saint-amand-sur-fion au moyen Âge, un domaine ancien de saint-etienne de châlons

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6 SAINT-AMAND-SUR-FION AU MOYEN ÂGE, UN DOMAINE ANCIEN DE SAINT-ÉTIENNE DE CHÂLONS Le seul village marnais portant le nom de Saint-Amand est connu à juste titre pour son église magnifique à laquelle le bel ensemble de ses maisons à pans de bois compose une toile de fonds admirable. Cette église a été voulue par le chapitre de Saint-Étienne de Châlons, qui au XIII e siècle entreprit de reconstruire l’édifice sur un plan ambitieux. Mais cette merveilleuse châsse gothique n’a pu être édifiée qu’en raison d’une certaine prospérité , derrière laquelle on devine des liens profonds et anciens avec la cathédrale châlonnaise et ses chanoines. Figure 1 et 2 L'église de Saint-Amand, vue latérale nord ; l ’église de Saint-Amand, maquette du Dr Mohen (Châlons-en-Champagne, musée Garinet) aint-Amand-sur-Fion est posé sur la vallée du Fion, rivière qui se jette dans la Marne à La Chaussée-sur-Marne 1 . En amont de Saint-Amand, la rivière reçoit les eaux de la Lisse, en provenance du village du même nom et en aval de Saint-Amand, le Ru se jette dans la rivière. La situation de Saint-Amand lui est succursale d’Ablancourt 1 Saint-Amand-sur-Fion, cant. et arr. Vitry-le- François. Le village s’appelait simplement Saint- Amand jusqu’à la Révolution où il devint Montfion. Il fut chef-lieu de canton de 1790 à 1801 (Auguste LONGNON, Dictionnaire Topographique du département de la Marne, p. 233-234). Le nom actuel de Saint- Amand-sur-Fion, que l’on trouve dans le dictionnaire des postes de 1876, lui fut définitivement donné par un arrêté du 27 mars 1961. et Lisse-en-Champagne de Saint-Lumier 2 . Ces liens de dépendances entre églises semblent trahir une certaine continuité de l’habitat le long de la vallée. Cette façon dont les villages se prolongent par une dépendance et la proximité de villages allongés présente quelques analogies avec la haute vallée de la Vesle de la source jusqu’à Melette, que rythmaient les trois églises de Courtisols et celle de Melette. Saint-Amand est anciennement un lieu de passage. Il est peu distant de la Marne, voie qui était utilisée pour le commerce (notamment pour le transport à Châlons des matériaux de construction comme le bois et 2 Louis GRIGNON, « Le diocèse de Châlons en 1405 », Mémoires de la SACSAM, année 1891, Châlons-sur-Marne, 1892 S

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6

SAINT-AMAND-SUR-FION AU MOYEN ÂGE, UN DOMAINE

ANCIEN DE SAINT-ÉTIENNE DE CHÂLONS

Le seul village marnais portant le nom de Saint-Amand est connu à juste titre pour son

église magnifique à laquelle le bel ensemble de ses maisons à pans de bois compose une toile

de fonds admirable. Cette église a été voulue par le chapitre de Saint-Étienne de Châlons, qui

au XIIIe siècle entreprit de reconstruire l’édifice sur un plan ambitieux. Mais cette

merveilleuse châsse gothique n’a pu être édifiée qu’en raison d’une certaine prospérité,

derrière laquelle on devine des liens profonds et anciens avec la cathédrale châlonnaise et

ses chanoines.

Figure 1 et 2 – L'église de Saint-Amand, vue latérale nord ; l’église de Saint-Amand, maquette du Dr

Mohen (Châlons-en-Champagne, musée Garinet)

aint-Amand-sur-Fion est posé sur la

vallée du Fion, rivière qui se jette dans

la Marne à La Chaussée-sur-Marne1.

En amont de Saint-Amand, la rivière reçoit

les eaux de la Lisse, en provenance du village

du même nom et en aval de Saint-Amand, le

Ru se jette dans la rivière. La situation de

Saint-Amand lui est succursale d’Ablancourt

1 Saint-Amand-sur-Fion, cant. et arr. Vitry-le-

François. Le village s’appelait simplement Saint-

Amand jusqu’à la Révolution où il devint Montfion. Il

fut chef-lieu de canton de 1790 à 1801 (Auguste

LONGNON, Dictionnaire Topographique du département

de la Marne, p. 233-234). Le nom actuel de Saint-

Amand-sur-Fion, que l’on trouve dans le dictionnaire

des postes de 1876, lui fut définitivement donné par un

arrêté du 27 mars 1961.

et Lisse-en-Champagne de Saint-Lumier2.

Ces liens de dépendances entre églises

semblent trahir une certaine continuité de

l’habitat le long de la vallée. Cette façon dont

les villages se prolongent par une

dépendance et la proximité de villages

allongés présente quelques analogies avec la

haute vallée de la Vesle de la source jusqu’à

Melette, que rythmaient les trois églises de

Courtisols et celle de Melette.

Saint-Amand est anciennement un lieu

de passage. Il est peu distant de la Marne,

voie qui était utilisée pour le commerce

(notamment pour le transport à Châlons des

matériaux de construction comme le bois et

2 Louis GRIGNON, « Le diocèse de Châlons en

1405 », Mémoires de la SACSAM, année 1891,

Châlons-sur-Marne, 1892

S

7

la pierre de Savonnières)3. Mais il existait

surtout une voie romaine reliant Châlons à

Changy, ancien chef-lieu du pagus

Camsiacensis fusionné ultérieurement avec le

Perthois. Cette voie partant de Châlons, par

le lieu-dit Voitrel, suivait la Marne, puis à

partir de La Chaussée empruntait la rive

nord du Fion où la voie était appelé chemin

des Etrelles, nom provenant du latin strata4.

Changy ayant perdu ses anciennes

attributions, Vitry-en-Perthois, ancien siège

d’un oppidum gaulois, l’a remplacé, à la fois

comme siège d’un doyenné du diocèse de

Châlons et comme prévôté des comtes de

Champagne. Incendié en 1143 par le roi

Louis VII, en guerre contre le comte

Thibaud le Grand, Vitry-en-Perthois s’est

ensuite relevé et a connu un essor

topographique notable ; c’est une petite

ville5.

Figure 3 – Portail de l’église de Saint-Amand

3 Guy VENOT, Michel CHOSSENOT, « La Marne,

rivière vivante », Études marnaises, t. CXXVII (2012),

p. 211-139, aux p. 223-225. 4 Marcel MAILLOT, « La Commanderie de l’Ordre

des Chevaliers ou Hospitaliers de Saint-Jean de

Jérusalem à Saint-Amand-sur-Fion (Marne) »,

Mémoires de la SACSAM, t. CXV (2000), p. 67-83, à la

p. 76. Je remercie Mme Christiane Wolf qui m’avait

parlé en détail de cette voie et d’autres. 5 Arnaud BAUDIN, Le développement topographique de

Vitry-en-Perthois, mémoire de maîtrise, Université de

Nancy 2, 1998. Jackie LUSSE, « Vivre en ville ou au

village dans un bourg castral médiéval ? Quelques

exemples de l'est marnais », in Charles VUILLIEZ

(éd.), Vivre au village en Champagne à travers les siècles,

Actes du colloque de Reims 10-11 juin 1999, Reims, 2000,

p. 137-173, aux p. 139-145.

Saint-Amand avait pour seigneur

principal l’Église de Châlons, possessionnée

en ce lieu au moins depuis la fin du XIe

siècle et qui poursuivit certaines acquisitions

à la fin du XIIe siècle et au XIIIe siècle. À

l’origine le patrimoine des chanoines ne

faisait qu’un avec celui de l’évêque, ma is il

fut progressivement distingué au cours du

XIe et au XIIe siècle. Les chanoines ont

choisi Saint-Amand pour édifier une église

imitant la cathédrale.

L’église de Saint-Amand conserve une

nef du XIIe siècle, un porche-galerie réalisé

au XIIIe siècle et un chœur réalisé après

1240, dont la voûte atteint 16 mètres6.

L’abside de Saint-Amand a depuis

longtemps été rapprochée de celle de la

cathédrale telle qu’elle était jusqu’à l’ajout

des chapelles rayonnantes au XIVe siècle.

Mais comment expliquer une église de cette

importance et d’une telle qualité dans un

village, même prospère ?

Si un certain dynamisme économique et

la richesse du propriétaire peuvent être

invoqués pour expliquer un chantier aussi

ambitieux, il n’en demeure pas moins qu’on

reste étonné par la hardiesse de l’édifice. Il

serait tentant de supposer que l’église ait été

le cadre d’un pèlerinage pouvant justifier un

tel luxe architectural7. Toutefois, nous ne

6 Pierre HÉLIOT, « Saint-Amand-sur-Fion et les

absides vitrées des XIIe et XIIIe siècles », Annales de

l’Est, 1965. Dictionnaire des églises de France (article de

Léon Pressouyre et Jean-Pierre Ravaux), t. V B,

Tours, 1969, p. 113-114. Claudine LAUTIER,

« L’église de Saint-Amand-sur-Fion », in Congrès

Archéologique de France, 135e session, 1977,

Champagne, Paris, 1980, p. 742-761. Alain VILLES,

La cathédrale Saint-Etienne de Châlons-en-Champagne et sa

place dans l’architecture médiévale, Langres, 2007, p. 250-

255 (pour le chœur gothique), p. 393 et 400 (pour la

nef romane). 7 La proposition a été formulée par D. KIMPEL et R.

SUCKALE, L’architecture gothique en France : 1130-1270,

Paris, 1990, p. 535. Alain VILLES, « Visites de trois

églises paroissiales dotées d’une galerie-porche »,

Bulletin des Amis de la Cathédrale de Châlons-en-

Champagne, n° 3 (2011), p. 40-50.

8

possédons aucun indice sérieux en ce sens8.

Il serait envisageable que les Hospitaliers de

Saint-Jean de Jérusalem, implantés à Saint-

Amand en 1189, aient été appelés pour

desservir une structure d’accueil. Toutefois,

leur commanderie semble avoir été un centre

pour la gestion des biens reçus dans le

diocèse de Châlons et non une structure

hospitalière. En effet, l’activité hospitalière

n’y est attestée qu’au XIVe siècle9. Par

ailleurs, l’existence d’une maison-Dieu ou

maladrerie, s’il atteste d’une certaine activité,

ne peut suffire pour supposer l’existence

d’un pèlerinage particulier10.

Pour mieux comprendre l’attachement

du chapitre de Saint-Étienne à son village de

Saint-Amand, il n’est pas inutile de se poser

à nouveau la question de l’origine de la

localité et des motivations qui ont poussé les

chanoines à commanditer une église aussi

magistrale.

Saint-Amand, bien de l’Église de

Châlons

Les premières mentions

La première mention explicite de Saint-

Amand, est un acte de Philippe, évêque de

Châlons, de 1100, notifiant qu’il avait obtenu

de son frère Hugues – à l’époque comte de

Vitry – la liberté des terres du chapitre à

Saint-Amand, Villote, Plichancourt et

8 Que la source ait pu être associée au culte de saint

Amand ne prouve rien de l’ancienneté de ce culte ni

d’éventuelles pratiques dévotionnelles. 9 L’enquête pontificale de 1373 mentionne pro hospicio

una serviente (Archives du Vatican, Castel S. Angelo,

AA, Arm. C, 269 ; je dois la référence et le texte de

l’enquête à M. Jean-Marc Roger). Jean-Baptiste

RENAULT, « La Commanderie des Hospitaliers de

Saint-Amand-sur-Fion : Réseaux et Temporal aux

XIIe et XIIIe siècles », Mémoires de la Société des Sciences

et Arts de Vitry-le-François, t. XLIII (2005-2009), p. 81-

125. 10 On peut citer les hôpitaux ou maison-Dieu de

Possesse dès 1165 (Arch. Marne, 53 H 81 n° 4 et 5),

de Hans, fondée avant 1250. J. LUSSE, « Vivre au

village… », aux p. 153 et 165.

Ablancourt11. Cela signifie que Saint-Étienne

était possessionné à Saint-Amand avant

1100. Peu après, Hugues, devenu comte de

Champagne (comes Campanie), donna aux

chanoines pour le repos de l’âme de ses

parents et de son frère évêque, ce qu’il avait

à Saint-Amand. Cette donation est connue

par une confirmation donnée par le légat

pontifical Richard d’Albano, d’avril 110412.

L’acte fut réalisé à l’occasion d’un concile

tenu à Troyes, où assistaient de nombreux

évêques, parmi lesquels Hugues, évêque de

Châlons13.

Au printemps 1107, le pape Pascal II

vint à Châlons pour rencontrer des envoyés

de l’empereur. Suite à cette visite, les

chanoines de Saint-Étienne lui demandèrent

une confirmation générale de leurs biens.

C’est le responsable du chapitre, le doyen

Garin qui obtint alors un privilège, donné à

Troyes le 25 mai 110714. Parmi la liste des

11 Cet acte n’est connu que par des copies :

[HILLET], Mémoire concernant les évêques et la ville de

Châlons, B.M. Châlons-en-Champagne, ms. 250, t. I,

p. 388-389 ; Paris, BnF, lat. 5211, p. 73 (copie

partielle de 1693 qui se serait établie sur un cartulaire

perdu car il ne peut s’agit du cartulaire de Garin, il

s’agit sans doute du « cartulaire de 1300 » mentionné

par Pierre Camille Lemoine). Marie-Josèphe GUT-

BONDIL, Les actes des évêques de Châlons des origines à

1201, étude diplomatique et catalogue, thèse de l’École des

Chartes, 1955 [consultable, Arch. Marne, J 1569],

n° 24. L’acte ne figure pas dans les liasses de Saint-

Amand dans l’inventaire de Pierre-Camille Lemoine,

selon Fradet il était dans la layette de « Pongny », mais

cette localisation est antérieur au classement de

Lemoine. 12 Arch. Marne, G 655, n° 2 (Artem 4901).

H. MEINERT, Papst u rkunden in Frankre ic h .

Champag n e und Lo t h rin g en , t .1, p . 182-183, n° 8.

Stephan WEISS, Die Urkunden der päps t l i c h en

Leg at en von Leo IX bis Co e l e s t in III. ( 1049-1198) ,

Cologne-Weimar-Vienne, 1995, p . 45, n° 7/4.3. 13 Jacques CHOUX, Recherches sur le diocèse de Toul au

temps de la Réforme Grégorienne. L’épiscopat de Pibon ,

Nancy, 1952, p. 4. 14 Original : Arch. Marne G 404/1 ; édité par J. von

PFLUGK-HARTTUNG, Acta pontif icum romanorum

inedita, t. I., p. 92-93, n° 101. L’acte fut ajouté dans le

cartulaire, Arch. Marne G 462, f°43v (édition Paul

PELICIER, « Cartulaire du chapitre de Saint-Étienne

de Châlons », in Mémoires de la SACSAM, 1895, p.

141-196, aux p. 192-194), recueil rédigé par le chantre

9

localités, Saint-Amand figure en tout premier

puis réapparaît dans une liste des églises15.

Figure 4 - Pascal II confirme la donation par le

comte de Champagne Hugues de ce qu’il avait à

Saint-Amand (Auxerre, 27 avril 1107).

Cependant il semblerait que cette

grande bulle solennelle ne suffisait pas aux

chanoines puisqu’ils demandèrent une

confirmation spéciale de la donation du

comte Hugues relative à Saint-Amand. Le

Garin entre 1079 et 1092 (Jean-Pierre RAVAUX,

Histoire topographique de Châlons-sur-Marne (IVe-XIVe

siècles), in Mémoires de la SACSAM, t. XCV, 1980, p.

64-65), l’ajout semble d’une autre main. Jean-Baptiste

RENAULT, « La bulle de Pascal II du 25 mai 1107

pour Saint-Étienne de Châlons », in Bulletin des Amis

de la Cathédrale de Châlons-en-Champagne, n° 1,

novembre 2009, p. 10-17. Sur la chronologie du

voyage de Pascal II, voir Beate SCHILLING, « Zur

Reise Paschalis’ II. Nach Norditalien und Frankreich

1106/1107 (mit Itineraranhang und Karte) (avec

résumé français) », in Francia, 28/1 (2001), p. 115-158. 15 L. GRIGNON, « Le diocèse de Châlons en 1405 »,

p. 78, pensait que les églises de la première liste

avaient été données par Roger II (1043-1065), mais la

mention de la générosité de cet évêque ne concerne

que la prévôté (emploi du relatif quam) : preposituram

ecclesię quam secundus Rogerius episcopus dedit vobis.

doyen Garin suivit alors la cour pontificale

de Troyes à Auxerre afin d’y recevoir un

second document, le 27 mai 1107, par lequel

le pape confirmait à nouveau la donation du

comte Hugues16. La demande de cet acte –

bien que moins solennel que le précédent, il

ne s’agit pas tout-à-fait d’une lettre ni d’un

véritable privilège – montre que le chapitre

avait une attention particulière pour Saint-

Amand. Le doyen Garin – ou peut-être un

envoyé – était sans doute muni de titres, en

particulier de la donation du comte Hugues.

Les deux actes pontificaux et l’acte du légat

Richard d’Albano de 1104, furent ensuite

recopiés – semble-t-il d’une autre main – à la

fin du cartulaire du chapitre qu’avait réalisé

quelques années auparavant Garin alors qu’il

était chantre. La charte de l’évêque Philippe

de 1100, en revanche, avait été négligée.

La demande de ces confirmations et

leur réception au cartulaire indique que

Saint-Amand occupait déjà une place

privilégiée parmi les biens de la cathédrale de

Châlons. L’assise des chanoines à Saint-

Amand cependant ne devait pas tout aux

bienfaits du comte puisqu’ils possédaient

sans doute déjà l’autel. En outre, un indice

permettrait de supposer que l’Église de

Châlons était possessionnée en ce lieu de

façon plus ancienne.

Des témoignages plus anciens ? Parmi les localités données à l’Église de

Châlons par l’évêque Loup II, donation

connue par un diplôme de Charles le Chauve

du 17 avril 850, se trouve un lieu nommé

Liffion17. Il est tentant de rapprocher ce

16 Original : Arch. Marne, G 655, n° 3 (Artem 4906).

JL 6148. J. von PFLUGK-HARTTUNG, op. cit., t. 1,

p. 93-94, n° 102. H. MEINERT, Papsturkunden in

Frankreich. Champagne und Lothringen , p. 22. L’acte a été

copié au cartulaire de Saint-Étienne à la suite du

privilège du 25 mai (f° 46, PELICIER, op. cit., p. 194-

195). 17 PELICIER, op. cit., p. 146-147. Arch. Marne, G

462, f° 5-6. Charles le Chauve, à la requête de

10

toponyme de l’hydronyme Fion. Il s’agirait

alors de l’ancien nom d’un village qui

s’appelait de la même façon que la rivière

(situation que l’on retrouve à Lisse, Suippes

ou Coole). Les autres localités évoquées dans

le diplôme sont également connues par la

suite comme d’importants domaines de

Saint-Étienne : Thibie (Thetbiacus), Ablan-

court (Ambloniscurt), Aulnay-l’Aître (Alni-

dum). Notre-Dame-en-Vaux de Châlons y

figure (capella sanctę Marię non longe a muro

civitatis structa cum suis pertinentiis).

Les chanoines de Saint-Étienne ont

considéré Charles le Chauve comme un

bienfaiteur notable, une sorte de fondateur.

Au XVIIIe siècle, le chanoine Beschefer

croyait pouvoir reconnaître dans deux

statues du portail du bras nord de la

cathédrale les portraits de Charles le Chauve

et de la reine Ermengarde. Si l’identification

de ces statues détruites à la Révolution est

sujette à caution, le couple royal a bénéficié

d’un souvenir particulier à la cathédrale, dont

l’obituaire mentionne les anniversaires18.

Des biens fiscaux à Saint-

Amand ?

Un autre argument permet d’attester

l’existence de Saint-Amand dès l’époque

carolingienne : une probable dépendance des

biens royaux en l’occurrence de la villa

royale de Ponthion. Outre Ponthion, célèbre

pour son palais, les souverains carolingiens

possédaient d’autres biens dans le Perthois,

l’évêque Loup II, confirme la donation faite par ledit

évêque et ses prédécesseurs des propriétés

mentionnées dans le présent acte. 18 Jean-Pierre RAVAUX, « Les cathédrales de

Châlons-sur-Marne avant 1230 », in Mémoires de la

SACSAM, t. LXXXIV (1974), p. 31-70, aux p. 39-40.

La lecture de Beschefer a été suivie par Jules

GARINET (« Histoire de l’église cathédrale de

Châlons et de son chapitre », in Séance publique de la

SACSAM, 1840, p. 3-69, aux p. 22-28 et 59-60) et

l’abbé ESTRAYEZ-CABASSOLLE (Notice historique

et descriptive sur la cathédrale de Châlons-sur-Marne,

Châlons, 1842, p. 17-18).

administré par des fiscs. Le fisc carolingien

était un bien royal, plus précisément « un

patrimoine institutionnel, celui de la royauté,

dont le roi sacré était le dépositaire »19. Les

rois ont fait de multiples donations aux

institutions religieuses en prélevant sur leurs

biens fiscaux. Or par un témoignage

postérieur, on peut deviner qu’une abbaye

avait obtenu de ces biens avec sans doute

quelque-chose à Saint-Amand. En effet, au

XIIe siècle, l’abbaye Saint-Corneille de

Compiègne possédait encore des terres à

Saint-Amand et affirmait qu’elles dépen-

daient du domaine de Ponthion dont elle

avait reçu des biens d’un roi Charles20. Cela a

permis d’identifier le lieu-dit Aldonis Vadum,

mentionné dans un diplôme de Charles le

Simple, comme probablement situé au

territoire de Saint-Amand21. Des biens

19 Josiane BARBIER, « Du patrimoine fiscal au

patrimoine ecclésiastique. Les largesses royales aux

églises au nord de la Loire (milieu du VIIIe siècle – fin

du Xe siècle) », Mélanges de l’École f rançaise de Rome.

Moyen Âge, Temps modernes, t. 111-2 (1999), p. 577-605,

à la p. 578. 20 J. BARBIER, art. cit, p. 585. Jackie LUSSE, « Saint-

Corneille de Compiègne et le fisc de Ponthion, IXe-

XIIIe siècle », in Bulletin de la Société historique de

Compiègne, n° 39 (2005), p. 229-248, aux p. 234-237.

BM Châlons-en-Champagne, ms. 250, p. 442 et

E. MOREL, Cartulaire de Saint-Corneille de Compiègne,

Montdidier, 1904, p. 90, n° 45 ; J. LUSSE, art. cit .,

p. 238. Mathieu, cardinal-évêque d’Albano, en

présence des archevêques Raoul de Reims et Henri de

Sens, règle une querelle entre Saint-Corneille de

Compiègne et Saint-Étienne de Châlons : il stipule

que les chanoines paieront un besant de bon or

annuel, du poids de trois deniers et une obole de

monnaie de Châlons au ministérial de Compiègne à

Ponthion, le 4e dimanche de Carême, pour jouir d’une

terre à Saint-Amand, dépendant du fisc de Ponthion,

jadis donnée par le roi Charles. Contrairement à ce

qu’ils prétendaient, les chanoines de Saint-Corneille

n’avaient pas reçu la totalité du fisc de Ponthion. 21 Philippe LAUER, Recueil des actes de Charles III le

Simple, roi de France (893-923), Paris, 1940-1949, n° 91.

Le diplôme situe Aldonis vadum près d’un ruisseau

Renum ou Revum qui serait le Rû, petit cours d’eau qui

se jette dans le Fion ; identification due à Josiane

BARBIER, La fortune du prince. Dictionnaire du f isc et des

palais entre Loire, Meuse, Escaut et Manche (VIe-Xe siècles),

Turnhout, Brepols (Haut Moyen Âge, 18), à paraître

11

dépendants du fisc de Ponthion, notamment

dans la forêt de Trois-Fontaines (alors

appelée forêt de Luiz ou forêt de la Lieue),

avaient de fait été donnés à Saint-Corneille

en 917 par la reine Frérone, épouse de

Charles le Simple. Le frère de la reine,

Bovon, évêque de Chalons, en avait d’abord

conservé l’usufruit viager comme c’était

parfois l’usage. Cette donation aux effets

retardés permettait d’ailleurs au propriétaire

de faire surveiller des biens distants par une

personne plus proche géographiquement. Il

est probable que le fisc royal ait conservé des

droits ou biens à Saint-Amand. On sait que

la famille de Vermandois s’empara du

domaine de Ponthion et à la fin du XIe

siècle, ses héritiers, les comtes de

Champagne détiennent des droits à Saint-

Amand. Il se pourrait donc qu’ils en aient

hérité parmi d’autres biens dépendants du

fisc de Ponthion.

Une autre abbaye ancienne et

relativement lointaine a possédé des biens à

Saint-Amand. Il s’agit de Rebais, en Brie.

Rebais est une des abbayes fondées en Brie

au VIIe siècle avec Faremoutiers, Jouarre et

Reuil-en-Brie. Rebais a été fondée par saint

Ouen. Tout ce que l’on sait, c’est qu’au XIIIe

siècle les vignes de Saint-Amand

appartenaient encore à Rebais. Dans la

région, Rebais avait aussi un petit prieuré à

Gaincourt, sur la commune actuelle

d’Étrepy. Hélas presque toutes les chartes de

Rebais sont perdues et on ne peut savoir

comment l’abbaye avait obtenu les vignes de

Saint-Amand ou le domaine de Gaincourt. Il

se pourrait que comme l’abbaye de

Compiègne, Rebais ait tenu ces biens d’une

largesse royale.

2014 ou 2015, que je remercie de m’avoir donné

accès à l’extrait de cette publication à paraître.

Figure 5 - Saint-Amand-sur-Fion,

chapiteau du chœur.

Enfin, on peut se demander si la villa

Liffion donnée à Saint-Étienne par l’évêque

Loup II en 850 ne provenait pas de biens

royaux. Les principaux démembrements du

fisc de Ponthion ont eu lieu sous Charles le

Simple et après sa mort pendant le veuvage

de la reine Frérone. Cependant Charles le

Chauve avait déjà fait déjà offert des terres

fiscales à des établissements religieux dans la

région22.

Plusieurs indices permettent donc de

supposer d’attester l’ancienneté de Saint-

Amand, probablement habité au moins

depuis le IXe siècle.

Quel saint Amand ?

Si le village a pris le nom de son saint

patron, abandonnant peut-être le nom de la

rivière, cela invite à s’interroger sur l’identité

de celui-ci et sur la raison de la présence de

son culte à cet endroit. On compte au moins

dix saints nommés Amandus, parmi lesquels

cinq évêques et deux ermites. Le saint

géographiquement le plus proche serait

l’ermite Amand de Chaumont-Porcien,

22 J. LUSSE, « Saint-Corneille… », p. 133.

12

vénéré avec Berthaud (Ve ou VIe siècle), fêté

le 16 juin. Cependant le plus vénéré dans la

France du nord est de loin l’évangélisateur

du Brabant et de la Flandre, saint Amand,

évêque de Maëstricht, fêté le 6 février23. Le

vocable de saint Amand est peu fréquent

dans la région24. Dans l’ancien diocèse de

Châlons, on peut citer les églises de Joches à

Coizard-Joches et de Poissons25. La présence

du vocable à saint Amand peut s’expliquer

par l’appartenance de Châlons à la province

ecclésiastique de Reims. Dans cet espace

s’est diffusé le culte des saints des différents

diocèses. Mais on peut aussi le trouver bien

au-delà, comme dans le diocèse de Troyes, à

Donnement dans l’Aube.

Pourrait-il s’agir de saint Amans, évêque

de Rodez, saint fêté le 4 novembre ? À peu

de distance du diocèse de Châlons, ce saint

fit l’objet d’un culte à Verdun. On notera la

différence entre Amandus qui a donné

23 Saint Amand d’Elnone est né près de Nantes à la

fin du VIe siècle, se fait moine à Saint-Martin de

Tours, va à Rome, puis évangélise le Brabant et la

Flandre. Il fonde le monastère d’Elnone (aujourd’hui

Saint-Amand-les-Eaux), il est demandé comme

évêque de Maëstricht. Puis il finit abandonner son

siège pour revenir en son monastère d’Elnone. Il

mourut le 6 février 679 ou 684. Vies des saints et des

bienheureux par les bénédictins, février, p. 138-144. 24 René GANDILHON, « Saints et saintes des églises

de la Marne. 5e série », in Mémoires de la SACSAM, t.

LXXXII (1967), p. 144. René Gandilhon ne cite

qu’une statue de Saint-Amand du XVIIe siècle à

l’église de Joches. (GANDILHON, op. cit.). Dans le

département de la Marne il y avait un autre Saint-

Amand disparu, près de Saint-Martin d’Ablois. (Dom

Jacques HOURLIER, « La toponymie religieuse dans

le nord de la Champagne », in Mém. de la SACSAM, t.

XCV (1980), p. 100). 25 Poissons (Haute-Marne), village partagé en deux

par la rivière, séparant la paroisse Saint-Amand, du

diocèse de Châlons et la paroisse Saint-Aignan, du

diocèse de Toul. (Louis GRIGNON, « Le diocèse de

Châlons en 1405 », Mémoires de la SACSAM, année

1891, II, Châlons-sur-Marne, 1892, p. 176). Poissons

était à la présentation de l’abbé de Saint-Urbain (A.

LONGNON, Pouillés, p. 167). À Joches (comm. de

Coizard-Joches, cant. Montmort, arr. Sézanne),

l’église est dédiée à saint Amand (annexe de

Courjeonnet depuis 1710 selon L. GRIGNON, op.

cit., p. 229-230) ; mais on ne peut en établir

l’ancienneté.

Amand et Amantius (de Rodez) qui a donné

de multiples variantes aussi donné des

variantes : Amans, Amance, Amant,

Chamant, Chamas. Saint-Vanne de Verdun,

depuis le VIIe siècle, possédait le monastère

de Saint-Amans-de-Rodez avant que ce

dernier ne passe au XIe siècle à Saint-Victor

de Marseille. Cela explique que le culte à

l’évêque du Rouergue se soit répandu dans le

diocèse de Verdun. Saint-Vanne de Verdun

possédait des biens dans le diocèse de

Châlons, notamment des dépendances à

Chaudefontaine, Vanault-les-Dames,

Auzécourt et à Cheminon. Ces dépendances

ont parfois été les vecteurs de la circulation

d’un culte, comme cela est connu pour

l’adoption précoce du culte de saint Nicolas

à Cheminon26. Si l’église de Rarécourt, en

Argonne, dans la Meuse, est dédiée à saint

Amant de Rodez cela s’explique par le fait

qu’il s’agissait d’une dépendance de l’abbaye

Saint-Vanne de Verdun depuis le Xe siècle27.

Pour Joches ou Saint-Amand-sur-Fion, en

l’absence d’indices, l’identification avec saint

Amand d’Elnone semble devoir s’imposer.

Les livres liturgiques permettent de

savoir à quel saint on a affaire et à écarter le

doute. Ouvrons par exemple l’obituaire de la

cathédrale de Châlons28 : on y trouve le

binôme Vaast et Amand. De même, on les

retrouve dans certains bréviaires à l’usage de

Châlons29.

26 P. CORBET, art. cit., p. 14. 27 Information due à M. Jean-Pol Évrard,

http://www.rarecourt.info/index.php?option=com_

content&view=article&id=264:blank-

97378633&catid=9&Itemid=110 [consulté le

31/07/14]. 28 L’obituaire est le livre où l’on inscrit les dates des

décès des personnes honorés par une mémoire

particulière. 29 Bréviaire à l’usage de Châlons, Paris, BnF, lat.

1269 : Amand figure avec saint Vaast le 8 février,

dans le calendrier (F° 1v) = rien en novembre.

13

Une seigneurie importante

Les chanoines en quête d’acquisitions

(XIIe siècle)

On a très peu de renseignement sur le

culte de saint Amand, mais en revanche il est

possible de reconstituer l’histoire du

domaine de Saint-Amand, dans les mains

des chanoines de la cathédrale de Châlons

depuis sans doute l’époque carolingienne.

Au XIIe siècle, les chanoines

commencèrent à récupérer les droits d’autres

propriétaires. Ainsi une querelle avec

l’abbaye Saint-Corneille de Compiègne, qui

revendiquait des droits sur la terre de Saint-

Amand, comme dépendance de Ponthion,

fut réglée lors d’un synode, à Troyes, le 13

janvier 112830. Les chanoines châlonnais

obtenaient la jouissance d’une terre à Saint-

Amand en échange d’une forte redevance en

or. Entre 1122 et 1132, le chapitre reçoit

d’un certain Hervé et de sa femme ce qu’ils

ont dans la seigneurie de Saint-Amand

notamment un moulin, en contrepartie, le

couple se voit concéder une terre arable. Il

s’agit là du plus anciennement cité des

moulins de Saint-Amand. Ce n’est donc pas

vraiment une donation et on peut penser

que les chanoines ont cherché à acquérir ce

moulin, le premier cité dans un village qui en

comptera beaucoup.

Le comte Henri le Libéral (1152-1180),

concède au chapitre de Saint-Étienne le don

par Gui [II] de Possesse de ce qu’il avait à

Saint-Amand31. Cet acte est antérieur au

30 V. la n. 23. 31 Original constaté manquant en 2001 : Arch. Marne,

G 655 n° 1. John BENTON, Michel BUR, Recueil des

actes d’Henri le Libéral comte de Champagne (1152-1181),

Paris, 2009, t. 1, p. 29-30, n° 21. Cette pièce semble

avoir été mal datée et conséquemment mal placée lors

du classement du chartrier par Pierre-Camille Le

Moine (elle figure toujours en tête de la liasse dans

l’inventaire imprimé de la série G, qui l’attribue à

Henri le Libéral). Le Moine mentionne le sceau en

cire blanche et indique pour date « vers 1100 ». Il

semble donc avoir confondu Henri le Libéral avec

départ de Gui pour la croisade et donc

antérieur à 1163 où son frère Jean apparaît

comme seigneur de Possesse ; la donation

pourrait avoir été faite dans le cadre des

préparatifs de Gui II pour la croisade à

laquelle il serait parti en 115832. L’acte peut

donc être daté entre 1152 et 115833.

Cependant la parentèle de Gui II de

Possesse ne se défit pas de tous ses droits

puisque l’on trouve des membres de la

famille de Garlande, héritière des Possesse,

possessionnés à Saint-Amand au XIIIe

siècle34.

D’autres seigneurs voisins se défirent de

leurs droits au profit du chapitre. Le

maréchal Érard d’Aulnay avait été

excommunié à cause de ses méfaits. En

1185, sa veuve Helvide donna en réparation

au chapitre ce qu’elle avait à Saint-Amand à

l’exception d’une redevance en avoine et les

Étienne-Henri qui était aussi fils d’un comte Thibaud.

Cet acte est publié dans une note de bas de page par

Édouard de BARTHÉLEMY, Diocèse ancien de Châlons-

sur-Marne, Paris, 1861, t. I, p. 115, n. 1. Le fait que

Barthélemy ait donné dans la même note l’analyse de

la charte de Richard d’Albano de 1104, suivi

directement du texte de la charte d’Henri le Libéral a

été cause d’une erreur de Jean-Noël MATHIEU, « La

famille de Garlande à Possesse », Mémoires de la

SACSAM, t. CVIII (1993), p. 69-94, à la p. 70, qui

indique une donation de Gui de Possesse en 1104, et

que j’avais suivi (J.-B. RENAULT, « La

Commanderie des Hospitaliers », à la p.88). Il s’agit

en fait de Gui II de Possesse. 32 Jean-Noël MATHIEU, art. cit., p. 74-75. 33 Si la donation a précédé de peu le départ de Gui II,

elle serait de 1158 ou peu avant. Michel Bur a

proposé de tenir compte de la titulature d’Henri, « fils

du comte Thibaud », qui permettrait de supposer que

l’acte soit de peu postérieur à la mort de Thibaud, soit

1152. M. Bur propose « vers le 13 mars 1152 » car

Henri le Libéral a donné ce jour-là à Châlons un acte

pour l’abbaye de Toussaint (BENTON, BUR, op. cit .,

p. 28-29, n° 20. 34 Deux donations de la famille furent faites aux

Hospitaliers de Saint-Amand en 1165 et 1265, mais il

ne s’agissait pas de biens à Saint-Amand. Érard de

Garlande tenait Aulnay-le-Châtel avec ses

dépendances ainsi que 40 setiers d’avoines à Saint-

Amand, mais cela lui serait venu de sa mère, Auguste

LONGNON, Rôles des f ief s du comté de Champagne sous le

règne de Thibaud le Chansonnier (1249-1252), Paris :

Henri Menu, p. 279-280, n° 1247.

14

hommes du corps du lieu35. L’archevêque

Guillaume se porta fidéjusseur. La politique

d’acquisition du chapitre se poursuivit. En

1189, les chanoines achetaient à Ansel

Bridaine d’Épernay tout ce qu’il possédait en

franc-alleu à Saint-Amand pour le prix de 70

livres et 100 sous provinois36. Peu avant, on

trouvait un Adam Bridaine d’Épernay,

mentionné en 118337, et il apparaissait

comme témoin de la donation d’Helvide en

118538. Mais Adam Bridaine ne figure plus

dans la vente d’Ansel Bridaine, ratifiée par

les frères de ce dernier, Nicolas, Gautier et

Hugues ainsi que son épouse Havide et sa

sœur Isabelle. Adam était sans doute parent

avec Ansel, peut-être son père.

Figure 5 - Charte de Henri II, comte de

Champagne (1189) notifiant la vente d’Ansel

Bridaine

35 Arch. Marne, G 655 n° 5, Charte de Gui [III de

Joinville], évêque de Châlons (GUT, n° 340). Érard

d’Aulnay est cité comme maréchal en 1183 (Herardo de

Alneto, marescallum, Arch. Marne, G 655 n° 4). 36 Arch. Marne, G 655 n° 6, Charte de Henri II,

comte de Champagne. 37 Charte de Guillaume, archevêque de Reims, faisant

intervenir Marie, comtesse de Troyes, Arch. Marne,

G 655 n° 4 : Adam Brisdenam. 38 Signum Adę Bridaine de Sparnaco (G 655 n° 5).

La même année 1189, un certain

Gautier Corbez, croisé, céda son moulin de

Saint-Amand à l’Hôpital de Saint-Jean de

Jérusalem, ce qui permit aux Hospitaliers de

s’installer dans le village. Si cet acte ne fait

aucune mention du chapitre, il semble peu

probable que la donation et l’implantation

des Hospitaliers se soit réalisée sans son

accord. Les Hospitaliers reçurent d’ailleurs

des biens assez dispersés et finalement peu à

Saint-Amand même. Il semble en effet que

le chapitre soit parvenu à susciter de divers

seigneurs et chevaliers l’abandon de leurs

droits, parfois en échange de contreparties

importantes et à devenir le principal seigneur

et propriétaire ce qui laissait peu de place

aux Hospitaliers.

Obtenant les biens de plusieurs

seigneurs, les chanoines étaient soucieux de

leurs droits sur Saint-Amand. En 1183,

Marie, comtesse de Troyes, fille du roi de

France Louis VII et d’Aliénor d’Aquitaine, a

dû passer une nuit à Saint-Amand. Ensuite il

fallut rédiger un acte pour qu’elle

reconnaisse qu’il ne s’agissait pas là d’un

droit de gîte, droit qui était une prérogative

seigneuriale (Sanctus Amandus et Collevinier)39.

Le comte de Champagne n’était plus

seigneur direct de Saint-Amand depuis

qu’Hugues avait abandonné tout ce qu’il

avait dans cette localité en 1104 et les

chanoines ont eu à cœur de rappeler cette

indépendance à cette occasion particulière.

L’acte précise aussi que feu son mari, le

comte Henri, avait lui-même reconnu devant

feu le roi Louis VII, son beau-père, et

devant les chanoines n’avoir droit à aucun

gîte à Saint-Amand40. On remarque que

l’auteur de l’acte est une tierce personne,

39 Arch. Marne, G 655 n° 4, Charte émanant de

Guillaume aux Blanches Mains, frère de la comtesse

Marie, 1183. 40 On ne conserve pas en revanche d’acte relatif à

cette déclaration du comte.

15

l’archevêque de Reims Guillaume aux

Blanches Mains, beau-frère de Marie.

Figure 6 - Charte de Guillaume aux

Blanches Mains, archevêque de Reims (1183)

Une seconde phase d’acquisitions (1240-1280) : le contrôle des moulins et des vignes

Par la suite, il faut attendre cinq

décennies pour voir le chapitre à nouveau en

quête d’acquisitions à Saint-Amand.

L’activité de meunerie semble avoir été

importante à Saint-Amand puisque l’on

connaît cinq moulins et il est possible de

suivre plus ou moins leur trace jusqu’à

l’époque moderne41. Outre celui que le

chapitre possédait dès le début du XIIe

siècle, d’autres apparaissent dans ses mains

lors d’acquisitions de parts ou de baux de ces

moulins. En 1240, le chapitre acheta la

moitié d’un moulin pour le prix de 20

livres42. En 1255, le quart du Nuef Molin fut

acheté à Milet moyennant quatre livres et

trois sous provinois et tournois43. On est en

41 Il s’agit d’amont en aval du moulin Husson ou

moulin de la Chaize (LONGNON, Dic. Top., p. 192),

du moulin du Sous-Chantre ou moulin de l’Aître

(ibid., p. 186) près de l’église, le moulin de la Folie cité

dès 1261 (ibid., p. 186), rue du Pont-Mathieu, et le

moulin du Ruet (ibid., p. 191 ; connu dès 1262, Arch.

Marne, G 657/5), vers Coulvagny. 42 Arch. Marne, G 657 n° 1 43 Arch. Marne G 657 n° 2.

droit de se demander si le chapitre n’a pas

profité de sa position pour créer de

nouvelles infrastructures car l’exploitation de

nouveaux moulins lui permettait

d’augmenter ses revenus. Cette politique a

pu s’exercer au contraire par un contrôle a

posteriori des moulins construits par des

particuliers et progressivement acquis par le

chapitre. À une certaine époque, les biens de

Saint-Amand ont pu être partiellement

répartis en fonction des prébendes puisque

l’un des moulins fut nommé « moulin du

sous-chantre ». Les biens étaient gérés par

un des chanoines, nommé prévôt de Saint-

Amand, mais localement un maire

représentait le chapitre. Le chapitre

possédait aussi un four et un pressoir.

Les vignes situées sur le coteau, au nord

du village, étaient la possession du prieuré de

Gaincourt, dépendance de l’abbaye de

Rebais (Seine-et-Marne)44. En 1280, le

chapitre acheta les vignes à Guy prieur de

Gaincourt, moyennant 50 sous tournois de

rente annuelle à prendre sur la mairie du

lieu45. Le chapitre contrôlait aussi le pressoir,

mais en 1402 il abandonna finalement le

pressoir et le droit de pressurer aux

habitants46. Le pressoir, comme le four et les

moulins relevait souvent du droit de ban du

seigneur.

À Saint-Amand, l’essentiel des droits

appartenaient aux chanoines, par exemple la

dîme. Les Hospitaliers ne voulaient pas

toujours la payer et ils furent condamnés en

137147.

La justice appartenait au chapitre

comme le montre des empiétements plus

44 Gaincourt, prieuré dédié à Saint-Pierre, devenu

simple ferme et aujourd’hui détruit, jadis sur la

paroisse de Jussecourt, dont l’abbé de Rebais avait la

présentation. D’après Longnon, Gaincourt est sur la

commune d’Étrepy, LONGNON, Dic. Top., p. 113. 45 Arch. Marne G 655 n° 7. Rebais, Seine-et-Marne,

ch.-l. cant., arr. Meaux 46 Arch. Marne, G 660, n° 2. 47 Arch. Marne, G 658, n° 1.

16

tardifs de sa juridiction par le prévôt de Vitry

en 1373 et par le commandeur des

Hospitaliers en 157548.

On a vu que les chanoines avaient

souvent cherché à récupérer les biens

d’autres propriétaires ecclésiastiques pour

arrondir leur domaine

de Saint-Amand. Un des

seuls propriétaires que le

chapitre n’eut pas à

déloger de Saint-Amand

était la commanderie des

Hospitaliers. Malgré

quelques escarmouches,

il semble que la coexis-

tence ait été pacifique,

peut-être car les Hospi-

taliers avaient peu de

biens à Saint-Amand : le

moulin de l’Hôpité et

une terre à Rivreuil.

Les Hospitaliers

s’étaient installés grâce à

la donation d’un certain

Gautier Corbez croisé,

qui leur donna son

moulin. L’acte, de 1189,

n’évoque pas l’accord du

chapitre. Mais il est probable que

l’implantation des Hospitaliers à Saint-

Amand ne se soit pas faite sans l’assentiment

du chapitre.

En 1250, en litige avec son chapitre,

l’évêque Pierre de Hans emprisonna des

paysans de Saint-Amand, Aulnay-l’Aître,

Jâlons et Champigneul49. En riposte les

chanoines firent cesser le jeu des orgues50.

48 Arch. Marne, G 655 n° 8 et 11. 49 Étienne HURAULT, La cathédrale de Châlons et son

clergé à la f in du XIIIe siècle, Châlons-sur-Marne : Martin

frères, 1907, p. 10. 50 Louis GRIGNON, Vieilles orgues, vieux organistes,

Châlons, 1879, p. 19-20. Sylvain MIKUS, « Les

anciennes orgues de la cathédrale de Châlons (XIIe –

XIXe siècles). Deuxième partie : l’orgue de Jacques

On retrouve par ailleurs une place

éminente pour Saint-Amand et Jâlons dans

la liturgie de la cathédrale. Selon un

règlement de 1247, les dimanches de carême,

avant nones, le spes mea était chanté par les

curés de trois parmi les principales

seigneuries du

chapitres : Thibie,

Saint-Amand, Jâlons

(2e, 3e et 4e dimanche

de carême)51.

Saint-Amand,

lieu de passage et

centre agricole et

viticole a une origine

ancienne : au moins

carolingienne. Le

chapitre cathédral de

Châlons était posses-

sionné en ce lieu au

moins depuis la fin

du XIe siècle. Les

chanoines ont pour-

suivi les acquisitions

au XIIe siècle, puis

après un temps de

pause, après 1240. Très

probablement un essor économique et une

prospérité agricole sont à l’origine de la

richesse du propriétaire qui a pu lancer le

chantier ambitieux d’une petite cathédrale

villageoise. On sait moins de choses de

l’aspect religieux et si l’église était le cadre de

dévotions particulières au saint évêque de

Maëstricht.

Jean-Baptiste RENAULT

Cochu (1750-1795) », Bulletin des Amis de la Cathédrale

de Châlons-en-Champagne, n° 4 (2012), p. 22-35. 51 Édouard de BARTHELEMY, Usuaire de l’église

cathédrale de Châlons-sur-Marne au XIIIe siècle publié pour la

première fois d’après les manuscrits originaux , Paris : Henri

Menu, 1878, p. 51-52.

Figure 7 - Chœur de l'église de Saint-Amand

17