rapport préliminaire de la commission pour la vérité sur la dette publique grecque

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Rapport Préliminaire COMIT É POUR LA VÉRITÉ SUR LA DETTE PUBLIQUE

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La Commission pour la Vérité sur la Dette publique grecque (Commission Vérité) a été créée le 4 avril 2015 suivant une décision prise par la Présidente du Parlement grec, Zoé Konstantopoulou, qui a confié la coordination scientifique de ses travaux à Éric Toussaint, Docteur en sciences politiques.

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  • Rapport Prliminaire

    COMIT POURLA VRITSUR LA DETTEPUBLIQUE

  • 2La Commission pour la Vrit sur la Dette publique grecque (Commission Vrit) a t cre le 4 avril 2015 suivant une dcision prise par la Prsidente du Parlement grec, Zo Konstantopoulou, qui a confi la coordination scientifique de ses travaux ric Toussaint, Docteur en sciences politiques.

    La coopration entre la Commission et le Parlement europen ainsi que dautres parlements nationaux et des organisations internationales a t confie la dpute europenne Sofia Sakorafa.

    Les membres de la Commission se sont runis en sances publiques et en sances huis clos afin de produire ce rapport prliminaire sous la guidance du coordinateur scientifique.

    Les chapitres de ce rapport prliminaire ont t coordonns par :

    Bantekas Ilias (Grce)Contargyris Thanos (Grce)Fattorelli Maria Lucia (Brsil)Husson Michel (France)Laskaridis Christina (Grce)

    Liste des personnes qui ont contribu la rdaction:

    Aktypis Hracls (Grce)Albarracin Daniel (Espagne)Bonfond Olivier (Belgique)Borja Diego (quateur)Cravatte Jrmie (Belgique)Cutillas Sergi (Catalogne)Franchet Pascal (France)Gonalves Alves Raphal (France)Goutziomitros Fotis (Grce)Kasimatis Giorgos (Grce)

    Marchetos Spyros (Grce)Onaran Ozlem (Royaume-Uni) Tombazos Stavros (Chypre)Vatikiotis Leonidas (Grce)Vivien Renaud (Belgique)

    Kazakos Aris (Grce)Lumina Cephas (Zambie)Mitralias Sonia (Grce)Munevar Daniel (Colombie)Saurin Patrick (France)Sklias Pantelis (Grce)Spanou Despoina (Grce)Stromblos Nikos (Grce)Toussaint ric (Belgique)Tzitzikou Sofia (Grce)

    Les auteurs remercient les autres experts qui ont particip aux travaux de la Commission tant lors des sances et des auditions publiques que lors de consultations informelles.

    Ils sont profondment reconnaissants lgard de Petros Arnaoutis Konstantinos, Charalambos Aronis, Claudia Bama, Louiza Karageorgiou, Antigoni Makrygianni et Stavros Papaioannou pour laide quils leur ont apporte.

    Ce rapport prliminaire a t traduit en franais par le CADTM qui a bnfici de laide de Olivier Bonfond, Jrmie Cravatte, Pascal Franchet, Virginie de Romanet, Jean-Denis Gauthier, Pierre Gottiniaux, Michel Husson, Stphanie Jacquemont, Najla Mulhondi, milie Paumard, Christine Pagnoulle, Claude Qumar, Joachim Sondag, Rmi Vilain.

    La rvision finale de la traduction a t assure par Eric Toussaint, Rmi Vilain et Renaud Vivien avec laide de Damien Millet.

    La maquette de la version franaise a t ralise par Pierre Gottiniaux.

    La traduction, la ralisation de la maquette et limpression de ce rapport ont t organises par le CADTM en tant que contribution au travail de la Commission pour la vrit sur la dette grecque et en soutien au peuple grec.

  • 3Synthse du rapport de la Commission pour la vrit sur la dette grecque

    En 2015, la Grce se trouve un carrefour. Elle doit choisir entre la poursuite des programmes dajustement macroconomiques imposs par ses cranciers ou briser les chanes de sa dette. Cinq ans aprs le dbut des programmes dajustement, le pays reste plong dans une grave cri-se conomique, sociale, dmocratique et cologique. Jusquau mois davril 2015, la bote noire de la dette est reste ferme. En effet, aucune autorit, grecque ou internationale, navait cherch faire la lumire sur les causes et les modalits dassujettissement de la Grce au rgime de la Troka. La dette, au nom de laquelle rien na t pargn la population, reste linstrument utilis pour imposer un programme dajustement nolibral qui a comme rsultat la rcession la plus profonde et la plus longue jamais connue en Europe en temps de paix.

    Prendre bras-le-corps un ensemble de problmes sociaux et conomiques est une imprieuse nces-sit autant quune responsabilit sociale. Dans cette optique, le Parlement hellnique a mis en place en avril 2015 la Commission pour la Vrit sur la Dette publique grecque. Il lui a donn mandat pour mener des investigations sur lorigine et laugmentation de la dette publique, la faon dont cette dette a t contracte et les raisons qui y ont amen, enfin sur limpact quont eu sur lconomie et la population les conditionnalits attaches ces contrats. La Com-mission pour la Vrit a pour mission damener une prise de conscience sur les questions relatives la dette grecque, tant sur le plan interne quau niveau international, de formuler des arguments et de pro-poser des scnarios relatifs lannulation de la dette.

    Les recherches prsentes par la Commission dans son rapport prliminaire mettent en lumire le fait que le programme dajustement auquel la Grce a t soumise tait, et reste dans son intgralit, un pro-gramme politiquement orient. Une analyse btie sur des variables macroconomiques et des projections de dette des donnes en relation directe avec la vie et de la population et ses moyens de subsistance a permis de cantonner les discussions relatives la dette un niveau technique. Ces discussions ont principalement t centres autour de la thse selon laquelle les politiques imposes la Grce allaient lui permettre de rembourser sa dette. Les faits prsents dans ce rapport prouvent tout le contraire.

    Les lments dont nous faisons tat dans ce rap-port montrent que de toute vidence la Grce, non seulement nest pas en capacit de rembourser cette dette, mais quelle ne doit pas la rembourser parce

    que la dette issue des mesures de la Troka constitue une violation caractrise des droits humains fon-damentaux des rsidents de la Grce. Ainsi, nous sommes parvenus la conclusion que la Grce ne doit pas payer cette dette, du fait de son caractre illgal, illgitime et odieux.

    Il est galement apparu la Commission que le caractre insoutenable de la dette publique grecque tait vident depuis lorigine pour les cranciers in-ternationaux, les autorits grecques et les grands mdias. Pourtant, les autorits grecques et certains gouvernements de lUnion europenne se sont ligus pour rejeter une restructuration de la dette publique en 2010, dans le seul but de protger les institutions financires prives. Les grands mdias officiels ont dissimul la vrit au public en soutenant que le plan de sauvetage allait tre bnfique pour la Grce, tout en passant en boucle le rcit selon lequel la population ne faisait que payer pour ses propres turpitudes.

    Les fonds verss dans le cadre des programmes de sauvetage de 2010 et 2012 ont t grs de lex-trieur selon des schmas complexes, empchant toute initiative propre en matire budgtaire. Luti-lisation de ces fonds a t dicte de manire stricte par les cranciers et il est apparu que moins de 10 % de leur montant avaient t consacrs aux dpenses courantes du gouvernement.

    Ce rapport prliminaire dresse un premier tat des lieux des principaux problmes et enjeux lis la dette publique et fait tat de violations juridiques majeures en ce qui touche aux contrats demprunt ; il pose galement les bases juridiques sur lesquelles la suspension unilatrale des paiements de la dette peut tre invoque. Ces conclusions sont dclines en neuf chapitres prsents comme suit :

    Le Chapitre 1, La dette avant la Troka, analyse laugmentation de la dette publique grecque depuis les annes 1980. Il conclut que laccroisse-ment de la dette nest pas le rsultat de dpenses publiques excessives, celles-ci tant en ralit restes plus faibles que les dpenses publiques dautres pays de la zone euro. La dette provient pour lessentiel du paiement aux cranciers de taux dintrt extrme-ment levs, de dpenses militaires excessives et in-justifies, dun manque gagner fiscal d la fuite illicite de capitaux, du cot de la recapitalisation des banques prives par ltat, et des dsquilibres inter-nationaux issus des lacunes inhrentes au modle de lUnion Montaire.

    Ladoption de leuro a gnr en Grce une aug-mentation drastique de la dette prive laquelle les

  • 4grandes banques prives europennes ainsi que les banques grecques ont t exposes. En prenant de lampleur, la crise bancaire a dbouch sur une crise de la dette souveraine grecque. En 2009, en mettant laccent sur la dette publique et en gonflant le dfi-cit, le gouvernement de George Papandrou a voulu prsenter la crise en cours sous la forme dune crise de la dette publique alors quen ralit il sagissait en premier lieu dune crise bancaire.

    Le Chapitre 2, volution de la dette pub-lique grecque de 2010 2015, tablit que le pre-mier accord de prt de 2010 visait en premier lieu sauver les banques prives grecques et europennes et permettre aux banques de rduire leur exposition aux titres publics grecs.

    Le Chapitre 3, La dette publique grecque par crancier en 2015, met en vidence la nature litigieuse de la dette grecque actuelle au regard des principales caractristiques des prts qui seront analyses plus en dtail au chapitre 8.

    Le Chapitre 4, Le mcanisme du sys-tme-dette en Grce, dvoile les mcanismes issus des accords entrs en vigueur partir de mai 2010. Ces accords prvoyaient loctroi de nouveaux crdits dun montant substantiel par des cranciers bilatraux et le Fonds Europen de Stabilit Financire (Fesf) qui saccompagnaient de cots abusifs, amplifiant dau-tant la crise. Ces mcanismes rvlent comment la majorit des fonds emprunts ont t directement transfrs aux institutions financires prives. Au lieu de bnficier la Grce, ils ont acclr le processus de privatisation travers lutilisation dinstruments financiers.

    Le Chapitre 5, Les conditionnalits enne-mies de la soutenabilit, prsente la manire dont les cranciers ont impos des conditionnalits exces-sives qui, associes aux accords de prts, ont eu pour consquence directe la non-viabilit conomique et linsoutenabilit de la dette. Ces conditionnalits, que les cranciers sobstinent toujours exiger, ont fait chuter le PIB tout en augmentant lendettement public un ratio dette/PIB plus lev rendant la dette grec-que encore plus insoutenable. Mais elles ont gale-ment gnr des changements dramatiques dans la socit et provoqu une crise humanitaire. La dette publique grecque peut ainsi tre considre comme totalement insoutenable en ltat actuel des choses.

    Le Chapitre 6, Impact du plan de sauvetage sur les droits humains, montre que les mesures mises en place dans le cadre des pro-grammes de sauvetage ont directement affect les conditions de vie du peuple et viol les droits humains que la Grce et ses partenaires sont dans lobligation dassurer, de protger et de promouvoir, conform-ment au droit national, au droit de lUnion europenne et au droit international en vigueur. Les ajustements

    drastiques imposs lconomie et la socit grec-que dans son ensemble ont provoqu une dtriora-tion rapide des niveaux de vie incompatible avec la justice sociale, la cohsion sociale, la dmocratie et les droits de lhomme.

    Le Chapitre 7, Problmes juridiques con-cernant les Protocoles daccord (les memoran-da) et les conventions de prt, soutient quil y a eu violation des obligations en matire de droits de lHomme de la part de la Grce elle-mme et de ses prteurs, savoir les tats membres de la zone euro (prteurs), la Commission europenne, la Banque cen-trale europenne et le Fonds montaire international, qui ont impos ces mesures la Grce. Tous ces ac-teurs ont refus dvaluer les violations des droits de lhomme dcoulant des politiques publiques quils obligeaient la Grce appliquer. Ils ont directement viol la Constitution grecque en privant le pays de la plupart de ses droits souverains. En effet, les accords contiennent des clauses abusives, qui ont contraint la Grce renoncer des pans importants de sa souve-rainet. Cela a t attest par le choix du droit anglais comme droit applicable ces contrats, dans le but de faciliter le contournement de la Constitution grecque et des obligations internationales en matire de droits humains. La remise en cause des droits humains et des obligations de droit coutumier, la prsence de diverses preuves de mauvaise foi des parties con-tractantes et leur caractre draisonnable, remettent en cause la validit de ces contrats.

    Le Chapitre 8, valuation du caractre illgitime, odieux, illgal ou insoutenable de la dette, examine la dette publique grecque en regard des dfinitions adoptes par la Commission concer-nant les dettes illgales, illgitimes, odieuses et in-soutenables. Il aboutit la conclusion quen juin 2015, la dette publique grecque est insoutenable, puisque la Grce ne peut payer le service de la dette sans nuire gravement sa capacit de remplir ses obligations les plus lmentaires en matire de droits humains. Par ailleurs, le rapport apporte la preuve de la prsence dans cette dette dlments illgaux, illgitimes et odieux, et ce pour chaque groupe de cranciers.

    La dette envers le FMI doit tre considre comme illgale parce quelle a t consentie en violation des propres statuts du FMI, et que les conditions qui lac-compagnent violent la Constitution grecque, les obli-gations du droit coutumier international et les traits signs par la Grce. Elle est illgitime, puisque les conditions imposes comprennent des dispositions qui violent les obligations en matire de droits hu-mains. Enfin, elle est odieuse, puisque le FMI savait pertinemment que les mesures imposes taient an-tidmocratiques, inefficaces, et allaient provoquer de graves violations des droits socio-conomiques.

    La dette envers la BCE doit tre considre illgale car la BCE a outrepass son mandat en imposant lappli-

  • 5cation de programmes dajustement macroconomique (par exemple, la drglementation du march du tra-vail). La dette envers la BCE est galement illgitime et odieuse, car lobjectif du Securities Market Program (SMP) tait en fait de servir les intrts des institu-tions financires en permettant aux principales ban-ques prives grecques et europennes de se dbar-rasser de leurs obligations grecques.

    Le Fesf a octroy des prts hors liquidits quil faut considrer comme illgaux parce que lArticle 122(2) du TFUE est viol, et parce que ces prts portent atteinte par ailleurs un certain nombre de droits socio-conomiques et de liberts civiques. De plus, lAccord-cadre du Fesf de 2010 et le Master Financial Assistance Agreement de 2012 contiennent plusieurs clauses abusives tmoignant dune attitude immorale de la part du prteur. Le Fesf va galement lencon-tre de principes dmocratiques, ce qui rend ces dettes illgitimes et odieuses.

    Les prts bilatraux doivent tre considrs comme illgaux car ils violent les procdures spci-fies dans la Constitution grecque. Les prts rvlent une attitude immorale des prteurs et prsentent des conditions qui contreviennent au droit et lac-tion gouvernementale. Il y a atteinte tant au droit de lUnion europenne quau droit international lorsque les droits humains sont pitins par des programmes macroconomiques. Les prts bilatraux sont par ail-leurs illgitimes puisquils nont pas t utiliss dans lintrt de la population, mais ont seulement servi sauver les cranciers privs de la Grce. Enfin, les prts bilatraux sont odieux car en 2010 et 2012, les tats prteurs et la Commission europenne, tout en tant conscients de ces violations potentielles, se sont bien gards dtudier limpact des conditionnalits du prt sur les droits humains.

    La dette envers des cranciers privs doit tre con-sidre comme illgale parce que les banques prives ont eu une attitude irresponsable avant lexistence de la Troka, ne respectant pas leur obligation de vigi-lance, et parfois, comme dans le cas de fonds spcu-latifs, agissant de mauvaise foi. Une partie des dettes envers les banques prives et les fonds spculatifs est illgitime pour les mmes raisons quelle est illgale ; de plus, il tait illgitime que des banques grecques soient recapitalises par les contribuables. Les dettes envers les banques prives et les fonds spculatifs sont odieuses, puisque les principaux cranciers taient bien conscients que ces dettes ntaient pas contractes dans lintrt de la population mais pour augmenter leurs propres bnfices.

    Le rapport se conclut sur quelques considrations pratiques.

    Le Chapitre 9, Fondements juridiques pour la rpudiation et la suspension de la dette souveraine grecque, prsente diffrentes options pour lannulation de la dette et expose tout particu-lirement les conditions dans lesquelles un tat souve-

    rain peut exercer son droit poser un acte unilatral de rpudiation ou de suspension de paiement de sa dette en droit international.

    Il existe plusieurs arguments juridiques permettant un tat de rpudier ses dettes illgales, odieuses et illgitimes. Dans le cas grec, un tel acte unilatral peut se fonder sur les arguments suivants : la mauvaise foi manifeste des cranciers qui ont pouss la Grce violer son droit national et ses obligations internationales en matire de droits humains ; la primaut des droits humains sur les autres accords tels que ceux conclus par les gouvernements prcdents avec les cranciers de la Troka ; la coercition ; la prsence de clauses abusives violant la souverainet de ltat grec ; et enfin le droit reconnu en droit international pour un tat de prendre des contre-mesures dautodfense quand les cranciers posent des actes illgaux. Lorsquil sagit de dettes in-soutenables, tout tat est juridiquement fond utiliser largument de ltat de ncessit qui permet un tat confront une situation exceptionnelle de sauvegarder un de ses intrts essentiels menac par un pril grave et imminent. Dans une telle situation, il peut saffranchir de lexcution dune obligation internationale telle que le respect dun contrat de prt. Enfin, les tats disposent du droit de se dclarer unilatralement insolvables lors-que le service de leur dette est insoutenable, sachant que dans ce cas ils ne commettent aucun acte illgal et sont affranchis de toute responsabilit.

    La dignit du peuple grec vaut plus quune dette ill-gale, illgitime, odieuse et insoutenable.

    lissue de ses premires investigations, la Commis-sion considre que la Grce a t et est toujours la vic-time dune tentative de meurtre froidement prmdite par le trio que reprsente le Fonds montaire interna-tional, la Banque centrale europenne et la Commission europenne. Cette attaque violente, illgale et immo-rale a t ralise avec lassentiment et la complicit des tats europens qui, au lieu de servir et dfendre lintrt gnral, ont prfr se mettre au service des banques et des intrts particuliers dune minorit.

    En mettant ce rapport la disposition des autorits grecques et du peuple grec, la Commission considre avoir rempli la premire partie de sa mission telle que dfinie dans la dcision de la Prsidente du Parlement du 4 avril 2015. La Commission espre que son rapport constituera un outil utile pour toutes celles et tous ceux qui veulent sortir de la logique mortifre de laustrit et qui se lvent pour dfendre ce qui est en danger au-jourdhui : les droits humains, la dmocratie, la dignit des peuples et lavenir des gnrations venir.

    Aujourdhui, en rponse ceux qui leur imposent des mesures iniques, le peuple grec pourrait leur rappeler ce propos de Thucydide lorsquil voquait la constitution qui rgit son peuple : Elle a reu le nom de dmocratie, parce que son but est lutilit du plus grand nombre et non celle dune minorit. (Eloge funbre prononce par Pricls et rapporte par Thucydide dans son Histoire de la guerre du Ploponnse).

  • 67 Introduction

    8 Les travaux de la Commission pour la Vrit sur la Dette publique

    10 Dfinitions et liste des acronymes

    11 Chapitre1: La dette avant la Troka

    17 Chapitre2: Les volutions de la dette publique grecque de 2010 2015

    22 Chapitre3: La dette publique grecque par crancier en 2015

    29 Chapitre4: Le mcanisme du systme-dette en Grce

    33 Chapitre5: Les conditionnalits, ennemies de la soutenabilit

    37 Chapitre6: Impact du plan de sauvetage sur les droits humains

    45 Chapitre7: Problmes juridiques concernant les Proto-coles daccord (memoranda) et les conventions de prt

    51 Chapitre8: valuation du caractre illgitime, odieux, illgal ou insoutenable de la dette

    57 Chapitre9: Fondements juridiques pour la rpudiation et la suspension de la dette souveraine grecque

    Table des matires

  • 7D epuis mai 2010, la Grce applique un pro-gramme dajustement macroconomique qui est la condition laquelle elle reoit une aide financire du Fonds mon-taire international, de quatorze tats membres de la zone euro reprsents par la Commission europenne, du Fonds europen de stabilit fi-nancire et de la Banque centrale europenne. Ce programme consiste en des mesures nolib-rales telles que la diminution des dpenses, des licenciements massifs dans le secteur public, la drgulation systmatique du secteur priv, des augmentations dimpts, des privatisations et des changements structurels (trompeusement appels rformes ).

    Ces mesures imposes au niveau international, censes ramener le dficit budgtaire et la dette publique du pays un niveau soutenable, ont pr-cipit lconomie dans une profonde rcession la plus longue quait connue lEurope en temps de paix. Des millions de personnes se sont retrou-ves sans emploi et dans une situation dexclu-sion sociale et de pauvret, tandis que les droits humains, en particulier les droits conomiques et sociaux, ont t fouls au pied. Les infrastruc-tures et les services publics coles, hpitaux, tribunaux, municipalits ont t restructurs, supprims ou touffs dune faon ou dune autre afin datteindre les objectifs budgtaires spcifis par les cranciers, objectifs largement critiqus pour leur caractre inacceptable et leur manque de ralisme. Des vies humaines, le tissu social, la structure de ltat et lenvironnement ont subi des blessures qui seront longues gurir, quand elles ne sont pas irrversibles, comme pour celles et ceux qui ont perdu la vie ou se sont donns la mort sous lre des memoranda, priode o le taux de suicide a atteint des niveaux sans prcdent.

    Cest en rponse cette situation, et dans le cadre de la responsabilit du Parlement envers le peuple grec, que le 4 avril 2015, la Prsidente du Parlement grec a dcid de crer une Com-mission spciale du Parlement. La Commission pour la Vrit sur la Dette publique a reu pour mandat de rechercher la vrit sur la cration de la dette publique et son augmentation des ni-veaux intolrables, ainsi que dauditer la dette et de promouvoir la coopration internationale du Parlement grec avec le Parlement europen et les parlements dautres pays en matire de dette, ainsi quavec des organisations internationales. Le but de la Commission est de traiter lensemble des problmes juridiques, sociaux et conomiques lis la dette qui mritent un examen en bonne et due

    forme, et de participer la prise de conscience des citoyens grecs, de la communaut interna-tionale et de lopinion publique partout dans le monde.

    Le prsent rapport prliminaire prsente les principales conclusions de la Commission au pre-mier stade de ses travaux. Elles soulveront cer-tainement des questions, qui seront reprises et analyses durant lanne qui vient, dans une se-conde phase. Les conclusions prsentes ici sont prliminaires et, les travaux de la Commission de-vant se poursuivre, il faut sattendre ce que les lments prsents soient corrobors et affins dans les mois qui viennent.

    Le premier objectif de ce rapport prliminaire est de mettre en vidence les principaux points sujets discussion et de cerner les questions pr-cises qui doivent tre portes dans le dbat public.

    Aprs une premire section qui prsente le contexte et la mthodologie de notre analyse, ain-si que les dfinitions retenues pour caractriser les dettes illgales, illgitimes, odieuses et insou-tenables, la suite du rapport se structure comme suit. Les chapitres 1 et 2 retracent lvolution de la dette publique grecque entre 1980 et 2015. Le chapitre 3 prsente les principaux lments concernant les cranciers actuels de la Grce. Le chapitre 4 rsume les mcanismes de la dette en rapport avec les accords signs entre la Grce et la Troka depuis 2010. Les chapitres 5 et 6 analysent les conditionnalits attaches la Convention de prt et autres accords, ainsi que leur impact sur le caractre insoutenable de la dette, tant dans une perspective macrocono-mique que du point de vue des droits humains. Le chapitre 7 examine les problmes juridiques que soulvent les memoranda et les conventions de prt, et la manire dont ces textes ont t labors et adopts. Le chapitre 8 rcapitule les conclusions de la Commission sur la dette pu-blique grecque, sur la base des dfinitions de la dette illgitime, odieuse, illgale et insoutenable adoptes sa sance plnire des 4-7 mai 2015. Enfin, aprs cette analyse des problmes multi-ples en rapport avec la dette publique grecque, le chapitre 9 conclut en prsentant les possibilits existantes en matire dannulation de la dette, et en particulier les conditions dans lesquelles, en droit international, un tat souverain peut exercer son droit la rpudiation ou la suspension uni-latrale du remboursement de la dette.

    Introduction

  • 8Contexte La dcision de crer la Commission pour la Vrit

    et de raliser un audit de la dette publique grecque se justifie par trois raisons principales.

    Tout dabord, raliser un audit de la dette publique est un droit dmocratique lmentaire des citoyens et un droit souverain de la nation. Il ne peut y avoir de dmocratie sans transparence en matire de finances publiques, et il est immoral de demander aux citoyens de payer une dette sans savoir comment et pourquoi elle a t contracte. Il est galement trs important dauditer la dette parce que des sacrifices substan-tiels sont exigs du peuple grec et de ltat grec afin dhonorer les remboursements.

    En second lieu, laudit de la dette est aussi un de-voir institutionnel de ltat en droit

    europen. Laudit rpond en effet lobligation cre

    par le Rglement (UE) n 472/2013

    du Parlement europen et du Conseil du 21 mai 2013, qui enjoint un tat membre soumis un programme d a j u s t e -ment mac-

    roconomique de raliser un

    audit complet de ses finances

    publiques afin, no-tamment, dvaluer les

    raisons qui ont entran lac-cumulation de niveaux dendette-

    ment excessifs ainsi que de dceler toute ventuelle irrgularit (paragraphe 9 de lArticle 7). Cette ob-ligation a t nglige par les gouvernements grecs prcdents et par les institutions de la Troka.

    En troisime lieu, laudit de la dette est galement une obligation au regard du droit international. Les Principes directeurs des Nations unies relatifs la dette extrieure et aux droits de lhomme (A/HRC/20/23), adopts par le Conseil des droits de lHomme en juillet 2012, demandent aux tats de conduire rgulirement des audits de leur dette publique, en vue dassurer la transparence et la redevabilit dans la gestion de leurs

    ressources, et dclairer les dcisions demprunt venir.Un objectif central des travaux de la Commission

    est de rpondre la demande de transparence et de redevabilit dans la gestion des ressources exprime par les Nations unies. Un autre objectif est dexpliquer la population grecque comment et pourquoi cette dette, quelle est somme de rembourser depuis cinq ans, a t cre et comment elle a t gre.

    Composition de la Commission pour la Vrit sur la Dette publique

    La Commission pour la Vrit sur la Dette pub-lique est une Commission indpendante, cre par la Prsidente du Parlement grec par un Rglement du Parlement. Elle est prside par la prsidente du Par-lement grec, Zo Konstantopoulou ; le professeur ric Toussaint en assure la coordination scientifique et la dpute europenne Sofia Sakorafa est charge des relations avec le Parlement europen et dautres insti-tutions. Elle comprend des membres grecs, ainsi que des membres venant de dix autres pays. La plupart sont reconnus au niveau international pour leur comptence et leur exprience dans les domaines de laudit, de la dette publique, de la protection des droits humains, du droit international, du droit constitutionnel, de la fi-nance internationale, de la macroconomie, de la lutte contre la corruption et pour la transparence ; dautres apportent lexprience prcieuse des mouvements so-ciaux, au niveau local ou international. La Commission a galement pu compter sur laide dexperts extrieurs et des autorits, ainsi que des services administratifs du Parlement et de la socit dans son ensemble. Le travail de la Commission est ouvert lensemble de la socit et ceux qui souhaitent simpliquer, que ce soit en tant quexperts, personnes ressources, tmoins ou membres. Pendant les deux premiers mois de travaux de la Commission, nous avons dailleurs reu un grand nombre de propositions de contributions, qui ont t prises en compte ou le seront lavenir. Les membres de la Commission proposent bnvolement leurs services ; ils nont pas t rmunrs et ne le seront pas lavenir.

    Mandat et objectifs de la Commission pour la Vrit sur la Dette publique

    Le mandat reu par la Commission est dexaminer la nature de la dette publique grecque, ainsi que les processus (historique, financier...) en relation avec sa cration et son accumulation ; la Commission doit aussi identifier la proportion de la dette qui peut tre dfinie comme illgitime, illgale, odieuse ou insoutenable.

    Les travaux de la Commission pour la Vrit sur la Dette publique

  • 9La Commission pour la Vrit sur la Dette publique aborde laudit de la dette de manire favoriser la transparence et la redevabilit dans la gestion des finances publiques grecques. Elle entend donner des arguments et expliciter les fondements juridiques qui peuvent justifier une annulation de dette.

    Limites Pendant les deux premiers mois de leurs travaux,

    les membres de la Commission ont mis les bouches doubles pour mener bien une premire analyse de la dette publique et pouvoir prsenter les conclusions prliminaires contenues dans ce rapport. Cependant, ce dlai ntait pas suffisant pour analyser compltement les mcanismes daccumulation de la dette en Grce de 1980 2015. Aussi la Commission a-t-elle d se fixer des priorits, en particulier concernant les priodes examiner durgence.

    Par ailleurs, la Commission na pas encore reu tous les documents juridiques et officiels qui lui permettront de corroborer ses conclusions et danalyser tous les as-pects de la dette grecque ; elle prend aussi note du fait que la Banque de Grce, par la voix de son Directeur, a refus de transmettre des documents qui sont es-sentiels pour mener bien laudit. La Commission va insister pour obtenir ces documents ( savoir les trans-actions bancaires en rapport avec les conventions de prt). Dans les mois qui viennent, nous esprons pou-voir compter sur la collaboration pleine et entire des institutions grecques impliques dans ladministra-tion de la dette publique, pour quelles fournissent en particulier les donnes et documents juridiques ainsi que les registres comptables qui nous permettront de complter laudit de la dette.

    Toutefois, le travail accompli ce jour par la Com-mission pour la Vrit sur la Dette publique nous per-met dj de prsenter des conclusions prliminaires importantes et leurs incidences politiques. Ces rsul-tats prliminaires jettent une lumire nouvelle sur les problmes de la dette et dmontrent limportance de poursuivre nos investigations et procdures daudit. La Commission va donc continuer ses travaux dans les mois qui viennent et devrait remettre son rapport dfinitif en mai 2016.

    Le cadre temporel de lanalyseUn des objectifs de la Commission est de prsenter

    un tableau exhaustif de lvolution de la dette publique grecque de 1980 2015, en analysant les tendances, les processus et les cycles dexcution des transactions qui ont donn lieu pareil endettement.

    Compte tenu des dlais impartis, pendant la premire phase de laudit, la Commission a donn la priorit lex-amen de la priode couverte par les memoranda, soit de mai 2010 janvier 2015.

    Les institutions et processus qui se sont distingus pendant la priode des memoranda ne sont toutefois pas apparus du jour au lendemain. Nos analyses prlimi-

    naires de la priode 1980-2010, portant en particulier sur des cas de corruption flagrante qui ont grev le budget de ltat, dmontrent limportance de poursuivre nos in-vestigations. Cela sera lobjet de la seconde phase de nos travaux.

    Objectifs du rapport Ce rapport sadresse aux dirigeants de la Rpublique

    grecque, mais pas seulement. Comme signal prcdem-ment, un des objectifs du rapport est de contribuer la prise de conscience de la population grecque, de la com-munaut internationale et de lopinion publique mondiale. Pour ce faire, la Commission na pas pargn ses efforts pour le rendre accessible au plus grand nombre, sans sacrifier la rigueur de lanalyse. Cela ncessitait entre autres de rester concis : un document de plusieurs cen-taines de pages naurait pas pu atteindre cet objectif. Mais cela impliquait aussi de nous efforcer dtre clairs. Nous prsentons nos arguments dans des termes sim-ples, en vitant le plus possible tout jargon technique, prcisment l o nous abordons les aspects les plus techniques. Cest seulement ainsi que ce rapport peut tre lu et compris par des gens qui nont pas de con-naissance technique du domaine, cest--dire la majorit, ceux-l mmes qui doivent prendre part aux dlibra-tions dmocratiques. Cest pourquoi des documents qui traitent daspects techniques ou analysent en profondeur certains points prsents dans ce rapport seront disponi-bles sur internet dans leur version intgrale.

    Sources de documents et de donnesPour dgager la vrit sur le processus daccumulation

    de la dette publique grecque, il est indispensable de dis-poser de donnes et documents officiels. Afin de mener bien sa mission, la Commission sest servie, entre autres, des sources suivantes :

    Documents officiels tels que contrats, traits, conven-tions, protocoles ;

    Rapports annuels de la BCE, de la Banque de Grce, du Fonds hellnique de stabilit financire ;

    Statistiques officielles dEUROSTAT, dELSTAT, de lOCDE, de la Banque de Grce, du Ministre des Finances, de lAgence de gestion de la dette publique, de la Commission europenne ;

    Articles de revues universitaires, rapports de recherche, articles de journaux ;

    Auditions publiques de tmoins ;

    Rencontres avec diffrentes autorits ;

    Archives de procs, comme laffaire transmise au Parlement grec par les procureurs chargs des dlits conomiques (septembre-novembre 2012) concernant les dclarations de lex-reprsentant de la Grce au FMI, M. Roumeliotis.

  • 10

    Dfinitions Dans ce rapport, les termes dette illgitime, dette illgale, dette odieuse et dette insoutenable sont dfinis de la manire suivante :

    Dette illgitimeDette que le dbiteur ne peut tre contraint de

    rembourser du fait que le prt, le titre financier, la garantie ou les termes et conditions attachs au prt sont contraires au droit (aussi bien national quinternational) ou lintrt gnral ; ou parce que ces termes et conditions sont manifestement injustes, abusifs ou inacceptables ; ou encore parce que les conditions attaches au prt con-tiennent des mesures politiques qui violent les lois nationales ou les standards en matire de droits humains ; ou in fine car le prt ou sa garantie ne sont pas utiliss au profit de la population ou parce que la dette est le produit dune transformation de dette prive (ou commerciale) en une dette pu-blique sous la pression des cranciers.

    Dette illgaleDette pour laquelle les procdures lgales en

    vigueur (incluant celles qui concernent lautorit pour ratifier les prts ou approuver les prts ou les garanties par lorganisme ou les organismes reprsentatifs du gouvernement de ltat dbiteur) nont pas t respectes, ou dette qui implique une faute grave de la part du crancier (par exemple, recours la corruption, la menace ou labus dinfluence) ; il peut sagir galement dune dette contracte en violation du droit national ou inter-national ou qui contient des conditions contraires au droit international ou lintrt gnral.

    Dette odieuseDette qui a t contracte en violation des

    principes dmocratiques (ce qui comprend las-sentiment, la participation, la transparence et la responsabilit) et a t employe contre les plus hauts intrts de la population de ltat dbiteur, ou dette qui a pour consquence de dnier les droits civils, politiques, conomiques, sociaux et culturels de la population si le crancier sait ou est en mesure de savoir ce qui prcde.

    Dette insoutenable Dette qui ne peut tre honore sans attenter

    gravement la capacit de ltat dbiteur as-surer ses obligations en matire de droits humains fondamentaux, comme ceux relevant du domaine de lducation, de leau, des soins de sant, de la fourniture de logements dcents, ou investir dans les infrastructures publiques et les programmes ncessaires au dveloppement conomique et social, ou encore, dette dont le remboursement entranera des consquences prjudiciables pour la population de ltat dbiteur (ce qui inclut une dtrioration de ses conditions de vie). Une telle dette est remboursable mais son paiement devra tre suspendu pour permettre ltat dassumer ses responsabilits en matire de droits humains.

    AcronymesANFA : Accord sur les actifs financiers netsBCE : Banque centrale europenneBCN : Banque centrale nationaleBEI : Banque europenne dinvestissementBIRD : Banque internationale pour la reconstruction et le dveloppement (constitutive de la Banque mondiale)BRI : Banque des rglements internationauxCAIC : Commission pour un audit officiel de la dette (quateur)CDF : Charte des droits fondamentauxCDI : Commission du droit internationalCDS : Contrat dchange sur dfaut de crdit (Credit Default Swap)CIDE : Convention internationale des droits de lenfantCIRDI : Centre international pour le rglement des diffrends relatifs aux investissements (organisme qui fait partie de la Banque mondiale)CJUE : Cour de justice de lUnion europenne COFOG : Dpense des administrations publiques par fonction (Classification of the functions of government)CPI : Commission parlementaire denqute sur la dette (Brsil)CSE : Charte sociale europenneCVDT : Convention de Vienne sur le droit des traitsDBB : Opration de rachat de dette (Debt Buy-Back)DUDH : Dclaration universelle des droits de lhommeEFF : Facilits de financement tendues (Extended Fund Facility)ELSTAT : Autorit hellnique des statistiques (anciennement NSSG)ESA95 : Systme europen des comptes nationaux et rgionauxEURIBOR : Euro Interbank Offered RateFCC : Fonds Commun de CrancesFesf : Fonds europen de stabilit financire FHSF : Fonds hellnique de stabilit financireFMI : Fonds montaire international HRADF : Fonds de dveloppement des actifs de la Rpublique hellnique (=TAIPED en grec)KfW : tablissement allemand de crdit pour la reconstruction (Kreditanstalt fr Wiederaufbau)Mds : MilliardsMES : Mcanisme europen de stabilit MFAFA : Mcanismes lis laccord-cadre dassistance financireMoU : Protocole daccord (Mmorandum of Understanding)NSSG : Service statistique national grec (National Statistical Service of Greece)OCDE : Organisation de coopration et de dveloppement conomiquesOFCE : Observatoire franais des conjonctures conomiquesOIT : Organisation internationale du travail OMT : Opration montaire sur titreONU : Organisation des Nations uniesPIB : Produit intrieur brutPIDCP : Pacte international relatif aux droits civils et politiquesPIDESC : Pacte international relatif aux droits conomiques, sociaux et culturels PSI : Participation du secteur priv (Private Sector Involvement)SDR : Droits de tirage spciaux (Special Drawing Rights) au sein du FMISMP : Programme dachat dobligations dtat (Securities Market Programme)SPV : Vhicules ou Fonds Spciaux PrivsTUE : Trait sur lUnion europenne TFUE : Trait sur le fonctionnement de lUnion europenne UE : Union europenne

  • 11

    L a dette publique actuelle est lhritage des volutions passes. Cest pourquoi ce pre-mier chapitre analyse laccroissement de la dette grecque depuis le dbut des an-nes 1980. Les principaux rsultats qui ressortent de cette analyse sont les suivants :

    Plutt que la consquence de dficits budgtaires levs, laugmentation de la dette est clairement lie aux paiements croissants dintrts. La dette grecque davant la crise est surtout lhritage de la dette ac-cumule pendant la priode 1980-1993. Le principal facteur de laccumulation de dette sur la priode est ce quon appelle leffet boule de neige , qui se dclenche quand le taux dintrt apparent sur la dette est plus lev que la croissance nominale du PIB. Ce phnomne est responsable des deux tiers de laugmentation de la dette entre 1980 et 2007.

    Les dpenses publiques de la Grce ont t in-frieures, en proportion du PIB, celles des autres tats membres de la zone euro. Le seul poste du budget primaire (cest--dire hors intrts de la dette) o les dpenses ont t plus leves est celui des dpenses militaires, propos desquelles une srie de scandales de corruption doit encore tre tudie. Les dpenses militaires excessives ont contribu pour 40 Mds deuros la dette gnre entre 1995 et 2009.

    Les dficits primaires (hors intrts), qui alimentent la dette, sont galement le produit dun faible rende-ment de limpt sur le revenu et des cotisations so-ciales patronales. Ce niveau de rendement, nettement infrieur celui observ dans les autres pays de la zone euro, est d la fraude fiscale et aux flux de capitaux illicites voir ci-dessous , qui ont seulement profit une minorit de la population. Les pertes cumules au titre de ces deux sources de recettes expliquent le reste de la progression de la dette de 1995 2009.

    Les sorties illicites de capitaux ont engendr une perte supplmentaire de recettes fiscales, qui sest leve 30 Mds deuros entre 2003 et 2009. Dans le mme temps, les dpenses dans dautres do-maines, comme la scurit sociale, lducation ou la recherche-dveloppement, ont t ramenes des niveaux infrieurs la moyenne de lUnion europenne.

    Lentre de la Grce dans la zone euro a conduit une augmentation considrable de la dette prive grec-que, qui est passe de 74,1 % du PIB en 2001 129,1 %

    en 2009, et laquelle les principales banques prives europennes, mais aussi les banques grecques, se sont retrouves fortement exposes. Cette situation est lorigine de la crise bancaire de 2009, qui a dclench la crise de la dette souveraine grecque.

    1. Laugmentation de la dette: une vue densemble

    On peut observer trois phases distinctes dans lvolu-tion de la dette publique entre 1981 et 2009 (graphique 1.1) :

    1981-1993 : aprs lentre de la Grce dans lUnion europenne en 1981, on observe une forte augmenta-tion de la dette publique, qui passe de 25 % 91 % du PIB.

    1993-2007 : quasi-stabilisation de la dette, de 91 % 103 % du PIB. Pendant cette priode, en 2001, la Grce entre dans la zone euro avec une dette de 100 % du PIB et un dficit proche de 3 %, qui sera contest en 20041.

    2007-2009 : forte hausse de 103 % 113 % du PIB et, aprs une rvision statistique conteste2, 127 % du PIB, la dette slevant alors environ 300 Mds deuros.

    GRAPHIQUE 1.1

    Ratio dette/PIB, 1980-2009La variation annuelle de la dette publique est la

    somme de trois lments :

    ChAPITRE 1

    La dette avant la Troka

    SOURCE: AMECO

    130

    120

    110

    100

    90

    80

    70

    60

    50

    40

    30

    201981 1983 1985 1987 1989 1991 1993 1995 1997 1999 2001 2003 2005 2007 2009

  • 12

    Le solde budgtaire primaire : cest la diffrence entre les dpenses (hors intrts) et les recettes budgtaires

    Les intrts pays Lajustement stock-flux, qui est la diffrence

    statistique entre la variation de lencours de dette et le dficit total de lanne courante.

    Une fois la dette ainsi dcompose, comme dans le graphique 1.2, le rle majeur que jouent les paiements dintrts dans laugmentation de la dette apparat clairement.

    Le ratio dette/PIB peut quant lui tre dcompos en trois lments :

    Solde budgtaire primaire (en % du PIB) Ajustement stock-flux (en % du PIB) Effet boule de neige (en % du PIB) : il est positif

    quand le taux dintrt apparent servi sur la dette pu-blique est plus lev que le taux de croissance nominal du PIB.

    Le tableau 1.1 ci-dessous rsume la contribution de ces diffrents lments lvolution du ratio dette/PIB. Entre 1980 et 1993, le ratio dette/PIB a augment de 70,4 points : leffet boule de neige a contribu cette hausse hauteur de 58 %, les soldes primaires cumuls hauteur de 32 %, et les ajustements stock-flux hau-teur de 10 %. Pour la priode 1993-2007, la contribution de leffet boule de neige est suprieure la variation totale du ratio dette/PIB.

    TABLEAU 1.1

    De ce premier examen, nous pouvons tirer les trois conclusions suivantes :

    1. La dette grecque davant la crise (2007) provient es-sentiellement de la dette accumule pendant la priode 1980-1993.

    2. Leffet boule de neige est le principal facteur de lvolution constate. Cet effet a t dclench par des taux dintrt levs, associs la baisse du taux de change de la drachme.

    3. Mme si les dficits budgtaires taient impor-tants, ils nont pas constitu la cause principale de lac-croissement de la dette.

    Les rsultats de lanalyse peuvent tre rsums comme suit (graphique 1.3) : entre 1980 et 2007, le ratio dette/PIB a augment de 82,3 points de pourcentage du PIB. Deux tiers de cette hausse (65,6 %) sont imputables leffet boule de neige et seulement un tiers (33,4 %) aux dficits cumuls (y compris les ajustements stock-flux).

    GRAPHIQUE 1.3

    Les composantes de la dette grecque (en% du PIB) 1980-2007

    Contrairement ce qui est souvent affirm, les dpenses publiques grecques (hors dfense) nex-

    80-93 93-07

    Variation du ratio dette/PIB* 70,4 11,9

    dont : Effet boule de neige 40,6 13,5

    Soldes primaires 22,4 -25,1

    Ajustement stock-flux 7,4 23,5

    110

    100

    90

    80

    70

    60

    50

    40

    30

    201980 1985 1990 1995 2000 2005

    Dficits cumuls + Ajustements stock-flux

    Effet boule de neige

    +29,8points PIB

    +28,3points PIB

    +40,6points PIB

    +54,0points PIB

    GRAPHIQUE 1.2

    Les composantes de laugmentation de la dette (en Mds deuros)

    Solde primaireAjustement stock-fluxIntrtsVariation de la dette publique

    30

    20

    10

    0

    -10

    1980 1990 20001985 1995 2005

    SourCe: AmeCo

    * en points de pourcentage.

  • 13

    pliquent pas laugmentation de la dette. Les dpenses publiques ont t infrieures celles des onze autres pays de la zone euro.

    GRAPHIQUE 1.4

    Comparaison de lvolution des dpenses du secteur des administrations publiques (1995-2005)

    De 1995 2009, les dpenses des administrations publiques en Grce (48 %) ont en moyenne t infrieures celles des onze autres pays de la zone euro (48,4 %). Les donnes disponibles concernant les budgets primaires (hors intrts) nindiquent des dpenses suprieures que dans le domaine de la dfense, la Grce y consacrant 3 % du PIB, contre 1,4 % en moyenne. Dans lhypothse o le pourcentage du PIB consacr la dfense en Grce aurait t au mme niveau que dans les onze autres pays, les dpenses publiques totales en pourcentage du PIB auraient t infrieures en Grce par rapport aux autres pays jusquen 2007.

    Nous estimons que lexcs de dpenses militaires a contribu un accroissement de la dette dau moins 40 Mds deuros3. La plupart de ces dpenses sont lies dnormes contrats dachats de matriels militaires four-nis par des socits bases dans des pays crditeurs de la Grce4. Dans plusieurs cas, la question de lillgalit des transactions, entaches par exemple de corruption, a t souleve, en particulier propos des prix excessifs facturs et du caractre dfectueux des matriels5. Les prteurs actuels de la Grce ont conditionn le sauvetage

    de 2010 la confirmation de commandes en suspens de matriels militaires, alors mme quune partie de ces dpenses relvent dobjectifs communs de dfense de lUnion europenne6, et ne sauraient donc, en toute logique, tre la seule charge de la Grce.

    Les dficits primaires, qui creusent la dette et con-tribuent son augmentation, sont principalement dus la faiblesse de la collecte des recettes publiques. Le produit des taxes et des contributions sociales collectes aprs 1999 a diminu des niveaux proches de 34 % du PIB ou en dessous, contre 40 % ou plus dans les autres pays de la zone euro.

    Comme lillustre le graphique 1.5, le faible rende-ment de limpt sur le revenu et linsuffisance des con-tributions relles des employeurs la scurit sociale expliquent la diffrence entre les recettes publiques de la Grce et celles de la zone euro 18. Cette diffrence rsulte principalement de la fraude, facilite par la cor-ruption et linefficacit des procdures de collecte, la complaisance des sanctions, qui restent limites pour les fraudeurs, et la faiblesse des procdures de recou-vrement7 : le montant des impts et contributions im-pays tait estim 29,4 Mds deuros fin 20098.

    La dette contracte pour compenser cette insuffi-sance de la collecte de limpt sur le revenu reprsente 88 Mds deuros sur la priode 1995-20099. Cette partie de la dette a principalement bnfici une minorit de la population, puisque la majorit des contribuables 77,5 % en 200910 -, qui vivent de salaires et de pen-sions de retraite, sont dans lensemble de bons payeurs. Une autre raison de cette insuffisance est une lgisla-tion fiscale elle-mme injuste, qui permet quelques groupes privilgis de recourir lgalement lvasion fiscale. Le manque gagner d linsuffisance des co-tisations sociales payes par les employeurs (et non des travailleurs) reprsente 75 Mds deuros sur la priode 1995-2009.

    Les rductions de limposition sur les socits ont galement contribu au dficit de recettes, le taux dim-position ayant progressivement t ramen de 40 % 25 % sur la priode. En consquence, alors que limpt sur les socits reprsentait 4,1 % du PIB en 2000 (3 % dans la zone euro 18), en 2005 il passait en dessous de la moyenne de la zone euro 18, pour atteindre 2,5 %, puis 1,1 % en 2012.

    54

    52

    50

    48

    46

    44

    421995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009

    Grce Zone euro (11 pays) Grce avec dpenses militaires au niveau Ze11

    SOURCE: EUROSTAT COFOG ESA 95

    Grce

    Zone euro (18 pays)

    Grce avec impts au niveau Ze18

    Grce avec impts et cotisations sociales au niveau Ze18

    GRAPHIQUE 1.5

    Comparaison de lvolution du total des impts et des contributions sociales collectes

    46

    44

    42

    40

    38

    36

    34

    32

    1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009SOURCE: EUROSTAT PRInCIPAUx AGRGATS BUDGTAIRES nATIOnAUx

  • 14

    2. Les sorties illgales de capitaux: dernire cause de lhmorragie mais non des moindres

    Le site internet LuxLeaks11 fournit des informations sur neuf socits grecques qui ont bnfici daccords fiscaux luxembourgeois. Il sagit de Babcock & Brown, BAWAG, Blue House, Coca-Cola HBC, Damma Holdings, Eurobank, Macquarie Group, Olayan Investments Com-pany Establishment et Weather Investments.

    Les sorties illicites de capitaux sont un moyen en-core plus radical dviter limpt. Pour estimer leurs montants annuels, nous avons utilis les donnes de Global Financial Integrity12, une OnG qui value ces flux en calculant la diffrence entre les flux sortants dun pays et les flux reus de ce pays par le reste du monde. Comme cette mthode nidentifie que la partie la plus visible des flux financiers sortants, ses rsultats doivent tre considrs comme une approximation basse13. Les donnes disponibles pour la Grce montrent des sorties cumules de 200 Mds deuros entre 2003 et 2009.

    TABLEAU 1.2

    Sorties illicites de capitaux (en Mds deuros)

    SOURCE: GLOBAL FINANCIAL INTEGRITy14

    Nous valuons limpact de ces sorties illicites sur la base dun taux dimposition modr de 15 % (la moiti du taux effectif). Il en rsulte une perte de recettes pour ltat de 30 Mds deuros. Ainsi, avec une lgisla-tion prvenant efficacement ces sorties et une taxation juste, la dette publique grecque aurait t, en prenant en compte les intrts correspondants, infrieure de 40 Mds deuros en 2009.

    3. Aprs lentre dans la zone euro (2001)

    La croissance conomique aprs 2001 a t princi-palement tire par celle de la consommation et a en-tran une augmentation du dficit de la balance com-merciale. Les principaux partenaires commerciaux de la Grce ont bnfici de son expansion conomique sur la priode en augmentant leurs exportations vers le pays. Elles incluaient aussi bien le matriel militaire que les quipements de tlcommunications, dont plusieurs sont lobjet de scandales financiers et de corruption. Les cas les plus connus concernent des sous-marins, des chars Lopard et les marchs publics accords lentreprise Siemens.

    GRAPHIQUE 1.6

    Balance des biens et services (en Mds deuros)

    GRAPHIQUE 1.7 Importations grecques aprs 2002Importations grecques de biens (en Mds deuros)

    SOURCE: EUROSTAT - Cn8

    4. La faiblesse des taux dintrt a entran une exposition croissante des banques grecques et europennes la dette prive grecque

    Aprs 2001, alors que linflation tait plus leve en Grce que dans la zone euro, les emprunteurs grecs publics et privs ont pu offrir des taux dintrt nomin-aux attractifs aux prteurs internationaux, entranant ainsi un flux de capitaux trangers dans les secteurs public et priv. Dimportantes banques europennes, principalement allemandes et franaises, ont particip activement lnorme augmentation des dettes prives en Grce, y compris par la prise de participation directe dans des banques grecques, comme dans le cas de Geniki (Socit Gnrale) et Emporiki (Crdit Agricole).

    5

    0

    -5

    -10

    -15

    -20

    -25

    -302000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014

    SOURCE: BANQUE DE GRCE

    2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014

    16

    14

    12

    10

    8

    6

    4

    2

    0

    40

    35

    30

    25

    20

    15

    10

    5

    0

    Allemagne Pays-BasFranceue 28 pays intra (chelle de droite)

    2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2003 -2009

    41,2 31,8 0,0 33,0 53,1 2,8 40,5 202,5

  • 15

    Les risques de formation dune bulle au vu de cette ex-position excessive nont pas t correctement soupess. Il en a rsult des taux de croissance du PIB suprieurs ceux du reste de leurozone. Pendant cette priode, le ratio dette publique/PIB est rest relativement stable alors que le ratio dette prive/PIB a augment plutt rapidement, passant de 74,1 % en 2001 121,9 % en 200915.

    GRAPHIQUE 1.8

    La nette augmentation des prts accords par les banques grecques reposait sur des financements internationaux

    2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010

    300

    250

    200

    150

    100

    50

    0

    Crdits aux mnages et socits non financires

    engagements vis--vis du reste du monde

    GRAPHIQUE 1.9

    Crances trangres sur la Grce

    160

    140

    120

    100

    80

    60

    40

    20

    0

    Mar

    . 0

    5

    Mar

    . 0

    7

    Mar

    . 0

    9

    Mar

    . 11

    Mar

    . 13

    Mar

    . 0

    6

    Mar

    . 0

    8

    Mar

    . 10

    Mar

    . 12

    Mar

    . 14

    Source : BrI, conSolIdated ultImate rISk BaSIS. leurozone (ez) comprend lautrIche (at), la BelgIque (Be), lallemagne (de), leSpagne (eS), la France (Fr), lIrlande (Ie), lItalIe (It) et leS payS-BaS (nl).

    Banques Britanniques

    Banques US

    Banques de la zone euro

    SourCe : BrI, ConSolIdAted ultImAte rISk BASIS..

    140

    120

    100

    80

    60

    40

    20

    0

    GRAPHIQUE 1.10

    Exposition des banques trangres en Grce (en Mds deuros)

    Dec.09 Dec.13Dec.11 Jun.14Dec.12 Dec.14

    uk

    uS

    eS

    Pt

    nl

    It

    Ie

    de

    Fr

    Be

    At

    EN MDS DEUROSSOURCE: BAnQUE DE GRCE - COMPTES FInAnCIERS

  • En 2009, avec lentre de lconomie grecque en r-cession, les banques prives grecques et trangres ont fait face des risques croissants sur des prts privs non performants. Les banques trangres (essentiellement de lUE) taient les plus exposes en Grce (140 Mds deuros), tant dans le secteur public (45 %), que dans les banques (16 %) et le secteur priv non financier (39 %)16.

    En 2009, les banques grecques et trangres17 couraient plus de risques que ltat grec avec sa dette souveraine. Le sauvetage de lconomie grecque avec de largent public sans restructuration de la dette pub-lique tait une solution avantageuse pour les banques trangres : elle leur offrait le temps de diminuer, pour un cot relativement bas, leur exposition, au moins dans les secteurs bancaire et public. Ctait aussi une solution avantageuse pour les banques grecques, qui ont rduit leur exposition dans le secteur public de 45,4 Mds deuros au deuxime trimestre de 2009 23,9 Mds deuros au quatrime trimestre de 201118. En mettant laccent sur le dficit et la dette publique et en gonflant artificiellement leur montant en 2009, le gouvernement Papandrou a prsent comme une crise de la dette publique ce qui tait en ralit une crise bancaire (voir chapitre 2). Des annonces frquentes quant la dtrioration de la sit-uation ont provoqu une spculation sur les CDS (credit default swaps, contrat dchange sur dfaut de crdit) sur la dette souveraine grecque et port le cot de son re-financement des niveaux insoutenables, en raison des taux dintrt trop levs exigs pour refinancer les obli-gations grecques arrivant chance.

    Tout au long des chapitres suivants, il est dmontr que la plupart des prts de sauvetage consentis sous des conditions trs svres la Grce aprs 2010 ont t uti-liss au bnfice exclusif des banques prives, soit pour le remboursement des titres publics quelles dtenaient, soit pour la recapitalisation des banques grecques. Loin des affirmations selon lesquelles ces prts portent assis-tance ou viennent en aide la population ou ltat, leur vritable objet nous amne dresser un tableau to-talement diffrent : le premier bnficiaire des prts de la Troka nest autre que le secteur financier priv.

    16

    NOTES1. Cela concerne laffaire des swaps de change Goldman Sachs

    et les changements apports au traitement des achats de matri-el militaire pour faire baisser les dficits et la dette et ainsi pou-voir entrer dans la zone euro.

    2. Il sagit dcarts lis des illgalits dans les dettes certi-fies par les autorits grecques. Des dettes non comptabilises ont par la suite t incorpores illgalement et intentionnelle-ment aux statistiques, do une hausse de la dette. Parmi les ex-emples notables, citons les dettes dentreprises, les arrirs des hpitaux, le traitement ambigu des swaps de Goldman Sachs et, enfin, les oprations aboutissant une sous-estimation du PIB.

    3. Banque de Grce (2014). Rapport annuel 2013. En ligne : http://www.bankofgreece.gr/BogEkdoseis/Annrep2013.pdf, con-sult le 12 juin 2015.

    4. Institut international de recherches pour la paix de Stock-holm (SIPRI) (2015). SIPRI Military Expenditure Database. En ligne : http://www.sipri.org/research/armaments/milex/milex_data-base, consult le 13 juin 2015.

    5. Milakas (2012). Dette et Armement. En ligne : http://www.onalert.gr/stories/xreos_kai_eksoplismoiPos_mas_poylhsan_skoypidia_gia_xrysafi_Apisteyta_stoixeia/17675, consult le 12 juin 2015.

    6. Par exemple, la dfense des frontires de lUE, les plans stratgiques de lOTAN (missiles Patriot et F-16) et les oprations extrieures de lOTAN en Libye, Somalie et Mditerrane orien-tale. Source : Milakas. op. cit. note prcdente.

    7. Par exemple, il y a plus de 110 000 litiges fiscaux pendants devant les tribunaux et environ 5 % des montants des affaires tranches sont recouvrs. Ministre grec des Finances (2015). Statistiques. En ligne : http://www.gsis.gr/gsis/export/sites/default/gsis_site/PublicIssue/documents_TaxAdmin/anartis-id_2013.pdf, consult le 12 juin 2015.

    8. Kathimerini. 19 fvrier 2015. En ligne : http://www.news-bomb.gr/oikonomia/news/story/558084/h-aktinografia-ton-ofeilon-mas-pros-to, consult en juin 2015.

    9. Calcul bas sur la diffrence entre les ressources effectives et celles qui auraient rsult de taux de collecte quivalents la moyenne de leurozone Source : Eurostat COFOG ESA95.

    10. Ministre grec des Finances. op. cit. 711. ICIJ (2015). Explore the Documents : Luxembourg Leaks Da-

    tabase. En ligne : http://goo.gl/vcyhDG, consult le 12 juin 2015.12. Global Financial Integrity (2015). Greece : Change in Ex-

    ternal Debt Model. En ligne : http://goo.gl/djEv1n, consult le 12 juin 2015.

    13. Lconomie informelle est estime 25 % 30 % de lcon-omie enregistre par plusieurs tudes : Economist Intelligence Unit (2010). Country Report : Greece. Avril 2010 ; OCDE (2009). tudes conomiques de lOCDE : Grce 2009. En ligne : https://goo.gl/3jVlPU, consult le 12 juin 2015 ; Fondation hellnique pour la politique trangre et europenne (ELIAMEP) (2010). Economic Fact Sheet Greece 2009/10.

    14. Global Financial Integrity, op. cit.1215. OCDE (2015). OCDE Statistics. En ligne : http://goo.gl/i4s-

    QSy, consult le 12 juin 2015.16. Banque des rglements internationaux (BRI) (2010). Statis-

    tical Annex. June Quarterly Review. En ligne : http://goo.gl/s4haRg, consult le 12 juin 2015.

    17. Dont BNP, Socit Gnrale et Crdit Agricole pour la France, Commerzbank, Baden Bank, Postbank et DZ Bank pour lAllemagne et NBG, Agricultural Bank, Piraeus, EFG Eurobank, Hellenic Postbank et Alpha pour la Grce.

    18. Banque de Grce (2015). Financial Accounts. En ligne : http://goo.gl/JW85Tx, consult le 12 juin 2015.

  • 17

    E n 2008, au moment o lconomie com-menait se dgrader, le systme bancaire grec se trouvait confront une crise de solvabilit. Le principal objectif du premier accord de financement de mai 2010, dun montant de 110 Mds deuros, tait de venir au secours des banques exposes au risque de la dette publique grecque. Le financement permettait aux banques grecques et europennes de rduire leur exposition aux obligations grecques en transfrant le risque aux cranciers bilatraux et multilatraux. Tandis que lconomie ralentissait du fait des mesures daustrit imposes au motif de rembourser la dette, la situation fiscale de son ct continuait se dtriorer, entranant une augmentation du ratio dette/PIB.

    Le second accord, qui prvoyait des prts sup-plmentaires dun montant de 130 Mds deuros et une rduction ( haircut ou PSI participation du secteur priv) de 53,5 % de la valeur faciale des titres grecs, aggrava la crise. Des structures pub-liques figurent parmi les perdants du PSI car elles subirent des pertes de 16,2 Mds deuros. Lessentiel fut support par les systmes de retraite qui enregistrrent 14,5 Mds deuros de pertes. lin-verse, les banques grecques furent totalement indemnises, tandis que les cranciers privs trangers le furent en partie pour ces pertes conscutives au haircut , grce la mise en place d adoucisseurs (ou sweeteners ).

    La gestion de cette crise fut un chec car elle fut considre comme une crise de dette souveraine alors quil sagissait en ralit dune crise bancaire.

    1. De 2009 mai 2010Les lections anticipes du 4 octobre 2009 virent

    une des plus larges victoires du PASOK (parti socialiste grec) de la dcennie, celui-ci recueillant 43,92 % des suffrages. Ce succs du PASOK tait le rsultat de ses promesses prlectorales. Grce sa fameuse phrase Nous avons de largent , prononce loccasion dune runion lectorale dans la Grce rurale, le leader du PA-SOK gagna les lections. Le PASOK promettait une nou-velle priode qui verrait la reprise dune redistribution

    de richesses, une solution apporte au problme social de la gnration 700 euros , ainsi que la protection des plus vulnrables. Mais, quelques semaines peine aprs les lections, on vit arriver toute une srie de rvisions des statistiques. Le climat politique changea alors du tout au tout.

    La crise grecque apparat comme la consquence de lextrme fragilit du systme bancaire grec cet-te poque, comme latteste le recours un trs haut niveau de leffet de levier pratiqu par lensemble du systme bancaire. La dpendance du secteur ban-caire des financements court terme fut lorigine de srieuses difficults en matire de liquidits et de graves problmes de solvabilit qui amenrent en octo-bre 2008 le gouvernement de Konstantin Karamanlis apporter aux banques une enveloppe daide de 28 Mds deuros. Sur ce montant, 3,5 Mds deuros furent utiliss pour recapitaliser les banques et les mettre en con-formit avec le niveau rglementaire de fonds propres. Le reste de lenveloppe fut mis disposition sous forme de garanties. Comme il ressort du graphique 2.1, cest ce moment-l que survint la premire augmentation de taux en matire de risque souverain, bien avant que Papandrou annonce la perte daccs de la Grce aux marchs financiers au printemps 2010.

    GRAPHIQUE 2.1

    Obligations 10 ans de ltat grecTaux de rendement des obligations 10 ans

    ChAPITRE 2 volution de la dette publique grecque entre 2010 et 2015Rsum

    5.6

    5.4

    5.2

    5.0

    4.8

    4.6

    4.4

    4.21/1/2008 4/1/2008 7/1/2008 10/1/2008 1/1/2009

    SOURCE: TRADING ECONOMICS.COM | PUBLIC DEBT MAnAGEMEnT AGEnCY (POMA)

  • 18

    Aprs les lections lgislatives du 4 octobre 2009, le nou-veau gouvernement de Georges Papandrou procda en toute illgalit une rvision des statistiques afin de gonfler le dfi-cit et le montant de la dette pour la priode antrieure au mmorandum de 2010.

    Les dettes hospitaliresLe niveau du dficit pour 2009 subit plusieurs rvisions

    la hausse, de 11,9 % du PIB en premire estimation 15,8 % dans la dernire.

    Lun des plus choquants exemples de falsification est celui des dettes du systme public de sant.

    En Grce, comme dans les autres pays de lUE, les hpitaux publics sont approvisionns en mdicaments et en matriels par des fournisseurs qui sont pays aprs la livraison en rai-son des procdures de validation imposes par la Cour des Comptes. Or, en septembre 2009, un volume important de dpenses non valides concernant les annes 2005-2008 stait accumul, et leur montant navait pas encore t arrt. Le 2 octobre 2009, dans le cadre des procdures dEurostat, le Service statistique national grec (NSSG), rebaptis ELSTAT en mars 2010, notifia Eurostat les chiffres du dficit et du montant de la dette en cours. Ces chiffres incluaient les dettes des hpitaux en attente de rglement, estimes titre provisoire 2,3 Mds deuros selon les m-thodes de calcul en vigueur au NSSG. Le 21 octo-bre, il notifia une augmentation de ces dettes de 2,5 Mds, portant le total des dettes en attente de rglement 4,8 Mds deuros. Les autorits europennes contestrent dabord cette rvision, tablie selon des procds suspects :

    Dans la note du 21 octobre, un montant de 2,5 Mds deuros a t ajout au dficit de 2008 qui slevait 2,3 Mds deuros. Selon les autorits grecques, cela fut fait sur instruction directe du Ministre des Finances en dpit du fait que le montant des engagements hospitaliers ntait pas connu, et que rien ne justi-fiait de limputer au seul exercice 2008 plutt qu des exercices antrieurs, alors que le NSSG avait exprim son dsaccord sur la question la Cour des Comptes et au Ministre des Finances. On peut considrer ici que le Contrle gnral a commis une faute1 .

    Cependant, en avril 2010, sur la base du Rapport technique sur les engagements des hpitaux du gouvernement grec du 3/2/20102, non seulement Eurostat valida le supplment de 2,5 Mds deuros, mais il y ajouta un montant supplmentaire de 1,8 Md. Ainsi, le montant initial de 2,3 Mds deuros, notifi par la note du 2 octobre 2009, fut port 6,6 Mds, alors que la Cour des comptes navait valid que 1,2 Md sur ce total. Les 5,4 Mds dengagements hospitaliers restant non valids vinrent ainsi accrotre le dficit de 2009 et des annes prc-dentes. Ces pratiques statistiques en matire dengagement de dettes hospitalires contreviennent purement et simple-ment la rglementation europenne (voir ESA95 par. 3.06, EC n 2516/2000 article 2, Rglement n 995/2001) et au Code de bonnes pratiques de la statistique europenne, tout particu-lirement en ce qui concerne le principe dindpendance pro-fessionnelle, lobjectivit et la fiabilit statistique.

    Soulignons quun mois et demi aprs cette manipulation du dficit public, le ministre des Finances demanda aux fournis-seurs un rabais de 30 % pour la priode 2005-2008. Ainsi, une bonne partie des dpenses hospitalires nont pas t payes aux fournisseurs de produits pharmaceutiques alors que ce ra-bais na t pris en compte dans aucune statistique officielle.3

    Entreprises publiquesUn des nombreux cas de falsification concerne 17 entre-

    prises publiques (DEKO). En 2010, ELSTAT4 et EUROSTAT dcidrent le transfert des dettes de 17 entreprises du secteur des entreprises non financires vers le budget de ltat, ce qui augmenta la dette publique de 18,2 Mds deuros en 2009. Ces entits avaient t considres comme des entreprises non financires, aprs quEUROSTAT eut approuv leur classe-ment dans ce secteur. Il convient de souligner que les rgles

    de lESA95 en matire de classement nont pas chang entre 2000 et 2010.

    Ce reclassement a t effectu sans tudes pralables ; il a de plus t ralis en pleine nuit, une fois les membres de la direction dELSTAT partis. Le prsident dELSTAT eut alors tout le loisir de procder ces modifications sans tre confront aux questions des membres de

    lquipe de direction. Ainsi, le rle des experts nationaux fut compltement ignor, ce qui est en

    totale contradiction avec la rglementation ESA95. Par consquent, ladoption par linstitution du critre pour

    rattacher une entit conomique au budget de ltat constit-uait une violation de la rglementation.5

    Les swaps de Goldman SachsUne autre cause de laugmentation injustifie de la dette

    publique grecque en 2009 rside dans le traitement statis-tique des swaps passs avec Goldman Sachs. Le directeur la tte dELSTAT a, lui tout seul, dcid de gonfler la dette pu-blique de 21 Mds deuros. Ce montant a t rparti sur quatre exercices, entre 2006 et 2009. Mais il sagissait dune augmen-tation rtrospective de la dette publique ralise en violation des rglements du Conseil europen.

    On estime que ces ajustements, infonds sur le plan technique, ont gnr une augmentation du dficit public reprsentant 6 8 points de PIB pour 2009 de sorte que la dette publique sest accrue de 28 Mds deuros.

    nous considrons que la falsification des donnes statis-tiques est troitement lie la dramatisation autour de la dette publique et de la situation budgtaire. Tout cela fut or-ganis dans lunique but de convaincre lopinion publique en Grce et en Europe daccepter le plan de sauvetage de lconomie grecque de 2010 avec toutes ses conditionnalits catastrophiques pour la population grecque. Les Parlements des pays europens ont vot un sauvetage de la Grce sur la base de donnes truques. La gravit de la crise bancaire a t sous-estime du fait dune exagration des problmes conomiques du secteur public.

    Falsification du dficit public et de la dette publique

  • 19

    Entre fin 2009 et dbut 2010, les annonces rptes de nouvelles mesures daustrit (cest--dire des coupes budgtaires), associes la dgradation de la note de la Grce par les agences de notation, rvlrent le caractre mensonger des promesses prlectorales du nouveau gouvernement. La dtrioration des finances publiques amena une injection de ressources publiques dans la recapitalisation des banques grecques au motif dune situation durgence . Ces mesures empchrent la crise de stendre aux autres banques europennes, mais avec pour contrepartie le transfert du fardeau de cette crise sur les paules des contribua-bles grecs. Le gouvernement annona sa perte daccs aux marchs financiers, et le 23 avril il sollicita officiel-lement laide des tats membres de lUE et celle du FMI, conformment la dcision du Sommet europen du 25 mars. La situation fut dramatise, bien quil existt dautres possibilits de pallier les impasses budgtaires du budget 2010, telles que :

    La restructuration du secteur bancaire, comme lavaient fait les pays scandinaves dans les annes 90 et lIslande en 2008 ;

    Le recours des emprunts intrieurs ; La mise en place de prts bilatraux de pays nap-

    partenant pas la zone euro ; Le rachat des titres sur le march secondaire ; La possibilit demprunter plus que les 25 Mds

    deuros accepts lors de la dernire mission sur le march.

    Dautres alternatives incluant la suspension de paiement ou lannulation de la dette.

    TABLEAU 2.1

    mission des obligations du gouvernement grec entre 2009 et 2010

    SOURCE: PDMA, CALEnDRIER DMISSIOn & DE SYnDICA-TION ET RSULTAT DES MISSIONS

    2. Le Protocole daccord (Mmorandum of Understanding ou MoU) de mai 2010

    Le premier accord de financement de 110 Mds deuros (80 Mds provenant des tats membres de la zone euro et 30 Mds du FMI) tait accompagn de strictes conditionnalits , pour reprendre les mots de Jean-Claude Trichet6. Le programme mettait lac-cent sur trois dfis cls : premirement, restaurer la confiance et lquilibre des finances publiques grce un effort budgtaire intensif, deuximement, restaurer la comptitivit par des rformes telles que la rduction des salaires et des retraites, et troisimement, sauve-garder la stabilit du systme financier7.

    En fait, la finalit relle de laccord tait doffrir une issue de secours aux dtenteurs privs dobligations grecques qui souhaitaient rduire leur exposition sur ces titres, dans un contexte o il y avait une forte proba-bilit de dcote de la valeur nominale de ces obligations.

    GRAPHIQUE 2.2

    Crances des banques trangres sur la dette grecquefin 2009, rpartition en pourcentage

    SOURCE: BRI ET FMI

    Lexposition des banques trangres la dette publique et la dette prive grecques est en ralit la principale raison de la rti-cence des dbiteurs procder trs tt une dcote sur les obligations. Lex-position des banques franaises la Grce slevait 60 Mds deu-ros tandis que celle des banques allemandes portait sur 35 Mds8; si lon avait impos ces banques une rduction

    de la valeur de leurs titres grecs et le cas chant de leurs autres obligations souveraines des tats de la zone euro cela aurait mis en pril la viabilit du systme financier 9. On peut par consquent soutenir lide que le premier accord de financement et que le MoU ont t conus pour soutenir les cranciers privs du pays, tout partic-ulirement les banques, et non la Grce.

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    BONS 10 ANS 11-03-09 19-07-09 6,00% 7,5 11,7 7,5

    BONS 5 ANS 07-04-09 20-08-14 5,50% 7 10,5 7

    BONS 3 ANS 05-05-09 20-03-12 4,30% 7,5 13,8 7,5

    BONS 10 ANS 10-06-09 19-07-09 6,00% 8 20,6 8

    BONS 5 ANS 02-02-10 20-08-15 6,10% 8 25 8

    BONS 3 ANS 11-03-10 19-06-20 6,25% 5 16,145 5

    32%Autres banques europennes

    11%Banques non- europennes

    36%Banques franaises

    21%Banques allemandes

  • 20

    3. De mai 2010 fvrier 2012Le refus des cranciers daccepter une dcote sur

    leurs titres grecs eut pour consquence un accroisse-ment de la dette souveraine grecque qui passa de 299 355 Mds deuros entre la fin de lanne 2009 et la fin de lanne 2011, ce qui reprsente une augmenta-tion de 18,78 %. Mais le fait le plus important rside dans le changement radical intervenu quant au profil de cette dette. Suite des ventes massives de titres grecs par les banques grecques et europennes, la dette publique dtenue initialement par des cranciers privs fut transfre sur les tats de la zone euro, la BCE et sur le FMI. La part des obligations dans la dette grec-que chuta de 91,1 % en 2009 70,5 % en 2011 tandis que celle des prts augmenta de 5,2 % 25,3 % sur la mme priode10. Au cours des annes 2010 et 2011, une rcession sans prcdent (avec une contraction du PIB respectivement de 4,9 % et 7,2 % pour ces annes) aboutit lchec de la mise en uvre de tous les objec-tifs budgtaires (tant en ce qui concerne limpt sur le revenu que le dficit budgtaire). Dans le mme temps, la monte de la colre populaire contre laustrit se cristallisa en une crise politique.

    partir de fvrier 2011, la Troka commena exiger des coupes budgtaires supplmentaires et de nouvelles mesures. Cela signifiait trs clairement que le premier mmorandum tait dj caduc. Le 26 octobre 2011, le Conseil de lUnion europenne dcida la mise en place dun nouveau programme pour la Grce de 130 Mds deuros de prts supplmentaires. Cela constituait une augmentation significative du montant de loffre prcdente prsente en juillet 2011 qui portait sur 109 Mds deuros. loccasion des travaux dun Sommet eu-ropen, il fut propos aux cranciers privs dtenteurs dobligations une dcote denviron 50 % de la valeur nominale de leurs titres. Une version modifie de cette proposition, appele PSI+ (Private Sector Involvement) fut intgre dans le second accord de financement.

    4. Le PSILe changement progressif dans la composition de la

    dette posa les jalons dun processus de restructuration associant les cranciers privs dtenteurs de titres. La restructuration de la dette grecque fut finalise le 9 mars 2012 par lchange de titres en circulation contre de nouveaux titres intgrant une rduction de valeur. Le montant total de la dette en circulation fut rduit de 106 Mds deuros en fvrier 2012. Cette diminution ne permit pas de rduire la dette car un nouvel accord de financement dun montant de 130 Mds deuros fut dcid. Ce montant comportait une enveloppe de 48 Mds deuros destine la recapitalisation des banques grecques. Cet accord de financement tait surtout des-tin protger une nouvelle fois les intrts du sec-teur financier et limiter ses pertes. Le fait que les ngociations, qui se droulrent au cours de lhiver 2012 et qui amenrent ce dnouement heureux pour les

    cranciers soient conduites par des membres de lInsti-tut International de la Finance et son directeur de lpo-que, lancien banquier Charles Dallara, nest pas quune simple concidence. Les grands perdants du PSI+ ont t les organismes publics et les petits porteurs. Ladoption de deux lois eut pour consquence de faire supporter des centaines dentits publiques des pertes pour un montant total de 16,2 Mds deuros. Lessentiel de ces pertes fut pris en charge par des caisses de retraite hauteur de 14,5 Mds deuros (prlevs sur leurs 21 Mds deuros de rserves). Largent soutir aux caisses de retraite neut aucun impact sur lencours de la dette publique car celle-ci prend en compte lensemble des administrations publiques. Lautre groupe qui enregistra des pertes significatives fut celui des petits porteurs. On estime plus de quinze mille le nombre de familles qui ont perdu du jour au lendemain une bonne partie de leurs conomies. Une telle situation trouve son ex-plication dans le fait que pendant des annes, les obli-gations dtat taient rputes sans risque et taient proposes comme telles. Lingale rpartition des pertes marque le dbut dun vritable scandale social, comme lillustrent les 17 suicides recenss parmi ceux qui ont subi le naufrage de leur pargne11. Linjustice est encore plus criante si lon sait que le PSI+ ne pr-voyait pas le ddommagement de ce petit groupe dac-tionnaires alors que dans le mme temps les banques grecques taient indemnises intgralement, et quune enveloppe de sweeteners ( adoucissants ) tait mise disposition des banques trangres. Limpact social du PSI+ fut aggrav du fait des mesures draconiennes et punitives qui laccompagnaient (rductions des salaires et des retraites, privatisation, dmantlement du dis-positif des conventions collectives, suppressions mas-sives demplois publics, etc.). Qui plus est, lmission des nouvelles obligations sous le rgime du droit anglais (lequel rend encore plus difficile une restructuration conscutive une dcision souveraine de la puissance publique) contribua saper les droits des tats souve-rains pour le plus grand profit des cranciers.

    Linefficacit de la restructuration de 2012 quant la soutenabilit de la dette devint trs vite vidente. Lors de lt 2013, ceux-l mmes qui staient faits les chantres du PSI en le prsentant comme la solution dfinitive la crise de la dette publique, rclamrent une nouvelle restructuration.

    5. De 2012 2015La restructuration de la dette grecque sacheva en

    dcembre 2012 lorsque la BCE mit en uvre une proc-dure de rachat (ou buy back ) par la Grce de ses propres obligations, ce qui rduisit dautant la dette. Toutefois, en rachetant ces titres 34 centimes deuro, quelques fonds spculatifs, tel Third Point de Dan Loeb, ralisrent des profits faramineux de lordre de 500 mil-lions de dollars en lespace de quelques mois12.

    Au cours de la priode dite du sauvetage de la

  • 21

    Grce (2010-2014), la dette publique enregistra sa plus forte progression et devint incontrlable, en passant de 299,69 Mds deuros (soit 129,7 % du PIB) 317,94 Mds deuros (soit 177,1 % du PIB). Dans le mme temps, la part des obligations dans cette dette diminua en passant de 91,12 % en 2011 20,69 % en 2014, alors que celle des emprunts augmentait pour passer de 5,21 % en 2009 73,06 % en 2014. Ainsi, cette date, les emprunts du Fesf reprsentaient 68,4 % de la dette publique grecque. En 2015, lorsquil fut nouveau question dune restructuration de la dette, on put alors vrifier la totale inefficacit des deux accords de financement dun strict point de vue conomique. Cette ncessit de restructurer la dette trouve son ex-plication dans le fait que les deux plans de soutien la Grce ntaient quun colossal sauvetage des cranciers privs 13.

    Indpendamment des raisons de linsoutenabilit de la dette grecque, il faut relever que la considrable augmentation des dettes souveraines observe partout dans le monde intervint dans les prolongements de la crise de 2007. Selon le FMI, la dette des administra-tions publiques augmenta entre 2008 et 2014, pour reprsenter respectivement entre ces deux annes une progression de 65 % 79,8 % du PIB pour lensemble des pays du monde, de 78,8 % 105,3 % pour les pays dvelopps et de 68,6 % 94 % pour les pays de la zone euro14. Partout dans le monde, le secteur financier priv utilisa la dette souveraine comme moyen pour trans-frer les cots de la crise de 2007 sur le secteur public.

    NOTES

    1. Commission europenne (2010). Report on Greek Government Deficit and Debt Statistics. En ligne : http://goo.gl/RxJ1eq, consult le 12 juin 2015.

    2. Gouvernement grec (2010). Technical Report on the Revision of Hospital Liabilities.

    3. Ministre de la Sant et de la Solidarit Sociale (2010). Com-muniqu de presse.

    4. En mars 2010, linstitut en charge des statistiques officielle, le Service national des statistiques de la Grce (NSSG) fut rebap-tis ELSTAT (Autorit hellnique des statistiques).

    5. Voici quelques exemples choisis parmi une plthore de vi-olations du droit europen : le respect du formalisme rglemen-taire et la nature des participations de ltat ; le critre de 50 %, en particulier lexigence du systme europen de comptabilit de 1995 ou ESA95 (par. 3.47 et 3.48) sur le subventionnement des produits ; cette violation gnre une fausse dfinition du revenu en tant que cot de production ; le rglement ESA95 (par. 6.04) sur la consommation de capital fixe ; les rglements relatifs aux apports de capitaux ; la dfinition ESA95 des entreprises commerciales dtenues par ltat (souvent considres comme des entreprises publiques) comme ne relevant pas du secteur des administrations publiques ; lexigence ESA95 dune priode continue de dficits avant et aprs le reclassement dune entit conomique.

    6. Les prts ne sont pas des transferts et ils ont un cot. Ils nont pas seulement un cot financier, ils ont aussi un caractre conven-tionnel strict. Ce caractre ne doit pas seulement donner aux prteurs lassurance quils seront rembourss, mais aussi que les emprunteurs

    seront capables dhonorer leurs engagements long terme. Dans le cas de la Grce, cela exige du gouvernement grec des actes adapts, courageux et bien identifis pour consolider les finances publiques de manire dfinitive et crdible. . BCE (2010). Keynote Speech at the 9th Munich Economic Summit. Speech by Jean-Claude Trichet, President of the ECB. Munich. En ligne : https://www.ecb.europa.eu/press/key/date/2010/html/sp100429.en.html, consult le 12 juin 2015.

    7. FMI, (2010). Greece: Staff Report on Request for Stand-By Ar-rangement. IMF Country Report No. 10/110. http://goo.gl/ErBW0Q, consult le 12 juin 2015.

    8. Bastain, C. (2012). Saving Europe : How National Politics Nearly Destroyed the Euro. Washington DC : Brooking Institution Press. En ligne : http://goo.gl/HyV22x, consult le 12 juin 2015.

    9. Blustein, P. (2015). Laid low the IMF, the Euro zone and the First Rescue of Greece. Cigi Papers N 61. En ligne : https://goo.gl/lvRKFE, consult le 12 juin 2015.

    10. Ministre des Finances de la Rpublique hellnique. Budget de ltat sur Plusieurs Exercices.

    11. Belegrinis, y. (2014). Petty Bondholders : The People Who Trusted the Greek State and Were Destroyed. Huffington Post. En ligne : http://goo.gl/hQcjBp, consult le 12 juin 2015.

    12. Ce fonds spculatif avait achet des obligations au prix de 17 centimes deuros. Armitstead, L. (2012). Dan Loebs Third Point Hedge Fund Makes $500m Profit From Greek Bonds. The Telegraph. En ligne : http://goo.gl/cwI7yJ, consult le 4 juillet 2015.

    13. The Eiffel Group & the Glienicker Group, (2015). Giving Greece a chance. En ligne : http://www.bruegel.org/nc/blog/detail/article/1631-giving-greece-a-chance/, consult le 4 juillet 2015.

    14. . FMI (2015). Fiscal Monitor, Now is the Time. Fiscal Policies for Sustainable Growth. En ligne : http://goo.gl/0CVwFw, consult le 4 juillet 2015.

  • 22

    Les institutions qui se sont regroupes pour for-mer la Troka sont les principales crancires de la Grce et exercent sur elle une pression considrable afin de sassurer du bon rem-boursement de leurs crances. Ce chapitre examine les questions primordiales relatives aux 5 principaux cranciers de la Grce : les tats membres de lUE, le Fesf, le FMI, la BCE et les cranciers privs. Nous prsentons dans ce chapitre les caractristiques cls et la nature controverse de ces dettes. Le chapitre 8 revient plus en dtail sur ces diffrentes caractris-tiques. La majorit des prts accords dans le cadre du plan de sauvetage a t utilise pour le rem-boursement des dettes existantes. Comme lillustre le tableau 3.1, seuls approximativement 10 % de ces prts ont servi financer le budget de ltat.

    TABLEAU 3.11

    Affectation des financements (2010-2015)

    TABLEAU 3.2

    Dette publique par composants au 30/04/20152

    ToTal %

    Financements perus 243,2 100,0%

    Amortissements (sauf dette court terme)

    112,5 46,3%

    Recapitalisation des banques

    48,2 19,8%

    Cots du PSI 34,5 14,2%

    Autres 23,4 9,6%

    quilibre budgtaire 24,6 10,1%

    ITEMMILLIOnS DEUROS

    %

    Bons de trsorerie 14 943,9 4,8%

    Obligations 39 380,1 12,6%

    Obligations dtenues par la BCE (ANFA)

    7 309,3 2,3%

    Obligations dtenues par la BCE (SMP)

    19 874,1 6,4%

    Avances de la Banque de Grce

    4 265,0 1,4%

    Prts spciaux et bilatraux trangers (EIB)

    7 094,5 2,3%

    Autres prts trangers

    5 081,0 1,6%

    Prts du Fesf 130 909,1 41,9%

    Prts bilatraux des tats membres

    52 900,0 16,9%

    Prts du FMI 20 634,6 6,6%

    Prts court terme (repos)

    10 286,9 3,3%

    TOTAL 312 678,5

    ChAPITRE 3

    La deTTe pubLique grecque par crancier en 2015

    Source : 2010 et 2011, premire et deuxime revue FMI, 2012 quatrime revue FMI, 2013 cinquime revue FMI

    Source : PDMA, 2015

  • 23

    1. Les prts bilatraux Les prts bilatraux coordonns (mis en commun)

    des tats membres ont t octroys le 9 mai 2010 et verss en 6 tranches trimestrielles. Les versements to-taux slvent 52,9 Mds deuros3 .

    TABLEAU 3.3

    Composition des prts bilatraux la Grce (en millions deuros)

    Comme dcrit plus en dtail au chapitre 4, ces prts furent mis en uvre par la combinaison dun ac-cord entre tats membres et de lAccord de prt. Les Etats prteurs ont affirm quen exigeant des taux din-trt levs, ils encourageaient un retour aussi rapide que possible de la Grce sur les marchs financiers5.

    Au taux variable Euribor 3 mois augment de 300 points de base pour les trois premires annes les taux initiaux taient levs6. Avec un Euribor 3 mois slevant 1,609 % en aot 20117, lintrt servi sur les prts bilatraux a atteint 4,6 %. Comme indiqu plus haut, il fut prcis que ltab