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Paris III Sorbonne La Nouvelle Etudes théâtrales Mémoire de Master 1 Sous la direction de Daniel URRUTIAGUER Écrit par Anna TEN/Année 20122013 Les processus de valorisation des performances chorégraphiques Étude des cas de Simon Tanguy, de la compagnies Lea P.Ning et du Collectif Fossile 1

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Paris III Sorbonne La Nouvelle

Etudes théâtrales

Mémoire de Master 1

Sous la direction de Daniel URRUTIAGUER

Écrit par Anna TEN/Année 2012­2013

Les processus de valorisation des performances chorégraphiquesÉtude des cas de Simon Tanguy, de la compagnies Lea P.Ning et du Collectif Fossile

1

Table des matières

Introduction

I / La performance, un choix artistique qui engage

1.1 Se définir et se situer

1.2 La performance est­elle soluble dans la danse?

1.3 Le rapport au public

1.4 Interdisciplinarité ou syncrétisme ?

1.5 L’inclassable

II / La performance dans la chaîne de valeur de la danse contemporaine

2.1 Gestion de la précarité (faire mes cachets)

2.2 Le travail collectif, une responsabilité (on est obligé de rémunérer les artistes)

2.3 De l’idée au projet (on va dans le sud)

2.4 Les résidences (tout est bon pour continuer)

2.5 Les coproductions (c’est toujours dans le réseau personnel)

2.6 Les subventions (je me passerais bien de faire des dossiers)

2.7 Les diffuseurs (soit on a des dates, soit on en a pas)

2.8 Le travail administratif (c’est un peu la poule et l’œuf)

III / Les conditions de possibilité de la performance

3.1 Comment se faire reconnaître?

3.2 Comment diversifier la production?

3.3 Soigner la diffusion

3.4 Les atouts propres à la performance

3.5 Prendre le temps

Conclusion

2

Bibliographie

Casser des noix n'est vraiment pas un art, aussi personne n'osera­t­il jamais convoquer un public pour le distraire en cassant des noix ? S'il le fait cependant, et que son intention se voit couronnée de succès, c'est qu'il s'agit au fond d'autre chose qu'un simple cassement de noix.1

1 Récits et fragments narratifs de Franz Kafka.

3

Introduction

La performance est un genre artistique sans doute centenaire, indissociable de la modernité

et des grandes ruptures opérées depuis le futurisme. Elle a été reconnue technique d’expression

artistique dans les années soixante­dix. Néanmoins, sa définition demeure vague. RoseLee Goldberg,

l’auteur de la première histoire de l’art de la performance parue en 1979, exprime ainsi la complexité

de l’exercice :

L’art de la performance défie en fait toute définition précise ou commode, au­delà de l’affirmation élémentaire qu’il s’agit d’un art vivant mis en œuvre par des artistes ; ceci est toujours vrai, quoique chaque nouvel artiste de performance et chaque nouvel auteur écrivant sur cet art élargissent inévitablement le champ de sa définition.2

La performance, qui a recours aux techniques les plus diverses, assimile toutes les disciplines :

littérature, arts de l’image, arts de la scène, arts plastiques, architecture...

En France, « le terme performance est toujours qualifié de transgressif et élitaire pour ceux

qui connaissent un petit peu », nous dit Sylvie Clidière, ancienne fonctionnaire du ministère de la

Culture spécialisée dans la danse contemporaine, auteur d’un ouvrage de référence, Extérieur danse,

et que nous avons rencontré pour compléter nos connaissances bibliographiques et vérifier quelques

hypothèses en cours d’étude.

La compréhension de la notion de performance demeure difficile également en raison de

différences lexicales. RoseLee Goldberg cite plusieurs termes pour la désigner dans les pays

anglophones et évoque le quiproquo existant dans la langue française :

On observe en Grande­Bretagne une préférence pour le terme d’art vivant (live art), plus directement descriptif et utilisé aussi fréquemment qu’art fondé sur le temps (time­based art) ; en Australie, performance fait assez explicitement référence à une œuvre puisant ses origines dans la tradition théâtrale, tandis que performance artistique dénote des artistes de performance dûment diplômés d’une école d’art. En France, ce vocable est utilisé pour qualifier des œuvres dues essentiellement à des artistes qui mettent en scène leur corps de manière extrême. Dès qu’il s’agit, en revanche, plus spécifiquement du théâtre ou de la danse,

2 Goldberg, RoseLee. Performances. L’art en action. Paris: Thames and Hudson, 2001, p.12.

4

les termes de spectacle vivant ou d’art de la scène sont alors préférés.3

Plutôt que s’en tenir à une seule définition, Joseph Danan a tenté de récapituler des critères à

retenir pour qualifier, sans ordre ni hiérarchie, une œuvre performative. Il cite « la mise en jeu de

l’artiste lui­même ; la non­séparation entre l’art et la vie (ou l’ébranlement de cette frontière) ;

l’importance primordiale du corps ; l’unicité de l’évènement, le rôle de l’imprévu, de l’incontrôlable,

voire de l’improvisé ; en tout cas, le caractère éphémère de la chose ; le partage d’une expérience ; la

protestation, la contestation (de l’académisme / du pouvoir politique) ; la transgression, la provocation,

la subversion ; la revendication féministe, la question posée au “genre” et à l’identité sexuelle ; la

marginalité, toujours en tension avec une récupération effective ou possible. »4

Aujourd'hui considérée par beaucoup comme un art à part entière, pratiquée sur toute la

planète, la performance peine toujours à être clairement identifiée, reconnue et soutenue en tant que

telle. Sa diffusion est limitée à un petit nombre d'équipements ou d'événements. Sa production est

également problématique.

Par essence transdisciplinaire, la performance n'est pas exclusivement un art de la scène.

Néanmoins, le rattachement usuel en France de l'art de la performance au secteur de la danse

contemporaine nous conduira à expliciter le mode de financement de ce champ artistique, en pointant

ses difficultés propres. Cette relation forte, en particulier en France, entre la performance et la danse

contemporaine trouve son origine dans une généalogie commune.

Selon Biliana Vasileva­Fouilhoux, la coexistence de la danse et de la performance commence

dans les danses traditionnelles, où l’individu, impliqué dans la chorégraphie, se dépasse et vit « une

évasion spontanée et non­préméditée hors des codes préétablis . »5

La notion de performance dans la danse en tant qu’art chorégraphique s’appuie sur ces principes fondamentaux : aller au­delà de ce qui existe déjà et/ou créer directement sur scène. Elle trouve une nouvelle fonction dans l’art chorégraphique de la danse occidentale qui évolue au cours du XXe siècle et qui diffère de celles de danses traditionnelles et de danses de

3 Ibid, p.12.4 Danan, Joseph. Entre théâtre et performance : la question du texte. Arles : Actes Sud ­ Papiers, 2013, p.22.5 Vasileva­Fouilhoux, Biliana. La performance en danse moderne et postmoderne : une ivresse kinésique.Interrogations ­ Revue pluridisciplinaire en sciences de l’homme et de la société, Décembre 2008, 7, p.172.

5

société. Elle ne s'appuie plus sur un réagencement des pas et d’autres éléments codifiés mais s’attache au surgissement de matière chorégraphique sans fond référentiel.6

Le grand mouvement novateur américain du début du XXe siècle présenté par Isadora Duncan,

Martha Graham et Ruth Saint­Denis délivre les corps des danseurs des tutus et des chaussons à pointe.

Merce Cunningham, l’élève de Marta Graham, commence à considérer la marche en tant que pas de

danse. Le geste quotidien intègre les codes de la danse.

Parmi les évènements clés dans l’histoire de la performance dansée on peut citer également la

fondation du Judson Church Theater (1962), créé par Trisha Brown, Steve Paxton, Yvonne Rainer,

David Gordon, Deborah Hay et Robert Dunn, qui a proposé une nouvelle approche chorégraphique

basée sur la différenciation de la musique et de la danse et les rapports entre les corps.

La performance en danse postmoderne apparaît directement sur scène pour tester les limites du corps dansant et de la composition chorégraphique. En tant qu’expression spontanée devant le public elle implique la création et l’exécution dans l’ici­et­maintenant, ce qui est un facteur de déstabilisation pour le danseur.7

La chorégraphie parfaitement exécutée ne représente pas de valeur absolue pour l’artiste de la

performance dansée. Ce qui compte c’est la réaction spontanée et non­préméditée du corps dansant

aux contraintes imposées par l’ici et maintenant, l’espace de la présentation.

Au cours de son histoire, la performance perd petit à petit son caractère explosif et

provocateur, visant davantage de s’introduire dans la vie quotidienne.

La performance a changé le registre. Là où elle visait la transgression de la norme, elle vient aujourd’hui interroger des pratiques sociales standardisées. Dans l’effraction du quotidien, devant au moins une part du public non prévenu et continuant de vaquer à ses activités, la danse s’insère au milieu de la vie publique, à la poste, à l’hôpital, à l’usine, dans une galerie marchande ou une bibliothèque. Certaines expériences sont l’objet d’un accord entre le monde du travail et celui de l’art. D’autres sont organisés comme des évènements ponctuels. Mais certains chorégraphes préfèrent apparaître à l’improviste et faire irruption là où on ne les attend pas. Ici seule semble demeurer affective une théâtralité de la présence, dissidence discrète qui vient transformer l’ordinaire en inattendu.8

6 Ibid., p.172.7 Ibid., p.172.8 Clidière, Sylvie, de Morant, Alix. Danse extérieure. Essai sur la danse dans l’espace public. Montpellier :Entretemps, 2009, p.105.

6

Nous avons voulu interroger ceux qui ont choisi la performance comme activité principale, en

réalisant une série d'entretiens avec les fondateurs de compagnies ayant une activité régulière et

quelque longévité. Viviana Moin pour la compagnie Lea P.Ning, Lili Mamath pour le collectif Fossil et

Simon Tanguy, ont bien voulu répondre à notre invitation.

Viviana Moin est une danseuse, performeuse et chorégraphe argentine vivant à Paris. Après

des études académiques à l'Ecole Nationale de Danse de Buenos­Aires, elle voyage en France et

étudie l'improvisation avec Mark Tompkins et Simone Forti (au Mouvement Research à New York),

et avec Steven Paxton, Lisa Nelson, David Zambrano, Julien Hamilton, Vera Mantero, Franz Poelstra

entre autres. Elle participe, organise ou est invitée à improviser avec danseurs, musiciens et plasticiens.

Elle crée sa compagnie Léa P. Ning en 1999 essentiellement pour imaginer et réaliser des

performances, travaille avec les compagnies de Jérôme Bel (The show must go on), La Zouze ­

Christophe Haleb (Idyllique, Stratesphères, Corps Capitales, Evelyne House Of Shame), Serge

Ricci, Fredéric Gies et Fredéric du Carlo (En corps), Ayelen Parolin, SMS and Love au Théâtre des

Tanneurs (B), Krack, projet de la chorégraphe Kataline Patkaï (2009).

En 2005, elle crée le duo Viviana et Alexandre avec Alexandre Théry. En janvier 2008, à la

suite d’un workshop avec Rodrigo Garcia, elle crée Billy. En juin et août 2008, elle est invitée par le

Festival de performance Amorph08 (Paris­Helsinki) à imaginer deux performances avec l'artiste

finlandaise Mimosa Pale. Le roulé boulé croate est créé en juin 2008. Elle participe à des activités de

Jeux W (Joris Lacoste et Jeanne Revel) notamment Générique et Tombeau aux Laboratoires

d'Aubervilliers. Entre 2011 et 2012 Viviana Moin crée une série de performances Où est passée

Madame Gonzalez.

Ses spectacles ont été présentés à La fondation Cartier, La biennale de Val de Marne, 3

bis F, Festival Dansem, Faits d’hiver, Le nouveau Festival au Centre Pompidou, Artdanthé,

Plastic Dansefloor.

Le collectif Fossile est un groupe informel et variable qui engage une recherche poétique et

politique sur la réappropriation de l'espace public en y greffant des lieux temporaires de représentation.

7

Fossile se définit comme « une marque de fabrique collective qui signe à un travail commun sur un

projet donné ».

Le collectif est formé par le noyau dur de trois personnes : Patrice Colet, Lili Mamath,

Samuel Racine. Le nombre d’artistes dépend du projet et peut aller jusqu’à 20 personnes.

Patrice Colet ­ musicien guitariste ayant joué dans divers groupes de jazz, rock et variétés,

qui collabore en tant que compositeur et régisseur avec des chorégraphes et des circassiens (Cirque

Pouce, compagnie AOC, Natya dance, Denis Paumier, Brigitte Faragou). Il rencontre le collectif

Fossile en 2008 à l'occasion de la résidence Le Doigt dans l'œil, et se lance à son propre compte

comme compositeur et instrumentiste (Projet Nykto, Quatuor Langmuir).

Samuel Racine ­ artiste performeur et comédien, formé aux techniques d'enregistrement et

montage. Dans sa collaboration avec Collectif Fossile, il interroge des territoires de création situés aux

carrefours entre plusieurs disciplines : spectacle et performance, installation, arts numériques, nouveaux

medias, sound design, scénographie, vidéo, photographie.

Lili Mamath, l’artiste interrogée, est plasticienne, chorégraphe, interprète, comédienne et

metteuse­en­scène, scénographe, costumière, chercheuse à l’ENSAD, elle dirige également des

ateliers du théâtre. Lili Mamath cofonde en 2006 le collectif Fossile avec Samuel Racine où elle

participe depuis à la création d’installations interactives : conception de scénographies, créations

visuelles et sonores. Elle s'intéresse particulièrement à l'articulation de ces installations avec la scène à

travers des performances. Elle pratique plusieurs types de danse : classique, libre, contemporaine,

kathak et butô, le dernier est souvent inclus dans les performances créées par le collectif.

Les champs d'action du collectif varient en fonction du contexte d'intervention et de la

composition du groupe « que ce soit par des collages, des camouflages, des installations interactives

(Scatemple, Fils à retordre, Vu de ma fenêtre), des photographies (Le doigt dans l’oeil), des

vidéos (Suivez le fil, Romanticist Landscape), des sons, des textes (Anamorphopoetry) ou des

performances (Traces de soi, Sillons du regard), notre travail est tourné vers la rue. Nous combinons

différents médias dans des œuvres hybrides qui sont implantées dans des lieux de passage de façon

généralement provisoire. »

8

Les usagers des lieux où nous intervenons sont autant que possible partie prenante de l'œuvre depuis sa conception jusqu'à son développement et sa présentation. Cela peut impliquer une recherche à plus ou moins long terme en amont de la mise en forme dans le cadre de rencontres, d'ateliers ou de résidences avec des membres du collectif.9

Simon Tanguy est un jeune chorégraphe et danseur. Depuis l'âge de 18 ans, il crée ses

propres spectacles dans une compagnie de cirque qui joue dans la rue et cirques traditionnels. En

2005 il s'inscrit à l'École Samovar à Paris et suit pendant deux ans une formation en théâtre physique

et clown, où il développe ses idées autour de burlesque, la bouffonnerie et le grotesque. En 2011, il

obtient un diplôme de SNDO, l'école d'Amsterdam pour New Dance Developement.

Sa dernière création Japan a reçu le prix ITS de chorégraphie 2011. Le trio Gerro, Minos

and Him a reçu le deuxième prix dans le cadre de Danse Elargie, le concours de danse organisé par

le Théâtre de la Ville en 2010 et The City of Stuttgart's Dance and Theater Price en 2013.

Simon Tanguy collabore en tant qu’interprète avec Deborah Hay dans Breaking the chords

et Ame Henderson dans Future Unisson Quintet en 2010. Il crée Gerro and Minos (duo) en 2009,

Gerro, Minos and Him (trio) en 2010 ; Comics Live Project (performance visuelle en duo) en 2010

; Japan (solo) en 2011 et Japan (trio, deux soli et un duo) en 2012.

Ses spectacles ont été présentés au ADM Festival, Het Veem Theater, ITS Festival,

Something Raw Festival (Amsterdam), Théâtre de la Ville, Danse Dense (Paris), Reverie Festival

(Gent).

Nous avons été confrontés à la rareté des sources bibliographiques concernant précisément

notre sujet, à savoir l’économie de la performance. L’ouvrage de référence de Patrick

Germain­Thomas La danse contemporaine, une révolution réussie ­ Manifeste pour une danse du

présent et de l’avenir nous a été précieux pour justifier notre approche méthodologique consistant à

aborder l’économie de la performance sous l’angle de l’économie de la danse contemporaine.

Comme on l’a déjà noté, l’art de la performance peine à être clairement identifié en France.

Les artistes qui s’en revendiquent rencontrent de grandes difficultés. Le financement des projets est

9 http://www.fossile.biz/pages/fossile.html.

9

problématique. La diffusion est limitée à très peu d’équipements ou d’événements. La production est

très rarement prise en compte. La création est souvent autofinancée. On s’attachera à comprendre

comment des artistes performeurs trouvent des solutions, dans quelles conditions il leur arrive de

financer leurs projets en amont des représentations, comment ils trouvent des soutiens et dans quelle

mesure ils sont parfois accompagnés par les institutions.

Il s’agit d’expliquer dans un premier temps comment la performance est définie par ses propres

acteurs et quelle posture cela inaugure pour l’économie de leur art. Le rattachement usuel de l’art de la

performance au secteur de la danse contemporaine oblige à expliciter le mode de financement de ce

champ artistique, en pointant ses difficultés propres.

L’analyse des contradictions et des points de blocages est ainsi associée à l’étude de cas

positifs. Il s’agit de dégager, à travers ces exemples, des pistes de réflexions sur les conditions de

possibilité de la performance et de mettre en lumière des solutions.

10

I/ La performance, un choix artistique qui engage

Notre essai d’analyse socioéconomique sur les conditions de développement des compagnies

positionnées dans le domaine des performances dansées s’appuie sur une connaissance empirique

limitée par les conditions de l’étude. Nous ne pouvons extrapoler sans une extrême prudence, à partir

des trois entretiens approfondis réalisés, le positionnement de l’ensemble des artistes qui se

revendiquent de la performance. Néanmoins, tout en précisant le positionnement artistique singulier de

chacune des compagnies de notre corpus, nous entendons caractériser où se situe le croisement entre

performance et danse, en espérant élargir la portée de ces témoignages.

1.1 Se définir et se situer

Choisir la voie de la performance et en revendiquer l’originalité malgré les difficultés liées à ses

conditions de production et de diffusion suppose que l’on trouve dans sa pratique une gratification que

n’est pas censée apporter un autre mode d’expression artistique plus reconnu ou mieux identifié. Aussi

les trois compagnies de notre corpus affirment­elles avec énergie leur choix en valorisant une liberté

fondamentale dont l’imprévu est la règle d’or.

Pour moi ­ c’est une définition très personnelle ­ c’est cette idée de traverser une expérience en mettant juste un point de départ. Au début c’est avoir des données et après lancer quelque chose dont tout le monde va être témoin, le public et moi­même. Quelque chose qui va se passer est inconnu et, pour moi, c’est ça le plus important, c’est de ne pas savoir ce qui va se passer à ce moment­là.

Viviana Moin résume ainsi un point de vue partagé par nos autres témoins et très largement

répandu dans le monde des performeurs, que Lili Mamath confirme.

Pour nous c’est vraiment le mot performance qu’on veut y mettre, parce qu’il y a justement la question de l'impromptu, c’est quelque chose qui est improvisé, quelque chose qui dépend de l’évènement extérieur. Dans l’installation il y a plein de choses aléatoires et c’est ça qui fait que, pour nous, c’est de la performance.

Une description de Strip Screen, une des dernières créations de la compagnie, permet de

mieux comprendre sa démarche esthétique : le Collectif Fossile crée pour le festival Vision’R une

11

performance­danse­projection. Lili Mamath porte plusieurs couches de tissus blancs sur lesquels se fait

la projection. La danse­improvisation est inspirée par l’esthétique du butô que Lili pratique depuis

plusieurs années. Tout au long de la performance la performeuse se débarrasse des tissus, évoquant un

strip­tease et laissant la peau devenir le support de la projection. Le son du corps, le flux de la

respiration de la performeuse, le crissement des tissus et la voix qui chuchote sont mixés en direct en

créant une bande son organique.

Simon Tanguy est plus nuancé lorsqu’il évoque l’improvisation, car sa pratique diffère (on la

décrira plus loin). Il n’hésite pas à admettre que « c’est écrit, il y a une vraie structure chorégraphique.

C’est pas écrit au mouvement près mais c’est quand même très écrit dans l’espace, les intentions, les

états et tout ça ». Mais on constate que nos trois artistes résistent à définir précisément ce qu’ils

entendent par performance, prétendant que « les gens ne se mettent pas d’accord facilement ». Leurs

références renvoient au discours de l’Art contemporain tel qu’il s’est imposé depuis une cinquantaine

d’années. Viviana Moin rappelle que « le terme de performance vient des années 70, du body art. Il

est lié à une révolte contre des œuvres qui pouvaient être vendues. C’était une expérience plus

éphémère, même plus que pour la danse ». On verra par la suite que cette posture inaugure chez

certains des protagonistes de notre étude une attitude de résistance au commerce de leur art au point

de compliquer la question de son financement.

1.2 La performance est­elle soluble dans la danse ?

Lili Mamath explique pourquoi et comment elle aborde différemment le processus de création

chorégraphique et celui de la performance :

La danse contemporaine implique pour moi une partie chorégraphique, ça veut dire que tu règles en avance les choses, tu vas partir d’une forme très précise pour aller vers une narration, alors que dans la performance il y a un degré de narration qui est plutôt l’inverse, tu vas partir du ressenti pour aller vers une forme, c’est un peu comme dans le butô. Et c’est ça qui va orienter le reste, ce n’est pas des formes prémâchées. Pour moi, c’est ça qui fait la performance : tu ne sais jamais quel va être le résultat.

On a rappelé en introduction la généalogie commune de la danse contemporaine et de la

12

performance, mais les artistes que nous avons interrogés insistent sur les singularités irréductibles. Pour

mieux comprendre les processus de production à l’œuvre, nous devons chercher à démêler les

en­commun et les différences des deux démarches artistiques. On a vu que la performance se définit

largement par opposition aux formes académiques. La danse contemporaine se fonde elle aussi sur le

rejet de toute imitation d’un modèle et s’écarte des codes obligatoires. Mais, comme le souligne

Patrick Germain­Thomas :

Les représentants de ce courant en France sont aujourd’hui confrontés à deux écueils: d’une part, une certaine forme de récupération par le monde académique, considérant que la technique classique suffit aux danseurs pour assimiler rapidement le répertoire contemporain, ce qui revient à une négation de la spécificité des techniques contemporaines; d’autre part, la mécanique du marché subventionné qui génère un flux continu d’innovations, promues par des professionnels ne disposant toujours pas d’un recul critique suffisant pour en évaluer l’originalité véritable.10

La distance prise par nos trois compagnies avec un domaine auquel néanmoins elles sont

rattachées serait­elle une manière de se protéger de la compromission de la danse avec un certain

néo­conformisme ? Ne s’agit­il pas plutôt pour chacune d’entre elles de raviver une résistance

fondamentale à tout académisme en prolongeant le geste initial de la danse contemporaine? Simon

Tanguy accepte de se positionner dans le domaine de la danse, son travail comportant par ailleurs

beaucoup d’éléments relevant de la performance. Les deux autres, se situant plus dans une démarche

transdisciplinaire, semblent se référer à la danse par commodité. Néanmoins, leurs positions sont très

convergentes lorsqu’il s’agit de se distinguer. « Moi, je suis entre les deux bien que je sois danseuse

de formation très “académique”. Je crois que je ne fais pas de la chorégraphie. Je fais de la

dramaturgie, je structure un spectacle », nous dit Viviana Moin, rejointe par Simon Tanguy jusque

dans ses expressions :

C’est vrai que moi je trouve ça assez dansé mais les gens trouvent que c’est entre les deux. J’essaie de les appeler les pièces de chorégraphie, comme ça on a une vision du corps, et dans les crédits on dit toujours qu’on fait de la danse. Après, à Amsterdam, tout le monde dit performance. Quand tu dis “dansé par” ça fait très ballet. Je dis toujours que c’est de la danse comme ça c’est toujours à propos, comme on peut envisager la danse et vu que c’est aussi

10 Germain­Thomas, Patrick. La danse contemporaine, une révolution réussie? Manifeste pour une danse du présent et de l'avenir. Toulouse : Editions de l’attribut, 2012, p.142.

13

très physique... De toute façon, en France la notion de performance est assez vague.

La pertinence de cette explication théorique est illustrée par sa pratique. Dans Japan, le

danseur­chorégraphe explore le vocabulaire physique et poétique de l'agonie. La pièce représente une

étude sur le corps et ses états autour des notions de contraction, de libération, d'évanouissement, de

réveil, de coma, de lutte, d'effondrement, de chute, de résurrection, de mort lente, de mort rapide, de

testament. La pièce vise à réaliser le potentiel du corps dansant intense, poétique, violent et absurde. La

structure chorégraphique crée un univers surréaliste et une énergie dynamique excessive. Au cours de

son solo, Simon Tanguy présente une palette de différents corps humains : le corps dormant, le corps

insomniaque, un cadavre, un corps animal. La chorégraphie occupe tout l’espace scénique, explore la

verticalité et l’horizontalité de la scène. La danse pour Simon Tanguy évoque le sentiment du retour à la

vie.

Chacun convient in fine qu’il se réfère à la danse avant tout pour se faire comprendre ou par

pure convention dans son rapport aux institutions. Simon Tanguy affirme que « dès que tu es en danse,

tu as plus d’accès, si tu mets performance, les gens viendront moins. Déjà quand tu mets danse, les

gens ne viennent pas beaucoup, il y en a qui aiment bien mais ils ne savent toujours pas ce que c’est la

danse contemporaine et tout ça. Les gens vont plus au théâtre parce qu’ils comprennent plus. Question

catégories, il y en a partout peut­être mais en France, il y en a plus. » Tous ces propos qui visent à

distinguer plus ou moins radicalement sa pratique artistique de la danse, il faut les entendre comme

nécessaires à l’affirmation d’une esthétique. Mais plutôt que s’en tenir à une définition qui pourrait

relever de la pure idéologie, Sylvie Clidière propose une comparaison des deux formes artistiques à

partir de leurs conditions de production, plus précisément de leur rapport au travail :

Un danseur c’est comme un musicien, il travaille tous les jours. Si le performeur a un travail corporel important qui relève de la danse, avec tout l'entraînement que suppose la danse, à ce moment­là, comme les formes de la danse sont maintenant infiniment ouvertes, il peut très bien relever de la danse. Les plasticiens qui font des performances travaillent avec leur corps (monstration, dégradation etc.), mais ils ne travaillent pas leur corps. Je pense que c’est une différence assez fondamentale qui fait que ça ne me semble pas absurde d’assimiler la performance à la danse si ce sont des danseurs qui la pratiquent, tout simplement. A ce moment­là on pourrait dire que la performance est une des formes de la danse quand elle est in situ, quand elle joue sur le moment, sur l’instant de la monstration, sur le processus de la

14

création. À ce moment­là c’est de la danse performative.

Si l’on entend le propos de Sylvie Clidière « la performance est en quelque sorte soluble dans

la danse, mais pas l’inverse ; la danse n’est pas soluble dans la performance. » Avec toutefois une

précision importante : « Elle se distingue de la danse au sens strict des définitions possibles en faisant

rupture par rapport à la notion de la représentation. La performance ne se veut pas une représentation,

alors que la chorégraphie se veut une représentation. »

1.3 Le rapport au public

En effet, la quête de l’imprévu construit un autre rapport au spectateur que celui qui domine

généralement dans le spectacle vivant, tout le moins dans l’enclos des théâtres, et que Viviana Moin

décrit clairement.

Ce qui m’intéresse aussi ce sont les chocs visuels que peuvent avoir les spectateurs. L’expérience sensorielle et l’expérience esthétique, c’est important pour moi. On peut dire que c’est important aussi dans le spectacle mais dans la performance je suis en train de vivre cette expérience en même temps que le public. Je ne sais pas ce qui va se passer, je ne contrôle pas ce que les autres peuvent vivre ni ce que moi­même je peux vivre. Alors que dans le spectacle chorégraphique, quand je travaille dans un théâtre, le public est séparé de la scène et même quand j’essaie de casser ce fameux quatrième mur en parlant avec le public, que je m’adresse frontalement, bien qu’il y ait une expérience commune, il y a plus de contrôle de la situation.

Dans Où est passée Madame Gonzales?, Viviana Moin apparaît sur scène accompagnée par

un pianiste, Pierre Courcelle. L’artiste est vêtue d’une perruque et d’un corset en Tampon Jex, l’éponge

métallique. Le costume évoque un monde irréel, onirique. L’objet banal, de loin, a l’air précieux.

Viviana compare souvent ses performances au travail d’organisation d’une fête : elle pose les éléments,

prépare des objets, les écritures, mais elle ne sait jamais où elle sera amenée par l’improvisation. La

première représentation publique était une improvisation totale, jamais répétée. Elle l’a imaginée dans sa

tête. Le canevas de cette performance consiste au fait de venir parler aux spectateurs de son passé en

Argentine, d’évoquer les souvenirs et se laisser entraîner par la danse, revivre les souvenirs et se laisser

surprendre, se dépasser dans la performance dans un état proche de la transe. La figure clef de cette

15

performance, Madame Gonzalez, est la pianiste­accompagnatrice de l’école de danse de Viviana et qui

disparut un jour subitement. La performeuse et le musicien restent pendant la représentation

complétement libres, ils se suivent et créent en interaction.

Viviana Moin cherche à partager des émotions avec le public à partir de la situation qu’elle

installe plutôt qu’elle ne cherche à produire du sens à partir d’un récit, comme elle l’explique très bien

quand elle évoque sa dernière création.

Je dirais que je travaille sur les excuses. Comme par exemple, le travail sur Minotaure, une créature avec un corps d’homme et une tête d’un taureau. Il est le fils d’une reine Pasiphae et d’un taureau. Ce travail est pour moi une excuse pour partir sur plusieurs questions sur l’amour, le désir, la force, sur quelques chose qui est plus fort que la volonté et la raison, qui nous domine, quelque chose qui se présente à nous sans qu’on l’appelle et sans qu’on puisse contrôler son chemin. Minotaure dans son labyrinthe est comme les méandres de la pensée, et finalement il est devenu un prétexte.

Tous nos artistes évoquent cette participation du public à l’œuvre en train de se faire, la

transgression du rapport salle/scène et l’imprévisibilité à l’intérieur d’un canevas. Une logique qui,

poussée à son terme, peut éloigner de la salle et, accessoirement, de la billetterie, comme nous

l’exprime Lili Mamath.

La performance c’est dans la rue, dans un coin de l’escalier, c’est n’importe où la performance. C’est pas dans un lieu précis. Après il y a plein de petites choses qui font la différence entre le happening, l’event, en fait en fonction du degré de la participation du public. Mais dans tous les cas, ce qu’on aime c’est la participation du public.

Mais contrairement aux artistes de rue et aux saltimbanques, qui vont à la rencontre d’un

public qui ne fréquente pas nécessairement les lieux dédiés à la culture et entendent le séduire, les

performeurs revendiquent un esprit contestataire qui ne les prédispose pas à la séduction du badaud,

ce que relève RoseLee Goldberg.

La provocation est une caractéristique constante de la performance artistique, une forme explosive et fugace que les artistes utilisent pour répondre aux changements ­ politiques, au sens le plus général du terme, ou culturels, ou portant sur des questions et préoccupations actuelles ­ ainsi que pour provoquer des changements au sein des disciplines plus traditionnelles de la peinture et de la sculpture, de la photographie, du théâtre et de la danse, voire de la littérature. L’art de la performance ne se fonde jamais exclusivement sur un thème,

16

problème ou mode d’expression unique, mais se définit davantage dans chaque cas particulier par sa réaction provocatrice. Il ne vise que rarement à séduire son public mais cherchera plus vraisemblablement à démêler et analyser de manière critique les techniques de la séduction, tout en déconcertant ses spectateurs, plutôt que de proposer à ces derniers une mise en scène ambiguë du désir.11

Viviana Moin le confirme en ces termes : « Depuis plusieurs années je travaille avec des

compagnies qui ont posé des questions, qui ont brouillé le cloisonnement. Quand on est artiste

contemporain on veut bousculer le public dans ses préjugés. S’il se sent bousculé, tant mieux, sinon on

refait de l’art classique. Mais après il faut que l’artiste soit rigoureux avec lui même, qu’il soit capable

de se défendre et d’expliquer pourquoi il a fait des choses de cette façon­là. »

On peut remarquer que ce discours est conforme à celui légitimant plus généralement l’Art

contemporain, qui conceptualise une démarche pour valider des œuvres. On notera que des

chorégraphes qui ne se situent pas explicitement dans le champ de la performance peuvent y adhérer.

Il n’est pas dans notre propos d’en contester la valeur ou la sincérité mais uniquement de souligner les

présupposés esthétiques qui vont déterminer une posture aux multiples conséquences pour l’économie

du domaine considéré.

1.4 Interdisciplinarité ou syncrétisme ?

L’interdisciplinarité mise en jeu dans la performance est un argument souvent avancé par les

artistes pour affirmer leur originalité. Si la synthèse des disciplines au profit d’une « œuvre d'art totale »

a été revendiquée pour l’opéra par Richard Wagner, si l’on a pu souligner que le théâtre grec était

déjà sans doute une mise en scène narrative, poétique, musicale et chorégraphique, l’art de la

performance permet « d’augurer des syncrétismes inédits », notamment en faisant « converger danse et

arts plastiques. »12

Mais en fait, l’interdisciplinarité n’est plus l’apanage des seuls performeurs. Dans l’ouvrage de

11 Goldberg, RoseLee. Performances. L’art en action. Paris: Thames and Hudson, 2001, p.32.12 Clidière, Sylvie, de Morant, Alix. Danse extérieure. Essai sur la danse dans l’espace public. Montpellier :Entretemps, 2009, p.131.

17

référence Extérieur danse, Sylvie Clidière expose ainsi la situation :

Le mélange des genres est aujourd’hui une sorte de norme. Le processus, la tentative, le work in progress, ont acquis droit de cité dans tous les domaines artistiques. Art contextuel, esthétique relationnelle, les termes tentent de circonscrire des pratiques aux frontières floues qui se cherchent dans un rapport de proximité avec le territoire et avec le public. Le corps en mouvement est mis en exergue comme antidote à l’invasion des images et le spectateur invité à s’impliquer activement dans l’expérience. Pour les artistes comme pour les observateurs, le positionnement est délicat. Dans cette situation, se référer aux ruptures fondatrices qui ont marqué les années soixante et soixante­dix comme outil de lecture du présent et s’approprier les démarches des précurseurs n’est pas neutre.13

Toujours est­il que la distinction entre danse et performance repose en partie autour de cette

référence à l’interdisciplinarité, qui caractérise une écriture scénique mobilisant plusieurs domaines

artistiques afin de produire par leur interaction une sensation et un sens inédits. L’interdisciplinarité fait

intervenir des artistes qui n’avaient pas auparavant vocation à se rencontrer sur un même plateau

(comédiens et circassiens par exemple) ou des arts qui ne relèvent pas des mêmes catégories (arts de

la scène et arts visuels). L’usage de plus en plus fréquent de la vidéo ou de l’image pilotée par

l’ordinateur sur la scène du théâtre a contribué à populariser le terme en lui conférant une dimension

essentiellement technique, bien que l’interdisciplinarité soit avant tout « revendiquée comme une

nouvelle voie pour créer des relations plus actives entre artistes et spectateurs mais aussi élargir la

composition sociodémographique des publics. »14

Comme le rappelle malicieusement Simon Tanguy, l’art de la performance a exploré sans limite

cette liberté d’interaction des formes et des éléments de la représentation, jusqu’à intégrer des objets

ou des actions ne relevant en apparence d’aucune discipline.

C’est toujours une grande question qu’est­ce que tu appelles la performance, qu’est­ce que tu appelles la danse. C’est vrai que c’est un terme un peu générique. Ce sont les américains qui ont mis là­dedans tout ce qu’ils pouvaient faire, qui était plus de l’ordre de l’expérience, comme parler sans arrêt, tuer un lapin, tout ce qui est de l’ordre de l’action. Après, si on dit qu’on fait de la performance, on a plus de liberté qu’avec une pièce de danse. Mais moi je suis

13 Ibid., p.30.14 Urrutiaguer, Daniel. Le projet « Nouvelles écritures scéniques » : de nouvelles relations entre artistes etpopulation ? Africulutures. Emergences Caraïbe(s): une création théâtrales archipélique, n° 80­81, L’Harmattan,2010, p.70

18

entièrement libre avec la danse aussi, je mets du texte...

1.5 L’inclassable

Tous les artistes ont tendance à résister au classement dans une stratégie consciente ou non de

distinction. D’autant que le principe de l’innovation permanente est devenue la clef du discours sur l’art

et qu’il correspond dans une certaine mesure à la demande car « le primat accordé à l’innovation et la

quête de nouveauté des diffuseurs, pour qui la prise de risque artistique constitue une compétence

hautement valorisée, accélèrent de surcroît le processus de renouvellement de l’offre, et “l’ouragan

perpétuel” de l’innovation »15

« La notion de la transgression fait partie de la norme. L’innovation est presqu’une obligation.

Mais les artistes ne sont pas forcément tous innovants. Où est l’innovation? Quelque chose qui

n’aurait jamais été vu, on ne le reconnaîtrait pas. L’innovation est dans la forme d’interprétation »,

nous précise Sylvie Clidière. De fait, les performeurs semblent plus que d’autres prétendre à « ne pas

rentrer dans les cases », au risque de revendiquer une marginalité qu’ils déplorent par ailleurs dans le

champ de l’économie du secteur.

La performance est intéressante en elle­même, ce n’est pas une recherche pour faire une pièce après. Sincèrement, pour moi, faire une pièce obéit plus à une idée du système. Il est vrai qu’il y a très peu d’artistes qui arrivent à faire de la performance leur activité unique. La plupart sont par exemple plasticiens et performeurs et vendent des tableaux, ou font un travail de professeur et font des performances. Cela reste une activité marginale qui n’est pas reconnu par l’institution. Cela viendra peut­être. Maintenant on parle de “transdisciplinarité” et c’est un progrès, mais à la DRAC, soit tu es danseur, soit tu es comédien ou musicien, tu ne peux pas dire que tu fais l’activité qui est ni l’un ni l’autre ou un peu tout ça, sinon tu ne vas pas être pris au sérieux. Alors que dans la réalité, quand tu vois le travail, les gens sont autant musiciens qu’acteurs, autant plasticiens que danseurs.

Et Viviana Moin d’ajouter : « Après, pratiquement, tu choisis une des cases où tu as plus de

chances d’être pris au sérieux », comme pour bien souligner que c’est pure convention, ce qui conduit

15 Germain­Thomas, Patrick. La danse contemporaine, une révolution réussie? Manifeste pour une danse du présentet de l'avenir. Toulouse : Editions de l’attribut, 2012, p.120.

19

Lili Mamath à une posture économique paradoxale.

Pour le moment on ne demande absolument aucune subvention. Ce n’est pas qu’on a pas envie mais on sent qu’avec la question de performance ce n’est pas quelque chose qui rentre dans les cases. C’est­à­dire que si on veut faire une performance, c’est triste à dire, on va légèrement modifier le truc et l’orienter pour le faire rentrer dans les cases, qui ne sont pas de vraies cases mais sinon c’est impossible administrativement. Ce n’est jamais du mensonge, c’est vrai, il y a de la danse, sauf que pour nous le mot “danse” c’est pas suffisant. L’un des problèmes du collectif, c’est qu’on présente toujours les choses in situ, on part du lieu. Ça veut dire que dès que tu changes le lieu, tu dois adapter, et ça c’est pas évident. On se disait toujours qu’on pouvait réadapter ce truc là, mais on n’a jamais eu l’occasion de faire la même chose.

Massimo Carosi, directeur du festival italien Danza Urbana, explique que « les compagnies ont

eu des difficultés à imaginer un contexte non théâtral. Progressivement, la recherche a évolué, on est

passé de “adapter le lieu à la performance” à “adapter la performance au lieu”. Le pari le plus riche et

le plus risqué est la création in situ ». Massimo Carosi énonce dans le même entretien les conditions 16

de possibilité de la création performative in situ.

Cette pratique devenue commune chez les plasticiens est encore rare en danse. Elle suppose un temps de résidence, des répétitions sur place et donc une acceptation par les usagers de l’endroit, elle implique un investissement financier et humain de la part des commanditaires.17

Bien qu’elle ait finalement choisi de situer sa pratique dans le domaine de la danse, Lili

Mamath assume sa proximité avec les arts plastiques.

On ne fait pas que des performances, on fait principalement des installations, mais très souvent aussi, comme je m’intéresse à la scène et que j’aime articuler des installations à la scène, on fait des performances. Et c’est là que c’est un peu compliqué parce qu’on ne rentre pas dans les cases justement à cause de ça. C’est à dire que soit on met en avant l’élément scène, pour un avoir le code correspondant au spectacle, soit on fait que des installations et au contraire on sort du système. On se retrouve avec un nouveau système, ce qui est compliqué à gérer.

16 Clidière, Sylvie, de Morant, Alix. Danse extérieure. Essai sur la danse dans l’espace public. Montpellier :Entretemps, 2009, p.85.17 Ibid., p.85.

20

Elle poursuit en pointant cette caractéristique comme une difficulté supplémentaire.

Quand on a contacté Pôle Emploi, la première chose qu’ils ont demandé c’était de décrire ce qu’on fait pour savoir si on rentrait justement dans cette fameuse case “scène” pour pouvoir rémunérer les artistes. Heureusement, cette performance était sur une scène. Mais est­ce qu’on serait dans cette case si la performance avait été dans la rue? Je ne suis pas sûre.

21

II / La performance dans la chaîne de valeur de la danse contemporaine

On a vu que les artistes que nous avons interrogés affirment la spécificité de leur art. Mais une

fois énoncée l’importance de l’impromptu et de l’aléatoire dans l’ici et maintenant de la représentation,

la singularité de leur rapport au public et rappelé le caractère interdisciplinaire de leur pratique, ils

finissent par accepter de situer leur économie de projet dans le champ de la danse contemporaine.

En suivant la chaîne de valeur du spectacle vivant, nous allons tâcher d’éclairer les mécanismes

de la création et de la production de la performance décrits par notre corpus à la lumière des

connaissances que nous pouvons avoir de l’économie de la danse contemporaine, renseigné par des

lectures, des cours et divers entretiens avec des acteurs de terrain. Nous serons conduits à analyser

comment la diffusion rétroagit sur la production.

2.1 Gestion de la précarité (faire mes cachets)

Préalablement, il convient de rappeler que le régime salarial qui prévaut pour l’immense

majorité des artistes relève des annexes 8 et 10 de la convention de l’UNEDIC régissant l’assurance 18

chômage du travail dit “intermittent” (discontinu et à employeurs multiples). La précarité structurelle de

ce régime impacte fortement l’économie du secteur dans la mesure où une part significative du travail

des artistes ne relevant d’aucun engagement contractuel est assurée pendant les périodes chômées :

l’entraînement quasi quotidien des danseurs comme des musiciens, mais aussi le temps de la recherche,

de l’élaboration des projets dans leurs dimensions artistique autant qu’administrative.

« Je pense que souvent dans ce métier tu fais beaucoup de travail gratuit du point de vue

financier. La motivation c’est d’aimer ce que tu fais. J’ai fait une croix sur le fait de devenir riche, je

m’en fous. Et ce n’est pas ça que je cherche. Je rentre dans mes frais. Mais c’est pas souvent le cas »,

nous dit Lili Mamath, tandis que Simon Tanguy rêve d’un revenu régulier lui permettant de développer

18 Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce.

22

ses projets à côté : « Peut­être enseigner ou donner des ateliers, ça serait pas mal. »

Disposer d’un revenu fixe dans l’enseignement, comme de nombreux musiciens ou plasticiens,

est une aspiration fréquente chez les artistes lassés par trop de précarité. Mais ce n’est pas facile à

envisager pour les performeurs. Aussi la planche de salut passe­t­elle par l’accès au régime

d’assurance chômage spécifique. Les danseurs ont trouvé plusieurs avantages dans le régime

intermittent. Il les rend plus indépendants, leur fournit l’occasion de multiplier les expériences, de

diversifier les employeurs potentiels et d’avoir ainsi le choix des pièces dans lesquelles ils s’investissent.

Il libère également du temps afin qu’ils puissent se consacrer à leurs propres projets. Cet aspect est

particulièrement important en danse contemporaine où le processus de création lui­même repose en

grande partie sur les capacités d’invention des interprètes, provoquant parfois des aspirations à se

dégager de la tutelle du chorégraphe et à devenir soi­même auteur. Les danseurs­performeurs sont au

premier chef concernés, à condition bien entendu qu’ils ne négligent pas de “faire leurs heures”, soit

dans la cadre de leur pratique soit en se mettant au service de chorégraphes et en tenant compte du

marché du travail de leur secteur. Viviana Moin a souvent réalisé des performances sans être payée du

tout mais elle s’assure un revenu d’intermittente en alternant son travail d’interprète et ses propres

créations.

Quand des subventions ont été obtenues, l’argent a servi à faire une création lumière, à retravailler deux­trois choses, me payer correctement et me faire mes cachets et renouveler mon “statut” d’intermittent. C’est pour ça qu’on se dit que c’est possible de donner du temps à son travail, parce qu’on est intéressé et qu’on a un revenu de chômeur.

Simon Tanguy n’a pas encore accès au régime d’intermittence qu’il espère : « Il m’arrive de

répéter sans être payé. C’est souvent le cas avec les projets de solo, il y a beaucoup de jours de

répétitions sans rémunération en général. Tu as un studio et tu répètes. Ou quand tu travailles par mail.

» Ce recours à l’intermittence a son revers : les différents partenaires d’une création étant dans la

nécessité d’accepter des contrats pour rester éligibles au régime des annexes 8 et 10, il est très difficile

de construire un planning non seulement pour se retrouver pour créer mais aussi pour être

suffisamment réactifs aux opportunités rares et précieuses d’une résidence, d’une commande, d’une

programmation. Comme en témoigne Lili Mamath, il n’est pas si facile de concilier liberté de création

23

et intermittence.

Quand tu perds ton intermittence et que tu es au RSA, qu’après tu regagnes l’intermittence, cela implique quand même de savoir gérer un petit budget. Les gens avec qui je travaille, c’est les mêmes cas de figure. Il y en a un qui a décidé d’arrêter d’être au régime d’intermittence. Mine de rien tu dois accepter de gagner trop peu et de donner presque la moitié de ce que tu gagnes. Il y en a qui craquent et qui passent au régime général.

2.2 Le travail collectif, une responsabilité (on est obligé de rémunérer les artistes)

C’est la nécessité du travail collectif qui conduit le plus sûrement l’artiste à se confronter à la

réalité économique. Si le projet rassemble à égalité des artistes partageant le même risque, on peut

encore retarder la question de son financement mais, comme on l’a vu, la performance repose pour

beaucoup sur la mise en jeu de diverses disciplines et suppose donc la réunion de multiples

compétences.

La question de l’argent se pose. A l’idéal, on aimerait que tous les artistes soient rémunérés. Après on se dit que, voilà, c’est en stade d’élaboration. C’est une sorte de pari pour les artistes. Pas au sens est­ce que c’est montrable, ça on fait d’une sorte que oui, mais des fois on commence sans avoir une proposition de diffusion. Pour l’instant on ne travaille qu’avec des gens qu’on connaît, parce qu’on a des affinités, des sensibilités artistiques communes, qu’on a déjà travaillé ensemble. Et puis c’est aussi plus facile au point de vue financier de demander aux gens que tu connais que ceux que tu ne connais pas.

Lili Mamath expose une situation hélas fréquente dans le spectacle vivant. Elle admet que les

membres de son collectif ne sont pas souvent rémunérés pendant les répétitions. « Par contre on fait en

sorte d’être rémunérés au moins pour les représentations », précise­t­elle, même s’il lui est arrivé de ne

pas pouvoir se payer elle­même.

Il semble bien évident qu’un artiste adoptant une posture radicale, aussi sincère soit­elle, ne

peut en assumer les conséquences économiques qu’à la condition d’en subir seul la part de risque.

Cela devient plus compliqué dès qu’il s’agit de réunir des compétences autour d’un projet personnel,

comme en témoigne Simon Tanguy.

Bien sûr, tu peux faire les projets où tu ne payes pas les gens, si ce sont des potes. Il y a des gens qui font ça, mais au bout d’un certain moment, c’est assez compliqué. Par exemple, si tu

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veux travailler avec un plus gros groupe, avec des musiciens ou techniciens, tu vas forcément rentrer dans les frais.

Quelques performeurs, ayant acquis avec le temps une notoriété internationale, ont commencé

leur parcours dans la solitude absolue, principalement dans le domaine des arts plastiques. Cette

alternative entre le travail solitaire et l’engagement collectif impacte fortement l’esthétique de la

performance, alors que les danseurs conçoivent leurs parcours plus exclusivement dans le travail

collectif. Dans notre corpus, nous sommes face à trois cas de figure : Viviana Moin travaille beaucoup

“toute seule” ; Lili Mamath travaille plus explicitement en collectif avec deux autres artistes d’autres

disciplines, chacun apportant à égalité sa propre contribution ; Simon Tanguy travaille souvent en

compagnie d’autres danseurs bien qu’il demeure le principal porteur de projet et qu’il mène certains

projets en solitaire.

Souvent je travaille avec des gens que je connais, je ne fais pas d’audition. Je dis on essaie et voilà. Pour le prochain projet je serai avec des amis qui ont fait l’école avec moi. On essaie et on va voir ce que ça donne.

Mais c’est une contrainte qui lui pèse car le travail collectif lui impose une organisation qui

génère un travail supplémentaire.

L’idée ça serait d’être assez libre. Ce peut être assez lourd d’avoir toujours des grosses productions à faire, il faut prévoir deux ans en avance. Il n’y a pas trop de liberté. D’un côté tu es obligé de calculer, de faire les plannings de fou. Donc, les projets plus petits, c’est assez intéressant. C’est toujours un problème avec mon trio. C’est une collaboration avec deux autres chorégraphes, c’est une création collective. Ils sont aussi dedans et donc c’est toujours un peu compliqué comment on formule les choses.

On comprend aisément que la complexification qui résulte de cette élaboration au fur et à

mesure plus collective le conduit à penser la structuration économique. Lili Mamath quant à elle inscrit

la création dans une temporalité contrainte par le collectif.

Par exemple, je peux aujourd’hui avoir une idée, l’évoquer avec le reste du collectif, ou même peut­être l’évoquer dans deux semaines parce que ça a peut être muri entre temps. Puis chacun va réfléchir de son côté mais sans forcément se dire : « Là on fait le projet. » mais on sait qu’il y a potentiellement quelque chose. Autant ça peut se faire dans deux semaines, autant ça peut s’étirer sur deux ans parce qu’il y a déjà une limite géographique. Le

25

collectif est un noyau dur de trois personnes : moi, Samuel et Patrice. Patrice vit dans le sud. Cela fait qu’au moment où on va commencer à réfléchir sur un projet on va le faire tous séparément de chaque côté. Après il y a un moment de mise en commun, on va discuter, on utilise Skype.

L’idée initiale n’est que la préhistoire du projet de création. Confrontée d’abord à sa propre

nécessité économique, Lili Mamath trouve en dehors de son domaine de prédilection les moyens de sa

subsistance, au péril de son engagement car « le problème, c’est que c’est un peu un cercle vicieux :

tant qu’on n’a pas beaucoup d’activité, on a envie de développer d’autres activités, et comme tu fais

d’autres activités tu n’as pas le temps pour le collectif. »

On le voit, le principe de réalité s’impose tôt ou tard aux artistes. Ils devront à la fois

s’adapter et tâcher de ne pas se perdre. Lili Mamath l’exprime presque naïvement : « On est obligé de

rémunérer les artistes. On dirige nos dossiers dans ce sens­là, pour que ça puisse correspondre à une

demande scène plutôt que performance. »

Viviana Moin le proclame avec fierté : « Je n’embaucherais personne si je n’ai pas d’idée

précise et de l’argent, c’est aussi pour ça que je travaille beaucoup toute seule, ce qui est plus facile,

comme je ne me rémunère pas tout le temps. »

Simon Tanguy l’énonce avec humour : « Ce serait bien de ne pas demander de subvention

mais comment après avoir de bonnes conditions de travail ? »

2.3 De l’idée au projet (on va dans le sud)

Quel est le point de départ d’une création ? Le temps de la recherche et celui de la création

sont souvent dissociés dans l'attente d'une opportunité, d’une commande, d’une possible

programmation. Le schéma ne diffère guère pour la performance et la danse mais, dans la mesure où la

performance n’a pas vocation à achever une œuvre, le commencement pourrait bien s’éterniser.

Voyons ce qu’il en est pour les artistes de notre corpus.

Pour Lili Mamath tout commence par une phase de mise en commun d’idées entre les

26

différents membres du collectif.

Je propose une idée plus ou moins élaborée, après il y a d’autres idées qui se greffent, ça devient un projet en commun. Ce n’est pas un projet d'exécution, c’est un projet vraiment de création. Nous formons un noyau dur autour duquel gravitent d’autres artistes. On a souvent besoin soit de vidéastes, soit de photographes, soit des peintres, soit des plasticiens, ça dépend du projet. Ça peut aller jusqu’à six, dix, vingt ça dépend.

Simon Tanguy, bien qu’il soit seul à l’origine de ses projets, s’inscrit dans un processus de

recherche qui associe au fur et à mesure des partenaires dont l’apport modifie le projet.

C’est toujours un peu compliqué de savoir quand est­ce que tu recherches. Je commence avec beaucoup de sujets, je colle ça sur des post­it et au lieu de sélectionner une idée, j’essaie de réaliser toutes les idées. C’est après que ça commence à se décanter. Et j’essaie d’écrire comme je travaille, mais je n’essaie de pas sélectionner un thème. Et ensuite j’essaie de récolter différents vocabulaires, je fais des ateliers où je collecte de petits fragments, soit à partir d’une improvisation, soir à partir d’une idée inscrite sur mes post­it. Ensuite, je répète tout ça dans une structure, assez en amont, avant la première. Pour le trio Japan j’avais ça après deux semaines, cette sorte de structure qu’on a répétée, pratiquée. Donc, c’est pas trop un montage à la fin.

Un tel processus de travail suppose de dégager plus ou moins rapidement des moyens pour

rémunérer les partenaires. Produire et réaliser une importante chorégraphie lui prend un an et demi.

Dans l’idéal, il essaye de consacrer trois semaines à la recherche et trois mois à la création. « Deux

mois, c’est toujours un peu trop court et trois mois c’est très cher. » Il admet consacrer plus de temps à

l’écriture en amont, quand il parvient à rassembler un important financement en vue d’une grosse

création. Inscrire cette méthode de travail dans le champ économique, c’est se demander au fond :

Simon est­il payé quand il colle ses post­it, quand il écrit, quand il glane ce qu’il nomme « un

vocabulaire » ? Lors des ateliers, a­t­il les moyens de se salarier et de salarier les autres danseurs ? Où

peut­il réaliser ses ateliers ? Les répétitions, au moins, sont­elles rémunérées ? Manifestement, Simon

Tanguy essaye de dégager des moyens pour financer tout le processus, alors que Lili Mamath semble

avoir intégré qu’elle ne disposera pas de moyens pendant toute la phase de recherche.

Je dirais qu’il n’y a pas de temps défini. C’est un truc qui est permanent, tout le temps présent. Puis petit à petit, il y a des choses qui se rajoutent et là on se dit qu’on veut faire un truc, on se donne les moyens, on se donne le temps, on se retrouve ­ Patrice vient à la maison, soit on va

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dans le sud, on a des amis, on va squatter un peu. Cela fait qu’on a des moments de création mais c’est complètement variable, jamais fixe, ça peut être deux jours, ça peut être une semaine, une semaine par ci, une semaine par là, étalées sur plusieurs mois.

La bascule s’opère quand elle passe de la réflexion collective à l’expérimentation formelle.

Dans la mesure où elle revendique une grande part d’improvisation dansée, c’est le recours à la

technologie qui l’oblige.

On cherche principalement des résidences. Et en fonction de la durée de la résidence on va se caser par rapport à ça. La dernière résidence qu’on a faite c’était au Vision’R. En fait, ce qui nous a pris du temps, ce n’était pas la danse elle­même, ni ce qui se passait sur scène, c’était le travail en amont d’image. Le travail de VJing se faisait sur des écrans de tissu complètement mouvants dans l’espace.

Un travail technique nécessite une planification alors que la performance en elle­même est dans

l’improvisation. Si ce n’est pas le recours à la vidéo, c’est le son qui est souvent élaboré en amont de la

représentation.

2.4 Les résidences (tout est bon pour continuer)

Tout ce que tu fais, les résidences, les workshops qui ne rentrent pas dans la demande de subvention elle­même, te permet de créer tes performances, tout est bon pour continuer. Quand on fait une demande de subvention, on la fait pour un projet précis alors que quand on est artiste on travaille sur plusieurs choses en même temps. Tout est impliqué dans le projet.

Viviana Moin donne ainsi l’exemple des stages et formations, qui ont leur propre logique de

financement, mais sont pour elle assimilés à des temps de recherche.

Quand je fais un stage pour les interprètes, je m’en sers pour faire de la recherche, pour ce qui sera ma création. Par exemple, j’ai fait un stage avec Oscar Gomez Mata. C’était un workshop de trois semaines et cela a énormément nourri Madame Gonzalez, le rapport avec le public, les questions posées...

Or, si elle a pu travailler et répéter sa dernière création, Minotaure, au CCN de Tours puis à

la Ménagerie de Verre dans le cadre de résidences, ce précédent spectacle, Où est passé Madame

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Gonzalez ?, n’a pu être répété nulle part. Elle a « juste imaginé dans sa tête » qu’elle parlera aux gens

de son enfance à Buenos­Aires, s’habille d’un costume en éponge et se lance... Il faut relativiser : sans

l’aide d’une amie plasticienne et la complicité d’un pianiste, cette expérience aurait pu être sans

lendemain. Et si elle improvise la première fois, la performance devient au fil des représentations un

spectacle. Un spectacle qui garde sa part d’improvisation dans le dialogue entre la musique et la danse.

« Après, on a décidé de structurer ça comme une pièce et on a fait une demande au CCN de Tours. »

Dans ce cas, c’est donc l’opportunité d’un workshop qui a été déclencheur, mais il est clair

que la résidence est la forme la plus adaptée à l’articulation du temps de la recherche à celui de la

création proprement dite dans une économie de projets comprenant de nombreuses phases successives.

Il nous faut préciser que le terme de résidence désigne une variété de situations associées à des

moyens eux aussi très variables. Les artistes de notre corpus désignent par là exclusivement des

résidences de création, à savoir des moyens matériels, humains et financiers mis à disposition en amont

d’une création, souvent sur un temps très court ne permettant pas à lui seul d’assurer la création, mais

une étape ou sa finalisation. La résidence de création est a minima un apport en coproduction par la

mise à disposition d’un lieu. Elle comprend souvent la contribution du personnel technique du lieu. Nos

témoins n’ont jusqu’à présent jamais bénéficié d’une vraie convention de résidence de longue durée.

La danse performative est à la même enseigne que l’ensemble de la danse contemporaine, à la

différence près que ses créations ne sont jamais vraiment achevées : les présentations au public ne sont

pas à proprement parler des re­présentations. L'expression anglaise work in progress traduit bien cette

idée d’un processus à long terme d’accumulation et de renouvellement d’expériences qui s’actualise au

moment des représentations.

2.5 Les coproductions (c’est toujours dans le réseau personnel)

La rareté ou la modestie des résidences nécessite qu’une production rassemble en amont les

financements de plusieurs partenaires en capacité d’anticiper la dépense.

L’exploitation contribue faiblement à la couverture des coûts de production, et la diffusion des spectacles, y compris dans les cas où elle est satisfaisante, n’apporte que peu de bénéfices économiques aux compagnies. En toute logique, les chorégraphes et leurs administrateurs sont

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amenés à privilégier la recherche d’apports en coproduction ­ dont l’obtention est vitale pour les créations à venir ­ par rapport à une prolongation des tournées. Pour importante que soit la diffusion sur le plan artistique ­ car il faut que les spectacles soient joués pour prendre vie ­ et sur le plan politique ­ car les tutelles publiques observent de près le nombre de représentations réalisées .19

Dans le spectacle vivant, l’artiste doit toujours confronter ses aspirations aux ressources

disponibles. Celles­ci évoluent dans le temps en fonction des résultats d’opérations de prospection

menées auprès des coproducteurs potentiels, c’est­à­dire des théâtres ou festivals pouvant participer au

financement du projet en amont de sa réalisation. Ces apports en coproduction sont déterminants,

d’autant plus qu’ils vont souvent de pair avec l’organisation des résidences de création, vitales pour les

compagnies qui ne disposent pas de lieux de répétition. L’engagement en coproduction diffère

fondamentalement du simple achat de représentations car il se décide avant le démarrage du travail de

création dont on ne peut évidemment connaître le résultat. Dans le domaine de la danse contemporaine,

les apports en coproductions sont presque toujours nécessaires. Les risques que prennent les

coproducteurs sont accrus dans le champ de la performance, étant donné son caractère en principe

éphémère, non reproductible à l’identique. Convaincre en amont un diffuseur, a fortiori s’il est

coproducteur, c’est lui faire accepter que d’une représentation à l’autre il y aura une notable différence.

Simon Tanguy admet qu’il n’arrive pas très bien à vendre ses projets ou à les expliquer quand

ses interlocuteurs ne connaissent pas déjà son travail :

Souvent les gens qui m’appellent, ce sont les gens qui ont déjà vu les projets, qui ont déjà programmé. Là, il y a deux théâtres qui ont proposé, mais c’est pas de gros budgets. C’est vrai qu’il faudra demander des subventions pour la prochaine pièce. Mais quand les gens proposent c’est parce qu’ils connaissent le projet, donc il y a plus de confort.

Lili Mamath est confronté à la même difficulté :

Quand tu demandes une résidence de création, il ne faut pas que le projet soit déjà créé mais il faut que tu puisses en parler, c’est absurde. On te demande de développer tes idées sans avoir rien créé. Cela veut dire que ça va obligatoirement bouger. Une idée c’est une idée, la suite peut ne peut rien avoir à voir. C’est­à­dire qu’on te demande de rentrer dans une case, de mettre sur papier quelque chose qui ne correspondra jamais à un produit final. Donc, on a décidé d’écrire ce que les gens veulent lire parce qu’on se couvre avec une idée et que de

19 Germain­Thomas, Patrick. La danse contemporaine, une révolution réussie? Manifeste pour une danse du présentet de l'avenir. Toulouse : Editions de l’attribut, 2012, p.108.

30

toute façon ces gens­là, ils doivent être conscients que le projet va bouger.

Pour l’artiste, la création d’une relation de confiance avec le financeur suppose de s’adapter

au moins dans la forme à ses attentes. Le montage d’une coproduction auprès de diffuseurs qui

connaissent déjà l’artiste et son travail permet d’éviter de figer le projet. Mais cet évitement, dont on a

vu qu’il était revendiqué par les artistes de la performance, peut être également un palliatif à la

demande de subvention, comme le dit explicitement Simon Tanguy.

Pour le dernier trio, que j’ai fait à Amsterdam, on l’a fait avec trois théâtres, trois lieux qui ont coproduit. En fait, je n’ai pas demandé des subventions, j’essaie d’éviter de demander les subventions. Oui, voilà, ou c’est moi qui demande, s’ils ont déjà programmé quelque chose. C’est toujours dans le réseau personnel. Peut­être que je vais le faire avec la DRAC. Mais c’est compliqué de le faire.

Dans la mesure du possible, il est important de construire la coproduction en fonction de la

réputation corporative des lieux de diffusion pour en tirer un bénéfice d’image et faciliter la possibilité

d’une diffusion future. La liste des coproducteurs, dont on ne connaît jamais vraiment le niveau

d’investissement réel, fait impression auprès des diffuseurs potentiels. En plus d’un apport financier, ils

apportent une légitimité. En fonction du prestige du coproducteur. Les artistes peuvent ainsi gagner la

confiance d’éventuels futurs partenaires. Et il faut noter que pour la danse comme pour la

performance, le réseau de coproduction ne se limite pas au territoire français. Une coproduction à

l’international est également un facteur de légitimation, même auprès de diffuseurs qui ne feront pas le

voyage.

Viviana Moin part du principe que son réseau est au départ limité : « Comme j’ai une

formation de danseuse et que j’ai travaillé avec les compagnies de danse dans le passé, je risque

d’être prise au sérieux plus dans le milieu de la danse que dans le milieu des arts plastiques, car je n’ai

pas fait d’école d’arts plastiques. » Mais elle ne s’en tient pas là.

Je travaille beaucoup le sens du relationnel, avec des gens que je rencontre souvent au hasard, avec qui je sympathise, avec qui je deviens amie, que j’ai rencontré au long de ma carrière en tant qu’interprète. Ou ce sont les gens qui m’ont programmé parce que mon travail leur plaît, mais pas parce que je leur ai envoyé mon dossier. Moi, je n’en envoie pas. Je n’ai même pas de newsletter. Il faut me chercher.

31

Lili Mamath, qui préfèrerait convaincre sur pièce, s’est résolue comme à regret à faire marcher

ses relations : « Quand tu réponds à un appel à projet, c’est toujours bien de dire: “Tiens, je connais

une personne qui connait une autre personne”, et c’est ce qu’on a décidé de faire. Moi, ça m’embête

cette idée mais ça marche que comme ça et tout le monde le dit. »

Plus tourné vers la prospection de nouveaux contacts, Simon Tanguy soigne le relationnel en

direct : « Les programmateurs au début aiment bien avoir un rapport personnel avec les artistes.

Souvent il faut faire des rendez­vous mais c’est compliqué. Une fois que la personne a vu le projet,

c’est bien de demander un rendez­vous. Même s’il n’y a rien qui se fait, c’est bien d’en parler. »

Viviana Moin précise bien que dans un milieu restreint comme celui du spectacle vivant il ne

s’agit pas uniquement d’accéder à une notoriété publique mais aussi de gagner la reconnaissance du

milieu à partir de ses références.

Le problème pour un jeune artiste c’est d’être pris au sérieux par les institutions. On te prend pas au sérieux tant que tu n’as pas fait tes preuves. C’est l’œuf ou la poule. Tant que tu n’as pas fait tes expériences, tu n’avances pas, c’est très dur au début. C’est très hiérarchique. On te demande toujours d’où tu viens, de quelle école tu sors, avec quelle compagnie tu as travaillé, les gens cherchent à te situer. Par exemple, j’ai travaillé avec Jérôme Bel, cela m’a beaucoup aidé mais je ne me sens pas du tout héritière de son travail. Et des fois les gens me disent que ce que je fais ressemble plus au butô, que je n’ai pas fait.

Il est donc important de savoir valoriser son parcours et d’accepter que les interlocuteurs aient

besoin de quelques repères en dépit de l’originalité que l’on revendique. Simon Tanguy, qui insiste sur

le fait que les gens qui l’appellent sont ceux qui ont déjà vu les projets et qui l’ont déjà programmé,

connaît bien l’importance des connivences professionnelles.

Les programmateurs s’intéressent à savoir où tu joues avant parce que ça va leur donner de la satisfaction, de l’assurance. Ton projet était montré là, donc ça peut te créer une sorte de réseau. Il faut plutôt imaginer des couches, des paliers. Les CDC sont ensemble, il y a des gros théâtres de programmation régionaux où c’est assez difficile de rentrer. Les gens regardent où tu passes, ça donne un gage de valeur au produit. Si tu joues dans trop de petits lieux, ils vont s’interroger sur ton réseau, ils te prendront pas. Des fois, je crois qu’ils regardent une ligne de crédits de coproduction.

32

Sylvie Clidière ne le dément pas quand elle dit : « il y a tellement de micro­milieux à l’intérieur

des milieux... donc tu es identifié à là où tu es déjà allé. » Mais elle invite à ne pas déplorer sans

comprendre : « Si tu demandes une reconnaissance manifestée par de l’argent, tu n’as pas forcément à

te plier, mais il doit y avoir des points de convergence entre les demandes des uns et les acceptations

des autres. »

Ainsi, un réseau de partenaires au départ constitué de quelques programmateurs connaissant le

travail peut déclencher d’autres coproductions de lieux moins au fait de la démarche de l’artiste.

Encore faut­il pouvoir présenter correctement le projet à ce coproducteur potentiel et ne pas négliger

le dossier, car on ne peut reprocher à personne de ne pas travailler complètement à l’aveugle. Même

si toutes les précautions du monde ne peuvent pas éliminer les aléas de la création.

2.6 Les subventions (je me passerais bien de faire des dossiers)

Produire un spectacle exige de bien maîtriser les différents dispositifs et de bien se repérer dans

l’ensemble des divers organismes et guichets. En effet, les programmateurs partenaires d’une

coproduction peuvent difficilement à eux seuls assurer le financement d’un projet. Il faudra demander

des subventions.

L’État peut attribuer des subventions “au projet” mais finance également la formation ou la

diffusion. Les différentes collectivités territoriales (villes, départements, régions) financent fréquemment

des créations mais peuvent aussi aider au fonctionnement des structures directement ou indirectement

(par l’accès aux emplois aidés, la mise à disposition de locaux).

Dans le meilleur des cas, la compagnie peut être amenée à signer une convention qui prendra

en compte un ensemble de besoins et comportera une série d’engagements contractuels en retour de la

part de la structure artistique (créations, nombre de représentations, action culturelle, etc.). Les

33

compagnies de danse sont coutumières de ces démarches.

L’ONDA , organisme délégué par l’État, aide à la diffusion en France quand l’Institut 20

français, qui dépend du ministère des Affaires étrangères, aide aux tournées à l’étranger.

Les organismes de perception de droits voisins (ADAMI et SPEDIDAM dans le cas de la 21 22

danse) ont aussi leurs dispositifs d’aides très diversifiées. Les autres institutions professionnelles peuvent

être sollicitées sur des points particuliers propres à chaque création (la SACEM ou la SPEDIDAM 23

pour création musicale par exemple, la SACD pour l’écriture).24

Le dossier de présentation, assorti de son budget prévisionnel, est incontournable. Comme

chaque organisme a ses propres critères, il est nécessaire de bien les connaître avant de faire son

dossier et il n’est pas rare qu’on se trouve dans l’obligation de faire un dossier spécifique pour chaque

tutelle, collectivité ou organisme. « La création de dossiers est de l’ordre de la séduction », rappelle

Sylvie Clidière.

On n’aide que des gens qui se sont aidés eux­mêmes. Ça se joue sur les références. Et c’est là où il y a une contradiction : jouer sur les références alors qu’on se veut neuf, logiquement, ça tient pas ; de fait si.

Ce travail de valorisation symbolique du parcours artistique qui accompagne la mise en

perspective d’un projet est d’une importance stratégique pour les compagnies. Mais elles doivent pour

cela accepter une temporalité administrative déconnectée de celle de la création.

Si je pouvais, je me passerais bien de faire des dossiers pour l’année prochaine, ça ne me correspond pas. Je me suis adaptée à ce système car cela me permet d’être tranquille, de travailler, mais je préférerais bien m’occuper des projets qui vont se faire dans trois mois, mais pas d’ici un an. Maintenant, j’ai quelques projets dans mon tiroir, et si je veux être programmée en 2014, il faut que je commence à envoyer les dossiers de projets.

Viviana Moin exprime ainsi un sentiment commun à tous les artistes de notre corpus. Comme le

dit Simon Tanguy : « C’est un autre boulot d’écrire une pièce et d’écrire un dossier. » Lili Mamath ne

néglige pas cette tâche, mais sans enthousiasme.

20 Office national de diffusion artistique.21 Administration des droits des artistes et musiciens interprètes.22 Société de perception et de distribution des droits des artistes­interprètes de musique et de la danse.23 Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique.24 Société des auteurs et compositeurs dramatiques.

34

Mais en fait, c’est le dossier qui prend plus de temps. La préparation des dossiers n’est pas un travail collectif. En gros, je suis souvent là­dedans, Samuel aussi, et dans l’association Membrane qui chapeaute l’activité du collectif, il y a aussi une personne qui s’en occupe, on est deux­trois. On fait aussi beaucoup lire aux amis pour avoir un œil extérieur. Quand tu es complètement dedans, tu n’arrives plus à prendre du recul.

Dans le domaine de la danse, l'absence de support autre que la note d'intention d'artiste dans

le dossier du projet est fréquente (absence du texte comme c’est le cas pour le théâtre). La

performance ne diffère pas en ce point, articulant descriptions “concrètes” et développements

“conceptuels”.

Au moment de la sélection des projets chorégraphiques à soutenir, on ne dispose que de très peu d'éléments objectifs sur la pièce à venir (la composition des équipes artistiques, techniques et administratives, le propos, éventuellement la musique). Dans la plupart de disciplines artistiques, il existe des textes ­ texte théâtral, scénario cinématographique, partition musicale ­ sur lesquels peuvent s’appuyer les décisions des financeurs, alors qu’un projet de création chorégraphique ne peut être consigné sur aucun support (sauf une éventuelle note d’intention de l’artiste). Malgré l’importance du travail préparatoire de l’auteur, le travail de création proprement dit naît de la rencontre du chorégraphe et des interprètes et la pièce s’élabore au fur et à mesure des répétitions.25

Comme on l’a déjà dit, les artistes performeurs expriment déjà des difficultés à préciser leurs

projets en direction des coproducteurs. C’est encore plus compliqué s’il s’agit de le faire pour un

fonctionnaire anonyme (rarement officiellement décisionnaire mais fortement prescripteur), une

commission d’élus (dans certaines collectivités) ou d’experts (comme c’est le cas dans les DRAC) dont

la délibération est couverte par le secret. Cela conduit Simon Tanguy à espérer un dispositif d’aide qui

passerait par les lieux puisque « de toute façon, les théâtres sont subventionnés. L’idéal ça serait qu’il y

ait que des théâtres qui coproduisent et qu’il n’y ait pas besoin de subventions. »

Une des réticences exprimées par notre corpus se justifie par le fait que les dispositifs

institutionnels liés au spectacle vivant semblent favoriser la continuité de la chaîne production / diffusion

et en conséquence de ne pas prendre en compte la création non reproductible. En fait, les pouvoirs

publics accordent plus d’aide à la création qu’à la diffusion, tout en exigeant que les créations tournent,

25 op.cit., p.115.

35

une contradiction qui doit en partie à la composition des comités d’experts (consultatifs) qui font une

large place à des directions d’établissements culturels subventionnés. Viviana Moin le déplore en ces

termes : « C’est important pour la DRAC que ta pièce soit rentable et reproductible, que tu aies des

dates et que tu tournes, c’est un critère qui intéresse. Si tu fais une performance unique, tu ne peux pas

demander des subventions. »

Les partenaires institutionnels savent bien néanmoins qu’il n’est pas facile d’organiser la

tournée d’un spectacle chorégraphique. Cette difficulté n’est pas propre à la performance. Patrick

Germain­Thomas souligne pourquoi les difficultés rencontrées par les compagnies de danse

contemporaine les conduisent à privilégier la création.

Le fonctionnement du marché subventionné, s’il entretient la vitalité de la création chorégraphique, repose sur une asymétrie structurelle entre l’offre de spectacle et les possibilités d’accueil des réseaux de diffusion. [...] Les intérêts des acteurs de marché se rencontrent sur un primat accordé à la production de nouvelles pièces par rapport à l’exploitation prolongée des spectacles existants : les diffuseurs parce qu’ils souhaitent s’engager dans la création et les compagnies parce que les apports en coproduction constituent des ressources indispensables à leur activité.26

D’autre part, beaucoup de danseurs pensent même qu’une trop longue exploitation d’un

spectacle comporte un risque d’amoindrissement de sa qualité et nombreux n’attachent qu’une faible

importance à la notion de répertoire, s’intéressent plus aux œuvres qu’ils sont en train de réaliser car

« les spectacles de la danse contemporaine n’ont pas toujours vocation, ainsi que le montre l’histoire

de ce courant artistique, à former un répertoire, ni à être reproduit un très grand nombre de fois. 27

Mais le risque d’une longue période d’exploitation n’est pas souvent de mise et « les cas de

spectacles de danse contemporaine ayant dépassé la centaine de représentations sont extrêmement

rares. »28

En définitive, un projet va souvent pouvoir commencer à se formuler parce qu’il a rencontré

un écho chez des diffuseurs. Viviana Moin témoigne de cette réalité qui ne semble pas correspondre à

26 op.cit., p.120.27 op.cit., p.87.28 op.cit., p.88.

36

la chronologie normale d’une production : « Tu formules une demande quand tu as une date dans un

festival et que tu organises des choses autour cette date. On te donne des subventions parce que tu as

des dates et des résidences, des lieux même pas prestigieux mais repérés par le ministère. »

2.7 Les diffuseurs (soit on a des dates, soit on en a pas)

Ce que l’on peut dire aujourd’hui, ce n’est pas qu’il y a trop d’artistes, mais que trop de pièces nouvelles entrent chaque saison sur le marché du spectacle chorégraphique.29

On voit bien à quel point la diffusion rétroagit sur la production quand celle­ci dépend plus des

coproducteurs que des subventions. Or le décalage entre l'offre et la demande fragilise la position des

compagnies. L'absence de longues tournées est problématique dans le champ du spectacle vivant, un

problème accentué pour la danse et non seulement pour la performance.

En effet, beaucoup de spectacles ne sont pas assez diffusés, voire abandonnés peu après leur création et la croissance du public de la danse contemporaine se heurte à des limites inhérentes à une relative méconnaissance de cet art au sein du corps social dans son ensemble. D’où la question de savoir si ces limites sont dues au caractère irréductible de l’écart entre la création chorégraphique contemporaine et le grand public ou s’il existe des mécanismes endogènes, liés à l’articulation entre le soutien public et les mécanismes du marché du spectacle qui contribuent à maintenir cet écart.30

Simon Tanguy sait bien qu’il lui faut s’adapter à la demande : « Il faut vouloir trouver des

dates. Pas être opportuniste mais vouloir quand même et en même temps être assez créatif au moment

où il faut. »

Lili Mamath elle aussi doit tenir compte de la possibilité d’une programmation pour que son

collectif se mobilise : « Ça dépend du projet : soit on a des dates, soit on en a pas, du coup on

s’organise différemment. Ça peut être étirable dans le temps. Des fois c’est un projet auquel on a déjà

pensé et du coup, il y a un contexte d’une diffusion qui se présente et donc on s’y met en ce

moment­là. » C’est donc l’opportunité d’une diffusion qui est déterminante.

29 op.cit., p.175.30 op.cit., p.74.

37

Par exemple, une fois on a réfléchi sur une vidéo où on voulait travailler sur les émotions, on s’est pas plus étalé que ça mais on se disait qu’on voulait filmer un visage de très près pour percevoir les émotions. Après une fois on a vu qu’il y avait un appel aux projets au musée de Cherbourg. Juste avant sa fermeture, ils proposaient aux artistes de proposer quelque chose. Et on s’est dit que c’est exactement ça qu’on va proposer parce qu’eux, c’était sur le romantisme, et donc a pensé à lier le romantisme avec de grands paysages, un peu à la Musset, et là, on l’a proposé et ça s’est greffé à l’idée du romantisme. On l’a fait en deux jours. La captation, ça durait deux heures grand maximum, après le travail du montage.

C’est parce qu’elle n’est pas aussi tributaire d’un montage financier complexe que Viviana

Moin peut prospecter à partir de son élan créatif du moment. Elle multiplie les offres de service à partir

de son désir : « On va travailler au CCN de Tours, probablement à Nantes aussi, j’attends la 31

réponse. Je vais être au festival Plastic dancefloor à Versailles. Aussi, je fais une performance au

Musée de la chasse et la nature, je travaille également dans des galeries. » Simon Tanguy pour sa part

privilégie la recherche de partenaires dans son réseau international. Il en tire un avantage économique

en accroissant de manière significative sa diffusion mais aussi par le fait que certaines programmations

à l’étranger sont plus rémunératrices (tant qu’il n’a pas accès au régime de l’intermittence néanmoins).

Là, on est pas mal en Suisse. Donc, ça augmente. Et ensuite on a accédé à un réseau de distribution anglais qui essaie d’aider les jeunes chorégraphe à être diffusés : tu es dans une base de données de cinquante programmateurs.

Son expérience à l’étranger lui a effectivement ouvert des horizons que les artistes français ne

sont pas toujours les premiers à exploiter.

Vu que j’étais à Amsterdam pendant cinq ans, j’ai eu des connections avec des gens en Allemagne et en Suisse aussi et donc, ça s’est fait comme ça. Après j’essaie de trouver plus de dates en France, ça commence à venir maintenant. J’essaie de faire les deux. En France j’espère que ça arrivera cette année. Au niveau du réseau, à Amsterdam c’est assez compliqué mais ils sont en réseau avec Berlin. Je trouve qu’ici ça se fait assez facilement. Après le problème des pièces françaises c’est que ça tourne pas à l’étranger. Les jeunes chorégraphes français ont beaucoup de mal à tourner. À Amsterdam il y a beaucoup de chorégraphes français qui sont en résidence.

31 Centre chorégraphique national

38

En matière de danse contemporaine, les programmateurs peuvent puiser au sein d’un éventail

très diversifié de propositions, à la fois pour les simples achats de représentations et pour les

coproductions. Ce qui ressort de cette relation de dépendance dans un contexte de pénurie de lieux

dédiés à la performance, c’est que l’artiste n’est pas en bonne posture pour négocier les conditions de

vente de son spectacle. Certains artistes, à l’instar de Simon Tanguy, acceptent de vendre des

représentations à un prix inférieur au coût plateau pour bénéficier de la visibilité professionnelle

qu’offre le passage dans certains lieux de diffusion.

La question est plutôt comment faire quand tu n’as pas beaucoup d’argent mais tu as envie de jouer. Par exemple, je vais jouer dans un petit festival à Paris, Danse Dense. Ils ne paient vraiment pas le prix normal mais il faut le faire pour que la pièce soit vue. Je suis d’avis de faire le plus des dates possibles même si c’est pas très cher. Mais en même temps c’est fatiguant de jouer pour pas grande chose. Les conditions ne sont pas top. Tu es obligé de faire beaucoup de choses toi­même.

Cette visibilité, il la recherche à travers le programmation en festival, qu’il juge primordiale car

« pour la création d’un réseau, il n’y a pas de miracle, les gens, quand ça leur plait, ils en parlent. Le

mieux c’est de jouer dans les festivals qui ont une bonne visibilité. » D’autant qu’il peut y rencontrer un

public plus disponible et des professionnels plus avisés, car le degré d’expertise des programmateurs

dans le seul domaine de la danse est déjà très hétérogène. Ils cherchent fréquemment un équilibre entre

des propositions relativement consensuelles et des spectacles plus déroutants. Leurs choix supposent

donc toujours une représentation des goûts du public et une anticipation de ses réactions : la conquête

et la fidélisation des spectateurs se trouvent au cœur de leur fonction. Le diffuseur doit tenir compte de

la difficulté objective de fidélisation d’un public pour la danse et a fortiori pour la performance (sauf

pour les rares cas des équipes de notoriété nationale ou internationale). Le producteur suppose, lui,

que l’offre, à condition qu’elle soit exigeante, peut s’imposer par l’information et la médiation auprès

des spectateurs confrontés avant tout à l’absence d’un répertoire de référence. Un dialogue doit

s’instaurer entre les deux instances pour arbitrer les points de vues, car chaque discours est légitime

mais correspond à une position différente dans l’économie du spectacle vivant. Le diffuseur, dans le

cas du théâtre subventionné, ne prend pas un risque financier personnel, certes, mais il est responsable

de l’équilibre budgétaire de l’établissement.

39

Le raisonnement économique des diffuseurs se base lui aussi sur le calcul des charges variables directes liées aux représentations : achat du spectacle, charges annexes, coûts techniques supplémentaires et droits d’auteur. Pour chaque pièce, ils confrontent ce coût variable total avec une estimation des recettes de fréquentation auxquelles s’ajoutent parfois les contributions d’organismes d’aide à la diffusion soutenant les programmations les plus risquées (l’ONDA ou d’autres instances intervenant à l’échelon régional ou départemental). Il existe indéniablement des conceptions communes d’un prix de marché que les professionnels peuvent rapidement évaluer à partir de la description d’un projet.32

Bien entendu cette nécessaire adaptation du programmateur au public comporte un écueil

majeur qui consiste à négliger son rôle de défricheur, de passeur, d’assembleur, comme le rappelle

Sylvie Clidière.

« C’est mon public. Mon public n’a pas aimé. » Ça c’est la peste verte des programmateurs qui font comme si le public leur appartenait. Ça dépend aussi de rapport de force entre le programmateur et son instance dirigeante. C’est peut­être pas faux qu’un programmateur d’un festival est moins dépendant qu’un programmateur d’une salle de spectacle. C’est souvent le choix du programmateur. Il va souvent ne pas programmer ce qu’il lui plaît ou ce qu’il estime programmable. Une personnalité forte qui a prouvé qu’elle était solide et que son festival ou que sa saison tenait la route peut se permettre ces excursus en se disant : « Bon, je compenserais par quelque chose de plus populaire. »

Cette péréquation des risques est indispensable dans la plupart des établissements de

proximité sans vocation spécialisée. La conclusion de Sylvie Clidière dit bien néanmoins que l’équilibre

entre le conformisme et l’audace relève d’une équation compliquée.

Et pourtant c’est vrai qu’aucun programmateur ou aucune commission du ministère ne peut se permettre de soutenir régulièrement des choses qui font flop à chaque fois, ou qui ne sont pas terminées, ou qui ne sont pas professionnelles, ou qui provoquent du scandale ou du désintérêt. C’est une espèce d’équation qui se négocie chaque fois au coup par coup, où les effets de reconnaissance, toute sorte d’effet de reconnaissance, sont à prendre en compte.

2.8 Le travail administratif (c’est un peu la poule et l’œuf)

Les artistes, à juste titre, ont déclaré que l’écriture d’un dossier n’était pas nécessairement de

leur compétence. Ils en viennent à la conclusion que cette compétence doit être trouvée ailleurs.

32 op.cit., p.103.

40

Nécessité fait loi. Ils doivent donc intégrer à leur démarche de développement la structuration d’un

pôle administratif aussi modeste soit­il au départ, afin de se dégager peu à peu de cette contrainte.

Viviana Moin, par la nature même de son projet, peut concevoir de déléguer a minima le

travail administratif : « Pour le moment je n’ai pas d’administrateur donc je fais tout moi­même. Depuis

deux ans j’ai un comptable. J’ai bénéficié d’une formation offerte par le bureau Cassiopée qui m’a

appris un peu la méthode. Mais c’est vrai que si j’avais un administrateur, les choses seraient plus

rapides, plus faciles. Toute seule, c’est assez artisanal. » En revanche, Simon Tanguy, qui a une

structure à Amsterdam et commence à peine à s’implanter en France, pense le développement de ses

projets en même temps que celui de son administration : « Je vais d’abord créer la compagnie et

ensuite chercher quelqu’un qui puisse la prendre en charge. Je vais continuer avec l’administratrice à

Amsterdam mais elle ne fait vraiment pas de diffusion, c’est pour ça que j’ai besoin d’une autre

personne en France. » Quand à Lili Mamath, elle explique que son collectif Fossile n’a pas

d’administrateur parce qu’il n’en n’a pas de moyens, très consciente du fait qu’un l’administrateur a

pour mission d’aller en chercher.

Moi, je préférerais si on avait les moyens. C’est un peu la poule et l’œuf : pour avoir l’administrateur, il faut avoir de l’argent pour le rémunérer et c’est le travail de l'administrateur qui facilite que ça soit fait. On n’en a jamais eu. Donc, c’est tout le monde qui s’en occupe : moi, Samuel et une personne dans l’association Membrane qui fait la comptabilité. Ce n’est pas sa formation spécifique mais elle a fait des études de commerce international, elle a étudié les questions de la comptabilité et de la gestion, mais c’est surtout la personne qui va donner les réponses aux diverses organismes, qui va s’occuper des cotisations, de bien rappeler les échéances. Mais l'administration c’est beaucoup de choses, s’occuper de paperasse, des feuilles de salaire, donc voilà, pour que cette fille ne se retrouve pas toute seule, on se fait des petites réunions apéros.

Les artistes que nous avons rencontrés, qui sont tous engagés dans des démarches

interdisciplinaires et travaillent en équipe évoquent paradoxalement peu les relations qu’ils entretiennent

avec d’autres performeurs. Pourtant, comme l’exprime bien Viviana Moin, « ce qui facilite les choses,

c’est d’appartenir à des familles d’artistes, des groupes de gens avec qui tu partages la même vision

des choses. » Pourquoi ne pas identifier cette famille d’artistes avec lesquels il serait possible de

partager les moyens administratifs pour les développer ensemble ? Bien entendu, la performance étant

41

inclassable et multiforme, on peut comprendre que des artistes préfèrent une relation de confiance avec

une personne qui leur soit exclusivement dédiée. D’autre part, pour accepter de mutualiser des

moyens, il faut préférer la solidarité à la concurrence qui sévit dans le milieu artistique comme partout

où la précarité se conjugue avec le manque de débouchés. Et il est vrai aussi que la complexité de

certains parcours prédispose mal au partage d’un administrateur. Simon Tanguy, par exemple,

développe une activité internationale à partir de son expérience aux Pays­Bas.

Je travaille toujours avec mon administratrice à Amsterdam. Elle parle aux professionnels et organise les voyages. Elle fait un peu de newsletter aussi. Elle ne prend pas en charge la France, elle ne fait que la Suisse, l’Allemagne et la Belgique. Elle achète des billets, fait les factures etc. Souvent ce que je fais, je cherche les programmateurs en France et une fois que c’est conclu, je les renvoie vers elle. Elle envoie aussi des DVD. Là, à propos de l’écriture des dossiers de demandes de subventions, j’ai pas encore fait mes demandes mais je crois que j’écrirai plutôt ce que j’ai envie de faire, je crois que ça marche mieux comme ça.

Le développement de son activité en France rencontre néanmoins, de son propre aveu, des

limites et c’est lui qui doit prendre le relais au détriment de son travail artistique. La mutualisation des

moyens pourrait très bien dans son cas se combiner avec le travail en parallèle d’une administration

propre à l’international, à condition de bien répartir les tâches ou les zones géographiques, par exemple.

Il est probable que les performeurs gagneraient à se regrouper par affinité pour mutualiser une

équipe administrative. La rémunération d’un administrateur à temps partiel, par le biais de

l’intermittence, est une forme de mutualisation de fait qui comporte le risque que ce dernier soit dispersé

entre différentes compagnies n’ayant pas de rapport entre elles et qu’il réponde mal à leurs spécificités.

Ce qui n’est pas problématique tant qu’il s’agit de gérer des fiches de paye le devient quand il faut

écrire un dossier, assurer des rendez­vous, démarcher des coproducteurs.

Dans une compagnie, le montage de la production fait l’objet d’une collaboration étroite entre

l’administrateur et l’artiste. Ils doivent ensemble faire preuve d’une assez grande faculté d’adaptation

face aux contraintes budgétaires. Ils doivent les intégrer dans la conception de leurs projets. C’est une

relation de confiance. Les fonctions d’administrateur et de chargé de diffusion sont certes distinctes

mais il n’est pas rare dans le spectacle vivant qu’une seule et même personne assure les deux rôles.

L’imbrication très forte entre le montage des productions et l’identification du réseau de diffusion milite

42

en ce sens, car les connaissances de l’administrateur ou du pôle administratif pourraient s’accroître s’il

ne se consacrait qu’à un seul et même domaine. Ce phénomène, qui est une conséquence du manque

de moyens des petites structures, trouverait plus de logique dans le cas de la performance pour les

raisons que nous avons identifiées : rétroaction forte de la diffusion sur la production, gestion de

l’imprévisibilité du work in progress, réactivité à la commande improbable dans le cadre

événementiel.

Par ailleurs, la mise en commun des bureaux, des frais de bureautique, etc. Tout ce qui

concourt à réduire les coûts de production est bon à prendre.

Au terme de cette enquête, on voit mal comment les capacités de progression des compagnies

qu’il nous semble déceler pourraient faire l’impasse sur la structuration d’un travail administratif. Le

positionnement des artistes est singulier et inclassable. Leur intervention dans le champ économique du

secteur est d’autant plus complexe. Elle nécessite une expertise, des compétences et du temps.

43

III Les conditions de possibilité de la performance

Pour que la performance trouve les moyens de son financement, elle doit accepter les règles

du jeu qu’impose l’économie du spectacle vivant et plus particulièrement celle de la danse

contemporaine, mais également bien repérer à quel endroit elle peut faire entendre sa spécificité auprès

d’interlocuteurs qu’elle se doit de bien identifier.

Dans cette partie, nous allons oser esquisser des pistes de développement d’un pôle de

performances dansées dans la chaîne de valeur du spectacle vivant telles qu’elles se dégagent de

l’étude, en dessinant les grandes lignes d’une prochaine étape de la recherche. Le développement futur

d’une réflexion nécessitera entre autre une connaissance plus fine de l’administration du spectacle

vivant. Une étude approfondie des réseaux de diffusion nous permettrait de valider ou d’invalider ces

hypothèses.

3.1 Comment se faire reconnaître?

Il y a peu de vedette de la performance en France ­ à l'exception d’Orlan peut­être ­ où l'on

programme pourtant des performeurs célèbres étranger ­ Ivo Dimchev, par exemple. Quelques

collectifs accèdent à la notoriété comme Les chiens de Navarre, François Chaignaud et Cécilia

Bengolea. Pour exister sur le long terme et espérer une diffusion en dehors des rares lieux dédiés, le

performeur ou le collectif doit essayer se “faire un nom”. Comme le dit Patrick Germain­Thomas, « il y

a des artistes qu’on s’arrache et dont on va accepter les prix qu’ils demandent... et puis il y a des

compagnies qui, malheureusement, doivent accepter les conditions qu’on leur propose. » C’est un fait 33

marchand imparable lié à la construction sociale des jugements.

Quand nous savons que c’est un créateur aux talents éminents qui a réalisé l’œuvre, nous lui accordons plus d’attention, et nous discernons alors ce qui aurait échappé au regard plus rapide

33 Germain­Thomas, Patrick. La danse contemporaine, une révolution réussie? Manifeste pour une danse du présentet de l'avenir. Toulouse : Editions de l’attribut, 2012, p.105.

44

que nous portons sur une œuvre dont nous n’attendons rien de spécial.34

Les artistes performeurs plus que d’autres ont sans doute intérêt à soigner leur promotion, afin

d’en maîtriser l’image tout en apportant quelques repères à ceux qu’ils souhaitent séduire. Sans doute

faut­il bien adapter le vocabulaire pour éviter les confusions. Il n’est pas simple d’être repéré. La

saturation de l’information est une des manifestations du décalage permanent entre l’offre et la demande

dans le spectacle vivant. C’est sans doute pourquoi l’articulation entre un bon outil de présentation en

ligne et l’actualisation de l’information via les réseaux est d’une importance à ne pas négliger. Le réseau

informatique est un média en théorie à portée de tous à condition de savoir s’en servir.

Les compagnies commencent à bien comprendre que l’envoi en nombre aux diffuseurs de documents ou de plaquettes de présentation n’a plus guère de pertinence dans un contexte de surproduction, alors que la mise en œuvre d’un site Internet nourri et actualisé permet, à l’opposé, un accès facilité à des partenaires potentiels ou déjà rencontrés, pour une première exploration ou pour une information de complément. Ce nouvel outil participe à la capacité de se différencier à moindre coût, entre autres par rapport à une communication traditionnelle sur papier. Si le traditionnel press­book apparaît désormais plus comme un outil d’archivage que de véritable promotion, plus de la moitié des compagnies étudiées dispose d’un site Internet dédié. Mais la plupart de ces sites restent peu actifs, manque de temps et de compétences se conjuguant à nouveau pour freiner le développement de ce mode de communication et de mise en relation.35

On peut ajouter que l’Internet offre une visibilité directe vers l’ensemble des amateurs, qui

savent se repérer dans leurs champ de prédilection. Les artistes peuvent accroître ainsi leur notoriété

auprès du public spécialisé et se libérer de la seule médiation des diffuseurs.

L’augmentation de l’expertise du public pourrait progressivement former un contrepoids à l’hégémonie actuelle des diffuseurs et des tutelles en terme de choix et d’appréciation, réconciliant les notions de marché et de qualité artistique.36

34 Becker, Howard. Les mondes de l’art. Paris : Flammarion, 2012, p. 353.35 Urrutiaguer, Daniel, Henry, Philippe. (Page consultée le 23/11/2012). Territoire et ressources des compagnies enFrance, p.122.36 Germain­Thomas, Patrick. La danse contemporaine, une révolution réussie? Manifeste pour une danse du présentet de l'avenir. Toulouse : Editions de l’attribut, 2012, p.173.

45

3.2 Comment diversifier la production?

D’un point de vue purement économique, si la performance ne rentre pas complètement dans

le cadre de la danse contemporaine, elle peut en revanche faire appel en complément à des modes de

financements spécifiques, liés à ce décalage.

On vu rapidement que la transdisciplinarité permettait en théorie de faire appel à toutes sortes

de financeurs institutionnels, à condition d’aller frapper à toutes les portes. Pour les mêmes raisons, il

est sans doute possible de faire appel à des structures non­étatiques qui seraient plus sensibles au

caractère inédit. Le mécénat privé, souvent friand d’exclusivité, finance des installations liées aux arts

plastiques. Posséder une collection d’art contemporain confère une plus­value aux grandes fortunes

qui y trouvent également un avantage fiscal. Dans un cadre événementiel lié à la monstration d’une

collection, elles font appel à des performeurs, certes réputés et côtés. Mais ne peut­on imaginer

l’ouverture d’un second marché du mécénat, en prospectant du côté des entreprises ou des personnes

privées plus modestes. Car les petits aiment bien imiter les puissants.

D’autre part une forme de mécénat populaire se développe actuellement : le crowd funding,

qui consiste à rassembler les micro­financements, via les réseaux sociaux, pour des projets modestes,

contre une gratification proportionnée à l’effort consenti.

3.3 Soigner la diffusion

Face au nombre restreint de lieux­référence pour la diffusion en France et la quasi­absence de

programmateurs spécialisé en performance, on est conduit à se demander comment activer et

entretenir une chaîne de solidarité permettant au moins “de faire passer l’information” et activer un

bouche­à­oreille favorable. Les artistes ne progressent qu'en développant des réseaux de connivence.

D’autant qu’il est difficile de cartographier l’ensemble des partenaires potentiels, qui ne sont pas

46

constitués en réseau formel. Si l’information circule donc principalement de proche à proche à partir

des connaissances préalables, il est possible de se faire connaître néanmoins en étant programmé dans

les festivals. Des lieux de diffusion identifient des temps de programmation plus libres à l’intérieur de

saisons plus raisonnées, sans pour autant les inscrire dans le cadre de festivals mais ces derniers

constituent un réseau qui fait plus facilement place à la performance que les lieux contraints par une

logique d'abonnement pour un public qui veut savoir ce qu'il va voir.

Les festivals offrent on l’a vu à la fois des opportunités en terme de production mais surtout

permettent un visibilité auprès des réseaux, des prescripteurs. Or les plus prestigieux ne se situent pas

nécessairement sur le territoire national. L’artiste performeur au même titre que le chorégraphe a tout

intérêt à se situer dans une logique internationale, compte tenu des opportunités de programmation à

l’étranger.

3.4 Les atouts propres à la performance

La diffusion de la performance doit­elle rester confinée aux réseaux identifiés et spécialisés ?

La performance a une grande capacité de s’adapter aux différents lieux de la diffusion. C’est une

forme légère et ne nécessite généralement pas une grande fiche technique. La performance peut

s’adapter à des situations diverses avec un nombre variable de participants. La danse performative

peut très bien s’adapter à la commande dans le cadre d’un évènement local (inauguration d’une

médiathèque, ouverture de saison...). Encore faudrait­il que les diffuseurs occasionnels qui se

retrouvent confrontés à ce besoin ponctuel puissent avoir l’idée et avoir connaissance de l’existence

même des artistes. Sylvie Clidière raconte comment un public absolument improbable a très bien pu

rencontrer cet art sans avoir besoin pour autant de le nommer.

A Chamarande justement le fait qu’il y ait en parallèle une programmation d’arts plastiques et une programmation de danse donne une sorte de liberté sur les intersections et aussi parce que c’est un public non captif. Les programmations de danse sont seulement en juillet, tous les dimanches de juillet. Le public c’est à la fois les gens qui viennent pique­niquer le dimanche ou se balader dans un parc qui s’arrêtent ou ne s’arrêtent pas devant une performance dansée. Il y a des choses très performatives. Il y a une grande liberté de séquences de la programmation pendant tout un mois où le public est tellement libre de ses mouvements que le programmateur est aussi libre de sa programmation. C’est aussi la forme elle­même du cadre et le côté fluide

47

du public qui fait qu’il n’y a aucune capture. Mais ce n’est pas le cas pour tous les festivals. Par exemple, un festival qui dépend d’un service culturel municipal, c’est rarement très risqué.

Du fait de l’interdisciplinarité qu’elle met en jeu, du fait qu’elle construit un autre rapport au

public, la performance peut très bien rencontrer à terme une demande sociale que les diffuseurs seront

tôt ou tard obligés de prendre en compte. Les Nouveaux territoires de l'art, les friches, les lieux

atypiques, les squats témoignent d’une vitalité artistique contrastée mais réelle. Ils constituent déjà un

deuxième réseau, certes souvent sous­financé et qui en conséquence “paye mal”, mais ils sont observés

de près par les lieux plus conformes en panne parfois d’inspiration. Les artistes mêmes peuvent prendre

une part directe dans ce développement. Comme ils peuvent animer des festivals alternatifs.

Enfin, il faut prendre en compte que la demande sociale en matière d’action culturelle n’est pas

incompatible avec l’art performatif. Au contraire, pourrait­on dire, si l’on prend en compte son désir de

provoquer l’émotion à partir du contexte, du territoire, du public convié ou rencontré par hasard.

La capacité d’une compagnie à concevoir des dispositifs artistiques tenant compte de certains aspects de ces cultures vécues, de mettre en œuvre des dynamiques de production partagées et adaptables à chaque situation particulière d’échange constitue un enjeu désormais important. Elle s’illustre particulièrement dans la proposition par les compagnies de formes artistiques participatives ou conçues in situ, mais aussi d’ateliers en lien direct avec un travail de création ou encore de dispositifs d’action culturelle supports d’expériences artistiques pour les personnes (indépendamment du fait d’assister à des spectacles). Cette capacité est désormais complémentaire à celle impliquée par la simple production et diffusion de spectacles dans le mode traditionnel, c’est­à­dire où l’œuvre est conçue d’entrée de jeu sur une plus grande autonomie formelle et esthétique vis­à­vis de ses contextes potentiels de réception.37

Il faudrait évoquer aussi les hors­champs de l’art, en ces lieux où l’on n’est pas dans un

rapport consumériste. La revue Cassandre/Hors­champ s’est fait une spécialité de repérer et

valoriser ces expériences en hôpital psychiatrique, en prison, etc. Elle collecte de nombreux

témoignages qui laissent à penser que l’art de la performance, s’il peine à trouver sa place dans les

lieux dédiés, peut rencontrer une aspiration sociétale. Les artisans de cette revue devraient être

interrogés.

37 Urrutiaguer, Daniel, Henry, Philippe. (Page consultée le 23/11/2012). Territoire et ressources des compagnies enFrance, p.130.

48

3.5 Prendre le temps

Les résidences conventionnées de longue durée peuvent offrir un cadre à ce genre de travail

dans lequel l’artiste peut espérer un peu de stabilité, à défaut de lui garantir une permanence durable.

On a dit que ce type d’engagement n’a que peu à voir avec la résidence de création évoquée par notre

corpus. Souvent annuelles, fréquemment renouvelables et parfois pluriannuelles, ces résidences

supposent un engagement contractuel réciproque entre une structure artistique et un équipement ou une

collectivité. Il prévoit des financements (coproductions, pré achats), du temps pour la recherche, du

temps pour la création, des périodes de représentations. S’y ajoute la plupart du temps un volet

pédagogique ou un engagement quelconque sur le territoire et des actions en direction de la

population. Dans ce cadre général, dont bénéficient quelques équipes chorégraphiques sur le territoire,

il arrive qu’elles soient menées par des artistes bénéficiaires d’expériences en danse performative.

On nous a relaté par exemple le cas de la résidence du chorégraphe William Petit à La

Courneuve et nous conclurons par l’exposé rapide de son expérience, qui permet d’espérer.

Ce danseur alterne des créations scéniques et des projets de performance. Il témoigne d’une

grande faculté d’adaptation : à l’étranger, il choisit principalement de réaliser des performances ; en

France il assure des mises en scènes (il a même accepté une commande de l’Opéra de Toulon). Il est

aidé par sa Ville (Toulon), son département, sa région, la DRAC PACA... Et il a donc signé un

partenariat pour trois ans avec le Centre culturel de La Courneuve, en Seine­Saint­Denis. Là, il a pu

alterner les deux pratiques : créer des spectacles et inventer des occasions de performance, par

exemple en étant très réactif à la demande politique (une nuit de performance pour le 8 mars, Journée

internationale du droit des femmes) ou culturelle (improvisations dansées dans les quartiers ou pour

un pique­nique géant organisé par la municipalité dans son château à la campagne)... Chaque fois, il a

rencontré un public populaire sous le charme, dépaysé, ému, qui ne s’est jamais posé la question de

savoir qu’il assistait à une “performance” et n’avait peut­être même jamais entendu parlé de danse

contemporaine. Enfin, dans ce cadre relativement confortable auquel les artistes qui ne témoignent pas

d’une aussi grande souplesse auraient vraisemblablement difficilement accès, William Petit a ouvert ses

49

initiatives de danse performative à d’autres, offrant, pour un temps seulement, une fenêtre de

programmation originale à l'intérieur d’un cadre plus traditionnel.

50

Conclusion

Les artistes interrogés se situent dans le domaine de la performance, empruntant néanmoins la

démarche de l’économie de la danse contemporaine. Ils revendiquent le côté aléatoire, l’imprévisibilité,

la participation du public dans l’œuvre d’art et surtout la non­reproductibilité. La création et la diffusion

peuvent être dissociées d’une période assez longue ou, au contraire, se passer en même temps, par

exemple, dans le cas d’une performance créée lors d’une représentation. Ces aspects­là rendent fragile

l’œuvre qui rentre difficilement dans le cadre proposé par la chaîne de valeur du spectacle vivant.

Les artistes évoquent les difficultés à financer, produire et diffuser leurs projets. Les

compagnies, à l’exception de Simon Tanguy, ne travaillent pas avec un administrateur embauché à plein

temps. Le travail administratif a souvent un aspect artisanal. Certains côtés de la diffusion, tels que la

newsletter, les réseaux sociaux sont négligés. L’écriture du dossier est caractérisée par notre corpus

comme le plus compliqué et chronophage.

Notre enquête a révélé certains points paradoxaux. C’est avant tout le fait que la performance,

représentant une forme légère et facilement adaptable à diverses conditions de la représentation

demeure inconnue pour les programmateurs potentiels.

Etant donné l’aspect vague et flexible de la définition de l’art de la performance, on a constaté

sa faible théorisation, le déficit d’analyse économique qui s’y rattache.

Le réseau de diffusion de la performance n’est pas clairement constitué en France, alors qu’ils

sont mieux identifiés à l’étranger.

Le développement futur de cette question nécessitera une meilleure connaissance des réseaux

de diffusion.

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