revue d'histotre populaire

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REVUE D'HISTOTRE POPULAIRE LE NUMERO : 18 F BIMESTRIEL No 13 - JANVIER-FEVRIER 1984 DANS CENUMERO CHARLËS MARTELA-T-IL ARRÊTE LES ARABES A POITIERS EN 732 ? par Madeleine Fernandez Les soldats de l'AN ll 1. Lettres de conscrits auvergnats par Guy Citerne 2. Educationcivique ou propagande républicaine dans l'armée de l'An ll ? parJean-Paul Bertaud PAIN JAUNE ET MARCHE NOIR Les restrictions aprèsla guerre 11945-19491 par Monique Baudoin LES CHRONIOUES Les expositions (Affiches LU ; Saint Sébastien) par SylvieFournet Téfévision (Entretien avec Claude-Jean Philippe) par MichelSerceau Notàs de lecture par ThierryPaquot Au Cin6ma (Boat People ; La Trace) parJean-Gabriel Fichau (p. 1) (p. 8) 1p.t 6) 1p. 23) 1p.22l. (p. 30) (p. 31) (p. 32)

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REVUE D'HISTOTRE POPULAIRE

LE NUMERO : 18 F B IMESTRIEL No 13 - JANVIER-FEVRIER 1984

DANS CE NUMERO

CHARLËS MARTEL A-T-IL ARRÊTE LES ARABESA POITIERS EN 732 ?

par Madeleine Fernandez

Les soldats de l'AN ll1. Lettres de conscrits auvergnats

par Guy Citerne

2. Education civique ou propagande républicainedans l'armée de l'An ll ?

par Jean-Paul Bertaud

PAIN JAUNE ET MARCHE NOIRLes restrictions après la guerre 11945-19491par Monique Baudoin

LES CHRONIOUESLes expositions (Affiches LU ; Saint Sébastien)

par Sylvie FournetTéfévision (Entretien avec Claude-Jean Philippe)

par MichelSerceauNotàs de lecture

par Thierry PaquotAu Cin6ma (Boat People ; La Trace)

par Jean-Gabriel Fichau

( p . 1 )

(p . 8 )

1p . t 6 )

1p . 23 )

1p.22l.

( p . 30 )

( p . 3 1 )

(p . 32 )

ÇAYRO,Rewe bimestrielle

d'histoire populaire

Numéro 13

Janvier-février 1984

Publication desEditions FloÉsl

61, rue F.D. Roosevelt27000 Evreux

Directeur de la publication :Jean SANDRIN

Rédacteur en chef :Hervé LUXARDO

Directeur administratif :Georges PELLETIER

Fabrication et maquette :Georges POTVIN

Avec la collaborationpour ce numéro

de Michèle Belle, Jean-Paul Bertaud,Monique Baudoin,

Guy Citerne, Madeleine Fernandez,Jean-Gabriel Fichau, Sylvie Fournet,

Thierry Paquot, Michel Serceau.

Commission paritaire : 64185LS.S.N. :02.42-9705

@ Éditions Floréal

Tous droits de reproduction des articleset documents publiésstrictement réservés.

Les manuscrits ne sont pas renvoyés.

Imprimé en FranceComposition : Scop Presse Normande

à EvreuxImpression : Imprimerie André

Le Neubourg

EDITORIALL'historien - et plus encore celui qui s'attache à I'Histoire populaire - se

voit souvent transformé en iconoclaste.Que de fausses idoles à renverser ! Que de mythes à rectifier ! Que d'idées

reçues à redresser !Bien entendu, il n'en faut que davantage de rigueur dans la recherche, et

davantage de prudence dans les conclusions. Mais jamais de timidité.Ainsi Gavroche s'attaque-t-il dans ce numéro à deux institutions : Poitiers,

732 ; et les Soldats de I'An IL

"Charles Martel arrêta les Arabes à Poitiers en 732" . C'était là I'un despuissants jalons dont I'apprentissage "par cæur" était naguère la clé deI'enseignement de I'Histoire de France aux écoliers. Or, ce n'est sans doutepas Charles Martel qui a arrêté le premier (ni le dernier !) les Arabes, quiétaient d'ailleurs à l'époque des Sarrazins ; ce n'était probablement pas à Poi-tiers ; et peut-être pas en 732...

Certes, Charles d'Héristal, dit Charles Martel, fut un habile unificateur duroyaume franc (par ruse et par force) ; il prépara I'avènement des Carolin-giens ; il fut un politique remarquable, bien que peu scrupuleux. Mais pour lesArabes à Poitiers, on a des doutes... On lira pourquoi.

Quant aux soldats de I'An II, on sait quelle sublime légende leur a attachéeVicior Hugo. Devant tant d'envolée poétique, on est tout prêt à suivre... Maisvoici une liasse de lettres de conscrits d'un petit village d'Auvergne, Puy-Guillaume. Ah ! qu'elles sont touchantes, ces lettres aux formules naives, àI'orthographe plus qu'incertaine, souvent dictées, préoccupées des choses duvillage et non de politique ni trop de la Révolution, plus portées à raconter lesmisères - froid, souffrances, famine, fatigues, blessures - que les faitsd'armes.

Quoi ! ce sont là les enthousiastes et irrésistibles combattants hugoliens,pourfendeurs des tyrans et de leurs séides ? Le plus souvent, une formulecopiée en tête de lettre est leur seule mention de la foi républicaine - quecependant, on le lira, la Convention entendait leur inculquer.

C'est ainsi pourtant, subissant leur peine et languissant de leur village'qu'ils ont gagné la guerre et fait leur part d'Histoire. La légende était plusbelle ? Peut-être. Mais ils nous plaisent bien comme ça, avec ces qualités defidélité au terroir et de répugnance à la guerre, si naturelles au peuple, et sisouvent contrariées.

e teTanl4Lhort'e

Courrier des lecteurs

ILLUSTRATION DE COUVERTURE :

Cette éloquente affiche de Royer, en1943, promet la corde aux trafiquants.Pourtant, le marché noir, compagnon desrestrictions, a sévi jusqu'en 1949. On liraen page 23 notre article sur "Pain jaune etmarché noir dans la période d'aprèsguerre",

CREDITS PHOTOGRAPHIQUES :

Roger Yiollet , page 23.Les autres documents sont la propriétédes auteurs ou proviennent des archivesdes Editions Floréal.

La glacière du Château de Ranay(Loir-et-Cher)

Bien avant réfr igérateurs et congélateurs,nos ancêtres ( les plus fortunés) conser-vaient viandes et al iments dans des glaciè-res ou rafraîchissoirs. Ceux-ci se trouvaientdans les châteaux (Lavardin) ou aux abords(Ranay). l l suff isait d'entasser dans desconstructions spéciales de gros blocs deglace pendant les hivers, plus r igoureux queceux que nous connaissons aulourd'hui, etla glace se conservai l tout l 'été. Cetteméthode a probablement eu cours jusqu'àl ' a u b e d e l a g u e r r e 1 9 1 4 - 1 9 1 8 ; e l l e n ' e s tpas exceptionnelle. El le est attestée dansles archives de nombreux châteaux de larégion et des départements l imitrophes.

Le rafraîchissoir du château de Ranay { 1 )est si tué à la Glacière, commune de Saint-Mart in-des-Bois, canton de Montoire sur leLoir (Loir-et-Cher). l l est en piteux état, maisles propriétaires de la ferme, en f aisantappel à leurs souvenirs, me l 'ont assez biendécrit .

Le rafraîchissoir, circulaire, est en moèl-lons, pierres de tai l le (tuffeau), briques etsi lex mélangés à un l ien de sable et de terrehumide. l l était profond d'environ 1Omètres. Presque comblé, i l sert maintenantde tout à l 'égorit pour la ferme. Coiffé d'untoit en madriers de chêne { i l en reste quel-ques éléments dans le trou) en forme de clo-cher et recouvert de chaume de seigle

( épa i sseu r ' l OO cen t imè t res ) , i l deva i l avo i rf ière a l lure. Une construct ion en pierres detai l le , apparemment sans to i t , haute d 'envi-ron 2OO cm, comportant deux portes enbo i s i den t i ques (18O x 10O) , é ta i t acco léeau rafraîchissoir . Les tombereaux, en ple inhiver, chargeaient dans les douves et lesdeux fosses rectangulai res du château deRanay, tout proche, la g lace que les charre-t iers déversaient dans la construct ion ouabr i en pierres et ieta ient ensui te dans lafosse.

Auparavant, l 'on avai t pr is soin de fa i rechauffer quelques chaudrons d 'eau que I 'onbalancai t sur la g lace qui devenai t a insi unemasse compacte en se resol id i f iant , sansbu l l es d ' a i r à l ' i n t é r i eu r .

La glace, à l 'abr i des intempér ies et deschangements c l imat iques, restai t in tactetrès longtemps. De plus, une haie densed' i fs et de marronniers apporta i t la f raîcheurlors de la canicule,

La route, exposée nord/norc i -est , qui vade la ferme "La Glacière" au château deRanay, s 'appelai t route de la Rime, nomd'un vent f ro id, d 'un courant g lacia l . Cha-que année d 'a i l leurs, de nombreuses v ignesgelaient aux alentours. L 'emplacement éta i tidéal oour l 'ancêtre de notre réfr igérateur !

cérard ÉERnANo

( 1 ) Château féoda l d is tan t de 2 ,5 km de Monto i re .

CHARTESMARTETa-t-ïl arrêté les Arabesà Poïtïers en ftrl2 ?

"Abdérome, sûr de lui, rongea sa cava-lerie comme pour une porade de fantasio.Au moment où elle s'opprêtait à donnerla chorge, une bordée de flèches vint seplonter dans les flancs des chevaux. Lacharge démarro, mais à ce moment précis,le mur de boucliers ennemis se déplaça dequelques pos pour se réfugier parmi lescépées et les chênes clairsemés. Son plon

Guerier36llagin

(reconstitutionpour uneémiss ion

télévisée)

de bataille déjoué, Abdérame ordonnad'envelopper I'ennemi dans une rondesans fin.

Un certain nombre de guerriers chré-tiens étant harponnés ou grappin, leurscomarodes se précipitaient pour en couperla corde à la hache. Les chevaux agrippésde même par le poitrail s'abattaient enfoisant une pirouette spectaculoire. Deport et d'autre les cadavres s'entsssaient.Les chevoux tombés gênaient, nombre demontures couraient sans cavaliers, et lesguerriers musulmons ayont utilisé leurgroppin se trouvaient désarmés. Un flot-tement se manifestont parmi la cavaleriesarrax,ine, Charles d'Héristal (surnomméCharles Mortel) en profito pour ordonnerla contre-attoque des chrëtiens. Ceux-cis'élancèrent au cri de guerre de "Mon-Joi"...

Abdérame ne put réagir. Ses chevauxtombaient de toutes ports. Les haches desfantossins chrétiens frappoient ovec unetelle violerçe que les pattes des coursiersse détachaient du corps et que I'onimalroulait au sol en poussont des gémisse-ments. De toute b force de ses poumons,il ordonna la retraite qui devint une fuiteéperdue. Chorles d'Hëristal venait degogner la plus gronde bataille de la chré-tienté contre les Arabes : Poitiers, 732.

"Les Froncs se mirent à la poursuitedes Sarrazins. Ils gardèrent constommentI'avontage. Un an après, en 733, malgréles poursuites incesssntes de Chorlesd'Héristal, dit Charles Martel, Abdérameréussit à reformer et réorganiser sonarmée. Une botoille encore plus meur-trière eut lieu près de Soint-Céré (dans leLot). Cinq charges extemement violentesse succédèrent durant lesquelles les Sarro-zins empanachèrent leurs chevaux depeaux humaines encore fumantes : c'étoitcelles des enfants et des femmes qu'ils

avaient fait prbonniers. Ils espëraientainsi démoroliser les Frsncs qui, probo-blement, se trouvaient être les pères, frè-res, époux, de ces malheureuses victimes.

Pourtant, I'instont d'horreur passé,ceux-ci reprirent leurc esprits

et n'en eurent que plusde hargne à voincre"...

2

Chef franc

Poitiers ou Tours ? 732 ou 133 ?

Cette relation de la bataille de Poitiersest directement inspirée de I'ouvrage deGussy Lherm publié en 1967 (l) ! Oncroit rêver ! En plus des erreurs histori-ques - Abdérame périt lors de la bataille- nous sommes en plein délire fantai-siste, et ce texte aux accents racistes se ter-mine sur cette interrogation : Le Sarrazinde nos jours a-t-il vraiment évoluë ?

(l) Gussy LHERM - Ld bataille de Poitiers, BriveMangein et Cie, 1967.

La Gaule vers 715

En fait, cette célèbre bataille semblecouverte d'un voile épais que les histo-riens ont beaucoup de difficulté à soule-ver. Ils ne sont d'accord ni sur la date nisur le lieu où elle se disputa. Les uns laplacent au 7 octobre 732, d'autres I'annéesuivante. La localisation du champ debataille prête également à controverse.Certains le situent sous les murs de Tours,d'autres près de Poitiers. Les écrits arabesportent : sur les rivages de la rivière"owar". Cette rivière n'est pas identifiéed'une manière certaine, mais il est proba-ble qu'il s'agit de la Vienne.

Le lieu de I'affrontement fut situé arbi-trairement à Poitiers. Quant à ce qui s'yest réellement passé, une seule chroniquerelate la bataille : celle d'Isidore de Béja.Il s'agit d'une chronique espagnole chré-tienne du 8. siècle, attribuée autrefois àlsidorus Pacensis (Isidore de Béja). Ellefut rédigée par un anonyme en territoiremusulman. à Cordoue ou à Tolède. C'estla seule chronique qui donne des détailssur la bataille de Poitiers en laissant pen-ser qu'elle les tient d'un témoin arabe.Certaines précautions sont toutefois àprendre avec ce récit. Les Francs-Austrasiens y sont présentés "vigoureuxet de sang froid", recevant impassibles lescoups avant de les rendre avec force.L'anonyme chrétien d'Espagne, vivantsous I 'autori té musulmane, la détestaitpeut-être et aurait éprouvé le besoin desouligner le contraste physique et moralentre les Musulmans et les Européens.Quels qu'en soient le lieu géographiqueexact et la date précise, le débat réel sesitue autour du véritable impact qu'eutcette bataille dans le royaume franc du 8"siècle.

Un batard nommé Charles

Co logne, décembre 714. Char lesd'Héristal a 25 ans et. à I'instant même où

Charles Martel

LA NEUSTRIEET L'AUSTRALIE

Où sê s i tuent ces deux pays ?La Neustr ie s 'étend de part et d 'autre

de la Seine. Son teritoire va de la Loire àl'Escaut et de la baie de la Somme à laMoselle. Ses villes les plus importantessont Par is, Meaux, Rouen, Chartres etTours.

Ce pays domine les Gaules dePuisqu'en 508 Clovis a fa i t une entrée t r iom-phale dans Lutèce pour y installer songouvelnement. Dès lors, et poul long-temps, la Neustrie devient le centre poli-tique de la Gaule et de la Germanie.Pourtant, I'idée d'une communauté poli'tique n'existe pas et l'unité du RégnumFrancorum est constamment remise encause à la mort de chacun des rois. Leroyaume paternel est partagé comme leserait n'importe quelle propriété lorsd'une succession pr ivée. La Neustr ie -

on dit aussi la Francie - reste le centrede gravi té de l 'Êtat socia l dont l 'uni té,souvent compromise, se rétablit tou-jours au profit d'un souverain neustrien.

Pourtant une lente cr is ta l l isat ions'opère dans les pays de l 'Est . L 'Austra-sie désigne un territoile exploitant laChampagne, les vallées de la Meuse etdu Rhin, et étend son autorité sur lespeuples de la rive droite du Rhin : Ala-mans, Bavarois, Thuringiens. Ses villessont Trèves, Metz, Cologne et Reims.

A l 'aube du 7" s iècle, prend corPsdans l 'ar is tocrat ie austrasienne un sent i -ment part icular is te. L 'hégémonie de laNeustrie est contestée le désir d'autono-mie s 'af f i rme.

Sans enthousiasme, les rois francsenvisagent la possibilité de lâcher un peude lest afin de calmer leurs vassaux. Clo-ta i re (1) est le premier à composer aveceux : les Austrasiens réclament leur pro-pre souverain, qu'ils le prennent ! En623, Clotaire installe son fils aîné, Dago-bert, sur le trône du royaume de l'Est. Encontre-partie de cette concession, il con-fisque les pays austrasiens situés àl'ouest des Ardennes et des Vosges etles annexe à son propre royaume.

Cette annexion n'est du goût de Per-sonne. Le fils et ses nouveaux sujetsprotestent. Dagobert se rend à Saint-Ouen afin de prendre la jeune épouseimposée par son père et en profite pours 'expl iquer avec celu i -c i . Une v ive al ter-cation éclate entre les deux hommes.Une commission d 'arbi t rage est dési-gnée et tranche en faveur du fils. Clo-taire est contraint d'abandonner les ter-res qu' i l s 'éta i t annexées. Ainsi débutel 'antagonisme entre l 'est et l 'ouest duregnum, rivalité qui ne fera que s'exacer-ber.

Souvent, le royaume tombe entre lesmains d 'enfants que l 'on af fuble d 'unefausse barbe afin de les vieillir aux yeuxdu peuple. En at tendant qu' i ls soient enâge de manier la lance, c 'est leur mèreou leur tante qui gouverne en s 'appuyantsur les grands du loyaume. Privé detoute responsabi l i té, le ro i , devenuadul te, p longe dans l ' inact ion et ladépravation. On se souvient des imagesdes livres d'histoire de notre enfancemontrant ces roô fainéanîs allongésdans des chars tirés par des bæufs. LePalais n 'est p lus qu'une sorte de " fédé-ration" où s'affrontent diverses influen-ces de groupes. Privée de l'autoritéroyale, l'aristocratie se donne un nou-veau chef politique : le maire du Palais.

Oue deviennent la Neustr ie et I 'Aus-trasie au sein de ces bouleversements ?Elles continuent à s'alfronter sous laconduite des majordomes de leurs palaisrespectifs.

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a-t-il an6at læ Anbæ à fuiticÊ ?

son père Pépin d'Héristal, maire dupalais, rend le dernier soupir, il fait sapremière apparition sur la scène histori-que et la rate : "Captif derrière une porteà serrure et verrous, les jambes liées à unepoutre, il disparaît du monde quis'agite". Charles est en effet le fils illégi-time de Pépin et d'une concubine,Alpaide. L'épouse légitime Plectrude faitjeter le "bâtard" dans un cul-de-basse-fosse dès la mort de son père. Il est déjàmarié et père de celui que la postérité dési-gnera par le surnom de Pépin le Bref. Laporte qui se referme sur lui doit le con-damner à I'oubli. Son frère, Childebrand,trop jeune ou moins suspect, est épargné.

Cette réaction de la marâtre de celuiqui, après un début misérable, se hausserajusqu'au pouvoir, n'est pas une simpleaffaire de famille. Elle exprime I'antago-nisme latent qui, depuis deux siècles,dresse I'une contre I'autre la Neustrie etI'Austrasie, les deux fractions rivales duRegnum Francorum.

En 715, la Neustrie, avide de liberté,s'insurge contre Plectrude et contreI'autorité austrasienne. Une successionrapide d'événements aboutit au choc de laforêt de Cuise, près de la "villa" royalede Compiègne. Cette sanglante empoi-gnade achève, par une défaite, le règne dePlectrude qui, échappant à grand-peineau carnage, s'enfuit avec son petit-fils,Théobald. Celui-ci, dit-on, en mourra depeur et de fatigue.

Les Neustriens étant victorieux, I'Aus-trasie est dans une situation critique.Celle-ci cherche une issue ; il n'est pas deredressement possible sans un chef.

Quelqu'un se souvient alors que Pépinavait un autre fils : Charles (2). Bien quebâtard, il n'en est pas moins le symboled'une lignee qui, grâce à lui, n'est paséteinte. Mais Charles se morfond en pri-son. Quelques complicités, un peud'adresse, et le cachot restitue son prison-nier : Charles est libre. La foule I'acclamecomme nouveau Maire du palais d'Aus-trasie (sorte de Premier ministre qui a laréalité du pouvoir royal).

Charles met à profit I'annee 716 pourréorganiser le royaume déchiré par les lut-tes. Suit un duel interminable entre I'Aus-trasie et la Neustrie. Un seul désir animeCharles : faire la guerre. Les prétextes nemanquent pas. Tant de peuples sont enmouvement, et comment vivre sans butin,sans otage et sans femme ? Infatigable,Charles promène ses armes en Bavière, enSaxe et, bien entendu, en Neustrie.

Abd-er-Ahman, ben Abdalla el GafekiEn ce temps-là, les Musulmans venus

d'Espagne s'emparent, presque sans résis-tance, d'une partie du Midi de la Gaule.Dès l'année 719, la Septimanie est occu-pée par l'émir Alsamah. Narbonne qui,par sa position géographique, offre unsolide point d'appui, reçoit une coloniemusulmane et devient le centre d'opéra-tions importantes. Ambessa, successeurd'Alsamah, s'empare de Carcassonne etde Nîmes. Mais l'Aquitaine lui opposeune résistance inattendue. Le comteEudes lui inflige une cuisante défaite à

(2) Karl signifie "rosé" ou "le joufflu" en vieil haut-allemand. Les chroniques franques Ie traduisirent par"Char les" .

Toulouse en 721. Si une victoire doit àtout prix être retenue pour le symbole,c'est Eudes d'Aquitaine qui, le premier,arrête les Musulmans à Toulouse en72l ;il les chasse également de Rodez en725.La déroute de leurs armées au-delà duRhône ne compromet pas la domination

des Musulmans en Septimanie. Mais àcette époque, en Espagne, eclatent destroubles qui les empêchent d'organiserune nouvelle expédition en Gaule.

C'est vraisemblablement sous le gou-vernement d'Ambessa que le roi chrétiendes Asturies, Don Pelage, repousse les

LES CAROLINGIENS

$.g_1." (dit Pépin de r,rnden)

626-629 : moire du polois d'Aus,rasie lr.uclc roi Clotairc II.

629-639: cril cn Aquitaint sous h ràgtuda Dngobert (mais son genùre da-oient maire tli palais à sa plæc).

639.640 : moirc ilu palais il'Austrasic à

Ârnoul de l|lerz

626-627 : moirc d'Àus.reosia oocc Pépin.

mairc du palais d'Austaswapràs Otton; à la mort deSigebert, il tentc de prerdrela couronnc il'Austrasie. Iléchouc et, battu, est mis àmort psr Clovis II.

mdirc dtAustrasicsous le règne dcDagobert.

êv!guc daifetz.

Drogur.t 708

It-t-

.lrnould lfugucs

Pépin II (dit Pépin d'Héristal)(êpourffi

679 : maire ilu palais d'Austrasic,aùnexa cn 686 la Ncusnic adcotcnt mairc ilu polois de"toutcs lan porties du roYaume.

t 714 (16 décembrc)

Grimoald CLarlcs Àfartelt 7t4 _ nê cn 689 ou 688

| 7t1-717 i luttc corrtrcI Plectrude

Théodcbald 717 z mairc clv palais - (ClotaircIV,rcitAus-d'Avstrasie

' trasie de7l7-719 ll

719 : défaite dc Ra-genfried. mairc dupolais de JVeustricI cn 731

738 : achà;e I'unitô

741 : diuise son tottau-me et mcurt Ic22 oct. 711

Carlorua rrAtmtrosie

Alamanie ct Thuring,ltuæ sut, sur Io Bat;i&c

i17 : lnt|e aL couoentt 7s.1

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I

Carloman Charlcnaguc'i 771

Bcgga X Anségiscl

DEFINITIONSSarrazing: nom donné, au Moyen Age,

par les Occidentaux aux Musulmansen g6n6ral.

Maures ou Moaes : nom donn6 par lesRomains aux Berbàres indépendants,ot plus spécialoment à ceux del'Ouest. A partir du 8. siècle, onappelle ainsi les Musulmans d'Afri-que, métissé3 d'Arabes ot de Borbà-ros, ot particuliàrement ceux qui con-quirent l'Espagne (en arabe al Marl.

Arabes jusque vers le Duero. Les peupla-des vascones (ou basques) qui ne dépen-dent pas du royaume des Asturies, et enparticulier celles de la vallée de I'Ebre,profitent également de la dispersion desforces musulmanes pour secouer leurjoug.

Ambessa eut cinq successeurs avantqu'en 729, le Calife de Damas nommecomme gouverneur de I'Espagne Abd-er-Ahman ben Abdalla el Gageki, I'Abde-rame des chroniques franques.

La péninsule espagnole était alors par-tagée en cinq provinces, la Septimanieétait la sixième avec Narbonne pour capi-tale. La Septimanie constituait pour lesMusulmans un poste avancé par lequel ilstouchaient les vallées du Rhône et de laGaronne qu'ils envisageaient de dominer.

A I'instar des provinces espagnoles, laSeptimanie eut son gouverneur particulierqui résida à Narbonne ; mais les autresvilles continuèrent à être administrées pardes comtes goths ou gallo-romains. LesChrétiens de la Septimanie conservèrent,aux mêmes conditions que ceux d'Espa-gne, la liberté de leur culte. Mais les rela-tions entre les Eglises de ce pays et cellesdu reste de la Gaule furent brusquementinterrompues,

Munuz el les Berbèrcs

Le rôle d'Eudes d'Aquitaine, commechampion obligé de la chrétienté, deve-nait de plus en plus difficile. Malgré sesvictoires contre les Sarrazins, ceux-ci nedésarmaient pas. La crainte de nouvellesinvasions était d'autant plus pénible qu'iln'était pas certain de pouvoir disposer detoutes ses forces pour les arrêter. Eneffet, Charles d'Héristal était pour lui, ducôté de la Loire, un voisin presque aussisuspect, et plus puissant que les Musul-mans.

Le sentiment du danger rendit Eudesattentif aux divisions internes qui avaientsuivi, en Espagne, la mort d'Anbessa ; ilcomprit qu'il pouvait en tirer quelquesavantages.

Abdérame venait de prendre d'unemain ferme et avec I'assentiment général,le gouvernement de la Péninsule. Avidede gloire et musulman zélé, il désirait ven-ger la mort de ses prédécesseurs tués enterre chrétienne. Il sollicita des gouver-neurs de I'Afrique et de I'Egypte degrands renforts de troupes. Il disposaitégalement de guerriers volontaires qu'ilavait attirés de toutes parts sous ses ban-nières par des promesses de récompenseset de butin. En attendant ces renforts, iloccupa son temps à rendre I'Espagne pai-

sible et prospère afin de partir tranquillefaire la guerre aux Chrétiens.

Les mesures que prit Abdérame déplu-rent à certains de ses subordonnés, maistous s'y résignèrent, à I'exception d'unseul, Munuz, qui par deux fois avait étéélevé au gouvernement général de l'Espa-gne pour en être deux fois déposé. Celuiqui lui avait succédé lors de sa secondedéposition avait tenté de se le concilier enI'investissant du plus important comman-dement militaire de la Péninsule,puisqu'il s'agissait de celui de la frontièreorientale, la "ligne des Pyrénées".

Abdérame ne songea pas à le relever deson commandement, D'origine berbère,Munuz cherchait depuis quelque tempsl'occasion de se manifester, Récemmentconvertis à I'Islam, les Berbères avaientparticipé aux côtés des Arabes à la con-quête de I 'Espagne. Les Berbèresn'étaient cependant pas vraiment soumisà leurs vainqueurs arabes.

Les gouverneurs arabes d'Afrique duNord (la Berbérie), toujours plus oumoins en garde contre eux, les oppri-maient pour les contenir. Les Berbèresn'en avaient que plus de motifs de seplaindre, et leurs plaintes retentissaientjusque parmi les Berbères d'Espagne. Laguerre civile en Afrique du Nord et enEspagne menaçait.

Au moment où Abdérame fut promuau gouvernement de la Péninsule, les Ber-bères d'Afrique furent plus maltraités quede coutume. Sous le prétexte de venger sescompatriotes, Munuz tenta de s'emparerdu gouvernement de la Péninsule, ou toutdu moins, de devenir indépendant.

Lorsque Munuz conçut ce projet, ilrésidait à Livia, et les forces qu'il com-mandait étaient composees en grande par-tie de Berbères dont il était sûr. Pourtant,sentant que ses forces n'étaient pas suffi-santes pour mener à bien ses projets, ilnégocia avec le chrétien Eudes d'Aqui-

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taine pour s'assurer de son appui. La pro-position du chef musulman était tropdans les intérêts d'Eudes pour que celui-cine s'empressât de I'accepter. Une alliancefut conclue entre eux, alliance danslaquelle chaque parti fit à ses convenancespolitiques le sacrifice de ses scrupules reli-gieux. Eudes avait une fille que les chroni-queurs espagnols disent d'une grandebeauté, nommée Lampagie ; il la donnapour femme à Munuz qui, toujoursd'après les mêmes chroniqueurs, endevint éperdument amoureux.

Eudes et son allié musulman se promi-rent un soutien mutuel. Les forces deMunuz devenaient en quelque sorteI'avant-garde de celles d'Eudes d'Aqui-taine. La frontière militaire de I'Aqui-taine avec I'Espagne musulmane se trou-vait par le fait reculee de toute la largeurdes pays gouvernés par Munuz, c'est-à-dire au moins jusqu'à l'Ebre. Enfin, laSeptimanie, n'ayant plus de communica-tions assurées avec le gouverneur musul-man de Cordoue, pouvait facilement êtrereconquise. Il y avait, dans les vuesd'Eudes, le pressentiment d'un plan quisera, à quelques détails près, exécuté plustard par Charlemagne.

La conspiration de Munuz aurait éclatéen 731. Malheureusement pour lui, lestroupes qu'Abdérame attendait d'Afri-que et d'Egypte venaient d'arriver, tandisqu'Eudes était appelé d'urgence sur lesbords de la Loire où les Neustriens etCharles d'Héristal lui donnaient beau-coup de soucis. L'Aquitaine, la Provence,la Vasconie, les bords du Rhône, étaientdes pays riches où Charles avait la certi-tude de trouver pour ses soldats du butinet pour lui-même un surcroît de puissanceet de gloire.

Sur un prétexte futile, Charles rompitI'alliance passee en 77î avec Eudes,assembla son armée dans le printemps de731, et se prépara à passer la Loire,

Le roi Eudes fuyant Bo?doaux en flammes {gravure de Bayard extraite d'une "Histoire de Francepopulaire" du 19. siècle)

Eudes, qui venait juste de faire allianceavec Munuz, se précipita pour défendreses Etats au moment même où il était dan-gereux pour lui de s'éloigner des Pyrénéesafin de soutenir son allié musulman.Charles passa la Loire, mit Eudes en fuiteet ravagea I'Aquitaine.

Pendant ce temps, Abdérame écrasaitMunuz qui réussit à s'enfuir dans la mon-tagne avec son épouse. Rattrapé par lessoldats, il se fit tuer tandis que Lampagie,amenée devant Abdérame, fut ensuiteenvoyée à Damas, afin d'orner le haremdu Commandeur des Croyants.

Eudes, vaincu, avait perdu sa fille etson allié musulman. Abdérame installédans les Pyrénées préparait sa prochaineexpédition. Il dut se mettre en route versmai 732. Il voulait piller et dévaster le plusrapidement possible le maximum de pays,venger la mort de ses prédécesseurs etrétablir au-delà des Pyrénées la terreurqu'inspiraient les armées musulmanes.

Prélude à la bataille

Abdérame avait déjà atteint les plaineslorsqu'il rencontra Eucies à la tête de cequi lui restait d'armée. Ce dernier futvaincu, son armée anéantie. Bordeaux futprise et pillée après une bataille meur-trière. Les Musulmans sortirent de Bor-deaux embarrassés de butin et, à partir dece moment, leur marche fut moins rapideet moins libre qu'auparavant.

L'armée d'Abdérame parcourut pen-dant trois mois les plaines, les montagneset les plages d'Aquitaine sans rencontrerla moindre résistance en rase campagne.Abderame prit la décision de réunir sesforces jusque là éparses. Il visait Tours,dont I'abbaye Saint-Martin renfermait untrésor prodigieux.

Arrivé à Poitiers, il en trouva les portesfermées et la population en armes derrièreles remparts. Il ne réussit qu'à prendre unfaubourg, celui où se trouvait l'égliseSaint-Hilaire, qu'il pilla er incendia. Nevoulant pas perdre un temps précieuxqu'i l voulait uti l iser à Tours, i l leva lesiège et reprit sa marche.

Certains historiens arabes affirmentqu'il prit Tours, mais cela est peu proba-ble. Ce qui paraît plus sûr est qu'il serra laville de très près et qu'il était aux environslorsqu'il rencontra I'obstacle imprévu quivint bouleverser ses plans.

Sans armée, dans une position de chefdéchu après le désastre de Bordeauxvoyant ses Etats à la merci de l'ennemi,Eudes d'Aquitaine ne vit qu'un seul per-sonnage capable de le tirer de ce mauvaispas. Ce personnage était Charles d'Héris-tal, duc d'Austrasie. Eudes se rendit àParis, lui raconta ses déboires et le con-jura de s'armer contre les Musulmansavant que ceux-ci eussent achevé de rava-ger I'Aquitaine et que I'envie ne leur pritd'en faire autant en Neustrie. Charlesconsentit.

Abdérame était sous les murs ou auxenvirons de Tours, lorsqu'il apprit que lesFrancs marchaient vers lui. Il aurait, à cemoment-là, fait lever son camp et reculévers Poitiers, suivi de près par I'ennemiqui le cherchait. L'immense train debutin, de bagages, de prisonniers que sonarmée menait avec elle, rendant sa mar-che de plus en plus embarrassée, il auraitenvisagé d'abandonner tout ce butin et dene conserver que les armes et les chevaux.Mais il ne donna pas cet ordre et résolutd'attendre les Francs dans les champs desalentours de Poitiers. Ceux-ci ne tardè-rent pas à paraître.

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La bataille de Poitiers

Les deux armées durent s'aborder avecméfiance, curiosité et effroi, I'une etI'autre étant réputées pour leur bravoureà la guerre. Il devait y avoir un bon nom-bre de Gallo-Romains dans l'armée deCharles, car le chroniqueur Isidore deBéja parle d'armée d'Européens (qu'ilnomme Europenses) et les Musulmansdisent qu'elle était composée d'hommesde diverses langues. Les Sarrazins furentimpressionnés par I'ordonnance com-pacte des rangs et le port des cottes demaille et des boucliers. Quant à la forcenumérique des deux armées, elle estinconnue, mais probablement celles-ciétaient à peu près égales.

Les deux armées s'observèrent durantune semaine et à I'aube du septième ouhuitième jour, Abdérame, à la tete de sacavalerie, donna le signal de I'attaquegénérale. Le sort du combat fut incertainentre les deux parties jusqu'au momentoù, profitant de I'approche de la nuit, undétachement de Francs contourna lecamp musulman pour le piller et pourprendre à revers les forces qui se trou-vaient plus avant. La cavalerie musul-mane abandonna le combat pour courir àla défense du camp et du butin qui y étaitentassé. Abdérame trouva la mort en ten-tant d'arreter cette retraite.

Cet incident, décidant du dénouementde la bataille, n'est d'ailleurs pas con-firmé par tous les historiens.

La nuit tombée, chacun regagna soncamp.

Dès I'aube, les Francs se disposèrent,comme la veille, en rangs serrés, s'atten-dant au meme mouvement de la part desMusulmans. Mais, à leur grand étonne-ment, aucun bruit ne provenait du campadverse. Etonnés, les Francs envoyèrent

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Charfos Martel et Abdérame à la bstail lo de Poitiers {gravure de Yan d'Argent extraile de l ' "Histoire de France populaire)

des espions qui découvrirent le campdésert. Les Sarrazins s'étaient enfuis pen-dant la nuit, abandonnant la plupart deleur butin. Ils s'avouaient ainsi vaincus.

Les Francs crurent à une ruse et fouillè-rent les alentours pour s'assurer du départde I'ennemi. Fantassins en majorité, ils nepurent poursuivre les cavaliers sarrazins..

Razzia de conquête ?

Dans leurs chroniques, les Musulmansdistinguent toujours razzia et entreprisesde conquête. Mais ces deux modes depénétration étaient toujours liés. En prin-cipe, ils ne tentaient jamais une invasionsans procéder à un raid ou un débarque-ment nocturne de reconnaissance, cettetactique leur permettait de raffler unmaximum de butin tout en sondant larégion. Ils déterminaient ainsi s'ils avaientou non intérêt à revenir pour s'installer.

Les effectifs engagés n'étant pas nom-breux, chaque incursion s'effectuait surun front étroit. Ils semaient la terreurparmi les populations en les harcelant deleurs chevauchées. Cette méthode -comme toute stratégie de raid - devaitmettre à rude épreuve les nerfs deI'ennemi.

Les Musulmans, essentiellement cava-liers, avaient un armement de qualité :lance, arc, bouclier rond et surtout leredoutable sabre courbé. Ils attaquaientpar vagues successives en essaim tourbil-lonnant et se repliaient rapidement touten tirant des flèches sur leurs poursui-vants. Rapidité et habileté caractérisaientcette méthode, mais leur faisaient crain-dre le choc d'une bataille rangée.

Les Francs étaient des fantassins. Ilsmanæuvraient en triangle, en "coin" ou"svinfylinking" c'est-à-dire "en forme dehure de sanglier".

On pense que c'est au cours de cettebataille que Charles gagna le surnom de"Martel". L'importance et les résultatsde cette bataille semblent avoir été exagé-rés lorsqu'on affirma qu'elle avait décidé

Etrang€ interprétation do "Carolus Martellus" parun gravsur du XVl. siàcle...

Ctwbs frlancl

du triomphe de la chrétienté sur I'Islam,sans tenir compte de la victoire d'Eudesd'Aquitaine à Toulouse en72l.

Les suites de la bataille furent toutaussi fâcheuses pour les Aquitains quepour les Musulmans. Charles Martel sem-ble n'avoir pris les armes contre ceux-cique dans I'espoir de pouvoir les tournerensuite contre les premiers. Il convoitaittrop la domination de I'Aquitaine pourmanquer une si belle occasion de I'obte-nir. Il se trouvait en plein pays aquitainavec une armée forte et décidée, alorsmême que le Comte d'Aquitaine n'avaitpu réussir à réunir ses forces dispersées.Charles contraignit Eudes à le reconnaîtrepour souverain de tous ses Etats et à luijurer fidélité et soumission.

Depuis trente ans, le Comte Eudesavait patiemment bâti un état indépen-dant : le seul qui ne fût pas germaniquedans toute I'Europe.

Si Poitiers (732) a effacé Toulouse(721) dans la mémoire collective, c'est queCharles Martel est le "grand ancêtre" dela dynastie des rois carolingiens. Lapapauté vit dans Charles Martel "ledéfenseur de la Chrétienté" et apportadonc son soutien aux Pépinides pours'emparer du trône occupé par les "roisfainéants" mérovingiens. En 751, le filsde Charles Martel, Pépin le Bref, devintroi des Francs avec I'appui du papeZacharie.

Chsrles Martel et I'unité carolingienne

Afin de prendre le pouvoir, la dynastiecarolingienne utilisa deux politiquesapparemment contradictoires : créer une

COMMENT ON ECRIT L'HISTOIREet leur cha^rité. Cependant, lcs Arabes n'étaient pas dcs balbares: ilssavaient tisser de belles étoffcs et construire de beaux monuments.

Cavalier arabe à la batail le de Poitiers.

11 . Charles-Martel arrête à Poitiers, en 732, unenouvelle invasiôn des Arabes. - a) Lcr Araber. - Lcs,\ral,rcs vcnaient du nord tlc I'Afrique. C'rjtaicnt de beaux hommes,vigourcux, le visage bronzd par le solcil. Conrnrc lcs Gaulois autrcfois,ils étaient très bravcs; ils ne craignaicnt pas lr rnort, car ils croyaicntrcvi'r're dans un autrc monde, oir ils scraient rdcompcnsds pour lcurbravoure, C'dtaicnt aussi d'cxcellents cavaliers, montds sur de petitschevaux très rapides. Pourquoi venaient-ils de si loin? Parce queMahomet, le fondateur de lcur religion, leur avait ordonné deconquérir le monde. Ils faisaient la < guerre sainte n. Ils impo-saient leur religion par la force: r Crois ou meurs r, drsarerrt-ils,taudis que læ disciples du Christ gagnaient les âmes par leur bontd

Texte et dessins viennent d'un ouvrage d'histoire "bien pensant" des années 30. A noter que la mosquée de Cordoue, devenue cathédrale, n'a étécommencée par les émirs que plus d'un demi-siècle après la bataille "de Poiliers".

ù) Lr brhillc rlc Poitisn.__ Les Arabes, après avoirfait la conguête de I'Espa-gnc, avaient franchi les Pyré-ndes et s'avangaient dans lerovaume franc. Charles-Mar-tei comprit que ces adver-saircs étaient trôs dangereux.Il réunit une gtandc armée,composée de Francs et mêmedc Germains, se porta au-devant des Arabcs et lesrcncontra près de Poitiers.Pendant scpt jours, les deuxarnrées se regardèrent. Enfinlcs cavaliers arabes sc prticrnitèrent en nombre immensciur I'armée de Charles-llar-tcl. l\Iais lcs l-rancs rcstaicntimmobiles comme un mur etrepoussaient toutes les atta-ques. A la fin, ils s'élancèrenti leur tour contre les Arabes,ct les repoussèrcnt. Pendantla nuit qui suivit la bataille,lcs Àrabes décantpèrent etse sauvùrcnt cn Espagneoir ils régnèrent pendantlongtemps.

La rlosquée de Cortlouc.

a-t-il anôté les Arabs à Poitiers 7

armée puissante de vassaux, rassemblésgrâce à la confiscation de terres d'Eglise,et soutenir la réforme de I'Eglise. Afind'augmenter le nombre de ses vassauxsans voir diminuer sa fortune personnelle- comme cela était arrivé aux Mérovin-giens - Charles Martel eut I'idée de nom-mer des abbés et des évêques laïcs pourjouir des revenus des terres ecclésiasti-ques, ou bien encore accorda directementou indirectement, à ses fidèles, en bien-fait, la jouissance de terres d'Eglise. Lestroupes de guerriers ainsi rémunérés par leduc d'Austrasie furent sans communemesure avec celles que pouvaient alignerses concurrents. Dans le même temps,Charles sut ne pas s'aliéner I'Eglise enencourageant renouveau et réforme. Ilprotégea le missionnaire Boniface (marty-risé en Frise en 754). Il protégea I'avancéedu Christianisme en Hesse, en Thuringeet en Bavière, de telle sorte que l'évangéli-sation qui, jusquelà, était le fait d'hom-mes isolés, devint une véritable entreprisepolitique, associant baptême chrétien etconquête franque. De plus, il encourageala réunion de Conciles pour assurer unemeilleure discipline ecclésiastique, prépa-rer une réforme liturgique et surtout, en743-744, régler le problème des confisca-tions des terres d'Eglise.

Les premiers Carolingiens apparurentcomme les seuls capables de restaurerI'ordre en Europe méridionale. CharlesMartel fut en effet un unificateur résolu.Il reconstitua, par des guerres incessantes,la Gaule de jadis. Que la journée de Poi-tiers ait eu I'importance que lui donne lalégende, ou que les problèmes internesque connaissaient à ce moment les Musul-mans aient déterminé le recul de la vaguevenue d'Afrique, importe peu. Le faitessentiel est que Charles soit apparucomme le champion de la Croix, le cham-pion de la latinité. Le talent de Martel nefut pas tant de vaincre à Poitiers qued'avoir su exploiter au maximum sa vic-toire. Il broie tout ce qui lui résiste. A lamort d'Eudes, en 735, i l se jette surI'Aquitaine et en occupe les villes, mais ilne fait rien contre les Sarrazins qui vien-nent de se répandre de Narbonne jusqu'àArles.

Ensuite il se dirige vers la vallée duRhône qu'i l soumet jusqu'à Marseil le.Après le duc d'Aquitaine, le duc de Pro-

Le gisant ds Charles Mart€l

:":,3i-. ,

' ' : : 1 . . . '

vence, Mauronte, est vaincu. Sur son che-min, Charles brûle Nîmes, Agde etBéziers.

Les Musulmans tentèrent la conquêtede la Provence et Charles Martel dut venirles combattre une nouvelle fois dans leLanguedoc. Pépin le Bref tenta d'éliminerI'occupant musulman de Narbonne. Il n'yréussit qu'après un très long siège, de 752à 759 | Charlemagne dut égalementaffronter une grande expédition musul-mane en 793. Poitiers ne fut donc pas lavictoire définitive sur les Musulmans. Il

s'agit bien plutôt de la mainmise des peu-ples du Nord sur le sud préparant lafuture unification carolingienne.

Madeleine FERNANDEZ

| ._:_:

Entrée do Charles Martel à Paris {732), (gravure extraite de l'Histoiro populaire do la Franc€").

ii,Ët

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LES SOLDATS DE L'AN II

Ils chontaient, ils allaient, I'âme sons épouvanteEt les pieds sans souliers ! (...)Sans repos, sons sommeil, coudes percés, sons vivres,Ils allaient, fiers, joyeux et soufflant dans des cuivres

Ainsi que des démons !La liberté sublime emplissait leurs pensées (.,.)La Révolution leur criait : "Volontaires,Mourez pour délivrer tous les peuples vos frères !"

Contents, ils disaient oui (...)La tristesse et la peur leur étaient inconnues.Ils eussent, sqns nul doute, escqladé les nues (...)

C'est ainsi que Victor Hugo participe à la création de la légende des soldatsde I'an IL Qu'ils sont sublimes, ces "va-nu-pieds superbes" qui "dispersaientau vent les trônes roulant comme des feuilles mortes". Ne sont-ils pas un cin-glant reproche à cette armée de 1852 qui vient de pousser sur les marches dutrône le prince-président Louis Napoléon Bonaparte. Mais ces "lions qui aspi-rent les tempêtes" étaient-ils tels que le poète les décrit ? Ne sont-ils pas idéali-sés ?

L'article qui suit, rédigé à partir d'une trentaine de lettres de conscrits, neprétend pas décrire toute la réalité de I'armée républicaine. Il témoigne desmentalités et de la vie quotidienne des soldats. Il apporte des éléments quijusqu'alors avaient été "oubliés".

S'il est vrai qu'à l'été 1792, dans de nombreuses régions s'est manifesté unréel enthousiasme patriotique pour défendre les acquis révolutionnaires, il nefut pas général et s'émoussa au fil des mois...

La rédaction

angles supérieurs de la page. L'armée duRhin fournit même du papier à en-têteorné d'une vignette au symbolisme évi-dent que même les illettrés sauront déchif-frer : éclairé par un soleil radieux, sedresse un mât feuillu. couronné d'un bon-net phrygien et traversé d'un drapeau tri-colore. Au pied de cet Arbre de laLiberté, un lion repose auprès d'un tam-

AUVERGNATSLe 2 thermidor de I'an II (27 juillet

1794) marque un tournant décisif dansl'épopée révolutionnaire. L'autoritarismemontagnard, qui a permis au nouveaurégime républicain de triompher des enne-mis de I'intérieur (écrasement des insurgésvendeens en décembre 1793) ligués à ceuxde I'extérieur (victoire de Fleurus en juin1794), devenu inutile et oppressant, meurtà son tour dans la violence (renversementde Robespierre et de ses partisans). Luisuccède la bourgeoisie thermidorienne,fermement décidée à stopper la Révolu-tion populaire pour maintenir les nou-veaux privilégiés à la tête de la Nation(accapareurs, acheteurs de biens natio-naux, fournisseurs aux armées et person-nel politique...) et à restaurer le libéra-lisme économique.

Mais de ces bouleversements politiquesqui agitent I'an II, aucune des lettres nedonne le moindre écho. Etonnant

silence ! Il est impensable que ces hum-bles conscrits n'aient pas eu connaissancedes changements qui affectaient le pou-voir central. S'agit-il d'un silence pru-dent, dans I'attente d'une clarification dela situation politique, avant de s'engager,ou bien d'un silence indifférent à des bou-leversements qui n'affectent en rien ledéroulement de leur vie quotidienne ? Oncontinue à faire la guerre. Plus curieuseencore. I'absence de traces des traités depaix de Bâle et de la Haye d'avril/mait795.

La présentation des lettres de soldatsd'Auvergne pourrait laisser croire à dessentiments patriotiques, si son uniformiténe reflétait pas un modèle imposé et, enconséquence, une certaine surveillance dela correspondance. En effet, presque tou-tes (à I'exception de celles provenant deVendée) débutent invariablement par lesmots Liberté et Eealité, répartis aux deux

1 LETTRESDE CONSCRITS

L'HISTOIREAU FOND

Trento ot uno lettres écrites en 1794 et1795, une autre datée de janvier 1798,permettent de pénétrer dans l'universfamilier de ceux qui quitlàrent leur foyer etleurs travaux pour combattre aux frontiè-res de la France menacée, puis mena-çante. De l'Armée d'ltalie proviennent 2Omissives, de I'Armée du Rhin 4 : des lieuxoù la guerre continue de faire rage. Lesautres lettres témoignent d'horizons plus"calmes" ; 3 furent expédiéos de la Ven-dée "pacifiée" et les autres de ports ou devilles de l'intérieur.

Ces lettres furent à l'origine rassom-blées par les municipalités ce qui enassura la conservation. ll s'agissait alorsde fournir à l'administration une preuved'incorporation €t d'ôxistencê. afin queles familles puissent percevoir les secoursprévus. (Cent livres par an en 1794, éctitun des Défenseurs de la Patriê qui indiquepar ailleurs que le pain vaut 1O livres lekilol. Plus insidieusement, les autolitéspouvaient glaner des tenseignsments pourfaire la chasse aux dés€rtours et éÎablildes rapports concernant l'état dos 6sprits.

Notons qu'une t6lle source historiqueprésente des difficultés d'exploitation :nous ne disposons pas dê toutes les let-tres rédigées durani la période envisagée.Le genre épistolaire déforme souvent lessentiments véritabl6s.

Une quinzaine de jours généralementparaissent nécessaires à l'acheminementdu courier et un bon mois s'écoule avantque le soldat ne trouve l'occasion derépondre. La fatigue, los combats, la mala-die sont souvent invoqués pour excuserles retards anormaux. Arrivé à dostination,le billet sera tant lu et relu que les parentsanalphabàtes pouront bientôt le réciter demémoire, et le moindre t6rme €n sora lon-guoment pesé par chacun des parents etamis,

L'univers dos relations paraît des plusréduits : outre le noyau parontal. les fràreset sæurs (qu€ l'on ne désigne jamais parleur prénoml on salue également leursconjoint et rejstons, surtout lorsqu'on setrouve parrain d'un de ces derniers. Unoncle et une lanto s'ajoutent parfois, sansqu'on éprouve le besoin de mentionner lescousins, à moins de s'adresser globale'mont à "touto la maison". Un "grand" etune "grande" (grands-parentsl ne s€voient cités qu'une seule fois. Ouant aux

Leatrcs & conscrlts auvorgnats

bour, un coq se perche sur un canon. Lesmots Liberté - Egalité - ou la Mort enca-drent le dessin. Mais trois rédacteurs seu-lement innovent en ajoutant au sloganordinaire de la République quelquesmaximes révolutionnaires : "Humanité etfroternité" proclame l'un d'eux ; "Vivrelibre ou mourir" écrit un autre ; "Amourdu Peuple" calligraphie enfin un dernier.

Comme les deux mots d'ordre imposés,la référence au calendrier républicain,dans I'en-tête des lettres est de rigueur. Laplupart du temps, la datation ajouteI'expression la "République françoise,une, indivisible" et gênéralement "démo-cratique". Deux soldats seulement fontp r e u v e d ' i n i t i a t i v e : " V i v e I aRépublique", ajoute I'un i "Impérissa-ble, inépuisable, intorissable", renchérit

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I'autre. Mais le "Vieux slyle" (calendrierchrétien) revient tout naturellement sousla plume lorsque, en cours d'écriture, seprésente le besoin de dater un événement.

Dans le même ordre d'idée, un jeuneAuvergnat fraîchement arrivé à son can-tonnement indique pour adresse : Port-de-la-Montagne (nom imposé à Toulon,après sa reprise par les armées républicai-nes). Un mois plus tard, Toulon auraretrouvé dans la correspondance, sadénomination traditionnelle.

Hors de ce républicanisme de façade,trouve-t-on quelques manifestationsspontanées de patriotisme ?

"Les vaillants défenseurs de la patrie"

Si rarissimes sont les lettres traduisantun soupçon d'enthousiasme que les citerne prendra pas beaucoup de place. "Mal-gré les peines et les fatigues que nousavons, çq nous ennuie point porce quenous nous battons pour nous-mêmes (..,).Je puis vous dire que je sers toujours enbrave républicoin et en voillant défenseurde la potrie" écrit un soldat de I'armée duRhin à son épouse. Mais sa lettre date du3l mai 1794, du temps où I'on parlaitencore de défendre la patrie et de libérerles peuples opprimés ; de surcroît, père defamille, il fait partie des rares véritablesvolontaires, un qualificatif qu'il ajoutefièrement dans la boucle de sa signature.Quatre autres recrues seulemeat ferontétat d'une telle condition.

Parmi notre trentaine de "Défenseursde la Patrie", combien de "Volontoiressous peine de mor|", comme disent ironi-quement les adversaires du nouveaurégime ? Combien de remplaçants, payéspour "risquer leur peau" à la place d'unautre plus fortuné ? Ainsi Claude Dus-son, de ce "très mauvais pays" qu'est lePiémont, s'inquiète de savoir si son père abien touché I'argent qui lui revenait dutirage au sort, à I'occasion duquel il s'estvendu pour prendre la place d'un autre.Une dévaluation catastrophique ne cessed'amoindrir la somme alors promise parcontrat. La conscription rendue obliga-

toire par le décret d'août 1793 (levée enmasse) a-t-elle véritablement instauréI'Egalité ?

A Puy-Guillaume, sur quelque 70 cons-crits, 38 proviennent de cette levée en

2O avril 1792 - La France déclare laguerre au roi de Hongrie et qeBohême.

25 avril - A Strasbourg, Rouget deLisle compose et chante chez le maireDietr ich son "Chant de guerre pourl 'armée du Rhin", que l 'on appelleraolus lard "La Marsei l laise".

11 juif let 1792 - L'Assemblée pro-clame la Patr ie en danger.

21 jui l let - Le décret proclamant " laPatr ie en danger" est lu sur les placespubliques au son des canons d'alar-mes. A Paris, 15 OOO volontairess'enrôlent en une semaine.

26 ao0t - L'Assemblée décrète unelevée de 30 O0O hommes.

20 septembre 1792 - Victoire deValmy sur les Austroprussiens.

6 novembre - Victoire de Jemmapes.21 décembre - La Convention décrète

l 'unif icat ion de la solde entre trouDesde l ignes et volontaires nationaux,pré lude à "1 'amalgame" .

21 janvier 1793 - Exécution de LouisXVI

Février 1793 - Entrée en guerre del 'Angleterre.

tfôvrlæ l7l&l - La Convention décrètela levée de 3OO OOO volontaires. El leprévoit de nombreux cas d'exemptionet le recours au tirage au sort pourcompenser l ' insuff isance éventuel ledu volontariat. El le décrète l 'amal-game €1 l'élection d'une partie desofficiers par les soldats.

4 mars 1793 - A Cholet, 1ère mani-festat ion contre la levée des "volon-taires" appl iquée en lait comme uneconscription.

9 mars - Envoi de 86 représentants enmission dans les départements pouractiver l 'exécution du décret sur lalevée des 3OO OOO hommes.

3O avril - La Convention décrète lac r é a t i o n d e 1 1 a r m é e s .

4 août 1793 - La Commune de Parisdemande la levée en masse de laNation.

A &û l7*l - La levée en masse dupeuple françalb est décrétée par laConvention.

OUI DORTDES TIROIRS

familles amies, elles se limitent au voisi-n a g e i m m é d i a t . A u s s i t o u t o u b l ientraînera-t-il dos vsxations. Pour avoirmanqué pr6cédemment à co codo natureldes convenances, des lattres contionnentdes excuses réitérées :

"Je suis doublement coupable d'avoirpréféré d'écrire plutôt à un oncle qu'à unemère - guoique cependant lui ai-je bienmarqué de vous saluer de ma part et devous témoigner combien vous m'étiezchère... Je vous avais oublié, oh quelcrime ! Non, j'avais l'esprit égaré, il mefaut absolument une lettre ou votre mainaurc tracé mon pardon...".

"Mon frère se plaint que je n'ai pointmarqué de compliments pour toi".

Les rédacteurs, maltrisant plus oumoins bien leur plume, oauvrent souventpour le compte de camarades analphabà-tes, qu'ils écrivent sous la dictée ou impro-visent au gré de leur inspiration poul rem-plir la page. Ouelques formules nous avar-tissent parfois de ce dédoublem€nt d€ per-sonnes : "Je fais mettre la main à laplume" ; "ll faut que celui qui I'a écrit lmadernière lelltol l'ait oublié car je lavait bienrecommandé". Ou bien encoro, après lec-ture de sa prosa, le scribe d'occasion secontontora de rectifier par des ratures lsserreurs manifestes. remplaçant "Mon trèscher père" par "Ma très chor màre" parexemple. ll arrive aussi que le secrétaireimprovis6, omporté par son élan, signe lalettre de son propre nom !

A ces cas flagrants de lettres dictéess'ajoutent tout€s celles qui sont dépour-vues de signatures. Ainsi pouvons-nousévaluer le taux d'analphabétisme à 70 %.Taux minimum car le rédacteur bénévolepeut pousser l'obligeance lusqu'à inventerune signature à son camarade.

Certains profiteront-ils du service mili-taires pour apprendre à lire et à écrire ? TelFrançois Dauzat qui conclut fiàrement safottle pal c€s mots : "Ce moy tia fait lalai-tre". Si son orthographe laisse à désirer, lejeune soldat possède une remarquableécriture. Mais il est vrai aussi que le nou-voau lottré totalise près de cinq ansd'ancienneté, Exceptionnel paraît son cas,dans les premiàres années de la Républi-que. 2 à 3 soldats sur 1O sont capables demanier la plume.

Jamais sans doute nos jeunes Auver-gnats et leur famille n'avaient éprouvé àun tel point le besoin de savoir lire et6crire.

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masse. Mais cette réquisition de tous lescélibataires et veufs sans enfant de l8 à 25ans ne deviendra effective qu'au moisd'avril de I'année suivante. Parmi la tren-taine de recrues des années précédentes, iln'y a que 8 volontaires, et aucun n'estnatif de la commune.

Passé thermidor (juillet 1794), un autreconscrit conclut : "Votre fils pour la viebon Républicain". De I'armée des Alpes,un jeune Puy-Guillaumois, entre la tradi-tionnelle introduction sur la santé et laconclusion tout aussi conventionnelle.êcrit : "Vous voudrez bien agréer que jevous fasse passer por lo poste le certificatque vous me demandez; je suis charméde vous donner droit à la gratificationaccordée par la Convention aux porentsdes bons défenseurs de la patrie. Nousopprenons avec le plus vd intérêt I'avan-cement de nos armées. La patie est sau-vée, vive lo République /". Seuls rensei-gnements glanés dans les registres d'état-

civil, les parents du signataire - ou pré-tendu tel - sont tous de besogneuxmétayers-meuniers analphabètes. MaisI'intéressé lui-même n'a laissé d'autrestraces que son acte de baptême : ce quiimplique qu'il mourut dans une autrecommune, peut-être pendant son séjour àllarmée. Il paraît donc vraisemblable quecette lettre fut rédigée par un camaradeayant pour seule consigne d'indiquer quetout allait bien et que le certificatdemandé suivait.

Un dernier "Défenseur de la Patrie",enfin, assure ses parents qu'1ls "seraientflattés de voir sa conduite" car "la seuleconsolation qui me reste c'est d'être ousemice pour la défense de ma patrie".Mais à vrai dire, ce patriote ne prendguère de risques : "planqué" à Lyon, ilprofite de son séjour afin de marchanderune pièce de soie pour le compte de sonpère, ainsi que nous I'apprenons dans unpost-scriptum dont le sérieux tranche

étrangement avec I'emphase du corps dela lettre.

"Je ne scruray pas vous direlandroit vous i l et..."

A en juger par leurs propos, les "bra-ves défenseurs de la Patrie" ne paraissentdonc guère passionnés par leur mission.Mais combien d'entre eux savent-ils cequ'ils font, et même où ils sont ? Caracté-ristique apparaît le cas de Jean Vialon. Cedernier, pour détromper ses parents qui lecroient proche de son frère également sol-dat, écrit d'abord ; "Il est du cotté del'armée de gauche et moy je suis du cen-tre". Puis il se ravise et biffe, remplaçantgauche par "croit" (droite) et centre par"Hitaly". Le frère de Jean Vialon (qui senomme également Jean Vialon) se trouveaussi bien à droite qu'à gauche : toutdépend de la position de I'observateur !En effet, il appartient à I'armée de laMoselle. Du Luxembourg, il expédie unedouble page remarquablement précisequant à la marche triomphante de sa com-p a g n i e p e n d a n t l a c a m p a g n ed'octobre/novembre 1795. Il va mêmejusqu'à donner I'heure des événementsnotables, telle la prise de Coblence, le 2brumaire à 8 heures du matin. Un vérita-ble reportage à combler d'aise les collec-tionneurs de batailles.

Cet autre Jean Vialon serait-il I'enfantprodige de sa famille ? Le seul de notretrentaine de jeunes Auvergnats à dominerl'événement ? Hélas, pas plus que sonfrère, il ne s'avère capable de signer samissive. De toute évidence, celle-ci futconfiée à I'improvisation d'un camaradelettré. Lequel, pour accomplir sa tâche,ne fit que reprendre quelque communiquémilitaire, sans doute glané dans une pro-clamation ou dans un des journaux desti-nés à entretenir le moral des troupes. Lesautres soldats se montrent infinimentmoins précis. Empêtrés dans un style etune orthographe qui les paralysent, ilsparaissent en revanche plus spontanés etplus personnels. Leur maigre vocabulaire,leur style gauche et leur inspirationréduite traduisent néanmoins des réalitésprofondes et émouvantes.

Si les événements qu'ils vivent lesdépassent, les deux Vialon commeI'ensemble de leurs camarades connais-sent bien pourtant, par les souffrancesqu'ils endurent, le prix de la guerre.

"Nous avons eu bien des misères"

Si la demi-douzaine de billets expédiésde Vendée ou des vil les de I ' intérieur

LA LEVEE EN MASSE(Décre t du 23 août 1 793)

Digtrict de Thi*s, s&ncc du 16 frimaire an 2 14 décembre 1793)Un membre a dit : vous venoz de rece-

voir une lottro du ministre de la Guerrerelative à l'incorporation dâs citoyens dela 1àre R6quisition (...1. Vous ôvoz vudans cotto lettre que le ministre présumeque la réunion des jeunes citoyens estdéjà effectuée et organis6e.

L'ensomencement des terres, arrôtépat la Lcv& n Mas, jointe au défautde subsistanco3 €t au dénu€m€nt absolud'armes et d'effets d'équipement, vousont longtomps empôchés de mettle àexécution cette loi. Vous en avez pré-venu le ministre ainsi que lo départe-mont ; vous leur avez fait part de vosembarras st do vos craintes. Ensuitovous avoz 6crit aux municipalit6s pourfaire le dénombremont des citoyens dela lèrc Réquisltbn et les avsrtir de setenir prâts à se rendre au chef-lieu aupremier signal.

Si vous dillfiez plus longtemps d'opé-ror cetto réunion, on pourrait donner defaussos coulours à votre sollicitude etvous imputer les causes de ce retard. Jedomande en conséquence, quoique vosmoyons an armes 6t surtout en effetsd'équipement soient encore absolumentnuls, et qu€ notre district éprouve lesplus grandes difficultés pour se procur€ldes subsistancos, que vous vous occu-piez sur le champ de l'exécution de cetteloi qui, en appelant à la défense de lapatrie une foule de Bravæ Guerriers,doit assuror lo triompho de la Ubctté etchasser do notre territoire les hordesbarbares des brigands couronnés qui lesouillent encora,

Le Directoire, adoptant cotte ploposi-tion, oui le substitut du Procureursyndic,

ABRETE:Araicb t-.' Lss citoyans non mariés

ou veufs sans onfants de 18 à 25 ans,se réuniront au chef-lieu du district sansdélais pour s'y oxercer au maniementdes armes, on attendant l'heure dudépart.

Araîcb 2 .' Les municipalités sont char-gées d'avertir et do faire réunir de suite àThiers les jeunes gens compris dans lalàn Réqubitîon qui sont dans leur com-mune. Elles en dresseront une listequ'elles apportoront et env€rront corti-f iée à l 'administrat ion (. . .1.

Articb 6.' Les municipalités demeu-rent rosponsables du moindre retarddans le rassemblement et remise des lis-tes. Elles sont plévenues que la loi pro-nonce les peines les plus rigoureusescontre c€ux qui ne s'empressoront pasde concourir à sa p?ompto exécution.

( M a l g r é c e t t e s é v è r e m i s e e ndemeure , la mun ic ipa l i té de Puy-Guil laume attendra le 23 germinal del 'An l l l - 12 avr i l 1794 - pour d resserla l iste des ieunes gens de la 1ère Réqui-sit ion. A la tête de la commune, les bour-geois répugnent à se séparer de leurs f i ls- auxquels i ls ne peuvent plus payer deremplaçants - mais aussi des prolétai-res ruraux nécessaires à la culture de sesvas tes domaines cons idérab lementaccrus à l 'occasion de la vente des biensdes ci-devant privi légiés).

témoignent d'une vie relativementsereine, il n'en va pas de même des autres,provenant d'Italie ou du Rhin où laguerre se poursuit.

"Je vous fayt sovoir que nous ovonsbien des misaires, cor je ne peux pas vousen faire le détailis car il an seret trop lon.Mes dieu mercy nous novons pos euaucun maleur".

En ltalie, aux opérations incessantes,s'ajoutent le froid et la fatigue. par laplace prépondérante qu'elles tiennentdans la correspondance, les rigueurs dupays paraissent plus redoutables encoreque les attaques de l'ennemi. Il serait fas-tidieux de reprendre toutes les plaintesqui, à quelques variantes près, se répètentdans la majorité des lettres.

"Je vous fais savoir que nous souffron-bien dans ces montognes (les Alpes).Nous montons la gorde tous les 2 jours.Nous montons des montagnes qu'il nous

faut 5 heures pour les monter et quantnous y somme, nous souffron baucoup defroit et an même temps nous sommesattaqués à tous momant, Nous ne pou-vons pas quitté le fusil de la main, ni lesac".

Ces " montognes inaccessibles " ,"enneigées dès le l0 septembre", "cou-vertes de plus de I0 pieds (3 mètres) deneige", "où I'on reste jusqu'à cinq semai-nes sans même pouvoir se déshabiller",enragent plus que tout. On peut espérervaincre les hommes ; pas cette nature hos-tile qui paraît se liguer avec I'ennemicomme si elle voulait défendre le pays.

"Lio la moitié du détachement qui sontselë".

"Très mauvais pays où now ne voyonsque le ciel et lo terre", écrit I'un. "Foutu

"Donc c'étdit notre plaisir que de nous amuser avec les anemis"

pays dont nous ne pouvons partir", ren-chérit un autre.

"Si sa continu je ne ses pa ce que nousferon. Nous couchon sur la nège. Encorenalant pas Ie vantre guère ploin, la moi-tiez sont alopitolle, lé sautres de garde".

"Nous sommes à la barbe de I'ennemi"

Rognant largement sur I'automne et leprintemps, le rigoureux hiver alpin finitcependant par laisser place à des temps

. Popu la t ion de Puy-Gui l laume en1 793 : 1 2OO habitants.o Défenseurs de la Patrie recrutés lorsde la levlle en masse : 38.o Pr6cédontes levtles de 1793 : 31conscrits tirés au sort (sauf I volontaar€sdont aucun n'est nati f de la commune).o En 1797, on comDte 8 morts oarmices soldats. Mais, précise une note "Lenombre de morts doit ôtre plus consé-guênt ; on n'a porté ici que celui exacto-m€nt connu par le relevé des décàs".r De 1793à 18OO, 12déser teurssontmentionnés dans les dél ibérations muni-ciDales.

plus cléments. Mais demeurent la fatiguedes escalades et le harcèlement de l'adver-saire autrichien omniprésent et parfaite-ment à I'aise dans ce pays qui lui rappellele sien. Contre cet ennemi, cependant, onne profère pas la moindre parole hai-neuse. Pas le moindre qualificatif permet-tant de le différencier du soldat français :ni nationalité, ni couleur d'uniforme, niterme péjoratif. Il est I'ennemi, un pointc'est tout.

Les troupes "doivent vivre du pays","la guerre doit nourrir la guerre", ontdécrété les autorités françaises.

"Tous les 5 a 6jours, on allait chercherle fourroge des Piémontois. Donc c'étoitnotre plaisir que de nous amuser avec lesanemis",

Sans doute capables de cruauté àI'occasion, nos jeunes Auvergnats parais-sent ignorer I'esprit de vengeance. Il estvrai que le froid et la maladie font plus deravages que les balles ennemies. Nesentent-ils pas de surcroît, plus ou moinsconfusément, qu'ils occupent un terri-toire ne leur appartenant pas ? Soldatsd'occasion, ils paraissent en tous casaccomplir leur tâche sans le moindreenthousiasme. Ils souhaitent surtout sau-ver leur peau.

"Je vous diroy que nous otondon o uneattaque terible huit de septembre, may sij'ay le bhonneur de me sauver je vousferoy réponce sitot appré la madonne".(La référence à la Madone - nativité dela Vierge - s'explique-t-elle seulementpar la tradition, ou bien contient-elle uneprière informulée ?)

Les armées du Nord souffrent sansdoute moins des rigueurs du climat et durelief. On ne se contente pas d'occuper leterrain, comme sur les sommets italiens.mais on cherche à vaincre I'adversaire pardes offensives répétées. "Ce qui foit quej'oi tant tordé a vous récrire, c'est que jen'ay pas eu le temps, à cause que noussommesfatigués de semice. Nous sommesà lo barbe de I'ennemi, Nous sommes tousles deux jours de semice. Nos sentinellesne sont qu'à dix pas des sentinelles enne-mies".

Si on ignore les escalades et si le froid

â"zu*t? Jc*-.ovv*tLf .-

12

"... Tout y est hors de pilx et on ne trcuve pas depain, même avec de l'atgent"

reste supportable, on connaît d'autrestourments. L'édification de fortificationsexige "un travail de mercenoire". Pen-dant deux mois, sous le feu incessant deI'ennemi, écrit un soldat du génie, quatremille hommes ont travaillé tous les joursdu matin au soir sans avoir une seulejournée de repos.

Aucun de ces soldats d'infortune ne selaisse aller à la fanfaronnade. Pour fairecomprendre sa tragique situation : "pen-dant cinq jours et cinq nuits (..) les bou-lets, les obuses et les bombes ont tombés'ur nous comme la grêIe", Jean Bertinindique que le bombardement prenait unetelle intensité q:ue "plusieurs fois il m'afallu jeter mq soupe qui étoit prête à êtremongée". Pour apprécier le geste à sajuste valeur, il faut connaître I'impor-tance sacrée de ce plat, qui constitueI'essentiel des repas chez les campa-gnards.

"Il fait très cher vivre"

Passées les rudes épreuves du froid, desescalades, des travaux et des batailles, le"soldat" peut-il gotter un repos mérité etse réconforter avant de reprendre fusil ethavresac ? Avec la plus grande amer-tume, il constate vite qu'au cantonnementd'autres difficultés I'attendent :

"Il n'y a rien d'extraordinaire au poysoù je suis, sinon que tout y est hors deprix et qu'on ne trouve pss de pain, mêmeavec de I'orgent", écrit, à la fin de I'année1794 - la liberté des prix est alors totale-, Antoine Descotte, hospitalisé à Avi-gnon.

Qu'ils prennent leurs quartiers dans lesvilles alpines, sur les rives du Rhin, enVendée, ou soient "planqués" dans quel-

que ville de I'intérieur, tous nos conscritsdéplorent le coût "exorbitant" des den-rées les plus ordinaires. Une lettre surtrois fournit des précisions sur les prixstupéfiants du pain et du vin, notamment.Or les soldats cherchent moins à fairebombance qu'à compenser les rations quine cessent de diminuer : ainsi, en novem-bre 1795, I 'armée d'ltalie ne fournit-elleplus qu'un quart de la portion de pain, cetaliment de base.

"Nous ne gognons que 4 livres I0 solspor jour, el ovec celo il faut s'entretenirde souliers et de tout", écrit Pierre Morotde Nice, en juillet 1794 sous la Conven-tion montagnarde. Situation d'autantplus difficile que la maigre solde, payée enbillets, les assignats, perd sans cesse de savaleur. (Pour la compréhension des som-mes citées, rappelons qu'une livre, oufranc, vaut 20 sols). Mars, poursuit PierreMorot, avec ces 4 livres I0 sols, notrepaye nous vaut pas 3 sous en numéraire.Nous sommes malheureux avec nos bil-lets. Les écus de 6 froncs en numéroire sesont vendus 80 et 100 F en popier. Toutest hors de pr*". Ainsi, le pain de muni-tion de 12 sols en argent vaut 20 livres enpapier : trente fois plus cher ! Le vin, aulieu de 4 sols en numéraire, se vend l0livres en assignat : cinquante fois pluscher ! Les æufs, le beurre, le fromage, lamerluche, le saucisson, et même les pom-mes de terre deviennent inaccessibles. Neparlons pas de la viande, hors de portéede la bourse du commun des soldats.Petite compensation, durant un siège decinq mois et demi, "le cheval o foit notrebonheur".

Pire encore : non seulement les denréessont chères, mais encore deviennent-ellesrares, voire introuvables : "et nous nepouvons même pas en trouver pour deI'argent".

Que faire, sinon subir en serrant laceinture, ou bien se débrouiller ? Siaucune des lettres n'en fait état, d'autresdocuments attestent que la maraude cons-titue une pratique courante.

Les "Défenseurs de la Patrie" sedoutent-ils que des fortunes s'édifient surleurs privations et leurs souffrances ?Ainsi les céréales se vendent-elles 50 9o

LE TIRAGE AU SORT

. 11 mert l7l9, I'an tl & b RSIUïC.tc fut g,Jrc : Recrutt,ntant & ,5honmæ prmî ls gaæons ct ls hom-tttccvcttîtrc,ns crrfanlr@,uis fâgc e18 ans jusqu'à tO ans en éât & NrTcrlæarmæ.

"Aucun volontaire ne so présontant, ila ét6 unanimemont arrôté que pour lecomplément du contingent de la ditemunicipalité de Puy-Guillaume qui est de15 hommes, il serait sur le champ etsans désemparer procédé à co complé-mont pal la voie du sort. En consé-quence, los dits commissaires ont formé105 billets, qui €3t le nombre pareil àcelui des citoyens inscrits sur la ditelisto, ot lesquels ils ont appelé au titagopar numéro. ll a r6sulté de cette opéra-tion que les citoyens ci-après, syant tiréun bilfet sur lequel était inscrit I S&tû b B&uilhw ont été nomméscomma tels".(Suit la l iste des 1 5 nouvelles recrues)

Les Soldats de l'An ll

CONTRATS DE REMPTACEMENT

Dcux awil l7llll .' Enregistié un actepar lequel Claude Fradin. fils à autreClaude, sabotier au village dit Font-chaudes, paroisse de Ferrières, s'obligede remplacer Etienne Ruben, tailleurd'habits à Ris, soldat de la République,moyennant 5OO livres ; que le dit Rubons'oblige à lui payer s'il est reçu au Corps.Et si le dit Fradin refuse de marcher, ils'oblige de payer au dit Ruben pareillesommo de 5OO livres pour dommage.

Môme &tc.'Acte par lequel JacquesCognet jeune, vigneron à Ris, s'oblige àremplacer autre Jacques Cognst, l'aînéde ses fràres, soldat de la République, ets'oblige de marcher à sa placa, à condi-tion qu'il prélèvera sur la portion dosbiens de son lrère dans la succession defeu Jean Cognet leur père, la somme de300 l ivres {. . .} . Et dans le cas où i l refusede marcher, le dit Cognet aîné prélèverapareille somme sur la poition dê sonfràre.

*lômo &tu.' Obligation de 8OO livrespar Joseph Barghon à André Bigay s'ilest admis au remplacement du dit Barg-hon comme soldat do la République.

plus cher aux armées qu'aux particuliers.Un fournisseur de I'armée d'Italie seraaccusé en 1796 de détournements considé-rables sur la nourriture des chevaux.Quant à la population civile, elle exploitela situation au mieux de ses intérêts, entoute légalité depuis que le gouvernementthermidorien a abandonné la taxation desdenrées.

Aussi, franchement ou en biaisant,so l l ic i te- t -on I 'a ide f inancière desparents : de I'oncle ou de la tante à leuraise, quand le père ou les frères sontimpécunieux ; des uns et des autres quandon les estime capables de fournir quelquesubside.

"Mon père, je vous prit de me fairepacez de largeant porceque jan nez bienbesouin, parceque ceux quinon pouindarjant ne sonpa heureux ; "Mo cheremere (...) je vous diré que jé reçu les 23livres que nous mavez anvoyer. Vous maver foit un plus grat plaisir du monde quejé très dout obligation o vous randre.Mon cher frère, si tu poux vet man fairepasser quelque asignat tu mefera ungrand plaisir".

Vingt à vingt-cinq livres constituentgénéralement les sommes envoyées, cha-que trimestre environ : de quoi se payerune quinzaine de chopines de vin. Dansplusieurs lettres perce un soupçon : la vieest-elle si chère au pays ? Autrement dit,ne profiterait-on pas de la douloureusesituation des soldats pour les accablerdavantage ?

Encore le conscrit en activité, malgréles souffrances et les risques encourus,peut-il s'estimer heureux. Il y a pire que lefroid, la fatigue et la guerre : I'hôpital.

"Grsce à dieu je n'ay point été a I'hopital"

En effet, I'hospitalisation n'a riend'une sinécure. Les nombreux avis dedécès survenus quelques jours seulementaprès I'admission des blessés ou des mala-des I'attestent. Ce sont de secs formulai-

Leltres de conscfits auv.ergnats

res expédiés aux municipal irés af inqu'el les accomplissent les formali tésnécessaires. La maladie exerce plus deravages que le fusi l ; le bistouri et le man-que de soins achèvent plus de maladesqu ' i l s n 'en guér issent . Encore nedisposons-nous que du seul témoignagedes rescapés, plus ou moins bien rétablis.

"J'ay été a I'hopital pour trois mois defièvre, et quand la fièvre m'o quitté j'ayun grand mal aux yeux. J'ay quasi un æilperdu".

Des conditions d'hygiène épouvanta-bles, I'ignorance de I'anesthésie et deI'asepsie condamnent nombre de blessés àune horrible lin : "Je vous écrit d'un litde douleur ou je suis retenu por des infir-mités dont j'ignore le terme et pour laquelle on m'a fait deux fois I'oplicationde vécicatoires ; de plus ont m'afait brul-ler du coton sur la partie soufrante, lagrosseur d'un poing sans que j'ayeéprouvé aucun soulagement. Ie reste con-tinuellement couché ce qui m'affligebeaucoup, pour ce que mon corps sedéchire en diyers endroits tès sensible-ment".

A I'impéritie des médecins militairess'ajoute la concussion : les administra-teurs civils des hôpitaux s'efforcent detirer de leur fonction un maximum debénéfices. Rogner sur les fournitures -nourriture et médicaments - constitueune pratique courante. certains vontmême jusqu'à dépouiller à leur profitmorts et blessés. Ainsi, lorsque décèdePierre Boulier, le I I septembre 1794, lamunicipalité de Puy-Guillaume doit-elleréclamer les effets de celui-ci à la place deson père, un métayer analphabète. Dansune réponse qui tardera à venir, le méde-cin de l'hôpital expédiera enfin le porte-feuille du défunt (contenant 57 livres et l5sols en assignats, moins 2 livres pour fraisd'envoi), ajoutant : "Quant aux effetstrouvés dans I'avresac du deffunt, si lepère Boulier, est bien aise de les avoir, ilfout qu'il demqnde au directeur de I'hopïtal de Luc, qui doit en avoir fait dresserI'inventaire par le garde magazinier. Salutet Fraternité". Mais les frais de transportrendent-ils souhaitable I'expédition dupauvre bagage du fils du paysan sansterre ?

A moins d'avoir droit à un congé deconvalescence pour se retaper au pays, leschanceux qui parviennent à sortir vivantsde l'hôpital ne sont pourtant pas au boutde leurs peines. A peine remis sur pied, laplupart devront rejoindre leur compa-gnie, nantis d'une solde dérisoire. Qu' i lsaient perdu un æil ou se trouvent encorelanguissants importe peu : I'essentiel estqu'ils puissent marcher et se servir d'unfusil.

"Et pour moi, ma santé aurait toujoursété fort bonne si je n'eusse pos été malodecinq semaines, et si foil que j'en ai perdutous mes cheveux ; et à la sortie de I'hôpi-tal il m'a fallu aller à I'avant-gorde deI'Armée dans le plus fort de I'hiver,exposé aw injures du temps et deI'ennemi". (A ces symptômes, on décèle-rait aujourd'hui une fièvre typhoide).

Détresse épouvantable que celle de cesmalheureux généralement démunis detout ; "Mon petit cosin Antoine Bartelaest revenu de laupitalle. Il a resté cinqe

mois (...). Il prit bien son père sil pouvaitlui faire passé quelque osignot. Il est donsla plus grande nésésité et le plus grondbesoin. Il n'a pas de sols".

Plus de vergogne alors pour demanderdes secours à sa famille. A quinze joursseulement d'intervalle. Jean Descottelance successivement un appel à son frèrepuis à son père. Le l0 novembre 1794, ilécrit au premier : "Je suis malade aI'hopital militaire a avignon. Il y a 6semaines que j'y suis attaqué des fièvreset du mal d'estomoc car je ne suis pas prètde marcher. Mais cependant sa yo un peumieux. (...) Je me recommande a vouspour pouvoir m'envoyer un peu d'argentcar je suis dons la dernière extrémité. Etayant un peu d'argent, alors je pourroisacheter quelque chose pour pouvoir sou-tenir mon estomoc". Le 28 du mêmemois, il accuse réception d'une somme de25 livres et ajoute : "Je suis encore ol'hopital militaire d'avignon, mais je vabdépartir au premier jour pour oller rejoin-dre mon bataillon. (...) Nous n'avonspoint d'étape en route pour aller rejoin-dre. On ne nous donne que 30 sols parjour. (...) Il n'y a rien d'extraordinaire aupays où je suis, sinon que tout y est horsde prix et qu'on ne trouve pas de painavec de I'argeant",

Avec ses 30 sous par jour, et à condi-tion de pouvoir s'approvisionner, quepeut s'offrir le convalescent ? Une cho-pine de vin, ou bien encore une livre depain. A moins qu'il ne préfère deux outrois æufs...

"Vous me feré savoire ce qui se pace taupéi . . . "

Si éloigné soit-il, le soldat a conservédes liens privilégiés avec "les gars dupays". Dans son cantonnement perdu,eux seuls constituent ses véritables amis :"Dans le bataillon, il n'y avait que Fran-çois Caustille qui fut de mon pays et ilétoit le seul avec lequel je fus le plus lié ;mais il est mort en trois jours de temps, cequi m'a fait beaucoup de peine". Car lesmorts ne pèsent pas tous le même poids.Parmi la masse des compagnons d'infor-tune surgissent les seuls visages des"pays" : "Mais Dieu mercy, il n'y aencore aucun de nous, de notre com-mune, qui soye été blessé ny de mort"."Je vous direz quilianna baux coup demolade de notre commune ; iliannananviron 19 qui sont alaupitales".

Davantage qu'à sa propre situation, lesoldat s'intéresse aux nouvelles du pays.Lui aussi se montre susceptible lorsqu'on

"...Nous ne pouvons pas guitté le fusil de la main,ni le sac. . . " (d 'après Raffet)

le tient à l'écart des grands événementsfamiliaux. Ainsi Eme Pousset apprend-ilindirectement qu'un de ses frères s'estmarié et vient d'avoir "un gros garçon".Pourquoi I'a-t-on laissé dans I'igno-rance ? Est-ce parce qu'il a lui-mêmeoublié de transmettre des compliments àce frère dans sa dernière lettre ? Ou bienveut-on lui cacher une fâcheuse alliance ?"Je te félicite que tu qs eu un gros gorçon.Cela m'a fait ploisir d'apprendre cela.Mois je te prie de me marquer avec qui tuest morié. Si c'est une fille ou une veuvecelo n'importe".

Pour rare et irrégulière que soit la cor-respondance échangée, les trop longssilences inquièterit : "Voilà la 3è lettreque je vous envois sans pouvoir recevoiraucune réponse, ce qui me moit dans ungrond chogrin et une gronde intiétude".Les mauvaises nouvelles achèvent d'acca-bler I'exilé : "Mon cher frère, tu mqsapris par to lettre une fatalle nouvellepour moi, que mon pauvre père étoitmort. Ah moleureuse heure pour moy,car après toi c'est tout mon soutient. Ahcher frère sa nest que la mort de mon pau-vre père qui a été cause de ma maladie".

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14

(Le désespéré est ce soldat plus haut men-tionné pour avoir à demi perdu la vue,après trois mois de fièvres).

Hormis ces drames familiaux, on veutsavoir comment se déroule la vie quoti-dienne "à la maison". Quand a-t-onsemé, moissonné, fané ? Les récoltesdonnèrent-elles satisfaction ? Le départdu conscrit n'a-t-il pas causé tropd'embarras ? A-t-il fallu recourir à undomestique pour le remplacer ? Le pro-priétaire a-t-il renouvelé le bail de loca-tion de la métairie ou du moulin ?

On désire également connaître si "/epays est tranquille", s'il y a eu de "nou-velles réquisitrons". Souci parfaitementcompréhensible quand on sait que, passéela Levée en Masse de 1793, les Thermido-riens n'ont plus procédé à de nouveauxrecrutements. Aussi les "Défenseurs de laPatrie" attendent-ils, vainement, larelève.

Ceux qui ont laissé quelques bienss'inquiètent : "Je recommande bien à masæur qui est dans la moison d'avoir soindes offoires que j'ai chez moi". Si uneseule lettre témoigne d'un tel souci, plusnombreuses sont celles qui se préoccupentdu sort des promises et des épouses.

Sans doute le caractère collectif de lacorrespondance, rédigée souvent par unétranger et destine€ à une large lecture,explique-t-il en partie la grande pudeurdes jeunes gens. Un billet, adressé à "Machère épouse", se contente d'expliqueravec une insistance confuse les démarchesnécessaires pour obtenir les secours accor-dés aux parents des soldats. Lettre vrai-semblablement dictée, dont le caractèreutilitaire ne s'interrompt que pour la con-clusion : "Je finis en vous embrassant detout mon cæur et suis pour la vie votrecher époux". S'adressant à son père, unautre conscrit marié glisse, entre ses plain-tes : "Mon père, je vous prie davoir biensoin de ma fame que jème tondrement".

Dans les compliments transmis aux"maisons" amies et "à tous ceux quidemanderont de mes nouvelles" secamoufle sans doute quelque discret sou-venir à une "payse". Mais peu de jeunescélibataires osent évoquer clairement lesfilles du pays, comme ce soldat qui, aprèsavoir mentionné le mariage d'un de sescousins et indiqué à ses parents par quelsmoyens ils pourraient lui permettre dedécrocher une permission, conclut:"Vous dirés oma maitroisse quelle necemsrii pss sons moy". Après la longueénumération de ses souffrances, un autreconscrit a dicté : "Ma trais chqire mqire,je vous prit de bienfaire mes complimentsa la citoyenne jeneviève la vaure; je lanbrace du plus profond de mon cæur, jesuit toujour son Jidel ami pour lo vie etvous prit de lui dire de bien tenir les pro-messes qu'elle mavet foite...". Quelquesmots que l'on a tenté d'effacer ajoutent"... sur le chevet de bois de son lit".

Citons enfin cette conclusion d'uncanonnier qui, après avoir demandé detransmettre "bien des compliments àJesnne Marie Solupe" écrit : "Recom-mandez aux filles du pays qu'elles rrê s€ zlaissent pas caresser par les laches qui ontdemeuré ou pays et qui ont eu peur d'allerse bottre, Adieu, portez-vous bien et suisvotre respectueux fils".

Traditions et nouveaulés

Nous I'avons vu, le calendrier républi-cain qui sert à dater les lettres est aban-donné en cours d'écriture pour revenirnaturellement au "vieux style". On conti-nue de même à recourir aux fêtes tradi-tionnelles : La Madonne qualifie le 8 sep-tembre, jour de la Nativité de la Vierge, eton souhaite machinalement la BonneAnnée dans une missive expédiée audébut du mois de janvier.

Faut-il prendre au pied de la lettre les"grâce à Dieu" ou "Dieu merci" quiémaillent 9 des 32 lettres ? L'expression,une seule fois employée, "Je fais desvæux au Ciel" paraît plus authentique-ment chrétienne. Quant à I'invocation del' "Etre Suprême", on ne la trouve quesous la seule plume, alerte et élégante,d'un soldat. Unique témoignage certainde religiosité, le rédacteur dont nousavons signalé la fierté d'avoir écrit lui-même sa lettre, note dans son langagebien personnel: "Vous me marqué dansvotre laitre que vous zaitier privée derzaise (messe). Cela me fache boucoup

mai faut taipéré (espérer) que sone serapapour lontan (longtemps)".

Signe des temps nouveaux, chaqueadresse signale le titre de Citoyen ou deCitoyenne des destinataires. Titre qui, onle sait, accompagnait le tutoiement quasiobligatoire. Mais en réalité les jeunesAuvergnats continuent à honorer la hié-rarchie familiale. On décerne un vous res-pectueux à ses père et mère, oncles, tanteset grands-parents, ainsi qu'à son épouseet à ses frères aînés. On ne se permet letutoiement qu'avec les cadets et les cama-rades du même âge.

Les formules de salutation marquent,par leur forme tout au moins, la défé-rence du fils "humble", "obéissant","respectueux", "soumis" à l'égard de sesparents. Modèles stéréotypés sans doute,auxquels il ne convient pas d'attacher unetrop grande importance. Pourtant, ajou-tées au voussoiment déférent et au respectde la hiérarchie au sein de la parentèle, cesexpressions usées paraissent bien traduireune profonde réalité. En cette fin du 18'siècle, en dépit de la Révolution, la com-munauté familiale conserve encore unestructure quasiment monarchique.

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"Si sa continu, je ne sés pace que nous ferons"

On est autant soumis aux officiersqu'on l'était aux parents. Malgré toutesles misères endurées, point de révoltedans notre collection de lettres (l). On secontente de se plaindre des gardes prolon-gées, des soldes minables, de la nourritureinsuffisante, des corvées épuisantes, despromesses non tenues, des hôpitaux-mouroirs. Mais on n'accuse pas les supé-rieurs. On grogne, mais on obéit: "Onnous avait promi de nous faire passer unbon cortier d'hiver, et même nous étionsdescendus de la montagne, mois que con-tre noîe fureure il nous faut remonter".On trouve naturel quele "générable" dis-pose de ses hommes et distribue à son gréles permissions.

Pour échapper à son destin, on n'envi-

(l) Dans I 'armée de Sambre-et-Meuse et surtout danscelle d'Italie, des émeutes éclateront cependant sous leDirectoire, paniculièrement amples au début deI'année 1798. Nos conscrits de I 'An II ont alors pris deI'ancienneté. On étouffera ces soulèvements en accor-dant aux mutins les soldes impayees qu'ils réclament ;ou bien - comme I'ordonnera Murat à Rome - enexterminant impitoyablement les rebelles.

sage que des solutions individuelles.Décrocher une permission en faisantécrire par ses parents aux autorités mili-taires que la présence du conscrit estindispensable pour régler des affairesfamiliales. "Ldaudrait que vous zécrivéstune laitre au citoyen man bre du consoilide lo 85 ttz Brigade ; et morqué dons loIaitre que je suit seul de gerson (Earçon) etque jorès bezuns devenire au paiis pour désofaires porti qulier ; et je vous depridan-porlé au citoyen duvernau-monservier, ilpour roivous sindiquer com il faux faire".

Quand on appartient à une familleinfluente, on peut espérer se procurer une"planque". L'itinéraire de Jean Sève, filsd'un riche marchand devenu naturelle-ment Of f ic ier munic ipal de Puy-Guillaume est significatif. Pour le sous-traire à la réquisition obligatoire de 1793,son père écrira d'abord aux autorités quela présence de son fils est indispensable àla bonne marche de son commerce. Vainedémarche : le gouvernement montagnardrefuse toute dérogation à la loi. Heureu-sement pour le "maintien des affaires",les Thermidoriens se montreront pluscoulants. A I'issue d'un congé de conva-lescence, Jean Sève restera au pays le plus

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légalement du monde, puisqu'il se trouveaffecté à une manufacture d'armes deThiers, à une douzaine de kilomètres deson domicile.

Sans user de tels procédés, Claude Dus-son fait part de son soulagement : aprèsavoir beaucoup souffert à combattre dansla neige, il travaille maintenant avec un deses "pays" dans le parc de Saint-Laurent,proche de Nice, et préfère manier la pio-che plutôt que le fusil : "a presont je mesuy faigt requérir pour trovaillé pour loRépublique et je suy bocoup mieux quedètre dons lo montagne car la misère n'estpas si grande". Même satisfaction pourJean David : "Je travaille dans monmétier en foisant le semice de la Républïque", et pour Jean Demaison : "Je suistoujours dans le porque du génie, vousjefaigt le métier de scieur de long et vous jeme trouve un peu mieux que dètre dans lomontanie".

En la fin de I'année 1794, dans la Ven-dée "pacifiée", hormis la vie chère"Nous y sommes assez tranquil", seréjouit un conscrit. "On nous dit que lapoix alet se loire bientot dans lo Vendée"indique un autre. Contentement nuancécependant : "dont que je ne sais pos sinous y resteront longtemps", En effet,une fois I'affaire vendéenne réglée, quedeviendront les soldats ? Sans doute lesaffectera-t-on en d'autres lieux moins pai-sibles : le Nord, I'Est, I'Italie ou I'Espa-gne. Aussi s'inquiète-t-on de la situationaux frontières.

Même tranquillité - provisoire -pour tous ceux qui ont la chance de setrouver dans un port ou dans une ville dI'intérieur.

Mais au total, 8 seulement de nos cons-crits se trouvent pour plus ou moins long-temps à l'écart de la guerre. Pour lesautres, il reste une ultime solution : déser-ter, pour se retrouver au milieu des siens.Aussi s'informe-t-on de la situation aupays : "Vous me ferez sçavoir si lescononniers qui partirent sont chez eux ounon". Comment accueille-t-on les déser-teurs ? "Car si personne leur dit rien, jetacherez moyen de vous oller voir". Solu-tion d'autant plus fréquemment envisagéeque les rangs ne cessent de s'éclaircir :"De trente trois nous ne sommes plus quequatorze dons notre compagnie". "Lescomorades qui son parti o veque moi vontpresque tous les jours o lopitalle : nous nesomme plus que six du pays dan le batail-Ion pour ce momont".

A Puy-Guillaume, un bilan de 1797avoue 8 morts pour environ 70 recrues.Mais précise-t-on "Le nombre de mortsdoit être plus conséquent ; on n'a portéici que celui exactement connu par lerelevé des décès". C'est que de nombreuxrégiments se gardent bien de déclarer tou-tes les pertes humaines, afin de continuerà percevoir un supplément de solde et deration. Dans diverses délibérations sontmentionnés à la même date une douzainede déserteurs. Quant aux hospitalisés, onsait seulement qu'ils sont très nombreux.Aucune nouvelle réquisition ne vientcependant combler tous ces vides : en1795, moins de la moitié des hommesrecrutés les années précédentes, conti-nuent de servir.

"Mon chers frère, je te diré quil y o

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2 EDUCATION CIVIOUE OUPROPAGANDE REPUBLICAINEDAIVS L,ARMEE DE L,AN II?

"Dès ce moment jusqu'à celui où lesennemis auront été chassés du territoirede la République, tous les Français sonten réquisition permanente pour le servicedes armées". Le décret du 23 août 1793qui fait du service militaire un devoir pourtous les citoyens de l8 à 25 ans, célibatai-res ou veufs sans enfants, va permettre deformer une armée forte de près d'un mil-l ion d'hommes.

Le gouvernement révolutionnaire vou-lait profiter de leur incorporation pour

leur inculquer I'esprit républicain tel quele concevaient Robespierre et ses amis duClub des Jacobins.

Les mesures prises pour assurer l'édu-cation civique de la troupe répondaientd'abord au souci des Jacobins "d'extirperde I'Armée", et plus particulièrement desrégiments de "la ci-devant arméeroyale", I'esprit d'Ancien Régime qui s'ymaintenait grâce à la présence d'officiersnobles et parfois à celle de sous-officiers,et même de soldats professionnels de la

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LA CHASSE AUX DESERTEURS

Auftrurdhuî 2 brumain an lll |'23octobro 17941 un membre a dit : il courtun bruit depuis ce matin quo plusieursjeunes gens partis de cette communo dePuy-Guilfaume lors de la levée de la | èreRéguisition, sont rov€nus ; que cos jau-no3 gons sont Guil lsume Gannat,Antoino Rambaud. Palvin, AugustinMichy. Cependant aucun n'€st v€nunous faire viser de congé ou de permis-sion. Si leur arrivéa est vraie, ils ont doncd6sorté, Alors vous devez prendre desmosuros pour découvrir ces faits. Et sir6ellement il y a dans la commune de cosjeunes gens, vous devoz les faires saisiret les faire conduire à l'administration dudistrict. La matiàre mis€ à délibérâtion.l'Agont national entendu, il a été arrôtéco qui suit :

Articb lr.' ll sera fait une réquisitionà la gendarmerie de Chateldon et donnédes ordres au Commandant de la Gardenationalo de Puy-Guillaumo do s'assistelde Gardes nationales en nombre suffi-sant pour faire uno porquisition chez lespèros, mèros, paronts ot autros dos ditsGuillaume Gannat, Antoino Rambaud.Palvin ot Augustin Michy, en présonc€d'un officier municipal.

At&b 2.' Les jeunes gens ci-dessusqui pourront âtro saisis seront do suiteconduits à l'administration du districtpar la gendarmerie de Chateldon (...1.

trois de nos comarades qui ont désertépour se rendre au payie, il y a un mois. Tume leros savoire sil ison ; qui sont augus-tin michy, antoine Ron Baux et Guil-laume Gannat".

Mais lorsque cette lettre est rédigée, undes trois déserteurs a accepté de se rendre,convaincu sans doute par les pressionsexercées par les officiers municipaux et lesgendarmes sur sa famille. Son père, quifait partie des personnes les plus nécessi-teuses de la commune, tient sans doute àcontinuer de percevoir les secours allouésaux parents des Défenseurs de la Patrie.Une dél ibérat ion munic ipale nousapprend que le déserteur regrette sonacte. Fils et soldat obéissant. il faitamende honorable :

"Entraîné par les conseils de plusieursde ses camarodes, il a eu le malheur desuccomber et de quitter son corps pour serendre dans so fomille pour y recevoir dessecours nëcessaires à cause des fatiguesessuyées dons les lieux couverts de neigeoù il érait campé. Mais son intention estde rejoindre l'ormée dans le plus courtdélai". Antoine Rambaud regagneradonc le Piémont. Il reviendra au pays huitannées plus tard, pour mourir "de suitesde maladie".

Quant à la douzaine d'insoumis quiparviendront à échapper aux perquisi-tions, ils seront finalement amnistiés le l4messidor an X (2 juillet 1802), pour célé-brer comme il convient la dictature napo-léonienne. L'année précédente, le généralvainqueur, qui n'était encore que PremierConsul. a solennellement fait fêter danstoutes les communes de la Républiqueune "Proclamation sur la Paix". Laguerre reprendra de plus belle dès I'annéesuivante, pour ne se terminer qu'en 1815.Sans doute l'étude des lettres des "Gro-gnards" de la Crande Armée donnerait-elle de l'épopée impériale un tout autrevisage que celui auquel nous ont habituéla majorité des ouvrages historiques.

Guy CITERNE

Sources- Archives départementales du Puy-de-Dôme:- Archives municipales de Puy-Guillaume- Archives privées : Jean Cilbert à Puy-Guillaume.

Pour en savoir plus :

- M. BALDET : La vie quoîidienne dans lesarmées de Napoléon (Hachette, 1964),

- J . - P . B E R T A U D : L a R é v o l u t i o narmée, les soldats citoyens de la Révolulionfrançaise (Laffont, 1979).

- F. LECANU : Cuillaume Nicollet, soldatde I'An II (BT n' 857, CEL, Cannes, 1978).

- A. SOBOUL : Les Soldats de I'An II(Club Diderot, 1959). Peu d'informations

concrètes sur la vie du soldat. Vision très mani-chéenne de la réalité.

Mais il reste sans doute aussi bien des témoi-gnages à découvrir, dans les archives publiquesou privées.

guerre. Malgré l'émigration d'officiersnobles de 1790 à 1792, les "ci-devant aris-tocrates", étaient encore nombreux. etnotamment, dans les grades supérieurs.

Au début de 1793, plus de 34 9o descolonels et des lieutenants-colonels, plusde 7 tlo des capitaines et lieutenantsétaient d'anciens nobles. ll en était demême de près du tiers des chefs de batail-lons de volontaires en 1791. Des généraux

nobles. tel Custine, se rencontraientencore à l'étê 1793 dans les états-majorsou à la tête des armées.

Sous la pression des Sans-Culottes pari-siens et des Jacobins, une épuration futtentée de juillet à septembre 1793 alorsque les montagnards venaient de prendrele pouvoir. Elle se heurta d'abord aumauvais vouloir de la troupe : certainesunités reconnaissaient en ces chefs destechniciens compétents qui les condui-saient bien au feu et les mettaient à I'abrides désastres. Les dirigeants, monta-gnards bientôt confrontés à des périlsintérieurs et extérieurs, comprirent vite lanécessité de conserver. à côté des"sabreurs", bons entraîneurs d'hommes,des gens qui savaient le métier des armes.Carnot, chargé au Comité de salut publicde la conduite de la guerre, était lui-mêmeentouré d'officiers nobles et il intervintfortement pour que le Comité les maintintà des postes de responsabilité. En décem-bre 1793 et en janvier 1794, des "ci-devant" expulsés de I'armée furent réinté-grés dans I 'art i l ler ie. Tous, disait-on,n'étaient pas des "suspects", beaucoup,comme Davout et Bonaparte, s'étaientralliés à la Révolution. Quant aux autres,on tiendrait leurs parents en otage et onexercerait sur eux une "surveillance vigi-lante". Cela suff irait- i l ? Comments'assurer qu'ils respecteront le nouvel étatd'esprit dans les relations entre chefs etsubordonnés ?

Comme sous I 'Ancien Régime, certainsenseignaient à leurs soldats que la victoiredépendait moins de I 'enthousiasmepatriotique que de I'obéissance stricte àleurs supérieurs directs. Ils leur disaientqu'ils étaient moins les soldats de laNation que les membres d'une petite com-munauté, le régiment, qui avait son passéde gloire et d'honneur acquis sous laMonarchie et dont ils étaient les héritiers.Cet esprit de corps s'exprimait lors desbatailles : au moment de la charge, on necriait pas "Vive la Nation" mais "Enavant, Navarre sans peur !" ou "Tou-jours Auvergne sans tache !" Il était uti-lisé par les chefs subalternes contre les"Bleuets", ces volontaires, ces soldats "àdeux sous" commandés par des chefs élusque I'on considérait comme incompétentsdans la conduite de la guerre. Cet esprit

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de corps pouvait aussi servir les desseinsdes généraux avides de pouvoir. LaFayette, Dumouriez et Custine avaienttenté de faire un putsch grâce aux soldatsde métier, les "culs blancs", comme lesappelaient les volontaires. La peur du"généralat", comme I 'on disait à l 'épo-que pour désigner la dictature militaire,hantait tous les esprits des révolutionnai-res.

Mais les "ci-devant nobles" n'étaientpas la seule préoccupation des Jacobins.Les volontaires d'avril 1792 s'inquiétaientaussi. C'était surtout des Sans-Culottesqui, à I'image de ceux restés en ville, refu-saient une obéissance passive aux ordresde la Convention et des chefs militaires.

Dans les clubs qui s'étaient ouvertsdans certains bataillons de volontaires, onlisait le jourrral L'Enragé. Jacques Rouxdénonçant la corruption des fournisseursde I'armée, et le Père Duchesne de Hébertqui traînait dans la boue les "Jean Foutrede généraux nobles". Dernière préoccu-pation des Jacobins : les fédéralistes,c'est-à-dire ceux qui refusaient la domina-tion du gouvernement par les députésmontagnards, et le club des Jacobins. Cesopposants ne risquaient-ils pas d'utiliserles bataillons de volontaires ou de requisregroupant les hommes d'un mêmedépartement pour contrecarrer "l'unité etla fidélité à la Convention" prônées parles Jacobins ?

Le 3l octobre et le 3 novembre 1792, onavait déjà entendu, dans les rues de Paris,des volontaires crier "A mort Marat ! Amort Robespierre !" Un an plus tard, deseptembre à novembre 1793, des rapportsalarmants du Finistère, de la Haute-Loire, des Hautes-Pyrénées et de laHaute-Saône... avertissaient le gouverne-ment des "menées de fédéralistes" quis'étaient fait élire à la tête des bataillonsde réquisition. Pour enrayer cette menaceet pour mettre un terme aux rivalités quiopposaient "culs blancs" et "faïences

bleues", il convenait d'unifier les arméestout en y faisant passer le message jaco-bin.

L'unité de I 'armée par " l 'amalgame",c'est-à-dire par la fusion au sein des com-pagnies et des bataillons des soldats detoutes origines, avait été préconisée enfévrier 1793 ; le 21, la Convention décidaque, désormais, toutes les troupes de laRépublique auraient le même uniforme,la même solde, la même discipline et desrègles identiques de promotion et d'avan-cement des cadres. Mais elle suspendit le

REPERES CHRONOLOGIQUES

20 avril1792: Déclaration de guerre au roide Bohême et de Hongr ie.

l0 soût 1792 : Prise des Tuileries et déché-ance du Roi.

2l septembre 1792 : Victoire française deValmy contre les Austro-prussiens.

22 septembre 1792: Réunion de la Con-vent ion (3 'assemblée depuis le débutde la Révolut ion).Proclamat ion de la Répupl ique.Jusqu'en ju in 1793, la Convent ion estdominée par les Cirondins.

3l mai-2 juin 1793 : Arrestation des chefsgirondins.Les Montagnards dominent Ia Conven-t ion.Le club des Jacobins devient le relaisidéologique des décisions du gouverne-ment (publ icat ions, propagande.. . ) .

27 juillet 1793 : Robespierre entre auComité de Salut Public qui devientalors I'organe essentiel du gouverne-ment.

Automne-hiver 93 : Les Fédéralistes et lesVendéens sont écrasés par les armées dela Convent ion.

Juin 94: Victoire décisive des Françaisà Fleurus.

27 juillet 1794 (9 thermidor An II) : Arres-tation des Robespierristes.Début de la Convention thermido-rienne.

mélange des bataillons de volontaires avecla troupe de ligne.

C'est qu'une vive opposit ion s'étaitmanifestée. Volontaires et soldats demétier avaient fait savoir à la Conventionqu'ils répugnaient à voir briser leur com-munauté respective et à "se mélanger àdes gens" dont, souvent, ils ne parlaientpas la langue et ne partageaient pas lesmanières de vivre. La Convention, alorsdominée par les Girondins (septembre1792 - 2 juin 1793), avait reculé, recom-mandant seulement aux généraux de ten-ter cet amalgame quand cela serait possi-ble. Ceux-ci, de l 'été à I 'automne de 1793,formèrent ici-et-là des demi-brigadesd'environ 3 000 hommes. c'est-à-direqu' i ls juxtaposèrent simplement unbataillon de I'armée de ligne à deuxbataillons de volontaires.

En janvier 1,794, la Convention domi-née par les Montagnards remit à I'ordredu jour "l'amalgame". Malgré une oppo-sition inspirée peut-être par Carnot qui,craignant que les soldats expérimentéssoient submergés par les volontaires, il futvoté le l0 janvier. L'opération était pla-cée sous la responsabilité de représentantsen mission qui jugeraient s'il fallait oubien seulement ernbrigader, ou bien amal-gamer véritablement. Ce programme neput être réalisé qu'en brisant le cadre desbataillons et en mélangeant les soldatsdans de nouvelles compagnies. Cette opé-ration n'était pas toujours terminée deuxans plus tard et touchait surtout I'infante-rie, mais peu I'artillerie, le génie et lacavalerie.

Parmi les propagandistes du jacobi-nisme à I'armée, le premier rôle revint auxdéputés représentants en mission : Mil-haud et Soubrany auprès de I'armée desPyrénées, Dubois-Crancé pour celle deI'Ouest, Ruamps, Borrie ou surtoutSaint-Just auprès de I'armée du Rhin,entre autres. Ce fut aussi le cas des magis-trats chargés d'instruire dans I'armée les

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Vive la République | (d'après une lithographie de Raffet, évoquant le célèbre moulin de Valmy)

procès et de prononcer les sentences.Anciens juges de paix, procureurs syndicsou praticiens du droit , ces "accusateurspublics" ou ces juges furent recrutés parle Comité de Salut Public ou par les repré-sentants en mission qui les choisirontdans les milieux jacobins comme Dejean,un temps administrateur à Mons, Derche,juge de paix à Wissembourg et Bruat, unjuge que I 'on rencontre auprès de I 'arméedu Rhin. Au tribunal, ils s'efforçaient,comme le dit I 'un d'entre eux. "de con-sulter I 'opinion, les habitudes de l 'accusé,

LE REPRESENTANT ORDONNE...Le 6. bataillon de la Haute-Saône, dans

lequel nous venions de nous engager, fai-sait partie de l'armée de la Moselle char-gée de défendre la frontiàre depuisLongwy jusqu'à Bitche. La Franca 6tait denouveau envahie de tous côtés parl'ennemi, on nous fit entrer en campagnepour essayer de I'anôter. On nous envoyafaire une attaque sur Pirmasens ; maisnotre première r€ncontre avec l'ennemine fut pas à notro avantage.

Un représentant du peuple qui 6taitattaché à l'armée nous fit faire deuxlieues au pas de charge pour joindrel'ennemi, puis il fit mettre le bataillon encolonne serée et ordonna à la musique dejouer Ca rra. A peine avions-nous com-mencé qu'un obus tombe au milieu denotre cercle et fait cesser la musique,sans cependant nous faire de mal. Leroprésentant fait alors battre la charge et,malgré les observations du général guivoyait l'impossibilité d'engager le com-bat, il ordonne de marcher en avant. Nousautr6s musicigns nous nous retilons dansune ferme qui était près de là, pour soi-gner les blessés qu'on y transportait etaussi pour nous mettre à l'abri. Nous n'yrestâmes pas longtemps : les boulets vin-rent nous en chasser. Je mets le nezdehors, je vois alors notre armée dans unedéroute complète et l'onnemi sur nostalons.Gitaull "Mes campagnes sous la Révolution.. . "

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s' i l est vict ime d'une occasion, d'une fai-blesse ou d'une erreur, si c 'est une pre-mière fois et s'il a eu une conduite anté-r ieure irréprochable". Aux jeunes recruesqui s'étaient rendues coupables d'undélit, ils disaient et expliquaient la loi.Sortis de leurs tribunaux, ils faisaient demême en rédigeant des proclamations etdes "avis fraternels" aux troupes et lesfaisaient afficher dans les camps. AinsiI'Accusateur de I'arrondissement du 2egroupe d'armée (armée du Nord) faisait-ilplacarder ses leçons moralisatrices : 'Ze

règne des mæurs est venu comme celui ducourage, écrivait-il. Souvenez-vous queles despotes ne favorisaient la débouche etne dépravaient les hommes que pour lesavilir et les entraîner dans la plus crapu-leuse servitude. Aujourd'hui le peuple enqui réside la souveroineté exige que tousses membres soienl vertueux, incorrupli-bles et purs. Celui qui peut perdre un ins-tant la raison peut-il répondre de sesoctions et de lui-même ?"

Les officiers et les sous-officiers furentconviés à être des "éducateurs". I lsdevaient annoncer par leur habillementsobre l' "austérité du patriote" : pasd'épaulettes démesurées ni de surchargede dorure. Au camp, ils devaient se signa-ler par leurs bonnes mæurs, "ne plus fré-quenter les catins" et ne plus être "décou-verts en goieté ovec la bouteille". llsavaient à recevoir les soldats "enfrères",ne pas les traiter avec hauteur, leur lire etleur commenter "les décisions du peuplesouverain exprimées par la Convention"ou le Comité du Salut Public. Officiers etsoldats étaient invités à .venir discuterdans les sociétés populaires affiliées auClub des Jacobins de Paris. A Saint-Jean-de-Luz, au printemps de 1794, sur les 300membres de la société populaire, 45étaient des militaires. La Conventionpouva i t espérer que les "so lda ts -

Les Soldats de l'An ll

Uniformes de 1794 : "L'austérité du Datriote"

citoyens" communiqueraient à leursparenrs leur zèle patr iot ique.

Ainsi au début de I 'an II , un soldatexhorte-t-il ses parents "à se maintenirfermes aux ordres de la Convention" car.quant à lui, s ' i l lui "reste les yeux pourpleurer, les jambes pour marcher, i l sou-tiendra toujours de ses bras la Patrie".Un autre réitère son serment de ne pointabandonner son drapeau "avant d'avoirchassé du territoire français tous les satel-lites des despotes couronnés".

Liberté, égalité, propriété et unité

"Liberté, Egalité", et, maître-mot desJacobins, "Unité des Français" derrièrela Convention, tels furent les principessans cesse redits par ces propagandistes.La liberté ? S'adressant à des soldatsd'origine paysanne, en majorité, les Jaco-bins soulignaient ce qui, dans l'æuvre dela Révolution, avait été fait pour les culti-vateurs : leur "libération de la servitudeseigneuriale".

A I 'automne 1793. le chef de batai l londe volontaires du district d'Amiens décla-fti| "Nés au village, nous ovons connubeaucoup mieux que les citodins des villesI'horreur du régime féodal. Nous étionsdes vilains. Eh bien ! apprenons à nos ci-devant grands que des viloins, des Sans-Culottes, ne laisseront plus manger leurmoisson par des lapins et qu'ils ne poie-ront plus de dîmes".

A la destruction de la féodalité s'ajou-tait la promesse, pour ceux qui n'avaientr ien, d'accéder bientôt à la propriété 1ty.Dans un ordre du jour à I'armée daté de"Réunion-sur-Oise, le 9 janvier 1794",un magistrat promettait : "Les bienfaitsde la Patrie vous attendent, vous jouirezd'une compagne chérie et, en paix, deschamps que les émigrés et les nches nousont abandonnés; vous les cultiverez devos mains victorieuses et vous nous don-nerez ainsi une génération robuste etdigne de soutenir votre réputation, vostravaux, la Liberté et la République !"

L'égalité ? Cette proclamation faitepar les représentants du peuple aux requisdu Loiret, du Morbihan, de la Haute-Vienne ou du Var, à I 'hiver de 1793 et auprintemps de 1794, rappelait qu'elle étaitla principale acquisition de la Révolution.Il n'y avait plus désormais de nobles "qaivous méprisaient, vous grugeoient,Iiraient sur vous comme sur des lièvres,lors même que vous ne faisiez pos demal", "qui se croyaient pétris d'une autrepArc que vous et ne s'occupaient qu'àvous nuire", plus de ces prêtres, leursalf iés, "qui vous escamotaient votrebourse pour des messes ou des prières quine faisaient ni bien ni mol", plus de roi,"chétif personnage que vous n'avez pointvu, qui était rebondi et engraissé de vossueurs et de votre subsislance. Il ne vousaima jamais, car on aime ses égaux et nonpos ses esclaves".

Unité de la France républicaine :I'armée en était un exemple vivant, il n'yavait plus d'Alsaciens ou de Basques, deBretons ou de Provençaux, il n'y avaitplus que des Français qui s'engageaient à

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"vivre libres et égaux" sur une "terre defraternité". Le serment que les représen-tants en mission faisaient prêter aux trou-pes commençait toujours par I'invocationà "la République Une et Indivisible".Unité de la France derrière la Conventiondont les lois devaient être scrupuleuse-

ru ,'nr'î"$ffiW*nJourdan à la bstail lo do Fl6urus (d'aorès un tableau de Mauzaisse)

ment respectées. Un chef du 2. bataillondu Tarn enseignait : "Rien de si naturelque I'obéissance oux lois, d'abord porcequ'elles sonl une émanation de notrevolonté et qu'en y obéissant nous ne fai-sons que confirmer des arrêtés pris parnous, enfin c'est que les lois ont été faites

pour le bonheur de tous, et qui désobéitse déclare I'ennemi du bonheur public."

Les fêtes civiques furent un des moyensutilisés par les Jacobins pour concrétiser"l 'union des Français", ci toyens ou sol-dats. Ainsi le 25 jui l let 1793, les Jacobinsde Coll ioure présentent au peuple la

Le lendemain, au point du jour, les arméesqui se trouvaient en p16sence se disposèrentà combattre ot alors s'€ngagea la célàbrebatai l lo de Fleurus (26 juin 17941. C'esr àcette bataille que l'on fit usage pour la pre-mière fois d'un ballon pour observer les posi-tions d€ I'ennemi, ce qui fut bien utile,attendu que le lieu du combat était trèsboisé. Deux officiers étant mont6s dans lanacelle, le ballon fut lancé à l'endroit mâmeoù j'avais dressé ma tonto : il était retenupar quatre câbles. Le général en chef Jour-dan vint se placer près de là et mo prit pourservir d'appui à sa lunette d'approche qu'ilplaça sur mon épaule. A chaque instant l€sofficiers qui étaient dans la nacelle jetaientdes billets enfermés dans de petits sacspleins de sable. Le général en prenait con-naissance et, d'après leur contenu, donnaitses ordres.

Sur les trois à quatre heures, l'ennemi vinten masse pour forcer nos redoutes arméesde piàces de huit, de douze et de seize. ll soj,-rta sur la droite qui commandait le généraltefebvre. Celui-ci fit coucher une partie doses troupes dans les retranchements et:rrdonna aux autros de faire le simulacre dese retirer dans les bois. C'était une ruse doguerre qui réussit parfaitement. Les Autri-chiens, croyant nos redoutes abandonnées,voulurent les escalader sans prendre aucunelrécaution ; mais à un signal donné les trou-pes qui étaient couchées se relèvent etreçoivent à bout portant les imprudents quis'étai€nt engagés dans nos retranche-ments. Dans le même moment la cavaleriefut lancée dans les rangs déjà rompus de

LA BATAILLE DE FLEURUS

l'ennemi et y jeta un désordre tel que toutel'armée fut obligée de lâcher pied et de bat-tre en retraite au plus vite. Nous poursuivî-mes les fuyards et fîm€s une grande quan-tité de prisonniers.

La bataille de Fleurus détermina la retraitedes coalisés. Lancés à leur poursuite, nousne nous arrôtàmes que devant Liège oir

Fleurug : la premiàre obserya-tion aérienno do l'Histoiro

nous campâmes pendant p lus de deux mois.C'est là que nous reçtmes la nouvelle de lachute de Robespierre, Saint-Just et autres{9 thermidor an l l l - 28 ju i l le t 1794). Cetévénement fut salué au camp par de gran-des réjouissances.

Giraul t"Mes campagnes sous la Révolution... "

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Constitution nouvelle. La marche étaitouverte par deux détachements militaires.Une députation de la Société Populairesuivait les soldats et portait un fanion surlequel on pouvait lire : "Unissons-nouspour faire triompher la République Uneet Indivisible". Suivaient les officiers descommunes environnantes brandissant unoriflamme : "L'union fait la force".Venaient ensuite un détachement d'infan-terie, le juge de paix, la municipalité et laGarde Nationale. Au-dessus d'eux unebannière : "Nous mourrons pour laRépublique Une et Indivisible". Ungroupe d'enfants portait une banderole :"Nous apprenons à la défendre". I l pré-cédait quatre vieillards avec de petitesbannières où était écrit : "Guerre auxty rans , aux ana rch i s tes e t auxfédéralistes", "Droits de I 'Homme, Ega-lité, Liberté". Un tambour rythmait lespas d'un fusil ier, d'un caporal, d'un ser-gent, d'un souslieutenant, d'un l ieute-nant, d'un capitaine et d'un colonel. Surune estrade décorée aux "trois couleurs",deux conscrits portaient "l'Acte Consti-tutionnel". Le représentant du peupleescor té des généraux I 'accompagnajusqu'à l 'Autel de la Patrie où I 'un d'eux,s 'approchant du représentant , d i t :"L'armée reçoit la Constitution et lodéfendra jusqu'à lo mort". L'Acte placésous la garde d'un vétéran, militaires etcivils se donnèrent I'accolade.

Dans les fêtes moins solennelles, les sol-dats trouvaient leur place et signifiaientpar leur présence qu'il n'y avait ni"avant" ni "arrière" mais tout un peupleuni contre les ennemis de la société nou-velle. A Ambérieu, on maria le l0 germi-nal an II (30 mars 1794) une "jeune fillepruvre et vertueuse" doté de 200 livrespar le représentant du peuple Albitte. 'Ze

dropeaufut déployé et les gardes nationo-les montrèrent leur empressement en seserront autour de cet étendard de laliberté ; elles ouvraient lo marche précé-dée de la musique militaire." Venaientensuite les Sans-Culottes, les représen-

Volontai?os ot sol-dâÈ de l 'An l l lgravure de Katz )

tants des districts et des municipalités, lesépoux, leurs parents, des jeunes filleshabillées en blanc et des soldats retirés duservice. De leur côté les militaires n'orga-nisaient jamais une cérémonie sans assis-tance populaire. La naissance d'unedemi-brigade où se réalisait I'amalgame sefaisait en présence des habitants de la villevoisine et de leurs administrateurs quiparticipaient ainsi à des "messesciviques". A I'armée des Côtes de Brest,le représentant Dubois-Crancé procéda le8 juillet 1794 à la formation de la l4l'demi-brigade. Dans un champ entouré detoutes parts par la population, les soldatsfurent rangés en bataillons, les drapeauxdevant eux. Dubois-Crancé les passa enrevue, leur présenta leurs chefs et lesharangua en exaltant, "les avantages de laFraternité, les horreurs du despotisme, laforce, le bonheur d'un gouvernementrépublicain." Puis "les rangs ont étérompus et tous les soldats, sous-officierset officiers se sont mêlés, embrassés avecle représentant aux cris mille fois répétésde "Vive l'union des Français, Vive laRépublique !" Après le temps nécessaire

Les Soldats de l'An ll

aux épanchements de la fraternité, unroulement de tambour rappela chacun àreprendre son arme et son rang. Le repré-sentant a nommé les officiers qui devaientcomposer l'état-major de la demi-brigade. Cette opération terminée, lesdrapeaux ont été replacés dans leur batail-lon respectif. Au 2ème roulement de tam-bour, le représentant a prononcé le ser-ment : "Vous jurez de mointenir loLiberté, l'Egalité, la République françaiseUne et Indivisible. Vous jurez l'obéis-sonce aux lois et oux propriétés, le main-tien de lo discipline militaire. Vous jurezenfin haine aux tyrans et à tous leurs com-plices". Les troupes ont répété mille fois :"Nous le jurons" au milieu des plus vivesacclamations. Après le défilé, un banquetfut offert aux militaires et la populationse livra avec eux à la danse et aux faran-doles.

Il y avait bien d'autres moyens pour"républicaniser" I'armée. On utilisa Lesvignettes emblématiques qui ornaient lepapier de correspondance distribué auxsoldats. On y voyait le coq qui, au côtéd'un soldat, veillait "au salut deI'Empire", un lion assis sous I'arbre de laLiberté ou un poing brandissant une mas-sue, témoignage de la force du "peuplelibre". "La Liberté" envahit bientôt tou-tes les images : elle prit l'aspect d'un angeaux ailes déployées planant, la pique à lamain, au-dessus d'un camp ; ailleurs unejeune femme, au bord du chemin, invitaitle paysan, sac au dos, cocarde tricolore auchapeau, à rejoindre "ses frères". Assisesur une montagne, ici elle guidait les trou-pes qui écrasaient la "Tyrannie" symboli-sée par une tiare, des couronnes et dessceptres ; là, elle promettait des joursmeilleurs et penchait sur les canons unecorne d'abondance. Elle faisait l'éloge dulaboureur enfin débarrassé de la chargeféodale : "De toutes les professions del'homme, disait-elle, il n'y en o pos deplus respectable, de plus touchante, deplus digne de la vertu ; il n'en est point oùl'homme soit plus pris de bonheur, pluséloigné de la corruption parce qu'il estplus près de la noture". Partout sonvisage était surmonté du niveau maçonni-que, symbole de I'Egalité.

Autre mode de transmission de la pen-sée des gouvernants : les mots d'ordre. Ils'agissait de trois mots de passe choisisdans chaque corps et renouvelés tous lesjours ; les soldats s'en servaient auprès ducorps de garde pour se faire reconnaître.Ceux employés à I'armée de Sambre-et-Meuse portaient sur la Vertu : "Vertu,brqvoure, triomphe" - "Aimez et ché-rissez la vertu". Les différentes formes dela vertu républicaine étaient détaillées : lamodestie, le rejet de la flatterie, la chasseà I'intrigue. Les mots de passe ensei-gnaient aussi la simplicité des mæurs, lafrugalité, la fermeté, la constance et lavigilance. Le thème de l'union revenaitsouvent : "Amour, fraternité, force", oucelui de I'obéissance au pouvoir : "Paris,Convention, ralliement " - " Révolution,Convention, confiance". Le "citoyen-soldat" devait respecter la propriété :"Peuple, propriété, respect". Le sens ducombat était remis en mémoire : "Rois,tyrans, vaincrons" - "Trône renversé,repos",

, ,HOMMES BATTUS,FEMMES MATTRAITEES,

MAISONS PILLEES"Ouelques jours apràs nous reçùmes

l'ordre de partir, Landau 6tait débloqué,les Prussiens battaiont en retraite. Nousnous mîmes à leur poursuito. Tout lepays que nous parcourions avait été d6jàravagé par les troupes ennemies : nouscontinuâmes la dévastation. On ne res-pectait plus rien : les hommes étaientbattus, les femmes maltraitées, les mai-sons saccagées, brtlées quelquefois ;on usait largement des tristes droits doguerre. Pour moi, je voyais tout ceciavec peine. Je n'ai jamais aimé le pil-lage, aussi m'est-il arrivé souvent dudésagrément pour avoir voulu l'empâ-cher. En résultat on fit tant et si bien qu'iln'y eut plus de quoi nous nourrir et qu'ilnous fallut rentrer on cantonnemênt surles frontières.

Girault"Mes campagnes sous /a Révolution..."

Edttætion cîvhn ou Wgwdc ?

Le théâtre autre moyen de propagande,devait devenir "l'école des mæurs et unfoyer ardent auquel les âmes viendraientconstamment se retremper au républica-nisme". Saint-Just en mission veilla à ceque officiers et soldats n'assistent plus àdes comédies "sans caractère". Des piè-ces républicaines furent jouées à proxi-mité des camps : Lo Porfaite Egalilé, LaVeuve du Républicain otr Le Jugementdernier des rois de Sylvain Maréchal.Pour soutenir le moral d'une troupe enmarche ou au bivouac, on utilisa de vieuxairs bien connus des requis, dont les paro-les furent modifiees :

"Lo liberté n'est qu'un piègeTont que le mot privilègeBlesse la Sqinte Egalité."

Pour faire connaître sa politique, leComité de Salut Public utilisa aussi lesjournaux. Ils devaient s'opposer à "laparole des factieux", surtout au "PèreDuchesne" de Hébert qui avait unénorme succès au sein des compagnies.Rappelons qu'Hébert sera arrêté au prin-temps 1794 et jugé comme "extrêmiste".Le Bulletin de la Convention fut distribuéaux troupes ainsi que I 7 ntifédéroliste, lejournal composé par Claude FrançoisPayan, délégué des sociétés populaires dela Drôme, chef de bureau attaché à la cor-respondance du Comité de Salut Public,un des proches de Robespierre... Desgénéraux imprimèrent des journaux pourleur armée. Ce fut le cas de Dugommierqui créa L'Avant-gorde à I'armée desPyrénées avec I'aide d'une dizaine de"bons Jacobins" recrutés à Marseille.

Quel effet produisit sur I'armée cette"éducation civique", diront certains,cette propagande, diront d'autres ? Pouren juger, I'historien dispose d'abord deces milliers de lettres de soldats, les unespubliées, les autres dormant encore dansles archives ou dans quelques greniersfamiliaux. La source n'est pas exempte decritiques. A compulser les archives descorps de troupe, nous découvrons unecensure officielle qui, pour ne pas êtrecelle que connurent les poilus de 1914,existait déjà. Les soldats en étaient aver-tis ; comment auraient-ils eu I'audace deproférer des menaces ou de dire leurdoute à l'égard du gouvernement révolu-tionnaire ?

Au milieu de formules conventionnellesreprenant les mots d'ordre officiels, onpeut entendre la voix de ceux qui furent

(d 'aprèsune

lithographieoe

Raffet)

touchés par I'enthousiasme patriotiqueque s'efforçait de leur insuffler le gouver-nement. Il en restera quelques traces,puisqu'en 1805, à Austerlitz, les soldatspartirent à la charge en chantant :

"Au noble dans so gibernePrésentons la Liberté

Pour en savoir plus :

. Sam Scott, Les Officiers de l'infante-rie de ligne à la veille de l'amalgame,annales historiques de la Révolut ionf rança ise , 1968.. Sam Scott, Les Soldats de l'armée del igno on 1793, annales historiques de laRévolut ion française 11 97 21.o J.-P. Bertaud, Valmy, la démocratie enarmes, 197O.r J.-P. Bertaud, La Révolution armée,Laffont, 1 979.. Un témoignage qui se l i t d'un trait :"Mes campagnes sous ld Révolution etI'Empire", de Girault, Le Sycomore,1 9 8 3 ( 6 9 F l .

Que le bougre se prosterneAu nom de I'Egalité.

Sacrés mill'dieux, tous ensembleTirons et brisons nos fers.Quq dans le fracas, tout tremblePour offranchir l' Univers. ".

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Jean-Paul BERTAUD

Nous avons délà publié sur la Révolu-tion :

- Ventres creux, contre ventres dorésles insurrections du printemps 1 795,

Gavroche no 1.- Les colonnes inf ernales 117 941 ,

Gavrocho no 4/5- La fuite à Varennes (1791), Gavro-che no 6- An l l : un théâtre sans-culotte ?,Gavroche no 7- Dossier Danton, Gavroche no 9- Les tr icoteuses de l 'An l l l , Gavrochen o 1 2 .

Tous cos numéros sont disponiblos.

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22

AVEZ.VOUS VU LES PETITS LU ?

LES EXPOSITIONSRubrique de Sylvie Fournet

l l s 'agi t d 'une exposi t ion sur I 'ar t et lesbiscui ts qui s 'est tenue jusqu'au 1 8 mars auMusée de la Publ ic i té à Par is.

El le nous a démontré que la not iond' image de marque, en mat ière industr ie l le,n 'est pas née d 'aujourd 'hui . Nous sommessamplement passés de la "réclame" à lapubl ic i té : quest ion de mots. A preuve cet tetrès r iche col lect ion recuei l l ie oar la SociétéLefèvre-Ut i le : 1 O2 af f iches, 8O objets, de188O à 1914 . t ous consac rés à l a o romo-t ion de ce pet i t gâteau bien connu : le Pet i tLu.

Avec une descendance aussi orol ixe nenous étonnons pas que tout a i t commencépar une histo i re d 'amour. Monsieur Lefèvreet Mademoisel le Ut i le s ' insta l lent commepâl iss iers à Nantes en 1846. l ls acquièrentt rès v i te une réoutat ion due à la fabr icat iond'excel lents b iscui ts en paquets. LorsqueLefèvre meurt en 1883, son f i ls LouisLefèvre-Ut i le lu i succède. l l t ransforme lapet i te af fa i re fami l ia le (14 ouvr iers) en vér i -table industr ie. l l se consacre à la créat ion età la qual i té de ses produi ts, la issant la d i rec-t ion commercia le à son beau-frère. Le "vér i -table pet i t beurre" fera la réputat ion inter-nat ionale de leur manufacture nantaise : la

t

fabr icat ion des biscui ts secs n 'est p lus alorsle monopole de l 'Angleterre.

Dès 1887, Louis Lefèvre-Ut i le comprendl ' impo r tance de l a pub l i c i t é : a f f i ches ,cartes-pr imes, sér ie de cartes postales ( lat raversée de la Manche par Blér iot , les fêtesfranco-russes. . . ) boî tes-cadeaux, papiersd ' emba l l age , ca l end r i e r s . La pub l i c i t émurale n 'est pas en reste. De jo l ies femmes,de Mucha entre autres, ré jouissent l 'ce i lpour at t iser la gourmandise.

Cet appel aux ar t is tes et aux graphistestels Alphonse Mucha, Luig i Loir , BenjaminRabier , Léonetto Cappiel lo, se double en1904 de la col laborat ion avec des contem-porains célèbres. Cela donne l ieu à la publ i -cat ion d 'un album Lefèvre-Ut i le, réunissantautour d 'un port ra i t , un autographe, unenot ice biographique et même graphologi-que ! Cei ta ins furent croqués gloutonne-ment par le crayon sagace et humorist iquede Cappiel lo.

On l isai t avec amusement les dédicacesde Réjane, Jean Richepin, Jules Claret ie,etc. Retenons les mér i tes de ce biscui texquis vantés par Anatole France :

- "Vous avez donné aux antiques présentsde Cérès une douceur inconnue".

oar Victor ien Sardou :- "S'il fallait décerner le PrixAux plus savoureux des biscuitsC'est LuAui serait élu !".

et de Sarah Bernhardt :- "Je ne trouve rien de meilleur qu'un PetitLu - Oh, si ! Deux petits Lu !".

l l est vrai que io indre l 'u t i le à l 'agréable atouiours é1é un heureux mar iage. . .

SAINTSEBASTIEN.RITUELSET FIGURES

Le martyre de Saint Sébastien, capitainede la garde de Dioclét ien, l ivré à ses archersparce que chrétien, a fasciné les art istesjusqu'à nos jours.

o Son corps attaché à une colonne, à unpoteau ou à un arbre, percé de f lèches"comme hérisson" est un corps d'ult imesouffrance : c 'est le martyr, le saint fonda-teur d'une égl ise née des persécutionsromarnes .

r Son corps sancti f ié par la douleur, estbientôt à l ' image du saint thérapeute.Prières, chants et processions en son hon-neur onl culminé en lemps de peste. cesflèches de mort sont cel les du mal terr ible etravageur identi f ié à la colère divine. SaintSébastien, parfois relayé par Saint Roch ouSaint Charles Borromée, devient interces-seur entre monde terrestre et céleste.

LEmarlyreoeSaint-Sébastien,parAnlonioPallaiolo(vers 1460)

. L;e qui a été pr iv i légié ensui le, c 'est lecorps du martyr comme l ieu de la commu-nion div ine. Cette expression, spir i tuel le,par un corps interposé, est part icul ièrementprésente au 1 6. s iècle. D'é légants cheva-l iers au v isage alangui restent impassib lessous la douleur. Peu d 'ar t is tes se sont inté-ressés au deuxième martyre que l 'on inf l i -gea à Sébast ien pour l 'achever : la baston-nade. Cet éoisode étai t connu mais se orê-ta i t moins bien à cet te " immanence de laspir i tual i té" célébrée dans le corps cr ib lé detra i ts .

Dépassant le domaine re l ig ieux, ce thèmeiconographique d 'une for tune except ion-nel le inspira aussi Gabr ie le d 'Annunzio dontl 'æuvre fut mise en musique par ClaudeDebussy.c jusgu'au l6 avril 1984.c Au musée des Arts et Trcditions populai-res (6, avenue du Mahatma Gandhi, Paris),tous les jours sauf mardi, de I Oh à | 7hl5.

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"Un escal iermodèle"1 8 9 7 ,Firmin Bouisset

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La quoue, à Stains on 1946, devant une morcerie qui affiche un mesaago vongeur, mais optimisto...

PAIN JAUNE ET MARCHÉ NOIRLes restrictions après la guerre

1945-1949C'est la Libération ! Les occupants

abandonnent le territoire français. Lerégime de Vichy s'effondre. La Résis-tance est victorieuse. Le général deGaulle, chef du gouvernement provi-soire, est à Paris. C'en est f ini des uni-f ormes a l lemands, des bombarde-ments, des rafles. Mais en est-i l f ini desréquisit ions, du dirigisme économique,des privations, du système "D" , rlumarché noir ? l l va falloir vite déchanteret faire le triste bilan de cinq années dedomination nazie sur I 'Eurooe : des mil-l ions de morts et de disparus, des vil lesrasées. les transports paralysés, lesmines et les ports détruits, les usinesendommagées ; le niveau de produc-tion est partout tombé très bas. EnFrance, l 'agriculture ne fournit plus quela moitié, voire le tiers dans certainscas, et l ' industrie que 42 o/o, de leurproduction d'avant-guerre.

La Reconstruction est donc à l 'ordredu jour : reconstruction polit ique lenteet difficife (cf encadré),' reconstructionindustrielle sur laquelle s'accordent lestrois principaux partis polit iques (MRP,

{ 1 ) Baby boom : explosion des naissances, due auretour des prisonniers de guerre { 1 ,5 mill ion) à lafin de la peur de l 'avenir, et aux effets de la polit i-que na ta l i s te é laborée dès 1 939.

Les exemples cités dans cet article ont étépr is dans la rég ion de Grenob le . A que lquesdifférences près, dues au contexte régionalp lus ou moins agr ico le , la s i tua t ion é ta i t lamême dans I 'ensemble de la France.

SFIO, PCF) et les syndicats (CGT etCFTC) : paix sociale et travail accrusont les conséquences de ce choix depriorités ; les biens de consommationet l 'agriculture sont laissés au second

plan et ne progressent que lentement.La pénurie subsiste donc longtempsencore et les restrictions se f ontd'autant plus sentir que la France estalors en plein "baby-boom" (1 ). Face à

LES ÉVÉNEMENTS POLITIOUES (I 944-I 948)

25 aott 1944: le Général de Gaulle,chel du gouvernsment provisoires'installa à Paris.

De aott 1944 à mai 1945 : renforce-ment du gouvornement provisoire parélimination ou intégration des groupesissus de la Résistance Intérieure lmili-c o s p a t r i o t i q u e s C o m i t é d eLibération... L

7 mai 1945 : reddition inconditionnellede I'Allemagne.

2O octobre : élection de la premiàreAssemblée constituante (majorité degauche : PCF. SFlOl.

13 novembre : De Gaulle élu chef dugouvernement à l ' unan imi té del'Assemblée.

20 janvier 1946 : démission de DeGaulle.

26 janvier : formation d'un gouverne-mont tripartite (MRP, PCF, SFIOI FelixGouin (socialistel.

5 mai : NON au référendum sur le projetde constitution social-communiste.

2 juin : élection d'une deuxième Assem-

blée constiruante (MRP 2A Vo, PCF26 %, SFIO 2',1 %i.

24juin : gouvern€menttripartiteGeorgesBidault (MRPI.

1 3 octobre : OUI au référendum sur unnouveau projet de constitution. D6butde la lVàme République.

1O novembre : élection de l'Assembléenationafe (PCF 28 Vo, MRP 26 Vo,s F r o 1 7 , 6 % t .

16 novembre : gouvsrnement Blumsocialiste homogàne.

16 janvier : Vincent Auriol (SFIOl,président de la République.

21 janvier 1947: grèvas aux usinesRonault.

25 avril : grèves aux usines Ronault.5 mai : renvoi des ministres communistes

du gouvernement.Novembre-d6cembre : grèves.22 novembre : gouvernem€nt R.

Schuman (MRPl.6 juillot 1948 : vote du plan américain

d'aide Marshall à l'Assemblée natio-nale,

ce problème, les gouvernements suc-cessifs hésitent entre ung politiguerésolument dirigiste (mal vue des pay-sana et de la bourgeoisiel et une politi-que franchement libérale (à laquelle lepeuple des villes est hostile). On créealors un ministère du Ravitaillementdont les titulaires changent à chaquechangement de gouvernement: Jiac-comi, Ramadier, Pineau, Longcham-bon, Tanguy-Prigent, Yves Farge... Acoups de demi-mesures et de grandesdéclarations, les différents responsa-bles du ravitaillement ne parviennentpas à assurer un approvisionnementcorrect et régulier des centres urbains.

Globalement, l'organisation mise enplace par Vichy est conservée, maisassouplie : les commissions d'achatdépartementales sont supprimées et les

commerçants peuvent s'approvision-ner "librement" aupràs de leur gros-siste ; à partir de décembre 1945, onautorise à nouveau l'ouverture de com-msrces de gros. Une partie des emploisde fonctionnaires des services de con-trôle sont supprimés par mesure d'éco-nomie... Mais le rationnement restetrès réglementé pour le consommateurlvoir encadré). Pour tenter d'assurer lesapprovisionnements, les gouverne-ments font toutes sortes d'essais :livraison obligatoire de toute la produc-tion pour le blé, impositions partiellespour le lait, engrais délivrés en fonctiondes livraisons de produits agricoles,subventions, contrats de production,achats prioritaires par des officesdépartementaux... L'efficacité n'estpas garantie et les prix ne cessent de

mrfutp

grimper ; les mesures prises pourenrayer ces hausses ont surtout poureffet de faire disparaftre lês marchandi-ses du circuit légal (21.

Ainsi, pass6e l'euphorie des premierstemps de la Libération, pendant guatreannées encors les Français ontretrouvé, comm€ aux tsmps de l'occu-pation allemande, leur "problèmeessentiel" : le ravitaillement. Les res-ponsables politiques remarguent avecamertume dès 1945 que c'est là "lesouci constant de la population" ausein de laquelle il entretient une atmos-phère de "nervosité". Sauf aux éche-lons supérieurs, le personnel de l'admi-nistration du Ravitaillement et ds con-trôle est resté le même que pendant lapériode précédente. C'est la continuitémalgré le changement : on continue defaire la queue, on continue de se"débrouiller" et certains continuent devendre n'importe quoi à n'importe quelprix. La répression, moins forte quesous l'Occupation, permet au système"D" de s'ériger à la hauteur d'une insti-tution et le marché noir, profitant desbrèches ouvertes par l'assouplissementde la législation, devient encore plusflorissant.

C€tte situation ne fait qu'accentuerles inégalités : entre ceux qui peuventmanger à leur faim et ceux qui doiventcontinuer de se "serrer la ceinture" ;entre ceux qui manquent encore duminimum nécessaire et ceux qui regor-gent du superflu et l'étalent. Ces inius-tices apparaissent encore plus crianteset plus insupportables que pendantl'Occupation, puisqu'on espérait lesvoir s'atténuer et parce que ceux qui segobergent dans la liberté du jour nesont pas forcément ceux qui luttaientdans l'ombre pour préparer des "lende-mains qui chantent"...

"Un paysan tn'a dit..."

Les différences sont d'abord visiblesentre la ville et la campagne : à la cam-pagne, la pénurie en denrées alimentai-

(2) Se reporter à I'anicle paru dens le numéro 1Odu Peuple Français (avanr iuin 1 98Ol : "Du painsur la olanche".

VALEUR CALORIOUE MOYENNE DES RATIONS "ADULTE"

ê q l o r r c s

f 600

,500

4 \ oo

43 oo

1 Z O O

114 o

4ooo

9 o o

t 0 0

Le bâisse de | 947 s'expligue par la diminution des rations de pain, mais aussipar I'anêt du ntionne-ment de certains prcduits comme la viande.La ration quotidienne considérée comme "nomale" est de 2 4OO calories.En France, la consommation moyenne est en | 983 dc 3 4OO calories par iour ; 74 pays du mondeont une consommation inféieure à 2 4OO cal./iour dont 2l intérieure à 2 OOO.

q5 t 3 . t c t gq l(Annuaire écoûmique dc la Fnnce)

et marché noir

rw:

res ne se fait guère sentir que pour lesproduits "exotiques" (café, choco-la t . . . ) ; pour le res te , chacun mange àsa faim et l 'autoconsommation pay-sanne a largement augmenté : de22 o/o en 1 938. el le est oassée à 33 Yoen 1946. Les dépar tements ru rauxexcédentaires sont les mieux lot is et nelaissent pas faci lement sort ir leurs pro-duits. Les vi l les des départements défi-ci taires ont donc part icul ièrement àsouffr ir de la pénurie (en lait . viande etcéréales) : c 'est le cas des vi l les dusud-es t (Lyon, Grenob le , Marse i l le ) .

En 1944-45, alors que les transportssont très désorganisés, ce sont les vi l-les moyennes qui ont le plus de dif f icul-tés à être approvisionnées : en janvier1 9 4 5 , G r e n o b l e a t t e n d p l u s i e u r ssemaines les 26 tonnes de oâ tes àprendre à Lyon et les 1 30 tonnes àprendre à Marse i l le . Par la su i te , c 'es tsur tou t dans les v i l les ouvr iè res que lafa ib lesse e t l ' i r régu la r i té des ar r i vagesentret ient une situation parfois dramati-q u e .

Un sourd antagonisme naît de ces

différences : les ouvriers accusent lespaysans d'être les "affameurs" dupeuple ; ceux-c i n 'admettent pas le

i :KIT:&

maintien des taxations à des prix jugésr id icu lement bas, tandis que l ' in f la t ionfait f lamber les prix des autres produits.Les agr icu l teurs peuvent pour tantapparaître comme des privilégiés ; lapart qu'i ls représentent dans les reve-nus des particuliers est passée de15 o /o en 1938 , à 20 o /o en 1947 (e l l eretombe à 16 o/o en 1948). Le paysantend à conserver ses produits, à ne pastout l ivrer, car la polit ique des prix dugouvernement ne l 'y incite guère : leprix du blé est f ixé à un prix inférieul àcelui de certaines céréales secondaires.Les paysans préfèrent donc uti l iser leblé pour la nourriture des animaux.Devant l ' inflation, les éleveurs préfè-rent thésauriser sous forme de bétail :"le producteur retient les bêtes à laferme et ne vend qu'au-dessus de lataxe" se p la ignent les journaux com-mun is tes en 1947 .

L 'Etat essaie d 'év i ter de heurter lapaysannerie de front : i l fait appel aucivisme, à la pit ié ; i l distribue des pri-mes pour les l ivraisons de blé et de sei-gle. Les partis de gauche tentent de bri-

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CARTES ET TICKETS

VPcTFEFAR

La population était d'abord divisée encatégories d'â96 et en fonction de l'acti-vilé exercée :E entants de moins de 3 ansJ 1 ( J e u n e l d e 3 à 6 a n s .J2 de 6 à 13 ans .J3 de 13 à 21 ans .A (Adultesl transformée en M en jan-

Les tickets distribués par la préfectureétaiênt vgntilés chaque mois dans lesmairies. La ration était fixé6 chaquemois. Le commelçant devait coller lestickets sur une feuille remise à la mairiece qui lui permettait de recevoir un con-t ingent de marchandises le mois suivant .Les mères de fami l le, femmes enceintesavaient des cartes do priorité.

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OUELOUES RATIONS

Rat ions hebdomadaires de v iande à Grenoble. A part i r de septembre 1947, t l n 'y a p lus de rat ions ; les pr ix restenttaxés. Les boucher ies ne sont ouvertes que samedi et d imanche.Rat ions quot id iennes de pain "adul tes" au niveau nat ional .

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ser le mur d'hosti l i té qui sépare ouvrierset paysans en prenant la défense despetits exploitants, en cherchant à infor-mer la population urbaine des problè-mes paysans. Ainsi, un long article dujournal Les Allobroges (3) explique le1 1 septembre 1945 : "Un paysan m'adit : nous ne voulons pas d'argent maisdes chaussures, du l inge, des machi-nes. un toit" et I 'agriculteur expose lesraisons de la pénurie de lait : le paysanest imposé à 3 l itres par vache et parjour de même façon. qu'i l en ait une oudeux ou c inquante. En janvier 1947, LeDauphiné Libéré insiste sur le manqued'outi l lage, de pièces, d'engrais, depneus pour le matériel et sur le déficitfourrager. Ces tentatives ne réussis-sent pas à rétablir la confiance entredeux mondes qui vont longtempss'ignorer.

"L'hiver prochain,les enfants manquelont de lait frais"

Dans les vil les, ce sont bien évidem-ment les petits salariés qui souffrent dela pénurie. La bourgeoisie peut s'appro-visionner au marché noir ou simplementmodifier ses habitudes alimentaires. Lepeuple des vil les ne peut faire face à lahausse très rapide du prix de ces pro-duits que les augmentations de salairesont loin de compenser (4). l l doit secontenter de rations réduites, trèsinsuffisantes (voir graphique).

Car le rationnement qui avait étégénéralisé pendant l 'Occupation neconcerne plus qu'un nombre de plus enplus réduit de produits entre 1 946 et1947. Ce sont surtout les denrées debase qui font défaut : le lait et la viandemanquent le plus (voir graphique). Lelait en poudre ou condensé est réservéaux très jeunes enfants et uniquementsur certif icat médical (dans les pharma-cies, on trouve parfois du lait suisse"Guigoz"). Les rations de fromage sont

(3) Ce journal créé p€ndant la Résistance en Dau-phiné se scinde le 7 septembre 1945 : Les AIlo-broges, de têndance PCF, et le Dauphiné Libéré,de tendance SFIO.

{4} Pouvoir d'achat comparé des salaires hebdo-madaires, compléments compris ( lndice lOO en1938 ) : av r i l 45 , 6O ; av r i l 46 ,63 ; av r i l 47 ,73 ioc tob re 47 , 69 ; av r i l 48 ,86 ; av r i l 49 ,90 .

donc aussi très l imitées ; les consom-mateurs se plaignent de ne recevoir enguise de crème de gruyère qu' "unersatz (5) malodorant". Les rations depain varient en fonction des récoltes deblé ; elles sont f ixées par des normesnationales, car le pain joue encore àcette époque un rôle fondamental dansl'alimentation des classes populaires.

C'est en septembre 1947 que la

UN EXEMPLE DE RATIONNEMENT(Céréales-octobre 1944 - lsère)

RIZ : l OO g à la catégorie E, en ôchangedu coupon no 3 d'octobre.

FARINES SIMPLES OU COMPOSEES :250 g à la catégorie E en échange ducoupon no 4 d'octobre.

FARINES SIMPIES, TAPIOCA ou PRO-DUITS ASSIMILES : 25O g aux catégo-

ries E et Jl en échange de couponno 2 d'octobre.La cràmo de riz est réservée aux caté-gories E ot J1 en 6change des tickotsde pain des consommateurs E, Jl, J2et V sur la base de 75g de farine pourlOO g de pain.Les produits de biscuiterie autros quole pain d'6pice seront réservés auxcatégories E, Jl , J2 et V.

FARINES CACAOTEES: 25O s auxcat6gories J2, J3 €t V en échange dutickot "DE" de la feuille Denré€sDiverses d'octobre. Les tickots "DE"cerclés des catégories P1 at P2devront ôtre accompagnés du couponno 3 d'octobre.

ration atteint son niveau le plus basdepuis 194O (voir encadré). Le pain estalors composé d'un mélange de farinede maïs, de soja importé et de moins de50 7o de blé, on le surnomme "le painjaune". Les matières grasses sont éga-lement très l imitées : un peu de beurre,les huiles sont rares du fait du manqued'arrivage des colonies, la margarineest distribuée avec parcimonie. Les pro-duits exotiques arrivent avec beaucoupd'irrégularité : le café pur revient enlanvier

' l 946, mais la ration de novem-bre 1946 n 'est d is t r ibuée que le 25janvier 1947 à Grenoble ( ! ) . Le choco-

lat est en général distribué avec un àdeux mois de retard et les journauxtitrent "Rentrée des c/asses sans cho-colat", le 20 septembre 1946. Laration de sucre, longtemps maintenue à5O0 g par mois, augmente régulière-ment après 1946.

"On a retrouvé les 9 millionsd'hectolitres de vin disparus".

Les promesses de ravitail lement envin sont rarement tenues et malgré desrécoltes assez abondantes, malgrél'arrivage de vins d'Algérie, la rationreste pendant très longtemps de 2 l itrespar mois {h iver 1946, h iver 1947l . ; i lfaut dire que le vin disparaît inexplica-blement lors du transport (des ton-neaux se sont transformés en bidonsd'huile de moteur à Nantes en octobre46) et que l 'on retrouve au hasard descontrÔles des stocks dispersés que I'oncroyait disparus {9 M d'hectolitres enseptembre 1945).

Les produits rationnés sont souventde mauvaise qualité (viande congeléeaméricaine avec os) ou des "produitsde remplacement" : succédanés decafé (orge, soja, glands), de beurre.farines "cacaotées" sans cacao dites"petits déjeuners"... En dehors desproduits alimentaires, sont égalementra t i onnés l e t abac , l e cha rbon ,l 'essence, le gaz, le cuir, les tissus. Les"points texti les" ne sont supprimésqu'en mai '1947 et les pneus de vélosont l ibérés à la même date.

Ce rationnement est personnalisé(voir encadréi et différencié suivant lesdépartements. Les collectivités ontdroit à des attributions particulières,souvent supérieures à celles des autresconsommateurs ; c'est le cas del'Armée qui, ne représentant qu'unquarantième de la population. absorbeun dixième des pommes de terre et unneuvième de la viande à la fin de1 945 ! Avec les surplus, en fait dumarché noir.

Certains produits sont réservés à descatégories précises : le lait est destinéuniquement aux enfants. parfois auxvieil lards ; le chocolat, les confituresaux jeunes, et certaines catégories seplaignent : "Les vieux réclament un

{5} Ersatz :dané.

produit de remplacement ou succé-

ot matc# rpir

Lo ravitail lomont : un problàmo int€rnationalDu 4 au 6 avr i l

' l 946 . les min is t res de l 'Agr icu l lu re

e t du Rav i la i l lement des pays européens se réun i -ren l à Londres pour essayer de coordonner lesso lu t ions à leurs p rob lèmes - à ce lu i . en par t i cu-l ie r , de la "soudure" en céréa les : sur 22 paysd 'Europe, 4 ou 5 seu lement , se lon M. Hoover , p ré-s ident du Comi té amér ica in de secours à l 'Europe,étaient assurés de tenir jusqu'à la prochainerécolte.

On vo i t i c i (à gauche) , s 'en t re tenant avec sesco l lègues be lge e t néer landa is , le min is t re du Rav i -ta i l lement f rança is , M. Longchambon que leschansonn iers appe la ien t , b ien sûr , M. Long-J a m b o n . , .

peu plus de chocolat et des gâteauxsecs" en octobre 1 945.

"Et voici de la margarine...".

Chaque mois les chiffres des rationssont communiqués par les journaux,mais i l faut surtout être à l 'affût des"distributions" annoncées lors d'arri-vages inattendus ou de débloquage destocks. Limitées certains jours à quel-ques commerçants dont la l iste estfournie par la presse, elles occasion-nent des queues exceptionnelles, carles quantités sont elles aussi l imitées :on distribue ainsi du "poisson de mer"des "oranges d'ltalie", des bananes,du "porc sous contrat" , de I 'hu i le . . .Pour les fêtes, des distributions excep-tionnelles ont l ieu, les rations sont aug-mentées (8 mai, fête des mères,Noë| . . . ) . A ins i , pour Noël 46, on avai tdroit à Grenoble à : 30O g de viande ;charcuterie l ibre : 50 g de saindoux ;1OO g de beu r re ; 25O g de "pe t i t sdéjeuners" ; 25O g de chicorée ;5OO g de confitures pour les E et J(enfants et jeunes) ; 2OO g de bana-nes ; et pâtisserie "l ibre".

Mais pour les jours ordinaires, lesrations ne suffisent pas et i l faut doncrecourir à d'autres sources moins léga-les. Heureux celui dont la famille estencore à la campagne et qui peut faireparfois des records à bicyclette pour luirendre visite ! Pour les autres, i l y a lemarché noir. Ce terme recouvre en faitdes réalités très différentes : la compa-ra ison n 'est guère possib le entrel 'ouvrier qui s'absente un après-midi deson usine oour aller à vélo travail lerchez un paysan en échange d'un panierde victuaifles, etle "gang du sucre" quiréalise des mill ions de bénéf ice endétournant d'énormes quantités demarchandises. On a néanmoins évaluéà environ quatre mill ions les personnesqui vivent de divers trafics en 1 945 ;ce sont souvent les mêmes que pen-dant l 'Occupat ion. car l ' "épurat ion"de 1944 a touché essentiellement descollaborateurs polit iques, mais très peule milieu des trafiouants.

Des sacs de cinquante kilosqui n'en pesaient quo trento cinq..."

Un premier type de marché noir estcelui qui met en relation producteur-consommateur ou producteur-com-merçant-consommateur. C 'est a ins ique la SNCF et les PTT ont pris l 'habi-tude de fermer les yeux sur les "colis

familiaux" expédiés par des paysans àdes particuliers. l l y a toutes les varian-tes possibles du commerçant qui réus-sit à se fournir hors des circuits légauxauprès de producteurs ou d'intermé-diaires (collecteurs, grossistes) et quirevend dans I 'arrière-boutique le pro-dui t in t rouvable au marché taxé. Ains i ,en 1945, le k i lo de beurre, taxé à 63 F,se vend 80 à 100 F chez le fermier etoeut atteindre 6O0 à 1 OOO F dansl'arrière-boutique !

Le commerçant peut aussi grignotersur la qualité : on connaît le cas desboulangers qui mélangent des far inesde céréales d iverses oour le oain etréussissent ainsi à détourner de lafar ine b lanche pour la pât isser ie dont laf abr icat ion leur éta i t in terd i te enpériode de pénurie. l l peut encore tri-

La carte de tebac: la manne attendue pour lesfumeurs, une monnaie de t roc oour les autres. . .

E D Ê S F I N A N C E S

Adresse d.* r,**.A'-l&

/àr.tÉ €a*.t*we- 8r.-"Carte d'Alimentation Nî { f 7Les sanctions pr&ues err matièrede ca r t es d ' r i l imen ta t i on son tapplicables aux cartes de tebac(Art.?6 àe fâclo dil loi du 5l[ricoabæ 19'4:2]

cher sur la quantité. C'est le cas demarchands de charbon grenoblo is quivendaient des sacs de cinquante kilosqui n'en pesaient en réalité que trente-cinq ou quarante. Le détournement demarchandises oeut enfin s'effectuer auniveau de collectivités dont les attribu-tions sont parf ois importantes. Desmi l i ta i res s 'organisent f réquemmentpour détourner des cigarettes, del ' essence : l e 13 j u i l l e t 1946 , deuxgaragistes et deux officiers du Corpsexoédi t ionnaire d 'Extrême-Or ient sontinculpés pour un important t raf icd 'essence entre Marsei l le et Avignon.

"Le Roi de la Viande arrèté à Rouen"

L 'abat tage c landest in. pour lequelnous possédons quelques chiffres, per-met d 'évaluer l 'ampleur du marchénoir . Sur envi ron un mi l l ion de tonnesde viande abattues en 1 946, on estimeque l 'abattage clandestin porte sur40O O00 tonnes. A Grenoble, onremarque à l 'automne 1945 que sur1 3O tonnes produites chaque semaineaux abat to i rs munic ipaux, 6O seule-ment parviennent au service du Ravi-ta i l lement .

Là encore, les formes de trafic sonttrès variables : ici, trois personnes suf-fisent, le boucher, le fournisseur et letransporteur ; ail leurs, c'est le grospaysan qui s'est spécialisé et abat unebête par semaine en forêt ou dans unlocal d iss imulé ; là , ce sont des bou-chers savoyards qui s'organisent pouracheter au prix fort 3OO animaux àLimoges (5 mars '1947l . . . . Ce t raf ic deviande permet également tout undétournement des peaux qui s'opèreavec des industriels du cuir : à Romans,capitale de la chaussure, on considèreque 40 o/o des peaux uti l isées en 1 946sont d 'or ig ine c landest ine. C'est égale-ment le cas de l ' industr ie de la ganter ieà Grenoble. Enf in, le t raf ic por te égale-ment sur le oroduit f ini : chaussures,sacs, mal le t tes, gants. . .

Des industriels lait iers réussissentaussi quelques grandes opérations : en

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LE SCANDATE DES FARINES(Octobre 19461

Le nouveau pr6fet de Seine-lnf6rieureet le directeur de la Police s'étonnent devoir que la consommation de farin€atteint 90 OOO quintaux dans le dépar-tomont alors que d'apràs leurs calculselle ne devrait pas dépasser 82 OOOquintaux. Apràs enquôte, Gornet, secré-taire du Groupement d6 Répartition dosFarines de Seine-lnférieure. est inculpôainsi que le comptable du bureau et 5femmes employées. 6O boulangers setrouvent 6galement compromis.

Tous les 15 jours. les boulangersdevaient pa33er au bureau d6partemen-tal pour remettre leur enveloppe avec lestickets afin d'obtonir des bons de farinecorrespondant à ces tickets. Sur unsigno, csrtains so rendaient onsuit€ dsnsun café voisin où Gornet vonait leur ren-dre une psrtie dos tickots. Ces boulan-gers revenaient ensuite au guichet pourrecevoir un supplément, ce qui leur per-mottait de fabriquer de la pâtissorio et dovendre du pain au marché noir.

Le trafic durait depuis 6 ans et rappor-tait à Gornet environ 20 0OO F par mois.

septembre 1 946, un industr ie l la i t ier deCambrai vend "au noir" les rationsmensuelles de fromage de 1OO OO0personnes I En janvier 1 948, un indus-triel lyonnais a détourné 1 2 OOO litresde lait, 2 OOO de crème, 1 5OO kg debeurre et des centaines de boîtes de laiten poudre.

"Vol de 15 OOO cartesde ravitaillement en plein jour !"

Le vol de cartes et de tickets oui avaitété inauguré par les maquisards pourassurer leur ravitail lement se généra-lise, tandis gue des imprimeries se spé-cialisent dans la fabrication de faussescartes de pain par mois.

Le sud-est est fréquemment inondéde faux bons d'essence. Ces pratiquesobligent les préfectures à changer fré-quemment les types de cartes. Celan 'empêche pas les f onct ionnairesmême des services du ravitail lementd'en détourner une partie. Car ceux-cisont particulièrement bien placés et i lne se passe guère de semaine sans queles journaux ne relatent l 'arrestation demembres de ces organismes. Au Ravi-tail lement, on subtil ise cartes et t ic-kets, au Contrôle, on rackette des com-

merçants, à la Distribution on détournedes marchandises. Cent soixante ton-nes de charbon destinés aux hôpitauxde Lyon sont ainsi détournées par unfonctionnaire de la Distribution en sep-tembre 46. On peut aussi citer le cas duresponsable départemental du serviced'aide à l 'Exploitation forestière quicontinue à recevoir tous les mois, en1946. les rations de 5OO bûcherons deSaint-Marcell in {lsère) alors que depuisun an i l n'en reste plus que 52 !

Les grands scandalesA partir de 1946 une série de scan-

dales éclate, mettant en jeu d'énormesquantités de marchandises, éclabous-sant au passage quelques personnalitéspolit iques. C'est en avril 46, celui desGrands Moulins de Corbeil qui détour-nent environ 15 o/o de la production defarine ; en octobre, c'est celui des Fari-niers de la Seine Inférieure (voir enca-dré). Ce mois d'octobre est celui du"festival des scandales" : scandalesdes v ins d 'Algér ie détournés surMonaco ; scandale des Grands Maga-sins (le PDG du Bon Marché est écrouéà Fresnes : i l avait reçu 9OO O00points texti les contre 6 mill ions de potsde vin versés à divers fonctionnaires duministère de la Production industrielle) ;scandale des légumes secs, du sucre(sur 5OO OOO tonnes de sucre consom-mées chaque année, 20O 000 passentau marché noi r ) .

En 1947 et 1948, les t raf ics se fontsouvent à travers les frontières : colis"coloniaux" , co l is "suisses" compre-nant sucre, calé, riz, chocolat, achetée38 F en Suisse et revendus 7 OOO Faux intermédiaires.

Si les arrestations sont fréquentes,l 'application des lois répressives esttimide, voire inexistante. Les amendesprononcées sont souvent dérisoires enregard des bénéfices. La répressionf rappe d'ail leurs bien davantage lespetits trafiquants, dont les noms doi-vent être publiés dans les journaux,alors que les industriels s'en tirent sou-vent par un arrangement f inancier àl 'amiable avec les services de la Direc-

(6) En octobre 1946, Yves Farges, minist re duRavitaillement, fait adopter un projet de loi pré-voyant la peine de mort ou les travaux forcés pourdes cas de t raf iquants importants. Ce projet n 'eutoas de sui tes. . .

hin jaune

MANIFESTATIONS ET GRÈVES1 945-1 948

15-3O mars 1945 : manifestat ions doménagères pour un meilleur ravitaille-ment dans le Jura, les Alpes-Maritim€s. les Charentes, l'lsàre. lesBouches-du-Rhône...

15-3O septembre : manifestations poulun meilleur ravitaillomont à Marseille.Lyon, dans la Creuse, le Jura...

1..7 janvier 1946 : les travailleurs ces-sent lo travail ot manifostant contre lerétabliss€ment de la carte de pain àTours, Rouen, Revin, Le Creusot,Paris, La Rochelle, Nevers, Armentià-res. Fourmies...

Juillet-aott : manifestations contre la viechàre et pour augmontations de salai-res. A Nantos. violsnte manifostationcontre le marché noir (21 aott l .

Janvier 1947 : manifestations contr€les intermédiaires (Parisl et pour unmeilleur ravitaillomont (Lyonl. GràveMichelin à Clermont-Ferrand (1 11.

25 mars : manifestations dans toute laFrance pour le minimum vital, des aug-mentations de primes ot la lutte controles trafiquants.

3O avril : gràve Renault.2O mai : grève des dockers.22 mai : manilestation à Lyon et séques-

tration du préfet pour le maintien de lacarte de pain.

Juin : gràves du bâtiment (61 des chemi-nots (81, des houil làres (101, desemployés de banque 1211, desmineurs du Nord (251.

5 septembre : manifestations à Paris eten province contre la diminution de laration d€ pain. Grève générale dans leDoubs pour le pain.

6 septembre : incidents sur les marchésà Grenoble.

29 septembre : A Verdun les travail-leurs bloquent un convoi de sucre des-tiné à l'Allemagne.

3 octobre: péniches de sucre bloquéesà Meaux.

15 octobre : grève dans lo métro, auto-bus, marine marchande.

8 novembre : grève services publicsrégion parisienne, Berliet.

10 novembre : manifestation à Marseillecontre la hausse du prix dos tram-ways. Arrestation do 4 ouvriers.

13 novembre : journée d'émeute à Mar-seille : 1 mort parmi les manifestants.

14 novembre-1O décembre : général i-sation des gràves à tous les socteurs.Heurts tràs violents avec les forces del'ordre à Valonce 12 morts le 5 décem-brel, Montpellier, Nice et en Meurthe-et-Mosslle.

1 5juin 1 948 : gràvedesmineursduNord.16 juin : grèvê ot heurts violents aux usi-

nes Bergougnan de Clermont-Ferrand.La grève s'étend à Michelin.

9 juillot : grève des fonctionnaires.2 septembre : gràves dans le textile,

chez Peugeot, Schneider, Engleberr.Début des gràves des mineurs.

16 septombre : grève Renault.Octobre : bagarres en Lorraine. Réoccu-

pation dos puits de mine par l'armée.Bagarres autour des puits, 1 mort àMerlebach ; 1 mort à Alàs ; 2 morts àFirminy (tous du côté des mineursl.

1 9 novembre : grève des dockers.29novembre : f indelagrèvedesmineurs.

Nombre de journées de grève :1946 : 374 0OO ;1 9 4 7 : 2 3 3 6 1 O O O ;1 9 4 8 : 1 1 9 1 8 0 0 0 ;1 9 4 9 : 7 2 2 9 O O O .

La "COURSE INFERNALE" salaires-prix

S a l a i r e s a P r i x d e d e l a r l ri ô d l c € 5 b â 3 € l O 0 e ^ c ) a ^ Y V r 1 q 1 7

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et mttclré noir

t ion du contrô le économique (6) .Laisser-faire et corruption ne laissentpas toujours impassible le peuple desvil les qui manifeste parfois violemmentsa haine du marché noir. A Nantes, enaoût 46 : des boîtes de nuit et grandsrestaurants aux tarifs prohibit ifs sontdévastés par des manifestants.

"Nous voulons du bifteck aux pommesdeux fois par semaine"

L ' insuf f isance du rav i ta i l lement ,l 'absence de répression du marché noir,la hausse des prix ont constammententretenu de 1945 à 1948, le mécon-tentement populaire (voir encadré). En45-46, les manifestations sont sou-vent organisées par les ménagères quise rendent en cortège à la mairie ou à lapréfecture et tentent parfois d'en forcerles gri l les (Marseil le). Ce sont ellesaussi qui bousculent les étalages decommerçants sur les marchés et lesobligent à baisser leurs prix. Fréquem-ment aussi, les ouvriers cessent spon-tanément le travail avec une ou deuxheures d'avance pour protester contreI' insuffisance des rations. Le pain,nourriture-symbole, est souvent à l 'ori-gine de ces débrayages : le 21 mai1947, la radio lyonnaise annonce lasuppression de la carte de pain (7). Lesouvriers de la Rhodiaceta à Vaise ces-sent le travail à th du matin et se diri-gent en cortège vers la préfecturesituée à plusieurs kilomètres ; i ls sontrejoints par un autre cortège venu deVilleurbanne.

1 t heures : la foule pénètre dans legrand hall de la préfecture. les ouvriersenvahissent les bureaux, se saisissentdu préfet qu'i ls emmènent à pied ausiège de la radio. A midi, chacun peutentendre la déclaration improvisée du

préfet : "J'ai éré ému (!) ce matin parvotre manifestation qui prouve que lestravail leurs ont des besoins qui méritentd'être satisfaits. Aussi, pour calmercet te émot ion ( . . . ) j 'a i décidé dès main-tenant que les tickets de pain seraienthonorés comme par le passé".

Les grandes grèves de 1947 et1 948 n'ont pas pour motif direct laquestion du ravitail lement, mais i l estcertain que la baisse de la ration de painannoncée au cours de l 'été a souventété la gout te d 'eau. . . e t l 'on imagine leseffets particulièrement durs de la pénu-rie dans les ménages des grévistes. l lsne sont sans doute pas étrangers àl'aspect insurrectionnel que ces grèvesprennent parfois.

En 1949, l 'amél iorat ion de la produc-tion agricole, les importations plus faci-les permettent de l ibérer progressive-ment les produits, mais les prix ne ces-sent pas de grimper pour autant et lestravail leurs devront attendre encorequelques années avant de connaître lebifteck quotidien.

Monique BAUDOIN

(7) Remplacée par la carte "Denrées diverses",avant l'élaboration de nouvelles cartes oour lultercontre la fraude.

Nous avons déjà publié...Suelcs luttts pqubiræ

aonvc b vie chètcc La croisade des ménagères, 191 1 (LePeup le França is no 6 ' ). Du pain sur la planche, 1945-49 : (LePeup le França is no 1O** ). Ventres creux contre ventres dorés (anl l l l : ( G a v r o c h e n o 1 * r { )o Les émeutes de Gdansk ( 1 97O) : (Gavro-che no 2)

Numéros encore disoonibles à la l ibrair ie deG a v r o c h e : * 6 F ; * * I F ;

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No I octobre-décembro 1979 l6puisé)

No 9 janvier-marc 198O. Les lycées impériaux.. Les universités populaires.. 19O9, la guerre des boutonso Les gueules noires du Calvados au 1 8" siècle.. Le Théâtre de foire {1 7o).. La corvée royale.

No 1O avdl-juin 1980. Du pain dur sur la p lanche (1944-1949).. L 'af fa i re des chaumières 11854).o Le maléfice de l'aiguillerte {16. el 'l 7"}.o Les femmes et la commune.. Les grèves de 1 91 7-1 91 8.o Mineurs en grève à Decazevi l le (1886).o Eugène Le Roy.

. La grève de 'l 907 à Fiers.

. Malades et médecins {17. et 18.) .o Les grèves d'ouvriers agricoles (été 1 936).. Eugène Pottier.. L 'af fa i re du canal de Suez (1 956).

No 2 avril-juin 1978. La séouestration des cadres.. Des étudiants dans les usines en mai-juin 68.. Les révoftes de la faim l.1789-17921.. Ecrire l'Histoire : les manuels scolaires.. La guerilla de Greletti (17.). Mouvements populai res en lsère (1870-1871).. La médecine populaire {1 7. et 1 8.).. La guerre des Toucouleurs (1 9"1.

No 3 juillet-septombre 1978. Les abandons d'enfants (ll).. L'æuvre sociale de la Commune.. Gaston Couté chansonnier beauceron.o Les Cheveux Verts du Pays d'Ouche. Une grève de mineurs en Bretagne 11793-17941.o Lesfemmeset la guerrede 1 9 '14 : témoignages.. Les terreurs b lanches (1 794-1 814).. Les Sov ie t s a l sac i ens 11918 )

. 1096 la croisade populaire.o Louise Michel.o La justice à l 'auberge.. La colonisation de la Guyane (' l 7.). Une coutume amoureuse : le maraichinage.. Une grève à Aub in (1869) .. L6s sergents recruteurs (1 7.).

No 5 janvier-mars 1979o La l igue du Mid i (18701.. L 'éco le p r ima i re (17 . e t I8 . ) .. I 935, la riposte aux décrets-lois Laval.. Les mineurs de Montceau (1 9.).. Le marais vernier : une communauté rurale.. La révolte des vignerons champenois de 1 91 1.. La Vendée : qui étaient les Vendéens ? (l)

No 6 avril- juin 1979o La croisade des ménagères (1 9.).. Les ouvriers agricoles provenceaux ( 1 8.1. Des colons en Guyane {1 8.). E. Menier : un caoitaliste éclairé.. L'école de vil lage au 18â siècle.. Une coopérative ouvrière (l 9O2-1 9O4).o La Vendée : pourquoi la guerre ? l l l). I825, les tisserands du Houlme.

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30

Les humeurs de I'histoire

LES ANNEES 1950Entretien avec Claude-Jean Philippe

(Antenne 2)

M.S. - Comment en êtes-vousvenu, vous gui vous intéressiez aucinéma à cette sorte d'enquête histori-que que sonf Les années 50 ? Pourquoine faites-vous jamais appel, par le biaisde l'entretien, à des "témoins" ?

C.J.P. - J'ai d'abord fait des por-traits de gens vivants : le professeurDebré, Marcel Duhamel etc. J'ai cons-truit des émissions à partir de biogra-phies de personnages qui me parais-saient intéressants ou exemplaires. Eten faisant ces biographies j 'ai décou-vert l 'histoire de ce siècle, et j 'ai étéamené par la suite - en composant deshommages à Arletty, Marcel Aymé.Coco Chanel etc. - à parcourir plu-s ieurs fo is les années 1950. Puis l 'a iécrit et réalisé une histoire du cinémafrançais, dans le cadre d'un grand pro-fet qui était alors I'Encyclopédie audio-visuelle du cinéma ; 38 films de mon-tage. de 26 minutes chacun, destinés àraconter l 'histoire du cinéma françaisdes origines jusqu'au début des années1 960, Donc j 'ai à nouveau parcouru cesiècle d'une autre façon, et cette foissans interviews du tout, en ne me ser-vant que de documents photographi-ques ou cinématographiques, actuali-tés ou extraits de fi lms. J'en avaisdécidé ainsi par rigueur historique, enl'occurence, parce que je ne voyais pascomment la mort pouvait sélectionnerles témoins.

Si l 'on avait à raconter l 'histoire dusurréal isme en 195O, on le pouvai t ,puisque Breton, Eluard, Aragon étaientvivants et jeunes. A partir des années60-70, on ne racontait plus le surréa-lisme qu'à partir de survivants ; etaujourd'hui, i l n'en reste plus que deux.Je ne vois pas du tout pourquoi les sur-vivants auraient une meilleure qualitéde témoins que les morts, et donc j 'aiprétëré aller, pour l 'histoire du cinémafrançais, aux textes de l 'époque pource qui est de la construction même desfi lms. Et puis par la suite j 'ai fait deuxémissions qui s' intitulaient La plus belleaffiche, qui était une histoire de lachanson à travers les têtes d'affiche.depuis 1 900 jusqu'aux années 1 960.encore une fois... : Paris au bord des/èvres ensuite, où j 'ai à nouveau par-couru le siècle, mais en regardant Pariset ses rues et en écoutant ses chan-sons.

C'est là que, armé de mon expé-rience, j 'ai éprouvé le besoin de refaireun parcours gue j 'avais f ait personnelle-ment - ces années 1 950 où j 'ai eu 20ans et qui ont été les plus fortes, affec-tivement, moralement et polit ique-ment, de ma vie. Je me suis dit que

pour éviter les pièges de la confessionet de la complaisance il fallait faire unvrai travail d'historien. J'ai parcouru lacoflection complète de Paris-Match : jel 'a i dépoui l lée ; j 'a i pr is des notes ; j 'a iparcouru la collection complète deL'Express, de L 'Observateur , duCanard enchaîné. Mais je ne me suispas contenté de l 'histoire proprementdi te.

M.S. - C'est-à-dire que vous vousécartiez de ce qu'il est maintenant con-venu d'appeler l' "histoire événemen-tielle". Mais songiez-vous à d'autresdimensions ou d'autres approches deI'histoire : phénomènes économigues,histoire des mentalités.. -

C.J.P. - A vrai dire, ce sont les"humeurs" de l 'histoire qui me capti-vent. Entre-temps, j 'avais découvertque chaque époque veut donner d'elle-même une certaine image, exactementcomme les personnes. l l y a un déca-lage évident entre cette image qu'elleveut donner d'elle-même et sa réalité,qui n'est connue, elle, que lorsque nousdisposons du recul. Pour les années1950, j 'avais vécu une époque où lalucidité était la valeur suprême danstous les domaines. Je me suis renducompte qu'on lui donnait une si grandeimportance pour ne pas commettreI'erreur de l 'autre après-guerre, quis'était au contraire bercée de terriblesil lusions. l l lusion de la prospérité indéfi-nie pour les USA. l l lusion de la victoireabsolue et définit ive pour les Français.l l lus ion du paci f isme. . . Sent iment etcauchemar de la honte, de la défaite de1 91 8 pour les Allemands. l l lusion de la"dernière" révolution pour les Soviéti-ques. l l est clair que les années ' l 945-1960 ont voulu fa i re exactement lecontraire. On I'a bien vu avec l ' immé-diate réconcil iation franco-allemande,inimaginable a priori compte-tenu desactes criminels du gouvernement nazi.La bascule du prestige, qui appartenaitaux militaires en 1 945, c'est-à-dire auxvainqueurs de cette guerre, au généralMac Arthur, au général de Lattre. s'estfaite en faveur non pas des civils, maisdes négociations : Mendès Francequand il fait la paix en Indochine(1954), de Gaul le quand i l fa i t la paixen Algér ie (1962). Sadate, Kiss inger ,tous ceux qui. d'une certaine façon,ont fait æuvre de paix ; quitte à ce quecertains militaires prestigieux, commeles lsraëliens ou les Anglais de la guerredes Malouines, apparaissent complète-ment anachroniques et d'autant plusfascinants.

En vivant les années ' l 950, nous

Chroniqucs

avions eu l ' impression de vivre unevéritable avant-guerre, alors que nousétions en réalité dans une après-guerrequi dure encore. La question de I 'Algé-rie était pour la gauche quelque chosede décisif, qui semblait engager laFrance dans une nouvelle forme de fas-cisme si la droite gagnait (ce qui s'estrévélé faux...). Pourtant la morale et lalucidité étaient au second plan par rap-port à ce que notre travail, à notre insu,produisait : de la richesse, de l 'eff ica-cité, de la productivité, ce que I 'onappelle maintenant - après coup - les"Trente glorieuses", et dont les mani-festations extérieures ont été dans unpremier temps considérées comme fri-voles : Brigitte Bardot d'un côté et lefilm Mon oncle de Jacques Tati del'autre. Au premier plan de cette épo-que, vue depuis aujourd'hui, i l y a l 'élar-gissement soudain de la vie, les oppor-tunités nouvelles, les ouvertures danstous les domaines qui nous étaientoffertes par une expansion économiquesans aucun précédent. Cela s'est tra-duit par la DS 19, apparaissant commeun être, quasiment d iv in, ( la Déesse. . . ) ,et par Brigitte Bardot apportant les élé-ments d'une nouvelle morale moinscontraignante qui va se développer àpartir de 1960 (pour aboutir à l 'explo-s ion cul ture l le de 1968).

J'ai été très frappé par une réflexiondu D' Olivenstein, qui me disait quetoute sa formation allait dans le sens dela lucidité, de la clairvoyance ; maisqu'i l avait été amené par son métier demédecin-psychiatre, vers 1966, à soi-gner des gens qui voulaient faire toutpour échapper à cette clairvoyance etau contraire pour découvrir, beaucoupplus que les paradis artif iciels, quelquechose comme un éclatement même dela conscience, à travers des hallucino-gènes etc. (ce qui s'était déjà passé au19" siècle avec le romantisme). Pourquelqu'un de sa génération lamienne - c'était extrêmement boule-versant. C'est là que je me suis renducompte qu'i l y avait des "généra-t ions" . C 'est ça qui m'a donné envied 'accompl i r ce t ravai l .

M.S. - Avez-vous I ' intention decontinuer en ce sens ? Préparez-vousune autre série ?

C.J.P. - Actuellement je travail lesur un projet que j'appelle Les capitalesendormies, et qui est précisément lecontraire des Années 5O.' les années1 9 2 O . C e l a v a d e 1 9 1 9 à 1 9 3 3 , e t j edécouvre encore. en consultant la col-lection du Figaro de ces années-là, queje suis très déçu dans un premiertemps. Je vois les titres, et les événe-ments paraissent très comparables àceux d'aujourd'hui : i l est question dedi f f icu l tés économiques, d 'af f ronte-ments extérieurs, du danger bolchevi-que ( i l faut d i re qu 'en 1919 éclatent enAllemagne et en Hongrie des révolu-tions et des grèves insurrectionnellesen France et en Angleterre).

Ce qui, au contraire, est tout à faitunique, c'est un certain style dec o n v e n t i o n s b o u r g e o i s e s , q u i

aujourd'hui nous surprend. l l y a un arti-cle superbement sérieux qui racontecomment cette "pauvre bourgeoisie"en est réduite à chasser ses domesti-ques, comment elle a perdu "tous sesrevenus" (!) et comment elle est con-trainte de réduire son budget alimen-taire. Ce qui est prodigieux, c'est devoir que l 'époque parle, étrangement.dans ce qu 'e l le a de p lus fut i le . L ' idéeque nous avons actuellement desannées 1 92O se trouve dans les arti-cles admirables d'une dame qui signeRosine, et qui raconte la vie d'une mon-daine de l 'époque nommée Madoue. Lestyle dans leguel cette journaliste pré-sente son personnage est très exacte-ment celui à travers lequel nous imagi-nons aujourd'hui les personnages deMarcel Proust et la douce langueur des"Années Fol les" . Donc ce oui m'amusele plus, c'est de chercher à voir en quoiune époque est singulière. Dior parexemple est aussi révélateur que Sartrede l 'espr i t des années 1950, parce quec'est un couturier rigoureux, qui se faitphotographier avec un double décimè-tre indiquant la longueur des jupes !!

Je fais un autre travail - un l ivre quis'intitule Le roman du cinéma. Et je mesuis rendu compte, année par année,que c'était absolument saisissant. Parexemple, ' l 935 est une année éton-nante, alors qu'i l s'y produit peu d'évé-nements notables. C'est en 1 933qu'Hi t ler prend le pouvoir . En 1934, i l ya le 6 février. En 1935, i l n'y a appa-remment aucun événement décisif poli-t iquement ( 1 ) . Or, cet te année- là,André Breton est interdit de parole au"Congrès des écrivains pour la défensede la culture", plus ou moins influencépar le parti communiste. Gide fait mou-vement vers les communistes etaccepte de présider, avec Malraux etd'autres, ce congrès dont Breton estexclu. Au même moment, le mêmeostrac isme pèse en URSS sur lecinéaste Eisenstein, accusé de forma-l isme. L 'année 1935 marque donc unerupture avec l 'esprit même des années20. Eisenstein est excommunié de lacommunauté des cinéastes soviétiquespour les mêmes raisons que Breton l 'estpar le PCF. l ls sont ceux qui ont sou-haité une table rase. une révolutionradicale, des formes pour ce qui estd'Eisenstein, des mentalités pour ce quiest de Breton.

( ' l ) l l fau t quand mème rappe ler les g rèves desChantiers navals en France, très violentes,pu isqu ' i l y eu t mor t d 'hommes. Sans oub l ie r lesdécre ts de Lava l , amputant les revenus des sa la -r iés , e t qu i amèneront la v ic to i re du Fron t popu la i reen 1 936. {Note de la rédac t ion)

S e r g e M i k h a T l o v i l c hEisenstein et André Bre-lon : tous deux re je tés en1 9 3 5 p a r d e s i n s t a n c e sd ' in te l lec tue ls communis -tes parce que trop révolu-t ionna i res . . .

l l faut donc vraiment voir l 'endroit oùl'histoire manifeste le olus clairementses humeurs. Je suis obligé de recon-naître à quel point j 'ai été modelé par lapériode de l 'après-guerre. Je crois quenous sommes très influencés et qu'i lest inuti le de prétendre à une vision per-sonnelle des choses. Nous sommestous soit Alceste soit le Bourgeois gen-ti lhomme, et les deux sont ridicules.D'un côté, le Bourgeois gentilhommeveut trop épouser son temps. De l 'autrecôté. Alceste, qui le refuse avec lemême excès, a un comportement quiprête à sourire. Le bon équil ibre estentre les deux, entre les refus et lesmodes.

Ce que je déduis de mes travaux,c'est le désir de vivre à la fois dansl'écume de l 'époque et dans le l i t pro-fond du passé. Mais le f leuve n 'a qu 'uncours. . .

Propos recueillis par Michel SERCEAU

NOTESDE LECTUREObjecteurs, insoumis, déserteurs, histoire desréfractaires en France, de Michel Auvray, édi-t ions Stock, Par is 1983, 440 p, 95 F.

Pour comprendre I'objection de conscience ilest nécessaire de rappeler I'histoire des réfrac-taires. Mais tracer une telle histoire n'est possi-b le qu'en étudiant aussi les mouvements ant i -militaristes, les désertions, le pacifisme et bienévidemment I 'h is to i re de I 'armée, du soldat , deI'appelé. Michel Auvray effectue avec brio unetelle fresque ou s'enchevêtrent des histoiresdifférentes et complémentaires et qui débouchesur les revendications spécifiques des objec-teurs et insoumis d 'aujourd 'hui .

HISTOIRE DU PAYSAGE FRANÇAIS ( + )"Le paysage est une réalité culturelle car il

est non seulement le résultat du labeur humainmais aussi objet d'observation, voire de con-sommation". C'est donc les nombreuses t rans-formations de ce décor que I'auteur va décrirede la préhistoire à nos jours, en une synthèsesatisfaisante. Il développe les travaux académi-ques en leurs associant des études locales dequal i té. C'est un ouvrage pla isant à l i re, tou-jours instructif, malgré la nécessité de couvrirrapidement des périodes longues et mouve-mentées. L 'ar t , I 'archi tecture, I 'urbanisme, lagéographie, l'économie sont ici heureusementcombinés afin de faire comprendre les trans-formations du paysage.

(+) Histoire du paysage français, par Jean-Robert Pitte, éd. Thallandier, Paris, 2 volumesde 238 p. et 209 p. , 78 F chacun.

Thierry PAQUOT

La librairie de Gavroche

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AUCNTÉMA

par J . -G. F ichauBoat people

de Ann Hui avec Lam (Akutagawa), Season Ma (Câm Nuong),Andy Lau (Tô Minh) .

Boat People est un grand f i lm qui réuni tles qual i tés du f i lm d 'aventure, guerre,amour, exot isme, et cel les du f i lm pol i t ique.Cependant, son t i t re, l 'absence de vedettesconnues en Occident (1 ) et les condi t ions desa réal isat ion ont oaru semer le doute.N'est- i l pas réal isé par une Chinoise deHong-Kong avec le sout ien des aulor i tés dePékin (2) , engagées contre le Viêt-nam etson ai l ié soviét ioue ?

Depu i s l a f i n de l a gue r re du V iê t - nam (3 ) ,

des f i lms américains (4) nous avaient rap-p e l é c o m b i e n l a g u e r r e a m é r i c a n o -vietnamienne avai t été terr ib le. Aorès s 'êtrel i bé ré des Japona i s ( 1945 ) , des F rança i s( 1 9 5 4 ) , d e s A m é r i c a i n s ( 1 9 7 3 ) , l e V i ê t -nam entra dans une ère de paix. Depuisenv i r on d i x ans , i l ne f a i t p l us l a "Une " ;seul le phénomène des "boat people" aintr igué. On s 'api toya sur le sort des réfu-

LA GUERRE DU VIET.NAM(r946-r975)

1946-1954 : Guerre d'Indochine (Francecontre le Viêt-minh soutenu parI 'URSS et la Chine).

1954 : Les occords de Genève (France/République Démocratique du Viêt-namdu Nord) :- Le Viet-nam est divisé par une ligned'armistice fixée au 17" parallèle, avecle Nord contrôlé par le Viêt-minh et leSud par les nationalistes non commu-nistes.- Des élections générales sont prévuesdeux ans plus tard pour I'unificationdu pays.

1956 : Le Sud, sous I'influence des USA,refuse les élections.

196l : Kennedy autorise I'envoi de com-mandos anti-guérilla.

1968 : Maximum de I'effort militaire amé-ricain : plus de 5fi) Ofi) soldats.

1913 : Accords de Paris, entre Américains,Vietnamiens du Nord, Vietnamiens duSud et représentants du Front nationalde Libération (FNL) dirigés par lescommunisles,- départ des troupes américaines ;- coexistence au Sud du Gouverne-ment Thieu et du gouvernement répu-blicain provisoire (GRP) qui regroupeles forces de la résistance.La guerre continue.

1975 : Le 30 avril, Saïgon est occupée parles forces communistes du Viêt-nam duNord.

1976 : 7 juillet, I'Assemblée nationale pro-cfame la réunification : Républiquesocialiste du Viêt-nam (5E millionsd'hâbitants) - (sans vote populai-re...). Les communistes se débarrassentde la résistance non communiste.

1975-19E3 : Selon le Haut Commissariatdes Nations Unies pour les réfugiés(HCR), 600 Ofi) réfugiés indochinoisauraient péri en mer, 530 743 onl puêtre sauvés,

g i és ( 5 ) v i c t imes des p i r a tes ; que sepassai t - i l donc dans le Viêt-nam indépen-dan t ?

Ann Hu i é ta i t b i en p l acée pou r y r épond re .Ch ino i se de Hong -Kong , e l l e ava i t , pou r unf i lm précédent, recuei l l i des témoignages deré fug iés v i e tnam iens . l l s son t u t i l i sés i c idans un réci t remarquablement constru i t quimaint ient le soectateur en hale ine tout en lu ifa isant découvr i r des aspects du Viêt-namd e s a n n é e s 1 9 7 5 - 1 9 7 8 .

Retour à Da-Nang (6)

Un j ou rna l i s t e j apona i s , Aku tagawa , qu i aassisté à l 'entrée des t roupes de la Républ i -que démocrat ique du Viêt-nam du Nord àDa -Nang en 1975 , y r ev i en t t r o i s ans p l ustard. Sympathisant , i l obt ient des autor i téscommun i s tes l e d ro i t de c i r cu l e r e t de Dho -tog raph ie r l i b remen t l e Sud -V iê t - nam. Ma i si l est lu i -même observé oar les autor i tés.C'est-à-di re que son sort sera l ié à ce qu' i l" sau ra " ou voud ra en reg i s t r e r . . . Pa r cemécan i sme , Aku tagawa n ' es t pas qu ' unspectateur, i l devient aussi I 'acteur pr inci -pal , celu i par qui la vér i té arr ive. Son pér ip leen profondeur sera inf luencé par deux gui-des involontai res Câm-Nuong et Tô Minh.

Câm Nuong , c ' es t l ' ado lescen te au v i saged'enfant partagé entre l ' insouciance et ladétresse. Son innocence lu i permet de sup-porter l 'horreur. En suivant Câm et safami l le, nous découvrons les quart iers misé-rables où règnent le chômage, la fa im, laprost i tut ion, la délat ion, les exécut ions som-maires perpétrées par les communistes duNord. Ces réal i tés font vaci l ler les cert i tudesdu j ou rna l i s t e ho r r i f i é . l l pense , ma lg ré t ou t ,que la solut ion à tous les problèmes setrouve dans les Zones économiques nouvel-l es (Z .E .N . ) . l l su f f i r a i t de t r ans fé re r l a su r -cha rge des v i l l e s ve r s l es campagnes .Cependant. Cet te proposi t ion rencontre laplus v ive opposi t ion des c i tadins.

Son second guide, Tô Minh, est un per-sonnage peu recommandable pour le nou-veau régime. Ancien col laborateur des Amé-r icains, i l est l ' in t ime d 'une tenancière deboîte de nui t r iche en dol lars. avec oui i lsonge à fu i r . Pour f in i r de payer le voyage, i lessai t de voler l 'apparei l photographiqued'Akutagawa. Fortement int r igué par son

{ ' l ) Lam es t cependânt une vedet te cé lèbre àHong-Kong.(2 ) Pék in , après avo i r demandé que l 'on en lèveque lques scènes éro t iques du scénar io , a au tor iséle tournâge sur son te r r i to i re .{3 ) En 1 973, les "Accords de Par is " about issentau dépar t des t rouoes amér ica ines .(4) Principalement The Deer Hunter (Voyage aubout de I 'enfer) de M. Cimino et Apocalypse Nowde Fif . Coppola labsolument à voir).(5) Selon le Haut Commissariat des Nations-Uniespour les réfugiés (H.C.R.), depuis | 975, 530 743réfugiés ont été sauvés.(6) Sous-titre du film. Da Nang fut une importantebase américaine, juste au sud du 1 7'parallèle. Lescombats v furent particulièrement violents.

. 'UN CULT IVATEUR SAUTESUR UNE MINE ' '

"Au début, nous t rouvions ça plutôtdrôle puisque ça nous dispensait de cours,et puis après on a appris que des accidenlsse produisaient lorsque les enfants tom-baient sur des mines. exactement commelorsque le frère de I'héroTne du film se faittuer, Alors on a eu peur mais nos profes-seurs conlinuaient à nous envoyer fouillerles décombres sans y aller eux-mêmes el ennous bourrant la tête d ' idées révolut ionnai-res du sty le : " I l faut tout donner au pays,sacrifier sa vie pour I'enrichissement géné-ra l " .

"Non, on ne fa isai t pas ça dans les NZE.C'était les prisonniers des camps qui fai-saient ça. Mais dans les NZE, i l éta i t f rq-quen l qu ' un cu l l i va l eu r sau le su r une m inealors qu' i l éta i t en t ra in de bêcher sonchamp" .

Témoignage recuei l l ipar Edouard WAINTROP,

(Libërat ion, l7118 décembre 1983)

Au cinéma

. . IL S'EST MIS A MANGERDES FEUILLES' '

"En fait les NZE n'étaient pas descamps de prisonniers, ce qui ne veul pasdire que la situation était beaucoup plusbrillante que dans les camps. Apres 1975,on a envoyé les "bourgeois", les gens indé-sirables des villes, et les "colons volonlai-res" défricher ces zones incultes dans lesrégions montsgneuses du Viêt-nam. Lesgens qui partaient là-bas ne connaissaientrien à I'agricullure el en plus, les lerrlinsqu'ils étâienl censés cultiver étaient si mru-vais que même les paysrns n'auraient passu les faire fructifier. Il n'y avait pratique-ment pas d 'eau. L 'eau "potable" éta i trpportée dans des camions-citernes rouillésel coulsil jaune. L'eau pour les champsdevait être portée à dos d'homme pendantdes kilomètres. Lorsque les terres étaientfinalement défrichées, au prix d'effortssurhumains el de nombteuses vies sacri-fiées, ces zones étaient libérées et on yimplantait des "citoyens révolutionnaires"( . . . ) . Un jour, le f i ls d 'un ami est venu noustrouver. Il s'étsit enfui de la NZE où ilavait été envoyé de force. ll nous a rscontéqu'au début de son séjour, on avait distri-bué une dizaine de kilos de céréales parmois à chaque habitant de la NZE. Ça suf-fisait presque. Un jour, on devsit être le 28ou le 29 du mois, ses réserves de nourritureétaient épuisées et il n'avail plus rien àmanger mais il s'est dit : "Tant pis, je peuxaltendre le 1.. du mois prochain, jour de ladistribution." Seulement ce mois-là il n'y apas eu de dislribution. Les réserves localesétaient épuisées, paraît-il. Il s'est mis àmanger des feuilles de prtates, de concom-bre, loute la récolte qu'il avait eu lanl depeine à frire pousser mais qui n'était mêmepas encore mûre ! Puis il a vendu tout cequ'il possédait, y compris le seau qui luiservrit à transporler I'eau. Sans seau, il nepouvrit plus travailler, alors il a été obligéde s'enfuir et de relourner en ville, Mais enville, il n'avait plus d'autorisation deséjour (qui donne droit au logement et àI'achat de nourriture) et il devait se cscher.Un jour, i l a d isparu. . . " .

Témoignage recueillipar Edouard WAINTROP,

(Libërotion du 17 /18 décembre 1983)

comportement, ce dernier demande à v is i terla Z.E.N. dans laquel le i l t ravai l le .

Apocalypse to day

Le choc est terr ib le. Cette Z.E.N. est toutà fa i t d i f {érente de cel le qu'on lu i avai t fa i tv is i ter au début de son séjour. Dans laZ .E .N . no 16 , v i t r i ne des t i née aux é t r an -gers, régnaient l 'ordre, la propr iété, la bonnechère, la bonne humeur.

Les autres Z.E.N. sont des camos de t ra-vai l rempl is par l 'armée qui raf le les jeunesgens dans les v i l les. Les pr isonniers, pol i t i -ques ou autres, fournissent le reste. LesVietnamiens y sont enchaînés ; l 'appel a l ieusur la p lace ; la mort rôde. Les tâches essen-t ie l les sont la remise en état des r iz ièresdétru i tes et le déminage des champs. Dansun cas, la mort lente ; dans l 'autre, l 'explo-s ion meurtr ière. . .

Si ce f i lm ne lave pas les mains du gouver-nement chinois à propos du génocide cam-bodgien, i l reste néanmoins un acte d 'accu-sat ion contre les d i r igeants communistes duViêt-nam et leurs a l l iés soviét iques ; et au-delà, contre tous les moyens d 'oppressionet de destruct ion.

LA TRACEScénario : Bernard Favre etBertrand Tavernier ;Réalisation : Bernard Favreavec Richard Berry (Joseph).

En 1859, 1860, comme chaque année,de novembre à Pâques, Joseph entreprendsa tournée de colportage de la Savoie àMilan. A l 'al ler, i l vend t issus, rubans, aigui l-les... l l s 'approvisionne à Milan, vi l le indus-tr iel le, terme de son périple, pour recom-mencer I 'année suivante.

Oue la montagne ost bolle...

A la sobriété du récit , fragmenté, photo-graphié avec raideur, s 'appose l 'ampleur dela montagne (Le Mont-Blanc). Car c'est el lele principal personnage. Pour rest i tuer samaiesté, sa beauté, ses changements, B.Favre ut i l ise la Panavision qui donne uncadre très large et de prodigieux mouve-ments. Par des travel l ing arr ière fantasti-gues, le gros plan sur le visage du colporteurdevient un plan immense oir la montagneécrase tout.

Ce décalage entre le récit et le décor faitde La trace un film imoressionniste où toutest suggéré. Pour reconsti tuer le passé, i lfaut se plonger dans l 'épaisseur des mental i-tés, d'autrefois, adopter leur rythme.

Dans un 19. siècle où l ' information cir-cule peu et lentement, la montagne t isseautour de ses habitants un écran protecteur.Les grands événements, guerres, industr ial i-sation, ne parviennent que très assourdis aucceur de la Savoie. lci , on ne recueil le que

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l 'écume des lours, comme cet aubergisteoui ramasse dans sa cave les cadavresdécouverts à la fonte des neiges. Lesarmées autr ichiennes sont venues par lenord, les armées f rançaises sont passéesplus au sud. On s 'est bat tu à Magenta et àSol fér ino. Dans la montagne, on ne rencon-tre que quelques déserteurs ou quelques pi l -lards. Dans ce monde où l ' in format ion estrare, le colporteur est un personnage pré-c ieux. On at tend sa v is i te p lus pour les nou-vel les que pour la pacot i l le qu' i l vend.

Joseph le douloureux

Joseph n 'est pas un colporteur comme l 'asouvent représenté le théâtre ou le c inéma,lovia l et hâbleur. Richard Berry n 'est pasFernandel . l l par le peu, son jeu paraî t lo in-ta in. Cependant, p lus de chaleur ne lu i aurai tpas nui .

Comme la montagne, i l est indompté.Aussi i l se pose surtout par le ref us des l iensqu'on essaie de t isser autour de lu i .

Ce personnage ne semble pas animé pardes élans, par des désirs. l l est recroque-vi l lé , sur la défensive. La rencontre avec unefemme bel le et a imable est t ra i tée avec unerapidi té l rustrante bien peu réal is te. Le seulécla i r de lo ie, la seule concession a l ieu àpropos du f isarmonica (accordéon). Dans cef i lm i l y a donc t rès peu de dia logue etd 'act ion.

On aurai t a imé entrer p lus avant dans laf ic t ion, mais le f i l du réci t passe, impercept i -b le, et se rédui t à une sui te de tableaux râre-ment développés. En poussant le dépoui l le-ment iusqu'à l 'ascét isme, B. Favre a pr is ler isque de se couper d 'un publ ic qui l 'aurai tvolont iers suiv i s ' i l avai l mis p lus de pointsde repère. Dommage !

MOTS CROISES DE GAVROCHE

HORIZONTALEMENT. - l. Qualifie unmodèle américsin, en relief. - 2. Ssint à Aixet plus à Rome. - 3. Occupa en 1953 la plushsule phce sur Terre. Monnsie d'un jumeaucélèbre dupé prr son crdel, - 4. Pronom. Fulenlevé, dit-on, par des anges,,, Préfixe. - 5.Encadrement de la monnaie. TransportaMédée. - 6. Tirés du loess. Restes du tsar. Ony récolte le Sancerre. - 7. Individu. Coule enSlovaquie. Referait I'histoire, - E. Romains.A.urait pu être utilisé par Prscrl. - 9. En prin-cipe supprimée en France depuis l?E9. - 10.Par exemple, le trône du Mexique pour Maxi-milien. Hermitage des Tinois. - ll. Est-ceElisabeth qui a ainsi bouleversé le pauvreDevereux ? Evoque Sainte Barbe...

VERTICALEMENT. - I. Eut une colèrehomérique. Peut-être fortunee ? - ll. Pre-mières palestiniennes. - IIl. Siège frtal. Can-ton de Hrule-Garonne. autrefois diocèse.

- IV. Maîtresse d'un diable et mère d'un con-quérrnt. Bon plaisir. - V. Que d'herbe !Chouans. VI. Les pieds dans I'eau et la tête enI'sir,,. VIl. De Commercy, Produit un effet.- VIll. Interjection. Tint la dragée haute à unprétendlnt téméraire. - IX. La fin d'un pro-dige, Désigne le facteur. Il déjoua la conspira-tion de Cadoudal. - X. Rsdicalement sans-culotte.5{X) pattes ?... - XI. Voyaient doubleà propos de Jésus.

SOLUTION DU PROBLEME PRECEDENT

AVEZ-VOUS PENSEA RENOUVELERVOTRE ABONNEMENTA GAVROCHE ?

LES GAUTOISTous les peuples appartenant à la race celtique sont

passionnés de guerre, irritables et promptsà en venir aux mains, du reste simples et pas méchants ; à lamoindre excitation ils se rassemblent en fouleet courent au combat, cela ouvertement et sans aucunecirconspection, de sorte que la ruse et I'habileté militaireviennent facilement à bout de leurs efforts.On n'a qu'à les provoquer quand on veut, où I'on veut etpour le premier prétexte venu, on les trouvetoujours prêts à accepter le défi et à braver le danger,sans autre arme même que leur force et leuraudace. D'autre part, si on les prend par la persuasion, ilsse laissent amener aisément à faire ce qui estutile, témoin I'application qu'ils montrent aujourd'hui pourl'étude des lettres et de l'éloquence.

Quant à la facilité avec laquelle ils forment cesrassemblements tumultueux, la cause en est dans leur caractèregénéreux qui leur fait ressentir I'injure à leursvoisins comme la leur propre et s'en indigner avec eux...

A leur franchis€, à leur fougue naturelle, les Gauloisjoignent une grande légèreté et beaucoup defanfaronnade ainsi que la passion de la parure car ils secouvrent de bijoux d'or, portent des colliers d'orautour du cou, des anneaux d'or autour des bras et despoignets et leurs chefs s'habillent d'étoffesteintes de couleurs éclatantes et brochées d'or. Cettefrivolité de caractère fait que la victoire rend les Gauloisinsupportables d'orgueil tandis que la défaite les consterne.

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