paul de chantelou: mémoire du traitement fait par la maison du roy à monsieur le cardinal chigi...

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MEFRIM – 123/2 – 2011, p. 513-547. ——————— Daniela del Pesco, Facoltà di Lettere, Università de L’Aquila, [email protected] 1. BNF, ms. fr. 6143, f.1-38v, signé : «Freard Chantelou» (une autre copie se trouve à la BNF, Mélanges Colbert, ms. 79, ff.90r-119v). Flavio Chigi (1631-1693), fils de don Mario, frère du pape Alexandre VII, fut créé cardinal en 1657, car- dinal neveu et secrétaire d’Etat. Après la mort de son père et de son oncle (1667), il fut actif dans la politique anti-fran- çaise du Saint-Siège et il exerça son influence dans l’élection des papes Rospigliosi, Altieri, Odescalchi, Ottoboni e Pigna- telli. Flavio rassembla un patrimoine de 4 millions et demi d’écus avec ses propriétés immobilières à Formello, Cam- pagnano, Ariccia, Porto, Cetinale près de Siena et à San Qui- rico d’Orcia. Son mécénat fut remarquable surtout en architecture : chapelle «del Voto» du Bernin dans la cathé- drale de Sienne (1660 sgg.), villa Versaglia à Formello, tra- vaux du palais près de l’église des SS. Apostoli (1664) à Rome, conduits par Carlo Fontana. Il rassembla aussi une collection de tableaux, statues antiques et curiosités qui étaient exposés dans son palais de via Quattro Fontane à Rome, aujourd’hui pour la plupart à Dresde (L’Ariccia del Bernini, Rome, 1998; A. Angelini, M. Butzek, B. Sani (éd.), Alessandro VII Chigi, il papa senese di Roma moderna, Sienne, 2000; A. Angelini, Gian Lorenzo Bernini e i Chigi tra Roma e Siena, Sienne, 1998; F. Petrucci (éd.), Le stanze del cardinale, Rome, 2003; B. Cacciotti, La collezione di antichità del cardi- nale Flavio Chigi, Rome, 2004). 2. Dans le manuscrit Chigi E. II. 38, rédigé par Sebastiano Bal- dini, se trouve la liste des participants à la légation qui voya- gèrent sur quatre galères (ff. 7-19). 3. Henri-Jules III de Bourbon, duc d’Enghien (1643-1709), grand maître de la maison du roi, fils du Grand Condé, cité par Chantelou comme «Monsieur le duc», «S.A.», «Son Altesse». Depuis 1660 il est à la tête de la maison du roi, et donc supérieur de Chantelou qui était un des «douze maistres d’hostel servans par quartier» (L’État de la France où l’on voit tous les princes, ducs et pairs, maréchaux de France, et autres officiers de la couronne [...] ensemble les noms des officiers de la maison du roi et le quartier de leur service; avec leurs gages et privilèges, et l’explication des fonctions de leurs charges, etc. édité par Nicolas Bensogne, Paris, 1663, vol. I, f. 21, dorénavant Bensogne). Après la mort de son père en 1686, Henri-Jules hérita le titre de prince de Condé. Dans Bensogne, 1663, cap. II, p. 16-20, on lit : «Monsieur le Prince [Louis de Bourbon, le» Grand Condé] à la Charge de Grand Maistre de la maison du roy, dont Monsieur le duc, son fils, prend aussi le titre, tout deux Chevaliers des Ordres du roy. Henry Jules de Bourbon, duc d’Enghien, &c. le Grand Maistre à de gages 3600. livres [...] Le Grand Maistre, à juridictions entière sur les sept Offices dont il dispose absolument de toutes les Charges & sur les officiers, qui lui préstent tous serment de Fidélité. Voir aussi : A. Chéruel, De L’administration de Louis XIV d’après les mémoires inédits d’Olivier d’Ormesson (1661- 1672), Paris, 1850; B. Barbiche, Les institutions de la monarchie française à l’époque moderne, Paris, 1999; J.-F. Solnon, Maison du roi, dans Dictionnaire du Grand Siècle, sous la dir. de F. Bluche, Paris, 1990. Mémoire du traitement fait par la maison du roy à Monsieur le cardinal Chigi légat à Latere en France 1 Édition critique par Daniela DEL PESCO [21 mai, mercredi. Les galères italiennes sont en vue de Marseille; Le roi commande au s.r de Chantelou, maître d’hôtel de Sa Majesté, d’avertir tous les officiers qui doivent servir de se tenir prêts pour aller au devant de M. le légat] [f. 1] Le xxi.e may 1664 estant venu de Mar- seille nouvelles au roy à Fontainebleau qu’il parois- soit en mer des galères, et qu’on jugeoit que c’estoyent celles qui conduisoyent M. le légat 2 , Sa Majesté s’en allant souper, trouva passant par la galerie du roy François le s.r de Chantelou m.e d’hostel de Sa Majesté et l’ayant appelé lui commanda d’avertir tous les officiers de ses offices de se tenir prest pour aller au devant de M. le légat, et d’escrire à Paris à M. le grand m.e 3 [Henri-Jules III de Bourbon, duc d’Enghien] d’envoyer ses ordres pour ce service. Dès lors le s.r de Chantelou escrivit à son Altesse, mais estant onze heures du soir passées et le courrier ordinaire party, il envoya le lendemain un homme exprès à S.A. et fit avertir dans les offices de Sa Majesté chacun des officiers de se tenir prests pour aller au devant de M. le légat. [22 mai, jeudi. Arrivée du légat Chigi à Mar- seille; Le roi choisit M. de Montausier pour l’ac- cueil de M. le légat; Le duc d’Enghien, grand

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MEFRIM – 123/2 – 2011, p. 513-547.

———————Daniela del Pesco, Facoltà di Lettere, Università de L’Aquila, [email protected]

1. BNF, ms. fr. 6143, f. 1-38v, signé : «Freard Chantelou» (uneautre copie se trouve à la BNF, Mélanges Colbert, ms. 79,ff. 90r-119v). Flavio Chigi (1631-1693), fils de don Mario,frère du pape Alexandre VII, fut créé cardinal en 1657, car-dinal neveu et secrétaire d’Etat. Après la mort de son père etde son oncle (1667), il fut actif dans la politique anti-fran-çaise du Saint-Siège et il exerça son influence dans l’électiondes papes Rospigliosi, Altieri, Odescalchi, Ottoboni e Pigna-telli. Flavio rassembla un patrimoine de 4 millions et demid’écus avec ses propriétés immobilières à Formello, Cam-pagnano, Ariccia, Porto, Cetinale près de Siena et à San Qui-rico d’Orcia. Son mécénat fut remarquable surtout enarchitecture : chapelle «del Voto» du Bernin dans la cathé-drale de Sienne (1660 sgg.), villa Versaglia à Formello, tra-vaux du palais près de l’église des SS. Apostoli (1664) àRome, conduits par Carlo Fontana. Il rassembla aussi unecollection de tableaux, statues antiques et curiosités quiétaient exposés dans son palais de via Quattro Fontane àRome, aujourd’hui pour la plupart à Dresde (L’Ariccia delBernini, Rome, 1998; A. Angelini, M. Butzek, B. Sani (éd.),Alessandro VII Chigi, il papa senese di Roma moderna, Sienne,2000; A. Angelini, Gian Lorenzo Bernini e i Chigi tra Roma eSiena, Sienne, 1998; F. Petrucci (éd.), Le stanze del cardinale,Rome, 2003; B. Cacciotti, La collezione di antichità del cardi-nale Flavio Chigi, Rome, 2004).

2. Dans le manuscrit Chigi E. II. 38, rédigé par Sebastiano Bal-dini, se trouve la liste des participants à la légation qui voya-gèrent sur quatre galères (ff. 7-19).

3. Henri-Jules III de Bourbon, duc d’Enghien (1643-1709),grand maître de la maison du roi, fils du Grand Condé, citépar Chantelou comme «Monsieur le duc», «S.A.», «SonAltesse». Depuis 1660 il est à la tête de la maison du roi, etdonc supérieur de Chantelou qui était un des «douzemaistres d’hostel servans par quartier» (L’État de la France oùl’on voit tous les princes, ducs et pairs, maréchaux de France, etautres officiers de la couronne [...] ensemble les noms des officiersde la maison du roi et le quartier de leur service; avec leurs gages etprivilèges, et l’explication des fonctions de leurs charges, etc. éditépar Nicolas Bensogne, Paris, 1663, vol. I, f. 21, dorénavantBensogne). Après la mort de son père en 1686, Henri-Juleshérita le titre de prince de Condé. Dans Bensogne, 1663,cap. II, p. 16-20, on lit : «Monsieur le Prince [Louis deBourbon, le» Grand Condé] à la Charge de Grand Maistre dela maison du roy, dont Monsieur le duc, son fils, prend aussile titre, tout deux Chevaliers des Ordres du roy. Henry Julesde Bourbon, duc d’Enghien, &c. le Grand Maistre à de gages3600. livres [...] Le Grand Maistre, à juridictions entière surles sept Offices dont il dispose absolument de toutes lesCharges & sur les officiers, qui lui préstent tous serment deFidélité. Voir aussi : A. Chéruel, De L’administration de LouisXIV d’après les mémoires inédits d’Olivier d’Ormesson (1661-1672), Paris, 1850; B. Barbiche, Les institutions de la monarchiefrançaise à l’époque moderne, Paris, 1999; J.-F. Solnon, Maisondu roi, dans Dictionnaire du Grand Siècle, sous la dir. deF. Bluche, Paris, 1990.

Mémoire du traitement faitpar la maison du roy à Monsieurle cardinal Chigi légat à Latereen France1

Édition critique par Daniela DEL PESCO

[21 mai, mercredi. Les galères italiennes sonten vue de Marseille; Le roi commande au s.r deChantelou, maître d’hôtel de Sa Majesté,d’avertir tous les officiers qui doivent servir de setenir prêts pour aller au devant de M. le légat]

[f. 1] Le xxi.e may 1664 estant venu de Mar-seille nouvelles au roy à Fontainebleau qu’il parois-soit en mer des galères, et qu’on jugeoit quec’estoyent celles qui conduisoyent M. le légat2, SaMajesté s’en allant souper, trouva passant par lagalerie du roy François le s.r de Chantelou m.ed’hostel de Sa Majesté et l’ayant appelé luicommanda d’avertir tous les officiers de ses offices

de se tenir prest pour aller au devant de M. le légat,et d’escrire à Paris à M. le grand m.e3 [Henri-JulesIII de Bourbon, duc d’Enghien] d’envoyer sesordres pour ce service. Dès lors le s.r de Chantelouescrivit à son Altesse, mais estant onze heures dusoir passées et le courrier ordinaire party, il envoyale lendemain un homme exprès à S.A. et fit avertirdans les offices de Sa Majesté chacun des officiers dese tenir prests pour aller au devant de M. le légat.

[22 mai, jeudi. Arrivée du légat Chigi à Mar-seille; Le roi choisit M. de Montausier pour l’ac-cueil de M. le légat; Le duc d’Enghien, grand

Mémoire du traitement fait par la maison du roy à Monsieur le cardinal Chigi légat à Latere en France514 Daniela DEL PESCO

4. Jean-Baptiste Colbert (1619-1683), depuis 1664 «surinten-dant & ordonnateur général des bâtiments des maisonsroyales, jardins et tapisseries de Sa Majesté, arts et manufac-tures de France». À la suite de l’arrestation de Nicolas Fou-quet en 1661, Louis XIV, à l’instigation de Colbert, supprimala charge de surintendant des Finances et décida de l’exercerlui-même avec l’aide d’un Conseil : le Conseil royal desfinances. Déjà intendant des finances, Colbert fut l’un destrois conseillers de ce Conseil et le chef effectif de l’ad-ministration des Finances. Le 12 décembre 1665, il resta,seul, contrôleur général des finances et il est désigné le plussouvent sous ce titre.

5. Charles de Montausier ou Montauzier (1610-1690), marquiset duc de Saint-Maure (après 1664), maréchal de camp desarmées du roi, puis gouverneur de Saintonge et d’Angou-mois. Il fut un des habitués de l’hôtel de Rambouillet et ilconçut le récueil poétique La Guirlande de Julie, dédié à safuture femme, Julie d’Argennes, à l’exécution duquel ilconcourut par seize madrigaux. En 1645, il abjura le protes-tantisme. En 1668, nommé gouverneur du Grand Dauphin,fils de Louis XIV, il choisit pour précepteurs Huet et Bossuetet, amateur des classiques latins, il fit publier la belle collec-tion des auteurs classiques ad usum Delphini.

6. Les objets utiles pour la vie quotidienne qui sont transportéspar chariot.

7. Louis II de Bourbon Condé (1621-1686), dit le Grand Condé,prince depuis 1646, dit «Monsieur le Prince», «S.A.», «SonAltesse». Au moment de la légation Chigi, il a la charge degrand Maître de la maison du roi avec son fils, Henri-Jules,duc d’Enghien (voir ici même note 3). Louis II et Henri-Julesont aussi la charge d’être aux cotés du légat à l’occasion del’entrée solennelle à Paris le 9 août 1664 malgré les diffi-cultés liées à la podagre dont souffrait le Prince de Condé.Louis II, neveu d’Henri IV et cousin de Louis XIV, fut legénéral victorieux à Rocroi (1643), Fribourg (1645), Lens(1648) pendant guerre de Trente Ans. En 1650-53 il fut l’undes meneurs de la Fronde des Princes contre Mazarin. Chan-

telou était à son service depuis 1645. Exilé et engagé du côtéespagnol, le traité des Pyrenées lui assura le pardon royal,peu avant le mariage de Louis XIV et de l’infante Marie-Thérèse d’Autriche. La guerre s’étant rallumée entre laFrance et l’Espagne, Condé retrouva un commandementdans les armées du roi et prit le Comté de Bourgogne(actuelle Franche-Comté) aux Hasbourg d’Espagne en 1668.Il vécut ses dernières années à Chantilly, entouré d’une courd’artistes et d’hommes de lettres. Lorenzo Magalotti dansson Viaggio di Francia 1668, (ed. Palerme, 1991, p. 49) ledécrit ainsi : «non ho ancor veduto in Parigi uomo piùnegletto di lui nel vestire e ne’capelli; aveva una barba à dirpoco d’otto giorni, e mi dicono che questo sia il suo ordi-nario» (à la date du 29 avril).

8. Le château du Raincy, demeure des Bourbon-Condé, a étéconstruit entre 1643 et 1650 pour Jacques Bordier, intendantdes finances, à l’emplacement d’un ancien prieuré de l’ab-baye bénédictine de Tiron sur la route de Paris à Meaux, surla commune actuelle du Raincy (Seine-Saint-Denis). LouisLe Vau fut chargé de la construction du bâtiment et, selon latradition, André Le Nôtre des jardins et Charles Le Brun dela décoration intérieure à laquelle travaillèrent égalementFrançois Perrier, Charles-Alphonse Dufresnoy, Philippe deBuyster et Giovanni Francesco Romanelli. Entouré de fosséssecs et flanqué de cinq pavillons, le château du Raincy étaitune demeure d’une magnificence royale. Les écuries monu-mentales pouvaient accueillir 200 chevaux. Le parc de 240hectares était l’un des plus vastes de la région parisienne. Lestravaux coutèrent la somme fabuleuse de 4.500.000 livres etengloutirent la fortune de Jacques Bordier. À sa mort en1660, le domaine passa à son fils, Hilaire Bordier.

9. Coffret d’or ou de vermeil contenant le couteau et la cuil-lère, qu’on servait à la table du roi et des princes.

10. N. Bensogne (éd. 1663) cite les MM. Courtet e Chamoisentre les «seize contrôleurs clercs d’offices», payés 600 livres(f. 24). Les sept offices sont. 1 : Le gobelet. 2. La cuisine-bouche, qui sont seulement pour la personne du roy. 3. La

maître de France, nomme le s.r de Chantelou pouraller au devant de M. le légat]

Le xxn.e [22] M. Colbert4 dit à la sortie duConseil au s.r de Chantelou qu’il trouva sous samain que M. le légat estoit à Marseille, et que SaMajesté avoit choisy M. de Montausier5 pourl’aller recevoir. En suite le bureau de la maison duroy s’estant assemblé, il fut résolu d’envoyer surl’heure un Courrier à Monseigneur le duc d’Eng-hien, Grand m.e de France, pour supplierS.A. d’envoyer incessament ses ordres pour ce ser-vice, et par le retour de ce courrier l’on appritqu’elle nommoit le s.r de Chantelou pour aller audevant de M. le légat, au cas que Sa Majesté l’eustagréable; aussi tost tous les officiers qui dévoientservir furent choisis, et les menus des tablesdressez au bureau sur quelques mémoires envoyezdu nombre des prélats et des seigneurs quiaccompagnoyent M. le légat.

[24 mai, samedi. Le s.r de Chantelou se rend à

Paris et au Raincy chez le Grand Condé et chez sonfils, le duc d’Enghien, grand maître de la maisondu roi, pour recevoir leurs commandements etsavoir comment M. le légat doit être servi]

Le xxnn.e [24] le s.r de Chantelou fut à Parispour donner ordre à la vaisselle d’argent, auxustensiles charrois6 et autres choses nécessaires. Sitost qu’il fut arrivé ayant appris que Monseigneurle Prince7 [Louis II de Bourbon, le Grand Condé]et Monseigneur le duc [Henri-Jules III deBourbon, duc d’Enghien, fils de Louis II] estoyentau Rainsi8, il fut les y trouver pour recevoir leurscommandements, et sçavoir comment Monsei-gneur le grand m.e [le duc d’Enghien] vouloit queM. le légat fut servi, si l’on lui donneroit uncadenas9 ou non; S.A. et Monseigneur le Princelui ordonnèrent de le sçavoir de Sa Majesté.Retourné à Paris, il donna ordre aux chevaux pourmonter les officiers. Il en partit le xxbn.e [27juillet] avec les s.rs Courtet et Chamois10 aussinommez en qualité de Contrôleurs d’offices pour

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paneterie-commun. 4. L’eschansonerie-commun. 5. La cui-sine-commun. 6. La fruiterie-commun. 7. La fourière. Cha-mois et Courtet sont cités comme «contrôleurs clercsd’offices» par Bensogne, aussi dans l’édition de 1674 de sonÉtat de France (vol. I, p. 22).

11. Essonne, ville située à 30 km au sud de Paris, à la confluencede l’Essonne avec la Seine.

12. Nicolas de Neufville de Villeroy (1598-1685), marquis, puisduc de Villeroy (1651 avec admission à la pairie en 1663),marquis d’Alincourt et seigneur de Magny. En 1646, maré-chal de France, la plus haute distinction militaire française etgouverneur du roi (48.000 livres de gages, Bensogne 1663,f. 79). Au sacre de Louis XIV, il fut fait chevalier de l’Ordredu Saint-Esprit le 31 décembre 1661. Louis XIV le nommaégalement chef du Conseil royal des finances en 1661,charge qu’il conserva jusqu’à sa mort.

13. Montargis sur le Loing, actuellement dans le département deLoiret.

14. Moulins, ville située au nord de l’Auvergne.15. Roanne, ville située à 87 km au nord-ouest de Lyon.16. Bernardin Gigault, marquis de Bellefonds (1630-1694), en

1663 premier maître d’hôtel du roi, au premier rang dans la

maison du roi, après le grand maître d’hôtel, le duc d’Eng-hien; maréchal de France en 1668. N. Bensogne (1663,f. 33) écrit : «Le premier maître d’hôtel à la juridiction surles sept offices, seulement pour le service, sans disposeraucunement des charges. Il peut aussi en l’absence du grandmaistre, et en son absence les maîtres d’hôtel de quartier,recevoir dans le bureau assemblé, le serment de fidélité desofficiers des sept offices. Il a des gages 3000 livres. Il tient latable du grand chambellan, dont les premiers maîtres d’hôtelont fait acquisition, et de laquelle ils ont la desserte. C’est luiqui présente ordinairement au célébrant du vin dans unecoupe quand le roy à communié, et en mesme temps uneserviette à Sa Majesté pour essuyer sa bouche. Le premiermaistre d’hostel, ou le maistre d’hostel qui est de jour,accompagne le bouillon du roy tout les matins, lorsque SaMajesté est éveillée, et là il reçoit l’ordre du boire et dumanger, qu’il fait aprés entendre aux officiers du gobelet etde la bouche, tant pour la qualité des viandes et de laboisson, que pour l’heure à laquelle le roy désire manger.Douze maîtres d’hôtel servants par quartier». Chantelou enfaisait partie.

17. S. Baldini, BAV, Chigi E. II. 38, (dorénavant Baldini), f. 124r,

servir M. le légat, et allèrent avec tous les autresofficiers coucher à Essone11.

[28 mai, mercredi. Le s.r de Chantelou et lesofficiers se rendent à Fontainebleau pour y rece-voir les derniers commandements du roi touchantle service d’accueil de M. le légat]

[f. 2] Le xxbm.e [28] ils allèrent à Fontaine-bleau pour y recevoir les derniers commande-ments du roi, et apprendre de Sa Majesté savolonté touchant ce service, et n’y ayant aucunsmémoires comme celui de M. le légat Barberinavoit esté fait, l’on doutoit si l’on donneroit àcelui-ci un cadenas ou non; M. le maréchal de Vil-leroy12 fut consulté; il dit que comme on le don-noit aux Ambassadeurs, il n’y avoit pas à douterde le donner à M. le légat; ainsi l’on en porta un,et des assiettes de vermeil doré pour sa personne,afin de la distinguer de ceux qu’elle pourroit fairemanger à sa table.

[29 mai, jeudi. La maison du roi part pourMontargis; M. de Montausier se rend à Lyon pourrecevoir M. le légat]

Le xxix.e [29] La maison de Sa Majesté partitde Fontainebleau et alla coucher à Montargis13;aussi tost qu’elle y fut arrivée le s.r de Chanteloudépescha un courrier à M. de Montausier quiestoit parti deux jours auparavant pour aller àLion recevoir de la part du roi M. le légat, et luidonna advis que la maison de Sa Ma[jes]té estoiten marche; il lui escrivit encore le premier juin par

l’ordinaire, et de Moulins14 le troisième, afin qu’ilfust averti de la diligence que faisoit la maison duroy.

[5 juin, jeudi. Le s.r de Chantelou se rend àRoanne; Impatience de M. le légat de partir deLyon; Le s.r de Chantelou est présenté à M. lelégat]

Le jeudi cinq.e [5] juin partant de Rouanne15,le s.r de Chantelou reçut un courrier de M. deMontauzier, qui lui donna aussi des lettres deM. le marquis de Bellefond16, nommé premier m.ed’hostel, qui s’estoit arresté à Lion pour ordre duroy au retour de Parme, où il commandoit l’arméede Sa Majesté; ils le convoyent d’aller en diligenceà Lion à cause que M. le légat qui y avoit fait sonentrée des le dernier jour de may avoit une impa-tience extrême d’en partir. Le s.r de Chantelouleur escrivit sur le champ par le mesme courrier, etleur manda que si S.E. joignoit la maison avant leneuf ou dixième, Elle ne seroit pas traitée avecautant d’appareil et d’honneur que Sa Majestédesiroit. Ensuite ayant donné ses ordres, il alla enposte à Lion, où il arriva le vendredi à midi; Mes-sieurs de Montausier et de Bellefond lui direntd’abord que S.E. vouloit partir absolument lesamedi, et qu’il lui estoit eschappé de dire, io men’anderei piu tosto alle mie spese. Il ne vit M. le légatque sur les cinq heures pour ce qu’il dort les aprèsdînées. Ayant esté présenté à S.E. par M. de Mon-tausier17, et lui ayant fait ses compliments, il luireprésenta le déplaisir qu’avroient les officiers du

Mémoire du traitement fait par la maison du roy à Monsieur le cardinal Chigi légat à Latere en France516 Daniela DEL PESCO

cite entre «gli officiali del Re mandati in Lione per servi.o delLegato», le «mr.o di casa/ Monsieur Sciantelup». L’impa-tience du légat est notée aussi par M. Ravizza (BNF,ms. it. 1271, ff. 57r-58, dorénavant Ravizza).

18. La Bresle, localité sur la Bresle, rivière du nord-ouest dubassin parisien.

19. Tarare, localité à 25 km au nord-ouest de Lyon.20. Baldini écrit : «Luogo posto in fondo di molti monti nei siti

che lo circondano» (f. 129v).21. Sigismondo Chigi, fils d’Augusto et Francesca Picolominj,

cousin germain de M. le légat, nommé cardinal en 1667 parClemente IX; grand prieur de l’Ordre de Malte à Rome, légatà Ferrare, fondateur de la Bibliothèque Chigiana. U. Frittelli,Albero genealogico della nobil famiglia Chigi, Sienne, 1922;E. Stumpo, Agostino Chigi, sub voce, dans Dizionario biograficodegli Italiani.

22. Francesco Picolomini, neveu d’Alexandre VII, fils de VirginiaPicolominj Chigi, sœur de Mario, Fabio et d’Augusto Chigiqui était le père de Sigismondo Chigi.

23. Le marquis de Grillon, qui appartenait à une noble famillede Vaucluse, est apprécié autour de 1660 dans les Mémoires

de Mademoiselle de Montpensier, la Grande Mademoiselle,Anne-Marie-Louise d’Orléans.

24. Alessandro Colonna (m. 1673), duc de Bassanello, fils d’Isa-bella Farnese et de Giulio Cesare Colonna, prince de Car-bognano (près de Viterbo) et de Palestrina; protonotaire avecla charge de maître d’hôtel du légat «quoy qu’il n’en ait pasla fonction».

25. Vitaliano Visconti (1618-1671), accompagne le légat en qua-lité de dataire, c’est-à-dire de membre de la daterie aposto-lique ou daterie des brefs, le bureau qui avait la fonction depercevoir les profits du Saint-Siège. Après ses études en droità l’université de Bologne, il fut membre du collège des Jurisconsulti de Milan (1644), gouverneur de Fano, Spoleto,Viterbo et Perugia, auditeur du tribunal de la Rote (1660) etdu palais apostolique. Evêque d’Ephèse (11 août 1664) etnonce en Espagne (16 août 1664), cardinal (1666-1667), ilfut ensuite évêque de Monreale (1670). D’après le manuscritChigi E.II.38 nous apprenons qu’à la légation participaientaussi le père priore Bichi, le cav. Meniconi Petrucci, lecomm.r. De Vecchi, P. Spinola, les «Aiutanti di camera» etofficiers de service (f. 1). Au f. 2v figure la liste des per-

roy si S.E. partoit le lendemain, ne pouvant latraiter (cela estant) aussi dignement qu’elle meri-toit, que c’estoit un jour maigre, auquel on ne s’at-tendoit pas d’avoir l’honneur de le recevoir;S.E. repartit qu’elle se contenteroit d’œufs frais, etqu’elle avoit impatience de se rendre auprès de SaMajesté; le s.r de Chantelou ayant sceu sa volontédéterminée donna l’ordre au pourvoyeur quiestoit à Lion, envoya un courrier à la Bresle18, oupartie des [f. 3] officiers s’estoient avancez, et àTarare pour avertir le reste afin qu’ils tinrent lelendemain le souper prest à Tarare19. Il y retournaaussi en toute diligence après avoir fait partir devoitures des glaces, avoir acheté des carafons etcarafes et autres choses dont les officiers avoyentremis à se pourvoir à Lion.

[7 juin, samedi. S.E. à Tarare; portrait du légat]Le Samedi bn.e [7] S.E. arriva à Tarare20 sur les

sept à huit heures, et ayant témoigné qu’elle eustesté bien aisé de souper seule en sa chambre, satable y fut aussi tost préparée. Les plats furent misdessus par le s.r Chamois, controlleur, [contrôleurclerc d’offices], le chapeau dessus la teste. Le s.rCourtet, aussi con.eur [contrôleur clerc d’offices],donna la serviette à S.E. et fit le reste du serviceteste couverte. Pour le s.r de Chantelou il se fitdonner un siège pliant et s’assit pour entretenirS.E. Il en usa de la sorte ayant sceu avant quepartir de la cour que M. de Mocé, m.e. d’hostel duroy, qui fut en 1625 avec la maison de Sa Majestépour recevoir et traiter M. le légat Barberin, enavait usé de mesme. Il ne seura peut estre pas

désagréable ni inutile de dire icy quelque chose dela personne de M. le cardinal Chizi; c’est unhomme fort bien fait, de physionomie noble, etqui fait juger qu’il a de la bonté et de la douceur.L’on voit dans ses yeux beaucoup de vivacité; sonpoil est fort noir et son teint blanc; il a le visageassez plein et le corps aussi; la main belle et lajambe fort bien faite, pour sa taille elle estmédiocre et son âge de trente trois ou trentequatre ans; au reste il est grave et ne parle guère;don Sigismond [Chigi]21, neveu du Pape, frère dedon Augustin et Cousin germain de M. le légatqu’il accompagne comme gentilhomme volontaireet le marquis Picolominj22, neveu de donAugustin, ayant aussi souhaité de mangerensemble en leur chambre l’on les y servit. Ensuite deux tables furent préparés dans un mesmelieu, pour les prélats ayant charge dans la légationet pour les seigneurs et abbés qui accompagnentM. le légat; M. de Montausier dit au s.r de Chan-telou, que quoy qu’il eust fait faire les préparatifspour servir ces tables aussi magnifiquement l’uneque l’autre, cela feroit des mécontents si ellesn’estoient posées en parallèle; Il les y fit mettre, etaprès par l’avis du marquis de Grillon23, gentil-homme du Comtat, qui accompagne aussi M. lelégat, les fit joindre bout à bout, et des deux on n’enfit qu’une. Elles furent servies fort magnifique-ment, nonobstant le changement d’ordre qu’avoitapporté dans le service le départ de S.E. un samedique l’on n’attendoit point que deux jours après.M. de Montausier s’assit d’abord sans cérémonie,puis M.[onseigneu]rs Colonna24, Viscontj25 et

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sonnes embarquées sur la galère «San Domenico»; à f. 3celles qui étaient sur la «San Alessandro»; au f. 3v, l’équi-page de la «Santa Caterina». Au f. 7-12 les membres de lalégation sont indiqués avec leurs charges. Chantelou ne citepas, entre autres, Giacomo Rospigliosi, neveu du cardinal,«spedito da Roma in Francia prima della presente partenzadel Card. legato» (Chigi E. II. 38, f. 8).

26. Bonaccorso Bonaccorsi (1616-1676), originaire de Monte-santo dans les Marches, «clerc de chambre» (prélat officierde la Chambre apostolique) d’Alexandre VII, majordome dela légation (G. R. Moroni, Dizionario di erudizione storico-eccle-siastica da San Pietro ai nostri giorni, specialmente intorno [...] aivarii gradi della gerarchia della chiesa cattolica e vescovili, [..] ,agli ordini religiosi, militari, equestri ed ospitalieri, non che allacorte e curia romana ed alla famiglia pontificia, 103 vol., Venise,1840-1861 vol. V, p. 315).

27. Francesco Ravizza, commissaire de la Chambre apostolique,auditeur du légat, auteur du mémoire de la légation qui estconservé à la BNF, ms. it. 1271 (ff. 30-145). Une copie«propre» du compte-rendu rédigé par M. Ravizza se trouveà Rome à la Biblioteca Corsiniana, cod. 243, col. 38-A-18(Relazione della legazione in Francia del sig. Card.le Flavio Chigi,l’anno 1664 di mons. Ravizzi , ms. di carte 209). Le mémoirerédigé par Francesco Ravizza nous fournit plus d’informa-tions que les autres mémoires sur les aspects diplomatiquesde la mission; il négocia avec Huges de Lionne, secrétaired’État des Affaires Étrangères, l’entrée solennelle du cardinalà Paris qui était subordonnée à la volonté de Louis XIV d’ac-quérir de nouveaux privilèges, c’est-à-dire un pouvoir parti-culier «nella nomina dei Benefici ecclesiastici delle diocesi diMetz, Verdun et Toul [..] et un cappello cardinalizio» à lafaveur de la France (M. Battaglini, Annali del sacerdozio e del-l’Imperio, t. III, Venise, 1709, p. 333). Battaglini nous donneaussi une image efficace du rôle de Ravizza «al quale in sos-tanza rimaneva appoggiata l’intera direzione della Legazione

per l’attività al negozio, per la capacità di una mente chiara,per la perizia legale e per la grazia nel favellare» (ibid.).

28. Francesco Bonvisi ou Buonvisi (1626-1700), docteur enutroque iure à l’université La Sapienza de Rome, évêque deThessalonique, nonce en Pologne et en Autriche, cardinal deSanto Stefano al Celio (1681), évêque de Lucques (1690).

29. Mgr Gio. Angelo Altemps.30. Baldini cite «Sr Co. Gio. Antonio Bigazzini, perugino» (f. 2

et 7v), membre d’une ancienne famille de Perugia.31. Ibid., «Conte Ercole Aldovrandi, bolognese».32. Ibid., «Marchese Patrizio Patrizi, senese».33. Ibid., «Marchese Roberto Pucci, fiorentino».34. Ibid., «fiorentino».35. Ibid., «Goffredo Marini, genovese», membre d’une famille

qui appartenait aux «vecchi» de la noblesse génoise.36. Ibid., «Filippo Nerli, fiorentino».37. Ibid., «fiorentino».38. Ibid., «Niccolò Baldeschi, perugino».39. Ibid., probablement, «Ambrogio Teodoli».40. St.-Symphorien-de-Lay, à 53 Km au nord-ouest de Lyon.41. Tarare est à 25 Km de Lyon. Baldini (f. 129v) : «luogo posto

in fondo di molti monti nei siti che lo circondano»; Ravizza(f. 59) : «Luogo povero, che farà sopra millecinquecentoanime. Gli alloggiamenti sono poco comodi ed i ministri dere fecero una bellissima cena».

42. Baldini (f. 131) : «luogo in cima di un monticello, sendo tutticolli e monti». Ravizza (f. 60) : «Si passarono molti villaggipoverissimi perciocché per la strada andavano in processionequelle povere genti à dimandare la limosina, e con taleimpatienza ovver impertinenza che se’ non havesseroveduta la gran comitiva del cardinale forsi l’haverebberovoluta con forza anche da quelli che venivano doppo».

43. Louis (1661-1711), fils de Marie Thèrese d’Autriche (1638-1683) et de Louis XIV.

Bonacorsj26 à l’autre, le premier [AlessandroColonna] est protonotaire, fils du Prince Carbo-niane, et accompagne à ce qu’on dit M. le légat enqualité de m.e de chambre quoy qu’il n’en ait pasfait la fonction, et doist [f. 4] demeurer en suitevice légat à Avignon. Le second [VitalianoVisconti], Milanais, auditeur de Rotes, ilaccompagne en qualité de dataire et doit allerNonce en Espagne quand la légation sera finie; c’estun home fort bien fait, et qui rassemble d’air devisage à défunt M. le cardinal Mazarin. Le troi-sième [Bonaccorso Bonacorsj] est clerc de chambredu Pape et maggiordomo de la légation. À cettetable mangèrent encore M. Ravizza27, commissairede la Chambre Apostolique, auditeur de M. lelégat, personne en qui il à le plus de confiance; Mess.rs les Abbez Bonvizi28 et [monseigneur]Altemps29, les comtes de Bigazzi30et Aldobrandj31,les marquis Patricj32 et de Puccj33, le ChevalierSachettj34, Gofrido Marinj35, Philippo Nerlj36, l’abbéPicolominj, l’abbé Castilionj37, le comte de Monte-martj, le Chevalier de S.ti Pierj, le Capitaine

Baldesqui38, le s.r Teodosio39, l’abbé Compagnj et les.r de Chantelou. Tous ces Messieurs lui firentparoistre une grand admiration des poissons quileur furent servis (qui leur parurent des monstres)et de la magnificence et délicatesse avec laquelle ilsestoyent traités.

[8 juin, dimanche. De Tarare à Saint –Saphorin40]

Le lendemain bm.e [8] S.E. dit la messe àl’église de Tarare41 et sans rien manger avant quepartir, monta la montagne en sa litière et fut lereste du chemin à cheval. Elle arriva à S.tSaphorin42 à onze heures, l’on lui donna quelquesbiscuits, et un doigt de vin qu’elle demanda enattendant le disner; il ne pût estre prest que sur lesdeux heures à cause du désordre de la maison. Satable servie, S.E. pria M. de Montauzier de s’yasseoir avec sept autres du nombre desquelsestoyent Dom Sigismont [Chigi], le jeune marquisPicolominj, M. Roberti, destiné Nonce en Francequi porte les langes bénits pour M. le Dauphin43,

Mémoire du traitement fait par la maison du roy à Monsieur le cardinal Chigi légat à Latere en France518 Daniela DEL PESCO

44. Roanne, ville sur la Loire située à 87 km à nord-ouest deLyon.

45. Le lieu est illustré par Canini (Chigi F. VIII. 191, ff. 46v-47r,«10 di giugno»); Baldini (ff. 133v, 134) décrit le cours de laLoire et nous informe que le pères jésuites, qui avaient uncollège «nel più alto di Roanne, ma in luogo comodissimo,dov’è un giardino vago», attendaient le légat. Ravizza(f. 61) : «Questa terra che è termine della Provincia lionesemediante il fiume Loire che bagna le sue mura, è assaigrande fabricato ad uso di Borgo con case basse se’ ben lestrade sono larghe. I P. P. Giesuiti hanno una bella chiesa, eColleggio con giardino si come anche il Convento de’P. P. Capuccini è grande e capace stantovi allora di stanza 19religiosi, hanno intorno Giardini e orti».

46. «Marsigni à cinq lieues de Roanne» est illustré par Canini(Chigi F.VIII.191, f. 49 «a dì 11 giugno»). Baldini(ff. 138v-139) : »Sendo alla man manca il Borbonese, et alla

dritta la Borgogna, questa e quella circondano il fiume concolli amenissimi». Ravizza (f. 61v) : «Si giunse al Castellochiamato Marsignino in Borgogna [..] è terra mediocre, chehà il borgo, le strade anguste fuori della principale, che èlarga; la notte s’abbrugiò la casa d’un particolare à cagione..àprendere il fieno nella stalla con il lume acceso».

47. Baldini (f. 141r) : «nella chiesa de P.P. Zoccolanti Riformatiche colà chiamano Recolletti».

48. Dessin de Canini (Chigi F.VIII.191, f. 48 : «Duin nella Bor-gogna, à dì 11 giugno»); Baldini (f. 142) : «Questo villaggio èformato di case per lo più à foggia di capannoni quasi tutti inisola, ma cosi vicine alla riviera che S.E. potè andare àpiedi». Ravizza (f. 62) : «per la sua angustia si ebbe un pes-simo alloggiamento, percioccè le case, che non possonoascendere à cinquanta, sono quasi tutte fabbricate con legniin forma di capanne». Digoin est à 131 km au nord de Lyon.

et les quatre autres prélats sus-nommez [Colonna,Visconti, Bonaccorsi, Ravizza]. M. le légat estoitseul à une des faces de sa table, laquelle estoitquarrée, et à toujours servy depuis en cette forme.Il y avoit dans la mesme salle une autre tablequarré longue qui fut servie à cinq services commecelle de M. le légat, ou mangèrent dix sept ou dixhuit personnes. Ces deux tables furent mises de lasorte en mesme lieu, sur ce que M. Bonacorsj [leMajordome] fit entendre au s.r de Chantelou queS.E. le souhaitoit ainsi pour ne pas mécontenteraucun des seigneurs et abbés qui l’accompa-gnoyent. Il lui dit aussi que la table à deux plats ettrois assiettes qui avoit esté servie à Tarare pouraucuns des officiers de la Daterie et Secrétaires deS.E. pouvoit estre jointe aux deux tables de famillequi estoyent pour la suite de M. le légat, pour lamesme raison de ne mécontenter personne. Lesoir S.E. avoit demandé quelques plats dans sachambre, mais après Elle ne voulut que de la limo-nade, et ce que l’on lui avoit preparé fut donné àdon Sigismont [Chigi] et au marquis Picolominj,qui mangèrent seuls en [f. 5] mesme chambre; lestables de S.E. et des seigneurs furent jointesensemble ce soir là, comme le soir précédent.M. Roberti, qui avoit esté blessé à une jambe, etquelques prélats demandèrent à manger dansleurs logis où ils furent servis.

[9 juin, lundi. Rouanne44 : le voyage se pour-suit en bateau sur la Loire]

Le ix.e [9] S.E. arriva à Rouanne45, Elle y disnaà l’ordinaire; Le soir Elle ne soupa point; Les tablesdes prélats et seigneurs furent servies comme lejour précédent; Après S.E. devant s’embarquer, le

m.e d’hostel du roy [Chantelou] donna les ordresque sa barque et toutes les autres fussent muniesde pain, de vin, de pastes, de viandes froides, et detout ce qui estoit nécessaire pour manger sur larivière sans descendre pour disner. Il y eut unbateau attaché à celui de S.E où l’on mit toutes lesprovisions, et dedans il y entra un Contolleur, etun chef de chaque office pour servir S.E.

[10 juin, mardi. Marsigny en Bourgogne]Elle arriva le dixième sur les trois heures après

midi à Marsigny46, où s’estant trouvée indisposéed’une migraine au lieu d’aller dans le logis qui luiavoit esté marqué dans la ville, Elle logea auconvent des Recollez47 plus prez du port et secoucha d’abord que son lit eust esté dressé. Luiayant esté demandé par le m.e d’hostel du roy[Chantelou] ce qu’elle vouloit manger, Elle ditqu’elle ne vouloit qu’un morceau à demie heurede nuit; Il lui fut porté trois ou quatre plats deviande et de fruit; Elle ne mangea guère, et aprèsdit qu’elle partiroit le lendemain à huit heures dumatin. Le feu se mit la nuit au logis du juge de laville, où estoit logé un des seigneurs Italiens.

[11 juin, mercredi. Digoin en Bourgogne]Le xi.e [11] on arriva à Digoin48 à une heure

après midi. S.E. fut à pied à la promenade, où Elledemeura jusque à ce que la pluie l’obligea deretourner à la maison; le s.r de Chantelou luiayant demandé, si Elle souperoit en public, Elle ditque oui. L’on prépara les tables et l’on les joigniten une à cause que la salle estoit fort petite et queM. de Montausier avoit dit qu’estant jointesensemble, elles paroissoyent plus magnifiques que

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49. Voir note 23.50. Baldini (f. 143) : Bourbonlancy «distante dal fiume una pic-

ciola lega»; Ravizza (ff. 62r-63) : «Borbone è situato sopraun monticello dal quale si gode la vista delle belle campagnee dei castelli convicini. Hà una piccola fortezza à cui per lasua antichità non è rimasto altro che il nome, priva affattod’armi e di custodie. Quivi sta il bagno rinomato di Borbonein Borgogna à differenza dell’altro Borbone nel Borbonese».

51. Baldini (ff. 144-144v) : «La struttura antica di questi bagnimostra la loro magnificenza; consistono in 7 bocche chemandano fuori acqua calda e fumante».

52. «Sis», au confluent de la rivière Aron et de la Loire, estillustré par Canini (Chigi F.VIII.191, f. 53, «a dì 13 giugno,Veduta della città di Sis nella provincia di Livernesi luogo del

duca Mazzarino»). Baldini (f. 145) : «S’incamminò versoDecize distante sei leghe da Bourbon[lancy]. Il viaggio nonpoteva essere più vago; à mano dritta l’amenità della cam-pagna, alla manca i colli [...]. Giunti à Decize nella provinciadi Nivernois, S.E. trovò alla riva il Clero e i consoli col bal-dacchino». Ravizza (f. 63v.) : «Desise pertinenza del duca diNivers [..]. Questa terra è ben grande piena di gente civile ericca e posta sopra un’isola che li fa il fiume [..] ha il borgo dilà dalla riva dove si và per un gran ponte di pietra di 20 archià mano destra e alla sinistra vi sono alcune casette, alle qualisi giungeva parimente per un altro ponte ma hora è rotto».

53. Sorte de baldaquin élevé au-dessus d’un autel ou d’untrône.

séparées, et qu’il eust esté à désirer que M. le légatles eust vue de la sorte. M. de Montausier avantqu’elles fussent couvertes, estant venu au logis deS.E., le s.r de Chantelou lui montra cette disposi-tion de tables, et lui en demanda son sentiment; Ilfut de ne pas faire servir sans avoir celui dumaggiordomo [Bonaccorsi], qui ne s’estant pastrouvé, on en parla à M. Ravizza et à M. lemarquis de Grillon49. Ils dirent l’un et l’autre, quece seroit comme le s.r de Chantelou le jugeroit àpropos, lequel ne s’en tint pas à cela, et en parla aumaggiordomo [Bonaccorsi] qui y trouva del’inconvénient. Il se fit une consultation, et mesmeà S.E., la conclusion fut qu’il y auroit deux tablesséparés, lesquelles estant servies M. le légat se mità la première seul à une face, à sa droite se mitM. Visconti, M. de Montausier, et M. Ravizza et, àsa gauche, M. Colonna et M. Bonacorsj; don Sigi-sont [Chigi] estoit à l’autre avec le reste desseigneurs et Abbez. Le jeune marquis Picolominjne voulut jamais se mettre qu’au plus bas boutquelques violences que quelques uns de cesMessieurs lui fissent; les deux [f. 6] tables furentservies magnifiquement. Celle de M. le légatn’estant distinguée que par son cadenas, levermeil doré de ses assiettes, et des flambeaux. Il yà eu par tout une si grande presse à voir mangerS.E. qu’a peine les officiers pouvoyent avoir placepour faire le service, quelque ordre qu’on y appor-tast.

[12 juin, jeudi. Les thermes de Bourbonlancyen Bourgogne]

Le lendemain matin, jour de la feste Dieu,S.E. arriva au port de Bourbonlancy sur les deuxheures; de là elle fut à la ville qui en est distantesde demie lieue50; Elle dit au s.r de Chantelou

qu’elle souperoit à huit heures. Cependant Ellereçut quelques harangues d’officiers et de reli-gieux, et donna la bénédiction dans sa chambreaux personnes qui s’y présentèrent por cela. Lesoir Elle fut voir les fontaines d’eau chaude et lesbains; l’on peut dire en passant que la construc-tion en est magnifique, et solide, et de la manièredont bâtissoyent les Romains avec des grandsquartiers de pierre, dont les liaisons ne paroissentpresque point51. Il y a divers bassins de fontainesd’eau chaudes les unes plus, les autres moins; il yen a mesme une d’eau froide proche des chaudes,on voit de ces bassins faits tout d’une pierre, quoyqu’ils aient cinq ou six pieds de profondeur. Quel-ques uns du lieu assurèrent qu’ils estoyent d’unepierre fusille. S.E. jeta quelques pièces d’argentdans le bain qui est un peu séparé des fontaines.Des jeunes garçons du lieu qui estoient là tous nussur le haut du bain, se précipitèrent aussi tostdedans pour aller prendre au fond de l’eau qui estdistante du haut du bassin de dix ou douze pieds.Quelques uns des prélats et seigneurs s’ybaignèrent, entre autres M.Visconti et le marquisde Grillon. S.E. soupa et fut servie comme le jourprécédent, n’y ayant à sa table que sa personne etcinq autres, sçavoir, à sa droite, le maggiordomo[Bonaccorsi] et M. de Montausier; à sa gauche,M.rs Colonna et Ravizza; M. Visconti ne vintqu’après les autres à cause qu’il se bagnoit.

[13 juin, vendredi. De Bourbonlancy à Dezizeen Nivernois]

Le lendemain xm.e [13] S.E. dit la messe à septheures et partit à huit. Sur les trois heures du soirElle arriva à Dezize52, où le peuple en armes lareçeut sur la grève du port; Il y avoit un dais53 avecune chaise qui y estoyent préparez, mais Elle ne se

Mémoire du traitement fait par la maison du roy à Monsieur le cardinal Chigi légat à Latere en France520 Daniela DEL PESCO

54. Au f. 7 de BNF, ms. fr. 6143 on lit : «Bains de Bourbon»;aux ff. 7v-8r figure le plan des thermes de Bourbonlancyavec les notices en français; f. 8 v est blanc. Ce plan est unecopie du dessin de Canini (Chigi F.VIII.191, ff. 50v-51r, avecnotices en italien); une autre copie, avec notices en français,est aussi conservée à la BNF, Cinq Cents de Colbert, 175 Ve,ff. 7v-8r.

55. Baldini (ff. 148, 149r, 149v, 150r) : «Ha questa città una bel-lissima Catedrale tanto dentro, quanto fuori lavorata allagotica con un bizzarro campanile pieno di bassi rilievi. Ilquadro dell’Altar maggiore è una mad.a con Bambino inmarmo bianco di rilievo con altri bassi rilievi attorno con 4colonne di porfido. À mano manca dell’Evangelio vi è solle-vato in alto il deposito di Lud.co Gonzaga, e di Enrica suamoglie consistenti in 2 statue di marmo bianco, che stannoin ginocchio guardandosi l’una l’altra, e nella mano dritta visono 2 altre simili sepolti sollevati 12 palmi da terra soprabasi di marmo bianco e negro ben lavorati [..]. La piazzalunga assai è quadra; ha li due faccie laterali uniformi di tettiaguzzi coperti di lavagne fatti à mattoncini [..]. In faccia vi èun bellissimo palazzo, sopra i quali si va per tre scalelumache, il cui giro tondeggia sporgendosi in fuori, e questiorbiculamenti tutti di pietra danno un vago ornamentoall’architettura; [f. 151r] è stato fabbricato dal duca di Cleve,gran sig. Borgognone. Non ha la Francia una piazza più ricca

e più bella perchè la campagna è amena, ricca d’ogni caccia-gione, e fruttifera». Ravizza (f. 64v) : «La detta catedralededicata a San Ciriaco è un vaso capace di struttura gotica, laquale ha tre navate di molta proporzione e quantità di bassirilievi particolarmente del detto Santo sopra l’altar maggiore.Vi sono tre belli sepolcri di marmo colle statue de’duchi diMantua prima duchi di Nevers defunti. Finite le orazioni ilcard. andò all’alloggio destinatoli nel palazzo del duca, ilquale dentro hà belle stanze, Galleria e cappella, e di fuoriuna vaga prospettiva alla piazza che è quadra ornata intornod’habitationi di pari altezza e architettura [f. 65] La città diNivers non supera di grandezza un’altra città mediocred’Italia. È però piena di gente civile et ingegnosa in lavorareparticolarmente galanterie di vetro e cristallo». Sur le monu-ment des Gonzague, voir la note 43 dans D. del Pesco, Lalégation... Au sujet de son arrivée à Nevers le cardinal Chiginote : «Doppo 4 giorni di viaggio per aqua ritrovandomiquesta sera a Nivers con la scorta continua del marchese diMontosier e delli altri ministri della casa Reggia li quali noncessano in ogni luogo con magnificenza grande di trattarmi,calcolo di non haver fatte più di 33 leghe, quando si sareb-bero potute comodamente raddoppiare conforme haverei iodesiderato non meno per finirmi di liberare da questo tediodel fiume» (BAV, Chigi E.II. 35, f. 44).

56. L’abbé Spinola s’était rendu en Espagne (Baldini, f. 149v).

servit pas de la chaise qui estoit en mauvais ordre,S.E. fut à l’église où l’on chanta le Te Deum, à lafin duquel le Curé ayant dit l’oraison, S.E.s’approcha de l’autel et s’agenouilla devant le S.tSacrement qu’Elle encensa; puis s’estant levée, etayant pris la croix, Elle donna la bénédiction aupeuple, et dix années d’indulgences et dix quaran-taines; ensuite Elle fut chez Elle, où le s.r de Chan-telou lui ayant demandé à quelle heure il luiplaisoit de souper, Elle lui dit qu’Elle avoit tropmangé dans le bateau, qu’Elle ne vuoloit qu’unelimonade à demie heure de nuit; elle fut après sepromener seule avec M. de Montausier le long dela rivière, il ne revint qu’après le soleil couché; lestables furent jointes et servies à l’ordinaire, mais ilne s’y trouva que neuf ou dix personnes, donSigismont et le marquis Picolominj ayantdemandé à manger en leur chambre, la plus partdes Cavaliers [f. 9]54 ne mangèrent point à la table,piquez, comme il s’est sceu depuis, de voir lesprélats s’asseoir toujours aux premières places.

[14 juin, samedi. De Dezize à Nevers]Le xnn [14] M. Le légat arriva à Nevers à trois

heures, M. de Vieubourg Gouverneur vint audevant de S.E. et la receut à une portée de pistoletdu pont avec la noblesse du pays au nombre dedeux ou trois cents chevaux. S.E. monta dans soncarrosse qui l’attendoit sur le bord de l’eau, etpassa sur le pont qui estoit bordé d’habitants en

armes; les officiers de la ville le haranguerent et luioffrirent le dais, dont Elle ne se servit qu’àcinquante pas de l’église Cathédrale, où il futreceu par tout le clergé et les religieux55. S.E. futpar eux accompagnée à l’église à l’entrée delaquelle le chapitre l’attendoit; Elle entra dans lechœur où le Te Deum fut chanté et la cérémonieachevée, Elle donna comme le jour précédent labénédiction au peuple, et dix années d’indul-gences et dix quarantaines. Delà Elle fut au chas-teau, où estoit son logement. Le m.e d’hostel duroy [Chantelou] lui ayant demandé à quelle heureElle vouloit souper, Elle dit à huit heures; Cepen-dant Elle donna dans sa chambre la bénédiction àceux qui y furent adis. Elle soupa entre huit etneuf en habit rouge, avec le bonnet, ce qu’Ellen’avoit point encore fait. Il y avoit à sa table ceuxqui y mangent d’ordinaire, et M. le Gouverneurqu’Elle pria d’y prendre place. À l’autre tablemangea don Sigismont [Chigi], le marquis Picolo-minj, et tous les autres seigneurs et abbés, dunombre desquels estoit l’abbé Spinola qui joignit làS.E.56. La salle où les tables furent servies est extrê-mement grande, et avec cela on ne pouvoit s’ytourner, tant il y avoit de monde, quoy que lesgardes de M. le grand prévost tinssent les portes.

[15 juin, dimanche. De Nevers à la Charité-sur-Loire en Bourgogne]

Le xb.e [15] S.E. entendit la messe puis

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57. La Charité-sur-Loire, à 30 km au nord de Nevers, passageobligé sur la Loire, étape majeure sur les chemins de Saint-Jacques de Compostelle. Ravizza (ff. 65, 66) écrit : «La terrasoggiace nel temporale e spirituale al Priore della Charité,che hoggi si governa sotto la direttione di Monsieur di Col-bert; ha un ponte di pietra nel quale si va al Borgo posto inuna Isola del fiume Loere [Loire] habitato da gente di cam-pagna grande un terzo della medesima terra, la quale faràcirca ottocento fuochi, e per le sue muraglie, forti e pontilevatori alle porte, rimostra essere stata secondo fu riferitouna delle fortezze fabricate dagli Ugonotti de quali hora vidimorano venti famiglie».

58. Baldini (f. 153v) : «La chiesa nella quale terminò la proces-sione, fu data à bened.e. Si chiama nostre Dame, cioè laMadonna». Voir aussi Ravizza (ff. 66, 67).

59. Baldini (f. 155) : «Cona, villa, cioè città piccola, lontanadalla Charité 6 leghe». Cosne-sur-Loire à 47 km de Neversdoit son importance à la position sur deux fleuves, La Loireet le Nohain, et sur les routes Paris-Autun et Auxerre-Bourges. Ravizza (f. 68) : «Cone terra piccola et angusta chediede perciò poco buoni alloggiamenti».

60. À «Castelnuovo» est dédié un dessin de Canini (ChigiF.VIII.191, f. 57v, 58, sans date). Le cardinal Chigi registrequ’il s’agit de «luogo di giurisdizione di Monsieur de la Vril-lière, uno dei vecchi segretarii del re, ...ma il castello didetto, dove alloggiai, non poteva esser nè più magnificoall’uso di Francia, nè meglio abbigliato havendo data

commodità, non solo à quelli della casa di sua Maestà, maanche alla maggior parte della mia famiglia» (BAV, Chigi,E. II. 35, f. 47v). Baldini (f. 159v-160v) : «palazzo con giar-dino in piano, la parte che riguarda la riviera lungo millepassi andanti e largo 500. Vi si cala per una scalinata, chealla metà ha un ponte levatoio con un ripiano bellissimo, epoggioli à proposito per tenere i vasi; à mano dritta ha unacivilissima boscaglia circondata da spalliere fittissime, dentrovi sono artifitiosi viali e fontane, che formano peschieretonde. Nel mezzo di questi boschi si apre il piano del giar-dino, di là sei fontane sorgenti da terra». Le 18 juin Ravizzase rend à Fontainebleau pour organiser avec M. de Montau-sier la rencontre entre Louis XIV et le légat; il rentre àOrléans le 22 juin. Dans son mémoire il rapporte que «Mon-sieur de Lionne [secrétaire des Affaires Etrangères] ha dettoapertamente che se il Signor Cardinale porterà delle graziedesiderate dal Re, sarà ricevuto in Parigi, altrimenti in Fon-tablò dove non si sarebbero tralasciate le cose solite del ceri-moniale. Le grazie [...] secondo egli disse sono un cappellocardinalizio e l’indulto di nominare alle tre chiese di Metz,Tun [Toul] e Verdun, con restringere ad una à l’elettione diSua Santità. Veramente sono grazie le più grandi e conside-rabili che si potessero chiedere perciocchè N.S. non può farcosa che maggiormente risplenda nel suo principato chel’elezione di un cardinale e si tocca a S. San.tà un puntocirca le chiese che fu domandato in cinque pontificati esempre negato» (f. 70r).

s’embarqua sur les neuf heures pour aller à laCharité57, où Elle fut reçue avec beaucoup d’appa-reil, les rues estant tapissées, et mesme couvertesen beaucoup d’endroits à cause de la pluie. Il est àremarquer qu’elle ne cessa point ces deux derniersjours qu’au temps que S.E. débarqua et qu’aprèsqu’Elle fut à son logis elle recommença commeauparavant. S.E. soupa dans le réfectoire duPrieuré qui est aussi grand et élevé que l’églisemesme58. Elle y fut servie à l’ordinaire; les reli-gieux faisoyent au commencement difficulté queles femmes y entrassent à moins que S.E. lecommandast; l’abbé Castilionj qui avoit amené seshostesses pour la voir souper, se chargea de scavoirla volonté de S.E. qui répondit que si les religieuxne l’avoient pas agréable, Elle ne vouloit pas lepermettre. Cependant des religieux eux mesmes yen ayant introduit par des portes dont ils avoientles clefs, il y en entra par toutes les autres; le lieuest vaste et grand, et n’estoit pas suffisammentéclairé des lumières des tables, c’est pourquoy l’onalluma des flambeaux de poing, que l’on fit tenirautour des tables.

[16 juin, lundi. De la Charité-sur-Loire àCosne-sur-Loire]

Le xbi [16] S.E. ayant entendu la messe sur les

[fol. 10] sept à huit heures s’embarqua et arriva àCosne59 sur les trois heures. Elle y fut reçuecomme dans les autres lieux; et avec les mesmescérémonies. À la sortie de l’église Elle fut auxAugustins où son logement avoit esté marqué; surles six heures Elle alla se promener dans lacarrosse de M. de Vieubourg; M. de Montauzier etM. Ravizza estoyent avec Elle. Elle n’en revintqu’à huit heures. Incontinent après les tablesfurent servies dans le réfectoire des Pères, où il yavoit à l’ordinaire grand monde à voir souper S.E.;don Sigismont [Chigi] et le marquis Picolominj semirent comme les jours précédents, à la secondetable, et prirent les moindres places, quoy qu’ilss’assissent les premiers.

[17 juin, mardi. Gien]Le xbn.e [17] S.E. arriva à Gien, il n’y eut

aucun préparatif d’entrée pour S.E. Les habitantsdirent qu’ils n’avoyent esté avertis de sa venueque par les maréchaux des logis.

[18 juin, mercredi. Châteauneuf-sur-Loire.S.E. visite le château de M. de La Vrillière, secré-taire d’État]

Le xbm.e [18] Elle fut à Chasteauneuf60, et yarriva entre quatre et cinq. Elle fut se promener

Mémoire du traitement fait par la maison du roy à Monsieur le cardinal Chigi légat à Latere en France522 Daniela DEL PESCO

61. Philippe d’Orléans (1640-1701), duc, dit Monsieur, ouS.A.R., frère de Louis XIV. Il épousa Henriette-Anne d’An-gleterre (1644-1670), fille du roi Charles Ier et de Henriette-Marie, fille de Henri IV, roi de France. Pendant la légationChigi nacquit Philippe-Charles d’Orléans, duc de Valois (16juillet 1664) qui mourut le 8 décembre 1666. Chantelouconnaît bien la demeure de Monsieur, le château de Saint-Cloud qui lui fut offert par son frère, le futur Louis XIV en1658, et dans lequel il entreprit de nombreux travaux, enparticulier la construction de grands jardins à la française. En1665, Bernini s’y rendra pour dessiner une monumentalefontaine dans le parc jusqu’aux berges de la Seine. Monsieurse remaria en 1671 avec la fille de l’Électeur Palatin, Char-lotte-Élisabeth de Bavière (1652-1722), qui était une petite-cousine d’Henriette d’Angleterre. Ils auront trois enfantsdont le duc de Chartres (1674-1723) futur régent à la mortde Louis XIV, et Mademoiselle de Chartres, future duchessede Lorraine et de Bar.

62. Saint-Fargeau, localité en Bourgogne, à 92 km au sud d’Or-léans. «La maison de Mun» citée par Chantelou pourraitêtre le château de Montargis, à 70 Km à l’est d’Orléans, quiappartenait à Philippe d’Orléans et qui fut détruit en 1810.La célèbre cheminée du château est représentée dans lefrontispice des différentes éditions du livre d’Androuet duCerceau, Les plus excellents bastiments de France.

63. Baldini (f. 163v) : «La città d’Orléans, che fu il termine dellalunga navigazione fatta in tanti giorni ...senza mangiar né ipranzi una vivanda calda». Orléans est à 120 km au sud deParis.

64. A Orléans est dédié un dessin de Canini (Chigi F.VIII.191,f. 54, daté «19 di giugno»); voir Baldini (f. 164).

65. Magistrats municipaux.66. Bensogne (1663, f. 108) cite M. de Bourlon de Choisy parmi

les dix-neuf écuyers servants par quartier, payés 700 livres(en service le mois d’avril 1663); «Le premier écuyer a soinde la petite écurie du roy, c’est à dire des chevaux dont leroy se sert ordinairement. Il commande aux pages et valetsde pied de la petite Ecurie, etc. desquels il a droit de seservir».

67. Anne d’Autriche (1601-1666), épouse de Louis XIII en 1615.68. L’Infante Marie-Thérèse d’Autriche (1638-1683), épouse de

Louis XIV en 1660.69. «Valet de pied», c’est-à-dire qui suit son maître quand il va à

pied. Pour cet accueil : Baldini (ff. 165-168).70. Pour l’église de Saint-Croix : Baldini, f. 169.71. Charles d’Escoubleau, marquis de Sourdis et d’Alluie.72. Nom donné à des tribunaux civils et criminels jugeant en

première instance, établis par Henri II en 1551 et supprimésen 1792.

73. «Prévosté», résidence du prévôt, officier royal.

dans les jardins et lui ayant esté demandé à quelleheure Elle vouloit souper, elle dit qu’Elle avoittrop disné, et qu’Elle ne souperoit point.M. l’évesque d’Orléans arriva au bourg pour y voirS.E. S’estant trouvé indisposé, M. de Montausierle fut voir. Ils conférèrent long temps sur les diffi-cultés qui se trouvent sur l’habit que doivent avoirles prélats françois dans les cérémonies ou seraM. le légat. M. d’Orléans61 vint après au Chasteau,et S.E. n’estant encore revenue de la promenade,il attendit et La salua à son retour; après il la suivitdans sa chambre où ils s’entretinrent quelquetemps et partit après pour aller coucher à samaison de Mun, mais il resta à Fargeau62 malade,ou feignant de l’estre pour ne se pas trouver àl’entrée d’Orléans.

[19 juin, jeudi. De Châteauneuf à Orléans. Finde la navigation sur la Loire et accueil solennel]

Le xixe [19] S.E. Arriva à Orléans63, où Elle futreceue à la sortie de son bateau au bruit du canon;on lui avoit préparé une espèce de galerie de char-pente couverte de tapisserie, afin qu’Elle pristterre plus facilement. Sur cette galerie64 les Maireset Echevins65 la saluèrent et lui présentèrent lesclefs de la ville et le dais; à l’égard des clefs Elle ditqu’elles éstoyent en bonne main, et pour le dais,Elle fit entendre qu’elles le prendroit lors qu’elleseroit à la place. Après Elle monta dans le carrossedu roi, et M.rs de Montausier, Colonna, Visconti,

Roberti et de Bourlon, escuyer de Sa Majesté66 ; lereste des abbés et seigneurs montèrent dans lescarrosses de la reyne mère67, et de la reine68. Cescarrosses éstoyent venus à Orléans sous laconduite du sieur de Bourlon avec six pages duroy, douze valets de pied69, et douze chevaux demain couverts de housses en broderie d’or. QuandS.E. approcha de la place du Martroy, Elle eut à sarencontre le clergé [f. 11] tant séculier que régulierde la ville; Elle descendit de carrosse, quitta lechapeau qu’elle avoit eu jusque alors et prit lebonnet. Après avoir receu le compliment duDoyen de l’église de S.t Pierre, S.E. se mit sous ledais qui fut porté par quatre des Echevins de laville. Elle marcha donnant incessamment desbénédictions au peuple, dont l’affluence estoitgrande jusque en l’église de S.te Croix70, où fut faitla même cérémonie qu’aux églises des autresvilles. Lors qu’elle fut achevée, Elle remonta dansle carrosse du roy, et fut conduite au logis ou logeSa Majesté quand Elle est à Orléans. Au dessus dela porte estoyent les armes de sa Sainteté; celles duroy, de Monsieur, de M. le légat, et de M. lemarquis de Sourdis, gouverneur de la Province71,et celles de la ville, dont les corps vinrent lui fairele révérence. Il fut premièrement complimenté parles officiers du présidial72, par les trésoriers deFrance, par les officiers de la prevosté73, par ceuxdes eaux et des forests escortez de trente gardesvestus des livrées de S.A.R., par les docteurs de

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74. Employés laïques subalternes d’une église.75. Bâtons à tête d’or ou d’argent qu’on portait dans certaines

cérémonies.76. Membres d’un corps (l’université) chargés de certaines fonc-

tions pour le service de ce corps.77. Baldini f. 171 v : «situato in una bella strada».78. Baldini f. 172v.79. Soupe faite de pain, d’eau et de beurre bouillis ensemble; on

ajoute souvent du lait et un jaune d’œuf.

80. Plat de viande coupé en morceaux cuit dans une sauceépicée.

81. Ravizza (ff. 77r-77v) : «Andò a pigliar aria in una villa, chia-mata Nepti due leghe lontano da Orléans spettante al Mares-ciallo del logi del Re [M. Déscures] dove sono lunghi vialicoperti di alberi, giardini ben disposti, e si videro anche trèisole in mezzo ad un fiume detto Sorse».

82. Pithiviers, localité située à 48 km au nord d’Orléans et à 90km de Paris.

l’université en robes rouges précédez de leursbedeaux74 portant leurs masses75, et suivi des offi-ciers supposts76 de la mesme Université; les Alle-mans et autres estrangers qui composent la nationgermanique y furent aussi, et la plus part haran-guèrent S.E. en latin; à ceux qui parlèrent latin,Elle respondit en latin, à ceux qui parlèrent fran-çois Elle respondit en italien.

[20 juin, vendredi. Orléans]Le xx.e [20] après avoir fait des despeches Elle

receut encore quelques harangues et des présentsde ville, puis Elle fut entre dix et onze entendre lamesse à une église de religieuses. Elle disna à midiet demi; sur les six heures du soir Elle fut sepromener en carrosse par la ville pour en voir lesplus belles rues et places publiques; à son retourlui ayant esté demandé à quelle heure il lui plai-soit souper, Elle dit qu’Elle ne vouloit rien du tout.

[21 juin, samedi. Orléans]Le xxi.e [21] Elle entendit la messe aux

Recollez, disna à midi, et fut à la promenade versle Capucins qui sont de l’autre costé de la rivière, yayant à son cortège six carrosses à six chevaux, lespages, valets de pied, et les douze chevaux demain avec leurs houssers; à cent pas au delà duconvent des Capucins77 S.E. descendit de carrosse,et monta à cheval; M. de Montausier y montaaussi, et don Sigismont [Chigi], le marquis Picolo-minj et quelques autres S.E. ne revint qu’a demieheure de nuit aux flambeaux. Elle dit au retour aum.e d’hostel du roy [Chantelou] qu’elle ne vouloitque des œufs frais, quoy qu’Elle lui eust dit lematin qu’Elle eust bien voulu qu’on lui servist unpotage à l’eau, une omelette et des œufs à l’huileaccommodez comme un de ses officiers diroit àceux de Sa Majesté. Ce jour là il y eut quelquemurmures dans la maison de M. le légat pour laposition de ses armes, qui avoyent esté mises aprèscelles de S.A.R. [le duc Philippe d’Orléans] aux

portes de la ville et de son logement, où ellesdemeurèrent neantmoins de la sorte.

[22 juin, dimanche. Orléans][f. 12]Le xxn.e [22] S.E. dit la messe aux

Recollez avec un appareil grand et pompeux par larichesse de sa chapelle et autres ornementsd’église; à l’issue Elle s’en vint disner, et pendantqu’elle estoit à table, M.r Ravizza qui estoit allé àla cour en revint et disna à la table de S.E.78

[23 juin, lundi. Orléans]Le xxm.e [23] vigile de S.t Jean Elle prit méde-

cine s’estant trouvée incommodée d’un mald’estomac. Elle fit dire au s.r de Chantelou par leseigneur Theodosio Scales, ou escuyer tranchantde S.E., qu’Elle souhaitoit qu’on lui fît un bouillonà la viande, et qu’on lui accomodast deux ou troispetits plats de la sorte que ses officiers diroyent àceux du roy. Ces plats furent une panade79 et unpoulet en ragoust80 et des asperges; cela lui futporté par un petit escalier des robé dans soncabinet, où Elle mangea en particulier, et y futservie par le s.r Courtet. Le soir mesme, les tablesfurent servies fort magnifiquement [comme] lematin. Le soir, comme il estoit jeusne, il n’y eutque des potages, des entremets et du fruit. Tous lesprélats et seigneurs ayant dit qu’ils ne vouloyentpoint de poisson. Sur les six ou sept heuresS.E. fut à la promenade à la maison deM. Déscures81.

[24 juin, mardi. Orléans. Projet de partir pourPithiviers82]

Le xxnn.e [24] Elle entendit la messe, disna,soupa et alla à la promenade comme les joursprécédents, le s.r de Chantelou lui demanda le soirl’ordre de partir en présence de M. de Montausier;il fut concerté entre Elle et M. de Montausierd’aller le lendemain disner et souper à Pleuviers[Pithiviers] pour éviter la chaleur du jour. Le

Mémoire du traitement fait par la maison du roy à Monsieur le cardinal Chigi légat à Latere en France524 Daniela DEL PESCO

83. Voir note 23, ici même.84. Ravizza (ff. 78v-79r) : «Casa d’un particolare molto

commoda di dove si godeva la vista d’un bellissimo parco epomaro contigui. [...] Si aspettò il pranzo più hore le quali sipassarono in discorsi, e nel leggere la descrittione d’alcunefortezze d’Alemagna, le piante delle quali erano ligate in duelibri trovati nell’alloggiamento. Il 26 il Sr. cardinale si portòalla Collegiata, dove doppo udita la Messa nell’Altare mag-giore, ornato di statue di marmo, e di rilievo, che lo rendonoassai bello e maestoso, diede le benedittione al Popolo».

85. À Nemours sont dédiés deux dessins de Canini (ChigiF.VIII.191, f. 55, «a dì 29 giugno»; f. 56, «a dì 30 giugno»).Baldini (f. 188) : «La città è piana con buone strade, ha unponte sopra il suo fiume».

86. Bensogne (1663, f. 212) cite M. de Chabenat-Bonœil, intro-ducteur des ambassadeurs, au semestre de janvier 1664(payé 600 livres) et M. Giraut «qui sert toute l’année (1200livres) : Lors qu’un ambassadeur vient à l’audience, quand ildescend de carrosse dans la cour du Louvre proche le prin-cipal escalier, le grand maître ou le maître des cérémonies,etc. le reçoit et prend la droite; l’introducteur des ambassa-

deurs se met à la gauche, et montent ensemble de la sorte,jusqu’à la porte de la salle des gardes, où le grand maître, oubien le maître des cérémonies quitte sa place au capitainedes gardes, et va devant avertir Sa Majésté». Le sieurGirault, aide des introducteurs des ambassadeurs, tels queM. de Bonneuil, est cité beaucoup de fois dans J. Rousset deMissy, Le Cérémonial diplomatique des cours d’Europe, Ams-terdam, 1739.

87. François-Honorat de Saint-Aignan de Beauvilliers (1607/10-1687), comte et duc (1663), membre de l’Académie royale,poète et auteur de comédies; en qualité de premier gentil-homme de la chambre du roi, il eut la charge d’organiser lesPlaisirs du roi, une activité qui lui permit de devenir l’in-fluent protecteur de nombreux artistes. Bensogne (1663,f. 199) : «les préférez [..] sont les grands officiers nécessairespour le service, comme le capitaine des gardes, le premiergentilhomme de la chambre, & le gr. chambellan. Maiscomme il est bien difficile d’établir au vrai les rangs de cesgrands, puisque les rois même laissent toujours indécises cesdisputes de préséance, nous ne nous en expliquerons pasdavantage».

maréchal des logis y fut aussi qui receut pareilordre. Il avoit esté proposé d’envoyer des officierspour accommoder quelques plats à moitié cheminpour S.E. et pour ceux qui seroyent en carrosseavec Elle; mais comme il n’y avoit pas de lieu assezcommode entre Orléans et Pluviers [Pithiviers]pour y passer la chaleur du jour, M. de Montau-zier jugea plus à propos d’aller disner à Pluviers.Pour ce faire il fut arresté que S.E. partiroit à cinqheures du matin. Ce mesme jour le maggiordomo[Bonacccorsi], qui estoit party de la Charité pouraller à Paris, et avec lui M.rs de Grillon83, Aldo-brandj, Sachettj, Nerlj et Marinj en revinrent; cescinq derniers couverts de plumes, de points deVenise et de ruban.

[25 juin, mercredi. Depart d’Orléans pourPithiviers]

Le xxb.e [25] M. le légat, après avoir entenduLa messe partit d’Orléans à cinq heures du matin,comme il avoit resolu, et arriva à Pluviers [Pithi-viers] entre dix et onze; S.E. disna à midi et demi;Elle ne fut point à l’église, comme aux autres lieuxoù Elle avoit passé. Aussi ne vit Elle à l’entrée dela ville ni dais, ni apparence de réception. S’estanttrouvé beaucoup de monde dans la salle où Elledevoit manger, l’on fit entendre à S.E. que c’estoitpour recevoir sa bénédiction, Elle la leur donna,puis l’on fit tout sortir à cause du chaud; le soirElle fut se promener à pied dans un parc dépen-dant de la maison où Elle logeoit84. Elle ne voulutpoint souper.

[26 juin, jeudi. De Pithiviers à Nemours][f. 13] Le xxbi.e [26] Elle arriva sur les onze

heures et demie à Nemours85, où il n’y avoit pointaussi d’appareil pour sa réception. S.E. y disna àmidi et demi, et soupa sur les huit ou neuf heuresdu soir. L’après disnée M. de Montausier partitpour aller à Fontainebleau et revenir le mesmejour ou le lendemain.

[27 juin, vendredi. Nemours. Audience avec leduc de Saint-Aignan, premier gentilhomme de laChambre du roi]

Le xxbn.e [27] S.E. entendit la messe à lagrande église; s’en estant revenue à sa maison, bientost après M.rs de Bonneuil, introducteur desambassadeurs86 et Girault, son ayde, y arrivèrent.Le premier salua S.E., et d’abord qu’Elle se futcouverte, il se couvrit aussi; ce qui estonna un peuces M.rs les Italiens et particulièrement les prélatsqui estoyent la teste nue. Il entretint S.E. assez longtemps; à onze heures et demie le m.e d’hostel duroy [Chantelou] lui demanda si Elle vouloit disner,Elle respondit qu’Elle le vouloit bien; les tablesfurent servies à midi, la quelle heure M. deMontausier n’estoit pas encore de retour; S.E. priaM. de Bonneuil de disner avec Elle, ce qu’il fit. Dèsle matin M. le duc de St. Aignan [premier gentil-homme de la Chambre du roi]87 estoit arrivé deFontainebleau pour complimenter de la part du royS.E. . Il alla descendre dans une religion appelée laJoye proche de la ville, où une de Mesdemoisellesses filles est en pension. Une heure après disner,

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88. Jacques-François de Hautefort (1610-1680), III marquis de(1640-1680), maréchal de camp, seigneur d’Hautefort enDordogne où il restaura un château et fît bâtir un hôpital.

89. Philippe d’Orléans, frère de Louis XIV.90. Philippe de Clerembault (1606-1665), comte de Pallau,

maréchal de France (1653).91. Henriette-Anne d’Orléans (1644-1670), duchesse de, femme

de Philippe d’Orléans, frère du roi, dite Madame (voir note 61).92. Benigne Dauvergne de Saint-Mars (1626-1708), mousque-

taire à la première compagnie de la garde, brigadier, maréchalde logis en 1664. En décembre 1664, sur la recommandation

de d’Artagnan, son capitaine, avec qui il avait participé à l’ar-restation de Nicolas Fouquet, il obtint le commandement dudonjon de Pignerol (jusqu’à 1681).

93. Probablement Alphonse de Moreuil, chevalier, seigneur deLiomer, Brucamps et Brocourt, premier écuyer du prince deCondé.

94. Jacques de Souvré (1600-1670), ambassadeur et comman-deur de l’Ordre de Malte, appartenait aux chevaliers de laLangue de France, entré comme chevalier de Malte au grandprieuré de France en 1605. En 1665, il commanda à Berninun projet pour le quartier du Temple à Paris.

estant venu à la porte de M. le légat, il trouvaM. Girault qui lui dit que l’heure de l’audiencen’estoit qu’à trois heures et demie, à laquelle heureil revint; les seigneurs Italiens le furent recevoir à laporte de la rue, tous fort festes. Ils l’accompagnèrentjusque dans la Chambre de M. le légat, où estoyentavec S.E., M[oneigneu]rs Colonna, Viscontj, Bona-corsj et Ravizza. Les m.e de chambre et des cérémo-nies estoyent à la porte. Après la premièresalutation, M. Girault cria à tout le monde de sortir,et les prélats, seigneurs et autres passèrent unmoment après dans une chambre à costé. Il y avoitdans celle de M. le légat deux chaises danslesquelles S.E. et M. le duc de S.t Aignan [premiergentilhomme de la Chambre du roi] s’assirent,S.E. en celle qui regardoit la porte de la chambre.L’audience finie qui ne dura qu’un quart d’heure,S.E. le reconduisit jusque hors la porte de sachambre qui joignoit l’escalier, et les seigneursItaliens jusque à celle de la rue; M. le duc d’Orvalvint après de la part de la reyne mère faire aussicompliment à S.E., le marquis de Hautefort88 ensuite pour la reyne, M. de Vaillac pour Monsieur89,et M. de Clerembault90 pour Madame91, aprèsM. de Saint Mars92 vint pour Monseigneur le Prince[de Condé], et M. de Moreuil93 pour Monseigneurle grand m.e de France [le duc d’Enghien]; à tousfut fait mesme cérémonie. Le soir S.E. fut à lapromenade de long la petite rivière de Loin, Elle n’ydemeura guère, à son retour Elle soupa, ayant à satable les prélats qui y mangent d’ordinaire.

[28 juin, samedi. Nemours. Visite de l’ambas-sadeur de Malte, de Souvré; «naïvetés» de JeanDousset]

Le xxbm.e [28] au matin Elle fut soignée et surles dix heures Elle alla à la messe à la grande[f. 14] église. Elle avoit fait dire au m.e d’hostel duroy qu’elle ne vouloit que quelques petits platsdans sa chambre; mais depuis le s.r Teodosio

[Ambrogio Theodoli] lui dit que M. l’Ambassa-deur de Malte devant venir voir S.E., Elle avoitresolu de manger en public. C’estoit M. le Baillyde Souvré94, lequel disna avec S.E. et M. deMontauzier qui estoit retourné de Fontainebleau ydisna aussi. Le premier s’estant assis en suite deM.rs Colonna et Bonacorsj, M.rs Robertj, Viscontjet Ravizza estant de l’autre costé à la droite deS.E., M. de Montausier se mit seul à la faceopposée à M. le légat. Quand ce fut au secondservice S.E. dit un mot à l’oreille de M. Bonaccorsi[le maggiordomo], qui lui aussi tost après dit aum.e d’Hostel du roy [Chantelou], que M. l’Inter-nonce de Bruxelles alloit venir, qu’il le prioit qu’ily eust un couvert pour lui, ce qu’il ordonna sur lechamp. Aussi tost cet Internonce vint, qui s’assisità costé de M. de Montausier. Le soir, après quel’on eut demandé à S.E. quand Elle vouloitmanger, et qu’Elle eût dit qu’Elle ne souperoit pas,Jean Dousset fut introduit dans sa chambre.M. Girault dit à S.E. pour la préparer que c’estoitun innocent qui divertissoit quelques fois le défuntroy, et qu’il venoit encore de fois à autre à la Cour;il se jetta d’abord à genoux devant S.E. qui luidonna sa bénédiction; après s’étant relevé, il lui ditqu’il avoit mémoire qu’il y à bien près de quaranteans qu’il eut aussi la bénédiction d’un autre légat,lequel estoit environ de son âge qu’il cuidoit croirequ’il estoit son père; chacun s’éclata de rire à cediscours; il dit encore quelques autres naïvetéssemblables. Après les tables estant servies, le m.ed’Hostel du roy [Chantelou] remonta pour enavertir, mais l’on ne descendit d’un bon quartd’heure; S.E. parloit avec une grande attache àM. de Montauzier; les prélats conferoyent aussitous ensemble, et paroissoyent dans une espèce deconsternation. Enfin ils descendirent tous à laréserve de M. Ravizza qui demeura avec M. lelégat; M. de Montauzier estant passé dans la cour,ces M.rs furent quelque temps sans se seoir à

Mémoire du traitement fait par la maison du roy à Monsieur le cardinal Chigi légat à Latere en France526 Daniela DEL PESCO

95. Anne de Beauvillier de Saint-Aignan, abbesse de La Joye,fille de François–Honorat, premier gentilhomme de lachambre du roi. M. Ravizza se rendit à Fontainebleau le29-30 juin et le 2 juillet en compagnie de M. de Montausieret M. Bonneuil, introducteur des ambassadeurs, pour traiterl’endroit où aura lieu l’audience officielle de Louis XIV avecle légat et l’entrée solennelle du cardinal Chigi à Paris(Ravizza, ff. 80v-86r). Alexandre VII refusa de concéder àLouis XIV les privilèges souhaités (voir note 60, ici même) etl’audience se tint à Fontainebleau.

96. C’est-à-dire l’orfèvrerie employée pour la messe.97. Patène que le prêtre donne à baiser pendant la messe en

disant : «pax tecum».98. «Bailla», c’est-à-dire «Il la mit en main».99. Tiberio Fiorilli (1608 -1694), dit Scaramouche, l’acteur Ita-

lien qui créa ce personnage, un mélange des types italiens etespagnols. Fiorilli partagea avec la troupe de Molière (dont ilétait l’ami) le théâtre du Petit-Bourbon, et le théâtre duPalais-royal.

100. Louis-Hugues de Lionne (1646-1708), fils du secrétaired’État, Hugues, qui mourut en 1671 laissant sa charge à sonfils. Mais Louis-Hugues ne fut pas jugé assez compétent parLouis XIV qui le força à renoncer à cette charge en échangede celle, bien moins importante, de maître de la garde-robeet d’une compensation financière.

101. Claude-François de Marode (Mérode), ambassadeur etdéfenseur du Catholicisme à Londres et à Copenhagen.

102. Le 29 et le 30 juin Mgr Ravizza est à Fontainebleau pournégocier l’entrée du légat (Ravizza, ff. 80v-86r).

table; puis ils s’y mirent laissant le haut bout de latable vide, M. Colonna le premier de droite etM. Visconti à la gauche après qui estoit l’Inter-nonce de Bruxelles. Le marquis Picolominj qui nes’estoit pas trouvé au disner, et estoit allé à Fontai-nebleau, en revint une heure avant le souper, etconta à tous ces seigneurs le plaisir qu’il avoit eude voir le roy et toute la Cour.

[29 juin, dimanche. Nemours. S.E. visite lecouvent de la Joye. Plaisanteries de Jean Doussetet de Scaramouche]

Le xxix.e [29], jour de S.t Pierre S.E. fut sur lesdix heures dire la messe à la Joye, où sont Mesde-moiselles de S.t Aignan95 et de Béthune. On y portasa chapelle96 et ses ornements d’autel, entre autresune chasuble de toile d’or, ornée devant et derrièred’histoires sacrées, faites à l’esguille, admirable-ment travaillées et si bien qu’il semble que lepinceau ne pourroit pas faire mieux. M. Robertjservit S.E., quatre pages du roy tinrent des flam-beaux blancs lors de la consécration; quand S.E. nefait qu’entendre la messe, il n’y en à que deux quiservent, M. Roberti fit [f. 15] fit [sic] baiser la paix97

à S.E. . Il la bailla98 à un diacre et s’en retourna ensa place où le Diacre la lui porta et après qu’il l’eustbaisée la fit baiser aux autres prélats et à M. deMontausier. Quand la messe fut finie et que S.E.eut achevé ses prières, Elle s’approcha de la grille etdonna sa bénédiction aux religieuses; quelquesunes d’entre elles lui firent présent d’ouvrages deleur main. Au disner Jean Dousset fut agréabledans ses naïvetés ordinaires, lesquelles furentanimées et soustenues de la présence et de l’espritde Scaramouche99 avec qui il fit des dialogues assezagréables. L’on expliquoit à S.E. ce qu’Elle tesmoi-

gnoit ne pas entendre; Et au sujet de vingt cinqenfans que Jean Dousset dit qu’il avoit eus, Elle diten riant Basta quel huomo à far in Francia un hospe-dale di matti. Elle lui donna une médaille d’or dupoids de huit ou dix pistoles, la quelle M. deMontausier voulut voir, et dit lui vouloir garderpeur qu’on ne le la lui prist. S.E. ne sortit pointl’après disnée quoy que les carrosses du roy et desreynes fussent à sa porte. Elle se divertit quelquemoment à la fenestre à voir les pages du roy jouantdans la cour avec les jeunes seigneurs Italiens à depetits jeux d’adresse et de force. Elle soupa enpublic comme Elle y avoit disné.

[30 juin, lundi. Nemours. Le problème del’entrée de S.E. à Paris]

Le xxx.e [30] S.E. entendit la messe à unemaison de religieuses près de la sienne, à l’issueElle fut les voir à la grille; Elle leur donna sa béné-diction. Retournée au logis, Elle receut les visitesdu fils de M. de Lionne100, secrétaire d’Estat et duchevalier de Trelon101; M. de Bonneuil vint aussiqui apporta la nouvelle que S.E. partiroit quand illui plairoit pour aller à Paris ce qui avoit jusqu’a-lors tenu en incertitude, chacun ayant dit que leroy estant à Fontainebleau, il n’estoit pas néces-saire que M. le légat allast à Paris pour y faire uneentrée, mais seulement pour voir la ville, si S.E. enavoit la curiosité102. Tous ces M.rs disnèrent avecS.E. Elle fut le soir à une promenade le long de larivière, et ayant mis pied à terre à l’aller et revenir,Elle fit bien demie lieue à pied, après quoy Elles’en revint souper.

[1er juillet, mardi. Nemours.]Le premier Juillet S.E. entendit la messe aux

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103. Corbeil-Essonnes est une localité à 28 Km au sud-est deParis; elle était située sur l’importante route royale de Paris àFontainebleau et disposait alors d’un relais de poste et d’hô-tels pour les voyageurs.

104. Gabriel de Rochechouart (1600-1675), marquis puis duc deMontemart, père de Madame de Montespan, était un desquatre premiers gentilshommes de la chambre du roi avec lecomte du Lude, le duc de Créquy, et le comte de Saint-Aignan. Leurs charges sont indiquées par Bensogne 1663,ff. 53, 58. Leur rémunération était de 3500 livres par an.

105. Le comte du Lude, voir note 104. Fontainebleau est à 18 Kmau nord de Nemours.

106. Louis de Béthune, comte de Charost (1605-1681), capitainedes gardes du corps du roi; Bensogne (1663, f. 123) : « Lescapitaines des quatre compagnies des gardes du corps sontM. le comte de Noailles [...], etc. les trois autres, M. le ducde Trésmes, M. le maréchal d’Aumont, M. le comte de Char-rost. Ils ont chacun 1460 livres de gages et 2000 livres depension [...]. M. le marquis de Charrost, son fils, est reçu ensurvivance [il hérite la charge]. On donne ordinairementaux capitaines des gardes pour marque de leur charge, deuxbastons d’ébène, qui ont les pommeaux d’ivoire, passez ensautoir derrière l’écu de leurs armes».

107. Bensogne (1663, ff. 143-144) : «Le chef et capitaine-colonel

des cent Suisses du corps, est à présent Messire François Renédu Bec-Crespin, marquis de Vardes, chevalier des ordres duroy, gouverneur d’Aigues-Mortes, etc. Il porte pour armes desa maison, comme étant parent du Prince de Monaco, fuseléd’argent et de gueules [..]. On lui donne ordinairement deuxbâtons noirs passez en sautoir derrière l’écu de ses armes,dont le pommeau et le bout sont d’ivoire : et à la différencedes capitaines des gardes du corps françois [...] le capitainecolonel des cent gardes suisses du corps ordinaires du roymarche toujours devant le roy; & le capitaine des gardes ducorps françois, derrière : si bien que d’un côté et d’autre, ilscouvrent tous deux la personne de Sa Majesté».

108. Bensogne (1663, f. 194) : «Le grand maréchal des logis, estMonsieur le marquis de Froullée, chevalier des ordres duroy. Il a 3000 livres de gages. La fonction de sa charge est defaire marquer tous les logis par les maréchaux des logis etfourriers du roy, tant pour Sa Majesté que pour toute lacour».

109. La duchesse de Navailles est dame d’honneur de la reine, etl’épouse de Philippe de Montaut de Benac.

110. Julie Montausier d’Argennes (1607-1671), fille de la mar-quise de Rambouillet, protagoniste de la vie culturelle et decour, gouvernante du Dauphin, femme de Charles de Saint-Maure, duc de Montausier (voir note 5).

Recollez avec la cérémonie ordinaire, en suite Ellevint disner. Le soir Elle fut à la mesme promenade,et marcha autant que le soir précédent; revenuechez Elle, Elle dit qu’Elle ne mangeroit point.M. de Montausier retourna de Fontainebleaucomme les prélats et seigneurs achevoient desouper, et dit au s.r de Chantelou que les Maré-chaux des logis avoyent esté envoyez par ordre duroy à Corbeil103 pour y marquer les logis deS.E. qui y coucheroit le jeudi troisième du mois,que l’on remettoit à lui de faire disner à Nemours,en chemin ou à Corbeil; il donna l’ordre à lamaison de Sa Majesté pour disner à Corbeil.

[2 juillet, mercredi. Nemours]Le deuxième [2] S.E. entendit la messe et

disna à l’ordinaire; le soir, revenue de la prome-nade, Elle [f. 16] ne vouloit point souper. Il s’estoitsemé un bruit d’incertitude de partir le lendemain,et plusieurs sans nommer d’auteur, disoyent qu’onattendoit le retour de M. de Montausier (qui estoitallé l’après disnée à Fontainebleau pour sçavoirprécisément si l’on partiroit); cependant comme lepourvoyeur avoit eu ordre dès le jour précédent etestoit party dès le matin pour fournir le disner àCorbeil, et qu’une charrette qui porte lespremières ustensiles pour la préparation du disnerestoit partie il y avoit quelques heures, le m.ed’Hostel du roy [Chantelou] jugea qu’il ne falloitrien escouter, mais partir comme il avoit estéordonné.

[3 juillet, jeudi. S.E. se rend «incognito» àFontainebleau pour une première rencontre avecle roi; souper à Corbeil]

Le troisie.e S.E. monta en carrosse après avoirentendu la messe, et passa incognito par Fontaine-bleau où Elle vit Sa Majesté. Le roy estoit dans lecabinet des bains, et avoit nommé seulement cinqpersonnes pour estre présents à l’entreveue,sçavoir M. de Gesure, capitaine des gardes ducorps; le ducs de Saint Aignan [premier gentil-homme de la Chambre du roi] et de Mortemar104,M.rs les comte du Lude105 et bailly de Souvré[Jacques de Souvré]. Sa Majesté receut M. le légatla porte du cabinet et le fit asseoir, M.rs deCharost106, de Varde107, de Froullé108 et quelquesautres entrèrent dans le cabinet. S.E. fut près dedemie heure avec le roy, après quoy Sa Majesté seleva, et dit à M. le légat qu’il le lassoit, croyantqu’il seroit bien aisé de demeurer là encore enconversation avec ces M.rs. S.E. à quelque tempsde là monta par un petit escallier dans le cabinetde la reyne, où Elle estoit avec la reyne mère. Iln’y avoit avec Leurs Majestés que Mes Dames deFleix et de Navailles109, leurs dames d’honneur, etMadame de Montausier110, Gouvernante deMonseigneur le Dauphin. L’on m’a dit qu’aprèsque S.E. eût salué les reynes, Elles lui firentdonner une chaise; mais comme je ne suis pastesmoin oculaire de cette entretenue, je n’envœux rien particulariser et n’en parle qu’afin dene rien oublier de considérable de ce qui est arrivé

Mémoire du traitement fait par la maison du roy à Monsieur le cardinal Chigi légat à Latere en France528 Daniela DEL PESCO

111. Paul Philippe Hardouin de Beaumont de Péréfixe (1606-1671), évêque de Rodez, puis archevêque de Paris. Le rap-port du 5 juillet est absent aussi dans Baldini. Ravizza écrit :«Si giunse qui [à Vincennes] à quindici hore essendosiveduti per la strada villaggi e viali simili apunto à quelli checonducono alla Riccia [Ariccia] e Genzano con casini moltobelli e nobili, particolarmente lungo il fiume Senna chepassa poi per Parigi» (f. 92r).

112. Voir note 8 ici même. Ravizza (f. 93) note : «Doppopranzoandò incognito à san Germano [Saint-Germain-en-Laye],casa di campagna del Rè discosto da Vincenna 4 leghe. Sipassò per Madrid, palazzo fabricato dal Rè Francesco primo,chiamato così per sodisfare secondo certa favola del volgo algiuramento di ritornare in Madrid quando non rimanessero

adempite le conditioni della pace tra lui e Carlo quinto. L’ar-chitettura di esso in quei tempi era sufficientemente bella,ma hoggi è mal ridotto, e rovinoso, non andandovi più il Réa dimorare».

113. René de Longueil (m.1677), marquis de Maisons, présidentde la cour des aides, propriétaire du château réalisé parFrançois Mansart.

114. Pour St.-Cloud, voir note 61; Ruel avait été la résidence pré-férée du cardinal Richelieu (A. Gady, Jacques Lemercier, archi-tecte et ingénieur du roi, Paris, 2005, p. 340-351).

115. Marie-Madeleine d’Aiguillon de Vignerot du Pont-de-Courlay (1604-1675), dame de Combalet, puis duchessed’Aiguillon, la nièce et héritière universelle du cardinal deRichelieu.

à M. Le légat. En suite il disna dans la gallerie descerfs, ou M. et M[adam]e. de Montauzier le réga-lèrent. S.E. avoit veu aussi Monseigneur LeDauphin dans ce mesme lieu. Le disner de S.E. luiavoit esté preparé à Corbeil, où Elle n’arrivaqu’entre neuf et dix heures du soir; Elle y soupaen public.

[4 juillet, vendredi. S.E. arrive au château deVincennes. Visite «incognito» à Paris]

Le nn.e [4] Elle en partit après avoir entendula messe et arriva à onze heures à Vincennes.Elle disna dans l’appartement de Monsieur, oùson logement estoit marqué; là se trouvèrenthuit suisses du roy pour la garde de ses portes.Après Elle fut incognito à Paris, d’où Elle nerevint que le lendemain au matin. M. [l’évêque]de Paris111 avec M. [l’évêque] de Sées la vinrentsaluer, Elle le receut à la moitié de son anti-chambre, leur fit donner des fauteuils, et aprèsleur audience les reconduisit jusque à la sortie deson antichambre. Elle disna à midi. Les tablesfurent servies plus magnifiquement qu’ellesn’avoyent encore esté, mais elles ne furent pasremplies de monde à l’ordinaire, grande partiedes prélats et seigneurs estant à Paris. Sur lequatre ou cinq heures M. le Bailly de Souvré vintvoir S.E. . Après qu’il s’en fut allé, S.E. fut sepromener en [f. 17] carrosse dans le parc. Ellerevint en suite descendre dans le jardin, où Ellese promena à pied; le m.e d’hostel du roy [Chan-telou] lui ayant demandé quand Elle vouloitsouper, Elle dit quand Elle auroit dit son officequi fut une heure après.

[6 juillet, dimanche. S.E. visite Le Rancy,demeure des Bourbon Condé]

Le bi.e [6] après disner S.E. fut voir leRainsj112. Retournée, Elle dit en soupant que levestibule et le salon estoyent fort beaux, etdemanda au s.r de Chantelou, combien cettemaison pouvoit avoir cousté; Il lui dit qu’ellecoustoit bien plus qu’il ne paroissoit, qu’on disoitque la despence en montoit bien à cinq cent milécus parce qu’il y avoit eu beaucoup de chosesrefaites et de terres remuées.

[7 juillet, lundi. S.E. visite M. de Longueil àMaison]

Le bn.e [7] S.E. disna a onze heures précises etfut a maisons, ou M. de maisons113 lui donna lacollation.

[8 juillet, mardi. S.E. visite Ruel, demeure ducardinal de Richelieu, et Saint-Cloud, demeure deMonsieur, Philippe d’Orléans]

Le bm.e [8] Elle fut à Ruel et disna, Elle vit S.tClou en suite, et revenue sur les onze heures dusoir Elle soupa114. Durant le repas Elle parla fort dela beauté des maisons qu’Elle avoit vues, et deMadame d’Esguillon115 avec beaucoup d’estime.Elle ayme à ce qu’on peut juger les maisons où il ya de l’eau et du couvert plus que celles qui n’ontpas ces avantages, et sont magnifiques de basti-ment.

[9 juillet, mercredi. Château de Vincennes.]Le ix.e [9] S.E. fut visitée par M. l’abbé d’Har-

court [premier aumônier du roi] qu’Elle receut àla porte de sa chambre et reconduisit jusque à lamoitié de son antichambre. M. l’arcevesque deSens vint aussi qu’Elle receut et traita comme Elleavoit fait à M. [l’évêque] de Paris [Paul PhilippeHardouin de Beaumont]. M. rs les abbez de

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116. Pierre du Cambout de Coislin, abbé de St. Victor et de St.-Jean d’Amiens, Prieur et seigneur d’Argenteuil, de LongPont, premier aumônier du roi, au premier rang après legrand aumônier, le cardinal Antonio Barberini, en l’absenceduquel il assuma ses mêmes fonctions. Ses gages se mon-taient à 1200 livres (Bensogne, 1663, f. 10).

117. Probablement François Tallement (1620 ca-1693), membrede l’Académie française, frère de Gédéon Tallemant, l’auteurdes Historiettes. En 1664, il est un de sept aumôniers du roi(Bensogne 1663, f. 10) : «[les aumôniers] doivent se trouverau lever, au dîner, et à la messe, où le roy leur donne sesgants et son chapeau en garde. Puis au souper et à son cou-

cher, pour y faire les cérémonies ci-dessus expliquées,comme d’ouvrir la nef sur table et de l’ôter à la fin du repas.Ils ont de gages 300 livres. Ils prêchent en rochet, soit devantle roy ou autre part; ils communient le roy. Ils vont rendreles pains-bénits. Ils délivrent aussi les prisonniers».

118. Bensogne 1663, f. 11 : «docteur de la Sorbonne».119. Baldini, ff. 219v, 220, 221r; Ravizza, f. 96v.120. Bensogne (1663, f. 165) cite M. de Broussin entre «les capi-

taines et officiers des gardes françois».121. La femme de Henri Albert de Cossé (1645-1698), IV duc de

Brissac, grand panetier (un de «servants» qui sont à la tabledu roi; 300 livres de gages, Bensogne, 1663, f. 30).

Couslin116, Tallement117 et le Camus118 y vinrentaussi. Elle entendit la messe a onze heures, aprèslaquelle Elle disna. Il se trouva à la voir disnergrande quantité de Dames de Paris. Il n’y eut à satable que M.rs Robertj et Viscontj d’un coté, etColonna et l’Internonce de Bruxelles, de l’autre.Pour l’autre table il n’y eut que quatre de cesseigneurs Italiens; M.rs les Abbez Rospigliosj,Spinola, Picolominj et quelques autres vinrent queles tables estoyent levées et l’on leur donna amanger dans leurs chambres.

[10 juillet, jeudi; 11 juillet, vendredi. S.E. visiteVersailles]

Le jeudi x.e [10] S.E. fut à Versailles où Elledisna. Elle n’en revint qu’a deux heures aprèsminuit; A son arrivée le m.e d’hostel du roy[Chantelou] lui demanda si Elle vouloit donnerdispense de manger de la viande à ces Messieursqui l’avoyent accompagné; Elle lui dit qu’Elle nevouloit rien du tout pour Elle, et qu’eux secontenteroyent de fruit qui leur fut servi sur lechamp; pour la viande elle fut envoyée à l’hostelDieu de Paris; le lendemain xi.e119 [11] auquel jourElle entendit la messe, donna des audiences, disna,se promena et soupa à l’ordinaire.

[12 juillet, samedi. Château de Vincennes]Le xn.e [12] Elle fut de grand matin dans un de

ses carrosses au port à l’Anglois voir les chevauxdont Elle vouloit faire présent au roy. Elle revintsur les [f. 18] dix heures. Après la messe M. dePerigueux la vint voir; le receut et traita commeles autres prélats qu’estoyent venus auparavant; àtous lesquels Elle a fait donner le fauteuil, et les areconduit jusque à la moitié de son antichambre.Une grande affluence de monde de Paris le vintvoir disner ce jour-là; et comme il faisoit unechaleur extreme, à l’issue de table Elle donna dansson antichambre la bénédiction à quantité de

personnes, puis se retira dans sa chambre. Elle futle soir à la promenade où se trouvèrent M. leBailly de Souvré, et M. du Broussin120; au retourM. le légat dit qu’il ne vouloit point manger.Durant le souper de prélats et seigneurs M. deBonacorsi dit au M. e d’hostel du roy [Chantelou]que S.E. le prioit de sçavoir qui avoit fait la calèched’un cavalier dans laquelle Elle avoit montée;c’estoit en celle de M. du Broussin.

[13 juillet, dimanche. Château de Vincennes.Le s.r de Chantelou se rend à Paris. Disposition desplaces aux tables]

Le xm.e [13] le s.r de Chantelou fut à Parisrendre ses respects et rendre compte du service àMonseigneur le Prince [le Grand Condé] qui estoitarrivé de Fontainebleau le soir precedent à onzeheures en bateau, et avoit choisy cette voye àcause qu’il estoit extraordinairement travaillé dela goute. Il revint comme S.E. finissoit de dire lamesse; retournée au chasteau Elle receut visiteavant disner de Mad[am]e de Brissac121 à qui Elledonna la droite au fauteuil et la reconduisit jusqueà son carrosse. Elle disna en suite environnée d’ungrand nombre de Dames et de gens de qualité deParis. Don Sigismont [Chigi], et le marquis Picolo-minj en retournèrent un moment avant queS.E. se mit à table. Durant qu’ils ont demeuré àParis, M. de Bonacorsj, maggiordomo, quimangeoit toujours auparavant à la table de S.E.,ne s’est assis qu’à la table des seigneurs M.rs Aldo-brandy, Sachettj, Bigazzinj, Nerlj et Marinj n’yavoyent pas voulu prendre place. Durant que donSigismont [Chigi] et le marquis Picolominjestoyent absens, ces jeunes seigneurs avoyent estéengagez avec adresse à suivre S.E. en France, etavoyent peine de souffrir que quelques prélats debien moindre naissance qu’eux mangeassent avecS.E. préférablement à eux de sorte qu’ils avoyentmurmuré et n’avoyent esté adoucis que par la

Mémoire du traitement fait par la maison du roy à Monsieur le cardinal Chigi légat à Latere en France530 Daniela DEL PESCO

122. Les 15 et 19 juillet, le légat se rend «incognito» à Paris «àriconoscere e destinare i regali portati alle persone reali»(Ravizza, ff. 100, 103). Marie de Hautefort (1616-1691),dame d’honneur d’Anne d’Autriche, deuxième femme deCharles de Schomberg (1646), maréchal de France, mort en1656.

123. Peut-être la femme de M. de Chaumont, conseiller d’Étatqui était à la garde du cabinet des livres du roi au Louvre.

124. Henri de Lorraine (1601-1666), comte d’Harcourt, généraldes armées, Pair et grand écuyer de France; sur les nom-breuses fonctions administratives et les prérogatives dugrand écuyer : Bensogne 1663, ff. 89-98.

considération de manger avec les neveux du Pape,qui comme il a este remarqué, ont pour celaaffecté le plus souvent de prendre les dernièresplaces. Ce qui obligea M. le légat, (don Sigismont[Chigi] et le marquis Picolominj devant demeurerquelques jours à Paris) de faire manger M. Bona-corsj à cette table des seigneurs, ainsi que lemaggiordomo de M. le cardinal Barberin avoit fait.Avec cela Goffrido Marinj n’y a mangé qu’une oudeux fois et les autres point du tout.

[14 juillet, lundi. Château de Vincennes]Le xnn [14] et xb.e [15] le Service se fit à

l’ordinaire. Il y eut la mesme foule de monde àvoir disner S.E. Cette foule estoit composée pourla plus part des [f. 19] Dames qui commencèrentces jours-là à faire le cours à la promenade queS.E. fit depuis tous les soirs à six heures dans leparc. Un peu auparavant que d’y aller, Elle receutles visites de quantité de personnes de qualitéqu’Elle traita avec toute sorte de civilité; auxduchesses Elle donna la main droite et lesreconduisit jusque à leur carrosse; Madame deSchomberg122 fut du nombre, qui commença savisite par se mettre à genoux, et après sonaudience Elle fut reconduite jusque à son carrosse.

[16 juillet, mercredi. Château de Vincennes. Legrand maître, Louis de Bourbon, ordonne à Chan-telou de ne plus s’asseoir à table auprès de S.E.]

Le xbi.e [16] Monseigneur le grand maistreenvoya un valet de pied au s.r de Chantelou, quilui dit d’aller trouver S.A. [Louis de Bourbon, leGrand Condé] à Paris. Quand il y fut, Elle lui ditque le roi avoit esté informé par Madame de S.tChaumont123 que M. le cardinal Barberin quand ilvint légat en France, avoit voulu se faire servir parses officiers, que l’intention de Sa Majesté n’estoitpas que ceux de M. le légat le servissent; qu’Elleavoit aussi appris que lui, s.r de Chantelou, setenoit aussi auprès de S.E. lors qu’Elle estoit àtable; que quoy que ce fust la coustume que le m.ed’hostel que donnoit le roy pour avoir soin duservice des ambassadeurs extraordinaires fust assis

pendant qu’ils mangeoyent, il n’en estoit pas demesme de M. le légat, et que cela sembloit porterconséquence de la prescience de Monsieur sur lui.Il respondit à S.A. qu’il s’estoit reglé en cela sur cequ’il avoit fait feu M. de Mocé qui avoit eu soin dutraitement de M. le légat Barberin, qu’il avoit sçeude M. le marquis de Monfort, son fils, que sonpère en avoit usé de la sorte. A l’égard de l’autrechef, le s.r de Chantelou dit à M. le grand maistrequ’a Orléans S.E. s’estant trouvée indisposée, etayant pris quelques remèdes, Elle lui avoit faitsçavoir par le s.r Teodosio qu’Elle eust bien désiréque les officiers du roy lui eussent accommodéquelques petits plats de la sorte que son cuisinierleur diroit; que lui s.r de Chantelou donna sur celal’ordre aux écuyers du commun de servirS.E. selon son goust, que son cuisinier avoitdepuis accomodé quelques plats qui se servoyentsur la table, hors d’œuvre, et y estoyent posez parles controlleurs; Son Altesse [le Grand Condé] luiordonna de ne plus s’asseoir dorénavant auprès deM. le légat pendant qu’il mangeoit, et d’observerde n’avoir aucune espèce de baston quand il pren-droit l’ordre de S.E.. Il dit à S.A. qu’il obéiroit, etdu depuis recommença à manger à la table desseigneurs, comme il avoit fait auparavant.

[17 juillet, jeudi. S.E. se rend du château deVincennes à Paris en visite «incognito»]

Le xbn.e [17] S.E. entendit la messe à cinqheures du matin, et après fut à Paris dans un deses carrosses. Elle revint à onze heures et disna sasalle pleine de Dames. L’après disnée le s.r deChantelou fut à Paris pour recevoir l’ordre deMonseigneur le grand maistre [le duc d’Enghien]pour le disner de Monseigneur le Prince [le grandCondé] au jour de l’entrée; Monseigneur le grandmaistre [le duc d’Enghien] estant allé le matin àFontainebleau, il vit Monseigneur le Prince qui luidit qu’il ne vouloit rien ce jour-là de la maison duroy, et qu’il mangeroit chez lui [f. 20] avant qu’enpartir. Il demanda à S.A., comme il auroit à fairepour M. le comte d’Harcour [grand écuyer]124, s’ilmangeroit ou non avec M. le légat, avec cadenas

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125. Marie Gigaut de Bellefonds (1623-1698), femme de Pierre deBellefonds, marquis de Villard (1624-1698), lieutenantgénéral, ambassadeur extraordinaire et conseiller d’État. Elledemeura à la cour d’Espagne et entretint une correspon-dance avec Madame de Coulanges.

126. Louis de Rohan a la charge de grand veneur : «[qui] donneles provisions aux autres officiers de la Vénerie» (Bensogne1663, f. 216).

127. Madame d’Aiguillon; voir note 115.128. Anne Poussard de Fors (1622-1684), femme de Jean-

Armand Richelieu Vignerot Du Plessis, neveu du cardinal deRichelieu, grand général des galères de France, collection-neur; il dilapida la fortune de sa famille.

129. La femme de Henri de Berhinghem (1603-1692), originairedes Pays-Bas, protestant converti au catholicisme, premierécuyer des petites écuries de Louis XIII.

130. César Du Plessis-Praslin (1598-1675), maréchal de Francepour ses victoires en Italie, surintendant de la maison deMonsieur.

131. C’est-à-dire les Parlements du royaume, juridictions statuantsouverainement en dernier ressort. Ils fonctionnaientcomme des cours d’appel et de cassation, à la fois civiles etcriminelles.

132. La place du Trône, sur la route pour Vincennes, lieu de l’en-trée triomphale à Paris de Louis XIV et de la reine Marie-Thérèse, après leur mariage en 1660.

ou sans cadenas; S.A. lui commanda d’en escrire àFontainebleau à M. le premier m.e d’Hostel[M. de Bellefonds] pour sçavoir sur cela la volontéde Sa Majesté, ce qu’il fit. Le soir M. le légat fut àla promenade, où il y eut grand nombre decarrosses remplis principalement de dames. Auretour il dit qu’il ne vouloit point souper.

[18 juillet, vendredi. Château de Vincennes]Le xbm.e [18] S.E. entendit la messe entre dix

et onze, disna à midi, fut à la promenade, et auretour dit qu’Elle ne vouloit point souper.

[19 juillet, samedi. S.E. se rend du château deVincennes à Paris en visite «incognito»]

Le xix.e [19] Elle entendit la messe de grandmatin, et fut à Paris incognito, d’où Elle revint àonze heures, puis disna. Le soir M. de Montausierla vint voir et lui dit qu’il venoit de l’hostel deCondé, et que M. le Prince [de Condé] avoit euune forte mauvaise nuit; S.E. au sujet du retarde-ment que la maladie de Monseigneur le Princeapportoit à son entrée dit : Io credo che è per miejpeccatj. S.E. ne soupa point ce jour là.

[20 juillet, dimanche. Château de Vincennes]Le xx.e [20] Elle dit la messe entre dix et onze,

avec des ornements fort magnifiques, et dont Ellene s’estoit point encore servie, disna à midi, où setrouva une foule extraordinaire de monde. Sur lescinq heures, il vint un nombre infini de dames àqui Elle donna la bénédiction. Elle receut beau-coup de visites, entre autres de Madame [20v] laduchesse de Vilars125 que S.E. reconduisit jusqueen bas. En suite Elle alla à la promenade dans leparc, où se trouvèrent des carrosses en si grandequantité, que le sien estoit entre deux files de sixcarrosses chacune, et de la longueur de tout leparc. Le s.r de Chantelou lui ayant demandé au

retour quand il lui plairoit de souper, Elle luidemanda le temps de dire son office auparavant.

[21 juillet, lundi. Château de Vincennes]Le xxi.e [21] S.E. après avoir entendu la messe

receut beaucoup de visites de personnes dequalité. Le jeune duc de Rohan126 la vint voir; Elledisna en suite en présence d’une prodigieusequantité de Dames, et d’autres personnes dequalité. Sur les cinq heures Madame d’Esguillon127

et Madame la duchesse de Richelieu128 eurentaudience de S.E.. Elle les reconduisit jusque aucarrosse; Mad.e de Beringhen129 y vint aussi qu’ilreconduisit seulement jusque à l’entrée de sonantichambre. M. le comte du Plessis130 lui vintfaire compliment de la part de S.A.R. [le frère duroi, Philippe d’Orléans]. Il y eut ce soir là unegrande foule du monde qu’on étouffoit dans sachambre; quelques uns y ont remarqué lesmesmes visages de Dames quatre ou cinq jourstout de suite. S.E. fut à la promenade, où il y eutdes carrosses comme le jour précédent.

[mardi 22 et mercredi 23 juillet. Château deVincennes]

Le xxn.e [22] et xxm.e [23] Elle receut commeà l’ordinaire force visites, et il y eut la presseaccoustumée à la voir [f. 21] disner. L’après disnéedu xxm.e [23] il se répandit un bruit que le entréequi devoit estre le xxnn.e [24] estoit différée.S.E. dit que si elle ne se faisoit le jeudi, Elle s’eniroit le vendredi à Fontainebleau. Le soir M. deMontausier le vint voir; ils conférèrent ensemblesur les obstacles procédant de l’indisposition deMonseigneur le Prince [de Condé], et de la diffé-rence qui se trouve entre les registres des Courssouveraines131, et les mémoires de la légation deM. le cardinal Barberin touchant ce qui s’estoitpassé au Trône132 le jour de son entrée; ceux des

Mémoire du traitement fait par la maison du roy à Monsieur le cardinal Chigi légat à Latere en France532 Daniela DEL PESCO

133. Voir note 103.134. Soisy-sur-Seine à 6 Km de Corbeil.135. Petit-Bourg, situé sur la Seine aux environs d’Essonne. Le

château du XVIIe siècle fut transformé par François Mansart(1648) pour Louis Barbier, abbé de la Rivière, aumôner deGaston d’Orléans. Les spectaculaires jardins avaient été réa-lisés vers 1640 pour Jean Galland, un des secrétaires du roi,propriétaire du château depuis 1634 (François Mansart,op. cit., p. 219-21).

136. Hugues de Lionne (1611-1681), secrétaire d’État aux AffairesÉtrangères. Collaborateur de Mazarin et ambassadeur en1654, il assista à Rome à l’élection du pape AlexandreVII. En 1659, il fut le négociateur du traité des Pyrénées quiclôt la guerre de Trente Ans. Le 3 avril 1663, il fut nommésecrétaire d’État aux Affaires Étrangères, charge qu’il gardajusqu’à sa mort le 1er septembre 1671.

137. M. Passavant, sieur des Closeaux, maréchal de logis du roi(Bensogne, 1663, f. 194).

Cours souveraines portent que M. le cardinalBarberin s’estoit levé de son siège, et avoit faitquelques pas pour recevoir la Cour, et lui avoitdonné sa bénédiction; et ceux du cardinalBarberin au contraire qu’il n’avoit bougé de sachaise à l’arrivée du Parlement, et les avoit receuset escoutez sans se lever. Cependant les ordresestoyent donnez aux Cours souveraines pour lesamedi xxb.e [25], et aux difficultés près des Courssouveraines S.E. demanda à M. de Montausier quis’en retournoit, s’il vouloit lui donner sa paroleque l’entrée se feroit le samedi; il lui responditavec son humeur libre et franche qu’il ne la luidonneroit pas, que Monsieur le Prince [de Condé]pouvoit mourir entre ci et ce temps là; il futensuite envoyé des courriers à Fontainebleau, duretour desquels il s’attendoit quelque ajustements.

[24 juillet, jeudi. Château de Vincennes.Préparatifs pour la visite officielle à Fontainebleau]

Le jeudi l’on ne songea qu’a donner les ordrespour le départ, et à avoir les chevaux et carrossesnécessaires.

Le xxnn.e [24] le s.r de Chantelou ayant prisl’ordre de S.E., Elle lui dit qu’Elle souhaitoit d’allercoucher à Corbeil133 le xxb.e [25 juillet], qu’Elledisneroit avant que partir. Il envoya l’ordre auxofficiers du roy en conformité de cela.

[25 juillet, vendredi. Château de Vincennes;départ pour Soisy et Petit-Bourg; difficultés pourtraverser la Seine]

Le xxb.e [25] au matin S.E. l’envoya quérir parun valet de pied du roy et lui dit qu’Elle iroit au lieude Corbeil coucher à Soisy134 et à Petit-Bourg135. Cechangement arriva sur des lettres de M. de Lionne[secrétaire aux Affaires Etrangères]136; l’ordre futenvoyé au mesme temps au pourvoyeur du roy;S.E. entendit la messe, à la fin de laquelle Elle fitpublier qu’Elle donnoit à toute l’assistance dixannées d’indulgences In articulo mortis à tous les

Chanoines de la S.te Chapelle de Vincennes, et uncorps Saint. Elle partit sur les trois heures. Le s.r deChantelou arriva à cinq heures du soir à Soisy, où ilsceut que les Maréchaux des logis du roy avoyentmarqué, et qu’il estoyent passez de l’autre costé dela rivière pour marquer encore Petit-Bourg. Il semit en chemin pour y aller, et trouva quelquescamériers de S.E. sur le bord de la rivière, où il n’yavoit que deux ou trois petits bateaux quipassoyent ceux qui vouloyent, n’ayant vu aucunbac, il jugea qu’il estoit impossible que S.E. logeastà Petit-Bourg, les charrettes des officiers du royestant deça de la rivière, et ne pouvant passer sansbac, outre qu’un équipage grand comme celui deM. le légat et de sa suite n’eust peu passer dans lesrestes du jour et toute la nuit, quand il eust eu deuxou trois bacs, ainsi il envoya prier le s.r dePafsevent137, maréchal de Logis [f. 22] du roy, qu’ilpeust conférer avec lui. Il ne vint qu’a une ou deuxheures de là à cause du grand tour qu’il faut fairepour aller au chasteau et revenir. Lui ayant parlé, ildit que c’estoit un écuyer de M. de Langre qui luiavoit dit précisément que M. le légat logeroit à PetitBourg, et quoy qu’il eust jugé qu’il estoit commeimpossible, il s’y en estoit allé faire les logis. Lepourvoyeur et le boulanger du roy s’y estoyentaussi rendus qui eurent à descharger leurs char-rettes, et faire passer leurs provisions en bateau.S.E. qui estoit arrivée à Soisy à sept heures, ne pûtpour cela souper qu’entre neuf et dix.

[26 juillet, samedi. Soisy et Petit-Bourg]Le xxbi.e [26] M. de Langre vint le matin voir

S.E. avant qu’Elle entendist la messe, et s’enretourna à Petit-Bourg. Après-disner M. deMontausier alla à Fontainebleau; S.E. y dépeschaaussi, l’abbé Castillionj puis Elle se fut promener àPetit-Bourg.

[27 juillet, dimanche. S.E. rencontre M. deLionne, secrétaire d’État aux affaires étrangères]

533

138. En qualité de auditeur de M. le légat, M. Ravizza assistaitaux rencontres officielles aussi pour en contrôler la cohé-rence avec les accords de la paix de Pise.

139. La femme de M. le Bailleul, un de dix-sept écuyers du roi.140. Introducteur des ambassadeurs, voir note 86.141. Vaux-le-Viconte, la prestigieuse demeure de Fouquet.142. Henri de Lorraine (1601-1666), comte d’Harcourt, grand

écuyer de France, voir note 124.143. Melun, localité située à 41 km au sud-est de Paris et à 18 Km

de Fontainebleau, dans un méandre de la Seine.144. Philippe d’Orléans, frère du roi.

145. Nicolas de Neufville de Villeroy, maréchal de France, voirnote 12.

146. Pierre de Gondi (1602-1676), duc de Retz, seigneur deMachecoul, comte de Joigny, marquis de Belle-Île, marquisde La Garnache, baron de Mortagne et de La Hardouinaye,pair de France, et général des galères de France. Il fut le frèreaîné du cardinal de Retz, et le neveu de Jean-François deGondi, premier archevêque de Paris.

147. César Du Plessis-Praslin (1598-1675), surintendant de lamaison de «Monsieur», le frère du roi; voir note 130.

Le xxbn.e [27] M. de Lionne vint conféreravec S.E. et disna avec Elle. Il confira aussi avecM. Ravizza138, puis s’en retourna à Fontainebleau.S.E. donna l’ordre au M.e d’hostel du roy [Chan-telou] pour aller le lendemain à Fontainebleau etfaire préparer quelque chose pour déjeuner avantque partir. Le soir xxbn.e [27] Madame la prési-dente le Bailleul139 estoit venue voir S.E. Elle luiavoit esté présentée par M. de Bonneuil140, maiscomme il oublia de dire qui elle estoit, et que lamaison où estoit S.E. estoit à elle, il la receut àl’ordinaire; quelqu’un depuis l’en avertit, et aussitost il envoya lui faire excuse de ne l’avoir pasconnue. Don Sigismont [Chigi], les marquis Pico-lominj, Aldobrandj, Sachettj, Nerlj et Marinjfurent à Vaux141.

[28 juillet, lundi. Préparatifs pour la visite àFontainebleau : entretiens sur l’accueil de M. lelégat]

Le xxbm.e [28] S.E., après avoir entendu lamesse, estant sur le point de se mettre à table,M. de Montausier arriva pour régler avec Elle ceque se feroit à son arrivée à Fontainebleau. Elleavoit donné l’ordre au s.r de Chantelou pourdéjeuner à neuf heures et partir à dix, M. deMontausier dit à S.E. qu’il alloit envoyer un cour-rier pour donner advis de ce que seroit arrestéavec Elle, et qu’autant qu’il fut arrivé, on nes’avanceroit point du costé de la Cour. Ce queestoit à régler estoit les visites que devoit faireS.E. le lendemain de son arrivée sçavoir celle duroi, de la reine Mère, de la reyne, de Monseigneurle Dauphin, et de Monsieur. M. le légat dit surcelle-là qu’il ne sçavoit si M. le cardinal Barberinl’avoit faite; M. de Montausier assura que ouy, etque mesme cela se voyoit dans les mémoires de lalégation; M. Ravizza estoit présent qui en doutoit,mais M. de Bonneuil dit que cela estoit ;

M. Ravizza avoit envie de remettre la décision dece point à quand on seroit arrivé, mais M. deMontausier ne voulut pas et dit que M. le comted’Harcourt [grand écuyer du roi]142, qui devoitvenir recevoir M. le légat à l’entrée de la forest, etM. [Philippe d’Orléans, frère du roi] entre lesdeux pavez, ne partiroient point qu’après l’arrivéede son courrier portant cette résolution. Avant quecela s’agittast, le m.e d’hostel du roi [Chantelou]dit à S.E. que sa table estoit [f. 23] couverte desorte que cela arresté, Elle alla se mettre à table, etM. de Montausier alla escrire et pria qu’on luigardast un morceau à manger. S.E. avoit resoludez le soir précédent de partir à dix heures, maisM. de Montausier lui dit que pour faire cadrer lesrencontres premièrement de M. le comte d’Har-court et puis de Monsieur, il ne fallait pas queS.E. partist avant des quatre heures du soir : Elledevoit passer par Melun143 pour mettre là sonequipage en ordre. Arrivée à l’entrée de la forest,Elle trouva M. le comte d’Harcourt qui descenditdu carrosse du roy dans lequel il estoit venu,S.E. monta et se mit seule derrière, M. le comted’Harcourt seul au devant, M. de Montausier ettrois prélats avec le s.r de Bonneuil aux deuxportières. Quand S.E. fut entre les deux pavez,Monsieur144 qui venoit à sa rencontre s’arresta etM. le légat aussi, chacun descendit de son carrosseau milieu du chemin. Monsieur fit monterS.E. dans son carrosse qui estoit un de ceux de lareyne, comme plus beau, avec des chevaux,cocher et postillon du roy, M. le légat au fond à ladroite; Monsieur à la gauche; Messieurs les comted’Harcourt et duc de Villeroy145 au devant; lecomte de Claire, Capitaine des gardes de S.A.R. àla portière auprès d’Elle; à la mesme, M.rs deMontausier et de Vaillac; à l’autre, M.rs les duc deRets146 et maréchal Du Plessis147. S.A.R. amenaM. le légat à son appartement, qui est celui de

Mémoire du traitement fait par la maison du roy à Monsieur le cardinal Chigi légat à Latere en France534 Daniela DEL PESCO

148. Probablement Anne-Marie-Louise d’Orléans (1627-1693), la«Grande Mademoiselle», duchesse de Montpensier, fille deGaston-Jean-Baptiste d’Orléans et de Marie de Bourbon,cousine germaine de Louis XIV.

149. M. le comte du Lude, chevalier des ordres du roy, un desquatre premiers gentilshommes du roi, avec M. le duc deMortemar, M. le duc de Crequy, M. le comte de St. Aignan,avec 3500 livres de gages par année (Bensogne, 1663,ff. 53-54), capitaine de la maison royale de Saint-Germain-en-Lay (voir note 104).

150. Hôtel de la Renaissance, rue Francs-Bourgeois dans leMarais, agrandi aux XVIIe et XVIIIe siècles.

151. Tel est le titre de la gravure BNF, Département des estampeset de la photographie, Collection M. Hennin 4293 : L’Au-dience donnée par Sa Majesté en son chasteau de Fonteine-belleau,à Monseigneur le cardinal Chigi, légat en France pour l’exécutiondu traitté de Pise en présence des Princes et seigneurs de la Cour,avec les cérémonies observées à son entrée dans Paris, Almanachroyal pour l’année M. DC. LXV, A Paris chez Pierre Landry etchez Nicolas Langlois. Voir aussi la gravure L’audience royaledonnée à Monseigneur Le cardinal légat à Fontainebelleau [sic], àParis, chez Nicolas Poilly (BNF, Département des estampes etde la photographie, Collection M. Hennin 4294); del Pesco,La légation.., note 70). L’audience est représentée par unetapisserie de la tenture de l’Histoire du roi, réalisée aux Gobe-lins (Mobilier National, Paris, GMTT95/1, première version,

1665-1672). Dans le cartouche inférieur on lit : «Audiencedonnée par le roy Louis XIV à Fontainebleau au cardinalChigi, neveu et légat a latere du pape Alexandre VII, le XXIXjuillet MDCLXIV pour la satisfaction de l’injure faite dansRome à son ambassadeur». Voir aussi Ravizza, ff. 118r-121r.

152. Gabriel de Rochechouart (1600-1675), marquis puis duc deMontemart, un des «quatre premiers gentils-hommes de lachambre du roi», voir note 104.

153. Archives du Ministère des Affaires Etrangères, Correspon-dance de Rome, 164, ff. 95v-96r. : «Le lendemain 29.e jourdestiné à l’audience publique, M. le comte d’Harcourt futprendre M. le légat à son appartement et le conduisit en lachambre de Sa Majesté [...]. Le roy le receut auprès de laporte de sa chambre et prenant la main droite sanscompliment le conduisit à sa ruelle, commandant au SrBloin lorsq’il entra dans la balustre d’apporter une chaisepour M. le légat toute pareille à la sienne qui estoit develours en broderie d’or. M.rs les gentilshommes de lachambre et Mr de la garde-robe estoient à l’accoutumée der-rière la chaise de Sa Majesté. M. le légat dit quelque chose àSa Majesté que personne n’entendit [...] après quoy mettantson bonnet à la main que Sa Majesté eut peine à lui faireremettre, il commença à réciter les termes du traité d’un tonsi haut que toute l’assistance les entendoit».

154. Celui qui porte la croix dans les cérémonies de l’Églisecatholique.

Mademoiselle d’Orléans148, S.E. ayant la droite; ilsmarchèrent ainsi jusque dans la chambre destinéeà M. le légat, où estant, M[onsieur, le frère du roi]ressortit un peu après, et aussi tost que S.A.R. semit à marcher, M. le légat se mit à la gauche etreconduisit Monsieur jusque hors de son apparte-ment. Peu de temps après, M. le comte du Lude149

vint voir S.E. de la part du roy; Elle le receut àl’entrée de la porte de sa chambre. Le s.r de Chan-telou demanda à S.E. quand Elle vouloit souper;Elle lui dit qu’Elle ne mangeroit pas; Il la pria dedire si Elle ne vouloit point quelque chose; Elle ditqu’Elle ne vouloit rien du tout. L’on vint dire àmesme temps aux seigneurs Italiens qu’il y avoitdix huit ou vingt places pour eux à la comédie; desorte que les tables ne se tinrent qu’après qu’ellefut finie. Cependant M. Bonacorsj [le maggior-domo] dit au s.r de Chantelou que S.E. le prioitqu’il n’eust que sa table qui se tint dans son appartement. Après la comédie tous les prélatset seigneurs mangèrent ensemble à l’hosteld’Albret150.

[29 juillet, mardi. Fontainebleau. Audienceroyale donnée à M. le légat151. S.E. rend visite à lareine Mère, à la reine, au Dauphin, à Monsieur,Philippe d’Orléans, frère du roi]

Le xxix.e S.E. entendit la messe à la chapelle

de la salle de bal. Sur les onze heures M. le Baillyde Souvré la vint voir, et fut quelque temps àl’entretenir debout; il l’amena insensiblement versune de ses fenestres qui donne sur le grandparterre du Tibre, d’où ils pouvoient voir lescompagnies qui montoyent la garde. Après vinrentles ducs de S.t Aignan [premier gentilhomme de laChambre du roi] et de Montemard [premiergentilhomme de la Chambre du roi]152 queS.E. [f. 24] reconduisit jusque à la moitié de lasalle ou Elle mange. Elle disna à midi n’ayant à satable que les prélats d’ordinaire. Pages et estaffiersde S.E. prirent ce jour là d’autres habits que ceuxqu’ils avoyent le jour précédent, et leurs livréesont esté trouvées fort belles. Les pourpoints etdoublures des manteaux estoyent de toile d’or; lereste de velours amarante fort enrichi de passe-ment velouté et d’or; toutes les livrées des autresprélats et seigneurs estoyent fort riches et fortbelles. Pour [puis] les seigneurs Italiens ilsestoyent richement et galamment habillez et l’onne pouvoit rien voir de plus leste qu’eux. Sur lestrois heures S.E. fut à l’audience chez le roy àtravers deux files de gardes depuis son apparte-ment jusque à celui du roy153. Les valets de pied etpages de S.E. et des autres prélats et seigneursmarchant devant; Les seigneurs en suite; Le portecroix154 de S.E. puis les prélats et M. le légat. La

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155. Le texte est rapporté dans D. del Pesco, La légation... cit.,p. 476-477.

156. Anne de Noailles, capitaine de la compagnie écossaise desGardes du roi (Bensogne, 1663, f. 122 : «comte de Noailles[...], Capitaine de la Compagnie Ecossaise, qui est la Colo-nelle, la première & la plus ancienne de toutes. Il a de gages2200 livres et 2000 livres de pension»).

157. Gabriel de Rochechouart (1600-1675), marquis puis duc deMontemart, voir note 104.

158. Louis de Béthune, comte de Charost (1605-1681), capitainedes gardes du corps du roi (Bensogne, ibid.), voir note 106.

159. D’après La Gazette (Recueil des gazettes nouvelles, ordinaires etextraordinaires, 1664, p. 763-764) nous apprenons que :«Son Eminence, ainsi qu’à son entrée, estoit vestue d’unesoutaine rouge, en rochet et camail, avec le bonnet en teste;et ses pages et estafiers avoient des habits de drap violet cha-marrez de galons d’or veloutez de soye, avec des pourpointsde brocart d’or à fleurs de soie violette, les premiers ayansdes manteaux de velours de mesme couleur et les autres descasaques de drap doublées de pareil brocart, et tous une infi-nité de rubans et de plumes. Ils alloyent à la teste de lanoblesse de la suite de Son Eminence, qui avoient aussi deshabits brodez d’or et d’argent avec fort beaux bouquets desplumes; après quoy marchoit le porte croix vestu de violet et

à sa gauche le maistre de cérémonies du cardinal légat, quiestoit immédiatement précédé de celui qui prenoit son cha-peau rouge et de divers prélats avec pareils habits. Le roy,superbement vestu, mais qui paressoit beaucoup plus par sahaute mine et son air tout majestueux que par la pompe etl’éclat de ses habits, estant accompagné des principaux de lacour, alla au devant de Son Eminence jusque auprès de laporte de sa chambre; et, après y avoir receu son compliment,la conduisit en la ruelle de son lit, où il la fit seoir dans unfauteuil et, s’estans couverts, elle lui parla dans les termesportez en l’article du traité de Pise, en sorte que Sa Majestéfut très satisfaite. Ensuite Sa dite Majesté la reconduisitjusque à la mesme porte de sa chambre».

160. Anne d’Autriche (1601-1666), fille de Philippe III d’Espagneet de Marguerite d’Autriche, épouse de Louis XIII, roi deFrance. Dans BAV, Chigi E.II. 37, I parte, f. 312v il y a unpetit plan du cabinet de la reine dessiné par Sebastiano Bal-dini.

161. Marie Thérèse d’Autriche (1638-1683), fille de Philippe IVd’Espagne et de Elisabeth de France, fille d’Henri IV, mère duDauphin, Louis (1661-1711).

162. Dans Baldini (BAV, Chigi E.II. 38, f. 253) figure un petitdessin qui reproduit la disposition des sièges du légat et dePhilippe d’Orléans par rapport à la porte de la chambre.

croix demeura dans l’antichambre de Sa Majesté,qui vint recevoir S.E. à la moitié de sa chambre;M. le légat salua le roy avec une inclination fortprofonde, et Sa Majesté lui fit un fort grandaccueil, et la mena dans la ruelle de son lict oùestoyent Messieurs les premiers gentilshommes dela chambre et m.e de la Garde-robe. Ils s’assirentchacun dans un fauteuil; celui de Sa Majestéregardant la porte du balustre, et celui de M. lelégat opposé à la mesme porte. S.E. leut l’escrit quiavoit esté concerté155, après quoy le roy lui parlaavec la plus grande affabilité du monde etl’escouta de mesme à ce qui se vit au visage de SaMajesté. Quand M. le légat arriva, M. de S.tAignan s’estoit avancé pour suivre le roy qui alloitau devant de S.E. Ce que ayant veu, M. deNoailles156 qui estoit contre la cheminée avecM. de Lionne [secrétaire aux Affaires Étrangères],il s’avança aussi, jugeant qu’il estoit de sa charged’estre près de Sa Majesté; M. de S.t Aignan aucontraire prétendant que le Capitaine des gardesn’a nulle fonction dans la chambre, il y eut unpetit différend qui fut remarqué; lequel estantdepuis venu aux oreilles du roy, il commanda àM. de Montemard157 et à M. de Charost158 del’accommoder en sorte qu’il n’en entendist plusparler. L’audience de M. le légat dura environdemie heure, le roy après s’estant levé et tenantM. le légat à sa gauche, le ramena la longueur detoute sa chambre et deux ou trois pas au delà159;S.E. fut ensuite chez la reyne Mère160 qui le receut

dans son grand cabinet à trois ou quatre pas prèsde la porte; au bout il y avoit deux fauteuils, celuide la reine Mère regardant la porte, et celui deM. le légat vis à vis; il s’y trouva force Dames dontquelques unes furent assises sur des placets etautres debout. L’audience finie, la reyne mèreaccompagna S.E. quelques pas au delà de songrand cabinet. Elle fut ensuite chez la reyne161, oùse fit la mesme cérémonie. Après chez Monsieur leDauphin qui se tint toujours debout. Elle alla de làchez Monsieur qui la fut recevoir jusque à l’entréede la salle de ses gardes, lui donnant [f. 25] ladroite; l’audience finie, il la reconduisit deux outrois pas hors la mesme salle de ses gardes162. Il està noter que quelque temps après que M. le légatfut arrivé à Fontainebleau, il envoya visiterMonsieur et le remercier de l’honneur qu’il luiavoit fait; S.A.R. respondit qu’il avoit fait de boncœur et avec plaisir ce qu’il avoit fait. La journées’estant passée à ces audiences, S.E. soupa avec lesprélats qui avoyent disné avec Elle.

[30 juillet, mercredi. Fontainebleau. Audiencede S.E. chez le roy; M. le duc Mazarin, l’Arche-vesque d’Auch, Madame de Montausier et le ducde Villeroy viennent voir M. le légat. M. le légatva à la chasse de l’arquebuse avec Sa Majesté.M. de Montausier reçoit le brevet de duc. Il légatassiste alla comédie La Princesse d’Élide de Molière]

Le xxx.e [30] S.E. entendit la messe et aprèsalla à l’audience chez le roy qui la receut avec un

Mémoire du traitement fait par la maison du roy à Monsieur le cardinal Chigi légat à Latere en France536 Daniela DEL PESCO

163. Armand-Charles de Mazarin de la Porte (1632-1713), duc deLa Meilleraye, neveu de Richelieu, devenu duc de Mazarin,dont il fut l’héritier, par son mariage en 1661 avec HortenseMancini, nièce du cardinal, qui, face à la jalousie et auxintempérances du mari, quitta Paris pour Rome en 1668.Lieutenant général et gouverneur de l’Alsace, de La Ferté etdu château de Vincennes.

164. Pour M. et Madame de Montausier (Julie d’Argennes), voirnotes 5 e 110.

165. Marie-Claire de Bauffremont (1618-1680), comtesse deFleix, marquise de Senecey, première dame d’honneur de lareine mère.

166. Marguerite d’Apchier (m. 1708), seconde femme (1660) deFrançois Ier de Crussol (1604-1680) qui contribua à l’annexiondu Roussillon à la France (traité des Pyrénées). Il figura, avecla duchesse d’Uzès, au mariage du roi Louis XIV avec l’infante

Marie-Thérèse sur les bords de la Bidassoa, en 1660.167. Nicolas de Neufville de Villeroy, maréchal de France, voir

note 12.168. La Princesse d’Élide de Molière, comédie galante mêlée de

musique et d’entrées de ballet, représentée pour la premièrefois à Versailles, le 8 mai 1664, et puis au théâtre du Palais-Royal le 9 novembre 1664 par la troupe de Monsieur, le frèredu roi.

169. Françoise Athénaïs de Rochechouart de Mortemart (1640-1707), marquise de Montespan, connue comme madame deMontespan, la favorite de Louis XIV (1667-1674). Arrivée àla Cour de France grâce à l’intervention d’Anne d’Autriche(et à la tante de Françoise de Montespan, Anne de Roche-chouart de Mortemart), la jeune fille fut attachée au serviced’Henriette d’Angleterre, ce que lui permit d’entrer encontact avec Louis XIV.

fort grand accueil, Elle n’y demeura qu’un bonquart d’heure puis s’en revint. Passant par la salledu bal, les trompettes du roy, les timbales, fifres etles tambours firent force fanfares et grand bruit. Les.r de Chantelou lui ayant demandé quand Ellevouloit disner, Elle lui dit que ce seroit après avoirreceu la visite de Madame de Montausier. Cepen-dant M. le duc Mazarin163 vint voir S.E. qui l’allarecevoir à la porte de sa chambre, et lui fit donnerun fauteuil; il demeura assis demi quart d’heure;après S.E. la reconduisit jusque à la moitié de sasalle, M.r l’Archevesque d’Auch vint aussi qu’ilreceut debout, et lui parla un peu à part, puiss’approcha de M. Du Puy qui estoit venu avec lui,et qui estoit encore là. Avant qu’ils sortissent,Madame de Montausier164 arriva avec Madame deFleix165 et Madame de Crussol166. S.E. fit apporterdes fauteuils, leur donnant la droite; ils furent unquart d’heure en conversation, puis Elle lesreconduisit toute l’estendue de son appartement.Le duc de Villeroy167 vint ensuite qui fut un demiquart d’heure assis avec S.E.; Elle le reconduisitcomme Elle avoit fait les autres ducs. S.E. disnaaprès au son des vingt quatre violons, ausquelsestoyent joints les petits violons du roy; on lesavoit tous fait entrer dans l’antichambre de S.E..Sur les quatre heures M. le légat fut à la chasse del’arquebuse avec Sa Majesté, laquelle tua sixperdreaux et deux lièvres, et M. le légat troislevraux et un perdreaux. Au retour S.E. s’enrevint à son appartement changer d’habit ;pendant quoy, M. le premier m.e d’hostel [lemarquis de Bellefonds] qui s’estoit trouvé, lui fitapporter un plat de fruit du Gobelet, et des eauxglacées pour boire; Le s.r de Chantelou demanda àS.E. si Elle vouloit quelque chose; Elle lui dit quenon, et mesme qu’Elle ne vouloit point souper.

M. le duc de Montausier (Il sera dorénavantnommé icy avec cette qualité, le roy lui en ayantdonné le brevet) s’y trouva, et lui demanda encoresi Elle ne prendroit rien du tout; Elle lui dit pardeux fois, Niente, signor Niente. Il est à noter ausujet de ce brevet que, quand le roy en eutcommandé l’expédition, il dit à M. de Montausier,que peut estre cela seroit cause que à l’avenirquand il viendroit d’autres légats, il pretendoyentqu’un duc allast au devant pour les recevoir; Ellerepartit en riant, qu’en tout cas ils n’auroyent lieude le prétendre que pour le retour. S.E. ayantquitté son habit de chasse fut à la comédie duPrince d’Ithaque qui fût la mesme qui fût jouéeaux festes de Versailles168. Le roy et les reynes s’yestoyent placez à l’ordinaire, et M. le légat estoit àla droite de la reyne Mère à demi tourné du costéde Sa Majesté, et commençant la file des Prin-cesses. Après S.E. estoit la Princesse de Bade, pour[puis] Monsieur il estoit sans rang dans une filederrière le roy auprès de Madame [f. 26] deMontespan169 qui estoit à sa droite. La comédiepleût extremement à tous ces Messieurs, lesItaliens et plus et moins selon qu’ils entendoyentla langue. Elle est composée, outre le corps de lapièce, de divers récits, de petits ballets, de dansespastorales et de machines, de sorte qu’Elle estautant pour les yeux que pour les oreilles. Lacomédie finie, S.E. retourna à son appartementesclairée comme Elle estoit venue, de quatre flam-beaux de poing portez par les pages du roy.

[31 juillet, jeudi. Fontainebleau. Le légat rendvisite aux reines et donne audience aux maré-chales d’Hauquincourt, de Grancé, à MadameColbert, au duc de Noailles et à M. le chancelier.Séguier. Il assiste à l’Othon de Corneille]

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170. Marie Charron de Ménars (1630-1687), épouse de Jean-Baptiste Colbert.

171. Voir note 156.172. Pierre Séguier (1588-1672), chancelier de France.173. L’Hôtel de Bourgogne désignait jusqu’au XVIe siècle la rési-

dence des ducs de Bourgogne à Paris. Il fut un des princi-paux lieux de représentation théâtrale parisiens. La tourJean-sans-Peur (rue Étienne-Marcel) en est le seul vestigesubsistant.

174. L’Othon est une tragédie de Pierre Corneille représentée pourla première fois en août 1664 à Fontainebleau, puis à l’Hôtelde Bourgogne le 5 novembre de la même année. Ravizza :

«Il re condusse la sera S. Em.za a sentire comedia» (f. 125v).175. Marguerite-Marie de Cossé-Brissac (1648-1708), duchesse,

femme du duc François de Neufville de Villeroy (1644-1730)qui sut conserver la faveur royale malgré de nombreusesdéfaites militaires.

176. Marguerite Cambout de Pontchâteau, femme de Henri deLorraine, comte de Harcourt (Bensongne, 1663, f. 51).

177. Cécile-Élisabeth Hurault de Cheverny, marquise de Mont-glas, femme de François de Paule de Clermont (1620-1675).

178. Marguerite Le Tellier de Louvois (†1711), femme de NicolasNeufville de Villeroy, marquis et duc en 1663, maréchal deFrance.

Le xxxi.e [31] S.E. employa une partie de lamatinée à escrire à Rome; Elle disna à midi etdemi, et sur les quatre heures Elle fut visiter lareyne mère, où estoit la reyne, Monsieur [Philipped’Orléans] et les Princesses. Leurs Majestés furentau devant de S.E. à plus de la moitié du grandcabinet, la croix demeura dans l’antichambre;leurs Majestés, S.A.R. et M. le légat demeurèrenten compliment demi quart d’heure debout; aprèsles reynes et M. le légat passèrent dans la petitechambre de la reyne Mère. Pour [sic, puis]Monsieur il s’en retourna chez lui; les Princesseset autres Dames restèrent dans le grand cabinet;M. le légat demeura avec les reynes une grandedemie heure; Leurs Majestés le reconduirent toutl’espace de la chambre et du grand cabinet. Arrivéqu’il fût chez lui, il receut diverses visites;entr’autres de Mes Dames les mar[éch]allesd’Hauquincourt, de Grancé et de MadameColbert170 qui vinrent ensemble; il les reconduisitjusque à la dernière porte de son appartement; leduc de Noailles [capitaine des gardes du roi]171 vintaussi après, qu’il remena jusque à la moitié de sasalle; puis M. le chancelier172 qu’il receut à la portede sa chambre. Ils demeurèrent ensemble assisenviron un gros quart d’heure. S’estant levez,S.E. le reconduisit deux pas hors l’estendue detout son appartement. Elle fut après ces visites à lacomédie; ce furent les comédies de l’hostel deBourgogne173 qui représentèrent l’Othon du s.rCorneille174; S.E. eut la mesme place que le jourprécédent; Monsieur ne s’y trouva pas. La piècefinie S.E. vint souper.

[1 août, vendredi. Louis XIV et le M. le légatassistent à Fontainebleau à une spectaculaireparade militaire de cavalerie et d’infanterie de lagarde ordinaire du roi.]

Le premier aoust S.E. receut au matinplusieurs visites; entendit la messe et disna à midi,

puis alla à la reveue générale des troupes de cava-lerie et d’infanterie de la garde ordinaire du roy,laquelle se fît à une lieue de Fontainebleau; SaMajesté estoit allée deux heures auparavant pourles mettre en ordre; le temps ne fut pas beau; celaseul manqua à ce spectacle car jamais on ne vitrien de mieux ordonné ni de plus leste. Les mousquetaires et gardes du roy avoyent descasaques toutes neuves; les officiers et toute lacour avoyent pris ce jour là leurs plus beaux habitset leurs chevaux estoyent couverts des plus belleshousses. Le roy mena S.E. de file en file, Elle estoitentre Sa Majesté et Monsieur; il fut fait troissalves, puis l’on revint à Fontainebleau. A sonarrivée S.E. dit au s.r de Chantelou que l’exercicelui avait donné de l’appétit, et qu’Elle seroit bienaise de souper, aussi tost le couvert fut mis et latable servie.

[2 août, samedi. M. le légat assiste à la messeavec la musique de la Chapelle du roi; Madame laduchesse de Villeroy, et les Mesdames d’Armagnacet de Monglas Lui rendent visite ainsi que lemarquis de Villeroy, maréchal de France, et le ducd’Orléans, frère de Louis XIV, et Madame, safemme. M. le légat donne ses cadeaux au roi etaux membres de sa cour].

Le deux.e [2, f. 27] Elle entendit la messe à dixheures et demie durant laquelle la musique de lachapelle du roy chanta. Revenue chez Elle, Ellereceut la visite de Madame la duchesse deVilleroy175, de Mes Dames d’Armagnac176, deMonglas177, et marquis de Villeroy178. S.E. leur fitdonner des fauteuils, et Elle se fit apporter unplacet, et insista longtemps pour s’y asseoir, lesDames ne voulant pas le permettre, enfin S.E. pritun fauteuil. Elle les reconduisit toute l’estendue deson appartement. M[onsieur, le fère du roi]ensuite vint voir S.E.; Elle fut recevoir S.A.R. et

Mémoire du traitement fait par la maison du roy à Monsieur le cardinal Chigi légat à Latere en France538 Daniela DEL PESCO

179. Voir note 78 dans D. del Pesco, La légation... cit.180. Pour l’identification des tableaux, voir D. del Pesco, La léga-

tion, cit., notes de 114 à 125.181. Lucques en Toscane.182. Philippe-Charles d’Orléans, le fils de Philippe d’Orléans et de

Henriette-Anne d’Angleterre, né le 16 juillet 1664 pendant lalégation du cardinal Chigi (mort le 8 décembre 1666).

183. Le 2 août Baldini rapporte que le légat assista à la comédie

italienne L’avarizia di Scaramuccia (f. 267v); il ne cite pas lesprésents du cardinal : au f. 282r et v, sous le titre «Regali delLegato a S[ua] Maestà», la page est en blanc; au f. 283 onlit : «L’elenco dei regali del re al seguito del cardinale».

184. La chapelle de la Trinité du château de Fontainebleau,décorée par Martin Fréminet (1567-1619), un peintre de laseconde École de Fontainebleau (Baldini, f. 267 v).

l’accompagna estant à sa gauche jusque où lesfauteuils estoyent préparez; celui de Monsieur luifut présenté par don Sig ismont [Chigi] ;S.A.R. l’ayant remarqué, il lui en fit complimentet s’y assit; Monsieur avoit directement en face laporte de la chambre et m. le légat y estoit opposé.Ils furent demie heure et plus en conversation,parlant de la beauté et de la grandeur de Paris, dubastiment du Louvre, des projets de l’embellir;parlèrent de la peinture, mesme des tableaux dus.r de Chantelou et de l’avantage qu’avoyent tousces seigneurs Italiens de ce qu’il sçavoit la langue.La conversation finie, Monsieur salua, et toutaussi tost M. le légat se mit à sa gauche, et lereconduisit trois ou quatre pas hors de son appar-tement. Il disna ensuite et après alla à la chasse dudaim; à son retour il changea d’habit, dit son officeet après fut à la comédie Italienne179. Le m.ed’Hostel du roy [Chantelou] ayant demandé àS.E. s’il envoyeroit à la viande, Elle lui demandaquelle heure il estoit; ayant respondu qu’il estoitonze heures, Elle dit qu’Elle ne souperoit doncpoint, de sorte que les prélats et seigneurssoupèrent ensemble à l’hostel d’Albret. Il ne fautpas oublier les présents que fit M. Le légat. Ildonna au roy douze chevaux du royaume deNaples couverts de caparaçons de satin bleu avecles armes et chiffres de Sa Majesté; ils lui furentprésentés par le comte de Montemartj, cavalerizzode S.E. L’abbé Castiglionj lui présenta aussi quatretableaux, dont l’un est une Vierge avec le petitChrist; S.te Elizabeth, et un petit S.t Jean de lamain de Leonardo da Vincj ou de BernardoLouino; l’autre un portrait d’une vénitienne de lamain du Titian ou de Paul Véronèse. Les deuxautres sont des batailles d’un Salvator Rosa et duBourguignon180. Il donna outre cela à Sa Majestéles reliques du corps de S.t Zenon. A la reyne mèreune caisse dans laquelle sont les reliques d’unautre corps saint, une Vierge du Guercino da

Santo [Cento], des gants, des sachets de senteurs,et des bouteilles d’eaux de Luques. À la reyne desemblables choses et une Vierge du Guide. AMonseigneur le Dauphin quelques petits tableaux,des gants et des senteurs. À Monsieur, un bénitierd’argent enrichi d’une croix d’agate, et de quel-ques pierres comme calcédoines et lapis. Il donnaen outre à S.A.R. et à Madame des pommades, desgans, des éventails, des eaux de Luques181, dessachets et un petit tableau orné d’une bordured’argent; S.E. fit mesme quelque présent à M. leduc de Vallois, qui ne faisoit presque que naistre182,et à toutes les dames plus qualifiées de la Cour183.

[3 août, dimanche. «Festin» du roi à Fontaine-bleau; M. le légat assiste à l’Oedipe du sieurCorneille; Chantelou rapporte au roi des voixconcernent son office chez S.E.]

[f. 28] Le dimanche m.e [3] le s.r de Chantelouayant entendu dire que S.E. partiroit le Mercrediensuivant, et ayant à donner ordre pour leschevaux nécessaires pour monter les officiers, futpour prendre celui de S.E.. Elle le fit entrer quoyqu’elle ne fust pas habillée, et qu’on la peignastencore; Elle lui dit qu’Elle partiroit le Mercredipour aller disner et souper à Soizy. À mesmetemps il dépescha à Paris pour les chevaux néces-saires. Sur les onze heures S.E. dit la messe à laChapelle de Fréminet184, où il y avoit grand appa-reil de Musique, et grande foule de monde. Ils’estoit dit que le roy et les reynes y seroyent, maisil n’y eut que S.A.R. [le duc d’Orléans] : encoreestoit Elle dans une tribune. Si tost qu’Elle futfinie, le s.r de Chantelou fit servir les tables desprélats et seigneurs afin qu’ils puissent se trouverau festin que le roy faisoit ce jour là à M. le légat.La table estoit preparée dans la salle de bal sur lelieu élevé qui est près de la cheminée. Elle estoitpour dix grande prélats et quatorze assiettes; M. lemarquis de Bellefonds, premier m.e d’hostel,

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185. M. Cossé de Brisac. Le menu du festin est rapporté parRavizza (f. 129).

186. Officier qui sert à boire à un grand personnage. En 1663,M. le marquis de Crénan (Bensogne, 1663, f. 30).

187. En 1663, le marquis de Vandeuvre (ibid.). Les trois officierscités par Chantelou intervenaient aux grandes cérémonies.

188. A. Furetière, Dictionnaire universel, II éd., vol. 2, Paris, 1701,sub voce : «nef, se dit aussi d’un vaisseau qui a quelque res-semblance à une petite nef [bateau] qu’on sert par grandeursur un bout de la table du roi, où l’on enferme sa serviette,

ou ce qu’on met avec son couvert».189. M. Honoré Parfait, sieur de la Saussaye, contrôleur général,

officier contrôlant toutes les dépenses qui se font dans lamaison du roi.

190. Bensogne, 1663, f. 21, cite Langlois parmi les douze maîtresd’hôtel servants par quartier, le même rôle que Chantelou.

191. La tragédie de Corneille fut représentée la première fois le24 janvier 1659 à l’Hôtel de Bourgogne. Elle marque leretour de Corneille au théâtre, à la demande insistante deNicolas Fouquet.

accompagné d’onze m[aîtr]es d’Hostel du roy, lesgrand panetier185, grand Echanson186 et grandTranchant187 y servirent aussi, ce qu’ils n’avoyentpoint fait depuis le sacre du roy; M. de Cosse estoitentre le marquis de Crenan [grand Échanson] etde Vandesure [grand Tranchant]; ce derniern’arriva que deux heures avant la cérémonie, etvint jour et nuit en poste pour s’y trouver. Le royavoit nommé M. de Villequier pour servir en sonabsence. Le couvert du roy fut mis avec la nef188.Vis à vis et à l’opposite de son fauteuil estoient lestrois grands officiers, à cinq pieds du fauteuil duroy du mesme costé estoit celui de M. le légat. Iln’avoit qu’un couvert simple et point de cadenas.Le roy ayant demandé sa viande, elle fut portéepar les valets de pied du roy précédez de m.esd’Hostel. Les plats et assiettes destinez pour le royfurent mis sur la table par M. Vandesure; le restepar les controlleurs Parfait189 et Chamoix quiestoyent de quartier. La table couverte, M. lemarquis de Bellefonds et les autres m.[aîtr]esd’hostel furent pour avertir Sa Majesté dans sachambre où s’estoit rendu M. le légat; Monsei-gneur le grand maistre [duc d’Enghien] qui estoità l’entrée de l’antichambre fut avertir Sa Majestéqui vint ayant M. le légat à sa gauche, Monsei-gneur le grand m[aîtr]e, devant, M. le premier [lemarquis de Bellefonds] et les autres m.[aîtr]esd’hostel, marchant suivant leur réception, àl’exception de ceux de quartier qui précédoient. Leroy estant dans sa place et M. le légat en la sienne,Monseigneur le grand m.[aîtr]e, donna la servietteà Sa Majesté, qu’il avoit pris des mains du s.rLanglois, m[aîtr]e d’Hostel de quartier. M. lepremier m.[aîtr]e d’hostel [le marquis de Belle-fonds] la donna à S.E.; M. l’abbé de Couslin,premier aumosnier, dit le Benedicite; après quoytous le m[aîtr]es d’hostel furent au second; M. leduc [d’Enghien] se retira aussi. Les entrées furentposées comme avoyent esté les potages, puis l’on

fut au rost et aux entremets qui furent composezde soixante quatorze assiettes, six sur [f. 29]chaque plats; après l’on porta le fruit qui futcomposé de dix pyramides de cru et de sec à l’hau-teur de deux pieds et demi, et de quatorzeassiettes, le tout arrangé et distribué de sorte querien ne pouvoit estre plus agréable à la vue par lavariété de fruits et de leurs couleurs. M. de Coséchangea d’assiette au roy et de serviette; M. deCrenan donna à boire, et M. de Vandesure posa lesplats devant Sa Majesté seulement et trancha saviande; M. le Général Parfait servoit M. le légat.Le festin finy, M. le duc [d’Enghien] donna encorela dernière serviette à Sa Majesté, laquelle lui futprésentée par le s.r Langlois190. Durant le repas quidura une bonne heure, les reynes, Monsieur, etquelques dames furent à une tribune au bout de lasalle, d’où Elles voyaient le festin. L’après disnée leroy et M. le légat furent voir travailler les chevauxque S.E. avoit donnez à Sa Majesté. Les écuyersdu roy en travaillèrent encore d’autres de ceux duroy. Sur les huit heures du soir, Sa Majesté, lesreynes et M. le légat furent à la comédie, qui futcelle d’Oedipe du sieur Corneille191; à l’issueS.E. s’en revint souper, le sieur de Chantelou luiayant dit que la table estoit couverte; Elle luidemanda passant dans la salle où Elle mangeroit,que signifioyent les bastons qu’Elle avoit vusporter aux m[aîtr]es d’hostel du roi; il lui dit quec’estoit la marque du commandement qu’ilsavoyent dans la maison de Sa Majesté, que cebaston ne se portoit que quand Sa Majestémangeoit en public. Le soir au coucher du royaprès que Sa Majesté eut donné le bon soir, le s.rde Chantelou lui parla sur ce que quelques uns deses amis lui avoyent rapporté qu’on lui avoitrendu auprès du roi de mauvais offices; et dit à SaMajesté, que quoy qu’il n’y eust aucun fondementà ces rapports, il n’en estoit pas estonné, se trou-vant toujours à la cour des gens prests à faire de

Mémoire du traitement fait par la maison du roy à Monsieur le cardinal Chigi légat à Latere en France540 Daniela DEL PESCO

192. Bensogne, 1663 (f. 234) cite M. d’Aligre sous la charge de«trésorier des menus plaisirs».

193. Baldini, f. 274r et v.194. Baldini (ff. 277v-280v); Ravizza (ff. 130-131). Dans Chigi

E.II. 37, I parte, f. 314v figure un petit plan de la salle des-

siné par Sebastiano Baldini.195. Voir note 184.196. Le compositeur Henry Dumont (1610-1684), nommé en

1663 maître de la Chapelle royale.

ces charités; qu’a l’égard de s’estre assis auprès deM. le légat lors qu’il estoit à table, il ne l’avoit faitni par vanité, ni par ignorance; qu’il avoit sceuque M. de Monce qui avoit servi M. le légatBarberin quand il vint légat en France, en avoitusé de la sorte; Que si cela ne se trouvoit pas surses mémoires, c’est qu’il n’y faisoit escrire que cequi lui plaisoit. Sa Majesté lui dit cela que le livrede M. de S.t Chaumont n’en disoit rien; il luirepartit que M. de S.t Chaumont et M. de Mocéavoyent eu des différends qui avoyent esté peutestre cause qu’il n’avoit rien escrit de ce qui leregardoit; le s.r de Chantelou porsuivit et dit à SaMajesté que le service avoit toujours esté égale-ment bien fait, et que s’il eust voulu accorder àplusieurs officiers, qui avoyent joint S.E. depuisNemours, les droits qu’ils prétendent appartenir àleurs charges, on n’auroit pas dit qu’il y auroit eude la différence au service du commencement etde la fin; qu’il avoit toujours pris également soinqu’il fut honorable et magnifique, et n’avoit pourcela épargné ni ses peines ni ses veilles. Sa Majestél’ayant escouté favorablement lui dit qu’Elle enestoit satisfaite, et qu’il continuast.

[4 août, lundi. Fontainebleau. Audiences deM. le légat avec M. Colbert, le roi et les directeursdes finances. Le roi et S.E. participent à «unecollation la plus belle et la plus galante qui sepuisse voir», offerte par la reine mère; grand baldu roi]

Le lundy nn. e [4] après que S.E. eut entendula [f. 30] messe, M. Colbert la vint voir, etdemeura avec Elle une demie heure; après Elle lereconduisit jusque à la moitié de la salle; SaMajesté à quelque temps de là vint aussi Ellemesme visiter M. le légat; Elle y demeura un bonquart d’heure; M. d’Aligre et M. de Sève, direc-teurs des finances192 y vinrent incontinent après etnombre d’autres personnes qui ne se peuvent plusspécifier. Après ces visites, S.E. disna à midi, etsur les quatre heures fut visiter M. [le ducd’Orléans]193 où Elle demeura demie heure; entresix et sept Elle fut chez la reyne mère : leursMajestez le reçevèrent comme les autres fois, puis

le menèrent dans le salon qui regarde l’estang, oùestoit préparé une collation la plus belle et la plusgalante qui se puisse voir. Elle estoit de vingtquatre grands bassins, sur chacun desquelsestoyent en pyramide vingt corbeilles bordéesd’un nombre de nœuds, de fistons et de galons denonpareille de toutes les couleurs imaginables, etdans les corbeilles estoyent des fruits crus desaison, et de toutes sortes de confitures sèchesarrangées avec une industrie merveilleuse, et unevariété infinie de couleurs. Le roy estoit venu unpeu auparavant, et M. le Dauphin aussi. Il n’yavoit aucun siège pour s’asseoir dans le lieu; le royfit faire le tour de la table à S.E. afin de considérermieux la beauté de cette collation; S.E. mangeaquelques fruits debout; Les princesses et dames yestoient aussi. La disposition de cette collation seconsideroit comme un spectacle plus pour la vueque pour le goust. S.E. ne fut dans le salon qu’unbon quart d’heure, et après s’en retourna dans sonappartement, où Elle dit au s.r de Chantelou queElle se dispenseroit de souper. Sur les dix heuresdu soir Elle fut au bal, où les reynes et les Damesestoyent parées de tout ce qu’il y a de plus beau enFrance en perles et pierreries. Jamais on n’en atant vu ensemble. Le bal finit à une heure194.

[5 août, mardi. Fontainebleau. M. le légat àcolloque avec M. de Lionne, secrétaire d’État auxAffaires Étrangères. Louis XIV et la reine mèreenvoient leurs cadeaux aux membres de la léga-tion. S.E. rend visite aux princesses de Carignan etde Bade, à Madame d’Armagnac, à Mademoiselled’Elbœuf, et à Madame de Créqui; Colloques avecM. Colbert, le roi, M. de Lionne. S.E. présente àLouis XIV Monseigneur Ravizza et MonsigneurRoberti qui va devenir nonce en France. Le légatprend congé de la cour et assiste à une comédieespagnole]

Le mardy cinq.e S.E. receut nombre de visiteset entre autres une de M. de Lionne qui futenfermé avec Elle fort long temps. La messe futdite à la chapelle de Fréminet195 où furent chantezdes motets de Dumont196, que le roy avoit envoyéquérir à Paris esprez; les vingt quatre violons y

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197. Catherine Neufville de Villeroy (1639-1707), la femme deLouis Armagnac de Lorraine.

198. Marie-Marguerite-Ignace de Lorraine, fille de Charles II deLorraine et de Catherine-Henriette de France.

199. La femme de Charles III, duc de Créquy, maréchal deFrance, ambassadeur à Rome en 1662, à l’époque de l’affairedes Corses.

200. Madeleine Fabry, la femme de Pierre Séguier.201. La femme de Antoine III de Gramont, conte de Guiche,

maréchal de France, en 1664 colonel du régiment des gardes

François (Bensogne, 1663, f. 168).202. «On appelle aussi courir les testes un exercice de manège où

le cavalier perce plusieurs testes de carton qui sont à terreavec diverses sortes d’armes, tandis que le cheval galoppe»(A. Furetière, Dictionnaire universel, 1ère éd., La Haye, 1690,sub voce «teste»). Ravizza : «[Le légat] andò a vedere lagiostra, cioè la corsa delle quattro teste, ed il Re fu il primo agiostrare seguito dà molti Principi, tra i quali il Marchese diBelfo [Belfort] che riportò la vittoria» (f. 132).

estoyent aussi. S.E. y fut avec la croix qui d’ordi-naire marche devant Elle. Retournée qu’Elle futdans son appartement, M. de Bonneuil [introduc-teur des ambassadeurs] lui présenta de la part deSa Majesté une croix de dix diamants d’un reliefextraordinaire; ils estoyent tous de la largeur d’undemy Louis, hors mis celui du milieu de la croix,qui est bien plus gros; cette croix estoit enferméedans une boette de filigrane d’or admirablementbien travaillée. Peu de temps après il donna à donSigismont [Chigi] un portrait du roy enrichi detreize diamants, qui avoit une couronne aussi dediamants, une autre au marquis Picolominj, unpeu moins riche, et un [sic] troisième au comte deMontemartj, Cavalerizzo de S.E. Il donna encoreune bague à M. l’abbé de Bonvizi, m.e de chambrede S.E., et une autre à M. l’abbé Castilionj, secre-taire delle Imbacciate. S.E. et [f. 31] chacun desautres donna des marques de son admiration et desa reconnaissance envers le roy. En suite S.E. futrendre visite aux princesses et commença parMesdames les Princesses de Carignan et de Bade.Elle fut après chez Madame d’Armagnac197, et ensuite chez Mademoiselle d’Elbœuf198, puis chezMadame de Créqui199. Revenue à son apparte-ment, Elle y trouva M. Colbert qui l’attendoit; Ellele fit asseoir, et il fut avec Elle un bon quartd’heure; après s’estant levé, S.E. le reconduisitjusque aux deux tiers de son appartement. AprèsMadame, la chancelière200 et Madame la comtessede Guiche201 arrivèrent; M. le légat leur donna lamain droite, et les reconduisit jusque au bout de sasalle. Il disna après cela; et à l’issue du disner desseigneurs, la reyne mère envoya à don Sigismond[Chigi], au marquis Picolominj, et aux autresseigneurs grand nombre des corbeilles de sa colla-tion pleines de fruit, et couvertes de galons,comme Elles avoyent paru le jour précédent. Surles quatre ou cinq heures S.E. fut voir courir lestestes202 et se para de la croix de diamants que Sa

Majesté lui avoit envoyée le matin. Arrivée au lieuoù estoit le roy, Elle l’en remercia avec des tesmoi-gnages d’une extrême reconnaissance; le roy luidit qu’il lui estoit obligé du soin qu’Elle avoit eu delui rendre grâce de si peu de chose; S.E. en suite semit sur un theatre auprès de la reyne et le roycontinua à courir de la meilleure grâce du monde.La course finie l’on parla de ceux qui s’y estoyentsignalez; le roy dit que s’il y avoit eu un prix onauroit eu peine de juger à qui l’on auroit du ledonner. À cela M. le légat dit en montrant sacroix, que c’estoit lui qui emportoit le prix de lajournée. Sa Majesté après s’en revint changerd’habit, quoy fait, M. le légat vint à son audiencede congé. Elle le receut à deux pas près de la portede sa chambre, et le mena dans le balustre ducosté de la ruelle, où les fauteuils estoyent posezcomme ils avoyent esté les autres fois. Le roys’assist et M. le légat aussi. Il commença sescompliments prenant encore la croix que le roy luiavoit donnée et la montra à Sa Majesté quirépondit à ce qu’il parût avec grande civilité auxactions de grâces de S.E.. Elle parla long temps; leroy escoutant paisiblement et lui respondant defois à autre; ils tenoyent chacun un papier enmain qu’ils regardoyent de temps en temps;quand M. le légat parloit il tenoit presque toujoursles yeux baissez, et ne les levoit que de fois àautre; et le roy lui parloit avec une grande affabi-lité et souvent en souriant. L’entretien dura unebonne demie heure dans lequel il parut une affec-tion et un respect extrême du costé de M. le légat,et de celui du roy beaucoup d’estime et deconfiance. L’audience finie, le roy reconduisitS.E. jusque à deux pas hors de sa chambre. Aprèsquoy Sa Majesté revint dans sa ruelle; M. deLionne s’estant approché d’Elle lui présentaM. Ravizza, il fit ses compliments au roy, qui lereceut avec tesmoignage de bonté; il [f. 32]présenta après M. Roberti, avec lequel Sa Majesté

Mémoire du traitement fait par la maison du roy à Monsieur le cardinal Chigi légat à Latere en France542 Daniela DEL PESCO

203. Baldini (f. 288 v) : «veramente fu bellissima, perchè icomici erano eccellenti e l’opera fu bizzarra intrecciata conintemedii di diversi balletti».

204. Philippe d’Orléans, le frère de Louis XIV.205. Baldini (ff. 288v, 289r) : «se n’andò a Vaux-[le-Viconte]

luogo di delitie, 2 leghe distante da Fontanablò, aggiustatoda Fouquet, dove dicono abbia speso alcuni milioni, sendostato necessitato tagliar monti per condurci l’acqua, appianarvalloni, si ammira bellissimo palazzo con appartamenti messià oro, di fuori tutto di pietra bianca, circondato da acque,con una bellissima ringhiera di marmo all’intorno; con fon-tane innumerabili; con suppellettili degne d’un Rè; con lag-hetti, cadute d’acque, viali lunghissimi di tutta perfettione».Voir aussi Ravizza f. 133r et BAV, Chigi E.II. 37, I parte,f. 323r.

206. Il pourrait s’agir de la mère de M. le Bailleul, un des dix-septécuyers du roi.

207. Ravizza, f. 133 : «il S. E. fu ricevuto alla porta dal Duca diq.to cognome con ogni dimostrazione di ossequio e distima». Le palais Mazarin se situe au cœur du lotissement

des Fossés-Jaunes qui fut l’objet d’importantes opérationsimmobilières dans les années 1640 à 1680. Ce vaste quartier,voisin du Palais Royal, du Louvre, des Tuileries, rassemblaitautour de leurs palais les clientèles des cardinaux Richelieuet Mazarin. L’hôtel Duret de Chevy fut le premier noyau dupalais Mazarin. Baldini (f. 290v) décrit «la bellissima Gal-leria, che stà a piano terreno» avec la collection des tableauxet la bibliothèque du cardinal. À la proximité immédiate dece palais fut édifié l’hôtel Bautru, construit par Louis Le Vauen 1634-37, modifié pour Colbert.

208. La description du Louvre et de la galerie des peintures deBaldini (ff. 291v, 292) est rapportée dans D. del Pesco, Lalégation... cit. p. 495-496. Ravizza écrit (f. 133) : «Il Louvrepalazzo reale, il quale si fabbrica tuttavia con gran magni-ficenza».

209. Nicolas II de Saintot (1632-1713), maître des cérémonies; ilexerce sa charge «aux solennités royales ayant en main lebâton de Cérémonie couvert de velours noir, le bout et lepommeau d’ivoire» (2000 livres de gages, Bensogne, 1663,f. 210).

parut un peu plus sérieuse au commencement, etaprès se radoucit. Il présenta en suite M. Colonnaqui demeura moins que les premiers; M. Viscontj,et après M. Bonacorsj, tous les quels le roy receutbien et escouta favorablement. Durant l’audiencede M. le légat, M. le comte [Henri de Lorraine,comte d’Harcourt, Grand Ecuyer de France] estoitteste couverte auprès du balustre, mais dedans iln’y avoit ni premiers gentilshommes de sachambre, ni m[aîtr]e de la Garde robe. A la sortiede chez le roy, M. le légat fut prendre congé de lareyne mère, et de Monsieur le Dauphin, deMonsieur et de Madame. Ces visites faites,S.E. revint chez Elle, ou Monsieur vint aussi tost,et y demeura un quart d’heure. Il y eut unecomédie Espagnole203chez la reyne, où les prélatset partie des seigneurs allèrent. Pour [sic; puis]M. le légat se retira, et dit au s.r de Chantelou qu’ilne souperoit point.

[6 août, mercredi. Fontainebleau. M. Le légatse rend à Vaux; départ pour Soisy]

Le six.e [6] S.E. entendit la messe à huitheures; une multitude innombrable de personnesse trouvèrent dans sa chambre pour avoir sa béné-diction, ou par simple curiosité. Elle déjeuna etdisna à neuf heures et partit à dix. En marchant ilvint un gentilhomme prier le s.r de Chanteloud’avancer pour convier M. l’abbé Castilionjd’arrester un peu, et qu’il avoit un présent à luifaire de la part de M. le duc de Vallois204. S.E. s’enalla par Vaux205, afin de voir cette maison, et arrivaà Soisy entre sept et huit. Madame la Présidente leBailleul, la mère206, s’y rendit pour en faire les

honneurs. D’abord qu’Elle fut auprès de S.E., Ellese mit à genoux pour recevoir sa bénédiction, etaprès l’avoir receue, Elle lui fit ses compliments,auxquels S.E. respondit avec grande civilité. Elledit au s.r de Chantelou qu’Elle ne mangeroitpoint, et qu’Elle desiroit le lendemain diner àParis.

[7 août, jeudi. M. le légat arrive «incognito» àParis et demeure à palais Mazarin]

Le bn.e [7] Elle y arriva in incognito sur lemidi. Elle entra dans le palais Mazarin par la portedes écuries207. Quand S.E. eut disné Elle sortitpour aller dans la ville.

[8 août, vendredi. Paris. Visite au Louvre et auCabinet des peintures du roi]

Le vendredy bm.e [8] Elle ne voulut pas quepersonne la vit disner. Et après disner, Elle fut voirle Louvre208 et le Cabinet des peintures du roy. Ellefut surprise de la beauté et quantité de tableaux deRaphaël qui y sont, et des autres grands maistres.Le soir Elle se coucha sans souper, Son médecin ditqu’Elle avoit quelque émotion; le s.r de Chanteloului demanda à quelle heure Elle disneroit le lende-main, jour de l’entrée; si ce ne seroit pas à midicomme M. Saintot209 lui avoit dit qu’il avoit estérésolu; Elle dit qu’Elle ne sçavoit, et qu’Elle feroitce qui seroit estimé pour le mieux. Il lui fit cettedemande sur ce que quelques uns lui avoyentrapporté que l’ordre avoit esté changé et que M. leduc de Montauzier l’après disnée estoit venu, etavoit dit qu’il falloit demeurer dans les termes defaire disner S.E. à neuf heures. L’après disnée

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210. Tel est le titre de BNF l’estampe de l’Almanach royal quireprésente l’événement (BNF, Département des estampes etde la photographie, Collection M. Hennin 4294) : L’entréemagnifique du cardinal Chigi légat a latere envoyé en France par lepape Alexandre VII son oncle vers Louis XIV, roy de France et deNavarre, Almanach pour l’année M. DC. LXV, A Paris chezJean Sauvé, voir aussi BNF, Département des estampes et dela photographie, Collection M. Hennin 4296, une gravure deNicolas de Lamessin dont le titre est : «LA POMPEVSE ETMAGNIFIQVE ENTREE DE FLAVIO CARD.AL CHIGI / légata Latere en France, faite à Paris le 9.e d’Aoust 1664 sous lesauspices et par les ordres / de sa Maj.te tres-Chrestienne, oùse voit son Eminence accompagnée de Mr le Prince de /Condé, de M.r le duc d’Anguien, précédée du clergé, de laville, et de la Noblesse, et / suivie des prélats Italiens, etEvesques François». (D. del Pesco, La légation... cit., notes64-96).

211. Abbaye de fondation médiévale au cœur du Faubourg Saint-Antoine, sur la route du château royal de Vincennes, trans-formée en l’hôpital Saint-Antoine au XVIIIe siècle. Ravizza,

ff. 133v-135r.212. Picpus, quartier au sud-est de Paris.213. Sorte de moire de soie à petits grains.214. Pèlerine à capuchon.215. Surplis à manches étroites.216. «Derechef» c’est à dire «de nouveau». Le cérémonial de

l’accueil du Parlement avait été objet de négociation entreMgr Ravizza et Hugues de Lionne, secrétaire aux AffairesÉtrangères.

217. Guillaume Ier de Lamoignon (1617-1677), marquis de Bas-ville (1617-1677), magistrat, premier président du Parlementde Paris de 1658 à 1677.

218. René de Longueil, marquis de Maisons, président de la Courdes aides.

219. La Chambre des comptes de Paris était la jurisdiction souve-raine spécialisée dans les affaires de finances.

220. La Cour des aides de Paris était une cour souveraine crééepour traiter les contentieux des finances extraordinaires(c’est-à-dire de nature fiscale) et des finances ordinaires(demaniales) relevant de la chambre du Trésor.

Monseigneur [f. 33], le grand maistre [le ducd’Enghien] dit au sieur de Chantelou qu’il faudroitservir une table le lendemain pour M. le comted’Harcourt [Henri de Lorraine, le Grand Écuyer deFrance].

[9 août, samedi. Préparatifs pour le dîner àl’abbaye Saint-Antoine. Audience de S.E. auxautorités et aux prélats de Paris. La pompeuse etmagnifique entrée du cardinal Chigi à Paris de laporte St.-Antoine à Notre-Dame210; retour à palaisMazarin, résidence du légat]

Il ix.e [9] le m.e d’hostel du roy fut dès lesquatre heures du matin à l’abbaye S.t Antoine211,pour y faire faire la recette du poisson du disner deS.E. et de M. le comte d’Harcourt [Henri deLorraine, le Grand Écuyer de France]. Il trouvaque deux compagnies du régiment des gardesestoyent postées a cette Abbaye, où l’on avoitpreparé et orné superbement les chambres etsalles où devoit manger M. le comte d’Harcourt.L’Abbaye St. Antoine estoit tendue des tapisseriesde la couronne, et il y avoit une grande estradeélevée de deux degrés joignant le corps del’abbaye au milieu de laquelle estoit un fauteuil etun carreau de velours violet, au dessus un hautdais aussi de velours de mesme couleur, semé partout de fleurs de lis d’or, le reste couvert de toilepour garantir de la pluie ou du soleil. M. le légatestant party fort matin du palais Mazarin, alla àPiquepuce212 dans un appartement qui lui avoitesté préparé. M. le Conte d’Harcourt s’y renditaussi après, et accompagna S.E. à l’abbaye S.tAntoine où Elle fut à l’église; ensuite Elle vint

disner qu’il estoit dix heures; sa table fut misedans une salle à costé de sa chambre et n’ymangèrent que les prélats d’ordinaire, M. le ducde Montauzier et les Introducteurs des Ambassa-deurs; celle des seigneurs et abbés, dans une anti-salle et une pour Monsieur, le comte d’Harcourt,dans un appartement particulier. Après le disnerS.E. alla se mettre au trône, vestu d’une soutanede tabis213 rouge avec un surplis et le camail214, pardessus le bonnet rouge en teste, accompagné deM. le duc de Montausier et des prélats en camail,rochet215 et mantelet avec le porte croix, et lesseigneurs. Là Elle receut les clergé régulier etséculier. Après le prévost des marchands avec lamaison de ville vint faire compliment à S.E. Lesdéputez du Parlement qui devoyent venir sur ledeux heures après midi, comme il avoit estéconcerté, ne vinrent qu’à quatre heures et demie,à cause de divers embarras qu’ils trouvèrent dansles rues; M. le légat les attendoit avec une impa-tience extrême. Des qu’il connut qu’ils appro-choyent, il se descouvrit avant mesme qu’il les vit,et qu’ils eurent mis le pied sur la première marchede l’estrade, il se leva, fit un pas et leur donna sabénédiction; et comme ils commencèrent à parler,il se remit dans son fauteuil. Leur harangue fut enLatin, et il leur respondit trois ou quatre motsseulement en la mesme langue, puis se leva dere-chef216 et leur donna sa bénédiction. Ce fut M. lepremier président217 qui porta la parole; il avoit àsa gauche M. le président de Maisons218. Lachambre des comptes219 et la cour des aides220

haranguèrent aussi en latin, et la cour desmonnayers en suite. Elle les receut de mesme, et

Mémoire du traitement fait par la maison du roy à Monsieur le cardinal Chigi légat à Latere en France544 Daniela DEL PESCO

221. Ornement de tête en forme du faisceau de plumes qui ornela tête de certains oiseaux.

222. Marquis de Gamache ou Garnache, de la famille du premier«grand veneur du roi».

223. Comte de Cossé de Brissac, «grand panetier de France».224. Voir note 146.225. Probablement il s’agit de Louis Charles d’Albert de Luines

(1620-1699), reçu au Parlement en qualité de pair de France(1639), pourvu de la charge de «grand fauconnier» (1643) et

reçu chevalier des ordres du roi le 31 décembre 1661. Il vécutlongtemps en intimité avec les solitaires de Port-royal, parti-cipa à la traduction du Nouveau Testament, traduisit enfrançais l’œuvre en latin de Descartes et écrivit plusieursouvrages de morale et de piété.

226. Le Couvent de la Visitation-Sainte-Marie de la rue Saint-Antoine; la façade de l’église fut réalisée par François Man-sart (1632-34).

leur respondit aussi en latin; M. le lieutenant civilfit pareillement sa harangue [f. 34] en latin,S.E. l’entendit assise et couverte, comme Elle fitaprès les officiers de l’élection. Enfin les Evesquesarrivèrent, auxquels S.E. fit grand honneur, Ellemarcha trois pas au devant d’eux, et les salua toutfort civilement. M. l’archevesque de Rouen portala parole et harangua en Latin S.E. qui demeuradebout et descouverte pendant qu’il parla, luirespondit en la mesme langue. Les haranguesfinies, S.E. se retira dans sa chambre. Aprèsvinrent Monseigneur, le Prince [de Condé], etMonseigneur, le grand maistre [le duc d’Enghien]suivis d’un grand nombre de gentilshommes deleur maison, magnifiquement habillez et super-bement montez. M. le comte d’Harcourt [Louis deLorraine, le Grand Écuyer»] s’estant retiré, lamarche commença en cet ordre : après le corps deville vinrent deux trompettes des livrées de M. lelégat, puis quarante mulets avec des couverturesaux armes de S.E. en broderie; seize de drap, huitde satin et seize de velours cramoisi, les derniersen broderie d’or. Les mulets avoyent sur la teste etsur le dos des egrettes221; deux autres trompettesmarchoyent après, suivis de vingt pages, des prélatsde la légation, un écuyer de S.E. à la teste de dixhuit pages, en suite cinq valets de chambre avecdes valises en broderie d’or, les gentilshommes desa maison précédez des s.rs Girault et Dupin. Lesseigneurs qui ont accompagné M. le légatmarchèrent un à un entre deux gentilshommes deleurs Altesses. Après suivirent huit trompettes duroy marchants à la teste des introducteurs etm[aîtr]es des cérémonies, puis M.rs les marquis deGamache222, et comte de Cossé, chevalier du SaintEsprit223, après M.rs les ducs de Retz224, de Luine225

et de Montauzier, les messiers de M. le légat, sonm[aîtr]e de cérémonies et son porte croix, etimmédiatement après S.E. en chape de camelotrouge, le chapeau de cardinal sur la teste, sur unemule blanche. S.E. estoit au milieu de Monsei-

gneur le Prince, et de Monseigneur le grand m.ede France habillez et montez superbement etpompeusement. Ils avoyent leur principaux offi-ciers après eux; marchèrent en suite les prélats dela légation, en camail, rochet et mantelet, chacunentre deux évesques françois vestus de mesmeavec des chapeaux noirs doublez de taffetas vert.Après ceux-ci quatorze autres évesques françoismarchand deux à deux; ensuite vint le carrosse deM. le légat, aussi beau et riche qu’on en puisseimaginer, sa chaise après en pareille broderie quecelle de son carrosse. A la porte St. Antoine le daisfut présenté à S.E. par le corps de ville, sous lequelElle marcha entre Monseigneur le Prince etMonseigneur le grand maistre; il fut porté par lesgardes des corps des marchands. S.E. arrivée aumonastère des filles S.te Marie226, Elle fut haran-guée en latin par le recteur de l’université à lateste du corps; Elle lui respondit en la mesmelangue. Cette cavalcade marcha [f. 35] de la sortejusque au parvis de l’église Nostre Dame, où estantdescendue, le valets de pied du roy se rendirentmaistres de sa mule et du dais selon la coustume.M. l’archevesque de Paris, revestu de ses habitsPontificaux et à la teste du clergé, receut S.E. à lagrande porte de l’église; il lui présenta les SaintsEvangiles à baises et de la vraie croix qu’Elle adoraà genoux dessus un carreau, puis Elle prit l’eaubénite, en donna à ceux qui se trouvèrent proched’Elle et bénit l’encensoir dont ce prélat l’encensatrois fois, après harangua en Latin; et S.E. y ayantrespondu, il la reconduisit au cœur jusque à unriche dais qui lui estoit préparé au dessus d’uneestrade avec un prie Dieu couvert d’un grand tapisde velours rouge et un marchepied de mesme.Leurs Altesses avoyent aussi des prie-Dieu pareilssous le dais et chacune un fauteuil derrière avecleurs officiers; les prélats françois (au nombre devingt quatre) qui avoyent osté leur manteletentrant en l’église, se mirent après les Italiens dansles hautes chaires de costé et d’autre, et le corps de

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227. Voir note 97.228. Charlotte-Élisabeth de Bavière (1652-1722), fille de l’élec-

teur palatin Charles Ier, devient en 1671 la seconde épousede Philippe d’Orléans, frère de Louis XIV (voir note 61); laprincesse Palatine est Anne de Bavière (1648-1723), petite-fille de Frédéric V, fille d’Anne de Gonzague et cousine ger-maine de Charlotte-Élisabeth. Elle est l’épouse de HenriJules de Bourbon-Condé (1643-1709), duc d’Enghien.

229. En 1664 le grand maréchal des Logis est Monsieur le mar-quis de Froulée (3000 livres de gages); «la fonction de sacharge est de faire marques tous les Logis par les Maréchauxdes Logis et Fourriers du roy, tant pour Sa Majesté que pourtoute la Cour» (Bensogne, 1663, f. 193).

230. Sens, ville située à environ 100 km au sud-est de Paris.231. Melun, ville située entre Paris et Fontainebleau.232. Brie-Comte-Robert, ville située à environ 15 km à sud-est de

Paris, sur une voie différente, plus à l’est, que celle parMelun.

233. Nangy, environ 30 km au sud-est de Brie-Comte-Robert.234. Troyes, ville située à 150 km au sud-est de Paris.235. Baldini (f. 291) écrit que le légat alla incognito : «à Val di

Gratie luogo il più sollevato della Città, dove la ReginaMadre ha fatto fabbricare una bella chiesa alla moda italianacon un bel monastero di monache sotto la regola di S. Bene-detto, ma ancora non era compito, né ..alcuna suppellettilesopra né di altar maggiore, né per gli altari laterali» (8 aôut).

ville estoit en suite de ces prélats. M. l’arche-vesque estant monté en son siège commença le TeDeum qui fut continué par la Musique de l’église;puis on chanta un motet. Après lequel, S.E. ayantesté conduite à l’autel, donna sa bénédiction, et fitpublier les Indulgences qu’il accordoit. La cérémonie finie, Elle fut accompagnée parM. [l’évêque] de Paris avec son clergé jusqu’à laporte de l’église, où Elle monta dans les carrossesdu roy avec leurs Altesses qui la conduisit aupalais Mazarin. Il y avoit quarante ou cinquanteflambeaux de cire blanche qui éclairoyent cescarrosses. Il en fut allumé aussi cent ou six vingtsur la terrasse de dessus la porte du palais Mazarin.Si tost que S.E. approcha, Monseigneur le Prince[de Condé], Monseigneur le grand m.e [le ducd’Enghien], l’ayant accompagné jusque là, se reti-rèrent dans leur palais, et immédiatement aprèson tira quantité de fusées, et on fit jouer un feud’artifice qui estoit sur cette terrasse; peu de tempsaprès S.E. se coucha, n’ayant pas voulu souper.

[10 août, dimanche. Le légat dit la messesolennelle à Notre Dame; visite à M.me laduchesse d’Orléans, M. le Prince, M. le duc, etM.mes la duchesse et princesse Palatine. Le s.r deChantelou a la charge d’accompagner le légatjusqu’à Sens]

Le dixie.e [10] Elle dit la messe à Nostre Dame,où Elle fut dans le carrosse du Roy; Ses pageset valets de pieds changèrent de livrées.M. [l’évêque] de Paris assista à la messe du S.E., etse mit en la place du premier chanoine. L’on luiprésenta la paix227 à baiser. Après M. Robertj quiservit M. le légat à la messe, et devant M.rsCoulonne, Viscontj et Bonacorsj, S.E. disna àl’ordinaire, et sur les quatre ou cinq heures futvisiter M.me la duchesse d’Orléans, M. le Prince[le «Grand Condé»], M. le duc [d’Enghien], et

Mes Dames la duchesse et princesse Palatine228. Lesoir Elle dit au m.e d’hostel [Chantelou] qu’Elle nevouloit point souper. Quelque temps après, M. leduc de Montauzier vint, à qui S.E. fit voir un cous-sinet qu’Elle avoit fait faire pour courre la poste,mais ne lui parla point du jour de son départ, quoyqu’il s’attendist qu’il deust estre concerté avec lui.M. Bonacorsj [le maggiordomo] avoit bien dit[f. 36] le matin au s.r de Chantelou, que ce seroitle Mardy douzie.me. Mais cela ne se résolvantpoint avec M. le duc de Montauzier et le maréchaldes logis du roy229, on n’arrestoit point de carrossesni de chevaux pour la famille de S.E., ni mesmepour les officiers de la maison de Sa Majesté. Aveccela M. de Lionne avoit escrit et ordonné de lapart du roy au s.r de Chantelou d’accompagner etfaire traiter M. le légat jusque à Sens230 où il pren-droit congé de S.E. et pour y aller il falloit loger àMelun231 où estoyent seize compagnies des gardes,ce qui faisoit douter qu’on peust prendre cetteroute, et empeschoit le maréchal des logis departir.

[11 août, lundi. Préparatifs pour le départ deM. le légat]

Le xi.e [11] au matin le s.r de Chantelou avecles s.rs Courtet et Chamois [contrôleurs clercsd’offices] furent chez M. le duc de Montauzierpour prendre ses advis sur ce qu’il y avoit à faire;ils furent avec lui chez M. le légat, et il fut résoluavec M. Bonacorsj [maggiordomo] que ledouzième l’on iroit coucher à Bry-comte-Robert232, le lendemain à Nangy233; le quinzième àPons sur Seine, et le seizième à Troyes234; M. leduc de Montauzier promit au s.r de Chantelou defaire agréer au roy ce changement de route, aprèsquoy il donna les ordres à la maison du roy enconformité de cela. Ce mesme jour S.E. entendit lamesse au Val de Grace235; au retour, avant disner,

Mémoire du traitement fait par la maison du roy à Monsieur le cardinal Chigi légat à Latere en France546 Daniela DEL PESCO

Dès 1643 Anne d’Autriche, veuve du roi Louis XIII, etrégente, avait été en condition de réaliser son vœu de rebâtirentièrement l’église et le monastère du Val-de-Grâce pourcélébrer la naissance de son fils, le future Louis XIV. La reinedemanda à François Mansart d’ajouter une église et unpalais au couvent du Val-de-Grâce où elle se rendait fré-quemment. Mais Mansart fut renvoyé un an après le débutdes travaux, et seule l’église fut construite en majeure partieselon ses plans. La raison de son renvoi fut sans doute lecoût élevé des travaux (les travaux pour remblayer les gale-ries souterraines prirent du temps et de l’argent) et l’incapa-cité de Mansart à arrêter catégoriquement un seul projet.

L’église est terminée en 1667; l’édification fut confiée suc-cessivement à Jacques Lemercier, Pierre Le Muet et enfinGabriel Leduc (Cl. Mignot, Le Val-de-Grâce : l’ermitage d’unereine, Paris, 1994).

236. Le collège de Sorbonne, dédié à la théologie, fut fondé auXIIIe siècle par Robert de Sorbon. Le cardinal de Richelieu,qui avait été élève au collège en 1606-1607, en devint le pro-viseur en 1622 après le décès du cardinal de Harley. Riche-lieu chargea son architecte, Jacques Lemercier, dereconstruire l’ensemble afin de répondre aux exigences etau goût de son époque (1635-1642); voir A. Gady, op. cit.,Paris, 2005, p. 309-325.

Elle donna audience à la Sorbonne236, dont ledoyen le harangua; M. le premier président [Guil-laume de Lamoignon] vint en suite, et M. le maré-chal d’Aumont [capitaine des gardes du corps].Elle disna après qu’ils s’en furent allez. Pour servirS.E. à cause qu’il avoit une foule horrible demonde dans tous ses appartements, il fallut porterles places de sa table par le degré de la garderobe,n’y ayant pas moyen de la faire passer par legrand, et par la salle qui conduit au lieu où Ellemangeoit. Elle donna avant le repas la bénédictionà un nombre infini de personnes, et sur les chape-lets et médailles qui lui furent présentées. Sur lesquatre heures du soir, M. le légat fut rendre visiteaux princesses étrangères, et pour en avoir letemps supplia les princesses du sang qui luiavoyent envoyé demander audience, de vouloirbien ne prendre pas la peine de venir chez lui.

[12 août, mardi. De Paris à Bry-Comte-Robert]Le xn.e [12] au matin S.E. expédia un courrier

à Rome, entendit la messe sur les dix heures, disnaincontinent après et partit sur les deux heurespour aller coucher à Bry-comte-Robert. Là ungentilhomme de M. le duc de Montauzier renditau s.r de Chantelou une lettre de M. de Lionne,par laquelle il lui mandoit que le roy, ayant apprisle changement de route de S.E. et le doute où l’onestoit jusque où sa maison la devoit accompagner,Elle lui ordonnoit d’aller jusque à Troyes, où ilprendroit congé de S.E. pour s’en revenir.S.E. soupa sur le huit heures et demie, s’estantauparavant promenée dans le jardin de Panfou,son logement près de Bry [-Comte-Robert].

[13 août, mercredi. De Brie-Comte-Robert àNangy]

Le xm.e [13] elle partit après avoir entendu lamesse [f. 37] et avoir disné, pour aller à Nangy oùElle soupa.

[14 août, jeudi; 15 août, vendredi. De Nangyaux Caves et à Troyes. Chantelou refuse l’argentoffert par M. Celorj, «maestro di Casa» de S.E.]

Le lendemain [14], vigile de la Nostre Dame,Elle entendit la messe, et partit pour aller auxCaves, qui est une maison à Mad.e Bautilier. Elle ydisna, et sur le soir fut à la promenade dans lesjardins, puis se retira et coucha sans manger. Lesprélats et seigneurs ne firent que collation à causedu jeune. La traite de Nangy aux Caves s’estanttrouvée longue, S.E. se résolut de déjeuner etdisner avant que partir le lendemain et d’allersouper à Troyes où Elle arriva à quatre heures dusoir. Elle envoya devant prier messieurs de la villede ne lui faire aucunes harangues. Le m.e d’hostellui ayant dit à six heures s’il se pouvoit, il prit letemps, la maison du roy le devant quitter le lende-main, de lui faire des excuses si lui et les autresofficiers du roy ne l’avoient pas traitée avec autantde respect qu’il en estoit deut à sa dignité; priaS.E. de croire qu’il avoit eu une affection extra-ordinaire de la faire bien servir, non seulementpour obéir aux ordres du roy, mais pour l’amourd’Elle mesme, de son mérite et de son rang. Ellelui tesmoigna qu’Elle lui estoit bien obligée dessoins qu’il avoit pris, et du traitement magnifiquequi lui avoit esté fait, cela donna lieu au s.r deChantelou de lui dire qu’on lui avoit rapporté,qu’Elle avoit dit quelque chose de ce qu’il s’estoitassis auprès d’Elle, durant qu’Elle estoit à table;qu’en cela il en avoit usé comme M. de Mocéavoit fait, le quel avoit servi M. le légat Barberinen la mesme qualité. S.E. dit qu’Elle n’y avoit paspensé, bien loin d’en avoir parlé à personne, luirépéta qu’Elle lui estoit bien obligée, et que s’il serencontroit qu’il eust quelques affaires à Rome, Ellele serviroit, et servit mesme son solliciteur vers SaSainteté. Il lui rendit très-humbles grâces, puis seretira. A quelque temps de là M. Bonacorsj[maggiordomo] dit au s.r de Chantelou qu’il eust

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237. La cathédrale Saint-Pierre et Saint-Paul (XIIIe-XVIIe siècle).

esté bien aisé de conférer avec lui sur quelqueschoses qui de devoyent faire avant qu’ils se sépa-rassent; et comme il s’imagina que c’estoit pour lesprésents que S.E. pouvoit avoir envie de faire, ilevita de se trouver avec M. Bonacorsj qui enfin luienvoya comme il achevoit de souper, le s.r Celorj,Maestro di Casa de S.E., pour lui dire qu’il estoitchargé de quelques billets qu’il desiroit lui mettre enmain. Il dit au s.r Celorj en presence de s.rs Courtetet Chamois [contrôleurs clercs d’offices] quiestoyent à table avec lui, qu’il avoit esté à une écoleoù il avoit appris à ne recevoir aucun présents; le s.rCelorj repartit que S.E. vouloit donner quelquechose aux officiers de la maison du roy qui l’avoyentsi bien servi. Sur cela le s.r de Chantelou se leva, etfut à sa maison avec le s.r Celorj, qui y estant, luimontra sept ou huit billets, qu’il dit estre deM. Bonacorsj pour prendre à Paris les gratificationsque S.E. [f. 38] faisoit aux officiers du roy, qu’il y enavoit un pour lui. Le s.r de Chantelou repartit sansvouloir le regarder, qu’il ne falloit point comptercelui là; voyant les autres, il connut qu’ils estoyentsans proportion de la qualité des officiers et de leurservice, et dit au s.r Celorj que la personne à qui ons’estoit adressé pour prendre cette instruction estoitignorante ou méchante; parce que à ceux qui nemeritoyent presque rien, on donnoit par ces billets

avec excès et profusion; et aux autres trop peu, enégard à leurs charges et aux peines qu’ils avoyenteues; que ceux-ci auroyent honte du présent qu’onleur offriroit; qu’il eust esté mieux de donner à tous,au lieu d’argent, des médailles avec le portrait de saSainteté, qu’elles leur auroyent esté plus agréableset plus honorables, demeurant dans les familles deces officiers pour marque du service qu’ils avoyentrendu à M. le légat. Les s.rs Courtet et Chamois arri-vèrent à mesme temps, et furent de mesme advis;disant aussi qu’ils ne vouloyent point des billets quiestoyent pour eux; Le s.r Celorj, nonobstant cela, nelaissant pas de soliciter instamment par plusieurs etdiverses fois le s.r de Chantelou d’accepter celuiqu’il lui avoit dit d’abord estre pour lui, enfin il leprit et le déchira de peur qu’il ne s’immaginast queson refus fust un compliment affecté, et lui dit queceux qui avoyent l’honneur d’estre au roy dans laqualité qu’il avoit, ne prenoyent jamais d’argent,que de Sa Majesté. Le lendemain matin l’on lui vintdire que M. le légat le démandoit; S.E. estoit desjàallée à la grande église237, où le s.r de Chantelous’estant rendu avec le s.rs Courtet et Chamois, lemaggiordomo [Bonaccorsi] les obligea de prendre àl’issue de la messe, quelques pierreries de la part deS.E. qu’ils recevèrent et en remercièrent S.E.prenant congé d’Elle.

Freard CHANTELOU

Bibliographie des références biographiques

N. Bensogne, L’État de la France, Paris, 1663; Paris, 1674.

A. de Sainte-Marie (o.c.m.), Histoire généalogique et

chronologique de la maison royale de France, des pairs et

grands officiers de la Couronne et de la maison du roi,

N. Bensogne, L’Éstat de la France, Paris, 1663, 2 vol.,

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des généalogies Historiques des maisons nobles et titrées de

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M. de Saint-Allais, Nobiliaire Universel de France, ou

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nobles de ce royaume, 21 vol., Paris, 1872-78.

H. de Woelmont de Brumagne, Notices Généalogiques,

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H. Jougla de Morenas, Grand armorial de France, Paris

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