conte populaire arabe

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Traditions orales arabes «Le conte populaire arabe» Études sur la structure et la place du conte populaire dans l'imaginaire collectif arabe Unesco

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Page 1: Conte Populaire Arabe

Traditions orales arabes «Le conte populaire arabe»

Études sur la structure et la place du conte populaire dans l'imaginaire collectif arabe

Unesco

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CLT-85/WS/46

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"Nulle civilisation n'a cultivé avec plus de passion que les musulmans au Moyen-âge l'art de conter et de rapporter..."1. Ce jugement convient-il toujours au conte populaire dans le monde arabe à la fin de ce siècle ? J . R . , le "Dallassois", n'a-t-il pas envahi l'imaginaire arabe, tout en chassant les Contes d'Antar et du Zir Ben Salem ? Quelle structure régit ce conte pour qu'il puisse se perpétuer et se régénérer d'un siècle à un autre, et d'un pays arabe à un autre ? Peut-on, ainsi, parler d'un conte populaire spécifique au monde arabe ?

I. STRUCTURE DU CONTE POPULAIRE

La sémantique a accompli, au moins dans le domaine du conte populaire, des avancées considérables et bien précises, surtout avec les études de V . Propp. Elles nous sont d'une grande utilité, et nous évitent de soulever des problèmes d'ordre méthodologique. Tout chercheur arabe (ou non-occidental), soucieux de la rigueur académique, a à tester, en effet, la validité de l'approche structuraliste pour le texte arabe (ou non-occidental), car cette approche est le produit d'une investi-gation propre à un "Texte", et à des formes littéraires particu-lières, voire nationales et communautaires. Notre étude ne nécessite pas une vérification, ni une adaptation du modèle proppien d'analyse, et ceci pour deux raisons distinctes, mais non moins liées :

Le Conte populaire n'est pas une forme "nationale" d'expression littéraire ou populaire. Il est commun à l'humanité, autant par son contenu que par sa forme.

- Depuis l'étude de Propp sur le conte merveilleux russe en 1928, nous savons que ce conte est structuré d'une

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façon bien déterminée : ce qui vaut pour le conte russe vaut bien pour le conte arabe.

Mais où trouver ces contes ?

Nous n'avons pas dans ce domaine un problème particulier. Des contes oraux ont été rassemblés et publiés dans plus d'un pays arabe. Facilement nous avons pu recourir à des livres (ou à des essais) rassemblant (ou étudiant) ce conte. Nous nous contentons d'en citer quelques uns à la fin de cette étude2.

Ces livres sont souvent le fruit d'un effort individuel, d'un écrivain spécialiste dans ce domaine ou d'un chercheur universitaire, non d'un groupe d'enquêteurs, ou d'une politique officielle, de tel ou tel gouvernement arabe, pour recenser le patrimoine oral. Nous retrouvons, en effet, dans ces livres un nombre limité de contes arabes. Car l'intérêt des chercheurs était souvent lié aux nécessités de l'analyse, et non pas au recensement (exhaustif) de ces contes : Quelques contes suffisent pour développer une analyse, ou pour proposer une analyse comparative des contes arabes. A notre connaissance, aucun organisme arabe, officiel ou privé, n'a entrepris la tâche de recenser les contes arabes dans les campagnes comme dans les villes. Toutefois certains organismes officiels arabes (les ministères de la culture ou de l'information) publient régulière-ment des revues spécialisées dans ce domaine.

Nous tenons, cependant, à souligner l'intérêt du projet du "Conseil International de la Langue Française". Ce Conseil a constitué un groupe de chercheurs tunisiens, marocains et algériens, pour le recensement de "Contes Maghrébins" dans leur pays d'origine. Une enquête a été menée sur le terrain, et le résultat de ce travail a été publié dans une édition bi-lingue, franco-arabe. L'intérêt de ce travail est avant tout pédagogique. Il est surtout destiné à des élèves arabophones (résidants au Maghreb ou immigrés en France) des classes du 1er cycle de l'enseignement secondaire. Ce livre, en étant bilingue, pourrait également initier les jeunes français à la culture arabe. Le livre propose "l'explication pédagogique" la plus variée possible des contes maghrébins. Après chaque conte publié, le livre propose quelques exercices : exercices de compréhension globale par un jeu de questions-réponses,

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des exercices structuraux de vocabulaire et de grammaire, le découpage des contes pour en retrouver le schéma ou la struc-ture, etc.

Le recensement du conte populaire arabe, d'une façon méthodique et systématique, reste à faire. Le recensement du conte est une chose, et l'analyse de sa structure en est une autre. Nous n'avons pas besoin d'étudier un nombre consi-dérable de contes pour définir sa structure. Quelques contes nous suffisent. Cela est dû à la nature même du conte, qui est caractérisé par la constance et les répétitions des fonctions et des motifs.

L'étude de trois contes représentatifs proposera et for-mulera des directions et des unités de mesure pour aborder la structure du conte populaire.

1.1. Etude structurale

A. Conte Egyptien (sans titre)

"Un roi et son vizir se promenaient dans leur royaume. Ils s'arrêtèrent chez un pauvre pêcheur, et passèrent la nuit chez lui.

La nuit, le vizir entendit une grande agitation. On lui dit que l'épouse du pêcheur était en train d 'ac-coucher. Après un certain temps, le vizir apprit la naissance. Il vit alors une lumière éclatante et entendit les anges dire que le nouveau né serait roi sur terre. Il réveilla le roi, lui fit part de ce qu'il avait entendu, et lui dit : il faut que nous nous débarrassions de cet enfant !

Le vizir proposa alors au pêcheur d'acheter l'enfant contre un millier de livres. Le pêcheur accepta. Le vizir prit l'enfant et le jeta dans la mer. Il fut avalé par un gros poisson.

Un pêcheur pécha le gros poisson et le mit en vente. Ce fut le père de l'enfant qui l'acheta. Il ouvrit le ventre du poisson et y trouva son enfant. Quelque

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temps plus tard le roi et le vizir revinrent chez le pêcheur afin de savoir ce qu'il était devenu. Ils furent étonnés de revoir l'enfant, devenu jeune h o m m e . Ils décidèrent de se débarrasser du garçon d'une autre manière. On demanda au pêcheur d 'en -voyer son fils au palais, et on lui donna une lettre, lui demandant de ne pas l'ouvrir. Cette lettre, destinée à l'intendant du palais, transmettait l'ordre de tuer le garçon dès son arrivée. Arrivé aux abords du palais, le garçon se sentit fatigué et dormit. Alors qu'il était endormi, la fille du roi le vit, ainsi que la lettre. Elle envoya sa servante chercher la lettre sans réveiller le garçon. Quand elle eût lu la lettre, elle prit peur. Elle la déchira et la remplaça par une autre, où il était écrit : "Si le messager arrive, tu le proclameras roi, et tu lui accorderas la main de ma fille".

Aussitôt lu, aussitôt fait.

De retour au palais, le roi apprit ce qui s'était passé. Il céda le trône à son nouveau gendre, tout en disant que c'était la volonté de Dieu. Puis il condamna à mort son dangereux vizir."

Afin d'effectuer une description exacte du conte, nous ferons appel à la méthode de Propp. Cette méthode propose d'étudier ce conte à partir des fonctions des personnages, que nous devons isoler d'abord :

i) Eloignement : le roi et son vizir s'éloignent du palais.

ii) Interdiction : d'emblée ce conte pose un problème, car il prend une forme inversée : le héros n'est pas le roi, ni le vizir, mais plutôt le nouveau né, après rétro-lecture du conte. Le roi n'est que le faux héros, et le vizir, l'agresseur. Donc, la pré-sence du roi et du vizir dans la maison au moment où le futur roi est sur le point de naître est mena-çante, et le spectre de l'adversité plane déjà, bien qu'invisible, au-dessus de cette famille. Le héros se fait signifier, donc, une interdiction, dans une forme inversée.

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iii) Transgression : la mère ayant accouché, l'interdic-tion est transgressée.

iv), v) Information : l'agresseur reçoit des informations sur sa victime.

vi) Tromperie : le vizir décide de s'emparer du nouveau né.

vii) Complicité : le héros, représenté par son père, se laisse tromper et aide ainsi son ennemi malgré lui.

viii) Méfait : l'agresseur nuit au héros en le jettant dans la mer.

Nous ne tenons pas à poursuivre cette enumeration. Cette étude est scrupuleusement conforme au modèle proppien, d'une fonction à une autre, sauf à la fin, où l'ordre des deux der-nières fonctions est inversé :

xxxi) Mariage : le héros se marie et accède au trône.

xxx) Punition : l'agresseur est puni.

B. Le Chasseur et le Cadi (conte maghrébin)

"Il était une fois un chasseur qui sortait chaque jour dans les grasses prairies et les sombres forêts. Il ramenait tous les soirs de quoi se nourrir le lende-main.

Un jour, il prit le plus gros perdreau de sa vie et décida de le faire cuire au four du village en le truffant de bonnes choses : épices, ail, oignon, plantes aromatiques...

Il le porta de bon matin et demanda au boulanger de faire très attention à ce délicieux repas et de ne pas trop le faire cuire afin de ne pas le griller complètement.

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Comm e par hasard, ce jour-là, le cadi dans sa pro-menade quotidienne passa devant le four et fut frappé par l'odeur alléchante qui émanait du four. Sa curio-sité le poussa à entrer et à demander au boulanger :

- Qu'avez-vous de si bon dans votre four ?

- Oh rien, ce n'est qu'un perdreau truffé appartenant au chasseur du village qui en fera son repas, ré-pondit le boulanger.

- Vous allez me donner ce délicieux perdreau, j'en ferai mon repas d'aujourd'hui, répondit le cadi. Il en avait l'eau à la bouche.

- Mais, répliqua le boulanger embarrassé, je ne peux vous donner ce qui ne m'appartient pas, que dirais-je au chasseur ?

- Tu vas me donner ce que je te demande et, lorsque le chasseur viendra, tu essaieras de te débarrasser de lui ; si tu n'arrives pas à le convaincre, alors tu lui diras d'aller voir le cadi. Moi, je mettrai un terme à tout cela, conclut le cadi.

Le cadi emmène donc le perdreau et, à midi, le chas-seur arrive pour chercher son repas.

- Tu ne m ' a s rien donné et dans le four, il n'y a que du pain, lui dit le boulanger.

- Comment, je t'ai donné ce matin un perdreau truffé à faire cuire, s'écria le chasseur.

- Tu ne veux pas me croire, allons voir le cadi, lui jugera notre querelle, répondit le boulanger.

Cette proposition fit l'affaire du chasseur : ils vont tous deux chez le cadi.

- Racontez-moi votre histoire, demande le cadi, en s'adressant au chasseur avec malice.

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- Eh bien, Excellence, j'ai donné un perdreau truffe à faire cuire à ce boulanger. Quand je suis venu le chercher, il a prétendu que je n'avais rien donné. Je veux mon perdreau, c'est mon repas.

Le cadi, bien sûr, avait préparé la réponse qu'il ferait au chasseur, il lui dit donc ironiquement : "cette plainte mérite l'ouverture du livre sacré qui nous donnera la solution de ton problème". Le cadi ouvre un livre et reprend : "Le livre sacré dit que le perdreau s'est envolé".

Le chasseur surpris répond au cadi : "Peut-être que le perdreau s'est envolé, mais est-ce que les épices, l'ail et les arômes se sont envolés avec lui ?" Alors le cadi s'étonne de la finesse du chasseur et avoue : "C'est moi qui ai pris ton perdreau parce que l'odeur a chatouillé mes narines et je n'ai pu résister. Maintenant je vais te payer ton perdreau et je t'invite à déjeuner." Ainsi, le chasseur fut convié à la table du cadi et, en plus, il reçut un sac d'or, en guise de récompense.

Bien penser, bien dire, font faire de grand chemin."

Le début du conte présente en même temps la situation initiale et la première fonction (éloignement) : un chasseur s'éloigne (tous les jours) de sa maison (pour chercher sa nourriture).

Interdiction : le chasseur donne l'ordre au boulanger de bien préparer son perdreau dans le four, donc de bien le garder. Cette demande suppose nécessaire-ment que le chasseur interdise au boulanger de donner le perdreau à autre que lui.

Transgression : l'interdiction est transgressée. Un nouveau personnage fait son entrée dans le conte : l'agresseur du héros.

Interrogation, Information : l'agresseur essaye d ' o b -tenir des renseignements en posant des questions au boulanger. Il les obtient.

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vi), vii) Tromperie, Complicité : l'agresseur tente de tromper le boulanger, en imposant son autorité. Le boulanger se laisse tromper...

viii) Méfait : l'agresseur nuit au chasseur en emportant son repas quotidien.

ix) Médiation : la nouvelle du méfait est divulgué.

x) Début de l'action contraire .: le héros décide d'agir, accompagné du boulanger.

xii) Première fonction du donateur : le héros subit un questionnaire de la part de l'agresseur.

xvi) Combat : le héros et son agresseur s'affrontent... verbalement.

xviii) Victoire : l'agresseur est vaincu. Le cadi avoue au chasseur sa supercherie.

xix) Réparation : le méfait initial est réparé. Le cadi offre au chasseur un sac d'or, et il l'invite à sa table.

Comm e nous pouvons le constater, les fonctions des per-sonnages dans ce conte se déroulent dans les limites des fonc-tions répertoriées par Propp, tout en gardant le même ordre de succession. Rien à signaler, donc, sauf le nombre limité des personnages. Trois au lieu de sept, comme dans le conte merveilleux. Nous arrivons facilement à reconnaître dans les fonctions du chasseur les traits du héros, et dans celles du cadi les traits du méchant. Toutefois nous ne retrouvons dans les fonctions du boulanger aucun des traits des sept personnages répertoriés par Propp. Nous pouvons, néanmoins, partiellement retrouver dans les fonctions du boulanger les traits du person-nage donateur. Car le boulanger fait passer dans un sens, une épreuve au héros, ce qui caractérise les fonctions du dona-teur. Toutefois il nous semble nécessaire de répondre à la question, déjà posée par Propp : qui "fait quelque chose et comment il le fait", après avoir su ce que les personnages "ont fait". En effet, l'étude des attributs des personnages

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et leur signification pourra nous apporter de nouvelles indica-tions pour étudier la structure de ce conte.

Ce conte n'est qu'un duel, non violent, d'aspect légère-ment amusant, entre le cadi et le chasseur, entre les ruses du pouvoir et l'intégrité et le courage du pauvre. Le cadi a pu monter sa machination, en compromettant le boulanger, non pas avec violence, ni avec un moyen "magique" ou autre, mais seulement en imposant le poids de son autorité religieuse et sociale. La fin du conte ne remet pas en question le statut social des personnages avant leur entrée en scène (comme dans le conte précédent), qu'il s'agisse du cadi et du chasseur, ou du boulanger. Le chasseur est gracieusement récompensé à la fin, mais le cadi, l'agresseur, n'a été que momentanément vaincu. L'ordre religieux et social a été aussitôt rétabli. Le chasseur ne connaîtra pas un changement de son statut social, sauf au moment où, lors d'un repas, il est invité à la table du cadi. Le cadi restera cadi, après avoir abusé de son pou-voir pour satisfaire sa convoitise. L'objet de la convoitise ne remettait pas en cause l'ordre établi, contrairement au conte précédent. Est-ce à dire que le conte est anti-religieux ? Non, car la critique est adressée au cadi, et non à la religion elle-même. Dans beaucoup de contes arabes nous retrouvons cette distinction entre "deux sortes de religion: celle de l'habit et ses apparences, et celle du coeur et de la foi en Dieu, la véritable" 3 . La première est souvent incarnée, comme dans notre conte, par le cadi, et parfois aussi par le roi, chef politique et religieux, dans d'autres contes. La seconde reli-gion est souvent incarnée par des hommes pauvres, dont la foi religieuse et l'honnêteté morale sont assez solides.

C . Le pauvre et l 'ange

"Il était une fois un homme, victime d'une telle pau-vreté, que sa vie même en était menacée. Il sortit alors à errer. Quant il se rendit compte qu'il ne possédait plus que ce qu'il portait, il ôta son chapeau et le jeta au loin. A son grand étonnement, le chapeau revint de lui-même se poser sur sa tête. Il le jeta de nouveau, et le chapeau se posa une seconde fois sur sa tête. Il le jeta une troisième fois, de toutes ses forces, et un inconnu se présenta devant lui,

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en lui demandant pourquoi il jetait son chapeau de cette manière. L ' h o m m e lui expliqua qu'il était devenu si pauvre qu'il voulait se débarrasser de ses vêtements, du peu qu'il possédait encore. L'in-connu tempéra le désarroi du pauvre, et lui expliqua qu'il pouvait l'aider à gagner de l'argent, car cet inconnu faisait guérir les gens et gagnait ainsi sa vie. Le pauvre accepta l'offre, et accompagna l'in-connu. Leur première rencontre fut avec un aveugle, l'inconnu le guérit et reçut sa récompense. Puis il guérit un paralytique, un lépreux et un fou.

Ils purent ainsi gagner une forte somme d'argent. Le pauvre demanda alors à l'inconnu d'arrêter leur tournée : "cette somme d'argent est suffisante. Par-tageons-la". L'inconnu accepta l'offre. Ils s'assirent pour effectuer le partage. A chaque maladie corres-pondait une certaine somme d'argent. L'inconnu insista pour répartir les gains en fonction des diffé-rentes maladies. Puis il invita le pauvre à choisir. Le pauvre se précipita et ramassa les sommes d'argent sans les maladies. Mais l'inconnu l'arrêta et lui dit : "Tu ne peux pas prendre l'argent sans les maladies. Ou tu respectes la règle du jeu, ou tu ne prends rien." Le pauvre, après avoir réfléchi, décida de ne rien prendre. L'inconnu disparut aussi-tôt. Et le pauvre se mit en route, à la recherche d'un travail."

Dès le début, nous remarquons que les fonctions des per-sonnages ne correspondent pas parfaitement au modèle proppien. Nous relevons dans ce conte six fonctions seulement :

viii)-a (Manque) : le pauvre manque d'argent, de moyens de vivre... un manque qui frise la mort.

ix) (Départ) : le héros quitte (sa maison ?) . Le point de départ n'est pas signalé.

xii), xiii) et xiv) (Première fonction du donateur, réaction du héros, et réception de l'objet magique) : l'inconnu, ou le donateur, fait passer une épreuve au héros. Il réagit positivement à l'offre du donateur, en l'ac-

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compagnent. L'objet "magique", c'est-à-dire les, sommes d'argent, est mis à la disposition du héros.

xix) (Réparation) : le manque est comblé. Mais de quelle façon !? A la fin du conte, le héros ne gagne pas la grosse fortune, mais il acquiert une leçon morale : il faut chercher du travail, et non pas se laisser désespérer par la difficulté des conditions de la vie.

Les personnages nous posent, eux aussi, quelques pro-blèmes: nous reconnaissons dans les fonctions de l 'homme pauvre les traits du héros. Mais, dans ce conte, qui est l'agresseur, le méchant ? N'est-il pas le reflet d'une attitude psycholo-gique (le désespoir) ? L'inconnu est-il le donateur, ou une personne symbolique désignant le héros lui-même ? Et quel a été le moyen magique que le donateur a offert au héros afin de combler son manque ? Ce n'est ni une bague magique, ni un dépôt d'or caché, mais des arguments et des choix rationnels.

1.2. Etude structurale comparative

Nous n'avons pas besoin d'étudier plusieurs contes pour relever les aspects qui caractérisent la structure du conte populaire dans le monde arabe : elle a, généralement, une "constance" qui favorise une formulation rapide des définitions.

A. Contes et versions

Parmi les contes publiés, qui ont fait l'objet de notre étude, nous avons pu en relever un nombre considérable qui correspondent exactement au modèle d'analyse proposé par Propp pour le "conte merveil-leux". Si nous nous étions contentés de reproduire ces contes, tout en prouvant leur conformité avec le modèle proppien, notre démarche n'aurait rien apporté de neuf. Nous avons tenu à ce que les deux derniers contes choisis ne soient pas parfaitement conformes au modèle, mais qu'ils représentent des différences, caractéristiques au conte populaire dans le monde arabe.

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Il est presque impossible de tracer l'historique des contes, et de retrouver l'itinéraire de leurs déplace-ments d'un pays à un autre, d'une aire culturelle à une autre. Cette constatation peut-elle induire la conclusion suivante : le récit d 'un même conte variera moins du Liban à l'Irak, que du Liban au Sénégal. Prenons l'exemple du conte "Le Chasseur et le Cadi", cité ci-dessus : nous retrouvons ce conte dans le livre "l'Imaginaire Maghrébin" k , où il s'agit de troix perdrix (au lieu d'un perdreau), et le conte est très long ; aussi le chasseur a d'autres m é s -aventures qui le mènent devant le cadi et celui-ci, au prix de trois injustices, le dédommage de ses perdrix. Dans une version différente, ce conte com-mence autrement. Les mésaventures du chasseur font partie d'un autre conte plus connu sous le nom "Le Canard du Cadi", qu'on retrouve en Egypte et même en Irak. On le retrouve en version plus courte dans "Les mille et un contes et légendes arabes" de R. Basset et chez les Ait jennad sous le nom : "Le marocain et le juge".

Prenons aussi l'exemple du premier conte étudié ci-dessus : nous retrouvons ce conte dans cinq versions, syrienne, libanaise, palestinienne, jordanienne et irakienne, peu différentes de la version égyptienne, que nous avons reproduite.

Nous retrouvons le même phénomène dans bien d'autres contes : il suffit de retrouver des Arabes, originaires de pays arabes différents, se disputant tel ou tel conte, afin de constater que leurs versions diffèrent peu l'une de l'autre. Citons quelques exemples : le conte "Les trois pommes" est presque le même dans ses diverses versions arabes (égyptienne, liba-naise et autres) 5 . C'est le cas aussi du conte "Le chasseur et l'oiseau" dans ses versions, littéraire et populaire, palestinienne, syrienne et autres 6 . Et de bien d'autres contes encore...

C'est le cas aussi du conte égyptien " L ' h o m m e qui a accouché d'une fille" que nous retrouvons dans une version libanaise sous le titre " L a m s , la princesse

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de Beyrouth", et dans une version palestinienne sous le titre "La femme aux mains coupées". De même, il existe peu de différences entre le conte "La fille qui a épousé un chien", le conte "Thurayya, la fille de l'ogre et la chienne noire" et deux autres contes irakiens...

Afin de mieux illustrer notre propos, nous proposons les modèles logiques suivants :

- Prenons le cas du conte A , avec les fonctions : a, c, f, m , s, t, z. Ce conte pourra avoir les versions "nationales" :

. A : a, e, f, o, q, u, z.

. A : a, d, f, 1, z.

- Prenons le cas du même conte A dans les pays arabes. Il peut avoir les versions :

A A A

a, c, g, m , p, z. a ' , c ' , g, m , p ' , z. a, c' , g ' , m , p' , z' .

Nous défendrons, donc, la thèse suivante : si le même conte change de fonctions d'un pays à un autre, ce changement touche moins les fonctions que les attributs des personnages, quand il s'effectue dans la même aire culturelle (arabe dans notre étude).

Ainsi il nous intéresse moins d'étudier les fonctions des personnages que d'étudier leurs attributs pour comprendre la "spécificité" d'un conte dans une aire culturelle plutôt que dans une autre.

Conte et contexte

Propp a dit : il existe un canon international, des formes nationales, en particulier indiennes, arabes, russes, allemandes, et des formes provinciales : du Nord, de la région de Novgorod, de celle de Perm, de Sibérie, etc." 7 . Quelle est cette "forme natio-nale", arabe, dont parlait déjà le savant russe ?

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Notre objectif dans cette étude est bien modeste : relever quelques indications et renseignements concer-nant les attributs, ou les qualités externes des per-sonnages (âge, sexe, situation, apparence extérieure avec ses particularités, habitat...). L'étude de ces valeurs variables nous renseigne sur les rapports qu'entretient le conte avec le contexte socio-historique.

Les personnages dans les contes arabes sont riches de renseignements : dans -le conte que nous avons étudié, le cadi, de par ses attributs dans la société arabo-musulmane médiévale, nous renseigne beaucoup sur la réalité de cette société. Dans ce même conte, la façon dont le chasseur a préparé son perdreau pour le griller (en le truffant d'épices, ail, oignon, plantes aromatiques...), reflète bien des traditions propres à cette région.

Les noms de lieux et de personnes, célèbres ou ano-nymes, les traditions locales, les apparences exté-rieures (habitation, vêtements...), nous donnent beaucoup d'informations sur la société.

Les conteurs arabes se servent beaucoup de la situa-tion initiale de chaque conte pour le situer dans son contexte régional : "il était une fois un cheikh de tribu. Il était l'ami d'un syrien, qui a passé huit ans de sa vie dans le commerce", ou cette autre situation initiale : "il était une fois un homme nommé "Jidar" qui gouvernait la grande Syrie, qui était constituée du Liban, de la Jordanie et de la Palestine. Jidar se rendait avec ses cavaliers dans les villages et les villes afin de ramasser les impôts. Les villes, Jérusalem entre autres, se plaignaient de cet état de fait".

Des contes populaires renvoient continuellement aux pays arabes, aux personnes comme aux lieux, à l'his-toire comme à la géographie. Nous pouvons facilement proposer des inventaires :

- Les personnages ne sont pas souvent désignés par leurs métiers (pêcheur, chasseur...), ou par leur apparence physique (grand, aveugle...) mais par

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leur nom propre. Ils ont les noms : Mohammad, Ali, Hussein, Ziyad, L a m s . . .

- Les noms des lieux sont cités d'une façon impré-cise : le désert, les campagnes, les villages et les villes dans un nombre de contes peu limité. Les lieux sont parfois bien localisés : le conte se déroule dans un village irakien, ou à Beyrouth ; dans une caravane commerciale entre Damas et Baghdad, ou l'Egypte et la Palestine ; dans des champs agricoles, ou des magasins (four, menuiserie, forgerie... ) , dans un "Khan" (caravansérail)...

- Nous pouvons facilement relever les vêtements locaux (Kefieh, Djallaba, Serwal . . . ) , ou les outils de travail, agricole ou artisanal, ou les armes (bâton, poignard...), ou les instruments musicaux locaux (rebec, flûte...), ou les différents plats de la cuisine locale. Nous pouvons relever les différents arbres et plantations : les fruits (pomme, orange, pêche, raisin, poire, abricot, grenade. . . ) , comme les légumes (courgette, tomate, pomme de terre...).

Les contes populaires arabes ne proposent pas seule-ment des indications ou des signes pour localiser tel ou tel conte dans son contexte socio-géographico-historique, mais ils reflètent aussi des images, riches d'informations, sur ces sociétés. En effet, nous pouvons retrouver dans les contes la structure d'une société et l'originalité d'une aire culturelle, d'une civilisation. Dans le conte déjà cité "Le chasseur et le cadi", nous retrouvons lecadi- personnalité importante dans la société arabo-musulmane médiévale. Le cadi est souvent acteur dans ces contes. Il repré-sente le sommet de la hiérarchie, et le chasseur le bas de l'échelle sociale. Le duel entre le roi et un jeune pauvre, caractérisant souvent le conte merveilleux, se perpétue dans les contes arabes en une confrontation entre deux acteurs sociaux antago-nistes. Nous retrouvons les couples suivants :

. roi ¡É jeune pauvre

. cadi ¿ chasseur, pêcheur

. chef de tribu ¿ jeune d'une tribu ennemie

. maire ^ jeune villageois.

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Il faut, donc, considérer le conte en rapport avec son milieu, avec la situation dans laquelle il est créé et dans lequel il vit. Certains contes mettent en évidence des "scènes" puisées dans la vie quoti-dienne de ces sociétés. Tel conte palestinien ou égyptien relate "La nuit du Henné", la nuit qui pré-cède le mariage, où la future mariée est entourée par ses amies et ses proches, pour préparer son maquillage. Ou "La nuit de la rentrée" (la nuit de noces), où le nouveau mari pénètre dans sa maison, attendu par son épouse, après avoir été séparé de ses amis. Ou les contes qui décrivent le mariage bédouin : la mariée est portée par un chameau riche-ment paré, le mari monte sur un cheval, dans un cortège, au cours duquel les jeunes cavaliers font une course.

Les mariages ne se font pas facilement. Le "Happy end" n'arrive souvent qu'après des luttes acharnées, entre deux tribus ennemies, entre un père avare qui exige une dot très élevée et un jeune qui est pauvre mais brave. Les dots peuvent être quasi impossibles. Les jeunes filles aussi (pas seulement leurs pères) font subir aux prétendants des épreuves insurmonta-bles : apporter l'eau de vie, tirer d'immenses tas de grain mélangées, ou bien payer leur pesant d 'o r . . .

Imrou Al-Kafs (poète arabe anté-islamique) n'épousera que la femme qui aura pu lui dire ce que signifie "huit, quatre et deux" (les pis de la chienne, ceux de la chamelle et les seins de la femme) . El Djazîa n'épousera que celui qui aura compris la phrase : "Entrez sept et laissez quatorze dehors" (les sept hommes doivent entrer et laisser leurs chaussures dehors). On doit passer par l'épreuve (ici intellec-tuelle et mentale) pour mériter l'épouse, c'est-à-dire pouvoir s'intégrer et être accepté par la société.

Les problèmes tribaux déchirent les histoires d 'amour , rappelant souvent la fameuse histoire du "Fou de Leila". La femme n'est pas souvent reléguée au second plan. Elle tient souvent le devant de la scène. Elle est, dans beaucoup de situations, maligne, in-

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trigante, comme dans le récit des "Mille nuits et une nuit". Le titre d'un conte résume bien le cas : "La tromperie des femmes a vaincu celle des h o m m e s " .

C. Les types du conte populaire

Quels sont les types et les genres du conte populaire dans le monde arabe ? Dans quel genre de contes pouvons-nous classer les trois contes déjà cités ? Quels sont les critères qui déterminent une telle topo-logie ?

V . Propp ne s'est pas attardé sur ce problème : "L'existence des contes merveilleux en tant que caté-gorie particulière sera admise comme une hypothèse de travail indispensable. Par contes merveilleux, nous entendons ceux qui sont classés dans l'index d'Aarne et Thompson sous les numéros 300 à 749" 8 . A la fin de sa fameuse étude, le savant russe nous donne une définition méthodique du conte. Cette définition nous a été utile, car elle recoupe parfaite-ment beaucoup de contes arabes, merveilleux ou non.

Notre étude montre bien l'utilité du modèle proppien, pour les contes merveilleux (comme pour le premier conte étudié), ainsi que ses limites (comme pour les deux autres contes).

Réexaminons le second conte : le modèle proppien, appliqué à ce conte, rend compte de sa structure, mais d'une façon incomplète : beaucoup de passages ne sont pas inclus dans le répertoire des fonctions. En effet, tout le paragraphe, qui décrit la tentative du pauvre de se débarasser de son chapeau, ne figure pas dans le catalogue des fonctions. Ce catalogue ne rend pas toutes les nuances narratives (dialogues et situation) "lisibles".

Notre propos, ici, n'est pas de discuter directement le modèle proppien, mais de relever indirectement la richesse et l'étendue du conte populaire arabe, ainsi que les problèmes méthodologiques que soulève

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cette étude. Notre propos, ici, est de signaler que le conte populaire arabe connaît des transformations structurelles, et non seulement des nouvelles versions et variations, face auxquelles le modèle proppien devient inopérant.

Il est impossible dans une étude aussi courte de développer toute une démonstration (jamais faite encore) pour élaborer des définitions, voire des critères, en vue d'une topologie du conte. Nous nous limite-rons, donc, à reproduire la topologie des contes arabes, telle qu'elle se présente dans divers essais arabes. Nous pouvons retrouver les "types" suivants : contes merveilleux, contes de la réalité sociale, contes comiques, contes d'animaux, contes de croyances, contes des expériences personnelles et contes des "chuttars". Examinons-les type par type :

a) Les contes de la réalité sociale sont abondants et très variés. Ils décrivent des situations sociales puisées dans la réalité quotidienne, où s'affrontent souvent deux personnages très "typés", l'un repré-sentant les valeurs sociales, et parfois religieuses, positives, et l'autre représentant les défauts et les vices.

La thématique de ces contes touche à tous les sujets qui intéressent une société quelconque : la thémati-que "politique" traite souvent la question du pouvoir, où la justice est toujours menacée par des vizirs comploteurs ou par des cadis corrompus. La thé-matique "sociale" oppose les riches, souvent méchants et vilains, à des pauvres, souvent valeu-reux et courageux. La thématique "morale" expose des situations sociales, qui confirment les valeurs morales face aux mesquineries, aux fourberies et aux complots.

b)Les contes amusants racontent des anecdotes, ou des histoires qui se terminent d'une façon drôle et divertissante. Ils sont souvent pris dans la réalité quotidienne, bien loin des fables et des contes merveilleux.

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c) Les contes d'animaux se subdivisent en deux groupes: des contes "explicatifs" qui racontent, par exemple, le phénomène de l'éclair ou l'origine de la couleur du corbeau ou comment Dieu a envoyé un oiseau pour apporter l'eau de vie ; et des contes "allégo-riques", où les animaux jouent les rôles des hommes (chaque animal représente un personnage bien "typé": le pigeon doux, le serpent malin, le lion brutal...).

d)Les contes des croyances sont souvent inspirés de la religion. Ils racontent des histoires reli-gieuses très célèbres, concernant Moïse, Suleiman le Sage, ou Marie. . . Ils relatent aussi les his-toires du prophète et de ses compagnons. Ces contes tiennent à incruster ces histoires dans la mémoire collective, avec un message religieux expli-cite, même figé.

e) Les contes des "chuttars" exigent d'amples explica-tions. Qui est le "chater" ("chuttars" au pluriel)? Il ne faut pas chercher la signification de ce nom dans l'arabe classique (le malin), mais plutôt dans les dialectes arabes. "Chater", dans les croyances populaires arabes, désigne " l ' h o m m e qui a vécu une vie dure, loin de tout confort, et qui a été souvent orphelin, vivant hors du sys-tème familial, en marge de la société, s'appuyant sur ses forces physiques. . .et parfois, malgré lui, sur les ruses et les vols" 9 . Beaucoup de "chuttars" sont très célèbres, comme Hassan Al-Chater, ou Mohammad Al-Chater.

Une constante illustre le caractère compensateur de ce type de contes. Ceux qui, dans la société sont opprimés ou méprisés, prennent le dessus et, ce, grâce à la ruse. On oppose ainsi la ruse à la puis-sance physique ou morale, ou la ruse à une ruse.

Nous tenons, à la fin, à insister sur un fait qui caractérise souvent tous les types de contes, qui est leur finalité pédagogique (parfois religieuse). Le conte populaire, que ce soit amusant, social, mer-veilleux ou autre, transmet un message, bien explicite,

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valorisant les idéaux moraux (parfois religieux) de la société. Les valeurs communautaires sont mises en évidence, confirmées et glorifiées ; et l'intérêt collectif passe avant l'intérêt individuel. Le conte "Le chasseur et le cadi", déjà étudié, se termine par cette phrase, fort éloquente : "Bien penser, bien dire, font faire grand chemin". Beaucoup de contes se terminent par une maxime, ou un message : " N e trahis pas celui qui a cru en toi, même si tu es traître", ou "Que tes pieds ne dépassent pas ton edredón". . . Les valeurs traditionnelles, comme la patience, la générosité, la modestie, la probité, sont mises en valeur.

D . V is ions, Etapes

Nous ne pouvons pas dire que le conte "Le chasseur et le cadi" date de l'époque anté-islamique, car le personnage du cadi est proprement caractéristique de la société arabo-musulmane, qui a favorisé le cumul de deux pouvoirs, religieux et temporel. Nous avons beau dire que l'histoire, ou la genèse, d'un conte est impossible à situer dans le temps et l'es-pace, dans l'histoire et la géographie, il est toujours possible de déceler des indications historiques, vagues mais évidentes. Nous pouvons citer beaucoup d ' e x e m -ples qui situent tel ou tel conte dans telle ou telle période historique. L'intérêt d'une telle démarche reste excessivement minime, car il se résume, à vrai dire, à le situer avant ou après l'islam, et parfois durant l'époque ottomane. Nous ne pouvons pas affiner davantage ce schéma historique.

N. Ibrahim croit retrouver, par contre, dans l'histoire du conte populaire, le passage d'un conte "romantique" à un conte "réaliste", d'un conte "merveilleux" à d'autres contes, plus rationnels que magiques. En quoi consiste selon elle la (ou les) différence(s) structurelle(s) entre les deux genres :

- le rapport entre le monde inconnu (ou le monde de l'au-delà) et le monde connu (ou le monde ter-restre) est présent dans les deux genres, mais

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d'une façon différente : dans le conte "merveilleux", le monde inconnu n'est pas très loin du monde connu, mais il est très proche. Le héros ne fait que se déplacer d'un lieu à un autre, non d'un monde à un autre. Contrairement, donc, au conte "réaliste", où le changement est vraiment entier (dans le cas où il se produit, car le héros ne se déplace souvent que sur terre dans ce genre de contes) entre les deux mondes. Le héros "réa-liste" distingue bien entre ces deux mondes, con-trairement au héros "romantique" qui ne sent pas, ou n'a pas conscience de ce besoin : l'au-delà est bien l'au-delà, non l'anti-chambre de notre terre ;

- le héros "romantique" est motivé en se dirigeant vers l'autre monde, par son envie de réparer le méfait (ou de satisfaire le manque), mais le héros "réaliste" est poussé par le besoin de répondre à des questions et à des problèmes d'ordre méta-physique (découvrir ou explorer les secrets de l'autre monde) ;

- les personnages "romantiques" se déplacent sans gêne, sans problèmes, dans_. _le temps et Vespace, contrairement aux personnages "réalistes", où ils se rendent compte, et difficilement, de ces déplace-ments.

Nous pouvons, ou plutôt nous préférons parler de trois grilles thématiques, et notre thèse s'oppose, ainsi, à la thèse exposée ci-dessus. Cette thèse aurait pu être convaincante si elle n'éludait pas le conte "islamique" : où peut-on, en effet, regrouper les contes religieux ? Dans les contes "romantiques" ou réalistes ?

Nous pouvons relever dans ces contes l'existence de trois grilles thématiques : merveilleuse, religieuse et rationnelle (ou réaliste) :

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- la première grille oppose le monde terrestre à celui de l'au-delà, et des personnages innocents aux forces maléfiques (sorciers, Djins...). Le manque ou le méfait sont réparés par des moyens magiques ;

- la deuxième grille oppose le monde terrestre au paradis, ou la foi à la tromperie, et les person-nages pieux et intègres à des personnages corrompus et méchants ;

- la troisième grille expose un monde terrestre contra-dictoire, entre les riches et les pauvres, entre les injustices et les ruses...

II. PLACE DU CONTE POPULAIRE DANS LE MONDE ARABE

"L'art de narrer les contes, bien ancré en Orient, est en train de s'effondrer et de se détériorer, et nous trouvons de moins en moins dans les villes des jeunes attirés par cet art. L'art de conter a été, il y a encore vingt ans de cela, un métier de tout repos et une activité respectée. A cette époque, les conteurs prenaient place dans les cafés et les marchés, et étaient récompensés en argent et en cadeaux pour leurs contes et leurs histoires. Et les conteuses étaient les bienvenues dans l'inti-mité des maisons. Mais le cinéma et le gramophone ont pris la place des conteurs dans les villes, malgré la présence des vieux esclaves dans la majorité des familles, et celle des do-mestiques et des proches qui racontaient les contes dans les réunions familiales. M ê m e ceux-ci deviennent minoritaires, et le patrimoine oral, transmis d'une génération à une autre, sera progressivement une chose oubliée complètement" 10 . Ce constat, fort réaliste, ne vaut pas seulement pour l'Irak, mais aussi pour tous les pays arabes. Toutefois, le jugement porté par Lady Drawer, la conférencière, sur l'avenir du conte dans le monde arabe, reste excessif, cinquante ans après. Le conte populaire tient difficilement sa place, mais il n'est pas encore "une chose oubliée complètement".

Vérifions, de près, sa place dans les temps présents comme dans le passé, en mettant en relief ses traditions propres dans les pays arabes.

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II.1. Conte et communication

Les soirées d'hiver autour du "canoun" deviennent de plus en plus rares. Une enquête sur le terrain du groupe qui a colla-boré au livre "Contes maghrébins" confirme cette crainte. "Les contes vivent dans les livres plus qu'ils ne passent sur les lèvres des gens" x 1 . Nombreux sont ceux qui, comme N. Ibrahim, confirment cette constatation, fort répandue depuis des décennies. Le conte populaire est-il en voie de disparition dans le monde arabe ?

L'espace communicatif

Où retrouver le conte ? Et dans quel espace communi-catif ? Cette question ne se posait pas il y a cent ans et plus dans le monde arabe, car le conte, à cette époque, répondait à un besoin qui déterminait d'avance les lieux de communication. Le conte per-mettait à l'enfant de rentrer dans la collectivité, ou plutôt dans l'être collectif. La maison familiale était, donc, faite pour servir d'espace d'information, d'amusement et de transmission d'une génération à une autre. La grand-mère, pilier de la famille élar-gie, tenait le rôle de conteur, en tant que gardienne des valeurs traditionnelles.

La famille élargie n'est plus, et cède la place à une "famille nucléaire" dans les villes, et à un rythme lent, mais sûr, dans les campagnes. Il est évident que l'économie du marché a perturbé l'harmonie fami-liale, en rendant plus difficile l'acceptation des hiérar-chies sociales traditionnelles de la tutelle des aînés, surtout des grands-parents, sur les cadets. Le pas-sage de la campagne à la ville, la transition de la tradition vers un sous-produit de la modernité d ' e s -sence occidentale, ont bouleversé, et sont en train de remodeler, les familles arabes.

Dans les soirées familiales, la famille arabe n'est plus le lieu de transmission de ce patrimoine oral, car cet espace intérieur est envahi par des nouveaux moyens de communication (télévision, radio, v idéo. . . ) .

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Est-ce à dire que les nouvelles générations arabes méconnaissent complètement les contes ? Non, il y a toujours des moyens, moins systématiques et repérables qu'avant, pour la circulation de ces contes. La grand-mère ne détient plus exclusivement le rôle du conteur. Bien d'autres s'en occupent, parfois d'une manière "officielle" et commerciale, comme les conteurs professionels que nous retrouvons, ici ou là, dans les cafés arabes, surtout dans le mois de ramadan. Ce conteur- professionnel n'est plus que le témoin d'une époque révolue, un témoin "folk-lorique". D'ailleurs ce ne sont pas les enfants, ni les jeunes, qui assistent à ces soirées, mais plutôt des personnes âgées, qui rôdent dans l'espace imagi-naire de leur enfance. Au Caire, à Baghdad, à Damas, et dans bien d'autres villes arabes, nous ne retrou-vons plus ces conteurs que dans quelques cafés, dits "cafés populaires", où le conte est présenté comme un divertissement et un amusement après les journées de travail.

B. Le conte mis en scène

Les Arabes ne sont pas seulement demeurés fidèles aux contes populaires pendant des siècles, mais ils en ont fait aussi un art traditionnel, à la formulation claire et distincte. Les Arabes ne se sont pas seule-ment appropriés les contes provenant d'autres peuples et d'autres civilisations, mais ils ont aussi développé une mise en scène, une théâtralisation, ou un mode de communication, entre le conteur et son auditoire.

En effet, il ne suffit pas d'étudier la structure du conte, mais aussi la pratique de conter dans les sociétés arabes. Les conteurs ont développé toute une technique stylisée pour répandre le conte. Pas une technique, mais des techniques propres à chacun des pays arabes. Il ne suffit pas de "lire" les contes populaires ; il faut aussi, et surtout, les "entendre".

En quoi consiste, avant tout, cet art de conter ? A maintenir un rapport vivant de communication entre le conteur et ses auditeurs, afin d'attirer leur atten-

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tion, et ne pas les ennuyer. Le conteur arabe déploie toute une technique pour "accrocher" son auditoire : changer le ton de narration, théâtraliser les situations du conte par des gestes et des dialogues, user de certaines formules pour le début et la fin du conte, poser des questions aux auditeurs et attendre des réponses sur tel ou tel détail du conte... Toute cette technique anime les soirées arabes au point de chauffer, parfois, l'énergie et l'enthousiasme des auditeurs, jusqu'aux disputes.

Nous tenons à citer certaines formules célèbres pour signifier le début et la fin du conte dans quelques pays arabes :

- la tradition palestinienne :

Pour le début : "Il était une fois dans une époque lointaine..." ; ou "Que Dieu rende votre soirée agréable, ôh vous qui écoutez ma parole"... Pour la fin : "L'oiseau s'est envolé, que Dieu rende votre soirée agréable"...

- la tradition irakienne :

Pour le début : "Il était une fois, ôh vous amoureux du prophète, priez pour lui..." Pour la fin : "Ils eurent une vie heureuse", ou "Si ma maison était proche, j'aurai pu vous apporter un plat de pois chiches et un plat de haricot secs . . . " .

Nous tenons à citer ces deux exemples seulement, car les autres exemples (plus ou moins semblables) n'apportent pas de nouvelles données. L'art de conter n'est pas aussi figé dans des formules, il est l'art de tout conteur. Chaque conteur a son propre "style" à "jouer" le conte et à faire participer les auditeurs. Nabila Ibrahim nous montre dans l'un de ses livres 1 2

l'exemple d'un conteur égyptien, Abd Alhadi, qui adapte le conte d'une nouvelle façon, en racontant quelques paragraphes, et en en chantant d'autres, ou en les formulant sous forme de poèmes.

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Le conte populaire reste présent dans le monde arabe. Il circule toujours, tout en suivant de nouveaux itinéraires, qui ne réunissent plus la personne adulte et une assemblée de jeunes, mais un père et son fils, l'aîné et le cadet, un frère et sa soeur, deux copains... Le lien de transmission n'est plus social mais individuel. Il n'est plus codifié dans une institution mais laissé au hasard des jours et des rencontres.

Une petite enquête pourra démontrer notre constatation. Il est difficile à un jeune arabe de -vous répondre positivement à la question suivante : connaissez-vous bien les contes popu-laires ? Cette même personne pourra, sans grandes difficultés, se rappeler de la suite ou de la fin d'un conte populaire qu'on a commencé à lui raconter. Le conte se perd dans l'oubli, dans la concurrence, avec d'autres histoires, véhiculées par des moyens plus efficaces. J . R . , le méchant, est plus présent que tel ou tel méchant dans les contes populaires. L'imaginaire arabe, celui des jeunes surtout, est envahi par de nouvelles idoles, par de nouvelles valeurs, imposées - importées. Il n'y a que certains écrivains arabes, d'expression française et arabe, qui réactivent la présence du conte populaire dans leurs nouvelles et leurs romans * 3 .

Après la deuxième guerre mondiale, la littérature arabe a connu, dans beaucoup de domaines d'expression, un élan consi-dérable, basé sur une double conquête du patrimoine (oral ou écrit, littéraire ou populaire) et des nouvelles techniques et formes d'expression. La nouvelle poésie arabe, plus que toute autre forme d'expression, a réactivé ses grilles thématiques en puisant dans les mythes et les légendes. La poésie a cherché loin en profondeur ses sources d'inspiration, et les racines de son renouvellement.

Des romanciers et des novellistes arabes se sont précipités à leur tour pour ouvrir et relire le grand livre de la mytho-logie et les registres du patrimoine. Les écrivains arabes ont réécrit des contes connus, ou ont repris à leur compte des formes traditionnelles d'expression, en les renouvelant. Le tunisien, Ezzedine Madani, a entrepris une démarche originale pour récupérer ce patrimoine et le reformuler, sur deux niveaux: les techniques du récit et la réinterprétation des significations originelles 1 **. Madani explique sa méthode en ces termes : "Les écrivains (arabes) classiques ont, sans cesse, tendu à

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produire des "sommes" où se mélangent les genres et les infor-mations dans une perspective encyclopédique, de manière à s'approcher le plus qu'ils pouvaient du modèle idéal: le discours totalisant du Coran". Madani reprend à charge cette manière digressive d'écrire, et, dans le conte "Le portefaix et les sept jeunes filles" (inspiré des "Mille nuits et une nuit"), il superpose allègrement les récits.

Mais peu d'écrivains se sont intéressés à la tradition orale, et à réécrire le conte populaire. Nous tenons à signaler deux tentatives originales dans ce domaine : Naceur Khemeir a réuni sa mère et ses cinq soeurs et leur a demandé de ré-écrire et d'illustrer, à leur façon, certains contes populaires de l'ogresse ' 5 .

L'écrivain, dans cette expérience, s'est effacé, donnant la parole à des femmes originaires des couches populaires, pour réécrire le conte traditionnel.

Un autre exemple nous est donné par le scénario "El-Ghoul" (proposition dramatique) de Chems Nadir : "il ne s'agit plus (dans ce scénario) de reformuler spontanément et d'une manière "innocente" ou "naïve" le récit archetypal, mais bien plutôt d'en subvertir le sens et d'en piéger les significations d'une manière concertée et critique" 1 6 . Le conte populaire est-il voué à la disparition dans le monde arabe ? Non, bien sûr. Comme par le passé, le conte trouvera les moyens d 'échap-per à l'oubli, pour nous surprendre et nous émerveiller. Les Arabes, comme d'autres peuples, sentiront toujours le besoin, malgré les urgences et les contradictions de leur situation dans le monde actuel, et peut-être même grâce à elles, de se pro-mener dans le jardin de leur enfance, et de s'évader dans les sentiers de l'imaginaire collectif.

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REFERENCES

1. Aly Mazahéri. La vie quotidienne des musulmans au Moyen-âge, p.178.

2. Aly Mohammad Abdou. Contes et légendes yéménites. Dar Al-'Awda, Beirut, et Dar Al-Kalima, San'a', 1978.

Abderrazak Bannour, Miloud Relid et Faouzia Ben M'hammed. Contes maghrébins, Edicef, Paris, 1981.

Karam Al-Bustani. Contes libanais, Dar Sader, Beirut.

Yusra Chaker. Contes du folklore marocain (1er tome), Les Editions maghrébines, 1978.

Nabila Ibrahim. Wos contes populaires du romantisme au réalisme, Dar Al-Awda, Beirut, 1974.

Yussef Kucharkji. La littérature populaire d'Alep-Alep, 1983.

Omar Abd Al-Rahman Al-Sarisy. Le conte populaire dans la société palestinienne, Al-Mu'assasa Al-'arabia, Beirut, 1980.

Kazem Saad Ad-din. Le conte populaire irakien. Dar al-Huriya, Baghdad, 1979.

3. Abderrazak Bannour, et al., op. cit., p.21.

4. A. Boudhiba. L'imaginaire maghrébin, MTE, 1977.

5. Voir la version libanaise dans : Contes libanais, de Karam al-Bustani, p.41, et la version égyptienne dans : Nos contes populaires..., op. cit., de Nabila Ibrahim, pp.51-53, et d'autres versions arabes dans: Arabische Volksmärchen (en allemand) de Samia Al-Azharia Iahn. Berlin, 1970, s.132.

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Voir les multiples versions dans le livre : Le conte popu-laire dans la société palestinienne, op. cit., p p . 330-337.

V. Propp. Morphologie du conte (traduit), Seuil, pp.107-108.

Ibid., p .28 .

Voir Le conte populaire dans la société palestinienne, op. cit., pp.111-113.

Voir le texte intégral de cette conférence, traduit en arabe, dans le livre : Le conte populaire irakien, op. cit., pp.87-106. Cette conférence a eu lieu en 1930 dans les locaux du "Royal Central Asian Society", et nous pouvons lire le texte anglais in .- Journal of the Royal Central Asian Society, vol.XVIII, 1931, January, Part I : The folklore of Irak, by E . S . Stevens.

ibid., p .50 .

Nos contes populaires. .. , op. cit., pp.105-114.

Citons quelques livres d'expression arabe ou française. En arabe :

Sabri Muslem Hamadi. L'influence du patrimoine populaire sur le roman irakien moderne, Beirut, Al-mu'assasa Al-' arabia, 1980.

iz Ad-din Al-Madani. Des contes de ce temps, Dar Al-Janub, Tunis, 1982.

En français :

Chems Nadir. L'astrolabe de la mer, Stock, 1980.

Voir " L ' h o m m e nul", "Légendes", et l'essai critique "La littérature expérimentale".

L'ogresse, Collection "Voix", Maspéro, Paris, 1975.

Voir in : Patrimoine culturel et création artistigue, en Afrique et dans le monde arabe, sous la direction de Mohammad Aziza. Les nouvelles éditions africaines, Dakar, 1977, p.40.

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POUR UN PLAN SEXENNAL D ' E T U D E DU CONTE ARABE

par Tahar Guiga

On est saisi d'étonnement lorsqu'on constate qu'on ne dispose, à ma connaissance, d'aucune étude d'ensemble soit ancienne soit moderne sur le conte arabe.

A peine peut-on citer pour mémoire celle de Mahmoud Taymour, déjà dépassée, et celle de Souleiman Moussa dont les conclusions sont partielles et sujettes à caution. Cela est d'autant plus surprenant que les arabes ont une réputation pleine-ment justifiée d'excellents conteurs.

L'étude sur le conte arabe que l 'UNESCO se propose de réaliser dans le cadre d'un plan sexennal est on ne peut plus opportune. Elle comblera un vide que tout chercheur et tout curieux déplore. Si elle allie, dans sa démarche, la rigueur scientifique à la sensibilité artistique, elle ouvrira la voie à une exploration du conte arabe de l'intérieur et dans l'axe même de l'acte créateur. Elle appellera à une relecture du patrimoine narratif arabe dégagée de toute idée préconçue, de tout modèle d'analyse préétabli et de tout préjugé ethnique ou culturel. Elle permettra enfin de débroussailler le champ en friche du conte arabe contemporain en montrant dans quelle mesure le dialogue avec le patrimoine culturel stimule la créati-vité, permet aux auteurs contemporains d'exprimer les problèmes de leur société actuelle et de leur époque et les incite à dé-couvrir de nouveaux moyens d'expression.

La tâche est immense et semée d 'embûches. Six années n'y suffiraient pas. Mais si, pendant ce court laps de temps, l 'UNESCO arrive à proposer une approche d'étude correcte,

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à réunir un matériel d'étude aussi exhaustif que possible, à dégager une thématique détaillée et suggestive et à adapter aux cas d'espèce les différentes méthodes d'étude pratiquées, elle aura réalisé une oeuvre novatrice dans ce domaine dont tireront profit non seulement les chercheurs arabes ou arabisants mais également tous ceux qui étudient la création narrative dans les autres aires culturelles.

Le conte comme genre littéraire à part entière

Pour un arabe moderne le terme "qissa" désigne indifféremment le conte, le roman et la nouvelle. Les arabes ayant adopté récemment ces deux genres occidentaux de récit ont gardé le même terme pour un genre littéraire arabe et universel en même temps : le conte et pour les deux genres littéraires empruntés à l'occident : le roman et la nouvelle. Pour éviter la confusion et seulement dans le cas où cela s'impose, ils désignent la nouvelle par le diminutif du terme "qissa" : "ouqsoussa" en se référant au seul critère de la longueur du récit. Or, la nouvelle n'est pas un "petit roman", elle est un genre littéraire à part qui se démarque du roman par un certain nombre de caractères. Parfois ils désignent le roman par le terme de "riwaya" : récit, mais ils appliquent cette dénomination égale-ment à la pièce de théâtre en ajoutant au nom le qualificatif théâtral "masrahiyyah". La confusion dans ce domaine est grande et c'est le conte genre traditionnel et moderne qui en pâtit principalement.

Les notions étaient-elles plus claires dans ce domaine quand la civilisation musulmane a connu sa première splendeur ? Il semble bien que non. Et c'est là la première embûche. Il suffit de consulter l'article de Charles Pellat sur la "hikaya": le récit, dans l'Encyclopédie de l'Islam1 pour se rendre compte que le concept resta flou et est exprimé par différents termes qui recouvrent des réalités différentes : hikaya, khabar, khou-rafa, hadith, qissa, oustoura, mathal, nadira et j'en passe.

E.I. tome III, pp.379 et sq.

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Il s'agit pour nous, en premier lieu, d'identifier le matériau d'étude à chaque époque parce que, semble-t-il, le conte n'a été perçu, à aucune époque, .comme un genre à part parmi les autres formes de récits.

La première question que nous devons nous poser est la suivante : Qu'entend-on par conte arabe ?

Il va de soi qu'il s'agit du conte écrit en langue arabe. Mais là il faut le préciser, car la précision est utile et lève bien des équivoques entretenus çà et là, qu'il s'agit de la langue arabe écrite et également de la langue arabe dialectale. Cette approche a le mérite d'intégrer dans le champ d'études le patrimoine populaire oral et écrit longtemps tenu à l'écart. Mais là ne s'arrête pas la définition du conte. Il faut, pour saisir cette forme d'expression littéraire qui se moque des définitions et emprunte toutes les formes sans perdre la sienne autant de rigueur que de fantaisie et de sensibilité.

Le conte est-il un récit court ? Doit-il faire fond sur le critère de la brièveté du récit alors que nous connaissons des contes d'une certaine longueur ? Est-ce que nous contons pour amuser ou pour instruire ?. Doit-on adopter la définition de A . Vial dans son livre sur "Guy de Maupassant et l'art du roman", quand il dit : "La destination du conte est de servir de messager d'expérience entre un personnage qui raconte et un ou plusieurs personnages qui écoutent et de déterminer chez celui ou ceux qui écoutent une modification ou un enrichissement du jugement" ? Le conte est-il avant tout choix du style, du ton et. de l'intention, une oeuvre littéraire précieuse et fragile où la moindre fausse note, la moindre rupture de ton risque de lui faire perdre l'âme ?

Autant de questions à poser non seulement à des critiques mais également à des écrivains créateurs pour aboutir non à une définition rigoureuse et figée du conte mais à une identifi-cation précise et en même temps ouverte de cette forme d ' ex -pression littéraire où l'art d'étonner et de séduire prime et où tout est affaire de clins d'oeil complices avec l'auditoire.

Je crois que l'un des traits essentiels du conte est d'avoir gardé un lien étroit avec l'oralité. Même écrit, il a conservé la fraîcheur et la spontanéité du récit oral.

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C'est peut-être la raison pour laquelle ce genre d'expres-sion littéraire n'a pas retenu l'attention des grammairiens et des rhétoriciens qui ont recueilli, codifié et commenté la tradi-tion orale et notamment la poésie pour établir les bases d'une civilisation de l'écrit, selon la prescription cardinale du Coran telle qu'elle apparaît dans le premier verset dicté au Prophète: "Lis".

Poésie et prose : deux mondes parallèles

De tous les genres littéraires la poésie était la plus en vogue chez les Arabes. Elle le reste encore aujourd'hui. Pendant la période anté-islamique, le poète était le chantre de sa tribu comme le poète grec ancien était le chantre de sa cité. Il chantait ses prouesses et glorifiait les vertus de ses membres. Il participait, tout comme le poète grec, à des rassemblements périodiques de tous les arabes qui venaient en un lieu donné comme Okadh près de La Mecque échanger des produits et écou-ter les chantres des différentes tribus se livrer à des joutes poétiques. Les poètes pour se faire comprendre de l'auditoire abandonnaient peu à peu leurs spécificités linguistiques régio-nales et arrivaient à s'exprimer dans une langue arabe commune, une koinè, rassemblant en un tout cohérent les apports des différents dialectes des tribus. La langue grecque commune s'est constituée de la même façon.

Le conteur anté-islamique, réservé pour les veillées de camps et les réunions intimes et écarté des manifestations solen-nelles, est resté dans l'ombre.

Lorsqu'il a fallu, au début de l'Islam, créer, de toutes pièces, une grammaire, une rhétorique et une prosodie, pour une meilleure compréhension du Coran et des "hadiths" (propos) du Prophète, les savants se sont tournés naturellement vers l'immense patrimoine poétique anté-islamique.

Un travail minutieux d'analyse et de classement des oeuvres poétiques de toutes les époques et en premier lieu de l'époque anté-islamique a permis de fixer les genres poétiques, de déga-ger les thèmes et de codifier la métrique.

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De grands ouvrages à caractère encyclopédique devenus les grands classiques de la littérature arabe se sont penchés sur la vie des poètes, ont rapporté leurs menus faits et gestes et ont recueilli leurs oeuvres poétiques. Les compositeurs, les musiciens, les chanteurs et les esclaves chanteuses ont bénéficié du même intérêt dans la mesure où ils mettaient en musique les oeuvres de ces poètes.

Pourtant de grands écrivains qui se sont penchés avec amour sur l'étude de la poésie ont rapporté des contes ou ont été eux-mêmes de merveilleux conteurs pleins de charme et de poésie. L'immense encyclopédie en vingt-et-un volumes d 'Abu Faraj Al Ispahani intitulée "Kitab Al Aghani", "le livre des chansons", et composée au 11ème siècle, contient un nombre considérable de contes que l'on peut glaner au fil du texte. Cet écrivain délicat et mélomane a bâti son ouvrage monumental sur une centaine de chansons choisies connues à son époque. Ce choix lui a permis d'évoquer les péripéties de la vie des poètes dont les vers ont été mis en musique par des musiciens fameux ou des des esclaves chanteuses. Il ne se faisait pas faute de signaler dans la biographie de chaque poète les ex-traits poétiques qui ont été chantés et qui ne font pas partie du choix de chansons que lui-même avait établi. Nous trouvons également dans l'ouvrage les ' 'ographies des grands composi-teurs depuis l'école de La Mecque et de Médine jusqu'à l'école de Bagdad, les vies des esclaves chanteuses les plus renommées et des grands instrumentistes. En somme nous y trouvons un panorama de la vie artistique arabe s'étendant sur six siècles d'histoire. L'ouvrage est plein de récits et de contes qui attendent d'être dépouillés.

D'autres ouvrages à caractère encyclopédique comme "Al Kamil" (le livre complet) d'Al Mubarrad, "Al Bayan wa Attabyin" (le discours clairement exprimé) d'Al Jahidh, "Yatimat addahr" (la perle sans pareille) d'Athaalibi en Orient musulman, "Zahr Al Adab" (les fleurs de la littérature) d'Al Hosri le kairouan-nais, "Al Amali" (notes de cours) d'Al Qali de Cordoue et "Al Iqd Al Farid" (le collier unique) d'Ibn Abdirrabbih de Cordoue également, offrent au chercheur et au curieux une mine inépuisable de contes qui mériteraient d'être rassemblés.

Ces contes traitent de sujets divers : scènes de la vie quotidienne en milieu nomade, rural ou citadin, prouesses des

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combattants au cours des interminables guerres tribales qui ont sévi pendant la période anté-islamique et se sont prolongés pendant la période islamique, actes d'héroïsme et de générosité des marginaux et des bandits d'honneur du désert, tribulations des gueux à travers le territoire de l'Empire, actes de bravoure des truands des villes, histoires lestes et histoires de l'amour chaste, etc. . .

Même si ces écrivains puisent dans une tradition orale commune et citent leurs références, même si beaucoup de contes se recoupent, on reconnaît aisément la griffe de l'écrivain qui, en rapportant un conte, lui donne une tournure qui est la marque de son génie propre.

Ces oeuvres classiques sur lesquelles j'ai voulu attirer l'attention ont pris dans leur lacs une partie non négligeable du patrimoine narratif arabe. Se limiter à l'étude des recueils de contes qui ont échappé aux catastrophes de l'histoire, comme on a tendance à le faire, ne permettrait pas d'aboutir à des conclusions crédibles parce qu'on aurait laissé de côté cet important champ de recherches. La relecture de cette forme de littérature classique fait partie de notre domaine d'investiga-tion.

On peut se demander pourquoi ces grands auteurs classi-ques qui appréciaient les contes, les recueillaient avec amour et les réécrivaient avec délectation ne s'étaient pas livrés, comme ils l'avaient fait pour la poésie, à un travail de réfle-xion et d'analyse qui aurait donné droit de cité au genre litté-raire qu'est le conte.

Un homme à l'immense savoir et à la curiosité constamment en éveil comme Jahidh a traité de la poésie et de l'éloquence dans son livre sur "la rhétorique" mais n'a pas traité du récit et du conte. Pourtant il a légué à la postérité des ouvrages qui sont en partie ou en totalité des recueils de contes. La plupart de ces ouvrages ont été perdus mais il nous en reste "le livre des animaux" et "le livre des avares" qui sont l'un et l'autre pleins de contes amusants et d'anecdotes piquantes. "Les épitres" de Jahidh, elles aussi, révèlent son talent de conteur hors pair. Cet auteur n'hésite pas à glisser au cours du récit une expression populaire puisée dans le parler bédouin ou dans le parler haut en couleur des faubourgs de Bagdad.

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C'est lui qui nous raconte qu'il avait l'habitude d'arpenter les rives du Tigre afin de recueillir les histoires que racon-taient les bateliers avec leur accent inimitable et leurs expres-sions insolites.

Jahidh, comme ses émules, se contentaient d'écrire des contes, mais le genre qu'ils pratiquaient n'étaient pas pour eux matière à réflexion ni sujet d'étude.

Est-ce parce que ce genre littéraire si spontané et si mouvant échappait à leur analyse ?

Est-ce parce que leur statut d'intellectuels se réclamant d'une civilisation de l'écrit les poussait inconsciemment à ne pas assumer pleinement la fonction de conteurs ?

Est-ce parce que l'art du conteur était considéré peu ou prou comme un art mineur ?

Ceci nous amène à parler du conteur arabe et de son public.

Le conteur et son public

Le conteur arabe exerce son talent devant un nombre restreint d'auditeurs. Son image est liée à celle des gens attentifs qui font cercle autour de lui. Son regard se porte sur les uns et les autres et il règle son débit et ménage ses effets selon le degré d'intérêt que lui porte l'auditoire. Sa mission première est de les divertir. Même s'il veut les instruire et les édifier, il le fait en évitant soigneusement de les ennuyer par des propos didactiques et sérieux. Il les instruit par les voies de la séduction. Le conteur est l 'homme des feux de campements et des soirées intimes au moment où les gens aspirent à la détente et au repos. Le poète, lui, a un rapport frontal avec son auditoire. Il s'adresse à lui, debout, bien en évidence sur une tribune et le somme d'agir ou de réagir. Il est l 'homme des manifestations solennelles et des moments de grandes décisions. Il ne cherche pas à séduire. Il officie.

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Le conteur n'a pas pu se dégager entièrement de son rôle d'amuseur. C'est un mime. Le terme arabe haki signifie imitateur. Les inflexions de sa voix, les traits de son visage, les mouvements de ses mains épousent les nuances de son récit et répondent aux émotions de son auditoire qu'il capte par un simple clin d'oeil.

On est peu renseigné sur les conteurs de la période anté-islamique. On les connaît notamment par les légendes concernant les villes maudites d'Arabie, celles de Ad et de Thamoud, qui ont attiré la colère de Dieu et qu'évoque le Coran.

L'avènement de l'Islam a rejeté ces conteurs dans l'ombre, d'autant plus que les légendes qu'ils colportaient étaient en-tachés de suspicion après la révélation coranique.

Mais le conteur, en tant que tel, n'a pas disparu pour autant. Il s'est transporté dans la mosquée. Son rôle a con-sisté à raconter la vie du Prophète à partir du Livre Saint et en puisant largement dans la tradition biblique et évangélique telle qu'elle a été recueillie par certains Compagnons du Prophète. On connaît trois conteurs de cette sorte officiant dans la Grande Mosquée de Bassorah. A côté d'une exégèse coranique pratiquée par des savants confirmés, on assiste à la naissance d'une exégèse populaire pratiquée par des conteurs qui racontaient à leur auditoire des histoires édifiantes pour mieux faire saisir la portée du Message coranique.

Le conte édifiant d'essence religieuse se perpétue jusqu'à nos jours et fait partie de notre champ d'investigations.

On voit apparaître également au début de la période musul-mane un type de conteur professionnel itinérant, hâbleur et rusé, gueux et un peu truand sur les bords. Ce personnage a porté un nom, celui de "moukaddi" qui veut dire "celui qui a fait de la mendicité une profession" ou en un seul mot "le gueux".

Le premier qui en a parlé fut Jahidh au 9ème siècle dans son "livre des avares", lorsqu'il a dessiné le portrait haut en couleur de "Khalawaîh le gueux", truand d'origine per-sane qui, fortune faite, s'est affublé d'un nom arabe : Khalid Ibn Yazid.

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En parcourant les textes classiques, on voit surgir de temps à autre dans les foires, sur les places des villes ou à la cour des princes des bédouins ou des citadins qui maîtri-sent l'art de raconter une histoire et qui ne se privent pas du plaisir de la conter à un auditoire. Sans être des profes-sionnels, ces conteurs bénévoles généralement connus dans leur milieu et ailleurs font la joie des assemblées.

Les écrivains des périodes fastes de l'Islam avaient à leur disposition une littérature narrative orale riche et diver-sifiée qui se renouvelait sans cesse. Ils y puisaient des contes et des récits d'une manière sélective et les enchâssaient dans leurs oeuvres pour illustrer leur propos. Jahidh écrivant le "Livre des animaux" rapporte des histoires, des récits et des vers où l'animal qu'il décrit joue un rôle. A partir du désir de dénoncer l'avarice tout en amusant, le même Jahidh trace dans son livre sur "Les avares" une série de portraits pleins de vie. Le cadi Attanoukhi voulant donner à ses con-temporains une leçon de courage face aux malheurs du temps écrit un recueil de contes faisant apparaître que le soulagement intervient toujours après la peine. Il l'intitule "le salut après l'épreuve".

L'art du conte n'est pas cultivé pour lui-même. Il est mis au service d'une idée. Il est ressenti comme un genre mineur au service d'autres genres littéraires considérés comme nobles. Il est peut-être heureux que l'art du conte n'ait pas accédé, comme la poésie, à un statut privilégié qui aurait en-traîné sa fixation dans des formes figées et l'aurait coupé de ses racines populaires.

Les contes ont-ils intéressé les compilateurs à une époque brillante où les hadiths du Prophète et la poésie arabe ont été scrupuleusement collectés et commentés, où les airs popu-laires des différentes contrées de l'Empire abbasside et les créations des grands musiciens de toutes les époques précédentes ont été réunis et ont fourni aux grands musiciens de la première période abbasside comme Ibrahim Al Mawsili et son fils Ishaq une source d'inspiration qui leur a permis de composer des oeuvres originales qui sont dues en premier lieu à leur don créateur qui a su assimiler tous les apports et les marquer du sceau de leurs personnalités ? Existait-il à cette époque des recueils des contes ?

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Les recueils de contes une bibliothèque populaire

Les deux recueils de contes arabes qui ont eu le plus de succès à leur époque et qui ont pu échapper aux injures du temps sont d'origine étrangère. Il s'agit de "Kalila et Dimna", une adaptation des fables de Bid Pay à partir d'une traduction persane, et "Les mille et une nuits" d'origine hindoue comme le premier, mais transmis à travers le persan.

Voici ce que dit des origines des "Mille et une nuits" un jeune chercheur tunisien :

"Le noyau hindou qui avait donné la version persane de Hazar Asfana aurait été traduit en arabe en 142/759. Ce recueil est cité pour la première fois par Al Masudi (mort en 345/957) dans ses Prairies d'or (écrit en 336/947 puis repris en 346/957) : "Il en est de ces recueils, écrit-il, comme des ouvrages qui nous sont parvenus et qui ont été traduits du persan, de l'hindou et du grec. Nous avons dit comment ils ont été composés tel le livre Hazar Asfana dont la traduction du persan donnerait en arabe Alf khurafa (mille contes), car on rend par khurafa le persan asfana. Ce livre est généralement cité sous le titre de Alf layla (Mille nuits). C'est l'histoire du roi, du vizir, de la fille du vizir et de l'esclave de celle-ci : Chirazad et Dinazad" : . Ce titre est égale-ment cité par Ibn an-Nadim dans son Fihrist (écrit en 377/987) 2 " 3 .

Certains ont pensé que le conte arabe était né à partir de la parution de ces deux oeuvres. Ils se sont évertués à chercher surtout dans "Les mille et une nuits" les emprunts

Masudi. Les Prairies d'or, traduction Barbier et Meynard, IV,89. 2 Ibn an Nadim. Fihrist Maqala 8 - Fann 1. 3 Mahmoud Tarchouna. Les marginaux dans les récits picares-ques arabes et espagnols. Publications de l'Université de Tunis, 1982.

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aux vieux contes babyloniens, assyriens, pharaoniques et même grecs de façon à dénier au conte arabe toute spécificité et toute originalité. La grande vogue des "Mille et une nuits" en Occident qui n'a jamais faibli depuis le 17ème siècle, et le succès qu'a rencontré cet ouvrage auprès des universitaires et des critiques arabes qui l'ont redécouvert au 20ème siècle bien après les Européens, a détourné l'attention des chercheurs de l'ensemble de la littérature narrative dont nous essayons de délimiter les contours.

En outre, le nombre considérable d'études sur les "Mille et une nuits" qui ont été publiées aussi bien en Occident que dans le monde arabe a fixé l'attention des chercheurs et des curieux sur ce seul recueil de contes dans lequel ils croient découvrir le prototype du conte arabe.

Nombre de personnes voient le conte arabe à travers les "Mille et une nuits" ou plutôt à travers l'image qu'en ont donné les commentateurs et les critiques occidentaux et également les poètes et les écrivains qui se sont inspirés de ces contes. Or ceux-ci ont fait prévaloir l'idée qu'un conte est arabe dans la mesure où il fait appel au merveilleux et se complaît dans la magie et les sortilèges.

Même si le conte merveilleux se taille une place de choix dans cet ouvrage, réduire les "Mille et une nuits" à un recueil de légendes où le merveilleux domine, revient à occulter un nombre non moins important de contes réalistes relatant les menus faits de la vie quotidienne dans Bagdad et Le Caire, des contes picaresques reflétant certains aspects de la société arabe à différentes époques et dans différents lieux, des scènes de moeurs, e t c . . Or, tous ces contes réalistes qui ont enrichi le noyau primitif, au long des siècles, reflètent la société arabe et sont nés en son sein.

Les "Mille et une nuits" méritent d'être étudiées sous une nouvelle optique et en rétablissant le lien entre elles et l'ensemble de la littérature narrative arabe.

Or, cette littérature narrative arabe a été consignée par écrit, à une haute époque, sous forme de recueils de contes que les copistes qui étaient légion mettaient à la disposition du public. L'un d 'eux, un copiste doublé d'un bibliophile,

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Ibn an-Nadim, a écrit au 10ème siècle un ouvrage volumineux intitulé "Al Fihrist" (la Somme) où il citait les titres des ouvrages édités à son époque dans différentes disciplines. Cet auteur consacre un long chapitre aux recueils de contes : .

On se rend compte en lisant ce chapitre où il cite les titres des livres de contes dont disposait le public à son épo-que que les recueils d'inspiration arabe dominent largement. Pas moins de cent quarante titres de livres sont cités sous la rubrique : "les histoires d'amour des arabes de la période anté-islamique et de la période musulmane". En parcourant cette longue liste on s'aperçoit que la plupart des titres évo-quent les amoureux du désert d'Arabie dont certains nous sont connus par les ouvrages classiques.

Toute une littérature narrative populaire arabe d'inspira-tion orale a trouvé sa place dans ce grand mouvement de publi-cation de textes dans toutes les disciplines qui a marqué la grande période abbasside. Mais il semble qu'elle ait été un peu marginalisée par le milieu des lettrés. Ce qui expliquerait peut-être que ces ouvrages ont été pour la plupart perdus alors qu'ils disposaient certainement d'un public à leur époque.

C'est ce qui se passe un peu pour toute littérature popu-laire. Certaines contingences sociales et culturelles favorables peuvent provoquer une floraison subite d'ouvrages populaires. Mais la veine populaire ne se sent pas à l'aise dans l'écrit. Son domaine préféré est l'oralité.

On observe le même phénomène, à notre époque, lorsqu'on se penche, par exemple, sur l'étude de "la geste hilalienne". Des clercs égyptiens ou syriens d'origine paysanne ont publié ce récit épique en plusieurs éditions différentes. Mais ces textes écrits qui ont fixé bien maladroitement à une certaine époque un récit populaire en perpétuelle mutation ont été large-ment dépassés par des versions populaires qui évoluent constam-ment sous l'effet des mutations internes de la société arabe et des événements qui l'agressent et la traumatisent et surtout

Ibn an-Nadim. Al Fihrist, 1er Fann de la 8e Maqalah.

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grâce à la créativité constamment en éveil des conteurs et poètes populaires.

Préoccupation majeure : le conte populaire de tradition orale

On ne peut envisager une étude du conte arabe sans y inclure le conte populaire de tradition orale.

La rupture entre littérature écrite et littérature orale qui remonte peut-être au 1lème siècle a privé la littérature arabe écrite d'une source vivifiante. Elle pourrait expliquer en partie la crise que vit la littérature narrative contemporaine arabe qui, faute d'une source vivante d'inspiration proche d'elle, reproduit des modèles classiques anciens ou essaie de s'intégrer aux courants étrangers.

Aider à promouvoir des recherches dans ce domaine où peu de chercheurs s'engagent à cause d'inhibitions inavoués et inavouables rendrait service aux chercheurs et aux créateurs. L'exemple des grands écrivains de la période de splendeur de la civilisation musulmane a été oublié. Tous étaient attentifs à tout ce que la veine populaire pouvait produire. Tous pui-saient à cette source qui ne tarissait jamais. Ils n'éprouvaient pas seulement la fascination du monde nomade comme leurs émules: philologues, grammairiens, historiens de la littérature, mais ils étaient également à l'écoute de la population laborieuse des villes de sorte que la littérature arabe classique a vécu en symbiose constante avec la littérature populaire.

Un grand écrivain comme Al Jahchayari s'est livré à un travail de collecte de contes et de sélection de ceux qui lui paraissaient les meilleurs pour les réunir dans des ouvrages qu'il a publié. Sa démarche est à méditer :

"Abu Abdallah Mohammed Ibn Abdous Al Jahchayari, l'auteur du "Livre des vizirs" a donné l'élan à ce mouvement de publication de receuils de contes. Il a édité un recueil où il avait réuni mille contes choisis parmi ceux que racontent les Arabes, les Persans, les Grecs byzantins et autres peuples. Chaque ouvrage était distinct des

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autres et n'avait aucun lien avec eux. Il a fait venir les conteurs et a choisi dans leur répertoire les contes les meilleurs et les mieux tournés. Il a consulté les livres de contes publiés à son époque et y a choisi les récits qui lui paraissaient les plus agréables et les mieux construits. Il a réuni ainsi quatre cent quatre-vingt contes." 1

Le conte populaire représenterait le deuxième volet de notre étude. Il mériterait qu'on lui accorde autant d'importance qu'aux contes qui nous ont été transmis par la littérature arabe écrite. Nous procéderons ainsi comme Al Jahchayari mais sur une plus longue période. Notre souci, au cours d'une démarche d'études ouverte, sera de découvrir les interférences entre ces deux genres d'expression, l'une écrite, l'autre orale, à travers les thèmes, les types de personnages et les styles d'expression.

Problème des emprunts et de l'authenticité

Certains critiques européens s'en sont livrés à coeur joie en étudiant les "Mille et une nuits" et se sont mis en quête d ' e m -prunts à d'autres littératures proches dans l'espace comme l'hindoue, la persane et la grecque ou éloignées dans le temps comme les littératures pharaoniques, sumériennes et assyriennes. Ils ont insisté sur le fait que les "Mille et une nuits" était un ouvrage où dominait le merveilleux alors que le merveilleux, selon leurs dires, est étranger à l'esprit arabe. Ils omettaient de parler du nombre considérable de contes purement arabes qui ont fleuri dans deux capitales d'Empire, à deux époques différentes : Bagdad de Haroun Errachid et Le Caire des M a m -louks. Ils ne voulaient pas reconnaître aux arabes une imagina-tion capable de créer le merveilleux. Ils ne voulaient leur reconnaître que le talent d'imitateurs habiles qui ont su tisser des oripeaux venus d'ailleurs.

1 Ibn an-Nadim : Al Fihrist, 1er Fann de la 8ème Maqala. Traduction personnelle.

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Or, cette attitude découle, chez les plus honnêtes parmi les critiques européens, je crois, du fait qu'ils avaient l'im-pression que le noyau de l'ouvrage a été traduit du persan puis enrichi d'apports nouveaux. Or , voyons dans quelles conditions cette traduction a été réalisée.

Ibn an-Nadim commence son chapitre sur les recueils des contes par ces mots :

"Les premiers qui ont publié des livres de contes et les ont conservés dans leurs bibliothèques étaient les Persans. Dans certains de leurs contes ils ont fait parler les ani-m a u x . . . Les Arabes ont traduit ces contes en arabe. Ceux-ci ont été adaptés par des écrivains éloquents et doués de talent qui les ont repris en les améliorant et en soignant leur expression. Puis ils ont publié des livres de contes puisés à la même veine. Le premier livre qui a été traité de cette manière a été le livre intitulé Hazar Asfana, ce qui signifie mille contes."

Donc, au départ, il ne s'agissait pas d'une traduction servile. Des écrivains confirmés se sont penchés sur ce maté-riau primitif pour l'adapter, l'habiller selon leur goût et le goût de leur époque. Le texte primitif d'origine a subi un traitement, selon l'expression même d'Ibn an-Nadim. Il pouvait, à partir de cette mise en forme, accueillir d'autres contes, ceux-là arabes, sans que cela nuise à son unité. Bien plus d'autres écrivains ont écrit des recueils de contes qui ressem-blaient dans leur esprit et leur facture aux contes des "Mille et une nuits".

"Kalila et Dimna" et "Hazar Asfana" ont déclenché un mouvement de collecte et d'édition de contes puisés dans la tradition orale arabe et d'adaptation de recueils venus d'ailleurs. C'est le mérite que leur reconnaît Ibn an-Nadim et c'est pour cette raison qu'il en parle en tête de chapitre.

Mussa Suleyman est tombé dans le piège dans son étude sur la littérature narrative arabe 1 . Il classe la littérature narrative arabe en deux catégories :

Mussa Suleyman : Al Adab Al Qasasi, Beyrouth, 1955.

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le qasas (conte) emprunté représenté par les "Mille et une nuits" et "Kalila et Dimna" ;

le qasas authentiquement arabe qui se subdivise en historique (histoires relatives aux musiciens et aux chanteurs, romans d 'amour, tradition sur le fakhr, etc.), héroïque (Antar, Bakr et Taghlib, Al Barraq, etc.), religieux (vies des prophètes), lexicographiques (les séances ou maqamat), philosophiques (l'épître du pardon de Maarri).

Charles Pellat critique à juste titre ce classement et le rejette surtout parce qu'il ne pense pas que les "Mille et une nuits" et "Kalila et Dimna" puissent être aussi légèrement classés comme oeuvre où dominent les emprunts ' . Pour ma part, je trouve également que la notion d'authenticité est prise généralement dans son acception la plus sommaire et la plus étroite.

La recherche à tout prix d'une authenticité arabe qui se dégagerait d 'un dépistage minutieux des emprunts est, à mon avis, une fausse démarche qui risquerait d'aboutir à des conclusions fausses. Aucune oeuvre n'est authentiquement arabe ou persane ou grecque, dans le sens qu'on donne communément à ce terme. Toutes les littératures ont vécu d'emprunts puisés à plusieurs sources et cela à toutes les époques. L'important est de découvrir dans quelle mesure les apports divers ont été assimilés pour créer une oeuvre originale, reflétant une culture donnée à un stade donné de son développement.

Etat actuel de la documentation disponible et des recherches réalisées

L'aire géographique du conte arabe couvre l'ensemble du monde arabe. Or , on constate, aussi bien dans le passé que dans la période contemporaine, que la production narrative du Machreq

E.I. , tome III, pp.379 et sq.

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arabe domine et de loin la production du Maghreb, y compris l'Andalousie qui faisait partie de l'Occident arabe, à une cer-taine époque de son histoire. Ce déséquilibre au profit de la partie orientale du monde arabe provient non seulement d'une production plus abondante mais également du fait que les savants et les compilateurs de l'Andalousie et du Maghreb ont eu, durant des siècles, les yeux tournés vers l'Orient et ont contribué avec leurs émules de l'Orient arabe à faire connaître en premier lieu le patrimoine de la prequ'île arabique et du Machreq.

Qu 'a fait Ibn Abdirabbih l'andalou et Hosni le kairouan-nais sinon rivaliser avec leurs homologues d'Orient pour répan-dre une culture arabe à dominante orientale ? Le même phéno-mène, quoique plus atténué, s'observe encore à notre époque.

Il serait indiqué de corriger ce déséquilibre en incitant les chercheurs maghrébins et les chercheurs non arabes spécia-listes du Maghreb à entreprendre des recherches afin de mieux connaître la littérature narrative maghrébine ancienne et la production narrative maghrébine contemporaine si peu répandue en Orient et ailleurs. Les livres maghrébins de biographies des théologiens et des ascètes (Tabaqat), les livres de consulta-tions périodiques sur des problèmes précis qui se posent dans la vie quotidienne des gens, les chroniques et également les vies des saints, des mystiques recèlent, entre autres types d'ouvrages, des contes qui ont la saveur du terroir où ils sont nés.

Un autre deséquilibre flagrant a été signalé, celui qui existe entre le patrimoine narratif écrit et le patrimoine narratif oral, entre les études sur le premier et les études sur le second La rupture est presque complète entre les tenants de la littéra-ture écrite et les défenseurs de la littérature populaire orale.

Les premiers persistent à vouloir ignorer la littérature populaire. Les seconds, peu nombreux et un peu marginalisés dans leur milieu de chercheurs, se cantonnent, avec peu de moyens, dans leur domaine.

Les uns et les autres ne se rendent pas compte que les deux littératures ont vécu pendant des siècles en parfaite sym-biose, s'inspirant l'une de l'autre. Tant de thèmes, tant de

-motifs, tant de styles d'expression ont été échangés entre elles. Ignorer ces interférences que l'on peut observer encore de

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nos jours dans l'oeuvre des conteurs populaires et dans les contes de certains écrivains aboutirait à priver notre étude d'une dimension essentielle.

Aucune étude d'ensemble sur la thématique du conte arabe n'a paru jusqu'à ce jour. Le livre de Moussa Suleyman cité plus haut représente une tentative manquee.

Deux études remarquables ont paru ces dernières années et traitent l'une et l'autre du même thème : celui du récit picaresque mais vu à travers le personnage du gueux éloquent et subtil, parfait coquin et, à l'occasion, truand sans scrupules. C'est le personnage qu'ont immortalisé Al Hamadhani (11ème siècle) et Al Hariri (12ème siècle) dans leurs maqamat (séances) et leurs émules et successeurs andalous.

La première est celle de Mohammed Rajab Annajjar intitulée "Histoire des truands et des gueux dans le patrimoine arabe" ' . La seconde est celle de Mahmoud Tarchouna intitulée "Les margi-naux dans les récits picaresques arabes et espagnols" (étude rédigée en français) 2 .

Bien d'autres chaînes restent à dégager dans le cadre de l'établissement d'une thématique aussi exhaustive que possi-ble. Les rares études qui ont abordé le conte arabe l'ont fait selon différentes méthodes, depuis la méthode anthropolo-gique jusqu'à la méthode structuraliste, selon la formation et le goût du chercheur. Aucun effort, à ma connaissance, n'a été fourni pour adapter la méthode au matériau d'étude, ou pour opérer une conjugaison de méthodes en vue d'éclairages différents et complémentaires ou pour dégager une méthode adap-tée.

Mohammed Rajab Annajjar : Hikayat Achchouttar wal Ayyarin, Publications du Conseil National de la Culture, des Arts et des Lettres, Koweit, 1981. 2 op. cit.

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Propositions pour un plan sexennal

Approche suggérée

privilégier la vue d'ensemble sur les vues partielles ;

rechercher les liens et les interférences entre l'écrit et l'oral de préférence aux disparités tout au long de révolution d'une société arabe, en proie à des phénomènes de mutation interne et largement ouverte sur le dehors ;

associer les chercheurs et les créateurs à toutes les étapes de l'étude ;

tendre à dégager la spécificité du conte arabe du jeu des liens et des interférences à partir d'une approche interculturelle au départ.

2. Actions à entreprendre

Elles se dérouleraient en trois étapes de deux ans chacune. 1ère étape : elle aurait pour objectif la définition de l'objet d'étude, la collecte d'une documentation la plus complète possi-ble, le dégagement des thèmes et des motifs et la mise au point d'une méthodologie destinée à être expérimentée dans la deuxième étape.

1ère étape : a) Définition du conte

Il faudrait, en premier lieu, s'entendre sur une définition du conte, c'est-à-dire répondre à la question suivante : quels sont les critères qui pourraient nous aider à diffé-rencier le conte d'autres formes de récits cités par les auteurs arabes ?

L'entreprise peut paraître utopique à certains puisque beaucoup de personnes se sont essayées à cette exercice sans aboutir à un résultat satisfaisant. La participation de créateurs arabes et non arabes auprès de critiques et d'historiens de la littérature permettrait peut-être

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d'aboutir à une définition qui, sans être entièrement satis-faisante pour l'esprit, aura une portée pratique dans la mesure où elle nous permettra d'identifier le sujet d'étude.

Un spécialiste arabe, de préférence un nouvelliste, pourrait se voir confier un document de travail qui serait soumis à une réunion d'experts critiques et créateurs.

Cette réunion établirait les critères provisoires qui seraient utiles pour toutes les actions ultérieures.

b) Travail de documentation

Six spécialistes seraient chargés dès le départ du plan et dans une première d'établir des bibliographies aussi exhaustives que possible de la littérature narrative arabe et des études critiques à son sujet. Ils seraient répartis de cette manière : trois spécialistes du maghreb et autant du Machreq. Leur domaine d'investigation seraient le patrimoine ancien, la production narrative contemporaine et la littérature narrative populaire.

Dans une deuxième phase qui commencerait au cours de la deuxième année du plan et se prolongerait jusqu'à la sixième et dernière année, quatre spécialistes, deux du Machreq et deux du Maghreb, seraient chargés du dépouillement des grands classiques de la littérature arabe et des ouvrages à caractère encyclopédique ainsi que des recueils de littérature populaire pour signaler les passages qui, par leur souffle et leur ton, leur compo-sition, leur facture et leur conformité avec les critères déjà dégagés, peuvent être considérés comme des contes.

c) Thématique du conte arabe

Etant donné que les thèmes et les motifs des contes voya-gent d'une aire culturelle à l'autre et s'adaptent chaque fois au milieu social et culturel dans lequel ils sont transplantés, il serait utile d'associer à cette étude des spécialistes d'autres aires culturelles qui se sont penchés

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sur la question et de profiter de tous les travaux qui ont déjà été réalisés en dehors du monde arabe.

Un spécialiste arabe serait chargé de rédiger un document de travail proposant une thématique du conte arabe. Ce document serait soumis pour étude à un nombre restreint de spécialistes arabes et non arabes en mettant l'accent sur ceux de la périphérie du monde arabe : Inde, Iran, Turquie, Afrique de l'Est et Afrique occi-dentale.

Un colloque serait organisé pour dégager une théma-tique provisoire du conte arabe.

Il serait utile qu'à ces spécialistes arabes et non arabes se joignent quelques romanciers ou nouvellistes arabes.

d)Mise au point d'une méthodologie

Une première réunion organisée sous forme d'atelier réuni-rait des critiques arabes et non arabes représentant diffé-rentes méthodes d'analyse des contes auxquels se joindraient quelques romanciers et nouvellistes arabes. Dans le cadre de cette réunion interculturelle et inter-disciplinaire et au vu d'échantillons qui leur seraient soumis, ces critiques et écrivains confronteront leurs différentes méthodes d'approche et seront appelés à ré-fléchir sur la possibilité de dégager une méthode appro-priée qui aurait le mérite de réunir en un tout cohérent et organisé tous les éléments qui permettraient une ap-proche ouverte et enrichissante de l'oeuvre.

Une deuxième réunion, organisée au cours de la deuxième année, sous forme d'atelier dégagerait la méthodologie à proposer, au vu d'études de cas d'espèce réalisées entre les deux réunions.

2ème étape : Propositions de grandes directions d'étude et lancement des études

Trois actions seraient à envisager :

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1 ) Un colloque réunirait tout au début de la deuxième étape des critiques littéraires et des écrivains arabes auxquels il serait utile que se joignent également des critiques et écrivains non arabes.

La réunion aurait pour objet d'étudier les résultats auxquels on serait parvenu à la fin de la première étape, de dégager, à leur lumière, les grandes direc-tions de recherche et de définir, à l'intention de l 'UNESCO, les études-types qu'il serait souhaitable de mener.

2) L ' UNESCO pourrait organiser les études et en fixer les délais sur une période s'étalant sur quatre ans, c'est-à-dire jusqu'à la fin du plan. Il serait sou-haitable qu 'y soient associés des universités et centres de recherches arabes ou non arabes s'intéres-sant à l'étude de la littérature narrative arabe et également des chercheurs indépendants.

3) Une réunion serait organisée à la fin de la deuxième étape pour procéder à l'évaluation des premières études qui auront été réalisées et émettre des recom-mandations dont profiteraient les chercheurs dont les études sont programmées pour les deux dernières années du plan.

3ème étape : Conte arabe et modernité

Parallèlement au programme d'études type qui se pour-suivrait au cours de cette troisième étape, il serait pro-cédé essentiellement au cours de cette troisième étape à l'étude de la créativité arabe contemporaine, dans le domaine du conte et du rayonnement de cette forme d 'ex -pression dans la littérature contemporaine universelle.

Deux actions parallèles pourraient être envisagées.

1) L'une essayerait de montrer dans quelle mesure le conte arabe contemporain s'est nourri des thèmes, des motifs et des formes d'expression du conte arabe classique et populaire, par quelles voies il a su les actualiser pour répondre à des préoccupations

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modernes et comment il a su, dans le meilleur des cas, s'imposer en tant qu'oeuvre originale capable de maîtriser les styles modernes d'expression pour les mettre au service d'une création ayant son cachet propre.

L 'UNESCO pourrait susciter des études dont le nombre reste à fixer sur l'oeuvre de conteurs et nouvellistes arabes contemporains qui se sont imposés dans ce domaine. Ces études seraient soumises pour évaluation à une réunion de spécialistes et d'écrivains arabes et non arabes. Cette réunion pourrait aboutir à une première approche permettant de mieux connaître le phénomène de la création contemporaine arabe dans le domaine du conte.

2) Entamer l'étude du rayonnement du conte arabe dans le monde actuel.

Comme le champ est vaste, force nous est de nous limiter à des cas d'espèce qui dépendent essentielle-ment de l'existence de spécialistes et d'écrivains capables de fournir à l 'UNESCO des études éclairantes dans ce domaine.

L 'UNESCO pourrait peut-être, à cette occasion, encou-rager des études comparatives interculturelles portant sur l'impact du patrimoine narratif arabe sur la pro-duction narrative contemporaine dans certains pays en commençant par ceux de la périphérie (Inde, Iran, Turquie, Afrique de l'Est et Afrique occidentale). Certains spécialistes des pays du pourtour de la Méditerranée comme l'Espagne, la France, l'Italie et la Grèce, pourraient être intéressés par ce type d'étude, sans parler de certains pays d'Amérique latine comme l'Argentine de Borges.

Ce serait le point de départ de recherches inter-culturelles qui seraient appelées à se développer à l'avenir.

Un colloque de synthèse de tous les résultats acquis pourrait clore le plan sexennal envisagé.

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