans cepiège d'une correspondancesuivie, Sa Seigneurie n'auraitplus la liberté d'y mettre fin soudainement, ou de la pour-suivre sans dommage pour sa grandeur épiscopaie. DuTeste ma colère née toutcoup et avec violence, comme

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sous l'in~uehee d'une insuhe réelle, n'avait rien de Mé-chant, et elle était déjà calméed'avancepar ce qu'il y avaitde plaisant et de comique dans Je tableau qui présentait a

mon imagination la scène qui aurait eu lieu entre nous.En aucune façon je n'aurais trouve du plaisir a causerquelque mortiflcation à l'évêque; mortifications qui au-raient été exploitées avec bonheur par les méthodistes alorsnombreux dans le comté de Caernarvon. Pour finir, je meserais sans doute borné à une grave remontrance en styletempéré, où je .me serais ePorce de développer les consé-quences terribles qui pouvaient résulter pour moi des insi-nuations étourdies de Sa Seigneurie.

Mais les conséquences altèrent aussi vite que les tracesde ces insinuations, et déjà, ie jour même ou ma sottepropriétaire avait, par bêtise peut-être plutôt que par mé-chanceté, répété les paroles de l'évêque sur un ton qui mesemblait aussi insultant, et cela, sans aucune provocationde mon côté, car jusqu'alors il n'y avait pas eu la moindredifficulté dans nos petits comptes hebdomadaires, une deces conséquences fut que je n'eus point de domicile. Eneffet je refusai dédaigneusementl'abri d'une maison d'oùla franchise et la politesse semblaient bannies à ce point.Cette conséquence en engendra d'autres toutes'naturellesde toute manière il me fallait chercher un nouveau loge-ment, et je quittai Bangor aussitôt pour aller à Caernar-von, que j'atteignis après une marche forcée de deux

À ce point de tue, et à part )e bon marché et la brii)ante propretédes chambres, entretenue par une domestique anglaise que surveillait lagouvernante d'un tvïqu~angtais,j'avais peu de chose à regretter. En fait,Bangor était un séjourpeu attrayant, )e moins attrayant qu'il y eut dansle comté de Caernarvon.Et cependant, n'y avait.it pas une cathédrale?Oui, il y en avait une, et elle aurait pu être d'une grande ressource pourmoi, si tes offices du ehcBur y avaient eu lieu régulièrement, mais il n'yen avait pas. A la vérité,}) il ne pouvait y en avoir, car à ce que j'appris, iln'y avait jamais eu de choeur. Le cimetière de la cathédrale paMaitalorspour le plus beau qu'il y eût dans tout }e royaume,mais cette befute était"ogenreà peineen rapport avec le Heu/c'étaitcelle d'un jardin bien tenu,et non d'un cimetière. Elle provoquait le sourire et la joie, tant elleétaitpeu en !rmot)ie avec la destination rée))e de cet endroit.

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hewe&et domie. A Caernarvon )en~ trouvai aucun loge-ment qui convint par~itementà mes vues/carles chambresà louer sont très. clairsemées dans ks Galles dM Nordaussi pendant quelque temps, comme j'avais quelquesguinées en réserve, je ~eeus surtout à l'auberge.

Ce changement de séjour eut pour effet naturel de dé-tourner mes pensées de l'évoque. Ainsi se dt~pertct gra-duellenMnt tous mes projets de protestation.Je suis e<telmà regarder cette issue de l'affaire cornn~ malhtureuae, corprobablement eUe aurait eu les conséquences suivaatta.Comme ;e l'appris plus tard lors de mon séjour à Ox&Mrd,

et quand j'eus fait connaissance avec lesgens de BraseaoM,cotlege auquel appartint-dans la suite mon plus )eanefrèra, l'évêque était un homme plein.de raison et mêmed'affabilité.Donc, en recevant ma remontrance s~eeque,cet étudit auraitcertainement ressentiquelque. intérêtpourl'auteur; il était trop équitable pour ne pas. prendre enconsidération une plainte qui, rédigée e~ a;iec ou autre-ment, lu.i rappelait ce qu'il y avait d'ircëilcxion dans saconduite, et l'exprimait avec quelquesapparencesde jus-tice. II est absolument certain qu'il m'aurait fait une ré-ponse courtoise, témoigneson regretd& l'incident qui'meprh'aitd'undomicile; ilm~auraiftait remarquer que quandun homme fait dans sa propre maison de~ recomm&oda-tions à-un inférieur, et qu'elles ont pour objet non d~ lepronroquer à agir, mais seulement de le mettre: sur aesgardes, la loi et l'usage donnent un priviïège à ces recom-mandations, quelles soient écrites ou communiquées dçvive .voix. Quant à l'usage insultantqu~on avait fait de. sonavis, il t'aarait mis simplement au compte du manque detact de cette fr.'nme, et peut-être il l'auraitattribué à unecause dont il faut tenir grandcompte quand on pèse lesexpre~tons grossières et inciviles des gens sans éducation,)< .~eux. direla, grande pauvreté de leur langage. Ils em-ploient 'des phrases qui dépassentde .beaucoup la portéerce!lc"de îcT!r?en~~t:<}~ïcu:' inicuHùtit. et cdâ ~tuple-

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ment parce que I< peu d~MnJue de leur Yocaba!air<: neleur permet pas de choisir une expres&iun d'un carojTèremoins blessant. J'aurais fait à cette lettre la réponse qu'ilconvenait,et parsuite, a~Stint-Michet, lorsque la famillédorévêque se serait'reo.dueâOxford, j'aurais retrouvé hB.tngor mon logement ou un logement voisin, avec depr:)ndes facilités pour ftvoirdas livres. Mais c'eût été là unavantage passager. D'autres avantnges plus éloignésauraient et~ plus sérieux. !) se trouvait que !e eo!!eg<auquel réeo~ de granxaaire de Manchester pouvait m'en-voyer <omnae a!umnu<t (boursier) privilégié, était cehu-!aa~me que l'évêque dirigeait. Je n'a: aucun motif pourcroire que l'évêque était en mesure de me rendre quel-ques-unsdes avantages auxquels j'avais renoncé voiontni.rement en m'échappant de t'ccoie, mais il m'aurait donnéune large conapenMUionpar les avantages dont il d{sp<K:~au coUège~ comme la FeUowship, etc., et qui étaient H m;tportée. Au lieu. de cela, un conseil erroné me fit ent~~dans un collège qui ne dépendaitpas de mon comte et demon école; aussi )<: neproStai ni des privilèges, ni deschances ordinaires d'avancement, ni par conséquent desloisirs littéraires que les Universités anglaises offrent àl'hotnm&qui suit la. voie légats pour les obtenir. Tout celafut re~ts dans le monde des teve: par mon brusquedépartpour Caernarvon, et pour la contrée que Pennant a lepremier désignée sous le nom de Snowdonia.

On y trouvait~ dès. 1802, de nombreusesauberges, bâtiesà des distances raisonnables l'une de l'autre, pour la com-modité des touristes, et on n'y était pas exposé, commedans les Galles, aux ennais qu'éprouvent généraiMnencsur les grandes routes d'Angteterre,les gens- qui ont adoptéle voyage à pied, Je dois dn-e qn~ le ptus grand ttombr~des personnesque je rencontrais,comme compagnons devoyage dans les tranquilles petits salons des~ stations deposte dsasicsGsHcs, paient d~-pî~cs~ S~tr.tou!?sis.

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route de ShrewsburyparDangoIen,Uanrwst', Conway,Bangor, et en tournant u angle droit vers la gauche, parCaernarvon, de la à Dolgclly, chef-lieu du Merionethshire,Tan-y-Bulch, Karlech, Barmouth; à travers les char.mantes solitudes du Cardiganshire, puis en faisant unangle aigu qui conduit à la frontière angiaiitt. à travers lemagnifique paysage boisé du Montgomcryshire, je trouvaià des distances de douze à seize milles, les auberges tesplus confortables. Ce qui offre une perspective de reposdans toute cette chaîne de maisons tranquilleset solitaires,c'est qu'aucune d'elle n'a plus de deux étages. Cela étaitdû à ce que la modeste échelle d'après laquelle on voya.geait dans la principauté de Galles s'était formée d'aprèsles besoins de l'Angleterre.Alors (souvenons-nous qu'alors,c'était en 1802, année de paix), l'Angleterre n'envoyaitqu'une faible partie de son vaste courant d'émigrationan-nuelle, dans Ja direction du canal (la Manche) qui étaitalors fermé. Il n'y avait pas de Babylones commercialespour dresser jusqu'aux nues leurs formidablés tours, surles belles routes champêtres les ouraganshâtifs, lès arméesfiévreuses de chevaux et de chars volants ne tourmentaientpas les échos de ces retraites montagnardes. J'ai été sou-vent frappe de cette idée qu'un homme las du monde, quivoudrait la paix du monastère sans en subir la sombrecaptivité, c'est-à-dire la paix et le silence qu'on y trouvait,mais avec la large liberté de la nature, n'aurait rien demieux à faire que d'errer dans ces modestes auberges descomtés du nord dans les Galles, Denbigh, Montgoméry,Caernarvon, Merioneth, et Cardigan.Ainsi, il coucherait et déjeunerait à Caernarvon; de làil ferait aisément neuf milles a pied pour dîner à Bangor;puis neuf milles pour aller à Aber, ou à Uanberris, etainsi de suite, et toujours, à raison d'une centaine de

Uanrust. – La seu!e vue de ce mot est inquiétante:une seu!evoye))ej;Mr M qB'MAM!'i*c~pt< pour MpteonscauM!MaisonteprpaonM<!stmtntMu<!< formeTtanroust. 1

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mille par semaine. Rien n'est plus charmant que ce genrede vie, comme j'en fis alors l'expériencependant plusieurssemaines de suite. C'était le mouvement perpétuel desvents et des fleuves, ou du Juif-Errant, s'il était délivré del'obsession que lui imposait le voyage, et faisait pour luide la fraîche liberté une captivité meurtrière. Je ne puisimaginer une vie plus heureuse que ce vagabondage,

pourvu que le temps soit seulementsupportable elle fait

passer par une série infinie de beautés nouvelles; vers lesoir vous recevez la bienvenue dans une jolie maison rus-tique vous y trouvez toutes les délicatesses* d'un grandhôtel, et en particulier certains raffinements qui sont con-sidérés comme sacrés dans les régions alpines; on en jouit

sans avoir & supporter ce qui les accompagne inévitable-

ment dans les hôtels des grandes villes, et ceux où les

voyageurs se réunissent en grand nombre, c'est-à-dire letumulte et le tapage.

Il n'était que trop agréable' de vivre sur ce plan, pourmoi surtout. Ma santé, pour être parfaite, exige la prome-nade pédestre dans les limites de dix-huit milles au plus,de huit à dix milles au moins. A vivre ainsi, l'homme con-naît le bonheur quotidien. Mais combien cela coûtait-il ?

Environ une demi-guinée par jour, et mon allocation en-fantine n'atteignait pas le tiers de ce prix. L'ardeur desanté, cette santé bouillonnante et pleine d'un sauvageentrain, qui augmentait graduellement, et suivait pas à

pas cette progression de l'exercice, quand du matin ausoir je respirais l'air des montagnes, cela devint vite unfléau incommode. Pour donner des pourboiresaux domes-tiques et payer mon lit, j'aurais bientôt vu la un de maguinée hebdomadaire. Mon système fut donc de profiterde ce _que l'air de l'automne était encore assez chaud pouréconomiser la dépense d'un lit et d'un pourboire, en cou-

Un luxe d'une autre sorte, tout à fait particulierà la principauté deG<iie!,e[ qu'oit f<:u';u)ttt«!ttW)(ttHU)Ouf~tu! cut.Mtc {ct'~p~r~JNtta.toutes les auberges, c'étaient les harpistes gallois.

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chant dans ~< fougères et tes genêts sur la pente d'unecolline, Peut-être avec un manteau d'un poids suffisant,et d'une dimension convenable, ou .avec un burnousarabe, la chose n'auraitpas offert une grande difficulté.Mais quel ennui que de traîner ce fardeau pendant tout lejour Aussi valait-il peut-être mieux que je n'eusse pas decouverture. Pendant quelques semaines, j'essayai d'unetente fabriquée par moi-même, avec de la toile forte, etqui ne tenait pas plus déplace qu'un parasol ordinaire;mais j'éprouvais trop de peine à la dresser comme il fal-lait, et quand il faisait du vent pendant la nuit, c'était sncompagnondésagréable. Mais l'hiver approchait<t ce sys-tème de bivouaquer devenait dangereux. On peut encorebivouaquer décemment et narguer le vent et la pluie jus-

.qu'â la fin d'octobre; et j'ai compté dans une quinzaine,neufnuits passées en plein air.

Le lecteur sait peut-être, par expérience,qu'il n'y a pasde jaguars dans la Principauté de Galles, ni même de pu-

mas, ni d'anacondas, ni de Thugs d'aucune espèce, pourparler généralement. La seule chose que je craignais,peut-être par le seul effet de mon ignorance en zoologie,était que, pendant que je dormais la figure tournée vers'les étoiles, quelqu'une des innombrables petites vachesd'aspect brahminique qui paissent sur les collines <am-briennes, ne vînt à poser son pied juste au milieu de mafigure. Je ne suppose pas que les vaches galloise aientprécisément une aversion pour les figures anglaises; maisje trouve toujours dans l'esprit féminin je ne sais- quellebelle fantaisie, quelle exubérance florale de ça charmantcaprice qui, je le crains, caractérise nos chères soeurs dubeau sexe, dans tous lès mondes. A l'cncoMfe des Thugs,j'avais de par Juvénal un pertnis d'insouciance, consistant

C&rnassicrsquiforment une série décroissante allant du tigreau chat.L~un K.:ti:=R fsr=:*at'}- 'M<' <M« ~m, detMu~te&~MMtIes tusqu'auxto~s de concierges (N. P. T.). v 1

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daM F~ttt dt fha bourse (cthtabit vacuus~ coram latroneviatori. Mais j'ai peur que le permis de Juvénal ne tiennepasTcau en tout temps. H y a des gens enclinsà meurela question celui qui persiste à donner pour excuse qu'iln'a dans la poche qu'un misérable shilling, des gens quin'auront pas lu dans Juvénal le privilège ou t'exemptionaccordée par cette y<!CH«~s à l'égard de la destinée con~mune qui attend les voyageurs lorsqu'ils vont déranger lesvoleurs dans leur solitude.

Le doctetrr Johnson, dans je ne sais quelle circonstance,que j'ai oubliée, est représente par ses biographes commedéfinissanten ces termes le bonheurd'une personne qui nele méritaitpas « Eh bien, je suppose que sa sottise cor-respondait à leur sottise. )' Cela expliquerait-il d'une façonhumiliante pour moi, les succès que j'obtenais par maconversationdans les auberges du comté de Caernarvon ?N'admettezpas une telle idée, courtois lecteur. Jt importe.

peu que le succôs soit remporté de cette manicre ou de

cette manière-là; c'est le sucées; et la sottise même, si c'estune sottise'victorieuse, si elle triomphede l'habitude fataledu bâillement chez les auditeurs, et dans certains cas, surcelle de la dispute, doit réceler un art plus profond, unpouvoir secret plus efficace qu'on ne peut l'àcquérir aisé-ment. En fait, la sottise est une chose très peu maniable.Il n'y a pas; pour employer les mois Je MiltOTi, un fils sursept enfants de sept pères qui soit propre à la tâche demaintenir et de contraindre une compagnie formée de gensconvenables «ans les limitesde la sottise or-thodoxe, et celapendanTdeuxheures;d'horloge.-Quelle qu'ensoit la source,touteconversationqui reussitaupoint de faire naître le désirr

't~cMM. –. Je-efams, bien que ptasicm's annëM -se soient <;Mo)!'<:5depuis ma <ierni~M lecture de Juvénal,' que le vrai tens, le sens classiquece MCKMS ne soit celui d'MOMMt<f, libre de foM<r~MM inquiétant, detellesorte que MtCMt'M! dësigneraitiefMH/e produit le fait d'être ài'ahh du vol. Mais qu'on 'me pcrmeite de prendre le mot au sens de libredufardeaude toute propriété,sens où le mot de vacuitas indiqueraiti-ttaMi~ttt~isM'tM! d

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de revoir le causeur., doit contenir du sel, doit être assai-sonnée de quelque condiment savoureux assez piquantpour neutraliser les tendances naturelles de toute causerieconfuse, que l'on ne dirige pas avec vigilance, à se perdredans les propos insipides et plats. Par'dessus toutes choses,je condamnais et je condamnerai,comme une ppste, l'erreurcapitale de Coleridge, erreur qu'il mit en pratique pendantsa vie,* et qui consistait à tenir l'auditoire dans un étatpassif. Cela était très injuste pour les autres, mais au plushaut degré pour lui-même. Ce courant interminable deparole qui ne se suspendait jamais, ne laissait pas uneseuleoccasionde réagir à l'auditeurpoursuivietimmobilisé,ruinait absolument les intérêts du causeur lui-même.Tou-jours passif, toujours soumis à l'action, jamais autorisé àréagir! Dans quel état de collapsus devait tomber le pauvreet pitoyable auditeur, celui qui jouait le rôle d'auditeur?11 rentrait chez lui dans l'état d'un homme qui a été tirédu puits juste au momentoù il allait mourir sous l'influencede gaz délétères; naturellement il est arrivé plusieursheures auparavant a ce point périlleux de dépression, il aperdu toute faculté de distinguer, de comprendre,de com-biner. Quant à moi, sans qu'il me faille songera la désa-gréablearrogance que comporte une telle habitude, je mecontenterais des principes du plus fatal égoïsme, pouréviter cette tendance à paralyser mon auditeur, à lui en-levertout moyen d'appréciermon éloquence,ou l'argumentque je lui décoche.

J'avais quelquesgrands avantages pour la conversation,et pour obtenir l'attention de gens plus sages que moi. Lavis journalière, celle même qu'on mène en Angleterre,m'était inconnue à un point qui dépasse toute imagination.Mais d'autre part, j'avais l'avantage d'une mémoire prodi-gieuse, et un autre, qui est bien plus important, le dond'un instinct logiquequisaisissait instantanémentles secretsdes analogies et des parallélismes entre les choses quiparaissaient les plus éloignées. Jé possédais deux qualités

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précieuses pour la conversation d'abord, une provisioninépuisable de faits, et par là des ressources infinies pouréclaircir et varier tout sujet. qu'amenait le hasard ou lechoix; ensuite, un sens de l'art prématurément éveillé, aupoint de vue de la conve* ation. J'avais appris a user devigilance pour esquiver poliment l'approche d'une discus-sion ennuyeuse,ou imprimer d'une manière tranquille etsouvent imperceptible, une direction nouvelle a des dia-logues qui languissnient péniblement, ou devenaient uninutile jeu de raquette.Que ce fût un devoir pour l'art de secacher,et de se masquer, je ne l'ignorais pas. Mais cela nedemandait pas beaucoup d'art. Ce qu'il fallait avant tout,c'étaient de nouveauxfaits, de nouvelles vues, ou des vuesdont l'aspect original donnait de la nouveauté à des faitsbien connus. Il était utile de répandre quelque peu demystérieux, sur toute chose d'aujourd'hui et d'hier, mêmeavec ceux qui par tempérament avaient le mystérieux enaversion; il fallait user de dictonspointe épigrammatique,de plaisanteries, –. fussent-elles quelque peu fripées; unecitation opportune en vers produisait toujours ces effets, etdes anecdotes expressives répandaient quelque grâce danstoute l'allure du dialogue. C'eût étq fatuité que de pra-tiquer cet art avec travaii. et pour être vu, j'avais un petitnombre de procédés très simples, mais les employant àpropos et sans les montrer, ils faisaient toujours leur effet.Il en résulta que j'acquis une popularité extraordinairedans le cercle étroit de mes amis. Ce cercle se renouvelaitnécessairement assez souvent, car il se composait seule-ment des touristes qui s'attardaient quelques semainesdans l'intérieur ou aux environs de la Snowdonia, ceuxqui établissaient leur quartier général à Bethgellert ou àCaernarvon, et ne dépassaient pas dans leurs excursionses plus'étenduesle pied du Cader-Idris. Parmi ces mem-bres passagers de notre société, je me rappelle avec unplaisir tout particulier M. de Haren, un jeune Allemandtrès distingué, qui poMe~:t ou avait co&:e~une~ommis-

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sion de lieutenant dans la marin?anglaise. Comme on étaiten paix, il en protitait pour ausmeater ses connaissancessur l'Angleterre, et par conséquent en langue anglaise,bien qu'au point de vue de la facilité à s'exprimercouram-ment, il lui restât foct p<ULà apprendre. Ce fut lui quime donna tes précaires leçons d'allemand, et me tit con-naître la littérature de son pays. J'entendis parler pour lapremière fois de Puni Richter, en même temps de klippel,humori4te admire par Kant, de ïiamann, aussi classeparmiles humoristes, mais écrivain peu connu, smguHéremen!obscur, et que je n'ai ~mM \u entre les mains .d'aucunAnglais, excepté$irWi!Unm HainUto~.M. de Haren medonna les moyens de cona<tître utitement ces écrivainsgrâce à la petite bibliothèque~ voyage qu'il emportait<tans une de ses m~Ues.

Les pht':rëguUer9des noembres-d~ce cercle demi.littéraireétaient GaHois; deux d'entre eux étaient légistes, l'autre étaitun clergyman. Ce dernier avait reçu une instruction régu-lière à Oxford, comme disciple du Jésus (collège gallois),c'était un homme de connaissances étendues. Les légistesn'avaient pas eu les mêmes avantages, mais ils avaient faitde bonnes lectures, et ils étaient des compagnonsintéres-sants. La principauté de Galles, comme tout le monde lesait, est habitée par une population passablementproces-sive je ne l'en estime pas moins pour cela. Les belliqueuxButler et les chevaleresques Talbot du xv~ siècle, n'ayan;plus au xvn< le moyen de dépenser leur furie guerrièred'une manière légale, se mirent à se chamailler entre eux.et rien n'est plus âpre que les lettresqui nous restent de la

correspondance hostile des frères Talbot au temps deShakspeare. Une porte se fermait devant leurs inclination:martiales; naturellement ils s'ouvrirent celles que lescirconstances leur lassaient. Ce trait de caractère, trè

Vo:r particutierement un )iyre de sir Egeston Brydges,dont j'ai ouNsh.~y.~V attttie pM.4aat ta règne4e Jacquesï".

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commun dans les basses inférieures du pays gallois, obli-geait les légistes u faire le tour des principales villes deleurs districts aux ;ou~ de marché. Je les rencontraistoujoursdans ces villes, et nous renouvelions chaque foisnotre amitié littéraire.

Cependant je passai; altornativementdes prix doux auxprix forts. Les denrées étaient à un bas prix incroyableà cette époque, où les taxes de guerre de M. Pitt étaientappliquée'} avec intermittence,au point qu'il était extrême-ment aisé de mettre de côté deux guindée sur trois dans ladépense de trois semaines, on vivant chez les cottagers.M. de Haren m'assura même avoir passe un jour ou deuxdans une auberge qui n'était pas un pauvre cottage, maissimplementune auberge sans prétention, où la maîtressede la maison remplissait toutes les fonctions, celles de cui-sinière, de garçon, de nUe de service, de dccrotteur, depalefrenier; pour ce qu'il considérait comme un dînerréellement distingue au point de vue des mets, sinon aupoint de vue du service de table, qui étaitsimpleet grossier,il avait payé seulement six pence (0,60 cent.). Cotte mêmeaubergesituéeâdix ou douze milles au suddo Do~cUy, reçutquelque temps après ma visite, et je trouvai que tout étaitexact dans le récit de M. de Haren. La seule réserve àfaire dans ce tableau confortable était que l'on faisait lefeu surtout au moyen de bois vert, dans une cheminée quifumait. Je fus si incommode par cette sorte de fumée, quiest particulièrement irritante et caustique pour les yeux,que le jour suivant je fus obligé, quoique je fisse, de direadieu à la propriétaire factotum; je me sentis réellementrougirquand je payai la note, mais je songeai au bois vert,qui me parut une compensationassez forte pour rétablirl'équilibre. Il'me fut alors, il m'est encore impossible dem'expliquerces bas prix absurdes; le même bon marché,chose étrange à dire, se trouvait, ainsi que me l'assurèrentWordsvorthet sa sœur, dans'un paysage analogue, c'est-a-dire dans la région des lacs anglais, à la même époque.

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L'expliquer ainsi que le font tant de gens, par l'absence demarcher pour les produis agricoles, c'est faire de l'écono-mie politiquerebours; car le remède contre la raretédes marches et par conséquent contre l'absence de con-currence, consiste certainementnon pas à vendre à perte,mais à empêcher la production, et par suite à- ne p&svendre du tout'.

En fait toutes les denrées étaient à si bon m&rchë, numoins celles que je pouvais m'attendre à trouver dans lamaison d'un ouvrier, qu'il m'était dimcile de dépensersixpence par jour sous ce toit. Pour du thé ou du café, il n'y

Treize ans plus tard, e'est-a.dire, l'annéede Waterloo, Il m'arriva deparcourir la prineiptoX du sud au nord, en commençant par Cardiff, etfinissant par Bangor.Je n< un détour dt v!o);t-cfuq milles environ, pourm'informer de la santé de mon excellentehSte~te, de mon factotum déterminé, qui était à FanUpodeexact de tous les sinécurlstes possibles. Je latrouvai occupéeà frotter des bottes et des éperons, et se disposant, à ceque je crois, à-remplir une autre élégante fonction, celle de graisser lessabots des chevaux. Comme elle s'y préparait, elle fut interrompue partaon entrée et celle d'un autre tourhte, qui rectamase'servictsfoustroiïouquatre-formesdifférentes.Je m'informai de la cheminée; fumait-elle tou-jours ? H))e montra autant de surprise que si on t'avait Mnp~onnce d'untrtme aussi comme ce n'était pas la saison ou l'on fait du feu, le n'insis-tât pas. Mais je vis quantité de bois vert et une fort petite provisiondebOches. Je crains donc que cette chambre,la principale de toutredif!ce,econtinue à empoisonner le repos des malheureux touristes.Je dois néan-moins mentionner une compensationque j'eus cette mêmenuit pour toutesles larmes que la maudite petite chambrem'avait fait verser. Il y eut unbal public dans cette auberge, cette nuit-ta; je me rendis de bonne heuredans ma chambre, ayant fait une longue marche, et ne voulant pas gênerla compagnie et l'excellente propriétairequi devait, je crois pouvoir ledire, jouer du violon aux danseurs. Le bruit et )e tumulte étaientintolérables. aussi je ne pus fermer )'œi). A trois heures tout se tut, la com-pagnie étant partie tout à la fois. Soudain, du petit salon qui était au-dessus de moi, sépare: de ma chambre par le plus mince des plafonds,s'éleva avec l'aurore la plus douce voix de femme que j'eusse jamaisentendue, quoiqueje fussedepuisbien desannées, un liabitué de l'Opéra.C'étaitune étrangère;elle velfait de loin, et ie matin on me dit qu'elleétait méthodiste. Ce qu'elle avait chanté,ou du moinsce qu'etie chantait enUnissant, c'étaient les beaux vers de Shirley:

&M~«,/t!«~«'M~M/M~~t~tMft'S'Ott <<<XS la ~MMMr<,JMM/M< !<K~jr/tm.

Cet incident obtintde moi t'oubU et le pardon pour la malencontreusepetite cheminée 1

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en avait point, et à cette époque, je n'y tenais pas beau-coup. Du lait, du pain grossier à la vérité, mais bien plussavoureux que le pain insipide d'un blanc grisâtre qu'onvoit dans les villes, de la viande de chèvre ou de chevreau,voilà ce qui formait le menu chez le cottager, menu sansluxe, mais très satisfaisant pour un homme qui se donnaitbeaucoup d'exercice. Si on le désirait, on avait du poissond'eau douce a assez bas prix, particulièrement des truitesde la plus belle qualité. Dans ces circonstances, j'eus tou-jours de !n peine a dépense, cinq shillings, ou même troisshillings par semaine, a moins que je n'eusse acheté desairelles ou du poisson. H m'était de la sorte aisé de mettrede côté les fonds nécessaires pour opérer mes déplace-ments périodiques dans le rôle d'un gentleman touriste.H me fut même souvent impossible do dépenser plus dedeux shillings et demi, car dans quelques famittes qui nevivaient pas d'un salaire quotidien, il suffisait que je r

rendisse quelque service, comme d'écrire une lettre, pourque je ne pusse par aucun moyen faire accepter de l'ar-gent. Ainsi, pour en citer un exemple, près du petit lacde Talyllyn, dont le nom s'écrit ainsi, je crois, mais seprononce Taltlyn, dans une contrée reculée du comté deMerioneth, je fus hébergé pendant trois jours entiers parune famille de jeunes gens, et traité avec une bonté affec-tueuse et fraternelle dont le souvenir ne s'est jamaisaffaibli dans mon cœur. La famille se composait, à cetteépoque, de quatre sœurs et de trois frères, tous étaientgrands et attiraient l'attention par leur élégance e* la déli-catesse de leurs manières. Telle .était leur beauté, telleétait la perfection naturelle de leurs façons et leur distinc-tion, que je ne me souviens pas d'avoir rencontré cesqualités à ce degré, et dans un cottage, si ce n'est une oudeux fois dans le Westmoreland et le Devonshire. Ilsparlaient anglais; c'est un talent qui n'est pas communparmi les membres d'une famille galloise, surtout dans lesvillages' en dehors de la grande route. Dès que j'y fus

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introduit, j'y écrivis, à propos d'une qHMt!&!t de s!)!air~,

une lettre pour un des frères, qui avait servi à bord d'unvaisseau de guerre anglais, et plus en particuUer, deuxlettrtt que deux des sœurs envoyaient à leurs naneés.Toutes deux étaient de physionomieengageante, et l'uned'eltet était d'une rare amabilité. A travers leur confusion,leur rougeur, pendant qu'elles me dictaient, ou plutôtme donnaientdes indicationsgénérales,il n'était pasdimcitcde démêler qu'elles voulaient concilier dans leur lettretoute ~offfection possib!e avec !a réserve qui convenait àdes ~MS filles. Je m'arrangeai pour faire concorder lesdeux MHttments, et elles furent satisfaites de la façon dontje les tvois rendus, autant qu'elles furent étonnées, dansleur candeur, de ce qu~ je les avais si bien devinées.L'accue~ que ron reçoit des femmes dans une familleindique d'ordinaire sur quel pied l'on sera traité par tous.En ce cas j'avais rempli mes fonctions de secrétaire lasatisfaction générale peut-être aussi \je les, intéressai parma conversation, si bien que je fus invité m'arrêter, etqu'on me retint d'une,maniere si cordiale, que je me sentispeu disposé à lutter. Je fus obligé de coucher avec lesfrères, le seul lit vacant se trouvant dans la chambre desjeunes femmes; à cela près je fus traitô en toutes chosesavec des égards qu'obtiennent rarement des bourses aussilégères que l'était la mienne, et l'on me fit comprendreque mon instruction ci ma politesse étaient regardéescomme des preuves évidentes de gentHhommcrie. Aussim'arrêtai.~ chez eux pendant trois jours, et pendant unegrande partie du quatrième, et comme je ne voyais pasfaiblir la bonté avec laquelle ils me traitaient, je penseque j'aurais pu rester chez eux jusqu'à ce jour, si leursressources eussent été à la hauteur de leurs désirs. Néan-moins le dernier matin, comme on s'asseyait pour ledéjeuner, l'aperçus sur les physionomies les indices d'uneconfidente fâcheuse, et bientôt après l'un de~ frères m'ap-prit que, la veilie de mon arrivée, les parents s'étaient

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rendus au meetingannuel des méthodistes, qui se tenait àCaernnrvon et que leur retour était attendu pour ce jour-la; il me dit que s'ils n'étaient. pas aussi a~hMm qu'ilsdevaient l'être, il me priait au nom de tons ïe$ jeunes g~ns,de ne pas prendre la ci. (&e en mauvMss part. Les p<t"entsrevinrent, l'air bourru, à toutes mes avances ils répon-dirent « O~" .M~MC/t » (pas l'anglais). Je sus .h. quoim'en tenir; aussi, prenant congé le plus affectueusementpossible de mes aimables hôtes, je m'éloignai.Eneffet, bienqu'ils eussent plaidé chaleureusementma cause auprès deleurs paren:s, et qu'ils eussentsouventexcusé les manièresdes vieillards, en disant qu'ils « étaient comme cola x, jen'avais pas de peine & comprendreque mon talent pourécrire des lettres d'amour était aussi peu propre que mesalcaïques et mes sapluques à me recommanderauprès dedeux méthodistes gallois sexagénaires, et que ce qui avaitété hospitalité, par la grâce et la politesse de mes jeunesamis, serait charité, par l'effet des manières bourrues deleurs parents. A cette époque, alors qu'il me devenait deplus en plus difHcile d'économiser sur mon revenu hebdo-madaire, en co~chtnt dehors, les fonds nécessaires pourme loger dans les auberges coûteuses, il semblait qu'unennemi tout-puissant, auquel j'obéissais avec peine, maisiata!emen.t, me faisait changer continuellement de séjour,et me poursuivait comme Fœstre de l'infortunée ïo dans lemythe grec Jetait l'aiguillon d'une persécution secrètequi me faisait fuir alors que personne ne me poursuivait.Ce n'était pas une espérance irompsuse, car l'espérancene<Ne murmurait qu'un encouragementdouteux; ce n'était

'CfMrtMrfMt. – Da:;s cette circonstance, le vis combien )'id<'e denombre est vague pour tes esprits qm ue st Mu! point &nu))Mis~ ~<celle. Je demandai à une personne âgée CoMbien pensez-vous qu'i) yyait eu de gens à Caernarvon, ce )our-t4?– Combien,combien, rcponditcette personue. je pense, je compte qm'i) pouvait y avoir pr:s de qa~remillions.. Qtt~-ttremj\li()!1~ la_petite ville de Ca.emarvQu,mittions. tout mitiions d'cu'en~crsd.tn.sia pe:))e viite de C~rnan'on,qni pouvait tout au p!us, d'après ma propre es!in!<tion,en contenir quatrec<ntsd~pi)M. t-_u-t

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pas une crainte fondée, car tout était autour de moi animéd'unedouce et champêtre beauté. Tout a coup je pris unerésolution farouche, cslle de sacrifier ma gainée hebdoma-daire, de couper le c~bie de mon ancre, et de me jeter endésespéré dans Londres. Mais pour que le lec'eurnc s'exa-gère pas mon élan et ne se le représente pas comme un-accèsde frénésie, qu'il se souvienne de ce que je trouvaisde vexant dans ma situation présente, et des moyens qui

trouvaient à ma portée pour l'améliorer. Si j'eussemieux connu la vie que je ne la connaissais alors, ce n'eûtpas été un plan désespéré pour un jeune garçon, instruitcomme je l'étais, que de s'élancerdans l'océan sans bornesde Londres. Je possédais des talents qui pouvaientmeapporter quelque argent. Ainsi, comme correcteur d'im-primerie pour les réimpressions d'auteursgrecs, j'aurais pu

gagner un salaire..Mais ces ressources que je possédaisréellement, je ne les vis jamais sous ce jorr, ou pour direla vérité, elles m'étaient inconnues quant à celles surlesquelles je pouvais compter le plus, il me semblait invrai-semblable qu'elles me fussent utiles. Mais quel motifavais-je de me plaindre de ma vie actuelle. Le voici ledilemme proposé à mon choix était que si je voulaispositivement avoir de la société, il me fallait vivre dansles hôtels. Si j'avais pu me faire l'idée de vivre tranquille-~ne.tt dans un village ou un hameau; pour un hommeaussi insoucieux des commodités de la vie, ma guinéehebdomadaire m'aurait procuré tout ce qu'il me fallait, etdans quelques maisons elle m'eût donné l'avantage qui,était tout a fait indispensable à mon bien-être, d'unechambre particulière. Dans ce cas même. la dépense étaitfatalement augmentée par le luxe aristocratique de notrefaçon anglaise, qui interdit à un gentleman de coucherdans sa chambre de séjour. Dans ces conditions, j'auraispu peut-~tre trouver une itts:a!!a!ion propre et confor-table dans quelques familles respectables, où mes habi- 1

tudes peu bruyantes, et ma courtoisie respectueuse

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envers les femmes, m'aurait fait considérer comme unhôte h conserver. Mais la compensation terrible de cetavantage était l'imposibilité absoiue d'avoir des livres, oupour parler d'une manière plus générale, celle d'avoir

aucune relation intellectuelle. Je languissais pendant toutle jour, pendant toute la semaine, sans avoir autre chose

que le journal du comté paraissant une fois tous les septjours, pour égayer mon ennui mortel.

J'ai dit au lecteur a quel bon marché incompréhensible

on vivait dans tes cottages pauvres.Mais cela n'avait aucuneinfluence sur les prix des hôtels de premierordre, les seulsoù j'eusse quelque chance de rencontrer de la société. Ces

derniers, alléguant principalementla brièveté de la saison,demandaient les prix de Londres. Pour les payer, il nem'était plus possible, l'hiver approchant, d'économiserla

moitié de ma guinée en passant la moitié du temps d'unefaçon moins coûtsuse.'Cela coupait court à tout planraisonnable pour alterner les jours d'existence sauvageavec ceux d& confortable et de luxe intellectuel. Mais pen-dant que cet embarras me parlait à une oreille, l'autreétait assaillie par les offres bienveillantes de mes amisgallois, et surtout des deux légistes, qui me proposaientde me prêter tout l'argent que je croirais nécessaire pouraller à Londres. Douze guinées, nuis-je par dire, mesembleraient suffisantes. Ils me les prêtèrent sur-le-champ.Dès lors, dès cet instant, j'étais prêt .pour Londres.

Je fis mes adieux à la Principauté de Galles en qualitéde touriste pédestre d'une façon aussi peu prétentieuse quej'y avais fait mon entrée. D'"M~MMf<ï,c'est-à-dire d'em-barras de chevaux ou de bagages, je n'en avais aussi aucun,si léger qu'il fût. Partout où il me plaisait, au moment qui

me plaisait, je pouvais m'arrêter. Ma dernière halte dequelque durée fut à Ostwestry; un simple hasard m'yconduisit, et ce hasard qui arriva de la manière la plusnaturelle uHtis une KUNblpcttte ~i!!c, utc~t lencoHuct Unides plus chauds amis que je m'étais fait dans les Galles, et

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qui s'y trouvatt en résidence. Il ex~rctt sur moi une vio-lence hienveillante qui me retint plusieurs jours, et il nevoulut accepter aucune défaite. Comme il était encorecélibataire, il lui émit impossible d'ajouter aux autrescharma de sa demeure hospitalière, celui de la sociétéféminine. Mais cette demeure, rendue attrayante par lesgrâces de sa franchisejuvénile et doson intelligenceardente,su<nsait pour raccourir le jour le ptus long. Cet ami galloisest un de ceux qui ont croiséen grand nombre ma route;enchatné par d'anciens événements ou par des nécessitésdomestiques aux devoirs d'un~ profession, alors que soncaractère sauvage et réfractaire le lançait tête baisséedanstoutes les routes intellectuellesqui étaient en désaccordcom.plet-avecses devoirs journaliers. Sa bibliothèque était déjànombreuse,et aussi bien choisie que peuvent le permettreles hasards qui président d'ordinaire la formation d'unebibliothèque en province. On peut dire en géïteral que labibliothèque d'un jeune homme dans une ville provincialen'est rien autre chose qu'une allusion, un dépôt dû desaccidents locaux, un abatagc fortuit de fruits détaches -etdispersés par les rudes ouragans d'une banqueroute. Dansbien des cas aussi, une telle bibliothèque de province re-présentera simplement la partie des bagages qu'une famillequi va habiter beaucoup plus loin, abandonnepouréviterles dépenses du transport, les livres étant les plus lourdsdes bagages domestiques. Parfois encore, mais plus .rare-ment, il arrive qu'une vieille famille- s~teint et laisseforcémentaux exécuteurs .testamentaires la ~Nche de liqui-der tout le capital, matériel qai formait le milieu où ellevivait, des lors on voit apparaîtr-e avec unéclat de météoresoudain,et sortir dequelque cachette-centenaire, un magni-fique joyau littéraire, ~n exemplaire de l'édition pnneepsde Shakespeare de i6x3,un Becaïnëron'quin'a -pas subi lacastration, ou quelque étincelani Ks~~tov (ecrin). C'esta'BS'MM"hpf;u~~<' pttH~iMCe, ttM'M tMt~ttsetKMtaccrue naturellement et en silence, n'en conserve pas

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moins les preuves muettes de maintes convulsions et tra-gédies de famille, qu'elle parle et raconte pour ainsi diredes orages, et contient les souvenirs de naufrages à demioubliés. Les naufrages réels offrent souventde semblablesexemples de bibliothèques formées au hasard au fond dela mer avide. Quelle magnifique collection de livresrepose, à l'abri de la critique, sur le sol de l'Océan Indienou Atlantique, gruce aux contributions annuelles, auxkee~sak-es, MX interminables forgct-me-noi(ne m'oubliezpas) des puissants personnages de l'Jnde. Le /cH'<avec la triste séparation du capitaine et de ses filles, leGrowenorle ~U)~<OM, l'~M'g~t~nM~ des douzaines devaisseaux de )Trême tonnage, avec des populationsrenou"velces par la naissance, la mort, le mariage, populationscapables de remplir des cités, aussi riches que des minesd'or, capables de factions et d'émeutes, voilà ce qui apatronné libéralement par le don d'exemplaires de grandformat, cette vaste bibliothèque Bodieienne sous-marine,bien moins exposée à l'incendieque cette autre bibliothèqueBodieienne du monde terraqué.

Cette bibliothèque d'un particulier d'Ostwestry avaitquelque chose de ce caractère désordonné, fantastique,irrégulier, mais elle n'était pas moins attrayante pour cela.Il y avait là une foule de choses qu'on n'aurait pu trouvernulle part et qui, nulle part ailleurs, n'eussent pu se trouverréunies. Aussi entre la bibliothèque et la conversationardente de son propriétaire, qu'animait encore le rareavantage d'une fraternelle sympathie, je courais le dangerde rencontrer des attractions assez fortes pour m'endormirdans les délices de <~e séjour, ou pour me faire rêver desévénements extraordinaires. En réalité j'étais excusabled'agir <)4n&i }<:<onnaissais.trés imparfaitement les ornièresoù se passait la vie quotidienne de mon an,t.~ .il se faisaitune idée si hautement castillane des devoirsqu'impose la.grande d=c~ de rhcs?ir=Hté, qu'd!ne T~ursit ~m~spermis de soupcsnne!'de.quelle façon )'MtfavaisgradueUe..

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ment et sans le savoir les obligations régulières que luiimposait son métier. S'en aller, sous prétexte < d'anairespendant une tournée d'une semaine,ç'aurait été à M~~MA',et d'une manière virtuelle, au point de vue du .résultat,m'indiquer avec une clarté évash'e. conforma aux conven.tions sociales, que je ferais bien de partir moi-même. Hserait mort plutôt. Mais un accident survint et révéla lavéritable situation, ou du moins me là fit soupçonner, etengagea mon sentiment de délicatesse & combattre toutdésir de rester plus longtemps. J'annonçai tout & coup etpéremptoirement mon départ, en ajoutant de quelle ma-nière il aurait lieu. Longtemps en effet, il combattit avecun zèle sincère contre mon dessein, qu'il prétendait n'êtrenullement nécessaire pour lui rendre sa liberté d'action.Mais voyant enfin que j'étais très détermine, il cessa de s'op-poser à mon projet, et se borna à m'aider de ses conseilset a entrer dans les détails..Mon plan avait été d'aller àpied jusqu'au delà de la frontière, d'entrer en Angleterre,de marcher jusqu'à Shrewsbury,éloigné d'Ostwestry d'en-viron 18 milles, et là, de prendre'une des lourdesvoituresqui me transporterait à bon marché à Birmingham,grandfoyer où convergent toutes les routes de l'Angleterre danssa partie centrale. Un plan pareil reposait sur l'hypothèsequ'il pleuvrait fortement et longtemps, hypothèse admis-sible à la fin de novembre. Mais comme il était, possibleque le beau temps durât encore quatreou cinq jours,qu'est-ce qui m'empêcheraitde faire tout le-voyageà pied?Il est vrai que la mine renfrognée de l'aristocratique pro-priétaire allait certainement m'accueillir et me faire un sa-lutauquel j'aurais à m'accoutumerà la fin de chaque journéede marche mais, excepté dans les stations solitairesdeposte, le crime d'avoiremployé la vile méthode:demarcherà pied, la seule connue aux patriarches d'autrefois et auxtramps (vagabonds) modernes (tramp est le nom que leurdonnent les actes cfRc'cl'n!" Parement) <?!"ve et s'expieaisément par cet autre fait que vous éparpi}!ez.votrepous-

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sière, si par hasard vous avez le bonheur d'en avoir, ¿travers les rues que vous avez envahies en étranger.Heureusement le scandale du voyage à pied est, a certainségards, marqué -d'une manière moins compromettanteque celui de la scrofule ou de la lèpre; il n'est jamais im-primé sur votre figure. L'homme qui est coupable devoyager à pied, lorsqu'il entre dans une ville quelconque,n'a pas autre chose à faire que de se plonger dans la foulede ceux qui sont innocents de cette faute il en sortiralavé et rebaptisé, ttu moins dans les choses de la vie ordi-naire. Le maître de tout hôtel sait que vous n'êtes pas venule trouver à cheval ou en voiture,mais il se peut que vousayez séjourné pendant des semaines dans la maison d'uncitoyen distingué, qu'il serait peut-être dangereux d'offen-ser, et peut-être aussi vous avez bonne réputation dansquelque autre hôtel. A cela près, on peut dire d'une ma-nière générale que le voyageur à pied, aux yeux d.p<.

propriétaires anglais, traîne après lui l'ombre et le shib-holeth du paria le plus misérable. Mon ami gallois savaitcela il me pressa vivement de profiter des avantages desvoitures publiques, pour ce motif-là et pour d'autres. Unvoyage- de )8o milles, fait à pied, me prendrait neuf oudix jours, et, dans ces conditions, les seules dépenses dansles auberges dépasseraient le prix de la voiture la pluscoûteuse. A cela, rien de fondé à objecter, excepté que cesdëoenses de neuf ou dix jours seraient nécessaires tôt outard, que je fusse à Londres ou sur la route. Mais commeil me semblait peu gracieux de faire une résistance tropobstinée à des conseils inspirés uniquement par mon avan-tage, je soumis h mon ami tous les détails de mon plan;l'un. d'eux était que je prendrais la malle de Holyhead, etnon les diligences. Cette stipulationvisait une des nouvellesmanières de voyager qui faisaient alors leur première ap-parition. Les voitures rapides coûtaient le ~néme prix queles malles, mais les diligences commençaientalors merm:à prendre des allures nouvelles et inquiétantes.Les dé-

la

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lacements s'accroissaient si rapidement, que pour suffireaux demandes, la vieille forme du véhicule, qui contenaitau plus six places, se métamorphosait, sur les routes prin-cipales, en un véhicule allongé, en forme de bateau, trèsscmb)ab)e h nos mo'dernes et détestables omnibus, maisdépourvu de toutes lc$ ametiorations de eoux-ci. Ce vé-hicule était appelé le .< long coach et les voyageurs avaientdouze ou quatorze places a droite et à gauche/Comme laventilation était fort méprisée en ces temps ou on ignoraitpresque partout l'existence même de l'atmosphère, il enrésulte que les horreurs de la cage noire du gouvçrneurHolwcll à Calcutta, se reproduisaient dans de moindresproportions chaque nuit sur toutes les rp.utes anglaises.Yl fut "convenu enfin que je quitterais Ostwestry à pied,simplement pour profiter des aimables dispositions dutemps, mais que lorsque la malle traverserait Ostwestry,mon ami m'y retiendrait une place pour tout le trajetjusqu'à Londres, de façon à écarter d'avance tous lescompetiteurs.

Le jour où je quitta! Oswestry, accompagné pendantprés de cinq milles par mon ardent ami, était éclaira parle soleil doré des derniers jours de novembre. On auraitpu dire avec autant de vérité que 'du clair de lune deJessica, dans le Af<!r<~M~ Venise, que cet éclat d'or dusoleil semblaitdormir sur les bois et les champs, tant il yavait de religieuxsilence, de reposprofond comme la mort.Ce jour-là était un de ceux que donne la courte et aimablesaison de l'été qui renaît pour nous dire adieu, saison quisous un nom ou un autre est connue partout. Dans l'Ame'rique du Nord, on l'appeiïe l'été indien; dans l'Allemagnedu nord et du centre, c'est l'c/e des vierlles femmes, ouplus rarement l'<~ des ~ewo~e~p.s. C'est cette dernièreet rapide résurrection de l'été dans ses souvenirs les plusbrillants, résurrection qui n'a pas de racine dans le passé,qui n'a aucun appui dans l'avenir; elle ressemble auxlanguissants et capric<eua. cdats ds I&l&Mpç MpiMnte~ elle

1il!

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imite ce qu'on. nomme chex tes naïades. l'e<:Imr avant la

mort quand ils touchent à la fin. On y sent ).< lutte quis'est produite entre les forces décroissantes de Fête, )esforces croissantes de l'hiver, elle rassemble assex bien àcelle qui entraîne par des forces antagonistes vers uneinnammationardente, et par la, dans une bataille furieuse,précipite le corps plus rapidement vers la mort et son reposdéfinitif. Pendant un temps, l'équilibre s'est maintenuentre les forces ennemies; à la fin l'antagonisme estvaincu; la victoire est remportée par les puissances quicombattent pour la mort en même temps que la luttecesse, disparait l'angoisM de la batMtle. A partir de cemoment, la belle inclinaison de la vie qui décroît, sansêtre troublée -par des réactions, se laisse aller avec uneplacide religieuse vers ies profondeurs muettes de l'infini.Quelle douceur, quel mystère u~ns ce sourire tendre,doré, si'encieux comme un rct'e, et uui meurt aussi tran'-qui)!e que la vie s'en va che? un saint ainsi se dissipagraduellementce jour d'adieu pendant lequel j'employaitoutes les heures à saluer les Galles pour bien des années,et pris congé de l'et' L'aspect, le calme sépulcral de cejour immobile, a mesure qu'il s'écoulait solennellementdumatin, à midi, au soir, attendant la nuit qui accouraitpourengloutir sa beauté, mefaisaiteprouver une impression fan-tastique, comme si je lisais le langagemême de la résignationquand elle cède devant une force invincible. Et par inter-valles }'eatendats,-–sur une clef bien différente, – le gron-dement rauque et éternel de cette terrible capitale, dontchaque pas me rapprochait, m'appelant, à ce qu'il mnsemblait, à des desseins aussi obscurs, des succès aussiincalculables que le sont les routes suivies par les bouletslancée:au hasard et dans les ténèbres.

U n'était pas tard, mais la nuit était venue depuis deu~-heures au moins quand j'atteignis Shrewsbury. n'étais-~point exposé au soupçon de voyager pédestre men~ S~as

doute je Fêtais, mais lors taême que mon <nmc eût été

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encore mieux prouve qu'il ne pouvait l'êtredans ma situa.tion, il reste encore un ~ocM jfa'tn<eM<t'<p pour de tels cas.Assurément un homme peut se repentir de tout crime, etpar conséquent d'avoir voyagé à pied. Je pourrais avoirerré un tribunal pour juger les pieds-poudreux (dustyfoot) aurait pu trouver les preuves de mon crime sur messouliers pourtant je ressentais peut-être un secret désir dene plus agir ainsi désormais. Certainement j'éprouvaisquelque chose de ce genre quand je me présentais commele voyageur enregistré pour la malle de cette nuit. Cetteattribution fit de moi un hôte parfaitement en règle pourl'auberge. Quelle que fût la vie désordonnée que j'avaispu mener jusque-là, comme voyageur à pied. En consé-quence je fus reçu avec égards, et il arriva que je fusaccueilli d'une manière pompeuse Quatre chandellesde cire portées devant moi par des muets dociles,ce n'étaient là que les honneurs ordinaires, qui, ainsi queme. l'avait bien longtemps avant appris l'expérience,étaient les premières parallèles du siège d'rigé pour seloger dans la bourse de l'étranger. Il est certain queles chandelles sont employées par les aubergistes, tantinsulaires que continentaux, pour essayer « la portée deleurs canonsM.Sil'étrangersesoumet en silence, comme lefera sûrement un vrai voyageurspied, et ne répond pasau moyen d'une bordée de protestations, il est reconnucomme situé passivement dans le champ de tir, et sa capi-tulation est assurée. J'ai toujours envisagécette amende decinq ou sept shillings, pour des chandelles qui vous sontabsolument inutiles, comme une sorte d'impôt d'entréeinaugurale/comme ce qu'on appelle en argot de prison,le ~tM~rt par lequel on établit qu'on est un homme comme<t /aMf, et il n'est au monde nul impôt que je paie plusvolontiers. Toutefois celui-ci était trop habituel pour queje le considérasse comme une distinction. Les chandelles,pour employer le superbe mot grec sxojM~s, marchaientprocessionnellementdevant moi, comme le feu sacré, feu

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inextinguible sur son foyer d'or, précédait César semperAugustus lorsqu'il accomplissait un de ses avatars reli-gieux ou officiels. Alors il suivait les routes qui mènentordinairement à la glorification, il passait le long desaréiques cavernes; je pouvais dire comme un des douzeCésars, h l'heure de la mort Ut puto, deus Ho a (monopinion personnelle est que je suis en train de passerdieu); mais enfin la métamorphose n'était pas complète.Elle fut accomplie quand je m'arrêtai dans la chambresomptueuse qui m'était assignée. C'était une salle de bal tde nobles proportions, éclairée, pour le cas ou j'aurais àécrire des ordres, par trois superbes chandeliers, non pasornés de vulgaires collerettes en papier, mais étincelantsde cristaux suspendus à toutes leurs branches,et renvoyantles éclats adoucis de ses grosses chandelles de cire. II yavait de plus deux orchestres,qu'avec de l'argent on eût purempli en trente minutes. Pour compléter le tout, il man-quait une seule chose, un trône, –- avec cela mon apo-théose eût été parfaite.

Il pouvait être environ sept heures du soir, quand jepris possession de mon royaume. Environ trois heuresaprès, je me levai de ma chaise et regardai dans la nuitavec un vif iméret. Pendant près de deux heures j'avaisentendu se lever un vent furieux, et toute l'atmosphèreétait devenue alors un vaste laboratoire de forces enne-mies. C'était un chaos, une forêt vierge pleine de spectaclessombres et intéressants, pleine de ces bruits religieux deces <: sons qui vivent dans les ténèbres H (Wordsworth,Excursion) comme je n'en avais jamais remarqué volon-tairement. J'avais eu raison, et l'instinct m'avait guidé,quand j'avais fait mes adieux au printemps. Pendant tout

Une salle de bal. Cela s'explique très simplement par ce fait quet'ho'e) traversait une phase étendue de puri8catic:i, d'embellissement, etle c:ois,d'agrandissement, et commei) arriva que cette nuit je me trouvaiMt/t de voyageur arrivéà t'hôte), il s'ensuivit pour moi cette réception àdMa:oy:ro~

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le jour, les Galles avec leurs ehr.~es de a)ont<gnes,Penmaenm&wr, Snowdon, Cader Idris, avaient parta~avec Londres mes penses. Mais désormais c'était Lon-dres, dans son isolement ténébreux et son innni, quirégnait sur toutes les facultés de mon âme. Quant ad'autres objets, d'autres pensées, je ne pouvais en suppor-ter. Lnngtcmp! avant minuit, toute la maison, à récep-tion d'un garçon unique, était allé se coucher. Deuxheures m'étaient accordées après les douze coups,- pourdes réflexions qui faisaient battre mon cœur. Plus quejamais )'é<ais sur le bord extrême du précipice; les détailsqui m'entouraient rendaient plus profondes et plusintenses ces rénexions, et leur imprimaient un caractèrede solennité et d'effroi, parfois même d'horreur. !1 estimpossible à ceux dont la sensibilitéest rebelle et calleuse,de concevoircomment il existe d'autres hommesdont lesrêveriesse trouvent fortement modifiéeset gouvernées parles caMCtÈtCs extérieurs de la scène qui est en contactimmédiatavec eux. Plus d'unsuicide.qui restait en suspensdans les balances du doute, a été décidé et mis sommaire-ment a exécution par l'eSet que produisait l'aspect désoleet mélancolique d'une maison ruinée et dépouillée. Sou-vent il n'y a pas d'exagération à dire que la diSerenccentre la disposition à mépriser la vie, et celle qui porte à

la prendre allègrement,dépend dès-apparencesextérieuresqu'offrent les détails domestiques places continuellementsous nos yeux. En ce qui me concerne, dans cet hôtel dede Shrewsbury, j'avais devant moi un groupe d'objets quitendaient à faire sur moi des impressions bien diverses, etcependant'ellesse conciliaientsous quelquesrapports.

Les dimensions extraordinairesdes chambres, et surtoutleur hauteur inusitée, me donnaient d'u.ne manière conti-nue et obséd':nte, par les liens naturels d'associations desentiments ou d'images, Impuissante .vision de Londres,qui m'attendait au loin. Dix-hmt ou vingt pieds de hau-teur m'apparaissaientforcément avec des proportions exa-

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gérées dans quelques-unes des chambres latérales pluspetites, destinées sans doute aux joueurs de cartes et auxbuveurs. Ce simple caractère des salles, – leur hauteurinaccoutumée, et ce vide retentissant qui résultait de leurélévation, – il n'en fallait pas davantage pour le rendreterrifiant, et il l'était réellement, surtout quand il s'y joi-gnait les images innombrables et vaporeuses des piedsagiles quiavaient si souventsemé la joie sous ces voûtes, oùelles voiaiehtsur lesailes de la jeunesseet de l'cspé!nce,autemps où chaque chambre retentissait de sons musi-caux. Tout cela surgissait en une vision tumultueuse,pendant que les heures mourantes de la nuit s'en allaientàpas furtifs, que tout, dans la maison comme dans la ville,dormait autour de moi, que l'ouragan battait contre lesfenêtres avec une fureur croissante, et semblait augmenterindénniment. H en résultait en moi un état insupportabled'excitation nerveuse, sous ces influences de forces oppo-sées, sur lesquelles planait de bien haut l'horreur del'abîme insondablede Londres, où j'allais me jeter si déli-bérément. Plus d'une fois je regardai au dehors, et plon-geai ma vue dans la nuit. Elle était épouvantable au delàde toute description, aussi noire que la gueule d'unloup Mais par intervalles, le vent qui soufflait conti-nuellement, finissait par balayer les nuages, par déchi-rer le vaste rideau, et laissait voir quelques étoiles dont lalumière était singulièrement trouble et lointaine. PlusU'une fois, en allant des chambres retentissantes, à lafenêtre d'où je voyais la nuit furieuse, ~'aperçus Londresm'ouvrant ses portes fantastiques, pareilles à l'ouvertureredoutable de l'Achéron (~<eroHi'y avari Et toi aussi,Galerie résonnante, dans ces instants de désolation dont jesentais tout le poids, tu vins murmurer à mon oreille desavertissements prophétiques. Une fois de plus, je me pré-parai à prono'nccrun mot irrévocable, à mettre le pieddans ces sentiers aux détours tracés par !a fatalité, et dontles enchevêtrementsné peuvent plus être débrouillés.

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Telles étaient tes pensées, et avec ellés les visions quileur correspondaient, qui déniaient dans la chambre MOt~de mon imaginationsurexcitée quand, soudain, j'entendisun bruit de roues, mais ce bruit se perdit bientôt dans unquartier éloigne. Je pensai, ce qui était exact, que c'étaitla malle d'Holyhead* qui allait en toute Mfe remplir sonpremier devoir, celui de remettre les colis au bureau de laposte. Quelquesminutes après, on annonçaque les chevauxétaient changés, et me voilà en route pour Londres.

Toutes les malles du royaume, à l'exception d'une seule,celle de Liverpool, étaient dirigées de manière a arriver àLondres le matin de bonne heure. De quatre a six heures,elles arrivent l'une après l'autre dans l'ordre où elles setrouvent sur l'indicateur,du Nord (~V-<M/<), de l'Est (.E-<M~de l'Ouest (W-est), du Sud {~-ûM~) de là viènt, suivantcertains curieux d'étymologie, le mot magique M?W.S(nouvelles) elles se rendent successivement au bureau dela poste où elles déposent leur émouvant fardeau, pasavant quatre heures, pas après isix heures. Je parle dutemps où elles marchaient avec lenteur. L'état des routesétait tel que, pour y circuler, on avait construit des voituresd'une masse hyperbolique les malles bâties d'après cesprincipes étaient les chariots les plus lourds qu'on aitjamaispu voirou imaginer. Ces deux inconvénientsréunis~

La malle de Holylieadétait & son origine, sous la dépendancedes ventsetdeseaux,!Menqu'e)!ene suivitpas tacôte.Eiiene pouvait.par conséquent.remplir ses fonctions avec la mêmeexactitude que tes malles dont le tra-jet était tout terrestre. Soixante miUes de trajet par eau, entre Dublin etHolyhead,étaient franchis avec une précision merveilleuse. Les transportsn étaient confiés par la poste qu'à des capitaines ayant commandédes fré-gates les salaires étaient assex étevés pourfaire de ces emploisune récom-pense fort appréciée dans )a vie nautique, et les rendre di"nes d'envie etde vive compétition. Le résultatétait de supprimertout inconvénient qui.peut être prévu par )e soin, l'attention, i'habi)ete professionnelle. Celan'empêchait pas, après tout. les vents de faire de leurs tours, surtout pen-dant les deux ou trois semaines qui sub-ent t'équinoxe. et i'honjmele plushabile dans ce temps o& l'on n'avait pas les ressourtesde la vapeur, nepouvait répondre d'arriver à l'heure dite. Six heures étaient, je crois ietemps fixé par la poste pources soixante minea. mais ce déiai était sou-vent d: beaucoupau-dessous du dé!ai qu'il fa!)fi[.

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le poids des voitures et les routes, qui étaientdes fondrières,il était impossible même pour les chevaux nourris avec lesystème anglais, pour des animaux qui n'avaient aue desos et du sang, de traîner leurénorme véhicule à unc vitessede plus de six milles et demi par heure. En conséquence,il nous fallut vingt-huitmortelles heures pour que la malle,quittant Shrewsbury à deux heures du matin, pût atteindre-le bureau central de la poste et remettre fidèlement au rez-de-chaussée de Lômbard-Streettout le fardeau d'amour etde haine que l'Irlande avait été capable de réunir en vingt-quatre heures, dans le grand dépôt de Dublin, en vue d'enfaireune donation a l'Angleterre.

En y réfléchissant, je vois que j'ai été injuste envers.moi-même. Ce n'était pas sans un plan quelconque quej'étais parti, et je l'avais mûri en route. Le succès de ceplan dépendait de la possibilité de faire un emprunt endonnant une caution personneHe. Deux cents livres, en ycomprenant quelque chose pour Ie& intérêts, faisaientquatre sommes decinquante livres chacune.Quelle distanceme séparait,de ma majorité?Tout simplement un intervallede quatre ans. Londres, à ce que je savais ou croyais, étaitla ville où trois articles sont à un prix très élevé, premiè-rement, les gagesdes domestiques, en second lieu les loge-ments en troisième lieu, le laitage. Pour tout le reste,Londres était souvent plus avantageux que les autresvilles. Dans une rae de Londres qui n'aurait d'autres pré-tentions que celle d'une respectabilité passable, il a tou-jours été possible au dernier demi-siècle d'avoir deux

'Cela n'est pas exact. Si vous allez de Hammerfestvers le sud, et que:vous partiez ainsi du point le plus septentrional de la Norwège ou de laLaponie suédoise, pour traverser toutes les latitudes de l'Europe jusqu'àGibraltar, & l'ouest, ou Naples A l'est, Glascowest ia ~i))e où à ma con-naissance, les togememssont te.ptus cher!. Un )ogemeT)t convenable pourunepersonneMu)e!etr<)ttvc:t;?:mentsEdinoboargpourune demi-guinéepar semaine, et coûte nna guinde à Gtascow; dans cette dernière ville, à.rcxception des gages des domestiques, tout tend le séjour plus coûKat,qu'à Londres

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chambra ~ratea pour le prix d'une demi-puinée parsemaine. C<M« somme de vingt-cinq livrer déduite, il meresterait uo< <ommo égale pour les ftUtreï dépenses pendantl'année. J'étais tMt. sûr qu'elle serait suMsante. Si donc jeparvenais à trouver les deux cents livres, mon projet étaitde me retirer à l'e«rt de toutes mes conn,.Ui.<nces jusquee< que je devinsse libre par l'effet de la loi. 11 est vraiqu'en agissant ainsi, je renon~aii: forcemant tous lestvanta~ imusinaires ou tet!~ ~ds ou petits, d'unvoyage M !'Unh ertitë. Mais comm< en ff<t!itJ je n'ai jamaistiré d'une Université aucun avantage ou profit, le résultatauquel mon plan m'nur.tit conduit, s'il s'était réalise, auraitété le tnone que produisit mon échec. Ce plan était nssexsimple, mais il uvait pour hase la possibilité d'attendrirla durctë des pfet<:ur<. Sur ce point, )'nvais la fois desespéranceset des craintes. Ce qu'il y avait de plus exaspé-rant, c'était ce que le hasard me fit connaître comme unerègle invariable dans lu conduite des prêteurs, le retardc'est le seul moyen qu'Usant pour grossir leursexigences,en alléguant leurs rapports A\'cc les hommes de loi et lanécessité de soutenir !eur xele. 1

Je ne perdis pas de temps pour commencer l'anaire quim'avait amené à Londres. A dix heures du matin, e'est-a-dire un moment ou l'on peut supposer que tous leshommes d'affaires sont à leur poste, soit en personne, soiten. procuration, je me rendis au bureau du prêteur.' Monnom y était déjà connu car étant encore dans les Galles,j'avais écrit pour donner un exposé clair et soigne de masituation dans le monde et de mes espérances pécuniaires;j'appris plus tard qu'onavait pris personnellement des ren-seignementsdetailtës sur quelques-uns de ces points; etpar ces lettres je m'étais efForcé de me préparer un accueilfavorable. Le prêteur, comme je m'en aperçus, avaitunerègle invariable. Il n'accordait jamais une entrevue pM'-Mnnellc a qui que ce fût, quand c'eût été le plus aimé de

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ses clients. Tou* sans aucune exception, et moi comme les

au<rfs, étaient adressés pour les renseignements et têtdémarches H faire dans leurs ncsociaïions, un uttorncy.Celui-ci portait plusieurs jours par semaine le nom de;!rnne!t, mais occanonne!tement,pdut~trc aux jours dela lettre t't'uge, il promut )< nom beaucoup ))!us répandude Brown. M. Brun<it-Brown ou Hrnwn-nruneU avaitétabli son foyer (si jamais il en eut un) et ses dieux dômes*

tiques (quand ils n'étaient pas sons ia ~rde du sh~iH) dansGretk-Street, quartier de Soho. i'nr ette-meme !n maisonn'&vait rien qui interdît le respect, si elle efx été bhnchicde temps à autre. Mais clle avait un air nMthcureux, uneapparence sombre et s~una~c d'nngoi~equ'c))e dc\)it a ceque, depuis de iongues années, on ne~H~enit do h hndi-geonncr, de la nettoyer, et même, sous certains rapport:de la reparer. A vrai dire. les fcnotres n'avaient pns devitres cassées !e profond sitcnce qui régnait dans cettedemeure était dû a l'ubsence de tout visiteur ainsi qu'àcelle des employés ordinaires d'un ménage, boulangers,bouchers,.brasseurs, et cela expliquait suffisamment sonair de désolationen suggérant un motifqui n'était pas toutà fait exact, l'absence complète d'habitants. Ln maisonavait, pendant le jour, des hôtes, mais d'une classe si!en"cieuse, et elle était destinéea voir leur nombre s'augmenter.M. Brown-BruneM,après m'avoir épis à traversune étroitemeurtrière percéemr lcflnnc de l'édifice, et pareille àcelles qu'on voit fréquemment aux portes des façades àLondres, m'accueillit avec empressement et me conduisitcomme un hôM d'importance à son q/M<! ~!p/oma<MMjqu'H 9'~Mit réservée sur le derrière du bâtiment. L'expres-sion de sa physionomie,et plus encore le jeu contradictoiretes mouvementsinvolontaireset vivement réprimés de sestraits, vous faisaient aussitôt penser que cet homme-làdevait avoir bien des choses à cacher et peut-être aussibien des choses à oublier. Son regardexprimait l'attentionéveillée contre toute surprise, et passait en un instant à dt)t

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coups.d'ceil irrésistibles de soupçon et d'inquiétude. S! unsourire paraissait sur sa n};ur9, il n'était jttma~ nature!,mnis il était aussitôt chassé par quelque rénetion d'an~ois~eou ne tardait .pas h faire pince à une expression triste etréservée. !1 y avait cependant en M. Brunell quelqueremords qui entretenait in bonté et la nobles; et je luien fus ensuite profondémentreconnaissantpour l'asile quime sauva la vie. Il avait l'amour le plus vif, le plus rare, leplus sincère pour toutes sortes de connaissances, et surtoutpour cette sorte d'instruction que nousappelons littérature.La route orageuse, et sans douteparfoiscoupable, qu'il avaitsuiviedans !a vie l'avait engagé dansdes querettes incessante:avec ses coHe~ucs; i! l'attribuait, a'/ec des imprécationsamères, n la 'soudaine interruption de ses études, par suitede la mort violente de son père, M la nécessite qui l'avait)ete, tout enfant, dans l'exercice des auaircs légales dol'ordre le plu!: inférieur et l'avait ainsi exposé u des tenta-tions journalières en lui of!'rant l'occasion de profits quin'étaient pas.strictement justes, et cela avant qu'il eut eule temps d'acquérir aucuns principes. Dès nos premièresrelations, M. Brune!! avait abordé avec moi des sujets deconversationoù il entrait avec ardeur pour y trouver dequoi rafraîchir le plaisir que lui donnaient ses souvenirsd'auteurs classiques, ou pour présenter ses doutes afin d'enobtenir l'éclaircissement,ses embarrasdevantdes construc-tions compliquées qu'il s'agissait d'aplanir et de dénouer.Bien-que le génie domestique à demi mort de faim.quirégnait danscette maison, écrivant la devise du dénuementsur tous les dessus de cheminées, sur tous les endroits oùil pouvait, bien qu'il protestât avec véhémence,comme ilsut le faire grâce aux échos de la maison, contre l'admis-sion de bouches surnuméraires, il y entra néanmoins'~jepense que ce fut par une nécessité absolue) un clercnommé Pyment ou Pymont. Ce fut pourla première foisq~c ce met tn'sppsra: dsns icrôieds non! propre.M.. Pyment n'en avait aucun autre à ma connaissance,si

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ce n'ost dans !e vocabulaire d'in)ur~ de M. Brune!), quipossédait une collection très variée de sobriquets sansaucun rapport avec les habitudes, soit bonnes, soit mau-vais de l'individu. Bien que séparé par deux chambres,M. Brunell avait tou}oura la connaissance précise etdétaillée de ce que Pyment faisait ou allait fnire. MaisPymentne se donnait guère la peine de répondre à moinsque, comme cela arrivait parfois, il ne comptât produire unenei plaisant. Co qui faisait de Pyment un homme néces-saire, c'était qu'il fallait faire acte de présence u chaqueinstant dans les tribuns: inférieure de Westminster,comme la cour de conscience, les cours du shériff, etc. 11

arrive auMi que l'homme le plus indispensable, celui quiabaî!ep!usdebesogne& une certaineheure, devient encom-brantet inutile ù une autre heure le moissonneur qui peinele plus dur est, aux yeux. de l'ignorant, un lazxarone fai-néant, quand le temps est humide ou orageux. !i y avaitdonc des hauts et des bas dans l'activité de Pyment;M. Brunell en profitait cyniquementet prétendait que nonseulement Pyment ne faisait rien, mais que de plus ildonnait bien de la besogne au malheureux Brunell. Mnisla vérité trouvait parfois l'occasion de se venger quand ilfallait faire appel à Pyment pour l'offensiveou la défensive,et que le cas était important < Pyment, ici, Pyment,venez par ici, Pyment, on vous demande. » Tous deuxétaient gros et grands, et il le fallait, car quelquefois lesclients étaient mécontentssoit d'un procès perdu, soit d'unprocès dont le gain était compensé par une note de fraislourds et inattendus; alors ils se fâchaient, se montraientdisposer à la bataille et offraientà Pyment une occasion dedire que ce ;our*Iâ, du moins, il avait gagné son s&laire enjetant dehors un client avec lequel il était difficile de s'ar-ranger autrement.

Mais-j'anticipe. Je reviens, pour donner quelquesexplica*tiCS:; au )OUr de Mon SttiVée & LûttJtëa. Cwuuictt uH jpcn

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de franchiem'au~it ~M utile dès ça moment. Tous les inta-reMés, excepte moi, connaissaientla vente, savoir que rienne pouvait ~trc conclu et termine avant six mois au moint,et cela en supposantque mes proposition;!fussent udoptcos.Sachant cota, j'aurai) aussitôt renonco H touMt !et espé-rances de cette snrte, comme ~tant sons rapport avec lesressources pratiques de ma sHnaHnn. On vert~* par la suiteque ie <)~ir da me prêter Far~eMétait sincère e! réel. Atai$aton it ~it trop tar~. Hn tous c~s )o me crois autt!"riM )k (lire que dansun eus pareil, de~ hommes de loi mcm'ttonorabieit n'iront {~<. ph' vit~, !)& tnunefoat sous Jtvcr;ipre.text~)t pendant six Moi' Un deiai ptu~ ~ourt, & ce qu'}!s'in~ag")Mt. sufnrait difficitentent pour juMMer aux yeuxde teurteHanM, la son~ne qu'ilsM croientautorisésil exi~rpour leur p~ino <:t îc~r corr'~pond~nco préalable.Combienil serait meilleurpour les dcxx parties, combien plus hono'rtMe, plus tranc, plus libre de déguisement, que le clientpuisse dire « Trouvercette soMme {supposons qu'it s'agissede quatre cents livres) trouvcx'Ih en trois semaincx, ce quiest possible, quand il s'agit d'un prêt pour trois ur)~, et ily aura un boni de cent livres. Tardexdeux mois, il n'yaurarten de ?! )' En tMitantavec cette sincérité, combien )'.tu"rais c~M<! des souM'rance! phytique~poft~et jusqu'aux der-oiér~s extrémités, combien je me serais cpargnd de dou-Itursquem'ontcaMteetmesespëraneesdecucs.Au contraire,le ~yst~tae qui fut emptoye avec moi comme il l'était avectout le monde, qui consistait renouveler;sans cesse na~sespérances après de nouveauxéchecs, à m'ttjourjmr pour laprétendue rédactiond'actes,âm'e<torqueriepeuque je r~ce'vais de vieux ami! de ma famille r'encoatre$ par hasardàLoridres, et~ mâle prendresouspr~t~cte d'achatde timbresimaginaires, ce système eut pour r~uhais de m'amenersur le seuil même de la mort par inanition. Et d'autrepart, ceux qui me donnaient ces déceptions intérieures, negagnaient rien qu'is n'eussent reçu d'une matuére hcmo-T&bto et iu~ic, eu ttg~ttt &vccfrs~h~. A~s~, ps? i'a6e< 1

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de ces trotNptMW sans ce-e i'ennuv<'i'jgs, je cnn!imuu M

vivre sept <Mt huit semaines, en me topant le ptu& ~<:ono.miqueaxatpossibtc. Ces logements, Mon qu'ils mu parussenta peine convenablas, m'emportèrent ait moins les deux.tiers des guinJes qui me restaient. A la fin, quand il meresta, avec uncdemi.~uinee,juste do quoi suitirc i< mn nour-riture quotidienne, je quittai ma demeure, j'exposai àM. BrunelUa situation ou je me trouvai: et je lui demanda!!ap<Tmi$wï d'user de M vaste maison comme d'un mi!epour la nuit. Le paiement n'avait pt's encore tait un crimevoisin de la fe!on:e, du fait de coucher en plein air, ainsique l'ont décidé quelque vin~t ans plus tard nos bénins}et;idateurs aussi ce n'était pas un crime. Ce fut la loi quim'appritque j'étais coupable. Longtemps âpres, en con-templant les collines Camhriennes, je découvris avec sur*prise combien j'avais été criminel au point de vue du par-lement, lorsqu'au temps de ma jeunesse, je dormais p.trmiles vaches, en plein air, sur les pentes. Cela était légal,mais ce n'en était pas moins ma!hcureux. On comprendcombien M. Brnnell me fit plaisir, car non scutement U medonna son consentement, mais encore me pria de venircette nuit même, et de m'arranger de la maison le mieuxque je pourrais. ï.a joicque me donna cet empressementne fut pas sans mëtangc je regrettais de n'avoir pas de-mandé beaucoup plus tôt cette permis$ion,carcitem'auraitépargné un nombre considérablede guinces, que j'aurais,commeon !e pense bien, appliquées a mes besoins urgents,et au besoin quiétait le plus urgent de tous à cette époque, al'achat de couvertures. 0 viciUes femmes, filles du labeuret de la souffrance, parmi toutes les difficultés et les âpreshé:itages de la chair qu'il vous faut affronter, il n'en estpoint, pas même la faim, qui me paraisse comparable à celuidu froid pcndaotianuit. Chcrchcrua refuge contre le froiddans un lit, et alors sous le mince et frêle tissu d'une cou-verturemisérable déchirée,ne pouvoirfermer l'ceil, commeditWdrdswonh en panant des pauvres v!ciHesduL Dorses"

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shirë.quanddes ctrcons.Mn<:e<. locales rendaient le charbontrop cher, – voila un ennemi terrible & combattre pour lespauvres bonnes grand'meres 1 Ce fut alors que je repentis,<omme auparavant je l'avais éprouve sur les pentes~uva~csdes Galles, quel bien ineffablec'est quo la chaleur. H n'y apas de malédiction plus terrihie pour l'homme on pour lafemme que celle-ci se débattre entrela fatigue qui appellele sommeil et le froid qui pénètre et vous traverse, et vouscontraint a, peine endormi,ù vousre\'fi!!er tout fri$!tonnant,a chercher vainement ia chaleur dans un mouvement nou.v<aUt a!ors que depuis ~n~emps la fatigue vous écrase.Mais h défaut tneme de couvertures,c'était une belle choseque d'avoir un asile contre le plein air et d'être assure decet asile pour tout le temps où je pensais qu'il me seraitnécessaire.

'Aux approchesde !a nuit je me rendis a Greek-Street.En prenant possession de mon nouveau logement, je letrouvai déjà habite par un hôte solitaire. C'était unepauvre enfant abandonnée qui paraissait <){;ee de dix ans,mais on voyait qu'elle souHrait de !a faim, et de teitessouffrances font souvent paraître les enfants plus ag<!s

qu'ils ne le sont. Cette enfant d~aisseo m'apprit qu'elledemeurait là le jour et la nuit depuisquelque temps avantmon arrivée; la pauvre créature manifesta une'grandejoie quand elle sut que désormais je lui tiendrais compa-gnie dans les heures d'obscurité. On ne pouvait dire que

maison fût vaste; chaque étage en particulier rétait fortpeu, mais comme il y en avaitquatre en tout, eUe étaitassez-grande pour faire éprouver fortement la sensation deson vide retentissant. Comme ellc était dépourvue de toutmobilier, les rats faisaient un tapage fort bruyant sur lesescaliers et les planchers. Aussi, tout en souffrant physi-quement de la faim et du froid, l'enfant abandonnée pou-vait employer ses loisirs a se créer des souffrances encoreplusvives en se ïbrgeant des fantômes. J'étais en mesure

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de lui promettre ma protection contre do tels ennemistacon'ipn~nied'un h~mmesuiïisnit prmreeta mni-! quandiUui nOrirnno aide di~erente et plus utile, cetn, h<;tn<.l 1

n'était guère en mon pouvoir. Nous dormions sur le sot,avec nn rouleau de papier;, judiciaire:- pour oreiller, sansautre couverture qu'une grande houjse de chcvn); plus tardcependant nous découvrîmes dnns un galetas une vieillehousse de eannpe, un petit morceau de hure, d'autresd~hri-. dt! cette sort*?, qui ajoutèrent un peu notre bien-être. !.ft pauvre enfant se serrait contre moi pour seréchauffer et se défendrecontre !cs fantômes ses ennemis.Lorsque je n'étais pas plus mntnde que d'ordinnire, je laprennis entre mes brns, dctcUe façon qu'elle nvait unechoteur satnsitnte, et que souvcm elle dormait, nturs qu&cela m'était impossible. Pendant les deux premier;; mois demes souiTwnccs, je dormais surtout pendant la matinée,mais j'etnis exposé !t des accès de somrneU à tonte;' heures.Monsommeit était encore plus fatigant que l'état de veine;n~s rêves douent fort ogitcs, peine moins effrayants queceux que j'aurai plus tard a décrire comme produis parl'opium mon sommeil ne dépassait pas le degré de celuiqu'on appelle sommeil de chien je pouvais entendremes propres gémissements, et plus d'une fois je fus réveilléen sursaut pur le son de ma voix. Vers cette époque, unesensation atroce commença a me tourmenter des que jetombais dans l'assoupissement. Cette sensation, qui estvenue me retrouver à diflerentcs époques de ma vie, con-sistait en un tiraillement que j'éprouvais je ne sais où,mais qui occupait apparemmentla région de l'estomac, etpour la faire cesser, j'étais obligé de lancer brusquementles pieds en avant. Elle se manifestait aussitôt que jecommençais à m'endormir, et comme l'effort nécessairepour la dissiper me réveillait, je finis par ne plusdormir que sous l'influence de l'épuisement; or, comme;e Fat d:t plus haut, ma faiblesse toujours croissante meplongeait dans un état de somnolence, dont il butait

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m'eveilier à chaque instant, 11 arrivait trop ~a<ra!ëment .ique h jouissance d'un sommeil profond était Mécanique-ment liée h la fatale nseeKsited'une interruption volontaire.C'était comme siune coupe eût ëtërempHejusqu'aubordparl'excessif besoin de sommeil. La plénitude de la coupereprésente symboliquement un repos complet; mais lachose se continuant, les eaux arrivaient & t~n, it torrents,se précipitant 'do tous les côtés de !n coupe, et interron-paient le sommeil que précédemment.eUes produiMient enrempiiMHut sitencieusement lit. coupe, pendant l'instantqui précédait. Il y u\tit tant de rMguhrfte dans CCMC

ascension graduelle et cette chute soudaine, dans cettelente arrivée et cette dispersion brusque, que c'étaitune alternative interminabled'un sonnneU profond etd'un rcveil orageux, et je passnis de l'un !t l'autre d'unefaçon aussi successive que le crepuscute le fait en 11

s'assombrissant, ou l'aurore en devenant plus claire.Paj!; un instant de repos qui ne fût le prologue de l'etTro!,pas de doux frcmissonsnt de restauration qui tic finît pardes cns soudains de douloureux changement. D'autre 1

part, le maître de lu maison survenait quelquefoisde très bonne heure, quelquefois aussi il ne venait quevers dix heures, ou ne venaitpas du tout. Il vivait dans unecrainte perpétuelled'être arrête. Adoptant le système deCromwell, il passait chaque nuit dans un autre quartierde Londres; je remarquai qu'il ne manquait jamais d'exa*miner a travers une fenêtre dérobée l'aspect de ceux quifrappaient la porte, avant de se décider a leur ouvrir. Hdéjeunait seul. Il est vrai que ce qu'il avait pour son thé luieût difficilement permis de hasarder une seule invitationsans se bornerà offrir à cet invité l'excédentde son repas;celui-ci consistait en une miche ou quelques biscuits,achetés en revenant de l'endroit où il avait passe la nuit.Et s'il avait invité un convive, celui-ci eût été, commeje lui Rs doctement remarquer, dans le rapport de succes-sion pour cette séance, terme impropre, faute de sièges, 1

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et non d<MM !e rapport de coexistence h! r<')ation. tut etddan;; le temps et non dam l'espace. Pendant qu'il déjeunait,je tâchais d'orditunre de trouver un prétexte pour rodernutom' de lui, et de l'air le plus indiileront que je pouvaisma donner, je m'eûorcais de rccoher tons les morceauxqui restaient parfois il n'en restait pas une mietM. !~ncela }<< ne commettais pa~ u'i vol, si ce n'est envers Al.!!ruM)l lui-n~mc, qui était au~si obiij. d'envoyer, veMmidi, acheter un bleuit &upp~taenta!r< D'aiUcu: purdt;~ moyens que j'expliquerai p'u~ tiu'd, it fut indemniséhknp'us qu'au centuple; quiU~hhp~uvrcen~nr~ ellen'~MitJarna;~admise a entrer dans !eenbinet,si je puisdonner ce acm au lieu qui tenait le dépôt ~ener.U desparchemins,papiersde procédure, etc. Cette chambra étaitpoureik' la chnrnbrcde Harbe-Hieue.earetteétait toujoursterfaM par lui jusqu'ù rhcurt} de iion dincr, six heurescnviTon, lorsqu'il partait définitivement. Cette fittettc était*elle une enfant natu~'elled< Bruneitou une domestique;

ri~aorai: elle n'en savait rien cite-meine. Hn tout cas e)!&etRi! traitée en bonne à tout faire. A peine M. Hrunctluppsmi$Mit-qu'ette descendait les cscatiers, lui cirait lessoutiers, bro$sait !e&. habits, etc. A moins qu'eiie ne fûtenvayee en course, cHe ne quittait jamais le sombre tartarede la cuisine, jusqu'à l'iKurG bienvenue où mon coup demarteau du soir ramenait à !n porte d'entrée ses petits pastremblants. Quant à la viu qu'eUe menait pendant la jour-née, je n'en savais que le peu qu'elle m'en disait le soirdes qu'arrivait l'heure des araire?, je sentais que monabsaace était désirée, en conséquenceje sortais, et je restaisassis dans les parcs ou ailleurs jusqu'à l'approche de 1~nuit.

Quel était don' quelte sorte d'individu était le maître dela maison ? Lecteur, c'était un- de ces, praticiens marronsqui s'exercent dans les régions inférieures de la procédure,et sus isprs~cn~ on !,tn&eMu<: obligent se priver du

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luxe d'une conscience délicate. Sur bien des routes devie, une conscience est d'un transport plus coûteux qu'unefemme ou une voiture. De même que les gens disentfamiliè-rement qu'ils ont « bazarde Il leur voiture,M. Hruncil avaitHussi < baxarde a ht sienne, pour quelque temps, comptantla reprendre sans doute, dès que ses moyens !e lui permet-traient. Il était attorney par annonces, et il faisait tous lesjourssavoir au public,par des av ispubliésdans les journauxdu matin, qu'ilentreprenait de procurer des empruntspourdes personnes sures dans des circonstances qu'on pouvaitordinairement regarder comme désespérées~ c'est-a-dirclorsque l'emprunteur ne présentait aucune autre garantieque sa personne. Mais comme il avait soin de s'assurer queles fonds ne manquaient pas pour le remboursement, quedes parentsrapprochésne permettraient pas que le nom dela famille fût déshonoré,et qu'il assurait la vie de l'emprun-teur pendant un certain temps. il ne courait pas grandrisque. D'ailleurs toute l'nflhire dépendait du prêteur/quiétait dissimulé dans la coulisse, et ne'se montrait jamais ases cnenis, et qui traitait de tout par l'intermédiaire de esssavants procureurs, tels que M. Brunell et d'autres. L'ar-tangement intime de la vie d'un tel homme présenteraituntableau monstrueux. Dans les étroites limites où je pou-vais l'observer, je contemplai des scènes d'intrigue, dechicane entortillée, dont le souvenirme fait sourire, commej'en ai souri autrefois en dépit de ma situation misérable.Cettesituationme fit connaître dans le caractèrede M. Bru-nell bien peu de traits qui lui fissent honneur, et del'étrange composé qu'il formait, je dois tout oublier,excepté qu'il fut obligeant à mon égard, et qu'il se montragénéreux dans la limite de ses moyens.

Ces moyens, je dois le dire, n'étaient pas fort étendus.Mais je partageais avec les rats un logement gratuit. Ledocteur Johnson a ditqu'ilne lui était jamais arrivéqu'uneseule fois de pouvoir mangerà discrétion despêches d'espa-lier. Aussij'acquitte un devoir de recbhnu~ta<tce en d~s-

1

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rant qu'alors, seulement alors, j'eus a ma disposition unnombre indéfini de chambres, et même départements,dans,une maison de I.ondres. Maintenant je puis direlaquelle

1 elle était h l'angle nord-ouest de Ureek-Strect,du côté de la rue qui est le plus voisin do Soho-Squnrc. Apart la chamhre de Barbe-Bleue, que la pauvre enfantcroyait hantée, et qui d'ailleurs était fermée, tout le reste,de la cave au grenier, était notre disposition. « Le mondeétait & nous et nous plantions notre tente ou nous enavions la fantaisie. J'ai décrit cette maison comme spacieuseet respectable elle est dans une situationbien en vue, dansune partie bien connuede Londres.Nombrede mes lecteurs,je n'en doute point, passeront devant elle quelques heuresaprès avoir lu cela. Quant a moi, je ne manque jamais dela revoir quand une occasion m'amène h Londres, Cettenuit même, a dix heuresdu soir (15 août 1821, jour de monanniversaire) j'ai dévie de mon itinéraire ordinaire dansOxford-Street, pour aller y jeter un coup d'ceit. Elle estaujourd'hui occupée par une famille d'apparence respec-table. Les vitres ne sont plus renduesopaques par un vernisformé des poussières et des pluies de l'année, et l'extérieura entièrement perdu son air sombre. Aux lumières desfenètres de h façade, j'ai observé une réunion de famille,pour le thé peut-être, et j'y ai vu de la joie, de l'entrain.Merveilleuxcontraste,a mes yeux, avec l'obscurité, le froid,le silence, la désolation qui régnaient dans cette maison ilya dix-neufans, quand elle avait pour habitants un écolieraffamé et une pauvre enfantabandonnée.Disonsen passantque j'ai plus tard fait de vains efforts pour retrouver satrace. A part. sa situation, elle ne pouvait être qualifiéed'enfantintéressante. Elle n'était pas jolie, son intelligencen'était guère brillante, ses manières n étaient pas particu-lièrement agréables. Mais, grâce au ciel en ce temps même,il ne fallait pas les embellissements de l'élégance superflue,pour. se .conciliermon-affection. La nature. humaine tellequelle, dans son appareil le plus humble et le plus familier,

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me sufnsait. J'a)ma!sceUe enfant parce qu'elle était t, com-pagne de ma misère. Si elle vit encore, elle <at probabte-ment mère, elle a des enfants à elle; mai~ comme je l'.Hdit, je n'ai pu retrouver sa trace.

Je !e regrette. Mnis il y eut une Autre pMEOnne que j'aicherché h retrouver par des efforts bien plus passionnés,et mon échec m'a causé un chemin autrement profondeC'é!:)it une jeune femme elle appartenait à lu catégoriedes déclasséeset des parinsde notrepopuiationféminine. Jene resten'. nulle hûnte, tt j'aurais lort d'en re~ntir enavouant que j'étais alors en tcra~t ~ataitiers et amicauxavec nombrede femmesqui appartenaientà«tte conditiondéplorable. Ne souries p;):,iec<eur<~ivous abandonnez sinégligemment Ne froncéepas le sourcil lecteur donU'nus-tërite n'est pas toujours ~e saison j(~ m'en pas ici l'occa-sion d'un sourire ou d'un ~roncetnent de aourcits. Un éco-lier sans le sou ne peut être accusé d'~trt à }a portée depnreitiestentnuons <je plus, l'ancien proverbe }atin le dit« 5!'ne Cer~re <M ~~M/M, etc. » ces matheur~uses dtaicntsimplementmessœut-s en infortune, seeursparmUesquencsse trouvaient en Hussi~rftndepropornon.que parmi d'autrespersonnes en nombre egat ~esqualitcsqui eommandtntunrespect un~-erset, t'humani* h générosité dcsinterMeee,-un courage qui ne se dément pas dans la défense de l'abon~donne, une ndëtité qui ne prend pas des ~etHIes pour destrahisons. t.a vérité est qu'à aucune époque de ma vie, je-n'ai été homme à me croire souillé par le contact ou l'ap-proche d'une créature qui a ia fonne humaine. Je ne puisSupposer, je ne ~eux pas croire qu'aucune créature qui aitieoMtctèremasculin ou feminim.oitabxolumeMreprou\éerëje-tee en dehors des rangs, que l'on soit déshonore seu~lenient pour luiavoir parlé. iLoin de là, dés ma jeunesse,j'ai mit quelque amour-propre & converser <amiliarement~tHor~. ~<w<tftco, avec tous les êtres humatns, hommes,&<neMs,enttnts, que l6 hasard mettait ~r ma route/Un 1

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philosophe ne doit pas regarder avec les m~Nes y~ux quecette pauvre créature bordée qu'on appelle un uo~me dumonde, être rempli de pre~u~ <3t)nits et e~oï~tes sur Ji«naissance et l'éducation, le philosophe doit se regardercomme une intelligence M~~Ke dont les rapports nevarient pas selon la hauteur ou i(t bassesse, l'éducation oul'absence d'éducation, le crime ou l'innocence.Lan~essitefaisait de moi un peripateucicn, un promeneur des ruescela me mettait en rotations naturelles et frc<]UM)tcsavecces p<rip!(<~t{<:iensen jupons, qu'an nomme oMcicUcmentles femmes de trouoir. Pimieurs d'entre eHex ont pris enpaMMt ma défense contre les gardes, quand ils voulaientme chott~r <t<N escaliers des mpisons où je m'étais assis;d'autres m'ont protégé contre des .«laquts p)us sérieuses.Mais pornu e)tes il en est une, – <:ene h propos de qui jesuis entré dans c<s considérations.Mais non! ô ~cncrcu<;eAnne, je ne dois pas te ranger parmi ces femmes. Trou-vons, s'il se peut, un terme plus noMe pour donner lacondition de <!cHe dont la bonté et la compassion,en subve-nant à mes besoins quandJe monde entier se tenait ù l'écartde moi, furent tclles que je lui dois d'être encore vivant.Pendant biendessemaines.j'avaisparcouruaveccettepauvrefille sans umis la longueur d'Oxford-Streot, et je m'émisrepOtoavcceUesuricscscaUers,oual'abridcsportoscochct-es.Elledevait ctrc plusjeunequemoi;eHcme diton cflet qu'unen'avaitpasseizeansaccomplis.Grâce aux questionsque monintëro:pour elle m'inspira, j'appris d'eile peuà peu sa simplehistoire. C'était une de celles qui arrivent fréquemment,commej'ai quelquesraisonsde le penser, une de ccilesoù iepouvoir de la loi pourrait intervenir plus souvent pourpro'-teger et venger la victime, si la bienfaisance londoniennese mutait mieuxen mesurede les connaître. Mais le torren'tde chante d& I~ndres coule~ans un lit souterrain etsans écho, malgré sa largeur il est inaccessible, ou diffici-lement accessible aux pauvres errants abandonnés. Il faut,I.¡t~¡.a.s~ccs~csn' :qx:'x i~ondT~x, ~csnms -dans !MTc: i~ ~'s~s <;api..

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tales, l'aspect extérieur, la physionomie de la société a uncaractère dur; cruel, repoussant. Mais je vis que d'une ma.aiére ou d'une autre, quelques-uns des torts qu'avaitéprouves Anne, pouvaient être réparés. Je l'engagent sau-vent,avecinstahce,h déposersaplaintedevantunm~gisirut.Isolée comme elle l'était, je lui assurai qu'elle obtiendraitune attention immédiate, et que la justice aMgiaise,qui n'hde ménagementspour personne, la vongeraitsans retard etamplement du rufHan brutal qui avait saccagé son petitavoir.- Elle me promit souvent de le faire, mais elle retardade jour en jour à faire les démarches que je lui.conseillais.Ette était en enet timidett abattue à un point qui montrait'combien son jeune coeur avait été profondémentatteint.jPeut-etre pensait-elleavec raison que le juge le plue juste,que lie tribunal le plus rigoureux,ne pouvaient rien pourréparer le désastre le plus grave. En tout cas, il y avaitquelque chose à faire il avait été enfin convenuentre nous,que dans un jour ou deux nous irions ensemble chez lemagistrat, et que je parlerais pour elle; malheureusementt'était le jour où je ~a vis pour la dernière fois. Cet humble.service, ilétait pourtant écritque je ne le lui rendraispas.TEtcelui qu'elle m'avaitrenduétait de ceux qui dépassent toutesles limites de' la reconnaissance. Voici quel- il était. Une.nuit, nous allions lentement par Oxford-Street; ce jour-làavaitété pour moiun jourde faiblesseetdelangueurextraor-.dinaire et jelapriaidem'accompagnerjusqu'aSoho'Square.Nous y parvînmes et nous assîmes sur les escaliers d'une.maison, qu'a cette heure même je ne revois jamais sans undéchirement d'angoisse, et sans rendre intérieurementhommageà l'âme de cette malheureuse fille, en mémoirede sa généreuse conduite alors. Dès que nous fûmes assis,je me trouvai beaucoupplus mal j'avais appuyé ma têtecontre sa poitrine tout à coup je glissai d'entre ses bras ettombai à la renverse sur les escaliers..La sensation queJ'épruu~HiMÎuiàiuëlaisse !3CcnT:ct:onisp!csTiTeq!:ss:nsun excitant d'une force extrême, je seraismort sur.le eoup~

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à moins que je ne fusse tombé à un état d'épuisement telque, abandonné comme je l'étais alors, ma situation auraitété désespérée. Ce fut à co moment critique de mon exis-tence que ma pauvre compagne orpheline,qui n'avait reçudu monde entier que des injustices, étendit vers moi unemain secourabie. Elle jeta un cri de terreur, 'unis sansperdre un moment, elle courut A Oxford-Street, et enmoins de temps qu'on ne saurait l'imaginer, elle revintauprès de moi avec un verre de porto épicc. Ce breuvageproduisit sur mon estomac vide, qui h ce moment auraitrejeté toute nourriture solide, un etiet instantané et vivi-naat. Pour payer ce verre, la généreuse fille, sans mur-murer, puisa dans sa pauvre bourse; il faut se souvenirqu'alors elle possédait a peine de quoi pourvoir aux besoinsles plus urgents de la vie, et qu'elle n'avait aucun motifd'espérerque je pourrais jamais m'acquitter envers eue. 0jeune bienfaitrice que de fois pend«ntle cours des années,je me suis arrêté à quelque point solitaire, pour songer atoi avec le chagrind'un coeurplein de sincère amour! Com-bien de fois j'ai songe ù ces temps de jadis où la malédictionpaternelle passait pour posséderune puissance surnaturelle,pour aller a son but avec l'inexorable fatalité d'une satis-fâction entière 1 J'aurais souhaité que de même la bénédic-tion d'un coeur accablé sous le poids de la reconnaissancepossédât le pouvoir céleste de pourchasser, de hanter, detraquer, de saisir ta personne jusque dans les sombres hor-reurs d'un bordelde Londres,ou même,si celaétait possible,de pénétrer jusque dans les ténèbres sépulcrales, de t'yréveiller en t'apportant un message de paix et d'oubliet deréconciliation suprême'

Il est des sentimentsqui, sans être plus profonds.oupluspassionnés, ont plus de tendresse que d'autres. Souventquand je me promène aujourd'hui dans Oxiord-Street,àla fantastique lumière du gaz et que j'entends -jouer.sur

qu~}qi:crc&aM orgue df barbarie un de ces airs Qui acette époqueétaient une consolation pour moi et ma chère

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jeune eoxt~goe, )< veroc des !arme<t ci je MM aompiais àf~tchtr *ttr ~t mystérieux arra~ementt qui nous ont<)<p«r<M d'une ntaaiere si rttpide et ti soudaine, et pourt~e}o<tr<. Comn~Mtt ceta amva-t-i! ? L~ tecMur va ~ap-ptwn<tM ptur ce qui me rxMKe f<c<Mtt~)r <i*a< e~ ~«gespf<M!nM!Mure<.

Peu d< temps après le dernier incident ~<M j'ai rapporte,)< Mnoaotrti dans AtbeniMr!e-S<r<fet un ~ent~maa qui &ti.)t<!k~<tft}<de la maison de hdëfuatt Ma}«ne. Ctgetttkmant~Mt, en phMt«fnr< etCMMM, <wçu )'h<wjpMt« d<m< ma<MMU<, il «< «wn~itawatw sus <M rtMoo~ttBee tveceut.

a'<t«y«i pM de d~aiter <n< pcr<onne, }e lui répondis<<MfC une tntt~fe ~ranchMe,et comme il ax Joan* sa paroled'honneur de ne pas me dénoncer t met <uttt)r<, je luiindiquaim~'vënttibte adreMtà Grcek-Street.le lendemain,je reçus de lui une banknotede dix livres. Ltt lettre qui larenfermait fut fcceiM t l'attorney avec d'autres lettresd'<Na!re<, mais quoique son air et son attitude me aMentvoir qu'il en soupçonnait le contenu, il eut t'hounetetë deme h Tenttttre sans hésitation.

Ce présent, à raison du but tout particulier auquel il<tait~urtoatdettine,me conduit natnre!!emt'atà parlerdumotif originaire qui m'<va!t conduit a Londres et dontj'avais poursuivions relâchel'exécutionp~r l'iMern~diairede M. Bru.aeii, dès le premier jour de mon arrivée,en cetteville.Mes lecteurs seront surpris en apprenant que, dans

«n moode aussi vaste que Londres, je n'avait trouveaucun moyen d'échapper aux dernières extrémités de lamitef-e. jfis seront fftppM de l'idée que deux ressources aumoins m'étaient Bccessibkï :~a première ~teH_de demande.r&MMtaaot auK atBit de -ma famille, )a seconde était d'uU-ii«r ïMs)tua<t Mtentt, quels qu'ils fustent, peur en tirer

qm't~~ ~ftiff Fn rr~ t'* ~?'OM~heur <{&$ je mdout~ par-deesua«Mt était d'~fe 1

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réclamé pwf <a« tuteura; je ne doutais pas qa'il* n'e<tn-pbyatstnt contre moi jusqu'aux limite* le< plu* «trecoes!o pouvoir que !a !oi leur donnait, c'est-à-dire qu'Ut ne mecontraignissent t rentrer dan* l'école que j'av<u< quinée.Cette rentre qui était en rcalite, comme à mes yeux, ~ndéshonneur,1er* même qu'elle eût cté subie volontaire-ment, <i etit m'était imposée nu mépris et par~eHancedemes désirs connus <t de mes vives répugnances,devenaitpour moi «nt hun)Uiation pire que la mort et aurait eu en<net ma mort pour coasëquence. J'etah donc aMez peuporté à deaMnder de i'a<M<taace aupret de ceux ~iont)'enM< ~wftain d'en recevoir, si j'étais en tne<ne temps cer-tain qu'il fallait courir le risque de mettre tne: tuteurs surmatrxce. Les amis de mon père :n'sienië<ë nombreux;il y en arait dans toutes les partiesdu royaume H !~)ndresen particulier, bien qu't! y eût un grand nombre de sesamis, dix ans t'étaient écoutés depuis sa mort; il en étaitpeu dont ~e connusse les noms; je n'avais jamais vuLondres, sinon une seule fois, quand j'avais quinze ant,et pendant quelques heures et de ces quelques amis,)'ignofài<! l'adresse. Cette tnanierede me tirer d'aHhircétaitdonc incertaine, mais par-dessus tout. eUe offrait le dangerdont j'ai parlé et )'etaispea dispose à l'employer. Quant &

l'autre manière qui consistait à utiliser pour un salaire lestalents et les connaissances que je pouvait posséder, je mesens aujourd'hui dispose partager l'étonnement du lec*teur pour ma négligence. En corrigeant des épreuves degrec, sinon de quelqueautre façon, j'aurais gagne assezpour mes bibles besoins. J'aurais rempli une telle tacheavec un soin siexemplaire et si attentif que j'aurais conquisla c<M<Mnce de cetm qui m'emp!oya!ent. En donnant cettedntctiiMtà !'MS <<!ot<< )'ava)s !<pr<toi<:r« gftad&vantagede voir la dignité ~otel!ectueïle et l'e!<~aace se combinera'Mct<!iOte<testidj~mc<Nn?M<ten<~ de i'intptimeneet celaauraTt epzt~aS mMnutg~}'~ '~vK Mtpec: d? Tsrc:-SM*a*,toute mornncMion. Dans une situation extr&ate comme

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ceUe où j'avais fini par me trouver, je n'aurais pnsabsolu"ment dédaigné l'humble fonction de diabte f. Un emploisubalternedans un état honorab!epar lui-même vaut mieuxqu'un poste bien plus élevé dans une profession dont le butdéfinitifest'trivial ou ignobié. Jo dois dire que je ne suispas certain d'avoirde capable de remplir complètementlesfonctions dont je parle. Pour manier parfaitement le carac-tère « diaboiique», je crains que la patience ne soit h vertu

indispensable, A un point tel que je n'étais pas sûr de luposséder; il fallait une adresse de danseur de corde poursatisfaire des auteurs quintcux, maniaques dans leurs exi-gences dans les questions de points et devirgu!ea.Maisuquoi bon parler de mes'qualités? Que j'en eusse 'ou non,pouvais-je obtenir un tel emploi ? H ne faut pas oublier

que des recommandations sont nécessaires même pourl'emploi de <' diable ». Ace pomt de vue, je. devais me pré-senterun éditeur respectable avec une lettre d'introduc-tion que je n'avais aucun moyen de me procurer.Pourdire

.la vérité, it ne m'était jamais venu à l'esprit de considérer!e travail littéraire comme: une source de profits. Aucunmoyen de trouver de l'argent d'une manière assez promptene s'était présenté à moi, excepté celui qui consistait itobtenir un empruntgrâce à mes droits et à mes espérances.

Ce fut celui vers lequel je dirigeai tous mes efforts. Entreautres personnes à qui je m'adressai, il yavaitunJuif,nomméD*.

Au moment présent (automne de t8~6) trente-cinq ans se sont écoulésdepuis la première puNicMiondt,CMn)tmoi)-M,tt!<nMieatts:ene m'im-pose plus l'obligation de taire le nom de ce Juif. on da moin", cetttiqu'f!avalt adopté pour ses relations d'affairesavec ietGent))'. Je diraidoncsansremords, qu'il M nommMt Dell. Quelques années plus tard, ce nom futt)tt de ceux qui turent prononcés devant la Chambre des Communet.~àproputde quelque tfraire(j'ai depui!)ongtemp~ouMi~de quoi i) t'tftiMait),affaire qui <H<it Mrttedu mouvementpartemeuttirecontre le duc d'Yprii,au sajetdeMM. Ctarte, etc. Comme tocs !M)ttitr<t Juifs zvec)Mque)st'ai eu dMrtppcrt<d'an'ai)-e<, tétait francet honottMe dans sa manièred'~ir. Il tenait ce qu'il promttMit,et si ies conditions étaient dures, c~qui était Inévitable,étant donne; )t< risques qu'il couMit, ii en fonvenait:af~pi~ H 1

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Je m'étais présenté en personne & ce Juif et d'autresprieurs qui font des annonces; )'avais avec moi l'état demes espérances, et il ne leur ëtait guère .ditncUe d'enconstater l'exactitude. Lu personne quiy était mentionnéecomme le second fils de–, était bien en possession de toustes droits et de plus encore que t'avais indiques, mais ilsurgirait encore un doute et les physionomies des Juifsexprimaient ce doute d'une manière fort significativec:ais-}e cette personne ? Jamais il ne me fut venu à l'espritqu'on pût en douter j'avais craint plutôt, en voyant avecquelle attention mes amis les Juifs m'examinaient, d~ leurdonner une trop grandecertitudeque j'états cette personneet qu'ils pouvaient concevoir quelque plan, avoir quelqueprojet pour se saisir de moi et me vendre h mes tu-teurs. Il me paraissait étrange que mon moi considcr<S

Ce fut~ttmeme a. M. De)! que je m'adre::ai pour une anair; du mêmegenre, quelques dix-huit mois plus tard. Et comme je datais ma demanded'un co)ie);e respectable, je fus assez heureux pour attirer son attentionsérieuse sur met propositions. Kiies m\'t<tient t)npot<M non par mesétourderiesou des légèretés de jeunesse, dont mes habitudes me prc~er-vaient, mais par la Mncune maticieu~c de mon tuteur. N'ayant pu MtMderdavantagemon t'ttr~e & l'Un~ersit~. ii m'avaitdonné une dernière preuvede tM dispositions, en refusant de signer tout arrangement qui m'auraitaccordé un si)i)!in); de plus que ce qui m'était aUoue pour mon s~our Al'école, e'est'a-direcenttivret paran. Aveccette somme, et i cette époque,c'ett-a'dire dM< ies dix premictes années de notre siècle, il y avait justeae quoi vivre au collège, et elle était bien ioin de ce qu'il fallaitunhomme qui, sans afficher un mépris bruyant pour l'argent, sans avoir dej;oût* coûteux, s'eu rapportaitavec trop de confiance aux domestiques,etne trouvait aucun plaisir aux pùeriis détails d'une économie minutieuse.Je ne tardai pas à me trouverdans i'embarra;, dans un moment d'impa-tience, au lieu d'avouer franchement ma situation & ma mère ou à quoiqueautre de mes tuteurs, dont plus d'un m'aurait avance les deux cent cin-quante livres ncceisaitts, non comme tuteur iega), mais comme ami, je fusassez fou pour m'engagerdans une négociation volumiuéuseavec le Juif.Je fus mis en possessionde la sommedemandée,au taux de t? !l< p. toopar an, payable en une annuitépreiev-Se sur cette somme; !srae) de son-côté, la diminua d'une autre somme de qoetre-vingt-dixguinées seulemèntalléguant qu'il avait à payer )a note d'un attorney(pourquels services?Rendus à qui? J8e<)du<&queUeep<~))c? riait-ce au temps dtt sitRe de'!erusaiem? Etàit-ce iorsd&ia construction du second tempie?–Jen'apu iedecouyriri. Quant à cette note, elle mesurait un nombre de piedsque j'ai oublié, mois je la conserve encore dans aue collection de cuno-;;t~

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MM<M)~«f (ou* j'ai toujouM tu un vif peachant- pour i~dittiactioM logiqeot et, par tuite, )<r m'expnmaisatnd) f&taMp~oea~ de CMttr<Mr« nxm moi eonttdcfe /~OM~<n*.A~ dt t*"M' !<M<M tcntpMio~ )'Ma rxcMtM tm Mu! moyeaqui était ta BMm pouv~M-. Pendant qu )'e<~ dans t«0<!t«, j'avai, r<~u dt~'M'eMM lettres de m<* jeunes amis;)< les montrai car tvait tou)ouM <ttr<aai. Notubftde ces ~ttte*etM<MM du comte d'Ahaax~tq~~MittLon etfat depu;~ pendant quelques années, <Mt de mes am!tiatintM. KU<~ étaient datées d'Etoa. J'en avais d'autf« duta&JpquMd. SM~tt, sot) pare. Quoiq~nbMtbep&f!M&pfO}<!tt~prie~t~ avait c<e à Et« tui'm&me il t'y était tn.Mfahautant qu'un gentilhommea boxMa de ~êtM et il lui eaétait resté l'affection pour les études classiques et ietjewtMlourds. En conséquence, il avait été en correspondanceavec moi depuis mn quinzièmeannée, m'entretenant, tan-tôt des grandes tœ~iorations qu'il réagit ou projetaitdans les comtés de Mayo ON de Sligo, taatôt detméfitesde quelquepoète latin, ou bien me suggérantdes sujets surlesquels il supposait que je pom't&i& versifier ou inspirer lesouMe poétique dans l'esprit de mon unique ami intime,aonSIs.

A la lecture de ces lettres, un de mes amis les Jut& con-sentit à m'avancer deux ou trois cents livres sur magarantie personneUe~ à. la condition que je déciderai)! lejeune comte (qui, disons-le en passant, n'était pas plus âgéque moi) !t cautionner le remboursemejfn à l'époque oùnous serions tous deux majeurs. L'objet principat que seproposait !e. Juif n'était pas, je pense, le mince profit qu'ilpouvaitMrt à mes dépens, mais la possibilité d'entrer enteintions avec mon jeune ami dont les vastes espéranceslui étaient biea coaiues. Ann d'exécuter les propositionsque me &!s&it le-Jui~ je me disposai à merendre Eton,huit ou suMf jours après avoir reçu les dix Hv~s. Sur cetargent, gavaisdonné trois guinées a mon prêteur d'argentu!~Imu! uu,pûurp5i'!c!' plus exactement, je {ts~Tsis

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r<mis« M. BfUHtU, dF«t.< Br<norn, comme rtp~eMHtitntIl Juif, M. Dt!) J~ lui avait remis une somme ptut petitsct~om propre nom. !i donnait pour motif de ce preuve.nMnt &~r mes fonds à e~ moment critique, qu'il fanaitMhtttr dtt timbres afin de rréparer !M actes (lui semiëntr<Ji~ pendant mon <bMnceJe Lon~r~. J'~ta!&nbsc!u.m<Mt certain qu'il mcnt<nt, mais je routais lui ôtcr toutexp«i«nt qui lui permettrait J< m'imputer s<<t propreMMrds.Qu!ax9thi))!n~environ ~urtut amptoy~s~r~ons-tituer, mais tr~t modestement, mon habt!)em<h)t. Sur leresu, je donnai la taoi«e, c'est-à-dire un pt'n ptm ~'un<g~inét, à Anne, comptant, à mon retour, partager avecelle tout c. que j'aurais.

Cesarraagcmcntsïerminds, il était six heuresquand, parune sombrtsoirée d'hiver, je me mis en route, accompagned'Anne, dans la direction de Piccadiity, cnr mon intentionétait de prendre ia malle de B~th ou de Bristol jusqu'autournantde Salt HiU et Siough. Notre chemin nous con<duisit par des quartiersquiontentièrementdisparu, si bienque je n'en puis fixer les limites, et qui ont été remplacerpar Regent's-Streetet se$ dépendances.Swatoro-StreeteMle seul nom qui ait échappe dans ma mémoire à ces vastesusurpationsrévolutionnaires.Comme nousavionsdutemps.de reste, nous tournâmes à gauche jusqu'à Golden-Squareoù nous nous assîmes près de l'angte de Sherrard'Street,atin de ne pas nous trouver au milieu du tumulte et del'éclat de PiccadiMy. J'avais déjà fait part de mes projets àAnne; je lui assurai alors encore qu'elle serait associée ima bonne fortune, si je réussissais et que je ne l'abandon"nerais jamais, tant que j'aurais !e pouvoirde la protéger.C'était mon intention, dictée aussi bien par l'affection quepar le sentiment du devoir: sans parier do la reconnaissancequi me rendaitson obligé pendant toute ma vie, je l'aimaitautant que si elle eût été ma sœur et à ce moment mona:ta<;ht:meat était sept ibis pius grand à cause de Sa pitië

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que m'inspirait la vu~e de son extrême abattement. Enapparence, cet abattement était le motif le plus puisantde mon affection, car j'aUais quitter celle qui m'avaitsauvéla vie et cependant en réfléchissant au coup que ma santéavait reçu, je me sentais plein de joie et d'espérance.Pourolle, au contraire, qui devait se séparerd'une j~rsqnne.quin'avait guère pu l~i être utile qu'en lui témoignant unebonté, une douceur fraternelle, Je chagrin, la terrassait.AuMiquaud je lui donnai le dernier baiser d'adieu, ellejeta ses bras à mon cou et se mit pleurer sans dire unmot. Je comptais être de retour dans une semaine au.pinstard je convinsavec elle qu'à partir de la, cinquièmenuitet tous les soirs, elle m'attendrait, & six heures, au bout dela grande rue de TitchneM, où nous avions l'habitude denous donner rendez-vous; j'avais pour but de ne pas man-quer notre rencontre dans le vaste océan d'Oxford-Street.Je pris cette précaution-~ j'en pris d'autres .je n'en oubliaiqu'une. Elle ne m'avait jamais dit et je ne lui avais pasdemande son nom de famille, détail auquèl aucun de nousn'attachait d'importance, ou bien je l'avais oublié. C'estune coutume générale, il faut le dire, parmi les pauvresfilles. de sa malheureusecondition, de prendre des nomssimplementchrétiens,comme Marie, Jane, Frances, et nonde s'affubler, comme les liseuses de romans à hautes pré-tentions, de noms comme :miss Doug)as, miss Montague..Son nom.aurait été le plus sûr moyen de la retrouver, etj'aurais dû.m'en informer,mais je ne pensaispas qu'une aussicourte absence dût rendre notre rencontre plus difficile: ou

plus.incertaine qu'elle ne l'avait ëte:pëndant bien'd'es se;maines.aussij'avaissongeâpcineun instaatâ cettenëcessité-;e.ne:l'aYaispas.mise au;nombre.d.esobjets~quidevaientattirernotre attention au dernier moment.Mon seu! souciétait atorsde larassurer par quetques espérances, de luipersuadercombien iLetait indispensable de soigner uneyiplente toux dont eUe souffrait, et je ne.songeai à la pré-caution dont je parle que quand i! fut trop Mrd.

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Lorsque ~'arrivai au ente de Glocester à PiccadiUy, où àcette époque, les malles de l'ouest s'arrêtaient quelquesminùMsavaht'de sortir de !.ondres, ilét(titdë)h huit heureset quart..La malle de Bristol était sur le point départir:je montai sur l'impériale. Le roulement si doux de celtemalle ne tarda pas A m'endormir. est assez remarquableque lt( première fois que j'ai pu goûter le plaisir d'un som-mer réparateur, aprèsplusieursmois, ce fut sur l'impérialed'une diligence, lit qu'en ce jourje trouverai plutôt incon-fortable. A ce sommeil se joignit un incident qui me fitvoir, comme un grand nombre d'autres de cette époque,combien aisémentun homme qui n'a jamais connul'extrêmedetreMe Mit par tui-meme, soit comme témoin immédiat,peut passer sans s'en douter auprès d'un coeur humain où!a bonté quelquefois, la duretéquelquefoisaussi, sont pous-sées jusqu'au bout. Le rideau que les waMt~f~ formentaudevant des traits et des expressions naturelles ù l'hommee<t si épais, que, pour un observateur ordinaire, les deuxextrêmes et leurs intermédiaires sont confondus en unpoint où le déguisement les rend neutres. Voici ce dontil s'agissait. Pendant les quatre ou cinq premiers millesque nous f!mes hors de Londres, }e gênai continuellementmon compagnon de voyage en tombant sur lui chaquefois que la voiture avait une secousse; je dois dire que sila route avait été moins douce et mo~ns égale, je seraistombé de faiblesse. !I se plaignant bruyamment de cetennui, comme, sans doute, bien des gens l'auraient fait,mais il exprimait son mécontentement dans des termesplus rudes que la circonstancene semblait le permettre. Sijel'avais quitté en ce moment-là; je l'aurais assurémentpris pour un être bourru et grossier. Je savais bien que

La malle de Bristol était alors la mieux dirigée de tout le royaume,grâce à l'excellencede la route. Elle partageaitcet avantage avec la mallede Bath, qui pitrcouratt le même trajet pendant !o5 milles. De plus~~<Y*~ )< Mi*<)*t'M~*M'<Vt«tf«ft~KM'j.j)~p<f)<t;j!r?{!<jeBfUto).

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je lui ~vaia donne des motifs pour se plaindre; aussi jem'excusai en lui disant que je ferais de mon mieux pourne pas me rendormir; en même temps, je lui expliquaiaussi brièvementque possible, que j'étais malade, Mffaibti

par de iongucssoutfrances, et que je ne pouvais prendreuneplace à l'intérieur. A c&ttc explication, i'honttne changeainstantanément de manières. Un moment après, quandj'eus été revente par les lumières et le bruit de Hounsiow(car, maigre n')<~ effons, je n'avais pas tardé à retomberdanslesonxaeit), je m'aperçus qu'il avait passe son brasautour de moi pour me préserver d'une chute. Pendanttout le reste du voyage, il eut pour moi les petits Miasd'une femme. Cela était d'autantplus méritoire de sa pattqu'il ignorait que je n'allais pas jusqu'à Bath ou à Bristol.Malheureusement,j'allai plus loin que je ne voulais. Monsommeil était si profond et si réparateur à cause dugrand air, qu'à une secousse inattendue de ia voiture,causée sans doute par son arrêt à un bureau de poste, jem'aperçus que nous étions it un endroit situé & six ousept milles à l'ouest de Salt-HiU. Je descendis alors; pen-dant )a demi-minute que dura l'arrêt, mon biem'eiUantcompagnon m'engagea à m'aHer coucher sans retard.D'après le coup d'oeil rnpidc que j'avais pu jeter sur lui aumilieu des lumières de Piccaditiy, <~ devait être un domes-tique de connance dans une bonnemaison. Je lui promisde suivre de son conseil, quoique je n'én eusse pas l'inten-tion, mais je devais des égardsFhommequim'avait oMigési à propos, et je me mis en route pied. H devait êtreprès de onze heures, mais j'allaissi lentementque j'entendisl'horloge d'une maison de paysan sonner quatre heuresquand je fus sur le point de tourner pour aller de Sioughà Eton. L'airelle sommeil avaient agi ensemble pourn! rendre des forées; néanmoinsj'étais ias. Je me rappelleune idée assez-naturelle, et formellementexprimée par unpoète romain, laquelle à ce m6ment-!a me consolaquelque peu de ma pauvreté. QuoïqUcs aeiuuittes ttu~'mtt-

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vont, un meurtre avait été commis )a LanJede Hounslow.C'était veritabiement une lande, sans aucune ciotm-Cj quiétendait de tous côtes, s~uf d'un seul; la vaste étendueplane comme une mer. Je suis sur de ne pas me tromperen disant que la victime ~e nommait Siècle, et que c'étaitle propriétaired'une plantation de lavande dans le voisi*nage, Chaque pas de mon voyage en arricre (car je faisaitface a Londres) ma rapprochaitde la ï.andc. Je me disaisoatureHement que moi et le meurtrier maudit, s'il étaitdehors cette nuit-la, nous pouvions aller au-devant l'un del'autre sans le savoir, a travers l'obscurité. Dans ce cas, si

au lieu d'être comme je l'étais, en c<Ïet, un peu plus qu'unvagabond,

Seigneur et maître de ma science, rien de p!ua

j'avais été comme mon ami lord Attamont, l'héritier d'unefortuite qu'on évaluait n 3o,ooo livres de revenu, quelleKrreurm'aurait pris a la gorge! Sans doute lord Aitamontne serait vraisemblablementjamais a ma place. Mais lessens de ma remarque n'en subsiste pas moins un pouvoirimmense, de grandespossessions inspirentà l'homme unecrainte honteuse de la mort. Je suis convaincu, parmi leplus intrépides aventuriers, combien n'en est-il pas a quila .pauvreté permet libre déploiement de toutes leursfacultés ? Si au moment même où ils vont se mettre à

*î)e)'xhommes nommés Hollowayet Haggerty, furent condatnn~s plustard commeconpabtts de ce meurtre, sur des preuves extf~mtfn&nt dou-teuses Leten) témoin à charge était un ftuicheticrde New~tequiavaitentendu eoMfu~m<:))t une conversation entre eux. L'impression gcncra!eetaitqu*an te! témoignageétait tretinsufftti) t)t.C<tteimpression!utaU6me'Mep<f la brothere d'un légistepénétrant,qni lit rassortir la confuMM et!'incohtren<edes charges admises par la Cour. Ils furent cependant exe-cutés <n<itj;tC tout ce qu'on put faire. Un désastre meurtrier coïncidaavecl'exécution, et coûta Ja vie à près de soixante per~onunes, à ce que jecre!t;t!tM furent icrasM. ~r )a foute qui se e<;ffi<!tdeY.)Ht!itpoupéed'tfxtfottptd< ~af~ons bra;teuM~u< se tt)M:<nt par lebras tt fomaient))t chthtt pour M fairepaM<~e jasqu'~u bas <te )< potence. Cette tragédiefut)ott~t~mptr<gafdcepar une partie de4 badauds de tendres co'.mne Unepssr~cs.!t ?< !«'i'!t'<M N !s««!<!e !t!<:t«eoe !a caphate

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l'oeuvre, on venait leur annoncer qu'ils héritent d'undomaine anglais qui ràpporte !o,ooo livres par an, combien ssentiraient persister leur mépris pour les balles', etdiminuer dans la même proportion leur empire sur eux-mêmes. I! est donc vrai, comme le dit un sage qui a connupar expérience la bonne et la mauvaise fortune, que larichesse est plus propre

A énerver la vertu, à en àb<ure ht barrière, fde gloire.Qu'A lui donner la tentation d'entreprendreun projet digne

(M)iton, P.tM~tfMc~tt~.)

Je muse autour de mon sujet, parce que ta souvenancede ces tempsest pleined'intérêt pour moi. Mais mon lecteurn'aura plus de motifs pour s'en plaindre, car je me hâtevers la couclusion. En me rendant de Stough à Eton, jem'endormis le matin pointait à peine quand je meréveillais à la voix d'un homme qui était debout auprès demoi. Il m'étudiait au point de )'Me~xesans doute, pen-dant que, sous l'influenced'une présentationaussi inatten-due et aussi suspecte, je l'étudiaisau~OtKfaeyMetMo~avecnon moins d'intérêt. Je nesavaispasqui i~tait. Il avait mau-vaise tournure, ce qui n'implique pas nécessairement quece fut un gredm si c'en était un, il avait dû penser qu'un J

homme qui dort en plein air et en hiver ne vaut pas laTpeine d'être volé. En ce qui me concernedans cette con-clusion, je puis assurer à cet homme, en supposantqu'il~e trouve au nombre de mes lecteurs, qu'il se trompaitabsolument. Je ne fus pas fâché d'être ainsi dérangé, carj'étais debout assez tôt pour pouvoir traverser Eton avantqu'il y eut beaucoup de gens dehors. La nuit avait étélourde et brumeuse; vers le matin, il y eut un peu de

On objecteraque bien des hommesau ccmb)t du pouvoir ou dt la for-tune, ont, de no4 jours comme dans toutes les époques denotre histoire,été )M courtisonsaMidas des dan~ert du champ de batai))e. Soit: mais-ce cas n'est pas celui dont je parle. Une longue habitude du pouvoir et dela forture leur en avait émoussé le plaisir et l'effet.

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gdeeet!es arbres étaient alors couvertsde givre. Je mefaufilai dans Eton sans être remarqué; j'entraidans un petitrafé de Windsoroù je.me lavai et je rajustaima toilette demon mieux. Enfin vers huit heures, je m'acheminai versl'enceinteduco!!ege,aupre5 de iaqueUeétaientbatiestoutesles maisons « des Dames ». En chemin je rencontrai unjunior, auprès de qui je mo renseignai. Un Etonien esttoujoursun gentleman; aussi, malgré la pauvreté de monaccoutrement,on me réponditavec politesse. Mon ami LordAhamontétait parti pour le Collège de Jésus a Cambridge.7~owM!$ e~Mj;M ~or/Cependantj'avais d'autres amisaEton, mais ce n'est pas a tousceux a qui l'ondonne ce nomdans les temps prospères qu'on aime à se présenter quandon est dans la détresse. En y réfléchissant, je demandai àparier au comte de Desert Bien que je ne fusse pas aussiintimement lié avec lui qu'avec les autres, je ne craignaispas de me présenter a lui dans quelque situation que jefusse. Il était encore i Eton, mais il se préparait aussi ,jecrois, à prendre son vol pour Cambridge. Je le demandai,je fus reçu avec bonté, et invité à déjeuner.

Lord Desert me fit servirun repas magnifique. li me paruttel, et même d'une magnificence redoutable, car c'était lepre mier repasrégulier,!a première« table de brave homme*>à la quelle je fusse assis depuis des mois. Chose étrangerdire, je pus à peine y toucher. Le jour où j'avais reçu mabanknote de dix livres, j'étais entré chez un boulanger~et j'y avais acheté deux biscuits j'avaispendant plusieurs.semaines passé et repassé devant cette même boutique-eny jetant des regards avides, dont le souvenir m'humiliait.Je me rappelais une histoire que je considérais alorscomme fausse, à propos d'Otway, et je craignais qu'il

J'avais connutordD:s:rt, a!n6 d'une très nombreuse famille, quetquesannée! auparavant, ~r~qu'itportait le nom de tord Casïtccuffe.Cnne ttsitle nom defamiOe, ;ecroi<qu'elle tirait son origine d'une personne quiprésente qu€)qu& intérêt historique un Cune qui fut secrétaire du mat-heureux co'ntt d'Essex. torique celui-ci se révolta deioyatementcontre tej;odvtfhttneutde!afetneEit'xbtin..

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n'y eut quelque danger à manger trop vite. Mais jt !<craignfus tort mon appétit avait entièrement disparu,et j'éprouvait du dégoût pour toute e~pece de nourriture.Cette répugnanceà manger d'un plat quel qu'il fût, persistapendant plusieurs temainet. D.u!<:ce<te ocension.~ à la tablede Lord Desert, je ne me trouvai pas mieux qu'it l'ordi-naire, et je n'avais aucun uppétU au milieu de cetteabondance. J'avais eu, <*u tout temps, un goût malheureuxpour le vin; j'expliquaidonc mon état & Lord Désert, jelui ~s un récit sommau-c de cc que je \onai$ d'endurer ilraccuoUHt avec une vive expression de sympathie, et Btvenir du vin. Cela me causa un soutagement immédiat,et un plaisir encosMf; au!&<, toutes les fois que j'en ai eul'occasion, je n'ai jamais manque de boire du vin. I! estcertain que cette disposition à boire du vin devait entre-tenir et aggraver ma maladie, car la tonicité de monestomac avait tout à fait disparu, a ce qu'il semble; maisun régime piu& raisonnable ~aurait t'.dt renaître plus tôtpeut-être-et d'une manière complète. Je m& plais à croireque ce ne fut pas l'amourdu vin qui me retint dans le voisi-nage de mes amis d'Oxford je me persuadai que monretard vint alors de ma répugnance m'adresser à LordDesert. Je savais que je n'avais que peu de- droits à sonaide, pour obtenir de lui le service particulier pour lequelje-m'étais rendu à Eton. Mais je ne voulus pas avoir faitun voyage inutile, et je hasardai ma demande. Lord Desert,dont la bonté était sans bornes, et qui la mesurait, en cequi me concernait, à la compassion qu'il éprouvait pourma situation, et à la connaissance qu'it avait de mon inti-mité avec plusieurs de ses amis, p!u:ôt qu'à une enquêteminutieuse sur l'étendue de mes droits directs, montra del'hésitation à. me répondre. Il avoua sa répugnance,aentrer en relation avec les prêteurs, et craignit qu'unetelle démarche n'arrivât à la connaissance de ses parents.J&t phs, U dcstsM que s: sipKHurc~ ct?nt <yun homn':?dont les espérances étnientsi infsneuresâceUesd.e.soa.

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cousin, fût acceptée par mM amis les tn~dèles. Mais il nevoulut pas, sans doute, ma morutier par un refus peremp-toire et absolu, car, après avoir un peu réfléchi, et précisécertaines conditions, il me promit sa caution. f.ord Desertn'avait alors que dix'huit ans; nuus souvent depuis, merappelant combien il avait su combiner le hon sens et laprudence, avec )a poiites~e, qui chex lui était einhettied'une franchise juveniie, je me suis demande s'il y avaitun homme d'Eta! (si accompli, si exparimente qu'H fut endiplomatie) capable de se conduire nn~ux qu'il le lit dansde tettes circonstances.

Réconforte parsaprofnease, qui, same:ie~c qu'H y ttvnitde mieux, dépassait de beaucoup tes tri'.tes pre\ iaior)S queje t~'tatisfaites, je lirisle coclaede ~'l'indsor

etrevins

i3je toetais iaites, }e pris le coche de Windsor et revins nLondres trois~ours npres l'avoir quitté. Me voici à la fin demon histoire. Lcs.!uifsu'agreùrentp:'s!esconditionsdcLordDesert. ou le prétendirent. Je ne sais s'ils n'auraient pasfini par les accepter et s'ils ne voulaient pas s"S"cr Autemps pour faire une nouvelle enquête. U y eut d'autresretarda, ie temps passa,. le dernier reste de ma banknotes'en alla, et, avant que l'aHairecutete conclue, j'allaisretomber forcément dans ma premiera détresse. Tout àcoup, à.ce momentcritique, une occasion sa présenta pourme réconcilieravec mes tuteurs; elle fut toute fortuite. Jema hâtai de quitter Londres pour retourner au Prieure;quelque temps après j'en sortis pour aller à Oxford, et cefut seulement plusieurs mois après que je fus en mesurede revoirl'endroit qui était si intéressantpour moi, et quil'est encore aujourd'hui, commeayantété le théâtre princi-pal des souffrances de ma jeunesse.

En amendant, qu'était devenue Anne ? où était-elle ? Knquel endroit sétait-elle rendue? Selon nos conventions,je la cherchai tous les jours, je l'attendis toutes les nuits,durfuM t*t<M s4~r&Lcs'h'e:, sa eo~ds h: ne TK=hScM

a

pendant les derniers joursque je passai à Londres~ j'em–

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ployai tous les moyens qui étaient en mon pouvoir, tous;ceux que me suggérait ma connaissance de la ville, tousceuxqui étaient dans le cercle bien étroit de mes ressources,pour retrouver sa trace. Je savais dans quelle rue e!)elogeait, mais j'ignorais dams queUe mai<on je.me souvinsenfin de ca qu'elle m'avait raconté sur les mauvais traite-ments que lui faisait subir son logeur, et j'en concluaisqu'elle devait avoir quitté ce domicile avant notre sépara-.tion. Elle connaiinait peu de monde en outre la vivacitédes questions que se faisait à son sujet portait les genshrire des mot!hqu'i!sme supputent. D'autres, s'imogtnantque je coùrais après une fille qui m'avait volé quelquesmenues begate)!es,étaient ptntôt, comme cela se conçoit et.s'excuse, dispo<n~ me taire ce qu'ils savaient, si même i!ssavaient quelquechose. Finalement j'eus recours, en deses-poir de cause, à un dernier moyen te jour où je quittaiLondres, je donnai mon adresse au Prieuré à la seute per-sonne qui connût Anne de vue, pour avoir été une fois oudeux en notre compagnie. Tout fut inutile. Jusqu'à présentje n'ai pas entendu un mot sur elle. De tous les chagrinsqui peuvent fondre sur un homme au cours de la vie,'aucun ne m'a été plus lourd à porter. Si elle était vivante,certainement nous avons été bien des fois à la recherchel'un de l'autre, au même moment, à travers l'énorme laby-rinthe de Londres peut-être n'avons-nous été séparés quepar quelquespieds, – il n'en faut pas davantage, à Londres,pour aboutir à une séparationéternelle 1 Pendant plusieursannées, j'espéraiqu'elle était vivante qu'on prenne le motde myriade non dans le sens figuré, mais littéral pendantmes passages à Londres, j'ai regardé en face des myriadesde visages féminins, dans i'espoir de retrouver Anne. Je lareconnaîtrais encore entre mille, même en. la voyant unseul instant. Belle! elle ne l'était pas; mais il y avait unesi douce expression dans ses traits, elle avait un si joliport de tête! Jel'ai cherchëe,:comme je l'ai dit, avec l'es-pérance de !a trouver: ii en fut ainsi pendant des années;

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Mais aujourd'hui, ~e f<khM!<wr~ de la voir et ia toux quime faiMit souffrir qutted je ta qutK«4 est aujourd'hui maconsolation. Maintenant je ne désire plus la voir j'ai plusdéplaisir à me la représenter couchée depuis longtempsdans la tombe, dans la tombe de Magdeteine, comme jet'espère, disparue avant que les affronts et les cruautésaient souillé et corrompu son caractère iag~nu, avantque la brut'uitë des rufnans tut achevé la ruine qu'île avaitcommencée.

Oxford-Street,marâtreau cœur depierre, qui entends lessanglots des orphelins, et bois les larmes des enfants, enfinje t'ai quittée, enfin le temps est venu où je ne promèneraiplus mon angoisse sur les trottoirs interminables,ou je ne-serai plus ni dans mes rêves, ni dans ma veille, en proieaux tortures de la faim. Anne et moi, nous avons sansdoute des successeurstrop nombreuxqui foulentnos traceret ont hérité de notre misère d'autres orphelins, aprèsAnne, ont sanglote, d'autres enfants ont versé des larmes,et toi, Oxford-Street,sans doute tu as depuis fait écho auxmurmures d'un nombre infini de coeurs. Quantà moi,

me semble cependantque l'orageauquel j'ai survécu ait étéle présage d'une longue période de beau temps, que messouffrancesprëmaturéesaientétéacceptéescommelaranconde bien des années a venir. Lorsquedepuis je mepromenaisà Londres en homme contemplatif et solitaire, comme jel'ai fait bien souvent, j'éprouvais le plus ordinairementunsentiment de sérénité et de paix intérieure. Sans doute les'souffrancesde mon noviciat à Londres ont jeté dans maconstitution des racines si profondes, qu'ellescontinuentàpercer, à fleurir encore,à produireune ombre malfaisante,et à répandre une nuit profonde sur mes dernières années.Ma'< ;e? n'vMMx assauts de la douleur ont été reçus avecun courage toujours croissant, et fortifié par les ressourcés

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d'une intelligence plus caOM. Elles ont été <ou!<jite« parune amitié, une sympathiedont je ne saurait exprio~r latendresse et !t profondeur.

Ainsi, quels que fussent les adoue~sementt que je ren-contrai, bon nombre des annJes qui suivi~MM ratta-chèrent !e! unes aux autres par le" HeM tabtik d'unesoutfrance qui avait toujours tes mêmes racines. ici je noteun trait qui prouve combien, dans nos d~Mf~ nous avons fa

vue courte. Lors de mon prcn~ter et pénible 5<)'Mr ilLondres, quand les nuit~ étaient claires, mn consohnion, sil'on peut lui donner ce nut)~ t:t.ut d'<er ù Oxford-Strect.et contempler de là les avenues qui « succèdent depuis lecentre de M<fyiebone )usqu'i< etmpagna et aux ibret$.Car, nie disais-je, en promenant mes regards le long desperspectives infinies dont ua c~é était éclairé et l'autreobscur, voilà la route qui caéae vers le Nord, et par con-séquent a et M ;'avt!< t<t ailes de la colombe, c'est làque je m'envolerais pour trouver bonheur. Voità ceque je disais, ce que )e desirais dans mon aveugtement.Et pourtant c'est )u<Mfn<nf daa< cetterégiondu Nord, danscette même vallée, e't« justement dans cette maison ap-pelée par mes desift trompeurs, que mee sounrances repa.rurent et menacèrentde nouveau d'emporter la citadellede la vie et dertMptraoce. C'<tstlà que, pendantdesannées,je fus poursuit p<trde<vi)nont auMth&rnMes,des fantômesaussi extractif<Mea!ret que ceux qui hantèrent is couched'Oreste..Moemalheur surpassait !e sien, car-le sommeilqui apport tousun répit et des forces, et qui agissaitsurlui surtoe< comme un baume divin pour son cœur maladeet son ctrVMu hante* ne me visitait que pour m'apporterun redombiemenKie~sottffMnee.Aussi j'étais aveugle dansmesdeair~ Mais ie tn&me voile qui s'étend devant la vueco~neét trouble de l'homme- pour lui cacher ses malheursfut)t7<, ttti ta cache aussi tous les adoucissements, et un

*<ft:wG'CW~ 3~Y~C!0-~S'JpO~~M)t

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ma! qui a'< pas été prévu par la erdinta )reneontre des con-solations inespérées. Aussi, moi qui éprouvais les mêmestroubles qu'Orestc,excepté ses remords, je ne trouvât pasmoinsdesoutienque lui. Mes Kumëniue: commeles siennes,

se tenaient au pied de mon lit et me regardaientfixement H

travera les rideaux, mais mon Etectx! était assise et vclli.uta mon chevet, se privant de sommeil pour me tenir com-psgnie'pendant les longue! heure:: de h\ nuit. Car c'esttoi, bien-aim~e M" chère compagne de mes dernièresannées, c'est toi qui ftis mon Ktectrt:, et soit par hmobie~ede ton esprit, soit par la durée et le dcvouemontJe tonaffection, tu n'as pas voulu qu'une steur grecque surpas~tune épouse anglaise. Car tu accomplissais sans y son~r leshumbles tâches de la bohte, et les servîtes soins de i'atïec-tion la plus tendre', comme d'essuyer de mon front pen-dant des années !es matsaine! sueurs, ou de rafraîchir meslèvres crispées et brûlées par !a fièvre.Et quandton propresommeil,enfin, par une longue et sympathique contagion,avait été troublé par le spectacle de mes abominablesque-reUes avec les fantômes, avec lcs ombres furieuses qui medisaient: < Tu ne dormiras plus alors même :u ne laissaséchapper ni une plainte, ni un murmure, tu gardas tonangélique sourire.turestas fidèleàta tache d'amour, commel'Electre antique. Car clle aussi, bien qu'elle fût Grecque,et la fille du roi des hommes i, c!Iepleura quelquefois et secacha la figure sous un pli de son vêtement.

Mais ces agitations ont cessé, et tu liras ces récits d'unepériode qui fut si douloureuse pour nous deux comme lalégende de quelque songe hideux qui ne reviendra jamais.Pendant ce temps je suis a Londres, je parcoursde nouveaules trottoirs d'Oxford-Street. Souvent, accablé par desinquiétudesqui ne seraient supportablesque grâce à toutema philosophie et à ta présence secourable, je me souviens

~3u So'~eujjt!): (Eurip. Oreste)~'Â~~5pM'&Y:tS;J~M-~

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que je suis sépare de toi par la distance de trois cents milleset par la longueur terrible de trois mois; je considère, parles nuits claires, les rues qui vont d'Oxford-Street vers leNord; je me souviens de ces nppe!s que dans ma jeunesse jejetais avec angoisse, je songe que tu es assise seule danscette même vallée, que tu es maîtresse de cette même mai-son où mon cœur égare s'envciait il y a dix-neuf ans. -Ilsétaient aveugles, ils sont.aujourd'huidispersés par les ventsdu passe, les appels de mon cceur, et quoiqu'ils aient euun autre but autrefois, je puisses répéter aujourd'hui enleur donnant un sens nouveau. Si je pouvais retoufner auximpuissants désirs de mon enfance, je me dirais encore àmoi-même,en regardant vers le Nord < Oh que n'ai-)eles ailes de la colombe x Ht avec qu)!!e juste confiancedans ta bonne et charmante nature je pourrais ajouter !nseconde moitié de mon cri.: '< Et que ne puis-je m'envolervers ce bonheur'!a

"0{t~m 8:? :~M T:H!~M~.Tout )tUt& ~err* que dans cet endroitje fais allusion aux pr<mi~rM sc~ne~ d'Orne, une des plus be))tt expres-slons des <f!ti:tion!! de famille qu'on puisse trouverdans Huripide. M.!isil est nécessaire d'apprendre à un keteur peu instruit, qu'au d~but de lapièce, la situation' est celle d'un frère qui n'a pas'd'autresecoure que celuide sa soeorpt')dtnt!e5ha))ucinati"'sd)abot)qutt~oqu~e;p~rune cons-cience malade, ou, selon la mythotu~ietht'Stro!e,hantc par )t:s Furies. Dep)ns il est exposé à un danger im.)) .t.at de la part de ses ennemis, alorsque ceux qu'il n&nttne ses amis f'ttb.i.tdonttfatou ne )tU mont)<;nt que dea fro!denr

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LES PUUSIRS DE UOP1UM

Le jour ou je pris de l'opium pour la première fois estsi éloigné, que j'aurais pu oublier sa date, si ce fait avaitété dans ma vie un incident sans importance. Mais les éve.nements décisifs sont inoubliables les circonstances quiaccompagnèrentcelui-ci me permettent de le rapporter àl'été ou à l'automne de t8oo.A cette époque j'étais àLondres; où je revenais pour la première fois depuis monentréeà l'Université.Voici quelle futcette occasion. J'avaisgardé de mon enfancel'habitude de me baignerla tête dansl'eau froide au moins une fois par jour. J'éprouvai une crisesoudaine de mal de dents que j'attribuai à l'interruptionmomentanéede cette pratique; je sautai à bas du lit, jeme plongeai la tête dans une cuvette d'eau froide, et je merecouchai les cheveux encore tout humides. J'ai à peinebesoin de-dire que le lendemain je me réveillai en proieaux atroces douleurs d'une névralgie rhumatismalede latêteet de !à ~ace, qui ne me- laissa aucun répit pendantvingt jours. Le vingt-unième,je crois, c'était un dimanche,~?ortM dans la rue, plutôt pour échapperà mes tortures,si c'étaitpossible, que dans un but déMnt. Je rencontrai par

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hasard une personne que j'avais connue au eoUe~c, et quime conseUla l'ûpium.Opium ) 1 terrible cause de voluptés etd~ douleurs sans nom. J'en avais entendu parler comme dela manno ou de l'umhrnisie, je n'en savais rien de plus. Acette époque c'était pour moi un mot insignifiant. Ht main-tenant quelles cordes solennelles il fait vihref dnn~ monceeur 1 Quel tromblement de terre produit des secourescomparables à celle qu'excitf en moi ce mot parles sou-venirs de tristesse ou de bonheur qu'il évoque? Quand jema'reporte un instant ù ces cluses, je sens une impor:nnc.mystique s'attacher aux plus minces détails relatifs a l'ft)-droit, à l'heure à l'homme (était-ce bien un homme?) quim'ouvrirent pour la première fois le paradis des mangeursd'opium. Ce fut par une humide et mctancoHquc soiréed<: dimanche, et cette terre sur laquelle nous marchonsn'offre nulle part un aspect plus sot qu'a Londres par undimanchepluvieux. Pour me rendre chez moi, il m<: fillctitparcourirOxford-Street.Près dû t' « important Panthéon ¡

comme M. Wordswortha eu ta. hatuc de l'appeler, j'aper-çus une boutiqued'apothicaire.Cet apothicaire,cet incons-cientdispensateur d<:s voluptés cctestet, avait comme pourêtre en harmonie avec le temps pluviaux, une figure aussisotte, aussi stupide qu'on peut s'y attendre un dimanchepluvieux à Londres de la part d'un apothicairequi appar-tient à la race des mortels. Quand je lui demandai de lateinture d'opium, il m'en donna, comme l'aurait fait le prc-mier veau. Bien plus, il me rendit sur:mon shilling unobjet qui avait tout à fait l'apparence d'un demi-penny eacuivre, et il le prit dans un tiroir qui était remuementenbois. En dépit de toutes ces circonstancesqui indiquentqien un individu humain, il m'est toujours,apparu dans lavision bëatiHque d'un apothicaire immortel, envoyé surterre avec une mission qui me concernait~exclutivement.

11 n'est que juste de dire que Wordsworth parie de l'intéheur; ontQNit grand Mtt de le ja~tï par le dth&rt s!mp)e et an qa'i) pre!<me, ou~< 'i*int!<CA{~ra*Stfet;.

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Ht ce qui me confirme duM cène manière de le concevoir,c'est qu'A mon retour Londres, je passni de nouveau prèsde l' important Panthéon x, je cherchni mon homme, jene te trouvai pns. Donc, pour moi qui ne ~onnaissnis pnsson nom (en avait-il. un ?) il semblait qu'il se fût évaporéd'Ox!brd-Street; impossible qu'il se fut envole dans unau!M endroit, ou, comme pourrait l'insinuer un serrât,qu'il se cachat pour ne rien payer. !.<: lectcur j,'our«t nevoir en lui qu'un apothicairesublunaire; celn est possible;ma croyance à moi est d'un ordre ph)s élevé, et je pentequ'il s'est évanoui eu évaporé t. Tant je suis peu dispose àvoir des'.ouvenirs humains autour de l'heure, du lieu, del'ttM qui me firent <:onna!tfe la substance céleste.

On peut croire qu'arrivé chez moi je ne perdis pas uneminute pour en pron-ire la quantité rccommHudec. J'étaisforcément novice da;is tout fart et !s mystère de l'usngede l'opium, je le prii dans les conditions les plus dcfnvo-raMeS, mais enfin ;& le pris. Kt une h~ure après, -– ciellQuel changement Que! révolution t comme mon esprit futrcvei!tc jusqu'en ses dernières profondeurs Qne!!e apoca-lypsed'un monde entier se déployaen moi '~ïessouiïrancesm'aient disparu: mais c'était it mes ycu\unc <ti!)e. Lerésultat 'né~anf émit per<u dans l'immensité des effetspositifs qui s'étaient réalisés devant moi, dans l'abîme devolupté divine qui s'était soudain révélé. C'ctnit bien unepanacée, un ~~pjjtaxM ~K~B~ (remèdequi ena':e 'toutetrace de souci) pour toutes les souffrances humaines c'étaitle secret du bonheur, et cesecrct, surleque! lesphilosophes

~f~Ko«/ ot< A'~or~. Cette tnatrerc de quitter la scène de ce monJeparait avoir été fr&.).)tn:e au dix-Mpti~ne st~c'e. tn;ti!i. eUe était, cequ'it semble, le pfivi!èf:e dt!< personnes te race royale, et n'x jamais étéaecordce aux apothicaires. En effet, en !6S6, un pette dont le nom étaitde.triste aognre. et qui, di&om-ictn pit'uutnt, l'a an)p)<nttn{ jtMt'S~, t;nnommé F)a<mon (plat) tn patent de la mort de Charles exprime tonétonnement qu'utt prince commette une sottise comme celle de mourir.En effet, dit M. f)~tmtn, les rois devraient dédaigner de mourtr, tt p!MotlüSrsruittt.3icdlvs~ia~t a~a-siltr i iw~iEiw1_i.: i'.»~w, ~f.. t-~tM'~M&M. !t< attttit'tt<«! 4 )'?'<'(4*e* !B* StM~, ~ss'entend).

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ont discuta pendant tant Je siècles, se dév~i'Kit tout coup.Désormais le bonheur s'achèterait un penny; oa le tran~porteraitdansune poche de son habit; desextases portativespourraient être enfermées dans une bouteille d'une pinteet la paix de l'esprit t'expédierait par la diligence.

Disons d'abord un mot sur sesenetR corporels. D'ailleurs,à tout ce qui a été écritjusqu'a prescntau sujet de l'opium,soitpardes voyageurs en Turquie keux-ei peuventalléguerle droit de mentir qui leur est reconnu depuis un tempsimmémorial) soit par des professeurs en médecine qui suprononcent M' M/n!, je n'ai qu'une réponse à faire,mais eUe est abtoiue Absurde 1 Je me souviens qu'unjour, passant devant un étalage de librairie, je tombai surune page d'un auteur satirique où je lus ces mots <' Depuiscette époque, j'ai acquis la certitudeque les journaux deLondres disent la vérité au moins deux fois par semaine,savoir, le mardi et le samedi et qu'on peut s'en rapporterà eux, c'èst lorsqu'ilspublientla liste des banqueroutes. »Pour les mêmes raisons, je me garde bien de nierqu'on aitappris à l'Univers quelques vérités relatives à l'opium.Ainsi, les savants ont insisté sur ceci que l'opium est decouleur brun foncé. J'accorde cela, remarquez-le. Ils ontdit,.de plus, que l'opiumest assezcher; j'en conviens égale.ment, car de mon temps, l'opium des Indes-Orientalescoûtait trois guinées la livre, celui de Turquie en coûtaithuit. Ils ont dit, en troisième lieu, que si vous en prenezune grande quantité, il faut vous attendre à un accidentdésagréablepour un homme quia des.habitudes régulièrescet accident,c'est de mourir-*

Le mardi et le -samedi. Les ;ours où la Ga~fe parait (ou p:Mi9<

Ce point paratt avoir été contesté par des savants font r~i-ent!). HMftte une con!r:f<;onde )a ~r~<ff«c ~M~<~)«'de BuctMn. Je Ja Y3derni~rtmententre )M mains d'une fermière qui y paiMit des notionsrehtivet & M Mate. L'on y faisait dire au docteur H f,)ut se garderdeprendreen une seule fois ptnsde vingt-cinq oncMdeitudtnam; )iMz:?!"<< V!!}gt.sq~ssKK,qcxstMqa*sf~ Mmot e<;mvt]MM,~rétin-wsv î.,y·Ga.~»itMt'ÿC.i.yt!1

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Ces assertions importantes sont vraies, en somme et ende<ai!, je n'hésite pas a l'avouer la vérité fut et seratoujours digno de respect. Mais estime qu'en ces troisthéorèmes sont renferméestoutes les notions certaines q ~el'hommea réuniesau sujet de l'opium. Aussi donc, respec-tables docteur: puisqu'il paraît y avoir de la place pour denouvelles découvertes,asseyez-vous, et permettez-moi deme présenter pour faire une leçon sur ce sujet.

En premier Heu, il n'y a pas autant d'unanimitéqu'on leprétend, sur le point que l'opium pris exprès ou par acci-dent produit ou peut produire l'ivresse. Soyez certain, léc-teur, d'aprèsmonexpérience personne!!e,que)amaisau<unequantité d'opium n'a produit et ne peut produire cet effet.La teinture d'opium connue sous le nom de laudanumenivrerait certainementsi l'on pouvait en ingérer une assezgrande quantité,.mais comment? parce qu'ellecontient unefort proportion d'esprit de vin, et non parce qu'il y a tantd'opium dans sa composition.Quant à l'opium en nature,je l'affirme péremptoirement, il est incapable de mettrel'organisme dans l'état causé par l'alcool la différence neporte pas sur l'intensité, mais jwr M<ï<;<re de leur effet.Le plaisirque donne le vin suit toujours une marcheascen-dante, et tend vers une crise aprèslaquelle il diminue rapi-dement celui que procure l'opium, des qu'il s'est montré,reste stationnaire pendant huit ou dix heures. Empruntantit la science une distinction,nous dirons que dans le premiercas, le plaisir est aigu, que dans le second, il est chronique.L'un est un flamboiement, l'autre une lumière égale ettranquille. Mais ce qui les distingue le plus profondément,c'est que le vin met le desordre dans les facultés intellec-tuelles au contraire, l'opium pris convenablement,intro-

à un grain d'opium en nature. Mais l'opium varie énormément dans sapureté et sa force;ilenestpar conséquent de même de la teinture d'opinm.'Aussi la plupart des-amateurs que j'ai connus faisaient bouillir leur<'p;uja,a&!K~ecan6tr.

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duit en celles-ci l'ordre le plus délicat, la règle, l'harmcnie.Le vin fait perdre à l'homme son empire stw lui-même,

l'opium renfonce cet empire.. Le vin agite le jugement,donne un éclat extraordinaire, un exagération bruyantedans l'expression des sentiments de mépris ou d'admirh-tion, d'amour et de haine chez le buveur; l'opium, au con-traire, produit la sérénité, l'équilibre entre toutes lesfacultés actives ou passives. En ce qui concerne le carac-tère, ou les sentiments moraux en générai, il se borneà leur donner cette sorte de chaleur vitale qui est approu-vée par la raison, et que nous posséderions sans doute, sinous avions eon~rve laconstitutiom corporelledes hommesprimitifs ou antédiluviens.Ainsi l'on peut dire que l'opium,comme le vin, donne plusd'expansionaucœur et aux senti-ments bienveillants, mais alors même il y a une différenceremarquable dans le développement soudain de cette ten-dresse de cœur qui accompagne l'ivresse, il reste toujoursplus ou moins de ce caractère de buveur d'apparition pas-sagère qui nous expose par lui-même au mépds des assis-tants. L'on prodigue les poignées de mains, les sarmentsd'éternelle amitié, l'on fond en larmes sans que personnesache pourquoi, et la créature sensuelle 'se manifestelibrement. Mais l'expansion de sympathie qui survientsous l'influence de l'opium n'est pas un accès de nèvrc,paroxysme passager;. c'est un retour salutaire à l'étatque l'esprit- reprendrait naturellement quand auraitdisparu une irritation douloureuse qui aurait profondé-ment pénétré en-nous,.en y portant le trouble et y mettantaux prises les impulsionsd'un cœur qui était par lui-mêmejuste et bon. Il faut convenir que jusqu'à un certainpoint et chez certains hommes, le vin a aussi le pou-voir d'exalter et de fortifier l'intelligence. Mot; qui n'aijamais été un grand buveur de vin, j'ai éprouvé qu'unedemi-douzaine de verres agissaient avantageusement surles facultés, donnaient de l'éclat et de la force a la con-science, et à -l'intelligence la. sensationd'etre-ye~f!~

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~M sui. Rien n'est plus absurde que ~'exprcs~~o)~ com-mune suivant laquelle un homme ivre n'est plus /M<-n!CM!p.

Au contraire, c'est dans l'état de sobriété que les hommesse déguisent et se rendent absolument méconnaissables, etc'est sous l'influence dela boisson qu'Us so manifestent avecleur vraie caractéristique,ce qui est tout Io contraire d'undéguisement. Disons-le encore le vin conduit toujoursl'homme à lu marge de l'absurdité et de l'extravagance, etau delà d'une certaine mesure, il a pour sûr cnet de volati-liser, de disperser les énergies intellectuelles, tandis quel'opiumsemble toujours faire succéder le calme audcsordrc,la concentration à l'eparpillemant. Pour tout dire en peu demots, un homme qui est ivre ou qui tend vers l'ivresse, setrouve et sent qu'il se trouve dans une conditionqui donnela prépondérance a la partie purement humaine, et tropsouventla partiebestiale de la nature, tandis que le man-geur d'opium, – j'entends celui qui est simplement sousson innuence, et je suppose qu'il se porte bien, sents'exalter en lui la partie la plus divine de cette nature,c'est-à-direque les affections morales jouissent en lui d'unesérénité sans nuage sur laquelle plane la grande et majes-tueuse lumière de l'intelligence.

Telle est la doctrine que professe au sujet de l'opium lavéritable Eglise, dont je prétends être le véritable Pape,infaillible par conséquent, e~lelegat a~fcre qui s'est dési-gné lui-même pour tous les degrés de latitude et de lon-gitude. Mais je dois rappeler ici que je parle d'après uneexpérience aussi longue qu'approfondie. Au contraire, laplupart des auteurs incompétents 1 qui onitraité de l'opium,

Parm! les innombfabies voyageurs qui ont prouvé, par les sottisesqu'ils ont dites, qu'its n'avaient jamais eu 'de rapports personnels. avecl'opium, il en est nn contre lequel je dois mettre tout spécialement meslecteurs en garde: c'est )e brillant auteur d')MM<Mt';M.Cet écrivain a tantd'esprit,qu'on serait tenté de i: prendre pour un mangeur d'opium, maisil est impossible de )e reconnaitrepour tel quand on voitquelle descriptionpitoyablefait de seseftets, aux pa~es tt~-ztydeson premier YCJume.Cette inexactitude doit ette évidente poar l'auteur tui-meme, s'i) y r~(!s-

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et même de ceux qui en ont parlé ex yrft/fMo dansdes ou-vrages sur la matière médicale, prouvent, par l'horreurqu'ils expriment à son égard, que leur connaissance expé-rimentalede ses effets est parfaitementnulle. Je confirmerai rpourtantaveccandeur que j'ai rencontre une personnequirendait témoignageau pouvoirenivrant de l'opium, et quecela fit chanceler mon incrédulité en effet c'était un chi-rurgien il prenait quantité d'opium à cause d'une maladieextrêmementdouloureuse qui avait son siège localisé dansun seul organe. Cette affection était une inflammationsubtile, non aiguë, mais chronique, qu'il avait combattue,je. crois, pendant plus de vingt ans; il avait remporté lavictoire, si toutefois c'est vaincre que de se rendrelavietolé-rable et de maintenir sur un pied respectable une femmeet des enfants qui ne pouvaient compter que sur lui'. Il

chit, car sans compter les erreurs que j'ai combattues dans mot texte, ttd'autre; erreurs qu'il adopte complètement, i! reconnaîtra iui-memececile vieuxgentleman & barbeManche 'qui man~ede i'opiufn& haute do~est néanmoins en état de lui donner des conseils fort clairs et fort per.suastfssur les funesteseffetsde cette habitude. Cela ne prouve nullementque l'opium cause une mort prématurée ou peuple les maisons de foui:.Quant à moi, je lis dans l'àme du vieux gentleman, et j'aperçois sesmotifs: il était amoureuy du petit récipient en or où Anastasius con-serve la pernicieuse substance et !i ne voit aucun moyen plus com-mode ou plus court de s'en emparer, que de mettre le possesseur del'objet hors de son bon sens. Cette interprétation jette un jour tout nou-veau sur le cas en question, et donne plus de valeur au récit. Le discoursdu vieux gentleman, entant que leçon de pharmacie, est absurde, maiscomme tendant & berner Anastasius, c'est un modèle du genre.

Ce chirurgien fut le premier qui m'avertit que 1'opium variait d'unemanière dangereuse par suite de son mélange dans des 'proportionsimpossiblesprévoir, avec des impuretés. Certainement un homme que saprofessionavertissait du danger d'une habitudefactice de )'opium employa

au delà de ce qu'exigeait sa souffrance, un homme qui tremblait, à chaqueinstant, de voir ses pauvres enfants plongésdans la détresse par un excèsde sa part, voyait la nécessité de réduire à un minimum la dose journa-tiere. Mais pour ce)a, i) fallait arriver à doser opium, non pas d'aprèsla quantité apparente qui indiquait la balance, mais d'après laquantité vinaeHe'qui restait, déduetton faite d'un poids variable dematières étrangères. Cetaétait un problème fantastique, dont la solutionétait impossible; aussi fallut-il !e poser en d'autres termes. t) n'était ptusquestion de mesurer les impuretés, car, combinées et unies aux partiesactives de l'opium, elle échappant à une appréciation. Séparer,éii.mner

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m'arriva de lui dire, ainsi que je l'avais appris, que sesennemis l'accusaientde mettre des sottises au sujet de lapolitique, et que ses amis l'en disculpaient en suggérantqu'il était toujours sous l'influence de l'ivresse causée parl'opium. « L'accusation, lui dis-je, n'est pas absurdeyt'nMft/<tCM, mais le plaidoyer l'est. » Mais, a ma surprise, il appuyaen disant que ses ennemis et ses amis avaient égalementraison. « Je maintiensque je dis des sottises, me répondit-il,de plus je soutiens que ce n'est pas de parti pris, ni dans unbut intéresse, mais purement et simplement, purement etsimplement, purement et simplement, rcpeta-î-i! encore,parceque. je suis ivre d'opium, et cela tous les jours a. Jerépliquerai que l'accusation formule par ses ennemisparaissant établie par des témoignages respectables, puisqueles trois parties en convenaient, je n'avais plus à m'en in-quiéter, maisquanta la défense, j'hésitai encorcàl'admettre.11 se mit en devoir de discuter sur ce sujet, et d'aligner sesraisons, mais il me semblait impoli de débattre un sujet enprenant pour point de départ une erreur que cet hommeaurait commise sur une question de son domaine profes-sionnel.Aussi je n'insistaipas, lors même que ses argumentssemblaientsuggérer des objections. Du reste,un hommequidifdes sottises, sans même « avoir un intérêt à agir ainsine saurait être un partenaire fort agréabledans une conver-sation. J'avoue cependant que l'autorité d'un chirurgien,qui, de plus, passait pour habile, peut paraître d'un plus

iM parties impures ou inertes, tel était te but a atteindre. Ily arriva parune manier: particuticre de faire bouillir l'opium. Cela fait, le résiduétait d'âne force constante, et les doses journalières etaien: assez facilesfidéterminer. Dix-huit grainsformèrent sa ration journalière pendant biendMxanëes.En langage de clinique, dix-huit grains font dix-huit foisv)nf;t.~nq gouttes de faudanum. 25 étant le quart de cent. dix-huit fois iequart décent, ou le quart de t,Soo.iont~5o. Tel fut le chiffre auquel cechirurgien s'arrêta pendant près de ~ingt ans. Ce fut alors que sa sont.france prit une soudaine recrudescence. Mais alors le combat était ter-miné.lavictoireetait certaine. Tous ses devoirs étaient remplis, ses enfants."faient heureusement débute dans le monde, et la mort, qui devait !ui.'pporter un soulagement devenu chaque jour p)ns t)éeeMti:e. co&m"ettir sans faire de tort A personne.

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t!rand poids que lit mienne, mn~. encore une fois, je doismettre en avant mon expérience personneUe, car j'absor-bais par jour sept mille gouttes de plus que lui, mêmelorsqu'il arrivait a son maximum. Bien qu'il ne fût pasadniissible qu'un Médecin ignorai: les eti'ets caractéristiquesde l'ivresse par le vin, j'eus l'idée qu'il commettaitpeuï.etreune erreur de tonique, en emptoyunt le mot d'WMM,dansun sens trop étendu, en l'appliquant d'une manière gêne"raie ù tontes les formes d'excitation nerveuse, au lieu de !nbornerune tbrmcspeei.ded'excitationagréable,distinguéepar des symptômes bien connus, et à laquelle sont atta-chées des conséquences qu'on ne peut en séparer. Deux deces conséquences me paraissent remarquables ait point devue diagnostique,comme étant les marquescaractcri;queset inséparablesde l'ivresse alcoolique, mais quelques ahusqu'on fasse de l'opium, elles ne produisent jamais sousson influence. La premièreconsiste à perdre le pouvoir surspi-meme, dans ce qu'on fait ou ce qu'on veut faire, pou~voir qui diminuegraduellement, quoiqueavec une rapiditévariable, et chez tout individu sans exception, quandprend du vin ou quelque autre liqueur fermentée, au delàd'une certaine limite. La langue et les autres organes de-viennent ingouvernables; l'homme ivre parle indistincte-ment, et pour certains mots, il fait des efforts sérieux etfort amusants afin de les prononcer, ce à quoi il ne parvientpas toujours. Les yeux prennent un air hagard, la visionse dédouble, embrassantun espacetrop grand ou trop petit.La main se dirige maladroitement. Les jambes fléchissent,et ne concertent plus leur mouvement. Tel est le resuhatauquel aboutit toujours l'ivresse, d'une manière plus oumoins rapide. – En second lieu, comme symptôme carac-téristique~ on peut remarquer que dans l'ivresse alcoolique,le mouvementsuit toujours une. courbe identique le bu'veu< monte sans s'arrêter vers un maximum ,ou pointcutmtnantjt rmft!~ <iun<t< il rfdeftcend par une courbe dedétente également graduelle. Il y dans l'accroissement de

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l'ivresse un xënith jquet on ne peut rester qu:md on l'aatteint; c'est l'ell'ortaveugle, inconscient, mais toujours in-fructueux, du buveur obstine pour maintenir cette éleva-.tion suprême du plaisir, qui l'entruîne ù des accès parfoismortels. Des que cette acwJde volupté intense est atteinte,une nécessité fatale veut qu'on en redescende par un co!!ap-sus graduel correspondant.Certaines gens, itce que j'ai ouïdire, ont prétendu qu'ils s'étaient enivres avec du thé vertun médecin instruit de Londres,dont les connaissancespro-fessionnelles m'inspirent un respect motivé, m'ussuraitl'autre )our, qu'un tmuade, pendant sa convatesecnce, avaitété enivré par un bifteck. Toutceta, en réalité, rentre dansla dénnitioh rigoureusede l'ébriété.

Après m'être étendu si longuement sur la première etla principale des erreurs au sujet de l'opium, je ne diraique peu de mots sur la seconde et la troisième. L'on pré-tend que l'exaltation intellectuelle causée par l'opium estnécessairement suivie d'une dépression proportionnelle,que la conséquence naturelle et même immédiate del'opium CM la torpeuret ta stagnation physique et morate.A la première de ces erreurs j'opposerai simplement undémenti formel; j'assure à mon lecteur que pendant lesdix années où j'ai pris de l'opium non pas tous les jours,mais d'une manière intermittente, le jour qui suivait celuioù je m'étais accordé ce luxe, était toujours marqué parune disposition d'espritextraordinairement favorable.

Quant à la torpeur qui,dit-on, suit ou même accompagnela pratique de l'opium, selon les nombreusesdescriptionsqui représentent les Turcs mangeurs d'opium, je la niepaiement. Saqs doute l'opium est rangé dans !a classedes na.rcotiques, et il finit par produire quelques-uns deleurs effets, mais son action initiale est toujours, au plushaut degré, une excitation, une stimulation de l'organisme.La we«M&M pet-inde de !MM) influence durait tnH;ot.chez moi, au temps de mon apprentissage, huit heures et

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plus ainsi ce doit être la faute du mangeur d'opium lui-même, s'il ne calcule pas l'administration de la dose de*e

telle sorte que tout le poids de sa jouissance narcotiquetombe sur lui quand il va. se coucher. H paraît que lesmangeurs d'opium turcs sont assez stupides pour seplacer, comme certaines statues équestres, sur des uHtot!-de bois aussi stupides qu'eus. Mnis afin que le lecteurjuge dans quelle mesure l'opium stupéfie les facultés d'w,Anglais, et plutôt dans le but d'être .ci~ir que pour raison-ner en forme, je vais décrire de quelle manière j'ai passéplus d'une soirée à Londres sous l'influence de l'opium,dans la période comprise entre !So~ et !8n. On verratoutau moins que l'opiumne me .poussait pas à rechercherla solitude, que bien moins encore il me portait a l'inertie,& cet état de torpide anUssemeni sur soi-même oa l'onmontre les Turcs. Je donne ce récit au risque d'être prispour un enthousiaste fanatique ou un visionnaire, maisje m'en soucie peu. Je dois prier mon lecteur de se souve-nir que j'étais un travaiUeur .laborieux, que mes étudesportaient pendant tout le reste de mon temps sut ~desquestions ardues, et que sans contredit j'avais le droit deme donner par occasion quelque relâchement, au'mé<aetitre que le premier venu.

Le feu duc de Norfolk avait l'habitude de dire« Lundi prochain, si Dieu le veut et le temps le permet,je me griserai. » De même, je m'étais astreint à nxerd'avance pour un tempsdonné à quelmoment, avecquellescirconstancesaccessoires dé détails agréables, je commet-

J'~eis pour ~rMt feu sir GtCTgti. Beaumont, ancien et intime ami<ttt duc. Mais de telles expressions sont toujours sujette* Jt des app)i<-t-!ioat fSchëuses.Par ces mots le feu duc sir Georges désignait le ducsi connu de la nation comme ami de Fox, BMke, Sheridan,etc.j0t tempsdeitfirandeRevotutionfrançaise de t78o-o3. Depuis cette époque jecrois qu'il.y a eu trois générations de ducs de la famille Homard, etqu'e))es ontinsptre autant d'intérêt à la nation anglaise, d'abord à causedes t~sendessaneiantes qm tUustreut '?<'r puitMnte maisott. tntMit*parce qu'ils sont A la tête de !apairje.

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trais une débauche d'opium. Cela m'arrh'ait rarementplus d'une fois en trois semaines à cette époque-ls, je neme serais pas hasardé comme je le fis chaque jour dans lasuite, à prendre «M verre de ~t«Fa':)nn MfgMs c/MM~ e< sanssucre. Non, comme je l'ai dit, une <bis en trois semaines,c'était assez pour cela, je choisissais la nuit du mardi oudu samedi. Voici le motif de ce choix. Le mardi et lesamedi étaient les jours où l'on jouait régulièrement aKing's Théâtre (c'est l'Opéra); c'était alors que la Grassinichantait. Sa voix, le plus riche des contralto, me ravissaitau delà de tout ce que j'avais entendu. Oui, et de toutce que j'ai entendu depuis. Je ne saisdans quelle situationse trouve aujourd'hui l'Opéra, car il y a sept ou huit ansque je n'y suis point retourné, mais a cette époque c'étaitl'endroit de Londres où l'on pouvait passer le plus agréa-blement la soirée La place au parterre coûtait unedemi-guinée, mais a la condition ennuyeuse d'être engrande tenue. On était admis dans la galerie pour cinqshillings, on y éprouvait beaucoup moins d'incommoditésqu'au parterre 'de bien des théâtres. L'orchestre étaitremarquable par sa douceur, sa mélodie, sa force, et biensupérieuraux autres orchestresanglais. Leurcompositi&n,je l'avoue, les rend insupportablesà mon oreille, à causede la prédominance des instruments bruyants, et, danscertains cas, de la tyrannie du violon. Je frémissais d'unplaisir toujours nouveau en entendant la voix angéliquede laGrassini.Je frissonnais de plaisir à ma place, en,attendant sa radieuse épiphanie (apparition), je me levais,incapable-de me tenir en repos, quand sa voix céleste,suave comme un son de harpe, chantait son entrée bien

~'t~p~reqoe mon lecteur aura zté assez attentif aux incidents démonrécit pour ne pas croire que je fais allusion au temps de Brown-BraneUet.de Pyment. A cette époque, je n'avais pas d'argent pour aller à l'Opéra.Je parle d'un temps fort postérieur à ces scènes de mon enfance, d'e))-:r'j«'t~* < '3: d'Oxfo~ Ou de ifntp'i b!eu postérieurs à tnoaséjour à Oxford..

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venue dans ThrettaneIo-ThreuaneIo de prélude Leschœurs étaient divins, et quand la Grassini apparaissaitdans quelque intermède, .comme cela arrivait souvent, etqu'elle répandait les trésorsdû son âme passionnée dans lerô)e d'Andromaque sur lit tombe d'Hector, etc., je medemande si parmi les Turcs a qui l'opium, a ouvert lepamdis, H en fut un qui éprouvât seulement la moitié demon plaisir. Mais en vérité je fais trop d'honneur u desBarbares en iessupposant capables de voiuptesapprochantde celles qu'un Anglais éprouve par l'intelligence. Car lamusique est une volupté intellectuelle ou sensuelle, selonte tempéramentde celui qui l'écoute. Et, pour le dire enpassant, à part la be!te digression que contient sur ce sujetla DM~!ë~!eJ~M!~ je ne connais dans toutes les uttéra-tures qu'un passage où l'on traite de la musique d'une r

façon adéquate h sa nature ce sont quelques pages dulivre de sir Thomas Brown intitulé Religio Aff~e< 3.

Bien qu'eHes soient surtout remarquablespar leur éléva-tion, elles ont aussi leur valeur philosophique, en ce

epM'M~M-Srpt-c'M~M. – C'est la belle onomatopée par ta.queUe Aristophane représente le son de la phorminx grecque ou dequelque tutre instrument,que i'on Mppose ~najesue A ia harpe moderne.En ce qui eoaternt les instrum<nt< employes par les anciens Hébreuxdans tes'c~rémoniesdu Tempte. ce serait un vain et futile travail que d'enthereher)'eqa«*~ntdans le s~c des Septante ou le latin de la Vu1);~ie.Il n'en catp4s dp merne pour les,(Jrecs:on a wujollrs l'e~pérance .ql1'unet!n'<)Ct<Mp<sdp'aSme p~~ries <}Kc::ot) ~twiours i'e~përtnce qu'unefouMte heureuse mettra au {our une seutptureftpresenttntsur )t marbrerorganisation et les detaiis de t'Orchestrique.

Comme tout change! Cette Grassini que j'adorais, quand €))e fnt)t<)~e d'or aoRtois. nous quitta pour Paris, et lorsque j'appris sur quelpied elle vivait avec N~poMon, j'en vins à la détester. Etais-je fâché qu'ondétestât l'Angletérre ou qu'on apprit à une femme à dételer lAngleterre ?Nullement je lui en voulais d'avoir eêd~ enfin à ta malice d'une nation)a!ousepour )aque)!ee!)ene pouvait jamais evoir êprome de sympathieMM~<.H<:M«.tM)Msi vous voûtez, mai), franchement, et <n faisant la<oarà4'«nr~

Je n'ai pas te'iiyre sous la main, inais je crois que c'est )c passage quicommence par ces mots: « Et même la musique de taverne, qui inspireaux nas!ast!te.aux autres un vertitieffefotie.r~veitte en moi un pro-fond sentiment rèligieux. »'

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qu'elles contiennent en germa la vraie théorie des ciïet~musicaux. Bien des gens s'imaginent tort que c'e&t purl'oreille qu'ils sont en communicationavec la musique,et qu'ils n'ont qu'un rôle passif dans l'impressionqu'ct!<'produit sur eux. 11 n'en est pas ainsi. Le plaisir est toutentier dans la réaction que les sensations auditives déter-minent de la part de l'esprit, la M~tt~'c arrivant par lasensation et recevant de l'esprit sa forme. Voilà commentdes personnes qui ont l'oreille également bonne dînèrenttant sous ce rapport. L'opium,en exaltantfortement et danstout son ensemble l'activité intellectuelle, accroît natu-rellement ce mode particulier d'activité par lequel noussommes aptes à transformer endélicatsplaisirs intellectuelsles matériaux bruis d'une sensation sonore transmise parun organe. Mais, dit un ami, une suite de sons musicauxest pour moi une succession de caractères arabes. je nepuis y attacher aucune idée. Des idées, mon cher ami 1

Ce n'est pas là leur place toute la classe d'idées quipeuvent .prédominer en un tel cas a pour langage, pourréprésentation des sentiments. Mais c'est là un ordre dechoses étranserà mon sujet. Je me borne à dire qu'à unchoeur, à tout autre morceau chanté avec ensemble etharmonie, je voyais se déployerdevant moi comme unetapisserie sur laquelle était représentée ma vie passée toutentière ce~te perspective notait pas un acte de mémoire,car tout me semblait actuel et incorporéà la musique jen'éprouvais plus la douloureuse sensation des détails, carles accidents de-mon existence étaient éloignéset envelop-pés d<ns une sorte d'abstraction obscure, tandis que lespassionsy étaient exaMes, exprimées sous un appel idéalet élevé. Tout cela était à ma disposition pour cinqshillings, si l'on ptéftndt1$ société bie~ élevée du parterreil n'envoûtaitqu'unedemi-guinoë, prix des pincesde galerieou une demi-couronne,en prenant le billet d'avance chezles marchands de musique. Outre la musiquede la scèneet ae l'orchestre, }'entcnda:~ tout autour de moi, pendant

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tas intervallesde l'exécution, la musiquede la langue ita-lienne parlée par des italiennes, car la galerie était -l'or-dinaire bondéede gens de cette nation. J'éprouvais autantde plaisir à l'écouter qu'en avait le voyageur Welddans le Canada, quand il se reposait f.n entendant le douxrire des femmes indiennes.Moins on comprendupe langueplus on est sensible ù h mJiodie où à la rudessede ses sons.A ce point de vue, c'était un avantage que mon peud<'progrès dans la connaissance de l'italien; a cette époquej'étais un pauvre lettré sous ce rapport; je le lisais diffici-lement, je ne le parlais pas du tout, et je ne comprenaispas la dixième partie de ce que j'entendais en cettelangue..

Tels étaient mes plaisirs h l'Opéra. J'en avais d'autres,.nais comme je ne pouvais me les donner que dans lit..cirée du samedi, ils avaient souvent à lutter contre monamour de l'Opéra en ce temps on le jouait régulièrementle mardi et le samedi. Je crains d'être obscur en décrivantces plaisirs-là mais je puis assurer au lecteur que je nele serai pas plus que Marinus dans la vie de Proclus, outel autre biographe ou autobiographe de bonne réputation.Comme je l'ai dit, je ne pouvais me donner ce plaisir quedans la soirée du samedi..Que pouvait avoir la soirée dusamedi qui la distinguât des autres ? Je n'avais pas de tra-vail dont je dusse me reposer, je n'avais pas de salaire àtoucher pourquoi donc aurais-je songé à une soirée dusamedi sinon pour me souvenir, qu'alors je pouvaisentendre la Grassini? Vous avez raison,, très logique lec-teur, ce que vous ohjectez n'admet,n'admettra pas deréponse. Mais certainshommesfont passer leurs sentimentspar certaines routes; aussi en est.il;qui préfèrent prou-ver l'intérêt qu'ils portent aux pauvres gens en exprimantde façon ou d'autre de la sympathie pour les souSranccsde ces derniers; pour moi je préférais leur témoigner cetintérêt en sympathisant avec leurs plaisirs. J'avais connu'm"MfH etde trop prc: les dou!carsdë !& pttuvretc; le

'v

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souvenir m'en était reste plus ~duie que je ne l'omisvoulu. Mais les plaisirs des pauvres gens, la façon dontib se consolent de leurs soucis, dont ils se délassent deleurs fatigues, c'estunspectaciodontia vue ne devient jamaispénible. La nuit du samedi est un repos régulier, pério-dique pour le pauvre, pour tous ceux qui vivent d'un tra-vail manuel les sectes les plus hostHcs sont d'accord surce point, et acceptent le bien commun de la fraternité, litchrétienté tout entière se remet de ses f&iigues. C'est unrepos qui en amené un autre, qui est séparé par un jouret deux nuitsde la reprise du pénihle travail. Aussi, quand.'rrivt: le samedi soir, je m'imaginaisque j'étais égalementdélivré du jouf; de quoique labeur, que j'avais une paie àrecevoir, et quelquè somptuosité ou loisir ù m'offrir. Parsuite, pour être dans la plus large mesure possihie, témoind'un spectacle qui s'accordait si bien avec mes dispositionssympathiques,je me laissais souvent aller le samedi soir,après avoir pris de l'opium, errant à l'aventure, me sou-ciant peu de la direction ou de la distance, parcourant tousles marchés, et autres endroits de Londres où les pauvresgens vont le samedi soirdépenser leurs salaires. Plus d'unefamUiecomposeeduperc.de ln mère etd'unoudeux enfants,s'est arrêtée devant moi, pour délibérer sur .les voies etmoyens, sur l'état du budget, sur le prix des articles deménage. Peu a peu je me familiarisai avec les désirs, lesembarras, les opinions du peuple. Parfois j'ai pu entendrequelques murmures de mécontentement,mais bien plussouvent l'attitude de ces gens, leur physionomie, leur lan-gage exprimaient la patience, l'espoir et la tranquillité. Jedois dire qu'en générât il m'en restait cette impressiontotale que les pauvres ont bien plus de philosophiepratiqueque les riches, et font preuve d'une résignationplusempressée et plus docileà l'égard de ce qu'ils considè-rent comme des maux sans remèdes ou des pertes irrépa-rables. Partout où j'en trouvais l'occasion, lorsque jeP°~'s!efaire_ sans paraître indisct e:, je me m~'aisâ

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!eurs sociétés, je donnais mon opinionsur le sujet de !oureatretien, et si eUe Jetait pas toujours discutée raison-naMement, elle était toujours qccueillieavec bienveiUance.Lor&que le salaire reçu ou attendu était plus étevé qu'nl'ordinaire, si,le prix du pain de quatre livresavait baissé,ai l'on s'attendait a une diminution du beurra ou desoignons, j'étais content si le contraire arrivait, je tirais del'opium des motifs de consolation. L'opium CM commel'abeille, qui puise inditïéremment ses matériaux sur lesroses ou dans la suie da cheminée il peut subordonnertous les sentimentsà une dominantecommunequi sert de jdef musicale. Quelques-unesde ces promenadesm'entra!.nèrent a de grandes distances,car un mangeur d'opiumest jtrop heureuxpours'apercevoirquelc tempsmarche. Parfoisam.si, malgré mes eHbrtspour barrer du côté de mon domi-cile d'après les principes nautiques,, en fixant mes regardssur !'étoi)e polaire, et chercher ambitieusement « un pas-sage du Nord-Ouest au lieu de longer les caps et lespointes que j'avais suivis en m'ébignant, je tombais toutà coup dans des allées tortueuses comme un nœud, dansdes entrées d'une obscurité énigmatique je rencontraiposés comme des sphinx, des problèmes de rues sansissue, bien faits, je pense, pour dérouter l'assurance descommissionnaires et bouleverser la cervelle des cochersfiacre. Je pus m'imaginer parfois que j'avais été le premierà découvrir certaines terrce !'Kco~)!p et je me deman-dai si réellement elles avaient été figurées sur les plans.récents de Londres. Il m'est démontré que pour circuler àpied dans Icsudd'HoIborn,dans un endroit connu de

'&««'~ettf);)!')}(<< On peut voir dMs les iafses -et ~st~themincesde'.chaumK'Ksrt'tttquMd.~is r~ion des Lacs, de la place m2n)e oùl'on vous a!fait t'honneur de vous mettre ait coin du foyer. De là j'.)ip!asd'anefois entendu, si non dMab:i)tc;.Lcarmurmure s'entendaitfort bien, quoique leurscorps fussent trùp petits pour ttre aperçus de sib~. Je m'informai, et j'appris que la suie est utite aux abeilles, surtout)tt snte de bois et de houitte, à une certaine phase de la fabrication de la.». du- w:w': 1

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beaucoup de mes lecteurs de Londres, il faut passer par lacuisine d'un particulier; comme cette cuisine est étroiteet obscure,une grande attention est nécessaire, sans quoil'on se salirait au contact des casseroles. 11 est vrai quej'expiai tout cela d'une manière fort cruelle plus tard,quand la figure humaine hanta tyranniquement mes rêves,quand les'perplexitésde mes courses à travers Londresreparurent et agitèrent mon sommeil en se compliquantde perplexités morales et intellectuelles qui jetaient !otrouble dans ma raison, l'angoisse et le remords dans muconscience.

Par ce qui précède, j'aiprouvéque l'opiumne produit pasforcément l'inertie et la torpeur, mais qu'au contraire il meconduisait souvent dans les théâtres et les marchés.Cepen-dant j'avoueraiavec franchise que des théâtres, des marchesne sont pas les endroitsque hante de préférence le mangeurd'opium quand il est au plus haut point de son état divinde volupté. A cette phase, les foules deviennent uneoppression pour lui; la musique même lui paraît trop sen-suelle, trop grossière. Il cherche naturellement la solitudeet le silence, comme conditions indispensables de cesparoxysmes ou de ces rêveries d'une profondeurinfinie quisont le couronnementetla consommationde ce que l'opiumpeut produire dans une nature humaine Pour moi quiavais la maladie de méditer trop et d'observertrop peu, moiqui dans les premiers temps de mon séjour au collège,faillis tomber dans une profonde mélancolie du souvenirsans cesse présent des souffrances dont j'avais été témoina Londres, j'étais averti asse~ clairementdes tendancesdemes pensées pour lutter- contre elles de toutes mes forces.J'étais tout à fait semblable à ces gensqui, selon l'anciennelégende païenne, étaient descendus dans l'anu'e de Tro-phonius. Le remède que j'employais consistaità m'imposerà moi'même la fréquentation de la société, et à tenir monïstclHgcnTS cou!titue!!ctnent occupée surdes sujets scienti-

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tiques. Sansces moyens, je serais certainement tombé dansune mélancolie hypochondriaque. Dans les années sui-vantescependant, lorsque je fus rentré en pleine possessionde la gaîté, je cédai à mon penchant naturel pour ta viesolitaire. A cette époque-la, je tombai souvent dans cessortes de rêverie sous l'influence de l'opium plus d'unefois il m'atriva,.por une nuit d'été, à une fenêtreouverted'en la vue s'étendait sur in mer à un mille de distance,enmême temps que je pouvais jeterun regard presque circu-laire sur une grande cite située à peu près à la même dis.tance, je restais à cette fenêtre du coucher du soleil a sonlever, et j'y passais toute la nuit sans faire un mouvement,comme si j'étais gelé, sans avoir conscience de moi-mêmecomme d'un être distinct dans la scène variée qui sedéployait au-dessousde moi. Cettescèneavec tousses détailsse réalisa assez fréquemmentpour moi sur la belle collined'Egerton. Vers la gauche s'étendait la ville aux languesvariées, Liverpool vers la droite, c'étaitle fourmillementdela mer. Ce tableau était en quelque sorte la reproductionsymboliquede ce qui occupaitune rêverie de ce genre. Laville de Liverpool représentait la terre, avec ses chagrins etses tombeaux reculés au dernier plan, mais toujours à por-tée de la vue, et dans les limites de la mémoire, L'Océan.avec son éternel mais doux balancement, sur equel planaitun.calme alcyonien, pouvait représenter assez exactementl'intelligence, et la manièredont elle se berçait alors. Il mesemblait en effet que j'étais éloigné pour la première fois,séparé du grondement sonore de la vie, que la fièvre, labataille, le tumulte étaient suspendus, qu'une trêve garan-tisMit au cœur le soulagement de ses fardeaux secretsc'était unSabbath de repos, un adoucissement des fatigueshumaines. Les espérances semaient des fleurs dans les sen-tiers de la vie, et se réconciliaientavec la paix qui règnedans les tombes; les mouvementsde l'intelligence s'accom-plissaientaussi aisément que ceux du ciel, et toujours cecalme alcyonien sur toutes les angoisses, cette tranquillité

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iqui, loin de paraître le résultat de l'inertie, semM~it 1' net

d'antagonismespuissants, énergies sans limites, repos sanslimites.

“0 juste, subtil et tout'puissantopium aux cceurs des

pauvres et des riches, aux blessures qui ne guérirontjamais, aux angoisses désespérées qui donnent à l'espritdes tentationsde révolte tu apportes un baumeadoucissant.Eloquentopium, avec ta rhétorique irrésistible,tu dissipesles projets de fureur, tu rends pour une nuit a l'hommecoupable les espérances de la jeunesse, et tu laves le san{;de .ses mains; tu faisoublier a l'instant à l'orgueilleux« lesinjusticesrestées sans réparation, les outrages restés sansvengeance 0 juste et inflexible opium, tu cites a la chan-cellerie des rêves, de faux témoins pour faire triompherl'innocence,tu confonds les parjures,tu mets à néant les sen-tences des juges iniques.– C'est toi, qui avec le musée desimages évoquées dans le cerveau, bâtis dans le sein de lanuit, des cités et des temples qui défient l'art de Phidias etde Praxitèle, la splendeurde Babylone et d'Hécatompylostoi qui dans « l'anarchie du sommeil qui rêve » fais surgirà l'éclat du soleil les images des beautés depuis longtempsensevelies, les figures bénies du foyer domestique,en lespurifiant « des souillures de la tombe. Toi seul fais de telsprésents à l'homme, c'est toi qui possèdesles clefs du para-dis, ô juste, subtil et puissant opium

Lecteur courtois, indulgent aussi, comme je l'espère,puisque vous m'avez accompagné jusqu'ici, permettez queje me reporte à huit années plus tard, c'est-à-direde !8o~,époque où j'ai nxé mes premières relations avec l'opium,à 1812. Les années de vie académique sont passées, dispa-rues, et entièrementoubliées. Le bonnet d'étudiant ne

C'est-à-dire~KxCMt Portes (de MKt~ou, cent et T:~t), porte. Cetteepitheted'Hecaton'.pyios était rdser<ee à Thèbes d'Egypte pourfa distin-Saer de ~'Ë~i:KT:5Ao<, nom' réservé a la Thèbes grecque, qui était à un)uHi' de marche d'Athènes.

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comprime plus mes tempes ai ce boaaei existe encwt. il

serre celles de quelque jeune érudit aussi heureux, j'espère,

que je l'étais moi-même, et amant aussi passionné dessciences. A cette heure, j'ose le dire, ma robe partage letort de plusieurs milliers d'excellents livres do la biblio-thèque Bodléienne, c'est-à-dire qu'elle est l'objet d'étudessuiviespour de savantes teigne' et d'éruttits rongeurs peut'être, et c'est là que s'arrête mes notions sur sa destinée,elle est entrée au grand magasin situé ~M~MejMtrt, où vontMa fin les bouilloires, les boites à thé, les tasses à thé, lessoucoupes à thé, dont la ressemblance fortuite. avec lagénération présente des tasses à thé, etc., me rappellentque j'en possédai autrefois, bien que leur sort et leur 6ndernière ne puisse être pour moi, comme pour la plupartde ceux qui ont porté la robe dans l'une ou l'autre desUniversités, que l'objet d'une histoirevague et conjecturale.La persécution de la cloche de la chapelle, qui faisaitentendre à six heures du matin ses avertissements maudits,n'interrompt plus mon sommeil; le portier qui la faisaitsonner est mort, et ne dérangera plus personne. Je suisd'accord avec bien d'autres qui ont tant souffert de samanie tintinnabulante, pour lui pardonner ses torts et lesoublier. Je suis en bons termes avec la cloche elle-mêmeje suppose qu'elle sonne comme jadis, trois fois par jourje suis certain qu'elle ennuie cruellement maints dignesgentlemen, et trouble la sérénité de leur esprit, mais en cequi me concerne, je ne m'inquiète plus de sa voix perfide(je dis perfide, car elle était d'une méchanceté'si rafnnecqu'elle avait un timbre aussi doux, aûssi argentin que sielle avait convoqué les gens pour quelque partie de plai-sir). A la vérité ses sons n'ont plus là force d'arriver jus-qu'à moi, lors même que le vent -serait:aussi favorablementtourné qu'elle pourrait le désirer dans sa malice, car jesuis séparé d'elle par une distance dé z5o milles, et enterrédans la profondeur des montagnes, Et que fais-je dans lesmontagnes? Je prends de l'opium. Mais est-ce tout? Non,

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tect<mf, en cène année t8~, oùaous voilà parvenus,comme dam quelques-unesdes années précédentes,j'ai étéprincipalement occupé à étudier la métaphysique a!ie-mande dans les écrits de Kant, Fichte, Schellin~. Et quelest mon genre, quelle est ma règle de vie ? En un motquelle est la classe, la catégorie sociale dont je fais partie ?A cette époque, c'est-à-dire en !3, )'habite un cottage,je n'ai d'autre domestiquequ'une servante (honni soit quimal y pense) dans le voisinage on la nomme !Ha MtfMt:-~f<. Et en tant que lettré, en tant qu'homme qui a reçuuneM!!truction complète, je puis, je pense, me classer. moi-mttne,c<Momemembre indigne danscette corporation maldéfinie qu'on nomme le! j~Mf/emM;soit pour les motifsque j)'ai indiques, soit parce que je n'ai pas d'emptoi, oude profession définie, on juge avec raison que ]C dois vivrede ma fortune personnelle cela constitue ma situationdans le pays. Là courtoisie de la moderne Angleterre faitqu'on met le titre d'Esquire sur leslettres qu'on m'adresse.Cependant, si l'on en jugeait avec la rigueur des lois hëM!-diqucs, dont les représentantsantiques et grotesquesres-semblentà des valets de piques ou de carreau, )e crainsbien de ne justifier que faiblement ce titre distingué. Auxyeux du public, je n'en suis pas moins X, Y, Z, Esquire,sans être juge de paix, ou custos t'o/K/otWH (garde desrôles). Suis-je marié? Pas encore. Est-ce que je prendsencore de l'opium? Oui, les soirs de samedi. Peut-être enai.~e pris sans vergogne depuis le dimanche pluvieux »,depuis l' < imposant Panthéon », depuis le bêatifique apo-thicaire de i8o.t. Oui, cela est ainsi. Et en quel état masanté se trouve-t-elle après toute cette consommationd'opium? En un mot, comment me porte-je? Mais, trèsbien, lecteur, je vous remercie. En fait, si j'ose dire lapure et simple vérité, bien que pour être d'accord avec les

jea de mots portant sur la TeMemMancede <!n!tt~ et (tntf~HC, et par<-<M«~tK'«t if)tM<<"i*'M?{N.<<. T. U

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théories da certains médecins, j'eusse dû être malade, jene me suis jamais mieux porte en ma vie qu'au printempsde !8ts, et j'espère sincèrement, cher lecteur, que toutela quantité de claret et de MafMrt de Londres rCtWMM«M~que selon toute probabilitévous avez pris et prendrez tousles huit ans pendant toute votre vie, ne sera plus funeste hvotresanté, que lie l'a ëtë a ta mienne l'opium que j'ai prisde t8o~ à tSn, bien que ta qualité en soit suffisante pourm'y baigner et m'y noyer. Par là vous pouvez juger corn'bien il est imprudent do demander un avis médical hAn<M{<Mu<$ Qu'on le consulte sur tes choses théologiques,soit, je suppose qu'il peut être un sûr conseiller, mais nonsur la médecine. H vaut mieux s'adresser au docteurBuchan,comme j'ai fait; car je n'ai jamais oublié l'excel-lent avis de ce digne homme, et je me suis « gardé «MeH-<t~?ncHf de ~ep~Mcrla dose de vingt-cinq onces de /<tM<fa-

KH~M en une seule fois. )' C'est a cette réserve, à cettemodération dans l'usage de t'opium que je pense pouvoirattribuer le fait que maintenant du moins (c'est-à-direen ï8a:2) je ne connais ni ne soupçonne les terreurs quel'opium tient en réserve pour ceux qui abusent de sonindulgence.En même temps, il ne faut pas oublierque j'aiété jusqu'à ce jour un dilettante dans l'usage de l'opium, etque même après huit ans, la simple précaution d'espacerconvenablement chaque dose a suffi pour empêcherl'opium de ne devenir nécessaire tous les jours..

Mais maintenant commence une ère nouvelle, Veuillez,cher lecteur, vous transporter en t8t3. Pendant l'été del'année que nous venons de quitter,.j'avais beaucoup souf-fert d'une maladie physique qui avait pour cause l'abatte-

!-c)e;ttur d'aujourd'hui s'étonnera de voir citer aussi fx~quemment.MtffMt'M,ouvrage entierementonb]iê.Maïs cet ouMicst daAt'abond.toeeprodigieuse des romanciersoriginauxet pleins de talent qui ont pu))u)cdans les trente-cinq ans après la première édition de ces Confessions.Anastasius a pour- auteur le fameux richissime M. Hope; en tSz'.cc

.tivteav.utx)'9nde]'ep!it3tionet.rande.ia<tuen;edans )a société diri-~taate.

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ment intellectuelcombine a\'ee un évënementauiigeant.Cetévénement n'ayant aucun rapport avecce dont je parle en cemomentsinon l'état t~he~x qu'il produisit en moi, je n'enraconterai pas les detaUs. L'indispositionde )8it avnit.ellequelque part dans celle de t&!3, je n'en sais rien, maisdans cette dernière année je fus attaqué d'une très doulou-reuse irritation de l'estomac, analogue sous beaucoup derapports a celle que m'avaient causée les souû'rancet dema jeunesse, et elle fut accompagnée de la réapparition detous mes anciens rêves. Ce fut alors, c'est-à-direen t8t3,que je devins mangeur d'opium, et cette fois je le fus nonpar intervalles, mais régutierement. Ici je me trouve dansua dilemme embarrassant. me faut mettre à bout lapatience de mon iectejr en iui décrivant tous les détails de

ma ma'adie, et des efforts que j'ai faits pour la combattre,aHn de bien établir qu'il m'était impossible de lutter pluslongtemps contre l'irritation d'une souH'rancc constante.Mais, d'autre part, si je passe légèrement sur cette phasecritique de mon histoire, je dois renoncer au profit de laplus forte impressionque j'ai faite sur l'esprit de mon lec-teur, je dois m'exposerà l'opinion erronée d'après laquelleaurais gtisse par une série de faiblesses graduelles jus-qu'aux plus grands abus de l'opium opinion à laquellebien des lecteurs seront entraînés, comme je l'ai reconnuauparavant. Voilà le dilemme. U faut que je songe à lapremière de ses cornes. H mp reste donc à demander la per.mission de donner des détails autant que cela sera néces-saire à mon dessein. Aussi, bon lecteur, donnez-moi votreindulgence la plus complète, aussi complètequepeut l'accor'der votre patience, et la mienne. Ayez assez de générositépour que je n'aie pas à perdre votre estime en vous.expo-sant ma faiblesse, et ménageantvotre commodité.Ou plu-tôt/croyez inutilementace que je vouspriedecroire, c'est-à-dire qu'il me fut impossible de résister plus longtempscroyez-le noblement, que votre adhésion soit une marquede confiance ou un acte de simple prudence. Sans cela, ce

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que je ne fais pas ici je le ferais dans une autre édition~ )evous ferai croire en vous faisant trembler, et ~<~ L~'<'t<MM~par la seule ressource de la pandiculationconnuesous le nom vulgaire d« baïUement, je détournerai m<M lec-teurs de l'envie de me demanderquelques raisons pour ceque je me propose de faire.

Ainsi donc, je demande en premier lieu qu'on m'accordeque si j'en suis venu à l'usage quotidien de l'opium, c'estque je n'ai pas pu faire autrement. Aurais-je réussi plus tardà rompre avec cette habitude, alors même qc'U me tem-Mtit que nos efforts dussent ~tre inutiks? Quelques-unesde ces tentatives innombrablesque je 6< aurait-ellepu ttreportée plus loin Aurai~e pu déployerplus d'énergiepourme maintenir en poMession du terrain reconquis pas àpas? Ce sont là des questions qu'il roe faut ëtude)*. Peut-êtreserais-je en mesure de trouver une excuse, mais j'avouerai,avec une entière franchise, que mon infirmité tyranniqueest un eudémonisme exagère. Je désire trop vivement undtat de bonheur tant pour moi que pour mes semblables;je ne puis envisager le malheur, soit le mien, soit celuid'autrui, d'un regard assez ferme je suis peu capable desupporter la douleur présente en vus d'un profit compen-sateur. Sur bien d'autres questions, je suis d'accord avecces messieursdu Portique* de Manchester,en ce qui con-cerne ia philosophie stoïcienne, mais surce point-là, iln'y apius d'accord..Je m'attribue ici la liberté du philosopheectectique je cherche une secte courtoise et reSëchie qui\'eume biMïeondescendrea rinnrme eondhion d'un mangeurd'opium, je voudraisdeshommesagreabies et faciles, t~ts queies décritChaucer,pour entendre ma confession ou me don-ner Tabsotutiûn.Jomettf&tdeta bonaevolonté à eMcuter

!t s'agit d'an cercle très beau, ou je fus admis MB; démarche*, pen-dant monp~sage à Manchester, par plusieurs gentlemen de cette vi])e'Ou )Mmm<ctcerO<! ït Porcht eu )<t PeTttqdt; e'e;t )t Mnt du n)M grec,SM<t. Et)fM<)u<)itc<i'4tr.)ngtr&Mahche;ter,je me Sgurai~qnejMtnembre~.e:sn'= p-a''sx='Mt~ds-is*: *'?! ?t <;(;<*t

Qttpte'«!< X~ao~. Mais j ai appris.depuis que je me trompais.

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los pénitencesqu'ils imposeront, et les e<lorts d'abstinencequ'ih exigeront de pauvres pécheurs comme moi. Quant àun moraliste inexorable, dans l'état nerveux où je metrouve, il me serait aussi insupportable que de l'opium quin'aurait pas été bouilli. De toute façon, celui qui m'im-p0«ra de charger mon vaisseau avec un lourd fret de pri-vation et d'austérité, dans une croisade entreprise pourmon amélioration morale, doit me prouver avec dû .bonsargumentsque mon antreprise justifie quelque espérance-A monuge c'est-â.direa trente-six ans, on ne peut suppo*ter que j'aie de l'énergie de reste, j'en ai juste assez pourles travaux intellectuels qua j'ai entrepris; aussi qu'onn'essaye pas de m'effrayer et de me décider par des parolestrop dures, à en risquer une partie dans une aventurechanceuse de moralisation.

Qu'elle fut chanceuseou non, telle était en t8t~ l'issuedû ~a lutte dont j'ai parlé; aussi, dès cette époque, le lecteurdoit m's considérer comme un mangeur d'opium devenutêt définitivement et régulièrement. Se demander si cethomme-la prenait de l'opiumtous les jours serait demander

si ses poumons respiraient, sisoncceur exécutaitsa fonction.Ainsi doac~~ctear, vom savez ce que je suis; vous descertain qu'aucun gentleman « à barbe blanche ne peutespérer de me persuader (comtne Anastasius)queje dois medéfaire «du petit récipient d'or qui contient la pernicieusesubstance ». Non, j'en avertis les moralistes et les chirur-giens/quelle que soit leur prétention ou leur habileté dansle cerçle de leur activité respective, ils ne sauraientespérerd'obtenir de moi quoique ce soit, s'ils commencentpar meproposer brutalement un carême ou un ramadan d'opium.Cela bien convenu cntr& nous, nous ferons désormais voilevent. arrière. Ainsi donc, lecteur, maintenant que nousavons passe i~Mtapx à rester assis et à bavarder, levons-nous, s'tt vous ~)laît~ et avançons-nous trois ans plus loin.

Ce passageÉUi[ écrit lors de la prouieri: édition.

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Nous allons lever le rideau, et vous m'apercevrez sous unnouvelaspect.

Si un homme, pauvre ou riche, nous annonçait qu'il vanousapprendrequel a été le jour le plus heureux de sa vie,et nous dire pourquoi, et en quelles circonstances; je sup-pose que nous n'aurions taus qu'un cri Attentionatten-tion !Ct}our!ep!us heureux de la vie, un homme pèseraitfort embtrrMse de l'indiquer un événement qui tient uneplace aussi distinguée dans les souvenirs, et que l'on recon-naît capable de produire une félicité spéciale, séparée,suprêmeen un certain jour. doit être assez solidepourque,sauf les accidents, il continue à produirele même bonheur,ou du moins un bonheur aussi reconnaissable, pendantbien des années de suite. On peut fixer ce lustre (périodede cinq ans) ou du moins cette année de bonheur, sanss'exposer aux railleries de la sagesse. Lecteur; cette annéem'arriva.: elle fut une de celles auxquelles nous sommesparvenus, bien qu'elle fut enfermée comme entre les paren-thèses d'années qui furent sombres. Ce fut une année de la-plusbelleeau, comme diraient les joailliers, sertie <tt isoléedans,l'ombre ténébreuse de l'opium. Cela est étrange àdire, mais j'étais parvenu à diminuer d'un coup er sans t*pgrand effort, ma dose de trois cent vingtgrains, c'est-à-direhuit mille gouttes de laudanum', par jour, à quarantegrains, c'est-à-dire huit fois moins. Aussitôt, et comme par

M, je compte vingt.c:uq gouttes de laudanum pour un );ntin d'apiom,tt qui est l'estimation communément admise. Mai! comme il fàut noircompte de deux- variations considérables, t'une dans )< force de t'opium.en-nature, l'autre encore plus grande dtas cette de ta teinture, je suppose~a'an ne peut exiger une appfoximttxmiBStMteMmote dansce c<)ca). ï~cuillerées à thé w*rient a;.t<ut en.contenance que l'opium en force. !i enttt de pt<:t«qu) «m:!tf)ne)tt cent ~oattM,de-telle sorte que huit nutkcottes,c'e~-à-dire80 foiscentgouttes,tiendraient ~m 8o fois cuitteree:.Maitiet~rande~caiUertaà thé qu'on emploie aujourd'hui ont une conte-itaatéde beaucoup eup~teure.et il en est d'aussi fortes que des cuillers'< t<M«M' <MM< ;MM.t.<W)tM« t'ttM* <tt<~«(MMm <t<. ht <MMHtt<~tiatttditeptriedocteurBuehan.

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magie, le nuage de profonde mélancolie qui pesait sur moncerveau comme les noires vapeurs que j'ai vues descendredu sommet d'une montagne, se dissipa en une semaine; ils'en alla avec ses sombres bannières, aussi rapidementqu'unvaisseau, qui a jeté à la côte, se remet a flot, soulève par lereflux,

Et se meut tentement, si même il se meut.

Ainsi j'étais parfaitement heureux. J'étais revenu à millegouttes seulement par jour, et qu'était-ce que cela? Undernier printemps était venu clore la saison de la jeunesse.Mon cerveau remplissait ses fonctions aussi aisément quejadis; je relisais Kant, je le comprenais encore, ou jecroyait le comprendre. Mes sentiments de plaisir se répan-daient de nouveausur toutce qui m'entourait. Si l'on m'eûtannoncé-la présence de quelqu'un d'Oxford ou de Cam-bridge, ou de n'importeoù, je lui aurais faitdans mon simplecottage un accueil aussi somptueux que peut le faire unpauvre. Je lui aurais offert tout ce qu'il faut pour faire lebonheur d'un sage, ycompris !e laudanum, que je !uiaurais verse dans une tasse d'argent, faute d'une couped'or. Je dirai en passant, puisqu'il s'agit de laudanumdonné avec prodigalité,que je me souviens d'un petit inci-dent de cette époque, incident qu'il me faut rappeler, cartout insignifiant qu'il était, il devint dans mes rêves unélément de terreur plus redoutable qu'on ne saurait l'ima-giner. Un jour, un Malais frappa à ma porte. Quelle affairepouvait amener un Malais dans cette retraite au sein desmontagnes anglaises? Mon affaire à moi n'est pas de ledécouvrir il peut se faire qu'il se dirigeât vers un port demer, Whitehaven, Workington, etc., situé à 40 milles envi.ron de !â

*!tyavtit un courant étroit, mais continue) de déplacemententre les)Mta<thntMM.<}*tse*t:ds!,M:Mre,t:twpu!)tt!oMscorre:*pondautesdu Cumberland, comme à Havengtass,Whitehaven. Working-

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La domestique qui lui ouvrit la porte était une ieune6Ue ne* et etevae dans- les montagnes; elle n'avait ornaisvu d'homme v~tu en Asiatique, et le turban lui causa unvifatonncment~Comme rhûmmesavait juste autant .d'an-gtais qu'elle savait de maiais, il sembiait qu'un détroitinfranchissable ie&empôcMtde se communiquerleu~idtes.s'ils en avaient à se communiquer. Dans ce dilemme,fiHe se rappela ce'qu'on disait de l'instruction de sonmaître, et m'attribua sans doute la connaissance de toutesles langues de la terre, sans compter, je pente/eeUe de quel-ques langues de la lune. Elle monta donc et me fit com-prendre qu'il y avait une sorte de démon il était visiblequ'elle xne supposaitle pouvoirde !e faire fuir de là maisonpar mes exorcismes.

Le groupequi se preseum devant moi, bien qu'il eût étéfbrmé par le hasard, et n'eut rien d'artificiel, s'empira demon imaginationet frappa mes yeux d'une Impression bienplus vive que ne t'avaient jamais fait les attitudes ou lesgroupes sculpturaux qu'on voit dans tes vaUets à l'opéra,et qui sont si pretenneusetMnt ordonnes. C'était dans unecuisine de cottage, pièce quiavait tout au plus l'air d'uneantichambre rustique, avec son revêtement de bois dé cou-leur foncée, auquei le temps et !e frottement avaient donnéla teinte du chêne; )a se tenait debout le Ma!ats, dont leturban et les larges pantalons blancs se dessinaient nette-ment sur le mur sombre. était plus près dé la jeune fille

tôt, Mtrypor:,etc., et c'~toit surtout tax <!p~qaes où a~oit tiett la presse.Cet ~chan);e avait lieu par mer, mais aussi par terre, ye profite de cetteotMtnttnpotifindiquernn fait intéressantque j'ai trouvé dans un atma-Mc)i itinéraire, datant du milieu du tt~tte d'EtiMbtth, c'est-à-dire de!S79. La route oMeie~e que suivaient les messagersde )a reine à cetteépoque, et par conséquent la plupartdes \o)'ageur<, ttt partitpas comme<or<t'ht(tp<)'Gra<~fe.et<it}ap:r)< v~)Hede St(<nt-Jtan,Thret!«M()t raccourcipar Southwaite Mon étant alors inconnu). Keswick, Coeker-mouth, tt WhiKhxven. A partir de Saiut-Oswatd. de Gre~msrc (que l'onprononçai ainsi comme )<: voulait t'origine danoise du mot) )a route étaitla- même qu'aufourd'hui. De là elle contourMit!a rive gauchedu lac, tra.versaitHammerscar, allait jusqu'à UtHe !<an:;da)e. dcia a Wrydose etS<MnMMt<;<t<<<'(~t~)MM'«'.V"'?''t<

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que celle-ci ne semhlait le vouloir, quoique son coura~anatif de montagnarde combattît le sentiment de terreurpeint s'ir son visage, quand elle regardait cette sorte dechambre. On ne saurait imaginer un tableau plus frappantque le contraste de cette jo!i<t figure anglais d'une irn!-cheur exquise, de cetM attitude droite et <i~re, avec le t~intjaune et bilieux du étalais, où le climat et J'air marinavaient mis des reflots foncés, le regard de ses yeux petits,sauvages, toujours en mouvement, soi: lèvres minces, sesgestes et ses courbettesserviles. A demi-caché par le féroceM~ai~ un petit enfant du cottage voitin s'était glissd der-fiert tut; il était occupe à regarder le turban, et les yeuxeS'rayMnde l'hotnme,tandisque, pour se rassurer, il tenaitd'une main la robe de la )oHe fille..Mes connaissance dans les Sangues orientais tic sont pasfort étendues,car elles sont bornées deux mois, savoir temot arabe qui désigne Forge, et le mot turc qui veut direopium (madjoon) encore i'ai-}e appris par Anastasius.N'ayant ni dictionnaire matais ni môme io Mt't~rt.f.tted'Adelung, qui m'aurait fourni quelques mots, je pris leparti de lui réciter quelques vers de l'M~e, vu queparmi toutes les langues que je possédais, il n'en étaitpas qui se rapprochât plus que le grec de la latitude deslangues orientales. Il me fit les politesses les plus empres-

Cttte jeune fi))e, ttomm~e)3arbar.< Lewthwaito,était déjà une per$o;tned'une certaine importance poétique, i~nendn qu'elle <i};uMt (& son insu)comme principe ptrM)))')! parlant dans un petit poème pastoM! deWordswort)). Qu'e))e fût réellement bette, et que je ne l'aie pas décriteainsidans le seul but de produire uu effet pittoresque, le leeteuren aura lapreuve par le vers ~uiv~nt de ce poème qui fut écrit dix ans avant,quand Barbara Lcw:))~a)tt n'avait que six ans:

C'était la petite Barbara Lewthwaite. enfant d'une beauté rare.Ces mot; de WiUiitm Wordsworth, juge difficile, et ecriv;iin d'une rigon.

reuseiitteratite.autorisent quelqueprétention à passerpour belle,au moinsA ce moment. M.tn i) e&trec<~nu que daM t~'iaMhotttgit~detoutes leszones terrestre', il est une fleur sujette plus que touteautre & dépérir, o'ettiabMUtede la femme. Spenser, dans les belles xtances sur la muttbitite-oni!<tpaMeenre?ue!~<c solennité toutes les formesde cette f~ttittter,rt:tM. t-t-U MtiiMtMtttettt ttMtMê M~ )« Mt<t*«~(*~ <t< '?'!{-* K-'i:sats.

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sées, et me répondit je ne ne sais quoi qui devait être dumalais, De cette manière je sauvais ma réputation de lin-guiste auprès de mes voisins, car le Malais n'avait aucunmoyen de trahir mon secret. I! resta assis sur le plancherpendant près d'une heure, après quoi il se remit en route.A son départ, je lui donnai entre autres choses un moMtnud'opium. Je supposais que pour un Oriental comme lui,l'opium n'était pas moin& familier que le pain quotidien,etl'expression de sa figure me prouvaque j'avais raison. Néan-moins je fus saisi de quelque consternation, quand je le visporter la main à sa bouche et avaler le tout en trois frag-ments, d'une seule bouchée. Lu quantité en était suffisantepour tuer une demi'douzaine de dragons, y compris leurschevaux, en supposant que ni les bipèdes ni les quadrupèdesn'eussent été dressés a prendre de l'opium. Je fus inquietpour le pauvre diable, mais que faire ? Je lui avais donnéde l'opium,par pitié pour sa vie solitaire, car s'il avait faitla route à pied depuis Londres, il devaitavoir marchépen-dantplus de trois semaines sans avoiréchangé une idée avecun être humain. Fallait-il violer les lois de l'hospitalitéenle saisissant et lui ingurgitant une dose d'émétique; luidonnant l'idée épouvantable qu'il allait être saeriné à quel-que idole anglaise <*Non, il était clair qu'on ne pouvait rienfaire pour lui. Le mal était fait, s'il y avait un mal de fait.H prit congé; je fus inquiet pendant quelques jours, maisn'apprenant pas qu'on eut trouvé le cadavre d'un Ma)a.i<

ou d'un homme en turban sur les routes extrêmementpeufréquentéesqui allaient de Grasmere à Whitehaven, je fusheureux de conclure qu'il était habitué à l'opium et queje lui avais rendu le service que je voulais lui rendre, en

'Ce)a n'est cas une conclusion nécessaire,. Les variétés des tHets pro-duits p~rt'opium surf les divers tempérament'!sont infinies. Un magistratde Londres (Harriott. Z.ttffM rr~yer~ vie, t. IH, ?' édition) raconteque pour essayer du laudanum contre la goutte, il en prit ta premièrenuit quarantesomxs. )a seconde,nuit soixante, ta troisième nuit quatre.vingts,M))b aucun résultat, et cela à un 3~ avance.

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lui procurant une nuit de répit au cours de son péniblevagabondage.Je me suis laissé aller à développer cet incidentparce que

ce Malais's'incrusta dans mon imagination,.grâceau tableaupittoresque qu'il avait concouru a former, grâce aussi ill'inquiétude que j'avais éprouvéeà son sujet pendant quel-ques jours. Il se représentadans mes rêves, amenantd'autresMalais encore pires que lui, qui couraient l'a-mucki dansmon cerveau et me jetaient dans un monde de troublesnocturnes. Mais laissons là cet épisode et revenons à cetteannée intercnlaire de bonheur. J'ai déjà dit que sur un sujetaussi-important pour nous que le bonheur, nousécarterionstout ce qu'un homme pourrait nous dire d'après son expé-rience ou ses essais, cet homme fût-il un garçon de charruequ'on ne supposera pas capable d'avoir labouré bien pro-

fondementun sol aussi intraitable que celui des plaisirs etdes douleurs de l'homme, ou de conduire ses recherchesd'après des principes fort lumineux. Quant à moi qui aipris le bonheur sous deux formes, Il l'état solide et liquide,bouilli ou non bouilli, venant de Turquie ou des IndesOriéntales,et qui ai conduit mes expériences sur ce sujetintéressant comme avec une batterie galvanique, moi qui,pour le profit du monde entier, me suis inoculé le poison àla dose de S,ooo gouttes de laudanum par jour, comme unchirurgien français s'est récemment inoculé le cancer, unautre chirurgien anglais d'il y a vingt ans, la peste, un troi-sième, anglais aussi, la rage, on avouera bien que si quel-qu'un sait ce que c'est que le bonheur, ce doit être moi.Aussi vais-je faire l'analyse du bonheur, et pour être plusintéressant, je la ferai non pas sous une forme didactique,mais en l'enveloppant et la mêlant dans la descriptiond'une des soirées que j'ai passées pendant l'année interce-

Voysz les récits, nombreux cheztous les v~ya~eurs en Orient, des excèsfrénétiques commis par les Malais oui ont pris de t'<tnt"m f" qc: sostréduitsau d~setpoir par leur mauvaise chance aujeu..

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laire, alors que le laudanum pris tous les jours n'était autrechose pour moi qu'un etixir de volupté.

La scène représente un cottage situé dans une valléeà dix.huit milles de la ville la plus rapprochée. La vallée'n'est ras grande e!te a deux milles de )ong sur trois quartsde mille de large; FaYantage de cette dispoMba coK~teen ce que toutes les fa~iHes qui y résident composentunegrande farttille, qui est personnellement connue à vosregards et intéresse \otre affection des degrés divers.Les montagnessont de vraies montagnes, dont ia hauteurvarie entre trois et quatre mille pieds; ie cottage est uncottage et non, comme le dit un auteur spirituel, « uncottage avecdeux écuries et, comnne je doi$ le représen-ter dans son état d'alors, c'est une maisonnette blanche,enguirlandéede plantes fleuries, chobics de tel~ sorte queles fleurs se succédentsur les murs, entourera -s fenêtresdepuis le printemps )usqu'& l'été et l'automne,en commen-

Le eom~ et la vaU~e dont il s'agi! dans cette description ue sontpoint !mas"Mi''es. h vallée AoFt à cette <'poque une des aimi<b)es Ya))<eiidu G) asmtre: le cottage fut habité pendant plus de vingt am de suite partno!,qHlyrt.np)f{<nWort)$wort)ten tScs-Pour expliquer la r~terveqHcjefitisc;) écrivant était, le lecteur f.edemMtdtMcn quoi le temps peutavoir sh~r~ iaf beamt dH Grasm~re. Les va))~e5 du Westmorejand<er.'ien:-e))M sujettes à gritoonfr ? Lecteur, <<s: là un triste somenit-pour plusieurs d'entM nous. 11 y a trente ans une bande de Vanda)e5(j'ignore)enr6 noms grâce au c'cl) sous prétexte de faire une route carros-sable qui n'était nu!)cfnent nécessaire, transporta au prix de 3,ooo livresque cela co& à )a paroisse trompée, un horribte chaos de Mocs de granit,qu'c))eaiig[Msur trois quarts de mille tout au travers de cette charmantesuccessionde retraites forestières et de pudiques abris du iac, bord~ defougèresiacompnrftbies.entre autres, de !'MmM):da )'~t)!;$.Cetasiie i5o)&du lac de Grasmere est décrit par Wordsworth qu'il lui apparut unmatjn de Mptc'nbre, dans le charmant poème, des noms de <ct<.);. C'estde là tnMre, je veux dire de ce po&fM de cette couronne magnihque det'Osmanda, qu'est inspira ce vers; le plus beau des vers pris à part donton se souvienne distinctement:

Oà ffdMte du lac,t ~fSfsolitaire <« bords c/M)!f&par les vieilles romances.

y<t~is dottc raison de faire cette t<ser\e. Le Gra~mete avant cet<m!rt« et t<Gr.nn<Ère qm-ini Stteeedait étaient deux v&tit~e! biendifférentes.

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çant par les roses de mai et Unissant par le jasmin, Maisnous ne sommes pas au printemps,ni en été ni en automnenous sommes dans l'hiver, sous son aspect le plus farouche.

C'est là un point très important dans -la science du bon-heur. Et je suis surpris de voir que les gens, quand ils sefélicitent de ce que l'hiver vient ou s'en va, sont satisfaitsde ce qu'il a été ou sera probablementdoux. Je pétitionne,au contraire, tous les ans, pour qu'il y ait le plus possiblede neige, de grêle, de gelée, d'ouragande toute sorte, autantque le ciel pourra en fournir. Assurément chacun connaîtles divins plaisirs qui vous attendent au coin du feu, enhiver, les lumières allumées à quatre heures, les tapis defoyer bien chauds, une jolie main pour servir le thé, lesvolets fermes, lesrideauxtombant à grosplissurle pencher,pendant que la pluie et le vent font rage et bruissent audehors.

Et semblent crier à travers les portes et les fenêtres,Commes'ils voulaient confondre le ciel et la terre;Mais ils ont beau faire, ils ne trouvent pas la moindreentrée;Aussi notre repos n'en est que plus doux sous les voûtes

[massives.]a /e<A~MK~a~M~o~;tc.

Te!~ sont les éléments de la description d'une soiréed'hiver; il n'en est aucun qui ne soit familier à tous ceuxqui sont nés sous les hautes latitudes. Et tous ces raffine-ments ne sont mûrs que quand le temps est orageux ouinclé-ment de façon ou d'autre. Je n'ai pas de préférencepour quele temps soit neigeux, d'unfroid noir, ou qu'il fasse un venttel que, comme le dit M. Ctarkson, l'anti-esclavagiste, l'onpuisse « s'y appuyer le dos comme contreunpoteau?. Jemecontenteraidé la pluie, pourvu qu'il pleuve des*chiens etdes chats, ou, comme disent les marins, « des canons et desëpissoirs », mais il me faut quelque chose dans ce genre,sans quoi je me trouve déçu en quelque point. Pouraucil'hiverm'imposerait-il une si forte dépense en bougies, char-

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bon, etc, si je n'ai pas les avantages qui en résultent ? Non,il me faut pour mon argent un hiver canadien ou russe,partout ou l'homme partage avec le vent du Nord la pro-priété de ses oreilles. En vérité, je suis épicurien au pointde ne pouvoir savourer pleinement une nuit d'hiver,tantque la Saint-Thomas n'est pas passée depuis longtemps, etlorsque l'hiver commence à prendre une direction fâcheusedu côté du printemps en fait il doit être séparé de lalumière et des rayons du soleil par un épais mur denuits bien noires. Ainsi donc, partons de la premièresemaine de novembre pour aller à la fin de janvier; le soirde Noël sera là ligne méridiennequi servira pourle computde la saison du bonheur, laquelle,selon moi, fait sans appa-rition au salon avec la bouilloire à thé. Le thé, n'endéplaise à ceux qui le tournent en ridicule parce que leursensibilité nerveuse est émoussée, ou devenue telle parl'effet du vin, à ceux qui sont insensibles à l'effet d'un sti-mulant aussi délicat, le thé sera toujours la boisson favoritedes gens intellectuels. Pour moi, j'aurais fait alliance avecle docteur Johnsonpour faire ~c~MHt tM~rMectHMM à JonasHanway ou à tout autre impie qui voudrait le déprécier.Mais ici, pour m'épargner la peine défaire une trop'longuedescriptionverbale, j'introduirai un peintre et je lui don-nerai mes instructions pour qu'il achève le tableau. Lespeintres n'aiment pas les maisonnettesblanches, à moinsqu'elles ne soient fortementbarbouillées par le temps, maiscomme le lecteur sait maintenant qu'il s'agit d'unc soiréed'hiver, nous ne demanderons les services du peintre quepour l'intérieurde la maison.

Peignez-moi donc une chambre de quatorze pieds surdouze, dont la hauteur ne dépasse pas sept pieds et demi.Voilà, lecteur, ce que ma famille nomme assez ambitieuse-ment le salon; mais comme il est forcé de a jouer deuxrôles o, onle nommeaussi et plus justement la bibliothèque:il se .trouve~en effet que les livres sont le seul article surIcoue! te <.<H!" ~}n% r'ch~ ("M m<*s voisins: J'~n <r!V'r<M*

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cinq mille que j'ai rnssemblés un à un depuis ma dix-hui-ticme année. Donc, peintre, mettez.en le plus que vouspourrez'dans h chambre; bourrez la de livres; de plus,peignez-moi un bon feu, un mobilier simple et modeste,comme il convient au cottage sans prétention d'un lettré.Près du feu, représentez une table a thé, et comme il estcertain que personne ne viendra nous voir pendant cettesoirée orageuse, mettez seulement deux tasses et deux sou-coupes sur le plateau à thé, et si vous savez commentpeindre une chose de ce genre, symboliquementou autre-ment, peignez une théière éternelle, – éternelle a parteante et a parte. post, car j'ai l'habitude de boire du thédepuis huit heures du soir jusqu'à quatre heures du matin.Et comme il est désagréable de faire son thé ou de le verser,représentez-moiune jeune et jolie femme assise a la table.Que ses bras soient comme ceux de l'aurore, que son sou-rire soit celui d'Hébé. Mais non, chère M. n'insinuonspas, même en plaisantant, que la lumière que tu répandsdans mon cottage soit subordonnée à une source aussipassagère que la simple beauté physique, ou que l'enchan-tement de ton sourire angélique puisse être saisi par unpinceau terrestre Aussi, mon beau peintre, laisse cela pourun objet plusta portée; celui qui s'en rapprochele plus,ce sera moi-même. Représente le mangeur d'opium, avecclepetit récipientd'cr contenantla pernicieusesubstanceplacé sur la table à côté de lui. Quant à l'opium, je nem'oppose pas à voir un tableauqui le représente; faites-le,si vous voulez; en tout cas, je vous apprendrai qu'un< petit récipient », quel qu'il soit, ne sera, même en !8t6,ce qu'il faut pour mon dessein, qui était bien éloigné del'époque de l'imposant Panthéon et de tous les apothi-caires «mortelsou autres ». Non, bornez-vousâ peindre lerécipient tel qu'il est, non en or, mais une simple carafede verre, comme il convient à un être sublunaire. Unjour,par une suite d'exp~ncRees bien conduites, j'ai décou-vert que c'était une carafe. Vous y mettrez un quart de

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laudanum à couleur de rubis, et en plaçant à côte untivre de métaphysique demande, on saura centinementq~ je suis tout près. Quant à mon portraitmetne, j'hérite.J'admets que je devrais figurer au premier plan dans letableau. Etant le héros de la pièce, ou, si -vous préférez,lecriminelà la barre, je devrais être en personnedans !a salled'audience. Cela parait raisonnable, m~h pourquoi me Õ

conf~tserais-je sur ce point à un peintre ou à qui que ceso!t f Le public, a ForciHe de qui je murmare confiden-tiellernent ces confessions toutes privées (ce que je ne faispas pour te peintre) pourrait peat-ètre M représenter lemangeur d'opium sous un aspect agréable il lui auraitattribué avec une disposition romanesque, un extériearé!egant, une belle figure pourquoi lui arracher cruelle-ment une iKusion aussi charmante ? –* Charmantepour lepublic comme pour moi. Non, peignez-moi, si vous me pei-gnex~ selon votre fantàisie, _.et comme la fantaise d'unpeintre se plaît à de belle créations, je ne puis, de cettemanière, qu'y gagnerbeaucoup.

Maintenant, lecteur, nous avons parcouru successive-ment les dix catégories de ma situation, telle qu'elle étaitvers .ïStu-ïy, année jusqu'au milieu de laquelle j'estimeque j'ai été un heureux mortel. Voilà les éléments de bon- ;c

heur quûtje me suis efforcé de mettre sous vos yeux dansl'esquisse ci-dessus d'une bibliothèque de lettré, dans uncottage montagnard, par une soirée orageuse d'hiver, peu-dant que la pluie bat avec une fureurvindicative contrelesfenêtres, par un temps si noir que vous ne verriez pas =

votre main si vous la placiez entre vos yeux et le cie!.Mais il faut dire adieu, un long adieu au bonheur, soiten

hiver, soit en été, adieu aux, rires et aux sourires, adieu àla paix de l'esprit, aux rêves tranquilles, aux consolationsbénies du sommeil. Voilà plus détruis ans erdctmrque~tout cela s'enfuit loin de moi. Ici comme-nce l'Iliade demes- maux, et levais entrer dans la période des Torturerde l'opium. h

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LES TORTURES DE L'OPIUM

*At)t*tqa'B<t~dp<i"!t'ttretttp<MMtpinetMdMn.UnMireturdatrtni-blement~!e te et de i'~dipM.

(Sxet.t.E)r.)~fft'~t'r/~t!m.)

Lecteur, qui m'avez accompagné jusqu'ici, je dois faireappel à votre attention, avant d'aller plus loin, sur lesremarques suivantes.

Vous êtes déjà averti, je l'espère (sans cela vous auriezune opinion peu favorabledema logique), queues torturesde'Topium, sur!e!que!!es je m'étendrai conformément autitre ci-dessus, se rattachentà mesanctennes souffrancesdeLondres, et par celtes-ci à celles que j'avaiséprouvées plusanciennement encore dans les Galles; qu'elles ont avecelles un lien naturel, en d'autres termes que mes premièressouffrances ont engendré les plus récentes. Sans cela, cesconfessionsseraient coupées en deux parties sans aucunrapport réciproque, dont la première serait le récit desmalheurs de mon enîance, la seconde tout à fait indépen-dante, ;ïe récit des souffrances consécutives aux excèsd'~p~Ms. Ce? dcmr parties. n'auraient aucune connexion,sumn le fait bien peu important qu'elles appartiennenttoutes deux à !a même personne. Mais un peu d'attention~S~paurtcomTer combien cette connexion est étroite.

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Cespriv&tionsendurées soit dans les Galle;, soit à Londres,

partant sur l'organe te plus faible de mon systèmephysique, c'est-a-dire sur l'estomac, eurent pour effet dèn-nitif l'état maladifet irritable de l'estomac qui m'amena àemployer l'opium comme le seul remèdeassez puissant pourme soulager.

Voila qui fournit un lien satisfaisant entre les deux par-ties de mon récit.

L'opium n'aurait jamais été probablement élevé à ladignité d'auxiliaire quotidien et viager, s'il ne m'avait

pas prouvé qu'il était l'unique agent capable de calmer les

tortures que m'avaient laissées mes privationsde jeunesse.Par là un M~n<t, tel que celui de la cause et de l'effet, estassez bien établi entre le premier récit et le second, entreles souvenirs de mon enfance et ceux de mon âge mûr. 11

n'en faudrait pas davantage pour montrer l'unité de toutesces confessions. Mais, bien que cela ne soit pas nécessaire,il se trouve qu'un autre bien digèrent rattache ensembleles deux récits distincts. Le seul phénomène par lequels'exprime l'opium, le seul phénomène qui soit communi-cable, consist&dansles rêveset principalementdans la scènequi les entourait, sous l'influence des abus d'opium. Maisil .est naturel que ces rêves et le décor dans lequel ilsss'accomplissaient tirassent leur structure et leurs maté-riaux,. leurs masses d'ombre et de lumière, de cesprofondes révélationsqui avaient été si fortement gravéesdans mon coeur, de ces traits creusés à l'eau-forte que lesimmenses foyers de la vie de Londres avaient sculptés ensouvenirs éternels sous la dure influence, de' la détresse.Aussi il est certainque les anciennesépreuvesde mes fautesen{antines,eurentpourrésultat non seulement de me con-duire' indirectement- a l'opium, mais encore de gouvernerles phénomènesprincipaux de ces expériences définitives.Tel est donc le résumé le plus sommaire de l'ensemble dela situation: l'objet final de tout ce récit aboutit .aux rêves.C'est en vue de'ceux-ci que se dirige toute ia narration.

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Mais queUe était la cause des rêves ? C'était l'opium em.ployé avec un' excès sans exemple. Quelle était la cause deces abus dans l'emploi de l'opium ? C'étaient ces souffrancesd'autrefois celles-ci, seules, avaient cause lesdérangementsqu'ellés avaient laissés derrière elles dans l'économie orga-nique. En exposant la situation de cette manière et par-tant de !a fin pour remonter au commencement,je fais voirqu'il y a un lien ininterrompu et unique entre toute cettesérie d'expériences; en premier, en dernier lieu, les rêvesétaient l'héritage laissé par l'opium, l'opiumétait l'héritage

hussé par mes folies d'enfant.

Vous trouverez peut-être que je suis trop confidentielet tropcommunieatifau sujet de ce qui meconcerneperson-nellement.,Cela est possible. Mais ma façon d'écrire con-siste surtoutn penser tout haut, à suivre mes dispositions,plutôt qu'à me demander qu'il est mon auditeur. Pourpeu qu'eje m'arrête à me demander ce qu'il est convenablede dire, je me demanderai s'il est convenable de dire quoique ce soit. En réalité, je me figure que j'écris à une dis-tance de vingt, trente, cinquante ans du moment pré-sent, soit pour être agréable à ceux qui ont bien vouluconserver de l'intérêt pour moi, soit en vue des personnes(en grand nombre, et en nombre qui croît sûrement tousles jours), qui prennent un plaisir inextinguible auxmystérieux effets de l'opium. Car l'opium est ~r~Mjf,mystérieux au point parfois d'être en contradiction aveclui-même, – si mystérieux qu'après en avoir usé si long-temps, et souvent même abusé, je continue à me tromperdans les conclusions de plus en plus éloignées que je sup-pose à un certain moment conformes à la vérité. Voici cin.quante-deux ans que j'emploie l'opium comme une res-source magique contre toutes les sortes de souffrancephysique, je puis le dire,sans autre interruption que quel-

ques p<H-'<x~ de quatre bu six mois, pendant lesquels pardes efforts extraordinaires de volonté, je suis parvenu

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m'en abstenir eompietement A part ces intervalles, etquelquesautrciunterruptions,essai:Je brouilleavec l'opiumau commencement de ma. carrière, je puis dire quej'ai expérimente l'opium pendant un peu plus d'un demi-tiecle. Quêtât donc mon avis définitif sur le bien ou !emalqu'il peut produire ? La question porte surdeux tendancescapitales que l'on attribue populairement, et tort, ilropium, savoir la prétendue nécessite d'en prendre unequantité toujours croissante, ainsi que l'affaiblissementcorrespondant qu'on suppose dans son pouvoir et son eSi-cacite. Quelle est donc mon.opinion ~inate et précise surcesdeuxhorribles défauts? Le lecteur sait que, quand nousamTonsA quaranteans, nous sommes fous ou œëdeans, a

'<~M) est le rcsdtxt <a<), 'c'ttt ce q«e )t ne saurais dire. !a~6t{aHe*ateut.ttpi~s deïetits fictoirc~, ayant bien pesé toutes ~es tons~quehee-.pouf ou contre, je r<tcu) nais de pt) ti prit à !'t'e de l'opium. Mois <:<;

N'était pas Mn; de grands ehangetneMtt accomptis <H fitence dsns !)Mtxtni~M de prendre l'opium, changements dus A ces luttes rt)t<)-<Ste.. L'unde ces tbMgemcnt': consista en ce que Ja quantité qui n~Hsit t~eKMircdinu)).~ peu t peu ~Ms des propor~oM énormes. Selon t'expressionemptoyee ~aas ]e Slang, au a~i)ieu de tM carrière, comme jmaHgeurû'opima,}'Ma~'a);consomme une quantité 'fabuteuse t. Cette quantiténon d'optant en nature, mais de ieh)turc, connue communément sous lenom de hnaanata, devait & 8,000souties par jour. Ecrivez cette ~ttan-ntetnthi:rre5arabes, et vous verNzaupremierconpd'œi! qu'elleformaitt8 doses de t ooo gouttes, oa Soa doses de !o gouttes, ou enfin 80 doses detoo gonttes. Une seule dose de too~outtetfempHrt une de ces cuillers àthé tomme les faisait autrefois, et ejtume on les trouve encore chezles pauvres tn habit noir. So de ces doses auraient tenu dans 80 de ces

*cui))crs tmtedno'ienaes,ea d'aut~-es termes, dans an Mpite),teit tBt tunipour trois<entv:agtma).tdet~jat'es.Mtis la cuiller àthéemp!oyee dansee jm*siècle, est presque aussigrande que la cuiller à dessertde nos ateux.Voici comment je m'es suis reada compte. Pexditat le xvtU' eieeîE, qutndte ~ie ~mmericaà ~tre CMMu par la classeeuvfiepe, les &m~es seules enpren<tM'ut{ les hommes, même ceux qc! t;tt:ent bien élevés persis:eren[le plus M~u~ent, )<nqa*& Révolutionfrançaise,à traiterune telle boisson<vec mépris, comme ineipide ett<M)M ~owr ]<s jfetMtes. Cet ettêtementdans les habitudes mtKtdiBes gouv~Mit M:r~tement ia fabrication descui))eri. à thé. Jusqu'à Water)oo, les cuillers & thé étaient faites tur hmesure ces bouches Kiau)t')M ~pa! an gmta pre&t~e~*t!)« extio-na~e~ le sexe p!M hâ)~ <t p't<tsgrotster t'ctfuat rej à peu if.is~ealler à cettehabitude enemic.ee de bo:re du tlié, la dimension des cuiiters à thé s'aug-menta ea ifue des gueules de cormoran qui se penchaient sni Jes piatesu\

~'m6aaBS€MBOuVent-i~MMMM.

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ce que dit ie proverl~e de nos ancêtres (/co/ or pAywM~).Apparemmentnos dignes aïeux visaient à l'allitération etécrivaient pA~t'n'~R avec un Et p~. jrquoi pas ? Lep~Me d'un homme est incontestable, bien que la ma-nière de l'écrire soitsujetta à quelques améliorations. Maisje présume que ce proverbe signifiait ceci qu'à cet &ge onpeut exiger d'un homme qu'il accepte la responsabilité desa propre {santé. U est donc de mon devoir d'être, en cesens, un médecin, de garantir, autant que la prévoyancehumainepeut garantirquelque chose, ma propre santé cor-por&Ue, Quant à c<la, j'y ai réussi, à m'en rapporter auxtémoignées pratiques et ordinaires. Et j'ajoutesolennelle-ment que, sansl'opium, je n'aurais pas atteintce but. JI y atrente-cinq ans, je n'en doute aucunement, que' je seraisenterré! 'Quant aux deux alternatives du dilemme popu-laire, dont la première est qu'il faut renoncer a l'opium ouen prendre chaque jour une quantité indéfiniment crois-sante la seconde que même en adoptant une échelle crois-sante, il faut se résigner à une efficacité toujours décrois-sante, et à la condition désespérante de descendre enfinau martyre du buveur de liqueurs fortes, je me pose enadversaire résolu, et je nie carrément toute cette doctrine.Quand je débutai dans la carrière de l'opium, je le fis avecune grande inquiétude; devant mes yeux bottaient lesimages claires et sombres, selon mes dispositions du mo-ment, des buveurs de brandy, que j'apercevais souvent surla limite du deiirium tremens. Je poursuivais l'opium sousl'influenced'une inexorable nécessite; je le voyais commeune puissance inconnue, mystérieuse, qui me conduisait jene savais où, comme un être capable de changer sou-dain d'aspect sur cette route ténébreuse.Je vivais habituel-lement sous l'impressionde terreur que nous avons tous~prou Me. quand on nous racontait les histoires de cerfs,ou prétendus cerfs, qui se faisaient poursuivrepar un chas-seur à cheval pendant plus d'une lieue, jusqu'à ce qu'ilsl'eussent égare dans les profondeurs d'une forêt sans

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.bornes; alorsle retour étant impossible, ils s'évanouissaienttoutcoup, laissant l'homme dansune épouvante extrême,ou bien ils prenaient une forme encore plus redoutable.Une partie du mal que je redoutais se réalisa en effet, maisla seule cause en était mon ignorance, ma négligence desprécautions nécessaires, ou la grossière insouciance al'égard de ma santé, relativementà certainsdnngers que jeconnaissais fort bien, mais dont j'appréciais mal l'impor-tance et la gravité. J'étais tempérant c'était mon seulavantage,mais sous les séductions endormantesde l'opium,je me laissais altéra une vie absolument sédentaire, alorsque je croyais armement qu'un exercice violent était tout-puissant contre toutes les sortes de faiblesse ou d'irritationnerveuse de nature obscure.

Le récit de mon accablement,et de mon état toutà faitdésespéré, tel qu'on le verra dans le paragraphe suivant(n° 3), est une description ndele d'un cas réel. Mais enattribuantcet état à l'opium comme :t une cause suprêmeet prédominante, j'avais parfaitement tort. Vingt joursd'exercice, une promenade de vingt fois vingt milles, ùraison de trois milles ou trois milles et demi par heure, àun pas ordinaire, m'aurait lancé aussi vite qu'un ballortdans les régions de l'excitationnaturelle et hygiénique,où l'abattement était un phénomène impossible. 0 ciel icomme l'homme exagère ou néglige ses tcssources natu-relles 1 Mais le lecteur rénéchi se dispose à dire qu'il fautdistinguer entre ces ressources naturelles, et l'opium, res-source qui, loind'êtrenaturelle, est.artincieUe au plushaut degré, qui est même absolumentopposée à la nature.Je pense autrement; me fondant sur une expérience vasteet qui dépasse peut-être toutes les autres, m'appuyantaussisur mes expériences incertaines, qui ont varié 'de toutes

.les manières possibles, de façon acculer la solution danstous les angles successivement, j'énonce les trois proposi-tions suivantes, dont aucune n'est connue du vulgaire, etla troisième,qui ne tarera nos a ~n-eé'abHe, a une impor-

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tance nationale, je veux dire qu'elle est relative non-emaladie héréditaire en Angleterra.

En ce qui concerne l'accroissement morbide de l'ha.bitude chez le mangeur d'opium, habitude qui, unefois enracinée dans ~économie, étendrait ses tentaculescomme un cancer, il n'est pas en mon pouvoir de meprononcer d'un ton d'oracle sur le cas en question, c'est-à-dire sur le danger apparent d'une telle pratique, etde préciser par quels degrés on nrrive ordinairement audernier terme; cependant je voudrais pouvoir le faire.Etant un oracle, mon désir serait de me conduirecommeun oracle, et de ne pas éluder les questions faitesconvenablement, comme Apollon les éluda trop souventà Delphes. Mais dans le cns particulier qui se trouvedevantmoi, l'accidentde mon voyage par mer en présence de cetorage contrariait l'évolution naturelle du problème soussa ibrme la plus dangereuse. Je me sentaistrop mal à monaise, en reconnaissantla conditionviolemmentartificielle àlaquelle j'étais parvenu peu à peu grâce à des quantitésinconnues jusqu'alorsdans l'usage de l'opium; les ombresde l'éclipsé étaient trop noires et trop effrayantes pour nepas m'effrayer, et provoquerde ma part un effort convulsitpour reconquérir le terrain perdu. Cet effort, je le fischaque pas que j'avais fait dans la fausse route, je le refispatiemmenten sens contraire. Aussi j'empêchai la catas-trophe naturelle et spontanée, quelle qu'elle pût être, parlaquelle lapuissante Nature seseraitévertuéeà redresser lestortsquiluiavaient étéfaits. Mais quelle fut Inconséquence?Six ou huit mois plus tard, sous la nouvelle influenced'une insupportableirritation nerveuse, je m'embarquaisencore pour aller dormir sous l'effet de l'opium. A droite,à gauche, en haut, en bas, j'allais ainsi sùr cette mer acci-dentée une année après l'autre, « Balancez-vous » disait

B.tttace~fM)' C'~r !*?'eHr. voa: n'M~: p.uc!.u!nd'an oractepour apprendre que cela vient d'une Ytei))echan5ond6 nourrice, qi! peu-

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.Margery !)<tW, qui vendit son lit pour acheter de la paille.C'est ainsi que j'allai de trxver~, à l'exemple classique deMiss D~w, montant et descendant pendant des années,exécutant les manœuvres les plus compliquées, les dansesles plus difficiles, m'éloignnnt, me rapprochant de monsoleil central, l'opium. Tantôt je courais grand danger à

mon périhélie, tantôt j'étais antraine plein d'effroi, dansune orbite comëtaire, dans un ophelie de six mois où lesmotopium était inconnu. Queptnsait la nature de ce mou-vement d'escarpolette ? C'est un mystère absolu pour moi.L'irritation nerveusem'oMigeattparfois âd'enrayantsexcès,mais ia terreur que m'inspiraient des symptômes imprévussurvenant tôt ou tard, me raa~enatten arrière. Cette ter-reurétaitaugmentée par!cs vagueshypothesesqui couraientalors ausu)etdciacomT)u<tionspontanée. Me faudrait.il quitter de cette façon le a!and& littéraire ? Selon rima-ginationpopulaire, eUc s'opérait de deux manières, maisil n'y avait guère moyen de choisir l'une ou l'autre. Lapremière,consistait à faire explosion; l'on éclatait, !a nuit,sans qu'il eut de lumière tournée au voisinage, et on nelaissait d'autres vestiges que des os, inutiles à tout lemonde, et on ne pouvait vous les attribuer que parcequ'ils notaient réclamât par personne. On s'imaginaitqu'il se formait un volcan, un amas inconnu, produit par'une grande abondance de brandy, qui fournissaitles maté-riaux de cette explotton spontanée. Cela faisait reculer lacrédulité de beaucoup de gens, et on expliquait la chosepar une hypothèse plus plausible, attendu qu'il fallait leconcoursd'une aHamette-bougœ.Sans une matière incen-diaire, on ne prenait pas feu. ~ous royons quelquefois lesmains des buveur~invétérés répandre un nuage de vapeursalcooliques asse:,épaisses pour plonger les mpachcs dans

t)aRt longtemps< résisté & la critique, à la colèrecontre-lesennemi!: deQ~w, –à la pitMpourDaw elle-même, si honteusement misesurja pai))e.<tquiateca.)~re-~ngt6~ener.(t)Ot)s<t'Mfan:s,tn<ompt<ntrieq aa< par~Mt&t~~M ~w ~M~'

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te sommeil ou le <'omiT;<rap)Ès le même principe, onsupposait que la respiration pouvait être surchargée departicules spiritueuses, en assez grande proportion pourprendre teu quand le sujet approchait de sa bouche uneallumette pour allumer la pipe qu'ihenaitentre ses lèvres.Alors, qu'est-ce qui pouvait empêehcri'"élémentdévorant »(ie feu, dans le langage des journaux) de pénétrer par lagorge dans la poitrine; celle-ci, n'étant pas assurée.l'hommeétait perdu, cela va de soi. L'opium, dira le lec-teur, n'estpas de l'alcool; c'est vrai, mais il pourrait bienêtre encore pire, en dënnitive, si l'on s'en rapportait al'expérience. Coleridge, le seul homme que le publicconnaisse comme familier avec l'opium, comme en prenanttous les jours, par système, et pendant bien des années,ne pouvait être considéré comme l'historien sincère de sesprogrès. De plus, Coleridge vivait dans l'illusionperpétuellequ'il était sur le point de s'a<ï'rancMr de l'opium, et il enétait arrivé à avoir un motif extérieur pour se faire cetteillusion. Etant sur une route soHtaire et mal famée, quiconduit a un point que ne peut m'indiquerl'expériencedepersonne, je devins extrêmement défiant, et .si la natureavait ourdi quelque trame pour fairf: un exemple sur moi,j'étais résolu à la berner. Aussi je ne suivis jamais lesséductions de l'opium jusqu'aux dernières extrémités.Néanmoins, en échappanta ces extrémités, je me heurtai àâne découverte aussi importante que si je ne les avais pasévitées, après !a première ou la seconde victoire dans cettelutte, je reconnus qu'il m'étaitimpossiblede persisterpen-dant plus de quelques mois dans l'abstinence de l'opium,m&is je remarquaique la tyrannique exigeance de sa domi-nation décroissait de beaucoup à la longue; les dosesnécessaires étaient notablement inférieures, et, après laquatrième victoire, qui me coûta des efforts encoremoindres, je m'aperçusque non seulement la dose quoti-dienne câpresla rechute) é.MttdJmi)w~4)MM u'KpTTp'~Mnénorme, mais encore que si j'essayais de revenir à la dose

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primitive, il se produisait des symptômes nouveaux, c'est-à-dire une irritation superficielle de la peau, qui ne tardaitpas à devenir insupportable,et tendait a m'eu détourner.En quatre ans environ, sans beaucoup d'efforts, ma rationquotidienne était tombée d'elle-même, d'une quantité quivariait de huit, dix ou douze mille gouttes de laudanumla celle de trois cent. Je parla de laudanum, parce qu'unautre changementseproduisitparaltèttementacelui'ia, c'est-à-dire que l'opium employé sous la forme solide exigeaitun tempsassez long, et de plus en plus long pour dissémi-ner sensiblementses en'ets, temps qui allait parfois jusqu'àquatre heures, tandis que la teinture opéraitd'une manierainstantanée.

l'ai donc atteint une position du haut de laquelle je puisme prononcer avec autorité, et donner le résultat d'uneexpérience longue, anxieuse,vigilante. En admettant qu'ilfasse des efforts sérieux, quoique intermittents, pom-s'imposer des périodesd'abstinence, le mangeur d'opium

s'assure une enthanasie naturelle, et inévitable, par lapratique de l'opium employé avec le plus grand excès.11 y a des années, quand j'esquissais légèrement ce sujet,j'annonçaiun fait qui dès ce moment m'était connu., savoirqu'aucune période d'abstinence, fût-elle de trois jours desuite seulement, n'était perdue. Dix grains retranchés aune dose journalièrede cinq cents, font un total respectableau bout de plusieurssemaines, et l'on verra qu'ils modifientle résultat final, même en comptant sur une année. En cemoment, après un demi-siècle d'expériences et d'oscilla-tions, sans autres eHorts ou tentatives d'abstinence, endehors de celles que j'ai faites sérieusement de plusieu-sphases, cinq ou six en tout,.pour me délivrer du jougd::l'opiur.i, je me suis retrouvé a très peu de chose près dansle même état qu'au débutde cette longue période, On ra- 1conte de lord .Nelson que, même après le Nit et Copen-hague, illui Miait, quand i!tcpr6nait!a vie nayal?.pfvar ila dette que la nature exige des plus jeunes mousses/ou des

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mathurins les plus neufs, je veux dire :& mal de mer. Celaarrive un grand nombre de matelots, ils ne retrouvent lepied marin qu'après avoir passé quelques jours à bord. Ilen arrive autant aux vétéransde l'opium,quand, après cettelongue interruption, ils reprennent avec lui l'anciennefamiiiarité et trop brusquement. Je mentionne ce fait,comme preuve de l'immense changementqui s'est accom-pli, que dans ces derniers cinq ans, je me suis senti pâlir,que j'ai éprouvé des avertissements qui m'annonçaientunmalaise de ce genre, pour avoir pris vingt grains d'opiumau: plus. Maintenant et depuis quelquesannées, je me con-tente ordinairement de cinq ou six grains par jour, au lieude trois cent vingt on quatre cents. Terminons cette revueen disant que le pouvoir de l'opium comme anesthésique,mais plus encorecomme calmant pour les sensations ner-veuses et irrégulières,n'a pas subi jusqu'à présent la moindrediminution, et que s'il a par hasard déployé son ancienneforce pour punir de quelques peines légères quelque inat-tention ordinaire h l'égard des règles, il a gardé intact sonprivilège primitif d'engourdir l'irritation, et de favoriserles efforts qui dépassent la limite.

Ma première proposition revient donc à celle-ci – ledessein de secouer les biens de l'opium, dessein que biendes gens regardent comme une tentative désespérée, n'estpas seulementexécutable, il s'accomplit avec une facilitéqui croît à chaque effort; il est favorisé, activé par lanature, qui emploie des voiessecrètes, qu'on ne soupçonne-rait jamais si l'expérience ne les prouvait. Sans doute c'estune triste recommandation à faire pour louer un remèdequi a des prétentions aussi étendues, que de dire qu'entriomphant de la faiblesse humaine, on peut s'abstenir delui. Ce serait gagner peu de chose que d'obtenir un servicenégatif, que de profiter d'un rabais sur un agent, jusqu'àce qu'il fût démontréque ce rabais a pour effet de tronhtpr,de neutraliser les grands bénéfires positifs, qui dépendentdes effers de cet agent. Quels sont les avantagesqui sont

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subordonnésfopium etqu!méritenmn nom tel q~.t celuid*bé~6cM?

Qu'om me permette de dire brièvement, d~ns la secondeproposition,que si le lecteur avaitvu croître, dansuneforetde l'Amériquedu Sud, an. puisant fébrifuge têt que l'écorce

J~x!<« (le quinquina), il n'y aurait sans doute accordequ'une légère attention. Pour en comprendre la valeur, ileût Mu qu'il souffritd'une fièvre intermittente. De l'écorce,cela lui paraîtrait peu ~urel comme stimulant, mais il sedirait qu'une fièvre :rce ou quarte n'est pas un obstaclemoins oppose a!a nature, à l'égarddes forces humâmes, etil finirait par se persuade que denx causes opposées à lanature peuvent converger ~'ers un résultat très naturel ettrès salutaire. L'irritation nerveu$e est le bourreau secretde la vie humaine, et sans dout~ il n'existe aucun moyen<tM< de la maîtriser, si ce n'est l'opiumpris tous les ]our~et avec des précautions énergiques. ·

Mais l'importance de ma troisième proposition est d'unpoids plus dcc:sJ encore. Savez-vous, lecteur, quelest Je fléau (je parle au point de vue physique) de laGrande-Bretagne et de l'Irlande? Tous les lecteurs quis'intéressentaux choses médicales doivent savoir que c'estla phtisie pulmonaire. Lorsque vous vous promenez dansune forêt à une certaine époque de l'année, vous pouvezapercevoirune marque de peinture blanche faite sur l'élitedes arbres, qu'on signale ainsi au forestier pour qu'il lesabatte. Cette marque-la, si le monde ténébreux consentaità révéler ses projets,onlaverrait aussi distribuer se:, indica-tions éloquentessurles jeunes hommes et les jeunss femmes.Parmi ceux qui, selon l'expression de Péricics. forment le~rts<c~K~de la population, quelte prodigieuse proportionserait celle des personnes qui-porteraientsu:' le front cettemême marque désolante, ou tout autre symbole d& consé-

.'?"<Mt- 't*~ t<M*%)M? p!t"t'é<: ~M*~ M4K"<

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en songeant à la boucherie annuelle qui prendra ses vie*times désignées dès leur naissance principalement parmiles enfants pleins d'errance,et qui décime impartiale-ment tous les rangs de la société. La taxe du revenu, lataxe des pauvres est-elle aussi régulière dans sa répartitionque l'impôt paye par 'OM<M les classes, ce florilegiuni, quimoisonne les fleurs Stries par 'a nielle, et par fout? Alorssurgit la questionpleine d'angoisse, qui perce tes cœurs detant dé milliers de familles N'y a-t-il aucun remède ? N'ya-t-il aucun moyen de pallier ce mal ? Ne perdez pas uneseconde Il reHéchir sur ce vain sujet, quand celui qui parleest armé. d'une autorisation qui est régulière pour un motifou un âutre. Représentez en votre for intérieur combienune pauvre mère aurait de force méprisante, si, auprès du.cercueil de sa nUe, elle pouvaitcroire ou s'imaginerque desvestiges de scrupuleusectiquette, de superstitionsnées avecnous, que la terreurd'un mot, un vieux préjugé tradition-nel, a neutralise une chance de salut sur mille pour s:.fille, a pu s'interposer entre la malade et une guérison sût'cet parfaite, – cela étant une possibilité pour cite, mais unecertitude paur moi, ainsi que je pourrais le lui dire. Elles'écrierait dans son indignation K Qu'importe qui dit lachose, du moment que la chose elle-même est vraie f o Cequ'il faut, c'est le mot puissant et sûr, quelle que soit labouche qui le prononce. Qu'on me permette d'énoncer unfait bien connu toute consomption, bien que latente dansl'économie, et révélée par des caractères visibles dans laconformationcorporelle, ne se manifeste pas forcément parun état maladif, jusqu'à ce qu'une sorte de « refroidisse-ment », de bronchite, d'affection banale de la poitrine oudes poumons forme un point de départ pour le développe-ment morbide~. La faute mortelle consisTc en une seul.

H existe un cas parallèle, qui ce termine aussi fatalement parfit mort,mois dont l'évolution s'opère dans un cercle étroit. H y a cinquante ans,6irE\'<r.'rdHome, chirurgien dnpiusgrjnd mérite, signaiait, d'après son~xpMt~t<<~H~<sM;sdc!Mn~ds:~)-tM:

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chose, laisser ce développement se produire; le seul secretqui puisse l'arrêter consiste à entretenir, à provoquerpar tous les moyens possibles la perspiration insensible. Hsumt de savoir dirigerune fonctionconstantede l'économieanimale voila le talismanmagique pour mettreen dérouteles forces liguées contreles grandsorganesde !a respiration.Des affections pulmonaires,si on ne leur permet pas de sedévelopper, ne peuvent persister sous l'action continue etcurative de cette force magique. En conséquence,il suffitde se demander quelle est la substance puissante qui pos-sède cette action, puissance comparable à celle du « filsd'Àmram s etparlaquelleonfaitjaillirdesruisseaux salubresqu'on tire, pour la guérison, d'un tissu d'ailleurs dèsséché,aussi aride que les rocs de la solitude. Je n'en connaisqu'une qui réponde à cette nécessite, c'est l'opium. Unedame de Londresme donna l'occasion de soupçonner obs-curémentles effets de cet agenténergique.A cette époque etdepuis quelquetemps, elle donnait l'hospitalitéà Goleridge,pour lequel elle avait des égards tout filiaux. Aussi ellen'ignorait pas qu'il avait l'habitude de prendre de l'opium.Un jour, pourrépondre à une observationqu'elleme faisait,je lui demandai à quels signes elle reconnaissait queColeridge serait incapable d'écrire, ou, pour mieux dire, de

se livrer à aucune occupation littéraire, elle me répondit< Oh 1 je m'en aperçois fort bien au brillant de ses joues.La figure de Coleridge, ainsi que le savent ceux à qui elleest connue, présente des joues d'une vaste surface, tropvastes pour l'expression intellectuellede ses traits, si l'effetd'ensemble n'étatt racheté parce.que Wordsworth appelait

simples tubercutesd~ l'aspect le plus banal, qui, après être restées trenteans et plus sans causer le moindre désagrément, étaient lésées de lafaçon la p)us 'egere. par le rasoir. Que s'en suivait-il ? Une fois dérangée,cette excroissancebanale devenait un cancer bien défini. Se produit-il unecatastMphe analogne dans le système pulmonaire, quand elle est ac(t'<:edans son développementpar une cause occasionnelle,et cette catastropheMt-e)ts MMMede rester ât'etat-de meuace invisible MX yeux iuexperi.memet ? Mais, d'autre part, il y a des milliers de cas où eUe epparaitra.

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son front divin. Grâce à cela, il n'était pas de joues quioffrissent, qui montrassent aussi largement leur état, etspécialement leur éciat sous l'influence des excès d'opium.Pendant plusieurs années, je laissai cela sans y réfléchir,ou sans pouvoir m'expliquercette splendeur faciale. Enfin,soit e'~<ù MM/M, soit par quelque indication médicale,j'en vins à comprendre que cette face brillante, aussi res-plendissanteque celle de l'antique demi-Dieu païen. Escu-lape, devait son éclat h la simple accumulationde la pers-piration insensible. A cette heure, h l'heure mémorable oùje fis cette découverte-la, j'en fis une seconde. Ma proprehistoire, au point de vue médical, contenait un mystère.Au début de ma carrière comme mangeur d'opium, j'avaisété regardé comme une future victime de la phtisie pul-monaire, et l'on me l'avait dit plus d'une fois. Bien que lesconvenances humaines eussent toujours lait accompagnercet arrêt sur mon sort de quelques paroles dont la formeétait encourageante,qu'on m'eût dit par exemple que lestempéramentsvariaient l'innni, que nul ne pouvait nxerdes limites aux ressources de la médecine, ou, défaut desremèdes, aux forces curatives de la nature seule, il n'enfallait pas moins un miracle pour m'ôter la conviction quej'étais un sujet condamné. Tel était le résultat définitif deces communicationsagréables; il était assez alarmant, et ledevenait encore plus pour trois motifs. D'abord cette opi-nion était formulée par les autorités les plus dignes de foidu monde chrétien, savoir les médecins de Clifton et dessources thermalesde Bristol, qui voient plus de maladiespulmonaires en un an que tous leurs autres collèguesd'Europe en un siècle; cette affection, comme je l'ai dit,était un fléau tout à fait propre à la Grande-Bretagne, caril est dépendant des accidents locaux du climat et desvariations continuelles que subit celui-ci. Ce n'est doncqu'en Angleterre qu'on pouvait l'étudier; pour approfondircette étude, il M)ait même visiter les en'iroc: de Bristol;en effet, les malades riches se rendaient de tous côtés dans

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le Devonshire, dont 1< température ctabMmée et les ventsdominants permettent de garder en pkin air les myrteset autres arbustes toujours verts, tn~ae pendant l'hiver. !is'en suivait qu'en se rendant a<t Devonshire, tous lesmalades s'arrêtaient à Clifton, jf'y demeurai d'une, manièrecontinue; aussi plus d'une fois, et d<: l'avis des autorités desplus compétentes, le jugement qui me condamnait fut pro-noncé. En second Heu, ces Médecins étaient convaincus

par une circonstance extrêmement fâcheuse de huitenfantsque nous étions, jetais le seul qui eût hérite de laconstitution corporelle d'un père mort phtisique à l'igeassez }eune de trente-neuf ans. En Troisième lieu, le pre-mier coup d'oeil montrait à un médecintous les symptômesde la phtisie fortement et visiblement marqués. JLe teinthectique de la figure, les sueurs nocturnes, l'embarrascroissant de la respiration.

E~ laissant de côté la question de savoir si cette habitudeaugmentait réellement les risques, en tout cas cette aug*mentation du risque pouvaitet devait être évaluée commetoutes les autres. De nouv elles habitudes s'établissaientdans la société; je le savais fort bien. Les antiques organi-sationspour les intérêts de l'assurance sur la vie, seraientcontraintes, par l'influence de telle ou telle conditionurgente, à s'adapter à des circonstances nouvelles. Si lesanciennes sociétés étaient assez sottes pour persister dansune obstinationaussi mal dirigée, il s'en formeraitde nou-velles. L'histoire delà questionse présentaitsous les pointsde vue suivants Il y a seize ou dix-septans, toutes les com-pagnies exprimaientla plus viverépulsionpour les mangeursd'opium. En cela le premier venu devait dmpprbuver lesprincipesde leurconduite. Les buveurs invétérés de brandyn'éprouvaient cas de refus. Et pourtant l'alcool expose àdes da'~ers journaliers, par exemple celui du <~trn<Mt

<reMe?)S. Or, on n'a jamais entendu dire que l'opium aitcause lé ué!!tiut-tt ttëmens. ~'un cot~,il-y a"d~ ~Mg~fscertains et connus sur la route; d'autre part, en supposant

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qu'il existe des dangers correspondants, il faut les recon-naître. Mais les compagnies n'auraient pas même honored'un regard ceux qui, comme nous, se présentaient ens'avouant mangeurs d'opium. Je pense qu'en ce qui meconcerne en particulier j'aurais cté regardé comme l'abo-mination de la désolation. En peu de mois, quatorze com-gagnies refusèrent d'admettre ma candidaturea une assu-rance sur la vie, sans donner d'autre raison que mon aveude manger de l'opium. Cette assurance n'avait pas grandintérêt pour moi, mais elle en avait pour bien d'autrespersonnes, Et je me contentai de répondre Dans dixans, messieurs, vous arriverez à mieux comprendre votreintérêt. Moins de sept ans après, je reçus une lettre deM. Tait, chirurgien au corps de police d'Edimbourg.m'y rendaitcompte des recherchesqu'il avait faites officieu-scmenta la .demandede deux ou trois sociétés d'assurance.Au commencementde cette période de sept ans je savais,ou j'avais de fortes raisons pour croire que l'habitude demanger de l'opium se répandait largement et danj desclasses sociales fort éloignées les unes des autres. Cettecoutume devait avoir pour première conséquence d'obligerles compagnies d'assurance a réviser leurs antiques etétroits règlements. Elles avaient cédé à cette nécessite, etles effets premiers de cette révolution s'exprimaient a mesyeux dans les feuilles qui m'étaient transmises aussi obli-geamment par M. Tait. Son but, tel que je le compris enrecevant ces renseignements,était simplement de rassem-bler des notions, des suggestions, des réserves, des doutes,comme on pouvait les attendre d'un homme qui avait iait,comme moi, des expériences aussi raisonnées que nom-breuses sur l'opium. Très malheureusement, pendant lacorrespondance que nous échangeâmes, ce gentleman futenlevé soudainementpar .une attaque de fièvre typhoïdeil mourut après une très courte maladie, me laissant unfËgret~tr~rMfncMvif.

J'avais bien des raisons de regretter cette mort. Ne le

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connaissant que par la correspondance fort intéressantequ'il avait engagée avec moi, je m'étais persuade quej'avais beaucoup à attendre de M. Tait, esprit philoso-phique, ennemi résolu du cant traditionnel. Il avait racontédans les communications qu'il m'avait faites, l'histoiredétaillée avec une rigueur inquiète et scrupuleuse,de plusde quatre-vingt-dixsujets. Il s'était impitoyablementrefuséa toute tentation de confondre les maux attribues enpropre à l'opium comme stimulant, comme narcotique,comme poison, avec ceux qui lui appartiennent commesimple cause de constipation, ou d'autres troubles sansimportance de l'économie animale. Bien des personnesd'habitudes sédentaires, surtout parmi celles qui sontadonnées aux travaux de la pensée, ont besoin de quelqueagent qui remette en mouvement le balancier du systèmeanimal. La négligence de ces moyens aura ibr.cément poureffet de troubles la santé, mais ces dérangements ne sontnullement imputablesà l'actionspéciale de l'opium. !I y ades milliers de causes qui peuvent produire un effet idcn.tique et plus durable, si elles ne sont pas combattues avecvigilance. La mission spéciale dont M. Tait était chargé,d'après les instructions des compagnies d'assurances, etcomme je l'interprétai d'après ce qu'il m'apprit lui-même,consistait a donner des conclusions précises et décisivessur les effets de l'opium en tant qu'augmentant ou dimi-nuant la longueur de la vie. Au moment où ses relevésfurent interrompus par cette fatale attaque de fièvre, iln'avait pas entièrement terminé l'exposition de tous les cas;aussi n'avait-il pu prononcer un jugement définitif sur cetensemble. Mais la direction qu'aurait suivie son esprit nem'en apparaissait pas moins avec évidence. Il eût, sansaucune hésitation, conseillé à ses clients, les compagniesd'assurances, de s'exempter de toute inquiétude au sujetdes tendancesde l'opium à abréger la vie. Mais il aurairdirigé leur attention vers un autre sujet; il leur eût faitvoir que dans beaucoup de cas,.ona des moufs raisonhaMcs

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de soupçonner l'opium, non que séparément et par lui-même, il sou la cause de certains maux, mais parce qu'ilfournit.une ind~fion conjecturale de quelque processuscaché, d'une irritationqui s'est enracinéedans un système, etdont on a cherché en lui !esou)ngement:dans ces cas, l'usagede l'opiuma été nonpas une cause, mais un ctTet, attendu qu'ila été employé comme remède curatif. ou palliatif Dansdételles circonstances,le bureau d'assurance est en droitd'exiger la révélation sincère de la maladie, mais il n'estpas autorisé il considérer l'opium comme étant la maladieeUe-même ï! a pu facilement arriver ce qui suit l'excita-tion ressuscitante produite par l'opium, le pouvoir qu'ilpossède de mettre l'homme en état de fournir douze heuresd'efforts continus et inusités, et cela soudainement,c'est-â-dire pris une heure avant qu'on soit averti de la nécessité dece travail, cette faculté d'exciter aussi bien l'esprit que laforce, ou simplement le désir'de se débarrasserde l'ennui,du /Mtt! M'~t', voilà bien des motifs dont un seul peutsuffire pour expliquer le recours à l'opium. On pourraitrépondre au bureau d'assurance par ces paroles du profes-seur Wi!son « Messieurs, je suis un Hédoniste, et si vousvoulez savoir pour quel motif je prends de l'opium, voilà cemotif. Mais chaquefois qu'on demanderaità un candidats'il pren~ de-l'opium, le bureau d'assurance se conduiraitavec prudence, avec justice en ajoutant la question pour-quoi » et s'informantdans quelles conditionscette habitudea commencé. S'il s'agissait d'une lésion locale, cela donne-rait naturellement au bureau le droit de réclamer un exa-men médical. En dehors de ces cas particuliers, il. étaitévident que ce chirurgien pénétrant et expérimenté nevoyait pas dans l'habitude de l'opium ta moindre raisonpour hésiterà conclureun traité d'assurances sur la vie, onpour exiger une annuité plus élevée.

Le professeur Witson a fabriqué le mot anglais d'Mdoniste (chercheur<}en!ai;!r)n!«"n)'q" *")" q'àd'S'rt:,dan: !r:prc;!iM qu'itfaisait pour pt~isMter.

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Je m'en tiendrai I< Le lecteur va conclure de ce que jeviens de dire que to.it ce j'ai dit autrefois,dans des époquesoù j'apercevais confusément et incorrectement les funesteseffets de l'opium, est rétracte. Mais en quittant !a tâche deredresser une erreur largement répandue, par lafaçon inexacte dont je concevaisautrefois!avsritc, je laisseles choses dans l'état où elles sont. Mes vues généralessurles effets et les tendancesnaturelles de l'opium ont eu lachance d'être soutenues et confirmées en tout ce hasardd'unecorrespondanceavec un hommecompétent. Quant àma doctrine propre, je la réitère uu moment de finir, etsous une forme facile à se rappeler. Lord Bacon a dit, 'vectrop de hardiesse, que celui qui trouverait le moyen derendre la myrrhe soluble dans le sang, posséderait lesecret de la vie immortelle. Je propose un charme d'uneformeplus modeste celui qui découvrira le secret destimuler et d'entretenir sans'interruption la perspirationinsensible,aura trouvé le moyen d'enrayer la phtisie pul-monaire. Je quitte ici mon rôle de médecin pour reprendrele cours de mon récit.

Mes études sont maintenant interrompues depuis long-temps. Je n'éprouve aucun plaisir à lire pour moi-même, jepuis peine supporter un moment la lecture. Cependantil m'est arrivé maintesfois de lire à haute voit pour l'agré-ment des autres, parce que le talent de la lecture est unequalité que je possède. Pour employer le mot de talent(accomplishment)danslesensqu'on luidonnedansle slang,c'est-à-direcommequalitésuperncielleetmondaine,ce talentest le seul que je possède.Autrefois, si j'avais consenti à faireprofiter ma vanité de quelque don, de quelque privilège,c'était de celui-là, car j'ai remarqué qu'il n'en est pas deplus rare. Les acteurs sont les gens qui lisent le plus mal.John Kemble lit sans produire de l'cfîct, bien qu'il ait ungrand avantage, celui d'être un lettré accompli. Sa sceur,l'immortelle Siddons, bien qu'elle lui soit supérieure paria voix, produit encore inoins d'cnct sn lisant, ~tte n'a de

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succès qu'en lisant des ouvres dramatiques, Je l'entendislire le Pj~~M~cf~H, à Bartey-Wood; son échec futpitoyable, aussi pitoyable que les apphudiss~meMs hypo-crites de la société qui l'entourait, et qui, cela va snn:'dire, était absorbée dans une admirationpresque muette.Mais je pense que le dédain qu'elle éprouvait pour soncercle d'admirateurs est a peine justifié. Qu'auraient pufaire les pauvresgens ? Déjà, par cela seul qu'elle s'efforçaitde conquérir leurs sunrages, qu'elle s'exposait a un juge-ment, il y avait de la part-de Miss Siddons un acte de con-descendance, après lequel une appréciation impartialen'était pas permise. J'éprouvai le besoin de m'adresser hMiss Siddons en ces termes « Vous qui avez lu devant lafamille royale-à Windsor, vous qui avez même été invitée J

à ycM <TMcotr pendant votre lecture à Windsor, vous êtesdeso'mah une personne privilégiée, à qui la védté ue sau-rait parvenir. Nos sentiments, n'étant pas libres deprendreune expression naturelle, ne sauraient être pris en consi-d'éruHon. Permettezque nous gardions!e silence, au moinspar respectpour la dignité de la nature humaine. Et vous-même, restez silencieuse, au moins par respect pour ladignité de cette voix toujours incomparable.» – Ni Co!e-ridge, ni Southey ne lisent bien les vers. Southey méritel'admirationen touteschoses, excepté en celle-là. De mêmeque Coleridge, il lit commes'il criait, ou du moins avec unaccent de lamentation lugubre. En généra!, on lit la poésiesans aucune passion, ou bien on l'exprime d'une manièreexagérée. Si j'ai jamais éprouvé de l'émotion dans ces der-niers tetaps, ce fut grâce aux plaintes sublimes de « Sam-son .4g'OK:~M ou aux grandes harmonies des discoursde Satan dans le Paradis reconquis, lorsque je me leslisais à moi-même à haute voix. Nous sommes loinde toute- ~ii!e, mais une jeune dame vient quelquefoisprendre le thé avec nous. Quand elle joint ses prières a.celles de M. je leur lis des fragments de poèmes deWurustfurut. Je dirat en passant quc.Wordsworth est le

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seul poète à qui j'aie entendu lire ses propres vers, et sou-vent en vérité il s'en acquitte admirablement.

Je crois que, depuis deux ans environ, je n'ai rien lu etrien étudié. Les.études analytiquesveulent une applicationcontinue, et non un travait à bâtons rompus, et des étionsfragmentaires. Tout cela m'est devenu insupportable, j'y airenoncéavec un sentimentd'impuissance~ de faiblessè-enfaii-tine qui me cause une angoisse plus grande encore, quandje me rappelle le temps où j'y trouvais mes plus chèresdélices. Un autre motifconsiste en ce que j'avais consacré lelabeur de toute ma vie, dédié mon intelligencetout entière,fleurs et fruits, à une tâche lente et assidue, à la construc-tion d'une oeuvre unique, à laquelle je m'étais enhardi dedonner le titre d'un ouvrageque Spinoza a laissé inachevé,c'est-à-dire De jE'H!CM~!OKeAMW~n/M~~ec/M. Le voilàgisant, comme pétrifié par le froid, pareil à un pont espa.gno},.âun aqueduc entrepris sur un plan trop vaste pourles ressourcesde l'architecte au lieu de me survivre commele monument, de mes désirs tout au moins, de mes aspira-tions, de. mes longs travaux, consacré a ennoblirla naturehumaine parle moyen que Dieu m'a donné pour atteindreun but aussi grandiose, il restait là, pour apprendre à mesenfants l'échec de mesespérances, la railleriede mes effortsleur montrer un entassement de matériaux inutiles, de~fondations destinées à ne jamais recevoir un édince, ladouleur et l'écrasement de, l'architecte. Pour m'occuper,dans cet état de faiblesse, je m'étais tourné vers l'économiepolitique;mon intelligence qui jadis était aussi active, aussiinfatigable qu'une panthère, ne pouvait pas, je suppose.tomber au dernier degré de la léthargie,.tant que je seraisvivant. L'économie politique offre, à une personne dansma situation, un avantage qui se concilie ovec sa nature descience éminemment organique, je veux dire-qu'en elle il

n'est pas de.partie qui n'agisse sur l'ensemble, et de mêmeque chaquepartie.reçoitdel'ensembleun effet et une réac-s h~ v1<~ i,w Ty iB v r P ·?PPP (YÎP1tion; néannMin: chnqne partie.peulêtre dé'achée ?t de'e-

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nir un objet distinct d'étude. Si profond que fût l'accable-mentde mesfacultés à cette époque, je ne pouvais pourtantpas oublier ce que je savais. Pendant tant d'années, monintelligence avait vécu dans l'intimité des austères penseurs,de la logique, des grands prêtres de la science elle ne pou-vait rester sourde à l'appel retentissant par lequel l'écono-mie poétique, traversant alors une crise, demandait denouvelles lois et un législateur transcendant. Tout à coup,en t3t8; un- ami d'Edimbourg m'envoya le livre deM. Ricardo me souvenant du pressentimentprophétiquequi m'annonçait la venued'un législateur de cette science,je me dis, avant d'avoir terminé ie premier chapitre c Cethomme, c'est toi L'étonnement et la. curiosité étaientdes émotions depuis longtemps mortes en moi. Cependantje fus émerveillé encoreune fois, émerveillé de voir que jepouvaissubir encore une stimulation qui me portait lire;je fus aussi émerveillé du livre lui-même. Cet ouvrage pro-fond avait-il été réellement écrit dans le choc tumul-tueux du xtxe siècle ? Pouvait-il avoir pour auteur unAnglais, non pas un homme abrité par les cloîtres acadé-miques, mais accablé par les soins mercantileset parlemen-taires, et qui avait exécuté ce que toutes les universitésdel'Europe, ce qu'un siècle de pensées avaient. agité sansle faire avancer de,l'épaisseur d'un cheveu Les écrivains.intérieurs ont été accablés, enterrés sous des massesénormes de faits, de détails, d'exceptions M. Ricardo avaitdéduit à priori par l'intelligence seule, des lois qui pen-chaient comme des lèches lumineusesdans le noir chaosdes matériaux; il avait ainsi édifié ce qui n'était qu'unecollection de discussions préliminaires, et en avait fait unescience aux proportions régulières, posée désormais surune base éternelle.

Voilà ce qu'avait fait un seul livre d'un homme profond;j'en ressentis un plaisir, une activitéque je ne connaissaisplus depuis des années; cela m'excita même à reprendreiapiume,6ùdumoins a dicter à M.qui écrivait, îi me

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semblait que quelques ventes avaient éclxppe à l'feU« inévitable » de M. Ricardo. Elles étaient, pour la plupart,d'une nature telle que jepourraisleur donner une exprtMtonconcise et claire en même temps que brève et ëlë~ote enles mettant sous des symptômes algébriques, ce qui auraitforme tout au plus la matière d'une brochuft. Avec AL..pour secrétaire, même cette époque, incapable comme jel'étais, d'un effort total, )'esquissai d<MM mes « Prolé-gomènes pour tous les systèmes futurs d'Economie poli-tique

Néanmoins cet eS'ort ne fut q~<M< aamme passagère,commela suite le prouva. Des ftfTMgements fa rentprisavecune impnmerie deprovince t environ dix-haitmiHesdeHafin de publier. Un compeateur surnuméraire fut engagépour quelques )oucsdM& ce but; l'ouvrage fut m~meanncncé deux fois )'e<t!s pour ainsi dire prisonnier de mesengagements.Man M me fallait écrire une préface, un hom-mage que ;evott!aMaussi expressif que possible, à M. Ri-cardo. Je me trouvai absolument incapab'ed'exécuter toutcela. Les afnutgements furent contremandés, le composi-teur renroye, &t mes Pro~o~~M~altèrent dormir auprèsde leuxtréres aînés et plus importants.

En décrivant: et détaillant ma torpeur intellectuelle,j'emploie des mots qui s'appliquent plus ou moins à toutes

parties de ma vie pendant lesquelles j'ai habité les pro-fondeurs circéennes de l'opium. Si .;l'on en excepte l'étatde misère et de souffrance, je puis dire que j'ai vécu de lavie d'un dormeur. Je ne pouvais que rarement parvenir àécrire une lettre; répondre en que'ques mots à celles que)< recevais, voilà le maximum dont j'étais capable,, etplus d'une fois je le fis alors que la lettre traînait depui&des semaines, et même des mu:s, sur mon bureau. Sansl'aide de ? quel qu&f&t I~sort de économie politique,mon économie domestiqueserait tombéedans des embar-ras inextricables. Je ne ferai plus allusion aux détails de

cc*tt s~rre; cit eat uu cependant dont Jt& ma.n!eur

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u optum sentira a ta un tout le poids, toute la cruauté, c'est.cette incapacité. cette'faiblesse, ce sont ces incidents em-barrassa.ms qu'amené h né~ngence, la disposition a ren-voyerà demain l'accomplissement de !a tache d'aujourd'hui,c'est le remords qui doit rendre plus cuisantes les piqûresde ces ennuis pour un esprit qui en a conscience. Le man-geur d'opium conserve intactes toutes ses sensibilitésmorales, toutes ses aspirations il veut, il souhaite aussiardemment que jamais la réalisation de ce qu'il croitpossible, de ce qu'il sent comme une exigence du devoir,mais son intelligencel'entraîne infiniment au delà de cequ'i! considéreraitcomme son pouvoir réel, non seulementau point de vue de l'exécution, mais encore <~e la réflexionet de la décision. Il gît sous un incube, un cauchemarlourd comme un monde, il git en présence de tout ce qu'ilbrûle d'accomplir, ilest dans l'état d'un homme que la para-lysie tient enchaîne dans son Ht, dan& une langueur mor-telle, et qu'elle forcerait de voir insulter ou déshonorer lesêtres qui lui sont le plus chers. Il donnerait sa vie pourpouvoir se lever et marcher, mais il est aussi impuissantqu'un enfant et ne parvientpas mêmea faire un effort pourse mouvoir.

De là je reviens a ce qui forme l'objet réel de ces dernièresConfessions, à l'histoire et au compte rendu de ce quiavaitlieu dansmesyêves;ils furenten effet les causes immé-diates et prochaines des terreurssombresqui occupèrent etremplirent mon existence même pendant l'état de veille.

Je m'aperçus pour la première fois d'un changementim-portant survenu dans cette partie de mon organisationphysique; quand je vis reparaître ua état de l'ceil, qui estassez fréquentdans l'enfance. Je ne sais si mon lecteurcon-rait le phénomène en question il consiste en ce que beau-coup d'enfants ont la faculté de se représentercomme desobjets réels, dans l'obscurité, toutessorte&da fartt<Chez quelques-uns, cette faculté est une simple aSection

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dans la structure de l'n~l d'autres au controtreont le pou-voir voton~ireou à dewi volontaire d'appeler ou Je fairedisparaître ces sortes de fantômes Un enfant que ;'inter-ro~eaiacepropot me répondit:«Je puis leur dire de venir,et ils viennent, mais ils ne s'en vont pas toujours quand jeleur dis de s'en nller. Il H possédait dans un se~l sens unpouvoir aussi indéfini sur ces apparitions qu'un centurionromain sur ses soldats. Au milieu de t8fy, cette facultéprit chez moi un développement qui me Mettait au sup-plice la nuit, pendant que j'étais, couche sans dormir, devastes processions déniaient devant moi sans interruption,avec une pomps funèbre, ou c'étaient des frises d'his-toires interminables dont les détails étaient aussi tristet,aussi solennels pour mon esprit que s'ils eussent ététirés des époques antérieures à Œdipe, à Prian), aux villesde Tyr, de Memphis. En même temps que ce phénomènese produisait,un changementcorrespondant s'opéraitdansmes rêves. Un théâtre s'ouvrait tout à coup et s'illuminaitdans mon cerveau, m'on'rant des spectaclesnocturnesd'unesp!endeurpi"sque terrestre. Les quatre faits qui vont suivredonneront une idée de ce que je remarquai u cette époque.

t. H semblait qu'a mesure que croissait la faculté créa-triçe de mon regard, il se développait une sympathie entrel'état de veille de mon cerveau, et son état de rêve, en cesens tout ce qu'il m'arrivait de faire apparaître et de des-siner par un acte volontaire dans l'obscurité devenait unélément actif dans mes rêves eux-mêmes. Aussi je finis parne-plus exercer ma faculté qu'aveccrainte.

De même queMidas changeaittoutes chosesen un or quitrompait ses espérances et raillait ses désirs tout humains.

tous ies objets susceptibles d'être représentes parle dessinapparaissaient. dans l'obscurité pour peu.que leur idae fûtévoquée par mon esprit, et se transformaienten fantômesvisibles. Par un enchaînementquisemblaittoutnussifatal,"i!* "va!<a* e*é de:nK: en. trx:;sTsgscs c: jfsnias-

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tiques, tels que ceux qu'on n-jce avec une encre -.yn)p~-thique, ils reparaissaientdessines de nouveau par !a puis-ante chimie des rêves, et avec un éclat insupportaMt: quime donnait un serrement de cœur.

a. Co changement et d'autres qui s'accompUrent dansmes r&ves furent accompagne:,d'une an.~ois~e profondémentsituée, d'une metancotie funèbre, et telle que les mots n~sont pas cnp.tbiex de t'exprimer. tno semMnit que chaquenuit, je descendais – et j'emploie ce mot du descendredans un sens littera! et non mcMphorique, – dnns des~outfras, des abîmer s;m:. ~o!<i!, pmfundem~ qui ~uccc-daient à d'autres profondeurs, et dont je n'espérais jamaispouvoir remonter. Et même a mon réveil, je n'avais pas lasensation d'en être sorti. Pourquoi m'etendrc sur ce sujet iLa sombre tristesse qui accompagnait ces chlouismmsspectacles, ttouvaitson expression finale dans l'obscuntu,comme celle d'un découragementqui porte au suicide, etaucun mot ne saurait l'exprimer.

3. Le sens de l'espace, et à la nn le sens de la duréefurent modifiésavec la même puissance. Des édifices, despaysages, etc., se montraient dans des proportions si vastesqu'elles dépassaient la limite du champ optique. L'espaceflottaitet s'ampHHai! en étendues inexprimablesqui se suc-cédaient l'infini. Cela me troublait beaucoup moins quelevaste agrandissement du temps. Parfois je croyais avoirvécu soixante-dix ou cent ans dans une nuit, parfois mêmet'avais la sensation d'une durée supérieure de beaucoupà toutes les bornes de l'expérience humaine.

4. Les plus petits incidents de l'enfance, des scènesoubliées qui dataient des dernièresannées, étaient ressusci-tés. On ne peut dire que je les rappelais à ma mémoire, carsi on me les avait décrits pendant mon état de veille, jen'aurais pu reconnaître en eux des fragmentsde mon exis-tence passée.Disposés comme ils l'étaient devant moi, dansdes rêves semblables a. des intumons, revêtus de tous leurs.

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d~nui<i fvanoms, de tous tes Mnu'.ucnts qui !es avaientttc~tnp.~n~, je k<. r~'t'Mo.u'~j~' jnimediat~nent. Une demeA pare'ues me raconta un )our~n'ct~itcn)ant,eU(. tombadans une rivière, ou ctte ctait sur !e point df p'ir. quandon \'int son seenn)~, nu demier tnomcnt o'!nquequ'a!w. t'])o vit en un Jcinh' snn existence entière, nvcctnus ses incidents cubiic; rept'c~-ntec devant et!~ con~mcdans un nnn'ir, et ce)a nt')) par t~)'!eaux sueees~ita, maisen un scu! t.tb!~u, ~c)]e sentit u:t!<rc ~oudtunemcnt ~ne])o une ï'nhj d~' ~.ush- I'e)tSt'm!e et Mus !es uctaUs

!n~e J: ce f~it xm~r~t~He <~it une petite ft!)< d'<nf)ron neufaut; il ett bien <'ttt.th< qn't!)<' s'ttt pfj~e autant qu'ot) peut )t foirt,M)r ~i du <rt!frt Je la mort, ttT~y'.nt ~<tn, – <tu)«nt. dx-jt. <ta'.t

p!t !e f.):'j <) ~)!<: hunxm ~ut <n t!'< t<t'c:!M et .< pu Meomer M:* *<u-.t-(::);«. JJ)< t)m'<;ntj'.«)np!n'-'ie quattt*vi)'st-di\«)'. A MtHcd~Cttn'<n)0~)f. tt j< )"n-< dire ~'<Ue q))<: ?au!- um i~j'p"Tt~ c'e!.< u~c);:n:T)C<).ti po~t~-tit dt~ qu.t)i(t< rc!))''rquitt'!<t t! tnt<;ft~ti!M. P<n.i<))ttUKie M ioit~'te vi< e))e jouit d'une !<utc p-d~Mt, eomitx ie)ect<:nr!e\n.i p)ns )r')n. K')'' ~v.'it nm h)'d)is<c.: t~ttc )!).)-.cn)h)c, re~'icMit laVt'rit-i a~t ~n< i')~)!),;i!e, ':t )n.:i) <i! un<: vie s:tixttn);!tt ;'u~;r~ qui eûtxit iM')nc.n' //«.M;f oftfi ~)«< (~s mut< '.outii:n~ <dnt dt t'tio'Ht!.J~ )n:!))io)U)f:tes !t. it'. M.xf~e fu~temen:xnr.~t~ t<.ux *dn mMCtctC. afin.j.x )c !c-'[;nr)' p. .t <.thc nne j~ut a'tt tx~<'[a!i<))s du )).)n.tttn)', .t

-.iocdutt~ cmhoHn.~te, :\t'<;m)~ui inconsidéré dc$ )))ot' Qu.o.'ntc-ctoq.u~ 'cCt)'))trente~tre M r'!cit .]!Mnd t!)c me !c iit j'o~r h j'ttnucte tb~,c[ M '-KJode a.ftTJ<t'!t p.)s un iota t'c s'~t.)i! de,'i.)f~ parmi )e:i circons-t.u'.cf: p~t 'ut d~tt) n'.tv.ttt variv, t) p;t!t q't'i) t~t. ï.t !!ci!))e K )'~M ~<

dernieM d;s v.'tMM.cci)c qu'ot srcx on Mmmer.tit dttCM, et e~ an~Lus~(rtU.tiici. N:.) ~tMhn'n.nnMt'htbit;'it; mCmetn picin ;our.t)ie';tait'(:!)< tirt; A cet!<so):tude i-c ocrait joint le siicncc, nn~icbruit d'un ruis-~ttu. <ititit étroit, et n'avait de ta p.ofondeur qu: p.'r nccident, et il)w.it im p~e~ des petites cotiines. L'cuf.tnt «imb.) danx ceruisn:upro-~.)!))eme!)t A t'endroit où <e tro.)".)it m) Je SM iond~. Si tout te fût p.-t~s~tomntcA rordifuirc, e))e Eu! bien j);u de ctisoccii d~ Mtut; il.t\'tit: t.\~ne )n )i'-on d'habitation.mais un )cpii dit soi en cachait )a ne. !.e tcmp-.que i'cnf.u)t rcM.) dani l'eau ));: fut p.tS t'objct d'une en.Htcte soigneuse.onuetefutqut<i".<nd)e souvenir &'en <t!titperdue unedotn-'stiqu:.aux soinsdshqn~itet'e.'f~nt était conttee, avait un interct Mtnre! obs<:ur.;ir ce~dt'taits. n'aprcs le r~cit de t'enfant. il !cmb)e que !)i.p))yxie était d.jAMmm:n:c. Un moment dt )nttt: et de smToMtionmortel se p.«M dam unetjemi.eonsc~cncc, i)~it p)ace 4 ix sensation d'un choc ~hr ou t!'t:M )s ee;-Ye:u, spre! quci itn'y a p)))S ni tt'tteui Jou'eur; alors pasM un ~c!ni:-~Noui~ant de lumière, auqne) suceMa immédiatement cette sotcnnette;)psc~); pose d: tonte t'existenceccou'ëe.Heurensement )aehmede)'enfr.ntc'~m la t:<;M imit ~tc vmp.ir un fermier qui tenait .t bti) f;ue)que$

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Ce!a jne par.ot vrai, d'xpt'~ quetquM expériences deFopium. J';)i vu ien~me fuit atnrme deux fois dans desnvres modernes, et ac<:ompa~no d'une remarquesans doutefondée, sitvùh que !c terrible livre de comptes dont parlentles Ecritures, existe remuement,n'est autre que reprit dechaque homme. H est au moins une chose certaine pourmoi rien ne tombe: dans un oubU parfait les traces unefois imprimas dans la mJmoiresont indtUcbiies. AUnc acci-dents peuvent e't doivent interpusc!' un vt)i)e entrù la con-science actuelle et !e4 secrètes in~Cfiptions de l'esprit m:usvoilée ou découverte, rin~~tiption subsiste indcnnuncm~t musique les ctoiks semblent d!Sp~)\n(rc avant lulumière ordin:urcdu jour, mats nous savons que c'eM cettelumière qui s'étend devant elle:; comme un voile, qu't-HesKttcnd<tnt pour redevenir visibles quecette !umiere du jourqui les obscurcit se retire à son tou)-.

Aprc~ avoir indiqué ces quatre faits qui caractoi~aientt"cs reveset les distinguaientnettoient do ceux de ht santé,je vais citer quelques exemptes propres a les cctairer: j'ençitcrai aussi d'autres dont le souvenir m'est resté, ann quele lecteur puisse se lcs représenter comme tes peintures duplus grand en'et possibfc. s'

Dans mn jeunesse et depuis, j'ai toujours aime a lire Tite-Live c'est celui des historiens romainsque je préfère tantpour le style que pour le sujet. J'ai souvent éprouve unfrisson a ces mots sotenuelsqui représentent si fortementla majesté romaine, ces deux mots qui se trouvent si fré-quemment dans Tite-I.ive CewM/ t-ow.7;:xy et surtoutquand le consu! apparaît dans ses fonctions militaires. Je

terres de cette petite solitude, et qui, par un hasard extraordinaire, taparcourait A cheva) & ci:t instant-là. ~'<;tant pas très bie~. mont~, de pins.'rtc!ë par les inies, OH d'autresobstacles qui se trouvaiententre lui et txmiere, il perdit du temps, mais aussitôtqu'U fut an bord, it s'c~ncx toutbo:teetcperonHe;il réussit à sauver un être qui s'était sans doute avancéparmi les populationsdes ombres aussi loin qne le pttn)ettent les lois dumondesoutenainquand eOes consement&]aiMer)e retour Ubre.

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veux dire p~)r lit que les tonnes de roi, Je suhuu, de re-gent, etc., en général tous ceux par iesquets on désigne leshommes qui personninent majesté collective d'un grandpeuplc, n'avaient pas au même degré le pouvoir d'exciter

en moi le sentiment du respect. Bien que mo lecture favo-

rite ne fût pas l'histoire, mes travaux de critique m'avaientfait connaître A fond une périodede l'histoireat.gtnise,cellede h Guerre Parlementaire. J'avais été séduit par la sran-deur morate de quelques hommes qui ont joue un rôle !<

cette époque, et par les intéressants mémoires qui nous

sont restés de ces temps tt'oub!Js. <))ncnne de c'sséries Je !eetures superficielles m'ayant fourni des sujet:.de rënexions, me donnait des matériaux pour mes rêves.Après avoir peint sur le fond obscur, pendantque je veinais,quelque réminiscence, il m'nuiv~it souvent de voir unetroupe de dames, parfois même un' fcte, un hal. J'entendaisdire, ou je me disais moi-même Voici les damesan~iaisesde ces malheureuxtemps de Charles1~. Voici ks fen.mes etles filles de ces gens qui vivaient en paix les uns avec lesautres, s'asseyaient a lu mémo table, étaient unis par lemariage ou !a parenté, et cependant âpres un certain jour,en août <6~2 ils n'ont jamais échange de sourires, ils nese sont plus rencontres que sur ks champs de bataille; aMarston-Moor, ù Ncwbury, à Naseby, ils ont tranché avecl'épée cruelle tous les liens d'amour, ou noyé dans le sangles souvenirs de l'ancienne amitié. :) Les dames dansaient,elles paraissaient aussi aimables que ceiles de !a cour deGeorges IV. Même en songe, je savais qu'elles étaient

Bien que le n'aie :-ous la m.'tin aucun moyen de vérifier ma conjecture)e crois que ce jour <:tait le t~ août. Ce fut ce ;our.!A ou 4 peu près queCh.tr!eil"')evai'etendard royal à Hottingham, qui fut rcnverst la nuisuivante,présage atsex Mchenx, surtout quand on considère combiencettesorte de superstitionavait de pouvoir au xvn* siècle, et panni la gcnera-tionde ce siecte.surtoutsurcelledela gueriep~rtementaire.Kemarquon-.en passant qu'on ne saurait dire un mensonge plus grave et plus méchantqu'en imputant à t'archeveque Laud une foi particulière ou exception-netteen ces avertissements muet!

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ensoveûe:: depuis près de deux sK'ele: (~cnc <~te s'~vanQuis-sait soudainement,et, en un clind'cei),j'entendaissuccederle mot terrible de CoM~~w~nM; aussitôt apparaissait,se Rtissant siteneieusement,P.)uius ou Marius, drape dansle mn~nitique patudamentum,entoure d'une co~pn~niedecenturions, je voyais !a tunique d'ecnrfato portée nu boutd'une tance et j'entendaisensuite i'atni.~mf's des Irionsfomnines.

!t y n quctquex mtnce&, jù p~rcuurais les .txt~xX~nwtt~'tt~ de Piranesi. [(~oterid~c, qui se trouvait H', medésigna une s~rie da gravures de ce même artiste, intitu!ccA~M, où il a reproduit quciques-uncs des visionsqu'it avait eues {tendant le délire d'une ncvrc. Je n'en parte

que d'après la description de Coierid~e il y en avait quirepKsentuientdp vastes voûtes gothiques, sur te sol des-quelles de puissants engins, des machines, des roues, deseaMe", des catapultes, etc., étaient disposes,exprimantuneénorme nccumulation de force ou de résistance. Hn exa-minant les murs, vous apercevez un escalier, vous ic suivexjusqu'à son extrémité, vous y apercevez Piranesi hn-mcme.Suivez l'cscancr, vous !c voyez se terminer brusquement,

sans balustrade, de telle sorte qu'on ne puisse faire un pasde p!us sans se précipiter dans les profondeurs inférieures.Que! que soit le sort du pauvre Phanesi, vous supposez dumoins que son travail prendra fin d'une façon quelconquemais regardez plus haut, vous voyez un second étage d'es-catiers, et voiia encore Piranesi, cette fois debout au bordextrême de l'abîme. Regardez encore plus haut, voici unautre escalier aérien,voici encore Piranesi dans mon deiire,toujours occupé daM sa pénibleascension, et ainsi de suite,msqu'a ce qu'on perde de vue t'escaticr incomplet et le

La <MM/}ue fï't'~)-/o!f.– C'était ainsi qu'on annonçait )e jour de labattue.

/ty<mM. Ce mot désigne )e cri poussé par !ou< tes soldats romaiMtttt tt)!'«e !u9;an[t Aiaia'aiaia i

<'

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maUtëureuxPiranesidnn$ !es.hauteur;.obs~ure~ de)< voûte.Mon architecture se composait de même dans mes revex,et les peuplait ~tvec la même fécondité ~e reproductionsindéfinies. Dans !cs premiers temps do mnm!<!adie,!essp!en-deurs de mex r~ve~ avaient surtout un caractère nr~hi*tecturc!; je contemplais des cités, des pa!a! d'une tellema~nincenee, qu'on ne peut en voir que dans les nuasesquand on est reveiitJ. J'~ntprunte h un grand po~M' unft'a~ment d'un p~ssa~o ou il décrit un spectacle qui appa-rut rëùUcMtnt dans les nuages, description d&at denombreux traits se retrouvèrent irJquemmeat dAN* mesrêves.

« !.e ape::<!M!e qu! ae ddptoya toudatnement~Mtt celui d'une puissante cité, j'oserais direunefor~: viert;o d'JJinces. se purdantau!oh),fayam vef<une profondeur tne!c!t)cuse,.se perdantau loin dans une splendeur infinie!1C't!tAit un ouasMnientdo dinmnntet d'or,avec dcsdôtues d'albâtre,de:, spires d'argent,des terrass-~ ctincctautcs, qui s'ckvnient l'une sur t'autrc,jusqu'au x~nith )A briHiuent de tMnquiUcs pavi))oriSdisposés et! avenucs, H des tours cou.onnuesde créneaux,dont les bords toujours )uobi)es [cieuses t

étaient ornui! d'ctoi!cs, illumination de toutes les pierres pr~-Voilà ce qu'avait créé Ja nature terrestre,

D'"tS'M':<! poéte. Quel ttait-i) ? Wordsworth ? pourquoi ne i'ai.jepM nommcpimhaut Cela jette une )um!&re sur l'étrange histoire de laréputation de Wordsworth. Ce fut en !8S! qHej'~fn'ts et publiai ces CtM.~OM. A cette époque, bien que le nom de Wordsworthcomnxn~tàsortir de l'épais nuage de dédain et d'outt.iRM qui l'avait ju<qu't)orséclipsé, était nëanmoiM encore peu connu. Ce fut ïeutement dix ansaprès que sa grandeurfut admise sans rlsistance etssnacontMMtfon.J'aiété, sans en excepter personne, le plus ancien de tous ceux qui' OHt saluétôt début et lui ont rendu hommage, et je repousse avec horreur toutesupposition qu'une seule phrase de moi contiendHit une intention mal.veillante,ou l'occasion d'en tirer un mot de méchancetévulgaire, à sonégard. La sublimité du passage cité parle. d'eDe-mSme. On auraiteu beaufaire le dédaigneuxen voyant le nom du poète orné dei'~pithete.~fox~,on-ajHaH senti ta disposition mai';ei))a"t<6c dissiper, finre place,i uneadmiration sympathique devant ces ve[6 ~p!<'ndides.

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a\'t:cit:*i)oir~t]~uri.du)\~u:)~nd~or)uai:<pndi)t';sut'cda,~t)r]Mbait;

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sm' tes rentes et )e!<cn)tc;) deri tnûnt'~nes, p.u'toui,i6~broui.')a)'dss'(!m;nt)'e)irJs,poursùtn'i!)nh)eretscrcnn'r~nusuncietd'iUtn'H»

Ce magninque détail: n do~!t les bnrds j'ù)~? M<o/étaient ornes d'Jtoit~s Htuait pu être c~pie dnns mes )<architecturaux, tam il s'y pr~ci)!iUt ftcquen~ne))!. Onraconte que Drydctt.et dm~!es derniet-sîcmpsjuseii man-daient de )n vinade ct'uepnurKc donncrdesrcves~piendidc~;ilseussentbien mieuxaiîeinïce but en mungeantde!'op!um ije ne me souviens pas qu'aucun poète Fait fait, exceptaroc.teur dramatique Sh:<dwc!). Dans i'nntiquite, Honorepuf.sehbon droit, {'enxc, pour avoir connu les vertus del'opium en tant que ~o~anM ~n~ c'est-a-dirc commemoyen de combattre la douleur.

A iuon tirchitecturesuccédèrentdes rêves de lacs, de sur-faces liquides il l'éclat argentin ils revinrent si souventqu'ils me firent craindre un état goutteux ou une tendancedu cerveau qui la reprMentait o&/cc<!t"?M«'M<'pourcmpioycrun terme métaphysique; je redoutais que ce fût t organemalade qui se projetait lui.mëme au dehors connue sonpropre objet. Pendant deux mois j'avais crueUement souf-fert du mal de tête, cette partie de mon corps av:)it jus-qu'a!ors été si exempte de toute atteinte de faiblesse(faib)csse physique,bien entendu)que j'avais l'habitude d'endire ce que le feu lord Orford disait de son estomac, c'est-à-dire qu'elle paraissaitsurvivre tout le reste de ma per-sonne. Jusqu'alorsdonc, je n'avais jamais connu le mal de

0~WMfn<. Ce mot, à peu pr~s inintelligible en t89!, avait unaspect fot!cme.]tscho)a5tiqu. aussi, quand U~tMtaMompagntdes~termesfamilierset techniques, il paraissait tout à fait pedantesqne. Maisd'autre part il est indispensensabtepour penser avccpreci'.ion et avec )ar-f;eur; depuis ~.S! il est devenu d'un ')Mg~ *i <r''qa-K! qs' r. ps~cesoinct'i'xcusc.

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<~<e, e'<~p!e Mus la forme des douleurji rhumat~mnie'.queje contra~'ai par monétourderic.

Les eaux changèrent peu ù peu d'aspect. Au lieu de lac.?

transparents, brillants comme des miroirs, ce furent des

mers et de:: océans. Alors apparut une modification ff-frayaute elle s'opéra lentement, comme un rouleau sedéplie,pendantdes mois, promenant un supplice prolonge i

<:n cil'et il ne m'a jamais quitté, bien qu'il reparais~ a in-tervulles plus ou moins étonnes. Jusqu'alors la figurehumaine s'était souvent mêlée à mes re\'es, mais sans lestyranniser, sans y t'senMr une influence particulière etodieuse. Maisdepuis, cette maladie que j'ai appelée la tyran-nie de )a figure humaine, commença h se développer. Peut-être dois-je en rapporter la cause a ma vie de Londres,nlorsque je cherchais Anne dans les flots de !a foule. Quoi qu'il<:n soit, ce fut dès !or3 au milieu des eaux soulevées del'océan que !a ugurc humaine se montra d'abord la merparaissaitpavée de fMes innombrablestournées vers le ciel.les unes exprimaient la supplication, la malédiction, ledésespoir, d'autres surgissaient par milliers, par myriades,par générations mon agitationétait au comble, mon espritme semblait baUotte sur les vagues de l'océan, roule dansles courbes des flots.

Mai !8t8. – Lo Malais m'a persécuté odieusementpen--dant des mois. Toutes les nuits, grâce lui, j'ai été trans-porté dans des tableaux asiatiques. Je ne sais si d'autrespersonnes partagent à cet égard ma manière de sentir,mais j'ai souvent pensé que s'il me fallait quitter l'Angle-terre pour vivre en Chine, d'après les usages chinois, avecles modes, les manières et parmi les choses et les spectaclesde la Chine, je deviendraisfou. Les causes de mon horreursont situées profondément, et il en est qui doivent m'êtrecommunes avec d'autres personnes. L'Asie du Sud, engénéral, est le pays des images et des associations terribles.Ei!e estic bercehude la race humaine; ceiasunu pour sug-

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gérer son égard des sentiments pleins d'un sombre res-pect. Mais ce ne sont pas là les seules causes. Personnene prétendra que les superstitionssauvages, barbares, cnpri..cieuses do l'Afrique, ou des tribus inférieures de quoiqueautre pays lui font une impression comparable il celle queproduisent en lui les religions antiques, monumentaies,cruelles et eompiiquces de l'Hindousian. Ln simpte anti-quité des choses de l'Asie, de ses institutions, de ses his-toires, et surtout de ses mythologie: etc., est si puissante,que pour moi )a vieillessede la race et du non) ûte toutmoyende se représenter la jeunesse d'un individu. Un jeune Chi-ne)! me semble un homme antédiluvien ressuscite. LesAngtais cux-mcmes, bien qu'ils ne soient pas élevés dansla connaissnnce de telles institutions, ne peuvent maîtriserun frisson, quand ils songent n la mystérieuse sublimité decastes qui ont coulé dans un lit u cties, et refuse de semélanger, pendant des périodes incommensurables iln'est personne qui ne se sente pénétré d'un respect reli-gieux par la sainteté du Gange, ou le seul nom de l'Hu-phrute. Ce qui contribue pour beaucoup il entretenir cessentiments, c'est que l'Asie sud-orientale est et fut pendantdes milliers d'années, la partie de !a terre ou !a vie humainefermentait le plus ardemment, la grande o/~e~M~<?M<<L'homme est une herbe folle dans ces régions. Les vastesempires entre lesquels s'est répartie l'énorme populationdel'Asie, donnent un nouveau caractère de grandeur auxsentiments qui s'associent avec tous les noms, toutes lesimages de l'Orient. La Chine, outre, ce qu'elle possède encommun avec le.reste de l'Asie du Sud, m'épouvantepar sumanière de vivre, ses usages, par cette barrière de répulsionplacée entre moi et e!!c, par des antipathies trop profondespour que je puisse les analyser. Je préférerais vivre avecdes fous, de la vermine, des crocodiles ou des serpents. Lelecteur doit pénétrer dans tout cela, dans bien d'autreschoses encore<p.~ je ne puis exprimer,s'ii veut comprendrel'indicible horreui' que me faisaient éprouver ces rêves de

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spectacle!! orientaux et de tortures mythologiques. Parl'eu'et associé de la choeur tropicatc et des rayons solairestombant h plomb, je rassemblais toutes sortes de créatures,oiseaux, quadrupèdes, reptiles, toutes sortes d'arbres et depentes, toutes sortes d'usages et d'aspects, \e!s qu'on les

rencontre dans les diverses régions des tropiques, et je lesréunissais duns la Chine ou l'ilindoustan. Par des sensa-tions associées, je ne tardais pas a introduire l'I'~yptc etses divinités dans le même ordre de faits. Des singes, des

perroquets, des cacatoès me regardaient fixement, mehuaient, me faisaient des grimaces, m'adressaient leurbabillage. J'entrais en courant dans des pagodes, j'étais Hxë

pendantdes siècles a leur sommet ou dans quelquechambresecrète. J'étais l'idole, j'étais le prêtre, j'étais adoré, j'étaissacrifié. Je fuyais la colère de Brahma & travers toutes lesforêts de l'Asie; Vishnou me haïssait, SIvn m'attendaitimmobile. Je tombais tout à coup sur Isis et Osiris j'avais,prétendaient-ils, commis une action qui faisait tremblerl'ibis et le crocodile. Pendant des milliers d'années, j'étaisenseveli vivant dans des sarcophages de pierre, avec desmomies et des sphinx, dans d'étroites cavités, au cœur despyramides éternelles je recevais les baisers cancéreuxdescrocodiles, je gisais sans mouvementdans les roseaux et laboue du Nil, parmi des tas de créatures avortées et indes-criptibles.

J'essaye de donner une idée légère de mes rêves orien-taux, dont les spectaclesmonstrueuxme causaient toujoursune telle stupéfaction, que l'horreur semblait peu à peu sefondre dans un étonnementsans mélange. Tôt ou tard sur-venait un reflux de sensations qui emportaientl'étonnément,etme laissaient moins de terreur que de haine etde répulsion

pour ce que je'voyais. Sur toute forme, toute menace, toutepeine, sur toute incarcération dans une solitude obscure.pesait une sensation écrasante d'éternité 'et d'innmté. Dansles autres rêves, à part une ou deux exceptions légères, larépugnance physique ne jouait aucun rôle. Mais depuis,

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')!) ne furent peuples que d'oiseaux din'ormes, de serpents,de crocodiles, et surtout do ceux-ci. Le maudit crocodiledevint pour moi l'objet d'une horreur plus violente quetout le reste. J'étais obligé de vivre avec lui, et pendant dessiècles, ce (lui se produisait toujours dans mes rêves. Par-fois je m'échappais, et me retrouvais alors dans desmaisons chinoises. Tous lcs pieds des labiés, des canapéss'animaient, devenaientvivants; l'abominable Mtedu cro-codile, avec ses yeux sanglants,me regardait, répétée, mul-tipliée par myriades, et je restais petriné, fascine. Lehideux reptile hanta si souvent mes rêves, que bien desfois citait toujours !a même rêve qui s'interrompait de lamême manière j'entendais de douces voix m'appeler (caren dormant j'entends tout ce qu'on dit), je me réveillais ul'instant le jour était avancé, mes enfants étaient la, setenant par lu main, auprès de mon lit, ils venaient memontrer leurs souliers de couleur, leurs habits neufs, mefaire voir qu'ils étaient tous prêts pour faire une prome-nade. Rien n'était plus terrible pour moi que ce change-ment, rien aussi ne me touchait plus que ce brusque passagedes obscuritésmunies a la magnifique lumière d'un jourd'été, et des êtres avortés et gigantesques d'une horreurinexprimable, n la vue de l'enfance, et d'innocentes créa-tures humaines.

Juin tSto. J'avais eu l'occasion de remarquer, a diversesépoques de ma vie, que la mort de ceux que nous aimons,et en généra), la contemplation de la mort (toutes choseségales d'ailleurs) nous impressionneplus vivement en étéqu'en toute autre saison de l'année. Scion moi, cela s'ex-plique par trois raisons. D'abord ce qu'on voit du ciel enété nous semble bien plus haut, bien plus loin, et si l'onveut me permettre un solécisme, bien plus infini. Lesnuages, qui aident principalement l'oeil à apprécier la dis-tance de la tente bleue déployée au-dessus de nos têtes,sont en été plus volumineux,plus ramassa; accumules ea

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«mus bien plus grands, bien pins imposante. En secondlieu, la lumière et les aspects du soleil qui se lev~ et secouche sont bien plus propres ù symboliser, à représenterl'infini en troisième lieu, ce qui est la raison véritable,l'exubérante et inquiète prodigalité de la vie, doit naturel-lement porter l'esprit avec plus de force vers la pensëcantagoniste de la mort et de h stérilité hivernale qui règnedans la tombe. est d'observation généraleque deux idéesqui ont l'une avec l'autre des rapports d'antagonisme, etqui se repoussent l'une l'autre, sont aptes a s'engendrermutuellement. C'est aussi pour cel~ que je considère

comme impossible de chasser la pensée de la mort, quandje me promène seul par une longue journée d'été, et lamort d'une certaine personne, sans m'émouvoirplus pro-fondément, hante mon esprit avec plus d'obstination, plusde persévérancedans cette saison-la. Cette cause peut-être,ctaussiun incidentsansimportancedont je ne parleraipas,ntsurgir le rêve suiv ant une certaineprédispositiondoit avoirtoujours existé en moi pour le produire, mais dès qu'il eutapparu, il ne me quitta plus; il se brisa en mille variationsfantastiques, qui souvent sp rassemblèrènt tout t coup, melaissant l'impression terrifiante d'une scène unique, etreconstituant le rêve primitif.

Je me croyais a un dimanche de mai, le matin c'était lejour de Pâques, de très bonneheure. J'étais debout, et, a cequ'il me semblait, à la porte de mon propre cottage. Justeen face de moi se déployait le paysage. que cette circons-tance devait amener, mais il était, comme toujours, agrandiet idéalisé par la puissance du rêve. C'étaient bien là mesmontagnes, et à leur pied la même jolie vallée, mais lescîmes montaient a des hauteurs plus qn'alpestres,et lesespaces qui les séparaientétaient assez larges pour contenirdes savanes et des prairies forestières. Les. haies, se .cou-vraient d'une abondance de roses blanches; je ne voyaisaucune créature vivante, excepté dans le cimetière,.ou lebétail était couche paisiblement parmi les tombes -ver-

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doyaatps, surtout autour de lit tombt*d'unenfant qu'autre-fois j'avais aime avec tendresse. C'était exactement ce quej'avais v u, un peu n'ant le lever du so!ei), pendant le mêmeété eu l'enfant mourut. Je contemp!nis cette scène quint'etnitfamiiiere,et me disais « Le lever du soiei! est encorebien éloigna, et c'est le jour ou l'on célèbre les prémices dela Hc'itu'rection. Je vais faire une longue promenade lesvieux chagrins seront oubtie:: aujourd'hui, car t'air est fraiset ca!me, les coHines sont hautes, et s'einnccnt vers le ciel,le cimenere est aussi verdoyantsque les clairières, les c!ai-t tcres aussi paisibles que le cimetière avec la rosée jemouiUcrat mon front, et alors je ne serai pas plus !on~-temps malheureux. Je me retournai, comme pour ouvrir!s porte de mon jardin, et il ma gauchej'aperçus un paysagetout diifetent, bien que !e pouvoir du rêve l'harmonïsihavec le premier. La scène était orientale; c'était aussi lejour de Pâques, un dimanche,de très bonne heure a unetrès grande distance j'apercevais comme une tache a l'hori-xon les dômes et les coupoles d'une grande cilé, – esquissevaporeuse et confuse, que peut-être m'avait laissée des monenfance la vue d'une peinture qui représentait Jérusalem.A moins d'une portie de Hoche devant moi, sur unepierre, a l'ombre des patmcs de Judée, une femme étaitassise je la regardai, c'était Anne 1 EHe fixa sur moi unregard plein de gravité enfin je lui dis « Ainsi, je vousai retrouvée1 » J'attendis, mais elle ne me répondit pas unmot. Sa physionomie était telle que, quand je la vis pour ladernière fois, la même, et pourtant bien différente. Qua-torze ans auparavant, dans le vaste Londres, lorsquela lumière du reverbère tomba sur sa figure, et qu'unedernière fois je baisai ses lèvres (0 Anne, pour moi ceslèvres n'avaient point subi de souillureses yeux ruis-selaient de larmes. Alors je ne vis plus ces larmes. Tantôtelle semblait changée, tantôt il me semblait qu'elle nel'était pas; elle paraissait a peine.plus agëe. Son regardcMitîranqui!!c)n)a)S!i avait une expression extraordinai-

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rement solennelte, et 1~ contemplais ~'ec une sorte defrayeur. Soudai son image s'obscurcit, je me retournaivers les montt~ncs, je vis de~ brouillardsqui s'épaississaiententre nous; en un instant tout s'évanouit. Ce fut alors uneobscurité compacte, un clin d'eeil et je fus transporté bienloin des montagnes, sous le réverbère de I.ondr~* je mepromenais avec Anne, tout comme nous nous étions pro-mènes dix-huit ans auparavant, quand nous étions l'un etl'autre des entants, sur les trottoirs intermintbles d'Oxford-Strect.

Alors commença aussitôt un rêve d'un caractère bien dif-férent, rêve tumultueux,qui débutait par une musique sem-blable à celle qu~ maintenant j'entends souvent dans monsommeil, musique de prélude et de suspension attentive.Les ondulationsde ce bruit total ressemblaient a rouvcr'turc de l'hymnedueouronnement, et comme celui-ci, ellesdonnaient la sensation du mouvement d'une foule nom-breuse,de chevauchéesqui défilaient à l'infini, du trépigne-ment d'armées innombraNes.'La matinée était venue, jourde crise et d'espérance suprême pour la nature humaine,ensevelie alors sousune mystérieuseéclipse, etaccablée parquelque terrible fatalité. Dans un certain lieu – lequel ?îje l'ignorais; d'une certainefaçon – laquelle ?.)€ l'igno-rais aussi; --certainsêtre:, lesquels? je n'en savais rienengageaient une bataille, une lutte, souffraient une agonie,en traversaient toutes les péripéties; quelque chose sedéveloppaitcomme vers lacatastrophed'undrame immense.Je m'y sentais engagé par une sympathiequi devenait plusinsupportable,à mesure que la confusionaugmentait dansles scènes partielles, la cause, la nature, et l'issue indéchif-frable de cette mêlée. Comme cela arrive souvent dans lesrêves, où nous nous faisons nécessairementle centre detout le mouvement, j'avais la faculté de décider l'issue, et,en même temps, je n'avais pas cette facultés Je pouvaisdiriger le dénouement, à la condition d'être capable defaire un acte de volonté, mais d'autrepart il m'était impos-

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i.ib!e de faire cet acte, car )'ctai& accable $ous je poids de

trente Atlantiques, ou sous l'oppression de quelque fauteinexprimat'ie.Je gisais impuissant « a des profcndeutA quen'atteindra jamais le plomb de la snnde Ainr~, pinoiUo il

un chœur, la passionprit un accent plus pénétrant. Sur lascène se jouait un ~rond intérêt, une cause d'une impor-

tance immense, et telle que )amni!. l'cpcu n'en avait jiunnistranche, que nuite trompette n'en avait annonce. Aion: ~eproduisirent de soudaine:! alarmes, des pousxeea dans toustes sons, les eouKes précipitées d'innombrahies fm;i)tfs, je

ne s~ats si c'étaient ceux de la honnc-uu cct:~dc ia mau-vaise cause; tout était une obscurité traversée par desium~res, une tempête semée do iigm'es humnincs; enfin,qnand j'eus le sentiment que tout était perdu, des appari-tions féminines, des êtres qui pour moi vutaicnt p!u:. que

le monde entier et dont b vue était une coût te et dernièrefaveur, – nés étreintes de mains, des séparations qui bri-saient le ceeur, puis avec un soupir commo durent le pous-ser les souterrains infernaux,quand l'incestueusemère pro.nonc& le nom abhorré de la mort, j'ontendis ces paroiesrépétées: :Adieuxctcrne!stêtelles reprirent encore plusieursfois: Adieux éternels1.Alors je me ré~ciitai dans mon agitationet je cria! < Je

ne dormirai plus. »Aujourd'hui, j'en suis veau à redouter l'approche du

sommeit,s'ildoit m'apl)orterdes visions aussi douloureuses,pleines d'une vie aussi intense que celles qui persécutaientmon cerveau plein de fantômes. Je ressentais aussi de plusen plus fréquemment des palpitations dans une régioninterne, analogues à celles qu'on nomme des palpitationsde eceur, ce qui est une erreur, sélon mes suppo:itionu, carelles se rapportent exclusivement a des dérangementsdansl'estomac. Elles augmentaient d'une manière évidente etrapide, en fréquence et en fc:ce. En considérant que mavie était nécessaire a d'acres que raoi, je fus .ec!!cmetttinquiet, et je m'arrêtai à temps, mais ce fut avec une difïi-

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cuité qui dépasse toute description. Quoi que je fisse, ilsemblait que, comme on dit en lan~a~e militaire, la mort« se jetât sur mon chemin Renoncerà l'opium, ce n'étaitnullement me livrer d'angoisses qui étaient ~o~e~M, fdans le sens propre du mot; mais d'autre part mourir parreHet d'epuuvautcs nerveuses, mourir par la fièvre céré- =bra!e ou la folie, voita les alternativesqui semblait occu"per les deux routes qui m'étaient ouvertes, Heursusonentil me restait assez de fermeté dans le caractère pour choi-sir délibérément le parti qui m'imposerait plus de souf-frances, msis qui me montrait dans le lointain l'espérancede me sauver définitivement.

CctM possibilité se réalisa, je pus échapper si l'opium.L'issue de cette crise nouvelle dans mes expériences setrouve ddcrito assez exactementdans les lignes suivantesque mes lecteurs d'autrefoisont trouvéesdans la premièreédition de ces Confessions. Si ces lignes s'y trouvent, c'estque la crise dont elles paricntne fut qu'un eûort provisoire,qui aplanit la route pour bien d'autres crises plus suppor-tables, par lesquelles mon systemc..constitutionnel se sou.mit graduellement.

Je fus victorieux. Vous n'allezpas conclure de ce mot,lecteur, que je me trouvai dans mon état de joie ou d'exalta.tion. Représentez-vous en moi un hommequi, même aprèsquatre mois,. éprouve encore de l'agitation, des convul-sions, des battements et même des palpitations de coeur,de la courbature mon état se rapproche beaucounde celuid'un homme qui a été soumis a la question, et je me repré-sente cet état d'après la descriptionémouvanteque nous ena faite le plus innocent de ceux qui l'ont subie un con-

temporainde Jacques I. Je n'éprouvai .aucun soulagement

WiUitmLithRow. Son livre (~o)'<!gM,etc.) est ennuyeux et assM n)i))<crit, mais le récit de ses so~nrancet quand on le mit & la question àM~aga, et ce qui suit, CM d'un intérêt poignant. U y a moins de détails,!d<t ft~< f~~r! *"r r~")h)t<<~ )< t«)-.turc publié en !S3o par Juan Van Hatcn.

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par les remèdes excepte par lit teinture nmmoniaca)c devatsriane. La monde de ce récit s'adresse nu mangeurd'opium; eHcest donc d'un intérêt nécessairement restreint.S'il apprend h craindre et a trembler, l'clfet sera suiH.sant.~!ais il peut au moins se dire que le dénouement de monrécit prouve c~ci: après avoiremptoyci'~j'ium pendant dix-huit ans, après oit avoir «hu&e pendant huit de <:es ttnnces,on peut y renoncer. S'il en est assex heureux pour se con-sacrer u cette t~che ave'): ptus d'énergie que jc ne l'ai Mt,ou, s'i! a une constitutionptus forte quelamienne,i) obtien-dra plus et cela lui coûtera moins. Je pense qu'il en seraainsi, et je ne prétendspa.< mesurer les efforts d'autrui parles miens. Je lui souhaite cordiatement plus de courage, jelui souhaite eordiakment }e même succès. Cependantj'avais des rnisons c\tericuresquipeuventmnihcureusemcntlui manquer. Ces raisons fourntssuicnt a ma conscience unsecours énergique, et dm intérêts purement personnelsnuiraient peut-être p:)s avec !a même puissance sur uuesprit nÛ'.nbH par ropium.

Lord Maçon' suppose qu'il est aussi doutouret.xde naîtreque de mourir. Ce~ paratt probable pendant tout lc tempsque je consacrai a diminuer mon opium, j'éprouvai lestourments d'un homme qui passe d'un mode d'existence àun autre etqui ressent a la fois ou ahernativement les dou.leurs de la naissance et de la mort. La fin ne fut pas lamort, mais une sorte de régénération physique, et je puisajouter que toujours depuis, et par intcrvaHes, j'ai éprouveune résurrection plus juvénile dans mes facultés.

H me reste cependant un héritage de mon premier état

!).tn< toutes )ei. éditions précédentes j'avais attribue ce sentiment àJeremie Taytor. En f.tis.tnt des recherches exactes pour \<'ri(;erceUecita-Oon.fevh tjtte je m'étais trompé. Des idées de ce sen'c se rencontrentplus d'une fois dans ies œuvres considerabjeedc i'evcque, mais le passagequif-'est présente a mon esprita été évidemment )e suivantqui est tiré dei'~Mf~!)r la mort par Lord Bacon:<ït est aussi n~Mt-f) 'Jt'Nosrirqutd:nx! t:t ~.uur un petit cnf.)nt, !'un est peat-~tre aussi douloureux quet'autre.

puùr un petit enf~irit, 1tiii »est peut-Ztre aussi douloureux que

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mes re\'e~ ne sont pas tranquilles. L. a~ttanon mortelle etle boulèversementde l'orage n'ont pas subi un apaisementcompte! !e~ levons qu! campaient dans mon sommeil sesont remises en marcha mais elles n'ont pas entièrementdisparu. Monrapoïe~tencoreu~te;iiotcommoces pottesdu Par<Ji!i telles que nos premiers parents les virent en seretournant, il est encore comme dans le veM eitrayant deMiUon,

t l'kin du ))i; Ktfibt~s et <~ bt~ tnem~ms w.

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LA FILLE DU LIBAN

Damas, !n première née des cites, Om el Dcnia mèredes générations, qui existait avant AbrahaM, qui existaitavant les Pyramides, quels sons fuyant par une portedérobée qui s'ouvre a l'Orient sur des sentiers secrets, etvers le désert lointain, quels sons troublent le silencesolennel d'une nuit oricnta!e? Quelle voix appelle lessateUites qui montent une garde éternelle sur la tour, au-dessus de la porte, et les invite a le recevoir quand ilrentre dans sa demeure syrienne ? Tu Ie~ connais, Damas,tu l'as connu dans les jours de trouMe comme un hommesavant dans les amictions humaines aussi sage pour con-seiller dans les souffrances de l'esprit que pour celles ducorps. La voix qui interrompt ia nuit'est !a voix d'ungrand évangeliste, l'un des quatre – il est aussi grandmédecin. C'est lui que reconnaissentjoyeusement les gar-

aOm el Dénia, t~re du monde, tel est le sens du nom arabe deDamas. Son existence est antënenre aAbMham, c'es.t-~tre qu'éjectait

déjà ancienne plus de mille ans avant le si~ge de Troie, plus de deuxmille ans avant l'ère fhr<'tienne,comme on peut le <'<re d: ?.. Gcuess{* :); ~s Mit~utement ttc contes les races o:iet!ta)es, Dam~s est recotlnue comme la plus antique des ei[es~t'OMat<~HndKs.

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diensdelaporte, c'est~l'-u'qu'ilss'empressantd'ouvrir. Sessandales sont blanches de poussière, car il a voyagé biende& semaines au delà du désert, guidé par des Arabes, «unde porter la nouvelle de l'espérance Pnimyre et sonesprit est fatigue de toutes choses, excepté d'être fidèle aHieu et de brûler d'amour pour l'homme.

l.es cités orientales dorment à cette heure. Peu oupoint de bruit pour troubler le repos tout autourde l'Evan-gëlisto quand il se dirigea vers h place du Marche. La unescène dinerente attira attention. Vers la gauche, dans unechambre d'en haut, dont les volets étaient largementouverts, de nombreux jeunes gens étaient assis et se diver-tissaient bruyamment, à la lumière étincelante des flam-beaux et des trépiedsoù brûlaient des bois de senteur.: ilsunissaient toutes leurs voix dans des chœurs, tous étaientcouronnés de fleurs cueillies a Daphné cu sur les bords del'Oronte. L'Evangeliste ne prit pas garde a eux, mais bienloin vers la gauche, h l'abri d'un enfoncement, sous lalumière d'un seul vase de fer ou brûlaient des éclats decèdre, et qui était suspendu au bout d'une lance, il aper-çut une femme d'une beauté si transcendante, que quandelle se montrait tout coup, sortant des épaisses ténèbres,elle enrayait les hommes comme une illusion, comme unecréature de l'air. Etait-elle née d'une femme ? C'était peut-être l'ange, -– ainsi se dit l'Evangéliste, l'ange qu'il avaitrencontré dans le désert après le coucher du soleil, et quil'avait fortifié par de mystérieuses paroles. L'Evangélistes'avança et la toucha au front quand il se fut ainsi assuréqu'elle était bien une femme, quand il vit d'après lit placequ'elle occupait, qu'elle attendait un compagnon, un desjeunes gens de cette troupe débauchée,il gémit intérieure-ment, il se dit, mais de telle sorte qu'elle pût l'entendre< Pauvre fleur fanée, ta naissance tu étais donc divine-

!)!ntyfe n'avait pas ex'-Mic i.:t:!Ct <: zis:'h "<<)'it~arec<;)te.o!) elle parvipt vers époque d'Au~iieo, nais c'étaitdtjâ une nobte cité.

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ment emheUie, – parce avec tant de ~loira que mêmeSalomon dans toute sn pourpre, même les lis de la plaine,n'épataientpas tes dons, jusqu'à ce que tu eusses offense leSaint Esprit de Dieu ? – La femme éprouva un tremble-ment violent et dit Rni'bi, que faut-il faire P car tu le

vois, tous les hommes me dédaignent. )) L'E\anf;e)isteK'prit & songer, et se dit en secret ti lui-même

< Maintenant,je vais éprouve)'le cœur de cette femme, et vair si en venteil avait de l'inclination pour Dieu, et s'il a dévié seulementa cause lie quelque obstacle impitoyahte. n Se tournantdonc vùrà h) femme, le prophète' lui dit « Kcoute, je suis lemessager de Celui que tu n'as point connu, de Celui qui ilfait!e Liban et les cèdres du Liban, qui n fait !n mer, et leciel, et l'armée des étoiles, qui a fait lit lumière, qui a mitles ténèbres, qui a soufflé l'esprit de vie dnns les narines del'homme. Je suis son messager, c'est lui qui m'.t donne lepouvoirde lieret de délier,d'édifier et de ruiner. Demande-moi donc ce que tu voudras, – peu ou beaucoup,– et parmoi tu le recevras de Dieu. A!ais, enfant, ne demande pasa tort. Car Dieu peut exaucer ta prière funeste si tu luidemandes de tendre des pièges sous tes pieds. Ht souvent ilsemble refuser aux agneaux qu'il aime, alors qu'il les"aucc, il leur donne dans le vrai sens, ou bien (Ici sa

jix chanta comme dans un hymne), ou bien il leurJonnc dans un monde plus heureux. Ainsi, ma iilie, soisprudente pour toi-même, et dis-moi ce que je dois deman-

Le Prophète. – !!itH qu'un prophète ne fût pas par cela seul et envert'' de ce caractère, un Ev~ng~tiste, néanmoins chaque Hv:mf~)in<*était nécessairementprophète, dans le sens que donne A ce mot t'Kcriture.Car il faut se rappeler que le mot de propMte, A moinsd'être interprété

par t'etyn)o)ogie, ne désigne pas celui qui annonce ou fait voir à J'avance.Qu'était-ce donc qu'un prophète, dans le sens que donne uniformémentàce mot t'Eeriture ? C'était un homme qui soulevait le rideau cachant Icssecrets desseins de Dieu. tt annonçait et publiait tes vérités auparavantvoiléesde Dieu, et comme ics événements futurs pouvaient contenir desveritesdivines,le révélateurdes événementsfuturs devenait tn ce sens unprophète. Mais répétons que le rote du prophète.couMUitit f"ftp:a &teentftr !t <"t~:n'n!:i t'.xMttce,et ne consistait pas tteCt'.MfWcmMf eu

.<e)a.

20

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der «Dieu pour toi. Mais la fille du Liban n'avait pasbesoin de son avertissement, elle mit un genou terredevant l'envoyé Je Dieu, pendant que ht pleine lumièredela torche de ccdre tombait sur ses yeux et y faisait brillerle repentir, elle éleva ses mains croisées avec prière, etcomme l'Hvan~éiiste lui demandaU pour la seconde foisquel présent il devait faire descendre du ciel pour elle:« Seigneur, que tu veuilles me transporter de nouveaudans la maison de mon père. » Et rEvan~cliste, qui étaitbon, versa une larme en s'arrêtant pour h baiser au front,et il dit: « Ma fille, ta prière été entendue dans l~seieux,et <c te promets que l'aurore ne paraîtra pas trente fois,que le soleil ne se coucha pas trente fois derrière leLiban, avant que je te reconduise dans la maison de Mnpère." »

Alors ht belle enfant devint la pupille de î'Hvangeiistc.M!!e ne tenta pas de déguiser son histoire, ou de pallierses fautes. Quelles que fussent toutes celles qu'eU~ avaitcommises, elles étaient scmbhtMes a celles de mUtionsd'autres fcmnies dans toute génération. Son père était unprince du Liban, orgueilleux, incapable d'oubli, et inexo-rable. Les torts faits a sa fille par son déloyal amant, illes avait faits à la favur des occasions que lui donnaitsa fiancée danssa confiance, le père persistait à les ressen-tir comme s'ils étaient les fautes de la jeune nlle trahielui refusant toute protection, il la chassa, bien qu'elle fûtévidemment innocente, et la réduisit a des complaisancescriminelles auxquelles il fallait se prêter, sous l'exigencedes nécessites quotidiennes, qu'elle ne pouvait satisfairepar son inexpérience.Elle eut beaucoup à souffrir à causede son père et de son amant, elle fut largement récompen-sée. Elle perdit un père farouche, un amant déloyal,tHe cuT pour tuteur un apôtre. Elle perdit une fortuneprincière dans le Liban, elle conquit bientôt un héritagedans 1~ ciel. €ar cet héritage était à elle avant les trentejours~ si élite ne succombait pas. Et pendant que le temps

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marehatt d'un pas assure vers le trontiëme jour, voiciqu'une ~evre brûlante s'abattit sur Damas, et qu'elle pro-nonçason arrêt sur la lille du Liban, mais avec douceur,si bien qu'en moins d'une heuroeUe fut enlevée aux ensei-gnements célestes de l'Kvangcliste. Et ainsi chaque jourle doute se fortifiait. -– Le saint apôtre lit toucherait-ilde sa main, en lui disant < l-'emma, lève-toi. Ou laprésenterait-ilcomme une pure Hanceeau Christ, avant letrentième jour ? Mais la parfaite liberté est ic privilège deceux qui servent le Citrist et c'était a elle seule fi faix.'son choix.

Le trentième matin se leva dans toute sa pompe, maisbientôt il fut obscurci par un orage soudain. Le soleil nese montra pas avant midi alors lit trieuse lumière per~ason voile, et les vallées syriennes se réjouirent de nou-veau. C'était l'heure d&signce :ï l'avance pour le baptêmede la nouvelle nne du Christ. Le ciel et la terre se répan-dircnt en bénédictions sur cette heureuse lëte, et quandtout fut Termine, a l'abri d'une tente dressée sur le toitplat de son habitation, la fille régénérée du Liban, jctantson regard par-dessus les jardins de roses de Damas, con-templa vers le lointain horizon ses montagnes natales.KHe était couchée, éprouvantun bonheur plein d'angoisse,et témoignant par ia blancheur de sa robe baptismale,qu'elle avait recouvré son innocence et s'était réconciliéeavec Dieu. Et quand le soleil descendit vers l'Occident,rEvangélistc, qui était reste aussi depuis midi près du litde sa fille spirituelle, se leva solennellement et lui dit« Fille du Liban, le jour est arrive, et l'heure approche oùje dois remplir la promesse que je t'ai faite. Veux-tu êtreplus sage dans les désirs, et permettre que Dieu ton nou-veau père, t'exauce en paraissant te refuser, qu'i! te fasseun meilleur présent ou dans un monde bien meUteur ? xMais la fille du Liban devint triste à ces mots, elle désirases collines natales, non pour eHes mêmes, ntais parcequ'elle y avait laissé une sœur jumelle qu'elle chérissait:'

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Mute:, deux, se tenant par la mnin, et Mut enfants, avaienterré parmi les cèdres immortel: Ht l'Kvan~eliste se rassit

'près du lit; de temps n autre elle conversait avec lui. puisretombait dans un doux sommeil, sous la fièvre quil'accablait.

Comme la soirée s'avançait et qu'il ne restait qu~ peu de

temps avant le coucher du soleil, l'Evangelistû se leva unedernière fois et d'une voix encore plus solennelle, lui dit

« Ma fille, voici le trentième jour, le soleil va achever sa

course, peu d'instants me restent pour accomplir la parole

que Dieum'a confiée pour toi. Ht commede légères vapeursde délire se jouaient autour de son cerveau, l'EvangëIisteleva son bâton pastoral, et le dirigeant vers ses tempes, ilchassa les vapeurs, et leur interdit de troubler plus long-temps sa vue, et de s'interposer entre elle et les forets duLiban. Et les vapeurs du délire s'entr'ouvrirent,s'écartanth droite et à gauche. Mais sur les forêts du Liban était sus-

pendue une puissante masse de nuages obscurs qu'avaitrassemblés l'orage du matin. Une seconde fois l'Evan-gélistc leva (son bâton pastoral, et, lc dirigeant vers les

nuages, iMesreprimanda,leur interdisantde resterplus long-

temps entre elle et la maison de son père. Et aussitôt lessombres vapeurs s'entr'ouvrirent sur le Liban, à droite et agauche,et le rayon d'adieu du soleil éclaira tous les cheminsqui conduisaientau palaisde son père atravers les cèdres im-mortels. Mais la fille du Liban chercha en vain des yeuxdans les chemins pour découvrir quelque souvenir de sasœur. Et l'Evangeliste, prenant en pitié son chagrin, luimontra le bleu du ci~l, que les vapeurs avaient laissé voiren se retirant. Et il lui fit remarquer la paix qui y régnait.Et alorsil dit '< Cela, c'est encore un voile. aussitôt, pourla troisième fois, il leva son bâtonpaatoral, et le dirigeantvers le bel azur du ciel, il lui commanda, et lui défendit dedérober plus longtemps à la jeune fille la vision de Dieu.Aussitôt l'azur du ciel s'ouvrit à droite et à gauche,laissantvoir pleinement les révélations infinies qui ne sont visibles

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que pour les yeux des mourants, Ht ht iiUe du Liban dit aFEvan~cIiste < 0 père, que)lessont ces armées que je voispasser en revue dans ces espaces infinis? » Et l'EvangeHsterépondit c Ce sont les arméesdu Christ, et elles paraissentpour recevoir certaine fleur humaine et chérie, certainesprémices de la foi chrétienne, qui cette nuit s'élèveront deDamas jusqu'au Christ. Soudain, la 1111e du Libanvit sortir de l'armée' cëtcstc et so pencher vers elle laseule figure dont elle avait faim et soif. La sceur jumellequi l'aurait attendue dans le Liban était morte de dou!eur,et c'était au Paradis qu'elle l'attendait. Dans un transportsubit, elle s'élança de sa couche, mais aussitôtelle retombadans sa faiblesse retenue par l'Evan~cliste, elle lui jeta sesbras autourdu cou, pendantqu'il murmuraità son oreille sesdernières paroles u Et maintenant, consens-tu à ce queDieu t'accorde ce qu'il paraissait te refuser ? – Oh oui,oui, oui, repondit avec ferveur la HHc du Liban. Aussitôtl'Evangëtistcdonna le signal aux cieux, et les cieux don-nèrent le signal au soleil, et une minute après, le corps dela fille du Liban devenait de marbre dans ses vêtementsblancs du baptême l'orbe solaire descendit derrière le Li-ban, eil'Evangeliste, les yeux brillants de larmes mortelleset immortelles,rendit grâcesà Dieu de ce qu'il avait accom-pli la parole qu'il avait eu la mission de dire a la Magdeleinedu Liban, lui promettant que le trentième jour, avant quele soleil se couchât derrière ses collines natales, il l'auraittransportée dans la demeure de son père.

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PrdfnceJutMductcuraulecteur. rPréface (iutAdemi&t'c&iition. xx:xConfessionstt'unmangem'd'opimn. i!.esp!K)sh's<)et'opiu!)H 22!rLes tortures de l'opium. -!)f)L<;Rt!ednL.iba)T. ~o;

TABLE

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