revue d'histi)irË populaire

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LE PEUPTE FRANçAI REVUE D'HISTI)IRË POPULAIRE O 1936 : Des grévisles remellenl une usine enmorche O 1955 : Les grondes grèves deNontes - Soinl-Nozoire o Les communes du Midi 0u Xlll" siècle o Un poèle 0u service duPeuple : J.-8. CLÉMENT Trimestriel -Prix:3F Avril-Juin 1974

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Page 1: REVUE D'HISTI)IRË POPULAIRE

LE PEUPTE FRANçAISREVUE D'HISTI)IRË POPULAIRE

O 1936 : Des grévisles remellenl une usine en morcheO 1955 : Les grondes grèves de Nontes - Soinl-Nozoireo Les communes du Midi 0u Xlll" siècleo Un poèle 0u service du Peuple : J.-8. CLÉMENT

Trimestriel -Prix:3F Avril-Juin 1974

Page 2: REVUE D'HISTI)IRË POPULAIRE

SOMMAIRE1936 : Des grévistes l i l lois remettent l 'usine en

marche p. 4Le peuple français et la Guerre d'Espagne . . . . . . p. 81955 : Les grandes grèves de Nantes€aint-

Nazaire p. ILa Révolut ion de 1851 : le Var p.14Epidémies de choléra au XIX' siècle . p. 19Tuez{es tous, Dieu reconnaî t ra les s iens . . . . . . p . 23Jean.Baptiste Clément p. 28Une grève à Mazamet en 1845 p. 31

r LE PEUPLE FR,ANçAIS rRevue d'Hirtoire Popuhire

Dlrecteur : Gilles RAGAOHE

Secrétariat - correspondanoe :. LE PEUPLE FRANçAIS,, 8P. 26 92190 MEUDONC.C.P. 2091-25 Paris.

lmprimerie N.P;P., 35, rue de Bagnolet - 75020 Paris.Commission par i ta i re: 51 180,

Dépôt légal : 2' tr imestre 1974.

Tous droits de reproduction des articles réservér,sauf accord avec la rédaction.

Pour toute correspondonce, songezô une enveloppe timbrée. Merci.

échonge publicitoire

Lancée il y a un an, la revue . C.F.D.T.-Aujourd'huiest conçue comme un outl,l d'action et de réflexion.

Chaque numéro comprend 3 parties :

O Analyses : conflits, revendications, pratique syndicale.

O Bilan et perspectives : expériences socialistes,recherches théoriques.

O Dossier : Fiches technlques et synthèse sur unequestion d'actualité.

Les rubriques . A suivre , et . Lectures militantes ,complètent chaque sommaire.

c.F.D.T. - AUTOURD'HUlr o T . M a l . f u l n l 9 T t l

O Analyses :- La pratique de la démocratie en assemblée- Les travail leurs immigrés dans les luttes.

O Bilan et perspectlves :- Droit du travail et lutte des classes.- Crit ique de I 'autorité (G. Mendel).

- Les nationalisations,. C.F.D.T."Aujourd'hui ,, 26, rue de Montholon, 75fl)9 Par,is.Le numéro : 10 F; abonnement : 50 F - C.C,P. Paris 28$24.

ATTENTIONAdressez votre Gorlespondonce à :

LE PEUPLE FRANçAIS

B. P. 2692190 MEUDON

|a.

Page 3: REVUE D'HISTI)IRË POPULAIRE

ÉDI70R]AL

L'hist-oire du peuple fiunçoir ovont l7g9 esf ovonttout celle des - poysons. pÀtitr poyrons, lsôouleui,monouvrier, bien qu'oyont dec inigÉts porfoir dif_férent:, s€ -regrcupent en communoutés'pour foiie?oce our oristocrotel, ou clergé et our bourgeois. Lespremiers soulèvements orgonises se perdeni don" È11it^der temps. On en trouve des truces ovont I,on,IOOO ovec a les conventiculec normonds > mcis unet'e-s flus grundee colè-res poysonnæ u Lo Jocqucrie ,lobrerq son nom à bien- d-,outres. Depuis trois onsd,onr nos colonnec nous ovons tenté de i,irer de l,oubticea ( Jocquedee >. Nous ovon3 essayé de montrergue de colèrcs, elles deviennent le plus souvent devostes mouvements orgon,isés, se donnent des chefs,gognent des provi,ncet entières et durent plusieursmois ou mê-me_ plusieurs onnéee. Ces < JocqLedee ,ront innombrcblet (une trenl,oi,ne sous b bgne delouic XIV) et nous n'svon3 pos to pétention dÀ bsétudier touteg. Jocques, Rustouds,' Nu-piJs,- Cro-quonts, Bonnets rouges ne sont que dà eremplesde cgtte lutte permonente rnenée plr te peupb frurlon émoncipotion. Nous les oyon3 foits reviire ionsles premiers nurnéroc-du, < Peuple fronçob r qui ovecle ruscèr croissont de la revul ne soït mointenontplur dicpo^nibles. Or, nour ne tenons pos à en foireder r€ffition3 pou,r ou moins deur rciônr :

'D'une port, pour des rcbons motériettes. Noustomrnê3, nout vouE le ruppelons, lÉnévole3 et nour

\ I,/

ossum'ons nous mêmer les tâches de comptobilité,d'expédition, de recÉtrofot Lo réédition des îumérci'(14 octuellement) rendroit toutes ces tôches en"oi"y'us lourdes et plus compteres.

. D'outre port, pour dee roisonc politiques de loinles plus impoÉontes < Le Peuple fronçois > n,ect porune bible historique. Les otioles pu,bliés depub troirons ne sont b,ien souvent que des opprcches, des ten-totives de foire rcvivre noire peuplê. Nos o'rtictes neront pos porfoits, ih n'ont pos lo pnétention de rne{tægl poinr fino,l à lo _recherche historique sur te coupd'Etot de Napoléon lll, sur le 6 Féviet 1934ou telg-rèves de 1947 ou tout outre sujet. lls sont perfec-tibles comme tout ce gue nous fâisons. Oepuis trcLons, nou3 ovons beoucou,p opprir et nou3 ovons encongplus ô o,pprend,re.

C'eet pou-rguoi nous pÉféront rcgloupe, les oÉicterpolu3 por thèmer : les poysonr, lès lu'ltes ouvrièrer,le peupfe et l'omrée, ou ioi pedode n$+lgin:

--'

- Nous pouvons oinsi pu_blier de,s c Dosoiers du peuplefyneois 1 c-ompofont des orticles refondus,

";Jà-tés, rnis È iort. Le prcmier de ces dossiers sur'lerEyTttr

(dl Moyen Age à llSgt err disponible.D'outler suivront lentement moit rtrement ii vournous goadez votre confionce.

IDOSSIER SUR f,ES PAYSANSBoN DE GOMMANDE A retourner accompasné de 8 F à :

Monique BAUDOI'N' résidence Plein€ud, 15, rue d'Estiennes-dorves - 3g130 ECH,IBOLLES.

Nom

AdressePrénom

. . . . . V i l l e . . . C o d e p o s t o l

D NON

. LE PEU,PLE FRANçAIS , : C.C.p. 2O9i-25 pARlS.

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Je suis obonné ou < Peuple Fronçois ) O OUI

Page 4: REVUE D'HISTI)IRË POPULAIRE

1936: Des grévistes lilloisrernettent l'usine en murche

Juin 1936 : le mouvenrcnt de grèves, développé surtoutdans la région parisien,tre, s'étale dés'ornrais en province.Dans le Nord en part icul ier, où la crise écononrique etle chômage fra,prpeirt fort et,

'où s'est engagée depuii plu-

sieurs mois une agitat ion mu,lt i forme. Malaise des ouwiersagricoles, c,hômeurs de I'industrie m,a,nifestant dans la rue,ma,nchant s.ur Paris, prenant parfois d'assaut d,es mair iespour -exiger des seCours. Inquiétudes sur l 'avenir deshoui, l lères,- récession el menacès dans la métal lurgie. Letexti le et I 'al imentation : la cr ise est générale, à résônanceinternationale même, puisque la Belg-ique voisine connaîtles mêmes maux. Bru.squement, la cbnjoncture pol i t ique,c'est-à-dire la victoire du Front Populâire aux élect iônslégislat ives, la rend explosive. Ca,r [e Nond a donné unelarge m,ajorité aux can,4i621r de la gauche unie : Lilùereste un bastio'n de la S.F.I.O., les vi l lCs du basssin miniers_ont souvent tenues par les commmunistes, tandis çte ladroite,. isolée, se coniente de résister dans les peti tes ci.r-conscriptirons ruraùes. Trois élus du d,épart.ement entreron,lau gouv€rnemont Léon Blum : Salengro, au ministène deI ' Intérieu,r, .Lebas, à celui du Travai l-et Léo Lagrange ausecnétariat à la Jeu,nesse et aux Sports. Pounguoi lés tràvail-leurs ne saisiraient- i ls pas I 'o'ccâsion de fai-ne valoir leursdroits ?

Dès le 30 mai des comp,agnies lock-outent su'r certainspu i ts du bass in min ie r pour s topper I 'ag i ta t ion . Ma is c 'es tà part ir du 3 juin ,1ue i ,es gre./êS se mùlt ipl ient : Ie trèsconservateur Echo du Norrd, Ie plus puissant .guotidienrégiona;l doit leu'r ac,corder I 'honnéur de sa première page.Elles ne quitt 'eront pas la < une > de si tôt ! Tout démafrevraiment cùrez les nrâtallos, avec l,a grève < des bras croi-sés > aux usines de la Compagnie Fives-Li l le (2 500 gré-v' istes) et chez Peugeot ( l 000- grévisles). Le len,demâin! iqi l , lef ouvriers de Thomson-Hou.ston, des Forges etÀciéries de Denain-Anzin, des f i latures débravent et-occu-p'ent. Dans les jours qui suivenrt, t,ous Ies

-m'étiers sont

atteints, la chirnie avec Kuhlmann à La Madeleine. la mét,al-lur ie lourde avec ( lai l et les Forges de Denain, lei cheminsde fer, le,! mines, les grands magâsins, la batel ler ie, le bâti-ment,_l 'al imental ion,l-e mouvement culmine le lundi 8 juin,avec la grève générale des mineurs du Nord et du Pai-de-Çalais : i l -y a ce jour 400 000 grévistes dans toute la régionind,usùri'elle. Les svndi,cats C.G.T. recueil,lent les adhésionspar mil l iers. tandis sue la poisn'ée d,e svndica,l istes chré-i iens de la C.F.T.C. f 'ai t bonne'I igure en part icipant act i-vement au mouvement et qu'aucun in,cid.ent grave n,e vientdiviser les ouvriers occupant leur l ieu dt travai l . Legran'd patronat des grosses f irmes à stature nationale nes'affole guère et amorce assez vite la négociat ion, tandisque les peti ts patrons du text i le, de I 'al imentation ou ducomimenoe, har,celés déjà par la crise, s'in'dignen,t, tergi-versent ou font la pol i t ique de I 'autru,che. De son côté, le

préfe't du Nord Fernand Carles s'a'gite beaucoup, pr,opo-sa'nt ses bons off i ,ces, r 'ecevant dès le 4 juin une délégatio,nde la conrimisssion administrat ive de I 'Union déparlemen-tale de la C.G.T. conduite par Dumoulin et Bournelon. I lsvien,nent sol i l ic i ter son arbitrage rapide chez les patronsles p lus i r rédu 'c t ib les , ceux qu i depu is p lus ieurs annéessubventionnent ouvertenrent les Croi i-d,e-Feu, exercent despressions pol i t iques directes sur leurs ouvriers et n'accep-ten,t ni l,eur défaite électorale ni la fin du patronat dedroit divin symtrcl isée par I 'oc,cupation des usines.

De grè ou de force, beau'coup d'enit're eux cèdent dansla semaine du 8 au 15. Accord signé Ie 10 dans le text i lede Rou'baix-Tourcoing, avec hausse des salaires de l0 %et roconrnaissance du droit sy,ndical. Le 11 pour lesmineurs (12 % d'augmentation), , l 'es travai l leurs du l inà Lille et les métallurgistes. Le pre,fet aut,orise la C.G.T.Iooale à faire usage de la radio pour annon,cer ces bon,nesnrouvelles, Salengro peut se vantrlr .en Cornseil des nrinis-tres de I 'ef l icacité de ses services et de la discipl ine destravailleurs de sa cir,conscription, De son côté le Par,ti conr-muniste mu'l t ipl ie les appels au calme : , le 11, MauriceThorez a expl iqué aux métal, lur1; istes parisiens que toutn 'é ta i t pas poss ib le ; le 14 , I 'H t .man i té t i t re : cLe P.C. ,c'est I 'ordre ! >, le 15, au cour's d'un meeting à Li l le, Sal,en-gro, Thorez et Cac,hin réarffirment qu'ils ne veulen't pas<< lancer le pr 'olétariat dans un putsch san'glant >. (Ct.le Peup le Fronça is , n " 9 e t 10 . )

Tout pousse donc à la reprise massive, Mais la situationn'est pas si simple parce que les mouvements de grèvese relaient : alors que le t ,ext i le rentre massivemenl àpa'rtir du 12, les usines à gaz de Tou,rcoing, les d,ockers,les ouvriers de Ia chaussure ,débrayent le mêm,e jour ; Ie18, 300 000 mineurs belges à leur tour cessent le travai ldans un cl imat de violence fort menaçant : le 20, ce sontIes ouvriers imprimeurs de Li l le, puis les journaux le 26 ;de grosses fernros sont occupées pâr leu,rs ouvri'ers a,gr'i-cotres. Enfin, localement, les discussions s'enl isent lorsgu' i ls'agit d'appli'quer con,crèternen't aux conditions de traïaildans I 'usine les termes souvent fort vagues de I 'ac'cordrégiornal.

La vilùe de Mar'cq-en-Baroeuil, dans la grande banlieueNord-Ouest de Li l le, donne un exemple frappant de cesp ié t inenrents . Indus i r ie l le , e l le compie non i6re 'd 'us inesde fabrications de pr,oduits a' l imontaines qui part icipentau,mouvemen't de grève. Bourgooise col lège des bonsPères est réputé dans toute la négion -, 'elle a,bri.te guel-ques famiùles patronales pour lesquelles I 'autori té ne separtage pas. En particulier dans les fi,rmes d'in'dustriealinrentaire, ou sont employés massivement et à très boncompte femmes e enfants à part ir de 13 ans et ou trasyndical isat ion est très faible. A Marcq, par définit ion,

NOUS VOUS RECOMMANDONS CES QUELQUES L|BR,A|RtESQUI DIFFUSENT ( LE PEUPLE FRANÇA|S > :

AIX-EN.PROVENGE : L'ANTIDOTE, 13, rue Fernand-Dol.ANGERS : LE CHANT DU MON'DE, 15 bis, Bd Foch.ANNECY : LE ROUGE ET LE NOIB, 55 bis, rue Carnot.EORDEAUX : CENTBE LlB. 33, 26, rue Saint-James.

MIMESIS, 5 b is , rue de Grassi .BOURGES : AUXFN,FANS, 15, rue des Arènes.BOULOGNE-BILLANCOURT : COOP GER'M,INAIL, '180, rue

de Bil lancourt.EREST : GRAFFITI, 210, rue Jean-Jaurès.tIERMONT-FEBBAND : JEAN.ROM,E, 1. rue des Gras.

GRENOBLE : L,E POISSON SOLrUBl-rE, 13, rue R."Blanchard.L'AR'LEOUIN, 54, Galerie de I 'Arlequin.LES YEUX FERTILES, 7, r. de la République.LlB. DE L'1..[N|VEBS|T,E, 2, square des Postes.

LILLE : EUGEN'E,POTTIER, 36, rue de la Clef.I 'CEIL OUVERT, 56. rue de Cambrai.

IIMOGES : LIBBAIB,IE PETIT, place Denis-Dussoubs.

LE MANS : LA TAUPE, 2, quai Amiral,Lalande.

LYON : LlB. POPULAIRE, 226, rue Duguesclin (3').

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Page 5: REVUE D'HISTI)IRË POPULAIRE

lout confl i l ne perrt qu'èlre dtrr dès t;ue les ouvriers refn-s'eront le paternal isnre tradit ion'nel. Or, le 5 juin, lesCotonnièros et Teintureries d'Héricourt, grosse << boîte >de 800 ouvriers, lance la grève. Le sanredi 6 au nratin, lers6ô0 ouvr ie rs e t ouvr iè res de la p lus g rande cboco la te r ie -b iscu i te r ie du pays , I )e lespau l -Havez , au pont de Marc t ; ,débravent à leur lo r r r . Su ivent . du 7 au l l . les b rasser iesVand l ie ragen, Ies tanner ies Frémois , la B lanch isser ie rég io -na le du Nord (150 ouvr ie rs ) , la conf iser ie l )e lemme, lesDocks du Nord (300 ouvr ie rs ) , la ra f f iner ie de sucreI 'Abe i l le , la fonder ie ( locar :d e t d 'au t res en t repr ises p lusmin imes. l ,e l2 au r r ra t in , 2 300 ouvr ie rs sont en grève àMarc t ; , la quas i to ta l i té des us ines sont occupées.

La var ié té des revend ica t ions , le po ids des v ie i l lesran,c(Eurs, les retards de hausse des salaires accumulé.sdepu is des années, exp l iquent t ;ue la repr ise n 'y in te r -v ienne r lu 'au coup par coup e t p lus ta rd ivement qu 'a i l leur ,s .S imp le revend ica t ion sa la r ia le respec tan t la h ié ranch ietradit ionnelle entre hornrnes, fenuues et enfants ? Un patro-na t conc i l ian t ou hab i le ? Un synd ica t rassurant ? La négo-c ia t ion a lo rs va bon t ra in e l la repr ise ne tande pas . A ins ià la l l l anch isser ic rég iona le du Nord , le rnouvement vesl vi te coif fé par t ;uel.ques syndical istes C.F.T.C. qui cou-rent à la Bourse du Travai l des svndic'ats I ' i t rres de l , i l le.y fon t réd iger les p rc ipos i t ions d 'a -ccord e t I 'e rnbryon d 'uncontral ccvl lect i f , Duis retournent faire signer le tout aupatron. En quelr;ues heures la 'cr ise est dénouêe et letravai l reprend le lende,rnain 8 juin. Mênre scénario, maisplus lent, et sous I ' imrpulsion d,e mil i tan'ts C.G.T. mandaté.spar les comités de grève, dans d'autres usines occupées.Le samedi 13 , après accord dans la bou langer ie , lestanner ies e t une par t ie du tex t i le , i l ne res te p l ,us que1160 grév is tes . Encore r rne semaine d 'e f fo r ts , du 16 ar r21, tôut rentre dans I 'ordre, accor,d en poche. Partoul,sauf chez I)elespaul-Havez.

Pourquoi ? P'arce que I 'entreprise e.st une des plusimportantes du Nor,d et que le patronat r le la confiserie nesa i t pas t rouver rap ider r ren t ies po in ts d 'accord min imesqui lui pernrettraient, ,comme dans la nrl tal lurgie ou letex t i le , de fa i re f ron t à la vague ouvr iè r r . tou t en dêsa-rnorcant les conf l i t s pa , ' un accord t lu i n ' r :ngage pas t ropI 'aven i r . Ce pa l lonat pa terna l i s te , peu hab i tué à la r ipos tcouvr iè r . r . a è té incapàb le- d 'app l i {uer .une po l i t ique 'sa la -r ia le cohérente de ; ru is p lus ieurs années : la concurenceest encore féroce. A tr 'avai l égal dans la confiserie, lessalaires peuvent, selon ' la tai l , le et I 'atmosphère de lanraison, présenter des écarts de 50 (/ , . I)elèspaul-Havezes t de ceux qu i payent le p lus rna l , qu i d iv isen t sys téma-t i .quement le t rava i l e l en par t i cu l ie r exp lo i ten t in tensémentles jeunes garçons e t f i l l es de 13 à 18 ans . A la tê te deI 'entreprise, forl inf luents sur leurs associés, les Fran-chomme, une des < 200 Fami l les > , Tous les pa t ronsde la négion ont confié la rdéfense de leu'rs intèrêts àM' Maréchal, l ié de son côté au Consort ium du Texti le. Ce< négociateur >> sentb' le avoir pour mission de laisser< pou,rr ir > la grève, de faire ctder les ouvriers en lesaffamant. Ce qui est fait , âvec une bel le constance : refusde recevoir les syndicats et le Cornit ,é de grève, refusd',aocepter que le préfet s' interpose..

On s'est don,c instal lé rda,ns la grève de pa,rt et d'autre.Mais les travai l leurs ont bon espolr, parce que la munici-pal i té de Marcq leur distr ibue des seèours r 'égul iers, dansla l im,i te de ses moyens, et su.rtout parce que 1a sol idari télo'cale joue : quêtes dans les usines qui tournent à nouveau,pressions sur d'autres patrons. C'est aiinsi ,q.ue les 44ouvriers de la confiserie Delemm,e rèqlent leuf confl i t le20 ju in ma is re fusent pendant n lus ieurs iours de reorendrele iravai l , pour soutênir letrrs camarades de Deiespaul-Havez.

Passent encore deux semaines. Porson'ne n'entend céder.Au nom de tous les patrons de la confiserie, 'de I.a c,hoco-laterie et de la biscir i ter ie du Nor:d. Maréchal refuse derevalor, iser les salaires les plus scandaleusement ibas, ceuxdes f l l les de moins de 18 âns. De leu'r côté, les grévistêsde toutes les usines enrcore oocupées se < serrent lescou'des > en se réunissant tous les iours à la Bou,rse duTravai l de Li i le. Vandoorne, Ie seôrétaire du Syndicatde I 'Al imentation I 'es t ient ou courant des < négociat ions >.Les adhésions à la C.G.T. se mult ipl ient, et en par,t icul ierc,hez Delespaul-Havez, où pratique'ment tous les grévistessont sy,ndiqués à la f ln de luin.

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REPRISE DES GREVES DANS LE NORD

l,a situal ion se modif ie sensible,rnenl les 2 et 3 jui l letcar les travai l leurs du Nort l paraissent reprend,re I 'offen-s ive . I )es us ines du tex t i le sont ' réoccupées par des ouvr ie rsirr i tés de la nonchalance patronale à appl i tpuer les termesde I 'accord conclu quelques jours auparavant : 2 000grévistes nouveaux à Li l le le 3. Tout est aussitôt mis en(Euvre pour s topper un re tour poss ib le de la vague denra i - ju in . Sa lengro s 'en t re t ien t quot id iennenten t avec lepréfet, fait a'ccélérer la consti tut ion d'une Commissiontlépartementale d'arbit ' ra'ge ou siègeront patrons, syn,dicals,fonctionnaires et experts désignés par les pouvoirs publ ics.De son côté, le préfet reçoit longuenrent Guil loton etDunroul in. secrétaires de la Bourse du Travai l . I ls deman-dent que' l 'on se méIie désonmais de's ( agents provoca-teurs > qu,i se présenter,aient dans les usines sans avoir lacarte syndicale et y parleraient de débrayage, Le 6, pourne pas ètre en reste, le Conrité central du patronat dutexti le exprime son émotion deva,nt la re,mise en causepar << une minorité >> rdes accords signés et demande aupréfet de faire inrnrédiatement évacuer les usines réo,c-cupées. On .signale lg5 rpremières violences, alors que lavague 'de nra i - ju in n 'en ava i t connu aucune : séquest ra t ionsde cadres, de contremaîtres et nlême dtr directeur génêralchez Delabart-Mallet.

C'est donc dans un contexte de durcissement et r leconrbativi té réaff irm.és qu' intervient la décision de remel-tre en route I 'usi 'ne DeleSpaul-Havez. Non pas pour écoulerles stocks de matières première-s p-ér. issables que renfernreI 'usine, comme on tentera de la faire croire, rnais pourinposer I 'ouverture de né,gociat ions sérieuses, ap,rès29 jours de grève. En outre, pénétrant dans les bureauxde l 'usine, les ouvriers ont pris 'connaissa'nce 'des sùmùnescoquettes - de 500 000 francs à 1 000 000 - que les,principaux associés se partâgeaient chaque année avanttoute distr ibution de dividende aux actionnaires : on ima-gine I'effet produit sur des grévistes à trout de ressources.Si bien que le vendredi 3 jui l let vers 16 heures, âu coursd'une des réunions à la Bou.rse du Travai l , passant outreaux conseils de pruden'ce .de certains secrétaires du syndi-cat, les délégués du Comité de grève font acceptér lepr inc ipe d 'une renr ise en rou te de I 'us ine pour le comptedes ouvriers, Da,ns la nuit les chaudières sont réal lumées.I-e samedi matin 4 jui l let, à l 'appel des sirènes qui sonnentpour la première fois depuis un mois dans Maroq, lesouvriers de Delespaul-Havez mettent I 'usine en marche...

L'USINE REMISE EN MARCHE PAR LES GREVISTESUn seul journal local, I 'Ecio du Nord, toujours bien

in ' formé. ,relate lévénement le lendemain :< Les ouuriers de la ntaison Delespaul-Hauez prétendenl

trauaille'r ù leur compte dans les q.teliers.

. . ,Contnte la fabrication du chocolat, des biscuifs eldes pdtes alimentaircs nécessite une mise en train relative-ment longue des machines, f ours, étuues, brog'eurs etmëIangeurs furent allumës, pendant qu'ane autre pailiedu perso,nnel nettoyait les atel iers de fond en comble.

L'act iuité nonnale de la labrique recomntençait parconséqu'ent, après un mois de cessdtion du trauail.

Atrcun directeur, chef d'atelier ou contremaître nerègle Ie traoail Seuls les deur déIëgués du comité degrèue, MM. Demal et Tourbier, ueillent a I'organisat[on etau bon ordr'e dans les frofs bâtiments de I'usine.

Ces délégués nous ont déclaré qu'îls auaient I'intentionde continuer Ia production et dès que les marchandisesseraient prêtes ù être l iurées au public, un comptoir deuente fonctionnerait à la porte de I 'établ issement.

Les bénéfices, ou tout ou moins Ie produit dc la uente,seraient réportis entre les ouuricrs gréuistes et les chô-nTeuts.

IIs comptent - ont-ils ajouté - pouùoir trauailler pen-dant un ass'ez long dëIoi, car les sloclcs de matières pre-mières accumulées dans les réserves sont considërableset ils enuisagent que cette situation pounait durer sixmoIs.

Toutefois, si la direction uoul'ait renouer les pourparlers,ils se contenteraient, à condition que les nouueltes propo-si l ions leur f ussent f auorables, de'réclamer une indèmnitépour les journées de grèue et Ie paiement des journées detrauai l qu' i ls uiendraient d'el lectuer.

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Page 6: REVUE D'HISTI)IRË POPULAIRE

manifestat ionUne

I l conuient de renwrquer uu'aucitn incident ne s'estproduit et que le calme'règné dans les atel iers.

On annonçait au début de I 'après-ntidi, que les ouuriersde Ia maison Geslot- l 'oreur, bfscuiterie dè LiI Ie, al laientégalenrent procéder à la remise en ntarche de I'usinesàns le secours de Ia diyection des éIabl issements. >>

LA CONSPIRATION DU SILENCEAffolement immédiat devant I 'arrdace du < coup >> et

ses rnenaces de contagion, R. Salengro, qui devait prendrela parole au cours d'u.ne réunion social iste du XIX" arron-dissement de Paris, fait un voyage-éclair dans sa circons-cript ion le sanredi soir et chapitre le préfet d'avoir àaccélérer et imposer des n,égociat ions véri tables : i l s 'agitd'enrayer I'effet possible sur les autres grévistes, Une

"6n5i,gne de si len,ce est donnée aux grands journaux

nationaux du Front populaire et r le fait , ni Le Peuple,ni L'Humanité, ni Le Populaire ne sou,ff leront mot- deI ' ini t iat ive des grévistes de Marctl . Seul Le Temps dn6 jui l let lui consacre une note brève: mais les ouvriersne l isent pas I 'austère organe r lu Comité des Forges !La presse locale, consciente gu'el le ne peut plus guèrese contenter de passer les avis nécrologiques ou les des-cript ions de ducasses (fêtes) .à Marcq, lance des mises engarde sur un ton moral qui évite de poser le problèmeen termes sociaux ou pol i t iques. Le < progressiste > Réueildu ly 'ord du 4 jui l let demande un ( suprême effort pourimposer I 'arbitrage > à eeux qui le refusent, c 'est-à-direles patrons. La Croir drr À'ord, le 5, tonne :

< Les chefs du ntouventent, dont un de nos confrères,a recueil l i fort contplaisantment les déclaral ions, auraientannoncë leur intention d'usiner les matières prcmièrcsstockées et ntênte d'installer un comptoir de vehle.

II ne semble pas que ni les pronrcteurs d.e cette init iat iue,ni Ie eonfrère qui s'esi lait trenr porte-parole, aient bienmesuré Ia grouité de ces agis tments. qui relèuent dudroit contmun,

Nous croyons être ut i les à ce Irauai l leurs en leur cr iantcasse-cou.

La colère est mauuaise conseil lère, Qu' i ls ne I 'écoutentpas quand eIIe risque d'e les engager dans une voie quiest scns dssue .' ils s'g heurternient ti la risislaace infran-gible des consciences et aur sëué'rités de Ia loî. >

Plus habile, la Direct ion de I 'usine n'attend pas lesecours de la loi. Au début de I 'après-midi du sâmedi,alors que l 'usine tourne et que le comptoir de ventes' instal le, el le fait couper I 'eau et l 'électr ici té (par desemployés municipaux) gui al imentent I 'usine. El le inter-vient aussi sans doute discrètement sur les r,édactionsdes journaux locaux, car les repor' ters déjà sur place,constatant I 'ordre inrpeccable qui règne à l 'usine et inter-rogeant avec une sympathie grandissante les grévistesproducteurs, sont rappelés le soir même. La consignede s i lence sera respec tée . I . 'F )cho du Nord , tou t ému d 'avo i r

(C l i ché L .P.F . )

pu jouer sans le savo i r un rô le subvers i f , rec t i f ie p i teu-sement le lund i t i ju i l le t :

< . . . Mênt'e s' i l aùait pu êlre dans les inlentions dequelques-uns de rëal iser .une por.t ie..du prograntnrc que.nous aùons rësumë, cetle rëal isal ion esl absol i lmentimpossible, laute de lous les ëléntents nécessaires pourune oarei l le be'soune,

En réal i të, on à fait un peu de funûe, on u fait senft lantde donner un peu d'oct iuitë r i I ' rrsfne, ntais oncun trauoi lrëeI ne sutrait être accompli .

L'émotion que les bruits de cetle rnoin-nrise sttr lapropriëté d'aûlrui avdient Iait naître dons Iq. ttotinëed'hier parmi Ia population, est donc sans objet.

I I uaut mie4r, d'ai l leurs, pour to.ul Ie monde, qu' i l ensofl ainsi, car il est éuident que les grëuistes se nretlraient

4S"t !! c.as -particulièrement groue en agissonl contnrei ls onl tenté de Ie laire croire,>

Menaces patel ines, < objectivi té > de I ' infornration :pourguoi L'Echo. du Nord ne s'ôtend-i l pas sur -- ces('moyens nécessaires pour une parei l le besogne > ? Sansdoute pour que d'âutres gr-évist-es-tentés par I 'expér-iercene cherchent pas à contrôler d'abord leurs approvision-nenrent en eâu et électr ici té.. .

l lais ceux de Delespaul-Havez ne désarnlent pâs. l .edimanche 5 i ls commentent à distr ibuer des rnarch-andisespérissables aux nécessiteux de Marcq, et lancenl t tncommuniqué ven'geur :

< Après les comnvntaires de Dresse au suiet cle trctreactio de santedi engagée contre un patronal inf leùibleet qui pousse Ia baîbârie jusqu'à vtiuloir aflanier descentaines de gosses d'ouvrier. C'est pour relu que, deuuntces acfes antihumanitaires nous fcisons dDDel . i toutelc closse ouurière pour nous soutènir dans- i 'ette grandebatai l le de faire marcher I 'usine nous-mimes, el laireéchec à Ia rëaction patronale. Nous sommes décidés,dans les quarante-huit heures, deuant I 'énorme quanti té dentarchandises qui se gdche, de laire une distributiongratuite d tous les nécessiteur de Ia uîtr |e, car, nous ledëclarons à I 'opinion publique, ces marchondises .seraienldestinëes au.r éleueurs d.e pourceaur. >

Le Comité de grèue de chez Delespaul-Hooe:.

LE MOUVEMENT FAIT TACHE D'HUILEL'appel fut entendu par quelques-uns, ainsi à I 'usine

Six de Fives, les grévistes à leur tour vendent rles painsd 'épices, A par t i r du lundi ô ceux de Mancq. qui ne Deuvenlplus faire iourner désormais I 'ensemble' dé I 'rrsi 'ne, ral-lument le four de la boulan,gerie et sortent des biscuits,des petits pains au chocolat, puis des boules de painordinaire qu'i ls se distribuent, et répandent parmi Iapopulat ion. 'Leur combat iv i té le i poussô même à ' invenlerdes actions spectaculaires, otr I 'humour a vertu subversive.Au patron principal, qui prétendait que les exigencesde salaires des grévistes le ruineraient et I 'affanreraienl,i ls adressent la lettre suivante :

ouvr ière.

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Page 7: REVUE D'HISTI)IRË POPULAIRE

Marcq-en-Baroeul, le 7 juillet 1936< A Monsieur Victor Fronchomme,> Monsieur,> Deuant uotre misère, Ies ouuriers de votre usine ont

décidé de laire du pain, ' nous tous enDogons un échan-t i l lon; .r i uous Ie trouuez agréable, vous pouriez uenirau rauitaillement tous les jours à 14 h 30. Nous regrettonspour l ' instant de ne pouvoir uous donner un secours en.espèces, mais eela uiendra par Ia suite.

> Veuillez agrëer, Monsieur, I'cssrtrcnce des salutationsempressées des gréuistes enlhousiasles à uotre seruice. >

Signé .' le Comitë de grèoe.A la lettre furent joints deux pains frais.. .Du coup, cette fois, les négociat ions sont v,rai 'ment

enta,mées pour I 'ensenrble des industr ies al imenlaires. LaC.G.T. annon'ce avec enrpressemenl - et désormais lapresse réactionnaire du département passe ses comrnuni-qués - les victoires part iel les : a,ccord chez Van Luydt àWaterloo _le 4, avec reprise immédiate du travai l , suivi parquelques peti les entreprises. Le samedi 11 jui l let enfin,après plus d'un mois de, grève, un accord général estnégocié à Halluin entre M. Maréchal au nom du Syndicatpatronal, I)efay, de la C.G.T.., Vandoore et Venmandel,secrétaires des syndicats locaux. I l porte d'abord sur unréai iustement génêral des salaires dans la corporation,jusqu'à atteindre 3 F de l 'heure pour les hommes et 2,20 Fpour les femmes, puis sur une majoration automatiquede 50 centirmes sur ces salaires minimurn et sur tousceux qui pourraient déià leur être supérieurs. S'y ajoutent :

- La reconnaissance du droit svndical dans les entre-prises, ( sans que les syndicats orivr iers désignent norn-m,ément leurs délégués aux patrons >, (ce qui en dit longsur la confiance qui règne entre les entreprises) ;

- La garantie d'un c tour de rôle > entre les ouvriersd'une même catégorie mis au chômage ;

- Des assurances de réembauchage pour ceux qui par-tent faire leur service militaire :

- I- 'accord sur les 40 heures, avec maintien du salairede 48 heures ;

- Et les congés payés, rendus obl igatoires par la loi .

LA FIN DU MOUVEMENTAvanl d'entamer la néqociation usine Dar usine et d'v

faire aborder la question i iu contrat collecÎif, dont I 'accorâgénéral ne parle guère, le dimanche 12 juil lét, à la Boursedu Travail de Lil le, les syndicalistes signataires pré-sentent le résultat de leur négocialion aux grévistes. Lareprise du travail y est décidée rpour le mercredi 15.C'est alors que les gnévistes de trois firmes refusent derentrer, car ils estiment 'que leurs salaires ont été troplongtemps anormalement 6as et que le réajuslement esitrop faible : ce sont les 25 ouryriers de Demarcq, les 40de Parent et, bien sûr, les 650 de Delespaul-Haïez.

Mais le rapport de forces a changé depuis dix jours.Après un compromis, Parent est évacué le 16, suivi deDemarc'q. Le 8 juillet Salen,gro a affirmé devant le Sénatque le gouvern€ment ne tolérerait Dlus les occunationsd'usines-et le 19, au cours d'un meeting à Fives, i l 'adjurela classe ouvrière du Nord de donner I 'exemDle < de lapalience et de la maturité polit ique>. Le 231 la pressesignalera les premiers jugements des tribunaux de la Seinecondamnant les occupations et permettant l'interventionde forces de police et des gardes mobiles pour faireévacuer. Le 18,-dans le Nord, I-a CommiSsion dêpartemen-tale d'arbilrage a été installée par le préfet et a é[é aussitôt

saisie de I 'affaire Delespaul-Havez. En vain, car Maréchalrefuse toujours de comiraraître devant le préfet du FrontDoDulaire <tui a osé ne Das réDondre aux inionctions 'àe'la Chanrlire de Commerie du Nbrd qui exigeaii qu'i l fîtévacuer les usines par la force.

I-es grévistes, eux, jouent sur deux fronts. Donner àl 'affaire une dimension nationale et imposer une discus-sion. A cet effet, une délégation de trois mem,bres duComité de grève et d'un secrétaire local de la C.G.T. serend à Paris et y rencontre Jou'haux et Lebas le 21.D'autre part, le soutien aux irréductibles de Marcq s'orga-nise : les ouvriers de quelques usines et les syndicals deI'alinrentation convoquént pour le 28 à Ia Maâeleine uneréunion de tous les- travajl leurs de I 'alimentation pourfornrer un comité de soutien. < Avec un apport de-2 Fpar senraine pour les ho,mmes et de I F pour les femmes,disent-i ls. avec 3 000 ouvriers cotisants. nous vaincronsle consortiu'nr de I 'alimentation. )

Au dernier nro,nrent, Maréchal cède. I l se rend devantla comrnission d'ârbit'rage et y signe le 24 un accord quiaiuste les salaires chez Delespaul-Havez c à la movenned'épartementate de ta profesïion ). Le même jour, àl8- heures, I 'usine est ivacuée. Le lendemain, samedi25 juil let, un long.-défiIé.de centaines-de grévistes, qliquget drapeaux en tôte, vient solennellement remercier àI'Hôtel-de Vil le la municipalité pour I 'aide constante qu'elleleur a accordée tout au long-de cette terrible grève desept semaines. Le lundi 27, à 6 h 45, les sirènes secouentMàrcq-en- Baroeuil : on rentre chez Delespaul-Havez.,.

Telle fut dans ses Drincipaux asDects extérieu'rs cettegrève originale. On ire co-nnaît gûère en effet d'autreèxenrple de remise en marche d'une usine par les gré-visteC de 1936, et surtout de cette volonté de tirer profitpour les ouvriers eux-mênres de leur production-. Onfabr ique, on vend. . .

Daris le silence de la presse, seule La Lutte ouurièredu 11 juil let 1936, I 'hebâomadaire du minuscule Partiouvrier internationaliste (trotskvste) salue l 'événement etv voit une de ces q solutions- les plus éner{iqttes quiâtteignent au cæur le système ôapitaliste- i,. Mâisreconnaissons que nous n'avons pas encore tous les élé-ments du dossiêr pour apprécief exactemeent la comba-tivité de ces grévi1tes, lôûr degré tle conscien'ce, l'écùrode leur init iative dans la région.

Le Peuple français lance un appel à ses amis du Nord.Mettez-voirs e'n cliasse, fouil lez, inierrogez, enregistrez lesderniers ténroins et acteurs de cette lutte si originale ettransmettez-nous leur butin et leurs conclusions. Et dansguelque lem'ps, nous polrrrons penl.être aller plus loingrace a eux'

Jean-Pierre Rloux.Sources .'

L'Humanité, Le Populaire, Le Peuple, Le Temps, LaLutte ouvrière, L'Echo du Nord, Ie Rëveil du Noid, LaCroir du Nord, Le Nord social (mai-juillet 1936).

R,EVOLUTIONNAIR,ESDU FRONT POPUI.AIRE

par J.f. R'IOUXUne très solide documentation sur les groupes révolutionnaires et leur presse au moment du Front populalre.Utile à tous ceux qui s'intéressent à la période. Le livreest constitué d'une série d'extraits de presse olasséspar thèmes.

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Page 8: REVUE D'HISTI)IRË POPULAIRE

LE PEUPLE FRANçAIS ET LAGUE'P;'P'E D'ESPAGNE

A lo suite du court orticle sur << les Brigodes internotionoles > publié dons notre dernier numéro, nous ovonsreçu les pÉcisions suivontes sur l'oide opportée por le peuple fronçois ou peuple espognol.

L'AIDE DES D{OCKERS...Espagne, juillet 1936. Le coup d'Eiat fasciste déclenche

la révolut ion. La guerre civ i le s ' instal le pour trois ans.Face au tryptique réactionnaire - armée, clergé, grandspropriétaires - le peuple se lève. Après le lâche abandondes gouvernements " populaires " ou ( démocratiques ",il n'a plus d'autres alliés sincères que les prolétaires detous les pays.

Jamais la sol idar i té 'du peuple français n'est apparuesi puissante. Voici I'exemple du Havre, une ville déjàindustrielle, mais restée élecloralement assez conser-vatrice.

Organisation de concerts, galas, bals, ventes de cartes,de gadgets divers ; entretien de réfugiés, de coloniesd'enfants; camions de vivres et de médicaments ; accueilet transit des volontaires pour les Brigades internationalespar les représentants de la ll l ' Internationale, etc. Unetlort important et continu, d'un niveau inégalé. Dans lessyndicats surtout.

L'etfort des dockers du Havre est remarquable, nette-ment supérieur à la moyenne. La solidarité se traduitd'abord par le refus de charger les bateaux fascistes. ARouen, outre de nombreuses collectes, certaines heuressupplémentaires (AF 25 I'heure) sont faites par des volon-taires au profit de I'aide à I'Espagne. L'argent est remisimmédiatement au syndicat. Une assemblée a décidé enparticulier que pour chaque vaccation de huit heures, tousles dockers verseraient au syndicat 0,50 F au profit dessyndicats espagnols. La C.G.T., qui contrôle pratiquementI'embauche, est dirigée par des anarcho-syndicalistes : lamesure est applicable à tous et obligatoire.

Des militants vont porter périodiquement et directementles sommes recueillies à la C.N.T. (Confédération natio-nale des Travailleurs, de tendance anarcho-syndicaliste,majoritaire en Catalogne) de Barcelone. Même si lesrapports sont assez bons entre les communistes de I'Unionlocale du Havre et les anarchistes du syndicat desdockers, ces derniers craignent toujours la bureaucratieet préfèrent remettre I'argent en mains propres à leurscamarades catalans.

Au congrès confédéral de Nantes, en novembre 1938,Thomas, secrétaire du syndicat des dockers du Havre,signale à la tribune qu'il a versé 850 000 francs. En février

LES FASCTSTES FRANçArS EUX AUSS|...En 1936, I'année espagnole ayait deux tercios, repré

sentânt au total 8.0û) hommes. Chaque tercio étaatdivisé en banderas et ne peut être compaÉ à h légionétrangère française. G'êait en fait une troupe de métieroù les étrangers étaient peu nombreux.

Face il 8.5ûl Français ergagés dans les BrlgedesInternat'onales, la drolte {rarçaise ne réusslt gu'à en-voyer 8(Xl honrmes à peine, lls formèrent une banderadénomrnê . Juna de Atco r. Une soixantaine seulementrentra en France. Gertains colrtinuèrenj le cqnbat auxcôtés des fasolstes. On les rctrowa gous I'uniforme allemand, porteurs de la sinistre crolx garnmée, dans lesrangs de la L.V.F. ou des S.S, D'autres cholsirent d'entrer à la mllice de Darmnd pour combattre les maqui.sards.

Texte trancmls par S. OAVID (Paris.)

1939, à la vei l le de la chute de Madrid, les sommes attei-gnent le million de francs (de l'époque).

... ET DES METALLOS DU HAVREEn septembre 1937, le destroyer républicain José Luis

Diez, endommagé à la suite de combats au large de lacôte cantabrique face à des unités fascistes est entrédans le port du Havre. Les avaries du bateau mouillé enrade sont graves. Ouverture de plusieurs voies d'eau,superstructures endommagées. Marins et officiers deman-dent à une société de réparation navale une rapide remiseen état. Les patrons mettent d'abord en cause la solva-bilité du payeur. Puis ayant obtenu des assurances déci-sives à ce sujet, ils mettent en avant un nouvel argument :ils ne peuvent faire faire des heures supplémentairesà leurs ouvriers, les conventions collectives le leur inter-disent ! Les patrons havrais se font, en cette occasionparticulière, les défenseurs acharnés des conquêtessociales de 1936 |

Le syndicat C.G.T. de la métallurgie s'emploie à montreren quoi " le patronat havrais se fait I 'allié des fascistesespagnols ". Le soir, à la bourse du travail, meeting desolidarité et d'explication. Aussitôt, réunion dans la salledes machines du destroyer, entre le comité de marinse1 les syndicalistes havrais. Finalement, les ouvriers una-nimes décident de faire des heures supplémentaires -il en faut des milliers - de travailler par roulement lesamedi, parfois même tard le soir, pour hâter la réparationdu navire. En février 1938, le destroyer peut repartir versCarthagène.

L'ambassadeur d'Espagne adresse ses félicitations auxmétallurgistes havrais.

Deux exemples, parmi les plus significatifs. ll y en avaitbien d'autres...

Christophe WARGNY (Le Havre).

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Combattant répulblicain. (Cliché L.P.F.)

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1955 r GRANDES GRÈvES I I95'A NANTES I SAINT'NAZAIRE

Après la Libération, quatre grandes grèves marquentprofondément la vie sociale de la lV' République. Lapremière à I'automne 1947 pan de Marseille, se géné-ral ise et devient insurrect ionnel le (1). Mal terminée endécembre, elle couve jusqu'en 1948 quand éclate chez lesmineurs un conl l i t t rès dur qui entraîne la mort deplusieurs hommes et I 'occupat ion des mines par I 'armée.La troisième, moins connue, est surtout le fait des che-minots et des lonct ionnaires (P.T.T., E.D.F., G.D.F., etc.) .Au mois d'août 1953, elle paralyse totalement la Franceen vacances et tourne à la crise gouvernementale. Laquatr ième et dernière est aussi une grève d'été plusviolente que cel le de 1953, mais plus local isée. El letouche surtout Nantes et Saint-Nazaire et les autreschantiers navals de France ainsi que les métallos del 'Est de juin à septembre 1955.

Saint-Nazaire 1955. Depuis dix ans, I ' inf lat ion galope.Les salaires courent après les prix sans jamais lesrattraper. L'énorme effort de reconstruction fourni parles travailleurs commence à porter ses fruits : le chiffred'affaires des banques dépasse celui d'avant-guerre. Lesgrandes entreprises investissent et tournent à plein ren-dement. Les barrages sortent de terre, les voies lerréessont électrifiées. Dans les chantiers navals, la concen-tration se poursuit et M. Fould contrôle 60 o/o desconstructions après le rachat des chantiers de la Loirepar Penhoët. La France est une immense ruche où I 'ontravaille très dur. Pourtant, chez les ouvriers et les petitspaysans, le malaise grandit car le frui t de cet énormeeffort échappe à ses auteurs. Une minori té s 'engraisse,tandis que la major i té laborieuse vi t chichement. Lesdizaines de mil l iers d'ouvr iers de Nantes et de Saint-Nazaire gagnent péniblement leur vie.

- Les uns, des ruraux aux famil les souvent nom-breuses, sont venus à la vi l le chercher I 'embauche, touten gardant un lopin de terre. " Ouvriers-Paysans ", leursjournées sont d 'autant plus longues qu' i l faut y ajouterles heures de transport.

- Les autres, nés ouvriers, sont pères de futursouvriers. Souvent plus qualifiés et plus fortement syndi-qués ou politisés que les ouvriers-paysans, ils vivententassés dans les faubourgs.

La bicyclette, le vélomoteur pour les plus aisés, estle moyen de transport quotidien. La voiture particulièreapparaît comme un luxe inaccessible et même une insultelorsque I ' indispensable manque au

'plus grand nombre.

Pour joindre les deux bouts, il faut faire des heureset surtout augmenter les cadences pour respecter le boni,qui représente aux chantiers 50 o/o du salaire garanti.Pour tenir le boni, chaque équipe doit effectuer une tâcheou une pièce en un temps donné par le chronométreurou " taylor ". Ce temps est établi par le " taylor " enfonction de moyennes arbitraires, souvent élevées.Malheur à I 'ouvr ier malade ou fat igué, malheur au vieuxlravailleur qui malgré I'expérience ne peut tenir lacadence : la paie de quinzaine sera bien mince. Le boniest I'aspect le plus mal supporté de I'exploitation quoti-dienne, c 'est lu i qui va cr istal l iser le mécontentementgénéral.

UNE FOR,TE SYNDICALISATION

Au début de I'année, poussés par la base, les syndicatsréclament une nouvelle convention collective, des aug-

mentations de salaire, la réduction des heures de travailet la suppression du boni (chez les soudeurs). A longterme, ils souhaitent un retour progressif aux quaranleheures, sans réduction de salaire, et surtout la paritéavec Paris, revendications jugées inacceptables par lepatronat qui affirme que ces " utopies " mettraienl lesentreprises en péril... Ce retrain, connu des militantsouvriers depuis des années, ne fait que les rendre encoreplus combatifs. Fait assez rare en France, les trois princi-paux syndicats sont, en Loire-Atlantique, de force à peuprès égale. La C.F.T.C. recrute massivement chez lesouvriers-paysans, venus de Bretagne, d'Anjou et deVendée. Force ouvrière. donl la scission avec la C.G.T.est encore récente, est présente dans toutes les grandesusines. Bien des ouvriers y ont adhéré à la suite desgrèves insurrectionnelles de 1947-1948 et les militantstrotskistes et socialistes y côtoient les " apolitiques ".La C.G.T. est torte d'une implantation très ancienne etde tout le poids du P.C.F. Toutefois, bien des ouvriersvoient en elle simplement une grande centrale ouvrière,sans être pour autant toujours d'accord avec lescommunistes. Même certains de ses délégués assez âgésse réclament de I 'anarcho-syndical isme.

PLUSIEURS MOIS DE GREVES LAR,VEESDans les six premiers mois de 1955, les pr incipales

usines de Nantes - Saint-Nazaire connaissent une agita-tion permanente. Aux Batignolles et aux Forges deI 'Ouest (métal lurgie), à la S.N.C.A.S.O. (aviat ion), auxraffineries de Donges, dans le bâtiment, aux fonderiesde Saint-Denis, on débraye par usine, par atelier pendantune heure ou une journée. L'effervescence est générale,discussions et meetings politiques et syndicaux se multi-plient. Mais c'est des chantiers navals que va partir lagrève. Les soudeurs y avaient un boni très souple etforfaitaire en raison de leur appartenance à plusieurspostes de travail. l ls se voient imposer le système généralau début de I'année et vont regrouper autour de leursproblèmes tous les mécontentements. Pendant de longuessemaines, ils sont à la pointe du combal et cassent systé-matiquement les cadences en refusant d'effectuer leurboni. lls perturbent ainsi toute l'activité des chantiers.Etant indispensables à plusieurs étapes de labricationdes navires, i ls vont gr ipper toute la machine. Une simpleaffichette un soir et le lendemain, tous les soudeursmanquent à I'appel sans autre forme de préavis. Le mou-vement part de la base et les syndicats I'appuient.

Le lundi de Pâques, le mouvement s'étend, la grèveest totale pour obtenir le paiement des jours rériés. Le1"" mai, malgré trois mois d'uni té d'act ion à la base auxchantiers, les divergences d'appareil restent les pluslortes et les syndicats ne parviennent pas à organiserune manifestat ion unitaire. Cependant, I 'act ion cont inue.Le 5 mai, des comités de lutte regroupent par atelier etpar corporation des ouvriers (chaudronniers, soudeurs...).Un appel à ne pas briser la grève est lancé aux soudeursd'une entreprise extérieure (la SAF). ll est entenrlu-Jusqu'au 20 juin, les soudeurs n'obtiennent rien. Exas-pérés, ils décident de passer à I'action directe.

MISE A SACAu matin, des centaines de soudeurs investissenl ies

bâtiments de la direction. D'autres travailleurs deschantiers se joignent à eux et tous exigent des salaires

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Page 10: REVUE D'HISTI)IRË POPULAIRE

plus é levés, la suppression du boni et une convent ioncol lect ive. Comme Caldaguès, le d i recteur , tarde à lesrecevoi r , des bureaux sont pr is d 'assaut . Le matér ie l vo lepar les tenêtres. Le d i recteur consent à recevoi r unedélégat ion dans son bureau que protège un cordon depol ice. Aucun accord n ' in tervenant , I 'ar rêt de t ravai ldevient général en début d 'après-midi et même des t ra-vai l leurs des fonder ies et de la S.N.C.A.S.O. se jo ignentà I 'act ion. Les d iscussions t ra inent . La cant ine des ingé-nieurs pr ise d 'assaut . les boute i l les de bon v in et dechampagne c i rcu lent . La chaleur est for te. Le ton monte.Vers 15 heures, les délégués (Rombaul t pour la C.F.T.C-,Malnoë pour F.O. , Bisson pour la C.G.T.) appel lent aucalme et demandent tout de même le lancement deI 'Fsso France, prévu pour I 'après-mid i . Le lancement al ieu et le calme rev ient avec le soi r . Tandis que les t ra-vai l leurs regagnent leur loyer , C.R.S. et gardes-mobi lesconvergent toute la nuit vers Saint-Nazaire. L'affrontementdevient inévi table.

BATAILLE RANGEE A PENHOET

Le 21 à I 'heure de l 'embauche. 15 000 ouvr iers écoutentle compte rendu de la nui t . l ls apprennent que le d i rec-teur a fa i t fermer les chant iers pour " évaluat ion desdégâts de la vei l le " . Autrement d i t , c 'est le lock-out .Tous se d i r igent a lors vers la d i rect ion et là , c 'est lasurpr ise. Derr ière les gr i l les fermées, des centa ines decasques : C.R.S. et mobi les bouclent les chant iers. Lesdélégués passent mais les ouvr iers restent à I 'extér ieur .l ls se répar t issent le long des gr i l les et un long faceà face commence. Les in jures p leuvent , les p ierres et lesboulons suivent . Vers 11 heures, la gr i l le des cales cèdeet c'est I 'aff rontement. Les C.R.S. chargent, la crossehaute, f rappent , puis doivent reculer en se protégeant àcoups de grenades. La bagarre ne se termine qu 'à13 heures, avec le départ des C.R,S. , sur ordre de ladi rect ion qui a tout observé depuis son immeuble et cèdeains i à la nouvel le ex igence des délégués. On re lève denombreux b lessés. Un t ravai l leur a une main arrachée,p lus ieurs le crâne f racassé. Les métal los nanta isdôbrayent par sol idar i té .

Le lend,emain (jour de paye), trente ouvriers, arrêtés lavei l le , sont re lâchés, seules quatre inculpal ions sontm,r in tenues. En théor ie, c 'est la repr ise. En pra l ique, les

ouvriers manceuvrent beaucoup plus les cartes à joueret les dés que les out i ls . Les soudeurs, eux, ne font mêmepas mine de t ravai l ler et jouent au palet sur le terre-p le in ! La présence dans les locaux permet d 'év i ter lelock-out et les mani festat ions dans la rue. Le samedi25 ju in sont jugés à La Baule les mani festants arrêtésle 21 . Les syndicats se contentent d 'un meet ing pourévi ter tout nouvel af f rontement . Seule, une centa ine demi l i tants va jusqu'à La Baule en compagnie de ses délé-gués. J . Garnier a c inq jours de pr ison, R. Péron quinzejours, Y. Ruau un mois ( tous avec surs is) , son t rère,R. Ruau, est acqui t té .

A ILLEURS EN FRANCE

Tandis que les ouvriers des chantiers affrontent lesC.R.S. , la s i tuat ion se tend en Lorra ine. Les métal los deSidelor débrayent pour obteni r I 'annulat ion de quarantel icenciements annoncés par ' la d i rect ion dont p lus ieursde délégués syndicaux. Les ouvr iers occupent leur us inependant quinze jours sans que le patron accepte derevenir sur sa décis ion. Alors, la colère monte et le4 iu i l le t , les deux cents t ravai l leurs les p lus décidés serendent à la v i l la du d i recteur . à Homécourt . e t I 'encer-c lent . E l le est protégée par la pol ice. Pierres et boute i l lesvolent , des grévis tes réussissent à pénétrer dans le parcet en sont f i r ia lement délogés. Le soi r , les ouvr iers seretranchent dans I 'us ine et s 'arment de boulons, lance-pierres, barres de fer et at tendent de p ied lerme desC.R.S. qui ne v iendront pas. Le 8, le patronat capi tu leet accorde sat is fact ion aux ouvr iers qui reprennent , maisle jour même, les mineurs de fer de Br iey cessent let ravai l . La première semaine de ju i l le t est marquée pardes grèves tournantes : hui t jours d 'arrêt aux ra l f iner iesde Donges, p lus ieurs jours chez Ci t roën et Panhard, desarrêts à Bordeaux. à Mulhouse dans le text i le . A Saint -Nazaire, les ouvr iers de la S.N.C.A.S.O. b loquent p lus ieursheures le d i recteur dans son burgau.

Le 14 iu i l le t est lourd d ' inquiétudes nouvel les. Lestroupes déf i lent un peu par tout mais une cer t i tude se la i tjour : en Algér ie, c 'est la guerre. Le général Koenig exal te" la miss ion paci f icat r ice qui lu i (à l 'armée) incombe enAlgér ie " o i r le gouvernement Edgar Faure envoie sanscesse des renforls. Au Maroc, de nombreux attentats ontl ieu contre des colons européens, provoquant de t rès

Lock-out

la S.N.C.A.S.O.

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nombreux aff rontements entre les deux communautés.Pourtant, en métropole, la question algérienne ne provo-que encore que des d iseours.

UN ETE CHAUDl l fa i t un temps magni f ique le 1 ' ' août pour le retour

de vacances des métallos. Une surprise les attend : unelet t re du patron menaçant de revenir à la semaine dequarante heures (avec réduction de salaire bien sûr) si lasituation ne revient pas totalement à la normale. Lemat in, les t ravai l leurs assemblés écoutenl les consignesde leurs dirigeants syndicaux : un débrayage toutes lesheures par roulement . Mais, les soudeurs vont au-delàde cette riposte symbolique et se mettent en grève i l l i-mitée. entrainant derrière eux leurs camarades. Vers10 heures, personne ne travail le plus aux chantiers et lessoudeurs pour marquer leur déterminat ion font de leurslettres un feu de joie à -côté de la cabane du gardien.Dans la confusion la p lus tota le, les pompiers tententd ' in terveni r . En vain : les gard iens, anciens gendarmessont t rès impopula i res. . . la cabane brû le tota lement etp lus ieurs centa ines d 'ouvr iers s 'at taquenl aux gr i l lesprotégeant I ' immeuble de la d i rect ion. C'est a lors que lesgardes-mobi les interviennent.

DES C.R.S. A LA MER

Les gr i l les sautent sous les coups d 'un bél ier . Ouvr ierset . mobi les D se t rouvent face à face devant I ' immeublede la d i rect ion. Pendant ce temps, des barr icades dewagons et de remorques b loquent p lus ieurs accès auxchantiers. Les grévistes actionnent sans arrêt les sirènespour alerter leurs camarades des autres usines. Vers13 heures, le terre-p le in est noi r de monde. Les "mobi les"reçoivent le renfort des C.B.S. el vers 13 h 30, i ls passentà I 'offensive, tentant de dégager le terre-plein à coupsde grenades. De très violents combats vont opposerjusque dans la soi rée les ouvr iers aux f l ics. Sur lechant ier , les pro ject i les abondeni , des machines sontmême remises en marche pour découper des tô les d 'ac ieren tormant des angles a igus. Les lances à incendie sontmises en bat ter ie par les grév is tes a ins i que les condui tesd 'a i r compr imé, ut i l isées comme des min i -canons. Vers16 h 30, la baraque du syndiquat patronal brû le tandisqu'un pet i t groupe de C.R.S. qui s 'é ta i t aventuré t rop lo inest encerclé, tabassé et jeté à la mer. On se bat jusquedans les nefs de montage et le soir, un petit noyau d'irré-ductibles tient toujours les formes de radoub. Les renfortsde police arrivent sans cesse, même par avion et toutela nuit, le dispositif mil itaire est renforcé. Cette très durejournée fait p' lus de cent blessés de part et d'autre.Al f red Pageot , un jeune t ravai l leur de I 'us ine de Saint -Denis, a un ceil crevé. Plusieurs autres souffrent de frac-tures diverses et sont hospitalisés. Tout le mondes'étonne qu ' i l n 'y a i t pas de morts.

UNE GREVE,D'IMPOR,TANCE NATIONAI.ECette journée d'affrontement fait écho dans tout le

pays. Les syndicats, la grande presse, la radio repren-nent l 'événement. Benoît Frachon, pour la C.G.T., parle" des admirables prolétaires de Sainl-Nazaire " etdénonce I'intransigeance du patronat. L'affaire devientnat ionale. Bacon, le ministre du Travai l , s 'empare dudossier et nomme un médiateur qui doit recevoir les délé-gués syndicaux et patronaux à Paris le 5 août. A Saint-Nazaire, le matin du 2 août, le préfet fait relâcher trente-cinq manifestants arrêtés la veille, ordonne la ferrneturede tous les cafés et fait surveiller les rassemblementspar avion. A 8 h 30, un meeting intersyndical regroupe15000 personnes. On réaffirme la nécessité de la paritédes salaires, puis un Çortège se rend à la sous-préfecture.La direction annonce qu'elle accepte la médiation à Parissi le travail reprend. Le 3, les chantiers sont ouverts, les

n Sur une plaque de nrontage, ie reconnais Léon, I'anar-cho-syndicaliste. Le vieux Léon parle aux jeunes, etceux.ci l'écoutent... ".,. depuis un siècle. tous les avan.tages obtenus par la classe ouvrière n'ont pu l'être quepar la violence. Seul le langage de la force est payant,le parlemerrtarisme et sa courtoisie ne sont que desbaillons pour les opprimés, N'écoutez pâs ceux qui vousparlent de dignité. La lutte des classes, c'est avant toutune succession d'épisodes révolutionnaires Et aujour-d'hui camarades, les circonstances nous permettentd'imposer notre force à la bourgeoisie et à sa flicaille ".., "

Léon ne peut poursuivre plus avant. Les sirènes semettent à mugir. Je consulte ma montre, midi et demi,personne ne travaille, et puis de toute façon ce n'estpas I'heure habituelle des sirènes. Gependant leurs hulu.lements se poursuivent, puissants à vous couper lesor.rffle. Dans ce boucan inusité, les questions vont bontrain, les suppositions les plus absu,rdes sont avancées.Certains parlent d'un plan des G,R,S. pour nous faire éva-cuer les ateliers sous la contrainte du bruit. mais leschaudronniers sont habitués à bien d'autre chose !

G'est alors qu'un gars gui arrive par la petite portcsituée derrière le four nous apporte la nouvelle qui sepropage rapidement, tant dans I'atelier que sur le terreplein. Quelques centaines d'ouvriers se sont faufiléspar-derrière les cales de lancement et sont parvenus surles arrières des C.R.S. sans que cesx.ci s'en aperçoivent.lls ont occupé I'atelier d'ajustage et de là ont pénétrédans la cabine du gardien+hef d'où la commande dessirènes a été enclenchée et bloquée. Le but poursuiviest d'arneuter toute la ville et de sensibiliser I'opinion.Mais en même temps des centaines de gars se sontbarricadés dans cet atelier d'ajustage et bombardent lesc.R.s.

Louis Oury, . Les Prolos "

C.R.S. invisibles. L 'embauche a l ieu dans la morosité'générale. Personne ne croit beaucoup à la médiation etle mot d'ordre de reprise donné par les syndicats estsouvent suivi à contre-cæur. A Paris, les négociationstraînent en longueur tandis qu'Edgar Faure et AntoinePinay font une courte visite à Moscou. La directions'abrite derrière " la conjoncture et la concurrence inter-nat ionales > pour prouver qu' i l est impossible d'accorderla parité avec Paris, soit 30 o d'augmentation. En fait,i l est clair que le patronat veut faire pourrir le mouvementpour éviter des contre-coups dans le pays entier encédant trop à Saint-Nazaire.

NANTES PREND LA RELEVEGrèves et manifestations de Saint-Nazaire révèlent un

malaise profond dans tout le pays dont syndicats etpatrons sont conscients. Par une lettre à M. Villiers, pré-sident du C.N.P.F., Force ouvrière demande " d 'entrerdans la voie d'un accord général par branche d'entre-prises... de telle sorte gue la satisfaction des revendica-tions épouse au maximum les états divers de prospéritédes entreprises et des industries ". Ce type d'accordréformiste, lié à une éventuelle prospérité de I'entreprise,déplaît à la base ouvrière qui veut des garanties.

Effectivement, la classe ouvrière bouge dans tout lepays et la C.G.T., qui a peu de sympathie pour le gouver-nement Edgar Faure, pousse à l'action. A Nantes, oùdepuis plusieurs semaines on réclame la révision dessalaires, le patronat accorde 40 francs de plus par heurele 16 août, puis revient sur sa décision le 17, prétendant( avoir agi sous la contrainte " ! De plus, pour parer uneéventuelle occupation de locaux, les usines et les chan-

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Meetingdes métal los

sur. le terre-plein , .

t iers sont fermés et occupés par un imposant serviced'ordre le 18. Pour les travail leurs nantais. c'est unevéritable provocation. Dans la matinée, un immensecortège se rend à la bourse du travail. Des débrayagesde solidarité ont l leu à Brest, Lorient, Saint-Nazaire,Indret, etc. A la bourse du travail, on décide la formationd'un comité d'action avec des représentants des syndi-cats (Declercq C.F.T.C., Jacquet C.G.T., Gourdel F.O.) etdes délégués d'entreprises. l l est décidé de tout mettreen ceuvre pour obtenir la reprise des discussions et laréouverture des chantiers. Dans I 'après-midi, plusieursmill iers d'ouvriers accompagnent leurs délégués à laprétecture. l l leur est signifié que les C.R.S. n'évacuerontpas la vil le et que les chantiers ne seront pas réouvertssi le travail ne reprend pas aux anciennes conditions.lmmédiatement, de violentes bagarres éclatent. Les pavésvolent, les grenades répondent. Une caisse de grenadesexplose dans les rangs des C.R.S., faisant des blessésgraves et créant la conlusion : on accuse les ouvriersd'employer des explosifs. Le calme ne revient dans lav i l le qu 'avec la nui t . Le C.N.P.F. fa i t par t de son inquié-tude à Edgar Faure et tente de justif ier son revirementen disant que I 'augmentation de 40 f rancs avait étéaccordée à la suite " d'actes de violence " pendant lesdiscussions sur la convention collective de la métallurgit 'nantaise.

UN MOR,T, DES CENTAINES DE BLESSESLe vendredi 19 août. tous les cafés de Nantes sont

fermés. Un meeting syndical à la bourse du travail réunitles métallos et les gars du bâtiment, au total 20000 tra-vailleurs gui exigent la reprise des négociations et lalibération des emprisonnés de la veille. Les syndicatssont divisés sur la tactique à suivre, mais les ouvriers lesplus décidés marchent sur la prison et entreprennent dedéfoncer les portes. lls sont repoussés à coups de gre-nades et les heurts vont gagner progressivement tout lecentre de 'la ville. Curieux, passants et manifestants,refoulés sans ménagement, ripostent en élevant desbarricades et dans la soirée, les C.R.S. ouvrent le leu :Jean Rigollet, ouvrier maçon à Sainte-Lumine-de-Contais,sieffondre, tué d'une balle en pleine tête. Trois autresouvriers sont blessés par balle. Tout le centre de Nantesest un champ de bataille. Le prétet Rix déclare : " l 'ordresera maintenu envers et contre tous o. De fait. tard dans

,a nuit, ses troupes sont maîtresse du terrain mais il y arn mort el des centaines de blessés. Le patronat nantais,nquiet, change d'attitude et demande une médiation dugouvernement. La S.F.l.O., de son côté, fait une démarcheauprès du président du Conseil pour obtenir une média-tion et trouver une solution rapide au conflit. La C.G.T.et F.O. déclarent en commun : " le maintien de la ferme-ture des entreprises ne peut que favoriser le dessein deceux qui ont intérèt à créer des incidents " €l exigent lareprise des négociations, le départ des C.R:S. et la réou-verture des chantiers. Le samedi, une chapelle ardenleest dressée à I'hôpital Saint-Jacques, où repose le corpsde Jean Rigollet. Les fleurs s'amoncellent " Cours descinquante otages ", là où il est tombé. La tension décroîtle dimanche avec I'annonce officielle de I'ouverture desnégociations. Les G.R.S. se retirent des usines et desbâtiments publics. Pour le patronat de Nantes, M. Gau-cher déclare : . Nous souhaitons qu'une solution inter-vienne rapidement. Nous sou'haitons également la réou-verture rapide des usines et des chantiers... " Cechangement d'attitude par rapport aux jours précédentstraduit en fait le souhait du patronat de voir tourner sesusines, comme le prouve la suite des événements.

DES NEGOCIATIONS FLEUVESLe travail reprend sans enthousiasme le mardi à 6 h

(5300 voix pour la repr ise, 1400 contre et '13000 absten-tions !). Ce n'est que pour répondre aux injonctions dessyndicats et faute d'autres orientations que les travailleursregagnent les ateliers. De 10 h à 12 h, lout le mondes'arrête pendant les obsèques de Jean Rigollet mais lessyndicats n'ont pas donné consigne d'y assister encortège. ll n'y a que des délégations. Le soir, les négo-ciations débutent à Ancenis. Le 24, l 'agitation gagned'autres chantiers navals et arsenaux (Brest, Le Havre,Dunkerque, Le Trait) et à La Seyne quelques échauffou-rées entre C.R.S. et grévistes font trois blessés.

Les négociations vont échouer à Ancenis, reprendreà Nantes et traîner pendant des semaines. Partoul lacombativité augmente. Bien qu'en plein mois d'aott, lestravailleurs de La Seyne (Toulon) obtiennent le départdes C.R.S. et 11 o de plus. A Angers, àTrëlazê (ardoi-sières), à Cholel (textile), à Lorient, à Limoges, desconllits durs éclatent que le gouvernement se reluse àrégler globalement. Edgar Faure déclare même avec

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UN TEMOIGNAGEParvenu au terre-plein de Penhoët, je retrouve tous

tnes esprlts en constatant que des milliers de gars atten-dent la charge des C.R.S. de pied lerme. Au premier rangune dizaine d'entre eux sont pliés en deux, au coude àcoude comme des rugbymen préparant la mêlée.

Je me sens rassuré, néanmoins, je me perds dans latoule pour récupérer quelque peu. Je n'en ai pas letemps, une immense clameur couvre tout, c'est la clameurdes corsaires prenant un vaisseau à l'abordage. Un tlotte-ment se produit dans Ia masse, je parviens à rne hissersur une murette d'où le spectacle rne /aisse muet d'émer-veillement. La charge des C.R.S. est venue se briser sur/es rangs serrés des métallos qui n'ont pas cédé unpouce de terrain. Une mêlée sanglante d'une sauvagerieinouie, et où tous /es coups sont permis, se déroule sousmes yeux...

...D'un bond ie les ,rejoins et en quelques secondesie me retrouve porté par la loule des ouvriers. Devantmoi, c'est une muraille humaine, alors je pousse pourfaire avancer, derrière on en lait autant. Je suls complè-tement neutralisé et pourtant j'avance à la manière d'unsupporter à l'entrée du stade un iour de " derby,. lnca-pable de laire le moindre geste, I'essaie de voir si je merapproche de la première ligne. L'horizon est bouché parune mul.titude de fêfes au-dessus desquelles voltigent lesproiectiles /es p/us divers. Soudain /a poussée se taitplus violente, /a masse compacte des prolétaires avanceplus vite, plusieurs coups de sifllets sfridents déchirentles rumeu.rs sourdes du combat. Devant /a pousséeturieuse des manifestanfs, /es C.Æ.S. s'entendent ordon-ner le repli. Un immense cri de victoire salue la retraiteprécipitée de la flicaille.

Louis OURY - . Les Prolos ".

cynisme que " la stabi l i té des pr ix est la vér i table garant iedu pouvoir d'achat des travailleurs D et promet 7 o/o d'aug-mentat ion de la masse salar iale en 1955.. .

LE MINISTERE EDGAR FAUREEDGAB FAURE: PRESIDENT DU CONSEIL.

Gaston PALEWSKI : Ministre, délégué à la présidencedu Gonseil.

Robert SGHUMAN : Gande des Sceaux. Ministre de lajustice.

A. PINAY : Ministre des Affaires étrangères.M. BOURGES MAUNOURY: Ministre de I ' lniérieur.P. PFtlMtlN : Finances.J. BERTHOIN: Education nationale.J. SOURBET : Agriculture.B. TAFAV : Santé publique.P. KGNIG: Ministre de la Défense nationale.P. H. TEITGEN: Outre-mer.A. MORIOE : Industrie et commerce.P. BACON: Travail et Sécurité socide.R. TBIBOUI,ET : Anciens combattants.P. JULY : Affaires marocaines et tunisiennes.E. BONNEFOUS: P.T.T.t. SEDAR SENGHOR: Secrétaire d'Etat à la présidence

du Gonseil.P. ABELIN : Secrétaire d'Etat aux affaires économiques.etc.

REPRISE DES GREVES EN SEPTEMBRELe 7 septembre à Nantes, c'est de nouveau I' impasse.

Lock-out à la S.N.C.A.S.O. le jour même et le lendemainaux chantiers. Les C.R.S. reviennent et occupent. Unimposant déf i lé a l ieu dans le calme mais on a fa i t aucunprogrès depuis un mois. La S.F. | .O. se déclare sol idai redes grévistes et rappelle son programme électoral(augmentation du S.M.l.G., suppression des zones desalaire, généralisation des conventions collectives).L'enjeu des grèves de Nantes devient national et le gou-

vernement Edgar Faure y joue gros. La grève généraledu 12 septembre à Nantes est un succès total :30000manifestants et toute la ville paralysée. Une délégationest reçue à Paris par Edgar Faure qui affirme sa volontéde régler le conf l i t pendant que Giscard d'Estaing(membre du cabinet) affirme la même chose à une délé-gation du patronat. Mais on s'enfonce à nouieau dansle bavardage et les comptes byzantins. La situ.rtion ne vase débloquer une fois de plus que par la violence. Le16 septembre, est formé à Nantes un comité d'actionde la métal lurgie qui exige un règlement global et nonpar entreprise et I'abrogation de tous les licenciementsprévus. Le 19, une imposante manifestation dans Nantesappuie ces revendicat ions. Six camions américains del'O.T.A.N. viennent s'y engluer par hasard et sont immo-bilisés. Les chauffeurs descendent et s'assoient sur lebord du trottoir, fumant des cigarettes avec les grévistes,mais un commissaire veut faire dégager les camions. l lest copieusement rossé et immédiatement, c'est I'affron-tement dans tout Nantes. Des barricades s'élèvent etdans la soirée, les C.R.S. tirent à nouveau. M" Lécuyer,un avoué de Force ouvrière, est gravement blessé d'uneballe dans le ventre. Les bagarres ne cessent que vers23 h lorsque les C.R.S. regagnent Jeur cantonnement surordre du préfet. Le lendemain, les patrons cèdent partiel-lement : tous les licenciements sont levés et les mani-festants de la veille relâchés. Des bagarres éclatent àLa Rochel le.

Le 29 septembre, c'est à nouveau la rupture. La colèregrandit à Nantes. 40000 personnes descendent dans larue. Les ouvriers bloquent les ponts qui sont violemmentdégagés à la grenade. Le lendemain soir, quelques petitsgroupes élèvent à nouveau cles barricades. Nantes est enétat de siège mais les travailleurs tiennent bon. Le gou-vernement, lu i , doi t f léchir . l ' l est en di f f icul tés à causede sa politique algérienne et attaqué de toutes parts, ilsigne une série d'accords contractuels en octobre : chezRenault le 3, avec les cheminots le 4, à Nantes le 5, etc.Ces accords contractuels seront tant bien que mal res-pectés et révisés jusqu'à un chaud printemps de 1968...

Gil les BAGAC'HE.

" LES PROLOS. de Louis OUBY, chez DENOEL - 19,50 FLa vie d'un jeune ouvrier chaudrannier qui entre aux

Chantiers navals de Saint-Nazaire en 1953, c'est plusqu'un souvenir personnel ; c'esf la vie des < prolos ", de/a c/asse ouvrière ayec ses peines quotidiennes maisàussi une grande chaleur humaine. Louis Oury décritsans complaisance /es pefites usines de l'Ouest, l'immen-sité des chantiers navals, la chaude atmosphère desrégions ouvrières du Nord. Le tou.t est dit très simpte-

ment, avec une abondance de détails gui sonnent iusteset vécus car le jeune ouvrier, c'est l'auteur et ce livreprend ainsi un reliel particulier. Certains chapitresconcernent /es grèves ef /es violents attrontements de1955. Nous y reviendrons dans notre prochain numéro.Louis Oury et d'autres méta:llurgistes ayant vécu cettepériode témoigneront.

// est rare que /es ou.vriers prennent la plume.Louis Oury l'a tait avec beaucoup de talent.

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REVOLUTIONLA

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Le 2 décembre 1851 , Louis Napoléon Bonaparte, prince-présideni, égorge la Seconde République. Gelle-ci, néede la révolution de 1848, avait été porteuse d'immensesespoirs populaires. Les démocrates étaient persuadésque, malgré le caractère réactionnaire du gouvernementdepuis 1849, les élections de 1852 leur permettaient, grâceau suffrage universel, de reprendre le pouvoir et d'ins-taurer enfin la " Belle ", la . Vraie " République démocra-tique et sociale.

Le coup d'Etat détruisait tous ces espoirs : une nouvellerévolution s'imposait.

Des régions entières s'insurgèrent ; dans le Midi, leGers, le Lot-et-Garonne,'l 'Hérault, le Gard, la Drôme, lesBasses-Alpes (1) et le Var sont le théâtre d'atfrontementssanglants. Cette révolution est I'acte de naissance du" Midi Rouge ".

En tout, trente-et-un départements ont été soumis àl'état de siège.

LA NAISSANCE DU VAR ROUGESous la Seconde République, le Var vote massivement

pour I'extrême-gauche, tant dans les villes que dans lescampagnes. La politisation est extrême ; une grande partiede la population s'esl rangée du côté des Flouges et lesvillages sont et vont rester profondément divisés.

'Pourtant, tusqu'en 18iD, les habitants étaient demeurés" catholiques pratiquants et tervents royalistes ; le peuplelui-même ne jurait que par Dieu et ses rois légitimes. Puisun étrange revirement eut lieu : la foi s'en alla, |a popu-lation ouvrière et bourgeoise, désertant la cause de lalégitimité, se donna peu à peu au grand mouvementdémocratique de notre époque ' (Zota).

C'est que les tensions sociales, la lutte des classes sontdevenues très vives sous la monarchie de Juil' let. Lapopulation rurale, qui s'accroît et se rajeunit, a besoin deterres ; jamais les campagnes n'ont été aussi peuplées(l'exode rural est encore très limité). Aussi les commu-nautés villageoises défendent âprement ce qu'il leur restede droits communaux, et les conflits avec'les grands pro-priétaires aristocrates et bourgeois sont incessants.

Le peuple lutte en mê.rne temps contre une fiscalitépesante, symbolisée surtout par I' impôt sur les boissons.

Tous ces conflits s'aiguisent avec I'instauration de laRépublique, en 1848 : la lutte est alors dirigée par despropriétaires-exploitants, des avocats, des médecinsdémocrates et anti-cléricaux. Ces cadres ont donné aumécontentement une dimension polilique : les Cerclesel Chambrées des Sociétés républicaines avaient serviprinci'palement à cette évolution. ll s'agit de groupesd'amis du même vi l lage qui se réunissent fréquemmentpour discuter, lire les journaux, manger, boire, chanter.Chaque village en a plusieurs : on en compte 786 en 1842et, malgré les tracasseries policières, leur nombre necesse d'augmenter.

L'adhésion massive, enthousiaste, à la Seconde Répu-blique et à la démocratie, se fait grâce à elles. Chacuna cru, à ce moment, qu'un nouveau régime s'instaurait : lepeuple s'est persuadé que la dictature du riche, que lescontraintes de toutes sorles étaient achevées ; les démo-crates de village ont cru à I'avènemeni d'un socialismepacifique et humaniste. Quelle déception quand ils se sontaperçus que, hormis le suffrage univ.ersel, rien n'avaitchangé, et que la réaction était encore au pouvoir.

La pression policière el fiscale ne diminue pas, lesconseils municipaux " rougês o sont révoqués, les Cham-brées pourchassées.

Alors, les " Rouges " s'organisent : de la Chambrée à laSociété secrète, il n'y a pas loin ; tout le Sud-Est en estbientôt quadrillé. Chaque village a son groupe ; lesmembres doivent prêter serment, la nuit, d'une laçonassez mystérieuse.

Tous ces noyaux se retrouvent d'abord dans la JeuneMontagne, qui est démantelée en octobre 1850. Mais lesdémocrates désormais se connaissent d'un village àI'autre ; les militants des vil ' les (Toulon, Draguignan) sontparticulièrement actifs et parcourent les campagnes ledimanche, distribuant journaux et consignes.

L'ECHEC DES VILLESToulon joue un rôle primordial. C'est une ville de gauche

où s'entrecroisent la plupart des courants socialistes def 'époque ; on y imprime le Démocrate du Var.

En 18218, les ouvriers de I'arsenal ont obligé le prétetà revenir sur la révocation de leur maire et député socia-liste, Suchet. En 1850, des militants ont pris contact avecI'armée et, dès octobre, quand la répression s'accentue,ils sont partisans de I'insurrection. Mais I'arrivée de nou-velles troupes, et les arrestations, démantèlent l 'organi-sation mise en place.

De là, une assez faible réaction à I'annonce du coupd'Etat du 2 décembre. 71 républicains connus sont arrêtéspréventivement, au grand soulagement de la municipalitéconservatrice qui avait élé finalement imposée par lepréfet. Celle-ci distribue des primes aux militaires, pouravoir accompli un pâreil " exploit " !

Mais, tout près de là, à Hyères, I'attitude des démo-crates est déterminée : ils essaient de prendre la mairie,qui est tenue par des légitimistes. L'intervention immé-diate de ,la troupe stoppe leur tentative. Un démocrate esttué, soixante sont arrêtés.

A Draguignan, prélecture du département, se trouve uncomité républicain inlluent. Mais le préfet, le célèbreHaussmann, grand pourlendeur de démocrates, disposede troupes, et les réactionnaires, nombreux dans la bour-geoisie, sont armés et prêts à intervenir. Les dirigeantsrépublicains, très modérés, ne sont pas, quant à eux.partisans d'une insurrection.

1EAtt( i I t €t conrni0cI t l aro' t rni rrr- l i f r , t r , rr . l , r rrr r re \ t t p i | 1 , . r . l . , { r \ i l i n . , r r d ( l ! ' r t o t ù n ( L i i l ' . a r i l { .

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l l y aura que'lques manifestations, les 5 et 6 décembre,aussitôt suivies de nombreuses arrestations, et les chosesen restent là...

La riposte au coup d'Etat sera donc dirigée à partir descampagnes varoises ; non tant de la périphérie monta-gneuse (région de Grasse) que du centre du département,des villages et des bourgs qui s'échelonnent entre Toulonet Draguignan (région des Maures, vallée de I'Argens).

VILLAGES REVOLUTIONNAIRESLe Cannet des Maures, village de paysans, mène depuis

des années une lutte incessante contre un grand proprié-taire légitimiste, le marquis de Colbert, qui veut s'emparerdes biens communaux. Le conflit se politise après 1848,et I'an'imateur de la lutte est un propriétaire démocrate,maire sous la monarchie de Juillet, et révoqué parHaussmann.

Le village se soulève massivement; son premier objectifest de prendre, sans violence, le château de Colbertet de faire prisonniers seé occupants.

Le Luc est un bourg tenu depuis longtemps par la bour-geoisie républicaine, très anti-cléricale. Dès 1834, unesection de la Société des droits de I'homme y a été créée.C'est sous I'influence de cette section, et par I' intermé-diaire des artisans, que les gens du peuple adhèrent auParti démocrate. Sous la Seconde République, les cadresbourgeois tentent vainement de modérer la population.Mais le maire est révoqué, 'le conseiller général arrêté ;Le Luc fournil à I' insurrection des chefs et des troupesvaleureux.

La Garde-Freinet, un village du massif des Maures,commence à s'industrialiser, grâce au liège. Un prolé-tariat d'ouvriers (bouchonniers) s'est constitué ; il s'estrévélé en 1835-1836 par une grève et la création d'unecaisse de secours mutuel. Après 1848, la combativité desouvriers se développe remarquablement : soutenus parles bourgeois démocrates, ils sont sans cesse en luttecontre les fabricants appuyés par le préfet.

Malgré la répression, un conseil municipal d'extrême-gauche est élu en 1849 ; le maire, un avocat, est bien sûrrévoqué, mais il est remplacé par son adjoint, pharmacien.Celui-ci aide à la création, dans l'été 1850, d'une coopé-rative ouvrière de production et d'exploitation du liège.

Cette association, concurrente directe des fabricants,rassemble 218 membres, si bien qu'elle déchaîne la colèredes notables. Le juge de paix du canton écrit : " lls ontpoussé leur haine à ses dernières limites. C'est la hainede I'ouvrier contre le maître, non le désir d'améliorer saposition qui a donné la première idée de I'association. "

Haussmann, ne pouvant s'attaquer de front à la coopéra-tive, dissout le conseil municipal, le rem'place par unecommission réactionnaire et renforce la brigade de gen-darmerie. Puis, il fait fermer le cercle créé par les coopé-rateurs et fait arrêter cinq ( meneurs D, dont lepharmacien. D'où une émotion considérable, qui seconcrétise par une participation enthousiaste à I' insur-rection ; les gens de La Garde-Freinet seront parmi lesmeilleurs éléments de la colonne varoise.L'INSURBECTION DES CAMPAGNES

La révolte est si prolonde que même les femmes parti-cipent à la vie politique. Ainsi, le procureur général de lacour d'appel d'Aix, scandalisé, écrit au ministre, le7 mars 1850 : " Voici une nouvelle forme de socialismedans le Var, les femmes sont appelées à se mêler depolitique et à figurer dans les manifestations politiques. "

ll ne se trompait pas ; interrogée par une commissiond'enquête, Suzanne Lonçon, jeune fil le du hameau desMaillons, dit : " Quand on eût annoncé que le peuple étaitsouverain, les femmes et les fil les du hameau, nous nousréunîmes pour faire la farandole. "

Et la colonne insurgée comptera plusieurs combattantes.Quand la nouvelle du coup d'Etat se répand, le 4 décem-

bre, le soulèvement est général ; les gens sont persuadésque la capitale et les grandes villes, que toutes lescommunes de France font comme eux. Dans tous lesvillages, on agit de la mème façon : prise de la mairie,dispersion du conseil municipal s'il est réactionnaire, miseen place d'une commission municipale, désarmement etarrestation des gendarmes, des royalistes et des bona-partistes connus, envoi d'émissaires dans les fermes, |eshameaux, les autres villages. L'atmosphère est à l'âllé-gresse : on danse, on fail la farandole.

ll n'y a de violence gu'à Cuers, village situé près deToulon : le maire, un réactionnaire, dira que ( la popu-lation rurale presqu'entière et une partie des artisansétaienl gagnés aux idées démagogiques, et il suffisait enquelque sorte d'avoir le costume de ce qu'ils appelaienlles bourgeois pour être en butte aux quolibets et auxmenaces ". En fait, dans I'après-midi du 5, après la prisede la mairie, un gendarme est tué ; puis, sans autre vio-lence, la gendarmerie est occupée, les cahiers de I'enre-gistrement sont détruits. Une farandole autour de lafontaine, ornée d'une écharpe tricolore, clôture la jou,rnée.Mais le soir même, les troupes de Toulon s'emparent deCuers, resté sans défenses, abattent un jeune paysan etarrêtent 417 républicains.

Ailleurs, les insurgés s'organisent. Le Luc joue un rôle

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Les républicainss'opposent

à I'arrestationde leurs élus.

déterminant. Le soulèvement y a été unanime ; le nouveaumaire est pourtant un riche propriétaire, défavorable àI'insurrection, mais qui s'est incliné devant la majorité.

Les habitants du bourg, réunis sur la place autour del'arbre de la Liberté, ratifient les décisions prises par lecomité dirigeant, et élisent un nouveau conseil municipal.Les gendarmes et quelques notables " blancs " sontgardés comme otages. Ordre est donné ensuite aux autresvillages de se rassembler à Vidauban.

Lorsque l'émissaire du Luc arrive à La Garde-Freinet,le vi l lage est en ébul l i t ion. L 'ancien consei l municipalrévoqué a repris ses fonctions. Les insurgés du golfe deSaint-Tropez ont déjà afflué. lls sont dirigés par deuxmilitants, Arambide, ouvrier connu dans tout le Sud-Est,et Campdoras, chirurgien à bord d'un bateau ancré dansle golfe. C'est une colonne de 2150 personnes, dontplusieurs femmes, qui part de La Garde-Freinet, drapeau'rouge en tête, avec fanfare, 22 otages et même un méde-cin, sans convictions politiques affirmées.

PRENDRE LA PREFECTURE?A Vidauban, 700 hommes du Luc et des environs sonl

arrivés, avec le même équipage. lls ont à leur tète unriche propriétaire, Alix Geoffroy, âgé de 72 ans. lls sontrejoints par des groupes venant du canton de Besse;partout, c'est l 'unanimité dans le soulèvement.

Dans la soirée, une discussion confuse, tendue, inter-minable oppose les divers chefs locaux : faut-il marchersur la préfecture, s'attaquer au centre du pouvoir dansle département ?

En plein débat, arrive Duteil : c'est un journaliste duPeuple de Marseille qui a dû s'enfuir à Brignoles, et ' leschefs du Luc I'ont fait appeler. Populaire, beau parleur,i ' l est respecté, il impressionne aussi. Son arrivée laitdévier le débat : on décide, solution commode et logigue,vue I'expérience qu'on lui prête, de le nommer général.Aucune autre décision n'est prise.

Le lendemain, il faut savoir où conduire les insurgés ,Duteil n'est pas partisan d'une marche sur Draguignan.ll doit cependant céder devant la majorité des chetslocaux qui, finalement, suivent le point de vue unani,me-ment exprimé pa|les insurgés. Mais le général intrigue,surprend par ses fanfaronnades et ses hésitations subites.

La lroupe est constamment grossie par de nouveauxarrivants : les gens de Fréjus, de ,l 'Esterel, puis ceux deSalernes arrivent. Près de 2 000 hommes sont ainsiconcentrés à Vidauban.

La colonne, linalement, s'ébranle. Le ( plan " de Duteilest assez tortueux ; au lieu de marcher sur Draguignan,ou de prendre la ville en tenailles, on la contournera, pour( surprendre "

'l'adversaire. Les insurgés montenl versLorgnes.

Lorsqu'ils arrivent en vue de cette bourgade " réaclion-

naire ", les légitimistes du lieu se sont armés et, réunisautour de leur maire, tont mine de vouloir résister. Duteilveut négocier, mais il est " doublé " par les hommes deLa Garde-Freinet, excédés de ses atermoiements. Entral-nant le reste de la troupe, sans un coup de feu d'ailleurs,ils prennent Lorgnes, que les blancs abandonnent préci-pilamment. Quelques-uns se sont réfugiés dans la mairie ;ils sont faits prisonniers, on les joint aux otages. (2)

Le drapeau rouge ne tlotte pas très longtemps surLorgnes. Après une bravade - décharge de fusils en I'airen signe de joie -, la colonne s'ébranle en direction deSalernes.

70 otages suivent la colonne, gardés par les Lucquois,geôliers débonnaires, ce dont on ne leur sâura nul grér, lus tard.

Salernes, depuis I'annonce du coup d'Elat, est auxmains des insurgés, largement majoritaires. Malgré lesmauvaises nouvelles de I'insurrection qui commencent àleur parvenir, les hommes sont allés rejoindre la colonne.Les temmes, les gosses, les vieux, tous ceux qui sontrestés au village I'accueillent avec enthousiasme.

" On fêtait les insurgés comme on fête des libérateurs :les hommes les embrassaient, les femmes leur apportaientdes vivres. Et il y avait, sur les portes, des vieillards quipleuraient " (Zola).

Chacun participe au logement et au ravitaillement.La colonne s'organise le lendemain, 8 décembre. Les

instituteurs sont chargés de former des compagnies. Puis,les insurgés élisent leurs officiers et leurs sous-ofliciers.A cette occasion, émergent des cadres populaires (arti-sans, ouvriers), qui se substituent en partie aux dirigeantsbourgeois ; ceux-ci restent cependant majoritaires.

Ce vote traduit le clivage qui est en train de naltre ausein de la colonne, car deux attitudes différentes y sontmises en évidence : les chefs bourgeois appellent à lutterpour le droit, et les pauvres veulent lutter conlre lesriches.

Duteil reste général, mais on crée à ses côtés unecommission de défense qui prendra les décisions les plusimportantes.

L'armement de fortune des insurgés (faux, fourches,haches, fusils de chasse) est amélioré : on lorge despiques, on fond des balles, on se préoccupe de I'inten-dance. Un corps de boulangers est organisé.

RE'OINDRE LES BASSES.ALPES ?Du haut-Var, de la région de Barjols, arrivent de nou-

velles recrues. Le 9 décembre, une centaine de Brignolais,avec des vivres et des munitions, se joignent à la colonne.

Brignoles s'était soulevée le 4 décembre, à I'appel d'unComité révolutionnaire présidé par un sous-commissairedu Gouvernement provisoire de 1848. Un nouveau conseilmunicipal avait été élu, avec comme maire le docteur

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Barbaroux, médecin austère et respecté. Brignoles étaitplacée sur la route de Marseille, et I'on annonça bientôtI'arrivée d'une troupe avec de I'artil,lerie, commandée parle colonel de Sercey. Les Brignolais décidèrent alors dedécrocher et de rejoindre les Varois insurgés.

Le même jour, une nouvelle parvient à Salernes : lepréfet Pastoureau (qui remplace Haussmann) et le colonelTravers (après la ( prise de Cuers ", il avait été épaulerle préfet) viennenl de quitter Draguignan à la tête d'unecornpagnie d'infanterie el cherchent à rejoindre lacolonne.

ll n'était donc plus question de marcher sur la prélec-ture. Et, pour échapper à la tenallle des forces de répres-sion, gui tiennent Brignoles el Draguignan, une seulesolution demeure possible : rejoindre les insurgés desBasses-Alpes, gui sont maîtres du département. ll estdonc décidé d'aller coucher à Aups.

Aups, village " blanc r, âvâit été occupé sans difficultépar les républicains du haut-Var. La colonne peut doncs'y installer. Elle y passe ia nuit sans qu'aucune dispo-sition ,particulière de défense n'ait été prise. Quelquespatrouilles circulent alentours, et 800 hommes, dirigés parArambide, sont allés prendre position à Tourtour, vil ' lageperché sur la route de ,Draguignan.

Le matin du 10 se passe en préparatils divers : répa-ration d'armes, fonte de balles, distribution de vivres, letout grâce à un emprunt levé sur les quelques riches deslieux. ll n'y a aucune précipitation, aucune conscienceclaire du danger, qui esl pourtant imminent.

Une perqulslt ion. (Cliché B.N.)

Les insurgés occupaient loute la place du bourg,répartis en compagnies par village d'origine ; mais I'en-thousiasme, la détermination des jours précédents avaientquelque peu baissés. On sait désormais que le mouve-ment est isolé, que les vil,les, Paris surtout, ont dûcesser toute résistance. On sait aussi que les forces derépression sont à la poursuite de la colonne et qu'ellesn'ont pas fait de quartiers dans les villages qu'elles ontoccupé au cours de leur marche sur Draguignan. Quelquesinsurgés désertent.

Stimulé par les prières des chefs locaux, Duteil décidede préparer le passage vers ,les Basses-Alpes, et pourcela envoie une torte avant-garde prendre position aupont d'Aiguines, sur le Verdon, qui fait la limite entre lesdeux départements. Un messager est envoyé à Tourtour,pour faire revenir Arambide et ses hommes. Cet émissaire,Martin Bidouré, jeune peigneur de chanvre de Barjols,rencontre en chemin les soldats venant de Draguignan;il esi fusillé sur le champ. Mais, laissé pour mort, ilparvient à s'échapper, et un paysan le recueille. Gelui-ci,apeuré, le remet le lendemain aux soldats, qui le fusillentcette fois pour de bon. Bidouré, le fusillé deux fois, estdevenu le symbole et le martyr de I'insurrection varoise.

Les soldats qui ont intercepté le jeune homme avaientdispersé quelques heures auparavant les hom'mes d'Aram-bide, qui ne s'attendaient pas à une attaque aussi rapide.Au moment où Duteil passe ses hommes en revue, ilsparviennent devant Aups.

C'est très vite la débandade. Laissés sans consigne,mal placés, démoralisés, mal préparés à tout point de vue,abasourdis par l 'évolution incompréhensible des événe-ments, se sentant trahis, et de surcroit peu armés, lesinsurgés sont balayés par la cavalerie sur la grande espla-nade d'Aups. Seuls, quelques gars du Luc, de La Garde-Freinet tentent de résister sur les hauteurs voisines.

La cavalerie et une fusillade nourrie ont tué une quaran-taine de personnes ; il y a plus de cent prisonniers. Lesautres tentent de fuir à travers bois, à travers champs,poursuivis et parfois sabrés par les cavaliers. Nombred'entre eux ne pourront regagner leur village : la chasseà .l 'homme est menée avec un acharnement extrême parles gendarmes et les réactionnaires de tous bords, remisde leurs émotions : Lorgnes devient ainsi un des foyersde la répression.

Beaucoup seront pris, quelquefois fusillés. Les autresse cacheront longtemps, puis reprendront leurs occu-pations, protégés par le silence des hameaux.

Ceux du Luc, de La Garde-Freinet, qui ont tenté derésister et ne se sont pas débandés, ont finalement dtse replier. lls sont montés vers le Verdon rejoindre I'avant-garde. Ils apprennent là la fin de .l ' insurrection dans lesBasses-Alpes, et décident de se disperser. Passant parles montagnes, les chefs les plus connus tentent de seréfugier au Piémont. Plus de 400 seront recensés àNice (3), où ils devront attendre de longues années avantd'ètre autorisés à rentrer dans le Var.

UNE TERRIBLE HEPRESSIONComme dans les Basses-Alpes, la répression est terrible.

Le département est mis en état de siège, les villages sontoccupés par'l 'armée, les arrestations sont massives : onincarcère même des républicains qui n'ont pas participéau mouvement ; en tout, plus de 3 000 personnes croupl-ront plusieurs mois dans des conditions atfreuses au fortLamalgue de Toulon,

2146 passent devant les tameuses ( commissionsmixtes ". 5 sont déportés à Cayenne, 748 en Algérie, 296sont expulsés, 471 sont internés, ô00 sont soumis à unesurveillance policière, et plus d'une centaine, renvoyésdevant les tribunaux ordinaires. sont condamnés à despeines de prison.

24 insurgés passent devant le Consei'l de guerre, et sontcondamnés'à mort ou aux travaux forcés.

ZOLA ET TT,NSURRECTION DU VAR[a " Bévolution ' du Var a été décrite par Ernila Zolr

dans son roman: tA FORTUNE DES ROUGON.ll a su reconnatre le caractère populaire de I'insurrec.

tion ;r ll pouvalt y avolr tà environ 3.0(Xt hommes

'unlç ct

empo:tés d'un bloc par un vent de colère, r r Les contlrrgents de chaque vllle, chaque bourg, formaient de3 brt ll.lons distincts qui marchâient à quelques pas les uns dcrautnes. Ces bataillons paraissaient o'béir à des chefr. '. Aux gens ds La Palud avait succérlé une autr€ t oupcd'ouvriers, parml lesquels on apercevait un asaez grandnombre de bourgeois en paletot. '

Mais son iugement est parfols slngullèrement éir.olt,lorsqu'il s'agit de décrire la capacité du peuple à s'org*niser lui.même, ou à résister à I'oppression :

. Grisés par I'enthousiasme du soulèvement généralqu'ils rêvaient, ils croyaient que la France les suivait... llrauraient saisl et fusillé comme traitre quic,onque leurauralt dit, à c,ette heure, que seuls ils avalcnt le coungcdu devoir, tandis que le reste du pays. écrasé de terreur,se laissait lâchement gûotter. '

G'est faire bon marché du soulèvement parislen du4 décembre, et des insurrections qui agitèrent 3l dépar.tements !

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. \ l l r r r r t f l , l , n ! i I t j , | ( i l r r r , r l r r L r - l , , r r r l r r r r r l l r r r b l i , i r i r r .

L'ordre moral accompagne, comme il se doit, la répres-sion. Le procureur de la Républ ique de Toulon, dans unecirculaire du 12 décembre, est très clair à ce sujet : lescabarets et les chambrées sont fermés. En effet. leschambrées ont été depuis quatre années le foyer le plusact i f dans la di f fusion des idées social istes.

Le clergé se trouvera à la tête de cette croisade, et vamult ipl ier les missions dans les vi l lages varois.

En fait, les victimes de 1851 seront réhabilitées trenteans plus tard, et le Var rural garde encore aujourd'huiune or ientat ion pol i t ique conforme aux idéaux desinsurgés de décembre 1851.

La spontanéité, I'unanimité de cette insurrection noussurprend encore. Cela est dû au remarquable quadri l lagepol i t ique mis en place depuis 1848 par des centaines demil i tants républ icains et social istes, qui surent se mêleraux artisans et aux paysans varois. Et chaque commu-nauté vi l lageoise réagit en bloc ; on n'a aucune hésitat ion

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à prendre des armes que I'on possède déjà, pour la Gardenationale ou pour la chasse.

Mais il est sûr aussi que des tensions existèrent au seindes insurgés, entre républicains bourgeois, luttant pourle respect de la légalité, de la Constitution, et ia plupartdes insurgés, pauvres, désirant I'abolition immédiate desentraves qui pèsent sur eux, luttant contre le riche et legendarme.

Jean-Marie GUILLON.

(1) " Le Peuple lrançais , a éludié la Révolution des Basses-Alpesdans son numéro 9,

(21 Zola s'est inspiré de cet épisode pour décrire la p.ise de Plassans,-v i l le bourgeoise veule et âpeurée.

(3) Nice et sa région n'ont été rattachés à la France qu'en 1960.Sourcc3.

Zola : . La tortune des Rougon .,Agulhon : - La Républ ique au v i l lage " , Plon : " 1848, ou I 'apprenl is-

sage de la Républ ique " , Seui l .Ténot : " Le coup d'Etat de 1851 en province ,.

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SUÆ tES ECFANS : LACOMBE LUCIEN

Louis Malle jette un regard théoriquement " obiectit,sur la vie d'un jeune campagnard (Lacombe Lucien)engagé dans la gesfapo un peu par hasard. Par hasard !c'esf /à que le tilm commence à nous gêner : qu'un ieunepaysan ent,re ainsi dans la gestapo, c'esf possib/e, maisc'est l 'exception. Les membres de la gestapo trançaisesavaient fort bien ce qu'ils taisaient et Ie laisaient tortbien. Là aussl /e Dâf b/esse, car c'est aussi par hasardque Lacombe asslsfe à des tortures et des séylces contreson instituteur qu'il a dénoncé comme résr's,fanf. Le pro-blème central du film est celui de la violence. Or lavlolence de la gestapo, Lacombe n'y participe jamaisdirectement : elle est suggérée ou bien le tait " desautres ". Lacombe nous paraî.t sympathique lorsqu'il joueavec une montre volée. ll le serait moins s'il détroussaitun cadavre. On ne le voit pas. Lacombe paraît rustiquelorsgu'il décapite une poule d'un coup de main. ll paraî-trait moins dr6le s'il cognait sur un résistanf comme l'onttait tous /es gestapistes. On ne le voit pas. Lacombe taitrire lorsqu'il tire sur un lapin en plein combat. ll seraltmoins sympathique s'il vidait son chargeur sur un par,ti-san. On ne le voit toujours pas, car Lacombe on ne le voitjamais dans ses aspects réellement fascisfes, on /es/aisse en demi-teinte. Non pas que l'on ait peut de vouslaire voir du sang. Vous en voyez, mais du sang de mili-crens et de gesfapistes. Le sang que verse Lacombe etses répugnants complices, " inutile " de le laire voir.Mieux, parmi les gens que Lacombe agresse, le seul quel'on voit abbattre esf un S.S.I

Louis Malle, sous couvert " d'obiectivité p et " d'é,tudede caractère D, sombre dans la complaisance vis-à-yis deson personnage do,nt /es aspecls /es p/us noirs sonloccul.tés ou /aissés en demi-teinte e.t dont /es cÔtésmièvres d'adolescent amoureux sont m/s en valeur. Dela complaisance à Ia complicité, il n'y a qu'un pas.

EN 1319 UNE SOCIETE DE SEGOURS MUTUEL

A Paris en l3l9 les ouvriers fourreurs obtiennent duroi lbrganisatio'n d'une confÉrie, qui ioue le rôle desociété de secours mutuel. " Les ouvriers fourreurcde vair de Paris, à cause de la gtande fatigue de leurmétier, tombent souvent en de longues et graves malaiii-es... ils doivent alors mendier ou mourir de misère. Laplus grande partie d'entre eux a la volonté de pourvoiraux besoins des malades de leur métie,r... aussi : chaqueouvrier tant qu'il sera malade recevra chaque semaine3 sous pour vivre, et quand il rclèvera de cette maladie ilâura 3 sous pour la semar'ne où il se relèvera et enoore3 sous pour prendre des forces, Mais ils veulent quece soit pour une rnaladie acklentelle €t non pour desblessures reçues au cours de lanrs disputes, en ce Gasils ne recevront 'rien. l,res ouvriers fourreurc qui voudront bénéficier de cette aumône donneront chacun dixsous et six deniers d'entÉe Gt paieront chaque semaineI denier. Gelui qui devra plus de 6 denierc sera exclude ce bienfait jusqu'à ce qu'il ait payé. o G'est un desplus anciens exemples d'organisation ouvrièrc.

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tPtDEiltrsmcl|0rrRAAU XlXu" SIE[tt

1832. La monarchie de juil let malque l 'avènement défi-nit if de la grande bourgeoisie au pouvoir; la révolutionindustrielle s'inslalle sur le continent : partout en Europeoccidentale la population s'accroît rapidement et régu-lièrement et les médecins se réjouissent de conslater quele temps des grandes <pestes est maintenant révolu>.La dernière de ces grandes épidémies meurtrières queI'on groupait sous le nom générique de peste (1) date deplus d'un siècle : en 1720, à Marseille et dans toute laProvence, elle avait frappé pendant deux ans pour lavingf.quatrième fois depuis la peste noire en 1348 (2).

Mars 1832, à Paris, on fête la mi,carême par une bellejournée ensoleillée. Les boulevards sont remplis d'unefoule joyeuse et masquée lorsque les crieurs de journauxannoncent la nouvelle que vient de publier le < Moni-teur > : le choléra vient d'éclater à Paris !

Pendant six mois, l 'épidémie va ravager la capitaleet se répandre dans le pays. Tout est terminé depuisplus d'un an quan,d elle surprend Marseille jusque-làépargnée.

En 1849, te fléau reprend dans l'Ouest. Àprès une accal-mie, c'est dans l',Est qu'il fait une nouvelle apparition,aussi meurtrière en 1854. Dix-neuf ans plus tard, unevague d'épidémie qui parcourt l'Europe depuis 1866 tou-che la France pour la dernière fois.

Et, malgré 1789, malgré 1830, rien n'a changé: cesont toujours les mêmes viclimes, celles qui vivent peu,qui vivenl mal, les nral vêtus, les mal logés, les mal nour-ris, les travail l leurs.

Depuis 1720, rien n'a changé : ce sont les mêmes peurs,les mêmes fuites, les mêmes haines qui se déchaînent...

Àlors on s'érnut, on fit des statistiques, on expédia desmédecins en en,quête et on s'aperçut que le mal étaitsocial et qu'i l était profond ; mais le remède n'étaitpas médical.

LA SANTE DES FRANçAISL'étu'de des < rôles de conscrits et de statistiques

d,épartementales dans les années 1820-1850 fait appa-raître une France malade, diminuée physirquement, grou-pant plus de la moitié de la population. Ainsi pour millehabitants de l 'arrondissement de Grenoble, quatre centquarante-sept seulement étaient considérés comme bienconslitués en 1841 : tous les autres présentent quelque

< La malod'ie politiqwe et la malad.ic socialese déclatant dwrs les de'ur capitales d.u rogûr-me : ù Paris Ia gueFrc civïle, à Lgon Ia gucrreservi'Ie : dans les deur cités la même lueur d.efournaise, une pouipre de cratère au front dupeuplc ; le mûdi fanatisé, la duchesse d.e Berrgdans la Vandéc, Ies complots, les conspirations,les soulèvemen1s, le cholém ajoutalent à lasombre rumeur des id.ëes le sombre tumultedu soulèuemen,t... > V. Hugo.

difformité (,maladie .des os, des yeux, maladies de peau,écrouelles, goltres, claudication, sur.dité...). L'espérancede vie moyenne d'un enrfant né cette année-là ne dépassepas 38 ans. La population du département de I'I,sère necompte que 9 % de personnes âgées de plus de 60 ans.Or, ce ne sont là que des moyennes bien générales: siI'on se penche sur l'étude des groupes sociaux, ons'aperçoit qu'à Amiens en 1830, s' i l faut 193 conscritsdes classes aisées pour obtenir 100 soldats valides, ilen faut 383 dans les classes pauvres ; qurà la mêmedate un ouvrier de Mulhouse ne peut espérer qu'unevie moyenne de 22 ans.

La mortalité infantile frappe également bien davan-lage les couches populaires:

< Tandis gue dans les familles de négociants, dra-piers, directeurs d'usines, la moitié des enfants n'at-teint pas la vingt-neuvième année, la moitié c€sse d'existeravant deux ans accomplis dans les familles de tisserandset d'ouvriers des filatures de coton > (3).

Les enfants qui survivent sont souvent rachitiques,scrofuleux, phtisiques (4) :

< Ils sont ehétifs, vieux et ridés ; leur ventre est groset leur's memtbres émaciés ; leur colonne vertébrale estcour.bée ou leurs jambes torses. Leur cou est couturé ougarni de glandes ; leurs doigts sont ulcérés et leurs osgonflés et ramollis < (5).

Les adultes ouvriers ne présentent pas un spectacle plusré jouissant :

< Dans cette partie de la population, les personnesvalides elles-mêmes sont languissantes ; leur teint estblafard, leur maigreur est extrême, leur démarche lenteet maù assurée >.

Les causes de décès les plus fréquentes (hormis lesaccidents et maladies professionnelles) sont la phtisieet les maladies pulmonaires (36 % des causes de décèsdans I'Isère en 1841) dues à des conditions de logementtotalement insalu,bres, et les colites, gastrites (21,5 %) duesà une alimentation le plus souwnt défectueuse.

LES TAUDISC'est un phénonrène généralisé à cette époque aussi

bien dans les villes industrielles où I'urbanisme est in-connu que dans les bourgs de campagne. Villermé a décritles caves et les greniers de Lil le :

B U L L ETI N D' ABOT N E frl E TTTATTENTION : les numéros I à 13 sont épuisés

Nom . . .PnÉnom

A d r e s s e . V i l l e . . . . C o d e p o s t o l

Profession

t - l Je m 'obon 'ne ô por t i r du numéro Uno,n : 12F-Sout ien : 15F-Et runger : 15 F

D Je souscris un obonnement-diffusion (50 F). LE pEupLE FRANçAIS . G.c,p. 209r-2s pARts

r9

Page 20: REVUE D'HISTI)IRË POPULAIRE

< Les plus pauvres habitent les caves et les gr€niers.Ces caves n'ont aucune communication avec I'intérieurdes maisons ; elles s'ouvnent sur les rues ou les courset I'on y descend par un escalier qui est très souventà la fois Ia porte et la fenôtre... Il s'en trouvait en 1828jusqu'à 3.687 logés dans ces caves souterraines sans air,étroites, basses, privées de jour, où règne la malpropretéla plus dégoutante, et ou reposent sur le même grabal,les parents, les enfants et quelquefois les frères et sceursadultes. > Dans les cours s'entassent les immon'dices, leségoûts sont insu,ffisant.s, les latrines communes dégagentdes odeurs insupportables. Tous les quartiers industrielsse ressem,blent dans celte misère :

< J'ai vu à Mulhouse de ces misérables logements oudeux familles couchaienl chacune dans un coin, sur de lapail le jetée sur le carreau et retenue par deux planches.Des lam,beaux de couverture et souvent une espèce dematelas de plume d'une saleté dégoûtante, voilà ce guerecouvrait cette pail le.>

Les bourgs de campagne ne sont pas mieux lotis. Unrapport officiel fait état des logements d'Allevard en1851 (Isère) :

< La plupart des maisons construites en contrebas desrues ne reçoivent le jour que par de petites ouvertures ;les rez-de-chaussée. semblables à des caves très humidesservént d'habitation aux brebis, aux chèvres et aux porcset à la classe peu aisée des habitants. Les propriétaires deces animaux entassent dans ces locaux le fumier qu'ilsdoivent employer â la culture de la pomme de terre. Il enrésulte que la plupart de ces habitations renferment unmélange de crétins, scrofuleux, et d'individus dont la facepâle et bou'ffie, la marche chancelante présentent le spec-ta'ce d'êtres qui ont à peine forme humaine, >>

Au prlntemps de 1832, quoique depuis troismois le choléra eût glacé les esprits etjeté sur leur agitation je ne sais quel morneapalsement, Parls était dès longtemps prêtpour une commotion... En juin 1832, l 'étin-celle fut la mort du général Lamarque. Le5 juln donc, par une journée mêlée de pluieet de soleil, {e convoi du général Lamarquetraversa Parls avec la pompe mi,litaire offi-clelle, un peu ôccrue par les précautions...

LA MALNUTR,ITIONLa constitution physique des gens du peuple est rendue

plus faible encore par la mauvaise qualité et I'insuf-fisance de nourriture.

En général, l'alimentation ouvrière se compose de pain'de soupe, de pommes de terr€, de quelques légumes, defromage, lait et charcuterie. Le nombre de calories absor-bées par jour €st à peine suffisant : 2.500 calories pour unouvrier imprimeur de Grenoble dont voici le menu lypee n 1 8 5 2 :

matin : soupe, un quart de vin,Midi : une ration de viande, un€ ration de pain, un

quart de vin,Soir: un potage, un quart de vin.Pour un professeur de l'école professionnelle à la même

date le menu d'une journée fournit 4.175 calories :Matin : un demi litre de potage, une demie portion de

pain, un quart de dessert.Midi : 130 grammes de viande, une demie portion fle

légumes, dessert, pain.Soir : un demi l itre de potage, viande ou poisson, une

demie portion de légumes, dessert. Un litre de vin parjour.

De plus, les repas sont mal équilibrés (manque de pro-téines) et les alirnents de mauvaise qualité : le pain com-posé de farine de seigle ou d'orge ou d'avoine mêlé defarine de fève est rendu plus blanc par adjonction desulfate de cuivre. f)ans les campagnes où on le fabriqueà I'avance, on le déguste souvent moisi. Le poisson quiarrive dans les villes est conservé dans I'alun ou le sulfatede zinc. Le lait est souvent coupé d'eau à 50 %, Iespommes de terre arrivent germées ou fermentées, le vinai-gre, le vin sont additionnés d'acide sulfurique. Les fruits

Et tout à coup on vit du côté opposé auquoi Morland un escadron de dragons quiétait resté dans la caserne déboucher bou-levard Bourdon, et balayer tout devant lui...

Victor Hugo - . Les Misérables '.Vient de paraitre : Victor Hugo :. CEuvres romanesques complètes ',Edit. livre Olub ,Diderot - 4 volumes.200 F pour les lecteurs du . P.F. '.

DBUIL DES CITOYEI\S IIRANCAIS 'a ta MORT Ilu GEI\ERAr., 1,411{ARQtiE

Dôaaik intérettdr tut set tlemhn mmcnr. -.Touclnus *licat airvs,tlt à l,t patùo. - Regreu erprimàt .:t tet dnii. - Drrrt fuirin,ércssaw tt la oi. nilitain ic liilûæ g;aéraL - Jotr û leurt lu Contoi Elt qu'ilr ont cu lici,lit 1,ar la æunirnttr 'le

actb aWë céréMniC.

Quelques libroiries (suite)

REIMS : l:E GFAND JEU, 51, rue Colbert.RENNES : LE MON'DE EN MAROHE, 37, rue Vasselot.ROUEN : L'ABMITIERE, 12 bls, rue de l 'Ecole.STRASBOURG : L,lB. MZAR, 1, rue des Veaux.TOUTOUSE : OEMAIN, 30, rue Gatien.Arnoult.IOURS : LA BOIIE A LIVBES, rue des Halles.

EIBANGER :GENEVE : . LE TAMC DU BOUTLEVABD ,, 13, M G.-Favon.TONDFES : COLI"FCT'S LONDON BOOKSHOP, 64-66, Char-

i'nyCross - W.C.l.TBEVES (8.F.â.) : KARL.MARX BUGHHANDLUNG,

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Le Peupte fronçois - B.P. 26 -g2lg} MEUDON

20

Page 21: REVUE D'HISTI)IRË POPULAIRE

qui parviennent sur la table de I'ouvrier sont soit verls,soit pourris; la viande non contrôlée coûte moins cherquand elle provient d'animaux malades ; même saine audépart, elle séjourne trop lon'gtemps dans des triperiesmal aérées. Dans les campagnes, la situation n'est pasmeilleure pour le journalier qui consomme des produitsplus frais mais beaucoup moins variés.

Si I 'on ajoute à ce tableau des conditions de travailextrêmement pénibles, sans aucune hygiène, des horairessupérieurs à 15 heures par jour, I 'alcoolisme et la prosti-tution généralisés, le tout aggravé par Ia dépression éco-nomi,que de 1829-1832 et la recrudescence du chômage,il est aisé de comprendre que le choléra ait été ( cettepeste du peuple qui se meurt seul et le premier >.

LE CHOLER,A DE 1832.1834< 'Henri Sauvageot, âgé de 39 ans... est tombé malarle à

E heures du matin. Lorsque je suis arrivé à 3 heures deI'après-midi, i l était dans lttat suivant : face grippée,teint l ivide, yeux enfoncés êt cernés par un cerne noirâ-tre, paupières fermées, bras et jambes contractés et dou-loureux, mains et pieds ridés, desséchés, régions clavicu-laires, ventre, cuisses et jambes cyanosés, cris plaintifset étouffés, respiration laborieuse, chaleur assez forte...mort à 4 heures >. Ce constat de décès rédigé par unmédecin de Grenoble marque le début de l 'épidémie danscette vil le oit elle causa la mort de cenl onze personnes,Venu des Indes où i l apparait en 1817, le choléra gagnela Russie, la Pologne, l'Allemagne ; il éclate en mars ài'ans'le jour de mi-carême et y dure six mois et sixjours; i l se propage très inégalement dans toute laF'rance : Lil le, Le Havre, Rouen sont très touchées tandisque certaines campagnes et quelrques ports réussissent àliùrii:er au maximum la diffusion du mal : à Bordeaux. onrre compte qu'une centaine de malades tandis que Mar-scil le et les vil les du midi se souvenânt des grandes pestesd,e 1720, organisent un cordon sanitaire infranchissable :i l est interdit à tout harbitant de sortir, à tout étrangerd'entrç.r ; la mise en quarantaine est obligatoire et ontire à vue sur quiconque tenterait de briser le cordon,

A Paris, le choléra connaît une progression fulgurantejusqu'en..juin : on compte 13.901 morts pour cette période.Puis il diminue progressivement jus'qu'en septembre :4.501 morts pour cette seconde période. Durant les pre-miers mois, la capitale présente le spectacle d'une vil lemalade où chacun se terre, rentre .à I 'approche de la nuittandis que les convois de conbil lards nô suffisent plrrs àenterrer les morts :

r On eut recours à des fourgons d'arti l lerie rnais leurbruit de ferraille empêchait les gens de dorrnir et, cesvoitures n'étant pas suspendues, les secousses qu'ellesimprimaient au cerceuil en déchiraient les planches, enchassaient les corps et laissaient échapper un liquideinfect gui se répandait dans les voitures et sur lepavé > (l).

A Lil le, l 'épidémie qui dure de mai à novembre. touche1.619 personn€s, causant la mort de 706 d'entre elles.Le point crucial est atteint au moment des grandes cha-leurs d'aott.

Marseil le et les vil les du midi qui s'étaient protégéesdu fléau jusgu'en 1833 et avaient enfin abandonné leursmesures de surveillance le voient surgir le 7 décem,bre1835 : le mistral que l'on croyait salvateur provogue leredou,blement du mal en été. A I 'automne 1835. toute vieéconomique est arrêtée dans le midi.

c CETTE CLASSE QUI N'A EN PROPREQUE SA MISERE... D

Le choléra ne frappe pas lout le nronde avec une égalevigueur; curieusement i l atteint davantage les personnes

en pleine force de l'âge plutôt que les enfants et les viei'l-lards. Il touche plus les femmes que les hommes : à Lilteon compte deux fois plus de décès féminins que mâscu-lins. Mais ce sont surtout des di'fférences sociales qui appa-raissent : le choléra, c'est le mal du peuple.

A Paris, le 28 mars, le journal des débats explique :c Tous les hommes atteints de ce mal épidémique mais

que I'on ne croit pas contagieux, appartiennent à la classedu peuple; ce sont des cordonniers, des ouvriers quitravaillenl à la fabrication des couvertures de laine. >

Partout, ce sont les plus pauvnes qui sont le plus tou-chés: les journaliers (guatre-vingt décès pour mille), lescouturières (quarante-neu,f pour mille), les portiers, blan-chisqeurs, cordonniers (lrente-cinq pour mille), les sans-logis, Ies chômeurs décrits par le rapport officiel : < Sansdomicile fixe, sans travail assuré, celte classe qui n'a rienen propre que sa misère, après avoir erré le jour sur lavoiô pûblique, se retire penllant la nuit dans d-es maisonsgarnies des différents quartiers de la capitale. >

Il est malaisé de différencier les quartiers parisiens carla population est encore très mêlée en 1832 ; toutefois,les quariiers du centre et de I'est (Hôtel de ville, Cité,Arcis) les plus populeux sont aussi les plus touchés(cin'quante décès pour mille habitants).

A Lille, la différence est plus nette : ce sonl les couréesouvrières qui voient la plus forte mortalilé.. A Marseille, à Toulon, le choléra frappe surtout lesquartiers des marins, de prostituées et des ouvriers desârsenaux.

Le choléra à Marseille : nom'bre des décès par catégo-rie socio-professionnelle :

Face au fléau, les pouvoirs publics marquent suntoutleur impuissance ; on ignore souvent la cause du mal eton se contente de quelques mesures d'hygiène. A Paris,on visite les maisons, on distribue des vêtements, ontente d'assurer efficacement le ramassage des morls. Al,i l le, on badigeonne les maisons ouvrières au lait dechaux, on surveil le les commerces alimentaires, on donnedes conseils de balayage. A Marseil le, en 1832, les mesuresdraconiennes sont efficaces mais en 1835, au plus fort del'épidémie, le Préfet est absent, de nombreux mernbresde la municipalité à la ccampagne). Les médicaments sontpeu nombreux et éclecti,ques (huile d'olive, charbon,bain d'étuve...) et leur prix augmente vertigineusemenldès les débuts de l'épidémie.

La France malade est livrée à elle-même et les antago-nismes lalents éclatent, les grandes peurs reviennent.

LA FUITE DES NANTISDès les premières apparitions du fléau, l'attitude des

bourgeois est la même dans toutes les grandes villes : lafuite. A Paris, dans les premiers jours d'avril 1832, oncompte 7 000 départs guotidiens ; à yarseille, au moisde décembre 1834, 10 000 bourgeois partent vers Aix,Arles, Toulon ; au plus fort de I'épidômie, une secondeémigralion de 25 000 personnes provoque I'arrêt de touteactivité dans la vil le, tandis que les ports de la côte sevident à leur tour. Dans le c Hussard sur le toit >, Gionoa tenté une description de la panique qui règnait alorssur le midi.

Mais la peur des bourgeois n'est pas seulement celle dufléau ; c'est aussi la peur du peuple, de ces classes labo-rieuses qui peuvent devenir si dângereuses en te.mps decrise. A Paris, on fait remanquer que le choléra a juste-

En tail, diverse! épidémi€s : choléra, typhus, peste.Cf. . Peuple trançais ' no 12.Vlllormé - Tableeu physique et moral des ouvriers,Tùberculoso.Rapport des médscins de l'épidémie de Lllle.

Repporl sur la sâ|tlé publique sn lsère {Archives).

PROFESSION

d6c.-mars 1835 mars-sepl. 1835

I)rofessionsCommerçanProfessions

libéralest s . . ,mécaniques

528162

195

198220401

I 004Salariés

2l

Page 22: REVUE D'HISTI)IRË POPULAIRE

n len t su iv i le t ra je t r les r i ' vo l t r t ions : de la ' l )o logne à lal lelgir;ue en l)assant par I 'Al lernagne pour atteindre lel 'a r i s des < Tro is G lor icuses > . On c ra in t les vo ls , lesp i l lages , Ies ênreutes e t la co lè re du peup le q t r i se vo i tser r l touché. Cet te psvchose n te t t ra longten tps à d ispa-ra i t re : lo rs r l ' une nouve l le ép idénr ie en l l i . l 9 , un journa lt l r r Havre no tc la < co inc idence en l re la recrudescencedu cho lé ra e t les in r lu ié tudes susc i tées par les rouges .I 'a rn r i les nouvea l rx cho lé r iques , beaucoup de ces in fo r -tunés ê ta ien t por teurs r le jo r r rnaux soc ia l i s tes les p lusa v a n c é s . . . > .

< . . . n ra is I )a r is n ra lade. I )a r is jndoc i le . , . >

Le nral choisi ses vicl inres : i l épargne les r iches etfrappe les plus p:ruvres, cerrx rpri ne peuvent se soignerfaute de payer le rni 'derr in et Ies nrêdicarnents hors depr ix . A lo rs , dcs br t r i t s co ,n)nrencent à c i rc r r le r dans lesrluart iers populaires : on parle de conrplots, dq tenta-t i ves d . 'enrpo isonnenrent ; on accuse les bourgeo is t le vou-lo i r par ce moyen ex ter r r inê les p lus démrrn is , La nu i t ,à l)aris, les agressiôns, les assassinats se mult ipl ientcontre les << etnpoisonnertrs >. A l- i l le, les orrvriers accu-sent les pa t rons d 'avo i r appor té le po ison dans les fabr i -< lues ; i l s re fusent d 'a l le r aux d is t r ibu t ions de soupe de lat r tun ic ipa l i té e t de se fa i re so igner à I 'hôp i ta l .

A Par is , c : 'es t b ien ta) t la révo l te ouver te : en avr i l 1832,r rne conrpagn ie p r ivée ob t ien t le rnonopo le de ranrassagedes ordures, l ,es chi, f fonr' iers r lui voient ainsi disparaîtreleur gagne-pa in r léc lenchen l une énreute <1u i se propagcdans les quar l ie rs popu la i res penr lan l deux jours , tand isr lue les p r isonn iers de Sa in te Pé lag ie se n)u t inent . l )ansles jours qu i su ivent , que lques nrassacres co l lec t i f s on tl ieu ; La l roupe es t n rob i l i sée jour e t nu i t ,

Au rno is de ju in , à I 'occas ion des funéra i l les t l ' un géné-ra l d ' I in rp i re , la révo l te éc la te : ce n 'es l p lus seu le r r ren tle cho lê ra ; la co lè re popu la i re dev ien t po ' l i t i que .

I )ans les < Misérab les > . V ic to r Hugo r léc r i t les fa i ts :< Le 5 ju in , par une journée nrc l lée r le p lu ie e t de

so le i l , le convo i ( lu généra l Lanrar t ;ue t raversa Par isavec la pornpc n t i ' l i ta i re o f f i c ie l l c . Deux ba ta i l k rns , lanr -bours r l rapés , fus i l s renversés , d ix n r i l l e gardes na t io -naux , le sabre au cô té , les ba t te r ies d 'a r t i l l e r ie de lagarde na t iona le escor ta ien t le cercue i l , . . I ' u is vena i t r rnernu l t i tude innontbrab le , ag i tée , é t range, les sec t ionna i resdes << Anr is du l )eup ' le > , l ' éco le de l ) ro i t , l ' éco le de Méde-s ine , les ré fug iés t le tou tes na t ions , tou tes les bann ièresposs ib les , des en fan ts âg i tan t des branches ver tes , desta i l leurs de p ie r re e t r les charpent ie rs qu i fa isa ien t g rèr 'een ce iemps-Li, des inrprimeurs reconnaissables à leursbonnets de pap ier . . . sur les cont re -a l lées , dans les b ran-ches des arbres, aux balcons, aux fenètres, sur les loi ls,les yeux fourmi l la ien t . Une fou le a rnrée passa i t > .

Le cor tège t raversa len lement l )a r is jusqu 'à I 'esp lanadedu pont d'Austerl i tz. l ,a F'ayette f i t un discours d'adieutand is que de la fou le surg issa ien t un drapeau rouge;des cris s'élevèrent : < Lanrarque au Panthéon ! LaFa1 'e t te à I 'Hôte l de V i l le : < La fou le s 'ébran la à nou-veau mais en face les d ragons a t tenda ien t ; t ro is coupsde feu furent t i rés ; les pierres se mirent à pleuvoir, lafusi l lade éclata, la foule se dispersait en criant : ( Auxarmes !> . Pendant de t rx jours , le cent re de la cap i ta le secouvrit de barr icades ; leur défense êtait souvent orga-nisée par des sociétés secrètes républicaines. La GardeNationale de banlieue fut mobil isée ; les troupes com-mandées par les gênéraux Rugeaud et Lobeau donnèrenlI 'assaut f ina l aux insurgés . La première insur rec t ion durègne de Louis Phil ippe, ( la meil leure des républiques >selon La Fayette, venait d'être noyée dans le sâng. Lamôme année, à Lyon, les canuts s'emparaient de leurvi l le.

l ,e choléra continuait : sans être directement respon-sable des événements, on ne peut nier qu' i l avait mis ànu d-es inégali tés monstrueusès que la iévolut ion esca-motée de jui l let 1830 avait tenté de faire ou,bl ier. Le véri-

\). f" ) l

r'(},srtrtl*t p Rt:rifi fl.\'a{'I l' f oNT'll *l L F: ['tt(Dt,f; RA

lable rètr;ne t le la monarchie bourgeoisc contntençait en1832 quand Guizot (8) effrayé, s'écriait : < la civi l isal iondor t s r r r une mine imnrense de barbar ie > .

LE CHOLERA DE 1854La leçon de 1832-35 n'avait pas suffit. On fit queklues

ten ta t i ves d 'assa in issenrent dans les p lus g ran t les v i l les ,n ra is ancune po l i t ique soc ia le , aucune po l i t ique du loge-nren t ne fu t m ise en p lace pour au tan t . I in 1849, tand is qucla Seconde République tentait d'asseoir le nouvel ordrebourgeois après l 'êcrasenrent de I ' insurrection ouvrièrcde juin 1848, le choléra qui frappe à nouveau I 'Ouest dela France, touche à nouveau les plus déshérités. l ,e J)art ide < I 'ordre > le présente conlnle un ult irne châtiment des<( rouges >. En 1854, les descript ions des docteurs Vi l lerméet Dupout sont loujours valables, ( l 'est le .second l impirebâti sur les ruines de la Seconde Républi ,que. I-es armôesde l -ou is Napo léon se ba t ten t en ( l r in rée cont re ce l les duTsar . ( le sont sans doute des so lda ts de ce t te a rméed'Orienl qui colportent le f léau qui touche à nouveautoute l i l iurope. En France, i l arr ive par le Nord et serépand dans lou t I 'Es t ; i l touche le mid i en ju in pu istraversant le Sud-Ouest, i l arr ive à Bordeaux. Paris cstbeaucoup nro ins a t te in t qu 'en 1832.

Au total, de mai à octobre 1854, la nouvelle épit lémicfait 203 000 morts ; la Haute-Saône, un des départementsoù el le dure le plus longtemps, compte 8 522 décès. Anouveau, I 'histoire se répète : à Valence, < en vi l le, dansles quart iers pauvres oir les secours n'existaient pas, lamortal i té fut plus grande>. A Grenoble, le 4 août, ce sontdeux ouvriers qui sont les premières vict imes, le 7, rrnmineur ; au to ta l , sur 111 décès pour la v i l le , < tous , àtrois exceptions près, appartenaient à la classe ouvrière. >

Le régime musclé de l lEnrpire autori taire venâit des' instal ler en brisant toute résistance populaire ; i l n 'y eùtpas d'émeutes.

Moni,que BAUDOUIN.

z,Éo.0,

.9o

(7) Rapport officiel sur l'épidémie à Paris.(8) Minist re de Louis-Phi l ippe.

BIBLIOGRAPHIE

Le choléra, première épidémie du XIX: sièclo. Louis Chevalier. Colloquê.Class€s laborièuses, classes dangereuses. Louis Chevalier.La santé publique dans l'lsère au XlX. siècle. Oocumenls d'archives.Le choléra dans la Orôme en 185/1.Docum€nts et mélanges publiés à I'occasion de la maladie asiatique de1831. V. Bally.Tableau physiquo el moral de! ouv?iers. Villerm6.Les Mi36rable3. V. Hugo.

rÈ'Jxr',.1-;r i'

22

Page 23: REVUE D'HISTI)IRË POPULAIRE

TUEZ-LES TOUS!IIILE C'OlrlBAT DES GO}I}IUNES DU llllDl

AU XIIIè'"C STÈCLEprud'hommes élus au su,ffrage universel. A la fin du XII"siècle ce qui n'est qu'une brise légère devient le grandvent de l iberté qui dote les vi ' l les d'institutions populairesreprésentatives ét les campagnes de chartes d'âffianchis-sement.

Le midi est le pays traditionnel du droit écrit. Les cou-tumes y sont rédigées, les l i,bertés des habitants codi4iées,les devoirs et les l imites du pouvoir du seigneur régle-mentées. Le droit coutumier àu nord perméttait tou"tesles exactions : i l suffisait qu'un précédônt ait existé demémoire d'homme pour qull fasse loi. Anecdote svmbo-lique : A Ardres sur les teires d'un seigneur les hali itantsse plaisaient à voir combattre un ours contre des chienset apportaient de la nourriture pour la bête, celle-ci mortele seigneur continua à exiger qu'on lui l ivre les victuail les.Le droit est ici ,le droit du plus fort. Dans les pays langue-dociens, au contraire, la règle < Nul seigneui sâns tilress'oppose à la règle du Nond >, < Pas de terres çans sei-gnèùrs >. Le seigneur est ici obligé de justif ier aù moyende documents ses droits sur telle ou lelle terre, Le recoursà la force brutale qui a fait la puissance de grands commeles comtes de Neveis ou de Bo-urgogle est ic-i exclu.

Le pouvoir seigneuria,l est affaibli par les règles de suc-cession en usage dans le midi. Par contre le droit d'ainesseen usage dans le Nord réservait au fils aîné la totalité del'héritage, évitant ainsi le morcelloment des terres et desdroits de justice qui s'y rattachaient. Dans Ie midi la règleest le partage indivis entre tous les hérit iers, et en l 'Cb-sence d'héritiers directs, la liberté testamentaire. Ainsi lavil le de Mirepoix aura 32 co-seiqneurs. autrement' dit32 personnes

-à se partager les dioits de justice, seule

garantie pour un seigneur de se faire respecter !!a condition des personnes s'en ressent. Dans le nord,

le Beauvaisie notamùent. tous Ies Davsans ont été réduitien servâge ou vilainaqe (4). Dans lês bavs de olaine. dansla région de Toulous-e et' dans les r'égions li'ttoral&, onestime que la moitié des Daysans sont des hommes librespossé'dait en toute propfiéié des terres l ibres de touteiedevance : les alleux-. Dâns les pavs ariégeois les seisneurssont dits < seigneurs des principâux alléux > et la"servi-tude et les corvées sont ineÎxistanies. C'est dans ces régionsque se retrouveront les plus iarouches adversaires de lacroisade. La condition des non libres est elle aussi. plusdouce que celle des serfs ou des viùlains de l'Ile-de-Fra-nce.Par exêmple, lorsqu'un seigneur installe un paysan surune de ses tenures, un document doit être établi prouvantet la propriété éminente du seigneur et la concess:ion qu'ilen a faite au tenancier, qui se trouve protégé contre tôuteespèce d'expulsion arbifraire. Quant- à I 'héritage d'unetenure concédée, i l est admis et un tenancier peu léguerlibrement m,ême en dehors de sa famille ! A

-LorriJ en

Gâtinais, au sud du bassin parisien, dont la coutume a étérédigée au XIV' siècle, i l est au

'contraire précisé cue

< inslilulion d'héritier n'a Doint lieu selon là coutumè>et seul Ie leg d'un quart de la tenure est toléré. Enfin letenancier méridional a le droit de vendre la tenure sanspasser par I'intermédiaire du seigneur.

Que s^e _passe-t-il si le tenancier ne peut payer ses rede-vances ? Le droit généra'l de la France eSt

-en ce cas le

< retrait féodal >, la terre est reprise au tenancier qui enes! chasse. Au mieux, c'est le cas de Lorris au XIV. ôiècle,elle ne pourna être récupérée qu'au mom'ent de I 'héritage.Dans le-midi pour juger-un tel-cas le seigneur doit passerpar une cour féodale ou bourgeoise instituée par les char-tes de cqmmune qui est seule habil itée à renïre un juge-me-nl. Elle pourra- d'autre part intervenir si elle jugé ïesredevanc€s troD éIevées.

Les serfs soni nombreux sur les ùemes de Toulouse. maisleur condition est beauconrp plus douce que celle des serfs,du Comte de Bourgogne'gr i i conduira 'une des pr inc i -

Le 10 nrars 1208 le l )ape Innocent l l l appe l le tous lesse igneurs de la chré t ien té à p rendre la c ro ix pour < dd-truîre tout ce qui rësislerait 'de Montpel l ier ju'sqtt 'à Bor-deantx>. Tout noble r lui se croisera verra ses péchésabsous et recevra le droit de s'emparer des donraines etdes biens des hérétiques. Cet épisode, connu sous Ie nonrde < Croisade des Albigeois > verra après un demi-siècle de nlassacres, de destructions el de persécutions, laf in de I ' i ndépendance du Languedoc e t sa réun ion audomaine du Roi de France.

Indépendants . face aux grandes monarch ies européennes(France, Al lenragne, Angleterre, Aragon) les états descomtes de Toulouse, des vicomtes de Béziers, et des comtesde Foix apparaissaient comme une terre de l i trerté, com-posée en r irâjori té d'hommes l ibres, de tolérance rel igieuseoù juifs, cathares et cathol iques vivaient en bonne entente.Jamais encore la féodali té n'avait pu s'aff irmer complèle-ment. Non que les seigneurs occitâns (1) n'aient songé r iimiter leurs pairs du Nord, mais i ls n'avaient ni le pou-voir ni la force d'en faire autant.

< Pourquoi donc, demande I 'Evêque Fou' lques, ou che-ual ier Pons Adhémar ne pas disperser les héréIiques el lesetpulser d.e uos terres ? Nous ne Ie ponuons pas, répond-il..Vous auons ëtë éIeués auec eur, nous auons parnti eu.r denos parents et nous les uogons uiure honnêtentenl. >> Lesse igneurs occ i tans de concess ions en concess ions en fu ren tamenés à devenir sol idaires de leurs peuples, qui refusaitla tutel le de I 'Egl ise cathol ique (2).

LES LIBERTES DU PEUPLEBéziers 1167 : Rayrnond Trencavel, Viconrte de la vil le.

accompagné de ses chevaliers vient denrander pardon auxbourgeois (3) assemtblés devant la cathédrale. ll vientréparer un affront fait par un de ses hommes à un bitte-rois enrôlé malgré lui <ians ses troupes qui allaient cont-battre le comte âe Toulouse. Le bourgeoii qui avail mani-festé trop haut sa lassitude des guerres cdntinuelles quese faisaient les comtes et vicomtes de Toulouse, Foix etBéziers, avait été jeté en prison. Pour le peuple bitteroisc'est une atteinte intolérable aux libertés de là ville dontla prospérité est constamrrnent mise en cause par ces guer-res féodales. Leur colère explose; i ls ne se conlenterontDas celte fois-ci des excuses du vicomte Ravmond qui estinassacré avec tout ses chevaliers Dar la ponïùation. buantà l 'évêque qui prenait le p'arti dû comtè, i l aura, à-titred'avertissement, les dents méticuleusement cassées.

En Languedoc, la moitié de la population était decondil ion l ibre, possédant des < alleur > (terre en toutepropriété, l ibres de toute redevance féodale) alors quedans le nord sous la pression des invasions normandes etdes guerres continuelles, I ' insécurité avait poussé IesDavsans libres à <'demander > la < protection > des ouis--sants.

Protection qui se payait par' l 'abandon de la'pro-priété de la terre aï seigierir, et-amenant le paiement'desredevances féodales (tail le, cens et corvées) en mêrnetemps que la réduction en servage de certains paysans. Lesseigneurs occitans avaient échoué dans leurs tentativesd'implantalion de cette féodalité. qui dans toute l 'Eurooes'affi imait. Voilà quelle était la-vériiable hérésie langu'e-docienne : i l fall 'ai l en finir avec cet abcès de l iberté- aucæur de I 'Europe au moment où les nrétentions interna-tionales de l 'église catholique, se marii,festaient (les croi-sades) .

Les ,l ibertés que le peuple se permet peut constituer unexemple conlagieux au moment ofi la France (du nord) estsecouée par les premiers mouvements d'indépendancecommunale. (Voir Le Peuple Francais n' 12 i|.a com-mune du Laonnais ) 1174):

Béziers s'affranchit dès 1131. A Ninres depuis 1124, lesaffaires de la commune sont réglées par rin conseil de

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à Mirepoix, précisent que cette entrée en servage ne peulêtre que volontaire et faite devant témoins. (c'est souvenlêtre qde volôntaire et iai te devant témoins, (c'est souventle seul recours pour des Daysans ruinés) et que la comnru-le seul recours pour .des-.paysans ruinés) q! gt. la.conrnru-nauté peut rendre la l iber té à tout ind iv idu rédui l cnservage par la force.

Une fo is do té deUne fôis doté de terre par son maitre, le serf pourraune lors dote oe terre par son n)artre, Ie serl Iconclur-e des contrats d'exploital ion-av.ec d'autres paconc lune oes con l ra ls d 'exp lo l la l lon avec o 'au l res pàysâns ,la gérer conln)e i l I 'entend et nrème la vendre. Le serf peut

pales armé_es.croisées en l-anguedoc. I"e. lgrvâgg y est làgénêral, et la coutume rédigée en 1459 précise ( lue< I 'honrme de mainmorte ( le serf) ne peut preserire ouacquërir franchise ou l iberté contre son seignettr et laps detemps ne peut lui prof i ter quelque part qu' i I ai l le demeu-rer> . Généra lement le ser f appar l ien t à son se igneur e lne relève même pas de la just ice coutumière conrme levi lain. et est < tai l la,ble et corvéable à merci ".A Tou louse, le ser f n 'es t que <ser f de corps>. I I n 'es lpas attaché à la tene, mâis ( app,afr ient >, âvec sa fanri l leà son maitre qui peut être ici un seigneur ou un quelcon-que bourgeois. Les coutumes, notal lment à Toulouse et

bule les trois part ies, moines chevaliers et bourge-ois rec-on-naissent quc ia présente coututl te vient t lu peuple cl n'estpas une grâce âcs se igneurs . Dans I 'a r t i c lè 1ô ( Ies se i 'gneurs pi i tnteltent de né point tuer ni faire uiolence à leursirr jets >. l) lus loin on interdit âux sei i lneurs d'avoir recou! 'sà des rou t ie rs pour rêg le r leurs d i f fé ren ts . Ma is pourvut t t r ' i l s v ienncn l pac i f iquc t t ren t les é t rangers son l par to r t tb icn accue i l l i s e i l i b re .s de s ' ins ta l le r sur les te r res de lacornnrunau lé . I I s 'ag i t là d 'une réac t ion cont re le d ro i td 'auba ine , courant dans le nord , qu i donna i t aux se i -gneurs le pouvo i r de percevo i r des tàxes spéc ia les sur lesètrangers,-de s'approprier leurs héri tages et _mème qrterl-quofo is de les rédu i re en servage. Dâns le mid i , de n tênredu ' i l n ' r 'â âucune d isc r im ina t lon cont re les non-ca tho-l iques i j r r i f s , ca thares e t vaudo is ) les é t rangers on t lesdri l i ts des aulres nrenrbres des communautés rurales ouc i tovens des v i l les ,

U-n certain notrrbre d'art icles sont ensuite consacrés à Iaréglenrentation des droits féodaux. Si le servage esl rnain-tenu, sa por tée es t cons idérab lement a t ténuée, e t les cor -vées son l - inex is lan tes . Cer ta ines char tes f i xen t le p r ix dcsredevances en ârgent e t des dro i ts de jus t i ce perçus par lese ignet r r , Pour tous la l iber tê de c i rcu la t ion es t é tab l ie , e tbeaucoup de char tes fon t n rônre ob l iga t ion âu se igneurr l 'escor tè r le tenanc ie r qu i veu t qu i t te r la communauté jus -qu 'à deux l ienes du v i l lage .

Une source de revenus par t i cu l iè ren len t luc râ l i ve es tencore en levée aux se igneurs : leurs n ronopo les du foure t du nrou l in e t I 'ob l iga i ion de I 'u t i l i se r en pa- \ 'an t . AMi repo ix le four se igneur ia l n 'es t mâ in tenu qu 'en v i l le ,son pr ix es t d ,e un pa in sur v ing t . Ma is dans les canrpâ lanesla uossession des fours est l ibre. De même Dour les terrcscor i rn runa les ou le d ro i t de pêche, de chasse, de g lanàge es tsouvent usurpé ou vendu par les se igneurs ; les char tesen t lonnent i c i l i b re d ispos i t ion aux hab i tan ts .

) la is tou les ces con<Juôtes aura ien t é té rédu i tes à néant

accéder aux fonctions administrat ives et on trouve r lesser fs p rô t res ou o f f i c ie rs mun ic ipaux .

l)ès 1178, Roger Trencavel supprime le servage à [, i -moux ; en 7202 Raymond Roger fait proclanrer <;ue toulserf venant s'établ ir à Béziers est l ibre. A ' l 'oulouse lesconsuls prennenl sous leur protection les serfs étrangersréfugiés dans la vi l le.

Les redevanccs acqu i t tées par les ser fs e t les v i la inssont de même nature que dans la France du nord : cens ,ta i l le , bana l i tés . Ma is e l les ne peuvent t l t re ex igées sanst i t res e t deux choses sont à no ter : les corvées sontt rès fa ib les car les se igneurs on t ra renrent de dorna inepropre à faire cult iver, i ls vivent généralenrent des rede-vances en argent p rovenant des tenures . Ce qu i exp l i t lueen par t ie la par rv re té de la nob lesse mér id iona le .

Aut re carac t i r i s t ique : les l im i tes soc ia les en t re nob les ,bourgeo is , ro tu r ' ie rs , -sont t rès f loues . Dans le n t l rd la cor r -tunre-es t t rès s l r i c te sur ce po in t : < nu l ne peut ten i r f ie l. s ' i l n 'es f nob le , . Dans le rn id i au cont ra i rè on vo i t desbourgeois tenir r les f iefs et des nobles occuper des lenuresà cens et pavcl des redevances. Ires c,harges t le roturierspèsent souvent auss i sur les nob ' les : à Caussat le r lans leQuercy i l s do ivent payer pour se serv i r d t r four e l r lun tou l in bana l .

LES COMMUNESFaib le , la féoda l i té occ i tane ten tera pendant long-

temps de se r r 'n fo rcer . Sans succès . l ,es popu la l ions nr ieuxp lacées qu 'a i l leurs ob t iendront de nonrbr 'euses garant iescont re les ex ; rc t ions des nob les sur lesque l les vont ve i l le rune des preu , iè res fo rnres de pouvo i r popu la i re : les conr -n lunes , La hr ' le conrmence par des revend ica t ions écono-miques : con l le les n ru l t ip les péages que lèvent les conr leset qui entr:r t : nt la circulat ion des marchantl ises. Tou-louse (1157) , \ r les , Nîn" res (1144) , I léz ie rs (1141) , se do ten lde con,su ls , n . [s l ] s5 dés ignés par lâ popu la l ion pour admi -n is t re r la v i l ' r , . Dans les ca lnpagnes sont apparus des grosbourgs qu i , ' r r t regroupé les pu . r ' sans vou lan t sc p ro tégerdes ravage: des guerres féodales. I ls seronl la base t ledépar t du r r rouvement communal .

Le premit.r souci des habitants est de garantir leursl irbertés corr lre les exactions de leurs seigneurs. l)ès 1152les tou lousr r ins sont p ro tégés cont re les a r res ta t ions arb i -l ra i res . Dar rs tou tes les char tes les se igneurs s 'engagentà réprimer le rneurtre et le vol, quand i ls ne concèdentpas d i rec te r r ren t ces fonc t ions de po l i ce aux représentan tsde la comnrr rnauté , Toutes les char tes commencent généra-Iemenl par un art icle dél imitant le château, les temes yattenant, el f ixant les l imites de la just ice seigneuriâle.E l les rappt l len t la p ro tec t ion due aux hab i tan ts , (vo i r enencadré la char te de Mi repo ix ) . A Se ix -en .Causérans , leshabitants sont < sauf s et sûrs qruand r i ls sonl dans les l imi-tes du chti teau >. Le cas le plus f lagrant est ici celui deMoissac . l .a v i l le es t dominée Dour mo i t ié par I 'abbaye e tpour I 'autre par un q abbé c'heval ier , .1ir i à part i i dc1197 est le Comte Rav,mond VI de Toulouse. Les deuxa'bbês se font une guerie continuel le pour la possession dela vi l le. Leur méthode favorite est d'engager de.s routierset les envoyer ravager les temes adverses. Au début duXII- siècle, les trabitants des deux part ies de la vi l le leurfont signer une charte garantissant leurs droits. Toutd'abord el le est ré'digée en occitan qui est la langue popu-laire, et non en lal in comme c'esl I 'usage. Dans son préâm-

CHARTE ACCOBDEE AUX HABITANTS DE MIREPOIX LE20 MAt 1207

1) Les limites du château, des maisons, des terres etdes tenures sont clairement fixées, afin que les habitantset leurs descendânts pour les temps à venir puissent ydemeurer en paix, sous la protection que le seigneur doitleur garantir.

2) Si pour une raison quelconque les habitants viennentse réfugier dans le château, le seigneur s'engage à lesdéfendre contre tout sévice de sa part ou de celle de sesamis.

3) Le seigneur s'engagp à reconquérir par la force touteterre ou maison de la communauté envahie par un ennemi.

4) Tout habitant de la communauté a le droit d'accueil-lir un étranger à la commune et à sa famille sans leconsentement du seigneur et sans qu'il ait à payer un

" droit d'entrée " ; il iouira des libertés et privilèges desautres habitants.

5) Si le nouvel habitant se montre incorrect, les habi-tants de Mirepoix ont privilège de pouvoir ieter de samaison toute personne qui leur ferait violence ou injure.

6) Les habitants de Mirepoix ont privilèges de s'en allerâvec leurs biens où ils veulent, et le seigneur doit s'en-gager à les conduire en sécurité jusqu'à deux lieues duvillage.

7) Nul ne peut entrer en servage, ou acheter ou pren-dre serf sans que la communauté ait donné son consen-tement.

8) ll est interdit aux seigneurs de mettre la main surles biens des marchands.

9) Les habitants ne pourront travailler pour le comptedu seigneur que de leur propre gré.

10) Si un des seigneurs à venir ne respecte pas lesditsarticles, le conseil des chevaliers et des prud'hommesaura autorité pour nous donner satisfaction.

1l) Les habitants ont la libre disposition des eaux, patu-rages et forêts.

12) Les habitants ont la liberté de disposer de ieursbiens meubles et immeu,bles. En I'absenco d'héritier directles biens iront au plus proche parent, saut les droits duseigneur.

Signée par Raymond Roger, comte de Foix et 3l che-valiers co-seigneurs de Mirepoix, devant la populationassemblée.

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:.a

Le serment à la Commune.

s i une inst i tu t ion pol i t ique n 'avai t t ' té nr ise en p lace pourles garantir. A Mirepoix c'est un conseil de chevaliers etde prud'homrnes qui tranche les conflits. A Moissac, tousles différents entre les deux abbés sont réglés par leconseil des prud'hommes pour éviter le recours à la forcearmée. A Seix-en-Cousérans. aucune ordonnance écono-mique n'a de valeur si elle n'est contresignée par lesconsuls, Le bayle (l 'off icier ,d,u seigneur) ne peut outre-passer leur décision. Au nombre d'e quatre, les consuls sontélus tous les ans, jugent les causes civiles et criminelles etsont seuls habil ités à pronrulguer des règlenrents de police.

C'est dans les v i l les que I 'organisat ion consula i re at te intla per fect ion, établ issant leur indépendance tota le v is-a-v is-du pouvoir s ,e igneur ia l . l )ès l t$1, Ar les à l2 consuls.La char te de 1142 proclanre qu 'âucun ne pourra rédui reArles en seigneurie, 4 si quelqu'un I 'osait que fou$ sesbiens soient déIruits, et s' i l peul êtte pris, qu'iI ait Ia têtet ranchée>. Béziers a ses ionsuls dè-s l l3 t , Montpel l ier1141, Nimes 1t44. C'est à To,u louse que la lu t te sera-par t i -cu l ièrement dure et v io lente entre- les bourgeois êt lescomtes. Le pouvoir ntunic ipal y apparai t en 1152. En1176 une représentat ion est instaurée pour les deux par t iesde la v i l l 'e : 12 consuls pour la c i té ; t2 consuls pour lebourg Saint-Sernin, le qirartier neuf des artisans. Leursattributions sont l imitées au début à I 'application desrèglements de police et au nespect des fra-nèhises écono-miques accordées à la v i l le par les comtes. Le consulataurà beaucoup de mal à conquérir le pouvoir Dolit ique.En 1180, i l eSt relégué à un rîôle consriltatif quând Ray-mond V tente de restaurer son autorité. I l dônne ordreaux consuls de réprimer I 'hérésie en 1177, ce quidéclenche une série tle troubles qui atteignent leur pointculminant en 1188 avec la révolte de la-vil le. Le cbmteavait suscité I 'affrgntement de fractions rivales, espérantprofiter de la répression pour affermir son nouvoirl C'estun échec et i l ôo i t dani une char te, le 6 ' janvier 1189,abandonner ses droits de justice et de police aux consuls.Elle fait en outre défense à quicon,què (etjmplicitementà lui-même) de porter la ma'in sur^ un hbmme ou unefemme de Toulouse. En novem,bre 1196. Ravmond VIconfirme les privilèges et l ibertés de Toulouse ed décrétantqu'aucune redevance, ordinaire ou exceotionnelle ne Deut6tre levée sur les citoyens de la cité ou^du bourg, et

'pro-

met en présence des notables, gue ( ces coutumei et l iber-tés de tous les citoyens seront à jamais respctëes>,

On est mal renseigné sur le mode d'élection des consuls.A Ar-les,__l'élection se fait à deux degrés: un collège degrands électeurs est désigné par I 'en-semble de citoivens.En fait l 'élection semble Deû réglementée : elle débenddu rapport de force qui s'ètablit éntre le oarti ooou'iaireet les- lros marchandi qui lendent constainmeni â acca-

(Cliché L.P.F.)

parer le consulât. Selon le cas les consuls sont élus parI'assenrblée générale des habitants (femmes comprises !),dans d 'autres, i ls sont s implement cooptés chaque annéepar le5 anciens consuls.

Notons I ' importante par t ic ipat ion de la femnre occi tancà la vie poli i ique, reiigieusé et intellectuelle du pays.Elles participent atrx assemblées générales d'habitants ;ce sodt elles les plus Terventes animatrices des conrmu-naulés cathares. Ultime hérésie que se permet cette conlréedans ce monde féodal et catholique.

Ce gue ne manque pas de ioter un compagnon de< Saint > Dominique, participant à une controverse enlrccathares et catholiques. Esclarmonde, la sæur du comtede Foix voulut se permettre de donner son avis commec'était son devoir en tant gue Darfaile cathare. Le moinclui répondit alors scandalisë q-Atlez f i ler uotre uuenouil lemadaine, il ne uous sied pas de prendrc Ia porble en detelles matières ! >.

( TUEZ-LES TOUS... ! ,,Juil let 1209 : les troupes de Ia croisade descendent la

vallée du Rhône. A leur'tête un chef militaire, Simon deMontfort, assisté des grands féodaux français et bourgui-gnon, et un chef spirituel, le légat du Pape Arnaud Amau-ry. abbé de Citeaux. Le 20 elles sont à Montpell ier, vi l lei amie > appartenant au très catholique Rdi Pie;re IId'Aragon. Le 27, elles arrivent devant Béziers. Le vicomteRaymond Roger Trencavel essaie de plaider sa cause, nraisles légats du pape refusent de I 'entèndre. l l s'est fait lechampion de I 'hérésie et de I ' insoumission à I 'Eglise, i ldoit payer. I l chevauche alors jusqu'à Béziers qui

-va être

assiégée et chargent les consuls d'en préparer la défense.Il va organiser celle de Carcassonne, menacée à plus longterme et pense envoyer des renforts aux bitterois qul seretrouvent seuls devant les croisés. Sans autres cbefs queles consuls, sans armée féodale, i ls vont à leur tôurtenter de négocier; leur évêque leur transmet les condi-tions des légats. I l faut que la population de Béziers àmaiorité catholique leur l ivre les 222 familles de parfaitscathares, ou qu'èlle quitte la vil le en I 'abandonnânt auxhérétiques avânt que- ne com,mence I'assaut. Les 20.000bitterois vont refuser de livrer 222 des leurs : Ie lende-main la commune de Béziers aura cessé d'exister, la vil lene.sera plus que ruines fumantes oir pourriront 20.000caoavres.

< Que leur en aurnit-il coitté d'abandonner les hêrë-tiques ? Sans uouloir idêaliser fes choses, on peut teni'rpour certain que les bitterois avaient à défend.re un bienplus précieut que leur uie: Ia liberté politique et Iaiiberté de consôience ) (5). Le lecteur sô souiient desluttes menées pour obtenir les libertés communales, et

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r l 'après le chroniqueur Guil laume de Tudèle, les bit teroisn'aurairrnt accordé aux croisés < pas mème Ia ua,leur d'undenier qui put entraîner un changenrent quelconque dansle gouuernement de leur ui l le. > Céder sur I 'hérésie c'estcéder sur le reste et au grand scandale des légats, lescathol iques de la vi l le, qui aurâient dù décider sert lsdans la cathédrale, en I 'absence des hérétigues. de laconduite à suivre, décident de rejoindre lêurs frèr.escathares et vaudois membres à part entière de la com-rnune < et dëcident en commun poJ serment auec leshérétiques de défendre Ia cité con'tre les croisés > (rap-port des légats au Pâpe). Seuls l 'évèque et quelquescitoyens quittent la vi l le ou restent les curés cathol iques.

Les scrupules rel igieux ne vont pas déranger bien long-temps les croisés. Pour ces habitants qui refu'sent desacrif ier 1 o/o d'entre eux pour avoir la vie sauve, quiprétendent résister à un siège alors qu' i ls ne sont pasmême comnrandés par un noble, i ls n'ont que mépris, I lne peut s'agir là, d'après le chroniqueur Guit l laume deTudèle, gue de gens ( plus /ous et plus niais que desbaleines >>, qui ne méritent aucun ègard.

Après avoir Ionguement dél ibéré pour savoir quel sorlréserver aux cathol iques de la vi l le, Arnaud Amaury lançases troupes à I 'assaut au cri de < Tuez les fous, Dieu recon-naîtra les siens >.

( ON LES TUA TOUS,FAUTE DE LEUR. POUVOIR FAIRE PIS >

Pierre des Vaux de Cernay, a,bbé de Citeaux, chroni-r lueur de la croisade.

Pierre des Vaux de Cernay, laisse éclater sa joie. Septnri l le bit terois, femmes, enfants, viei l lards, qui pensentéchapper au massâcre en se réfugiant dans la cathédralesont tués. < Rien ne put les sauuer, ni croir, ni autel, nïcrttci f i r . . . Ia ui l le est prise en l 'espace de deur orr lroisheures, El les nôtres n'épargnant ni Ie sere, ni l 'àge, l i rentpérir par I 'ëpée à peu près 20.000 peruonnes. Après unénorme massacre des ennemis, la cité toute entière a étëpi l lëe et brùlée. La uengeance diuine I 'a meruei l leusementlrappée >. Aucune trace de pit ié dans ces récits qui sontun terr ible acte d'accusation laissé à I 'histoire, rédigé parun des acteurs lui-même. I l n'a qu'un seul regret : que lavi l le ait été complètement brf i lée-et qu' i l n'y âit pu avoirde butin. C'est la r 'evanche brutale, bestiale et sanguinairer lu monde féodat sur le monde popu la i re qu i s 'èxpr imeà t ravers les réc i ts de Vaux de Cérnay . I l n 'ôub l ie fas denoter que < la ui l le fut prise Ie jour i le Ia f ête de Sainte-Marie-Magdeleine... (est dans son ëql ise que les habitantsde Béziers avaient tuë leur uicomte et cassi les dents ù leur Le massacre dans la cathédrale. (C l iché L .P.F . )

gneuses de I 'Ariège, I 'homme d'Occitanie n'a pas encoreconscience de I 'enjeu de la batail le. I)endant deux sièclesil a vu ses propres seigneurs ravager ses terres pendantleurs gueres fratricides, rien ne lui permet, pour l ' instantde distinguer ces nouveaux seigneurs des anciens et depréférer l 'un à I 'autre.

Sinron de Montfort peut lever dans les régions conqui$esdes troupes à pied qui lui seront d'un secours non négli-geable. Une légende populaire rapporte qu'au siège deMiner.ve,(6) une jeune fi l le de Ia vil le avait son fiancé dansIes troupes assiégeantes. Flle lui l ivra le secret du cheminqui menait à la réserve tl 'eau et la vil le fut prise par lasoif, Jamais les méridionâux ne pourront faire laire leursquerelles intestines. La haine des Narbonnais pour les Mi-iervois les amène à fournir aux croisés vivre-s et soldalspour participer au siège de la vil le, haut l ieu du catha-risme. A Moissac la rivalité entre I'a,bbé et Raymond VIest parvenue à son paroxysme avec la croisade. L'abbén'est plus obéi de ses sujets qui, dans un premier tempsoptent pour la résistance. I l fait alors appel aux croisésqui viennent en l2l2 assiéger la vil le, ,défendue par lapopulation et des renforts toulousains. Le sort de la batailleest loin d'être joué, quand une délégation de bourgeois deCastelsarazin apporte la soumission sans combat de leurville. Les Moissagais se sentant alors isolés, livrent lessoldats de Toulouse à Montfort qui les fait immédiatementmassacner. Les croisés dans la place, I 'abbé n'est pas pourautant satisfait. Tout comme Ravmond VI. i ls ônt bil léI 'abbaye. I l écrit à Phil ippe Au$uste pour se plainâre :< suruinrent les croisis , ' f ls onl tout détruit >. Défectionsaussi dans la noblesse locale: beaucouD de netits ch€va-liers des environs de Béziers se râll ienf aux

-croisés pour

se l ibérer de la tutelle des Trencavel. Simon de Montïort.

ëuêque. C'est donc justice que ces chiens très daient étééuèque. C'est donc justice que ces chiens très dëgoûtantsaient ëté pris el.m.assacrés

-pendant les fêtes de cëIIe clont

iIs_ouaient souil{é L'église > .

pd

Pour les croisés i l s'agit de faire un exemple. I ls espèrentar la terreur se fair 'e- ouvrir sans combâttre les porteses vil les et décourager les résistances. Guil laume de Tu-

dèle rapp<rrte que ( lès barons d.e France et des alentoursde Paris.. . conuinrenl entre eur que dans chaque ui l le for-t i f iée-qui reîuse.rait de se rendie, lous les hàbitants, 'dèsqu'elle seruit prise, seraient passds au fil de I'épée. > Effec-t ivement cette stratégie porte ses fruits : Dlus de centtégie porte ses fiuits ; p-lus de cent

nt tomber sans couD férir dans lesbourgs fortif iés vont tomber sans coup férisemaines gui suivent. Narbonne se rall ie auxsemaines qui suivent. Narbonne se ral l ie aux croisés etl ivre ses hérétiques. Quand à Carcasonne el le va résisterjusqu'au 15 août, mais à cours d'eau et pour éviter le mas-sacre gênéra l , Raymond Roger Trencave l accepte la réd i -t ion. Les condit ions des croisés sont draconiennes : leshabitants devront sort ir nus, les hommes en braies, Iesfemmes en chemises, abandonnant aux vainqueurs c lousleurs Diens, Ieurs champs, leurs armes, leur'bêtail, Ieursépargn.e.s, leurs uignoblès, et tout ce que renfermait cettemagnif ique cifé > (Guil laume Le Bretôn) doriLt les croisésprennent possession. Simon de Montfort reçoit le t i trede vicomte de Carcassonne et de Béziers tand-is gue Rav-mond Roger, le jeune vicomte de vingt-trois ans, ioupabieà ses veux de ne pas avoir préserver I 'espri t de casle dela noËlesse, d'avoir cédé aû mouvement'communal et àI'hérésie-, va motrrir dans la pourriture des cachots deson ancienne cité.

L'OCCITANIE IMPOSSIBLE ?< Rien ne peut nous résisler .f > proclame Arnaud Amau-

ry du haut des murailles de Carcàssonne devant les croi-

sés victorieux, Si la terreur a fait son cffet, les croisé.sdoivent cepen(lant I 'essentiel cle lertrs succès à la divisionprofonde t les rnéridionaux. Hormi les hauts l ieux du mou'ïenren t cor r rmuna l . co ln lne Béz ie rs t l les r i ' g ions monta-

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trras arrné de I 'Egl ise cathol ique, représentattt d' t t t te con-cept ion in t rans igeante < iu pouvo i r féoda l , n 'a en face delu i . au 'un uavs

"désun i e t ' a f fa ib l i . l ,e r r tauva is exe t t tp ' le

v ien t 'd 'en Î raû t . Raynr , rnd V l , t ' o rn te dc Toukr r rse , ap ièsI 'appe l à la c ro isade, a fa i t a r t ren< le l ronorab le , acc i 'p tér l 'ê t re f lage l lé en pub l ic po t r r ob ten i r le pardon du Papeet . . , déc ide de prendre la c ro ix ! l ,a ruse es t év idente , cnse c ro isant i l rne t ses r ionra ines à I 'abr i des rap ines descro isés , n r ,a is on ne le ver râ ja rua is par t i c : iper aux co tnbats ,lL l a à fa i re à p lus rna l in ( l r r€ lu i . F in 1209, i l se rend auprèsd ' Innocent I I I pour ob ten i r son pardon dé f in i t i f . [ .e l rapele reco i t cord ia lenren t e t lu i donne I 'abso lu t ion . Tand isque l iaynrond \ ' ] ren t re à Tou louse persuadé d 'avo i r sauvél a p a i x , I n n o c e n t l l l é c r i t à s e s l é g a t s l e 2 5 j a n v i e r l 2 l ( )< Slr irrrrns le.s cr-rrrsei ls de l 'apôtre qui u di l : " j 'ëlais ustu-eieur, je uous nf pris par la rt t .re". ( lsez r l ' rrrre sage dissi-mulat ion, loisse:- le (Ragnrcnd l l l ) d'ab<trd de côlë pouragir contre les rebel les. I l sera d'autunt moins Iaci le d'ëcrt-ser ces salel l i les de I 'unté-chrisl qu on les ouro luissé segrouper pour lu délense coùrmune, Rîen de plrr.s oisé rrat-t t t t traire d'en uenir à hout si le conûe n'occourl pus t\Ieur aide.., on pourra ktrsqu' i l sera isolë el rédrr i l r i sesseules Iorces terminer pur lui >. I)ans I ' inrrrrédial la lac-t ique du comte es t tou t jus te payante , car , s ' i l es t p ro tégôà I 'es t par son a l l iance tempora i re avec l 'ég l i se , i l cs tattaqué à I 'ouest par une croisade quercynoise nlenôc' pardes seigneurs tout ce qu' i l I ' a d'occi ians !

TOULOUSE: NOIR,S CONTRE BLANCSC'est à Toulouse que la division du peuple va être totalc.

Une lu t te 'de c lasse a igue secoue la v i l . le , E t chaque car r r l rva essâyer d 'u t i l i se r ies c ro isés pour fa i re t r io r i rp l te r s i rcause. Raymond VI espère en p io f i te r pour réd i r i rc lesconsu ls à I 'obé issance, pensant que devant le danger i l svont mettre en sourdine leurs revendications et se rangertotalement derr ière lui : un seul o'bstacle à ce p, lan,

' la

dé terminat ion des c ro isés d 'en f in i r une fo is pour tou tcavec la dynastie toulousaine, qui va a,cculer Raynrond YIà la guer re . Les consu ls pensen l t i re r par t i dc I 'a f fa ib l i . s -sement de l ,a dynas t ie qu i v ien l de per ( l re Béz ie rs , Car -câssonne et de nombreuses vi l les, porrr errr lr i i ' ler sur lespouvo i rs du comte . Ma is tou t se

-cont ; r l iq r ie : en l2 l l -

i212 , les consu ls au pouvo i r appar t iennent à la c lassc r lespat r i c iens , les r i ches nrarc l rands qu i hab i ten t la v ie i l le c i t i ' .I l s s 'opposent aux hab i tan ts du bourg , a r t i sans conr l losantle par t i popu la i re qu i ava i t con t rô lé le consu la t jus rpr 'en1208. Au mi l ieu de la n rê lée l 'évêque F 'ou lques la a r l r i r i ra -b lement u t i l i se r ces d iv is ions pour le p lus j rand pro f i t descroisés. Foulques et les patrÏciens ont eù conrinun leuropposit io! âu pr.êt à intérêt. Le prentier d'abord, parceque le ca tho l i c isme condamne I ' in té rê t , n ra is sur to r r t parceque ses domaines ont été gagés par son prérl i 'ccsstiur ct{u' i l est endetté jusqu'au ci lul Lci.s scconrl.s ont peur que

OCCITANIEo L'Occitanie ) est d'actualité, Pour permettr€ à nos lecteurs de s'1,

retrouver.Sur la croisades des alblgeols : deux livres restent fondamentaux.

Zoé Oldenbourg Le bûcher de Monségur (chez Gallimard, 22 F) couvrel'ensemble de la période, du déclenchement de la croisade en 1209 jusqu'àla chute du château de Monsésur en 1244. dernier ooint de résistance.Se lit comme un roman. L'ôuvrage de Michel lioquebert, L'épopéecathare, se situe dans une optique résolument occitane. Beaucoup plusvo lumineux (600 pages) , c 'es t 'unè documenta l ion de première main 'surles questions religieuses, le rôle de l 'église et le jeu-d'Innocenl III, etdémêle avec clarté l ' imbroglio juridique et diplomatique qui servit deprétexte à l ' invasion. Le déroulement des opérations n'est pas pourâutant laissé de côté et le lecteur suit pas

^à pas la progrêssiori de

Simon de Montfort, lui permettant de comprendre tout cé qùi opposait,au XIII. siècle, féodalité et Occitanie. Sa présentation claire et aérée.son style simple rendent cet ouvrage érudit âccessible à tous (86 F relié,Q4 F br99hé, Ed. Privat). Iæ drme alblgeols et l'unlté française deJacques Madaule, dans la collection de poche

" Idée o chez Gàll imard,présente, pour quelques francs, un résumé intéressant du problème, maison se serait dispensé du couplet f inal à la gloire de n saint o Louis.

Sur I'Occltanie en généml : on évitera d'abord te pamphlet chauvinet. -xénophobe de Robert Lafont " Iættre ouverte au Froçais ". L'auteur,défenseur d'une ( ldentlté raclale D occitane, professe pendant 220 pagesun mépris insolent pour tout ce qui se tro-uve au riord de la Loire.On y apprend avec surprise que { I'accent du nord est I'accent dela bourgeolsle ', que l'Occitanie est menacée r d'æcupatlon pemuente ',r non plus par les rlchæ... malr par les ouvrlers dè Billancourteux-mêmes r. Heureusement une explicàtion scientifique de tous cela :. Nous (les Occitans) so[lmes votrc rêve éroalquè dans l'lntenallede vos labeurs ! r On peut s'étonner de I 'accueil éntousiaste qu'a recuce livre dans la presse. Plus sérieux est r Occltanie : Volem- vlure

'r

le prêt à intérêt permette à d'autres de s'enrichir €t d.enrenacer leur posit ion. Dans le bourg Saint-Sernin aucontraire, secteur des industr ies nouvelles, on n'y est pasopposé ( i l n'atteint d'ai l leurs pas forcénrent un tauxrusuraire) ; i l perrnet à de norrrbreux art isans de s'équi-l )e r . Cependant beaucoup parn l i le pe t i t peup le é ta ien tv ic l in res des usur ie rs . Ccux-c i son t ins ta l lés dans lacité et sévissent surtout contre les art isans et comnler-çants qui v travai l lent. Ajoutons à cela que si ies catho-l i t lues condarnn,aienl le prôt, les cathares, eux. I 'autorisent,et <pr'enfin une viei l le r ival i té oppose le bourg à la citédepu is la représenta t ion consu la i re séparée de 1176. . .

Le jeu de l 'évôque, dans cet imbriogl io sera donc dou-b le : lever une nr i l i ce dans la c i té , con t re Raymond VI e tle par t i popu la i re r lu bourg , e t pour les c ro isés ca tho l i -ques ! ( ;e t te mi l i ce va prenr l re le nonr de r Conf ré r ieblanche >. l i ' l le se f ixe pour but d'arrêter les usuriers etde les fa i re cornpara î t re devant une cour de jus l i ce ép is -copâ le , qu i dev ien t rap i 'dement_ t rès popu la i re .dans lacité. Mais F'oul,ques se nro'que bien de-la justice. Uneseule chose I ' intéresse : ouvrir les Dortes de Toulouse àset r le chose I ' in lé resse : ouvr i r les por tes de Tou louse àS i r r ron de Mont fo r t . I l a r lé ià réuss i â n rarquer un premierSirr ron de Mont for t . I l a r lé ià réussi â nrarquer un premierpoint : .créer un climat de guerre civile.. l)an.s_ le bourg,p<lur résister aux alta'ques de la confrérie blanche, secrée la < Confrérie noire >, favorable aux cathares, àRayrnond VI et à la résistance. El le va dans les rr.es pro-clamânt que < I 'drrégue, l 'abbé et le clergé pous$ûient le$loulousain.s à se battre pour qu' i ls s'erteiminenl entreeur > el que < s' i ls uuoient êtê d'accord, nul croisë autnonde n'anruit pu lenr (ouser du torl >,. Forr lqrres n'a Dlusr1u 'à pousser la -conf ré r ie b lanche à ouvr i r lès por te i dela vi l le àux croisés, Une lettre du Pape à Raymond VIva lui en donner I 'occasion. I l reproche au comte de nepas avoir rest i tué aux égl ises les biens qu' i l avait confis-rgrrés, de ne pas < abandonner les hérëtiqrres r i lc discrë-t- ion des croÀés >. et de lever_ r les péaged qui pèscnt sur-tout sur le peti t peuple. L'égl ise sè proclarne

-hautement

contre ces péages forl intpopulaires. Foulques présenteaux toulousains de la confrérie blanche la venue descroisés corDnle I 'aboutissement naturerl de leurs reven-d ica t ions . I l ne leur d i t pas b ien sûr que le Pape n 'admetque les péages établ is 1ràr I 'empereur'(d'Al lemàgne, dontRaynrond VI es t le vassa l pour la Provence) ou les Ro is(de F-rance,-d'Aragon et d'Angleterre dont i l dépend pourses au t res donra ines) .

Foulques réussit dans son entreprise : 5.000 tourlou-sâ ins par ten t , con t re la vo lon té de Raymond VI a iderles croisés à assiéger la vi l le r le Lavaur qui est prise.I) 'offroycbles nlassacres ont l ieu. La route-de Toulouseest ouverte.

Prodhain ârt icle :revanche occ i tane.

Les Comnrunes âu combat et la

Serge COUDERC.

(15 .F, che? Gall imald) .de Michel Le Bris. L'acrualité polit ique, socialeet économique de l 'Occitanie y est mise en rapport avèc les traditionsde lutte des albigeois, des camisârds et des vignèrons de 1907.

- Recommandons " Le petlt livrç de Mlnene , du poète minervoisLéon Cordes. Ecrit moitié en occitan, moitié en fra-nçais ; le petitl ivre retrace l 'histoire de Minerve, haut l ieu du catharisme et dè larésistance à la croisade, à travers les légendes populaires recueil l iesauprès des conteurs de vil lage. Un petit l ivre qui-dèvrait exister pourchaque région. A commander à I 'auléur : 16, allèe de Paris. Vil lenéuve.34000 Montpell ier (22 F).

(l) I l n'existe aucun terme correct pour désigner cet ensemble d€terres indépendantes que constituent les àomaines 1u comte de Toulouse,des comtes de Foix et des vicomtes de Béziers. Le < Iansuedoc D estun terme de I 'administration royale qui désigne une partË des terresconquises au XIII". L'nOccitanie,'a auisi été i-nventée pàr la chancellqriecapétienne pour désigner ces nouveaux suiets du rovaûme dont la Darti.c_ularité était de parlèr l 'occitan. Le temé est aujoûrd'hui employé'pourdésigner toutes les régions, des Landes aux Basses-Alpes oir o-n ôarlela langue d'Oc: i l cbmprend les régions sous occuiation anglaile àl 'ouest et les pays du malsif Central, àominé par deui srands ïéodaux.les évéques de Mende et du Puy, dont I 'histoire est pail iculière et neconnaîtra pas de mouvement communal avant le XV" iiècle.

(2) Pour toutes les questions religieuses voir u Le Peuple Français uno 13 r Les Cathares l-

(3) Le mot bourgeois désigne l'ensemble des habitants du bourg, qui,pal opposition aux habitants des campagnes, bénéficient de fraichi-sesurbaines.

(4) Pour tout ce qui concerne la condition et les statuts des personnes,nous renvoyons à notre dossier n Les pavsans

",(5) Michel Roquebert : * L'épopée cathâre '.

,. (6) Rapportée par le poète riinènois Léon Cordes dans r tp pglig

livre de Minerue "-

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TUTTES ET LITTÉRATURE POPU LAIRESVoilà trop longtemps compagnonsQue nous chantons pour les autresAyons maintenant nos chansonsEt ne chantons p/us que les nôtres.

Un poèteau service du Peuple

Jeon-BoptisteCLÉMENT

Dans une brochure de petit format parue en 1900 à laBibliothèque socialiste, J.-8. Clément déctarait en guisede préface : n ... La chanson populaire, qu'il ne laut pasconlondre ayec /es élucubrations des cafés-concerts etdes beuglants (1 ), nous apparaît comme le moyen depropagande le plus elficace, le plus simple pour lairepénétrer /es idées de justice et d'indépendance dans /esasprits et dans /es cæurs.

Les rnêmes qui nous reprochent cette taçon de voir...se gardent bien de reconnaître que ce lut une chansonde propagande qui contribua à l'émancipation de leurc/asse, nous voulons dire LA MARSEILLAISE, que lesvolontaires de 1792 entonnèrcnt sous /a mitraille deI'ennemi qu'ils culbutèrent, remportant une victoire quisauva la France nouvelle et pemit de poursuivre l'æuvrecommencée en 1789; et qui, jusqu'ici, n'a guère prolitégu'à la c/assa bourgeoise, à qui maintenant le chant del'lnternationale d'Eugène Pottier sonne mal aux oreilles.

... Nous voulons que la chanson prcnne sa place decombat dans la lutte engagée contre I'exploitation ducapital et contre tous ceux qui nous oppriment morale-ment et matériellement. Et cependant, nous sommes loinde vouloir que la chanson populaire n'exprime que desidées de revendication. Ce que nous désirons, c'est qu'onne s'en serve plus pour préconiser des sentiments, desefteurs, des espérances, des résignations qui ne sontplus conîormes au tamps où nous vivons. ,

QUr ETATT JEAN-BAPTISTE CLEMENT ?Né en 1836 à Boulogne-sur-Seine, de parents meuniers

aisés, qu'il quitte très tôt, Clément est tour à tour apprentichez un artisan du cuivre, garçon de café, terrassier, etc.En même temps, il écrit des chansons qui dénoncent lamisère du peuple et son oppression. L'une d'elles, 99,oblige son auteur, poursuivi par la censure impériale,à se réfugier en Belgique (1867). l,l y invitait les travail-leurs de la terre et des mines à faire leur quatre-vingt-neuf !

L'année précédente, il a écrit son @uvre la plus connue,mise en musique par A. Renard : Le Temps des cerises.Cette rornance d'amour deviendra un symbole pour lesCommunards lorsque J.-8. Clément I'aura dédiée, lors dela semaine sanglante, à " la vai,llante citoyenne Louise,I'ambulancière de la rue Fontaine-au-roi. le dimanche28 mai 1871 " (2).

De cette chanson si populaire, on fit des pastiches(exemple : Le Temps des crises).

Le 21 janvier 1870, J.-8. Clément est condamné à un ande prison pour " offenses D par voie de presse enversI'empereur et ( provocations à cgmmettre plusieurscrimes ". Arrêté le 4 mars, et conduit à Sainte-pélagie,la prison pour l'opposition républicaine et socialiste, ilest délivré le 4 septembre, jour de la chute de I'Empire,

Jusque-là, la pensée politique de Clément n'avait pasdépassé le stade d'un républicanisme ardent, d'un anti-despotisme virulent. La Commune va tout changer. Lorsdu siège de Paris, Clément participe à la défense de laville comme simple soldat au 19' Bataillon de marche dela Garde nationale. Puis, lors de la Commune, il est portépar sa popularité à la députation du XVlll" arrondisse-ment et est nommé délégué à la labrication des armesde guerre et des munitions, et membre de la Commissionde I'enseignement.

Ayant pu échapper à la répression féroce qui s'abattitsur fes Communards à partir du 24 mai, il écrit enjuin 1871 un poème devenu célèbre, La Semaine san-glante, dont voici un des passages les moins connus :

Les iownaux de l'ex-prélecture,Les tlibustiers, /es gens tarés,Les parvenus par aventure,Les complaisants, /es décorés,Gens de ôourse et de coin de rues,Amants de tilles aux rebu.ts,Grouillent comme un tas de verrues,Sur /es cadavres des yaincus.

Exilé à Londres, condamné à mort par contumace enoctobre 1874, il revient à Paris en 1880, après I'amnistie.Militant du Parti ouvrier socialiste révolutionnaire, puis,après 1890, propagandiste des idées socialistes et syndi-calistes dans les Ardennes (3), sa pensée politigue estparfois aux limites de I'anarchisme :

Le travail manque !ll est grand temps,Les enfants,D'aller laire un tour à la banque.

Néanmoins sa popularité est si grande qu'un mouve-ment de protestation parvient à réduire une condam-

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nation à deux ans de prison qu'il avait encourue pouravoir organisé une manitestation le 1"' mai 1891 (4).

Dans ses chansons, par lesquelles jusqu'à la veille desa mort il mène un combat virulenl, il aborde les grandsproblèmes du mouvement ouvrier. Lorsqu'il meurt le23 lévrier 1903, il est gérant de la Librairie socialisle deParis. Le 26 février, Edouard Vaillant, Charles Longuet,Camelinat, Aristide Briand, Marcel Sembat, Maxime Vuil-faume, Michel Zevaco, Fragson se retrouvent à sonenterrement.

Alain PAUCARD.

(1) Café-concert populâire, à lâ mode au xlx. 3iècle.(2) Une des dernièros barricades tenuos pat les Communards,

. N'ôt'aiFce pas à cetle héroine obscure quo i€ devals dédier la chansonla plus populaite de toutes celles que conllent ce volumô ? ' (Chen3on€,Pâ?i3, 1885).

(3) Voir dens le . Peuplo lranqais ' no 13 : . Ravin 189G1891 : qualremois <le grèvo dans le3 Atdênnss ,.

(,1) Le t.' mai 1æ1, la troupe tire sur les mineuls à Fourmies, taisanl12 mods (voir . P. F. ' n" 3).

Signolons l'existence d'une brochure intéres-sonte publiée por lo Bibl'iothèque du Trsvoil(Ecole Freinet) sur J.B. Clément - no 315moi 1955.

Ecrire à lo C.E.L, - B.P. 282 - 06400 CANNES.

coNTRE LA REPUBLTQUE BOURGEOISELI B ER,TE.EGALITE-FR,ATERN ITE

LibertéEgalitéFraternitéCes mofs sont gravés dans Ia pierreSur /es lrontons des h6pi.taux,De la morgue et des arsenauxEt sur les murs des cimetières.Avec le temps, il est certainQue la bourgeoisie en délireFinira bien par les inscrireSur /e ventre des morts de faim.

TAS DE COQUTNS !

Ils n'ont tait leur quatre-vingt-neutQue pour supplanter la noblesseEt taire trimer comme un bæutLe populo qui les engraisse.Sous /eur règne tou,t n'est que vol !//s nous ont volé /es usrnes,Volé le so/ el /e sous-so/,Volé l'outil et /es machines !Et ga se dit républicains,Tas de coquins !

L'AR,MEELES CONSCRITS

Avec un tusil dans Ia main.Du plomb pour tuer père et mère,Quand sans travail, manquant de pain,Les ouvriers crieront misère.lls le savent et, cependant,lls ont la gloriole en tête,Toute Ia lamille est en tête...Et ,es conscrits s'en vont chantant !

LA GREVE

Pour mater quelques ventres creux,Leur en laut-il des baîonnettes !Les gens à grosses épaulettesNe vont pas ménager les gueux.La grève, ce n'est pas /a guerre.Hé ! soldat, reste l'arme au bras,Car si tu tires dans /e tasTu pourrais bien tuer ton père !

LES MINES

Forçat des grands centres miniersGare à toi si tu bouges,Voici les policiersEf ,es pantalons rouges.Combattants de la Commune.

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NE ME FAIT PLUS D'ENFANTS

Ça va venir dans la semaine,J'ai mal dans /es reins et partout.Sans espoir tu meurs à Ia peine,Et quant à moi, ie suæ à bout.Nous sornmes déià six à tableA vivre sur tes quatre francs...Allons mon vieux, sois raisonnable,Ne me tais plus d'enlants.

Les gens qui traînent la misèreSont doux comme de vrais agneaux ;//s sont parqués sur cette terreEt menés comme des troupeaux.Et tout ça chante et tout ça dansePour se donner de I'espérance...En avant deux ! O vous qu'on nommeChair à canon et sac-à-vin,Va-nu-pieds ef ôêtes de somme,Traîne-misère et meurt-de-laim.En avant deux et que tout dansePour équilibrer la balance !

l ,Al

Travailler... Ça n'est

Je cours, la casquetta à la main.J'ai cinquante ans et bonMais ie ne trouve plvsJ'ai laim ! i . t

LA MACHINEAux lilles du peuple.

Me voici dans mon coin,Je manque d'air, j'y vois à peine.Dire qu'il lait beau dans la plaine !lci, le soleil n'entre point.J'en aurais pourtant bien besoinPour m'égayer à la machine...'Oh ! que j'ai mal dans la poitrine !

L 'ABSTINENCE

ll taut savoir borner ses yæux...Si le Bon Dieu permet qu'on aime,ll ne dit pas d'être voluptueux...Car les amours ont aussi leur carême.Pourtant, sans /e rendre ialoux,On peut partois s'aimer avec prudence...Allons, Margot, venez sur mes genoux,Ce soir, ie prêche I'abstinence.

L'ANGELUS

Forçats de la mine et mangeurs de terre,Serfs de l'atelier, lrères de misère,Je vais vous conter, sans parler latin,Ce que I'angelus nous dit le matinHomme de la mine,Saute à bas du lit,Homme de l'usine,Reprends ton outil.Travaillez sans halne, honorez vos maîtres !Si peinant beaucoup vous n'amassez rien,Soyez sûrs qu'au ciel, où vont tous ,es êtres,Dieu vous gardera votre part de bien !

DEBOUT PAYSANS !

PAYSAN ! PAYSAN !Paysan ! un peu d'union :La grande RévolutionA voulu que tu sois un homme.Si /'on veut encore une loisTe trai,ter comme au temps des roisRéveilleloi, Jacgues Bonhomme !... Paysan ! songe à l'avenir,Le vieux monde est en train de tinir.Si tous ceux qui piochent la teffeDonnaient la main aux artisans.Nous pourrlois'Tbir avant dix ans

# "uofflue Psatitaire !

E l f l - l i- - la ;rJ"*-

LES TRAINE-MISERE

de Sa in te -Pé lag ie

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UNE GRÈve A rlylnz.AMET EN 1845C'est la diminution de salaire dans certaines usines de

Mazamet qui motive cette grève du mois de mai. Févrieravait vu une première tentative d'abaissement ; les troublesqui s 'en suiv i rent amenèrent le rétabl issement des anciennesconditions. Aussi, quand le patronat de Mazamet tenteune nouvel le fo is de baisser les sala i res, I 'opposi t ionouvrière se manifeste de suite. La grève éclate chezM. Houlés, maire de Mazamet et le plus important indus-t r ie l de la v i l le . D 'a i l leurs, i l n 'a pas t rès bonne réputat ion :. Ses ouvriers se plaignent amèrement de sa dureté ,,écrit un conseil ler d'arrondissement. Les ouvriers veulentmanifester en vil le, mais l ' intervention rapide des gendarmesles en empèche. Autre init iative des grévistes : la forma-tion de piquets de grève devant I 'entrée des ateliers ;mais une nouvelle fois la . force publigue , s'y oppose(certainement sous les ordres du patron et maire, Houlés).Les ouvriers écrivent au préfet pour soll iciter ses bonsoffices : les grévistes, . tous ensemble ', rejettent laresponsabil ité des événements sur le maire, qui a prisla responsabil ité du rabais des salaires et demandentau préfet qu'i l intervienne auprès de lui pour qu'i l renonceà èe projet. Cette lettre semble être restée sans écho.Le maire réclame des renforts, qui arrivent le jour même(gendârmes et dragons). Le 23 mai, à 4 heures du matin,onze leaders sont arrêtés. Le journal . L'Atelier ', organespécial de la classe laborieuse écrit à ce propos : . Lefait le plus sail lant de cet événement, c'est le doublerôle de M. Houlés, c'est I 'abus d'autorité le plus flagrantet le p lus éhonté, puisgu' i l avai t pour mobi le la cupid i té d 'unindustriel qui veut qui veut imposer ses lois à ses ouvriersen les faisant jeter en prison. ' La riposte ouvrière nese fait pas attendre. Dès 15 heures, la foule, parmi laquellebeaucoup de femme, réussit, malgré les gendarmes, àforcer les portes de la prison et à l ibérer les captifs. Sixdes prisonniers l ibérés se présentent à la justice dansla soirée et sont laissés en l iberté. L'apaisement sembledès lors gagner les salariés. Les jours suivants, aucuntrouble n'est signalé

Le 26 mai, la reprise du travail s'effectue, malgré le main-t ien de la baisse des sala i res. Bien sûr , ceux qui s 'é ta ientmis . en avant , durant la grève sont congédiés. Aucune

protestation s'élève. Après la reprise, l 'adjoint au maireécrit avec cynisme : r ... Je ne vois aucun tort chezM. Houlés... Le nouveau tarif n'avait rien d'obligatoire pourles ouvriers. L'ouvrier était donc l ibre, entièrement, de lerefuser ou de l 'accepter, avec d'autant plus de raisonque dans cette saison on trouve du travail partout dansles fabriques comme à la campagne. ' En un mot, I 'ouvrierà la l iberté de se faire exploiter où i l veut. La répressionjudiciaire accompagne la reprise en main de la situationpar les autorités. Fin juin, des ouvriers actifs dans lesmouvements des 22 et 23 mai sont arrêtés. Ges arrestationsne provoquent que des réactions, sans doute isolées, quise manifestent par des inscriptions à la craie sur les mursde la v i l le : . Le maire Houlés veut nous punir , mais nousle pendrons si nous ne sommes pas des capons ' ;- Ouvriers, I 'union des ouvriers fait la force '. Les gen-darmes s'empressent de les effacer, bien sûr. Malgré lecalme revenu parmi la population ouvrière de Mazamet,le climat reste tendu. Houlés fait part de ses inquiétudesau préfet : . Tous les ouvriers ont repris paisiblement leurstravaux. l ls conviennent de leurs torts et en paraissentrepentants. Mais, i l faut se hâter de le reconnaître, I 'espritde désordre et d'insurbodinnation s'est introduit depuisquelque temps dans toute notre classe ouvrière, autrefoissi paisible et si soumise, et cet esprit tend à s'accroîtretous les jours davantage par le contact des ouvriers desautres fabriques qui nous arrivent de toutes parts à mesureque I' industrie de ces fabriques diminue et que la nôtres 'augmenté. Des scènes parei l les à cel les gue nous déplo-rons aujourd'hui peuvent donc se reproduire à chaqueinstant et je n'y vois d'autre remède que la permanenced'une garnison à Mazamet, cavalerie ou infanterie. Notrepopulation ouvrière est de 4 à 5 000, dont une grandepartie nous est venue du dehors, et sans une garnisonqui puisse la contenir, i l ne peut plus y avoir de sécuritépour personne. ' Voilà un maire bien soucieux de I 'ordre.Si la coalit ion de mai 1845 des ouvriers de Mazamet aéchoué, i l semble b ien tout de même que quelque chosea changé dans cet te v i l le du Tarn. . .

J.L.P.D'après des documents envoyés par R. Cazals

LU POUR VOUS :DENIS RICHET

" La France moderne : L'esprit des institutions ".Science - Flammarion - 1973 - 9,50 F.

Une étude sur la France entre la Renaissance et laRévolution (XV'-XV|ll ' siècles) qui veut, entre autre, l ierl ' l ' ;stoire des lois et des règlements à celle de la viesociale et aux mutations de " I 'Etat absolutiste ". Troiss ièc les d 'h is to i re par tesquels l 'auteur essaie de redéf in i rla société " d'-^.rrcien Régime " et de saisir les perma-nences et les transformations des idées et des mentalitésqui la lrdversent. Un essai sur la théorie de l 'histoiredonl l ' intérêt est certain. Dilf ici le à l ire. De solidescannaissances sont requises pour I 'aborder.

RABELAIS, CEuvres complètes - L'lntégrale - Seuil - 45 F.

" l l vaut mieux t ra i ter du r i re que des larmes,Parce que le rire est le propre de I 'homme. "

Rire, mais aussi bien boire, bien manger et bien aimer !Qu' i l semble bon aujourd 'hui d 'accompagner Gargantuadans ses voyages, d'oublier un peu nos vins à I 'acide,nos poulets aux hormones, nos régimes macrobiotiques,et d'y " aller à pleine écuelle, de s'en lécher les doigts "

et de commencer la journée en faisant grasse ripaille de" belles tripes frites, de belles grillades, de beauxjambons, de belles pièces de chevreaux et de forcestartines ", le tout étant naturellement bien arrosé, car

" Lever matin c'est pas bonheurBoire matin c'est bien meilleur. "Une question pourtant : Toi Rabelais, joyeux curé de

Meudon, convierais-tu encore tous les " Buveurs trèsillustres " à boire à ta santé ce fameux petit vin descôteaux de Loire bientôt ombragés par les tours descentrales nucléaires dont nous devrons être si fiers ?Mais n'ajoutons pas nos problèmes à ceux d'une autreépoque. Car rire n'empèche pas de réfléchir, et Rabelaisdresse aussi un sévère constat de son temps : l 'éducationlaissée aux mains de cuistres et de pédants débitant leurjargon en mauvais latin, guerres de conquête et d'agres-sion qui sont des " excès intolérables pour les personneséprises de liberté ", et une religion qui a bien besoin d'unbon coup de nettoyage, à commencer par la mixité desabbayes el leur interdiction aux bigots !

Le mérite de l'édition des CEuvres complètes deRabelais, parue au Seui l dans la col lect ion l ' lntégrale,est de présenter sur chaque page, en regard du texteoriginal, une traduction en français moderne qui permetune lecture plus facile. ll était temps que Rabelais, auteuréminemment populaire, descende des sphères universi-taires vers un public plus large !

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Page 32: REVUE D'HISTI)IRË POPULAIRE

IMAGERIE DES CONNAISSANCES UTILESPÂR ÂDRIXN IIND[]{

tA ffioutttui l routt-lr,0u otARBol 0E TERRE, tsr uNE sugsrAt{cE MrilÉnALE 0ut F0RME uN ExcELLEttr coMBUsTtBLE, LA HoutLLE FAtr PARTTE 0E cE 0u'0N APPELLE

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COI{SI[)ÉRABLE. LES PRINCIPALES MItiES t)E l{OUILLE O'EUROPE SE TROUVENT EI{ BELGIOUE, EN ANGLETTflRE ET I)ANS LES PROVINCES RHÉNAI{ES.

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