responsabilité d’une société mère pour les infractions aux règles de la concurrence commises...
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L’imputabilité d’une infraction anticoncurrentielle de la filiale à la société mère ....................................................................................................................................... 2
Introduction ........................................................................................................................ 2
I. La notion « d’entreprise » au sein du droit des pratiques anticoncurrentielles ......................................................................................................... 6
II. Conditions d’imputabilité à la société mère du comportement anticoncurrentiel de sa filiale ....................................................................................... 8 A. Les filiales dont la totalité du capital est détenue par la société mère et la présomption capitalistique .................................................................................................. 10 1. Droit européen .............................................................................................................................. 10 2. Droit français .................................................................................................................................. 15
B. Les filiales dont une partie du capital est détenue par la société mère et la technique du faisceau d’indices .......................................................................................... 17 1. Droit européen .............................................................................................................................. 17 2. Droit français .................................................................................................................................. 20
C. La démonstration de l’autonomie de sa filiale par la société-‐mère ................ 21 1. Réfutation de la présomption capitalistique .................................................................... 21 2. Preuve de l’autonomie totale de la filiale ........................................................................... 27
D. La question de l’imputabilité en cas de cession de la filiale ............................. 27 1. Changement de contrôle antérieur à l’infraction commise ....................................... 28 2. Changement de contrôle postérieur à l’infraction commise ..................................... 28 3. Changement de contrôle en cours d’infraction ............................................................... 30
III. Conséquences de l’exercice d’une influence déterminante de la société mère sur le comportement de sa filiale .................................................................. 31 A. Conséquences pour les entreprises ........................................................................... 31 1. Conséquences immédiates ....................................................................................................... 32 a) Conséquences quant au calcul de l’amende ................................................................................ 32 b) Conséquences quant au débiteur de l’amende .......................................................................... 34
2. Conséquences à plus long terme ........................................................................................... 36 B. Conséquences pour les autorités de concurrence ................................................ 37
Conclusion ......................................................................................................................... 39
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L’imputabilité d’une infraction anticoncurrentielle de la filiale à la société mère
Introduction «Telle mère, telle fille»
1. Ce vieil adage s’applique-t-il en matière d’infractions anticoncurrentielles?1
La question concrète est la suivante : Une société a participé à une infraction
anticoncurrentielle. Cette société est une filiale faisant partie d’un groupe de sociétés.
Aucune question particulière ne se pose quant à la responsabilité personnelle de la
filiale. Par contre la question à trancher est de savoir si les autorités de concurrence
peuvent (voire doivent) remonter à la tête du groupe, à la société mère et l’inclure
dans leurs poursuites ?2
2. Avant d’approfondir cette question il semble utile de rappeler la définition de
ses composants.
Un groupe de sociétés est un ensemble de sociétés juridiquement distinctes. Le groupe
de sociétés est dépourvu de personnalité juridique.3 Ces différentes sociétés sont liées
les unes aux autres par un même centre de décision, qualifié de société mère.
Une société mère est une société qui possède une ou plusieurs sociétés filiales.
La société filiale est une société dont plus de moitié du capital est détenue par une
autre société, notamment la société mère. 4 La filiale dispose d’un conseil
d’administration propre et d’une assemblée générale propre dans lesquels siègent des
représentants de la société mère. En tant que société juridiquement distincte, la filiale
a un intérêt social propre, elle peut conclure des contrats et elle a ses propres débiteurs
et créanciers.5
3. Une filiale peut soit être autonome de sa société mère, soit être dépourvue
d’autonomie. Les enjeux de l’autonomie de la filiale sont multiples en matière
d’infractions anticoncurrentielles. 1 Conclusions de l’avocat général, Mme Juliane Kokott, présentées le 12 janvier 2011, Affaires jointes C628/10 P et C14/11 PAlliance One International Inc. e.a. contre Commission européenne e.a. 2 L. IDOT, « La responsabilité pénale des personnes morales : les leçons du droit européen de la concurrence », Concurrences, 2012 n.1, p. 58 ; 3 Cass. Com., , 2 avril 1996, n° 94-16380 ; 4 http://www.dictionnaire-juridique.com; http://halshs.archivesouvertes.fr/docs/00/16/78/38/PDF/Communication_AIRTO_V3.pdf ; Volume 13, 1989, Kluwer, p.85; 5 J. STUYCK, Beginselen van Belgisch privaatrecht. 13, Handels- en economisch recht. Ondernemingsrecht , Volume 1;
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En matière d’entente, l’absence d’autonomie de la filiale permet d’exclure les accords
intragroupe du champ d’application des ententes prohibées. 6 Par conséquent un
accord conclu entre une société mère avec ses filiales interdisant à ses dernières de
livrer des produits à des clients situés dans d’autres Etats de l’Union, n’est pas de
nature à rendre l'article 101, paragraphe 1, applicable.7
Un raisonnement similaire a été retenu quant à l’application des lois antitrust aux
Etats-Unis. Dans le cadre de l’affaire Copperweld Corp v. Independance Tube Corp.
la Cour Suprême a jugé qu’« une société mère et la filiale qu’elle détient à 100% doivent
être considérées comme une entité pour l’application du Sherman Act. Une société mère et la
filiale qu’elle détient à 100% ont une unité d’intérêts absolue. Elles ont des objectifs
communs, leurs actions ne sont pas déterminées par deux consciences mais une”.8 La
solution est moins certaine quant aux relations entre les sociétés-mères et leurs filiales
détenues à moins de 100%. Certain tribunaux estiment que le paragraphe 1 du
Sherman Act s’applique tandis que d’autres tribunaux prennent la liberté d’également
appliquer la jurisprudence Copperweld et d’exclure ces accords du champ
d’application des pratiques interdites. 9
4. En ce qui concerne la responsabilité de la société mère pour une entente
impliquant sa filiale et une société tierce, les juridictions européennes ont jugé que: “le comportement d’une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien
qu’ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon
autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions
qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques,
organisationnels et juridiques qui unissent ces deux unités juridiques. » 10 Le même
raisonnement a été appliqué en matière d’abus de position dominante dans les affaires
Continental Can et Zoja.11
6 L. TOLOT, « La participation d’une filiale commune à une entente ou l’ambivalence des relations mères-filles”, Revue Lamy de la concurrence, 2011, n.28, p.133; 7 CJCE, 24 octobre 1996, Viho Europe BV contre Commission des Communautés européennes, Affaire C-73/95 P ; 8 Copperweld : « They must be viewed as … a single entreprise for purposes of §1 of the Sherman act. A parent and its wholly owned subsidiary have a complete unity of interest. Their objectives are common not disparate; their general corporate actions are guided or determined not by two separate corporate consciousness, but by one”; R. MEYERS, « Partial ownership of subsidiaries, unity of purpose and antitrust liability », The University of Chicago Law Review 2001, p 1407; 9 R. MEYERS, « Partial ownership of subsidiaries, unity of purpose and antitrust liability », The University of Chicago Law Review 2001, p.1407; 10 CJCE, 14 juillet 1972, Imperial Chemical Industries/Commission, Affaire 48-69; 11 CJCE, 21 février 1973, Continental Can, aff. 6/72 ; CJCE, 6 mars 1974, CSC/ICI, aff. 6 et 7/73 ;
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5. La responsabilité de la société mère pour les infractions anticoncurrentielles
de sa filiale a fait l’objet d’un regain d’intérêt des autorités de la concurrence et des
juridictions de contrôle. En 2011, plus de soixante arrêts ont été rendus par la Cour de
Justice et le Tribunal. Dans une grande majorité de ceux-ci étaient débattues les
questions d’imputabilité des infractions et d’identification des responsables.12
La difficulté du problème et des discussions réside dans le fait que le sujet des règles
en matière de droit de la concurrence et les sujets des décisions des autorités de la
concurrence ne sont pas nécessairement les mêmes. Le droit de la concurrence
s’applique aux entreprises, définies comme « toute entité exerçant une activité
économique indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de
fonctionnement ». Tandis que les décisions des autorités de la concurrence sont dirigées
à l’encontre de personnes (morales ou physiques).13 En faisant prévaloir la notion
d’entité économique, le droit de la concurrence permet d’aller au-delà du
cloisonnement juridique résultant de la personnalité morale. 14
Le droit de la concurrence est en effet fondé sur des notions économiques capables de
bousculer certains principes juridiques. Tel est par exemple le cas pour la notion
économique « d’entreprise », quand elle est confrontée aux principes juridiques de la
personnalité juridique et de la responsabilité personnelle. Selon ce dernier principe,
toute personne, auteur d’une infraction, en particulier concurrentielle, doit être tenue
personnellement responsable de ses actes. Ce sera cette personne, et cette personne
uniquement, qui fera l’objet de poursuite et, en cas de condamnation elle ne pourra
pas transférer à une autre personne la sanction qui lui sera imposée.15 Ce principe fait
l’objet d’une lecture exceptionnelle en droit de la concurrence. La Cour de justice
estime en effet qu’il convient en principe « d’imputer une pratique anticoncurrentielle à
la personne physique ou morale qui exploite l’entreprise qui participe à l’entente ».16 Par
conséquent il se peut que soit poursuivie et sanctionnée une personne morale d’une
même unité économique (société mère) que la personne morale auteur des pratiques
12 L.IDOT, « La responsabilité pénale des personnes morales : les leçons du droit européen de la concurrence », Concurrences, 2012, n.1, p. 55 ; 13 Conclusions de l’avocat général, Mme Juliane Kokott, présentées le 23 avril 2009, dans l’affaire Akzo Nobel NV e.a. contre Commission des Communautés européennes, Affaire C97/08 P ; 14 F. CHAPUT, « L’autonomie de la filiale en droit des pratiques anticoncurrentielles », Contrats-concurrence-consommation, 2010, p. 8 ; 15 L. ARCELIN, « La responsabilité de la société-mère du fait des agissements de sa filiale : une présomption devenue irréfragable?, », Actes des ateliers imputabilité, sanctions, groupe, atelier du 30 mars 2010 DGCCRF ; 16 CJCE, 11 décembre, ETI, aff. C-280/06; CJCE, 10 septembre 2009, Akzo, Aff. C- 97 / 08;
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(filiale) même si cette première n’a pas participé personnellement à cette infraction ou
qu’elle n’en était même pas informée.17
6. L’importance du contentieux sur ces questions s’explique essentiellement par
les enjeux. 18 Mis à part le fait que la société mère sera tenue solidairement
responsable quant au paiement de l’amende, l’amende sera calculée sur la base du
chiffre d’affaires cumulé de toutes les sociétés faisant parties du groupe et pas
uniquement sur le chiffre d’affaires de la filiale, auteur de l’infraction.
7. Cette jurisprudence des juridictions européennes a donné une ligne de
conduite claire aux sociétés mères. Ces dernières ne doivent en effet pas tenter
d’échapper à leur responsabilité quant aux actes de leurs filles.19 Si le principe a
clairement été énoncé, la même chose ne peut être dite de ses conditions et de son
champ d’application, de sorte que beaucoup de questions ont été soulevées. De façon
récurrente, des débats ont eu lieu quant à la question de savoir si la présomption de
responsabilité de la société mère suffisait à elle seule ou si elle devait être corroborée
par d’autres indices, quant à la nature de cette présomption, quant à sa compatibilité
avec les principes généraux tels que la présomption d’innocence et la responsabilité
personnelle. Dans le cadre de ce mémoire, j’analyserai dans une première partie la
notion d’entreprise en tant que sujet du droit de la concurrence et l’interprétation qui y
a été donnée par les instances européennes et internes (I). La deuxième partie sera
consacrée aux conditions d’imputabilité à la société mère du comportement
anticoncurrentiel de sa filiale (II). Finalement, la troisième partie sera consacrée aux
conséquences de l’imputabilité des pratiques anticoncurrentielles de la filiale à la
société mère (III).
17 P. PATAT, “L’imputabilité du comportement anticoncurrentiel d’une filiale dont la totalité du capital est détenue par sa société-mère, encore et toujours . . .” Revue Lamy de concurrence 2011, 1/11; A. KRENZER, “Présomption de responsabilité des sociétés mères du fait de leurs filiales en droit communautaire des pratiques anticoncurrentielles”, Revue Lamy de Concurrence, 2008, p.15 ; 18 L. IDOT, “La repression des pratiques anticoncurrentielles par les institutions de l’Union Europeenne (1er juillet 2010-1er mai 2012)”, Revue de science criminelle 2012, p. 315 (nr.55); 19 F. WENNER & B. VAN BARLINGEN, « Commission’s approach on parental liability », Competition Policy Newsletter, 2010, Number 1, p. 27;
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I. La notion « d’entreprise » au sein du droit des pratiques anticoncurrentielles 8. Les dispositions prohibant les pratiques anticoncurrentielles, à savoir en droit
européen les articles 101 et 102 TFUE et en droit national français les articles L. 420-
1 et L. 420-2 du Code de Commerce, s’appliquent aux infractions commises par des
« entreprises ». La notion d’entreprise telle que prévue dans les articles précités est
une notion autonome, indépendante des droits nationaux, permettant au droit de la
concurrence de s’affranchir de certains principes juridiques, et notamment la notion
de personnalité morale, comme cela a été évoqué dans l’introduction du présent
travail.20
La jurisprudence européenne a défini la notion d’entreprise comme «toute entité
exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de
son mode de financement»,21 elle est « une organisation unitaire d’éléments personnels,
matériels et immatériels poursuivant de façon durable un but économique». Cette définition
a été reprise par le droit de la concurrence français. Le Conseil de la concurrence a
effectivement décidé que : « constitue une entreprise toute entité économique autonome,
privée ou publique, comprenant un ensemble de moyens matériels et humains concourant à
son activité ».22 Le fait que la filiale est dotée d’une personnalité juridique séparée de
celle de sa mère n’a pas d’incidence sur la définition de l’entité économique.23
9. Si le droit de la concurrence ne s’adresse qu’aux « entreprises », le principe de
la responsabilité personnelle et le principe de la personnalité des peines exigent par
contre que ce soit une personne morale qui soit tenue responsable des faits et qui en
subisse les sanctions.24 Le Tribunal de première instance a jugé dans ce cadre qu’il
« était nécessaire pour l’application et l’exécution des décisions, d’identifier une entité dotée
de la personnalité juridique qui sera destinataire de l’acte. ». Cette nécessité d’identifier la
personne morale sujet de la décision de la Commission trouve son fondement dans
20 L. IDOT, « La responsabilité pénale des personnes morales : Les leçons du droit européen de la concurrence, » Concurrences, 2012 n°1, p. 58 ; 21 CJCE, 23 avril 1991, Klaus Höfner et Fritz Elser contre Macrotron GmbH., Affaire C-41/90 ; CJCE, 12 juillet 1984, Hydrotherm Gerätebau GmbH contre Firma Compact del Dott. Ing. Mario Andreoli & C. Sas, Affaire 170/83 ; 22 Décision n° 95-D-76 du 29 novembre 1995 relative à des pratiques constatées à l'occasion de marchés de grands travaux dans le secteur du génie civil ; C. LECORRE et E.DAOUD, « La présomption d’influence déterminante : l’imputabilité à la société-mère des pratiques anticoncurrentielles de sa filiale », Revue Lamy Droit des Affaires, 2012, p.2/8 ; 23 CJCE, 14 juillet 1972, Imperial Chemical Industries Ltd. contre Commission des Communautés européenne, Affaire 48-69 ; C. LECORRE et E.DAOUD, « La présomption d’influence déterminante : l’imputabilité à la société-mère des pratiques anticoncurrentielles de sa filiale », Revue Lamy Droit des Affaires, 2012, p.2/8 ; 24 CJCE, 14 juillet 2005, ThyssenKrupp Stainless GmbH (C-65/02 P) et ThyssenKrupp Acciai speciali Terni SpA (C-73/02 P) contre Commission des Communautés européennes, Affaires jointes C-65/02 P et C-73/02 P ;
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l’article 256, §1 du traité CE (actuellement article 299 TFUE).25 La Cour de justice a
d’ailleurs jugé que l’obligation d’identification de la personne morale sujet de
l’enquête s’imposait dès le stade de la notification des griefs. En ce qui concerne les
sociétés mères, la notification des griefs doit d’ailleurs, en application de la
jurisprudence dite Bolloré, préciser à quel titre elles sont poursuivies, à titre propre ou
en tant que responsable de telle filiale.26
Une société mère et sa filiale sont considérées comme étant « une entreprise » quand
la filiale est dépourvue d’autonomie. La filiale est considérée comme dépourvue de
son autonomie quand elle « ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le
marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont imparties par la société
mère. » 27 Dans cette hypothèse, la notion « d’entreprise » s’applique à l’unité
économique formée par la société mère et sa filiale. La Commission a précisé dans ce
cadre que la notion d’entreprise : « est applicable à toute entité exerçant des activités de
nature commerciale et s’il s’agit d’un grand groupe industriel, il peut être approprié (selon
les circonstances) de l’appliquer à une société mère ou à une filiale ou à l’unité économique
constituée par la société mère et sa filiale. »28
10. La qualification de la société mère et sa filiale comme une entreprise unique
permet aux autorités de concurrences d’imputer le comportement anticoncurrentiel de
la filiale à la société mère. Comme la première n’est pas autonome sur le plan
économique, elle ne peut être considérée comme l’entreprise contrevenante. Cette
qualité reviendra au groupe placé sous l’autorité de la société mère.29 La possibilité
d’imputer le comportement de la filiale à la société mère a d’abord été retenue en
matière d’entente en 197230 et puis en matière d’abus de position dominante en 1973
et 1974.31
25 Article 299 TFUE : Les actes du Conseil, de la Commission ou de la Banque centrale européenne qui comportent, à la charge des personnes autres que les États, une obligation pécuniaire forment titre exécutoire ; 26 CJCE, 3 septembre 2009, Bolloré contre Commission, C-327/07 P; L. IDOT, “La répression des pratiques anticoncurrentielles par les institutions de l’Union Européenne (1er juillet 2010-1er mai 2012)”, Revue de science criminelle 2012, p. 315 (nr.52); 27 CJCE, 14 juillet 1972, Imperial Chemical Industries Ltd. contre Commission des Communautés européennes, Affaire 48-69 ; voire la décision du Conseil de la concurrence n°03-D-17, 31 mars 2003 pour une définition similaire en droit interne ; 28 94/599/CE: Décision de la Commission, du 27 juillet 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE 29 L. ARCELIN, « La responsabilité de la société-mère du fait des agissement de sa filiale : une présomption devenue irréfragable?, »dans les actes des ateliers imputabilité, sanctions, groupe, atelier du 30 mars 2010 DGCCRF 30 CJCE, 14 Juillet 1972, Imperial Chemical Industries Ltd. contre Commission des Communautés européennes, C-48-69; 31 CJCE 21 février 1973, Europemballage Corporation et Continental Can Company Inc. contre Commission des Communautés européennes, Affaire 6-72; L. IDOT, « La responsabilité pénale des personnes morales: Les leçons du droit européen de la concurrence, » Concurrences, 2012 n°1, p. 58 ;
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II. Conditions d’imputabilité à la société mère du comportement anticoncurrentiel de sa filiale
11. Les conditions permettant d’imputer le comportement anticoncurrentiel de la
filiale à la société mère sont cumulatives. D’une part la société mère doit d’une part
pouvoir exercer une influence déterminante sur le comportement de sa filiale, ce qui
est généralement accepté en cas de détention d’une majorité du capital, d’autre part
elle doit effectivement avoir exercé son pouvoir de direction.
En 1983 la Cour de justice a jugé dans l’arrêt AEG Telefunken « qu’une filiale détenue à
100% par une société-mère, applique nécessairement la politique déterminée par cette
dernière, sans qu’il soit nécessaire pour la Commission de vérifier si la société mère a
effectivement exercer de son pouvoir de direction.32 Par le biais de cet arrêt, la Cour
de justice a introduit la présomption selon laquelle les sociétés détenant la totalité du
capital de leur filiale exercent effectivement une influence déterminante sur le
comportement de cette filiale. Cette présomption permet à la Commission de conclure
à l’absence d’autonomie de la filiale et, ainsi, d’imputer la responsabilité du
comportement infractionnel de cette dernière à sa société mère.33 Cette présomption
de responsabilité frappant les sociétés mères a ultérieurement été qualifiée par certains
praticiens du droit de la concurrence de « présomption capitalistique » 34
12. Cette présomption est fondée sur l’expérience démontrant qu’une filiale à
100% est le plus souvent sous la domination économique de sa société mère. Par
conséquent une infraction anticoncurrentielle commise par cette filiale doit être
imputée à la personne morale qui incarne ou exploite l’entreprise auteur de cette
infraction. Cela se justifie également par le fait que l’amende prononcée par les
autorités de la concurrence doit avoir un caractère dissuasif à l’égard des opérateurs
économiques. Enfin, les autorités de concurrence ainsi que les juridictions
32 CJCE, 25 octobre 1983, Allgemeine Elektrizitäts-Gesellschaft AEG-Telefunken AG contre Commission des Communautés européennes, Affaire 107/82 ; M. DEBROUX, « Sanction des cartels en droit communautaire :Définition et conséquences d’une responsabilité de groupe », Concurrences, 2008, n°1, p.3 ; 33 V. TERRIEN, « Droit de la concurrence : la présomption de responsabilité frappant les sociétés mères », Journal de Droit européen, 2012, n°185, p.1 34 M. DEBROUX, « Sanction des cartels en droit communautaire : Définition et conséquences d’une responsabilité de groupe », Concurrences, 2008, n°1, p.2 ; L. IDOT, « La responsabilité pénale des personnes morales : Les leçons du droit européen de la concurrence, » Concurrences, 2012, n°1, p. 58 ;
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européennes veulent éviter que les entreprises créent des coquilles vides accueillant le
comportement anticoncurrentiel des filiales fautives.35
Ceci n’impacte pas la nature de la responsabilité de la société mère dont la Cour de
justice a jugé en janvier 2013 qu’elle était accessoire et dépendante de la
responsabilité de sa filiale.36 De ce fait, la société mère bénéficiera de l’annulation
partielle de la décision et de la réduction d’amende prononcée en faveur de la filiale.37
13. L’absence d’autonomie de la filiale suite à l’exercice d’une influence
déterminante par la société mère peut être établie par différents indices. Depuis l’arrêt
AEG Telefunken précité, les autorités de concurrence s’appuient sur la présomption
capitalistique en cas de détention totale du capital de la filiale par la société mère (A).
Lorsque le pourcentage détenu par la société mère n’est pas suffisant, les autorités de
concurrence devront démontrer, moyennant un faisceau d’indices, que la société mère
était capable d’exercer un pouvoir de direction sur sa filiale et qu’elle a effectivement
exercé ce pouvoir au moment des faits (B). Une fois cette preuve établie, il
appartiendra à la société mère de tenter de renverser les éléments apportés par
l’autorité de concurrence et de démontrer que sa filiale était autonome quant à la
détermination de son comportement sur le marché au moment des faits (C).
La base du raisonnement de la Commission et des juridictions européennes pour
l’imputation du comportement de la filiale à la société mère est que c’est la personne
morale qui dirigeait l’entreprise (dont la filiale) au moment de l’infraction qui devra
répondre de cette dernière. Le principe de la responsabilité personnelle doit rester la
règle. Cependant en cas de cession de la filiale, les juridictions européennes ont
accepté sous certaines circonstances que ce principe puisse être mis de côté et que le
principe de la continuité économique puisse jouer afin d’assurer l’effectivité des
sanctions en matière de concurrence (D.)
35 G. DECOCQ, « La société mère est présumée responsable des pratiques anticoncurrentielles commises par ses filiales détenues directement ou indirectement à 100%”, Bulletin Joly sociétés, Avril 2011, p.321 ; P. PATAT, “L’imputabilité du comportement anticoncurrentiel d’une filiale dont la totalité du capital est détenue par sa société mère, encore et toujours…” Revue Lamy de concurrence, 2008, p.3/11 36CJUE, 22 janvier 2013, Commission c/Tomkins plc, aff. C-286/11P 37 C. ROBIN, “La responsabilité de la societe mere ne peut pas exceeder celle de la filiale, Revue Lamy de la concurrence, 2013, p.35; O. ELFERINK en mr. E.L.H. MATTIOLI, “De rechtspraak van het Hof van Justitie van de Europese Unie op het gebied van het mededingingsrecht: ontwikkelingen in de jaren 2011 en 2012”, NTER, Juin 2013, p.164;
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A. Les filiales dont la totalité du capital est détenue par la société mère et la présomption capitalistique
1. Droit européen 14. La présomption selon laquelle une filiale dont le capital est détenu à 100% par
sa société mère est nécessairement dépourvue d’autonomie est au cœur du débat de la
présomption de responsabilité de la société mère.38
Il est nécessaire d’insister sur le fait que cette présomption allège fortement la charge
de la preuve qui repose sur la Commission. Cette dernière est en effet libérée de
l’obligation d’apporter deux preuves distinctes : celle de la possibilité pour la société
mère d’exercer une influence déterminante, mais également celle de l’exercice effectif
de cette influence.39 La conséquence de cette présomption et du renversement de la
charge de la preuve qu’elle implique, est qu’il incombe à la société mère de prouver
qu’elle n’exerçait pas d’influence déterminante sur le comportement de sa filiale au
moment des faits.40
15. Cette présomption a fait l’objet de beaucoup de critiques durant toutes les
années 2000, considérées par certains comme la période de remise en cause.41 Les
sociétés poursuivies contestaient systématiquement l’existence de cette présomption
ainsi que ses conditions d’application.42 Une controverse est née au début des années
2000 suite à l’arrêt Stora, dans le cadre duquel la Cour de justice avait invoqué
d’autres circonstances que la présomption capitalistique pour affirmer que la société
mère exerçait effectivement une influence déterminante sur le comportement de sa
filiale. Cela rejoignait les conclusions de l’avocat-général Mischo qui proposait que,
lorsqu’une filiale est détenue à 100%, la Commission s’appuie sur le lien
capitalistique, mais qu’elle apporte également la preuve d’autres indices d’une
influence déterminante (approche nommée par l’avocat général « 100% + X»).43
38 M.DEBROUX, « Sanction des cartels en droit communautaire : Définition et conséquences d’une “responsabilité de groupe”, Concurrences, 2008, n°1, p.3 ; 39 F. CHAPUT, « L’autonomie de la filiale en droit des pratiques anticoncurrentielles », Contrats-concurrence-consommation, 2010, p. 12 ; 40 P. PATAT, “L’imputabilité du comportement anticoncurrentiel d’une filiale dont la totalité du capital est détenue par sa société mère, encore et toujours…” Revue Lamy de concurrence, 2008, p.6/11 ; 41 L. IDOT, « La responsabilité pénale des personnes morales : les leçons du droit européen de la concurrence », Concurrences, 2012, n. 1, p. 55-72 42 C. LE CORRE et E. DAOUD, « La présomption d’influence déterminante : l’imputabilité à la société mère des pratiques anticoncurrentielles de sa filiale », Revue Lamy du droit des affaires, 2012, p.3 ; 43 Conclusions de l'avocat général M. Jean Mischo présentées le 18 mai 2000, Affaire C-286/98 P, Stora Kopparbergs Bergslags AB contre Commission des Communautés européennes, § 73 ;
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Certains avaient vu dans cet arrêt une obligation pour la Commission d’apporter des
indices additionnels de l’exercice effectif d’une influence déterminante de la société
mère sur le comportement de sa filiale.44 Cette approche avait également été appliquée
par le Tribunal de première instance dans son arrêt Bolloré en 2007, en ces
termes : « Un élément supplémentaire par rapport au taux de participation reste nécessaire,
mais il peut être constitué par des indices. Cet élément supplémentaire ne doit pas forcément
résider dans la preuve d'instructions effectivement données par la société mère à la filiale
pour que celle-ci participe à l'entente ». Par conséquent, la possibilité d’invoquer
uniquement la détention totale du capital pour imputer le comportement
anticoncurrentiel de la filiale à la société mère faisait systématiquement l’objet de
débats devant les juridictions européennes.45
16. La Cour de justice a mis fin à cette controverse en 2009 dans le cadre de son
arrêt Akzo. D’une part elle a confirmé la présomption de l’exercice d’une influence
déterminante de la société mère sur le comportement de la filiale lorsque cette
première détient 100% du capital de la filiale. D’autre part elle a précisé qu’il suffit
que la Commission prouve que la totalité du capital de la filiale était détenue par la
société mère et qu’elle n’était pas tenue de présenter « d’éléments autres que la preuve
relative à la détention par la société mère du capital de ses filiales».46
Suite à cet arrêt il n’existait plus aucun doute quant à la question de savoir si la
détention de 100% du capital de la filiale suffisait à elle seule pour déclencher le
mécanisme de présomption.
Cependant il arrive que la Commission ne se contente pas d’énoncer que la filiale
était détenue à 100% par la société mère, mais corrobore cette constatation par
d’autres indices concordants. La Cour de justice a précisé dans ce cadre « que la
Commission peut corroborer la présomption de responsabilité découlant de la détention du
capital avec des éléments additionnels établissant l’influence (effective et) déterminante de la
société mère sur la politique commerciale de sa filiale. »47 Il s’agit donc d’une simple
44 L. ARCELIN, « La responsabilité de la société mère du fait des agissements de sa filiale : une présomption devenue irréfrageable ? », dans Les actes des ateliers : imputabilité, sanctions, groupe (atelier du 30 mars 2010), DGCCRF, p. 27 ; 45 L. IDOT, « La responsabilité pénale des personnes morales : les leçons du droit européen de la concurrence », Concurrences, 2012, n. 1, (nr.13) p. 59 46 L. ARCELIN, « La responsabilité de la société mère du fait des agissements de sa filiale : une présomption devenue irréfragable ? », dans Les actes des ateliers : imputabilité, sanctions, groupe (atelier du 30 mars 2010), DGCCRF, p.7 ; 47 TPICE, 30 septembre 2009, Elf Aquitaine SA contre Commission des Communautés européennes, Affaire T-174/05 ; CJUE, 19 juillet 2012, Alliance One International Inc. et Standard Commercial Tobacco Co. Inc. contre Commission européenne et Commission européenne contre Alliance One International Inc. et autres, Affaires jointes C-628/10 P et C-14/11 ;
12
faculté laissée à l’appréciation de la Commission et non d’une obligation à remplir
afin d’obtenir le déclenchement de la présomption.48 De plus, d’éventuelles erreurs
commises dans l’appréciation des indices additionnels n’auront pas pour conséquence
de remettre en cause la présomption capitalistique.49 Enfin, il importe de relever que,
lorsque, la Commission adopte la méthode de la double base pour déterminer s’il y a
lieu de retenir la responsabilité des sociétés mères dans une affaire dans laquelle
plusieurs entreprises sont impliquées, elle doit, appliquer cette méthode à l’égard de
toutes ces entreprises. Dans la négative la Commission viole le principe d’égalité. 50
17. Les situations dans lesquelles il était accepté que les autorités de la
concurrence fassent utilisation de la présomption capitalistique se sont
progressivement étendues. Cette extension du champ d’application de la présomption
capitalistique s’est d’abord manifestée au niveau du pourcentage de détention requis,
pour ensuite s’étendre au domaine du lien requis entre la filiale et la société mère.
Initialement, les juridictions européennes exigeaient la détention totale du capital afin
de pouvoir appliquer la présomption. Ensuite l’application de la présomption
capitalistique a été acceptée en cas de détention quasi totale du capital. Une détention
de 95% du capital de la filiale a ainsi été jugée suffisante pour appliquer la
présomption dans l’affaire Wanadoo.51
Finalement l’application de la présomption capitalistique a également été retenue dans
le cas où deux sociétés mères détenaient chacune la moitié (50%) du capital d’une
filiale commune. L’influence déterminante était alors présumée exercée par les deux
sociétés mères, l’ensemble constituant une entité économique: “l’exercice d’un contrôle
conjoint, par deux sociétés mères indépendantes l’une de l’autre sur leur filiale, ne s’oppose
pas, en principe, à la constatation, par la Commission, de l’existence d’une unité économique
entre l’une de ces sociétés mères et la filiale en cause et (que) ceci vaut même si cette société
48 G. DECOCQ, « La société mère est présumée responsable des pratiques anticoncurrentielles commises par ses filiales détenues directement ou indirectement à 100%”, Bulletin Joly sociétés, Avril 2011, p. 4/8 ; 49 C. LE CORRE et E. DAOUD, « La présomption d’influence déterminante : l’imputabilité à la société mère des pratiques anticoncurrentielles de sa filiale », Revue Lamy du droit des affaires, 2012, p. 3/8 ; 50 CJUE, 19 juillet 2012, Alliance One International Inc. et Standard Commercial Tobacco Co. Inc. contre Commission européenne et Commission européenne contre Alliance One International Inc. et autres, Affaires jointes C-628/10 P et C-14/11 ; SCH MOLIN, « Gelijke behandeling bij toerekening van kartelinbreuken », NTER, 2013, p.2 ; 51 P. PATAT, “L’imputabilité du comportement anticoncurrentiel d’une filiale dont la totalité du capital est détenue par sa société mère, encore et toujours…” Revue Lamy de concurrence, 2008, p. 3/11 ; L. ARCELIN, « La responsabilité de la société mère du fait des agissements de sa filiale : une présomption devenue irréfragable ? », dans Les actes des ateliers : imputabilité, sanctions, groupe (atelier du 30 mars 2010), DGCCRF, p. 6 ;
13
mère dispose d’une part du capital de la filiale moins importante que l’autre société
mère ». 52
En ce qui concerne le lien requis entre la société mère et la filiale, les juridictions
européennes ont reconnu qu’il pouvait être direct (société mère/fille) aussi bien
qu’indirect, dans le cas de l’interposition d’une autre société (société grand-
mère/petite fille) : « une société holding peut être tenue pour solidairement responsable des
infractions au droit de la concurrence de l’Union commises par une filiale de son groupe
dont elle ne détient pas directement le capital social, pour autant que cette société holding
exerce une influence déterminante sur ladite filiale ».53 Ainsi, la présomption capitalistique
s’applique également quand il existe une relation indirecte entre la société mère et sa
filiale.54 Cette solution doit être considérée dans le cadre de l’organisation de plus en
plus complexe des groupes des sociétés.55
En outre, en ce qui concerne les sociétés-holding, les juridictions européennes
acceptaient auparavant l’idée que les filiales de sociétés-holding étaient autonomes,
lorsque la holding n’y détenait qu’un simple placement financier, ou lorsque le groupe
n’était constitué qu’à des fins d’optimisation fiscale.56 Actuellement, les juridictions
communautaires estiment que la finalité de la participation n’est plus un élément
déterminant pour l’application de la présomption capitalistique, de sorte que les
holdings sont désormais traités de la même manière que les autres sociétés mères.57
18. Dans le système du Common law en vigueur aux Etats-Unis, il est exclu
qu’une société mère puisse être tenue responsable pour le comportement de sa filiale
uniquement sur base de la détention de capital social de la filiale.58 Le Common law
accorde beaucoup d’importance au principe de la personnalité juridique distincte des
52 TPICE, 27 septembre 2006, Coöperatieve Verkoop- en Productievereniging van Aardappelmeel en Derivaten Avebe BA contre Commission des Communautés européennes, Affaire T-314/01; CJUE, 19 juillet 2012, Alliance One International Inc. et Standard Commercial Tobacco Co. Inc. contre Commission européenne et Commission européenne contre Alliance One International Inc. et autres, Affaires jointes C-628/10 P et C-14/11 ; 53 CJUE, 20 janvier 2011, General Química e.a./Commission, C90/09 P ; 54 S.C. “La présomption de responsabilité de la société mère même en cas de contrôle indirect de l’auteur des pratiques”, Revue Lamy de la concurrence, 2011, p.1 ; 55 G. DECOCQ, « La société mère est présumée responsable des pratiques anticoncurrentielles commises par ses filiales détenues directement ou indirectement à 100%”, Bulletin Joly sociétés, Avril 2011, p. 5/8 ; 56 Comm. CE, déc. 72/457/CEE, 14 déc. 1972 Zojac/CSC-ICI ; TPICE, 6 avril 1995, Tréfileurope sales SARLc/Commission, aff. T-141/89 ; F. CHAPUT, « L’autonomie de la filiale en droit des pratiques anticoncurrentielles », Contrats-concurrence-consommation, 2010, p. 12 ; 57 CJUE, 20 janvier 2011, General Química SA et autres contre Commission européenne, Affaire C-90/09 P ; L. IDOT, « La responsabilité pénale des personnes morales : les leçons du droit européen de la concurrence », Concurrences, 2012, n. 1, p. 60 ; 58 S.R.MILLER & R.M. SANDROCK, « Parental liability for a subsidiary’s antitrust violations under U.S. law », The Antitrust Chronicle, 2009 (1), p. 2;
14
sociétés liées ainsi qu’au principe selon lequel une société et ses actionnaires doivent
être considérés comme des entités distinctes (corporate separateness).59 Le caractère
fondamental de ce principe a été rappelé dans le cadre de l’arrêt Bestfoods de la Cour
Supreme (US Supreme Court).60 Ainsi, aux Etats-Unis, la société mère ne sera en
principe pas poursuivie pour les agissements de sa filiale même lorsqu’elle a le
pouvoir de nommer les administrateurs de la filiale ainsi que ses directeurs, quand les
administrateurs/directeurs de la mère sont les mêmes que ceux de la filiale, ou lorsque
la société mère a un droit de regard sur le plan d’affaires, la performance, les finances
ainsi que l’établissement du budget des investissements. 61
Aucune exception à ce principe fondamental n’est prévue dans les lois antitrust (US
antitrust law). La Cour d'appel fédérale du neuvième circuit62 ainsi que la District
Court de New York ont ainsi jugé que, dans le domaine du droit de la concurrence,
sauf en cas d’allégations de comportement anticoncurrentiel de la part de la société
mère même, il n’y a pas de base pour retenir la responsabilité de la société mère pour
le comportement anticoncurrentiel de sa filiale.63
Ce n’est qu’exceptionnellement qu’une société mère pourra être tenue responsable
des agissements de sa filiale. Cependant la levée du voile social (désignée sous les
vocables « piercing the corporate veil » ou « disregard of the corporate fiction »)
requiert la démonstration d’une unité d’intérêts et d’actifs entre les deux entités telle
que la société mère et sa filiale ne peuvent plus être considérées comme
indépendantes. Ensuite, il faut que le non-respect du principe de la séparation sociale
entre les deux entités soit tellement évident que le fait de ne pas le prendre en
considération engendrerait une fraude ou une injustice.
Pour que la première condition soit remplie il faut prouver un abus manifeste de biens
sociaux. Concrètement il faudra démontrer que : (1) la filiale ne disposait pas de
59 K. Vandekerckhove, Piercing the Corporate Veil: A Transnational Approach (European Company Law), Kluwer Law International, 2007, p. 60; 60 United States vs. Bestfoods, 524 U.S. 51, 61; 61 E. ISLENTYEVA, “Like father like son –The parental liability under the EU Competition law today”, Global Antitrust Review, 2011, p.102 ; 62 Sherman v, British Leyland Motors, Ltd., 601 F.2d 429, 441 (9th Cir. 1979); Arnold Chevrolet LLC v. Tribune Co., 418 F. Supp. 2d 172, 178 (E.D.N.Y. 2006); 63 “in the antitrust context, court have held that absent allegations of anticompetitive conduct by the parent, there is no basis for holding a parent liable for the alleged antitrust violation of its subsidiary”; M. DANY, C. Kass, M. LE MOULLEC & R.S. Rauchberg, “Holding parents liable for their children’s wrongs: The U.S. and E.U. diverge in the corporate governance context, lexology, 2010, p.3 ;
15
suffisamment de capital (2) le non-respect de certaines formalités telles que la
rédaction de procès-verbaux, la nomination d’administrateurs et directeurs, la
séparation des dossiers d’entreprise (3) une confusion exagérée du patrimoine des
sociétés.64
Afin de remplir la deuxième condition il faudra d’une part démontrer que l’existence
de deux sociétés distinctes était manifestement illusoire, et d’autre part prouver qu’eu
égard la mauvaise foi ou l’intention frauduleuse, il serait injuste de ne pas prendre en
compte la vraie relation entre la société mère et sa filiale.
En conclusion, contrairement au droit de la concurrence européen, les lois antitrust
aux Etats-Unis n’acceptent donc pas qu’une société mère puisse être tenue
responsable des agissements anticoncurrentiels de sa filiale en cas de détention (quasi)
totale de son capital.65
2. Droit français 19. Le Conseil de la concurrence 66 a rappelé l’applicabilité du principe
d’imputabilité des pratiques anticoncurrentielles de la filiale à la société mère en
2006 : La jurisprudence considère que la maison-mère est présumée responsable des
pratiques commises par sa filiale à 100 %, sauf pour elle à renverser cette présomption en
démontrant que la filiale disposait d'une autonomie de décision. Les autorités de concurrence
peuvent présumer qu’une filiale à 100 % applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont
données par sa société mère, sans devoir vérifier si la société mère a effectivement exercé ce
pouvoir.., 67
L’autorité de concurrence française semblait appliquer la présomption capitalistique
avec plus de scrupules.
D’une part elle privilégiait l’approche de la double base. De fait, elle ne se contentait
généralement pas d’invoquer la détention de la totalité du capital pour prouver
64 P. NYG, “The liability of multinational corporations for the torts of their subsidiaries”, European business organization Law Review, 2002/3,p. 65. 65 S.R.MILLER & R.M. SANDROCK, « Parental liability for a subsidiary’s antitrust violations under U.S. law », The Antitrust Chronicle, 2009 (1), p. 2. 66 Depuis le 13 janvier 2009 le Conseil de la concurrence a ete remplacé par l’Autorité de la concurrence; 67Décision n° 06-D-07 bis* du 21 mars 2006 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des travaux publics dans la région Ile-de-France; P. PATAT, “L’imputabilité du comportement anticoncurrentiel d’une filiale dont la totalité du capital est détenue par sa société mère, encore et toujours…” Revue Lamy de concurrence, 2008, p. 4/11 ;
16
l’absence d’autonomie de la filiale, mais recherchait d’autres preuves démontrant ce
fait.68 Dans l’optique française, la preuve de l’exercice d’une influence déterminante
devait répondre à la formule « 100% + X» telle que proposée par l’avocat-général
Mischo dans ses conclusions dans l’affaire Bolloré.69
D’autre part, la recherche de la responsabilité éventuelle de la société mère n’était pas
systématique. Ainsi, dans l’affaire Neopost il ressortait de la notification des griefs
que les deux filiales Neopost et Satas étaient des filiales à 100% du groupe Neopost et
qu’elles détenaient une position dominante sur le marché. Cependant le Conseil de la
concurrence n’a pas fait application de la présomption capitalistique et a limité son
analyse au niveau des filiales.70Le Conseil de la concurrence refusait effectivement de
condamner solidairement la société mère et sa filiale.71
Par ailleurs, l’Autorité de la concurrence semblait avoir limité son alignement sur la
jurisprudence européenne dans les cas où elle appliquait les dispositions européennes
en parallèle du droit français. Elle avait consenti être liée par l’appréciation données
par les juges européens d’une question touchant au fond du droit : «La notion
d’entreprise et les règles d’imputabilité relèvent des règles matérielles du droit
communautaire de la concurrence. L’interprétation qu’en donnent les juridictions
communautaires s’impose donc à l’autorité nationale de concurrence lorsqu’elle applique le
droit communautaire, ainsi qu’aux juridictions qui la contrôlent. »72
20. Cette pratique décisionnelle a évolué depuis l’arrêt Akzo, prononcé en 2009.
Désormais, l’Autorité de la concurrence considère que même lorsqu’elle est amenée à
appliquer uniquement les dispositions françaises, dans une situation où une société
mère détient la totalité du capital de sa filiale, il est nécessaire de faire application de
la présomption de responsabilité telle qu’appliquée par les institutions européennes
ainsi que de les condamner solidairement afin d’ «assurer la mise en œuvre de règles
68 F. CHAPUT, « L’autonomie de la filiale en droit des pratiques anticoncurrentielles », Contrats-concurrence-consommation, 2010, p. 12-13 69 P. PATAT, “L’imputabilité du comportement anticoncurrentiel d’une filiale dont la totalité du capital est détenue par sa société mère, encore et toujours…” Revue Lamy de concurrence, 2008, p. 4/11 70 Décision n° 05-D-49 du 28 juillet 2005 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la location entretien des machines d’affranchissement postal ; 71Décision n° 08-D-25 du 29 octobre 2008 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la distribution de produits cosmétiques et d’hygiène corporelle vendus sur conseils pharmaceutiques ; Décision n° 08-D-30 du 4 décembre 2008 relative à des pratiques mises en oeuvre par les sociétés des Pétroles Shell, Esso SAF, Chevron Global Aviation, Total Outre Mer et Total Réunion ; F. CHAPUT, « L’autonomie de la filiale en droit des pratiques anticoncurrentielles », Contrats-concurrence-consommation, 2010, p. 12-13 ; 72Décision n° 09-D-36 du 9 décembre 2009 relative à des pratiques mises en oeuvre par Orange Caraïbe et France Télécom sur différents marchés de services de communications électroniques dans les départements de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane ;
17
d’imputabilité homogènes, et notamment, d’un standard de preuve unique, lorsque l’Autorité
applique le seul droit interne de la concurrence ou lorsqu’elle applique simultanément le
droit interne et le droit communautaire ». 73
Il ressort de la décision précitée que l’Autorité de la concurrence a choisi de quitter le
chemin de la pratique plus pragmatique pour s’engager dans la voie de l’application
rigoureuse de la présomption capitalistique.74
B. Les filiales dont une partie du capital est détenue par la société mère et la technique du faisceau d’indices
1. Droit européen 21. La situation des filiales dont le capital n’est pas totalement détenu par la
société-mère reste incertaine. Comme cela a été évoqué ci-dessus, les instances
européennes ont donné quelques indications quant à l’application de la présomption
capitalistique en cas de détention quasi-totale. Dans l’affaire Wanadoo, la
Commission a invoqué la présomption capitalistique alors que France Telecom ne
détenait que 95% du capital social de Wanadoo. La Commission avait fait application
de la présomption afin de justifier des inspections effectuées auprès de France
Telecom pour des pratiques de Wanadoo après l’acquisition par France Telecom de
95% du capital de cette dernière. Quant au Tribunal, il a expressément fait application
de la présomption de responsabilité de la société mère dans une espèce où cette
dernière détenait 97% du capital du capital social de la filiale.75
22. Cependant, lorsque la société-mère ne détient ni la totalité, ni la quasi-totalité
du capital de la filiale, la présomption capitalistique ne peut trouver application. Dans
cette hypothèse la Commission sera amenée à démontrer que la société-mère a la
possibilité d’exercer un pouvoir sur sa filiale, et qu’elle exerce concrètement ce
pouvoir de direction.76 La Cour de justice a rappelé que, dans une telle hypothèse, la
Commission doit procéder à une analyse in concreto en prenant en considération un 73 Décision n° 11-D-02 du 26 janvier 2011 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la restauration des monuments historiques ; 74 P. PATAT, “L’imputabilité du comportement anticoncurrentiel d’une filiale dont la totalité du capital est détenue par sa société mère, encore et toujours…”, Revue Lamy de concurrence, 2008, p. 5/11 ; 75 Trib. UE, 17 mai 2011, Elf Aquitaine, aff. T-299/09 et Arkema France, aff. T-343/08 ; Trib. UE , 7 juin 2011, Total SA, aff. T-206/06 et Arkema , aff. T-217/06 ; L. IDOT, « La responsabilité pénale des personnes morales : les leçons du droit européen de la concurrence », Concurrences, 2012,n°1, p. 60 ; 76 F. CHAPUT, « L’autonomie de la filiale en droit des pratiques anticoncurrentielles », Contrats-concurrence-consommation, 2010, p. 13 ;
18
faisceau d’indices, c’est-à-dire : « l’ensemble des éléments pertinents propres aux
circonstances de l’espèce, relatifs aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui
unissent la filiale à la société mère. »77
Les autorités utilisent de multiples critères pour déterminer le degré d’autonomie de la
filiale. Parmi les critères retenus, il faut notamment distinguer deux grandes
catégories, d’une part les organes de direction de la filiale et d’autre part la politique
menée par la filiale.78
23. En ce qui concerne les organes de direction de la filiale, les autorités de
concurrence portent une attention particulière à l’occupation de ces postes par les
représentants de la société mère. La détention du capital d’une société permet aux
actionnaires de siéger à l’assemblée générale et par conséquent de nommer les
dirigeants de la filiale. En effet, comme le relève la doctrine, «en pratique, le lien de
dépendance de la filiale se caractérise par la désignation de ses dirigeants, et que bien
souvent, ces personnes occupent également des fonctions importantes au sein de la société
mère. »79 Par conséquent ces personnes agiront conformément à la politique appliquée
par la société-mère afin de garantir les intérêts de cette dernière.80
Cependant une distinction doit être faite entre la situation où tous les postes de
direction de la société contrôlée sont occupées par des représentants de la société
mère, et celle où seule une partie des postes est occupée par des représentants de la
société mère.
Dans la première hypothèse, la Commission a estimé, dans une espèce où tous les
dirigeants de la filiale - détenue à 55% par la société mère - occupaient également des
fonctions importantes auprès de la société-mère81, qu’elles devaient être considérées
comme une entité économique unique.82
77 Trib. U.E, 27 octobre 2010, Alliance One International, Inc., anciennement Standard Commercial Corp. et autres contre Commission européenne, Affaire T-24/05 ; L. IDOT, « La responsabilité pénale des personnes morales : les leçons du droit européen de la concurrence », Concurrences, 2012 n. 1, p. 60 ; 78 L. ARCELIN-LECUYER, « Notion d'entreprise en droit interne et communautaire de la concurrence », JurisClasseur Concurrence Consommation, 2009, Fasc. 35, p. 35 ; 79 M. PARIENTE, « Les groupes de sociétés. Aspects juridiques, social, comptable et fiscal », Litec, 1993, préf. Y Guyon, n°27, p.19 ; 80 L. ARCELIN-LECUYER, « Notion d'entreprise en droit interne et communautaire de la concurrence », JurisClasseur Concurrence Consommation, 2009, Fasc. 35, p. 36 ; 81 Directeurs, administrateurs, ou président ; 82 94/19/CE Décision de la Commission du 21 décembre 1993 relative à une procédure d'application de l'article 86 du traité CE (IV/34.689 - Sea Containers contre Stena Sealink - Mesures provisoires);
19
Dans la seconde hypothèse, les autorités procèdent à une analyse complète de la
composition des différents organes de la filiale. La constatation d’une prééminence de
représentants de la société mère au sein du conseil d’administration de la filiale
mènera généralement à la conclusion que la filiale n’est pas autonome et qu’elles
doivent être considérées comme une seule entreprise au sens du droit de la
concurrence. 83 Finalement l’occupation du poste de président jouera un rôle
déterminant en cas de parité au sein du conseil d’administration. Dans l’affaire Irish
Sugar où la maison-mère détenait 51% du capital de la filiale accusée d’abus de
position, la Commission a ainsi décidé que la filiale devait être considérée comme
autonome parce que : « le nombre d'administrateurs était le même pour les actionnaires A
et les actionnaires B, et le président était indépendant »84
24. L’exercice du pouvoir de direction de la société mère ne se limite pas au
niveau de la gouvernance de la filiale, mais peut également être détecté au niveau
opérationnel. Le Tribunal s’est prononcé en ce sens en 1993, en estimant que le fait « que la société-mère exige la reddition de compte sur ces opérations et sa politique commerciale, sont
des indices de l’absence d’autonomie de la filiale. »85
25. En ce qui concerne la politique de la filiale, il est généralement accepté que la
détention de parts sociales permet à la société mère d’intégrer la gestion de la filiale
dans une politique de groupe.
Dans l’examen des faits, la Commission analyse en premier lieu la politique
commerciale de la filiale car c’est à ce niveau que sont prises les décisions en matière
de concurrence. En ce qui concerne la politique commerciale, il suffit que la société
mère ait mis en place des mécanismes de direction ou de contrôle qui lui permettent
d’avoir une influence sur le comportement commercial général de la filiale. Il n’est
pas nécessaire qu’elle ait dicté le comportement litigieux pour conclure à l’absence
d’autonomie.86
83 L. ARCELIN-LECUYER, « Notion d'entreprise en droit interne et communautaire de la concurrence », JurisClasseur Concurrence Consommation, 2009, Fasc. 35, p. 36 ; 84 97/624/CE: Décision de la Commission du 14 mai 1997 relative à une procédure d'application de l'article 86 du traité CE; 85 TPICE, 1er avril 1993, BPB Industries Plc et British Gypsum Ltd contre Commission des Communautés européennes, Affaire T-65/89 86 TPICE, 12 décembre 2007, Akzo Nobel NV et autres contre Commission, Affaire T-112/05 ;
20
L’absence d’autonomie de la filiale dans la détermination de sa politique financière et
au niveau du domaine technique peut également mener les instances européennes à
conclure à l’absence d’autonomie dans le chef de la filiale.87
2. Droit français 26. Lorsqu’elle est confrontée à une filiale dont le capital n’est pas totalement
détenu par la société mère, les décisions de l’Autorité de la concurrence vont dans la
même direction que celles de la Commission, à cette particularité près qu’elles
semblent être plus sévères quant à la démonstration qui doit être faite de l’absence
d’autonomie. Le Conseil de la concurrence estime qu’il « faut examiner plusieurs
paramètres, parmi lesquels l’importance de la participation financière de la société-mère
dans le capital de la société-contrôlée, les nominations au sein des groupes de direction, la
possibilité pour les organes dirigeants de la société-filiale de déterminer librement une
stratégie industrielle, financière et commerciale pleinement autonome. »88
Quant à la politique commerciale, il a été décidé que l’intervention de la société-mère
dans la passation des contrats conclus entre la filiale et les tiers constitue un critère de
contrôle fort. Le contrôle se manifeste généralement par la rédaction des contrats par
la société mère, par la réserve de validation des contrats ou encore lorsque la société-
mère intervient dans les négociations avec les tiers pour le compte de sa filiale.89
En ce qui concerne la politique financière, la filiale doit être à même d’affecter
librement ses résultats afin de pouvoir être considérée comme autonome. De par sa
personnalité morale, la filiale dispose d’une autonomie patrimoniale. L’autonomie
patrimoniale peut être démentie en cas d’immixtion de la société mère dans le budget
de sa filiale. Tel peut de même être le cas lorsque la société mère aide financièrement
sa filiale. Il a été évoqué dans ce cadre que c’est : « dans une large mesure par le moyen de
la politique financière (octroi de crédit ou de liquidités) que la direction centrale est en mesure de
s’assurer de la bonne volonté des filiales, et les cas échéant de faire pression sur les récalcitrants. »90
87 F. CHAPUT, « L’autonomie de la filiale en droit des pratiques anticoncurrentielles », Contrats-concurrence-consommation, 2010, p. 13 ; 88 Décision n° 07-D-12 du 28 mars 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du chèque-cinéma ; 89 Décision n° 96-D-44 du 18 juin 1996 relative à des pratiques relevées dans le secteur de la publicité ; 90 O. MACH”, L’entreprise et les groupes de sociétés en droit européen de la concurrence, éd. Georg, Genève, 1974, p.228, note 66;
21
Par conséquent, il est tout à fait légitime de déduire que la filiale bénéficiaire de l’aide
sera tenue, en contrepartie, de suivre les directives de la société mère.91
Dans le domaine technique, l’absence d’autonomie se manifeste par un encadrement
strict de l’activité de la filiale par la société mère. Tel peut être le cas lorsque la filiale
ne dispose pas de ses locaux propres, de personnel propre ni de direction propre. Dans
cette situation et lorsqu’elle ne dispose en fait que d’un nom distinct de celui de la
société mère, les tribunaux n’hésitent pas à affirmer que « la création d’une filiale à la
place d’une succursale n’est qu’une stratégie de marché, ne devant en rien préjuger de la dépendance
économique de la filiale. »92
C. La démonstration de l’autonomie de sa filiale par la société-‐mère
1. Réfutation de la présomption capitalistique 27. D’un point de vue théorique, la société mère qui détient la totalité ou la quasi
totalité du capital de sa filiale peut renverser la présomption de responsabilité en
démontrant que cette dernière détermine de manière autonome son comportement sur
le marché. Elle devra rapporter « tout élément relatif aux liens organisationnels,
économiques et juridiques entre elle-même et sa filiale afin de démontrer qu’elles ne
constituent pas une seule entité économique ou entreprise » 93
28. Une jurisprudence constante a qualifié la présomption capitalistique de
réfutable.94 Au-delà de l’affirmation du caractère réfutable de la présomption, en
pratique, il a été constaté qu’aucun des nombreux arguments invoqués par les
entreprises pour tenter de renverser la présomption n’ont été retenus.95 Les arguments
suivants ont notamment été écartés par les autorités européennes et françaises : « Le
fait de choisir des conseillers juridiques différents et d’envoyer des déclarations
91 L. ARCELIN-LECUYER, « Notion d'entreprise en droit interne et communautaire de la concurrence », JurisClasseur Concurrence Consommation, 2009, Fasc. 35, p. 39 ; 92 Cour d'appel de Paris, 1re chambre, section Concurrence, 4 juillet 1994 ; 69/195/CEE: Décision de la Commission, du 18 juin 1969, relative à une demande d'attestation négative (affaire IV/22548 - Christiani & Nielsen) (Le texte en langue néerlandaise est le seul faisant foi) ; F. CHAPUT, « L’autonomie de la filiale en droit des pratiques anticoncurrentielles », Contrats-concurrence-consommation, 2010, p. 13 ; L. ARCELIN-LECUYER, « Notion d'entreprise en droit interne et communautaire de la concurrence », JurisClasseur Concurrence Consommation, 2009, Fasc. 35, p. 39 ; 93 Trib. UE, 27 juin 2012, Bolloré contre Commission européenne, Affaire T-372/10; G. DECOCQ, « La société mère est présumée responsable des pratiques anticoncurrentielles commises par ses filiales détenues directement ou indirectement à 100%”, Bulletin Joly sociétés, Avril 2011, p. 6/8 ; 94TPICE, 12 décembre 2007, Akzo Nobel NV et autres contre Commission des Communautés européennes, Affaire T-112/05 ; 95 M.DEBROUX, « Sanction des cartels en droit communautaire : Définition et conséquences d’une “responsabilité de groupe”, Concurrences, n.1 2008, p. 5 ;
22
indépendantes au cours de la procédure; le fait que le chiffre d’affaires de la filiale
représente une part infime du chiffre d’affaires du groupe, le fait qu'une filiale dispose de sa
propre direction locale et de ses propres moyens96, le rôle minimal joué par la société mère
compte tenu de la taille du groupe ainsi que le fait qu’il ait des filiales intermédiaires entre la
société mère et la filiale, le fait que l’obligation de rapportage entre la filiale et la société
mère était limitée à la situation financière de la filiale « 97
Les éléments qui pourraient concourir à la preuve de l’autonomie de la filiale sont par
exemple « des organes de direction complètement distincts ; l’octroi aux dirigeants de la filiale des
pouvoirs les plus étendus pour agir en toutes circonstances en son nom ; l’existence d’une délégation
de pouvoirs de gestion de la société mère vers la filiale, étant précisé que les conditions de cette
délégation sont strictement encadrées et qu’elle doit entraîner un transfert total du pouvoir
décisionnel, sur le plan financier, économique, au profit des dirigeants de l’entité délégataire ; le fait
que la filiale dispose de ses propres services (service commercial, marketing, ressources humaines,
informatique, comptabilité, juridique, fiscal, assurances, etc.). » 98Il a été souligné par certains
auteurs que l’analyse des éléments de preuve invoqués par les entreprises dans leurs
tentatives de réfuter la présomption capitalistique est à géométrie variable. Un même
argument invoqué par une société mère dans un certain contexte peut être considéré
comme un élément favorisant la constatation de l’autonomie de la filiale, tandis que
ce même argument peut dans un autre contexte être vu comme la preuve de l’exercice
d’une influence déterminante de la société mère.99
29. On attend des sociétés mères qu’elles démontrent qu’elles n’ont pas fait usage
de leur pouvoir de direction sur leur filiale. La présomption capitalistique est donc
très difficile à renverser car la société mère doit apporter la preuve d’un fait négatif.100
Il a régulièrement été invoqué qu’il s’agissait d’une preuve impossible (probatio
diabolica) et que la présomption était de fait irréfragable puisqu’il est de l’essence
même du groupe d’avoir un droit de regard sur la filiale. 101 Cependant dans l’arrêt Elf
96 TPICE9 septembre 2011, Alliance One International, Inc. contre Commission européenne, Affaire T-25/06 ; 97 Pour une analyse complète des arguments non retenus voir : E. ISLENTYEVA, Like father like son –The parental liability under the EU Competition law today, http://www.icc.qmul.ac.uk/GAR/GAR2011/GAR%20journal%202011_6_islentyeva.pdf; R. BURNLEY, “Group Liability for Antitrust Infringements: Responsibility and Accountability”, World Competition Journal, Volume 33, Issue 4, December 2010, p. 603 ; 98 P. PATAT, “L’imputabilité du comportement anticoncurrentiel d’une filiale dont la totalité du capital est détenue par sa société mère, encore et toujours…”, Revue Lamy de concurrence, 2008, p. 10/11 99 P. PATAT, “L’imputabilité du comportement anticoncurrentiel d’une filiale dont la totalité du capital est détenue par sa société mère, encore et toujours…”, Revue Lamy de concurrence, 2008, p. 10/11 ; R. BURNLEY, “Group Liability for Antitrust Infringements: Responsibility and Accountability”, World Competition Journal, Volume 33, Issue 4, December 2010, p. 603 100 L. ARCELIN, « La responsabilité de la société mère du fait des agissements de sa filiale : une présomption devenue irréfragable ? », in Les actes des ateliers : imputabilité, sanctions, groupe (atelier du 30 mars 2010), DGCCRF, p. 7 ; 101A. SVETLICINII & N. SAD, « Parental liability for the antitrust infringement of subsidiaries : A rebuttalbe presumption or probatio diabolica ? », European Law Reporter, 2010, p.292 ; L. ARCELIN, « La responsabilité de la société mère du fait des
23
Aquitaine la Cour de justice a fermement confirmé le caractère simple de la
présomption.102
30. Le caractère réfutable de la présomption est en effet d’une importance
essentielle du point de vue de la garantie des droits de la défense.103 Même si la Cour
européenne des droits de l’homme (ci-après CEDH) n’a jamais eu l’occasion de se
prononcer quant à la nature des amendes infligées par la Commission104, il semble
peu discutable qu’elles doivent être considérées comme appartenant au domaine
pénal. En ce qui concerne l’application de présomptions en matière pénale, il ressort
de la jurisprudence de la CEDH “qu’une présomption, même difficile à renverser, demeure
dans des limites acceptables tant qu’elle est proportionnée au but légitime poursuivi,
qu’existe la possibilité d’apporter la preuve contraire et que les droits de la défense sont
assurés”105. A l’occasion de l’arrêt Elf Aquitaine, la Cour de justice a reconnu la
difficulté pour une entreprise d’apporter la preuve contraire afin de renverser la
présomption capitalistique, tout en insistant sur le fait que cette difficulté ne peut être
considérée comme une négation de son caractère réfutable.
31. Plusieurs avocats généraux se sont penchés sur la question de la compatibilité
de la présomption capitalistique avec la présomption d’innocence. L’avocat-général
Kokkot a défendu dans ses conclusions dans l’affaire Akzo en 2009 la thèse selon
laquelle l’application de la présomption de responsabilité ne porte pas atteinte au
principe de la présomption d’innocence. Selon elle, l’application de cette dernière
présomption n’entraîne pas de renversement de la charge de la preuve incompatible
avec la présomption d’innocence. La présomption de responsabilité concerne, selon
l’avocat général, uniquement le niveau de la preuve et non la charge de la preuve, qui
incombe toujours à la Commission, même si cette charge est allégée par la
présomption.106 L’avocat-général Bot a adopté une opinion différente à l’occasion de
l’affaire Arcellor Mittal, estimant que : « la présomption de responsabilité en cause allège
considérablement la charge de la preuve incombant à la Commission et oblige les sociétés
mères à produire des éléments de preuve suffisants afin de renverser cette présomption. Ce agissements de sa filiale : une présomption devenue irréfragable ? », in Les actes des ateliers : imputabilité, sanctions, groupe (atelier du 30 mars 2010), DGCCRF, p. 7 ; 102 CJUE, 29 septembre 2011, Elf Aquitaine SA contre Commission européenne, Affaire C-521/09 P ; 103 Conclusions de l’avocat général M. Ján Mazák présentées le 14 septembre 2010 ; 104 La CEDH n’a pas de competence pour juger des actes des insitutions de l’Union europeenne. 105 Cour eur. D. H., arrêt Janosevic c. Suède du 23 juillet 2002, Recueil des arrêts et décisions 2002VII, § 101 et suivants 106Conclusions de l’avocat général, Mme Juliane Kokott, présentées le 23 avril 2009, dans l’affaire Akzo Nobel NV e.a. contre Commission des Communautés européennes, Affaire C97/08 P
24
renversement de la charge de la preuve affecte indubitablement les droits de la défense des
entreprises”.107 La Cour de justice n’a cependant pas voulu rentrer dans ce débat et
s’est limitée à une confirmation de la jurisprudence Akzo.
32. Cependant la question a également été traitée par différents praticiens du droit
de la concurrence, qui insistent quant à eux sur le fait que la question essentielle est de
savoir s’il est acceptable qu’une entité morale puisse être punie pour les agissements
d’une autre entité morale ? Bien que cette question ait été tranchée depuis longtemps
par les juridictions européennes - depuis l’arrêt AEG Telefunken -, la doctrine met en
évidence le fait qu’il n’y a que dans le domaine du droit de la concurrence qu’on
conclut aussi aisément à la responsabilité de la société mère pour les agissements de
la filiale.
Ces auteurs comparent le régime de la présomption de responsabilité avec la théorie
de la levée du voile social. Ils constatent qu’en droit national, la levée du voile social
n’est généralement acceptée que dans des circonstances exceptionnelles telles que :
immixtion intensive de la société mère dans les affaires de la filiale, faillite de la
filiale causée par la société mère, abus ou fraude dans l’exploitation de la filiale. 108
Ces auteurs évoquent également une étude effectuée aux Pays-Bas concernant la
responsabilité des sociétés mères pour des violations des droits de l’homme commises
par leurs filiales. Il ressort de cette étude que, même dans une telle hypothèse, la
société mère n’est en principe responsable que de ses propres agissements, sauf
lorsque les liens entre la société mère et la filiale sont étroits. Dans ces circonstances,
la société mère sera uniquement tenue responsable des actes de sa filiale lorsqu’elle
adopte une attitude passive quant au comportement de sa filiale et qu’elle n’intervient
pas afin de prévenir ces violations des droits de l’homme, ou en cas de participation
indirecte de la société mère aux violations lorsque les représentants de la société mère
siègent dans le conseil d’administration de la filiale. Plus l’emprise de la société mère
sur sa filiale est importante, plus grande sera la probabilité qu’elle soit tenue
responsable du comportement de sa filiale.109
107Conclusions de l’avocat général, M. Yves Bot, présentées le 26 octobre 2010, ArcelorMittal Luxembourg SA, contre Commission européenne et Commission européenne (C‑216/09 P); 108 M. BRONCKERS & A. VALLERY, “ No longer presumed guilty ? The Impact of fundamental rights on certain dogmas of EU Competition law”, World Competition law 34, n.4, 2011, p. 551; 109 Rapport 'De juridische verantwoordelijkheid van Nederlandse moederbedrijven voor de betrokkenheid van dochters bij schendingen van fundamentele, internationaal erkende rechten' van prof.dr. A. G. Castermans en Dr. J.A. van der Weide van Universiteit Leiden (bijlage bij 26485, nr. 81), http://www.parlementairemonitor.nl/9353000/1/j9vvij5epmj1ey0/vibl8vaz64zp;
25
33. Si la présomption capitalistique simplifie considérablement la tâche de la
Commission, elle ne la dispense toutefois pas de répondre de façon circonstanciée aux
arguments soulevés par les sociétés mères pour tenter de renverser cette présomption.
Dans le cadre de ce débat, il est intéressant de mentionner les arrêts Air Liquide110 et
Edison 111 du Tribunal dans lesquels les décisions de la Commission quant à
l’application de la présomption de responsabilité ont été annulées. Le Tribunal a jugé
dans ses affaires que la Commission avait manqué à son obligation de motivation sous
l’article 253 TFUE en « n’ayant pas pris une position circonstanciée sur les éléments de
preuve apportés par la requérante afin de renverser la présomption. » Dans les affaires en
question, les sociétés mères avaient apporté des preuves détaillées et documentées
afin de démontrer l’autonomie structurelle et décisionnelle de leurs filiales détenues à
100%.112
Dans le cadre de ce mouvement jurisprudentiel relatif à l’étendue du devoir de
motivation de la Commission, il est également intéressant d’évoquer l’arrêt Elf
Aquitaine.113 La Cour de justice a effectivement annulé l’arrêt du Tribunal en lui
reprochant de ne pas avoir porté une attention particulière à l’intensité du devoir de
motivation incombant à la Commission dans ses réponses aux preuves apportées par
la société mère afin de renverser la présomption de responsabilité. La Cour a reconnu
dans cet arrêt qu’une distinction devait être faite entre la motivation de l’imputation
de l’infraction de la filiale à la société mère et l’obligation de motivation de la
Commission dans la phase que l’on pourrait qualifier de post-imputation. Dans la
première phase, la Commission peut se contenter de démontrer le lien capitalistique
entre la société mère et la filiale, sans invoquer aucun autre motif. Comme déjà
mentionné ci-dessus la tâche de la Commission est fortement allégée quant à la
preuve de l’exercice de l’influence déterminante de la société mère sur sa filiale. Par
contre, lorsque l’application de cette présomption est contestée par la société mère, la
Commission ne peut se contenter « d’une série de simples affirmations et négations,
répétitives et nullement circonstanciées. »114 La Cour a reconnu dans cet arrêt qu’une telle
110 Trib. UE ,16 juin 2011,L’Air liquide, société anonyme pour l’étude et l’exploitation des procédés Georges Claude contre Commission européenne, Affaire T-185/06 ; 111 Trib. UE,16 juin 2011, Edison SpA contre Commission européenne, Affaire T-196/06 ; 112 J. ROBINSON, J. RHEUBEN, “ Parental liability presumption under EU competition rules can be rebutted but significant evidence needs to be provided” (consultable à l’adresse suivante: http://www.lexology.com/library/detail.aspx?g=92ee779a-3284-4a4e-81ca-74ae6c003e41); 113 CJUE, 29 septembre 2011, Elf Aquitaine SA contre Commission européenne, Affaire C-521/09 P ;
26
réponse de la Commission ne peut être considérée comme une motivation suffisante
au regard de l’article 253 TFUE. Lorsque la société mère invoque plusieurs arguments
détaillés et documentés quant à son organisation économique, hiérarchique et
juridique afin de démontrer que sa filiale déterminait de manière autonome son
comportement sur le marché, au moment des faits en cause, la Commission doit
véritablement motiver son rejet des preuves contraires.
Il y a lieu de souligner que cette obligation de motivation renforcée invoquée par la
Cour de justice dans l’affaire Elf Aquitaine est justifiée par l’existence de
circonstances particulières. La Commission avait en effet changé sa pratique
décisionnelle à l’égard d’Elf Aquitaine. Dans une décision en date du 10 décembre
2003 la Commission avait décidé de sanctionner uniquement la filiale d’Elf Aquitaine
(Atofina SA) et ne pas appliquer la présomption capitalistique à l’égard d’Elf
Aquitaine. Par contre, moins de 5 mois plus tard (le 7 avril 2004), dans un autre
dossier la Commission a dirigé sa communication de griefs à la société mère (Elf
Aquitaine) ainsi que à sa filiale (Atofina SA devenu plus tard Arkema SA) et elles se
sont vu infliger, conjointement et solidairement une amende de 45 millions d’euros le
19 janvier 2005. Par conséquent, en l’espace de quelques mois, dans des affaires tout
à fait similaires, la société mère s’est vue imputer la responsabilité du comportement
infractionnel de sa filiale dans un cas et non dans l’autre.
Bien que la Cour de justice ait insisté sur le fait que ce soit le changement de pratique
décisionnelle à l’égard de la société mère qui justifie l’existence d’une obligation de
motivation renforcée, elle a également fait référence aux autres circonstances de
l’espèce. Il s’agissait plus particulièrement de la possibilité pour la Commission
d’augmenter considérablement le niveau de l’amende, du fait que les droits de défense
de la société mère risquent d’être mis en péril lorsqu’elle prend tardivement
connaissance de la possible application de la présomption de responsabilité à son
égard, et finalement du fait que la société mère avance des preuves détaillées et
documentées relatives aux aspects économiques, organisationnels et juridiques de sa
filiale afin de démontrer l’autonomie de cette dernière au moment des faits reprochés.
Sans le dire explicitement, cet arrêt semble signifier que l’obligation de motivation
renforcée à l’égard de la Commission s’applique dans la majorité des cas où la
présomption de responsabilité est contestée, notamment dans la mesure où les autres
27
circonstances sont souvent présentes dans les affaires d’ententes.115
2. Preuve de l’autonomie totale de la filiale
34. Dans le cas où la présomption capitalistique ne joue pas mais que les autorités
ont réussi a démontré moyennant d’autres éléments que la société mère exerce une
influence déterminante sur sa filiale, il reviendra à cette première de démonter le
contraire. Comme nous l’avons examiné ci-dessus, il s’agit d’une analyse factuelle
dans le cadre de laquelle un même élément peut être considéré comme une
manifestation de l’autonomie de la filiale dans un contexte particulier, ou comme un
signe d’influence décisive de la société mère dans un autre contexte. Il reviendra à la
société mère de prouver qu’elle n’a pas de pouvoir de direction sur la filiale ou bien
qu’elle dispose théoriquement de pouvoir de direction mais qu’en pratique la filiale
est totalement autonome. Il est donc d’une importance primordiale pour la société
mère d’étayer ses dires par des documents tels que des contrats, des notes internes,
des procès-verbaux de conseil d’administration, comptes rendus de réunions, factures,
bulletins de paie, etc. 116 Cette remarque est également valable pour les sociétés mères
détentrices de la (quasi) totalité du capital de leur filiale.
La responsabilité de la société mère n’est toutefois pas fondée sur le fait qu’elle ait
instigué ou non sa filiale à tenir le comportement incriminé. Par conséquent la société
mère peut être tenue responsable du comportement de sa filiale même si la première
n’a pas participé au comportement incriminé, lorsqu’elle n’a pas incité sa filiale à y
participer et même si elle avait explicitement interdit ce genre de comportent. 117
D. La question de l’imputabilité en cas de cession de la filiale 35. La question de l’imputabilité de l’infraction est d’une importance cruciale
quand la filiale qui participe à l’infraction change de contrôle avant, après ou pendant
la période d’infraction. L’identification des responsables en cas de restructuration
d’entreprise a commencé à susciter l’intérêt des juridictions européennes pendant les
115 V. TERRIEN, « Droit de la concurrence : la présomption de responsabilité frappant les sociétés mères », Journal de Droit européen, 2012, n°185, p. 5-7 ; 116 P. PATAT, “L’imputabilité du comportement anticoncurrentiel d’une filiale dont la totalité du capital est détenue par sa société mère, encore et toujours…”, Revue Lamy de concurrence, 2008, p. 10/11 ; 117 C. LE CORRE et E. DAOUD, « La présomption d’influence déterminante : l’imputabilité à la société mère des pratiques anticoncurrentielles de sa filiale », Revue Lamy du droit des affaires, 2012, p. 5/8 ;
28
années ’80. A partir des années ‘90 les autorités de la concurrence ont été confrontées
à une multiplication des restructurations et concentrations. La question était d’autant
plus d’importance du fait que les juridictions européennes ont qualifié les ententes
d’infraction unique, complexe et continue, 118 ce qui amenait les autorités de
concurrence à sanctionner des ententes qui pouvaient s’étendre sur plusieurs
décennies. Seulement, la durée des procédures excède parfois l’espérance de vie des
acteurs économiques.119 Par conséquent le périmètre de l’entreprise responsable peut
évoluer au cours du temps et les autorités de concurrence sont souvent amenées à
identifier, pour une infraction donnée, plusieurs périodes de responsabilités distinctes.
En fonction des circonstances particulières de chaque cas d’espèce, l’infraction peut
être imputée à l’acquéreur, au cédant, à chacune des parties ou uniquement à la filiale
qui a directement participé à l’infraction. La réponse à cette question dépend du
moment de changement de contrôle et plus particulièrement du fait de savoir si le
changement de contrôle a lieu avant (1.), après (2.) ou en cours d’infraction (3.). 120
1. Changement de contrôle antérieur à l’infraction commise 36. Quand la cession de la filiale a lieu avant la commission de l’infraction, elle
sera imputée à la société mère qui acquiert la filiale lorsque la filiale ne détermine pas
de façon autonome son comportement sur le marché et qu’elle suit essentiellement les
directives de la société mère. La société mère cédante ne risque pas d’être tenue
responsable du comportement pour le comportement anticoncurrentiel de sa filiale
postérieur à la cession. A ce moment elle ne peut en effet exercer aucune influence
sur la filiale. 121
2. Changement de contrôle postérieur à l’infraction commise 37. Lorsque la cession intervient après la période d’infraction, elle pourra être
imputée à la filiale si elle déterminait de façon autonome son comportement sur le
118 CJCE, 8 juillet 1999, Commission des Communautés européennes contre Anic Partecipazioni SpA, Affaire C-49/92 ; 119 L. IDOT, « La responsabilité pénale des personnes morales : les leçons du droit européen de la concurrence », Concurrences, 2012, n. 1, p. 57 ; 120 M. PITTIE et P. HONORE « L’imputabilité des infractions et plafond légal des amendes en droit européen de la concurrence », CDE 2012, livre 1, p. 101 : 121 M. PITTIE et P. HONORE « L’imputabilité des infractions et plafond légal des amendes en droit européen de la concurrence », CDE 2012, livre 1, p. 107 ;
29
marché. La société mère cédante et la filiale peuvent être condamnées solidairement
lorsque la première exerçait une influence déterminante sur sa filiale au moment des
faits incriminés. L’infraction sera imputée à la société mère même dans l’hypothèse
où la filiale a été transférée à une autre entreprise au jour de l’adoption de la
décision.122
La société mère qui acquiert la filiale et qui exerce une influence déterminante sur
cette dernière après la cession ne peut en principe être tenue responsable du
comportement anticoncurrentiel de cette filiale antérieur à la cession. Cette solution
est logique et ne résulte ni plus ni moins que de l’application du principe de la
responsabilité personnelle.
38. En pratique ce principe connaît une exception, nommée le critère de la
continuité économique. Il s’agit de la situation dans laquelle il est nécessaire
d’imputer l’infraction commise par la filiale antérieurement à la cession, non à la
société mère qui l’exploitait au moment des faits incriminés, mais à la société mère
qui l’a acquise. Le critère de la continuité économique vise à éviter que les
dispositions qui sanctionnent le comportement anticoncurrentiel ne soient privées de
leur effet utile. L’avocat général Kokott explique dans ses conclusions pour l’affaire
ETI que la sanction de l’infraction anticoncurrentielle risque de manquer d’effet utile
quand l’exploitant initial de l’entreprise n’existe plus ou qu’il n’exerce plus d’activité
économique notable. Dans ces situations, l’application stricte du principe de la
responsabilité personnelle priverait les sanctions de leur sens et de leur finalité, qui
sont de mettre en œuvre les règles de la concurrence de manière efficace.123
L’imputation de l’infraction anticoncurrentielle à la nouvelle société mère est
soumise à la condition que cette dernière continue à exploiter l’entreprise impliquée
dans l’entente (critère de la continuité économique).
Il faut en outre que des circonstances particulières justifient que l’on fasse
abstraction du principe de la responsabilité personnelle. À cet effet, la jurisprudence
a dégagé en substance deux catégories de cas. Premièrement, celui où les
modifications juridiques n’impliquent que la société mère initiale. Dans cette
hypothèse une nouvelle distinction peut être faite entre le cas où la société mère
122 CJCE, 16 novembre 2000,Cascades SA contre Commission des Communautés européennes, Affaire C-279/98 P ; 123 Conclusions de l'avocat général Kokott présentées le 3 juillet 2007, Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato contre Ente tabacchi italiani - ETI SpA et autres et Philip Morris Products SA et autres contre Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato et autres, Affaire C-280/06 ;
30
change de forme juridique ou de nom, ainsi que le cas où la société mère renonce à
sa personnalité juridique au profit d’une autre personne morale qui lui succède dans
ses droits (par exemple en cas de fusion).
Deuxièmement, dans les cas de restructurations à l’intérieur d’un groupe de sociétés
quand la société mère continue d’avoir une existence juridique mais a cessé toute
activité économique. Cette solution a été appliquée par le Tribunal dans l’affaire
Arcelor Mittal. Il s’agissait d’une filiale qui avait repris les activités de production de
la société mère transformée en holding. Le Tribunal a jugé qu’ « en effet, en cas de
transfert de tout ou partie des activités économiques d'une entité juridique à une autre, la
responsabilité de l'infraction commise par l'exploitant initial, dans le cadre des activités en question,
peut être imputée au nouvel exploitant si celui-ci constitue avec celui-là une même entité économique
aux fins de l'application des règles de concurrence, et ce même si l'exploitant initial existe encore en
tant qu'entité juridique. » Cette solution est justifiée par la nécessité de lutter contre les
abus et pour éviter que l’exploitant initial ne devienne qu’une coquille vide.124
L’application du critère de la continuité économique en cas de transfert de la filiale à
une nouvelle entité avec laquelle il n’existe pas de liens est enfermée dans des limites
particulièrement étroites. Le recours au critère de la continuité économique et,
partant, l’imputation des ententes au nouvel exploitant ne devraient être admis que si
la filiale a été transmise à la nouvelle entité avec l’intention d’échapper aux sanctions
prévues par le droit des ententes. En revanche, lorsque l’élément d’abus n’est pas
présent et que la filiale a été transférée aux conditions du marché, le recours au
critère de la continuité économique ne devrait pas être envisagé.125
3. Changement de contrôle en cours d’infraction 39. La question de l’imputabilité des infractions anticoncurrentielles devient
encore plus complexe lorsqu’elle concerne une infraction commise par une filiale
dont l’actionnariat a évolué entre la date du début de l’infraction et le moment où la
décision est prise par la Commission. Dans cette hypothèse l’imputabilité de
124 TPICE, 31 mars 2009, ArcelorMittal Luxembourg SA, ArcelorMittal Belval & Differdange SA et ArcelorMittal International SA contre Commission des Communautés européennes, Affaire T-405/06 ; L. IDOT, « La responsabilité pénale des personnes morales : les leçons du droit européen de la concurrence », Concurrences, 2012 n. 1, p. 69 ; 125 Conclusions de l'avocat général Kokott présentées le 3 juillet 2007, Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato contre Ente tabacchi italiani - ETI SpA et autres et Philip Morris Products SA et autres contre Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato et autres, Affaire C-280/06 ; M. PITTIE et P. HONORE « L’imputabilité des infractions et plafond légal des amendes en droit européen de la concurrence », CDE 2012, livre 1, p. 108 ;
31
l’infraction peut être répartie entre la société mère cédante et la société mère qui
acquiert la filiale en fonction de la date de changement de contrôle.
Cependant il s’agit d’une simple possibilité pour les autorités de concurrence qui
peuvent choisir de ne sanctionner que la filiale qui a directement participé à
l’infraction. Dans l’affaire des banques autrichiennes, la Tribunal a rappelé qu’en cas
de succession économique dans le contrôle de la filiale “la Commission peut imputer le
comportement de la filiale à l’ancienne société mère pour la période antérieure à la cession et à la
nouvelle société mère pour la suite, elle n’est pas tenue de le faire et peut choisir de ne sanctionner que
la filiale pour son propre comportement”.126
III. Conséquences de l’exercice d’une influence déterminante de la société mère sur le comportement de sa filiale 40. La possibilité d’imputer le comportement anticoncurrentiel de la filiale à la
société mère a des répercussions sur la situation des entreprises poursuivies (A.) ainsi
que pour les autorités de concurrence (B.).
A. Conséquences pour les entreprises 41. L’imputation du comportement anticoncurrentiel de la filiale à la société mère
a des conséquences immédiates quant à l’amende prononcée (1.). L’implication de la
société mère permet en effet aux autorités d’augmenter le plafond de l’amende (a.), de
plus, elles ont la possibilité de solliciter une poche profonde en ce qui concerne son
paiement (b.). A plus long terme la condamnation solidaire peut avoir pour
conséquences de multiplier les situations de récidive (2.).
126 TPICE, 14 décembre 2006, Raiffeisen Zentralbank Österreich AG et autres contre Commission des Communautés européennes, Affaires jointes T-259/02 à T-264/02 et T-271/02 ; E. Barbier de La Serre, “Imputabilité des infractions en cas d'acquisition suivie d'une fusion”, Revue Lamy de la Concurrence : droit, économie, régulation, 2007, nº 11 p. 34-35 ;
32
1. Conséquences immédiates
a) Conséquences quant au calcul de l’amende 42. L’implication de la société mère (et par conséquent la présence d’un groupe de
sociétés) peut directement affecter le montant de l’amende prononcée. La
détermination du montant de l’amende est un processus en plusieurs étapes dont la
première consiste à fixer le montant de base. Ce montant de base est ensuite ajusté ou
individualisé en fonction d’éventuelles circonstances atténuantes127 et aggravantes128.
Les autorités de concurrence peuvent également décider d’augmenter l’amende en
vue d’en assurer le caractère dissuasif. Elles devront également tenir compte de la
présence d’un groupe de sociétés pour déterminer le seuil maximal légal de l’amende.
Finalement la présence d’un groupe de sociétés est un des éléments qui sera pris en
compte dans le cadre de l’analyse de l’absence de capacité contributive d’une
entreprise.
43. Les lignes directrices pour le calcul de l’amende datant de 2006 prévoient que
le montant de base est déterminé en fonction du pourcentage du montant des ventes
affectées par la pratique, déterminé par la gravité et la durée de l’infraction. En droit
français le montant de base sera déterminé par la gravité et l’importance du dommage
causé à l’économie. 129
44. Pour les ajustements du montant de base, il est prévu dans le point 28 des
lignes directrices de 2006 que le montant de base de l'amende peut être augmenté
lorsque la Commission constate l'existence de circonstances aggravantes telles que la
situation de récidive. Une disposition similaire est prévue au point 50 du
Communiqué de l’Autorité de la concurrence relatif à la méthode de détermination
des sanctions pécuniaires. La situation de récidive en présence d’un groupe de
sociétés sera développée plus loin dans ce travail.
Ensuite la présence d’un groupe de sociétés peut mener la Commission à majorer le
montant de départ par un coefficient multiplicateur. La prise en compte d’un facteur
multiplicateur en présence d’un groupe de sociétés a pour objectif d’assurer que
127 circonstances atténuantes sont rarement accordées. Ont été écartées le statut de victime, le fait d’hériter d’une entente secrète; 128 circonstances aggravantes: le rôle de meneur, fourniture de renseignements inexacts, la récidive. 129 Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) no 1/2003, point 19 ; Communiqué relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires du 16 mai 2011, point 22 ;
33
l’amende aura un effet suffisamment dissuasif. Il s’agit de la consécration textuelle
d’une pratique décisionnelle de la Commission qui consistait à augmenter l’amende
d’une entreprise dont le chiffre d’affaires est particulièrement important.130
Cependant il convient de mentionner qu’il n’y a pas de pratique uniforme quant à
l’application du facteur multiplicateur. A titre d’exemple on peut mentionner la
décision AMCA dans le cadre de laquelle la Commission a décidé de limiter l’effet
dissuasif de l’amende pour la période pendant laquelle la société mère était supposée
avoir exercé le contrôle de la politique de sa filiale,131 tandis que dans la décision
Bitumes elle a appliqué le facteur multiplicateur à la totalité de la période, incluant la
période pendant laquelle la filiale n’était pas encore sous le contrôle de la société
mère. La Commission a justifié son choix en invoquant que « l’effet dissuasif joue pour le
futur et doit donc être apprécié à l’aune de la taille du groupe telle qu’elle résulte des données les plus
récentes par rapport à la date de la décision. » 132 Au niveau français, le communiqué relatif à la méthode de détermination des
sanctions pécuniaires du 16 mai 2011 prévoit au point 49 que l’appartenance à un
groupe de sociétés sera prise en compte dans le cadre de l’individualisation du
montant de base.133
La présence d’un groupe d’entreprise sera également prise en compte quant à la
détermination du plafond de l’amende. Cet ajustement est admis depuis le règlement
n°17/62, article 15§2 et a été repris à l’article 23§2 du règlement n°1/2003 dans lequel
il est prévu que l’amende est limitée pour chaque entreprise concernée à un plafond
fixé à 10% du chiffre d’affaires total réalisé au cours de l’exercice social précédent.
Se fondant sur la notion d’entreprise, la Cour de justice a jugé que le plafond de
l’amende devait être calculé sur base du chiffre d’affaires du groupe de sociétés dans
son ensemble.134 La même règle est prévue en droit français, à la différence qu’elle
n’est pas d’origine jurisprudentielle. C’est en effet la loi sur les nouvelles régulations
économiques du 15 mai 2001 qui a introduit cette limite quant au plafond des
amendes afin de mieux adapter les sanctions pécuniaires aux pratiques mises en 130 http://leconcurrentialiste.com/2012/05/05/laspect-dissuasif-des-sanctions-en-droit-communautaire-de-la-concurrence/ 131 2006/897/CE: Décision de la Commission du 19 janvier 2005 relative à une procédure de l'article 81 du traité CE et de l'article 53 de l'accord EEE à l'encontre de Akzo Nobel NV, Akzo Nobel Nederland BV, Akzo Nobel Chemicals BV, Akzo Nobel Functional Chemicals BV, Akzo Nobel Base Chemicals AB, Eka Chemicals AB, Akzo Nobel AB, Atofina SA, Elf Aquitaine SA, Hoechst AG, Clariant GmbH, Clariant AG (Affaire C.37.773 — AMCA) 132 C (2006) 4090 :Décision de la Commission, du 13 septembre 2006, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] [Affaire COMP/F/38.456 – Bitume (Pays-Bas); M.DEBROUX, « Sanction des cartels en droit communautaire : Définition et conséquences d’une “responsabilité de groupe”, Concurrences n.1 2008, p.9; 133 L. IDOT, « La responsabilité pénale des personnes morales : les leçons du droit européen de la concurrence », Concurrences, 2012 n. 1, p. 65 134 CJCE, 7 juin 1983, SA Musique Diffusion française et autres contre Commission des Communautés européennes, Affaires jointes 100 à 103/8
34
œuvre par des groupes.135 Cette même loi relativise également l’importance de la
démonstration de l’autonomie d’une société filiale faisant partie d’un groupe dont les
comptes sont consolidés. Elle prévoit en effet que : « Si les comptes de l'entreprise
concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre
d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise
consolidante ou combinante ». Par conséquent le fait que la filiale soit jugée autonome et
qu’elle constitue à elle seule l’entreprise, ne sera pas suffisant pour limiter le plafond
de la sanction à son seul chiffre d’affaires.136
La présence d’un groupe de sociétés sera finalement un des éléments qui sera pris en
compte dans le cadre d’une procédure dite d’inability to pay. Cette procédure consiste
à prendre en compte l’absence de capacité contributive d'une entreprise, afin de
diminuer le montant de l’amende infligé. Une réduction ne pourra être accordée que
lorsqu’il est objectivement prouvé que l'imposition d'une amende, dans les conditions
fixées par les lignes directrices, mettrait irrémédiablement en danger la viabilité
économique de l'entreprise concernée et conduirait à priver ses actifs de toute valeur.
En droit français le communiqué du 16 mai 2011 précité prévoit également la
possibilité de réduire le montant infligé en cas d’absence de capacité contributive. 137
b) Conséquences quant au débiteur de l’amende 45. Quand la Commission décide d’imputer le comportement de la filiale à la
société mère, elle adresse cette décision à l’ensemble des personnes juridiques mises
en cause et retient leur responsabilité conjointe et solidaire. Il s’agit encore d’un
ancien principe138, qui a été mis en pratique par la Commission de façon régulière à
partir des années 2000.139
Il convient de préciser que la responsabilité conjointe et solidaire est souvent partielle
et se limite à la période pendant laquelle la société mère exerçait, ou était présumée
exercer, une influence déterminante sur la filiale. Concrètement, il s’agit de la
situation dans laquelle une société indépendante devient filiale, ou à l’inverse une
135 Article L464-2, Modifié par Loi n°2001-420 du 15 mai 2001; 136 L. IDOT, « La responsabilité pénale des personnes morales : les leçons du droit européen de la concurrence », Concurrences, 2012 n. 1, p. 65 ; F. CHAPUT, « L’autonomie de la filiale en droit des pratiques anticoncurrentielles », Contrats-concurrence-consommation, 2010, p. 15 ; 137 L. IDOT, “La répression des pratiques anticoncurrentielles par les institutions de l’Union Européenne,” Revue de science criminelle, 2012, p.15; 138 Comm. CE, déc. 72/457/CEE, 14 déc. 1972 Zojac/CSC-ICI 139 M.DEBROUX, « Sanction des cartels en droit communautaire : Définition et conséquences d’une “responsabilité de groupe”, Concurrences, n.1 , 2008, p. 9
35
filiale devient une société indépendante.140 Ce principe a été appliqué par le Tribunal
dans l’arrêt Siemens,141 dans le cadre duquel il a été jugé que la solidarité quant au
paiement de l’amende ne couvrait que la période d’infraction durant laquelle les
différentes sociétés formaient une unité économique.142
46. Finalement la présence d’un groupe de sociétés est un élément qui est pris en
compte dans le cadre d’en recours en annulation formé contre la décision de la
Commission infligeant une amende à une société. Lorsqu’une société est condamnée
au paiement d’une amende la société, elle doit s’acquitter de son amende dans un
délais de trois mois suivant la notification de la décision attaquée. Ce paiement se fait
soit par le paiement pur et simple de l’amende à titre provisoire, soit en constituant
une garantie bancaire. La seule manière d’échapper à cette obligation est d’introduire
un recours en référé et de demander le sursis à exécution du paiement de l’amende.143
Lorsque la société en question formule une telle demande elle devra prouver qu’il lui
est objectivement impossible de constituer cette garantie financière. Elle devra
démontrer que la constitution d’une garantie bancaire mettrait en péril son existence.
Dans le cadre de cette analyse la Cour tiendra particulièrement compte « du groupe de
sociétés dont elle dépend directement ou indirectement».144
47. Afin d’être exhaustif, il convient de mentionner que la condamnation solidaire
et conjointe de la société mère et de la filiale peut avoir une influence quant à
l’indemnisation privée du préjudice subi du fait des pratiques anticoncurrentielles. La
mise en cause conjointe et solidaire de la société mère afin de garantir l’indemnisation
du préjudice subi par les victimes des pratiques anticoncurrentielles est une pratique
courante dans les actions privées. Cependant les conséquences de cette pratique sont
limitées.145 La demande d’indemnisation du préjudice subi suite à de telles pratiques
nécessite la preuve d’un dommage direct, démontrable et quantifié. Bien que la
140 L. IDOT, « La responsabilité pénale des personnes morales : les leçons du droit européen de la concurrence », Concurrences, 2012 n. 1, p. 66 ; 141 Trib, 3 mars 2011, Siemens AG Österreich et VA Tech Transmission & Distribution GmbH & Co. KEG (T-122/07), Siemens Transmission & Distribution Ltd (T-123/07) et Siemens Transmission & Distribution SA et Nuova Magrini Galileo SpA (T-124/07) contre Commission européenne, Affaires jointes T-122/07 à T-124/07 142 L. IDOT, « La responsabilité pénale des personnes morales : les leçons du droit européen de la concurrence », Concurrences, 2012 n. 1, p. 66 ; 143 Articles 256-1, 278 et 279 TFUE ; 144 CJCE, ord. Pdt., 14 déc. 1999, DSR-Senator Lines c/ Commission, aff. C-364/99 P (R) ; A. MEXIS, “Plaie d'argent n'est pas mortelle - sauf exception : dispense de garantie bancaire et santé financière d'un groupe d'entreprises,” Revue Lamy de la Concurrence, 2011, nº 27, p. 85-87 ; 145 M. DEBROUX, « Sanction des cartels en droit communautaire : Définition et conséquences d’une “responsabilité de groupe”, Concurrences, nº 1, 2008, p. 10 ;
36
Commission ait prévu un document d’orientation quant à la quantification du
dommage subi, les méthodes présentées dans ce document nécessitent que certaines
données soient disponibles. La collecte, puis le traitement, des données prend
généralement du temps et la procédure ne laisse souvent qu’un temps limité pour ce
travail. De plus, chaque victime isolée n’a qu’un intérêt limité à poursuivre l’auteur de
l’infraction, car le préjudice individuel est faible ou qu’elle ne dispose pas des
ressources nécessaires pour initier une procédure.146
2. Conséquences à plus long terme 48. La condamnation de la société mère et la filiale peut avoir de sérieuses
conséquences quant à l’appréciation de la récidive. Les lignes directrices de 2006
précisent que face à « une entreprise qui poursuit ou répète une infraction identique ou similaire
après que la Commission ou une autorité nationale de concurrence a constaté que cette entreprise a
enfreint les dispositions de l’article 81 ou de l’article 82. », « le montant de base sera augmenté
jusqu’à 100 % par infraction constatée ».147 L’appréciation de la notion de récidive se fait à la lumière des règles traditionnelles en
matière d’imputabilité. La récidive joue en effet au sein de « l’unité économique »
constituée par la maison mère et ses filiales, ce qui peut avoir pour conséquences de
multiplier les situations de récidive. Toute pratique sanctionnée dans le chef d’une des
filiales peut avoir pour effet d’aggraver la sanction de la société mère puisque la
situation de récidive est une circonstance aggravante.148 La notion de récidive telle
qu’appliquée par la Commission ne nécessite effectivement pas que ce soit une
infraction commise sur le même marchée, ni dans le même pays.149
Cependant dans plusieurs arrêts prononcés en 2011 le Tribunal a jugé que pour que
cette situation aggravante puisse être retenue au niveau du groupe, deux conditions
cumulatives doivent être satisfaites. D’une part il faut que les deux filiales aient été
considérées comme étant sous le contrôle de la société mère, d’autre part il faut que
leur comportement ait été imputé à la même société mère dans les deux affaires.
146 E.FROT & O.SAUTEL, “Demander réparation d’un préjudice causé par une pratique anticoncurrentielle : le mode d’emploi de la Commission européenne”, Revue Lamy droit des affaires, 2011, n. 66, p.40-41; Emmanuel Combe, Joseph Vogel, Laurent Flochel, Économiste : Indemnisation civile du préjudice anticoncurrentiel :Leçons en dommages et intérêts des entreprises victimes, Paris, 6 février 2013 147 Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) n° 1/2003, point 28; 148 D.Bosco,”Ombres Et Lumières Du Traitement De La Récidive Par Le Droit Des Pratiques Anticoncurrentielles “,Concurrences, 2010, n° 4, p. 13; 149 M.DEBROUX, « Sanction des cartels en droit communautaire : Définition et conséquences d’une “responsabilité de groupe”, Concurrences, n° 1 2008, p.10 ;
37
Lorsque la première infraction n’a pas été imputée à la société mère ou lorsque la
filiale qui avait commis la première infraction a été cédée à une autre entité
économique, il ne sera pas possible de retenir la récidive au niveau du groupe.150
En vertu du principe de la primauté du droit de l’Union européenne, ces principes
doivent être appliqués par l’Autorité de concurrence lorsqu’elle est confronté à une
situation de réitération au niveau d’un groupe de sociétés. Il convient de remarquer
que les taux d’aggravation constatés dans la pratique sont moins élevés que ceux
prévus par les lignes directrices (25 à 50 % du montant dans le communiqué quant à
100% du montant dans les lignes directrices).
B. Conséquences pour les autorités de concurrence 49. Le principe de l’imputabilité du comportement anticoncurrentiel de la filiale à
la société mère a fait surgir plusieurs difficultés pour les autorités de concurrence.
Dans un premier temps, les questions concernaient les conditions d’application de la
présomption de responsabilité dans le chef des autorités de concurrence. Les autorités
ont par exemple interrogé les juridictions européennes quant à la question de savoir
s’il existait une véritable obligation dans leur chef de poursuivre les sociétés mères et
les filiales solidairement et conjointement, et s’il était possible de corroborer la
présomption de responsabilité d’éléments complémentaires.
La réponse à la première question a été tranchée par le Tribunal dans l’affaire
Lombard et confirmée par la Cour de justice en septembre 2009. Les juridictions
européennes ont effectivement reconnu que la Commission a “le choix de sanctionner soit
la filiale ayant participé à l'infraction, soit la société mère qui l'a contrôlée pendant cette période”151
La réponse à la deuxième question a déjà été traité antérieurement dans ce travail
(point 16) où une référence est faite à l’arrêt Elf Aquitaine de la Cour de justice dans
le cadre duquel elle infirme la possibilité de corroborer la présomption capitalistique
avec d’autres éléments.
150 L. IDOT, « La responsabilité pénale des personnes morales : les leçons du droit européen de la concurrence », Concurrences, 2012 n. 1, p. 66 ; D. BOSCO, “Récidive et groupe de sociétés”, Contrats Concurrence Consommation n° 10, Octobre 2011, comm. 219; 151 TPICE, 14 décembre 2006, Raiffeisen Zentralbank Österreich AG et autres contre Commission des Communautés européennes,Affaires jointes T-259/02 à T-264/02 et T-271/02; CJCE, 24 septembre 2009. Erste Group Bank AG (C-125/07 P), Raiffeisen Zentralbank Österreich AG (C-133/07 P), Bank Austria Creditanstalt AG (C-135/07 P) et Österreichische Volksbanken AG (C-137/07 P) contre Commission des Communautés européennes, Affaires jointes C-125/07 P, C-133/07 P, C-135/07 P et C-137/07 P;
38
En ce qui concerne les obligations procédurales, les autorités de concurrence sont
tenues de respecter les droits de la défense tout au long de la procédure. Dans un
premier temps, les autorités sont obligées d’associer toutes les personnes juridiques
qu’elles entendent attraire plus tard dans la procédure. Quant à l’instruction du
dossier, la Cour de justice a jugé que la Commission (ou l’autorité nationale) n’a pas
l’obligation de mener des inspections au siège de la société mère et peut se contenter
d’obtenir les preuves auprès de la filiale qui a commis matériellement l’infraction. Par
conséquent l’obligation d’association n’est obligatoire qu’à partir du moment où la
procédure devient contradictoire, c’est à dire à partir de la notification des griefs. En
ce qui concerne les exigences de fond de cette communication il convient de faire
référence à la jurisprudence Bolloré, telle qu’évoquée dans le point 9 de ce travail. A
l’issue de la procédure, l’autorité de concurrence devra adresser une décision à
chacune des sociétés et elle devra motiver sa décision quant à la question de
l’imputabilité. Lorsque les sociétés mères présumées avoir exercé une influence
déterminante sur le comportement de leurs filiales invoquent des moyens de faits et de
droits afin de renverser la présomption de responsabilité, les autorités sont tenues
d’exposer de manière adéquate à ces sociétés pourquoi ces éléments ne suffisent pas à
de renverser la présomption dans leur chef (tel qu’évoqué au point 32 de ce travail).152
50. Finalement les autorités de concurrence sont confrontées à plusieurs
incertitudes quant à l’application de procédures négociées en présence d’un groupe de
sociétés. En ce qui concerne les programmes de clémence, les questions suivantes ont
été soulevées : « une demande de clémence a été faite par une filiale, la société mère est attraite
ultérieurement dans la procédure, la clémence accordée à la filiale pourra-t-elle bénéficier à la société
mère ? Si chaque société du groupe doit faire une demande, qu’en est-il du rang dont il est su qu’il est
déterminant ?» Les procédures de transaction ont soulevé moins de questions. Le cadre législatif
européen prévoit en effet qu’en cas d’implication d’un groupe de sociétés, elles
devront désigner une représentation commune habilitée à agir en leur nom. De plus, la
proposition de transaction formulée par le groupe concerné implique une reconnaissance
en termes claires et sans équivoque, par les parties, de leur responsabilité dans l'infraction et
couvrira donc les questions d’imputabilité.
152 V. TERRIEN, « Droit de la concurrence : la présomption de responsabilité frappant les sociétés mères », Journal de Droit européen, 2012, n°185, p.7
39
En France, ces principes sont également repris dans le projet de communiqué sur la
procédure de non-contestation des griefs. La consultation publique organisée par
l’Autorité de la concurrence quant à la procédure de non-contestation des griefs a
cependant soulevé quelques questions. Il s’agit de la situation où une non-contestation
des griefs est accompagnée d’engagements : « les engagements pris par une société du groupe
valent-ils pour une société mère? Une société mère peut-elle être tenue responsable du non respect des
engagements par sa filiale ? »
Compte tenu du caractère négocié de ces procédures, il est présumé que la majorité
des questions relatives à la responsabilité fera l’objet d’un accord qui sera intégré
dans les documents préliminaires, puis dans les décisions finales. 153
Conclusion 51. Les fondements du raisonnement de l’imputabilité du comportement
anticoncurrentiel de la filiale à la société mère sont inchangés depuis 30 ans. Le
comportement anticoncurrentiel d’une filiale peut être imputé à la société mère
lorsqu’elles forment une seule « entreprise ». Ces personnalités juridiques distinctes
seront considérées comme une entreprise lorsque la filiale ne détermine pas de façon
autonome son comportement sur le marché. Cette absence d’autonomie sera retenue si
la société mère a la possibilité d’exercer une influence déterminante sur le
comportement de sa filiale et qu’elle exerce effectivement cette influence. En cas de
détention totale du capital, il est présumé que la société mère exerce effectivement
une influence déterminante sur le comportement de sa filiale.154 En janvier 2011 la
Cour de justice a jugé que le champ d’application de la présomption ne se limitait pas
aux sociétés mères mais qu’elle pouvait s’étendre aux grands-mères155 et que la
présomption s’appliquait en cas de détention quasi-total du capital. Lorsque la
présomption capitalistique ne s’applique pas, la Commission doit démontrer que, dans
les faits, la filiale ne s’est pas comportée comme une entreprise autonome mais que
son comportement sur le marché a en réalité été déterminé par sa société mère.156
153 L. IDOT, « La responsabilité pénale des personnes morales : les leçons du droit européen de la concurrence », Concurrences, 2012, p.64 ; 154 P. PATAT, “L’imputabilité du comportement anticoncurrentiel d’une filiale dont la totalité du capital est détenue par sa société-mère, encore et toujours . . .” Revue Lamy de concurrence 2011, 2/11 155 CJUE, 20 janvier 2011,General Química SA et autres contre Commission européenne, Affaire C-90/09 P; CJUE, 29 septembre 2011, Elf Aquitaine SA contre Commission européenne, Affaire C-521/09 P CJUE, 29 septembre 2011, Arkema SA contre Commission européenne, Affaire C-520/09 P 156 G. DECOCQ, « La société mère est présumée responsable des pratiques anticoncurrentielles commises par ses filiales détenues directement ou indirectement à 100%”, Bulletin Joly sociétés, Avril 2011, p. 4/8
40
52. C’est au sujet de la présomption capitalistique que les débats les plus animés
ont eu lieu. La Cour de justice a confirmé dans son arrêt Akzo157 en 2009 que la
présomption à elle seule suffisait afin de démonter l’exercice de l’influence
déterminante.
Dans les conclusions de l’affaire Arcelor Mittal en mars 2011 l’avocat général Bot a
suggéré dans ses conclusions que la présomption de responsabilité soit corroborée par d’autres éléments de preuve susceptibles de démontrer l’absence d’autonomie de la filiale afin de
préserver les droits fondamentaux reconnus aux entreprises. La Cour de justice n’est pas entrée
dans le débat des droits fondamentaux et s’est limitée dans cette affaire à rappeler que
en présence d’une unité économique constituée des plusieurs personnes physiques, il
incombe à l’entité dans son ensemble de répondre à une infraction au droit des
pratiques anticoncurrentielles. 158 La remise en question de la présomption de
responsabilité quant à sa conformité aux droits fondamentaux ne s’est pas limitée au
niveau européen. Le rapport sur l’appréciation de la sanction des pratiques
anticoncurrentielles remis à l’ancienne ministre française de l’économie favorise
également l’approche selon laquelle la société mère ne pourrait être tenue responsable
qu’un cas de participation personnelle ou en cas de négligence quant au
comportement de sa filiale.159 D’autres praticiens du droit de la concurrence ont
rejoint l’approche de l’avocat général Bot en insistant sur la nécessité de corroborer la
présomption capitalistique moyennant d’autres éléments démontrant l’exercice
d’influence de la société mère.160
Cependant il semble que les juridictions européennes ne sont pas restées totalement
insensibles aux critiques quant à la protection des droits de défense. On peut
effectivement constater le développement d’un mouvement jurisprudentiel européen
relatif à l’étendue de l’obligation de motivation de la Commission dans le cadre du
renversement de la présomption. La Cour de justice ainsi que le Tribunal ont imposé
une obligation de motivation renforcée à la Commission lorsqu’elle s’appuie de
157 CJUE, 10 septembre 2009, Akzo Nobel NV et autres contre Commission des Communautés européennes, Affaire C-97/08 P; CJUE, 29 mars 2011, Commission / ArcelorMittal Luxembourg e.a., Affaire C-216/09 P (Affaires jointes C-201/09 P, C-216/09 P) 158 CJUE, 29 mars 2011, Commission / ArcelorMittal Luxembourg e.a., Affaire C-216/09 P (Affaires jointes C-201/09 P, C-216/09 P) 159 E. CLAUDEL, « Le rapport sur l’appréciation de la sanction en matière de pratiques anticoncurrentielles”, Revue trimestrielle de droit commercial, 2011, p. 72 ; 160 M. BRONCKERS & A. VALLERY, “ No longer presumed guilty ? The Impact of fundamental rights on certain dogmas of EU Competition law”, World Competition law 34, n.4, 2011, p. 554;
41
manière exclusive sur la présomption de responsabilité à l’égard des sociétés mères.161
Dans cette hypothèse la Commission se verra contrainte d’exposer de manière
adéquate les raisons pour lesquelles les éléments de fait et de droit invoqués par les
sociétés mères n’ont pas suffi à renverser ladite présomption.
53. On peut voir dans cette jurisprudence des juridictions européennes une
tentative de rétablir l’équilibre entre l’efficacité de la politique de concurrence et la
protection des droits fondamentaux.162 Cette jurisprudence affaiblit d’une certaine
manière la présomption de responsabilité des sociétés mères. Elle crée un plus grande
opportunité pour les sociétés mères qui tâchent de démonter l’autonomie de leur
filiale moyennant des éléments de fait et de droit, de véritablement réfuter cette
présomption. Cependant, de multiples questions doivent encore trouver une réponse à
ce propos: Quels sont les éléments de droits et de faits à démonter afin de renverser cette
présomption? Est-il nécessaire de démontrer que la filiale agissait généralement de manière
autonome ou doit- on prouver que la filiale a agi de manière autonome quant à son
comportement anticoncurrentiel? Quel degré d’autonomie doit être démontré ?163
Bien qu’il soit possible pour les mères de rendre des comptes quant à l’autonomie et
les agissements de leurs filles, en règle générale il leur appartient de les éduquer… ou
à défaut d’en assumer les conséquences.164
161 CJUE, 29 septembre 2011, Elf Aquitaine SA contre Commission européenne, Affaire C-521/09 P; Trib. UE, 16 juin 2011, L’Air liquide, société anonyme pour l’étude et l’exploitation des procédés Georges Claude contre Commission européenne, Affaire T-185/06 ; Trib. UE,16 juin 2011, Edison SpA contre Commission européenne, Affaire T-196/06 162 V. TERRIEN, « Droit de la concurrence : la présomption de responsabilité frappant les sociétés mères », Journal de Droit européen, 2012, n°185, p.1 163 M. BRONCKERS & A. VALLERY, “ No longer presumed guilty? The Impact of fundamental rights on certain dogmas of EU Competition law”, World Competition law 34, n.4, 2011, p. 557; 164C. PRIETO, « Responsabilité d’une société mère et participation d’une filiale à un cartel international », Bulletin Joly sociétés, Janvier 2010, p. 7/8 ;
42
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