\"postface\" in entre ordre et subversion

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IUED KARTHALA ENTRE ORDRE ET SUBVERSION LOGIQUES PLURIELLES, ALTERNATIVES, ÉCARTS, PARADOXES Sous la direction de Suzanne Chappaz-Wirthner Alessandro Monsutti Olivier Schinz DéveloppementS

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IUED KARTHALA

ENTRE ORDRE ET SUBVERSIONLOGIQUES PLURIELLES, ALTERNATIVES, ÉCARTS, PARADOXES

Sous la direction deSuzanne Chappaz-Wirthner

Alessandro Monsutti Olivier Schinz

D é v e l o p p e m e n t S

Table des matières

Préface 7Marc-Olivier Gonseth

Entre ordre et subversion : une introduction 11Suzanne Chappaz-Wirthner, Alessandro Monsutti et Olivier Schinz

Première partie La démarche de l’ethnographe en question

Le baiser de l’ethnographe :entre don de soi et usage de l’autre sur le terrain 23

Alessandro Monsutti

Nommer les immigrés :construction et déconstruction d’une économie turque à Berlin 37

Antoine Pécoud

Deuxième partie Le pouvoir en scène

Entre le silence et le dire :la confidentialité des séances de commission au Parlement fédéral 51

Christophe Jaccard

Logiques identitaires plurielles en Croatie et en Istrie 63Isabelle Girod

La mise en œuvre de l’agglomération : subversion et effets non voulus 83Alexandre Lambelet

Troisième partie Le pouvoir en jeu

Règles, marges de manœuvre et abus à l’assistance publique 101Laurence Ossipow et Alexandre Lambelet

Ethos et subversions quotidiennes chez les paysans romands 119Jérémie Forney

TITRE CHAPITRE 5

Quatrième partie Les frontières du genre

Quand la « fille de» devient «mère de» : une grossesse subversive ? 137Anne Lavanchy

L’ordre du monde et son indissociable subversion :comment les rapports de genre se vivent à Jaunpur (Himalaya indien) 151

Nicolas Yazgi

Cinquième partie Entre l’amour et la mort

Le flirt maure, l’euphémisme en actes 165Olivier Schinz

L’ordre des morts :petite ethnographie des voleurs et des sorciers kikuyus 179

Yvan Droz

Mort et vif : penser le statut paradoxal des défunts 189Marc-Antoine Berthod

Les volte-face de l’ironie dans Le meilleur des mondes de Aldous Huxley 203Suzanne Chappaz-Wirthner

Postface 225Ellen Hertz

Liste des contributeurs 229

Illustrations 231

6 ENTRE ORDRE ET SUBVERSION

Postface

Ellen Hertz

Comment exagérer amplement le sentiment de désarroi qui m’envahit à l’idéed’écrire cette postface?

Une première question surgit : à quelle enseigne suis-je sollicitée? Aprèsque d’autres ont déplacé, avec persévérance et brio, la montagne de travail quereprésentent l’organisation de cette rencontre et l’édition de ce volume, à queltitre suis-je autorisée à – voire obligée de – me charger du dernier mot ? Au titrede directrice de l’Institut d’ethnologie, bien entendu. Autrement dit, au titred’occupante locale du pôle de l’ordre.

Ah, ils m’ont bien eue ! Du haut de ma colline1, je crie ma rage. Moi,soixante-huitarde précoce, féministe crypto-contextualiste, amerloque situation-niste et insouciante. Quel enfermement, quelle prison dorée – je refuse. C’esttout de même moi la cheffe !

Une deuxième question s’impose alors : soupçonnant la perfidie de leuroffre, pourquoi l’ai-je néanmoins acceptée ? Pour soutenir nos « jeunes », ces« jeunes » qui occuperont ma place avant même que nous n’ayons plus depétrole ? Ces jeunes qui se sont approprié le beau rôle, ou plutôt le beau pôle,celui de la subversion ? (Et, pour symétriser l’insymétrisable, ou plus exacte-ment pour compenser une asymétrie par une autre, remarquez bien que, toutcomme moi avec « mon » ordre, ils l’ont fait sans effort aucun, par simple effetd’opposition : si je suis la directrice, c’est qu’ils ne le sont pas ; la vieille/lesjeunes ; l’ordre/la subversion – bon, c’est un peu forcé, je l’admets, mais jevous ai promis d’exagérer amplement.)

Et puis, diable ! je refuse d’opérer avec cette opposition ; je leur ai toujoursdit qu’elle n’était pas bonne. (Mais est-ce qu’ils m’écoutent ? Je vous ledemande.) Si j’ai accepté de faire cette postface, c’est en mélangeant un senti-ment de gratitude et un besoin de vengeance qui se déclinent en trois points.

Tout d’abord, je remercie les trois directeurs qui m’ont précédée ; je lesremercie et me venge d’eux, car ils ont été les professeurs des élèves qui s’expri-ment dans ce volume. Réfléchissons un instant sur la nature de cette relationentre générations professionnelles. Depuis un bon moment, me semble-t-il, larelation prof-élève ne peut plus être conçue comme une relation maître-disciple.Elle prend plutôt la forme d’un tandem bien curieux où cohabitent l’émulation et

TITRE CHAPITRE 225

1 L’Institut d’ethnologie et le Musée d’ethnographie de Neuchâtel se situent au sommet d’une petite col-line dénommée Saint-Nicolas. De la baie vitrée du bureau de la direction, par une étincelante journéed’automne, on a vue sur le lac de Neuchâtel et les trois montagnes emblématiques des Alpes bernoi-ses, l’Eiger, le Mönch et la Jungfrau. Il n’est alors pas impossible que l’un ou l’autre, voire les quatredirecteurs qu’a connus l’Institut dans son histoire (Pierre Centlivres, Anne-Marie Losonczy, ChristianGhasarian et Ellen Hertz), aient une fois cédé à la tentation de penser que la Suisse est un grand pays.

HERTZ, E., « Postface», in S. Chappaz-Wirthner, A. Monsutti & O. Schinz, Entre ordre et subversion : logiques plurielles,alternatives, écarts, paradoxes, coll. Développements, Paris, Karthala ; Genève, Institut universitaire d’études du développe-ment (IUED), 2007, pp. 225-227.

le rejet, la quête d’approbation mutuelle, ainsi que des tentatives artificielles deséparation des identités. On est bien loin de l’image lisse des rituels qui structu-rent les relations entre classes d’âge proposée par Turner : l’ambivalence que cedernier conçoit, par une forme de fonctionnalisme symbolique quasiment ins-crite dans la structure du rituel lui-même, revêt ici un aspect tout ce qu’il y a deplus experience-near2. C’est avec une joie teintée d’angoisse et d’irritation queje constate que «mes» doctorant-e-s, «mes» jeunes apprennent et avancent unpeu grâce à moi, un peu grâce aux autres, mais surtout grâce à eux-mêmes (etque la réciproque est aussi vraie ; pour autant que j’avance, c’est avec, sans etcontre eux). Ainsi, bien que ce soit un plaisir et un honneur pour moi de connaî-tre l’équipe éditoriale de ce volume et tous ses contributeurs, j’ai le fort senti-ment qu’il n’appartient ni à moi ni aux autres professeurs de leur apporter unequelconque consécration.

Deuxièmement, je remercie les trois éditeurs de ce volume. Je les remercieet me venge d’eux qui, moyennant un travail et une patience considérables, nousdonnent ici l’occasion de – que dis-je : nous obligent à – réfléchir à l’état de ladiscipline aujourd’hui. Or, je ne trouve pas d’autre manière de les prendre ausérieux que de refuser, non sans exagération, un des postulats de la perspectivethéorique qu’ils nous proposent.

Ce postulat consiste en une forme de marxisme inversé par laquelle il paraîtlogique de poser la question de l’ordre et de la subversion dans les termes sui-vants : «Confronté aux incertitudes nées d’une dynamique aussi ambiguë, sou-cieux d’anticiper l’ébranlement de ses soubassements, chaque groupe socialaménage à l’intention de ses membres des espaces rituels ouverts au jeu avec leslimites du cadre instauré et avec les contraintes induites par celui-ci : ainsi parexemple le monde du rite, celui de l’art et celui de la fiction, irrigués d’imagi-naire, offrent-ils aux individus et aux groupes la possibilité d’inventer des solu-tions à leurs conflits, de réélaborer leurs relations en donnant corps sur le modeludique à des virtualités dont l’actualisation codifiée est susceptible de tenir lieude modèle au quotidien. Cette communion du rite, de l’art et de la fiction dans lamême liminalité prospective soulève la question de l’efficacité du jeu qu’ellerend possible. Quel potentiel de changement recèle celui-ci ?»3

On ne peut pas ne pas soupçonner les auteurs d’entretenir en cachette unerelation romantique avec ce qui n’est rien d’autre que la « superstructure». Sug-gèrent-ils, croient-ils que les domaines du rite, de l’art et de la fiction ne seraientpas caractérisés par des conventions de mise en forme et de reproduction, bref,de l’«ordre» dans une de ses acceptions ? Inversement, suggèrent-ils que d’au-tres domaines – l’économique, le juridique, le technologique, par exemple – nefonctionnent que dans l’absence de l’« imaginaire», sur le mode de la conserva-tion, de la duplication et du renforcement du même? N’y a-t-il pas glissement ici

226 ENTRE ORDRE ET SUBVERSION

2 C. Geertz, «From the “Native” Point of View: On the Nature of Anthropological Understanding», inK. Basso & H. Selby (eds.), Approaches to Symbolic Anthropology, Albuquerque, NM, University ofNew Mexico Press, 1976, pp. 221 et suiv. En passant, un mot de gratitude à M. Geertz, pilier de l’or-dre subversif anthropologique, exprimé sans désir de vengeance autre que celle que les vivants exer-cent inévitablement sur les morts.

3 Page 15 du présent ouvrage.

de l’«ordre» comme état à l’«ordre» comme acte? A les croire, à l’innocencelibertaire du symbolique s’opposerait la dure réalité des rapports de pouvoir quistructurent la base matérielle.

A mon sens, bien qu’elle nous ait apporté son lot d’avancées théoriques,nous ne pouvons plus adopter cette posture en anthropologie. Ce n’est ni d’or-dre, ni de subversion, encore moins de désordre qu’il s’agit ; il est préférable depenser, au pluriel, à des ordres : des régimes composés, chacun à leur manière,de contraintes matérielles, de fonctionnements institutionnels et de conventionsdiscursives. Ces régimes sont délimités aussi bien par ceux qui les «habitent»que par ceux qui les analysent, et ils incluent déjà, et en interaction entre eux, lesmoyens de leur propre transformation.

Mais voilà que – et ce sera ma troisième et dernière expression de gratitudeet de vengeance – c’est un autre postulat central à la perspective théorique de cetouvrage qui me donne raison. Ce postulat réaffirme l’aspect incontournable de ladémarche ethnographique dans toute compréhension des configurations sociales,passées et présentes. Et c’est précisément la richesse des enquêtes ethnographi-ques ici présentées, patiemment et intelligemment retravaillées par les auteurs etles éditeurs, qui montre la diversité de ces régimes, leurs tensions internes, leurscontradictions apparentes, voilées, voilées en apparence seulement. Dans cesens, et dans les mots des éditeurs qui finiront par avoir le dernier, «ce livre estlui-même pris dans ce mouvement [de volte-face entre la nécessité de donner uncadre à la vie collective et celle de laisser la voie ouverte au jaillissement descréations humaine] et pourrait faire l’objet d’une étude séparée : moment d’ordreinscrit dans la richesse des théories anthropologiques, il fait montre d’un aspectévanescent et subit les lois mêmes qu’il cherche à mettre en évidence […]»4.

Neuchâtel, le 29 novembre 2006

POSTFACE 227

4 Page 18 du présent ouvrage.

Liste des contributeurs(par ordre alphabétique)

Marc-Antoine Berthod, anthropologue, responsable de l’Institut de rechercheSanté-Social, Haute Ecole valaisanne, <[email protected]>

Suzanne Chappaz-Wirthner, ethnologue, Sion <[email protected]>

Yvan Droz, directeur adjoint et chargé de la recherche à l’Institut universitaired’études du développement (IUED), Genève, <[email protected]>

Jérémie Forney, ethnologue, assistant et doctorant à l’Institut d’ethnologie del’Université de Neuchâtel, <[email protected]>

Isabelle Girod, ethnologue, responsable de formation, <[email protected]>

Marc-Olivier Gonseth, conservateur du Musée d’ethnographie de Neuchâtel(MEN), <[email protected]>

Ellen Hertz, directrice de l’Institut d’ethnologie de l’Université de Neuchâtel,<[email protected]>

Christophe Jaccard, assistant au Département de sociologie de l’Université deGenève, <[email protected]>

Alexandre Lambelet, licencié ès lettres, doctorant en science politique aux Universités de Lausanne et Paris I ; assistant d’enseignement à l’Université deLausanne, <[email protected]>

Anne Lavanchy, assistante et doctorante à l’Institut d’ethnologie de l’Université deNeuchâtel, <[email protected]>

Alessandro Monsutti, anthropologue, Institut universitaire d’études du développement (IUED), Genève, <[email protected]>

Laurence Ossipow, anthropologue, professeure à la Haute Ecole de travail social deGenève, <[email protected]>

Antoine Pécoud, spécialiste du programme, section «Migrations internationales»,UNESCO, Paris ; chercheur associé à l’URMIS (Université de Paris VII) et àMigrinter (Université de Poitiers), <[email protected]>.

Olivier Schinz, assistant et doctorant à l’Institut d’ethnologie de l’Université deNeuchâtel, <[email protected]>

Nicolas Yazgi, assistant et doctorant à l’Institut d’ethnologie de l’Université de Neuchâtel, <[email protected]>

TITRE CHAPITRE 229

Ce livre est le fruit d’un travail collectif entamé à l’occasion ducentenaire du Musée d’ethnographie de la ville de Neuchâtel(MEN). Dans le cadre des festivités, qui se sont étalées sur

toute l’année 2004, une vingtaine de chercheurs ont décidé de se ren-contrer à plusieurs reprises afin de réfléchir à une thématique com-mune. Témoignant de la richesse de l’anthropologie neuchâteloise, lesdifférentes contributions visitent la problématique de l’ordre et de lasubversion à la lumière de données ethnographiques qui proviennentde terrains aussi variés que le Chili, l’Inde, l’Afghanistan, laMauritanie, le Kenya, la Croatie, la Suisse, la France, l’Allemagne,ainsi que du champ littéraire.

Les multiples facettes du rite y sont traitées : religieuses et sociales,mais aussi économiques, politiques et symboliques. En abordant lespratiques comme les représentations, les recherches rassemblées dansce volume constituent une réflexion sur la dimension ambiguë etambivalente des rituels. Si ces derniers peuvent parfois renforcer l’or-dre social, ils tendent souvent à jouer sur les limites et deviennentainsi un vecteur de changement, voire de subversion.

L’abondante chair empirique proposée par les auteurs projette un journouveau sur les enjeux au cœur de la dynamique sociale, montrantque la création des frontières et des règles qui structurent la vie col-lective s’accompagne toujours de l’aménagement d’espaces propicesà leur remise en question.