saint jacques en majesté

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SAI NT JACOUES ENroESTE LES REPRÉSENTATIONS DE SAINT JACAUES EN MAJESTÉ, 5I orrrÉRrNrEs D'uNE nÉooN À t'luTnE DE LA FRANcE ET survANT LEs Épooues, TRAHISSENT pouR cERTAINES uNr ÉToNNANTE pnnrNrÉ AVEC LES MAJESTÉs or SAINT.JACQUES DE COMPOSTELLE. CETTE IMITATION SERVATT AUX yEUX ors pÈrcnrNs DE REToUR DE GALlcE, À nrsrruER uN pEU DE LA purssANCE SACRALE DE CE SANCTUAIRE. PAR HUMBERT JACOMET, ux confins des anciens dio- cèses de Chartres et du Mans, non loin de Montoire et de Lavardin, le petit villa- ge des Roches-l'Évêque s'étire enffe l'escarpement du coteau et le cours enchanteur du Loir. De la forteresse qui surveillait 1e passage, à hauteur de Saint-Gervais, rien ne subsiste. Mais I'effondrement du rocher a laissé béantes deux cavités qui révèlent 1'existence d'une chapelle rupestre que veillait naguère la statue du saint. Deux escaliers aussi exigus que ra- pides mènent à cette sorte d'abri qu'un pilier tourné divise en deux salles. L'æil est aussitôt attiré par la présence d'un autel tai1lé à même la craie au-dessus duquel s'accrochent des vestiges d'enduits peints, décolo- rés par le temps. , 3+ & â& èi ,k

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SAI NT JACOUESENroESTE

LES REPRÉSENTATIONS DE SAINT JACAUES EN MAJESTÉ, 5I

orrrÉRrNrEs D'uNE nÉooN À t'luTnE DE LA FRANcE

ET survANT LEs Épooues, TRAHISSENT pouR cERTAINES

uNr ÉToNNANTE pnnrNrÉ AVEC LES MAJESTÉs or

SAINT.JACQUES DE COMPOSTELLE. CETTE IMITATION

SERVATT AUX yEUX ors pÈrcnrNs DE REToUR DE

GALlcE, À nrsrruER uN pEU DE LA purssANCE

SACRALE DE CE SANCTUAIRE.

PAR HUMBERT JACOMET,

ux confins des anciens dio-cèses de Chartres et duMans, non loin de Montoireet de Lavardin, le petit villa-

ge des Roches-l'Évêque s'étire enffel'escarpement du coteau et le coursenchanteur du Loir. De la forteressequi surveillait 1e passage, à hauteur deSaint-Gervais, rien ne subsiste. MaisI'effondrement du rocher a laissébéantes deux cavités qui révèlent1'existence d'une chapelle rupestreque veillait naguère la statue du saint.Deux escaliers aussi exigus que ra-pides mènent à cette sorte d'abriqu'un pilier tourné divise en deuxsalles. L'æil est aussitôt attiré par laprésence d'un autel tai1lé à même lacraie au-dessus duquel s'accrochentdes vestiges d'enduits peints, décolo-rés par le temps.

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Durant l'élé 1937 , à la suite d'un mi-nutieux dégagement, Me11e S. Troc-mé reconnut sur 1e plus conséquentde ces fragments deux pèlerins age-nouiliés à la droite d'un saint, assissur un ffône de gloire. De ce person-nage nimbé, on n'aperçoit qu'ungenou et la main droite bénissant, tan-dis qu'un ange se penche du ciel pour1'encenser. Les grandes coquilles quiémaillent la scène, orientent la dé-marche de ces pénitents. Ne vont-ilspas porter leur hommage au grandsaint Jacques de Galice ? Mais I'inter-cesseur auquel ils se recommandentici, est-i1 le Christ en personne ou sondisciple ?

Si l'avènement de Compostelle etl'éclosion de son pèlerinage n'avaienteu un tel retentissement dans la chré-tienté, on pourrait s'étonner à bondroit de trouver en ces parages, dès leXII" siècle, un écho aussi précoce dela Majesté de saint Jacques.

L'APôTRE GLORIFIÉ

Cette image n'est pas unique. Elle a

son pendant, en Aragon, à San Juande Uncastiiio où, sur le cu1 de fourd'une absidiole, deux pèlerins se pros-ternent également aux pieds d'unapôtre assis. Le baptême et l'arresta-

En hqut à droite. Comme l'ençens, h yièredes pelerins monle vers soinl Joeques donsh glaire, ll &rrnit d'une moin, tqndis que delsulre îl monlrait h üwe de Vie, csmme àUncEstîlh et surtout à Compostelle, auXlt siècle, Dêtail d'vne peintvre marEb de lschapalle SEinl,Geruais des Roches (41),

d'après le relevé de §, Trocmé, Paris, musée

des Monumenls hsnçais, Phan H. Jseomet,

En 6Es à droin, Vesliges de h choplhrapastre de fuin.Oelais des Pocies.

Pege de gauche. Reyonnont d'une beoutédivine, sEint Jacques esï au Portsil de loÇhire, soas le cisesu de *loître îrlsthieu, levicEire du Çhrist et l'évongélissteur delo,ccident, C'esl ce qv'îndiquent lephyhetère et h bânn pstoral en ferme delqu, insigne de n dignité plrhrcale.eaùedrah de Saint tacques de Compostelb,prtuil æeidentEl, lrumæu de la pnenéd:ane, vers I188, taprès le mouloge duYicnrie & Alhat lrlusaum, Londres, Phste H,

Jqcamel,

MoYENAGE (

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6 Auxerre

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duÇ"':Codle de réportîtion des Mojestés de

soinl Jocques conservées en Fronce :

clossées por types iconographiques.

c Modlèle parisien, XIV siècle: bourdon,besoce, livre, chapeou + coquilles,

t Modèle breton, XIV-XV siècle : tau elphyhctère + coqüilles.

O Modèle breton, XV-)UF siècle: bâton,phylactère, pa r{oi s cho peo u,

Poge de droite, Pêchés dons lo ieîne ousiècle dernier et recueillîs por ArthurForgeais, ces méreoux ne sont que de vils

ietons destinés à favoriser l'ossiduité ouchæur de ceux qui s'intîtulaient îiérementchanoines de Saint-Jacques de l'Hôpinl,En phîn )O/F siècle, ils monlrent l'imogesoisissonte de lo gronde Moiesté porisienne

de l'opôtre, inopinément relrouvée en 1840el presqu'oussitôt détruite. Poris,

Musée Cornovolet, cobinet des Médoilles.

Phoro H. Jocomet.

@ Soint )acques lisont ou médilonî, XV-XVP

siècle : livre ouvert, bourdon, besoce,

chapeau + coquille,

& Soint Jocques combînanl livre etphylactère, XVF siècle : bourdon, besoce,

chopeou + coquille,

tion qui complètent cette fresque,évoquent à coup sûr 1a passion desaint Jacques que nu1le coquille pour-tant ne désigne. Or, si 1'on en croit 1e

fameux Guide du Pèlerin, c'est bienainsi que 1'apôtre se montre, à 1'oréedu XII' sièc1e, dans sa basilique du Fi-

nisterre d'Occident. Là, au front duciborium qui couonne son autel, i1

est figuré, à f instar du Christ Ré

dempteur, siégeant de face, quasi insede majestatis, aû milieu de sespairs. Comme à Uncastillo et auxRoches, i1 tient 1e Livte de Vie de lamain gauche et, de 1a droite, accordesa bénédiction. Le fameux Codex Ca

lixtinus, enluminé vers 1140, ne luidonne pas d'auüe apparence.

A Vitroux figurant saint Jocgues ossis.

y Peintures murales : saint Jacques assîs,

Q lobleou îiguront soint.locques assis, )UllFsiècle,

I Lieux de référence,

Oue cette façon d'exalter un apôtreen 1e ffaitant à l'égal du Christ de Majesté, ne soit pas usurpée, 1'Évangileen fait foi. A Pierre inquiet de sonsoIt, Jésus avait déclaré : Auand leFils de l'homme siègera sur son trônede gloire, vous siègerez vous aussisur douze trônes, pour juger lesdouze tribus d'lsraël(Mt. 1q, 27 28).C'est cette vision que traduit admira-blement 1a verrière du Jugement dernier de la cathédrale de Coutances, à

la fin du XV'siècle.Mais à Compostelle, 1'autorité spiri-tuelle de saint Jacques se réclame deson corps mystérieusement échoué aurivage de Galice. Pour ceux qui visi-tent le sanctuaire qu'i1 habite et

kauyois

SenonlesChoûres

a\brjouvilh

Orhans

. Apôtre et pèlerin ou Livre îermé, XIV-XV o Soinl )acqaes couronnonl des pèlerins,

siècle: livre, bourdon, besoce, chapeou + )(Yb'XYf sièele (Alsace),

coquille.

-l

I

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?-1"td';"* ":7;il:*'

CoutoncesA

Or

Plumbux

combie de ses faveurs, ce précieuxdépôt est doublement signe d'allianceet promesse de résurrection. Aussi, 1a

présence de I'apôtre devait-elle s'in-carner de façon plus tangible. DèsI'achèvement du Portail de la Gloire,en 1188, on le voit enseigner, unemain appuyée sur le Tau pastoral. Etdepuis la consécration de sa basilique,en 1211, i1 trône dans la pénombrede son sanctuaire, où, par amour despèlerins, sa houlette finit par se

mes deuxfils que volci, siègent l'un àta droite, l'autre à ta gauche, danston royaume (Mt. 20, 20-24),L'audace inouïe dont fit preuve encette circonstance Marie Salomé jetale ftouble parmi les disciples. Nonobs-tant, premier des Douze, Jacques, dé-

capité par Hérode, boit la coupe dumaltyre comme i1 s'y est engagé(Actes 12,1-Z), et ravit sans faillir 1a

couronne de vie que 1'Écriture décer-ne à ceux qui ont triomphé de l'épreu-

que 1'ég1ise et Ia ville qui portent en-

semble son nom, viennent d'êüe "su-blimées" par Rome. En 1120, par lavolonté de Caiixte II, Compostelle estérigé en Méffopo1e pour l'honneur decelui qui fut l'un des trois disciples lesplus proches du Christ. 11 est donc na-

turei que la figure patriarcale de1'apôtre, taillée dans le rude granit deGalice, s'épanouisse au moment mê-me où son vicaire accède à 1a dignitéarchiépiscopale.

convertir en bourdon. Sur ces deuxeffigies qui le représentent assis, saintJacques exhibe un phylactère dont 1es

messages se répondent. Au couchant,sous le Christ de la Parousie, l'annon-ce de la Parole : Missit me Dominus(le Seigneur m'envoie). Au levant,l'arrêt du desün : Hic est corpus Div[Iacobi Apostolï et Ispan[arum Patronï(Voici le corps du saint apôtre Jac-ques, patron de I'Espagne).

UNE REOUÊTE EXOR.BTTANTE

Le caractère étrange et solennel deces statues de I'apôtre, assises au seuilcomme au cæur de sa b,asilique, nelaissait pas d'intriguer Emile Mâie,pour ne rien dire de leur 1égitimité.Cependant, n'est-ce pas à la lumièredes Evangiles qu'il faut considérercette insistance à magnifier saintJacques à Compostelle et pas ai1-

leurs ? Le Christ venait de dévoileraux siens f imminence de sa passion,quand l'une des femmes qui le sui-vait, la propre mère de Jacques etJean, s'apptoche et dil: Ordonne que

ve (Jc 1, 12). Dès lors, quoi d'étonnant à ce qu'un hymne inspiré desSortes Apostolicae proclame ainsi ausoir du MII' siècle : A Jean, I'Asie quiest à droite, au bienheureux Jacques,l'Espagne qu[ est à gauche ZSi les ,Fz7s

du Tonnerre (Mc 3, 16-17), Jean à

Ephèse, Jacques à Compostelle, repo-sent 1',un à 1'Orierit, l',autre à 1',Occi-dent de Rome éiu chef de chrétienté,n'est-ce pas f indice que Marie Saloméa élé exaucée ? Du reste, sur le montThabor, dans 1'éblouissement de 1a

Transfiguration, Jacques et Jean n'en-touraient-i1 pas déjà Simon-Pierre (Ml17 , 1-B) ? Aussi bien dès 1a naissancedu sanctuaire galicien, dans 1'oratoireprimitif érigé sur la tombe présuméede l'apôtre, comme au chevet de la ca

thédrale qui devait l'englober, Pierre,Jacques et Jean ont, de part et d'autredu Sauveur, leurs autels respectifs.Ainsi, la Galice, terre é1ue de saintJacques, est-elle devenue le théâtre desa carrière posthume. Compostelle estbien le siège terrestre de 1a gloire desaint Jacques. A l'aube du XII" sièc1e,i1y a d'autant moins lieu d'en douter

De là, vient qu'à la représentationabstraite et universelle du saint glori-fié, dont la fresque de Saint-Gervaisdes Roches est, en France au XII'siè-cie, 1'unique et fugitif reflet, s'estbientôt substitué à Compostelle uneimage prégnante du saint patron,armé du Tau et du Phylactère, sceaude son autorité et signe de sa mission,tel que ia statue du maître-autel ou1'effigie de Maître Mathieu 1a révèleau pè1erin.

AU FIL DES DÉCOIIVERTES

11 est fort improbable qu'une telleimage ait trouvé un écho en dehorsde Compostelle, car à la mêmeépoque, dans le nord de 1'Espagne etle midi de la France, saint Jacques,métamotphosé en pèlerin à 1a sulte duChrist d'Emmaüs, est en passe de devenir 1a vivante enseigne du pèlerina-ge dont il est f initiateur et le guide.De fait, lorsqu'à Paris, au mois d'avril1840, des tertassiers exhument, rueSaint-Denis, à l'emplacement de cequi fut I'hôpital Saint-Jacques-aux-Pè-

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l. Dès le XIF siècle, soinl Jocques est revêlvde l'hobit du pèlerin dont il devient le guide

et le modéle, Celte minioiure tirée de

lobrégé de lo Vie de Raymond Lulle,

composé por Thomas Le Myésier, à Arros,enlre l32l et 133ô, monlre le docteurilluminé recevant de saint lacques le sens de

so vie oprès son pèlerinoge à Rocomodour.

Electorium porvulum. Bîblîothéque de

Korlsruhe, Codex Son Peler, Perg.92, f' Iv'. Photo Bodische Londesbibliothek.

2. En pénétranl sous le porche de l'église de

Bédée, on ne s'ollend guère à lomber sous

le regard de ceite sculpture sons ôge, Les

coquilles désignent pourtont l'opôtre tituloirede l'obbaye augustine de Soinl-Jocques de

Montfort, fondée en I 152 dons le voisinoge.Pholo H. Jacomet.

3. La possion que voue lvl, Coulombel àl'église de son villoge l'o conduit à découvrircene ougusle Maiesté de soint Jacques. Par

sa focture, celle slotue se raltoche à un

oîelier octif ou Xltt siècle dons le Poudouvre

dinonoîs, comme le prouve l'exislenced'æuvres similoires, lelles que lo vierge de

Plumaudon ou lo Maieslé de saint Gilles dumusée de Dinon, sons porler du saintJocques de Plouosne, Églîse Soînt-Jean,

Sai nt- Mod en, Côtes- d' Armor,Phoro A, Jégou,

4. La maîlresse-vitre de la chopelle Soint'Jocques de Saint-Léon en Merléoc est

iustemenl connue, Un certoin "G. Béart" l'asignée en 1402. Elle évoque en deuxregistres la passion du Christ et le modyrede soinl Jocques que l'on voît ici occueillantles pèlerins à la porre de son sonchtoire.

Non seulemenl ce ponnedu fourniî un

précieux repère chronologique pour doterles Maiestés de Bretagne, mois montre que

comme à Compostelle lapôtre s'oppuie surun bôlon en forme de lau, olors même que

ses pèlerins orborent le bourdon.Photo H, Jocomel

lerins, le tronc mutilé de 1a stalue dusaint, scuiptée par Guillaume de Heu-dicourt, entre 1319 et 7324, c'esllevisa§e d'un apôtre assis, coiffé d'unchapeau fortement bombé, la poitrinesanglée d'une besace, qu'i1s décou-vrent avec étonnement. Six ans plustard, le musée des Beaux-Arts deBeauvais arrache du jardin où elle se

consume, une imposante ronde-bossequi pâraît sortir du même moule quela sculpture parisienne vouée à uneprompte disparition. Apprivoisée parl'humanisme gothique, la Majesté desaint Jacques perd en fascination cequ'elle gagne en proximité.Bien que l'habit de pè1erin imprime à I

ces statues un caractère tout différentdes effigies vénérées à Compostelleoù saintJacques garde sa robe aposto-1ique, E. Mâle ne pouvait s'empêcherde trouver à leur exotisme un parfumde Galice. Aux attributs près, n'avait-on pas voulu rappeler à distance parl'attitude et 1a position du saint sié-geant au-dessus d'un autel environnéd'anges, l'atmosphère de 1a basiliquecompostellane ?

Mais cette symbiose entre l'apôtre et1e pèlerin ne s'est pas réalisée partoutde la même manière ni au même

degré que dans 1e Domaine rcya1. LaBretagne accuse sur ce point un netparticularisme.Sous le porche de l'église Saint-Pierrede Bédée, en l11e-et-Vi1aine, un colos-se hiératique encastré dans la maçon-nerie tient en respect le visiteur. Troisgrosses coquilles arrcndies sul la poi-trine de cet atlante de granit incitent à

le regarder comme un avatar de laMajesté de saintJacques. Pouftant, envain y cherche-t-on le chapeau, la be-sace et le bourdon coutumiers. Non

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loin de 1à, à Guitté, une municipalitéavisée a soustait aux joueurs de bi1Iesle bonhomme de roche qui leur tenaitlieu de cible. Transférée dans la cha-pelle sud de l'église, l'énigmatique fi-gure est trahie par 1'air de famille quiI'apparente à la Majesté de Bédée,quoique le poli de la pierre qui accen-tue sa frontalité d'ido1e, I'en dis-tingue. Les stries qui suggèrent deIales cheveux, des moustaches etl'ombre d'une barbe ne 1ui ôtent riende son impassibilité. Comme à Bédée,des deux poings fermés, i'un épousela traverse d'un bâton tandis quel'auffe serre un rigide phylactère. Parleur rude géométrie, ces æuvres sontaux antipodes de celles dont É. Mâleadmirait 1a noblesse.Ce n'est pas tout, Depuis sa recons-truction, au siècie dernier, on voit, telun bouteroue planté à la racine duclocher de Plouasne un robuste saintrivé à sa cathèdre. Le visage estrompu, mais sur les ailes du manteauqui couvre les épaules, brochent deuxostensibies coquilles. Cette sculptureaux plis tuyautés, la taille prise parune ceinture, restait sans équivalent,jusqu'à ce qu'en 1959, le maire d'unvillage voisin, M. Yves Coulombel,obüenne de son conseil 1'autorisationd'extraire du mur de ia saoistie l'au-ge de pierre qui y faisait office d'évier.N'a-t-il pas constaté que 1'eau demesse s'égoutte dans la nuque d'unetête hirsute ? Retournée, la lourdegargouille de Saint-Maden s'avère unsaint Jacques, assis, identique à celuide Plouasne, le teint rehaussé de poly-chromie. L'apôte qui éta1e une barbemagistrale, se reconnaît aux coquillesdisposées de part et d'autre du fermailqui agrafe son manteau.Saint-Maden, Plouasne, Guitté, Bédée,ces quatre paroisses ont ceci de com-mun que, jadis, elles relevaient toutesde I'archidiaconé de Poudouvre, audiocèse d'Alet-Saint-Malo. Pourquoi,hormis 1e pecten consacré, 1'apôtren'a-t-il ici d'autres attributs que 1e phy-lactère et ce curieux bâton à traversequi sont, avec la nudité du chef et despieds, la marque disünctive des Majes-tés de Galice ?

INSOLITE BRETAGNE

On pourrait à juste titre suspecter laperünence de ces atüibuts, s'lls ne se

retrouvaient pas, précisément en fu-

morique, sur des æuvres au stylemoins fiuste et dans un contexte plusbavard.C'est d'abord, signée et datée de7 402, lamaîtresse-vitre de 1a chapelleSaint-Jacques, à Saint-Léon en Mer-léac qui donne ie ton. En effet, el1e

montre 1'apôtre accueillant la fouledes pèlerins, assis au seuil de sonsanctuaire. 11 s'appuie d'une main surune canne en forme de tau et de1'autre dérou1e un phylactère où estinscrit son nom. Dans le même éd1fi-

ce, deux majestés, l'une de granit, au-dessus de la porte, I'autre en boisdoré, sur 1'autel, affichent un iden-tique phylactère, même si la forme re-nouvelée du bâton i'éloigne du tau.Bien qu'aucune coquille n'individuali-se 1'apôtre, la correspondance entre levitrail et les statues autorise à y voirf image du saint patron de la chapelledont les lambris peints retracent desurcroît la vie.C'est ensuite, an fond des réserves dumusée de Saint-Brieuc, puis à Notre-Dame de Crann en Spezet et à 1a cha-pel1e du hameau de Saint-Jacques enTréméven, que ces traits se reuou-vent. La présence, ici d'une disoètebesace, 1à d'un chapeau postiche,avertit cependant que f image del'apôtre-pèlerin gagne du terrain. Ce-pendant le phylactère est toujours 1à,

souligné de f index pointé. A Plu-mieux, sur un haut-relief posté à l'en-trée du cimetière, le Majeur se singu-larise par un bonnet arrondi tlmbréd'une unique coquille. Quant à l'ad-mirable statue en pierre de Kersantonqui trône à 1a Fontaine de Saint-Jacques en Tréméÿen, el1e prouvequ'au début du XVI'sièc1e, si ce n'estavant, 1a Bretagne n'ignore rien durafflnement propre au gothique final.Ici 1e phylactère a disparu. L'apôtreüent le livre et 1e bourdon, comme onl'observe ai11eurs, d'un bout à l'autrede la France.En dépit de leur archaisme et de leurallure stéréotypée, les malestés d'Ar-morique ne paraissent pas antérieuresaux XM et XV' siècles. Elles sont sen-

sibiement contemporaines de leurscousines qui, dans la mouvance del'æt pæisien, fleurissent de la Norman-die au Brivadois. Leur originallté üentà ce qu'à 1'attitude près, 1es attributsqui 1es caractérisent détivent manifes-tement de ceux que 1'on voit à Com-poste11e. Y a-t-il seulement en France

3

4

39

l. Au toumont du )(Y' et du Wf siècle,

l'imoge de saînt Jocques en Moieslé esl en

vogue. Peintres el enlumineurs lo mêlent à

so lQtrende, que ce soit pour illustrer so lutle

contre Hermogène, ou le plus fameux de ses

mirocles posthumes, Celte grisoilb rehoussée

d'or ful exêculée, vers 1462, por Jeon Dreuxpur Philippe le Bon, duc de Bourgogne. Elle

oîlre une imoge fidèle de ce que sont olors

les moiesîés de l'opôtre. Bruxelles,

Composition de lo Sointe Êcriture, Ms 9017,î" 308 v'. Photo Bîbliothèque Royoh.

2. Houte de 1,50 m, cette monumentaleeffigie de soint Jocques trône iouiours au-

dessus de l'aulel consocré à l'apôlre, dans

l'égtise SoinrÉloi des Ventes, près d'Évreux.De so moin droile réporée, le soînt soisit un

moderne bourdon, tondis que, de la gauche,

îl tient à b fois le livre îermé et le phyloctère.

Le curieux esl ce surcol doré qui o l'aspecl

d'une dolmalique ourlée de hanges. Quiplus esl, un discrel monipule enserre lepoîgnel gouche, L'imagier auraîl vouluconférer à soînl )ocques un caroclèresocerdolol qu'il ne s'y seroit pos pris

outrement. Photo H. Jocomet.

3. Lossé du mainlien rigide que lui impose so

Moiesté, soint Jacques s'obsoùe dons lo

médinfion. Détail d'un vitroil offert àl'opôtre por le drapîer lehan Lolbmenl et so

femme Anne Chenu, en 1525, signé lvlothieu

Bléville sur h housse du cheval. Chôlons-sur'

It/lorne, Églke de Notre-Dame-en'Voux, bos'côté nord, boie 25. Photo H. Jocomel.

Page de droîte. L'îndex poinlé avec autorile-

sur le phyloctère se retrouve identique à luïmême sur des æuvres dont il est excluqu'elles se soienl mutuellement influencées,

comme à Soint-Jacques de îréméven {4), àSoint-Morlîn de Perdreouvîlle (5J ou à Notre'Dome d'Houlbec-Cocherel (ô), Ce îroîtn'évoque-t-il pas le gesle împérieux de lo

Mojeslé de Compostelle que les pèlerins

vénèrenl et embrossent depuîs près de

80O ans (fl ? Photo H. Jocomel.

d'auffes exemples susceptibles d'illus-trer cette toublante convergence ?

L'TNDEX POINTÉ

A première vue non. Car dès 1a fin duXV' siècle ies imagiers n'ont de cesseque de distraire I'apôtre de son immo-bilité. C'est par 1e biais du livre quil'accompagne, que la tentation dumouvement s'insinue. comment saint

Jacques s'interdirait-ii de lire, quandon voit les feuillets de son bréviaires'entrebâiller dès 1428, à Berville-en-Roumois ? Aussi bien, lâchant bour-don et besace, l'apôtre se saisit de ce

volume et i'ouvre en grand sur ses ge-

noux. Désormais, indifférent à tout ce

qui l'entoure, i1 s'absorbe dans la mé-

ditation. Cas uniQue, à Fontaine-les-Ri-bouts (Eure-et-Loir), c'est un ange qui,debout à son côté, lui sert de lutrin.Mais cette formule n'est pas unanime.Outre qu'i1 garde souvent la tête hauteet 1'æil fixe, ii arrive, en Normandienotamment, que tout en adoptant lelivre et 1es lnsignes de ses dévots, saint

Jacgues ne renonce pas au phyiactère.

Car cette banderole habituelle en Bre-

tagne, est be1 et bien présente auxconfins de 1'l1e-de-France et de 1a Normandie au XVI'siècle, comme 1e dé-

montrent la statue de Saint-Martin dePerdreauville, ex-voto de pèlerins, etson homologue, exllé à Zurich, au $éde 1a fortunè. A Saint-Éloi des Ventes,près d'Évreux, 0ù f image monumenta-1e de l'apôtre surplcmbe encore l'autelqui 1ui est consaclé, la main qui tient lephylactère repose sur 1e livre fermé.Mieux. A Noüe-Dame d'Houlbec-Co-cherel, saint Jacques léussit 1e prodigequi consiste à tenir ouvelt sur ses ge-

noux un gos missel tout en déployantle phylactère, sans lâcher pour autantle bourdon et la besace qu'il brandit dela main gauche, ni déranger 1'agence-

ment de son costume chamalé. A quoibon ces compromis réitérés si aucun

motlf pressant ne 1es dicte, si le doigtimpérieusement tendu qui désigne icile phylactère à l'attention du fidèle,n'est qu'une fantaisie de 1'arüste et nonune exigence du commanditaire ?

"LE VRAY POURîRA'CTDE SAI,NCT JASUES"

Emportée par le souffle de la Renais-

sance, rongée par I'inquiétude destemps nouveaux, la Majesté de saintJacques s'abîme dans la mélancoiieaYant même de sombrer dans 1'oura-gan iconoclaste qui brise le passé. Sous

Louis XIII, seules de rares estampesinspirées par 1a dévotion au pèlerinage

de Galice, perpétuent le souvenir de

ces images naguère si prisées. Il estd'autant plus inattendu de rencontrerdans une humble église du Drouais, à

l'aube du siècle des Lumières, un ta-

bleau peignant au naturel l'effigie de

1'apôtre telle qu'elle est toujours véné-rée, depuis sa restauration conduite,de 1ô58 à 1660, par le chanoine Doniosé Vega y Verdugo, à la faveur du ré-

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aménagement baroque du chæur de1a cathédrale de Compostelle.Oue la toile qui orne le retable desconfrères de Saint-Jacques à Saint-Mar-tin de Broué, reproduise une gravure etque i'auteur de celle-ci soit Espagnol,n'en diminue pas f intérêt. Ce qu1 im-porte ici c'est la volonté explicitequ'ont eue 1es pèlerins de ce village de

donner à voir non une effigie quel-conque de leur paton, mais 1' "IMAGEVERITABLE DE ST. JACQUES", ainsique 1e spécifie la 1égende du tableau,ceile qu'ils ont embrassée au terme deleur odyssée, celle dont i1s ont rapportéla vignette imprimée en tête de leurbillet de confession.Ouoique tardif, ce témoignage éclairede façon décisive 1e sens qui s'attacheà f image de la Majesté de saintJacques te11e qu'on la découvre enFrance. La persistance du phylactèrequi, initialement associé au tau, dis-pute sa place au livre avant de s'asso-cier à lui, n'est pas le fruit d'une imitation aveugle. Elle est délibérée. Sonintrusion volontaire dans des æuvresqui portent la marque de leur tempset de leur milieu, suffit à l'étab1ir. Caron a moins cherché à copier qu'à évo-quer le visage authentique du saintaimé à travers un détai1 qui ne trompepas. Ce qui le prouve, outre le phylac-tère, c'est 1e geste de 1a main qui 1e

tient. De toute évidence, 1a positiondes doigts démarque tantôt la Majestésiégeant au maître-autel de 1a cathé-drale, quand I'index est pointé, tantôtie chef-d'æuvre de Maître Mathieu,quand i1s sont repliés.Si éloignées du ÿpe galicien que puis-

sent être les Majestés de saint Jacquesqui ont germé sur la terre de France,que ce soit en Bretagne, en Norman-

die, en I1e-de-France, en Picardie oumême en Alsace où l'apôtre couronneun ou deux pèlerins blottis à ses

pieds, il est patent qu'elles n'ont de

vie que dans la relation qui 1es unit à

f image sainte, dont la seule vue tran-sit le pèlerin d'émotion. Mais il n'estpas moins vrai que sur le chemin duretour, le souvenir de cette confrontation se fortifie lusqu'à devenir 1e gage

de 1a renconüe ultime dans 1'attentedu salut. C'est pourquoi, par leur va-

riété même, ces statues de pierre etde bois érigées en action de grâces à

f issue d'un heureux pèlerinage,constituent un témoignage insigne dela dévotion suscitée en France par

l'apôtre auquel le Liber Sancti lacobiapplique ce verset prophétique i

"Posriï te in lumen gentibus, ut sis insalutem usque ad extremum terre"$s.49,1-6).E. Mâle ne connaissait que 3 statuesde saint Jacques assis en chaise magistralle. On en compte à présent 35dans la seule France du Nord. Et ce

chiffre ne comprend que les imagesde culte conservées ou exhumées lnsitu. A ces æuvres, il convient d'ajou-ter quantité de représentations qui,peintes ou sculptées, ont f immenseintérêt de monffer ces mêmes Maies-tés, "en situation", sur 1es auteis oùelles kônaient entourées de la vénéra-tion des pèlerins. O

H u m b e rt J o c o ^ "

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BIBLIOGRAPHIE

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Norembre l9?3, è poroître.

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§ 0 llil lil A I R I N" 304 sep,embre 1ee4

4 ACTUALITÉGergovie en danger ? Radioactivité et sites archéolo-giques. Notre-Dame-des-Tables de Montpellier. Dugranit égyptien pour le forum de Trajan. Bâtons gra-

vés sabéens au Yémen. En Bref.

14 EXPOSITIONSParc pyrénéen de I'art préhistorique. Musée d'Art etd'Histoire du Judarsme. Histoires d'aurochs. Poupéesrituelles Kachina. La nouvelle arche de Noé.

20 IRAN : SPLENDEURS DEIJARC HITECTURE SAFAVIDELa dynastie safavide, qui régna du XVI' au XVIII"siècle, marque l'apogée de l'histoire de 1a Perse dontnous découwons ici les joyaux de l'architecture à tra-vers les mosquées, ies palais et les jardins de sa capi-tale Isfahan.Par Yves Porter

28 ALLEMAGNE : LE MUSÉN OTSANTIOUITÉS OE LEIPZIGUne des collections universitaires les plus riches et lesplus importantes, ce1le de l'université de Leipzig,reléguée dans des réserves depuis quelques décen"nies, est à nouveau présentée au public à partir de cetautomne dans les salles historiques de l'ancienneécole de Nikolæ.Par Eberhard Paul.

34 MOYEN A.GE :SAINT JACOUES EN MAJESTÉLes représentations de saint Jacques en Majesté, si

différentes d'une région à 1'autre de la France, tra-hissent pour certaines une étonnante parenté avecles majestés de Saint-Jacques-de-Compostelle quis'explique par le désir des pèlerins de conservet uneimage fidèle du saint.Par Humbert lacomet.

42 ESPAGNE ET PORTUGAL :LART MÉGALITHIOUE PEINTLes découvertes de dolmens peints dans la péninsuleIbérique se sont multipliées ces derniers temps dansdes régions où de tels monuments étaient encoleinconnus, ravivant la question de la place des pein-tures dans la décoration des mégalithes. Deux sitesprésentent un intérêt particulier : le dolmend'fuquinha da Moura, foui11é exhaustivement, et 1e

tumulus de Dombate, exceptionnel pour ses deuxdolmens et ses peintures.Par Vitor Oliveira Jorge, Marc Devignes, Ana Leiteda Cunha et José-Maria Bello Diegaez.

58 PAS.DE-CALAIS : ARRAS AUMOYEN AGEfuras fait partie de ces villes doubles avec d'un côté la

En couverture : statuette en calcaire d'un koutos. Nau-kratis, Egrpte, 2" quart du VI" s. av. t.-C. Don des Amisaméricains de I'art E.P Wanen et t. Marshall.

cité, héritage du monde antique, et de l'autre,l'abbaye Saint-Vaast et son bourg, cæur de la villemédiévale. Cette süucture urbaine bipolaire lui vautd'avoir un centre ancien de plus de 150 hectæes quiconserve dans son so1 1'histoire propre à chacun deses quartiers.Par Alain Jacques.

67 FICHES PÉDAGOGIOUESDolmens d'Extrême-Orient (l) à (N).Par Ji Gon Gil.

71 CALENDRIER DES EXPOSITIONS

74 INFORMATIONS PRATIOUES

76 LMRES ET REVI.JES

7V PETITES ANNONCES

78 COURRIER DES LECTEURS