emile verhaeren philippe_ii

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Philippe II Episode dramatique en trois actes de Emile Verhaeren PERSONNAGES : PHILIPPE II, roi d’Espagne DON CARLOS, infant, prince des Asturies LA COMTESSE de Clermont, dame d’honneur de la cour FRAY BERNARDO, confesseur du roi DON JUAN d’Autriche DON FRANCISCO DE HOYOS, notaire du roi FRAY HIERONIMO COMTE DE FERIA SOLDATS ET MOINES Tous les actes se passent à l’Escurial. ACTE PREMIER Une terrasse. A gauche, le pavillon de DON CA.RLOS. Au fond, de la scène l'Escurial où seulement une fenêtre, celle de la chambre de PHILIPPE II, est éclairée. Entre le fond et la terrasse les jardins du palais. Deux escaliers, l'un à droite, l'autre à gauche, descendent de la terrasse aux jardins. DON CARLOS Dîeu ! que mon corps est triste et languissant, ce soir, Et qu'est triste là-bas, sur la campagne, La lumière des nuits d'Espagne. L'Escurial rigide et noir Jette une ombre plus funèbre et plus sombre, Parmi tant d'autres ombres Que je regarde et qui me voient mourir... Oh! mon rêve fermé que j'ai peur d'entr'ouvrir, Oh! mes désirs : chevaux cabrés dans l'or des gloires... (Il marche vers le bord de la terrasse et attend.) Hier, j'étais ferme et clair, tout mon être vibrait Tel un glaive planté sur sa victoire ; J'étais comme affolé; mes pas entraient Dans l'avenir immense, avec une ardeur telle Que mon aïeul lui-même en eût aimé l'élan. Et me voici, comme autrefois, morne et dolent, Sans croire à mon triomphe... (Se tournant du côté d'où viendra la COMTESSE.) Hélas ! que ne vient-elle ?

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Philippe IIEpisode dramatique en trois actesdeEmile VerhaerenPERSONNAGES :PHILIPPE II, roi dEspagneDON CARLOS, infant, prince des AsturiesLA COMTESSE de Clermont, dame dhonneur de la courFRAY BERNARDO, confesseur du roiDON J UAN dAutricheDON FRANCISCO DE HOYOS, notaire du roiFRAY HIERONIMOCOMTE DE FERIASOLDATS ET MOINESTous les actes se passent lEscurial.ACTE PREMIERUne terrasse. A gauche, le pavillon de DON CA.RLOS. Au fond, de la scne l'Escurial o seulement une fentre, celle de la chambre de PHILIPPE II, est claire. Entre le fond et la terrasse les jardins du palais. Deux escaliers, l'un droite, l'autre gauche, descendent de la terrasse aux jardins.DON CARLOSDeu ! que mon corps est triste et languissant, ce soir, Et qu'est triste l-bas, sur la campagne, La lumire des nuits d'Espagne. L'Escurial rigide et noir J ette une ombre plus funbre et plus sombre, Parmi tant d'autres ombres Que je regarde et qui me voient mourir... Oh! mon rve ferm que j'ai peur d'entr'ouvrir, Oh! mes dsirs : chevaux cabrs dans l'or des gloires...(Il marche vers le bord de la terrasse et attend.)Hier, j'tais ferme et clair, tout mon tre vibrait Tel un glaive plant sur sa victoire ; J 'tais comme affol; mes pas entraient Dans l'avenir immense, avec une ardeur telle Que mon aeul lui-mme en et aim l'lan. Et me voici, comme autrefois, morne et dolent, Sans croire mon triomphe...(Se tournant du ct d'o viendra la COMTESSE.)Hlas ! que ne vient-elle ? {C0A8C59F-6E8F-43c4-8453-65D208276F40}{DF9F8C5C-7DB1-46F3-956D-BB5A7F703BFC}{C0A8C59F-6E8F- 43c4-8453- 65D208276F40}(Tout coup, violent.)Que ne vient-elle enfin, puisque ainsi je le veux !LA COMTESSE (apparaissant l'escalier de gauche)Carlos ! mon roi Carlos VDON CARLOS (se jetant dans ses bras)O toi, la bien-aime ! O douceur de ta voix ! beaut de tes jeux !LA COMTESSE (rapidement)La marquise d'Amboise est sauve. A cette heure, elle traverse la mer. Les rforms d'Angleterre l'attendent. Tes ordres ont t suivis. Oh ! la bonne action que tu fis l, mon roi !DON CARLOS (distrait)Ah!LA COMTESSERegretterais-tu ?DON CARLOSOh ! que mon corps est las et malade, ce soir ! Mon torse ple est l'abreuvoir Que desschent les douleurs et les fivres. Le malsournois me tient, la mort hante mes lvres. Mon ancienne blessure est ardente toujours. O bien-aime ! Oh la clart de nos amours Et les gouttes de vie en tes baisers scelles !LA COMTESSECarlos !DON CARLOSOh ! que n'es-tu sans cesse auprs de moi,Avec ton me et ta beaut comme toiles, Avec ta quitude, avec ta large foi Dans mon ardeur qui choit, mais toujours se relvePour resurgir encore et s'enivrer d'orgueil.J e suis Carlos d'Espagne et je porte le deuilEt la douleur et la splendeur morne d'un rveImpatient que je nourris depuis des ansEt qui reste captif en moncur bondissantVers la gloire rapide et les triomphes proches.J e n'ai pas, moi, le temps de m'attarder : les clochesQui sonneront ma mortDoivent d'abordCrier ma dlivrance et ma grandeur au monde.Oh! Charles-Quint, je suis une pierre en ta fronde,J e suis une arme ardente et qui prtend servir !LA COMTESSE Enfin, tu te souviens, Carlos !DON CARLOSTout l'heure je fuyais tes paroles. J 'tais sans vie. J e n'osais plus songer l'audace de mes projets. Et pourtant, ds demain, ils se raliseront. Tout est fix, promis, convenu. Seule, l'aide de Don Juan me manque encore.(Un repos.)Il t'avait promis de sauver avec nous lamarquise d'Amboise. L'a-t-il fait ?LA COMTESSEQuand la marquise eut atteint la Guipuscoa, elle gagna Renteria et Passags. Don Juan, gnral de la mer, grce un ordre fortuit reu du roi lui-mme, loigna ses navires. Les ctes taient libres. Une barque fut amene. La marquise put s'enfuir d'Espagne. Ainsi, sans avoir l'air de nous protger, Don Juan nous aida.DON CARLOSC'est bien.LA COMTESSEVous savez comme j'aime la marquise, et comme je tremblais de la savoir Madrid. Le roi Philippe l'entourait d'embches, il la souponnait d'hrsieDON CARLOSCe n'tait pas mon pre qu'il fallait craindre, c'taient les moines, eux seuls sont redoutables.LA COMTESSEHlas !DON CARLOS (brusque)Non pas, non pas ! Ils sont l'assise divine o mon pouvoir s'appuie, ils sont le sang, le cur, la force de l'Espagne. Si jamais le remords m'assaille d'avoir sauv la marquise, c'est eux qui le rveilleront... Vraiment, il faut que je vous aime plus que moi-mme, que je vous aime en aveugle, que je vous aime comme un pch...LA COMTESSE (tendre) Pardonnez-moi.DON CARLOS Viens plus prs de mon cur et de mes lvres pour que j'oublie...Vois-tu, le Saint-Office est le salut : la lie Du monde est dverse en ses brassins de feu, Et s'y perd, et s'y brle, la face de Dieu Qui fait la flamme afin que l'univers se sauve. Il ne faut point trembler devant te grandeur fauve De l'glise, qui s'est faite lionne et courtAvec terreur, avec angoisse, avec amour, Mordre la chair impie avec ses dents brlantes. Son droit est souverain, si sa force est sanglante. Rome est utile tous, tous, surtout aux rois, Tous la craignent et la suivent il n'est que moi Qui porte au cur assez d'ardeur qui fertilise Pour tre en mme temps et l'Espagne et l'Eglise Et le monde moi seul.LA COMTESSETu t'enivres, Carlos !DON CARLOS (furieux)Non, non, non, non !... Ma tte est battante de flots Si merveilleux d'orgueil qu'il n'est rien que jecraigne. La puissance des rois datera de mon rgne. Ce palais qu'on achve est comme un mont gant Trop large pour mon pre, et construit ma taille. On peindra sur ses murs l'lan de mes batailles Et de mes vaisseaux d'or, trouant les Ocans Et les horizons fous des bonds de leurs conqutes; Un bruit de gloire immense accueillera mes pas.La mer et le soleil sont miens, la terre est prte Et je ne mourrai point, puisque je ne veux pas...LA COMTESSE (presque avec piti) Carlos ! Carlos !DON CARLOS (secalmant)Demande Don Juan quels rves nous fmes ensemble, et combiennos curs ontfoi dans nos destins. Nous nous sommes promis la gloire l'un l'autre et tous les deux nous l'obtiendrons.LA COMTESSEViendra-t-il ?DON CARLOS (fait signe que oui et continue) Avec quelle joie il suivra ma fortune. Il souponne depuis longtemps mon dsir, mais il ignore encore ceque je veux tenter, sans hsiter, demain.(Tout coup nerv.)J e n'en puis plus... J e n'en puis plus... Il faut que jem'enfuie sur l'heure et que j'arrive en Flandre.LA COMTESSE (l'entranant vers le bord de la terrasse. La lampe s'teint la fentre du roi)Regarde au loin comme est belle et, grande la nuitEt comme le silence est divin sur la terre !DON CARLOS (se laissant persuader ) O l'apaisante, et pure, et sereine lumire ! O la splendeur des montagnes ples, l-bas !.. L'Escurial sommeille et ses jardins sont las D'avoir t trop beaux, sous les midis de flamme. Madrid est blanche et les clochers de Notre-Dame Montent au loin parmi les buis et les cyprs, Et lentement, le vieux et doux Mananars Raconte ses roseaux les lgendes d'Espagne.LA COMTESSEUne douceur d'argent tombe sur la campagne ! O mon aim, qu'il fait bon vivre, et que mes bras Dsireraient toujours tre pour ton front las Et pour ton cur et sa tempte, le bon asile. J e suis venue toi, maternelle et docile, De mes plaines de France o l'on aime sans peur, O le ciel bienveillant illumine la vie, O les heures d'amour clment ne sont suivies D'aucun songe malsain, ni d'aucune terreur.DON CARLOS (confiant) Comme tes yeux sont beaux ! comme est fire ton me !LA COMTESSETa gloire et ton triomphe ont cette me pour flamme. J e te rve l-bas, comme les blancs Valois, En des palais joyeux et clairs, sous les verdures, Libre d'agir en matre et de vouloir en roi.DON CARLOSJ 'aime les cieux lointains et la belle aventure... LA COMTESSEL'air de l'Escurial est un air empest De violence sourde et de contrainte morne. On n'y vit pas, Carlos, on y attend la mort. Quand le soir tombe autour de nous, les vents y cornent On nesait quel appel vers un deuil noir et or Qui se lve d'ici pour recouvrir l'Espagne. Cirques de sable ardent, vallons, pres montagnes, Une cruaut sche et tranquille les vt, Toujours gale et comme unie leur nature, Le sol y est tout la fois gel et brlure Et rien ne s'y rpand, que les dsirs mauvais...DOS CARLOSOh ! que j'en ai senti le dgot et l'angoisse, En ces heures de rage et de fivre sournoise, Quand des feux de folie illuminaient mes nuits.(A cet instant, PHILIPPE II parat l'escalier de gauche, s'avance trs lentement vers DOS CARLOS et LA COMTESSE, et se trouve derrire eux, sans qu'ils le voient.)Mais aujourd'hui, j'ai ta ferveur et j'ai ton meEt nos beaux lacs d'amour o noyer mes ennuis.Tes paroles me sont radieuses, les flammesDe tes regards me sont douces comme le bien.Ecoute. Il fait silence autour de notre joie,Et ta chambre est tranquille, et ton corps est ma proie.O bien-aime, coute, et viens-nous-en... Viens... Viens.(DOS CARLOS entrane LA COMTESSE. Tous deux s'en vont vers la chambre.)LA COMTESSE (se retournant)Le roi !(PHILIPPE II les regarde, fait nn geste vaguement rassurant et continue sa promenade nocturne; il disparat par l'escalier de droite, sans rien dire.)Mon sang, jusqu'au fond de montre, A reflu.DON CARLOS (allant voir la rampe de la terrasse)Pourtant, la lampe sa fentre tait teinte; on pouvait croire qu'il s'endormait...(Tout coup violent.)O roi nocturne et faux qui nous espionnais, Roi morne et violent dont chaque pas dans l'ombre Semble broyer sous lui un morceau de mon cur; Roi de colre et de silence, et roi d'horreur, Roi mon pre, dont les crimes rouges se nombrent D'aprs les cris, les dsespoirs et les effrois Qui traversent, hurlants et fous, les vents du monde, J 'atteste Dieu, que moi, ton fils, j'ai bien le droit De m'chapper soudain de ton treinte immonde, Et de tordre le bras qui cherche m'touffer.LA COMTESSECarlos ! Carlos !DON CARLOS (haletant) J e veuxla vie, J e veux souffrir, je veux mourir pour triompher.Si je suis las, c'est que ma force est asservie,C'est que l'Escurial me tient, c'est que le roiLaisse sa mortelle ombre errer par-dessus moi.Quelle me et rsist ce constant supplice ?Ma maison mme tait sans le savoir complice :Majordome, cuyers, pages et serviteurs;Mais aujourd'hui je resurgis sur les hauteursDe mon orgueil et de ma destine;J 'ai pour concours, en mme temps,Et ma haine obstineEt ton amour hantant,Et je suisivreDe tout l'espoirQue ton secret et merveilleux pouvoirEn mon tre dlivre.(DON CARLOS s'est peu peu rapproch de la rampe de la terrasse. Tout coupil tressaille, et saisissant LA COMTESSE et lui montrant la cour de l'Escurial.)Viens, viens ici, regarde !Tu vois, l-bas, ce moine noir qui, par mgarde, semble gagner le coin o disparut le roi. Eh bien ! ce moine-l, c'est l'espion du Saint-Office. Philippe II surveille, mais il est surveill. Chaque pas qu'il fait vers nous, quelqu'un le fait vers lui. Regarde, il rentre et le moine disparat.(A lui-mme.) O puissance attentive et toujours souveraine !LA COMTESSELe roi, il est partout hostile et invisible : Il est dans ces couloirs, ces tours et ces jardins, Il voit d'entreles joints des murs; ses yeux soudains Prenant les corps pour but, mais les mes pour cibles, Guettent dans la lumire ou dans la nuit, cachs. Ils regardent la vie ainsi que le pch. O mon Carlos, si nous n'tions srs de nous-mmes, Si nous n'tions brlants d'une ferveur suprme, Ils glaceraient nos curs et rgneraient en nous.DON CARLOSSois sans crainte. J 'ai mes desseins hardis et fous, Tout rayonnants d'espoir, de gloire et de colre. J e serai roi demain ; je sais ce qu'il faut faire Pour arriver en Flandre et me gagner, de l, Puisque ma cause est leur, et la France et l'Empire.Ah ! mon pre, jamais tu ne pourras maudire, Trop durement, le jour o tu m'exaspras.LA COMTESSEVoici Don Juan qui vient. Adieu. ..mon cur se serre, Mon cur qui restera sur tes lvres, pench...(Elle sort.)DON CARLOS ( lui-mme)Le roi se fie lui et le laisse approcher.Il ne sait pas combien Don Juan m'aime. Mon pre...(Il se retourne, voit DONJUANdevant lui, qui le salue. DON CARLOS imprieusement.)J e veux m'enfuir d'Espagne et veux que vous m'aidiez Sans hsiter, demain.(Se calmant.)Don Juan, tu te rappelles Nos jeunes passions et nos ardeurs jumelles Et nos rves joyeusement associs Quand nous vivions sans nous quitter Et cte cte Dans Alcala, jadis ;Nos curs taient deux curs galement hardis Que Charles-Quint tenait dans sa main haute.Tu devinais dj l'infant que je seraisEt dans quel sort affreux bouillonnerait ma vie,Tu n'aimais pas mon pre, et moi, je l'excrais.Oh ! nos haines, oh ! nos rages inassouvies.Depuis, tu me quittas, sur mon conseil,Pour t'en aller l-bas, o nul ne peut te nuire,Rgner, dans la tempte ou le soleil,Sur les voiles et les canons de mes navires.Tu fus matre des mers, taudis que moi,Avec mon cur qui boude et mon esprit qui rve,Avec mes pas lis au poids que je soulve,J e suis rest, comme un enfant, sujet du roi.Il m'entoure d'honneurs et d'espions, il penseQue je ne saisis pas de ses faveurs l'offense,Que j'essuierai toujours ses fastueux affronts.Il agit par dtours, je n'agis que par bonds.Comprends-tu ma fureur et mon dsir de mordre?DON J UANCarlos !DON CARLOS J 'ai confiance aussi profondmentEn toi, que je l'avais, jadis, aux temps dments, O ma raison faillit sombrer dans le dsordre. Tu m'appelais ton frre, et j'adorais ce nom Trouv, par toi, parmi les mots de ta tendresse. Tu m'tais mieux qu'un prince, et plus qu'un compagnon; Tu me fus doux et secourable et ma dtresse Devant toi seul, un jour, osa pleurer sans peur. Ces temps sont dj loin de maux et de malheurs, Mais peuvent revenir, si mon pre s'acharne. L'astuce et la torture en son cerveau s'incarnent. La nuit, il passe en mes rves, et je le sens Marcher, vers mon repos, par un chemin de sang, Me caresser le front, les yeux, le cou, la gorge, Avec ses longues mains qui tout coup gorgent, Avec ses tratres doigts, avec ses doigts d'effroi Et d'ombre... Ah ! mon frre Don Juan, lorsqu'on est moi Comprends-tu que l'on crie et que l'on morde!DON J UAN (spontan)Ah ! certes!DON CARLOSPhilippe II tait encore infant, comme moi, qu'il gouvernait dj la Flandre. Il obligeait son pre lui faire place. Je suis son exemple. Depuis longtemps je metaisais, mais aujourd'hui j'ai l'ge o l'on commande et, lorsqu'on est prince d'Espagne, o l'on rgne.Que le roi nomme le duc d'Albe, qu'importe ! J e me dsigne moi-mme.DON J UANCe serait la rvolte, Carlos.DON CARLOSBerghes et Montigny m'ont pressenti. Ils voyaient clair. Ils conseillaient de prendre par la force ce qu'on refuse mon droit.DON J UAN Berghes et Montigny sont morts.DON CARLOSBerghes est mort temps. Montigny fut tu. J e garde leurs mmoires. Mais il me reste tous les seigneurs de Flandre. Brederode, Hornes, Egmont soutiennent ma querelle. Je n'aurai qu' paratre pour trouver une arme. Ils l'ont promise; elle est prte; elle n'attend que son chef, moi.Si j'hsite, Anvers, Bruxelles et Gand chappent l'Espagne. Le duc d'Albe y est abhorr. Sa prsence l-bas serait la rvolte et la honte. Dj le nom de Guillaume d'Orange grandit. Le peuple s'en empare. Il oublie celui de Charles V. Ni la Rgente, ni Granvelle ne rsistent. Ils sont bout de ressources.DON J UAN Comme te voil instruit !DON CARLOSJ 'ai plus song que tu ne crois ma victoire. Comme toi, qui courais combattre les Turcs, je m'enivre de luttes et de batailles. Tu m'es dvou comme personne. Hier encore, tu sauvais lamarquise d'Amboise avec mot. Dis, quand partons-nous ensemble?DON J UAN Mais je ne puis, mais je ne veux, mais....DON CARLOSIl me faut tes vaisseaux et tes hommes. Je gagnerai la France, et puis la Flandre. Les Valois me soutiennent. Ils dtestent Philippe. Gand, Bruxelles, Anvers seront mes villes, comme elles furent celles de Charles VOh ! Don Juan, entends-tu les cloches effares Et les beffrois, et les clameurs et les entres Triomphales, au cur du beau pays flamand ? J e lui ferai aimer l'Espagne en le calmant. Philippe II le veut tuer pour le rduire; J e serai ferme autant que lui, mais ferai luire Plus de foudre superbe aux mains de notre droit; Au moins serai-je net et franc en mon langage : J e ne mentirai point, je donnerai, pour gage De mes serments, ma rvolte contre le roi !DON J UANTu es infant d'Espagne, tu ne peux pas, en face du monde et de ton pre...DON CARLOS Louis XI, dauphin franais, fit comme moi.DON J UANMais ton rve est un crime. Si tu ne russis tu te perds jamais.DON CARLOSCharles-Quint russissait toujours.DON J UAN J amais il n'et jet ses droits dans les hasards.DON CARLOSIl m'et compris... d'ailleurs, je ne veux rien entendre. Le duc d'Albe jamais ne parviendra en Flandre. Pour me troubler ou m'arrter, il est trop tard. Tu me perdras ou me suivras, je te le jure: Choisis, choisis!DON J UAN (hsitant et cherchant)Oh! Don Carlos, si je pouvais...DON CARLOSTu dtestes autant que moi ce duc mauvais, Ce duc...DON J UANAttends, si je pouvais .. une aventure Aussi soudaine, aussi terrible, aussi...DON CARLOSQuoi ? Quoi ?DON J UAN ( lui-mme) Peut-tre... et tout s'arrangerait ainsi... le roi...DON CARLOS Que veux-tu dire? Oh dis. ..dis. ..dis... Quel stratagme...DON J UAN ( lui-mme)Le roi... il faut qu'il sache... et certes...il comprendra...DON CARLOS (impatient) Ainsi, j'irai en Flandre, et tu m'y aideras?DON J UAN (avec fermet)Bien mieux ! J 'espre un jour t'y amener moi-mme. J amais je n'ai trembl devant les fiers projets D'autant plus beaux qu'ils paraissent plus tmraires. Mon audace est debout et mon courage est prt : J 'agirai vite. En attendant, laisse-moi faire.(Il sort.)DON CARLOS ( LA COMTESSEqui entre) C'est la victoire, amie, et sa foudre est en nous! Don Juan me reste acquis. Don Juan consent tout. Demain, la mer entire acclamera la fuite De nos voiles, cinglant vers mes pays du Nord. J e dresserai ta grce et ta splendeur au bord D'une galre ardente et bellement construite; Nous serons fiers de notre amour et notre droit, Flottant l-bas, au loin, sur les vagues tratresses, blouira des clairs d'or de sa jeunesse, Jusqu'en ce palais morne et monstrueux, le roi!LA COMTESSEO Don Carlos, mon aim, ma joie est folle A te sentir libre et sauv par notre amour. Don Juan t'a donc ds aujourd'hui fix le jour Et l'instant clair...DON CARLOSDon Juan m'a donn sa parole. Nous gagnerons Anvers; lui-mme, il veut sa part Dans les dangers joyeux qui peupleront ma vie.Il est d'esprit habile et son cur ne dvie...Ce qu'il nous faudra faire, il le dira plus tard.LA COMTESSE (anxieuse)En attendant, que fera-t-il? que va-t-il faire? Agira-t-il, coups soudains, pour que ton pre Ignore tout, avant que tu ne sois l-bas!DON CARLOSDon Juan ne m'a rien dit : ce sera ta surprise De voir, sans la comprendre, aboutir l'entreprise.LA COMTESSE J 'ai peur, mon Carlos, quand je ne comprends pas.DON CARLOS (tonn)Douterais-tu? Hlas! combien ce doute trange Troublerait vite en moi ce qu'il me faut d'ardeur.LA COMTESSE (se reprenant)Non, non, ce que j'ai dit ne vient pas de mon cur; Mon espoir reste entier et rien ne le drange.DON CARLOS (abattu) Hlas ! je voyais tout comme accompli dj.Rien n'entravait l'essor merveilleux de nos pas Sur les routes en or qui dominent la terre...LA COMTESSE Ce que tu vois existe seul.DON CARLOSNon pas! Non pas!Oh! que mon corps est lourd et plein de sa misre! Tout se drobe mes regards et tout s'enfuit; J e ne sens plus sur moi que tnbre et que nuit; Un instant me reprend ce qu'un instant me donne; Ton amour mme, hlas! hsite et m'abandonne, J e recule et j'ai peur et tout coup je vois Comme en un gouffre avide et noir sombrer mes droits...LA COMTESSE (ardente)Ce que tu vois, c'est ta jeunesse et ton courage, C'est la gloire, c'est l'univers Sauv par toi, sous les clairs Du formidable et mortuaire orage Que Philippe dchane et qu'il voudrait grossir. Il appartient ton orgueil de ressaisir,A coups d'audace et de haine fcondes, D'entre les mainsMortes, mais tragiques encor de Charles-Quint, Ce sceptre d'or qui fit de l'Espagne, le monde !DON CARLOS (se reprenant)O les grands souvenirs qui me frlent le front ! O paroles qui me brlent, comme des flammes! O tout ce qui me chante au cur, l'unisson Des merveilleuses voix dont rsonne ton me! J e respire l'ardeur en me penchant vers toi, Tu me rends tout l'espoir par ta seule prsence. Oh ! que l'heure est donc belle et vivant le silence, Et que tes jeux sont beaux, quand ils aiment ton roi !LA COMTESSEViens nous aimer, Carlos, la nuit est la parure Faite d'ombre et de feu qui entoure l'amour, Le vieux Mananars ses roseaux murmure Les lgendes d'Espagne o tu luiras, un jour, Comme un fier empereur qui s'en revint de guerre, En clair et bel arroi, en jeune et franc maintien,Mlant sa grandeur ple aux choses de nagure, Viens nous aimer et nous ressouvenir... Viens... Viens. (Ils disparaissent lentement par l'escalier du fond.)ACTE IIAppartement du roi. Deux portes : une gauche, une droite. Une table charge de liasses de papier et de livres de pit. Un pupitre y est adoss. Un confessionnal dans un coin.Au lever du rideau, PHILIPPE II, qui vient de se confesser, se relve et fait le signe de la croix. Son CONFESSEURse lve galement, et tous les deux vont vers la table.LE CONFESSEUR FRAY BERNARDO L'aveu que vous me ftes confesse, mon fils, vous sera compt, non comme une faute, mais comme un titre. La prudence vous commande de penser le plus souvent au rebours de vos paroles. Seul importe ce que l'on tait, puisque, seul, Dieu le comprend.(Un repos. PHILIPPE II s'assied.) C'est pour que vous soyez son roi fidle, qu'il vous fit tel que vous tes.(Le COMTE DE FERIA apporte le courrier du roi. Il le dpose sur la table et sort.)Il faut sauver le monde, malgr le monde. Un roi serait sans force, si, pour un tel devoir, il limitait son droit.(PHILIPPE II feuillette lentement sa correspondance, aprs en avoir rompu les sceaux.)En notre sicle, l'ide d'autorit s'branle. On oublie que rien ne la doit entamer, pas mme la sagesse. Vous seul le comprenez bien, tandis que le Saint-Pre n'en tient compte qu' peine.PHILIPPE II Il ignore ce qu'il faut l'Espagne.FRAY BERNARDOA Rome, on se divise, on se relche, on argumente. L'atmosphre y est mauvaise : le pape la respire. Or, qui raisonne, transige. Qui discute, s'affaiblit. Il faut croire, affirmer, agir...(Tout coup, le ROI saisit une lettre qu'il ne quitte plus des yeux. Bien que son CONFESSEUR s'exalte, il ne prte plus gure attention ce qu'il dit. Sa main, lentement, se crispe.)Telle est ma foi, c'est la seule qui soit hautaine; C'est la seule qui soit pure comme le feu,A cette heure des temps, o la justice humaine Divorce indignement d'avec celle de Dieu. L'Angleterre est perdue. En nos Flandres, l'glise Dans la bourbe des maux et des sectes s'enlise, Le Saint-Empire est dvor par mille erreurs, L'ombre ternit le sceptre d'or des empereurs, L'Europe est de vertige et de fureur saisie, Peuples et rois n'ont plus la peur de leurs remords Et l'on dirait que tous les vents hurlants des Nords Sont Satan et dchanent l'apostasie.(Se calmant et suivant des yeux la lecture que fuit le ROI.)Heureusement qu'il est dans l'univers une Espagne, la vtre. La guerre des Maures, pendant des sicles, l'a exalte. Elle n'a crainte ni du sang, ni des supplices. Aucun front, si haut soit-il, n'chappe ses inquisiteurs. Vous avez fait brler, Sire, Carlos de Sesse et sa femme Isabelle qui descendait du roi Pedro. Vous avez abattu Domingo de Rojas, de la famille des Posa. Un Cristoval d'Ocampo fut tu et son cadavre livr aux flammes. Quant la marquise d'Amboise...(An prononc du mot Amboise, le ROI instinctivement, par un brusque mouvement de dissimulation, cache la lettre qu'il tient en main. Son CONFESSEUR le regarde fixement PHILIPPE s'en aperoit. Aprs un instant de rflexion il lui tend la lettre.)PHILIPPE IIVoici, mon Pre.(A un appel de PHILIPPE II, le COMTE DE FERIA rentre. PHILIPPE II lui parle mi-voix.)Comte, allez chercher vous-mme la comtesse de Clermont, et amenez-la devant nous.FRAY BERNARDO (n'ayant prt d'attention qu' la lecture)Il y a en cette aventure au moins deux coupables : Don Juan, qui laissa s'embarquer la Marquise d'mboise, et la comtesse de Clermont, matresse de Don Carlos.(Relisant l'crit.)Don Juan n'est passr. Rappelez-vous le jour qu'il s'en fut, sans aucun ordre, combattre au loin. Sou devoir tait de surveiller les ctes et de s'emparer de la marquise. Il y a failli. Arrtons-le.PHILIPPE IIDes pirates menaaient la Corogne. J 'ai moi-mme enjoint DonJuan d'y mener mes navires et mes soldats. Les ctes de la Guipuscoa taient libres, non par son ordre, mais par le mien.FRAY BERNARDOPourtant, une femme, quelque entendue qu'elle soit, ne combine pas, elle seule, une aussi prilleuse entreprise, et Don Juan...PHLIPPE II N'insistez pas, mon Pre.FRAY BERNAROO (relisant le rapport) Le rapport, il est vrai, n'accuse que la comtesse. Ruy d'Almedo a reconnu deux de ses serviteurs, comme ils arrivaient, le soir, Renteria. Un autre tmoin prtend que le premier des deux appartenait Don Carlos. Il faudrait ordonner une enqute.PHILIPPE IINous interrogerons la comtesse de Clermont.FRAY BERNARDOElle sait tre habile. Les Valois trouvent en elle un prcieux auxiliaire, elle est dame d'honneur, et...PHILIPPE II ( mi-voix) Espionne... je sais... je sais..FRAY BERNARDODon Carlos l'aime. Elle ressemble la reine, votre compagne. Toutes deux viennent de France; on les croirait soeurs.PHILIPPE II (agac)J e sais, je sais.FRAY BERNARDOLa comtesse s'est empare du cur de Don Carlos, l'amour d'un prince flatte sa vanit de femme. Don Carlos n'coute plus qu'elle. Les inquisiteurs s'en sont aperus; ils le surveillent. Son orgueil, autant que sa faiblesse, les inquite. S'il n'tait votre fils... (Tout coup.) Peut-tre est-ce lui, infant d'Espagne, qui sauva la Marquise?PHILIPPE IIFolie !FRAY BBRNARDO Don Carlos est dangereux. On ne sait pas... il aurait pu.PHILIPPE IIFolie, vous dis-je...FRAY BERNARDOUn homme nouveau s'veille en lui. La sant lui revient; des ides inquitantes l'assigent. Il espre trop.PHILIPPE IIDon Carlos n'est fort que par une femme. C'est elle qu'il faut perdre.FRAY BERNARDOPuis-je, Sire, comme tout l'heure, confesse, vous dire toute ma pense ?PHILIPPE IIJ e la devine.(Se rapprochant FRAY BERNARDO et lui parlant les yeux dans les yeux.)Oui, Don Carlos me hait, oui, Don Carlos s'exalte, s'aveugle et se trompe; oui, Don Carlos n'a pu ignorer le crime de la comtesse, mais ce Don Carlos-l, quoique imprudent et peut-tre dangereux, n'en reste pas moins le futur roi d'Espagne, celui qui ne peut songer me trahir qu'en se perdant lui-mme, celui, enfin, qui, toujours, quoi qu'il rve, respectera en ma personne cet absolu pouvoir qu'il incarne comme moi. Nous sommes une mme pense de Dieu. S'il l'oubliait...FRAY BERNARDOLe Ciel vous entende!PHILIPPE IIEt, maintenant, que tout ceci soit dit, comme je vous avouai tout l'heure mes fautes, de vous moi, devant l'ternit.(Un long repos.)Prenez place ici mon Pre.(Il lui indique un pupitre, gauche.)La comtesse va venir. Le comte de Feria l'est all chercher. Vous l'interrogerez, vous noterez son interrogatoire et nous le communiquerons au Saint-Office.(LA COMTESSE est introduite par le COMTE DEFERIA, qui, ds ce moment, se tient debout, la droite du ROI.)LA COMTESSE ( PHILIPPE II, dsignant le COMTEet FRAY BERNARDO)Sire, tant de juges me troublent et m'intimident. Et je ne sais vraiment...PHILIPPE IIChassez de votre esprit toute crainte, Madame. Ma prsence la doit dissiper.LA COMTESSEJ 'tais venue votre appel. Ce que je pourrais vous dire ne regarde que votre fils...PHILIPPE II ( FRAY BERNARDO)Interrogez Madame.FRAY BERNARDOLa marquise d'Amboise a quitt l'Espagne, sans l'ordre du roi. C'est vous, Madame qui l'avez sauve.LA COMTESSE (avec fermet)La marquise et moi tions amies. Elle s'tait rendue librement en Espagne elle pouvait librement la quitter.FRAY BERNARDOPersonne ne peut gagner, ni quitter, sans ordre, le royaume. Quand la marquise s'en vint de France, elle tait catholique. Nous l'avons accueillie. Elle s'est faite hrtique chez nous. Notre justice devait l'atteindre. Vous ne pouviez l'ignorer.LA COMTESSELa marquise n'a point, que je sache, abjur sa croyance.FRAY BERNARDO (brusquement) Ce n'est pas vrai.LA COMTESSE (se tournant vers le roi)Sire... l'hostilit de votre confesseur m'effraye... je ne sais pas...PHILIPPE IIJ 'tudie votre gne et votre trouble, Madame. J e lis dans votre attitude ce que vous nous cachez.LA COMTESSEMais...FRAY BERNARDOC'est bon escient que la reine Catherine de France vous envoya auprs de nous. Vous la servez ici, mieux que personne.LA COMTESSE Mais, Sire...FRAY BERNARDOVotre intelligence est fine, les secrets l'attirent. O les autres regardent, vous surveillez. Vos lettres, oui, vos lettres renseignent la France sur ce que, seul, le roi veut savoir.LA COMTESSE(se tournant vers le ROI)J 'agis sans fard, et je pense tout haut, Sire. J e suis votre cour une des compagnes et des dames de la reine; je ne suis rien d'autre. Mon amiti pour la marquise d'Amboise, je l'ai montre au grand jour. Qu'elle me perde, si vos lois l'exigent. Mais, quant aux lettres viles et coupables que j'aurais crites...PHILIPPE IIMes soupons ne me trompent jamais.LA COMTESSEJ e dfends devant vous mon honneur. J e vous jure que jamais je ne traai une ligne que vous n'eussiez pu lire. J e borne ma dfense ce serment.FRAY BERNARDOVous ne seriez ni la brillante comtesse de Clermont que recherche la reine, ni l'habile et sduisante amie qu'a distingue un prince, si vous n'tiez coupable...LA COMTESSE (se tournant vers le ROI)Vous me laissez accabler et je suis sans dfense, Sire, et vous tes gentilhomme.PHILIPPE II (aigre)Madame...LA COMTESSE (ne s'adressant qu'au ROI) Don Carlos m'a choisie, il m'aime. J e lui donne ce que je peux donner de plus prcieux : ma vie. J e la lui donne, tout entire. Si j'tais l'intrigante que vous dites, il ne m'accepterait pas.FRAY BERNARDO Don Carlos est aveugle puisqu'il vous aime.LA COMTESSE ( FRAY BERNARDO)Vous savez comme moi son violent pass, Ses jours dans la colre et dans l'ennui verss, Mais vous ne savez pas combien un rien l'apaise. Mon cur jamais ne ment, ma main jamais ne pse. Quand je le rencontrai pour la premire fois, C'est lui qui vint spontanment, jusques moi. J 'ai retenu la plus douce de ces paroles, Et dans cet instant mme o vousme torturez, Avec des mots sournois et acrs, C'est elle encor qui me console.(Un silence : le ROI semble attendre.)LA COMTESSE (s'adresse au ROI)Sire, j'ai, pour l'infant, une tendresse ardente,J 'aime son cur tour tour morue ou triomphant, Que m'importent l'excs de ses haines mordantes Et ses abattements et ses fureurs d'enfant ! J e l'aime tel qu'il est, et suis fire qu'il m'aime. J e ne raisonne point combien cet amour mme Touche parfois la piti, combien...PHILIPPE II (tout coupsvre) C'est outrager mon fils que de l'aimer ainsi.LA COMTESSE (rvolte) Oh ! Sire, Sire.PHILIPPE IISoyez calme, Madame, et rpondez-nous mieux.LA COMTESSEJ e ne puis plus rpondre; je me vois environne de piges, vous dnaturez mes plus simplespenses. Si je donne Don Carlos ma tendresse attentive et soumise, J e lui montre le courage qu'il faut aux rois. J e le grandis et je le gagne Au bel orgueil de se sentir infant d'Espagne, D'avoir crance et confiance en soi,(Le roi acquiesce.)D'tre celui qui veut, s'instruit et juge, Qui trouve en son pouvoir son droit ou son refuge, Qui se dcouvre enfin, aprs vingt ans d'ennui, Un cur d'accord avec ses rves d'aujourd'hui.PHILIPPE IIMoi seul et des hommes choisis par moi forment le cur et l'esprit d'un futur roi d'Espagne. Vous tes trangre, vous tes dangereuse; vos conseils, votre adresse, votre amour, tout est nuisible.LA COMTESSE (rvolte)Oh!PHILIPPE IIDieu sait vers quelles erreurs vous l'entranez, ce que vous lui dites, la nuit, quand vous me croyez absent. Les hrtiques que vous sauvez ensemble...LA COMTESSE (comme surprise) Non, non, votre fils ignorait tout...PHILIPPE IIC'est donc bien vous seule ?LA COMTESSEEh bien, oui, seule, je suis coupable, seule, je savais quoi je m'exposais.PHILIPPE II ( FRAY BERNARDO, qui consigne)Voici l'aveu.LA COMTESSEEt je n'en rougis pas. Ma conscience...PHILIPPE IIAssez, Madame. Sauver une amie n'est rien, quand je songe ce que vous faites chaque jour, ce que vous tes vraiment ici, une espionne.LA COMTESSEJ e nie, je nie.PHILIPPE II Nier n'est rien, lorsque j'affirme.LA COMTESSEJ amais ! J amais !FRAY BERNARDONous en avons les preuves, nous vous les montrerons, mais avouez d'abord.LA COMTESSECe n'est pas vrai. Ce ne peut tre.FRAY BERNARDOL'aveu est rdempteur, il amortit la faute, il vous gagne le ciel. Confessez-vous.LA COMTESSENon ! non !FRAY BERNARDO Avouez, puisque c'est le salut.LA COMTESSE Non.! Non !FRAY BERNARDOPuisque le roi sait tout.LA COMTESSENon ! Non !FRAY BERNARDOPuisque le roi l'ordonne.LA COMTESSE Non ! non ! J amais ! jamais.FRAY BERNARDO (se levant)Vous avez avou tout l'heure. Vous avouerez encore.(A cet instant, un violent tumulte la porte. DON CARLOS, l'pe brandie bousculant la garde du roi, apparat.)DON CARLOS (sur le seuil) J e veux passer, je veux aller au roi, vous dis-je.PHILIPPE II Carlos !DON CARLOSJ e veux parler, moi seul, et sans tmoins, A Philippe, le roi des Espagnes, du soin De ma grandeur qu'on mconnat et qu'il nglige.PHILIPPE II ( DON CARLOS)Retirez-vous.DON CARLOS J amais, jamais.LE COMTE DE FERIAVous oubliez Que voustes dans le conseil o dlibrent...DON CARLOS (dsignant le ROI)J e suis ici, chez lui, mon pre; J 'y suis riv, depuis le front jusques aux pieds : J 'y reste. Aucune force humaine, Puisque j'y suis venu, ne m'en fera bouger.(Au COMTE DE FERIA et FRAY BERNARDO, qui regardent arec inquitude l'pe de DON CARLOS.)N'ayez crainte; le roi ne court aucun danger.(Il jette son pe sur la table.)Avant de m'en venir, j'ai musel ma haine.PHILIPPE II ( DONCARLOS)Parlez.DON CARLOS (dsignant le COMTEet FRAY BERNARDO)J e parlerai quand ils seront partis.(Sur un signe de PHILIPPE II, le COMTE et FRAY BERNARDOdisparaissent par la porte de droite. Le COMTE, sans que DON CARLOS le voie, emporte l'pe. Eux partis, DONCARLOSs'en va vers LA COMTESSE, et la prenant par la main.)Oh ! ne les suivez pas, Madame, et passez par ici. (Il la conduit la porte de gauche.)DON CARLOSJ 'aime la comtesse de Clermont. C'est mon plaisir. Tout l'heure, le comte de Feria est venu l'arracher de chez moi, tandis que je priais a l'oratoire. Il la mena par force chez vous; pourquoi ?PHILIPPE IIJ e ne suis pas de ceux qu'on interroge.DONCARLOSMon cur est plein de trouble et dvor d'ennuis. J e veux savoir enfin quels droits un comte s'arroge...PHILIPPE IIIl faut quitter ce ton d'audace etde dfi, Et m'couter plus calmement, comme nagure, Mon fils. Rien ne s'est fait pour vous dplaireEt vous me comprendrez, j'en suis certain, voici :Les princes de Lorraine vous recherchent, vous, infant d'Espagne, pour leur nice Marie, qui fut reine de France. Dj, votre choix aurait pu s'arrter sur l'archiduchesse Anne d'Autriche, ou Marguerite, princesse de Valois. Je ne forme jusqu'aujourd'hui aucun dessein qui troublerait une prfrence. J e ne redoute qu'une chose : le dpit de la comtesse de Clermont. Voil pourquoi je l'ai interroge.DON CARLOSUn prince de mon sang aime les comtesses, mais pouse les reines. La comtesse m'approuvera le jour que je me marierai. Mais je suis jeune et ma tendresse veut rester libre encore.PHILIPPE II Songez qu'a votre ge j'avais choisi une reine.DON CARLOSNi Marguerite de Valois, ni cette Marie d'Ecosse, qu'on dit aventureuse et belle, ne m'attirent autant que cette nave princesse d'Allemagne.PHILIPPE IICe choix me plat plus encore que les autres. Assez de liens nous unissent aux Valois. C'est l'Empire qu'il faut songer; (Bienveillant) dites, si votre union remettait en nos mains la couronne de Charles-Quint !DON CARLOSOh ! si jamais un tel rve se ralise Il comblera le plus ardent de tous mes vux, J e serai l'empereur sacr qui symbolise La force humaine et parle au nom du monde Dieu. J e marcherai arm de merveille en merveille; L'Europe aurait enfin, aprs mille ans d'efforts, Trouv quelqu'un pour conqurir la tombe o dort Le souvenir du Christ, sans qu'un chrtien le veille.PHILIPPE IIVous tes bien d'un sang bouillonnant et viril : Folie, amour, conqute et gloire et leurs prils ! Mais nous sommes d'accord, mon me en est heureuse, Dites, s'ilsnous voyaient ceux dont l'esprit se creuse A dsunir en nous les liens serrs par Dieu ! J e te veux fier et grand. Voici ma main.DON CARLOS (hsitant)Mon pre !PHILIPPE IINon pas celle qui frappe et tord et incarcre, Mais celle-lqui caressait ton front de feu Et de fivre, quand tu tais mon infant triste.DON CARLOS (retenu) Nous qui sommes si loin l'un de l'autre !PHILIPPE IIJ 'insiste.(DON CARLOS lui donne la main.)L'archiduchesse apportera ses vertus graves en notre cour. Elle parle de vous et vous admire ; elle vous aime dj. Notre ambassadeur me renseigne.DON CARLOSIl faut si peu de chose pour me sduire. J 'attends cette enfant douce, comme une amie. Elle comprendra mes humeurs et mes colres, et j'en serai touch, discrtement, sans le lui dire.PHILIPPE IIHeureuse princesse !DON CARLOSEt puis, elle sera, aprs la reine, la plus haute d'entre les femmes. On l'entourera d'hommages magnifiques. Sa prsence rajeunira la cour. J e serai fier d'tre une majest pour elle; nous gouvernerons ensemble une province lointaine de nos royaumes ; nous...PHILIPPE II (interrompant)La comtesse de Clermont l'tonnera peut-tre, mais les reines d'Espagne doivent tre indulgentes ; elles l'ont t toujours. Au reste, la comtesse sduit ceux mmes qui d'abord lui sont hostiles. Tout l'heure, nous causions ensemble de ses amis, de la France. Nous avons mme parl longuement de vous.(Pendant ce temps, DON CARLOS se promne dans la chambre et s'arrte d'abord, sans y prendre garde, devant le pupitre o FRAY BERNARDO, dans sa fuite, a laiss dcouvert l'interrogatoire de LA COMTESSE.)DON CARLOS (confiant)Si vous la connaissiez, vous l'aimeriez, mon pre. Elle m'exalte ou me contient, volont. J e sens qu'elle m'est sre, et bonne, et ncessaire Pour l'uvre que je rve et dont je veux doter Un jour, par ma bravoure et ma ferveur, l'Espagne. Elle m'est la sant rendue. Elle accompagne, Sur des cheminsnouveaux, mes pas encor tremblants. Mme, si je l'osais, je vous parlerais d'elle Avec des mots profonds, tendres et violents...PHILIPPE IIMais pourquoi craindre, cette heure si belle, O nous sommes l'un pour l'autre, comme jadis, Un pre merveill de voir vivre son fils, De l'entendre rver son destin sur la terre, De prparer pour lui l'avenir...(DON CARLOS, depuis un instant regarde fixement l'interrogatoire qu'il a devant les yeux. Tout coup, le lacrant d'une main crispe: )DON CARLOSAh ! mon pre,Vraiment, c'est douter de la foudre des cieux ! Comment, tandis qu'avec des mots astucieux Et tortueux, ici, dans cette chambre mme, Vous attiriez la femme admirable que j'aime, Des pourvoyeurs du Saint-Office enregistraient, Sous les yeux que voil(Il dsigne le ROI.)sa perte et son arrt.PHILIPPE IICarlos !DON CARLOSEt vous osiez parler de cette femme ! Vous osiez la nommer en mme temps que moi ! Son nom ne glaait point votre bouche d'effroi, Et vous ne trembliez pas d'tre tel point infme !PHILIPPE II (se levant) Silence, infant. Vous outragez en moi...DON CARLOS (exaspr)Tant mieux !Tant mieux! Depuis toujours vous m'entourez d'intrigues,Vos paroles me sont un trousseau vnneux Et enlaant de serpents noirs. Toutes se liguent Pour fasciner d'abord et pour broyer aprs. Le mal atteint en vous je ne sais quel excs. Lorsque je songe lui, je songe vous, mon pre; Que je gouverne un jour, j'oublierai tout, hormis L'horreur que j'ai de vous, et la sourde colre D'tre quelqu'un de votre sang.PHILIPPE II (branl)Mon fils, mon fils.(Il va, comme chancelant , s'abattre sur le prie-Dieu.)DON CARLOS (le rejoignant)Non pas, je vous rejette, et je ne veux plus l'tre; Vous n'tes plus qu'un roi fourbe qu'il faut punir, Qui dshonore en lui son fils et ses anctres. Votre rgne sera l'effroi de l'avenir; On vous hait en Espagne, on vous maudit en Flandre, Votre pouvoir honteux et bas il est prendre. J e sens un projet sombre en mon me germer; Le chrme est effac dont vos tempes sont ointes Et vous pouvez remercier deux mains jointesLe Ciel, qu'en cet instant, je me sois dsarm.(Il sort reculons et cherchant des yeux son pe.)PHILIPPE II (douloureux)Le malheureux, le malheureux. L'ide Du meurtre a travers sa tte; Dieu ! Et c'est ma perte, et c'est ma mort qu'il veut ! Sur quel crime sa vie tait chafaude ! Sur quel espoir sanglant, pouvantable et fou ! Encor, si je pouvais, en son esprit qui bout, Trouver son erreur une excuse suprme; Mais il vient d'attenter l'Espagne, lui-mme, A ce qui les rsume, mon pouvoir, moi ! O Dieu qui dispensez dment la force aux rois, Contre leur cur qui pleure et redoute sa haine, Abolissez en moi toute faiblesse humaine, Pour maintenir intacts et souverains mes droits.UN GARDE (entrant) Monseigneur Don Juan.PHILIPPE II Qu'il attende. (Se ravisant.) Eh non! qu'il entre.DON J UAN (agit)SirePHILIPPE II (calme)Eh bien ?DON J UANDon Carlos s'est enferm chez lui. Il ne vent voir personne. Tout l'heure, il parcourait le palais, les veux hagards, les poings levs...PHILIPPE IINous avons caus ensemble, en bons amis. Nous nous sommes mme donn la main. J 'ignore ce qui le bouleverse. Vous qui il se confie, instruisez-moi.DON J UANAh ! Sire, si vous saviez combien son inaction lui pse, combien sont lourds, en ce palais, les jours o, sans nul but, il erre, et longuement se dsespre.PHILIPPE II Mais la comtesse, et sa beaut, et leur amour?DON J UANCertes, l'amour lui fut la belle main de joie Qui l'arracha, soudainement, comme une proie, Au tragique, fivreux et maladif ennui. Il se gurit; il respira toutes les flores Des tendresses, il fut heureux, mais aujourd'hui Ce mme amour le pousse vouloir plus encore : Il rve d'tre un capitaine ardent et fier.PHILIPPE IIDsirs d'amour, dsirs de gloire mme chose !DON J UANSire, puisque en vos mains son avenir repose, Puisqu'il demande encor ce qu'il demandait hier, Puisqu'il ne fait qu'un vu...PHILIPPE IIJ 'entends. Mais le gouvernement de Flandre est promis au duc d'Albe. Ma parole est donne.DON J UAN Tout n'arrange ou se drange selon votre sagesse.PHILIPPE IIMas nos provinces du Nord sont insoumises. Il faut, pour les dompter, de la terreur et du sang-froid. Siges de villes, assauts, batailles, vie rude et fatigante des camps. Don Carlos n'y pourrait suffire.DON J UANJ e serais a ses cts; je mettrais mon courage au service du sien; je sais commander et vaincre. O de vieux capitaines chouent, les jeunes triomphent.PHILIPPE IIJ 'ai fait transporter en Lombardie par Don Garcia toute l'infanterie qui occupait Naples, la Sicile et la Sardaigne; j'ai ordonn au duc d'Albuquerque de ddoubler le nombre demes cavaliers de Milan. Toutes ces troupes, et celles que je lve en Allemagne, connaissent, aiment, et ont confiance dans Alvarez de Tolde. Elles savent qu'il les doit commander et mener en Flandre. Ma sur, elle-mme, qui redoute le duc, a fini par comprendre que seul il la pouvait aider et sauver, l-bas. Toutes ces mesures difficiles sont enfin prises et acceptes, et j'irais les dranger pour un caprice d'enfant?DON J UANMais ce caprice d'enfant peut bouleverser et le trne et l'Espagne.PHILIPPE IIQue voulez-vous dire ?DON J UANSire, j'aime l'infant Carlos plus que moi-mme, Mais je vous sers dment et vous m'tes celui Dont nul ne brisera l'autorit suprme. Or, je me sens trembler et pour vous, et pour lui; J e redoute l'excs de sa nature trange; Son coeur tour tour triste et exalt, que rien, S'il dchane un dsir, ne trouble ou ne retient;Son me immodre est folle en ses vengeances.PHILIPPE II (trs calme) J e sais, Don Juan; mon fils a rsolu ma mort.DON J UAN Oh! Sire, un tel soupon! J amais dans sa pense!J amais un tel dessein... Son me est matrise Par un trop grand respect.PHILIPPE IIMais, que veut-il alors?DON J UANJ e vous l'ai dit, aller en Flandre, la gouverner en votre nom, pour le bien de l'Espagne. Il se souvient qu' son ge, sous Charles V, vous tiez matre l-bas; que la main de son aeul tait moins serre que la vtre. Et cette pense le hante, le poursuit le jour, la nuit, et l'blouit au point qu'elle l'aveugle. Il s'exalte, s'enfivre, s'hallucine. Ah ! Sire, je m'adresse votre sagesse, tout peut encore se rparer et rentrer dans l'ordre, mais, de grce, sauvez Don Carlos du pril...PHILIPPE IIQuel pril?DON J UANJ 'hsite, je ne sais si je dois vous dire... Lui pardonnez-vous?PHILIPPE IINe suis-je pas son pre?DON J UANMais, c'est plus encore que le pardon, c'est votre assistance que je rclame.PHILIPPE IINe sommes-nous pas deux frres qui aimons un mme enfant? Ne l'avons-nous pas appris connatre, pour lui passer tous ses caprices, mme si quelque folie hantait sa tte. Je ne sais pas; on pourrait voir et aviser ensemble.DON J UAN Pourtant, si son rve tait si fou...PHILIPPE IIVa pour ce rve. Comme un pch de prince, il est absous d'avance...DON J UAN Alors vous promettez...PHILIPPE IIBien plus. J e vous rassureDON J UANEh bien ! il veut s'enfuir soudain, gagner la France, Aller l-bas, o des seigneurs lui font serment De le servir, tous ensemble, fidlement. Berghes et Montigny n'taient qu'en apparence Vos conseillers, ils ont t ses tentateurs; Ils lui versaient leurs avis faux et corrupteurs, Ils jetaient de la poix sur son me enflamme. Et d'autres s'en venaient promettant une arme Qui soutiendrait sa cause et mnerait au seuil Des bourgs et des cits de Flandre son orgueil.PHILIPPE II (aprs un furtif tonnement)Ainsi s'expliqueraient sa rage et sa folie D'argent, et les emprunts soudains qu'il contracta A Tolde, Lon, Burgos et Mdina : Tout concide au mieux et tout se concilie Quand donc souponnerai-je assez?DON J UANAh Sire !PHILIPPE IIIl fautQu'on ait serr sans bruit les nuds d'un tel complot. L'aventure lui parle et Don Carlos l'coute.DON J UAN (inquiet)Sire! Sire!PHILIPPE II (stant repris) Que votre cur ne me redoute; Carlos est brave et fou, son audace me plat.(Avec une lgre ironie.)Si je ne me htais de dsigner ce prince Comme le matre et le seigneur de mes provinces, Son courage si jeune encor me les prendrait.(Un silence; puis tout coup.)Eh bien ! je les lui donne et vous pouvez lui dire Que dsormais son pre aura soin de son sort.DON J UAN Sire, puis-je vous croire?PHILIPPE IIAllez, votre seul torttait de n'oser point plus vivement m'instruire. Il ne faut point se dfier de moi.DON J UANMerci !Vous vous gagnez Don Juan et Don Carlos ainsi. Ce que vous promettez, je cours le lui promettre. Combien j'avais raison de venir sans surseoir Me confier vous qui demeurez le matre, Et de sauver Carlos, en faisant mon devoir.(Il sort.PHILIPPE II se lve et va vers la porte.)PHILIPPE II ( la porte de gauche)Qu'on fasse venir l'instant mon notaire, Don Pedro de Hoyos.(A la porte de droite, appelant.) Fray Bernardo ! Fray Hieronimo!(Ils paraissent.) (A FRAY BERNARDO.)Mon Pre, je me trompais. J e parlais tout l'heure, la lgre, du crime de Don Carlos. Or, je sais, j'en ai la preuve qu'il a favoris et ordonn la fuite de la marquise d'Amboise. Le vrai coupable, c'est lui; la comtesse n'est que complice.FRAY BERNARDO (regardant fixement le ROI) Pourtant...PHILIPPE IISon chtiment sera tragique et prompt, je vous le jure.FRAY DERNARDO Et le procs de la comtesse dont nous tenons l'aveu...PHILIPPE IIEt qu'importe une comtesse de France, quand il s'agit d'un prince d'Espagne. Don Carlos sera jug cette nuit. Et le Saint-Pre et l'Europe sauront que Philippe n'hsite jamais, ft-ce contre lui-mme, sauvegarder les droits de Dieu.FRAY BERNARDOUn tel exemple est le plus haut que vous puissiez donner.PHILIPPE IIVous m'y aiderez, mon Pre. Puisque vous en avez le droit, vous remplacerez l'inquisiteur gnral Don Diego d'Espinoza. Vous vous adjoindrez quatre juges : ils sauront par vous combien ce crime me fait horreur. Don Carlos tant malade ne paratra point au procs; il y sera reprsent par Martin de Valesco, docteur des conseils de Castille, et par moi. J e le dfendrai de mon mieux. Ainsi, tout se fera selon les rgles, secrtement, mais tout coup.(DON PEDRO DE HOYOS entre. Les moines veulent se retirer. PHILIPPE II leur fait le geste de demeurer.)PHILIPPE II (aux moines) Restez : vous serez mes tmoins.PHILIPPE II ( DONPEDRO)Prenez place, et consignez ce que je vais vous dire. Moi, le Roi, tant prsents Fray Bernardo, vque de Cuena, mon confesseur, et Fray Hieronimo, de l'ordre de saint Franois, j'atteste qu'en promettant Don Juan d'Autriche de nommer Don Carlos gouverneur de mes tat d Flandre, et d'autoriser le mme Don Juan de l'y conduire, je n'ai agi, ni librement, ni de mon plein gr, mais uniquement pour viter de plus grands maux, et mettre l'abri du pril autant ma vie que l'honneur de ma couronne. Que personne donc ne se prvale de mes promesses.(Aux tmoins, FRAY BERNARDO et HIERONIMO.)J e signerai d'abord; vous signerez aprs.(Pendant que le roi signe, le rideau tombe.)ACTE IIIAppartement de LA COMTESSE. A droite, l'alcve; au fond, large fentre. A gauche, deux portes. Il fait nuit.DON CARLOSPour la premire fois, j'ai dfi mon pre, J e l'ai tenu ma merci; et ma colre Intimidait son cur et l'emplissait d'effroi. Il a senti la mort le menacer par moi; Il a trembl, il a pri, je n'ai plus crainte.(A LA COMTESSE.)Dire qu'il me parlait de toi avec des mots tranquilles, qu'il m'attirait vers lui, qu'il me rvait empereur, qu'il me trompait avec de la tendresse... Ah! bien-aime, que n'tais-tu prsente lorsque je l'ai fltri !LA COMTESSE Il n'oubliera jamais... jamais...DON CARLOS Qu'il se souvienne. J e suis le seul dans son palais Qui, en ses mains, dtienne Un droit gal au sien et l'avenir ! Puisque sa race en lui-mme ne peut finir, Puisque le Ciel le veut ainsi, personne au monde, Surtout le roi, ne peut troubler, En son rgne de gloire et d'ombre entreml, L'ordre divin que je seconde.(Un repos; prenant les mains de LA COMTESSE.)Qu'as-tu dit au moine ?LA COMTESSELa vrit. On me dfiait d'tre sincre; je l'ai t jusques au bout je me suis perdue. Dj sans doute, le Saint-Office instruit ma cause et me condamne. Peut-tre, ici mme, tout l'heure ses missaires viendront-ils me chercher. Le roi sait prsent que j'ai sauv la marquise, que seule...DON CARLOS Malheureuse ! que ne m'as-tu nomm d'abord !LA COMTESSEIl ne faut pas qu'un seul de ses soupons s'rige Contre son fils.DON CARLOSMais il a peur de moi, te dis-je. J e l'ai dompt, vaincu, lui, Philippe, le roi; J amais je n'ai senti un tel orgueil en moi, Ni pour mon entreprise un aussi clair prsage.LA COMTESSECarlos, si tu savais quels furent ses outrages ! Sous quels soupons il meployait. J 'aurais, moi, comtesse d Clermont, espionn la cour, le roi, la reine, toi-mme.DON CARLOSTu ignores les affaires d'Espagne. Seules celles de Flandre...LA COMTESSE Ah ! celles-l sont ta gloire et ta vie !...DON CARLOS (la serrant contre lui) D'ailleurs, ce que le roi pense ou dit,Que nous importe, l'heure o c'est moi seul qui monte,O mon impatience, avec fivre, dcompteLes trop nombreux instants qui retardent encorMon arrive en Flandre, avec mes clairons d'or.J e te dfends, je te protge, et je te porte,J e te verse la fire ardeur que tu versas,Aux jours de deuil torpide et lourd, en mon cur las.Ma jeunesse conquise enfin te fait escorte;J e te sauve mon tour et t'enflamme de moi...(CARLOS, comme enivr, penche la tte sur l'paule de LA COMTESSE.)LA COMTESSE (maternelle)Berce en mes bras ta fivre et ton triomphe, roi ! Espre et sois heureux de ta belle folie, Gote la volupt de tes dsirs; oublie Ton pass morne et prends ton rve merveilleux Pour un monde rel que t'aurait fait un dieu. J e t'aime trop, cette heure, pour t'en distraire. Tu te chantes vainqueur et dominant la terre, Avec des mots jaillis du fond de ton bonheur. Dt-il passer demain, sa joie et sa lueur Illuminent quand mme en ce moment ta tte.Et c'est assez pour ne songer qu' ce moment...(Allant vers le banc prs de la fentre, comme pour reposer CARLOS, qui s'abandonne.)Repose en ton illusion, tranquillement, A la veille d'entrer, front nu, dans la tempte.DON J UAN (frappe la porte et entre familirement: DONCARLOS le voir apparatre se dgage peine des bras de LA COMTESSE)Tout ce que j'ai promis, Carlos, je le tiendrai. Moi-mme, avec mes vaisseaux clairs, je conduirai Ta jeunesse vers les peuples de Flandre. Un cri De dlivrance acclamera notre cortge En leurs cits dont renatront les privilges. Tu seras matre et souveraindu beau pays Qui domine le Nord et regarde la France. Ton heure est l.DON CARLOS Et qui t'en donna l'assurance ?DON J UANLe roi.LA COMTESSEJ 'ai peur.DON CARLOSFaut-il qu'il soit dompt par moi, Pour, tout coup, s'abandonner un tel choix !DON J UANCe qui l'a dcid, c'est de te voir renatre; c'est ta jeunesse, c'est ton courage, c'est ton audace. C'est de savoir quelle impatience tu mets ordonner, et au besoin, commander, pour ta gloire.J e lui ai dit...DONCARLOSTu as bien fait de le dire...LA COMTESSE (effraye)Don Juan !DON J UANOh ! soyez sans crainte, Madame. J 'ai prouv le roi avant de m'enhardir. J e n'ai agi que prudemment, alors que lui-mme avait dj promis.DON CARLOS C'tait inutile. Il me craint. Il m'accordera tout.DON J UANIl avait donn sa parole au duc d'Albe. Ses cavaliers de Lombardie et ses troupes de Naples et de Sicile taient prts. Sa sur, la rgente, aprs mille rsistances, s'tait rendue ses raisons : elle se rsignait faire bon accueil au duc. Qu'importe ! Il prfre satisfaire ses peuples et son fils.LA COMTESSE Et ce revirement s'est fait soudain?DON J UANSur l'heure.LA COMTESSEComme il parat trange, et quel doute s'effleure En moi; je n'y puis croire.DON J UANEh ! comtesse, pourquoiAussi violemment suspectez-vous le roi? Suis-je de ceux qu'on trompe et Philippe, mon frre, N'a-t-il donc plus le droit royal d'tre sincre ?J e suis quelqu'un qui compte et qu'on n'abuse pas; J e suis...DON CARLOS Dis-moi, Don Juan, quand serons-nous l-bas ?DON J UAN Le roi l'ordonnera lui-mme.DON CARLOSA quelle date ?DON J UANEh qu'importe!DON CARLOS Non pas ! je ne veux plus subir le bon plaisir du roi.DON J UAN J 'ai sa promesse.DON CARLOSJ 'ai mes engagements. Cent cinquante mille ducats gonflent mes coffres et des lettres de crance me reviennent de Sville. Mes aides de chambre les rpandent et le comte de Guelves et Juan Nunes sont mes rpondants.DON J UANMais tu n'exiges pas que sur l'heure Philippe rappelle le duc d'Albe? Quels que soient sa volont et son pouvoir il ne peut...DON CARLOSAlors, j'agirai seul.DON J UANMais ce serait folie ! Tout le pass des rois ton destin te lie. J 'entends monter vers toi la voix de ton aeul.DON CARLOS J e ne veux rien entendre, et je partirai seul.LA COMTESSEOui ! Oui !DON J UANOh ! quels malheurs prsage ta dmence. Une suprme fois, j'ose te supplier, Par tout ce qui rveille en toi notre amiti, Garde intacte autour des souvenirs d'enfance,De ne point t'opposer au geste clair du roi;J e ne veux pas, Carlos, que tu partes sans moi,Que ma vaillance sre abandonne la tienneNi que mon dvouement n'carte ou ne prvienneLe mauvais sort qui roule ainsi qu'un coup de d.Le roi est dispos tout nous accorder;Il se souvient de sa jeunesse lui; il t'aime,A cette heure il attend l'arrangement suprmeEt nous vaincrons tous deux.DON CARLOSEh bien ! c'est dcid ! J e lui donne deux jours. Adieu, Don Juan.(DON JUAN sort.)LA COMTESSEJ 'ai crainte,Carlos. Philippe est plein d'astuce et plein de feinte; S'il te berait d'un faux espoir et si son bras Se redressait dans l'ombre?DON CARLOSII ne le pourrait pas,Tant ma victoire est sre et ma fuite certaine. Avec ou sans mon pre, il n'importe comment.J 'accomplirai ce que j'ai dit superbement. Don Juan m'escortera, comme un beau capitaine. Il m'aime, alors qu'il n'aime pas le roi. Son cur Ne pourra rsister au flux de mon bonheur Qui largement l'emportera dans sa mare. J amais je n'ai senti mon me aussi dore...(Il se rapproche de LA COMTESSE.)Oh ! donne-moi tes doigts, tes mains, ton front, tes yeux ! Laisse s'ouvrir le jardin d'or de tes cheveux O des lueurs et des parfums flottent et bougent.(Il dnoue la chevelure de LA COMTESSE.)Donne ta bouche ma bouche, ta bouche rouge Pour que ma bouche, enfant, en dvore le feu.(Il l'embrasse follement, puis il veut s'en aller. Elle le retient plus fort.)LA COMTESSERestons ici, veux-tu, longtemps, longtemps encore. J 'ai peur, sais-je pourquoi? de cette brusque aurore Que des barres en noir lignent l'horizon. Rpte-moi que j'ai ton cur, que j'ai raison De m'abmer en toi pour ne plus me reprendre.DON CARLOS (comme s'il priait) Ce n'est plus que ta voix que je voudrais entendre Pendant l'ternit, :Ce n'est plus qu'en tes yeux et leurs regards Que mes dsirs hagards Voudraient descendre, Pendant l'ternit;Et ce n'est plus qu'en tonme profonde, Que je voudrais me retirer du monde Pendant l'ternit.LA COMTESSE (passionne) Encor ! encor ! encor !DON CARLOS (s'enlaant LA COMTESSE)Tu m'es la ViergeTriomphante parmi les forts d'or des cierges, Qu'Guadeloupe on invoque depuis cent ans; Tu m'es la force et la ferveur et l'clatant Bonheur qui coule, avec mon sang, dans mes artres; Tu m'es l'ivresse et la splendeur dont vit la terre, Et je me sens indigne et malheureux vraiment De ne t'avoir encor, par un tourmentFunbre et volontaire,Pu conqurir aux yeux du ciel :J e voudrais tant souffrir pour mriter nos joies!LA COMTESSEAh ! le rve insens dont te voil la proie ! Lamour, ami, l'amour jeune et torrentiel Bondit, par des pays si rayonnants de flamme, Qu'ils absorbent en eux l'ombre qu'y fait la mort. Quand nous serons tous deux en Flandre et que le sort, Avec d'autres pensers incendiera nos mes, Et brlera nos curs d'un feu plus rsolu, Nous aimerons l'amour, pour lui-mme, sans plus.(Bruits au dehors.)DON CARLOSOh! tu me fus, et sur, et mre, autant qu'amante; Tu m'as montr, avec tes tendres mains ardentes, La lutte et ses dangers, comme une gurison. Rjouis toi, car aujourd'hui les horizons Brillent des rayons d'or qu'y projettent mes rves. J e marche environn de drapeaux et de glaives, Un sang vainqueur emplit mon tre le briser;Tout mon destin devant les cieux se renouvelle, Tout m'est orgueil et joie et vision nouvelle : J e suis ivre de moi ainsi qu'un insens.(Bruits violents la porte.) LA COMTESSE (trs angoisse)coute, coute donc.DON CARLOS (tout coup dcid) Et qu'ils entrent!LA COMTESSEFolie!DON CARLOS (protgeant LA COMTESSE)J e suis ton dfenseur et mon me est remplie De ton ivresse, enfant, jusqu' tenter la mort !LA COMTESSECarlos, monaimDON CARLOSJ 'ai pris en main ton sort, J e veux te sauver seul.LA COMTESSECarlos! Carlos!DON CARLOSQu'ils entrent!(DON CARLOS court ouvrir la porte largement. FRAY BERNARDOet ses soldats envahissent la chambre. Rapidement ils entourent DONCARLOS. Le MOINE s'avance et lit.)FRAY BERNARDOAu nom du Saint-Office et du Saint-Patrimoine De l'Eglise...DON CARLOS (protgeant LA COMTESSE)J e suis Carlos d'Espagne, moine, J e te dfends d'oser...FRAY BERNARDODfendez-le Dieu, C'est lui, lui seul qui parle ici, lui seul qui veut.DON CARLOSJ e suis ton roi.FRAY BERNARDODieu est le vtre, et Dieu vous parle. coutez-le parler, et taisez-vous, Don Charles.(Un silence.)La mort en cet instant vous ouvrirait l'enfer.DON CARLOS (tonn)L'enfer...FRAY BERNARDOJ 'arrive temps pour vous faire la grce De bien mourir, aprs avoir longtemps souffert.DON CARLOS Moi ! Moi ! m'ouvrir l'enfer !FRAY BERNARDOPrince, nul ne surpasse, Si haut soit-il, les jugements de Dieu.DON CARLOS (prostr)L'enfer.FRAY BERNARDOAu nom du Saint-Office et du Saint-Patrimoine de l'Eglise, Carlos, prince des Asturies, fils de Philippe, deuxime du nom, a t dclar coupable d'avoir soustrait, par son aide et secours, la marquise d'Amboise, ennemie de la foi et de l'Espagne, la justice de Rome et du roi. En foi de quoi, le tribunal du Saint-Office l'a condamn aux peines prescrites qu'il subira sans retard, lui pargnant, en sa qualit d'infant, le garot ou le bcher.DON CARLOS (comme hbt) L'enfer! m'ouvrir l'enfer! m'ouvrir...FRAY BERNARDOEt maintenant, il faut songer au repentir, Prince d'Espagne, qui Jsus-Christ fera grce. Il n'est crime si grand que le pardon n'efface. Votre coeur se repent-il?DON CARLOS (machinalement) Oui.FRAY BERNARDOSincrement ?DON CARLOSOui.FRAY BERNARDO J e vous laisse prier.LA COMTESSE (comme se rveillant)Oh les moines terribles !Ainsi, ce n'est plus moi qu'ils dsignent pour cible, Ce n'est plus moi qu'ils punissent et tuent, c'est lui, Le pauvre enfant en qui je rveillais la vie. O cieux, dont la justice immense est asservie Par ceux mmes qui s'en disent les serviteurs, O cieux ples et flamboyants, dont les hauteurs S'illuminent soudain de hros clairs qui furent Sur la terre, des rois, n'entendez-vous donc rien Des voix de dsespoir et des cris de torture Qu'un Philippe d'Espagne arrache au sol chrtien !(Se penchant vers DON CARLOS.)O pauvre infant qui tremble! O toi qui fus mon matre!O triste cur brl de fivre et de projets Comme hier encor, superbement, tu me parlais Et comme te voici prostrdevant un prtre.(DON CARLOS demeure comme gar.) LA COMTESSE (s'avanant vers le moine)Moine, assassinez-moi avec le roi Carlos; Sachant ce qu'il a fait, je veux ma part entire, Dans ce que vous nommez sa faute et son complot. Ce sera mon seul vu, mon unique prire; Notre amour est de ceux qui traversent la mort.FRAY BERNARDOLe roi Philippe est seul matre de votre sort. LA COMTESSEEt que vous faut-il donc pour me frapper sur l'heure? Seule, j'ai tout conduit; seule, ici, je demeure, Debout, pour vous braver et pour sauver, la nuit,Quand vous dormez, vos condamns et vos proscrits. L'infant Carlos m'aimait; ma ferveur imprudente A jet, dans son cur, les semences ardentes: Amour, lutte, rvolte et la piti pour ceux Dont vous noyez les cris en vos brassins de feu.FRAY BERNARDO (froidement) Priez ! Priez!LA COMTESSENon, non ! Le sang- rougit vos crosses; Ma foi s'en est alle et mon plus grand tourmentSera de n'avoir pu crier publiquement :(Elle crie.) Que j'arrache mon me vos dogmes froces.FRAY BERNARDO (violent, aux soldats) Emmenez-la d'ici et jetez-la aux fers.Elle est damne.(Une partie des SOLDATS semparent de LA COMTESSE.)DON CARLOS (machinal et stupide) Ouvrir l'enfer! ouvrir l'enfer.FRAY BERNARDO (aux soldats qui restent et dsignant DONCARLOS.)Emparez-vous de lui et faites ce qu'il faut.(Les SOLDATS poussent DONCARLOS, qui se dbat, dans l'alcve, d'o l'on entend sortir un grand cri. Ils l'tranglent. Pendant qu'ils le tuent derrire les rideaux referms, FRAY BERNARDOl'absout.)Puisque vous vous tes repenti, je vous absous de vos pchs anciens, de ceux que vous avez commis avec cette femme (Il dsigne la porte par laquelle LA COMTESSE est sortie.), de ceux que vous commettez peut-tre en ce moment de rvolte et de rage. Au nom du Pre, du Fils et du Saint-Esprit. Amen.(Les SOLDATS rapparaissent; le corps de DONCARLOS est tendu en dsordre sur le lit.)FRAY BERNARDOtendez-le, tout de son long. Mettez en croix Les mains sur la poitrine.(Au chef des gardes.) Allez chercher le roi.(Au moment mme o le mot roi est prononc, PHILIPPE II ouvre lui-mme la porte du ct de la scne, et parat sur le seuil. Il s'avance lentement vers le lit, tombe genoux, la tte entre les mains.)FIN