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1 Licences spectacles 1-142915 2-142916 3-142917 ON NE PAIE PAS ! ON NE PAIE PAS ! DARIO FO MISE EN SCÈNE CHRISTOPHE ROUXEL | THÉÂTRE ICARE EN TOURNÉE EN LOIRE-ATLANTIQUE PHOTO © JULIEN CORREC 2012/13

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CONTACTS PÔLE PUBLIC ET MÉDIATION

Manon [email protected] 28 24 28 08

Florence [email protected] 28 24 28 17

LE GRAND T84, rue du Général BuatBP 3011144001 NANTES Cedex 1

DURÉE : 2h05

PUBLIC : à partir de la 3e

EN TOURNÉE EN LOIRE-ATLANTIQUE

MACHECOUL

OCT VE 12 21:00

CHÂTEAUBRIANT

VE 19 20:45

SAINT-LYPHARD

VE 26 20:30

PORNICHET

NOV VE 16 20:00

VALLET

MA 20 20:30

LA CHEVROLIÈRE

VE 23 20:30

LIGNÉ

DI 25 17:00

ON NE PAIE PAS ! ON NE PAIE PAS !

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SOMMAIRE

Présentation 3

La pièce 4

Note d’intention 5

Dario Fo, auteur 6

Christophe Rouxel et le théâtre Icare 8

Extrait 9

La presse en parle 11

Annexes 12

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PRÉSENTATION

On ne paie pas ! On ne paie pas ! Par le Théâtre Icare

Texte Dario FoAdaptateurs Toni Cecchinato et Nicole ColchatMise en scène Christophe Rouxel

Collaboration artistique Luigi de AngelisScénographie Silvio CrescoliLumières Christophe OlivierCostumes Caroline LerayMaquillage Sylvie AubrySon Benjamin RouxelRégie générale Paul Seiller

Avec Florence Gerondeau, Delphine Lamand, Frédéric Louineau, Didier Morillon et Didier Royant

Production Théâtre Icare

Le Théâtre Icare est une compagnie conventionnée, subventionnée par le Ministère de la culture et de la communication – Drac des Pays de la Loire, la Ville de Saint-Nazaire, le Conseil régional des Pays de la Loire, et le Conseil général de Loire-Atlantique.

Avec le soutien pour le décor du Grand T scène conventionnée Loire-Atlantique

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LA PIÈCE

« On ne paie pas ! On ne paie pas ! »

C’est le slogan lancé en chœur par un millier de femmes ulcérées par la montée des prix dans un supermarché de la banlieue de Milan.

Antonia repart chez elle surchargée de grands po-chons de courses. Elle rencontre Margherita, sa voi-sine, qui lui donne un coup de main et elle lui raconte par le menu la révolte puis la mise à sac du super-marché. Mais que faire de ces marchandises « vo-lées » ? Le mari d’Antonia, Giovanni, syndicaliste pur, dur et légaliste, ne supporterait aucun compromis. Antonia décide de mentir, purement et simplement. Mais la situation s’accélère. L’État a réagi très vite à cette atteinte grave à la propriété et au commerce.

La police, puis la gendarmerie, par vagues succes-sives, ratissent le quartier, procèdent à une fouille

Visionnez la séquence du journal « 19/20 » de France3 sur On ne paie pas ! On ne paie pas ! en cliquant sur le lien ci-dessous : http://www.youtube.com/watch?v=YLoWlRX_9_I&feature=player_embedded

méticuleuse des appartements. Antonia, dépassée par les évènements, s’emberlificote dans des men-songes de plus en plus farfelus. Elle cache une par-tie des marchandises sous le manteau de sa voisine. La voilà enceinte ! Giovanni, qui revient du boulot, est surpris. Il s’interroge. Ce quiproquo va déchaîner une avalanche d’évènements invraisemblables dont le grotesque va révéler avec une efficacité redou-table les dysfonctionnements d’une société en crise où les rapports d’oppression, de spéculation et de profit ont acculé les classes modestes à l’indignité.

Et Giovanni peut répondre à ceux qui disent :« On n’avait pas raison, nous autres, les gens de gauche ? Voyez !Le capitalisme s’effondre ! »« … oui, le capitalisme s’écroule… mais il s’écroule sur nous. »

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lui répondre : « Non je ne suis pas un couillon… Moi aussi, je me fous en rage, et ce n’est pas contre toi, c’est contre moi… contre mon impuissance. »

Les moments de crises sont tellement récurrents qu’on finirait par s’y habituer. Alors pour ne pas se laisser prendre à trop de désabusement, entrons avec Dario Fo en crises de rires et d’engagement furieux et joyeux.

C’est dans cet état d’esprit que j’aborde le travail de On ne paie pas ! On ne paie pas ! ce jour le 24 août 2010, à Saint-Nazaire.

Christophe Rouxel, metteur en scène

NOTE D’INTENTION Par Christophe Rouxel

On ne paie pas ! On ne paie pas ! de Dario Fo nous intéresse parce que l’humeur de la comédie est asso-ciée ici à une réflexion politique pour former une farce militante jubilatoire. On trouve dans cette proposi-tion de Dario Fo une formidable virtuosité à conduire les personnages dans une course haletante, à la fois absurde et sincère, vers une révolte manifeste d’ou-vrières au milieu des années 70 en Italie. Presque un demi-siècle plus tard, le texte retrouve une jeunesse et une efficacité joyeuses. Ici, des femmes et des hommes finissent par réaliser des actes identiques et pacifiques pour se venger de trop d’injustices à leur égard, avec des principes bien différents mais qui finissent donc par se rejoindre dans les actes.

On ne paie pas ! On ne paie pas !, c’est cette voix de femme qui crie à son homme : « La classe ouvrière, qui c’est ? C’est nous… Nous et notre rage, notre misère et notre désespoir… comme tous ceux qu’on est en train d’expulser. Regarde-les… pire que des déportés… Tu ne veux rien savoir, tu te bouches les yeux. Tu n’es même plus un communiste… tu es un clérical de gauche… un couillon. » Et son homme de

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dissoute. En 1970 – seconde rupture – Dario Fo se détache du parti communiste et crée, avec ses cama-rades, un autre collectif théâtral : « La Comune ». Ces années sont celles des grands succès : Mystère Bouffe, en 1969, épopée des opprimés inspirée de la culture médiévale, apporte à Dario Fo une renom-mée mondiale ; Mort accidentelle d’un anarchiste, en 1970, et Faut pas payer, en 1974, sont écrits en liaison, l’une avec la demande de révision du procès de l’anarchiste Guiseppe Pinelli défenestré à Milan, l’autre avec la campagne d’autoréduction des fac-tures en période d’inflation.

L’anti-conformisme de Dario Fo, ainsi que son enga-gement politique et social l’entraînent dans d’innom-brables procès et controverses en Italie, avec l’État, la police, la télévision, le pape : son émission Canzo-nissima est censurée ; selon le pape, Mistero buffo offense « les sentiments religieux des Italiens ». En collaboration avec Franca Rame, il écrit une série de monologues inspirés par la lutte des Italiennes pour le droit au divorce et la légalisation de l’avortement. Il invente, dans la veine de Mystère Bouffe, des his-toires désopilantes et graves, comme Histoire du tigre. En 1980, on lui interdit d’entrer aux États-Unis, où il devait donner une représentation exceptionnelle, à cause de son affiliation au « Soccorso Rosso », une organisation de soutien aux détenus.

Artiste hors normes, il reçoit en 1997 le Prix Nobel de Littérature pour avoir « dans la tradition des ba-teleurs médiévaux, fustigé le pouvoir et restauré la dignité des humiliés. »

Dario Fo a eu ces dernières années un adversaire de choix, source inépuisable de satire et de critiques virulentes de sa part : Silvio Berlusconi.

Sur le plan artistique, Dario Fo est revenu à ses pre-mières amours : la peinture. Il continue cepandant à arpenter les scènes du Piccolo Teatro ou les parvis des églises, lors de spectacles conférences sur l’his-toire de l’art où – avec force, dessins de sa main à l’appui – il réinvente, avec la fougue irrévérencieuse qui le caractérise, l’histoire du Caravage, de Giotto, de Léonard de Vinci, de Mantegna, ou encore celle de saint François d’Assise ou de Saint-Ambroise, le saint patron de Milan, sa ville (à la mairie de laquelle il s’était même présenté en 2006).

DARIO FO, AUTEUR

NOTICE BIOGRAPHIQUE

Dario Fo naît en 1926 à San Giano, village de Lom-bardie au bord du lac Majeur, dans une famille prolé-taire de tradition démocratique et antifasciste. Il dé-couvre très jeune le théâtre populaire et la tradition orale, par l’intermédiaire de son grand-père, « fabula-tore » connu. Doué en dessin et en peinture – talent qui lui permettra de dessiner lui-même les affiches de ses spectacles – il commence par étudier l’art et l’architecture à Milan.

En 1952, il écrit pour la radio ses premiers monolo-gues comiques, intitulés Poer nano, « Pauvre nain ». Il découvre le Piccolo Teatro de Giorgio Strehler, fait ses débuts d’acteur et écrit des revues de critique sociale.

En 1954, il épouse Franca Rame, fille d’une grande famille de comédiens populaires, qui devient son insé-parable partenaire. Ensemble, ils fondent leur première compagnie professionnelle : la compagnie Fo-Rame. Jusqu’en 1967, Dario Fo écrit et interprète des comé-dies destinées aux théâtres « bourgeois », mais dans lesquelles il explore la culture populaire et promeut une critique sociale et politique de l’époque : il fustige les institutions et les classes dirigeantes tout en dé-ployant une fantaisie débridée. En 1968 a lieu une rupture essentielle dans le parcours de Fo : il fonde l’association « Nuova Scena » avec l’aide du PCI, « au service des forces révolutionnaires » et s’ex-trait du circuit du théâtre « bourgeois ». À cause de conflits idéologiques, l’association est cependant vite

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1980-1997: Dario Fo et Franca Rame créent de nouveaux spectacles, invités et reconnus dans le monde entier. En 1991, il monte ainsi à la Comédie Française Le Médecin volant et Le Médecin malgré lui.

1997 : Dario Fo reçoit le prix Nobel de Littérature.

Fo a écrit ensuite des comédies Il diavolo con le zinne (1997) et des monologues construits sur le modèle de Mistero Buffo : Lu santo jullare Fran-cesco (1999) et Il tiempo degli uomini liberi (2004).

L’arrivée du deuxième gouvernement Berlusconi lui inspire L’Anomalo Bicefalo, écrit avec Franca Rame.

UN HOMME DE THÉÂTRE : QUELQUES REPÈRES CHRONOLOGIQUES

1958-1968 : Compagnie Dario Fo – Franca Rame : période « bourgeoise »Dario Fo écrit sept comédies, dont Isabelle, trois caravelles et un charlatan, à partir des modèles po-pulaires de la farce et de la commedia dell’arte, en les inscrivant dans un contexte contemporain. Par le biais de l’ironie et du grotesque, une critique sociale apparaît déjà.

1968-1970 : Collectif théâtral « Nuova Scena » La révolution culturelle chinoise, les événements de mai 1968 en France, les mouvements de lutte en Italie amènent Dario Fo et Franca Rame à mettre fin à leur compagnie pour créer l’association Nuova Scena, « au service des formes révolutionnaires, non pour réformer l’État bourgeois, mais pour favoriser la croissance d’un processus révolutionnaire sus-ceptible de porter au pouvoir la classe ouvrière ». Fo s’inscrit alors dans un circuit mis sur pied par le PCI. Parmi les spectacles de cette période : L’Ouvrier connaît 300 mots, le patron 1000, c’est pour ça qu’il est le patron ; première version de Mistero Buffo.

1970 : Collectif théâtral de « La Comune » Dario Fo rompt avec le PCI. Il fonde donc un nou-veau collectif et met sur un pied un nouveau circuit, « alternatif », distinct du précédent. Parmi les spectacles de cette période : Mort acci-dentelle d’un anarchiste, Feddayn (joué par les Pa-lestiniens du Front de libération), Guerre du peuple au Chili (sur les luttes des mineurs chiliens), Faut pas payer !, L’Enlèvement de Fanfani, Histoire du tigre et autres histoires. Pendant cette période Mis-tero Buffo est développé et repris.

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Entre 1995 et 2001, il est élu membre du Conseil Économique et Social de la Région des Pays de la Loire. Il est membre du jury du Prix d’écriture théâ-trale de Guérande. On ne paie pas ! On ne paie pas ! est la trente-deuxième mise en scène de Christophe Rouxel avec le Théâtre Icare.

Les mises en scène de Christophe Rouxel pour le Théâtre Icare : 1985 Chapeau de Banane, de K. Valentin1987 Outre-mer, d’A. Chevalier1988 La Dernière Bande, de Samuel Beckett1990 Jock, de J-L. Bourdon1991 Chant du coq et Fin de programme de J-L. Bourdon1992 Quai Ouest, de Bernard-Maris Koltès1993 Marat Sade, de Peter Weiss1994 Max Gericke, de M. Karge L’Instruction, de Peter Weiss1995 Medea, de J. Vauthier1996 Une lune pour les déshérités, d’E. O’Neill1997 Roberto Zucco, de Bernard-Marie Koltès1998 Beauregard, de Luigi De Angelis1999 Chant d’amour pour l’Ulster, de Bill Morrison2000 L’Échange, de Paul Claudel Macbeth, d’après William Shakespeare2001 Woyzeck, de Georg Büchner2002 L’Affaire de la rue de Lourcine, d’E. Labiche2003 Ces murs qui nous écoutent, d’après S. ZariâbMarat Sade, de Peter Weiss2004 Jazz’n Faust, de F. Smektala et P-G. Verny Un drôle de silence, de Julien Simon2005 Don Juan, d’après différents auteurs.2006 Little Boy la passion, de Jean-Pierre Cannet2007 Gheel Terre Promise, d’après Per Odensten2008 La Maladie de la Mort, de Marguerite Duras Gheel la ville des fous, d’après Per Odensten2009 Combat de nègre et de chiens, de B-M Koltès La Princesse de Gheel d’après M. Maeterlinck2009 La Nuit juste avant les forêts, de B-M Koltès2011 On ne paie pas ! On ne paie pas ! de Dario Fo

Depuis 1979, Christophe Rouxel mène une carrière professionnelle consacrée au théâtre : acteur, forma-teur, metteur en scène et directeur de compagnie. Attaché à une éthique de théâtre exigeant et popu-laire, il n’a cessé d’explorer des modes singuliers de représentation pour favoriser la rencontre avec de nouveaux publics.

De 1982 à 1990, à Rieux (56), son village natal, il dirige un projet de création théâtrale en milieu rural. Il signe trois mises en scène présentées durant sept ans devant 70 000 spectateurs. En 1986, il réa-lise Port-Nazaire, naissance d’une ville industrielle, Saint-Nazaire, où il a fondé et installé le Théâtre Icare en 1984.

Depuis 1990, il s’attache essentiellement à la direc-tion artistique de cette compagnie, conventionnée depuis 1995, qui a à son actif plus de trente créa-tions : Koltès, Weiss, O’Neil, Bourdon, Chevalier, Valentin, Beckett, Bihan, Wenzel, Simon, Zariab, Shakespeare, Cannet, Büchner, Duras, Morrison, Odensten, Claudel, De Angelis, Vauthier, Karge... Depuis plusieurs années, il a constitué une équipe d’acteurs et de formateurs, qui intervient dans de nombreux espaces d’éducation et au sein même du Théâtre Icare.

Il a encadré de nombreux stages à l’international - Chili, Portugal (avec l’aide de l’AFAA et de l’Alliance Française), et en France dans les conservatoires de Bordeaux, Angers et La Roche-sur-Yon, et parti-cipé à un stage de mise en scène avec Peter Brook (1993). Il est également sollicité pour des lectures, comme récitant, avec diverses formations musicales et comme comédien.

CHRISTOPHE ROUXEL, METTEUR EN SCÈNE ET LE THÉÂTRE ICARE

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bable.) Et si lui ne le sait pas, comment veux-tu qu’il te l’annonce, à toi ?

GiovanniComment ça qu’il ne le sait pas ?

AntoniaJe ne sais pas, moi, peut-être qu’elle n’a pas voulu lui dire !

GiovanniComment ça, elle n’a pas voulu lui dire ?

AntoniaBen parce que… parce que Margherita est très ré-servée… et aussi parce que Luigi… il est toujours à dire que c’est encore trop tôt, que c’est pas le moment, qu’avec la crise on sait pas, qu’ils devraient d’abord s’établir… et puis qu’on risque de la ren-voyer si elle est enceinte. Tellement flippé qu’il lui a fait prendre la pilule !

GiovanniMais si elle prend la pilule, comment ça se fait qu’elle est enceinte ?

AntoniaBen la pilule a pas dû agir comme il faut ! Ça arrive…

GiovanniMais si la pilule n’a pas agi comme il faut, pourquoi elle le cacherait à son mari ? C’est pas sa faute, à elle !

AntoniaBen peut-être que la pilule n’a pas agit comme il faut parce que… parce qu’elle ne la prenait pas, la pi-lule… et si tu prends pas la pilule… (elle ne sait plus quoi dire) il arrive que la pilule ne fasse pas effet… (elle prend le balai et se met à balayer)

GiovanniMais qu’est-ce tu racontes ?

Antonia (tousse nerveusement)Margherita… Margherita est très catholique… très… et le Pape a proclamé que prendre la pilule était un péché mortel…

GiovanniDis-moi, tu es tombée folle, c’est ça ? Tu parles comme une démente, là ! La pilule qui n’agit pas

EXTRAIT

GiovanniQu’est-ce qu’elle a, Margherita ?

AntoniaQu’est-ce qu’elle devrait avoir, je ne comprends pas.

GiovanniBen, là, devant, là… on dirait qu’elle a enflé.

AntoniaEt alors ? C’est la première fois que tu vois une femme mariée avec un gros ventre ?

GiovanniAttends, tu es en train de me dire qu’elle est enceinte ?

AntoniaC’est ce qui arrive généralement quand on fait l’amour avec son mari.

GiovanniElle en est à quel mois ? Dimanche dernier, je l’ai vue, et j’ai pas remarqué…

AntoniaQuand est-ce que tu as remarqué quoi que ce soit chez une femme, toi ?! Dimanche dernier, c’est di-manche dernier. Il s’en passe des choses en une semaine !

GiovanniÉcoute, je suis peut-être crétin, mais pas à ce point-là. Luigi ne m’a rien dit.On bosse à la même chaîne, du matin au soir et il me met la tête comme ça avec sa petite femme ché-rie. Il me l’aurait dit quand-même, si elle attendait un enfant !

Antonia (qui ne sait pas comment s’en sortir)Beh… y’a des choses, comme ça que… qu’on n’a peut-être pas envie d’aller raconter à tout le monde. C’est gênant…

GiovanniC’est gênant ? Mais t’es folle ou quoi ? Ça le gêne-rait de dire que sa femme est enceinte ? C’est une honte, maintenant, de mettre sa femme enceinte ?

Antonia (qui cherche ses mots)Peut-être que… peut-être qu’il ne te l’a pas dit parce que… Parce qu’il ne le sait pas encore. (Giovanni la regarde abasourdi. Antonia continue, impertur-

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parce qu’on ne la prend pas ! Elle avec un bidon de neuf mois et son mari qui ne se rend compte de rien, et maintenant le Pape !

Antonia (de plus en plus en difficulté)Peut-être que Luigi ne se rendait compte de rien parce que… Margherita se sanglait !

Giovanni Elle se sanglait ?

AntoniaOui, bien serré, toute comprimée, pour que ça se voie pas. Et aujourd’hui, quand je l’ai vue, comme ça, je lui ai dit : « Mais Margherita, tu t’emmaillotes encore ? Mais tu es folle ! Tu veux perdre ton bébé ? Mais tu vas l’étouffer ! Qu’est-ce t’en as à faire qu’ils te ren-voient ? Un bébé c’est quand même plus important que le boulot ! » J’ai bien fait non ?

GiovanniBien sûr que tu as bien fait ! Tu as bien fait ! Bien sûr !

AntoniaEt c’est comme ça qu’on s’est retrouvées à la mai-son et qu’elle s’est enfin décidée à se dessangler : Ploff ! Un ventre !! T’aurais vu ça, Giovanni !

GiovanniJe l’ai vu !

AntoniaEt je lui ai même dit : « écoute Margherita, si ton mari fait des histoires, tu lui diras de venir chez moi, et mon Giovanni, il va lui expliquer la vie, lui, à sa façon ! » J’ai bien fait ou pas ?

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LA PRESSE EN PARLE

« Indignez-vous, avec le sourire… et Dario Fo. Le Théâtre Icare réussit une adaptation d’On ne paie pas ! On ne paie pas !, farce politique du subversif dramaturge italien, d’une brûlante actualité. L’histoire d’une émeute de la faim… »

Ouest-France, 14 janvier 2011

« La comédie On ne paie pas ! On ne paie pas ! est un rayon de soleil dans la brume du quotidien. »

Presse-Océan, 16 janvier 2011

« Engagez-vous ! […] Dans l’écrin parfait de sa scé-no acidulée, la compagnie Théâtre Icare porte l’au-teur avec une énergie débordante… »

Le Bruit du Off 2011, 18 juillet 2011

« 10 spectacles nominés aux Coups de cœur du Club de la presse Grand Avignon-Vaucluse : […] On ne paie pas ! On ne paie pas ! par le Théâtre Icare à 17h35 au Grenier à sel. »

La Provence, 20 juillet 2011

« Désespérément drôle ! Comme Pasolini, il donne la parole au peuple […] Face à l’agressivité contem-poraine, à la mondialisation envahissante, cette inter-prétation de Dario Fo rassemble et réveille. »

La Marseillaise, 24 juillet 2011

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ANNEXES

FAUT PAS PAYER ! (DEVENU ON NE PAIE PAS ! ON NE PAIE PAS !) - 1974 - TEXTE ET CONTEXTE

MATÉRIAUX POUR APPROFONDIR L’ANALYSE

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III. Faut pas payer ! – 1974 : texte et contexte III.1.  Histoire(s)   Faut  pas   payer  !   est   traversé  par   l’histoire  politique  :   la  pièce   s’ancre  dans  une   réalité   concrète   très  précise   et  renvoie  aux  tensions  qui  parcourent  alors  le  pays.  Antonia  et  Margherita  ne  peuvent  plus  payer  depuis  plusieurs  mois  leur  loyer,  le  gaz  et  l’électricité.  Giovanni  et  Luigi  sont  en  passe  de  perdre  leur  travail,  leur  usine  devant  être  délocalisée.   Même   les   divergences   politiques   de   ces   deux   hommes   reprennent   celles   du  moment  :   Luigi   pour  l’action  directe,   sans  passer  par   les  partis,  Giovanni  pour   le   respect  de   la   loi  et  des   impulsions  du  syndicat.  La  réalité   politique   et   économique   est   plus   qu’une   référence   dans   le   théâtre   de   Dario   Fo,   elle   en   est   la   matière  même.     a. La  désobéissance  civile   Faut   pas   payer  !   s’inspire   des   luttes   de   quartiers   des   années   70   et   d’une   forme   toute   particulière   qu’elles  revêtirent  :  la  désobéissance  civile.  La  première  manifestation  de  celle-­‐ci  fut  l’auto-­‐réduction  des  loyers  dans  un  quartier  ouvrier  de  Turin  en  1970.  Le  mouvement  s’étendit  peu  à  peu  à  d’autres  villes,  et  d’autres   factures  :   le  chauffage,   les   transports  urbains,   l’électricité.  Ce  mouvement  visait  à   faire  prendre  en  main   les   revendications  par  les  intéressés  eux-­‐mêmes  et  permit  une  résistance  assez  efficace  contre  l’augmentation  du  coût  de  la  vie  pour  les  ouvriers  et  petits  salariés.  Au  moment  où  Dario  Fo  inventait   l’argument  de  sa  pièce  à  partir  du  mouvement  d’auto-­‐réduction  des  factures,  des  mouvements  spontanés  contre  les  augmentations  abusives  des  supermarchés  apparurent,  sans  qu’on  puisse  établir  de  lien  d’antériorité  ni  de  causalité  entre  l’histoire  et  le  théâtre.  Ainsi,  deux  supermarchés   de   Milan   furent   envahis   et   dévalisés   en   octobre   1974   par   des   manifestants,   en   majorité   des  femmes.        

La Provincia, 20.10.1974, article conservé par Dario Fo.

b. Des  années  de  plomb    

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 Les  années  70  en  Italie  furent  nommées  les  «  années  de  plomb  ».  Période  noire  de  l’histoire  politique,  économique  et  sociale,  elle  fut  traversée  par  des  conflits  et  des  tensions  violentes.  Chômage,  délocalisation,  misère  allaient  de  pair  avec  manifestations,  radicalisation  politique,  affrontements,  attentats  terroristes.        Texte   1  :  «  Entre   «  compromis   historique  »   et   terrorisme,   retour   sur   l'Italie   des   années   70  »,   Toni  Negri,  2002.    Toni  Negri  est   l’auteur,  entre  autres,  de  La  Classe  ouvrière  contre   l'Etat,  Galilée,  Paris,  1978,  et  d'Italie  rouge  et  noire,  Hachette,  Paris,  1985.  Il  a  été  chargé  de  cours  à  l'Ecole  normale  supérieure  de  la  rue  d'Ulm  et  enseignant  à  l'université  Paris-­‐VIII,  ainsi  qu'au  Collège  international  de  philosophie.    (…)   En   Italie,   les   années   70   commencent,   en   fait,   en   1967-­‐1968   et   se   terminent   en   1983.   En   1967-­‐1968   le  mouvement  étudiant,  comme  dans  tous   les  pays  développés,  érigea  des  barricades.  Pourtant,  son  envergure  et  son   impact   n'eurent   pas   la  même   ampleur   que   dans   les   autres   pays   européens  :   en   Italie,   le  mai   68   étudiant  proprement  dit  fut  faible.    Mais  il  n'en  va  pas  de  même  si  on  le  juge  d'un  point  de  vue  plus  général  :  il  a  en  effet  ouvert,  dans  le  système  du  pouvoir,   une   brèche   dans   laquelle   s'est   engouffrée,   en   vagues   successives,   la   protestation   sociale   contre   un  système  qui  accumulait  les  retards  dans  la  modernisation  du  capitalisme  et  réprimait  le  potentiel  démocratique  hérité  de  la  lutte  antifasciste  et  de  la  Résistance.    C'est  ainsi  qu'après   les  étudiants  d'autres  acteurs  sociaux  se  sont   imposés  sur   la  scène  politique.  Par  exemple,  1969   est   l'année   ouvrière   des   nouveaux   conseils   d'entreprise   (consigli   di   fabbrica),  de   l'égalitarisme   dans   les  augmentations  de  salaire,  du  dérèglement  des  politiques  capitalistes  en  matière  de  marché  du  travail.  Le  statut  des   travailleurs   (statuto  dei   lavoratori)  couronne  cette  phase  des   luttes.  Viendront   l'organisation  des  pouvoirs  des   régions,   l'introduction   du   divorce,   l'objection   de   conscience,   sans   parler   de   nombreuses   innovations  législatives   qui   ont   «  décongelé  »   la   vieille   société  de   l'après-­‐guerre.  Autant  de   réponses   institutionnelles   à   un  enchaînement  continu  de  luttes  -­‐  pas  seulement  étudiantes,  ni  même  ouvrières  -­‐  ouvert  par  1968.       La  «  stratégie  de  la  tension  »    Vers   1973-­‐1974,   le   cadre   se   modifie.   Jusqu'à   ce   moment-­‐là,   la   relation   entre   les   mouvements   sociaux   et   la  «  gauche  »  avait  été,  malgré  des  accidents  de  parcours,  essentiellement  dialectique.  Après  la  crise  du  pétrole  de  1973   et   les   premières   contre-­‐offensives   capitalistes,   les   choses   changent.   La   gauche   italienne   interrompt   le  dialogue   avec   les   nouvelles   forces   sociales,   et   sa   composante   majoritaire,   le   Parti   communiste   italien   (PCI),  propose  un  «  compromis  historique  »  (compromesso  storico)  à  l'adversaire  de  toujours,  la  Démocratie  chrétienne  (DC).    Or   le  système  politique  italien,   il   faut   le  rappeler,  était  alors  caractérisé,  pour  des  raisons  liées  à   la  position  du  pays  dans  le  scénario  de  la  «  guerre  froide  »  par  son  «  bipartisme  imparfait  ».  Autrement  dit,  dans  la  norme  de  la  vie  parlementaire  existait  une  convention  ad  excludendum  concernant  le  PCI  :  quelle  que  fût  sa  force  électorale,  le  [PCI]   était   exclu  du  pouvoir,   censé   rester   entre   les  mains  de   la  Démocratie   chrétienne,   rempart   de   l'Occident.  Malgré  cette  contrainte   institutionnelle,   les  deux   forces  avaient   imaginé  un  système  de  pouvoir  permettant  un  certain   équilibre,   espérant   ainsi   modérer   les   conflits   sociaux   lorsque   ceux-­‐ci   débordaient.   A   côté   d'un  «  bipartisme  imparfait  »  existait  donc  ce  qu'on  appelait  un  «  coassociativisme  imparfait  ».      Au   début   des   années   70,   s'appuyant   sur   la   force   électorale   croissante   que   lui   offre   le   développement   des  mouvements   sociaux,   le   PCI   décide   de   participer   plus   en   profondeur   à   la   majorité.   Il   ne   se   présente   plus  seulement  comme  un  «  parti  de  lutte  »,  mais  comme  un  «  parti  de  lutte  et  de  gouvernement  ».  Du  coup,  à  partir  de  1973-­‐1974,  le  Parlement  va  travailler  dans  une  unanimité  de  fait.  En  1978,  le  PCI  ira  jusqu'à  appuyer  le  nouveau  gouvernement.  Ce  faisant,  il  démissionnera  des  dernières  fonctions  de  contrôle  qui  lui  étaient  imparties,  dans  le  «  bipartisme  imparfait  »,  en  tant  que  représentant  de  l'opposition.  Le  «  coassociativisme  »  devenait  «  parfait  ».    Les  années  1974  à  1978  voient  s'approfondir  progressivement  l'alliance  entre  DC  et  PCI  :  du  gouvernement  et  du  Parlement,   celle-­‐ci   s'étend   à   tout   le   système   de   pouvoir,   de   l'administration   centrale   à   la   périphérie,   aux  syndicats,   à   la   gestion  des  moyens  de   communication   et,  dulcis   in   fundo,  à   la   police.   Simultanément,   les   luttes  s'accentuent   et   les   mouvements   sociaux   rompent   définitivement   avec   toute   représentation   institutionnelle.  N'oublions  pas  qu'il  s'agissait  de  batailles  de  très  grande  envergure  et  d'énorme  intensité.    Car,  au-­‐delà  du  simple  exercice  de  ce  «  contre-­‐pouvoir  »  qu'ils  incarnaient  depuis  1968,  les  mouvements  sociaux  étaient  alimentés  par   les  conséquences  des  politiques  de  déflation  monétaire  et  de  restructuration   industrielle  par  lesquelles  s'organisait  une  première  -­‐  mais  décisive  -­‐  «  sortie  du  fordisme  »  du  système  productif  italien.  Or  le  «  compromis   historique  »   s'était   justement   bâti   autour   de   ces   «  politiques   d'austérité   »   contre   lesquelles   se  dressait  la  mobilisation  sociale.    Ainsi,  quand  la  répression  -­‐  celle  du  patronat  dans  les  usines  et  celle  de  la  police,  bénéficiant  d'un  nouvel  arsenal  législatif,  dans  la  société  -­‐  passa  les  bornes  démocratiques,  la  résistance  en  vint  à  son  tour  à  s'armer.  C'est  surtout  parmi   les   ouvriers   des   grandes   usines   du   Nord,   sauvagement   restructurées,   que   les   Brigades   rouges   (1)  

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commencèrent  à  s'organiser  ;  et  c'est  dans  ces  mêmes  usines,  ou  dans  les  zones  limitrophes,  qu'apparurent  des  pratiques  de  «  justice  prolétarienne  »,  tantôt  de  masse,  tantôt  clandestines.    A  cet  enchevêtrement  de  composantes  sociales  et  politiques,  désormais  traversé  par  une  série  ininterrompue  de  luttes   ouvrières   et   de   violences   urbaines,   s'ajoute   une   variable   indépendante   et   surdéterminée.   C'est   la  provocation  directe  -­‐  comment  l'appeler,  sinon  «  terroriste  »  ?  -­‐  des  organes  de  l'Etat  en  charge  des  obligations  de  la  «  défense  atlantique  »,  avant,  pendant  et  après  le  «  compromis  historique  ».    A   partir   du   massacre   de   Milan   en   1969,   ces   appareils   ne   cessent,   année   après   année,   d'accroître   leur  intervention,  des  bombes  lancées  pendant  les  défilés  et  les  meetings  populaires,  dans  les  gares  et  dans  les  trains,  jusqu'à  l'horrible  tuerie  de  Bologne  en  1980  (2)  (actuellement,  aucun  des  responsables  et  des  commanditaires  de  ces  massacres  n'est  incarcéré).  Ces  actions  criminelles  ont  évidemment  jeté  de  l'huile  sur  le  feu  d'une  résistance  qui  ne  demandait  qu'à  s'exprimer  et  en  avait  les  moyens.    En   1977,   le  mouvement   connaît   une   soudaine   et   très   forte   flambée,   à   partir   de   Bologne,   la   ville-­‐vitrine   de   la  politique  urbaine  du  PCI.  A   l'issue  d'une  manifestation,  un  énième  militant  y  est   tué  par   la  police.  Une  émeute  éclate.   Le   maire   communiste   et   le   gouvernement   de   «  compromis   historique  »   envoient   les   chars   balayer   les  barricades.   A   la   même   période,   le   secrétaire   national   du   syndicat   communiste   est   expulsé   de   l'université   de  Rome,   après   de   très   violents   accrochages,   par   un   mouvement   étudiant   de   masse   qui   s'élargit   désormais   au  prolétariat  urbain.    A   Milan,   Turin,   Naples,   Padoue   défilent   d'énormes   cortèges   dans   lesquels,   de   plus   en   plus   fréquemment,  apparaissent   des   groupes   extrémistes   armés,   qui   s'affirment   comme  une  des   composantes   du  mouvement.   La  résistance   ouvrière   et   les   mouvements   prolétariens   urbains   contre   les   restructurations   grandissent  irrésistiblement  dans  la  rancune  à  l'égard  de  la  trahison  de  la  gauche.  S'ensuit  une  quasi-­‐guerre  civile  qu'aucun  des  acteurs  ne  contrôle  plus.  Cette  tragédie  va  se  terminer  par  une  défaite.  Pour  tout  le  monde.    Les   premiers   vaincus   sont   les   mouvements   sociaux.   Totalement   coupés   des   représentants   de   la   gauche  traditionnelle,   incapables   de   donner   une   forme   politique   adéquate   à   l'expression   du   contre-­‐pouvoir   et   de  contrôler   celui-­‐ci,   ils   seront   entraînés   dans   le   gouffre   d'un   extrémisme   toujours   plus   aveugle   et   violent.  L'enlèvement  et  l'assassinat  d'Aldo  Moro  (3)  représenteront  l'apogée  d'un  mouvement  qui,  mettant  en  avant  ses  objectifs  militaires,  avait  perdu  la  capacité  de  mesurer  les  conséquences  politiques  de  ses  actions.  Prise  dans  cet  étau,   la   mouvance   politique   qui   avait   structuré   les   aspirations   de   centaines   de   milliers   d'agitateurs   et   de  militants  sera  bientôt  dissoute  par  une  répression  massive  et  puissante.    Les  forces  politiques  porteuses  du  «  compromis  historique  »  ont  cherché,  elles  aussi,  à  sortir  de  l'isolement  social  dans  lequel  elles  étaient  tombées,  mais  par  une  politique  de  répression  pure  et  simple.  Elles  gagnèrent,  mais  ce  fut  une  victoire  à  la  Pyrrhus.  Polices  spéciales,  prisons  spéciales,  tribunaux  et  procès  spéciaux,  activité  spéciale  de   gouvernement  :   l'«  urgence  »   a   remodelé,   tout   en   l'isolant   encore   plus,   la   structure   constitutionnelle   d'un  système  politique  déjà  massacré  par  le  «  bipartisme  imparfait  ».    Avec  des  conséquences  dramatiques,  et  d'abord  pour  le  PCI,  qui,  à  partir  de  ces  années-­‐là,  sera  à  la  merci  de  la  droite,   enregistrant   une   baisse   continue   de   ses   suffrages   et   échouant   à   rétablir   le   moindre   contact   avec   des  mouvements  sociaux,  d'ailleurs  marginalisés.  Le  Parti   communiste  va  devenir  ce  que   jamais,  dans  son  histoire  originale  et  glorieuse,  il  n'avait  été  :  un  groupe  bureaucratique  cantonné  à  l'intérieur  de  la  machine  du  pouvoir  et  à  l'extérieur  de  la  société.  Pour  sa  part,  la  Démocratie  chrétienne  a  perdu  au  cours  de  ces  événements  sa  position  constitutionnelle  centrale  :  elle  s'enfermera  dans  la  gestion  de  son  pouvoir  local  et  n'arrivera  plus  à  se  donner  les  instruments  nécessaires  à  la  compréhension  du  paysage  productif  et  social  au  sein  duquel  la  crise  était  née.  C'est  au   gouvernement   Bettino   Craxi   (socialiste),   mis   en   place   en   1983,   qu'incombera   la   tâche   de   transformer  l'isolement   de   la   classe   politique   en   une   énorme  machine   de   corruption   et   de   dégradation  de   la   société   et   de  l'Etat.  Les  années  70  étaient  finies.  […]  

Toni  Negri,  EspaiMarx,  2002.        NOTES    (1)  Les  Brigate  Rosse  (Brigades  rouges)  étaient,  comme  Prima  Linea  (Première  ligne,  1976-­‐1980),  un  des  groupes  militaires  de   l'extrême  gauche   -­‐   dans   laquelle  on   comptait   également,  mais   agissant   sur   le   seul  plan  politique,  Lotta  Continua   (Lutte  continue,  1969-­‐1976),  Potere  Operaio  (Pouvoir  ouvrier,  1969-­‐1973),  etc.      (2)  L'explosion  d'une  bombe  dans  la  Banque  de  l'agriculture,  piazza  Fontana,  à  Milan,  le  12  décembre  1969  (16  morts  et  98  blessés),  marque  le  début  de  la  «  stratégie  de  la  tension  »,  laquelle  culminera  avec  l'attentat  à  la  gare  centrale  de  Bologne,  le  2  août  1980  (85  morts  et  200  blessés).  Dans  les  deux  cas,  comme  la  justice  l'a  confirmé  plus  tard,  c'est  l'extrême  droite  qui  était  l'instrument  de  ce  terrorisme  aveugle.  Selon  les  statistiques  du  ministère  italien  de  l'intérieur,  67,55  %  des  violences  (rixes,  actions  de  guérilla,   destruction  de  biens)   commises   en   Italie  de  1969  à  1980   sont   imputables   à   l'extrême  droite,   26,5  %  à  l'extrême  gauche,  et  5,95  %  à  d'autres.      (3)  Au  moment  de  son  enlèvement,  le  16  mars  1978,  Aldo  Moro,  président  de  la  Démocratie  chrétienne,  négociait  avec  Enrico  Berlinguer  les  possibles  modalités  d'une  association  du  PCI  au  gouvernement.    

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Lexique    Celui-­‐ci  est  établi  à  partir  des  notes  de  Valeria  Tasca  proposées  à   la   fin  de   l’édition  de  Faut  pas  payer  !   (Editions  Dramaturgie).  Pour  des  informations  plus  approfondies,  on  pourra  donc  s’y  reporter.      -­‐  Compromis  historique  :  terme  forgé  à  l’automne  1973,  il  désigne  le  pacte  d’alliance  passé  entre  la  Démocratie  chrétienne   et   le   Parti   communiste,   dans   la   perspective   de   gérer   ensemble   le   pouvoir.   Cette   alliance   consistait  essentiellement   à   maintenir   après   la   victoire   sur   les   fascistes   et   les   nazis,   le   bloc   politique   antifasciste,   qui  deviendrait   un   bloc   de   pouvoir   dans   le   cadre   d’une   démocratie   bourgeoise   progressiste.   La   gauche  extraparlementaire   y   vit   la   preuve   définitive   que   le   PCI   abandonnait   toute   perspective   révolutionnaire.   Cette  alliance  se  brisa  en  1980.      -­‐  Gauche  extraparlementaire  :  l’expression  désigne  en  Italie  les  secteurs  de  la  gauche  qui  ne  se  reconnaissent  pas  dans  les  partis  de  la  gauche  historique,  le  PCI  et  le  PSI,  et  qui  refusent  la  représentation  au  Parlement  comme  expression   politique   du   prolétariat.   Ces   organisations   se   sont   formées   autour   des   années   60,   autour   de   deux  axes  :   l’un,   «  ouvriériste  »,   l’autre,   marxiste   léniniste.   Parmi   ces   groupes  :   Potere   Operaio,   Gruppi   comunisti  rivoluzionari.  L’un  des  journaux  représentatifs  de  cette  gauche  fut  Lotta  continua.      -­‐   Lois   spéciales  :   établies   entre   1974   et   1982,   ces   lois   spéciales   désignent   un   ensemble   de   textes   et   de  dispositions  donnant  à  la  police  et  à  la  justice  des  droits  accrus  pour  lutter  contre  la  criminalité  dans  les  grandes  villes  et  surtout  contre   les  manifestations  de   lutte  armée  organisée.  Parmi  ces  mesures  :   l’interrogatoire  par   la  police   des   gens   arrêtés,   avec   avocat,   puis   sans  –   mesure   qui   a   entraîné   des   cas   de   torture   ;   l’extension   des  mesures  de  garde  à  vue  et  la  réduction  des  cas  de  liberté  provisoire  ;  l’autorisation  des  arrestations  préventives  ;  jusqu’à  la  loi  dite  des  «  repentis  »,  votée  en  1982,  qui  consent  d’énormes  avantages  à  ceux  qui,  inculpés  de  crimes  politiques,  dénoncent  leurs  co-­‐inculpés.      -­‐  Terrorisme  :  un  mouvement  armé  clandestin  s’est  développé  en  Italie  à  partir  de  1972.  Divers  éléments  de  la  gauche  extraparlementaire   jugèrent  qu’un  affrontement  révolutionnaire  entre   le  prolétariat  et   l’Etat  bourgeois  était   imminent.   Ils   se   donnèrent   des   structures   clandestines   et   s’armèrent.   Et   pendant   plusieurs   années  intervinrent   dans   les   luttes   sociales,   qui   se   durcirent   au   cours   des   années   70.   Les   premiers   actes   furent   la  dégradation  de  produits  industriels,  des  locaux  de  police  et  de  gendarmerie,  puis  la  séquestration  de  dirigeants  industriels  et  de  syndicalistes  «  jaunes  ».  Peu  à  peu,   leurs  actes  s’aggravèrent,   jusqu’aux  attentats  meurtriers  et  aux  homicides.   L’un  des   événements   les  plus  marquants   fut   le  meurtre  d’Aldo  Moro,   retenu  en  otage  pendant  plusieurs   semaines.   Au  début   des   années   80,   l’Etat   italien   lança   une   contre-­‐offensive   très   dure   contre   la   lutte  armée  et   obtint  des   succès   importants   conduisant   à   l’incarcération  de  plusieurs  milliers  de  militants,   réels   ou  supposés.  L’un  des  groupes  les  plus  connus  de  cette  lutte  armée  fut  les  Brigades  rouges.    

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 III.2.  Une  «  farce  politique  »      Texte  2  :  Extrait  de  la  préface  de  Valéria  Tasca  de  Faut  pas  payer  !  ,  aux  éditions  Dramaturgie.      «  Avec  Non  si  paga  !,  [Dario  Fo]  s’approprie  le  vaudeville,  pour  démonter  une  situation  qui  tantôt  s’enlise  dans  la  grisaille  du  fourneau  à  gaz  et  tantôt  débouche  sur  la  menace  d’une  charge  de  police.  Or  le  recours  au  vaudeville,  loin   de   servir   à   esquiver   le   réel,   permet   de   le   montrer   tel   qu’il   est,   déglingué,   incohérent,   jusque   dans   ses  emballements   farfelus   qui   révèlent   paradoxalement   des   mécanismes   impitoyables.   Les   personnages,   et  singulièrement   Giovanni,   jouent   le   double   jeu   d’instruments   dociles   qui   actionnent   les   rouages   contre   eux-­‐mêmes,  et  d’obstacles  qui  font  trébucher  la  machine  ou  la  projettent  sur  une  trajectoire  insensée.  Ils  sont  proches  en   cela   d’une   autre   tradition,   celle   de   la   commedia   dell’arte,   et   surtout   du   Zanne   balourd,   trop   sot   pour  comprendre   les  ordres  de  son  maître,  ce  qui   lui  permet  de  désobéir  ou  mieux  encore,  d’exécuter  au  pied  de   la  lettre  les  instructions  reçues  et  d’en  faire  éclater  aux  yeux  l’absurdité.  Le  hasard  fournit  dans  Non  si  paga  !  des  données   de   départ   quasi   invraisemblables,   comme   le   veut   la   tradition   comique.   C’est   la   silhouette   ventrue   de  Margherita  qui  cache  des  provisions  sous  son  manteau,  ce  sont  les  boîtes  de  nourriture  pour  animaux  emportées  par  Antonia  dans  sa  hâte  de  remplir  son  panier  à  bon  compte.  A  partir  de  là  on  a  un  mécanisme  d’enchaînements  rigoureux  et  rigoureusement  insensés.  La  grossesse  de  Margherita  se  transmet  par  contagion  à  son  amie  Antonia  et  par  miracle  au  gendarme  qui  ne  voulait  pas  croire  en  Sainte  Eulalie.  La  nourriture  pour  animaux  soulève   le  dégoût,  puis  clame  la  fringale,  et  devient  enfin  le  repas  qu’on  partage.    […]  Dario  Fo  a  écrit  que  Non  si  paga  !  est  une  pièce  sur  la  faim.  De  la  razzia  initiale  au  miracle  de  Sainte  Eulalie,  on  parle  de  nourriture,  on  rêve  de  nourriture.  Tout  est  dans  l’imagination,  dans  l’assaisonnement.  Deux  gouttes  de  citron  et   les   têtes  de   lapins  se  goberaient  comme  des  huîtres.  La  pâtée  pour  chien  et  chat  devient  un  pâté  à   la  française.   La  bouillie  de  millet,   trop  peu   cuite  dans  une  décoction   infâme,   fait   son  entrée  dans   la   gastronomie  exotique,  par  la  petite  porte  du  révisionnisme.  […]  Enfin  au  lieu  de  roses  de  la  légende,  suave  régal  pour  croyants  repus,   Sainte   Eulalie   fait   un  miracle   en   gonflant   le   ventre   de   femmes   avec   de   la   salade   et   des   choux.   De   quoi  rassasier  un  troupeau  de  zèbres.  Dommage  que  les  ouvriers  ne  soient  pas  des  zèbres,  pas  plus  qu’ils  ne  sont  des  canaris,  des  chats  ou  des  chiens.  Il  n’y  a  de  vrai,  au  bout  du  compte,  que  la  vie  de  chien  qu’on  leur  fait  mener.  »    

Valéria  Tasca,  extrait  de  la  préface  de  Faut  pas  payer  !  aux  Editions  Dramaturgie.        III.  3.  Archives          a. La  création  de  Faut  pas  payer  !  par  le  collectif  «  La  Comune  »    De   cette   création,   il   reste  des   esquisses  de  Dario  Fo  de   la   scénographie  et  des  personnages  et  de  nombreuses  photos.        Texte  3  :  L’usage  du  dessin,  extrait  de  «  J’aime  inventer  la  réalité  »,  entretien  avec  Dario  Fo,  Revue  du  TNS  OutreScène,  mai  2004.        «  Quand   je   prépare   un   spectacle,   je   déroule   tout   le   texte,   séquence   de   jeu   par   séquence   de   jeu,   en   autant   de  dessins  que  je  montre  aux  acteurs  au  début  du  travail.  Je  dessine  le  cadre,  les  jeux  de  scène,  les  accessoires,  les  gags,  et  parfois  des  détails  de  mimique  ou  de  posture,  tels  que  je  les  imagine  et  non  pas  tels  qu’ils  doivent  être  réalisés  :  c’est  un  point  de  départ,  pas  un  modèle.  Quand  j’ai  monté  Le  Médecin  malgré  lui  et  Le  Médecin  volant  à  la  Comédie  Française,  je  suis  arrivé  avec  deux  gros  cahiers  de  dessins.  C’est  dans  mes  dessins  que  je  trouve  la  façon  juste  de  communiquer  l’intention.  Je  suis  toujours  resté  un  figuratif.  Pour  moi,  l’espace  est  fondamental.  Souvent,  je  mets  en  place   tout  un  discours  dans   les  mots  et  puis,   tout  doucement,   les  mots  se   transforment  en  sons,  en  gestes  surtout,  en  postures,  en  déplacements.  Un  soudain  renversement  de  situation,  par  exemple,  provoque  le  rire  et  dans  ce  cas  seulement,  la  situation  provoque  la  réflexion.  Le  procédé  du  renversement  est  celui  qui  permet  de  communiquer  l’essentiel  avec  légèreté.  »      Esquisses  réalisées  pour  Faut  pas  payer  !      

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Scénographie imaginée par Dario Fo

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Esquisse pour affiche

Affiche de Dario Fo de Faut pas payer !

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Photos de Faut pas payer !

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b. Des  affiches  de  Faut  pas  payer  !      «  Faut   pas   payer  !  »   fut   joué   dans   de   très   nombreux   pays.   Les   affiches   suivantes   témoignent   de   cette   reprise  internationale.   Chacune   d’elles   raconte   à   sa   manière   la   pièce,   mettant   l’accent   sur   la   dimension   politique   ou  comique.  Un  travail  d’analyse  de  l’image  pourrait  être  réalisé  autour  de  ces  représentations  iconographiques.                

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III.4  Quelques  pistes  de  réflexions    On   peut   envisager   plusieurs   axes   pour   étudier   Faut   pas   payer  !.   Ces   propositions   bien   sûr   ne   sont   pas  exhaustives  :  - les  registres  tragique  et  comique  ;      - l’inscription  de  la  thématique  de  la  faim  ;  - la  notion  de  «  récit  »  ;    - théâtre  et  dialectique  :  le  dialogue  comme  lieu  de  débat  ;    - théâtre  et  politique  ;  - le  hors  scène  ;  - une  dramaturgie  fondée  sur  le  rythme.        III.5  Extrait        Giovanni,  rentrant  chez  lui,  croise  Margherita  avec  un  «  ventre  énorme  »  :  sur  l’ordre  d’Antonia,  elle  a  caché  sous  son  manteau  des  provisions  volées.  Elle  sort.    GIOVANNI       Mais  qu’est-­‐ce  qu’elle  a,  Margherita  ?  ANTONIA   Pourquoi,  elle  devrait  avoir  quelque  chose  ?  GIOVANNI   Mais…  elle  est  toute  gonflée  par  devant  :  un  ventre  énorme  !  ANTONIA   C’est  la  première  fois  que  tu  vois  une  femme  mariée  avec  un  ventre  énorme  ?  GIOVANNI   Tu  veux  dire  qu’elle  est  enceinte  ?  ANTONIA   C’est  la  moindre  des  choses  qui  puissent  arriver  quand  on  fait  l’amour.  GIOVANNI   Mais  à  quel  mois  en  est-­‐elle  ?  Je  l’ai  vue  dimanche  dernier,  je  n’ai  rien  remarqué.    ANTONIA   Tu  n’as  jamais  rien  compris  aux  femmes.  Depuis  dimanche,  ça  fait  déjà  une  semaine.  Et  en  une  

semaine,  il  peut  s’en  passer  des  choses  !  GIOVANNI   Ecoute,  je  suis  idiot,  mais  pas  à  ce  point.  Nous  travaillons  à  la  même  chaîne  de  montage,  Luigi  et  

moi,  il  me  raconte  toujours  tout  ce  qui  se  passe  entre  sa  femme  et  lui.  Et  il  ne  m’a  pas  dit  qu’elle  attendait  un  enfant.  

ANTONIA   (ne  sachant  pas  comment  s’en  sortir.)  Ce  sont  des  choses  qui…  dont…  on  est  gêné  d’en  parler  en  public.  

GIOVANNI   Gêné  ?  Mais   tu   es   stupide  ?  Gêné  de  dire  que   sa   femme  attend  un  enfant  ?   Il   en  aurait  honte  ?  «  Sainte  Vierge,  j’ai  mis  ma  femme  enceinte  !  »  

ANTONIA   (cherchant  ses  mots.)  Il  ne  te  l’a  pas  dit  peut-­‐être  …  parce  qu’il  ne  le  sait  pas  encore.  (Giovanni  la  regarde  ahuri  et  elle  continue  imperturbable)  Et  si  lui  ne  le  sait  pas,  comment  veux-­‐tu  qu’il  te  le  raconte  ?  

GIOVANNI   Il  ne  le  sait  pas  ?  ANTONIA    Eh  oui,  elle  n’a  peut-­‐être  pas  voulu  le  lui  dire.  GIOVANNI   Comment  pas  voulu  ?    ANTONIA   Eh  oui…  elle  est  très  réservée…  et  aussi  parce  que  Luigi…  lui  répète  tous  les  jours  que  c’est  trop  

tôt…  que  ce  n’est  pas  le  moment…  avec  la  crise…  que  si  elle  est  enceinte,  son  usine  la  licenciera…  Tant  et  si  bien  qu’il  l’oblige  à  prendre  la  pilule.    

GIOVANNI   S’il  l’oblige  à  prendre  la  pilule,  comment  se  fait-­‐il  qu’elle  soit  enceinte  ?  ANTONIA   La  pilule  n’a  pas  dû  agir.  Ça  arrive.  GIOVANNI   Alors  pourquoi  l’a-­‐t-­‐elle  caché  à  son  mari  ?  Ce  n’est  pas  de  sa  faute.    ANTONIA   Eh  bien,  c’est  que  …  la  pilule  n’a  pas  agi…  peut-­‐être  …  parce  qu’elle  ne  la  prenait  pas,  la  pilule.  Et  

quand  on  ne  prend  pas  la  pilule…  (Ne  sachant  plus  quoi  dire.)…souvent,  elle  n’agit  pas,  la  pilule.    GIOVANNI   Qu’est-­‐ce  que  tu  racontes  ?  ANTONIA   (très   nerveuse)  Margherita   est   très   catholique…   et   comme   le   pape   a   dit   que   la   pilule   était   un  

péché  mortel…  GIOVANNI   Dis-­‐moi,  tu  divagues  ?  La  pilule  qui  n’agit  pas  quand  on  ne  la  prend  pas…  Le  pape  !  …  Elle  avec  

un  ventre  de  neuf  mois  et  un  mari  qui  ne  s’aperçoit  de  rien  !  ANTONIA   (de   plus   en   plus   en   difficulté.)   Luigi   ne   pouvait   pas   s’en   apercevoir,   parce   que   Margherita   …  

s’emmaillotait.    

Faut  pas  payer  !,  Dario  Fo,  Premier  Temps.  

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IV. Matériaux pour approfondir l’analyse    IV.  1  Un  théâtre  populaire    Le   théâtre   de   Dario   Fo   s’inspire   et   se   nourrit   du   théâtre   populaire.   De   nombreux   éléments   y   renvoient  :  l’importance   du   corps,   dans   le   discours   et   en   jeu  ;   l’usage   de   la   langue  ;   l’importance   du   récit   et   de   l’acteur  conteur.          a. Le  corps    Texte  4  :  «  la  parole  du  corps  »,  extrait  de  Dario  Fo  :  un  acteur  épique,  de  Bernard  Dort,  Travail  Théâtral,  1974.      On  rencontre  dans   les  spectacles  de  Dario  Fo   l’évidence  d’un  corps  contre   laquelle  viennent  s’échouer  tous   les  tours  de  l’intellect,  tous  les  raffinements  du  «  jeu  dans  le  jeu  ».  Que  Fo  ponctue  son  jeu  de  rots,  de  pets,  qu’il  nous  donne  à  entendre  le  gargouillis  d’un  estomac  affamé  ou  le  ronronnement  d’une  panse  bien  remplie  ce  n’est  certes  pas  accessoire.  C’est  le  rappel  mystérieux  de  l’existence,  des  besoins  et  des  satisfactions  –  les  plus  immédiats  –  du  corps.  Le  cul,  le  ventre,  le  sexe  […]  sont  les  points  de  référence,  d’ancrage.  Le  discours  de  Fo  y  ramène  toujours.  Car  c’est  bien  du  corps,  de  ses  désirs,  de  ses  insatisfactions  et  de  ses  satisfactions  élémentaires  qu’il  s’agit.  Rein  de   populiste   là-­‐dedans,   mais,   bel   et   bien,   une   parole   profondément   populaire.   Cette   parole   «  grotesque  »   qui  double  (et  peut-­‐être  fonde)  toute  parole  «  sacrée  »  ou  culturelle.  […]  Mistero  Buffo,  ce  monologue  d’un  mime  qui  parle   et   dont   la   vocation   est   le   dialogue,   nous   donne   accès,   le   plus   simplement   du   monde,   à   l’affirmation  première  de  tout  théâtre  populaire  :  celle  de  la  primauté  du  corps  face  à  tous  les  travestissements  sociaux.  »          b. La  langue    Texte  5  :  l’usage  de  la  langue,  extrait  de  Dario  Fo  :  un  acteur  épique,  Bernard  Dort,  Travail  Théâtral,  1974.      «  Il   faudrait   encore   étudier   avec   précision   les   variations   de   langage,   les   dialectes   dont   use   Dario   Fo.   Ce   qu’il  conteste,  c’est  la  langue  nationale  et  littéraire,  établie  une  fois  pour  toutes,  la  lange  comme  propriété  privée  dans  le  respect  de  laquelle  scène  et  salle  scellent  un  accord  jaloux.  En  face  d’elle,  il  ressuscite,  il  élabore  ce  qu’il  appelle  le   langage   des   jongleurs  :   «  Il   y   avait   des   centaines   de   dialectes   et   une   énorme   différence,   plus   grande  qu’aujourd’hui,  entre  un  endroit  et  l’autre,  si  bien  que  le  jongleur  aurait  dû  savoir  des  centaines  de  dialectes.  Alors  qu’est-­‐ce  qu’il   faisait  ?   Il   en   inventait  un  à   lui.  Un   langage   formé   sur  beaucoup  de  dialectes,  avec   la  possibilité  de  changer   des  mots   à   des  moments   déterminés,   et   quand   il   se   trouvait   dans   l’embarras,   ne   sachant   pas   quel   mot  choisir,  pour  faire  comprendre  quelque  chose,  voilà  que  tout  d’un  coup  il  mettait  trois,  quatre,  cinq  synonymes.  »*  *  Dario  Fo,  Mistero  Buffo      Texte  6  :  la  langue  de  Dario  Fo,  extrait  de  la  «  Note  du  traducteur  »  de  Valeria  Tasca  pour  Faut  pas  payer  !        «  La  langue  de  Dario  Fo,  qu’il  s’agisse  de  théâtre,  de  manifestes  ou  d’entretiens,  est  directe,  vive,  familière,  on  se  l’approprie   avec   plaisir,   elle   sonne   bien   à   l’oreille.   Preuve   qu’il   s’agit   d’une   langue   d’écrivain,   et   non   de   la  transcription  réaliste  des  bredouillements,  des  platitudes  et  des  approximations  du  langage  courant,  celui  qu’on  prétend   libre   parce   qu’on   n’en   perçoit   pas   la   molle   et   morne   rhétorique.   Dario   Fo   utilise   systématiquement  toutes   les   variations   possibles   entre   les   dialectes,   ceux   de   l‘Italie   du  Nord   essentiellement   et   de   l’italien.   Il   en  résulte  une  langue  différente  de  celle  que  diffusent  les  mass  media,  moins  nationale  assurément  mais  bien  plus  collective,  car  elle  rappelle  l’accent,  la  gouaille,  la  verve  de  gens  qu’on  a  entendus  dans  la  rue.  »      Texte  7  :  le  grommelot,  extrait  du  Gai  savoir  de  l’acteur,  Dario  Fo.    «  Grommelot  est  un  terme  d’origine  française,  forgé  par  les  comédiens  et  déformé  par  les  Vénitiens  qui  disaient  gramlotto.  C’est  un  conglomérat  de  sons  qui,  sans  avoir  de  signification  précise,  arrivent  à  suggérer  un  sens  ;  c’est  un  jeu  d’onomatopées  arbitrairement  organisées  mais  qui,  grâce  aux  gestes,  aux  rythmes  et  à  certaines  sonorités,  font  passer  un  discours  achevé.  

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On  peut  articuler  des  grommelots  de  toutes  sortes,  évoquant  les  structures  lexicales  les  plus  variées.  La  première  forme  de  grommelot,  c’est  évidemment  celle  des  enfants.  […]  Nous  pouvons  parler  tous  les  grommelots,  anglais,  français,  allemand,  espagnol,  napolitain,  vénitien,  romain,  tous,  absolument  tous  !  »        c. Le  quatrième  mur    Texte  8  :  «  Briser  le  quatrième  mur  »,  extrait  du  Gai  savoir  de  l’acteur,  Dario  Fo.      «  Une  grande  partie  du  théâtre,  même  moderne,  est  conçue  pour  conditionner  le  public  à  une  totale  passivité.  A  commencer   par   le   noir   complet   dans   la   salle,   qui   prédispose   à   une   sorte   d’anéantissement   mental   et,   par  opposition,   crée  une  attention  purement  émotive.  On  suit   ce  qui   se  passe  sur  scène  comme  si  on  était  au-­‐delà  d’un  rideau,  d’un  quatrième  mur  qui  permet  de  voir,  sans  être  vu,  le  déroulement  d’histoires  intimes  et  privées,  parfois  scabreuses.  On  les  écoute  «  l’abat-­‐jour  baissé  »,  dans  le  noir,  en  espion  qui  se  livre  au  plaisir  morbide  du  voyeur.  Eh  bien  !  le  souci  de  briser  le  quatrième  mur  était  déjà  une  idée  fixe  des  comédiens  dell’arte.  Molière  lui-­‐même  avait   conçu   de   renouveler   le   théâtre   français   à   partir   de   l’intuition   vraiment   révolutionnaire   des   hommes   de  théâtre  italiens.  J’ai  déjà  dit  que  son  maître  avait  été  Scapin  et  qu’il  avait  lui-­‐même  joué  sous  ce  masque.  A  partir  de   son   expérience   du   milieu   des   comédiens   dell’arte,   il   avait   compris   qu’il   était   important   d’impliquer  corporellement   le   spectateur.   Il   avait   commencé   par   déplacer   la   scène   vers   l’avant.   Quand   on   a   construit   la  plupart  des  théâtres,   le  proscenium  arrivait   jusqu’à   la   ligne   imaginaire  qui  relie   les  deux   loges  en  vis-­‐à-­‐vis,  au-­‐delà  du  cadre  de  scène  :  position  idéale  pour  un  acteur  qui  joue  des  textes  non  pas  intimistes,  mais  au  contraire  épiques   et   vraiment   populaires.   Il   est   ainsi   projeté   physiquement   vers   le   parterre,   au   milieu   du   public,  complètement  en  dehors  du  cadre  de  scène,  à  l’extérieur  du  portique  qui  délimite  la  scène  proprement  dite.  Cet  espace  s’appelle  d’ailleurs  avant-­‐scène,  et  c’est  là  que  Molière  fait  avancer  tous  ses  acteurs.  »        d. L’acteur  épique    Texte   9  :   le   conteur   populaire,   extrait   de   la   préface   de   Valeria   Tasca   de   Faut   pas   payer  !   aux   éditions  Dramaturgie.      Lire  Dario  Fo,  c’est  restituer  aux  textes   leur  épaisseur  corporelle,  retrouver  sous  l’écriture  une  parole  qui  n’est  jamais   désincarnée,   suspendue   dans   le   vide  ?   Pour   comprendre   son   langage   théâtral   (…),   la   référence   la   plus  éclairante   est   celle   du   conteur   populaire   (…)  :   jongleur   ou   giullare   des   moralités   médiévales,   fabulatori   ou  conteurs  des  bourgades  d’hier,  cantastorie  ou  chanteurs-­‐conteurs  de   la  Sicile  (…).  Dario  Fo  ne  refuse  pas  de  se  rattacher  aux  expériences  contemporaines  du  théâtre  politique,  comme  celle  de  Piscator  et  de  Brecht,  à  condition  que  parler  d’un  théâtre  et  d’un  jeu  «  épiques  »  soit  en  même  temps  redécouvrir  un  mode  de  représentation  très  ancien,  peut-­‐être  primitif,  encore  vivant  en  tout  cas,  celui  de  l’epos,  du  récit.    La  situation  du  conteur  est  exemplaire  pour  le  comédien  car  elle  impose  avec  le  public  un  lien  de  chaque  instant.  (…)  Revenir  à  la  tradition  des  conteurs,  c’est  restaurer,  enrichir  et  transmettre  une  culture  orale  qui  constitue  la  mémoire   du   groupe,   et   comme   dit   Dario   Fo,   son   «  journal   parlé  »   […].   Il   prête,   comme   on   dit,   sa   voix   à   des  personnages  souvent  nombreux.  N’y  en  eût-­‐il  qu’un,  jamais  l’être  fictif  et  l’être  réel  ne  se  confondent.  Le  conteur  est  le  maître  visible  des  «  ficelles  »,  par  lesquelles  les  événements  se  constituent  en  histoire.  […]  L’histoire,  à  tous  les  sens  du  mot,  ne  va  pas  sans  un  regard  critique  sur  elle-­‐même.  De  ces  divers  décalages,  inhérents  à  la  pratique  des  conteurs  ;  le  théâtre  de  Dario  Fo  tient  son  pouvoir  d’ironie  et  de  charge  grotesque.            Texte  10  :  Les  «  fabulatori  »  du  Lac  Majeur,  Dario  Fo,  Préface  de  Allons-­‐y,  on  commence,  farces  de  Dario  Fo.      Tout  commence,  j’en  suis  sûr,  par  le  lieu  de  naissance.  En  ce  qui  me  concerne,  je  suis  né  dans  un  village  au  bord  du  lac  Majeur,  près  de  la  frontière  suisse.  Un  pays  de  contrebandiers  et  de  pêcheurs  plus  ou  moins  braconniers.  Deux  métiers  qui,   outre  une  bonne  dose  de   courage,   exigent  beaucoup,   énormément  d’imagination.   Il   est  bien  connu  que,  si  on  utilise  son  imagination  à  transgresser  la  loi,  on  en  réserve  une  partie  pour  son  plaisir  personnel  et  celui  de  ses  plus  proches  amis.  Voilà  pourquoi,  ayant  grandi  dans  un  milieu  où  chacun  est  un  personnage,  où  chaque  personnage  cherche  une  histoire  à  raconter,   j’ai  pu  aborder   le  théâtre  avec  un  bagage  assez   insolite,  et  surtout  vivant,  présent  et  vrai,  comme  sont  vraies  les  histoires  racontées  par  des  hommes  vrais.  

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Il  peut  sembler  un  peu  gratuit  de  ramener  à  cette  seule  origine  ce  qui  constitue  le  fond  de  mes  ouvrages,  cette  sorte   de   surréel,   de   fantastique,   de   grotesque.   Tout   ne   vient   peut-­‐être   pas   de   là  ;   c’est   pourtant   de   mes  compatriotes  que  j’ai  appris  à  regarder  et  à  lire  les  choses  de  cette  façon.    Les  fabulatori  (conteurs)  parcouraient  la  région  du  lac  Majeur,  aux  environs  de  mon  village  natal,  et  racontaient  sur   les   places   ou   dans   les   auberges   d’étranges   histoires,   un   peu   naïves,   un   peu   folles.   La   simplicité   les  caractérisait.   Ils   racontaient  simplement  ce  qu’ils  observaient  de   la  vie  quotidienne,  mais  en   le  portant   jusqu’à  l’exagération.   Ces   histoires   «  absurdes  »   cachaient   leur   amertume,   l’amertume   d’une   déception   et   d’une   satire  acerbe   contre   le   monde   officiel,   que   peu   d’auditeurs   sans   doute   percevaient.   [Elles   avaient   un   fond   moral,  politique.  Nécessairement.  Il  s’agissait  en  fin  de  compte  de  la  défense  de  celui  qui  se  fait  bafouer,  exploiter,  flouer,  blouser].   Ils  racontaient,   toujours  à   la  première  personne,   l’histoire  d’étranges  pêcheurs  qui,   lançant   leur   ligne  avec   trop  de   force,   ramenaient   les   clochers  de   l’autre   rive  ;   celle  d’étranges   courses  de  barques  où   le  batelier,  oubliant   de   lever   lancer,   traînait   l’île   entière   derrière   sa   barque   et   ne   franchissait   qu’au   second   rang   la   ligne  d’arrivée  ;  celle  de  gens  qui  faisaient  la  course  avec  des  escargots  :  quand  l’escargot,  pour  gagner,  allait  s’écraser  contre  une  pierre,   ils   s’apitoyaient   et,   par   esprit   chevaleresque,   n’avaient  plus   le   cœur  de   le   ramasser  pour   le  manger  ;  celle  d’étranges  explorateurs  du  monde  sous-­‐marin  qui  découvraient  un  pays  comme  celui  d’en  haut,  mais  immobile,  parfaitement  propre,  avec  tous  ses  personnages.  (…)  Quand  j’avais  quatorze  ou  quinze  ans,  je  m’amusais  à  reproduire  les  schémas  de  ces  conteurs.  Je  croyais  qu’ils  les  inventaient,   j’ai   découvert   ensuite   qu’il   s’agissait   d’une   tradition.   Tout   cela   est   resté   en  moi   comme  un  noyau  positif,  structurel.          Texte  11  :  le  jeu  épique,  à  propos  de  Mistero  Buffo,  extrait  de  Dario  Fo  :  un  acteur  épique,  Bernard  Dort,  Travail  Théâtral,  1974.      «   Fo   double   littéralement   son   jeu   de   commentaires.    […]   Et   c’est   précisément   cette   alternance   du   jeu   et   du  commentaire,  du  langage  et  de  la  mimique  qui  fonde  Mistero  Buffo.    Certes  ces  commentaires  ont  d’abord  une  fonction  d’explication  et  d’information.  Fo  explique  dans  quel  contexte  sont  nés  les  textes  qu’il  va  interpréter.  […]  C’est  le  commentaire  qui  fait  le  pont  entre  leur  passé  et  notre  présent.  Mais  la  fonction  de  ce  commentaire  est  aussi  proprement  sémantique  :  son  rapport  au  jeu  est  constitutif  du  sens  (ou  des  sens)  même  de  la  représentation.  […]  Dario  Fo  ne  procède  pas  mécaniquement  :  du  côté  du  commentaire,  le  message  ;   de   celui   du   jeu,   l’illustration.   […]   Il   y   a   compénétration,   entrelacement.   Le   commentaire   est   loin  d’être  pur  de  tout  jeu  et  le  jeu  de  tout  commentaire.  […]  Le  sens  court  du  passé  au  présent,  du  geste  à  la  parole,  de  l’individu  à  la  foule.  Il  n’est  jamais  complet  nulle  part.  Il  est  découpé,  livré  en  brèves  séquences,  tantôt  parlées,  tantôt   mimées,   séparées   les   unes   des   autres   et   pourtant   enchevêtrées.   Il   ne   cesse   de   s’engendrer   dans   le  fonctionnement  multiple  de  cet  acteur-­‐commentateur  qu’est  Dario  Fo.    Tout   ce   que,   commentant   le   théâtre   épique   brechtien,   Walter   Benjamin   écrivait   du   «  jeu   interrompu  »   et   du  «  gestus  que   l’on   peut   citer   »   s’applique   ici   à   la   lettre.   Fo   pratique   une   constante   interruption.   Ses   gestes   en  demeurent  suspendus.  Il  les  regarde,  les  commente,  en  rit,  les  répète  ou  les  prolonge.  »      

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 IV.2.  Théâtre  militant    Texte   12  :   «  Créer   des   espaces   nouveaux  »,   extrait   de   Fo   ou   l’espace   libre   du   théâtre,   Bernard   Dort,  postface  de  Mort  accidentelle  d’un  anarchiste  et  Faut  pas  payer  !    Ce  livre  inscrit  ces  deux  farces  «  dans  un  double  contexte  :  celui  des  luttes  politiques  italiennes  dont  [elles  sont  issues],   celui  d’une  pratique   théâtrale   globale,   plus   large  que   l’écriture   et   la   représentation,   que  Fo  a   toujours  entendu  instituer  et  sur  laquelle,  parallèlement  à  sa  création,  il  n’a  cessé  de  réfléchir.    Le  lexique  établi  par  Valeria  Tasca  nous  fournit  les  renseignements  nécessaires  pour  déchiffrer  les  innombrables  références  […]  aux  événements  d’actualité,  mais  surtout  il  nous  permet  de  réinscrire  [ces  textes]  dans  ce  qui  est  plus   qu’un   contexte,   dans   ce   qui   est   [leur]   réalité.   Ce   qui   ne   veut   pas   dire   bien   sûr   qu’il   [les]   referme   sur   la  situation   italienne  des  années  1970  et   le   réduit   à  ne   refléter  que   les   combats  de   l’extrême  gauche   transalpine  d’alors.   Il   nous   rappelle   aussi   la   spécificité   de   l’entreprise   théâtrale   de   Fo.   En   effet,   loin   de   subordonner   son  activité  à  un  objectif  partisan,  Fo  n’a  cessé  d’affirmer  l’autonomie  et   le  caractère  «  unitaire  »  du  travail  culturel  comme  condition  de  son  efficacité  politique.  […]  Loin  de  s’arc-­‐bouter  sur  une  prétendue  irrécupérabilité  des  textes  militants  ou  de  rêver  à  une  impossible  pureté  des   prises   de   positions   idéologiques,   Dario   Fo   élargit   le   concept   de   théâtre   jusqu’à   celui   d’espace   –   d’espace  culturel   et   politique.   Son   objectif,   c’est   l’invention   de   tels   espaces     nouveaux  :   des   espaces   gérés   par   la   classe  ouvrière,  des  lieux  qui  permettent  «  une  confrontation  incessante  »  et  où  «  puissent  se  développer  la  discussion  et  la  dialectique  »  -­‐  non  «  un  terrain  où,  à  chaque  fois,  la  tendance  hégémonique,  livrant  bataille  contre  telle  ligne  ou  tel  groupe,  cherche  à  rester  la  seule  maîtresse  »,  car  «  sur  ce  terrain-­‐là,  il  ne  peut  rien  pousser,  pas  même  du  chiendent  »,  mais  des  espaces  libres,  où,  dans  et  par  le  jeu,  on  peut  débattre  d’une  société  nouvelle.  »        Texte  13  :  «  Du  théâtre  au  meeting  :  une  soirée  à  quarticciolo  »    «  On  nous  avait  dit  :  vous  vous  perdrez  en  route.  Effectivement,  ce  n’est  pas  facile  d’arriver  jusqu’à  Quarticciolo,  aux  confins  de  cette  banlieue  romaine  dont  les  anneaux  concentriques  grignotent  peu  à  peu  la  campagne.  Nous  suivons   la   via   Nomentanna  :   les   «  borgate  »   de   Pasolini   ont   cédé   la   place   aux   H.L.M.   des   cités-­‐dortoirs.   Nous  finissons   tout  de  même  par   trouver  :  une  place  mal  éclairée,  un  minuscule  bar  où  nous  nous  précipitons  pour  acheter   un   sandwich   et   le   «  théâtre  »   lui-­‐même  :   un   vieux   cinéma   dont   la   salle,   dépouillée   d’ornement,   paraît  immense.   A   l’entrée,   un   membre   du   collectif   théâtral   de   la   Commune   fouille   rapidement   les   spectateurs  :  précaution  d’usage,  mais  particulièrement  nécessaire  en  cette  soirée  qui  suit   les  incidents  de  Primavalle.  On  se  souvient  que  dans  cette  autre  «  borgata  »  de  Rome,  un  incendie  criminel  avait  provoqué  la  mort  d’un  militant  du  M.S.I.    (le  parti  néo-­‐fasciste  italien)  et  de  son  jeune  frère.  Un  panneau  apposé  sur  les  lieux  semblait  «  signer  »  le  crime  :  Giustizia  proletaria  (justice  prolétarienne).  […]  Un  peu  partout  en  Italie,  et  à  Rome  tout  particulièrement,  l’extrême-­‐gauche  craignait  des  «  représailles  »  fascistes  :  en  fait,  ce  soir-­‐là,  rien  ne  se  produisit,  mais  une  tension  était  dans  l’air,  qui  ne  favorisait  pas  le  contact  du  comédien  avec  le  public.  Dario  Fo  accueille  à  l’entrée.  Le  groupe  de  la  Commune  fonctionne  grâce  à  un  système  d’abonnement  :  une  carte  d’un  coût  de  1000  lires  (7  F  environ)  permet  d’avoir  accès  à  n’importe  quel  spectacle  du  collectif,  dans  n’importe  quelle  ville  d’Italie,  moyennant  un  ticket  d’entrée  d’un  prix  modique  (700  lires,  4.90  F  environ).  Pendant  que  les  spectateurs  prennent  place,  Fo  nous  parle  d’une  nouvelle  tentative  d’intimidation  dont  sa  famille  a  été  l’objet  le  jour-­‐même.  Déjà,  quelques  semaines  auparavant,  sa  femme,  la  populaire  comédienne  Franca  Rame,  interprète  de  la  plupart  de  ses  spectacles,  a  été  victime  à  Milan  d’une  grave  agression  de   la  part  d’un  commando  d’extrême-­‐droite.  Dario  Fo  et  les  siens  sont  contraints  de  se  cacher,  de  changer  sans  cesse  d’adresse  ;  la  vie  de  son  fils  est  en  danger  et  aujourd’hui  même  est  arrivée  au  domicile  de  l’acteur  une  lettre  contenant  un  explosif  sans  détonateur,  avec  sur  un  bout  de  papier  ces  mots  :  «  Simple  avertissement  ».  Nous  entrons  dans  la  salle  ;  elle  est  remplie  aux  deux  tiers  :  «  un  succès  »,  nous  expliquera  Fo,  théâtre  et  même  cinémas  étant  d’ordinaire  vides  pendant  le  week-­‐end   de   Pâques.   Il   est   difficile   de   se   faire   une   idée   du   public  :   jeune   en   tout   cas,   beaucoup   d’étudiants  apparemment  ;  des  ouvriers  aussi  ?  C’est  difficile  à  dire.  Au  fond  de  la  salle  se  dresse  la  scène  :  une  simple  estrade  de  bois,  dépourvue  du  moindre  élément  de  décor,  mais  hérissée  de  fils  électriques  ;  quelques  «  spots  »  fixés  sur  un  cadre  métallique  suffiront  à  éclairer   le  comédien  pendant  la  représentation.  Fo  et   les   jeunes  membres  de  la  Commune  (barbes  noires,   treillis  militaires)  s’affairent  pour  régler  à  vue   le  son  et   les  éclairages.  Normalement  une  projection  de  diapositives  accompagne  le  spectacle,  mais  Fo  nous  dira  tout  à  l’heure  qu’elle  ne  pourra  avoir  lieu,  un  commando  fasciste  ayant  fait  main  basse  sur  une  partie  du  matériel.    […]  «  Notre  théâtre  est  un  théâtre  de  propagande  et  de  provocation  qui  soutient  les  luttes  de  la  classe  prolétarienne  »,  écrit   Dario   Fo.   A   cette   fin,   chaque   représentation   du   collectif   de   la   Commune   est   suivie   d’un   débat,   dont   les  moments  les  plus  significatifs  sont  publiés  par  la  suite  avec  le  texte  de  la  pièce.  Mais  le  débat  n’est  qu’un  aspect  de   l’action   militante   des   comédiens  :   le   spectacle   s’insère   dans   une   pratique   politique   concrète   dont   il   est  impossible  de  le  séparer,  la  mobilisation  idéologique  qu’il  provoque  s’accompagne  d’une  sensibilisation  du  public  

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aux   luttes   révolutionnaires   en   cours.   On   en   arrive   ainsi   à   une   forme   de   théâtre-­‐meeting   qui   peut   revêtir   les  aspects  les  plus  divers.  Ainsi  le  soir  où  j’ai  vu  le  Mistero  Buffo,  l’entracte  a  permis,  outre  la  vente  accoutumée  de  documents  du  collectif  de  la  Commune  (textes  ou  enregistrement  des  spectacles,  photos,  films,  etc.),  une  quête  en  faveur   des   éditeurs   d’extrême-­‐gauche,   Samona   et   Savelli,   dont   la  maison   d’édition   venait   d’être   plastiquée.   Et  surtout,  à  la  fin  de  la  représentation,  Dario  Fo  a  demandé  aux  spectateurs  de  rester  pour  assister  à  la  projection  d’un   film   sur   la   première   grande   manifestation   d’opposition   au   régime   grec  :   l’occupation   de   l’université  d’Athènes  par  les  étudiants  en  grève.  La  projection,  commentée  par  un  des  animateurs  de  la  Commune,  fut  suivie  de   la   lecture  de  divers   textes   ou   télégrammes   émanant   d’organisations   révolutionnaires   du   tiers-­‐monde,   et   la  soirée   (où,   exceptionnellement,   l’urgence   des   événements   politiques   empêcha   le   déroulement   d’un   véritable  débat   sur   le   spectacle)   s’acheva   sur   l’exposé  d’un  avocat   romain  d’extrême-­‐gauche  démontant  parfaitement   la  version  officielle  des  incidents  de  Primavalle  et  mettant  en  cause  les  survivances  de  l’ère  fasciste  dans  le  code  de  procédure  criminelle  italien.          IV.3  Revue  de  presse  :  un  prix  Nobel  inattendu    Dario  Fo,  le  Nobel  imprévu,  Valeria  Tasca,  Le  Monde,  11  Octobre  1997  Le  Prix  Nobel  de  littérature  pour  Dario  Fo  !  Ce  diable  d'homme  nous  a  habitués  à  le  trouver  là  où  on  ne  l'attendait  pas,  mais  voir  l'iconoclaste  couronné  par  une  si  respectable  Académie,  et  couronné  au  titre  de  la  littérature,  on  en  reste  pantois  «  esterrefatto  »,  comme  il  a  dit  aux   journalistes.  Et  en  même  temps,   tout   joyeux,  allégé,  dilaté,  réconforté.  Je  crois  entendre  son  rire  devant  les  commentaires  bêtes  et  pincés  que  rapporte  la  presse  italienne,  et  j'espère  qu'il  va  régaler  ses  amis  d'une  improvisation  assassine  sur  les  grognons  professionnels.  Dommage  de  ne  pas  y  assister  !  […]  Dario  Fo  est  un  homme  des  planches  (le  palcoscenico  des  Italiens),  il  a  besoin  de  leur  élasticité  pour  trouver  le  rythme  de  son  souffle  et  sur  ce  rythme  donner  vie  à  ses  mots,  comme  il  a  besoin  d'un  public  avec  lequel  entrer  physiquement  en  résonance.  Avec  lui,  c'est  bien  la  communauté  des  acteurs  qui  est  aujourd'hui  honorée,  et  nous  nous   en   réjouissons.   Mais,   par   goût   du   paradoxe   un   goût   qu'il   ne   m'a   pas   donné   mais   que   j'ai   cultivé   en   le  fréquentant,  je  revendique  volontiers  son  appartenance  à  la  littérature,  au  risque  de  provoquer  ses  protestations.  Il  aime  la  langue,  les  mots,  les  sons,  les  syllabes,  les  phrases,  les  figures,  les  étymologies...    Quand  on  aborde  Dario  Fo  par  le  spectacle,  comme  il  est  juste  de  le  faire,  on  est  fasciné  par  la  mobilité  du  visage,  par  la  qualité  du  geste,  son  ampleur  et  sa  précision,  par  la  variété,  la  chaleur  et  la  justesse  des  intonations  de  voix.  Sans  doute  est-­‐ce  depuis  que   j'ai   abordé   la   traduction  de   ses  pièces  que   je   suis   consciente  de   son  écriture.   Le  traducteur  de  théâtre  est  d'abord  légitimement  préoccupé  par  les  problèmes  -­‐   j'énumère  dans  le  désordre  -­‐  de  lisibilité,   de   rythme,   de   niveaux   de   langue,   de   jeux   de  mots   et   de  mots   inventés,   d'allusions   à   l'histoire   ou   à  l'actualité.  Mais   quand   il   s'agit   vraiment   d'un   auteur,   il   faut,   avec   tous   ces   «problèmes»,   construire   une   unité,   un   style,  presque  au  sens  architectural  du  terme.  Le  nez  sur  la  page,  on  perd  de  vue  que  Dario  Fo  est  aussi  un  peintre,  un  dessinateur  surtout,  un  scénographe.  D'où   la   lutte  à  mener  avec   la   ligne  écrite  pour  qu'elle  ne  se  perde  pas  en  méandres,  sinon  signifiants,  pour  que   les  contours  de   la  réplique  ne  bavent  pas,  sinon  par  choix.  Un  travail  de  l'oreille  et  de  l'œil,  en  quelque  sorte.  C'est   aussi   une   fête   :   Dario   Fo   est   un   écrivain   parce   qu'il   aime   la   langue,   les   mots,   les   sons,   les   syllabes,   les  phrases,   les   figures,   les   étymologies...  On   sait   que,   depuis  Mistero  Buffo   surtout   (1969),   il   utilise   volontiers   les  dialectes  de  l'Italie  du  Nord,  des  confins  du  Piémont  et  du  Milanais  jusqu'à  la  Vénétie.  Et  comme  à  cette  date  il  a  pris  pour  emblème  le   jongleur  (giullare),   figure  médiévale,   il  a  reconstruit  pour  la  scène  une  langue  archaïque,  portant   les   traces   des   vagabondages   de   ces   poètes-­‐comédiens-­‐musiciens,   qui   les   menaient   des   rives   de  l'Adriatique  à   la  vallée  du  Rhône   :   c'est   le  vénéto-­‐provençal,  philosophiquement   suspect  peut-­‐être,  mais  d'une  grande  efficacité  poétique.  Dario  Fo  ne  s'en   tient  pas   là.   Il  aime  déplacer   les   frontières,  géographiques,  historiques,  même  biologiques...   Il  devient   chat,   chien,   tigre,   à   volonté,   aidé   assurément   par   son   habileté  mimique   :   il   griffe,   il   se   ramasse   pour  bondir,  il  se  détend,  il  se  désarticule,  et  tout  cela  sans  imitation  réaliste,  par  des  gestes  qui  sont  la  synthèse  des  mouvements  naturels.  Il  invente  aussi  des  mots  à  dire  en  crachant  de  colère  ou  en  hurlant  à  la  lune,  mieux  :  des  mots  qui   sont  par  eux-­‐mêmes  des  grumeaux  de  colère  ou  des   lambeaux  de  désespoir.  Comme   il   a  entendu  un  marionnettiste  de  Shangaï  faire  dialoguer  un  tigre  et  un  soldat,  le  voilà  qui,  au  retour,  parle  tigre,  avec  l'accent  de  Bergame.  Cela  nous  vaut  la  succulente  Histoire  du  tigre,  que  les  Parisiens  ont  eu  la  joie  d'entendre  et  de  voir  sur  la  scène  du  TEP  en  1980.  A  qui   se  demanderait   comment   les  Espagnols  ont  pu  communiquer  avec   les   indigènes,  Dario  Fo  raconte  qu'un  paysan  de  la  vallée  du  Pô,  embarqué  par  hasard  dans  l'une  des  expéditions  de  Christophe  Colomb,  avait  une  telle  passion  pour  les  langues  étrangères  qu'il  réussit  à  apprendre  l'«  indien  »  :  c'est  Johan  Padan  à  la  découverte  des  Amériques,  une  grande   jonglerie  de  1991.  Adopté  par   les   Indiens,   respecté,  cajolé,   le  héros  est  parfois  pris  de  nostalgie,  au  souvenir  du  vin,  du  rire  des  filles  et  de  son  dialecte.  La  langue  est  un  plaisir  essentiel,  vital,  que  l'acteur  partage  avec  le  poète.  Par  bonheur,  ils  nous  le  font  partager.  

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Et  le  «  grommelot  »  qu'il  prononce  et  écrit  «  gramelot  »  et  fait  remonter  aux  comédiens  dell'arte  ?  Désireux  de  se  faire   comprendre   du   public   et   d'échapper   à   la   malveillance   des   sergents   du   guet,   les   acteurs   italiens  contemporains   de  Molière   avaient,   dit-­‐il,   inventé   un   langage   «   grommelé   »   restituant   à   l'oreille   le   phrasé   du  français,  mais  impossible  à  noter,  donc  à  censurer.  Sans  doute,  ici  encore,  c'est  le  jeu  de  l'acteur  qui,  en  grande  partie,  supplée  les  lacunes  de  la  signification  verbale.  En  partie  seulement.  La  musique  de   la   langue  est  en  elle-­‐même  porteuse  de  sens.  Décidément,  c'est  un  prix  de  poésie  qu'on  aurait  dû  décerner  à  Dario  Fo  !  Dans   ses   attendus,   l'Académie   suédoise   lui   rend   hommage   aussi   pour   avoir   «   fustigé   le   pouvoir   et   restauré   la  dignité  des  humiliés  ».  Le  jongleur  joue  le  rôle  de  bouffon,  investi  du  pouvoir  de  dire  que  le  roi  est  nu  et  que  «  le  patron  n'est  qu'une  vessie  pleine  de  vent  »  (La  Naissance  du  jongleur).  A  cette  belle  légende  solaire  répondent  les  récits   de   massacres   et   d'exactions   jalonnait   l'histoire   de    l'humanité  :  d'un  côté  l'espoir,  de  l'autre  la  révolte,  qui  font  ensemble  la  «  dignité  des  humiliés  ».  Mais  on  ne  la  restaure  ni  par  des  images  lénifiantes  ni  par  des  incantations.  Il  y  faut,  selon  la  formule  d'Hubert  Gignoux,  «  une  volée  de  colère  et  de  rire  ».  C'est  ce  que  nous  apprennent  Dario  Fo  et  son  Gai  savoir.  »    

       Le  jury  Nobel  couronne  Dario  Fo,  roi  du  jonglage  et  de  la  comédie    Extraits  de  l’entretien  accordé  par  Dario  Fo  à  Pierre-­‐André  Boutang,  diffusé  intégralement  sur  Arte  le  17  décembre  1997.      «  PAB  -­‐  Alors,  pour  poser  toutes  les  questions  idiotes  qu'il  faut  bien  poser,  est-­‐ce  que  tu  imaginais  que  tu  allais  avoir  le  prix  Nobel  ?    DF-­‐  C'est  un  grand  scandale  pour  l'Italie.  Des  gens  du  Corriere  della  sera  ont  écrit  :  "Le  prix  Nobel,  c'est  foutu.  Il  n'existe  plus  du  moment  où  Dario  Fo  est  dans  la  sélection  finale."  Ça,  c'est  beau  !  Mais  c'est  la  première  fois  dans  l'histoire  du  prix  qu'un  acteur,  qui  écrit  aussi,  arrive  à  remporter  le  prix  Nobel.  C'est  aussi  une  récompense  qui  est  donnée  à  ma  compagne  de   toujours,  Franca  Rame.   Je  ne  croyais  pas  que   je   l'aurais,   car   j'étais  encore  dans  l'idée  que  le  Nobel  allait  aux  littéraires  purs.  Le  littéraire  qui  écrit  pour  écrire  et  qui  reste  dans  l'écriture.  On  a  fait  le  choix  révolutionnaire  de  quelqu'un  qui  n'a  pas  écrit  tout  de  suite,  mais  qui  a  écrit  en  conséquence  du  jeu  qu'il  a  fait  sur  scène.  Ils  ont  choisi  un  comédien  qui  emploie  la  voix,  le  rythme,  le  geste,  la  musique,  la  danse,  le  corps...    Tout  !  Lorsque  j'écris,  l'œuvre  est  déjà  composée.  C'est  une  reconstruction  écrite  de  ce  qui  se  passe  sur  la  scène.  Mon  grand  maître,  c'est  Ruzzante...  Les  Français  ne  connaissent  pas  Ruzzante...    Seuls   des   gens   comme   Molière   ou   Shakespeare   sont   arrivés   au   niveau   de   Ruzzante   !   De   lui,   j'ai   appris   la  possibilité   de   détruire   et   de   reconstruire   la   langue...   et   l'emploi   des   mots   qui   n'existent   pas...   A   un   certain  moment  dans  l'écriture,  j'écris  "grammelot"...  Quand   on   regarde   l'oeuvre   complète   publiée   de   Dario   Fo,   on   peut   trouver   des   grammelots.   Qu'est-­‐ce   que   le  grammelot  ?    C'est  un   langage  que   l'on  ne   comprend  pas,   et  qui   est   fait  de   syllabes  et  de  mots   inventés,  qui  n'existent  dans  aucune   langue   et   qui   donnent   l'impression   d'entendre   du   français,   de   l'anglais   ou   de   l'allemand  par   le   jeu   du  rythme  verbal.  Une  improvisation  ?  Oui,   complètement.   Les   rythmes   sont   fixés,   et   puis   il   y   a   l'improvisation.   L'improvisation,   c'est   quelque   chose  qu'il  faut  ordonner  complètement.  On  ne  peut  pas  aller,  comme  cela,  alla  fiera.  Non  !  Il  faut  avoir  des  règles  !  Il  faut  s'exercer.  Mais  pas  dans  sa  chambre  !  C'est  le  public  qui  donne  le  rythme,  la  rigolade,  le  temps,  le  silence,  etc.  Le  public,   à   chaque   fois,   a  une  respiration  différente.  Tu  dois  obliger   le  public  à   respirer  comme   toi,   au  même  rythme.  A  quel  moment  est  venue  la  décision  de  ne  pas  être  un  homme  de  théâtre  normal,  qui  aurait  un  théâtre,  qui  jouerait  des  pièces  devant  le  public  ?    En  1967.  Nous   jouions   Il   faut   l'agiter,   cette   dame   !   ,   pièce   ironique   sur   le   grotesque  de   l'Amérique...   Le  public  venait  avec  une  espèce  de  malaise  :  il  comprenait  le  jeu,  il  faisait  silence  et,  à  la  fin,  il  sortait  avec  une  espèce  de  rage.  Alors,  on  s'est  demandé  s'il  était  utile  que  nous  fassions  de  la  provocation  de  ce  genre.  Les  spectateurs  se  sentent  «  démocratiques  »  parce  qu'ils  acceptent   la  provocation.   Ils  sortent  pleins  de  rage,  en  blasphémant.   Ils  n'aiment  pas  ce  qu'ils  voient.  Ils  l'acceptent  pour  le  rituel  :  aller  pour  prendre  des  coups  de  bâton,  pour  se  sentir  «  démocratiques  ».  Ce  n'est  pas   la  peine  de   leur  donner  cette  satisfaction   !  Nous  devons   faire  un  spectacle  qui  s'adresse   à   des   gens   qui   comprennent   ce   que   nous   disons.   Et   ce   sont   les   gens   qui   doivent   nous   dire   ce   qu'ils  veulent  que  nous  jouions...  »  Sont  nés  alors  des  textes  qui  parlaient  de  la  classe  ouvrière,  des  étudiants  qui  sont  sans  travail,  qui  souffrent,  qui  n'ont  pas  la  possibilité  d'arriver  dans  la  vie,  des  femmes  qui  ont  des  difficultés,  des  pauvres...  et  surtout  les  gens  qui  n'ont  pas  de  pouvoir,  qui  doivent  agir  avec  désespoir  pour  obtenir  ce  qu'ils  ont  le  droit  d'avoir.  Et  on  ne  peut  pas  le  faire  dans  le  même  théâtre  que  celui  où  viennent  les  gens  normaux.  

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C'est  quoi,  les  gens  normaux,  pour  vous  ?  Ceux  qui  ont  de  l'argent  ?    Oui,  il  y  en  a  qui  sont  ouverts  et  d'autres  qui  sont  des  "gens  de  marchandises",  des  industriels  ou,  pis  encore,  des  gens   qui   travaillent   pour   des   industriels...   Nous   sommes   allés   dans   la   périphérie   et   nous   avons   organisé   une  collaboration  avec  le  Parti  communiste  et  le  Parti  socialiste,  qui  avaient  des  organisations  communes.  Nous  nous  sommes  mis  à  faire  du  théâtre.  Mais  avec  tout  !  Nous  sommes  arrivés  avec  le  plateau,  la  scène,  toute  la  technique.  Et  c'était  quelque  chose  d'incroyable   !  Au  point  que   l'espace  que  nous  avions  n'était  pas  suffisant   :   il   fallait  en  chercher   d'autres   !   Des   palais   des   sports   ouverts,   des   églises   abandonnées,   et   aussi   des   églises   toujours  consacrées,   avec   le   saint   dedans,   en   accord   avec   ce   mouvement   des   prêtres-­‐ouvriers.   C'est   pour   cela   que  maintenant  les  journaux  de  la  Curia  sont  durs  avec  nous.  Ils  ont  beaucoup  souffert  !  Quand  ils  voient  des  pièces  comme  Le  Pape  et  la  Sorcière,  on  ne  peut  pas  demander  au  pape  ou  à  la  curie  romaine  de  penser  que  Dario  Fo  est  leur  meilleur  ami  !    Mais  les  évêques  sont  venus  voir  ce  Pape.  Je  le  sais  parce  que  j'étais  présent,  bien  caché...  J'ai  vu  les  ministres  de  l'Eglise   qui   regardaient   et   rigolaient.   Le   jeu   de   l'ironie,   ils   l'aimaient.   Eux,   ils   pouvaient   rire,   mais   le   peuple  chrétien,  lui,  ne  devait  pas  rire...  C'était  dangereux,  ta  manière  de  travailler  ?  Ça  te  faisait  des  ennemis  ?    Des  gens,  parfois,  nous  ont  mis  des  bombes.  Par  exemple  au  Théâtre  de  Milan.   Je   suis   sûr  que  c'était   la  police  spéciale...  Je  n'arrive  pas  à  imaginer  Dario  Fo  en  habit,  sur  l'estrade  du  Nobel,  et  faisant  un  discours  bien  sage  !    J'ai  déjà  porté  ce  costume  sur  scène.  Le  frac,  ce  n'est  pas  quelque  chose  qui  m'est  étranger.  C'est  un  élément  de  mon  métier   !   Je  crois  que   je  me  sentirai  à   l'aise.  C'est   le  costume  de   la  comédie   !   Je  vais  parler   italien.   Je  serai  soutenu  par  la  traductrice  suédoise.  Il  y  aura  une  partie  écrite,  et  une  autre  improvisée  !  Et  alors  j'imagine  qu'il  y  aura   des   Japonais   ou   des   Chinois   qui   ne   comprendront   pas   où   ils   sont,   qui   changeront   de   feuilles,   qui   les  laisseront  tomber  !  Les  gens  diront  :  "Arrête  !  Nous  ne  comprenons  pas  !"  Ce  n'est  pas  mal  !  On  arrive  à  produire  une  émotion  dans  la  lecture.  Ce  n'est  pas  du  "blablabla"  mécanique  !  Est-­‐ce  que  tu  peux  m'expliquer  pourquoi  tu  es  si  heureux  et  si  fier  d'être  un  «jongleur  »  ?    Le  jongleur,  c'est  le  commencement  de  la  fabulation  dans  l'histoire  du  monde.  Le  jongleur,  c'était  celui  qui  avait  la  possibilité  d'attirer  l'attention  des  gens  de  la  rue  qui  passaient.  Cet  homme  attirait   l'attention.  Avec  humour,  avec  émotion,  avec  ironie,  avec  la  cervelle  qui  commence  à  bouger  et  à  produire  des  images.  Ça,  c'était  vraiment  le   commencement  du   théâtre  de   tous   les   temps   :   les   jongleurs  étaient  dans   le   théâtre  grec   !  Avant   encore,   les  premiers   qui   ont   raconté   des   histoires   dans   la   littérature   des   Grecs,   c'étaient   des   jongleurs   !   Après,   il   y   avait  quelqu'un  qui  écrivait  ce  que  les  jongleurs  racontaient.  Même  la  Bible  !  Le  Christ  avait  cette  qualité  de  prendre  les  gens,  de  leur  parler,  à  partir  des  images  de  l'amour,  de  Dieu,  de  la  conscience  de  l'amour  chez  les  hommes  :  c'était  une  extraordinaire  jonglerie  magique  !  Je  suis  content  de  venir  de  là  !  Et  entre  le  jongleur  et  le  bouffon  du  roi,  y  a-­‐t-­‐il  une  grande  différence  ?  Disons  que  le  jongleur  part  toujours  de  la  tragédie  pour  réaliser  son  discours.  Le  jongleur  a  besoin  de  désespoir,  de  souffrance,  pour  traduire  son  jeu  en  joie  et  en  espoir.  Le  jongleur  parle  de  la  fin  et  la  traduit  en  rigolade.  La  fin  de  tout  :  la  fin  de  l'amour,  la  fin  de  la  joie.  C'est  pour  cela  que  le  roi  devient  quelque  chose  d'idiot  dans  le  jeu  du  jongleur.  Dieu,  qui  est  à  côté  de  moi,  a  un  visage  humain,  et  il  rigole,  et  il  enrage,  et  il  se  trompe,  et  il  dit  aussi  des  mauvaises  paroles,  et  il  dit  aussi  des  mensonges.  Le  jongleur  doit  toujours  faire  rire  ?    Mais  aussi  provoquer  l'émotion  !  Molière  disait  :  «  J'aime  réussir  à  faire  rire,  parce  que  la  tragédie  fait  descendre  les  larmes  sur  le  visage.  »  Mais  les  larmes  qui  coulent  font  aussi  descendre  les  pensées  du  cerveau.  Et  la  rigolade,  le  rire,  restent  comme  des  clous  dans  la  tête.  Ce  sont  des  clous  de  pensée,  les  clous  de  la  conscience.  On  n'arrive  pas  à  imaginer,  en  France,  comment  un  homme  de  théâtre  peut  devenir  un  homme  aussi  important  dans  les  enjeux  politiques,  sociaux...    J'ai  toujours  voulu  être  en  dehors  d'un  jeu  politique,  rester  libre,  pour  pouvoir  attaquer  les  gens  qui  sont  sur  le  même  discours,  au  même  niveau  culturel,  politique.  Aujourd'hui,  j'attaque  les  juges,  que  j'ai  beaucoup  défendus.  Tu  n'as  pas  l'impression  d'avoir  lutté  pour  rien  depuis  trente  ou  quarante  ans  ?  Non   !   C'est   notre   devoir,   de   continuer.   Nous   sommes   des   intellectuels.   C'est   déjà   un   grand   privilège   que   la  Fortune  nous  a  donné.  La  seule  façon  pour  des  gens  comme  nous  d'être  présents,  c'est  de  faire  de  l'art,  l'art  qui  parle  des  besoins  des  hommes,  de  la  justice,  de  la  souffrance.  Ce  n'est  pas  vrai  que  le  théâtre,  c'est  quelque  chose  que  l'on  peut  voir,  comme  cela,  le  soir,  détendu...  Non  !  C'est  quelque  chose  qui  fait  violence  sur  les  consciences  et  qui  cherche  à  faire  sortir  une  nouvelle  façon  de  raisonner.»    

Dario  Fo,  Pierre-­‐André  Boutang,  Le  Monde,  10  décembre  1997.          IV.4.  Liens  avec  l’actualité      a. Délocalisation      

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 Texte  :  Les  délocalisations  d'entreprises,  12  janvier  2004,  la  Documentation  française    JVC,  Continental,  Alcatel,  St  microélectronics,  Alstom…  Ces  noms  désignent  des  entreprises  dont  le  point  commun  est  d'avoir  fermé  des  établissements  implantés  en  France  tout  en  délocalisant  leur  production  vers  l'étranger.  Nous   assistons   à   des   délocalisations   d'entreprises   depuis   une   vingtaine   d'années,   et   ce   mouvement   va  certainement  se  poursuivre.  Qu'entend-­‐on  par  le  terme  "délocalisation"  ?  Et  quel  est  le  mode  de  traitement  par  les  pouvoirs  publics  de  ce  phénomène  ?  Qu'entend-­‐on  par  délocalisation  ?  La  délocalisation  d'entreprise  peut  s'entendre  selon  un  sens  plus  ou  moins  strict.  Au  sens  strict,  elle  désigne  le  déplacement  vers  l'étranger  d'une  activité  économique  existante  en  France  vers  l'étranger  dont  la  production  est  ensuite   importée  en  France.  La  mission   interministérielle   sur   les  mutations  économiques   (MIME)  retient  ainsi  cette  définition  et  distingue  alors  les  délocalisations  d'entreprises  de  phénomènes  telles  que  les  relocalisations  d'entreprises,  les  localisations  de  la  production  et  les  investissements  à  l'étranger.  La  relocalisation  d'entreprises  consiste   à   déplacer   son   site   de   production   à   l'étranger   afin   de   se   rapprocher   d'un   marché   et   de   vendre   sa  production  sur  place.  Quant  aux  localisations  de  la  production  à  l'étranger,  elles  constituent  une  des  formes  des  investissements  à  l'étranger.    Caractéristiques  des  délocalisations  Il   n'existe   pas   de   statistiques   publiques   précises   sur   les   délocalisations.   Cependant,   selon   la   MIME,   les  délocalisations   au   sens   strict   représenteraient   globalement   autour   de   10%   du   montant   des   investissements  directs  à  l'étranger  soit  305  millions  d'euros  environ  sur  la  période  1998-­‐2002.  Même  si  toute  suppression  d'un  emploi  dans  le  secteur  industriel  ne  fait  pas  l'objet  d'une  délocalisation,  la  diminution  de  l'emploi  industriel  en  France  constitue  un  indicateur  de  l'ampleur  de  ce  phénomène.    Les   secteurs   de   l'industrie   concernés   par   les   délocalisations   sont   nombreux   :   cuir,   textile,   habillement,  métallurgie,   électroménager,   automobile,   électronique…   Egalement   touché,   le   secteur   tertiaire   :   centres  téléphoniques,  informatique,  comptabilité…  A  vrai  dire,  toute  production  de  masse  et  tout  service  répétitif  sont  susceptibles  d'être  délocalisés  dans  des  territoires  où  le  coût  de  la  main  d'œuvre  est  nettement  moindre.    La   désindustrialisation   des   uns   signe   l'industrialisation   des   autres.   Les   territoires   bénéficiaires   des  délocalisations  d'entreprises  sont  l'Inde,  le  Maghreb,  la  Turquie,  les  pays  d'Europe  centrale  et  orientale  (PECO)  et  l'Asie   (notamment   la   Chine).   Si   les   syndicats   incriminent   la   logique   financière   sous-­‐jacente   aux   stratégies   de  délocalisation,   la   théorie  des  avantages  économiques,  détenus  par   les  pays   cités  précédemment,   en  particulier  grâce   à   un   faible   coût   de   la   main   d'œuvre,   peut   également   expliquer   ce   phénomène   de   délocalisation   et   de  spécialisation  économique  des  territoires.    L'action  des  pouvoirs  publics  :  anticiper  et  accompagner  les  restructurations  économiques.    Lors   du   conseil   des  ministres   du   12   février   2003,   le   gouvernement   actait   le   fait   que   l'économie   française   est  confrontée   en   permanence   à   des  mutations   et   restructurations   économiques.   Pour   faire   face   à   ces  mutations  conduisant  "à  des  créations  et  des  destructions  d'emplois,  avec  des  conséquences  difficiles  pour  les  salariés  et  les  territoires",  le  gouvernement  a  créé  une  mission  interministérielle  sur  les  mutations  économiques,  MIME.  La  mission  interministérielle  a  tout  d'abord  un  rôle  de  veille  et  d'anticipation  des  restructurations.  En  ce  sens,  est  prévue   la  mise   en  place  des   observatoires   régionaux  des  mutations   économiques  dont   le   pilotage   sera   assuré  conjointement  par  l'Etat  et  la  région.  La  région  Pays  de  la  Loire  a  vu  naître  la  première  son  observatoire  en  2003.  La   seconde   mission   de   la   MIME   consiste   à   accompagner   la   reconversion   économique   des   territoires   et   le  reclassement   des   salariés,   notamment   en   facilitant   le   travail   en   commun   des   différents   ministères   et   en  s'appuyant  sur  les  expériences  réussies  pour  améliorer  l'efficacité  des  dispositifs  mis  en  œuvre  Autre   outil   créé   récemment   par   le   gouvernement   :   les   contrats   de   site.   Ces   contrats   visent   à   redynamiser   les  bassins   d'emploi   les   plus   touchés   par   les   restructurations.   Il   s'agit   d'une   stratégie   territoriale   élaborée   par  l'ensemble  des  acteurs  et  déclinée  en  actions  à  engager   immédiatement  ou  sur  une  durée  de   trois,  quatre  ans.  Douze  contrats  de  site  qui  devraient  être  évalués  en  2004  ont  été  signés  jusqu'ici.    L'innovation,  une  des  solutions  au  phénomène  des  délocalisations  ?  Plusieurs  leviers  d'actions  pour  les  pouvoirs  publics  existent  car  la  décision  d'implantation  d'une  entreprise  ne  dépend   pas   que   du   seul   coût   de   la   main   d'œuvre.   Le   potentiel   marchand   d'un   territoire,   les   infrastructures,  notamment  de  transport,  la  qualification  de  la  main  d'œuvre  sont  également  sources  d'attractivité.  Dans  une  interview  donnée  au  journal  Les  échos  en  juin  2003,  Francis  Mer,  ministre  de  l'économie,  des  finances  et  de  l'industrie,  explique  qu'il  souhaite  renforcer  l'attractivité  de  la  France  en  mettant  l'accent  sur  l'innovation,  la  recherche  développement  et  la  formation  professionnelle.  L'innovation,  qu'elle  prenne  la  forme  d'un  nouveau  matériau,   d'une   nouvelle   technique   ou   d'un   nouveau   débouché   (fibres   synthétiques   destinées   au   secteur   de  l'automobile   par   exemple)   est   créatrice   d'activités.   Quant   à   la   formation,   elle   est   le   gage   d'une  main   d'œuvre  qualifiée.  Le   gouvernement   actuel   a   choisi   par   ailleurs   de   diminuer   les   charges   sur   les   salaires,   d'alléger   les   formalités  pesant  sur  les  entreprises  ou  d'ouvrir  à  la  concurrence  le  secteur  de  l'énergie  (attendant  une  baisse  du  prix  de  

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l'électricité   pour   les   entreprises).   Récemment,   en   décembre   2003,   lors   d'un   séminaire   gouvernemental   sur  l'attractivité  de  la  France,  il  a  été  décidé  d'attirer  via  différentes  aides  des  compétences  étrangères  ciblées  (post-­‐doctorants   français   expatriés,   cadres   étrangers,   étudiants   étrangers   de   haut   niveau   issus   des   disciplines  scientifiques,  techniques  et  managériales)  ou  certaines  activités  (ONG  en  France,  production  cinématographique  et  artistique).    Il  reste  que  ces  différentes  actions  n'empêchent  pas  la  suppression  d'emplois  en  France.  Selon  les  chiffres  de  la  Direction   de   l'animation   de   la   recherche   des   études   et   des   statistiques   (du   ministère   du   travail),   au   3ème  trimestre   2003,   la   France   enregistre   une   disparition   nette   d'emplois   de   20000   emplois,   la   création   d'emplois  dans   le   secteur   tertiaire   (+10   000)   ne   compensant   plus   la   perte   d'emplois   du   secteur   industriel   (-­‐33   000  emplois)  et  le  taux  de  chômage  sur  cette  période  s'élève  à  9,7%.      b. Une  campagne  d’affichage  étonnante  :  Leclerc    Les  affiches  suivantes  reprennent  des  affiches  de  mai  1968.  A  plus  d’un  égard,  elles  font  songer  à  Faut  pas  payer  !  et   aux   affiches   présentées   ci-­‐dessus.   Elles   travaillent   sur   les  mêmes   symboles.  Mais   au   service   cette   fois   d’un  hypermarché  :  Leclerc.