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Mankind et Everyman Avant-Propos de Jean-Paul Débax & André Lascombes coll. « Traductions introuvables : Théâtre Anglais Médiéval », 2012, p. 1-12, mis en ligne le 13 fevrier 2012, URL stable <https://sceneeuropeenne.univ-tours.fr/traductions/everyman>. Théâtre anglais Médiéval est publié par le Centre d’études Supérieures de la Renaissance Université François-Rabelais de Tours, CNRS/UMR 7323 Responsable de la publication Philippe Vendrix Responsables scientifiques Richard Hillman & André Lascombes Mentions légales Copyright © 2012 - CESR. Tous droits réservés. Les utilisateurs peuvent télécharger et imprimer, pour un usage strictement privé, cette unité documentaire. Reproduction soumise à autorisation. ISSN - 1760-4745 Date de création Janvier 2012

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Page 1: Mankind et Everyman - Université de Tours · 2018. 10. 4. · 4 ANdRé lAscoMbEs – EVERYMAN : NotEs 95 (Voc): Selon la conception pré-copernicienne du monde, héritée de Ptolémée,

Mankind et EverymanAvant-Propos

de Jean-Paul Débax & André Lascombes

coll. « Traductions introuvables : Théâtre Anglais Médiéval », 2012, p. 1-12, mis en ligne le 13 fevrier 2012,

URL stable <https://sceneeuropeenne.univ-tours.fr/traductions/everyman>.

Théâtre anglais Médiévalest publié par le Centre d’études Supérieures de la Renaissance

Université François-Rabelais de Tours, CNRS/UMR 7323

Responsable de la publicationPhilippe Vendrix

Responsables scientifiquesRichard Hillman & André Lascombes

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Reproduction soumise à autorisation.ISSN - 1760-4745

Date de créationJanvier 2012

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Ce premier volume d’une série projetée d’éditions-tra-ductions des œuvres sources du théâtre européen de la Renaissance, volume consacré au domaine anglais, pro-pose au lecteur deux pièces également représentatives, mais chacune à sa manière, de cette production drama-tique ; elles illustrent, l’une et l’autre, le théâtre de la fin du xve siècle : Mankind (Genre Humain), que nous connais-sons grâce au Manuscrit Macro datant de la fin du siècle, semble avoir été composé à une date très voisine de 1466, et d’autre part The Summoning of Everyman (La semonce ou Convocation de Tout-Homme, traduction/adaptation pro-bable de la pièce néerlandaise Elckerlijc) dont nous avons quatre éditions anciennes, chez deux impri-meurs différents, échelonnées de 1515 à 1535, mais pro-bablement composé avant la fin du siècle précédent. Ces deux pièces appartiennent à une catégorie sou-vent connue sous l’appellation de « moralité », ou pièce possédant une intrigue de type « Humanum Genus » ; elles exposent, selon un schéma récur-rent, le trajet vital du héros chrétien balloté entre tentation, chute et salut final.

Hormis les spectacles de com-munauté ou « populaires », dont les textes ont été collectés (mais dans

Mankind et Everyman

Avant-ProposJean-Paul Débax & André Lascombes

Centre d’études Supérieures de la Renaissance, Tours

AvAnt propos p. 1-2

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AvA n t - p r o p o s2

quel état !) dans le courant du xixe siècle, et des pièces religieuses, ou « Passions » (en anglais Mysteries), souvent réunies en cycles attachés à des villes marchandes et actives, peu de témoins dramatiques antérieurs aux deux pièces traduites ici sont à notre disposition. Parmi ceux-ci : un fabliau sur le sujet familier pour les médié-vistes, de la vieille entremetteuse et de sa chienne (Interludium de Clerico et Puella, des environs de 1300) ; et The Pride of Life, une pièce de facture assez archaïque (c.1350, connue par un manuscrit disparu en 1922), où le destin de l’homme est représenté par le rôle du « Roi de vie », et la vie elle-même par un combat chevaleresque contre la mort. Entre les deux autres pièces du manuscrit Macro, The Castle of Perseverance, des environs de 1425, est une pièce monumentale, dont le schéma est conforme à la structure de la Psychomachia, et qui se termine par un des rares « Procès de Paradis » de la littérature dramatique anglaise. Son ampleur et le nombre des thèmes abordés ont poussé les critiques à la considérer comme un archétype du genre « moralité », bien qu’elle en soit le seul exemple. Dans le même manuscrit figure une troisième pièce, Wisdom (c.1460), sorte de grand spectacle à mi-chemin du ballet et de l’opéra, sur le thème de la tentation de l’âme par Lucifer.

Tout semble, à première vue, opposer les deux œuvres traduites ci-après : Genre Humain, pièce manifestement portée par une troupe expérimentée, semble avoir été destinée à des publics composites capables d’entendre l’ironie et de saisir la leçon morale derrière la verdeur de la forme et les pittoresques facéties et sail-lies d’une bande de coquins qui par deux fois entraînent le héros en tentation. À l’inverse, pour ce qui est du ton, La Convocation de Tout-Homme conte le drame aus-tère d’un homme que Mort menace soudain de disparition immédiate et qui ne reçoit évidemment aucun secours de ses amis, son entregent ou son argent. Toute baignée de piété sentimentale et angoissée, peut-être issue de la Devotio Moderna néerlandaise, et malgré une fin heureuse dans la droite ligne de la théologie catholique, cette pièce trouve souvent les accents de la tragédie.

Nous espérons que le rapprochement de ces deux pièces permettra au lecteur de se convaincre de la diversité du théâtre anglais médiéval, et d’éviter ainsi la naïveté des censures péremptoires et sommaires dont il est trop souvent la cible.

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André Lascombes, « Notes à l’édition en ligne de Everyman », coll. « Théâtre Anglais : traductions introuvables », 2010, p.1-16,

mis en ligne le 10 février 2010, URL stable <https://sceneeuropeenne.univ-tours.fr/traductions/genre-humain-mankind>.

Théâtre anglaisest publié par le Centre d’études Supérieures de la Renaissance

Université François-Rabelais de Tours, CNRS/UMR 6576

Responsable de la publicationPhilippe Vendrix

Responsables scientifiquesRichard Hillman & André Lascombes

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Date de créationJuin 2008

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Nota : Les responsables de l’édition et de la traduction ont décidé d’adjoindre à la Mise en Contexte (rappelant l’essentiel des conditions économiques, politiques et idéologiques prévalant en Angleterre à l’époque où la pièce y est traduite) un Commentaire explicatif plus substantiel, afin d’éclairer plus précisément et comme in situ les points importants dont la Mise en Contexte n’offre qu’une présentation sommaire. Ils espèrent aider ainsi plus efficacement le lecteur peu familier de la culture du bas Moyen Âge, ou encore mal informé des éléments essentiels du dogme chrétien comme du fonctionnement du théâtre de la période.

Ce Commentaire explicatif (C) est détaché des autres notes de lecture. Il regroupe des remarques de trois sortes :

1. Intro : renvoie à La Mise en Contexte;,2. Text : donne des précisions sur la variante

textuelle retenue pour la traduction3. Biblio : renvoie à la bibliographie générale

en fin de document.Quant aux notes de lecture

(Voc), elles sont placées en bas de page et explicitent le sens d'un terme ou d'un syntagme. Elles renvoient aussi parfois au Commentaire explicatif pour supplément d'information (voir C, ou Intro, ou Biblio par exemple).

Notes à l’édition en ligne de Everyman

André LascombesCentre d’études Supérieures de la Renaissance, Tours

EVERYMAN : NotEs – ANdRé lAscoMbREs – féVRiER 2010 p. 1-16

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A N d R é l A s co M b E s – E V E R Y M A N : N ot E s2

Le Commentaire explicatif qui suit distingue huit phases dans le processus dramatique suivant le passage du protagoniste Tout-Homme de cette vie au trépas (qui est pour lui, dans la perspective chrétienne et catholique de la pièce, passage à la fois au tombeau et à la vie éternelle).

Enfin, pour un même passage, les notes relatives à la forme (Text) ou (Voc) viennent avant celles qui commentent le sens général (C).

Commentaire expliCatif

Sans constituer un découpage impératif, les huit phases ci-après suivent le mouvement largement binaire du drame qui, à partir de la rencontre de Tout-Homme avec Mort, se découpe en deux mouvements avant le commentaire final, soit :

Vers 64-483 : Mouvement A (phases 3 à 6)Vers 484-887 : Mouvement B (phases 7 et 8).

phase 1 : vv. 1-21 – présentation de la pièce1-21 : L’annonce-description que fait de la pièce un personnage spécifique, le Messager, est une tradition du jeu médiéval. Ce résumé du contenu offre aussi au spectateur un espace de transition avant la représentation. Voir le discours terminal de Doctour, vv.902-21, pour la réciproque. A.C. Cawley (Biblio), 1961, suggère que le Messager neconnaît qu’imparfaitement la pièce, citant deux personnages (Jolite et Pleasure) quin’y figurent pas, même s’il en résume bien le sens profond.-Vers 5: Shewes (Voir note Voc) Ce verbe, que reprend ma traduction, explicite ladouble nature, verbale et théâtrale, de l’œuvre. Les premiers vers de Messager etplus de quarante reprises du verbe ou d’équivalents (cf. 89, 98, 212, 223, etc.), ainsi quediverses images et actions dramatiques, rappellent au long de la pièce ce thème duregard spectateur qui est antagoniste de celui de la cécité spirituelle des humains(vv.23-55).

phase 2 : vv. 22-205 – brève rencontre : l’homme de ce monde et la mort23 (Voc) : vnkynde

28 (Voc) : my ryghtwysnes

22-63 : Le Dieu chrétien, en termes curieusement anthropomorphes, comme dans les cycles médiévaux (Cycle de york ou de Chester), exprime d’abord son dépit de voir

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sa Création subvertie. Puis il rappelle l’essentiel du dogme du Rachat des hommes par l’Incarnation et la Passion de son Fils. Noter que la persona du Dieu Créateur (22-28) laisse place à celle du Dieu-fait-Homme (le Fils), évoquant en termes très physiques sa Passion (29-33).Ce sont là des représentations figurant dans les images populaires bon marché (dites du « Man of Sorrows ») qui sont alors censées aider la contemplation dévote et qui heurtent aujourd’hui notre goût occidental. Le passage revient enfin longuement (53-63) sur le choix des hommes d’ignorer l’offre divine du Rachat (Mercy). On remarquera que ce rachat est proposé ici à tous les hommes (53-54) alors que la pensée Réformée finira par véhiculer l’idée de Prédestination. Par ailleurs, la pièce insiste plus loin sur l’idée que le salut s’acquiert « par les œuvres », ce qui est loin de la doctrine réformée de la « justification par la foi ». Ce sont là deux signes forts que l’inspiration de la pièce est délibérément catholique (cf. Biblio, P. Bacquet, 1982), à l’inverse de ce qui a parfois été affirmé.

76 (Voc) : Dethe

80 (Voc) : yonder

82 (Voc) : flesshely lusts

86 (Voc) : heenly sphere

64-84 : Le précédent passage dit assez clairement dans quelle perspective situer la rencontre de Everyman et de Mort : le personnage de Mort, mandaté par Dieu pour exécuter sa Loi (64-5), ne représente pas ici l’arrêt du processus vital comme nous le pensons spontanément en Occident aujourd’hui, mais l’instant où l’homme doit rendre compte d’une existence et d’un être qui, selon la Parabole des Talents (Matthieu 25.14-30), lui furent seulement prêtés (51, theyr beyinge that I them have lent). Selon l’anthropologie chrétienne, ce bilan doit, sous certaines conditions, lui ouvrir deux issues : soit une éternité de Salut, soit la Damnation (Biblio, G. Bourquin, Présentation historique, 1982, 119-130, repris dans Everyman, 2009, 83-98).

On notera enfin que Mort, qui reprend ici point par point les vues et valeurs de Dieu pour définir le Mal (live beastly, in folly, loving richness, ignoring charity), n’explique en rien son irruption à Tout-Homme. Celui-ci, en bon chrétien médiéval, l’accepte, tout comme il prend sans explications la métaphore du pèlerinage, banale dans la culture du temps.

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95 (Voc) : Selon la conception pré-copernicienne du monde, héritée de Ptolémée, et qui survit jusqu’à la fin de la Renaissance en Angleterre, la Terre (qui constitue le centre du monde), est entourée d’une série d’orbites où circulent les planètes et où règne encore la « mutabilité » d’un « monde sublunaire » fait d’imperfection. La plus haute orbite marque le « Primum mobile », ce royaume immobile de la perfection céleste, ou « firmament ». Vue de cette orbite divine, la Terre paraît, dans le discours chrétien, cette vallée terrestre, ou « vallée de larmes » évoquée par Tout-Homme au vers 155. L’ouvrage de Nicolas Copernic, religieux polonais, De Revolutionibus Orbium, publié en 1543, année de la mort de son auteur, ne sera connu et discuté que vers la fin du siècle.

99 (Voc) : A rekenynge. Ce mot clé, dans la logique du mode allégorique adopté dans la pièce, renvoie tout ensemble à un sens métaphorique (compte rendu moral des actes d’une vie), et à un référent matériel. Celui-ci, livre ou écrit comptable – instrument primordial dans la vie des classes marchandes de l’Europe du Nord (Angleterre, Flandres, Rhénanie) – affirme souverainement la puissance économique, politique et idéologique. Signe primordial chargé, avec le thème du voyage-bilan, du sens profond de l’action dramatique, il sera même théâtralisé en « objet de représentation » aux vers 503-07. (cf. Biblio, Konigson, 1996).

111 (Text) les textes A et B (Intro) proposent tous deux la leçon « …that we were », version qu’adoptent D. Bevington et G. Walker. A.C. Cawley, par contre, présume une erreur et adopte la lecture « that thou were… », reprise par Wortham & Cooper. Le traducteur s’aligne sur Cawley et Wortham, car cette lecture ne manifeste pas seulement, comme l’autre, l’urgence du départ, mais elle souligne en sus les réticences de Tout-Homme.

107-112 : Deux autres éléments majeurs de l’idéologie qui fonde la pièce se font jour ici. Le premier, (107-110) est l’idée (maîtresse dans la théologie catholique et que l’auteur anglais souligne ici alors que menace l’idéologie concurrente de la Réforme) que les œuvres d’une vie sont toute-puissantes au moment du jugement de l’âme (par opposition au concept lié à la Réforme d’une grâce dispensée par Dieu à raison de l’intensité de la foi).

Le second élément (106-10) fait allusion au jugement individuel suivant immédiatement le trépas. Il détermine le sort provisoire de l’âme pécheresse qui attendra, au Purgatoire, le Jugement Général (Doomsday).

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À propos de l’écriture dramatique, il importe de noter, quand débute la rencontre entre deux des personnages essentiels, l’extrême rapidité et économie des énoncés qui, se bornant à l’essentiel, sont un modèle d’écriture implicite, exigeant qu’une lecture attentive précise ce qu’ils esquissent. Ainsi, les deux brèves mentions concernant Tout-Homme (82 et 85-86) évoquent une simple silhouette que préciseront plus tard les apports de Tout-Homme lui-même (201 et 277-78), de Compagnon (Felawship), vv. 272-75 et de Parenté (Kinrede), vv. 360-64. De même, la salve rapide d’ordres dans le discours de Mort qui ne laisse guère de temps pour les questions, affirme implicitement son statut (elle reçoit ses ordres de Dieu seul), réglant tout d’un échange glacial de balles rapides, sans rien laisser au hasard, bloquant toute échappatoire et toute notion de délai. Le jeu des « you » et « thou » ajoute à ces échanges une dose de morgue initiale chez le vivant qui n’a pas identifié son adversaire, puis d’ironie polie chez Mort dans sa réplique : Ye, syr, I wyll shewe you. Face à cette déferlante, Tout-Homme se réfugie dans le désespoir d’un aveu impuissant (113) : Full vnredy I am suche rekenynge to gyve. Sa question, (114-15) montre chez lui le désarroi de la pensée logique, son retard à se mettre au diapason. Ce traitement, qui estompe le choc émotionnel de la brutale rencontre avec Mort, prouve indubitablement (et les exemples se répètent au long du drame) la maîtrise dramatique de l’auteur anonyme. Bien que la critique n’ait souvent considéré en lui qu’un piètre traducteur de l’original néerlandais, il mérite pleinement que l’on étudie la façon dont il conduit et retranscrit l’action dramatique.

113-183 : Le reste de l’échange entre Mort et Tout-Homme se poursuit sur ces mêmes bases. Tout-Homme, prisonnier du système de pensée qui a guidé sa vie, et de la cécité spirituelle déjà dénoncée par Dieu, s’obstine à vouloir traiter l’irruption de la mort comme il l’a fait les événements séculiers : simple affaire d’argent, que résoudront richesse, entregent, ou lobbying. Il met du temps à admettre l’implacable intransigeance de Mort qui, en près de 100 vers, ne bouge pas d’un iota et n’a qu’une réponse Now is the time. Il n’y peut opposer qu’un discours pétrifié, celui de l’expérience séculaire des vivants surpris par l’échéance (119, 132, 146-150, 155-156). Dès lors, Tout-Homme doit admettre ce qu’il sait en fait depuis le vers 115 : qu’il va mourir. Exprimant cela selon l’anthropologie chrétienne qui structure sa pensée, il exprime ouvertement pour la première fois son épouvante :

O gracyous God in the hye sete celestyall,Have mercy on me in this mooste nede! (153-54)

Risquant enfin l’ultime demande de tout mourant : ne pas partir seul, il reçoit en retour,

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(avec une ultime ironie de Mort, (157-58), une leçon déjà annoncée par Dieu (161-70). Leçon qu’il lui faudra plusieurs centaines de vers, et l’intervention de Biens-de-ce-Monde (Goods), pour enfin comprendre beaucoup plus tard et intégrer :

What, wenest thou thy lyfe is gyven the,And thy wordely goodes also ? (437-50)

Dans la logique de ce long passage, moment-clé du drame, on mesure pleinement la légitime détresse de Tout-Homme (184-201). Il ne faut pas la sous-estimer : pour la première fois, il y mentionne allusivement, sans les nommer, les perspectives de sa damnation (171-72 et 184-91). Mais nous savons aussi (ce n’est que suggéré) qu’il n’a pas tout entendu du discours de Mort, puisqu’il va chercher encore l’aide d’autres vivants, ses « amis ». Cette imparfaite conscience de sa situation l’aide en fait à rebondir et le raccroche, comme tout mourant, à un faible espoir (195-205, cf. Biblio, Hennezel, 1997).

phase 3 : vv. 205-386 – l’appel de tout-Homme aux amis de ce monde205-312 : Ce premier effort pour se raccrocher à la société des hommes et à son passé est logiquement la plus longue (108 vers) des différentes rencontres. Celle aussi où Tout-Homme aborde sa requête avec un luxe de précautions. Attardons-nous sur ce moment décisif de sa quête. Lors de la rencontre avec Compagnon (Felowship), on notera l’efficace rapidité de l’écriture dramatique qui, en quelques mots-clé, dit leur relation : mine affyaunce, good frendes in sporte and playe et to ese my sorowe, avant même que le dialogue ne s’engage. En deux mots aussi, l’ami nous donne à voir graphiquement Tout-Homme : why lokest thou so pyteously ? et vv. 216-7 hevynesse, dystresse. La superficialité de Compagnon s’exprime dans ses promesses excessives (218-20 ; 232-33). Quand il comprend ce dont il s’agit (248-9), son émotion embarrassée veut s’abriter sous une plaisanterie (257-58), puis des offres absurdes (271-75 et 281-82) que Tout-Homme ne peut que rejeter sèchement (283-84).

235 (Voc) deserve : on peut bien sûr lire dans le verbe qu’emploie spontanément Tout-Homme à propos de ce dont ils débattent un verbe emprunté à l’univers mercantile dont ils font apparemment tous deux partie (Biblio, Harper, 2006). Peut-être exprime-t-il aussi l’obligation de retour que suscite tout don, pour la pensée plus largement anthropologique.

248-53 : Dans la réponse de Compagnon, à travers les contradictions flagrantes quidécoupent l’énoncé (le vers antithétique 248, les articulations contradictoires oul’incise), on lit le débat intérieur lui découvrant le danger où le met sa promesse

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inconsidérée. Il importe de lire de près cette prose que certains ont jugée pauvre et quelconque.

258 (Voc) pleasures : la boutade, un peu laborieuse, sur ce voyage que Compagnon a promis de faire avec Tout-Homme, dit l’effort qu’il fait pour dépasser, un peu penaud, la reconnaissance d’une promesse intenable. Cette gêne spontanée lui vaut un peu de sympathie de notre part.

272-75 : Dans le même sens, il se risque ici à l’insultante hypothèse d’une sortie à deuxcopains « fêtards » (avec banquet, boissons et femmes), qu’il propose à un hommedéjà mentalement en route pour l’au-delà de cette vie. Cette inconscience signalel’écart qui s’ouvre entre l’homme bien ancré dans cette vie et celui qui doit mourir.(Biblio de Hennezel, 1997). Sa maladresse est aussi ce qui le rapproche de notrepropre expérience et nous le rend compréhensible.

299-305 : Ce premier appel de Tout-Homme à la Mère de Dieu ( les autres sont plusloin dans le texte) ne transcrit pas seulement l’extraordinaire développement dèsle xiiie siècle de la piété mariale ; c’est aussi une constante de la religiosité en payscatholiques latins. Il faut contraster cette invocation avec les appels aux saints, (voir(Voc) 288).

En conclusion à cette première (et cruciale) rencontre de Tout-Homme avec ses semblables, soulignons le profit que le lecteur tirera d’un examen minutieux du texte.

Il est clair que Tout-Homme atteint ici le point haut du désespoir, et que l’empathie théâtrale atteint son maximum lors des adieux de Tout-Homme et Compagnon. Il est aisé d’opposer ici le ton du faux ami qui s’éloigne bien vite, avec pour tout adieu, un dernier recours aux formules toute faites masquant le vide du cœur (294-95, 297-98, 301-2), et d’autre part l’expression mesurée mais sincère de la détresse de Tout-Homme découvrant qu’il mourra seul (299-300 et 304-5). L’importance des vocables et des échos (assonances ou fausses rimes), qui, par leur opposition sémantique, soulignent dérisoirement la vanité intérieure de l’ami, (297-98), est à souligner, comme la souffrance solitaire et désespérée du mourant (299-300).

309-10 : Le motif du reniement humain fait en contraste écho à celui dureniement de Dieu par l’homme.

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phase 4 : vv. 313-386 – deuxième appel, plus bref, aux liens du sangOn peut passer plus vite sur cet écho, plus bref, du premier : Tout-Homme, meurtri, désabusé, découvre un peu mieux son cœur à travers la conduite des autres. Il est beaucoup plus clair et plus prompt à annoncer son sort et requérir une aide. D’autre part, les deux personnages sont cette fois-ci très différenciés dans leurs réponses et leur nature profonde. La réponse de Cousin au vers 356 : No, by our Lady, I have the crampe in my to, largement tenue sans autre explication par la critique pour un trait comique, semble plutôt signe de la naïveté sans fard de cet homme simple ou jeune, avouant sans ambages et sans mensonges sa terreur. Par opposition, Parenté, cœur sec bien plus roué (351-54), n’hésite pas à jouer les donneurs de leçon (359) puis, de façon retorse vu les circonstances, à proposer à Tout-Homme, dont il connaît peut-être la faiblesse pour les femmes, les services un peu spéciaux de sa bonne (360-64).

En conclusion, Tout-homme (379-86), qui reprend le jugement déjà exprimé en (309-10) clôt la première étape de sa quête, quand son visage et son esprit étaient encore tournés vers la société humaine et sa vie passée. Son constat, qu’il n’a rien à attendre des hommes, le pousse à une dernière démarche, vers Goods, (ses) Biens-en-ce-Bas-Monde (385-86).

phase 5 : vv. 387-484 – dernier appel et le paradoxe du MalCe cinquième épisode débute par la présentation, théâtralement intéressante et provocante, d’un personnage allégorisé, dont on attend avec curiosité le référent scénique. Le metteur en scène doit ici faire preuve d’imagination pour restituer une image à la fois anthropomorphe (Biens-de-ce-Monde parle et va bouger) et conforme aux indications d’un texte éloquemment codé (394-97). Y dominent verbes et locutions adverbiales qui, soutenus par l’allitération et la rime, expriment les sèmes de l’abondance, de l’empilement, de la sécurité, mais aussi de la paralysie. Tous traits définissant les sociétés pléthoriques et spirituellement déficientes.

Ce cinquième épisode est également provocateur en ce qu’il est construit sur une opposition et un paradoxe. L’homme, (promis à la mort) semble d’abord tenir en main la situation car Mes Biens ne devine pas tout de suite ce qui amène Tout-Homme. Mais ce dernier est rapidement dépassé par celui qui incarne le péché potentiellement mortel de toute vie humaine : la matérialité des richesses mondaines. a) Ainsi, les vers 412-13 résument l’erreur où s’enferme Tout-Homme, alors mêmequ’il signale devoir partir pour l’autre Monde d’après (405-11).b) Mes Biens va rapidement lui infliger sa première leçon de morale spirituelle, selonune inversion radicale qu’affectionne l’art médiéval du sermon chrétien quand il

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confie au Diable la leçon chrétienne. (cf. le sermon inverti de Satan dans la Passion Play du cycle de la ville de N-.). La réponse de Mes Biens, de forme lapidaire, est d’une clarté aveuglante : Nay, Every man, I synge an other songe (414), et retourne la situation au détriment de Tout-Homme. En huit vers (414-21), il administre sa leçon : c’est bien lui, Mes Biens, qui a sali le bilan et littéralement torpillé les chances du salut de Tout-Homme.c) Cette réponse assomme littéralement celui-ci qui tarde à en saisir la signification.Dans sa réponse, un peu hébétée (422-23), reprenant les termes au conditionnel, ilréitère immédiatement sa demande d’accompagnement : Vp, let us go thyder to gyder(424). Cette incompréhension d’un point de vue aussi contraire aux valeurs qui l’ontjusque là inspiré dure encore quelques vers après le nouveau refus de Mes Biens. Ilproteste dérechef de sa bonne foi avec une innocence désarmante : Alas, ! I have theloved and had grete pleasure. / All my lyfe dayes on good and treasure (427-28) sans voir le totalillogisme de sa position.d) Mes Biens reprend donc sa position de catéchiste et administre crûment la fin dela leçon :

That is to thy dampnacyon without lesynge, For my love is contrary to the love everlastynge. But yf thou had me loved moderately durynge –

As to the poore gyve parte of me – Than sholdest thou not in this dolour be, Nor in this grete sorowe and care. (429-34)

e) Les deux vers suivants de Tout-Homme sont remarquables de franchise et disentl’importance de la révolution qui est en train de s’opérer en lui :

Lo, Now was I deceyved or I was ware,And all I may wyte my spendynge of tyme. (435-6).

435 : Il est intéressant de noter qu’à ce point-clé du drame, au moment où tout s’inverse pour le héros, l’auteur croit bon de rappeler au public la proximité qu’il a avec le spectacle et la nécessité pour lui de bien comprendre.

443 : Mis à la rime avec kyll,le verbe spyll (voir Voc) résume puissamment la paradoxale leçon de santé spirituelle que vient d’administrer au protagoniste l’incarnation du Mal absolu. Celui-ci reconnaît enfin ce qu’il a longtemps nié. La traduction proposée n’est donc pas une « belle infidèle » qu’appelleraient les besoins de la rime, mais la reconnaissance, enfin explicitée par Tout-Homme, du sort qui l’attend.

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f) Il ne reste donc à Mes Biens qu’à enfoncer le clou: ce qu’il fait en répétant les motsmêmes de Mort (161-67) : « tes biens ne sont qu’un prêt, ta vie aussi ». Ces « biens » qu’ils’agissait pour lui de faire fructifier font allusion à la Parabole des Talents (Matthieu25, 14-30, cf. Biblio. V.A.Kolvé, 1972). Averti de son erreur, de sa cécité spirituelle, Tout-Homme réagit par un bref mouvement d’humeur, accusant de traîtrise Mes Biensqui se gausse de sa naîveté puis prend ironiquement congé de lui. Tout-Homme, quin’a toujours pas tiré les conséquences de sa folie, redemandera pourtant à Mes Biensde l’accompagner. C’est à cette insistance que l’on mesure à quel point les habitudesde pensée d’une vie sont difficiles à changer pour Tout-Homme, et sa conversionmalaisée. Le troisième bilan intérieur qu’il nous inflige (463-79), et qui répète lesdeux premiers, montre cet arrêt de la pensée, cette stase de l’individu entre deuxmoments totalement contradictoires de sa pensée et de ses actes. Encore tournévers l’idée qu’il lui faut chercher un compagnon de route, il parvient seulement aubout de ce troisième bilan au constat qu’on pouvait attendre plus tôt de lui : celui del’échec, et la tentation du désespoir qu’expriment tout spécialement les vers 476-78.

g) Il est pourtant remarquable de voir que cet homme, membre d’une classeéconomique en pleine expansion a, (comme déjà en 385-6) le réflexe de l’actionefficace. Il se tourne immédiatement vers une autre entité, à peine présente à sapensée jusqu’ici, celle de ses bienfaits ou Bonnes-Œuvres (Good Deeds) dont Mort avaitévoqué l’importance dans le futur bilan (dès les vers 108-110), et dont Tout-Homme alui-même souligné le poids auprès de Parenté (338-42). Sans vouloir trop solliciter ledétail du texte, on note que Tout-Homme passe quasi instantanément du constat del’échec (en quatre vers dont les rimes sont, sinon riches, du moins acceptables)

For my Goodes sharpely did me tellThat he bryngeth many in to hellThan of myselfe I was ashamed,

And so I am worthy to be blamed ; (474-77)

au constat de la faillite intime. Celle-ci exprime, après le distique, en un vers supplémentaire courageux qui ne dissimule rien de sa responsabilité : Thus may I well my selfe hate.

478 : Sans aller trop loin, on peut voir dans cette lucidité nouvelle la marque de ces classes d’Europe du Nord, aussi capables d’énergie spirituelle (cf. la Devotio Moderna) que d’initiative sur le mode temporel (ces régions sont en plein essor mercantile et technique). On constate par ailleurs que ce vers supplémentaire où Tout-Homme frise le repli désespéré sur soi, est immédiatement suivi d’un vers, v. 479, (qui ne

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rime pas avec lui mais est simplement assonancé) et qui, ouvrant une nouvelle phrase, relance l’argument et la machine intérieure : Of whome shall I now counseyll take ? (479). La pensée, comme relancée en sens inverse, accouche immédiatement d’un distique parfaitement rimé :

I thynke that I shall neuer spedeTyll that I go to my Good Dede. (480-81)

La même détermination, mise jusqu’ici à rappeler le passé et implorer les hommes, tourne désormais Tout-Homme vers ce qui représente sa vie intime, et où il va trouver un désert à revitaliser.

phase 6 : vv. 484-772 – l’autre quête : la Réconciliation, tant civile que chrétienne, avec l’église et soi-même481 Good Dede : (Voir Voc, pour la forme Dede). Quant à l’effet d’écho entre les noms des trois personnages allégorisés, de sens exactement antagoniste : God, Good Deeds, Goods, il est bien évidemment volontaire (Voir Biblio, Bourquin, 1982 et 2009). Tout comme est symétrique le discours d’ouverture de chacun des deux personnages Goods (Mes Biens) et Good Deeds (Bonnes Oeuvres) (394-97 et 486-88). Comme nous venons de le voir, le cheminement intérieur, bien qu’à peine marqué (en raison de ce qui semble dans cette pièce être le choix esthétique de l’implicite et qui caractérise l’ensemble du discours intériorisé), existe vraiment et constitue la charpente de la conversion de Tout-Homme (conversio = mise à l’envers, changement de route) qui s’exprime dans la volte-face soudaine de Tout-Homme. (504-508) L’épisode, puissamment spectacularisé, du « livre de vie » foulé aux pieds par négligence et devenu illisible, théâtralise cette conversion.

Dès le début du dialogue de Tout-Homme et Bonnes Oeuvres, on voit que tout a changé puisque l’interlocutrice sait à l’avance ce qu’il va lui réclamer, et elle le lui promet sans débat. Ici encore, il est notable que Tout-Homme, en retard sur l’événement, redemande ce qu’on vient de lui accorder, réintroduisant de ce fait la question des actes de sa vie passée. Oublieux de la doctrine chrétienne, Tout-Homme ne comprend pas que sa situation de pécheur est cause de la paralysie de Bonnes Oeuvres. Il n’a pas entendu ce qu’elle lui dit (487-88), pas plus qu’il n’entendait ce que lui disait précédemment Biens-du-Monde. D’où un autre exemple d’humour caustique, Tout-Homme attribuant à un choc accidentel la paralysie de sa nouvelle amie (499-502). Répétant exactement le diagnostic de Biens-du-Monde, Bonnes Oeuvres lui montre, devant lui, à ses pieds, le fameux livre de compte. Cette rencontre, très visuelle, entre le responsable et le témoin terriblement bavard qu’est

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ce livre, ne sert pas seulement à intensifier et authentifier chez Tout-Homme le sens du voyage redouté. Le spectateur lui-même, pour qui la métaphore du pèlerinage vital est si rebattue à la fin du Moyen Âge, y retrouve vigueur dramatique et force démonstratrice. C’est avec un supplément d’attention que l’auditoire suivra l’évolution maintenant rapide de Tout-Homme, au long des phases de son parcours de réconciliation.

L’harmonie s’installe tout d’abord entre Tout-Homme et Bonnes Oeuvres. Cette amie attentive et prévenante le rassure mais lui fait voir ses erreurs passées. Tout-Homme voit à quel point la damnation éternelle le guette (509-10) et sollicite donc un conseil de Bonnes Oeuvres qui l’adresse à sa sœur Conscience. Dans le système de pensée du christianisme (surtout médiéval) ce personnage signifie essentiellement « prise de conscience: conscience de soi, de son état pécheur », i.e. de la règle oubliée que rappelait Dieu.

Cette interprétation du personnage, signifiant la mutation intérieure de Tout-Homme et expliquant ses démarches à venir, me paraît la seule valable, et me sépare de la lecture qu’en fait C. Gauvin dans sa traduction et son article (Biblio, Gauvin 1982). Selon cette logique, il est normal que le premier conseil de Conscience soit de pousser son protégé à confesser ses péchés. La confession (545-72), premier acte de cette chaîne du retour à la réconciliation du pécheur avec son Dieu, le prépare à la « bonne mort ». C’est cette chaîne que déroulent les vers 535-770 que nous allons suivre.

(535-770) La confession précède obligatoirement l’acte de contrition etl’absolution, signifiée ici par la métaphore de l’huile de grâce (571-72) puis par la pénitence que Tout-Homme effectue à la mode du temps (les coups du fouet que s’administre le pécheur repenti soulignent l’imitation qu’il réalise de la Passion de Jésus (cf. sa prière, 555-76 et encore 581-607). Vers 565 (voir C). Dans ce vers, qui recèle l’une des amphibologies signifiantes de la pièce, l’auteur propose deux lectures conflictuelles de la scène à travers l’ambiguïté du vocable skape : l’une valorise la vertu spirituelle de la flagellation (skape = réchapper du voyage), dans la tradition catholique du temps. L’autre, (skape = entamer), dans l’esprit de la Réforme, veut ignorer toute somatisation spirituelle. Ces deux passages soulignent la qualité hautement symbolique, et en même temps physiquement mimétique, d’une pénitence que le pécheur s’impose pour trouver sa place dans la voie christique. (Voir. Intro. L’importance du « best seller » du temps, l’Imitation de Jésus Christ). On rappellera à cet égard l’inlassable lutte de la pensée catholique au long des siècles contre les fréquents dévoiements de cette culture de la symbolique mimétique à propos des confusions entre

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le signe et son signifié. Ceci depuis les mises en garde antérieures au Dives & Pauper du début du xve siècle, (cf. Biblio, Commandement 1), jusqu’aux polémiques autour de Vatican II et de ses suites contemporaines, en passant par les accusations que se lancent Catholiques et partisans de la Réforme entre fin du xive et fin du xvie siècles.

Le commentaire de Conscience souligne deux points capitaux dans le processus : a) le temps laissé par Dieu au pécheur repenti d’exécuter la punition qui le restitueraà la communauté des Justes est une grâce (Voir Voc 608), d’où sa prière : God gyve youtyme and space (to carry out your penance).b) la « satisfaction » (terme technique) qu’assure au pécheur repenti l’exécution de sapénitence lui ouvre la voie des sacrements et restitue leur vertu aux Bonnes Actionspassées, jusque là paralysées. Ainsi, dès la pénitence exécutée, Bonnes Oeuvres peutse mouvoir et redevient audible (619-23 et 634-35). Enfin, pour couronner le retour dupécheur au sein des chrétiens pardonnés, la coutume est, s’il est menacé de mort, delui administrer le sacrement d’« Extrême Onction », dit de la « bonne mort ». Tout-Homme le reçoit ici, hors scène, sur le conseil conjugué de Conscience (506-12) et deCinq Sens (713-27).

En l’absence du protagoniste (731-69), fait exceptionnel dans une pièce où il est présent de bout en bout, Conscience et Cinq Sens font l’apologie des sacrements chrétiens et de l’ordre des prêtres (troisième dans le liste des sept sacrements de l’église catholique du temps) que leur fonction place juste au-dessous du Christ lui-même.

713-27 Ce premier passage, sur le pouvoir guérisseur exceptionnel des prêtres, est ditpar Cinq Sens. Le second, 750-63, sur les erreurs dommageables des prêtres simoniaqueset luxurieux, par Conscience. Visiblement apologétiques et embarrassant le metteuren scène d’aujourd’hui, ces deux passages avaient sans doute une double fonction àl’époque :a) affirmer, face à l’opposition montante du courant Réformiste, la prééminence desrituels sacramentels et d’une institution ecclésiale contestés ;b) rappeler, malgré les dévoiements d’un certain nombre de prêtres qui fontpolémique et scandale, la doctrine selon laquelle la valeur des sacrements estindépendante de celle des mains qui les administrent.

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La forme des vers 737-41, transcrivant de façon très graphique les gestes du prêtre procédant à la préparation de l’Eucharistie, n’est sans doute pas le fait du hasard. L’auteur de la pièce applique ici la méthode classique de l’église catholique médiévale qui sait donner la parole au Diable pour mieux contrer ses affirmations. Wortham a tout à fait raison de rappeler (Voir sa note v.765-68, p. 50) que la voie médiane ainsi dessinée entre les critiques et la restauration de la règle était celle de Groote et, plus près de la date de la pièce, celle préconisée par érasme.

phase 7 : vv. 772-886 – le mourant prépare sa fin (et/ou) son éternitéCette dernière partie du trajet spirituel et physique de Tout-Homme n’est pas la plus aisée, même si le héros est maintenant réconcilié avec son départ. Entouré de ses amis que Bonnes oeuvres et Conscience ont rassemblés autour de lui (655-83), il les appelle à avancer avec lui vers la Mort. Leur groupe uni autour de la Croix (778) constitue une image scénique qui contraste fortement avec les désertions amicales de la première partie.a) 778-80 : L’Europe, celle du Sud et des campagnes surtout, d’avant la deuxième guerremondiale peut conforter la lecture que Cawley (et Wortham à sa suite) fondent surdes témoignages littéraires médiévaux, rappelant l’ancienne coutume de glisser unCrucifix entre les doigts du gisant près de la fin. Ce signe de réconciliation, marquantl’intention des proches d’assurer au mourant la « bonne mort », l’accompagnefréquemment au tombeau.b) 780-93 : Unis par ce signe, les quatre amis qui l’assistent font l’ultime promessede le suivre jusqu’au bout (781-87). Tout-Homme n’a plus qu’à donner lui-même lesignal de son départ d’où tout regret de quitter la vie a maintenant disparu (788-93).Abandonnant volontiers « le monde et tout son or », il appelle lui-même ce départde ses vœux (790-91).c) La toute dernière étape est celle, cruelle, de l’ultime « reddition » jusque-là oubliéelors de la préparation spirituelle au départ. C’est en fait l’adieu aux différentesfonctions physiques accompagnant la vie, et que le trépas dissout une à une. Cesdéparts successifs commencent par celui de Beauté, qu’épouvante la perspective dutombeau (794-99). D’une tout autre signification que la fuite des « amis » sollicitésplus tôt, ils représentent le lent retrait de la vie, depuis Beauté et Force jusqu’auJugement et aux Cinq Sens. Si Conscience demeure encore un peu, c’est BonnesŒuvres, trace des actes de sa vie, qui seule suit le héros jusqu’au bout (873). Cettevie se termine, à la chrétienne, par une ultime prière de supplication à Dieu et à laVierge, avant que ses derniers mots soient ceux d’abandon du mourant à la mercidivine. Ils sont prononcés dans leur forme rituelle, en latin, ou plutôt (comme le

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théâtre religieux anglais nous y a habitués) sous une forme « macaronique », mi-latin, mi-anglais, et ainsi comprise de chacun (880-87).

876 : Le dernier mot d’accompagnement au mourant au bord du dernier souffle est laissé à Bonnes Oeuvres qui répète encouragement et promesse d’intercession. Ses promesses successives ont bien été tenues. Le Messager n’a pas été démenti.

phase 8 : vv. 887-921 – Mort de tout-Homme et commentaire final880-86 : Répétons ici, avec A.C. Cawley, l’avertissement déjà donné que le jugementindividuel réservé à l’âme de Tout-Homme à son trépas, la laisse en attente (enPurgatoire possiblement) jusqu’au Jugement Dernier qui, lui, s’applique à tous.

888 : Il faut attirer l’attention sur la remarque primordiale que fait Wortham, après d’autres avis critiques, à propos de ce vers (voir aussi Voc).

Conscience, s’improvisant commentateur, à la lisière du spectacle que vient de clore le trépas de Tout-Homme, change de rôle, comme Wortham le note après Moran, 1972, Biblio). Il faut compléter cette remarque critique par celle, plus générale, que c’est là l’exemple d’une pratique qu’affectionne le théâtre médiéval et post-médiéval anglais (et que n’oublieront pas tout à fait les Elisabéthains). Il s’agit de celle, généralement fructueuse, qui utilise la marge du spectacle (ainsi, le Messager qui ouvre la pièce) pour y employer parfois des rôles intradramatiques qui endossent instantanément la fonction nouvelle d’intermédiaires ou « huissiers » dramatiques. Leur rôle de commentateur, mi porte-parole du dramaturge, mi-écho du spectateur, associe ce dernier au jeu, aux lisières de la pièce. Seuls, la Commedia et le cirque populaire ont su conserver cette bonne pratique. (Biblio, Lascombes 2007)

888-93 : On notera enfin que la fonction chorique de Conscience sert admirablementla mise en scène dépouillée propre au théâtre pauvre qu’est le théâtre médiéval oude la prime Renaissance. Ce personnage aide ici le spectateur à imaginer le chant degloire des anges accueillant l’âme là-haut. Il invite le spectateur à entendre avec lui-même la voix de l’ange qui salue cette arrivée (894-901).

902-921 : Pendant exact du messager, Le Docteur vient confirmer le sens de la piècepar le commentaire du théologien autorisé qu’il est supposé être. Résumant unedernière fois la pièce (jusqu’à satiété, ne craignons pas de le souligner pour le lecteurd’aujourd’hui), il précise à nouveau que les actes, plus que la grâce de la foi, sont lacondition du Salut, si du moins la personne prend la précaution de mourir avec les

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sacrements. Il évoque enfin la réalisation, au Jugement Dernier, d’un article essentiel de la foi selon le Credo catholique romain : l’assurance d’une Résurrection où âmes et corps seront réunis (919).

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EverymanIntroduction d’André Lascombes

coll. « Traductions introuvables : Théâtre Anglais Médiéval », 2010, p. 1-4, mis en ligne le 10 février 2010,

URL stable <https://sceneeuropeenne.univ-tours.fr/traductions/genre-humain-mankind>.

Théâtre anglaisest publié par le Centre d’études Supérieures de la Renaissance

Université François-Rabelais de Tours, CNRS/UMR 6576

Responsable de la publicationPhilippe Vendrix

Responsables scientifiquesRichard Hillman & André Lascombes

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Reproduction soumise à autorisation.ISSN 1760-4745

Date de créationjuin 2008

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Plus sans doute que la traduction de toute autre pièce de la période destinée à la lecture et au jeu théâtral aujourd’hui, celle de Everyman présente des exigences contradictoires, de nature différente mais également impérieuses. évoquons-les par ordre croissant d’importance.

Conserver la simplicité familière d’une langue orale accordée aux émotions violentes et fondamentales du personnage éponyme brutalement confronté à la Mort, voilà le premier objectif. D’autant que cette simplicité ne fait qu’exalter la gravité du drame. Sa rhétorique, essentiellement simplificatrice, tour à tour naïve ou sentencieuse, exploite à la fois le donné théologique et la mission catéchétique que se donne la pièce, mais aussi les émotions élémentaires et éternelles liées au thème de la mort prochaine. La leçon théâtralisée qu’elle donne, plaçant continûment le personnage éponyme devant le lecteur-spectateur, réussit tout ensemble à souligner les enjeux idéologiques et nourrir l’implication du spectateur.

À cet objectif, programme naturel de toute traduction, s’ajoute un autre impératif lié au statut de la pièce anglaise qui, c’est avéré aujourd’hui, est la traduction d’une pièce flamande des

Everyman, la problématique d’une traduction

André LascombesCentre d’études Supérieures de la Renaissance, Tours

EVERYMAN – iNtRoductioN p. 1-4

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1. A. Crépin, H. Taurinya Dalby, Histoire de la Littérature anglaise du Moyen Âge, Paris, Nathan, 1, p. 122, pour l’expression rapide d’une vue déjà longuement accréditée.2. Un article, nécessairement postérieur à la traduction, documente certains aspects majeursde cette stratégie (« Notes pour la problématique de l’énoncé et du vers d’Everyman », BAM, Bulletin des anglicistes médiévistes, n°76, hiver 200) p. -67

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années 145, Elckerlijc¹. Cette dépendance pèse, qu’on le veuille ou non, sur toute entreprise de re-traduction soucieuse du protocole élémentaire de l’acte de traduire, soit de conserver le plus possible des éléments de formalisation adoptés (dans notre cas par le traducteur Tudor) en tentant de transcrire les effets formels de l’œuvre de départ. Dans la pièce flamande, la prosodie est fondée sur une charpente accentuelle presque toujours régulière et des quantités syllabiques à peu près stables, même si les déplacements d’accent en modulent aisément le rythme. Usant par ailleurs d’un système de distiques à rimes majoritairement plates, la prosodie néerlandaise, d’une sobre simplicité, propose une forme sonore que l’oreille et l’esprit captent aisément. Le traducteur anglais a eu la tâche difficile de transposer ce système très cohérent en une forme qui veut s’inscrire dans une tradition anglaise encore composite, empruntant à la fois à la structure syllabique et à une rythmique accentuelle. Soucieux par ailleurs, comme on l’a noté plus haut, de conserver la spontanéité d’une expression que bouscule l’urgente violence de la pensée et des émotions, il propose pour finir une versification susceptible d’excéder largement un mètre commun, où le nombre d’accents et de syllabes fluctue largement. Dans le même temps, truffant ses énoncés de multiples inversions syntagmatiques et de chevilles qui participent d’une stratégie globale, il élabore un système lui aussi variable de rimes, imparfaites selon nos critères, ou de simples assonances2. On voit mieux désormais le défi que la pièce propose au traducteur.

Celui-ci a tenté de son mieux de répondre à la gageure et de produire in fine un texte qui, respectant autant que possible les énoncés de départ et conservant quelque écho des solutions du scripteur Tudor, tienne en bouche et passe la rampe. Soucieux d’éviter la rigidité monotone et dangereusement classicisante d’un mètre unique, et de conserver de l’énoncé anglais les incessantes modulations du rythme et du ton, il a eu recours à des mesures diversifiées, depuis la prestesse de l’hexamètre et la vivacité de l’octosyllabe jusqu’à l’encombrante mesure de quatorze syllabes. Quand il a su le faire, il les combine en associations, certes passagères et approximatives, chargées de transcrire la simplicité flexible, tour à tour naïvement familière ou brutalement sérieuse et poignante, des conteurs et fabulistes de la tradition française. Il s’est même résigné à faire boiter le dodécasyllabe dont l’anachronique régularité s’imposerait trop aisément aux oreilles françaises. Il a enfin emprunté à la pratique française qui, dès avant même la Renaissance et jusqu’à l’Âge Baroque et l’écriture

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. Jeanette Zwingenburger, The Shadow of Death in the Work of Hans Holbein the Younger, London, Park-stone Press, 1. Voir, « Der Ritter », p. 125. 4. Everyman, Geoffrey Cooper & Chistopher Wortham (eds.), Nedlands, University of WesternAustralia Press, 180.

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classique, a su user libéralement des inversions de syntagmes pour garantir le retour de la rime, au point qu’aujourd’hui encore l’oreille du spectateur sait trouver dans ces déplacements inusités une attente ludique que vient récompenser la finale. Il n’en est pas moins conscient des insuffisances criantes de ses compromis, même si, faute de toujours respecter les variations de schémas rimés ou assonancés, ou, encore les agencements strophiques, il a eu à cœur de conserver la plupart des rimes qui, à la façon d’un échange de balles, lient les propos de différents « entreparleurs ».

Sur un autre point, moins crucial au demeurant, il a dû composer aussi. Comme d’autres pièces du théâtre allégorique, Everyman présente des personnages dont le référent intellectuel ou moral est certes dénoté, mais dont il est parfois difficile de dire quel(s) personnage(s) humains peuvent les représenter à la scène. Cet écart entre signifiant théâtral et signifié allégorique (ou mythique) concerne le genre comme le nombre. Si le nombre ne fait guère problème (on s’accommode de ce que Biens-de-ce-Monde ait un référent singulier et Tout-Homme un référent pluriel), il en va autrement du genre en français. À l’inverse de l’anglais, on le sait, le français impose de désigner les personnages par des substantifs grammaticalement « sexués ». Cela reste sans conséquence tant que le texte n’impose pas de genre précis (Parenté, Cousin, Cinq-Sens) ou bien lève toute incertitude (Confession, Vigueur). Mais un problème se posait pour Mort que l’imaginaire français féminise, alors que la tradition germanique voit un squelette armé d’une lance (cf. vers 76) comme la représente la gravure de Holbein pour « Les Simulachres et historiées faces de la mort »3. Le biais adopté aux vers 78 (« de ses amis »), et 854 (« ami sûr ») accorde le texte écrit à cette tradition tout en conservant à l’auditeur le bénéfice d’un énoncé oral compatible. Pour les personnages incarnant qualités psychiques ou vertus, enfin, on a respecté l’abondante tradition iconographique qui allégorise les grandes vertus sous des traits féminins (comme dans The Castle of Perseverance, entre autres). Ce choix est aussi en accord avec la place décisive faite ici à l’incarnation de la charité efficace qu’est Bonnes-Œuvres, ainsi qu’à l’image, souvent invoquée dans cette pièce ouvertement catholique, de la Vierge Marie, médiatrice à l’heure de la mort.

Pour la commodité du lecteur d’aujourd’hui, le traducteur a décidé de conserver les didascalies que A.C. Cawley ajoute au texte original dans l’édition de 161 dont s’inspire pour l’essentiel celle de Geoffrey Cooper et Christopher Wortham adoptée ici4. S’il revendique l’entière responsabilité de ses choix, il a plaisir à rendre

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5. Il s’agit, pour être tout à fait clair, de la traduction-édition d’un recueil de pièces du Théâtre de la Renaissance anglaise. Cette entreprise, entamée dès 14, vient d’aboutir à la publication des deuxvolumes parus sous ce titre dans la collection « Pléiade » de Gallimard, et d’où la présente traduction fut exclue.

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hommage aux aides précieuses dont il a bénéficié au long de son travail. D’abord de la part du professeur Paul Bacquet, dont les avis linguistiquement pertinents l’ont guidé tout au long d’une collaboration fructueuse entamée dès 15 pour la publication alors prévue de la pièce, et que sa disparition a interrompue beaucoup trop tôt5. Le traducteur a bénéficié aussi des conseils théâtralement judicieux de Laure Mandraud et de Bertrand Suarez Pazos, comédiens rompus aux textes de la période proto-moderne, ainsi que de nombreuses améliorations stylistiques dues à la sensibilité vigilante de son épouse. Il lui est enfin agréable d’exprimer sa vive reconnaissance à plusieurs collègues et amis qui lui ont apporté de précieux avis. De longue date, ceux de Luc Bergmans, maître de Conférences de littérature et civilisation néerlandaises à l’Université de la Sorbonne-Paris 4, et chercheur au CESR de Tours, qui a bien voulu lui faciliter l’examen comparatif avant traduction de plusieurs passages des versions anglaise et néerlandaise de la pièce. Dès la première esquisse, vers la fin de 15, Jean-Marie Maguin, Professeur de littérature anglaise à l’université de Montpellier , maintenant Emérite, lui a apporté l’encouragement d’une approbation qu’il a bien voulu répéter début 2008 quand il a eu en main l’un des derniers états de ce travail. Plus tard et très continûment, c’est à Jean-Paul Débax, professeur Emérite de littérature anglaise à l’Université de Toulouse , qu’il devra une relecture éclairée et des avis infiniment précieux. Enfin, il doit à son plus proche collègue Richard Hillman, professeur de littérature anglaise à l’Université de Tours et au CESR, médiéviste éclairé et spécialiste respecté du théâtre anglais de la Renaissance, le soutien sans faille et l’aide intellectuelle qu’il a bien voulu consacrer au vieux projet d’édition-traduction des textes dramatiques anglais de la période Tudor. Projet qu’inaugure finalement la présente publication. À la Direction du CESR, à ses cadres administratifs, mais aussi, et très précisément, à ses services techniques et d’édition, il est extrêmement redevable. Qu’ils trouvent ici l’expression de sa vive et amicale reconnaissance pour avoir solidement encouragé et parfaitement encadré la réalisation technique de ce projet.

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EverymanIntroduction d’André Lascombes

coll. « Traductions introuvables : Théâtre Anglais Médiéval », 2010, p. 1-40, mis en ligne le 10 février 2010,

URL stable <https://sceneeuropeenne.univ-tours.fr/traductions/genre-humain-mankind>.

Théâtre anglaisest publié par le Centre d’études Supérieures de la Renaissance

Université François-Rabelais de Tours, CNRS/UMR 6576

Responsable de la publicationPhilippe Vendrix

Responsables scientifiquesRichard Hillman & André Lascombes

Mentions légalesCopyright © 2010 - CESR. Tous droits réservés.

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Reproduction soumise à autorisation.ISSN 1760-4745

Date de créationjuin 2008

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PERSONNAGES

DieuMessager Conscience

Mort ConfessionTout-Homme BeautéCompagnon Vigueur

Parenté DiscernementCousin Cinq-Sens

Biens-de-Ce-Monde AngeBonnes-Œuvres Théologien

EVERYMAN – TRAducTioN p. 1-40

The Summonig of Everyman, La Sommation de Tout Homme

André LascombesCentre d’études Supérieures de la Renaissance, Tours

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Ici commence un « traité » qui dit comment Le Très Haut Père des Cieux envoie Mort assigner à comparaître Toute-Créature pour lui livrer bilan de sa vie en ce

monde : ceci en forme de pièce morale.

Messager Vous tous ici, je vous en prie, soyez tout ouie,Et avec révérence entendez cette histoireEn forme de pièce morale.La sommation de Tout-Homme – c’est son nom –

Par notre vie et notre mort nous montre et fait leçon1

Que vie d’homme chaque jour est transitoire.Admirable et précieuse est l’histoire,Trésor de grâce est sa leçon,Si douce aussi à la mémoire.

10 L’histoire dit : «Homme, dès ton début,Prends bien garde et songe à ta fin,Si plein de vie que tu puisses être !En ton début pécher bien doux te semblera,Mais sur ta fin ton âme en pleurera,

1 Lorsque ton corps en terre pourrira.»Ici, vous verrez comment Compagnie et Gaîté,Mais aussi Force, Plaisir et BeautéSe fanent et tombent comme fleur de Mai.Vous y entendrez le Roi de Paradis

20 Assigner Tout-Homme à livrer son bilan.Soyez tout ouie, entendez bien ce qu’Il dit.

Dieu parle Moi, sis ici en Majesté, je vois là-basComment toutes créatures ont trahi ma nature2,

1 v. (Voc) Shewes : ce verbe, que reprend ma traduction, explicite la double nature, verbale et théâtrale, de l’œuvre. vv. 1-21 : La double nature de la pièce, à la fois traité et spectacle, est fermement soulignée dans le Prologue et sera plusieurs fois rappelée (près de quarante fois) dans le détail textuel : (vv. 89,98,212,223, etc.), ainsi que par des images ou actions dramaturgiques fortes (vv. 43, 04-7, par ex.). Voir les notes 2, 3, , 10,1, ainsi que Lascombes, « Paradoxe et spectacle dans Everyman », Everyman, (Actes des colloques de Janvier 2009, Toulouse-Le Mirail et Nancy 2), éds. C. Stevanovitch et al., AMAES, Grendel 10, Nancy, 2009, p. 39-4. 2 v. 23: (Voc): (vnkynde = unkind) : Mis à la rime avec blynde, ce mot clé du discours de Dieu a ici le

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Vivant sans crainte dans la prospérité du monde.2 Noyé sous le péché, ce peuple est si aveugle aux cieux3

Qu’il ne me reconnaît plus, Moi, son Dieu.Les seuls Biens-de-ce-Monde occupent son esprit ;Il ne craint point mes Mérites, ni ma Croix de Douleurs4.Ma Loi, donnée à voir quand je mourus pour lui,

30 Il l’oublie tout à fait, et mon sang qui coula, vermeil.Pendu entre deux (voleurs), qui donc le niera,Pour lui rendre la vie, j’ai souffert le trépas.J’ai guéri ses pieds : or, d’épines mon front fut blessé.Je n’ai pu faire plus, pour sûr, que je n’ai fait,

3 Mais je vois aujourd’hui qu’il m’oublie tout à fait.Commet les sept péchés menant à damnation,(Orgueil, Avarice et Colère ou encore Luxure,Qui sont recommandés aujourd’hui en ce Monde)Et des anges il déserte la compagnie céleste.

40 Ainsi, Tout-Homme vit selon son bon plaisir,Pourtant, nul n’est jamais sûr de sa vie.Je vois que plus je les tolèreEt pires ils sont au fil des ans ;Tout ce qui vit se gâte sans retard.

sens fort, médiéval et renaissant, de « contraire à la nature » (Kind). Il introduit le thème de la dégé-nérescence de la race humaine oublieuse de sa spiritualité originelle, car noyée dans le matérialisme ambiant. (cf. vv. 44-49 et v. traytours deiect).vv. 23 et : Le motif de la dégénérescence de l’homme, traître à sa nature divine oubliée dans les trésors matériels de ce monde, inspire le réquisitoire de Dieu. comme dans les pièces des cycles anglais. Il constitue aussi le fil rouge du drame au long de ses deux parties : la plongée du héros dans le désespoir, puis sa lente ascension vers son destin spirituel. 3 v. 2 : L’autre thème majeur, celui de la cécité spirituelle du héros noyé dans les conforts du monde, est signifié dès le vers 2 par le verbe drowned, puis divers équivalents sémantiques (blinded, see, show) sont répétés au long du drame. Comme le rappelle la note 1, ce thème est théâtralisé par des répétitions textuelles (v. 89, 98, 212, 223, etc.) et par diverses images et actions dramatiques.4 v. 28 : (Voc) my ryghtwysnes : la formule classique des « mérites du Christ » que reprend ma traduc-tion renvoie à la théologie du Rachat qu’explicite le Commentaire explicatif. ( voir (C) 28-3).v. 28 rod : dans cette graphie ambiguë (peut-être involontairement) du MA rode, selon que l’on choisit la leçon des éditions A ou B du texte, le présent traducteur (à l’inverse de traducteurs plus récents) a choisi de lire l’équivalent du moderne rood, ( « jubé » ou « croix »). Cette lecture s’ aligne sur la logique profonde du passage et de toute la pièce. Le sous-sens de rod = « règle » a été écarté puisque la Croix exprime ici la règle d’amour (et non de fer), raison profonde de la Rédemption de l’homme par le Christ.

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4 Aussi je veux, en toute hâteRéclamer à Tout-Homme ses comptes ;Car si je laisse ainsi à eux-mêmes ces gens,Proie des tempêtes et d’une vie de mal,Ils seront pour de vrai pires que l’animal,

0 Prêts qu’ils sont, par envie, à s’entre-dévorer.Tous ont ce jour oublié toute Charité.J’avais pourtant cru que Tout-HommeEn ma gloire ferait sa maison,Et les avais donc tous élus.

Mais je vois aujourd’hui que, traîtres dégénérés,Ils ne me remercient ni du bonheur pour eux prévuNi même de cet Être que je leur ai prêté.Ma grâce je leur ai proposée mille fois,Bien peu, du fond du cœur, en ont requis l’octroi.

0 Ils sont si encombrés des richesses du MondeQue sur tous, à coup sûr, doit passer ma justice :Sur Tout-Homme, s’il vit hors de ma crainte.Où donc es-tu, Ô Mort, puissante messagère ?

Mort Ici, Dieu Tout-Puissant, et à ta volonté, Pour tous tes ordres exécuter.

Dieu Va-t-en trouver Tout-Homme,Fais-lui voir de ma partQu’en un pèlerinage il faut qu’il parteEt qu’il ne pourra pas s’y soustraire ;

70 Il doit prendre avec lui ses comptes très précis,Sans aucun retard ni sursis.

Mort Seigneur, j’irai par le monde en tous sens,Pour débusquer – cruel – les petits, mais aussi les puissants.Tout-Homme, je l’assiégerai s’il vit tel l’animal,

7 Hors de la loi de Dieu, et ne craint point le Mal.

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Qui aime la richesse, de mon dard je veux le percer,Afin de l’aveugler, hors de Paradis le bouter(À moins que Charité ne soit de ses amies),L’enfermant en Enfer jusqu’à la fin des temps.

80 Mais quoi ? je vois là-bas Tout-Homme : à son pas,Il ne se doute pas qu’approche son trépas,L’esprit à son trésor ainsi qu’à ses conquêtes7.Grande peine il aura à tenir tête à têteAvec le Seigneur roi du Ciel.

8 Tout-Homme, halte-là ! Où vas-tu donc,Tout sémillant ? Oublierais-tu ton Créateur8 ?

Tout-Homme Pourquoi cette question ?Que veux-tu donc savoir ?

Mort Et bien, mon cher Monsieur, je vais te le montrer.90 Vers toi en hâte je suis dépêché

Par Sa Divine Majesté.

Tout-Homme Quoi ? Dépêché vers moi ?

Mort Eh, oui, mon cher, vraiment.Même si toi, ici-bas, tu l’oublies,

v. 7 (Voc) Dethe : l’Europe du Nord médiévale voit la Mort comme figure masculine armée d’une longue pique dont elle transperce le futur cadavre (cf. v. 7). Voir le document illustrant l’affiche des Journées Everyman de Tours (et encore Biblio, Jeanette Zwingenburger, 1999). v. 80 (Voc) yonder : même si nous ignorons tout de la représentation qui a pu (ou dû) être donnée de la pièce dans les années 10-20, le mot yonder se réfère aux conditions de mise en spectacle qui prévalent alors : l’espace scénique (chœur ou nef d’une église, hall privé ou marchand, ou autre) entouré sur trois ou quatre côtés par les spectateurs, est souvent sans clôture entre espace du Jeu et auditoire. L’acteur, entrevu dès qu’il approche de cet espace est souvent annoncé ou interpellé, parfois, comme ici, avant d’ entrer en jeu.7 v. 82 (Voc) flesshely lustes = carnal desires.8 v. 8 (Voc) thus gayly : l’adverbe ne fait sans doute pas seulement référence au vêtement, mais aussi à l’allure et aux dispositions mentales du personnage. Mort met surtout dans le mot (v. 82) l’inclination de Tout-Homme à jouir des plaisirs de la vie.

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9 Lui pense à toi, en Son Firmament9

Comme, avant notre départ, tu l’apprendras.

Tout-Homme Mais que veut donc Dieu de moi ?

Mort Je veux te le montrer, à toi :Le livre de tes comptes il veut absolument10

100 Sans attendre un autre moment.

Tout-Homme Pour lui donner mes comptes je requiers un sursis ;Cette question m’aveugle et m’obscurcit l’esprit.

Mort Pour toi, tu dois partir, et pour un long parcours.Tu prendras avec toi le livre de tes comptes,

10 Car pour toi il n’y a point de retour.Aussi te faudra-t-il bien vérifier ces comptes,Car devant Dieu il te faudra répondre,Montrer tes très nombreux méfaits et, bien plus rares, tes bien-

faits,(Comment tu as passé ta vie, ce que tu en as fait) ;

110 Tout çà devant le Haut Seigneur de Paradis.Mets-toi vite en chemin, hâte-toi11,Tu n’auras, sache-le, d’autre avocat que toi.

Tout-Homme Mal avisé je suis pour donner ce bilan.Je ne te connais pas : quel messager es-tu ?

11 Mort Je suis la Mort -qui ne craint aucun homme,Car j’arrête chacun et n’épargne personne.Et c’est de Dieu l’ordre absolu

9 v. 9 (Voc) heenly sphere : (cf. aussi 13, 1, 9) Le terme renvoie en fait à la conception pré-coperni-cienne du monde, héritée de Ptolémée. Voir (C).10 v. 99 (Voc) A rekenynge : Ce mot clé, qui illustre le thème fondamental du bilan à présenter par lemourant à son trépas, est pris ici au double sens de bilan moral et d’écrit comptable. Voir (C).11 Le traducteur a choisi la lecture de Cawley et Wortham, That thou were, différente de celle des textes A et B. Voir (C) pour explication, v. 111. (Text).

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Qu’à m’obéir tous soient bien résolus.

Tout-Homme Oh ! Mort, tu viens quand je songeais à toi si peu.120 De me sauver tu as pouvoir, absolument.

De mon plein gré je te donne, si tu accèdes à mon vœu,Oui, mille livres sont à toi, réellement,Si à plus tard tu remets cette affaire.

Mort Impossible, Tout-Homme, non, rien à faire ;12 Je n’obéis pas à l’or, la richesse ou l’argent,

Ni à Pape, empereur, roi, duc, prince ou régent ;Car si j’acceptais présents altiersJe pourrais posséder le monde entier.Mais tout contraire est mon usage :

130 Je ne te fais pas répit : hors d’ici, plus de bavardage !

Tout-Homme Hélas ! n’aurais-je donc nul répit ?On le dit bien : Mort vient sans préavis !Songer à toi me soulève le cœur,Car tout en désordre est mon livre de comptes.

13 Pour douze ans seulement si j’obtenais sursisLe livre de mes comptes je clarifierais tantQue je ne craindrais plus de donner mon bilan.Aussi, Mort, je t’en prie, par la grâce de Dieu,

épargne-moi, le temps d’y remédier au mieux.

140 Mort Crier, pleurer, supplier ne te servent de rien.Hâte-toi bien plutôt de te mettre en chemin,Eprouvant tes amis si tu peux.Car tu sais bien que le temps n’attend pas,Et qu’en ce monde toute créature

14 Pour le péché d’Adam doit mourir, par nature.

Tout-Homme Mort, si je partais en ce pélerinageEt mettais au clair mon bilan,Par la sainte charité, fais moi voir clairement :Pourrai-je pas rentrer bientôt céans ?

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10 Mort Que non, Tout-Homme ! Une fois parvenu là-bas, T’en revenir ici, jamais tu ne pourras. Tu peux m’en croire !

Tout-Homme Dieu de Merci, en ton Trône céleste, Pitié pour moi en ce besoin suprême !1 N’aurai-je point, quittant ce Val terrestre12, D’ami connu pour me conduire au point extrême ?

Mort Mais si, si quelque téméraire a le courage En ta compagnie, d’accomplir ce voyage. Hâte-toi donc plutôt vers le Dieu de Magnificence13,10 Pour donner ton bilan en Sa présence. Que crois-tu donc ? Que ta vie te fut donnée14 ? Et Biens-de-ce-Monde aussi ?

Tout-Homme Vraiment, oui, je l’ai cru1.

Mort Mais non, voyons, c’est prêtée qu’elle te fut.1 Sitôt que tu seras sorti d’ici, Un autre pour un temps l’aura, avant de s’en aller Tout comme tu l’as fait. Tout-Homme, quel fou tu fais ! De tes cinq sens tu as jouis, Pourtant, sur cette terre tu n’as pas amendé ta vie ;170 Or moi, je surviens tout subit !

Tout-Homme Prisonnier sans recours ! Où donc pourrais-je fuir1

Pour échapper au châtiment sans fin ? Voyons, ma douce Mort, laisse-moi donc jusqu’à demain Pour que je puisse m’amender,

12 v. 13- : (Voc) hye sete celestial / vale terrestrial : la note vers 9 explique ces deux locutions.13 v. 19 : (Voc) hye thee that thou were gone = hasten to get away, to get ready.14 v. 11 : (Voc) wenest thou …= do you suppose… (wenen = to imagine).1 v. 13 : (Voc) I had wende = I had thought…1 v. 171 : (Voc) wreeched caytyfe ! = unfortunate wretch / prisoner.

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17 Et au mieux m’aviser17.

Mort Non, tu n’as pas mon consentement : Je ne laisse à nul homme répit, Mais au cœur vais te frapper tout subit. Sans aviser aucunement.180 Et maintenant, à tes yeux je disparais. Veille à bientôt te préparer : Le jour est venu, dis-toi bien, Où nul vivant n’échappe à son destin.

Tout-Homme Hélas ! Je n’ai plus que mes pleurs et mes profonds soupirs ;18 Désormais pas de compagnie – quelle qu’elle soit – Pour m’aider en mon voyage, et me protéger ; De plus, tout mon bilan est en grand désarroi. Comment pourrai-je désormais me disculper ? Plût à Dieu qu’en ce monde je n’aie jamais paru18 !190 C’eût été pour mon âme un bénéfice immense, Car je crains maintenant tourments intenses dans les flammes. Mais le temps passe. Seigneur, qui créas tout, soit mon recours ! J’ai beau me lamenter, il n’en vient nul secours. Le jour s’en va, sera fini bientôt.19 Que faire désormais, je ne sais trop. À qui vaudrait-il mieux aller me plaindre ? Et si à Compagnon j’allais ma détresse dépeindre – De ce soudain malheur lui faire confidence ? Car en lui j’ai toute confiance.200 En ce monde nous fûmes si longtemps Bons amis en plaisirs et divertissements. C’est lui, pour sûr, que là-bas j’aperçois. Sa compagnie il me l’accordera, je crois ; Aussi vais-je lui parler, et ma douleur soulager.20 Bienvenu, cher Compagnon, je te donne le salut !

17 v. 17: (Voc) aduysement = careful reflection (med. Fr. S’aviser).18 v. 189 : (Voc) neuer be gete = never be begotten / born.

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Compagnon parle

Compagnon Tout-Homme, par ma foi, à toi aussi, salut !Mais quoi, l’ami, pourquoi l’air accablé ?Si quelque chose ne va pas, je t’en prie, dis-le-moi,Que je t’aide à y remédier.

210 Tout-Homme Oh oui, cher Compagnon, oh oui ! grand péril je suis réduit.

Compagnon Très cher ami, laisse voir le fond de ton coeurJe ne t’abandonnerai pas avant ma dernière heure,Mais t’accorderai bonne compagnie.

21 Tout-Homme C’est fort bien dit, et ton cœur y est écrit.

Compagnon Ami, je veux savoir : pourquoi cette tristesse ?C’est grand pitié de vous voir en détresse.Si l’on vous fit du mal, vous en serez vengé :Quand je devrais tomber pour toi, perdre la vie,

220 Et même si d’avance j’en recevais avis.

Tout-Homme Pour de vrai, Compagnon, à toi mille mercis.

Compagnon Pas de chichis ! De tes mercis je n’ai que faire.Fais voir ton coeur, c’est toute mon affaire.

Tout-Homme Si je devais mon cœur te dévoiler,22 Et que tu détournes de moi ton esprit

Après que j’ai parlé, refusant de me consoler :Alors mon chagrin serait dix fois pis.

Compagnon Ami, ce que je dis, je le ferai, promis !

Tout Homme Alors, en mon besoin j’aurai un véritable ami.230 Vous fûtes jusqu’ici un homme de parole.

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Compagnon Et toujours vous me verrez dans ce rôle.Car, au vrai, si en Enfer tu descends,Sur le chemin je ne t’abandonne point.

Tout Homme C’est parler en ami véritable et je vous crois.23 Je tâcherai de vous le revaloir, comptez sur moi.

Compagnon Qui parle de revaloir ? Ah non ! Par ma foi,Qui ne fait rien alors qu’il a promisN’est pas digne d’aller en bonne compagnie.Aussi, montre ton cœur, dis moi ce qui t’oppresse

240 Comme à ton ami proche et tout plein de tendresse.

Tout-Homme Voyez donc ce qu’il en est.J’ai reçu ordre de m’en aller en un voyageQui sera long, rude et périlleux,Pour donner mon bilan, très précis, sans délai,

24 Devant le très Haut Juge Adonai.Aussi, je vous en prie, tenez-moi compagnie,Pour faire ce voyage, comme promis.

Compagnon Holà ! C’est du sérieux ! Certes, promettre engage,Mais si je partais pour ce voyage,

20 Ce serait, je le sais, à mon désavantage.De plus, il m’effraie, vraiment, ce voyage !Mais parlons-en ici, tous deux, de notre mieux :Car vos propos terrifieraient un preux.

Tout-Homme Pourtant, vous avez dit qu’en cas de besoin,2 Mort ou vif, vous ne me laisseriez sans soins,

Et même si j’allais en Enfer, carrément.

Compagnon Oui, je l’ai dit, assurément,Mais oublions ces plaisirs-là, ma foi19 !

19 v. 28 : (Voc) pleasures, pour la valeur de cette plaisanterie empruntée, voir (C).

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D’ailleurs, si nous faisions pareil voyage, toi et moi,20 Quand donc serions-nous de retour ?

Tout-Homme Eh bien, jamais bien sûr, avant le Dernier Jour.

Compagnon En ce cas, ma foi non ! Jamais je ne bougerai d’ici ! Mais qui t’a appporté ces nouvelles ?

Tout-Homme A dire vrai, Mort était ici, avec moi.

2 Compagnon Eh bien, par le Dieu qui tous nous a rachetés, Si Mort était le messager, Il n’y âme qui vive en ce jour Pour qui j’entreprendrais ce répugnant parcours – Pas même pour le père qui me donna la vie.

270 Tout-Homme Mais, par Dieu, toute autre promesse tu fis.

Compagnon Je sais bien que j’ai promis, c’est certain. Pourtant, si c’est pour bien manger, boire, faire la vie, Partager de catins l’aimable compagnie, Je ne vous abandonne pas tant que ce jour resplendit ;27 Croyez ce que j’en dis.

Tout-Homme Vous y seriez tout prêt, pardi ! Vous amuser, jouer, prendre du bon temps, Cela vous agréerait bien autrement Que de m’accompagner en mon long voyage.

280 Compagnon Non, par ma foi, je ne ferai pas ce voyage ! Mais pour assassiner si tu veux un tueur, Alors, je puis t’aider de tout mon coeur !

Tout-Homme Ce sont là balivernes, assurément20 !

20 v. 283 : (Voc) symple advice : « l’adjectif symple » (poor, pitiful, nearly silly) est sévère mais juste, soulignant la superfi-cielle inconséquence de Compagnon.

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Bon compagnon, aidez-moi donc en ce crucial besoin !28 Depuis longtemps sommes amis : voici qu’il faut m’aider, vrai-ment ! C’est le moment, bon Compagnon, de ne pas m’oublier.

Compagnon Non ! Que tu aies été mon ami, ou pas, Par Saint Jean, avec toi je n’irai pas21 !

Tout-Homme Pourtant, je t’en supplie, accepte ce devoir, pour moi consens au moins290 Par sainte Charité, à me conduire un peu plus loin, Et me réconforter jusqu’au sortir de la cité.

Compagnon Non pas : même pour avoir de toi robe neuve, Non, je ne ferai pas un seul pas avec toi. Mais si tu restais ici, je ne t’aurais pas abandonné.29 Pour l’heure, qu’en ton voyage Dieu te fasse conduite : Je prends congé de toi et m’en vais au plus vite.

Tout-Homme Où vas-tu, Compagnon, ? Veux-tu m’abandonner ?

Compagnon Oui, par ma foi ! A Dieu je m’en vais te donner.

Tout-Homme Adieu, bon Compagnon ! De te quitter j’ai le cœur tout serré.300 A tout jamais adieu ! Plus jamais je ne te reverrai.

Compagnon Ma foi, Tout-Homme, bonne route jusqu’à ton extrémité ! Pour toi, je me souviendrai que c’est douleur de se quitter.

Tout-Homme Hélas, hélas, va-t-on se quitter tout de bon ? – Ha ! Bonne Mère, à l’aide !- De personne nul réconfort ?30 Voyez donc ! Compagnon m’abandonne en ce besoin suprême. Pour quelque aide en ce monde, où donc chercher renfort ?

21 v. 288: (vv. 33- et 800) (Voc) by saynt Iohan, etc. Ces appels aux saints, invocations désémantisés et proches du blasphème, proférés par ceux qui cherchent à couvrir leur fuite, sont à opposer aux invocations de Tout-Homme à Marie. voir (C), Voir aussi J. Dor, Everyman, Nancy, 2009 (p. 138, n. 1).

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Entre Compagnon et moi jusqu’ici, c’était fêtes et fredaines Or lui, désormais, prend si peu de part à ma peine. On le dit : « Dans la prospérité on a beaucoup d’amis,310 Mais dans le malheur tous vous renient »22. Et maintenant, où irai-je chercher secours, Puisque Compagnon m’abandonne ? Vers ma Parenté j’irai, assurément, Les prier de m’aider : mon besoin est urgent.31 Je crois qu’ils ne refuseront pas, A faire l’impossible famille est toujours prête. J’irai donc leur parler car là-bas je les vois. Amis et parents, êtes-vous, là, près de moi ? Est-ce vous, Parenté Oui, à vos ordres nous voici.320 Mon parent, dites-voir vos souhaits, je vous prie, Sans vous gêner et quels qu’ils soient.

Cousin C’est çà, Tout-Homme, déclarez-nous, par ma foi, Si vous avez projet de partir et vers où, Car, sachez-le, c’est « à la vie à la mort » entre nous.

32 Parenté Par tourmente ou ciel radieux nous restons à vos côtés, Car sur sa parenté on peut par tous temps s’accoter.

Tout-Homme Merci à vous, chers amis et parents, Voyez donc maintenant mon cœur et son tourment. J’ai eu ordre d’un messager330 D’un roi puissant grand officier, De faire pèlerinage pour mon châtiment, Sachant que je ne reviendrai jamais céans. En outre, je dois donner un bilan très précis, Car en embuscade m’attend un grand ennemi33 Qui entend bien me capturer.

Parenté Et quel est ce bilan qu’il vous faudra donner ? C’est là ce que je veux savoir.

22 v. 309-10 : le motif du reniement humain, au long des divers abandons du héros par ses familiers fait écho au reniement de Dieu par les hommes.

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Tout-Homme De tout ce que j’ai fait, je dois donner bilan – À quoi j’ai passé mes jours et comment j’ai vécu.

340 Aussi, quels actes vils j’ai commisDurant la vie qui m’est échue,Et tous les actes valeureux que j’ai refusés.Aussi, je vous en prie, venez m’accompagner,M’aider à mon bilan, par sainte Charité.

34 Cousin Comment ? Partir là-bas ? Est-ce là ton affaire ?Ah non, Tout-Homme, jeûner de pain et d’eau je préfèrePendant cinq ans et plus encore.

Tout-Homme Hélas ! avoir vécu ma vie ; comme je le déplore !Plus jamais je n’aurai de joie

30 Si vous allez m’abandonner.

Parenté En vérité, Monsieur, vous êtes fort plaisant !Reprenez donc courage et cessez de gémir.Sur un point, par Sainte Anne, il me faut être franc :Car s’il ne tient qu’à moi, seul vous allez partir.

3 Tout-Homme Et vous, Cousin, ne m’accompagnez-vous pas ?

Cousin Par Notre-Dame, non ! J’ai la crampe à l’orteil et ne peux faire un pas.Ne comptez pas sur moi, car par le Dieu d’en Haut,C’est au pire moment que je ferai défaut.

Parenté Pourquoi vouloir nous enjôler ?30 Emmenez donc ma bonne, de tout cœur j’y consens ;

Elle adore les fêtes, s’y faire cajoler,Danser et prendre du bon temps.Pour vous accompagner je lui donne congé,Si elle et vous vous arrangez.

3 Tout-Homme Voyons, faites-voir franchement vos pensées :Venez-vous avec moi ou restez-vous ici ?

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Parenté Rester ici, oh oui ! Cela me convient, si je puis !Et donc, jusqu’à une autre fois, adieu.

Tout-Homme Comment me réjouir, comment être joyeux ?370 Quand tous me font belles promesses,

Puis m’oublient en ma pire détresse ?On me trompe, et j’en suis malheureux.

Cousin Tout-Homme, cher cousin, je te dis donc adieu.À dire vrai, je ne veux pas t’accompagner.

37 D’ailleurs mon compte à moi est si mal fait en mes livres,Qu’il me faut les revoir : je ne puis donc te suivre.Maintenant, Dieu te garde. Et pour moi, je m’en vais.

Tout-Homme Ah, doux Jésus ! C’est donc ainsi que tout va s’achever ?Voyez, les belles promesses qui plaisent à gens fols !

380 Mais promesses passées, les paroles s’envolent.Parenté m’a promis sur sa foiDe rester sans faute avec moi.Or voici qu’elle s’enfuit en vitesse.De la même façon, Compagnon tint promesse.

38 Quel ami vaudrait-il mieux solliciter ?Je perds mon temps ici à musarder.Une chose pourtant m’occupe encore l’esprit :Richesse fut tout l’amour de ma vie.Or, si Biens-de-ce-monde pouvait aujourd’hui m’être une aide,

390 Mon cœur, certes, en serait tout aise.Je m’en vais lui conter ma présente détresse.Où êtes-vous, mes Biens-et-mes-richesses ?

Biens-de-ce-Monde Qui donc m’appelle ? Tout-Homme ? Es-tu donc si pressé ?En tous coins je gis ici, en hautes piles troussé,

39 En coffres étroitement cadenassé,Mais aussi – tu le vois– en sacs bien empilés ;Je ne puis donc bouger, du fond des piles où je gis.Que te faut-il ? Dis-le-moi vite.

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Tout-Homme Approche, Biens-de-ce-Monde, le plus vite que tu peux.400 J’ai besoin d’un conseil de toi.

Biens-de-ce-Monde Maître, si en ce monde peine ou malheur t’échoit, A y trouver remède je puis t’aider sur l’heure.

Tout-Homme Mais c’est un mal tout autre qui m’afflige Il n’est pas de ce monde, sache-le bien,40 Car de partir on m’a enjoint, Pour présenter, complet et précis, mon bilan Devant le Très Haut, des Jupiter le plus puissant. Toute ma vie j’ai eu de toi plaisirs et joies ; Aussi, je t’en supplie, viens avec moi.410 Peut-être pourras-tu, devant le Tout-Puissant M’aider à rectifier, apurer mon bilan. Car on le dit communément, « Tous maux sont guéris par l’argent. »

Biens-de-ce-Monde Que non, Tout-Homme, l’air que je chante est différent.41 Je ne suivrai personne en tels voyages, Car, si je partais avec toi, Tu t’en trouverais plus mal à cause de moi. Parce que j’ai trop été au cœur de tes pensées Ton oeil ne peut plus lire ton bilan trop taché.420 Impossible, pour sûr, de rectifier tes comptes : Tout çà pour m’avoir trop aimé !

Tout-Homme De quel violent chagrin j’aurais le cœur étreint Si c’était là le verdict lors du terrifiant bilan. Debout, viens, et partons maintenant !

42 Biens-de-ce-Monde Non, impossible ! je suis trop fragile pour faire tel chemin. Personne je ne suivrai d’un seul pas, c’est certain.

Tout-Homme Hélas, je t’ai aimé et eu grande liesse A vivre chaque jour de Mes Biens-et-Richesses.

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Biens-de-ce-Monde Cela te vaudra damnation, sans mentir.430 Car l’amour éternel s’oppose à celui que j’inspire.

Si, à l’inverse, tu m’avais aimé modérément,En consacrant aux pauvres un peu de ma substance,Tu ne serais pas en si grande souffrance,Pénétré de tristesse, affligé de soucis.

43 Tout-Homme Voyez donc tous : comment je fus trompé avant d’avoir compris23.Aussi, d’avoir perdu mon temps je me fais grand reproche24.

Biens-de-ce-Monde Quoi ? Tu croyais m’avoir à toi ? dans tes poches ?

Tout-Homme Oui, vraiment, je l’ai cru.

Biens-de-ce-Monde Eh bien, c’est non, Tout-Homme, je t’assure, c’est non !440 Pour un temps je te fus prêté :

Saison qui, grâce à moi, te fut prospérité.Par ma nature, en l’homme je tue l’âme,Et pour un que je sauve, c’est mille que j’envoie aux flammes2.Crois-tu donc que je vais te suivre ?

44 Non ! Hors du Monde, jamais je ne peux vivre. Quitter ce monde, non, jamais !

Tout-Homme Je croyais le contraire.

Biens-de-ce-Monde Vois ! Biens-du-Monde est là pour te voler ton âme.Après ta mort – car c’est là ma pratique –J’en tromperai un autre, à l’identique,

40 Tout comme toi ; tout çà pour détruire son âme.

Tout-Homme Ô, Mes-Biens ! Que tu es fourbe ! Maudit sois-tu !

23 v.43 : Lo = look. À ce point clé du drame où tout commence à s’inverser pour le héros, l’auteur croit bon de rappeler la proximité du public et la nécessité pour lui d’être spectaculairement vigilant. (Voc) or, forme seconde de er = before.24 v. 43 : (Voc) wyte(n) = to blame (upon), to ascribe (to). Le sens du syntagme est donc : « And I can blame everyrthingupon the wasting (spending) of my tyme (my life) ».2 v. 443 : (Voc) Le verbe M.A. spyllen (« détruire », « ruiner ») mis à la rime avec kyll, résume la paradoxale leçon desanté spirituelle qu’administre au héros l’incarnation du mal absolu. Voir (C).

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Car tu es traître à Dieu pour m’avoir abusé, Et capturé dans tes filets !

Biens-de-ce-Monde Non, Bonne Mère, tu t’y es de toi-même jeté ;4 Mais je m’en réjouis. Je ne saurais m’en attrister. Vois donc, j’en ris !

Tout-Homme Hélas, Mes-Biens ! L’amour de mon cœur longtemps tu l’as eu. Je t’ai donné ce qui au Très Haut était dû. Ne viendras-tu pas avec moi, en vérité ?40 Dis-moi, je t’en supplie, la vérité.

Biens-de-ce-Monde Çà non, je ne viens pas, à Dieu ne plaise ! Aussi, porte-toi bien, et à toi le bonjour.

Tout-Homme Las ! À qui donc vais-je adresser ma plainte, Qui puisse m’accompagner en ce pénible voyage ?4 Le premier, Compagnon promit de m’accompagner, Propos fort plaisants il me prodigua, Mais ensuite seul il m’abandonna. Je m’en fus donc, désespéré, trouver ma Parenté, Eux aussi me tinrent beaux propos,470 Me faisant mille belles paroles. Mais pour finir, tous m’ont laissé le bec dans l’eau. J’allai voir ensuite Mes-Biens, le mieux aimé de tous . J’en espérais réconfort, mais je n’y ai rien trouvé du tout. Car Mes-Biens d’un ton sec m’a dit47 Que beaucoup de gens en enfer il expédie. Alors, la honte m’envahit : Pour cela je dois être honni, Et suis tout prêt à me haïr. De qui pourrais-je conseil requérir ?480 Je crains fort de ne m’en tirer jamais Tant que de Bonnes-Œuvres je ne puis approcher. Celle-ci, hélas, est si affaiblie Que de parler ou bouger elle n’a plus l’énergie.

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Je me risque pourtant à la solliciter.48 Bonnes-Œuvres, où donc es-tu ?

Bonnes Œuvres Ici, gisant à terre, toute transie.Tes péchés m’ont si bien ligotéeQue j’en suis tout paralysée.

Tout-Homme Bonnes- Œuvres : je suis là, terrorisé ;490 De toi j’implore un conseil

Qui maintenant, m’aiderait à merveille.

Bonnes Œuvres Tout-Homme, j’ai comprisQu’ordre te fut donné de porter ton bilanDevant le Roi de Jérusalem, notre Messie.

49 Si tu suis mes conseils, ce voyage je le fais avec toi.

Tout-Homme Aussi, pour dire ma détresse je viens vers toi,Te prier de bien vouloir m’accompagner.

Bonnes Œuvres Ce serait très volontiers, mais vraiment, je ne puis me lever.

Tout-Homme Pourquoi donc ? Quelqu’objet en tombant t’a-il blessée ?

00 Bonnes Œuvres Mais oui, mon cher ! Mille mercis il me faut t’adresser !Si de moi tu avais eu parfait souciTon livre serait prêt, et ton bilan précis.Vois-le, ce livre de tes actes – de tes Œuvres aussi – :Vois comme il fut foulé aux pieds,

0 Ce dont ton âme est en tristesse !

Tout-Homme Seigneur Jésus, aide-moi !Pas une de ces lettres n’est lisible pour moi 2!

Bonnes Œuvres Ces bilans vous aveuglent à l’heure de détresse !

2 vv. 04-8 : (Voc) the bokes of your workes, there is a blynde rekenynge : L’épisode du livre de vie (où s’inscrivent les comptes de notre voyage humain) théâtralise le moment où le héros entame la deuxième partie de son itinéraire.

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Tout-Homme Bonnes Œuvres, je t’en prie, soulage ma misère,10 Sinon, c’est à jamais que je vais en Enfer.

Aussi, aide-moi donc à faire mon bilanDevant Celui qui toutes choses racheta,Lui qui est Roi, le fut, et toujours le sera.

Bonnes Œuvres Tout-Homme, de ta chute je suis attristée,1 Et volontiers je t’aiderais, n’était ma débilité.

Tout-Homme Bonnes Œuvres, c’est ton conseil qu’il te faut, je te prie, me donner.

Bonnes Œuvres Je le ferai, en vérité,Même si je ne puis sur mes deux pieds aller.J’ai une sœur qui, peut, elle aussi, t’accompagner.

20 Elle se nomme Conscience et sera à tes côtésPour t’aider à finir ce bilan redoutable.

Conscience Tout-Homme, je vais t’accompagner, te guider de mes soins,Pour être à tes côtés quand tu auras le plus besoin.

Tout-Homme  tous égards me voici donc préparé,2 Et je me réjouis de ce qui s’est passé.

Loué soit Dieu qui me créa.

Bonnes Œuvres Quand elle t’aura mené là-basOù ta blessure guérira,Avec bilan et Bonnes Œuvres, ensemble partez

30 Pour éprouver au cœur cette joie,Devant la Bienheureuse Trinité.

Tout-Homme Mes Bonnes-Œuvres, à toi mille mercis !Je suis heureux, pour sûr, de tes paroles,Qui ainsi me consolent.

3 Conscience Partons ensemble, maintenant, l’amour au cœur,Pour la rivière Confession, dont le flot purifie.

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Tout-Homme J’en pleure de bonheur : d’y arriver j’ai tant envie. Mais je veux savoir, je te prie Où réside ce saint homme Confession.

40 Conscience La demeure de Salut est sa maison. Nous le trouverons là, dans ce lieu Où nous aurons réconfort, par la grâce de Dieu. Mais, voici Confession : à genoux, demande pardon, Car il est, lui, au mieux avec Dieu Tout-Puissant.

4 Tout-Homme Ô, fontaine glorieuse qui efface toute impureté, Lave-moi du vice impur dont je suis entaché, Que sur moi désormais ne se voie plus le péché. Je viens avec Conscience chercher ma rédemption, Rédîmé en mon cœur par pleine contrition.0 Car j’ai été sommé de faire pèlerinage, Devant Dieu présenter les comptes de mon voyage. Je t’en supplie, Confession, toi qui de salut es la source, À mon pitoyable appel, accorde à Bonnes-Œuvres tes ressources.

Confession Tout-Homme, de ton cœur je connais l’affliction. Puisque tu viens à moi avec Conscience pour compagnon, Je veux te réconforter autant que je pourrai, Et un bijou de grand prix te donner ; Son nom est Pénitence, d’un cruel destin il te gardera. Tu t’en serviras pour châtier ton corps0 Avec persévérance et abstinence au service de Dieu. Voici ce fouet, reçois-le de ma main ; C’est forte pénitence qu’il faut endurer, En souvenir de ton Seigneur qui pour toi fut fouetté À coups cruels, par Lui patiemment supportés. Fais donc ainsi pour réchapper du douloureux pèlerinage27.

27 v. : (Voc) skape(n), le vers peut en effet signifier « commencer », « donner forme à », (1re lecture), ou avoir le sens de « réchapper de », « revenir indemne » (lecture catholique). Ce deuxième sens, plus proche de la logique de l’action vécue par Tout-Homme, a été choisi ici. Voir C (535-70) pour éclairage complémentaire.

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Conscience, assiste-le en ce voyage,Et dès lors, Bonnes-Œuvres t’accompagnera.Sois certain en tout cas, ton pardon tu l’auras ;Car ton terme approche vite, et si tu veux ton salut,

70 Demandes-en la grâce à Dieu qui pour sûr te l’accordera.Lorsque l’homme se lie au fouet de pénitence,C’est l’huile de pardon qu’il trouve en récompense.

Tout-Homme Béni soit Dieu pour l’œuvre de Sa Grâce !Car maintenant j’entamerai ma pénitence.

7 Ces coups ont allégé et réjoui mon cœur,Bien que ces nœuds soient rudes comme ceux du péché.

Conscience Tout-Homme, veilles-y, accomplis bien ta pénitence,Quelque douleur qu’en éprouve ta chair ;Conscience, ainsi, te donnera à son gré des avis

80 Afin que tu remettes tes comptes bien au clair.

Tout-Homme Ô dieu d’éternité, Ô céleste figure !Ô voie de la droiture, bénéfique vision !Toi qui descendis parmi nous en une Vierge pureAfin de racheter Tout-Homme

8 Qu’Adam avait forfait par désobéissance.Toi, béni en ta divinité, Dieu élu et très haut,Pardonne mes cruelles offenses :J’implore ton pardon devant ces deux présences.Ô trésor pour l’esprit ! Ô, toi qui rançonne et rachète,

90 De l’Univers entier, toi guide et prophète !Miroir de Joie, fondateur du pardon(et le ciel et la terre sont illuminés par ce don),Entends ce que proclame ma plainte, pour tard qu’il soit !Reçois mes prières, lestées des pesanteurs de ma vie ;

9 Si l’un des plus odieux pécheurs c’est bien moi,Fais pourtant que mon nom soit sur les Tables de la Loi.Et Toi, Marie, implore Celui qui tout créaQu’il veuille m’aider, Moi, à l’heure du trépas ;

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Qu’à la puissance de mon Ennemi il m’arrache,00 Car, Mort, de toute sa violence à moi s’attache.

Aussi, Mère de Dieu, fais par ta prièreQue dans la gloire de ton fils je sois son partenaire.Par les vertus de sa Passion c’est là ce que j’implore :Je t’en conjure, à sauver mon âme veuille m’aider.

0 Conscience, donne-moi le fouet de pénitencePour que ma chair, par ce moyen trouve quittance28.Je vais maintenant commencer, si Dieu m’en fait la grâce.

Conscience Dieu te laisse le temps ! Tout-Homme, celui que tu le fasses29 !Sur ces mots, je te laisse aux mains du Rédempteur

10 Puisses-tu maintenant mettre au net ton bilan.

Tout-Homme Au nom de la Sainte Trinité,Que mon corps soit sévèrement châtié !Reçois ceci, mon corps, pour avoir par la chair péché,Et pour t’être complu à tes ardeurs de débauché,

1 M’ayant ainsi conduit sur le chemin de damnation.Pour tout cela, souffre maintenant ces coups en punition.Les claires eaux de pénitence, vois, je vais les franchir,Et ainsi du Purgatoire, ce feu ardent, m’affranchir.

Bonnes Œuvres Merci, mon Dieu ! Vois, sur mes deux jambes je puis aller30,20 Guérie de mes malheurs et ma débilité.

Avec Tout-Homme je pars donc sans nulle hésitation,L’aider à proclamer ses Bonnes actions.

28 vv. 0- : Autre amphiblologie d’importance majeure, elle aussi liée à la problématique du châtiment cor-porel vu comme répétition mimétique de la Flagellation précédant la Crucifixion. La locution qui clôt le vers 0 peut être (selon le texte A) gyve acqueyntaunce = « faire connaissance », ou (selon le texte B). gyve acqueyntaunce = « donner quittance ». Le traducteur a choisi de donner ici priorité au sens possible du texte B qui s’accorde mieux au thème – puissamment implicite – du rachat spirituel du héros par cet épisode répétant la Passion christique.29 v. 08 : (Voc) tyme and space, le temps du repentir vu comme une grâce voir (C).30 vv. 09-34 : Ce passage théâtralise efficacement l’action spirituelle de Tout-Homme jusqu’ici allégorisée par Conscience, Confession, en montrant la régénération physique, (proche de l’efficacité miraculeuse et quasi supersti-tieuse) de Bonnes-Œuvres qui se relève, marche et parle. Théâtralisation utile alors que le parcours spirituel à venir chez Tout-Homme sera largement irreprésentable.

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Conscience Tu vois, Tout-Homme, tu peux te réjouir et exulter.Vois Bonnes-Œuvres qui vient, cesse de t’attrister.

2 Car Bonnes-Œuvres, restaurée, ravivée,Peut désormais marcher avec facilité.

Tout-Homme Mon cœur est à la fête, et pour toujours va le rester ;Aussi, à coups plus pressés je vais encore me fouetter.

Bonnes Œuvres Tout-Homme, cher ami, ô pèlerin,30 Béni sois-tu jusqu’à la fin des fins !

La gloire de l’éternité pour toi est préparée ;

Me voici, grâce à toi, ravivée, restaurée,En toutes tes épreuves je veux donc t’assister.

Tout-Homme Bienvenue, Bonnes-Œuvres ! J’entends désormais ta voix ;3 Et ces larmes proviennent de la douceur d’aimer.

Conscience Ne sois plus triste, mais à tout jamais plein de joie :Le cours de ta vie, du trône céleste Dieu le voit.Enfile ce vêtement : il convient à ton état,Trempé qu’il est de tes larmes ;

40 Sinon devant Dieu il te manqueraQuand au bout du voyage tu seras parvenu.

Tout-Homme Noble Conscience, par quel nom est-il connu ?

Conscience C’est un Manteau de Contrition.De tes misères il va te racheter,

4 Car c’est la contritionQui engendre le pardon,Et cela fait à Dieu un immense plaisir.

Bonnes Œuvres Tout-Homme, veux-tu bien l’enfiler pour guérir ?

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Tout-Homme Voilà qui est fait. Béni soit Jésus, fils de Marie !0 Me voici donc vraiment vêtu de repentir ; Aussi, sans différer, il nous faut donc partir. Mes Bienfaits, notre bilan est-il apuré ?

Bonnes Œuvres Oui vraiment, je l’ai avec moi.

Tout-Homme Donc, je le crois, plus place pour l’effroi. Allons, mes amis, surtout ne nous séparons pas.

Conscience Non, Tout Homme, nous ne le ferons surtout pas.

Bonnes œuvres Tu dois pourtant passer devant, Avec les trois personnes de haut rang.

Tout-Homme Qui sont-elles donc ?

0 Bonnes Œuvres Vigueur et Discernement, c’est leur nom, Et puis Beauté qu’il ne faut pas laisser derrière toi.

Conscience Tu dois aussi convoquer près de toi Tes Cinq-Sens pour qu’ils t’apportent conseil.

Bonnes œuvres Tu devras les avoir à toute heure en éveil.

Tout-Homme Comment les convoquer jusqu’à moi ?

Conscience Appelle-les tous ensemble, ils seront là incontinent.

Tout-Homme Mes amis, venez donc me retrouver sur l’instant, Discernement, Vigueur, mes Cinq Sens, ma Beauté !

70 Beauté Nous voici ; tous prêts à faire ta volonté. Que veux-tu donc que nous fassions ?

Bonnes œuvres Qu’avec Tout-Homme vous partiez, L’aider en son pèlerinage. Tenez conseil : le suivrez-vous ou non en son voyage ?

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7 Vigueur Nous l’emmenons tous hors d’ici, Pour l’aider et le réconforter, soyez-en persuadée.

Discernement Oui, tous ici nous lui tiendrons compagnie.

Tout-Homme Dieu Tout Puissant, qu’amour te soit rendu ! Je te rends grâce pour avoir assemblé ici80 Vigueur, Discernement, Beauté, Mes Cinq Sens, – nul n’a failli31 – Avec Bonnes-Œuvres et claire Conscience : Tous sont selon mon vœu unis en ma présence. Il ne m’en faut pas plus en la circonstance.

Vigueur Pour moi, Vigueur, je t’assisterai en tes malheurs,8 Même s’il te fallait batailler sur le terrain.

Cinq Sens Oui, même et s’il faut aller jusqu’au bout de la terre, Contre vents et marées, on reste à tes côtés.

Beauté Moi, je fais de même tant que Mort n’est pas entrée ; Cela, quoi que le sort t’envoie.

90 Discernement Tout-Homme, en premier lieu, avise-toi. N’avance qu’après réflexion et mûre délibération. Nous-mêmes te disons, en ferme prédiction, Que tout se passera bien.

Tout-Homme Chers amis, écoutez bien ce que je veux vous dire.9 Veuille Dieu tous vous récompenser en Son firmament. Et puis, vous tous ici, écoutez à présent, Car je veux faire mon testament, Devant vous tous ici présents. De ces deux mains, je veux céder la moitié de mes biens700 Par pure charité, d’un cœur aimant ;

31 Circa 80 (Voc) Beaute, Strength, Dyscrecion, Five Wits : les derniers « amis du mourant », voir (C). 772-873.

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A N d R é l A s co M b E s – E V E R Y M A N28

Quant à l’autre moitié du bien restant,Que le legs en revienne où il est dû.Je fais ceci pour dépiter le démon de l’Enfer,Et m’acquittant, à son pouvoir me soustraire,

70 A jamais et dès aujourd’hui.

Conscience Tout-Homme, écoute bien ce que je dis :Va voir prêtrise ; c’est mon conseil ;De lui reçois, sous la forme qu’il pourra,La Sainte Communion avec l’Extrême Onction.

710 Puis reviens ici sans délai.Nous t’y attendrons tous assemblés.

Cinq Sens Oui, Tout-Homme, hâte-toi, il faut te préparer.Car il n’est empereur, prince, duc ou baron,Qui de Dieu tienne meilleure commission

71 Que celle dont le moindre Prêtre ici-bas est muni.Car des bienheureux sacrements, purifiants, salutaires,Il possède les clefs ; et peut, grâce à leur aide,Racheter l’homme par cet infaillible remède.Car Dieu nous donna pour guérir nos âmes,

720 Tiré de son cœur à grande souffrance, ce puissant dictame.En notre vie éphémère, et pour toi et pour moi,Ces bienheureux sacrements sont au nombre de sept :Baptême, Confirmation, ainsi que sainte Ordination,Le Sacrement du précieux Corps et du Sang de Jésus,

72 Le Mariage, la sainte Extrême Onction, et la Pénitence.De ces sept garde bonne souvenance :De haute divinité, ils ont grâce sanctifiante.

Tout-Homme Je voudrais tant le recevoir ce Corps de Dieu ;Aussi, en toute humilité j’irai près du Saint Père.

730 Cinq Sens Tout-Homme, c’est le mieux que tu peux faire :Dieu consentira à t’amener à rédemptionCar les prêtres ont pouvoir en toutes situations –.Par les Ecritures qu’ils nous révèlent,

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Arrachant les hommes au péché, ils leur assurent le ciel.73 Dieu leur a donné des pouvoirs plus grands Qu’à aucun des anges de Son Firmament. A l’aide de cinq mots le prêtre peut consacrer ; Il peut la Chair et le Sang du Christ recréer, Puis prenant son Créateur entre ses mains,740 Il peut lier et délier tous les liens, A la fois au Ciel et sur Terre. Toi, prêtre, des sept sacrements tu as le ministère. Si nous te baisons les pieds c’est que tu es Dignité. Tu es le chirurgien qui guérit le péché mortel ;74 Hors Dieu lui-même, il n’est point d’autre recours, Le prêtre est notre seul secours. Tout-Homme, Dieu donna aux prêtres cette dignité ; S’il les mit parmi nous c’est pour le relayer, C’est au-dessus des anges qu’il faut donc les placer32.

70 Conscience Pour les bons prêtres, ceci est vrai, assurément. Mais quand Jésus fut crucifié, au prix de grande douleur, Alors, Il tira de son Sacré Cœur Ce Sacrement (de pénitence) né d’un si grand tourment. Mais Lui, le Seigneur tout-puissant, n’a pas vendu ces Sacrements.7 Aussi – Saint-Pierre-Apôtre l’a fort bien dit – Jésus pleinement les maudit Ceux qui vendent leur Dieu Rédempteur, ou l’achètent, Ou ceux qui à quelque forme de profit le soumettent. Ces prêtres pécheurs sont, pour nous pécheurs, mauvais exemples :70 Leurs enfants, dit-on, vivent au foyer d’autres hommes ; Avec des femmes certains ont un commerce impur, Vivant dans la débauche, commettant l’acte de luxure. Ceux-là sont aveuglés par le péché.

32 vv. 737-0 : Il faut souligner la vertu spectaculaire de cette description de la valeur spirituelle des sacrements catho-liques, v.737-41, qui est souvent jugée aujourd’hui contraire à la représentation théâtrale. Mais il faut concevoir aussi qu’un tel passage ait rendu la pièce inacceptable après les choix que firent dès 13 le roi Henry VIII et sa hiérarchie religieuse.

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Cinq Sens Dieu voudra, je l’espère, nous garder de les approcher !7 Aussi, rendons aux prêtres grâce,

Et suivons leurs leçons pour que le salut de nos âmes se fasse.Nous sommes leurs brebis, nos bergers ce sont eux,Et tous nous sommes en sécurité grâce à eux.Mais, paix ! Je vois là-bas Tout-Homme qui s’avance,

770 Il a fait parfaite pénitence.

Bonnes Œuvres Je crois vraiment le reconnaître !

Tout-Homme Que Jésus vous vienne tous en aide !J’ai reçu le Sacrement de ma Rédemption,Et ensuite l’Extrême Onction.

77 Bénis soient ceux qui me l’ont conseillé !Et maintenant, mes amis, partons donc sans délai.Merci mon Dieu, car vous m’avez si longtemps attendu.Allons, sur ce crucifix posez tous la main tendueEt suivez-moi sans plus attendre.

780 J’irai devant car c’est ma place. Que Dieu soit notre guide33.

Vigueur Tout-Homme, de toi nous n’allons pas nous éloigner,Que tu n’aies achevé ton long voyage.

Discernement Et moi aussi, je veux t’accompagner.

Conscience Pour éprouvant que soit ton pèlerinage,78 Je ne veux pas te quitter.

Vigueur Tout-Homme, c’est sûr, de toi je veux être aussi prèsQue je le fus toujours de Judas Macchabée.

Tout-Homme Hélas, je suis si faible que je ne tiens plus debout !Mes jambes sous moi se dérobent.

790 Amis, en ce pays ne revenons plus du tout,Pas pour tout l’or du monde ;

33 vv. 778-80 : (Voc) rodde= « la Croix », « le crucifix » (comme v. 28) voir (C).

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Je dois en ce tombeau me glisser pour dormir Et terre y redevenir.

Beauté Quoi ? Dans cette fosse ? Hélas !

79 Tout-Homme Oui, il faudra vous-y consumer, tous, petits ou grands.

Beauté Comment ? Il me faudrait étouffer là-dedans ?

Tout-Homme Mais oui, ma foi, et pour ne jamais reparaître : Car en ce monde nous ne vivrons jamais plus, Mais au Ciel, devant le Très Haut, le Seigneur absolu.

800 Beauté Je fais la croix sur tout ceci. Adieu à toi, par Saint-Jean34 ! Je prends mes cliques et mes claques, ainsi que la clef des champs.

Tout-Homme Voyons, Beauté, où t’en vas-tu ?

Beauté Tais-toi ! Je n’entends plus. Je pars sans me retourner, Quand même tu voudrais l’or de ton coffre me donner.

80 Tout-Homme Hélas, à qui puis-je me fier ? Beauté s’en va de moi bien vite, Elle avait promis avec moi de vivre et de mourir.

Vigueur Tout-Homme, moi aussi je vais te laisser et m’enfuir. Le jeu que tu joues là ne me plaît pas du tout.

810 Tout-Homme Eh quoi ? Vous m’abandonnez tous ? Vigueur, mon cher ami, reste avec moi un peu plus.

Vigueur Non pas, mon cher, par la Croix du Salut ! Je m’en vais te quitter sur l’heure, Et quand tu pleurerais à t’en briser le cœur.

34 v. 800 : Cette invocation vulgaire et sacrilège de la croix de la part de Beauté est un écho dérisoire des valeurs de la Croix, instrument et symbole du Salut de Tout-Homme.

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81 Tout-Homme Tu devais toujours rester avec moi, tu l’avais dit.

Vigueur Voyons, bien assez loin déjà je t’ai conduit ! Il me semble que tu es en âge De poursuivre seul ton voyage. Je me repens d’être venu si loin.

820 Tout-Homme Vigueur, blâme-moi si je t’ai déplu ; Vas-tu manquer à la promesse que tu me dois ?

Vigueur Par ma foi, je n’en ai cure. Tu n’es qu’un idiot d’en faire grief ; Tu y perds ta salive et t’y uses les nerfs.82 Sous terre tu ferais mieux de te fourrer.

Tout-Homme Pour sûr, j’avais cru pouvoir à toi me fier. Qui compte trop sur sa Vigueur Elle le trahira quand vient l’heure. Vigueur et Beauté toutes deux me délaissent,830 Qui pourtant m’ont fait belles et bonnes promesses.

Discernement Tout-Homme, je vais suivre Vigueur, m’en aller, Et quant à moi, tout seul te laisser.

Tout-Homme Comment, Discernement, tu veux m’abandonner ?

Discernement Oui, par ma foi, je m’en vais te quitter.83 Lorsque vigueur part la première, Je la suis très vite derrière.

Tout-Homme Pourtant, je t’en supplie, pour l’amour de la Trinité, Jette sur mon tombeau ne fût-ce qu’un regard de pitié.

Discernement Non, je ne veux pas approcher davantage.840 À tous ici, bon voyage.

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Tout-Homme Ainsi, tout se dérobe ! Seul me reste mon Dieu ! Pour Beauté, Vigueur, et Discernement, Quand Mort fait sonner sa trompette, Au plus vite, tous font retraite.

84 Cinq Sens Tout-Homme, mon congé je vais maintenant te donner ; Je suivrai Discernement, pour ici t’abandonner.

Tout-Homme Hélas, je n’ai donc plus qu’à me lamenter et pleurer, Je te tenais pour mon meilleur ami !

Cinq Sens Je ne peux plus te protéger.80 Va, bonne chance, Tout est fini !

Tout-Homme Oh ! Jésus, aide-moi ! Ils m’ont tous abandonné.

Bonnes Œuvres Non pas, Tout-Homme, je veux avec toi demeurer. Je ne vais pas t’abandonner, sois-en bien sûr. En moi, tu trouveras si tu as besoin une amie sûre.

8 Tout-Homme De tout cœur, merci, Bonnes-Œuvres ! Je vois ici mes vrais amis. Tous m’ont abandonné, tous jusqu’au dernier ; Pourtant je les ai mieux aimés que toi seule, Bonnes- Œuvres. Conscience, toi aussi tu veux m’abandonner ?

Conscience Oui, Tout-Homme, dès qu’à la Mort tu seras donné.80 Mais ce n’est pas l’heure encore, ne crains rien.

Tout-Homme Conscience, de tout cœur, merci.

Conscience De rien, mais je ne sors pas d’ici Sans voir ce qu’il t’adviendra.

Tout-Homme Je crois, hélas, qu’il me faut m’en aller8 Présenter mon bilan et mes dettes acquitter, Car je vois que mon temps est bientôt achevé.

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Retenez la leçon, vous tous qui entendez ceci, ou le voyez3 ; Comment ceux que j’ai le plus aimés m’ont quitté, A part Bonnes-Œuvres qui est absolue fidélité.

870 Bonnes-Œuvres Les choses de ce monde ne sont que vanité. Beauté, Vigueur, et Discernement même, tous abandonnent l’homme ; Tout comme amis frivoles ou parents aux belles paroles : Tout va s’enfuir, sauf Bonnes-Œuvres, et c’est moi, me voici3.

Tout-Homme O Dieu Tout Puissant, prends pitié de moi !87 Et toi, Vierge et Mère, Très Sainte Marie ! Soutiens-moi !

Bonnes-Œuvres Ne crains rien : je parlerai pour toi.

Tout-Homme Par mon cri, j’implore de Dieu Sa grâce.

Bonnes Œuvres Abrégez notre fin, réduisez nos tourments. Et pour ne jamais revenir, partons maintenant.

880 Tout-Homme Entre Tes mains, Seigneur, c’est mon âme que je remets : Reçois-la, Ô Seigneur, afin qu’elle soit sauvée ! Comme tu m’as racheté, ainsi veuille me défendre, Et m’arracher au diable et sa menace ; Pour que j’ai place dans l’host des Bienheureux88 Parmi tous ceux sauvés au Jour du Jugement37. In manus tuas (ces mains de toutes puissance, ô Seigneur), A jamais commendo spiritum meum.

3 v.87 : Peu avant de disparaître de la scène, Tout-Homme lance cet ultime rappel à l’auditoire de sa fonction testimoniale et de la prééminence du spectacle joué.3 v. 873 : Il faut voir dans cette intrusion du personnage de Bonnes-Oeuvres, peu porté par définition à l’auto-célébration, un indice (utile au comédien du xxie siècle) de l’aptitude que manifeste l’acteur médiéval et post médiéval à se dédoubler et laisser occasionnellement paraître le comédien sous le masque du personnage. Cette pratique de l’écart théâtral à l’époque Tudor, en Angleterre et sans doute ailleurs, anticipe pour nous ce que rappellera Brecht.37 vv. 884-8 : (Voc) that blessyd hoost, Cest à cette « armée des Bienheureux élus », placés à la droite de Dieu pour entrer dans la parfaite connaissance et dans Son éternité, que Tout-Homme souhaite se joindre au Dernier Jour.

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Conscience Voici qu’il a souffert ce que nous subirons tous38. Ses Bonnes Œuvres assureront qu’il reçoit tout.890 Il a maintenant fait à sa fin : Je crois entendre des anges le chœur serein Proclamer que règnent harmonie et grande joie Là où l’âme de Tout-Homme On reçoit.

L’ange Parfaite épouse élue, viens rejoindre Jésus !89 Ici au haut des cieux tu pourras trouver place Pour ta singulière vertu : Voici que de ton corps ton âme se désenlace : Tout ton bilan comme cristal est clair. Voici donc que tu pars pour la céleste sphère,900 Là où viendront aussi tous ceux-là d’entre vous Qui auront bien vécu avant le Dernier Jour.

Docteur Cette leçon que tous la gardent à l’esprit. Vous qui écoutez, jeunes ou vieux, comprenez-en le prix, Et délaissez Orgueil qui vous trompera pour finir.90 Beauté, Cinq Sens, Vigueur, Discernement, souvenez-vous ! D’eux tous Tout-Homme est à la fin déserté Sauf de Bonnes-Œuvres s’il peut avec lui l’emmener. Mais prenez garde, car si elle est trop débile Aux yeux de Dieu, non, elle ne sera guère utile.910 Il ne restera aucune excuse à Tout-Homme, alors ! Las ! Que pourra donc faire notre homme, dès lors ? La mort passée, nul ne peut plus rien amender : Grâce et Pitié vont donc alors l’abandonner. Si son bilan, à son entrée, n’est pas limpide,

38 (Voc) Conscience utilise le verbe to endure que Wortham, après Tigg, (Biblio 1939) glose de deux façons distinctes : il peut être simplement l’équivalent du verbe suffren (« souffrir », « endurer »), signifiant que Tout-Homme vient de subir ce que nous subirons tous. Alternativement, comme Tigg le suggère, il peut suivre le texte de Elckerlijc qui use d’un verbe signifiant : « souffrir pour les péchés des autres », ce qui ferait de Tout-Homme la copie du modèle christique qu’il imite ainsi jusque dans la mort. L’amphibologie entretient préci-sément la parité des deux sens. (Wortham a judicieusement, dans sa note du vers 81, souligné les avis critiques suggérant que ce vers fait écho aux dernières paroles du Christ en Croix ( Matthieu, 27.4 inter alia)). Tout-Homme répéte en effet de multiples fois le verbe leitmotiv (to forsake) dans la séquence 772-873.

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91 “Ite, maledicti, in ignem eternum.” Voilà ce que Dieu décide. Celui dont le bilan est bien clair et parfait, Lui, au plus haut des cieux, il sera couronné. Qu’en ce paradis-là Dieu veuille tous nous unir, Pour que nous y vivions, âme et corps enfin réunis.920 Qu’à réussir cela nous aide la Trinité ! Et que chacun dise Amen, par la Sainte Charité.

FIN

Ainsi s’achève la pièce morale de Tout-Homme Imprimée à Londres, cimetière de Saint-Paul, Par moi, John Skot.

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André Lascombes, « Everyman : mise en contexte et bibliographie », coll. « Théâtre Anglais : traductions introuvables », 2010, p.1-22,

mis en ligne le 10 février 2010, URL stable <https://sceneeuropeenne.univ-tours.fr/traductions/genre-humain-mankind>.

Théâtre anglaisest publié par le Centre d’études Supérieures de la Renaissance

Université François-Rabelais de Tours, CNRS/UMR

Responsable de la publicationPhilippe Vendrix

Responsables scientifiquesRichard Hillman & André Lascombes

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Reproduction soumise à autorisation.ISSN 10-

Date de créationJuin 2008

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évoquer en quelques lignes la situation économique, politi-que, idéologique et religieuse de l’Angleterre depuis la fin du Moyen Âge jusqu’au début de la période Tudor est une entre-prise délicate. De la mise en place à très gros traits qui suit et fixe les grandes lignes d’une problématique complexe, le lec-teur voudra bien, selon ses besoins et objectifs, passer à cer-tains des ouvrages mentionnés et classés par secteurs dans la bibliographie sommaire qui fait suite au dossier.

La phrase par laquelle Francis Rapp clôt presque son introduction à l’ouvrage « L’Église et la vie religieuse en Occident à la fin du Moyen Âge » peut servir d’exergue à toute présentation de la dite période et aux divers secteurs ici brièvement balayés : « Comme l’Occident tout entier, après 1300, l’Église entrait dans l’âge des déséquilibres et des contradictions »1.

Rupture climatique et répercussions

Dans un ouvrage publié en 1, Emmanuel Leroi-Ladurie souligne le fait déterminant, mieux reconnu aujourd’hui, que constituent (vers 110, puis à nouveau vers la moitié du xiv siècle et enfin dans les années

1. Francis Rapp, 11, Église et Vie religieuse à la fin du Moyen Âge.

Everyman : mise en contexte et bibliographie

André LascombesCentre d’études Supérieures de la Renaissance, Tours

EVERYMAN : MisE EN coNtExtE Et bibliogRAphiE – ANdRé lAscoMbREs – 16 décEMbRE 2008 p. 1-20

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A N d R é l A s co M b E s – E V E R Y M A N : b i b l i o g R A p h i E2

1) des séries d’années très froides affectant toute l’Europe. Sur des populations devenues pléthoriques à la fin d’un xiii siècle fécond en avancées techniques et réa-lisations culturelles, dans une économie agricole fragile où les stocks sont difficiles et souvent insuffisants, les détériorations brutales des récoltes ont des effets désastreux. À la faveur des famines mémorables qui s’ensuivent, l’arrivée en Europe vers 18, et en Angleterre dès 1, de la peste bubonique dite Peste Noire (Black Death) fait des ravages aggravés. Même si le tribut humain n’est pas, en Angleterre, sensiblement plus lourd qu’ailleurs, l’organisation médiévale du « manoir » qui y subsiste disparaît à pans entiers2.

Beaucoup de terres et domaines manoriaux laissés à l’abandon du fait de l’épidémie sont progressivement rachetés par des marchands et artisans prospères. Ceux-ci, avec quelques tenanciers (tenants) heureux, constitueront peu à peu une nouvelle classe agricole plus ouverte à la novation et à l’exploitation industrielle. À l’inverse, les plus pauvres des micropaysans, attachés à la terre seigneuriale ou confinés jusque-là sur de misérables terres louées, alimentent une main-d’œuvre miséreuse, et parfois errante, qui se loue à ces nouveaux propriétaires, ou va rejoindre la plèbe misérable qui s’entasse dans les faubourgs et peut alimenter des foyers de rébellion. Les retours de l’épidémie, en 11, 18, et encore plusieurs fois au xv siècle, entretiennent aussi une obsession de la mort qui s’exprime dans les mentalités comme dans les œuvres d’art.

la guerre de cent Ans (1337-1455) et ses désordres socio-politiques

Ce que l’on appelle ainsi est une suite irrégulière de batailles, invasions et pillages qui ont surtout pour théâtre le sol de France, mais dont les conséquences, économi-ques et politiques, n’épargnent pas durablement l’Angleterre. L’une de ses causes est

2. L’historiographie relativement récente citée ici (J. Heers, note ) rend compte des conclusions des travaux, (dont l’ouvrage de E. Leroi-Ladurie), liés à cette question.. On consultera sur tous les aspects de cette question, pour l’Europe : J.Heers 10, L’Occident aux xiv et xv siècles, et M. Balard 10, Le Moyen Âge en Occident. Pour l’Angleterre on se réfèrera d’abord à J.A.F. Thomson, 18, The Transformation of England. Le néophyte trouvera aussi dans Ackerman, Back-grounds to Medieval English Literature, une ouverture qui englobe la vision religieuse et anthropologique de l’homme médiéval. L’on ne saurait trop recommander pour un premier contact cet ouvrage, malgré son âge.. Les ouvrages de Thomson et M. Balard, (cf. note ) fournissent un accès commode aux prob-lèmes relatifs à ce chapitre, ainsi qu’une bibliographie plus spécifique.

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dynastique : le roi Edouard III (12-) a des droits sur la couronne de France dont il finit par tirer argument. Mais la raison principale semble bien d’ordre économique : l’Angleterre souhaite conserver la Guyenne et le commerce des vins de Bordeaux (le claret) d’une part, et de l’autre, n’entend pas voir les Français renforcer leur présence et leur influence sur les marchés flamands de la laine à la faveur de la victoire, en 128, de Philippe de Valois (128-0) sur les bandes flamandes.Ce siècle d’affrontements qui appauvrit les deux pays (destructions, pillages, dépenses outrancières,etc) et y exa-cerbe aussi les tensions économiques et politiques, est d’abord favorable aux Anglais. Après la défaite de Crécy (1) le roi Jean le Bon est fait prisonnier à la bataille de Poitiers (1). Le Dauphin Charles saura pourtant profiter un peu plus tard d’une campagne aventureuse des troupes d’Edouard pour le battre et signer la paix de Brétigny (10). Devenu Charles V en 1, il prépare matériellement et diplomati-quement avec des troupes bien commandées (B. Du Guesclin) une reprise des cam-pagnes (1- et, 1-80) qui voit les Anglais perdre beaucoup de leurs possessions et les éloigne pendant près de trente ans du sol français. Après la mort d’ Edouard III en Angleterre, le règne de son petit-fils Richard II (1-) est brutalement interrompu par la rébellion de son cousin Henry de Lancastre qui le destitue et règne à sa place sous le nom d’Henry IV (1-11). Cette Lancastrian Revolution va préluder d’abord à de nouveaux succès anglais en France. À la faveur de difficultés dynastiques (la mort de Charles V puis la folie de Charles VI) et de rivalités aristocratiques (celles des partis Bourguignon et Armagnac) les Anglais sont appelés. Ceux-ci, commandés par leur roi Henry V, écrasent la chevalerie française à Azincourt (11). Par le traité de Troyes le roi anglais, qui épouse Catherine de France (120), devient l’héritier du trône de France. Tout paraît perdu dans un pays coupé en deux, entre le parti Armagnac qui s’allie au roi et les Bourguignons de Philippe le Bon (11-) qui soutiennent la cause anglaise. La mort d’Henry V (122) et les difficultés de la régence en Angleterre d’une part, le sursaut d’un sentiment qu’on peut dire national en France (avec l’épisode de Jeanne d’Arc et le sacre de Reims 12-1), font à nouveau basculer la fortune. Par le traité d’Arras (1) qui reconnaît aux Anglais la possession des domaines français, Philippe le Bon renonce à l’alliance anglaise contre l’abandon de l’hommage au roi. Tandis que de nouvelles batailles (Formigny, 10, Castillon, 1) aident à reconquérir la Normandie et la Guyenne, l’Angleterre sombre à son tour dans de longues luttes intestines divisant profondément et intimement le pays : en 1, éclate la fratricide guerre des Roses, ou des Cousins(1-8) entre la maison de Lancastre (Rose rouge) et la maison d’York (Rose blanche). Fertile en batailles et en crimes, favorisant par-tout la division, la surenchère et la rapine, elle ne prend fin qu’avec la victoire sur le dernier Lancastre (Richard III, défait à Bosworth Field en 18) d’un nouvel usur-

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A N d R é l A s co M b E s – E V E R Y M A N : b i b l i o g R A p h i E4

pateur. Celui-ci, Henry Tudor, de sang gallois, installe sur le trône une nouvelle dynastie (18-10).

C’est donc un pays meurtri par les querelles, divisé en factions, et qui a finalement perdu presque toutes ses possessions françaises, que va devoir réconcilier le nouveau roi Henry VII (18-10).

la situation économique et sociale

À partir de données trop éparses, les historiens jugent prudemment que trois ten-dances majeures caractérisent l’Angleterre à partir des premières décennies du xv siècle :

- un rétablissement progressif de la démographie qui retrouve des valeursproches de la fin du xiii siècle.

- la triple migration, géographique, professionnelle et statutaire, d’une partimportante de ses populations. Migration professionnelle et statutaire des nouveaux propriétaires fonciers dont beaucoup constitueront une « landed gentry », habitant sur ses terres et qui dans bien des cas va promouvoir une industrie rurale fondée sur la culture et sur l’élevage (surtout celui du mouton). Cette inflexion de l’agriculture anglaise est l’une des sources (jusqu’aux excès de la Renaissance et avant l’arrivée du mérinos espagnol dont la laine concurrence celle du mouton anglais) de la prospérité économique du pays et du développement de certaines régions côtières (Londres, York, Bristol). À l’inverse, on l’a déjà vu, les plus pauvres constituent une population déracinée, inquiétante par les désordres qu’elle suscite (bandes de vagabonds qui, même en temps de paix revenue, sont vite prêts à se joindre aux mouvements de révolte sociale : The Peasants’ Revolt de 181 où il est symptomatique qu’apparaissent parmi les leaders des prêtres de campagne comme John Ball. Et à nouveau, entre autres, le mouvement de Jack Cade en 10.

- il faut souligner, enfin, que l’Angleterre du sud-est et surtout l’East Anglia,plus proches des avancées commerciales venues du continent, plus proches aussi du

. Pour cette question, plus compliquée de par l’extension même des champs qu’elle couvre, les deux ouvrages de base conseillés en notes 2 et pour aborder les problématiques précédentes seront encore ici le premier investissement. À compléter éventuellement par les études suivan-tes : H.A.Miskimin’s 1 The Economy of Early Renaissance Europe et S. Medcalf’s 181 The Later Middle Ages (chap. 1-) pour le tableau socio-culturel, ainsi que R.B. Dobson’s 10 The Peasants’ Revolt of 1381, pour une étude et des sources utiles à la compréhension de ce mouvement.

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pouvoir royal rétabli à la fin du siècle, abritent des groupes sociaux économiquement et techniquement plus évolués, plus facilement pénétrés aussi par les idées nouvelles venues des foyers idéologiques et commerciaux que sont Flandres et Rhénanie. C’est là, entre autres, que vont prendre racine les premières entreprises de commerce maritime, de nouvelles industries comme l’imprimerie, ou encore des remises en cause de l’ordre religieux. Les quelques pages des études de J.C. Lejosne, 182 (p.-) et L. Bergmans, 2008, (voir Hillman 2008) permettront de prendre rapidement conscience des ressemblances et des liens entre ces deux foyers de part et d’autre de la Mer du Nord.

L’action du roi Henry VII, souvent sous-estimée parce que prudente et modeste, exploite en réalité ces virtualités positives et prépare l’Angleterre à certaines des mutations qui feront la Renaissance.

le politique : remise en route vers un autre ordre

Sur le plan intérieur, Henry VII, roi souvent négligé, restaure les droits et les res-sources financières de la Couronne et donc l’autorité royale. Restreignant du même coup les ambitions des grands feudataires, il appelle aux affaires les milieux actifs des classes nouvelles (la méritocratie). Sa sage magnanimité va aussi désamorcer les tentatives d’insurrection qui éclatent dès le début de son règne. En politique intérieure, ce monarque avisé, en épousant Elisabeth, héritière de la maison d’York et reine remarquable, met enfin un terme aux vieilles dissensions entre les deux lignées rivales. À l’extérieur, il a l’habilité de se concilier deux adversaires potentiels et de trouver pour le pays une place équilibrée dans les complexités de la politique européenne : ceci en mariant son aîné, Arthur, Prince de Galles, à l’Espagnole Catherine d’Ara-gon, et en donnant sa fille Marguerite au roi d’écosse Jacques IV.

Enfin, favorisant la classe dynamique des marchands plutôt que les barons indisciplinés dont les ambitions dynastiques divisèrent le peuple anglais, il pousse au

. Deux articles de J.C. Lejosne, Duchet éd., 182 (« Everyman et Elckerlic », in Présentation his-torique et critique, p.-1) et de Luc Bergmans (cf. Hillman 2008) permettent de prendre rapidement conscience des liens économiques et culturels créés entre les deux régions.. Pour le règne, historiquement assez négligé, du premier Tudor (qui cultiva l’effacement autant que son fils Henry VIII le panache), on peut se référer à l’étude déjà ancienne mais démon-strative de Roger Lockyer 18 : Henry VII.

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développement du commerce et de la flotte (il fonde la Navy), engageant aussi le hardi John Gabot qui dès 1 découvre la Nouvelle-écosse et Terre-Neuve. Il prépare ainsi l’arrivée du commerce anglais sur la scène maritime jusque-là dominée, au Nord par les marchands de la Hanse, en Méditerranée et dans l’Atlantique par Génois et Portugais, puis par les Espagnols8.

le religieux et le spirituel : désordres anciens et menace de nouvelles mutations

Pour synthétiser clairement les choses, il faut sur ce sujet important et compliqué, rappe-ler deux éléments apparemment contradictoires mais étroitement corrélés qui caractéri-sent la vie religieuse et spirituelle de l’Europe chrétienne de la fin du Moyen Âge.

Le premier est la crise que connaissent les rapports de l’institution ecclésiale avec le pouvoir mondain comme avec les chrétiens d’ailleurs. Ce qu’il faut bien appeler la monarchie pontificale se heurte à nouveau aux princes (Philippe le Bel au début du xiv siècle, les rois anglais plus tard) sur des problèmes d’autorité ecclésiale et de finances. Mal réglé par les conciles, en raison aussi des désordres à Rome et en Italie, ce long conflit entraîna le choix d’Avignon comme lieu de séjour du Pape de 10 jusqu’en 1. Mais le retour du pape Grégoire XI dans la Ville Eternelle se heurta au refus des Romains et un deuxième pape fut élu en 18. Le Grand Schisme commençait (18-11). Ce partage de l’autorité papale ébranlait les consciences. La double résidence occasionna aussi une inflation de la cour papale, en Avignon surtout, accroissant les problèmes financiers. Pour majorer ses ressources et son

8. Si l’on souhaite sur ce point des informations complétant R. Lockyer (cf. Note ), on revien-dra sur le chapitre que J. Heers, 10 consacre à la question dans son livre L’Occident aux xiv et xv siècles (Cf. note ).. [ à 1] Les différents points évoqués dans cette partie de la Mise en contexte exigeront encore de partir des ouvrages de base que sont M. Balard 10, et Thomson 18, soit pour la situation reli-gieuse anglaise :Thomson, chap. à 1  (cf. note ), et pour l’Europe, F. Rapp, 11, chap. 12 et 1. Quant aux mises en place littéraires, je recommanderai pour la fin du Moyen Âge anglais, à la fois la présentation synthétique que proposent A. Crépin et Taurinya, 1, Littérature anglaise du Moyen Âge, et en complément, pour des introductions plus précises et des points de vue tout aussi vigoureux, l’excellent compendium que sont les Parties 1 à du New Pelican Guide to English Literature, vol I, Medieval Literature. Après les mises en place de ces trois parties, ce volume offre également une sélection de plus de deux cent pages d’extraits des œuvres significatives de la période, tant pour la littérature anglaise que pour sa voisine écossaise, (p. 8-).

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influence, elle accrut charges, taxes et revenus divers, jusqu’à des excès répréhensibles (vente de bénéfices, d’indulgences) propres à déconsidérer l’institution parmi le peuple chrétien. À la résorption du schisme, toutefois, la papauté ne retrouvera pas le prestige perdu.

Par ailleurs et à l’inverse, la vie religieuse des fidèles évolue, en se personnalisant, vers plus d’intériorité et aussi d’émotivité. Les mouvements de rénovation (d’abord d’origine bénédictine, puis dominicaine) qui se succèdent en Occident entre x et xii siècles et qui entraînent dès le xiii la création des ordres mendiants, en sont les marques successives, induisant même des mouvements hérétiques (Vaudois au xii, Cathares au xiii, Hussites) et qui, devenant menaçants, seront sévèrement réprimés. Ce goût pour la ferveur de la relation personnelle a des effets positifs : la figure du Fils de Dieu, intercesseur, celle de Marie, médiatrice, ou de nombreux saints sont l’objet dès le xiii siècle d’une dévotion accrue, accentuant le poids du symbole central qu’est la Passion rédemptrice du Christ, ainsi que de l’Eucharistie qui en est comme une participation mémorielle. Sa place dans le rite, dans les écrits dévots et les sermons, mais aussi au théâtre et dans tous ses dérivés spectaculaires (les « images de pitié » reproduites à partir de blocs en bois utilisés dans l’imprimerie fin xv) nourrit une pratique obsessionnelle et parfois magique de la contemplation du sacrifice christique. L’exigence d’intensité spirituelle suscite par ailleurs – entre autres dans les milieux mystiques d’une Europe du Nord singulièrement active – un courant nouveau que l’on appellera devotio moderna. Née en Brabant, de l’influence du mystique Jan van Ruysbroek (12-181), cette quête spirituelle par approfondissement de la pratique personnelle sera aidée par le succès européen qu’est L’Imitation de Jésus Christ, best-seller aux multiples rééditions généralement attribué à Thomas a Kempis (originaire de Kempen). Pour vivre cet itinéraire christique, des groupes de dévots, à l’imitation des ordres religieux, choisissent de vivre en communautés dont les pays flamands nomment les membres begaerts au masculin, et beguines au féminin. Leurs équivalents italiens (disciplinati ou laudi) manifestent, eux, publiquement des pratiques incluant parfois la flagellation.

Cette quête d’intensité spirituelle, parfois mystique et parfois aussi mêlée de réprobation protestataire, est très présente en Angleterre, dès le début du xiv et jusqu’au terme du xv siècle. évoquons-en quelques exemples dans le très large champ culturel médiéval qui, chacun en est conscient, mêle la théologie aux divers arts. C’est un savant professeur d’Oxford, John Wyclif (120-8), très lié à la Cour où il possède l’appui de l’influent John of Gaunt (Jean de Gand, Duc de Lancastre, quatrième fils d’Edouard III et père du futur roi Henry IV) qui met en forme une

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critique à la fois dogmatique et spirituelle de l’église institutionnelle : a) Scandalisé par la richesse de l’institution, il demande le retour à la pauvreté évangélique des origines, comme l’ont fait à leurs débuts les instigateurs des Ordres dominicain et franciscain. b) Il s’oppose également à l’idée que l’église est d’abord la hiérarchie de ses ministres, et lui substitue celle d’une église qui soit communauté des croyants élus, suggérant ce qui deviendra le concept de prédestination. c) Il réclame aussi que le chrétien dispose de la parole de Dieu en langue vernaculaire, sans l’intermédiaire de la glose des ministres. d) Il refuse enfin sous sa forme alors enseignée le concept de transsubstantiation (l’idée que le pain et le vin, les deux « espèces » de la Communion eucharistique, deviennent au cours de la Communion le Corps et le Sang du Christ). Ses adeptes, qu’on appellera lollards, lui survivront, alimentant une Pré-réforme plus ou moins discrète. Quant à lui, s’il meurt sans être inquiété, son mouvement ne connaîtra immédiatement qu’un succès mitigé.

Dans le même temps, de façon tout à fait indépendante, plusieurs écrivains font valoir des critiques parallèles10. Geoffrey Chaucer (c. 10-100), grand bourgeois lui aussi proche de la cour, ambassadeur des modes philosophiques et littéraires venues d’Italie et de France, tenu à raison pour le premier grand poète anglais, dénonce (avec humour, ironie et mesure) les travers des laïcs et des religieux de son temps. Les savoureuses et impérissables silhouettes de religieux ou figures gravitant dans l’orbite de la religion de l’époque et qu’il croque dans ses Contes de Canterbury sont une satire toujours aimable de ce que d’autres dénoncent avec férocité.

C’est le cas de celui que l’on nomme, faute de savoir sûrement qui il fut, William Langland, auteur de The Vision of Will Concerning Piers Plowman, poème fait de trois versions qui se recoupent partiellement, écrites entre c. 10 et 1811. La forme médiévale traditionnelle utilisée ici, celle du Songe/Vision, recourt, à l’inverse des vers de Chaucer, au vers accentué et allitéré anglo-saxon, et fonctionne le plus souvent sur deux plans, littéral et figural, maintenant le lecteur en suspens entre réalité décrite et implication spirituelle. Le passage qui suit, tiré du Passus 1 du texte B, portant sur un sujet voisin de celui dont traite Everyman, permettra de mieux comprendre le ton et la portée de l’œuvre :

Therefore I rede you richly, have ruth of the poor;Though ye be mighty to moot, be meek in your works.For by the same measures that you mete, amiss or otherwise,You shall be weighed therewith, when you wend hence:Eadem mensura qua mensi fueritis,remecietur vobis. (Luc, :8)

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For though ye be true of your tongue and truly win,And as chaste as a child, that in church weeps,Unless you love loyally and lend to the poor,Such goods as God sends you goodly divide,You have no more merit, in mass or in hours,Than Malkin from her maidenhead which no man desires.For James the Gentle judged in his booksThat faith without the feat, is right nothing worthAnd as dead as a door-tree, unless the deeds follow:Fides sine operibus mortas est. Etc (Jacques, Epître, 2 :2)

Therefore chastity without charity will be chained in Hell:

(ma traduction)

(Aussi, je vous préviens très fermement, ayez les pauvres en pitié ;Quelque pouvoir que vous ayez au tribunal, soyez douceur en vos actes.Car la mesure dont vous usez envers autrui, à tort ou à juste titre,Celle-là-même sera utilisée pour vous, le jour où vous partez d’ici.Eadem mesura qua mensis fueritis, remecietur vobis (Luc, :8)

Quand vous seriez franc de la bouche et honnête en vos gains,Et aussi chaste que l’enfant qui pleurniche à l’église,Si vous n’aimez pas pour de bon et ne donnez jamais aux pauvres,Partageant comme il faut avec eux ce que Dieu vous envoie,De vos messes ou de vos heures canoniales vous ne tirerez pas plus de mériteQue la vieille Margot n’en a de conserver un pucelage dont personne ne veut.Le bon Jacques l’a bien dit en son Epître :Foi sans les Actes est sans valeur,Comme porte close est sans vie, à moins que les Actes ne suivent.Fides sine operibus mortas est Etc.

Et donc chasteté qui va sans charité méritera les chaînes en Enfer : …

Même si l’on n’est pas très sûr aujourd’hui du retentissement exact de cette œuvre à son époque, les vérités essentielles que clame cette voix volontiers épique, rude mais chaleureuse (elle refuse l’injustice, dénonce les vices, prône l’amour du pro-chain), trouvent de nombreux échos dans les sermons, les poèmes, les divers textes (contestataires ou non) des xiv et xv siècles. Pour divers qu’ils soient par leur thé-matique, leur finalité, leur écriture et leur valeur esthétique, on y retrouve des élé-ments essentiels qu’il n’est pas inutile, avant de quitter le terrain de la littérature et des arts, de rappeler brièvement pour compléter la mise en perspective de l’œuvre ici présentée, Everyman.

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Mettons ensemble ce que les présentations littéraires nomment parfois « les poèmes de la vision ou du songe » et que rassemble commodément un certain manuscrit, dit Pearl Manuscript. Y figurent en particulier les deux œuvres remarquables que sont Sir Gawain and the Green Knight, et Pearl 12. Le premier (poème de 20 vers lié à la matière arthurienne) conte la folle aventure du noble Gauvin répondant au défi lancé par le mystérieux et monstrueux Chevalier Vert qu’il décapite d’un coup d’épée mais qui repart tranquillement en emportant sa tête. Gauvin, que le chevalier convie à venir le retrouver à la Chapelle Verte un an plus tard, au risque d’y être décapité, traverse au péril de sa vie un monde merveilleux vers l’« Aventure de la Chapelle Verte ». Il devra éviter les pièges liés à la provocation guerrière et mais aussi à l’aventure amoureuse la plus piquante, affirmant ainsi la réalité (et les limites) de sa valeur de chevalier. Ce titre exprime l’essence de la courtoisie, notion faite d’honneur, de courage (ou vertu) au service de la vérité, et de civilité. Elle a produit entre autres choses le fin amor, et le monde médiéval près de sa fin en garde la nostalgie. Plus curieux, et plus difficile encore à pénétrer, est le second poème, la Perle : ce terme désigne à la fois le trésor de joaillerie, mais aussi la jeune fille chérie d’un père qui la perd un jour, et ne pourra l’entrevoir plus tard qu’en songe, de l’autre côté du fleuve qui sépare vivants et morts, et qui doit faire l’apprentissage de la souffrance attachée à cette longue frustration1.

Il n’y a pas, malgré les apparences, tant de distance entre ces remarquables poèmes écrits dans la langue du nord-ouest (Cheshire et Lancashire, dans le vers allitéré encore de tradition loin de la Cour en cette fin du xiv siècle), et les écrits d’inspiration mystique d’auteurs (hommes et femmes) qui explorent les voies du ressourcement spirituel (pour eux-mêmes ou pour ceux et celles qu’ils dirigent). Entre ces différentes œuvres au demeurant, les différences sont sensibles, seules les rassemblant l’intention d’ouvrir l’esprit du destinataire au cheminement vers la relation à Dieu. La brève mais éclairante présentation que fait A. Crépin des mystiques anglais de la période facilite l’accès à plusieurs de ces œuvres1-15. Ce sont celle de Richard Rolle (c.100-1), ermite du Yorkshire et auteur, entre autres, de The Form of Living (Forme de la Vie Parfaite) où il indique le voie vers la vie mystique, et du Incendium Amoris (Le feu de l’Amour) qui chante l’ivresse de l’amour de Dieu. Ou celle encore du chanoine augustin Walter Hilton (comté de Nottingham – 1) dont The Scale of Perfection enseigne au disciple comment purifier son âme pour accéder ensuite à la refonte du sentiment intérieur. Celle aussi de son contemporain anonyme, auteur de traités fameux dont The Cloud

1-1.  A. Crépin et H. Taurinya (1, Lit. Anglaise Moyen Âge, chap 18, p. 1-81).

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of Unknowyng. Celui-ci, en chapitres très brefs, enseigne à l’inverse comment l’individu intime doit s’abstraire de tout pour arriver, à travers cette absence à soi-même (ou nuage d’inconnaissance), à découvrir l’Etre suprême. Les deux figures féminines du mysticisme anglais des xiv et xv siècles que sont d’une part, Julian of Norwich (1-c.11) qui finira recluse dans une église de Norwich. Tout oppose ses sobres Revelations of Divine Love au récit de de Margery Kemp. Celui-ci, The Book of Margery Kemp, dicté et réécrit après coup, relate les visions mais aussi la vie tumultueuse de cette femme d’affaires, grande voyageuse et visionnaire.

Pour important qu’il soit au regard de l’idéologie, ce secteur de la littérature religieuse ne saurait, en termes d’influence, éclipser ce dont il faut encore dire un mot. Il s’agit de ce que notre manie moderniste de la segmentation nous fait classer en un genre à part : le théâtre. Celui-ci, annexe de notre « littérature », appartient en fait à la fois à la sphère religieuse évoquée jusqu’ici, mais aussi à cet « univers visuel médiéval » que Derek Pearsall affirme impossible à retrouver tout en entreprenant de le ressusciter avec talent dans un chapitre à consulter1. De même que les chefs-d’œuvre précédemment cités ou évoqués étaient des produits culturels de large consommation orale dans une culture où la transmission demeurait inégalement partagée entre écrit et oral (selon époques et milieux), de même on n’oubliera pas que l’idéologie religieuse (avec le divertissement que les peuples savent en tirer) s’incarne dans des œuvres théâtrales dont il importe de dire succinctement un mot ici.

Les deux siècles dont on a tenté d’esquisser l’image voient, en Angleterre comme sur le Continent, se développer un théâtre pour l’essentiel religieux, dont nous restent aujourd’hui des débris relativement rares mais d’autant plus importants. Ce sont, d’une part, les « cycles », ensembles d’épisodes du récit biblique (et parfois extrabiblique), joués sous la responsabilité des municipalités et des guildes dans certaines grandes villes anglaises des xiv et xv siècles, au début de l’été généralement, entre Fête-Dieu et Pentecôte. De ces ensembles, nombreux selon les témoignages écrits, seuls quatre nous restent, dont deux seulement sont sûrement associés à une ville, Chester et York. Ces suites d’épisodes qui déroulent l’histoire du monde selon la Bible, et qui ont entretenu une longue mémoire spectaculaire jusqu’à la fin du xvi siècle anglais (puisque Shakespeare s’en souvient et parfois les exploite), furent longtemps négligées. Ressuscitées dans les années 10, elles se sont acquis une notoriété nouvelle parmi les foules, plutôt agnostiques, de la fin du xx siècle, leur apportant spectacle et séduction plus sans doute que doctrine et conviction1.

1. Dans l’un des articles de The New Pelican Guide (note -1), Part Three, Derek Pearsall introduit avec bonheur à ce qu’il nomme « The Visual World of the Middle Ages » (p. 20-1).

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Nous restent d’autre part, sans doute en raison de l’histoire tumultueuse de la religion anglaise aux xvi et xvii siècles, quelques rares textes dramatiques que l’on dira d’inspiration morale et religieuse et qui esquissent la tradition qu’illustrera plus tardivement Everyman. Ce sont essentiellement, The Pride of Life, fragment sans doute écrit au début du xv siècle, qui conte comment le « Roi de Vie » fut malgré sa superbe vaincu par la Mort. C’est aussi Dux Moraud, sinistre récit de meurtre et d’inceste avant le miraculeux remords, in fine, de l’aristocratique héros. Ce fragment textuel anticipe les horreurs du théâtre des derniers élisabéthains et des Stuart. C’est enfin l’imposant ensemble de 8 vers que constitue The Castle of Perseverance (c. 12). C’est là un magnifique témoignage (dont reste aussi un plan de scène) de ce que purent être les mérites spectaculaires du « théâtre en rond » et qui ne devrait être ignoré d’aucun de ceux qu’enthousiasment aujourd’hui encore les réussites de la scène élisabéthaine. Viennent enfin les quelques textes dramatiques accessibles contemporains de Everyman ou immédiatement précédents. Ce sont : Mankind (c. 1) « pièce morale » basée dans l’East Anglia elle aussi ; The Croxton Play of the Sacrament (10), version anglaise d’un « miracle » connu sur le Continent ; ou encore Fulgens and Lucres, premier exemple connu du genre de l’« interlude », pièce théâtralement remarquable et la première à être imprimée (c. 112). De surcroît, on connaît l’auteur (Henry Medwall) ainsi que les possibles circonstances de sa représentation1.

Ce qu’il faut retenir de ce bref survol c’est que, au-delà de leurs intentions et de leur inspiration propres, toutes ces œuvres étroitement liées à la culture chrétienne, et qui, pour certaines seulement, dénoncent les excès et erreurs de la société ou de l’institution cléricale, manifestent toutes une constante dilection pour une forme d’exploration de la personne intime, dès avant la Renaissance bien sûr. Elles utilisent souvent comme forme d’expression, et à des fins diverses, la vision onirique comme voie d’accès à un en-deçà ou un au-delà de la réalité, ce dont la forme dite allégorique rend diversement compte. Elles expriment enfin, en cette fin de Moyen Âge qui va accoucher du « médiévalisme », le prestige obsolète et nostalgique de la courtoisie avec ses deux versants sociologiques, le hiérarchique et l’amoureux (ce dernier qui fut à l’origine du succès, deux siècles plus tôt, du célèbre fin amor). Ces valeurs résiduelles,

1-18.  Un peu plus loin dans ce même volume, The New Pelican Guide, Richard Axton consacre une brève étude aux Moralités ou Moral plays. On lira aussi sur le théâtre de la période la très utile et récente présentation que fait Peter Happé de la période et de son théâtre dans l’Introduction et la partie I de son ouvrage, 1, English Drama Before Shakespeare. Voir aussi le recueil d’excellents articles qui constituent The Cambridge Companion to Medieval English Theatre, 1. On trouvera enfin de larges extraits de pièces de la période dans le recueil de David Bevington, 1, Medieval Drama, ou encore(plus acces-sible en Europe et avec un choix assez différent) dans Greg Walker, 2000, Medieval Drama, An Anthology. Ces différents ouvrages donnent des orientations bibliographiques très utiles.

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réactivées, alimenteront encore l’inspiration européenne, et connaissent d’ailleurs un renouveau en Angleterre à la fin de la Renaissance.

Il reste à rappeler que l’émotivité volontiers démonstrative soulignée plus haut (voir note ) nourrit aussi, dans le climat d’épidémies et de guerres qu’évoquent les parties I et II, une véritable obsession de la mort comme dissolution du corps et comme aven-ture spirituelle de l’âme (confrontée dans la perspective chrétienne au Salut ou à la Damnation).Si ses manifestations sur des fresques, murs d’églises, façades, cimetières sont surtout continentales, sermons et poèmes en multiplient les rappels en Angle-terre, ainsi que, sur la fin du xv siècle, les documents issus de la nouvelle technologie de l’imprimerie, dont les « block books », ces ouvrages bon marché illustrés qui mul-tiplient, avec celles de la Passion du Christ, les représentations grossières gravées sur bois d’une mort physique menaçante (Dance of Death) et incitent, par la pratique d’un véritable « art de mourir », (ars moriendi), à protéger l’âme du mourant18.

On soulignera pour conclure ce que de multiples documents attestent mais que notre époque semble curieusement vouloir oublier : par un paradoxe qui n’est qu’apparent, les communautés d’Europe du Nord surtout, récemment gagnées à un matérialisme mercantile triomphant, ont une pratique dévotionnelle qui n’est pas toujours exempte de contaminations superstitieuses, voire parfois d’un souci d’efficience proche de la computation magique1. Ceci peut s’expliquer en partie, pour l’Angleterre en tout cas, par un encadrement religieux souvent précaire dans le pays profond. Dû à une pratique souvent désastreuse du cumul des bénéfices, celui-ci conduit le bénéficiaire à déléguer les postes ruraux à de pauvres prêtres misérablement rétribués et mal formés20. Mais plus généralement, ce ne sont là que des signes de la tension qui va croissant entre les violents ébranlements d’une société durablement christianisée, et d’autre part les retards, généralement dus aux élites, mis à favoriser un renouveau spirituel.

18. On lira avec profit l’étude de J. Zwingenburger, 1, The Shadow of Death in the Work of Hans Holbein the Younger, sur les oeuvres graphiques qu’a influencées cette obsession de la mort.1. J. Toussaert fait pour l’Europe du Nord le constat documenté d’une religion pratique à la fois désireuse de plus d’intériorité et portée à des excès proches de la superstition (Sentiment religieux en Flan-dre). Pour l’Angleterre, les travaux de Keith Thomas, (Decline of Magic), de Peter Heath (Parish Clergy… Eve of Reformation) infra, note 21,et Eamon Duffy, 12 The Stripping of the Altars, offrent, pour le xv siècle et le xvi siècle réformé, des perspectives qui sont à conjuguer avec les documents qu’a relevés A. Lascombes dans son Culture populaire et théâtre, chap. et ).20. Peter Heath a publié en 1 une étude, brève mais bien documentée et ultra-utile, sur l’état religieux de l’Angleterre rurale, mettant surtout l’accent sur les conditions de vie et d’exercice de prêtres qui occupent souvent la place des « bénéficiaires » absents de leur paroisse.

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Bibliographie générale

(la première partie porte sur la mise en contexte, la deuxième sur la traduction du texte de Everyman et des notes qui l’acccompagnent)

partie 1 : Notes relatives à la mise en contexte

A – Sources primairesAxton, Marie ed., Three Tudor Interludes, Cambridge, D.S. Brewer, 182.Axton, Richard ed., Three Rastell Plays, Cambridge, D.S. Brewer, 1.Axton, Richard & Happé, Peter ed., The Plays of John Heywood, Woodbridge, D.S. Brewer,

11.Turville-Petre, Thorlac ed. (in Ford, Boris, ed., The New Pelican Guide to English Lit. Vol. 1,

Part 1) Section 4: An Anthology of Medieval Poems and Drama.Voir aussi Bevington, David, Medieval Drama et Walker, Greg Medieval Drama, an Antho-

logy, (infra, in Sources secondaires)

B – Sources secondairesAckerman, Robert, W. Backgrounds to Medieval English Literature, New York, Ramdom

House, 1.Balard, Michel, Genet, Jean-Philippe, Rouche, Michel, Le Moyen Âge en Occident, Paris,

Hachette, coll. « Hachette Sup. », 10.Beadle, Richard, The Cambridge Companion to Medieval English Theatre, Cambridge, CUP,

1.Bevington, David, Medieval Drama, Boston/Atlanta, Houghton Miffin C, 1.Crépin, André, Taurinya-Dauby, H., La Littérature anglaise du Moyen Âge, Paris, Nathan,

coll. « Nathan Université », 1.Delumeau, Jean, Naissance et affirmation de la Réforme, Paris, PUF, coll. « Nouvelle Clio »,

18.Dickens, Arthur Geoffrey, The English Reformation, London/Glasgow, Collins, coll.

« Fontana Library », 1.Dobson, Richard B., The Peasants’ Revolt of 1381, London, Macmillan, 10.Duffy, Eamon, The Stripping of the Altars, the Traditional Religion in England: 1400-1580,

Newhaven/London, Yale Univ. Press, 12.Ford, Boris, ed. The New Pelican Guide to English Literature, vol. I, Medieval Literature, Part 1,

Chaucer and the Alliterative Tradition, London, Penguin Books, 18.

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Heath, Peter, The English Parish Clergy on the Eve of the Reformation, London, RPK, 1.Happé, Peter, English Drama Before Shakespeare, London/New York, Longman, 1.Heers, Jacques, L’Occident aux xiv et xv siècles, Aspects économiques et sociaux, Paris, PUF, coll.

« Nouvelle Clio », 10.Lander, Jack Robert, Conflict and Stability in 15th Century England, London, Hutchinson, coll.

« Univ. Library », (1), 1.Lascombes, André, Culture populaire et théâtre en Angleterre à la fin du Moyen Âge, (thèse non

publiée), Paris III, 180.Lockyer, Roger, Henry VII,( Second Edition), London/New York, Longman, (18), 18.Pacaut, Marcel, Les Ordres monastiques et religieux au Moyen Âge, Paris, Nathan, coll.« Nathan

Fac », 10.Rapp, Francis, L’Église et la vie religieuse en Occident à la fin du Moyen Âge, Paris, PUF, coll.

« Nouvelle Clio », 11.Thomas, Keith, Religion and the Decline of Magic: Studies in Popular Beliefs in Sixteenth and

Seventeenth Century England, London, Weidenfeld &Nicolson, 11.Thomson, John, A.F., The Transformation of Medieval England: 1370-1529, London/New York,

Longman, 18.Toussaert, Jacques, Le sentiment religieux en Flandre à la fin du Moyen Âge, Paris, Plon, 1.Walker, Greg, Medieval Drama, An Anthology, Oxford, Blackwell, 2000.Zwingenburger, Jeanette, The Shadow of Death in the Work of Hans Holbein the Younger, London,

Parkstone Press, 1.

partie 2 : Notes relatives à la traduction

A – Sources primaires

 - Le texte de Everyman (Éditions recommandées)Pour des questions de fond mais aussi pour des raisons pratiques, la décision a été prise de choisir pour base de la présente traduction le texte qu’ont eux-mêmes retenu Geoffrey Cooper et Christopher Wortham, responsables de l’édition de la pièce The Summoning of Everyman, Nedlands, The University of Western Australia Press, 180. Il s’agit de l’édition de c. 122-2 attribuée à John Skot ou Scott, connue sous le nom de Britwell edition (qui a d’abord appartenu à la Cathédrale de Lincoln et Britwell Court avant d‘être aujourd’hui à la Huntingdon Library en Californie). Leur choix de ce texte nommé texte A, qui se fonde sur les remarques et arguments de W.W. Greg, puis de A.C. Cawley, est argumenté aux pages xlvii-l de leur introduction, et a paru convaincant. À ceci s’ajoute le fait que, à la date (1-) où la présente traduction a été entreprise (pour figurer dans l’édition alors programmée d’un recueil de pièces anglaises de la

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Renaissance pour la collection ‘Pléiade’ de Gallimard) l’édition Cooper/Wortham était à la fois la plus accessible en Europe et la plus précisément commentée. De surcroît, la présence dans cette édition d’un Appendice listant les émendations et variantes textuelles (p. 1-), apportait l’avantage supplémentaire que chaque lecteur peut à tout moment connaître la nature des choix faits par les éditeurs du texte A. Même si la sortie récente de l’édition de Clifford Davidson, Everyman and Its Dutch Original, Elckerlijc, ed, M.W. Walsh et T.J.Broos, Kalamazoo, West Michigan University, 200, change manifestement la donne (leur formule propose une mise en regard des deux pièces propice à l’analyse comparatiste), celle de A.C. Cawley (sur papier et en ligne) et celle de Cooper & Wortham ( sur papier à ce jour) restent extrêmement utiles.

2 - Instruments de travail

¤ Autres TraductionsÀ ma connaissance, c’est Claude Gauvin qui a proposé la première traduction

française de Everyman, (Ecritures 79 (numéro spécial), pages de Littérature anglaise médiévale, ed. Juliette Dor, Université de Liège, 1,  -). Elle peut être commandée à Christian Delcourt, Quai St Léonard, 1 a, BP 21, 000 LIEGE.

peu après la mise en ligne de celle du présent auteur, celle de Jean-Marie Maguin a été annexée au cours fait pour le CNED et publié par PUF sous le titre : Everyman ou la question de l’au-delà au Moyen Âge, Paris, PUF, 2008.

¤ DictionnairesOutre l’OED ou sa version compacte, The Shorter Oxford English Dictionary, on

consultera :Pour toutes questions lexicales, The Middle English Dictionary, ed. H.Kurath & S.M.

Kuhn, Ann Arbor, 12—Pour les problèmes de prononciation (et l’appréciation des rimes et assonances),

le livret de Helge Kökeritz, A Guide to Chaucer’s Pronunciation : Mediaeval Academy Reprints for Teaching, Toronto, Univ. Of Toronto Press/ Mediaeval Academy of America, (18) aidera à retrouver une restitution à peu près acceptable.

Pour les problèmes linguistiques, on consultera : Colette Stevanovitch, Manuel de l’histoire de la langue anglaise, (1), Paris, Ellipses, 2008.

B.G. Whiting, Proverbs, Sentences, and Proverbial Phrases from English Writings mainly Before 1500, Cambridge, Mass. & Londres, 18, est une mine sûre d’information sur les

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formes ritualisées de la langue commune.Pour les techniques de l’expression linguistique et rhétorique, voir pour le repérage

des formes: Henri Morier, Dictionnaire de poétique et de Rhétorique, Paris, PUF, (11), 188.

Pour une mise en ordre systématique et théorique on peut s’inspirer aussi de : Groupe µ, Rhétorique Générale, Paris, Larousse, ‘Langages », (10), Seuil, Coll. « Points », 182.

Sur les aspects religieux de la pièce, voir, soit La Bible de Jérusalem, Paris, éditions du Cerf, 1, soit La Bible, édition œcuménique, Paris, éditions du Cerf, 200 . Enfin, Le Catéchisme de l’Église Catholique, Paris, Editions du Centurion/Cerf, 18 donnera les définitions précises sur les points du rituel ou de la doctrine catholique qui structurent la pièce Everyman.

B – Textes secondaires : approches critiques

1 - Anthropologie

Plus que la seule approche historique de la question de la mort qui est au centre de la pièce, la comparaison de documents d’époque liés à ce thème avec le traitement qu’il reçoit aujourd’hui est susceptible de dégager les significations profondes de la pièce d’un point de vue anthropologique. On conseillera donc d’associer la consultation des sources médiévales sur la mort et celles de la préparation à cette échéance dans une perspective chrétienne (que l’on appelait alors l’ars moriendi) à la réflexion qui se mène aujourd’hui sur un sujet devenu tabouet dont s’agit de retrouver le sens. Les documents suivants y aideront :

Pour le Moyen ÂgeThe Dance of Death by Holbein the Younger, A Complete Facsimile of the Original 18 Edition of

Les simulachres & historiées faces de la mort, intr. Gundersheimer, Werner, L., New York, Dover Publications, 11.

Ziegler, Ph., The Black Death, London, Collins (1), Penguin, Pelican, 10.Zwingenburger, Jeanette, The Shadow of Death in the Work of Hans Holbein the Younger,

London, Parkstone Press, 1.Warren, Florence, The Dance of Death, Oxford, ‘EETS’, OS 181 (11), 2000.Ars Moriendi, 12 (cf. article de Carpenter, Sarah, infra d).

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Pour une réflexion contemporaineAriès, Philippe, L’homme devant la Mort, Paris,Seuil, 1.Hennezel, Marie de & Jean-Yves Leloup : L’art de Mourir, Paris, Robert Laffont, 1.Kübler-Ross, Elisabeth, On Death and Dying, New York, Macmillan, C, 1.

3 - La littérature et le genre qu’elle a annexé, le théâtre

a) Pour aller à l’essentiel et au plus utile, on consultera prioritairement sur le théâtre :Bevington, David : From Mankind to Marlowe, The Growth of Structure in the Popular Drama of Tudor

England, Cambridge, Mass., Harvard U.P., 12.et pour les textes, son recueil et ses analyses in :_____ : Medieval Drama, Boston, Houghton Mifflin C, 1.Debax, Jean-Paul, Le théâtre du Vice ou la comédie anglaise : investigation sur le fonctionnement du théâtre

Tudor, Toulouse, COREP, 18, 2 vol.Southern, Richard, The Medieval Theatre in the Round: A Study of the Staging of The Castle of Perseverance

and Related Matters, Londres (18), New York, Theatre Arts Books, 1._____ : The Staging of Plays Before Shakespeare, Londres, Faber, 1.Walker, Greg: The Politics of Performance in Early Renaissance Drama, Cambridge, CUP.Wickham Glynne, Early English Stages, ( vols), Londres, 1 et 181. (cf. vol. I). Cette somme

remarquable possède un index abondant permettant des consultations précises._____ : Medieval English theatre

b) Les panoramas et les jugements très utiles et éclairants de bons spécialistes que proposentles recueils d’articles et présentations critiques qui suivent aideront le non spécialiste à mettre la pièceétudiée dans sa juste perspective culturelle, dramatique et théâtrale.Beadle, Richard, The Cambridge Companion to Medieval English Theatre, Cambridge, CUP, 1.Duchet, Jean-Louis & Gauvin, Claude, Présentation historique et critique d’Everyman, AMAES coll

8, Poitiers (182), 2008.Neuss, Paula, Aspects of Early English Drama, Cambridge, D.S. Brewer, 18. Potter Lois, The Revels History of Drama in English, Vol 1, Medieval Drama,London/New York,

Methuen, 18.

c) Sur la pièce Everyman elle-même, mentionnons, au sein d’une bibliographie imposante, desarticles individuels qui touchent à des problèmes centraux :Bacquet, Paul, « Everyman et l’orthodoxie catholique médiévale », Études anglaises ., (182), 2-

10.

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Bourquin, Guy, « On the Ambiguity of Death in Everyman », Duchet & Gauvin, eds., Présentation historique et critique, Poitiers, AMAES, n° 8, 182, 11-10, Rept Bourgne F. ed., Everyman, lectures critiques et documents, Paris, AMAES n°0, 8-8.

_____ « Notes de lecture », « réflexions complémentaires », Bulletin des Anglicistes Médiévistes, , hiver 2008, p. -100 (100).

Carruthers, Leo, Reading Everyman, Coll. « Clefs pour les Concours », Anglais-Littérature, Paris : Atlante, 200. La présentation éclaire l’environnement culturel, les sources et aspects idéologiques, ainsi que la langue de l’époque et de la pièce.

Debax, Jean-Paul, à propos des liens génétiques ou culturels, entre Elkerljic et Everyman : « An Assessment of Cawley’s Introduction to his 11 edition of Everyman », Hillman éd., 2008, 1-10 ; « The Originality of Everyman », Stevanovich ed., 200, - ; « Everyman et les Pays Bas », BAM, Bulletin des Anglicistes Médiévistes, n°, hiver 200.

Dor, Juliette, Prières et variations sur les motifs du bilan et du pélerinage dans Everyman, Stevanovitch (ed.), 200, 1-.

Duchet, J.L. & Gauvin, C., Présentation historique et critique d’Everyman, Poitiers, AMAES, n°.8, 182

Conley, John, « The Doctrine of Friendship in Everyman », Speculum  (1), -82.Jambeck, Thomas J. « Everyman and the Implications of Bernardine Humanism in the

Character Knowledge », Medievalia et Humanistica, 8 (1), 10-2.Kolvé, Virgil A., « Everyman and the Parable of the Talents », in Taylor Jerome and

Nelson A.H. eds., Medieval English Drama, Essays Critical and Contextual, Chicago, Univ. Chicago Press, 12, 1-0.

Konigson, Elie, « Les Objets de représentation au théâtre », Nouvelle revue du Seizième Siècle, 1-2, (1), 18-).

Harper Elizabeth & Mize Britt, « Material Economy, Spiritual Economy and Social Critique in Everyman », Comparative Drama 0- (200), 2-11.

Hillman, Richard, « Everyman and the Energies of Stasis », Flor (18), 20-2._____ : (ed.) Everyman, Journées d’étude, Tours : Univ. F. Rabelais, 0ct 2008 DVD (huit

communications, des documents iconographiques, et l’enregistrement de la pièce interprétée lors d’un dramatic reading) Consultable sur le site du CESR : <www://umr .cesr.univ-tours.fr/publications.

Lascombes, André, « La Semonce de Tout-Homme et la vertu théâtrale de la moralité », Duchet & Gauvin, eds. . Présentation…, 182, 81-108.

Maguin, J.M., Everyman ou la question de l’au-delà au Moyen Âge, Paris, PUF, CNED, 200. L’étude est le cours pour le CNED suivi d’une traduction de la pièce Morrison.

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Morrison, Stephen, Everyman and preaching style, Stevanovitch, (ed.), 200, p. 11-2.O’Connor, Marion, Compte-rendus des spectacles : « Everyman, The Creation and The

Passion », montés par The Royal Shakespeare Company « Medieval Season 1- », Medieval and Renaissance Drama in England 11 (1), 1-.

Ryan, Lawrence V., « Doctrine and Dramatic Structure in Everyman », Speculum 2 (1), 22-.

d) Enfin, des articles, récemment suscités par l’inscription de la pièce au programmede l’agrégation d’anglais de 181 et 2008, ont paru, soit à ce jour :A) Hillman, Richard, Journées d’étude sur Everyman, Tours, CESR, 10-11 oct. 2008,

édite un CD audio/vidéo comprenant, avec la vidéo de la représentationdonnée de la pièce le 10 octobre 2008, les articles suivants : (Bergmans, Luc, Paris IV-CESR :« Elckerlijc et Everyman » ; Blanc, Pauline, Lyon III-CESR, « Identity and the Seven Sacraments in Everyman » ; Carpenter, Sarah, Univ. Edinburgh, « Dramatising Death in Everyman » ; Guinle Francis, Lyon II, « The Rituals of Passage in Everyman » ; Hillman Richard, Tours-CESR, « Doing Allegory Otherwise in Everyman », Lascombes, André, Tours-CESR, « Everyman as a Dual Play, an Afterword ».

B) Harding, Wendy & Debax, Jean-Paul (Toulouse 2), ainsi que Stevanovitch, Colette,Nancy 2, éds. des colloques de janvier 200, publiés par grendel et idea, Univ. Nancy 2, dans Everyman, Amaes, coll. « Grendel » n° 10, éds. C. Stevanovitch et al., Nancy, 200. Ils sont classés en trois sections : 1) La théâtralité, 2)La langue et le style, ) Le milieu culturel.

1) Douglas Morse, « On Adapting the Summoning of Everyman for the Screen », - 20;Charles Whitworth, « Feminine Personifications in Everyman, and the English Morality Tradition », 21-0 ; Blaise Douglas, « Involving the Audience in Everyman’s Plight : Strategies and modes of Action », 1-8 ; André Lascombes, « Paradoxe et spectacle dans Everyman », -; id , « Dramaturgie de la Réticence dans Everyman: du constat à l’hypothèse», - ; Jean-Paul Debax, «The Originality of Everyman », - ; Velichka Ivanova, « A Contemporary Return to the Medieval Everyman : Philip Roth’s Novel »,-2.

2) Fabienne Toupin, « Les propositions hypothétiques dans la moralité Everyman »,-112 ; Stephen Morrison, « Everyman and Preaching Style », 11-12 ; Juliette Dor, « Prières et variations sur les motifs du bilan et du pèlerinage dans Everyman », 1- 1 ; Wendy Harding, « The Redemption of Language in Everyman », 1-10 ;

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Martine Yvernault, «Jeu(x)et enjeux optiques dans Everyman», 11-; Lesley Lawton, « Crisis and Transformation in Everyman », 1-18.

) Agnès Blandeau, « Everyman et Elckerlijc : échos et réfractions », 18-20, Ianut Untea,« The Other Everyman : Christian Echoes of the Figure of Job in the Fifteenth Century Morality Play Everyman», 20- 220 ; Aimeric Vacher, « L’ars moriendi à travers la pièce Everyman », 221-228 ; Wendy Harding, « Everyman’s Unspoken Confession », 22-2 ; Christopher D. Denny, « The Imitation of Christ’s Spiritual InteriorityDramatized in Elckerlijc / Everyman », 2- 28 ; Marcel Pikhart, « All that LyuethAppayreth Faste : Time in Everyman », 2-2 ; Corina-Petronela Untea, « The MoralTeaching of Everyman : an Original Synthesis of Rigorous Dogmas and PopularSpirituality», 2-2.

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