vrais bretons et pseudo-norme (version corrigée)

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Vrais bretons et pseudo-normes, François P. Bonnot (éd.), Paroles régionales - normes, variétés linguistiques et contexte social, Presses Universitaires de Strasbourg, 1995, 265-287. VRAIS BRETONS ET PSEUDO-NORME. Lorsqu'on aborde l'étude du breton on se trouve rapidement confronté à la variété des graphies et des formes grammaticales. Ce désordre apparent est déroutant et choquant quand on a été éduqué au sein de l'École française. On a vu la puissante réaction qui s'est élevée en 1991 dans les milieux les plus divers contre la réforme de l'orthographe. Une norme – forme de référence sacralisée – existe bien dans l'esprit des Français. Les locuteurs natifs du breton sont presque tous persuadés qu'ils ont hérité d'un breton « déformé »Error: Reference source not found, que ce qu'ils parlent quotidiennement depuis leur enfance n'est pas le « vrai breton »Error: Reference source not found mais un vulgaire « patois »Error: Reference source not found. Il est exceptionnel qu'un bretonnant voie dans la variation un aspect positif en affirmant comme l'un de mes informateurs de l'atlas que « l’avantage du breton, c’est que chacun parle comme il veut »Error: Reference source not found. Chacun a sa propre théorie quant au berceau supposé de cette variété supérieure, unanimement situé ailleurs. Paradoxalement, ces bretonnants naturels qualifient parfois de « vrai breton »Error: Reference source not found le parler de néo-bretonnants qu'ils comprennent mal, mais qui savent les « vrais »Error: Reference source not found mots et sont capables de lire et d'écrire cette langue. Il semble donc bien que la dualité langagière soit considérée non seulement comme normale mais même comme nécessaire. Comment expliquer autrement que tous les bretonnants – j'entends par là ceux qui l'ont parlé dès l'enfance sans jamais l'étudier – affirment que « le breton, c’est dur »Error: Reference source not found, sous-entendant que pour leur part ils l'ignorent? Je situerai tout d'abord le cadre théorique dans lequel se déroule ma réflexion, élaboré et formulé dans une série d'articles 1 . Dans un deuxième temps, après avoir rappelé quelques faits concernant le pays et la langue, je montrerai comment l'histoire de la langue bretonne écrite est – comme celle de toute langue – étroitement liée à l'histoire des institutions qui régissent les rapports sociaux entre ses locuteurs. *** La diglossie a été décrite par Ferguson comme une situation particulière affectant deux variétés de la même langue dont une variété, qualifiée de « haute »Error: Reference source not found, est exclusivement utilisée dans les situations formelles, la variété « basse »Error: Reference source not found étant réservée aux relations de familiarité. Fishman a étendu le terme à des sociétés 1 Écrits en collaboration avec YVES LE BERRE. À paraître : « Le double jeu de la langue » (!Travaux du Colloque sur la qualité de la langue, Paris, 1993) ; « Etats d'insécurité » (Travaux du Colloque sur l'insécunté linguistique dans les communautés francophones périphériques, Louvain-la-Neuve, 1993). 1

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Vrais bretons et pseudo-normes, François P. Bonnot (éd.), Paroles régionales - normes, variétés linguistiques et contexte social, Presses Universitaires de Strasbourg, 1995, 265-287.

VRAIS BRETONS ET PSEUDO-NORME.

Lorsqu'on aborde l'étude du breton on se trouve rapidement confronté à la variété des graphies et des formes grammaticales. Ce désordre apparent est déroutant et choquant quand on a été éduqué au sein de l'École française. On a vu la puissante réaction qui s'est élevée en 1991 dans les milieux les plus divers contre la réforme de l'orthographe. Une norme – forme de référence sacralisée – existe bien dans l'esprit des Français.Les locuteurs natifs du breton sont presque tous persuadés qu'ils ont hérité d'un breton « déformé »Error: Reference source not found, que ce qu'ils parlent quotidiennement depuis leur enfance n'est pas le « vrai breton »Error:Reference source not found mais un vulgaire « patois »Error: Reference sourcenot found. Il est exceptionnel qu'un bretonnant voie dans la variation un aspect positif en affirmant comme l'un de mes informateurs de l'atlas que « l’avantage du breton, c’est que chacun parle comme il veut »Error: Reference source notfound. Chacun a sa propre théorie quant au berceau supposé de cette variété supérieure, unanimement situé ailleurs. Paradoxalement, ces bretonnants naturels qualifient parfois de « vrai breton »Error: Reference source not found le parler de néo-bretonnants qu'ils comprennent mal, mais qui savent les « vrais »Error: Reference source not found mots et sont capables de lire et d'écrire cette langue.Il semble donc bien que la dualité langagière soit considérée non seulement comme normale mais même comme nécessaire. Comment expliquer autrement que tous les bretonnants – j'entends par là ceux qui l'ont parlé dès l'enfance sans jamais l'étudier – affirment que « le breton, c’est dur »Error: Referencesource not found, sous-entendant que pour leur part ils l'ignorent?Je situerai tout d'abord le cadre théorique dans lequel se déroule ma réflexion, élaboré et formulé dans une série d'articles1. Dans un deuxième temps, après avoir rappelé quelques faits concernant le pays et la langue, je montrerai comment l'histoire de la langue bretonne écrite est – comme celle de toute langue – étroitement liée à l'histoire des institutions qui régissent les rapports sociaux entre ses locuteurs.

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La diglossie a été décrite par Ferguson comme une situation particulière affectant deux variétés de la même langue dont une variété, qualifiée de « haute »Error: Reference source not found, est exclusivement utilisée dans les situations formelles, la variété « basse »Error: Reference source not found étant réservée aux relations de familiarité. Fishman a étendu le terme à des sociétés 1 Écrits en collaboration avec YVES LE BERRE. À paraître : « Le double jeu de la langue » (!Travaux du Colloque sur la qualité de la langue, Paris, 1993) ; « Etats d'insécurité » (Travaux du Colloque sur l'insécunté linguistique dans les communautés francophones périphériques, Louvain-la-Neuve, 1993).

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au sein desquelles coexistent deux langues génétiquement différentes, se partageant le champ social de la même manière2.Cette situation n'est pas selon nous réservée à des régions périphériques ou exotiques mais constitue l'état élémentaire du fonctionnement langagier de toute société, du moins en Europe occidentale.Suivant des modalités très variables selon les pays et les zones linguistiques, chaque locuteur dispose d'au moins deux registres de communication, l'un réservé aux contextes de parité, l'autre aux contextes de disparité. Un locuteur bien inséré dans sa société n'aura pas plus de difficultés à opposer « ce qui se dit »Error: Reference source not found à Error: Reference source not found« ce qui ne se dit pas »que « ce qui se fait » à « ce qui ne se fait pas »Error:Reference source not found.Le registre de la parité, essentiellement lié à l'oralité, a un rayon de communication restreint. On ne l'écrit qu'avec le désir de mettre en scène le contexte d'échange interindividuel oral. Tous les dialectologues ont maintes fois entendu leurs informateurs affirmer que leur parler ne peut ni s'écrire ni se traduire. Ils signifient par là qu'il ne fonctionne que dans le cadre de leur environnement habituel et requiert la présence d'un interlocuteur familier. L'élocution elle-même est en général plus relâchée dans ce registre, au sein duquel ne s'expriment que des variations sur des thèmes communs aux interlocuteurs. Nous avançons que si les bretonnants disent que « cela ne se fait pas »Error: Reference source not found, que « ce n’est pas poli »Error:Reference source not found de parler breton en présence d'étrangers ce n'est pas qu'ils sont complexés, aliénés ou colonisés, mais que le breton – leur registre paritaire – fait partie de leur domaine privé. Si des bretonnants affirment volontiers que la grossièreté est plus acceptable en breton qu'en français c'est justement parce qu'elle fait partie de ce domaine privé où beaucoup est permis.Le registre de la disparité est celui des relations hiérarchiques au sein de la société. Fondé sur l'écriture, il fait partie du domaine public et n'est qu'exceptionnellement le moyen d'échange normal entre interlocuteurs. Quand il se parle, il reste de l'écrit-parlé3 qui s'adresse à une abstraction – les fidèles, les électeurs – dont la présence n'est pas requise. Il s'articule alors sur un ton soigné, tendu, surveillé4.

Dans la France contemporaine, le rôle de chacun des deux registres que nous venons de définir est tenu d'une part par le français normé, de l'autre par ce que nous désignons sous le nom de nouveau français paritaire, improprement appelé argot. L'usage d'un argot, en effet, restreint à un groupe social fermé – voleurs, nomades – a pour fonction de dresser une barrière entre ce groupe et le monde extérieur. À l'inverse, le nouveau français paritaire est commun à tous

2 La diglossie ainsi définie diffère du bilinguisme qui est la capacité d'employer l'une et l'autre langue dans tous les contextes.3 Ne dit-on pas « parler comme un livre ? »4. Cette attention et cette tension constantes conduisent les locuteurs du français disparitaire contemporain à multiplier les liaisons et à faire des cuirs. Le français dispose là d'un baromètre de la disparité.

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les Français. Être à l'aise linguistiquement dans la société française d'aujourd'hui, c'est savoir à propos jouer des deux registres.La situation était tout autre naguère encore dans la société rurale française. Le registre disparitaire était occupé par le français de l'école, rarement utilisé, tandis que le registre paritaire était – pour les régions de langue romane au moins – le « patois »Error: Reference source not found, « notre patois »Error:Reference source not found, que rien d'autre ne caractéristique que le fait est d'être toujours spécifique. Le patois, c'est donc par définition « ce qu’on parle chez nous »Error: Reference source not found.En Basse-Bretagne, où le terme n'est guère utilisé, les locuteurs ont bien conscience de parler « leur »Error: Reference source not found propre variété de breton, différente de celle des autres régions. C'est encore aujourd'hui un jeu très répandu parmi les bretonnants de comparer « ce qu’on dit chez nous »Error: Reference source not found à « ce qu’on dit chez vous »Error:Reference source not found : Vous dites mintin pour « matin », « chez moi »Error: Reference source not found on dit beure... C'est cette variété de parler sans écrit qu'aucun mot ne désigne en français que nous nommons badume, du breton du-mañ, ba du-mañ « chez moi ». Le mot patois nous semble trop polysémique et marqué péjorativement pour remplir cette fonction.Au-dessus de son badume le bretonnant connaît ou imagine un état de langue formalisé, une langue écrite, qu'il considère comme le « vrai »Error: Referencesource not found breton, plus prestigieux que son propre parler. Il s'agit pour ce cas précis des variétés standardisées utilisées autrefois par l'Église au sein de chaque diocèse. Ce sont ces variétés que nous appelons standards, au sein desquelles la variation des badumes est réduite dans le but d'élargir l'espace de communication orale et écrite dans une société encore majoritairement analphabète. Utilisés dans un cadre institutionnel, ici celui de l'Église, ces standards ont un rôle intégrateur et introduisent auprès des usagers des notions nouvelles, des styles particuliers comme le sermon et le cantique. Ces standards, structures linguistiques relativement unifiées et stables, correspondent dans l'espace à l'étendue du pouvoir de l'institution – ici le diocèse. Leur durée de vie est limitée à la durée de vie de cette institution. Ils pénètrent les diverses couches sociales en fonction de l'étroitesse des rapports de ces dernières avec l'institution. Si celle-ci disparaît ou rejette ce standard (l'Église en Bretagne est passée entièrement au français dans les années 1950), celui-ci survivra un temps pour se fondre à terme dans les anciens badumes.L'État démocratique moderne est une institution globalisante dont l'idiome, que nous appelons norme, va désormais remplir la totalité des emplois institutionnels. C'est le « français national »Error: Reference source not found défini par Renée Balibar qui occupe cette position dans la France contemporaine. Cette langue unifiée, désormais nécessaire à tous dans le cadre du fonctionnement de la démocratie, a rejeté tous les idiomes préexistants vers le registre paritaire. Les dialectes de l'ancien français – qui constituent des standards selon notre acception – ont ainsi perdu jusqu'à leur nom en passant au registre paritaire pour être nommés uniformément patois par leurs locuteurs en se mêlant plus ou moins aux anciens badumes.

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Chaque institution créé ainsi son propre idiome. Au sein de chaque formation sociale – entendons par là l'ensemble des institutions qui régissent une société donnée – un équilibre s'établit entre les idiomes de chaque institution. Le répertoire de chaque locuteur est constitué de l'ensemble des idiomes qu'il pratique selon son degré d'intégration à la formation sociale. Le statut de chacun des idiomes est lié à celui des institutions dont il est le vecteur. D'un point de vue sociolinguistique, nous appellerons langue la somme des formes de discours situés dans le cadre d'une même grammaire. Le langage courant confond badumes et standards sous un même terme, le dialecte. Les « coins du patois »Error: Reference source not found des journaux n'abordent que des sujets familiers, des plaisanteries, des gaudrioles : c'est typiquement le registre paritaire, celui du badume. Il serait totalement incongru d'écrire en patois sur un sujet sérieux. Ce serait mélanger les genres.Il convient donc d'opposer les disciplines qui étudient les badumes – la dialectologie de terrain débouchant sur les monographies linguistiques, la géographie linguistique – et celles qui étudient les standards, qui recouvrent une autre réalité, moins étroitement locale (écrits dialectaux, littérature dialectale etc.).

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La Révolution a découpé en 1790 le ci-devant Duché de Bretagne en cinq départements : les Côtes-du-Nord (récemment rebaptisées Côtes-d'Armor), le Finistère, l'Ille-et-Vilaine, le Morbihan et la Loire-Atlantique. À l'exclusion de ce dernier5 elle forme depuis 1956 une région administrative à quatre départements, peuplée de 2 703 300 habitants en 1982.Du point de vue humain, la Bretagne se partage en deux parties dont la limite se confond depuis le XVIIème siècle avec la frontière linguistique. La portion orientale est la Haute-Bretagne, ainsi appelée parce qu'elle englobe Rennes, la capitale historique de la province. À l'ouest la Basse-Bretagne ou Bretagne bretonnante, dont la population s'élève à environ 1 000 000 habitants, est topographiquement la plus élevée (Monts d'Arrée et Montagne noire) et la plus morcelée. Elle comprend la totalité du département du Finistère et la partie orientale du Morbihan et des Côtes-d'Armor6. La représentation folklorique de la Bretagne est quasi entièrement composée d'éléments bas-bretons : clochers à jour, binious, festou-noz etc. Les bretonnants proches de la limite désignent d'ailleurs leurs voisins du nom de Gallaoued (au singulier Gall), ce qui pour eux signifie « personne ne parlant pas le breton »Error: Reference source not found. Eux-mêmes se donnent le nom de Bretons, et les Haut-Bretons vont « en Bretagne »Error: Reference source not found quand ils traversent la frontière linguistique.L'image de la région s'est profondément modifiée au cours des dernières décennies :

5. Son chef-lieu, Nantes, est devenu la capitale des Pays-de-Loire.6. Les Côtes-du-Nord de naguère.

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Error: Reference source not found« Population passant naguère pour travailleuse, routinière et docile, les Bretons ont acquis, à tort ou à raison, une réputation de novateurs entreprenants, mais aussi et surtout de contestataires jamais satisfaits, volontiers enclins à des actions violentes »nous dit le géographe Pierre Flatrès.La Basse-Bretagne elle-même est loin d'être homogène. Le Nord-Finistère, dynamique du point de vue économique, politiquement conservateur et très religieux d'une part, le Morbihan bretonnant, également très conservateur et clérical, de l'autre, encadrent ce que Pierre Flatrès10 a baptisé du nom de « diagonale contestataire » Error: Reference source not found : Error: Reference source not foundSi la Basse-Bretagne est longtemps restée massivement rurale, ses campagnes désormais se dépeuplent et adoptent le mode de vie citadin. Pays pauvre à l'agriculture archaïque à la Libération, les départements qui la constituent sont désormais en tête des régions françaises du point de vue de la production agricole.

« Contestaire sur le plan religieux et politique, elle est très conservatrice sur le plan culturel et peu dynamique sur le plan économique ».

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La limite orientale de la langue bretonne a la forme d'un S allant de l'ouest de Saint-Brieuc sur la Manche dans les Côtes-d'Armor à l'est de Vannes (Morbihan), sur l'Atlantique. Elle représente l'étape ultime de l'expansion séculaire des parlers ruraux de Haute-Bretagne, proches des parlers angevins, au détriment du celtique. La double incurvation de son tracé s'explique au nord par l'influence de la ville de Saint-Brieuc, gagnée au français au cours des derniers siècles, au sud par la résistance de la ville de Vannes, longtemps demeurée bretonnante.La Basse-Bretagne était subdivisée jusqu'à la fin de l'Ancien Régime en quatre diocèses entièrement bretonnants : diocèses de Léon, au nord-ouest, de Tréguier au nord-est, de Vannes au sud-est, celui de Quimper s'insérant comme un coin entre les trois autres ; elle comprenait en outre le Goëlo – la région de Paimpol – partie bretonnante du diocèse de Saint-Brieuc ; enfin, constituant une sorte de butte témoin, quelques villages bretonnants ont subsisté dans le diocèse de Nantes, derrière la Brière, au Bourg-de-Batz, jusqu'au premier quart du vingtième siècle. Les réformes administratives de la période révolutionnaire, exigeant la coïncidence des limites diocésaines et départementales, ont bouleversé cette répartition. Le Finistère, auquel correspond le diocèse de Quimper et Léon, englobe la totalité de l'ancien Léon, le Trégor oriental, la basse Cornouaille et trois communes vannetaises. Il compte à lui seul la moitié des communes de la Basse-Bretagne. Le reste de la Bretagne bretonnante correspond à la moitié orientale des départements des Côtes-d'Armor (diocèse de Saint-Brieuc) et du Morbihan (diocèse de Vannes) ; le premier regroupe le Trégor occidental, la haute Cornouaille et quelques paroisses vannetaises, le second conserve la presque totalité de l'ancien diocèse de Vannes, augmenté des cantons de Langonnet et du Faouet, anciennement cornouaillais.

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Spécialistes et usagers s'accordent à partager le domaine du breton en deux grandes aires : le KLT, initiales bretonnes des anciens diocèses de Quimper, Léon et Tréguier7 et le vannetais. Ces deux aires sont, dans la conscience des locuteurs, mutuellement inintelligibles. Il arrive que la presse locale oppose de façon pragmatique dans les programmes de radio des émissions « en breton »Error: Reference source not found à des émissions « en vannetais »Error: Reference source not found. Le KLT accentue en général sur l'avant-dernière syllabe, comme l'allemand, tandis que le vannetais a un accent mélodique qui le rapproche du français. À cela s'ajoutent des différences phonétiques, comme la mouillure des consonnes devant voyelles palatales et l'utilisation d'un h là où le KLT a un z : ainsi « fatigué » est-il skuiz en KLT et chuéh en bas-vannetais. Des différences dans le vocabulaire courant vienne renforcer l'opposition : par exemple 'où?´ se dit peleh? en KLT et e men? en vannetais. L'étude permet de combler ce fossé assez vite, mais il est hors de doute que la communication entre les deux zones n'est pas immédiate.On a longtemps pensé que le breton se subdivisait en quatre « dialectes »Error:Reference source not found, un par diocèse d'Ancien Régime. François Falc'hun a bouleversé cette image à partir d'une analyse fine de l'Atlas Linguistique de la Basse-Bretagne de Pierre Le Roux. Rappelons que l'atlas fournit des données sur les badumes et non pas sur les standards, et que le terme ambigu de dialecte amène à mêler des réalités de nature différente. Le travail de Falc'hun aboutit à la mise en évidence d'une tripartition de la langue bretonne. Aux parlers léonais (nord Finistère) et vannetais (Morbihan), s'oppose une famille de badumes situés dans une zone axée autour de la ligne Quimper-Lannion et centrée sur Carhaix, nœud routier de la Basse-Bretagne depuis l'Antiquité. Cette aire linguistique – et ce n'est sans doute pas un hasard – évoque la diagonale contestataire définie par Pierre Flatrès sur les plans politique et économique. Paradoxalement, nous allons le voir, les deux standards qui se sont partagé la zone bretonnante à partir du XVIIème siècle se fondent sur les badumes périphériques du Léon et de Vannes.

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Le français est devenu la langue des chartes en Basse-Bretagne entre 1250 et 1280, seulement quelques années après qu'il eût remplacé le latin dans la Loire moyenne, l'Anjou, la Touraine et le Berry et bien avant le domaine royal. À Paris dès le XIVème siècle plusieurs collèges bretons accueillaient les étudiants pauvres de Bretagne, qui avaient besoin de connaître le français. C'est pour ces derniers que fut publié en 1499 le Catholicon breton/latin/français de Jehan Lagadeuc8 qui est à la fois le premier dictionnaire breton et le premier dictionnaire français. Son auteur espérait que « par ce breton, ils puissent parvenir à la connaissance du français et du latin »Error: Reference source notfound. La longue série des Dictionnaires et colloques français et breton de G. Quiquer parus à partir de 1626, destinés en priorité à « plusieurs personnes de

7. Kerne, Leon, Treger.8. Voir la bibliographie (Guyonvarc'h, Feutren).

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qualitez, ayant des affaires en ce pays de Basse-Bretagne, qui nont l’intelligence de son vulgaire breton… », a servi en fait de manuel de français aux bretonnants, qui en étaient très friands. Comment expliquer autrement les nombreuses rééditions jusqu'en 1913?

En voici un court extrait :Ma mignounes, mq guele hac e so graet ? hac é so mat ?Error: Reference source not foundJ. Ya sur Autrou, vn guele mat a plu eo, hac an linceryou so guen meurbet. A. Tennit ma lezrou, ha tommyt ma guele, rac drouc dysposet bras ouff. Crenaff à graff euel an delyen voar all guezen ; tommit ma coueff nos ha stardit en mat ma pen. Holla, re e stardit. Digacçit diff ma oryller ha ma goloit en mat, tennit an courtinou ha[c] attachit y gant vn spillen ; pellech eman an pot chambr ? pellezch eman an chambr eas?.« A. M'amie, mon lict est-il fait? est-il bon?J. Ouy, Monsieur, c'est vn bon lict de plume, et les linceux sont fort blancs.A. Tirez mes chausses et bacinez mon lict, car je suis fort mal disposé : je tremble comme la fueille sur l'arbre ; chauffez mon couure-chef, et me serrez bien la teste. Holà, vous serrez trop. Apportez mon oreiller et me couurez bien ; tirez les courtines et les attachez d'une espingle ; où est le pot de chambre ? Où est la chambre basse ?»

À la fin de l'Ancien Régime le breton était l'un des nombreux parlers rustiques subsistant face au français du Roi, langue de prestige encore largement minoritaire. À partir de la Révolution les bretonnants, comme tous les anciens sujets du Royaume, sont peu à peu devenus réellement citoyens de la République. Leur participation à la gestion des affaires locales, leur accès aux emplois civils et militaires de la fonction publique, leur entrée dans le corps électoral ont précédé la scolarisation obligatoire en français.On a toujours observé en Basse-Bretagne comme ailleurs en France des divergences politiques entre les citoyens. Mais à aucun moment – pas même autour de 1848 – ces oppositions n'ont été exprimées en termes de minorité nationale. Le mouvement nationaliste collaborationniste de la dernière guerre représente une infime minorité de personnes comparé à la Résistance. Pour les bretonnants comme pour tous les Français, le plein exercice de la citoyenneté va de pair avec l'usage de la langue française.

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Au cours du XXe siècle, deux grandes mutations sociolinguistiques se sont produites en Basse-Bretagne.

La première, qui concerne le registre disparitaire, est le remplacement progressif des standards par le français.L'immense majorité de la Basse-Bretagne est restée monolingue jusqu'à la Première Guerre mondiale. Le nombre de locuteurs à cette époque a été estimé

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à 1 400 000 ou 1 200 000 par Sébillot9. Mais une révolution se met en route dès l'apparition du chemin de fer, qui va s'accélérer à partir des années 1880 en raison de l'application des lois scolaires de Jules Ferry. Une bonne connaissance du français, était indispensable aux plus défavorisés pour l'accession à des emplois dans la fonction publique, l'enseignement, l'armée et la Marine, qui leur permettaient de sortir de leur condition misérable. Il semble bien que l'apprentissage du français ait bénéficié de la neutralité bienveillante, voire du soutien de la population. Le français étant rarement entendu dans les campagnes, l'École jouait aux yeux des parents le rôle de bain linguistique. La connaissance au moins passive de la norme française scolaire va donc se généraliser10 tandis que dans le même mouvement l'usage du standard ecclésiastique se réduit. Les sermons, s'adressant surtout aux adultes, continuent un temps à être prononcés en breton alors que l'enseignement du catéchisme se francise. Ce processus amène inéluctablement, avec le décalage de générations correspond à la lente maturation du français dans les couches populaires, à l'abandon total de l'usage des standards ecclésiastiques dans les années 1950.

La deuxième mutation est la plus spectaculaire puisqu'elle affecte le registre paritaire, c'est-à-dire la manière quotidienne de parler.C'est après la Deuxième Guerre mondiale que les bouleversements des rapports sociaux causés par l'irruption de l'économie de marché dans une région où dominait l'agriculture de subsistance ont entraîné un changement radical du rapport à la langue. Jusque là, les badumes bretons suffisaient aux échanges familiaux et professionnels, tandis que le français scolaire demeurait une norme lointaine. Désormais, cette norme devient indispensable dans la vie quotidienne. En quelques années, les parents s'efforcent de transmettre à leur manière le français aux enfants. Ici aussi la mutation va se produire en deux temps.Dans un premier temps, ce français sera fortement marqué du substrat breton. De façon variable selon le niveau de développement de l'exploitation familiale et aussi de la région, la première génération de jeunes continuera à s'exprimer en breton avec les adultes, voire, chez les garçons surtout, avec leurs contemporains. Très vite, les nouvelles classes d'âge vont cesser de parler le breton en le comprenant de moins en moins. Il est courant de constater ce décalage au sein des fratries : les aînés parlent et comprennent le breton, les cadets l'ignorent. La place du badume est occupée désormais par le nouveau français paritaire.Aussi la pratique du breton se restreint-elle aux échanges familiers de voisinage entre personnes âgées. La présence d'un jeune entraîne le passage spontané au français, qui est la langue unique des échanges hors de cercles étroits déterminés par l'âge et le degré d'intimité de leurs membres. Le breton est 9. Dont le mode de calcul a été critiqué par F. BROUDIC, voir note suivante.

10. Une thèse majeure encore inédite vient d'être soutenue par F. BROUDIC sur L'évolution de la pratique du breton de l'ancien régime à nos jours (Brest, juin 1993).

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donc ressenti par ceux qui en ont hérité comme le parler intime du foyer et du cœur, constituant le registre paritaire. D'où l'étonnement amusé, parfois l'agacement des bretonnants devant les tentatives militantes d'apprentissage de leur langue. Un bretonnant est généralement choqué quand un inconnu lui adresse la parole en breton : cela revient, non pas forcément à le considérer comme un rustre ignorant le français, mais à faire intrusion dans sa vie privée.Le mot brezoneg (ou breton en vannetais) confond les registres paritaire et disparitaire. Contrairement aux zones d'oïl, les anciens standards subsistent cependant – au moins au titre de souvenir – chez les plus âgés. Les badumes, désormais seuls connus de l'immense majorité des locuteurs, ne s'écrivent qu'exceptionnellement. Les représentations théâtrales en milieu rural trégorrois autour des années 1960, au temps où l'usage du breton était encore très vivace, consistaient essentiellement en farces paysannes. On y pratiquait volontiers l'auto-dérision dans un langage paritaire auquel l'auditoire pouvait s'identifier. Quand à l'occasion un sujet plus général était abordé par des intellectuels venus de la ville, les spectateurs s'impatientaient parfois, d'une part parce qu'ils ne comprenaient pas bien ce breton savant, et d'autre part parce qu'ils étaient venus là « pour rigoler »Error: Reference source not found.Il n'existe pas de recensement en France concernant la situation linguistique ; compter le nombre de locuteurs bretonnants – y en a-t-il 300 000? 550 000? – comme cela se fait à tout bout de champ n'a pas de sens. Les avis d'obsèques quotidiens dénombrent, dans les campagnes, la disparition de bretonnants qui ne seront pas remplacés. Le breton subit le destin de l'économie rurale archaïque dont il a pendant des siècles été le vecteur11.

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Les témoignages écrits sur l'état le plus ancien du breton, si l'on excepte des anthroponymes ou des noms de lieux, remontent au VIIIème siècle. Ils sont constitués par des gloses portées sur des manuscrits latins, suffisamment nombreuses pour qu'un dictionnaire et une grammaire en aient été dressés. La graphie ressemble beaucoup à celle des gloses corniques et galloises de la même époque, ce qui fait penser qu'elles sont l'œuvre de moines formés dans la tradition insulaire : c'est en effet à partir des îles britanniques que l'Armorique, devenue la Bretagne, a été en partie christianisée12.

Ce n'est qu'au milieu du XIVe siècle que le breton émerge comme langue distincte sous la forme de textes religieux savants mêlant dès le départ des éléments celtique, latin et roman. F. Falc'hun a démontré que ce breton est essentiellement issu des parlers de la région de Morlaix, à l'époque port important à l'économie florissante. Socialement, cette variété est la création des frères mendiants, Carmes et Franciscains, dont la vocation était de prêcher en langue vulgaire à des populations ignorant le latin comme le français. Ainsi ce

11. La reconquête linguistique de la Bretagne à partir de l'école est une autre histoire.12. Une évolution parallèle s'est produite en Écosse : christianisée par les Irlandais, l'ancienne Calédonie a pris le nom de ses évangélisateurs, les Irlandais, Scotti en latin.

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que les philologues nomment le moyen breton nous apparaît comme une koinè, variété locale élaborée comme véhicule des usagers d'autres variétés de la même langue13, dans le cadre d'une institution. À part des fragments dont les plus anciens remontent au milieu du XIVème siècle, il subsiste sous la forme d'une douzaine d'ouvrages religieux, en majorité en vers à l'architecture complexe, parus entre le début du XVIème et le milieu du XVIIème. Le système graphique est fortement marquée par celui du français : utilisation de qu- et gu- pour [k-], [g-] devant e et i ; notation de [u] par ou, etc. Ch note à la fois le ch des emprunts français et la spirante vélaire sourde dans les mots d'origine celtique. Cette graphie est originale par certains traits, comme l'emploi du digraphe archaïque ff, marquant la nasalité de la voyelle précédente, par exemple dans henaff ´aîné' prononcé ['henâ]. Les mutations consonantiques initiales si particulières au breton14 ne sont presque jamais transcrites.À titre d'exemple, voici quelques vers de la Vie de Sainte-Nonne :

01. Me so non parail maruaillet02. Ha gant da moez ez off soezet03. Oz songaff bepret an fetou04. Em calon don ez estonaff05. Ne gonn en noar pez a graff06. Sebezaff a graff gant caffou.

01. Je suis au plus haut point surpris,02. Je suis étonné d'entendre ta voix ;03. Quand je songe sans cesse à mes actions (passées)04. Je ressens de la stupeur au fond de mon cœur ;05. Je me demande ce que je fais sur la terre,06. J'en deviens stupide de douleur.

Les jésuites, installés en Basse-Bretagne au début du XVIIe siècle, vont faire pénétrer les idées de la Réforme catholique dans le public bretonnant par les missions et la pédagogie. Pour opérer cette Error: Reference source notfound« seconde conversion » des masses bretonnantes, ils ont besoin d'une langue proche des parlers de leurs ouailles qu'ils puissent manier facilement. À partir de leurs collèges de Quimper (fondé en 1620) et de Vannes (fondé en 1630) ils vont élaborer deux standards correspondant à chacune des deux grandes aires distinguées aujourd'hui par les dialectologues. La solution de continuité entre les deux grandes familles de badumes bretons va ainsi s'institutionnaliser. Les standards quimpérois15 et vannetais se maintiendront désormais, évoluant plus ou moins avec le temps, le lieu et les auteurs, tant que 13 On sait bien que sous cette langue prospèrent d'innombrables variétés de badumes, locales, sociales et spéciales. Mais, privées de critères de discrétion, elles restent innommées.14. Par exemple taol “table” ; an daol “la table” (mot féminin).15. Nous utilisons ce terme en fonction de la localisation du collège à Quimper, bien que les traits principaux de ce standard soient empruntés au moyen breton et ont probablement été fort influencés par les parlers léonais en raison du prestige du prédicateur Michel le Nobletz et surtout de l'hégémonie morlaisienne.

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l'Église se servira du breton. Ils s'opposent comme deux langues, chacune disposant de répertoires différents – grammaires, dictionnaires – des traductions se faisant occasionnellement de l'une dans l'autre.16

L'introduction du Sacré collège de Jésus du père Maunoir résume les nouveautés apportées au standard quimpérois par rapport à la koinè médiévale. Afin de faciliter la lecture orale des sermons – beaucoup de prédicateurs n'étaient pas bretonnants d'origine – le standard supprime des lettres inutiles :

« Il semble qu’il est à propos de changer la façon ancienne des escrivains Bretons, pour escrError: Reference source not foundire les anciens liures Bretons. Qui est celuy qui pourra lire ces mots escrits à l'ancienne mode ar goaff, I'Hyver, an Haff, I'Esté, da bezaff, gueneff, an eff, ma Tat ? N'est-il pas plus à propos d'escrire comme on prononce ar goân, an hân, da veza, guenên, an ên, ma Zat ? »

De même les mutations consonantiques, véritable casse-tête pour les débutants, seront-elles notées :« Dans le langage Breton, il y a plusieurs consones mutes qui se changent en diuerses occasïons, mesme vne lettre se change en plusieurs autres ; les anciens Bretons ne mettoient point les lettres dans lesquelles ces mutent estoient changées mais escrivoient Error: Reference source not foundtousiours le mot comme il se trouve au Dictionnaire, par exemple Tat qui signifie père ; T après ma, mon, se change en z ; après e, son, en d, tellement qu'on prononce ma Zat, mon père, e dat, son père : toutefois les anciens escriuoient ma tat, e tat. Qui est celuy qui pourroit lire ce langage s'il n'a une connoissance parfaite de la langue?»

L'ancienne spirante vélaire était notée par ch tout comme la chuintante des emprunts français :

« Quand vous trouuverez vn c’h ou il y aura vne apostrophe entre c et h prononcés de la gorge, exeple : dec’h, hier, sec’het, soif.Error: Reference source not found 3. Quand il y a vn ch sans cette apostrophe, prononcés ch comme on fait en françois, exemple : tachou, cloux, renchou rentes.»

Ce graphème c'h devenu de nos jours, par sa bizarrerie même, emblématique du breton.Voici un court extrait du Sacré collège :

« Quentel quenta.Error: Reference source not foundPiou en deus hor c'hrouet ha laquet er bet man ? Doue. Pe euit tra ? Euit e anaout, e caret, hag e seruicha. A re a garo hag a seruicho Doue, hag a varvo e stat vat, pelec'h e zaint? Er barados da velet Doue ».

16. Le Livr el Labourer (1849) de Joachim Guillôme sera traduit trois fois.

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Première leçon.Qui nous a créés et mis en ce monde? Dieu. Pour quoi? Pour le connaître, l'aimer, et le servir.Ceux qui aimeront et serviront Dieu, et qui mourront en état de grâce, où iront-ils? Au paradis pour voir Dieu.» Pour le standard vannetais on ne connaît pas de texte présentant les principes de la graphie. Le premier texte connu est un Formulaire de prône de 1693 dont voici un extrait :

« Ny a pédou pareillement evit er ré a drafic ar er mor hac ar en douar, evit er labourerion, hac en artizandet, générallement evit pep guir chrichén, affin ma pligeou gant Doué assisteing pep heny hervé é stat hac é vacation, ha reiError:Reference source not foundng d’imp grace de vériteing hon salvidigueh.»

Nous prierons pareillement pour ceux qui trafiquent sur la mer et sur la terre, pour les laboureurs, et les artisans, généralement pour chaque vrai chrétien, afin qu'il plaise à Dieu assister chacun selon son état et sa vocation, et nous donner la grâce de mériter notre salut.

Les mutations sont généralement transcrites. La graphie, fortement imprégnée de français – certains mots sont reproduits inchangés dans le texte breton – conserve quelques réminiscences de celle de l'ancienne koinè (evit « pour » douar « terre » qui en vannetais sont plutôt doar et aveid). Mais elle reproduit fidèlement des traits particuliers aux badumes de la région (chrichén pour cristen « chrétien », pluriels en -ion, terminaisons verbales en -eing etc.). Enfin, elle transcrit simplement h là où le quimpérois a c'h.Le capucin Grégoire de Rostrenen, dans son Dictionnaire français-breton de 1732 apporte quelques aménagements à cette graphie, et mentionne des formes locales des mots bretons, tout en laissant en tête la forme léonaise. Il est vrai qu'il n'agissait pas dans le cadre institutionnel d'un diocèse, mais, écrit-il dans sa préface :

« C’est uniquement l’ordre d’un de mes supérieurs le très-révérent P. François-Marie, de Saint-Malo, quatre fois provincial des Capucins de Bretagne et Définiteur général de l’ordre, qui m’y a déterminé, afin, disait-il, d’aider, par ce moyen, nos jeunes religieux et plusieurs ecclésiastiques zélés du pays à traduire leurs sermons de français en breton pour pouvoir prêcher au peuple de la basse-province, dont la plus grande partie ne sait pas la langue française, et qui cependant est très-avide de la parole de Dieu.»

Les Capucins exerçant dans l'ensemble de la « basse-province » devaient ainsi pouvoir s'adapter à leur auditoire. Mais c'est en réalité le standard quimpérois qui occupe la majeure partie de l'ouvrage. Le vannetais ne figure qu'au titre d'information supplémentaire, et les courtes phrases données en exemple ne sont jamais rédigées en ce standard.

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Douze années plus tard, en 1744, paraît le Dictionnaire François-Breton ou François-Celtique du Dialecte de Vannes par Monsieur L'A***, publié « A Leide par la Compagnie »Error: Reference source not found. Dans l'introduction, l'auteur, très critique affirme que :

« Ce gros dictionnaire [celui de Grégoire de Rostrenen] n’est d’aucune utilité pour ceux qui veulent apprendre le Breton de Vannes17 ».Il conçoit son travail comme une participation à la standardisation du vannetais : Error: Reference source not found« L’Auteur, qui a voulu évitér le mèlange de Dialècte, si fatal aux Langues Matrices, a du uniquement s’attacher au vrai Breton, qui est celui de Vannes, sans égard aux usages locaux ni aux mauvais usages, quoiqu’universellement reçus ».

Ces mauvais usages, dont il donne quelques exemples en citant les « lieux où ces mauvais mots sont en usage »Error: Reference source not found, montrent bien le désir le l'auteur de réglementer le vannetais à l'instar d'une norme.À côté de ces standards, des manuscrits, dont certains seulement seront publiés au XIXe siècle, sont composés dans le diocèse de Tréguier. Ils concernent principalement des thèmes profanes, le théâtre populaire, dont Luzel fera une ample moisson et qu'Anatole Le Braz fera connaître. La graphie de ces manuscrits est fondée sur le standard quimpérois, mais les auteurs et copistes paysans utilisent des formes locales qui permettent de les situer sans peine. Ces manuscrits se situent en dehors de la standardisation : il est vrai que les autorités religieuses du diocèse de Trégor avaient refusé l'installation des jésuites.Voici un exemple de la graphie de la Buez ar pevar mab Emon, (La Vie des quatre fils Aymon), pièce de 13 000 vers qui sera publiée 7 fois au XIXe siècle.

An histor zo tragic, compagnunez fidel,Error: Reference source not foundAr sujet aneàn n'en dê nemet brezel,Hac eur pez dies bras da c'hoari hep manqi ;Rac-se, compagnunez, humblamant m'ho supli,Hac e velfec'h eure achanomp o fazia,O ped ar vadelez da zont d'en escuza

L'histoire est tragique, fidèle compagnie,Son sujet n'est que guerre,Et c'est une pièce très difficile à jouer sans erreur ;C'est pourquoi, compagnie, je vous supplie humblement,Si vous voyez certains d'entre nous se tromper,Ayez la bonté de les en excuser.

17 « le plus ressemblant à l'hébreux, le moins embarassé, le plus énèrgique, & dont le François a emprunté une grande partie de sès mots... ».

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Après 1790, de nouveaux standards répondront à la création du cadre départemental, à la massification d'une culture laïcisée. Le Finistère et le Morbihan bretonnant conserveront et développeront au XIXe siècle chacun de son côté les anciens standards jésuites. En revanche dans les Côtes-du-Nord un nouveau standard, dérivé du standard quimpérois, va se développer pour les besoins du nouveau diocèse. Il servira à la rédaction des catéchismes et des recueils de cantiques18. Premier périodique catholique en breton, Les Annales de la Société de la Propagation de la Foi paraîtront dans chacun de ces standards dès leur naissance : Lihereu Brediah er Fé (1843) pour le Morbihan, Lizeriou Breuriez ar Feiz (1844) pour le Finistère, Lizero Breuriez ar Fe (1865) pour les Côtes-du-Nord.Le développement prometteur du standard finistérien s'est effectué dans les milieux catholiques à partir du dernier quart du XIXe siècle grâce aux progrès de l'alphabétisme au sein d'une population encore malhabile en français. Il se caractérise à la fois par l'abandon des emprunts massifs au français et par le refus des néologismes outranciers. À côté des ouvrages proprement religieux s'est développée une presse hebdomadaire (Feiz ha Breiz19, Le Courrier du Finistère), souvent bilingue au début, surtout dans le Finistère. La place du français y grandit à mesure que sa connaissance s'améliore, tandis que le breton est confiné à une place symbolique.Un processus identique s'est déroulé un peu plus tard, à partir du début du XXe siècle, dans le Morbihan, où la revue Dihunamb a paru de 1904 à 1944.Dans les Côtes-du-Nord, département moins clérical, la presse en breton – Kroaz ar Vretoned, supplément en langue bretonne de La Croix – n'a pas eu le même succès.Parallèlement pendant tout le XIXe siècle se multiplient les publications en breton qui représentent des retombées du développement de la production en français grâce à l'essor des presses dans une douzaine de villes. Elles consistent en ouvrages de piété comme la Vie des Saints (en Finistère), en pièces de théâtre (en Côtes-du-Nord) utilisant des graphies et des styles directement reliés aux anciens standards.Des chansons sur feuilles volantes paraîtront par milliers, vendues et chantées dans les foires et marchés, transcrites dans des graphies très fluctuantes selon les auteurs et les imprimeurs, mais qui toutes reflètent à un degré ou à un autre l'influence des standards ecclésiastiques. On en trouvera encore jusqu'après la Deuxième Guerre mondiale, comme ce maleuriou ar vro 'les malheurs du pays´ composé en juillet 1945 par François Le Gall à Bulat-Pestivien (Côtes-du-Nord) :Breman zo bloaz hag ouspen, holl a oamp penvolet,Error: Reference source not foundKreis ar walen oa n'hon bro renet gant ar Bochet.Tannan a lahan a reint hep raison na digare,Ar re goz, ar re yaouank, ha koulz ar vugale.Il y a un an et plus, nous étions tous bouleversés,

18. On verra aussi des textes littéraires apparaître dans le nouveau standard des Côtes-du-Nord, par exemple les poésies du folkloriste Luzel ou les nouvelles de Yves Le Moal.19. “Foi et Bretagne”.

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Par la détresse de notre pays dirigé par les Boches.Ils brûlaient et tuaient sans raison ni cause,Les vieux, les jeunes, et aussi les enfants.

La pratique de ces standards, nous l'avons vu, a décliné rapidement après la Première Guerre mondiale, au fur et à mesure que la connaissance du français se généralisait. Seuls, donc, les plus âgés des bretonnants actuels sont encore capables de lire le breton appris au catéchisme, surtout en nord-Finistère et en Morbihan. Ce qui explique en ces régions la survivance plus tardive de registres hauts – les standards – face à des registres bas – les badumes. Cette opposition est très nette dans les interviews radiophoniques ou télévisées. Ailleurs seuls les badumes dans leur variété ont survécu, d'où l'impression superficielle d'émiettement dialectal moderne.

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Dans le cas breton, nous avons vu que les conditions de la naissance d'une véritable norme n'ont jamais existé. L'usage ecclésiastique et juridique du breton était lié de façon pragmatique à l'état d'ignorance générale du français au sein des masses bretonnantes. Les standards à codification minimale suffisaient à leurs besoins. Il faut cependant souligner que le breton n'a jamais été la langue interne du clergé ou de la magistrature, qui ont toujours fait usage du latin et du français. Le fait que des prêtres aient écrit en breton où l'aient utilisé familièrement ne doit pas masquer ce fait capital.La langue écrite unifiée, la seule que l'on défende de nos jours, est de nature toute différente. on pourrait la qualifier de pseudo-norme, construction fantasmagorique, élaborée dans des cénacles n'ayant avec la majorité du peuple bretonnant que des rapports lointains, sinon nuls.

Au dix-neuvième siècle, le grammairien celtomane Le Gonidec, le premier Error: Reference source not found20 « législateur » de la langue bretonne, était un celtomane soucieux de prouver l'antiquité du breton, son Error: Referencesource not found21 « droit d’aînesse sur toutes les langues vivantes de l’Europe » . Son but n'était donc pas de répandre une norme22, mais de créer une orthographe « philospphique »Error: Reference source not found qui fasse coïncider graphie et prononciation. Il est l'introducteur de l'usage des k et g durs remplaçant qu et gu du français, écrivant désormais keginer « cuisinier » au lieu de l'ancien queguiner. D'autres innovations comme le l (l souligné) pour ill ou ñ pour gn ne seront jamais utilisées pour des raisons typographiques. Ce système et ceux qui le suivront, surtout utilisés à des fins militantes ou littéraires, ne sortiront guère de quelques cénacles érudits. Basé sur la 20. Hersart de la Villemarqué (Essai.. 1847, p. lxiv).21. Le Gonidec, préface à son Dictionnaire celto-breton, Angoulême, 1821, p. vi.22. « La langue Celto-bretonne a peu de mots pour exprimer des idées abstraites et métaphysiques. On ne doit pas s’attendre à trouver dans le Dictionnaire, des termes pour désigner des objets appartenant à des arts nouvellement découverts. » (LEGONIDEC ibid. p. vi)..

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prononciation, reflétant en même temps une vision puriste de la langue, il rend très difficile la transcription des emprunts, et même leur utilisation. Dans cette graphie, « resurrection » s'écrirait rezureksion : on préfère exhumer l'antique dasorc'hidigez abandonné depuis le dix-septième siècle. Les membres du clergé écrivant en direction du peuple adopteront certaines des innovations de Le Gonidec. Ils éviteront cependant le purisme excessif en ayant de préférence recours à des périphrases.Le vicomte Hersart de la Villemarqué23, l'auteur du célèbre Barzaz Breiz, était un fervent disciple de Le Gonidec : Error: Reference source not found24 « Grâce à lui, l’autorité remplace l’anarchie, la règle succède au caprice, l’unité règne aujourd’hui sous le rapport de l’orthographe, du vocabulaire et de la syntaxe ; des principes communs et généraux prévalent sur les coutumes locales… »et s'appuyant sur l'autorité de son maître voulait créer une langue épurée et normalisée afin de rendre la langue bretonne « plus propres à instruire le peuple »Error: Reference source not found, à « developer les bons instincts des classes laborieuses » :« Ils [les hommes éclairés] se servent de la langue bretonne comme du seul instrument à leur portée, car le peuple n’en comprend pas d’autre, et tant qu’ils n’en auront pas un plus adapté aux besoins populaires, ils croiront devoir l’employer »Error: Reference source not found (La Villemarqué 1847 : lxv).Les principes généraux de la purification sont bien connus partout où ils ont été appliqués : rejet de ce qui ressemble au français, adoption de mots gallois, création sur des racines bretonnes et des suffixes –- dont en fait la plupart sont latins comme -ez, -adur, -uz etc.L'essai d'imposition de cette langue au clergé au moment de la parution des premiers numéros des Annales provoqué un profond rejet. Seuls des poètes travaillant au sein de petits groupes l'ont utilisée, sans jamais atteindre la masse des bretonnants.

Au vingtième siècle, une codification des standards départementaux est entreprise dans des cercles d'intellectuels : le KLT25 – avec son sous-ensemble des Côtes-du-Nord – et le vannetais. Il s'agit de l'entente des écrivains de 1908. Dans le premier est introduit l'usage inédit du ñ muet placé après les voyelles pour marquer leur nasalisation, par exemple dans klañv « malade », prononcé comme le français « clan ».Ce n'est qu'avec l'apparition du nationalisme breton que naîtront, sur la base des principes élaborés au siècle précédent, deux normes fictives, d'une part la norme KLT, créée par François Vallée et René Le Roux26 et imposée après 1920 dans les milieux nationalistes par Roparz Hemon27, de l'autre celle du vannetais,

23. 1815-1875.24. voir n. 21.25. voir note 7.26. alias Abherve et Meven Mordiern.27. Ce professeur d'anglais du lycée de Brest, de son vrai nom LOUIS NEMO, créa et dirigea de 1925 à 1944 la revue Gwalam, qui publiait des textes inédits et surtout de

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répandue par Loeiz Herrieu28. Leur fusion ne devait – et ne pouvait – se réaliser, dans l'esprit de ses promoteurs, qu'au sein du futur État breton. Les standards, qualifiés de « jargons mixtes »Error: Reference source not found reflétant à leurs yeux de l'état de sujétion du peuple breton, étaient rejetés en bloc.La pseudo-normalisation s'achèvera sous l'Occupation avec l'absorption du standard vannetais dans la norme générale du breton. Le 8 juillet 1941, pour diverses raisons, en particulier pour faciliter l'édition de manuels de breton – le gouvernement de Vichy avait introduit un début d'enseignement des langues régionales – eut lieu sous l'impulsion du linguiste et celtisant Leo Weisberger, responsable allemand de la politique culturelle en Bretagne, une réunion destinée à mettre sur pied une orthographe « superunifiée »Error: Referencesource not found de la langue bretonne. On y décida entre autres la fusion symbolique du KLT et du vannetais en introduisant le digraphe zh : « chat » s'écrit kaz en KLT et kah en vannetais : on écrira donc kazh29.La création des régions administratives sous Vichy et celle d'un enseignement officiel de la langue bretonne30 lui fournissaient un cadre institutionnel favorable. Roparz Hemon s'en explique dans une brochure en breton parue à Rennes en 1942 intitulée An doare-skriva nevez « La nouvelle orthographe » : « Le quatrième dialecte, celui de Vannes, était resté en dehors de l’entente [des écrivains de 1908]Les vannetais continuaient donc à écrire d’une manière différente des autres. Des livres et des revues étaient publiés en cette orthographe, et on l’enseignait dans les écoles du Pays de Vannes, celles qui accueillaient le Breton.Tant que la Bretagne demeurait assoupie, comme avant la guerre actuelle, il fallait supporter ces deux orthographes. C'eût été un grand risque, compte tenu de notre faiblesse, de chercher à améliorer la situation. Gwalarn elle-même, malgré son désir d'achever l'unification de notre langue, s'opposa fermement aux écrivains et aux grammairiens qui se réunirent à Lorient en 1936 afin de tenter de résoudre le problème.Les événements qui se sont déroulés depuis 1940 ont entraîné un retournement de la situation. Le nombre des Bretons réveillés croissait d'une manière étonnante, tandis que le pouvoir de nos ennemis diminuait. Les écoles, bien qu'elles fussent encore sous l'emprise d'étrangers ou de bretons devenus pour la plupart étrangers, doivent peu à peu laisser la langue bretonne prendre pied, d'abord dans la cour, puis dans les salles de classe. D'une langue vaincue elle se transforme en langue conquérante.

nombreuses traductions destinées à forger une norme bretonne. ROPARZ HEMON, par la sévérité de ses comptes rendus, exerça une véritable dictature intellectuelle sur ses collaborateurs.28. Le « barde-laboureur » dirigea la revue Dihunamb de 1904 à 1944 : s’adressant au début à la paysannerie, elle dériva progressivement vers un public petit-bourgeois, sans doute à l'exemple de Gwalarn.29. D’où le fameux sigle BZH représentant une abréviation de Breiz/Breih, écrit Breizh « la Bretagne ».30. Arrêté du 24 décembre 1941.

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C'est là le nœud du problème : une langue conquérante doit être une langue unifiée. Il lui faut chasser de son sein toute racine de faiblesse31. »Créée à l'initiative de l'occupant, cette norme ne fut finalement pas agréée par le rectorat de Rennes32. Après la guerre, en 1950, Roparz Hemon, dans un article intitulé 1925-1950-1975 montre bien qu'il a conscience du lien entre cette norme et l'institution nationale : À partir d’une poussière de dialectes on fit une langue, autour du cadre d’acier fabriqué par Le Gonidec et Vallée.Error: Reference source not foundUne langue littéraire d'abord, de 1925 à 1941. À partir de 1941, une langue d'État33.»À la Libération, la région administrative, c'est-à-dire l'organe institutionnel au sein duquel pouvait s'effectuer une unification, n'est plus à l'ordre du jour.En conséquence du vote de la loi Deixonne de 1951, une commission mit sur pied l'orthographe universitaire de la langue bretonne - nommée par dérision « Falc’huneg »Error: Reference source not found par les nationalistes parce que cette réforme s'inspirait des travaux du professeur François Falc'hun - qui renouait pragmatiquement avec les anciens standards.Les principes de la réforme étaient les suivants :a) rapprocher la langue écrite de la langue parlée dans sa variante la plus répandue ;b) rapprocher le KLT et le vannetais par des modifications orthographiques concertées de part et d'autres ;c) fixer de la façon la plus simple et la plus logique possible la part d'arbitraire que comporte toute orthographe ;d) s'écarter le moins possible des traditions antérieures.Sans ignorer l'héritage des standards antérieurs, ce système se proposait de partir des badumes en leur permettant de se rapprocher progressivement grâce

31 .« Ar pedervet rannyez, hini Wened, a oa chomet er-maez eus an Emgleo. Gwenediz a zalc'he eta da skriva en eun doare dishenvel diouz ar re ail. Levriou ha kazetennou a veze moulet hervez an doare- skriva-se, ha desket e veze e skoliou Bro-Wened, ar re anezo a oa digor d'ar brezoneg.Keit ha ma vane Breiz morgousket, evel a-raok ar brezel-man, e oa ret tremen gant an daou zoare- skriva-se. Eur riskl bras e vije bet, ha ni dinerz evel ma oamp, klask gwellaat stad an traou. Gwalam e- unan, daoustd'ar c'hoant en doa da beurunvani hor yez, a savas krenn e vouez a-enep ar skrivagnerien hag ar yezourien en em vodas en Oriant e 1936 da glask diluzia ar gudenn ».Kemmet e voe penn d'ar vaz gant an darvoudou c'hoarvezet abaoe 1940. Niver ar Vrezoned dihunet a yae war gresk en eun doare souezus, tra ma'z ae galloud hon enebourien war vihanaat. Ar skoliou, evit d'ezo beza c'hoaz e dalc'h estrenien pe Breiziz aet da estrenien, an dam vuia anezo, a rank lezel tamm-ha-tamm ar brezoneg da blanta e zaoudraoad, e porz-c'hoari da genta, er saliou-kelenn da c'houde. Eus a yez trec'het eman o tremen da yez trec'h.

Hag eno eman an dalc'h : eur yez trec'h a rank beza eur yez unvan. Ret d'ezi argas diouz he c'hreiz pep gwrizienn a wander » (pp. 3-4).32. Circulaire du Recteur d'Académie du 6 novembre 1943.

33. Error: Reference source not found« Diwar ur boultrenn rannyezhoù e voe graet ur yezh, endro d'ar stem dir aozet gant Ar Gonideg ha Vallee. Ur yezh lennegel da gentan, eus 1925 betek 1941. Adalek 1941, ur yezh Stad. »

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à un système graphique simple susceptible de s'adapter à leur variété. On envisageait ainsi, par les échanges qui ne manqueraient pas de se produire entre auteurs et lecteurs de différentes régions, une unification progressive, un mouvement constant vers une norme qui serait en quelque sorte l'œuvre des usagers34.Approuvé en 1955 par le Ministre de l'Éducation nationale, ce système graphique est encore en utilisé pour un nombre non négligeable de publications. Il ne fut évidemment jamais accepté par les milieux nationalistes. Il s'appuie en effet – du moins en théorie – sur les badumes, c'est à dire sur l'idiome du degré institutionnel le plus bas, le marché agricole traditionnel. Ce qui signifie que ses tenants acceptent que le breton constitue le registre bas (paritaire) d'un couple diglossique au sein duquel la norme française constituerait le registre haut (disparitaire). Or une norme ne saurait être que totalitaire, rejetant à la fois le français et les restes des anciens standards et des badumes.

La constitution en cours d'une Europe intégrée sur la base des régions, programmant l'abandon progressif des souverainetés nationales, a entraîné en France la création et l'essor de pouvoirs régionaux. Il est difficile de mesurer aujourd'hui les effets de cette rupture fondamentale avec la politique républicaine héritée des Jacobins. L'essor général des mouvements nationalitaires, puis leur reflux public et leur reconversion au sein des nouvelles institutions ne nous semblent pas leur être étrangers.C'est dans ce contexte que s'est déroulée une tentative d'unification de la graphie du breton à l'initiative des tenants de la graphie universitaire, qui ne pouvaient accepter la graphie de 1941. La négociation fit l'objet d'une multitude de réunions entre 1970 et 1975 : elle se termina par la création d'une troisième graphie35 appelée « interdialectale »Error: Reference source not found. Ses créateurs, comme ceux de la graphie universitaire, partent d'une prise en compte de la variété des badumes. Mais au lieu d'éliminer en simplifiant les principales différences, ils ont choisi d'empiler les variantes sur le modèle du ZH dont nous avons parlé plus haut. La graphie de 1941 occupe aujourd'hui la place d'honneur dans l'Institut culturel de Bretagne – reprise d'un vieux projet né pendant l'Occupation – organe associatif étroitement lié au Conseil régional : la création d'une région dotée de pouvoirs jusqu'alors dévolus à l'État induit naturellement la sauvegarde et la promotion de ses caractères propres, en particulier de ses caractères culturels. L'adoption d'une norme semi-officielle, même si en l'occurrence elle ne joue qu'un rôle symbolique36, répond ici encore à la montée en force d'une institution nouvelle.

34. Cette solution est celle qui est généralement adoptée en Corse avec le concept de langue polynomique.35. celle par exemple de l'Assimil.36. Le Dictionnaire de psychanalyse quadrilingue publié par l'Institut Culturel de Bretagne en 1983 sous-entend la fiction d'une école de psychanalyse bretonne.

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Par la force des choses, les trois principales graphies sont admises aux épreuves du CAPES de breton, sans compter qu'il est aussi possible de rédiger en standard vannetais.De toute façon, le nombre de lecteurs de la littérature bretonne moderne ne dépasse pas les 1 000, au mieux les 2 000 personnes, dont une petite minorité vient des couches bretonnantes.

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L'exemple breton montre qu'on ne peut étudier l'histoire des langues comme des systèmes clos appartenant à des communautés socio-historiques permanentes. Ce sont donc les diverses institutions religieuses en relation avec les institutions civiles qui ont forgé la langue bretonne au cours des siècles, en interaction constante avec la pratique quotidienne des échanges interindividuels. La « vraie »Error: Reference source not found langue bretonne, qui serait parlée par des locuteurs idéalement placés dans une position extra-institutionnelle, dans une sorte d'état linguistique de nature, est un mythe.L'évolution des graphies du breton reflète l'histoire des institutions qui se sont succédées en Basse-Bretagne au cours des siècles. La koinè des frères mendiants, puis les standards ecclésiastiques, sont nés des besoins d'institutions bien situées dans l'histoire. L'adoption de la norme française, d'abord pragmatique puis officialisée à l'occasion du Concile Vatican II, a provoqué l'abandon de l'usage de ces derniers. Jamais au cours de l'histoire les institutions civiles n'ont eu recours au breton, ce qui explique que la norme française n'a jamais été remise en cause dans ce contexte. La francisation de la Basse-Bretagne s'est opérée suivant un processus fondamentalement semblable à celui qui s'est déroulé dans l'ensemble de la France postrévolutionnaire. Il est cependant spécifique à cause de la distance linguistique entre français et breton qui ne permet pas le glissement progressif du badume vers la norme qu'on peut observer dans les régions romanes. On parle beaucoup au niveau institutionnel – régional, mais aussi européen – de la sauvegarde de notre patrimoine linguistique. Que signifie concrètement – selon notre analyse « sauver le Breton » Error: Reference source not found? Il ne peut être question de revigorer, voire de ressusciter les badumes, qui sont les idiomes de marchés restreints absorbés depuis des décennies dans le grand marché européen voire mondial. Les standards, qui ne disposent plus du soutien institutionnel qui fut leur raison d'être, sont obsolètes. Reste donc la pseudo-norme qui s'est développée dans le cadre d'un projet national au XXe siècle. Déçus par la défaite du projet de création d'une Bretagne indépendante, ses tenants ont pendant les années d'après guerre rejeté avec mépris toute idée de recours à l'école française pour son enseignement. Ils se sont ravisés avec la régionalisation. Leur effort s'est porté alors sur la création d'écoles parallèles dont ils souhaitaient l'intégration au système officiel. Des classes bilingues sont apparues en miroir dans l'enseignement public et privé. L'ensemble ne touchant pas 2 000 enfants dans

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l'ensemble de l'Académie de Rennes. Le breton enseigné dans ce cadre est majoritairement la pseudo-norme revêtue de la graphie de 1941. Et puisqu'il faut parler d'avenir, il semble bien que le seul breton qui se transmet et se transmettrait si les pouvoirs institutionnels s'avisaient d'étendre l'expérience sur une grande échelle ne pourrait être que celui-là, qui évoluerait alors à son tour en fonction des besoins institutionnels. Mais ceci est une autre histoire.

Jean Le DûUniversité de Bretagne OccidentaleBrest.

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