les pratiques numÉriques des militants du parti dÉmocrate amÉricain et le maintien du contrÔle...

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LES PRATIQUES NUMÉRIQUES DES MILITANTS DU PARTI DÉMOCRATE AMÉRICAIN ET LE MAINTIEN DU CONTRÔLE DE SES ÉLITES Mémoire François Larouche Maîtrise en science politique Maître ès arts (M.A.) Québec, Canada © François Larouche, 2013

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LES PRATIQUES NUMÉRIQUES DESMILITANTS DU PARTI DÉMOCRATE

AMÉRICAIN ET LE MAINTIEN DUCONTRÔLE DE SES ÉLITES

Mémoire

François Larouche

Maîtrise en science politiqueMaître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

© François Larouche, 2013

Résumé

Plusieurs chercheurs ont constaté que les partis politiques utilisent désormais les

nouvelles technologies de l'information et des communications (NTIC) pour renouveler

la manière dont ils effectuent leurs opérations traditionnelles, comme les levées de fonds,

la mobilisation des militants, la captation des sympathisants et la coordination des

activités de militantisme. Certains chercheurs estiment que les NTIC favorisent

l'ouverture et la décentralisation, même si les partis politiques sont traditionnellement

centralisés et sous le contrôle d'une oligarchie. Dans la ville de New York, au sein du

milieu des militants démocrates, j'ai tenté d'appréhender comment les pratiques et les

usages technologiques interagissaient avec les forces et mécanismes internes du Parti

démocrate. À la suite de mon immersion et des rencontres avec des militants, j’ai constaté

que les potentiels et l'utilisation des NTIC semblent d'abord être structurés par les

contraintes relationnelles et les rapports de force en présence. Ensuite, il est apparu qu’un

ensemble de normes, de pratiques et de valeurs forment une microculture démocrate

structurant l'ensemble des pratiques militantes, où l'utilisation des nouvelles technologies

joue un rôle non négligeable. Au lieu de permettre une décentralisation et une

transparence organisationnelle, l’adaptation du Parti démocrate à une communication et

organisation numérique semble plutôt favoriser le maintien des élites en place.

iii

Abstract

Political parties are now using information and communications technologies (ICT) to

renew how they do their traditional operations, as fundraising, recruiting volunteers and

organizing activities. However, some research suggest that ICT will help to open and

decentralize organizations, even if political parties are traditionally centralized

organizations under the control of an oligarchy. In New York city, I interviewed

democratic volunteers and I tried to understand how the practices and the usages of ICT

interact with the forces and internal mechanisms of the Democratic Party. According to

my observations, I noticed that ICT's potentials seems to be first structured by relational

constraints and power relations. Furthermore, it seems that a democratic microculture,

bound by a set of standards, practices and values, is structuring activists practices within

the party, including a common ICT usage. Instead of being a force of organizational

decentralization and transparency, the adaptation to virtual communications and

organizing rather seems to maintain established elites.

v

Table des matières

Résumé............................................................................................................................... iiiAbstract ............................................................................................................................... vDictionnaire des acronymes................................................................................................ixRemerciements................................................................................................................. xiiiIntroduction..........................................................................................................................1Chapitre 1 – Revue de la littérature..................................................................................... 7

1.1 – Les potentialités du Web pour les partis politiques.................................................91.2 – Les fonctions des nouvelles technologies............................................................. 131.3 - La normalisation du Web et la prise en compte de logiques sociétales.................26

Chapitre 2 – Problématique et cadre conceptuel................................................................332.1 – Question de recherche...........................................................................................332.2 – Le Parti démocrate américain............................................................................... 392.3 - L’ascension de Barack Obama : le mythe de l’influence du Community Organizing......................................................................................................................422.4 - Facteurs sociaux et dynamiques internes des partis politiques..............................452.5 - L’utilisation des nouvelles technologies comme pratique culturelle.....................48

Chapitre 3 – Méthodologie................................................................................................ 513.1 – Approche méthodologique et originalité de la recherche.....................................513.2 – Méthodes de collecte dans une analyse empirico-inductive du fonctionnement interne du Parti démocrate............................................................................................. 553.3 - Ethnographie en milieu urbain : intégration et recherche de participants sur le terrain............................................................................................................................. 57

Chapitre 4 – Pratiques des militants et dynamiques intra-partis : les pratiques en ligne comme continuité de la vie militante................................................................................. 63

4.1 – L’utilisation intra-parti des nouvelles technologies.............................................. 644.2 – Les contraintes quotidiennes du milieu militant : démystifier la structuration de l'utilisation des nouvelles technologies..........................................................................714.3 – Organizing For America : de grassroots à establishment....................................100

Conclusion....................................................................................................................... 107Bibliographie....................................................................................................................113Annexe 1 – Schéma d’entrevue ...................................................................................... 134Annexe 2 – Profil sociologique des participants .............................................................136Annexe 3 – Structure hiérarchique d’Organizing For America ...................................... 140

vii

Dictionnaire des acronymes

ACRONYME SIGNIFICATION

CDA College Democrats of America

DCCC Democratic Congressional Campaign Committee

DLCC Democratic Legislative Campaign Committee

DNC Democratic National Commitee

DSCC Democratic Senatorial Campaign Committee

GOTV Get out the vote (sortie de vote électorale)

MyBO my.barackobama.com

NTIC Nouvelles Technologies de l'Information et des Communications

NTC Neighborhood Team Core

NTL Neighborhood Team Leader

OFA Dépendamment de la période historique : Organizing For America (2009-2011) / Obama For America (2007-2008, 2011-2012) / Organizing For Action (2013)

SMS Short Message Service

YDA Young Democrats of America

ix

À mes racines, à ma patrie.

À Nicole et à Marie-Élaine.

xi

Remerciements

Ce mémoire est le résultat d'efforts et de nombreux sacrifices personnels. Toutefois, il est

également le fruit de l'appui et du soutien de nombreuses personnes. Je tiens, d'abord, à

remercier Anne-Marie Gingras, une excellente guide et conseillère, pour sa passion, sa

rigueur, mais également pour avoir mis au défi mon intellect. À mes parents, merci pour

votre amour et votre aide dans les moments difficiles. J'ai toujours eu le sentiment que

vous aviez foi en ce que je faisais. C'est vous qui m'avez inculqué le désir du

dépassement et la soif de l'excellence.

Des remerciements bien mérités vont à Jade Simard et mes collègues académiques

Isabelle Bouchard et Jean-Philippe Marcoux-Fortier pour leur écoute, leur appui et leurs

bons conseils offerts tout au long de la réalisation de cette recherche. Un grand merci à

tous mes collègues de travail, et plus particulièrement à Jean Bouchard pour son

ouverture et sa patience à mon égard! Un merci du plus profond de mon cœur à

Marie-Élaine Dufour pour l'inspiration, les conseils et l'aide qu'elle m'a apportés après

tant d'années. Tout simplement, ce mémoire n'aurait pas été possible sans elle.

Je souhaite aussi exprimer ma gratitude aux personnes rencontrées à New York. Je pense

d'abord à Deborah Gaffaney pour son amitié et son support dans ce projet. Merci

également à Amy Miller, Sharon Reshef, Nikko Price et Hugo Corvin de m'avoir accepté

et accueilli dans leur milieu. Mille mercis à John Parizella, alors délégué du Québec à

New York, pour son temps, sa passion et la fine analyse politique qu'il m'a partagée. Pour

terminer, merci à toutes les personnes autour de moi qui ont contribué, de prêt ou de loin,

à ce mémoire.

xiii

Introduction

I think that like on my personal page I have thediscretion to put whatever I want out there. But when Iam working on a campaign I always try to, I reallyreflect well on the campaign. So, if there is an article thatI think shed the light on how well the president has doneon a certain issue, I will post that. […] So definitely, I dofeel that I'm totally in control of what I'm puting outthere, I don’t feel like I have to change anything, due tothe campaign (Alice, militante démocrate de New York,2011).

Au premier abord, en affirmant toujours représenter positivement son parti politique en

ligne, tout en n'adaptant pas ses commentaires pour autant, les propos d'Alice peuvent

sembler contradictoires. Néanmoins, ils dissimulent les raisons qui m’ont amené à faire

une maîtrise en science politique. Ces contradictions sont au cœur de l’utilisation des

nouvelles technologies de l’information et des communications (NTIC)1 par les militants2

politiques. Elles soulèvent également plusieurs questions. Est-ce que cette utilisation

change la joute politique? Plus particulièrement, est-ce que la simple utilisation des

nouvelles technologies chez les partis politiques peut mener à l’éclosion d’un mouvement

politique de masse tel que semblent le suggérer les campagnes électorales américaines

d’Howard Dean et de Barack Obama? Sinon, quel rôle jouent-elles?

Deux sources ont inspiré cette recherche, en plus de souligner que ces questions renvoient

à la nature même des organisations partisanes. La première est le livre de Pascal Robert,

Une théorie sociétale des TIC : penser les TIC entre approche critique et modélisation

conceptuelle (2009) et la seconde, l’article d’Anne-Marie Gingras, « La démocratie et les

nouvelles technologies de l’information et de la communication : illusions de la

démocratie directe et exigences de l’action collective » (1999b). Les deux ouvrages

s'inscrivent dans une approche critique et postulent que les NTIC doivent être

appréhendées à travers les multiples logiques sociétales sans omettre les mécanismes

1 J'ai choisi de conserver l'appellation « nouvelles technologies » parce qu'elle permet d'englober les innovations récentes d'Internet et des technologies médiatiques.2 Dans le présent ouvrage, un « sympathisant » représente l’électeur qui appuie ou vote pour une formationpolitique. En ce qui concerne le militant, il est un sympathisant qui s’implique activement pour uneformation politique. À la section 3.1, je précise qui sont les militants du Parti démocrate.

1

sociaux. Ces forces structurent l’utilisation des nouvelles technologies et la réalisation de

leurs potentiels et de leurs promesses.

Les travaux de Michels (1971) témoignent également du fait que les partis politiques sont

des environnements habités par de multiples forces et mécanismes sociaux. Par exemple,

c’est la direction d'un parti qui contrôle la gestion de son organisation et de ses relations

publiques. Selon l'auteur, tous les partis politiques sont progressivement accaparés par

une classe professionnelle dominante. Si une direction contrôle déjà le parti, elle

travaillera activement à maintenir cette position grâce au contrôle de l'information, à son

professionnalisme s'opposant à l'amateurisme des militants, à la vénération et à la volonté

des militants d'être dirigés par des leaders. Michels appelle cette tendance à former et

maintenir des classes dominantes la « loi d'airain de l'oligarchie » (1971 : 349, 364-365).

Toutefois, même si la direction dispose de plusieurs moyens pour affirmer son autorité,

les partis politiques peuvent difficilement se passer d’une main-d'œuvre électorale. Ayant

accès à une technologie facilitant la communication et favorisant la transparence ainsi

que l’autonomie de l’action politique, les partis doivent désormais jongler avec l’envie de

profiter de ces avantages tout en cherchant à maintenir le contrôle de leur organisation.

L'expression en ligne des conflits et de la dissension intra-parti est également possible.

Est-ce que le potentiel de décentralisation des nouvelles technologies affecte l’autorité

des directions des partis politiques? Comment un parti politique peut-il bâtir un

mouvement politique par le biais de ces nouvelles technologies sans perdre le contrôle de

ses opérations?

Dans The Politics of Cyberspace, Resnick (1998) propose des éléments de réponse. Dans

son chapitre « Politics on the internet: The normalization of cyberspace », il remet en

question l'idée selon laquelle le Web améliorera les conditions de la compétition

démocratique, c'est-à-dire partisane. Selon sa théorie de la normalisation, l’utilisation

d’Internet ne suffirait pas – à elle seule – à altérer les rapports de force de la société et les

structures de pouvoir. C'est en fait le Web qui est altéré par les rapports de force en

présence. Maintes fois cité dans la littérature, Davis (1999) appuie l’idée de Resnick dans

son livre The Web Of Politics : The Internet’s Impact on the American Political System.

2

Selon l'auteur, c'est le système politique américain qui aura un impact sur Internet et non

l'inverse. Ainsi, le Web sera normalisé et réutilisé par les acteurs dominants puisque ces

acteurs établis ont la volonté, les ressources financières et les ressources humaines

nécessaires pour développer sur le Web une structure et un contenu crédible et familier

les favorisant. Davis ne nie pas l’existence de joueurs alternatifs hors ligne, comme en

ligne. Il doute simplement qu’ils auront un impact significatif :

Ce débat n’assume pas que toutes les informations seront contrôlées à travers lastructure établie par ces forces. Ce n’est même pas vrai aujourd’hui dans le mondehors ligne. N’importe quel individu ou groupe peut publier un bulletin électroniqueou un magazine, développer leur propre liste de courriels, et ainsi, rejoindre deslecteurs. Internet […] facilite cette activité. Cela ne changera pas. Le débat porteplutôt sur le fait que les forces qui dominent actuellement la livraison des nouvellespolitiques, qui éclipsent les efforts des indépendants, vont aussi le faire sur Internet(1999 : 5).3

En ce sens, il n’est pas certain qu'Internet soit l'outil égalisant que certains attendaient.

Prenant l'exemple des groupes d'intérêts, Davis (1999 : 82) rapporte que plus le budget

d’un acteur sera grand, plus son site Web sera fonctionnel, professionnel et

convenablement maintenu. À ce propos, Latimer (2009) appuie Davis en indiquant que la

crédibilité des acteurs connus (mainstream) (Carlson et Djupsund 2001; Gibson et Ward

2003) et l'importance de l'argent dans le développement Web (Margolis et al. 2003)

tendent à expliquer les différences entre l'apparence et les fonctionnalités des sites Web

des candidats politiques de premier plan et de second plan.

Alors, peut-on s'attendre à ce qu'Internet favorise l’émergence d'une masse de militants

semblable à un mouvement social? Davis (1999) conclut son chapitre sur les campagnes

électorales en se demandant si les électeurs prendront une place plus importante dans le

processus électoral. Davis prédit qu’il y aura une plus grande interactivité entre les

candidats et les électeurs, tout en précisant que cela n’influencera cependant pas la

relation de pouvoir lors des élections. Puisque l’intérêt de la population pour les

campagnes électorales ne sera pas plus grand grâce à l’idée de communiquer directement

avec un candidat, ce seront les électeurs déjà intéressés à la politique qui en bénéficieront

le plus au détriment des autres (Albert 2009; Best et Krueger 2005) :

3 Traduction libre à partir de l'ouvrage.

3

Les principaux bénéficiaires parmi l’électorat seront ceux déjà intéressés à lapolitique. Ils auront plus d’informations sur les candidats et les campagnes.Cependant, le reste de l’électorat et ceux qui n’en font pas partie n’en profiterontprobablement pas puisqu’ils ne visitent pas ces sites fréquemment, sinonjamais (Davis, 1999 : 119).4

Pour Gingras (1999b, 2003), les potentiels du Web ne se matérialisent pas du seul fait

que les conditions technologiques sont présentes. L'analyse des NTIC ne peut pas

uniquement porter sur l'identification de potentialités répondant à des problématiques

sociales complexes, telle que l'amélioration de la démocratie. Les potentiels des nouvelles

technologies sont adaptés selon les rapports de force et les processus sociaux du monde

réel. Puisque le Web est construit et opéré par des humains, il fait partie de l'équation

sociale. C'est donc un appel au retour de la prise en compte des logiques sociétales,

comme les logiques techniques, économiques, politiques et sociales (Gingras 1999a :

256). Cette approche, qui englobe la politique en général, s'applique donc également aux

partis politiques.

Vedel (1994, 2003a, 2003b) abonde dans le même sens en suggérant de fuir le

déterminisme spéculant sur l'influence des NTIC en politique et de se tourner plutôt vers

une approche en termes de potentialités et de pratiques qui modèlent la technologie

(Vedel 2003a). Conséquemment, l'utilisation des nouvelles technologies au sein des partis

doit être analysée en tant que réseaux socio-techniques (Bijker 1995; Foot et Schneider

2006; McKenzie et Wajcman 1999; Vedel 1994). Les partis politiques ne sont pas des

objets ou des acteurs unitaires. Ils seront plutôt vus à travers le modèle « d'arène intra-

parti », c'est-à-dire comme des organisations à multiples composantes (Gibson et Ward

1999 : 342-343).

Afin de mieux comprendre le rôle des nouvelles technologies dans la distribution du

pouvoir au sein des partis politiques, j’explorerai son utilisation par les militants à

l’intérieur du Parti démocrate américain de la région de New York. Mon étude s'inscrit

donc dans la foulée des travaux qui ont intégré le milieu partisan pour tenter de

comprendre les actions et la subjectivité des acteurs, ainsi que les normes internes des4 Traduction libre à partir de l'ouvrage.

4

partis. Une approche ethnographique ancrée dans le paradigme qualitatif a été

sélectionnée afin de répondre à la question de recherche qui oriente l’ensemble de ce

mémoire : En considérant la tension entre la nature centralisée des partis et le

potentiel de décentralisation des nouvelles technologies, peut-on penser que les

nouvelles technologies vont défier avec succès la « loi d'airain de l'oligarchie »?

Dans cette recherche, je compte décrire et comprendre la place qu’occupent les nouvelles

technologies dans l’expérience des militants démocrates. En premier lieu, une revue de

littérature sera mobilisée afin de décrire l’éventail des outils technologiques utilisé chez

les partis politiques. La section suivante explicitera la problématique de recherche ainsi

que les différents concepts utilisés. Le cadre conceptuel permettra donc de mettre en

contexte les fondements sociaux, culturels et politiques de cette utilisation des nouvelles

technologies. Finalement, les résultats seront présentés et commentés dans le dernier

chapitre. Il portera, d’une part, sur l’utilisation interne des nouvelles technologies au Parti

démocrate et, d’autre part, exposera comment les contraintes vécues quotidiennement par

les militants s’inscrivent dans une structuration des potentiels technologiques.

5

Chapitre 1 – Revue de la littérature

En 1991, le sénateur démocrate Al Gore déposa le « Gore Bill »5 ayant pour objectifs de

créer des emplois, d’améliorer les services publics, mais surtout d’instaurer une

démocratie plus ouverte et plus participative grâce au développement d'une infrastructure

nationale d'information (Bibliothèque du Congrès des États-Unis : consulté le 7 décembre

2013, http://thomas.loc.gov/cgi-bin/bdquery/z?d102:S272:). Les espoirs suscités par les

nouvelles technologies de l'information et des communications (NTIC)6, dont fait partie

Internet, ne semblent pas s'arrêter aux régimes démocratiques. L'un des mécanismes

fondamentaux du régime démocratique, les partis politiques, y serait également «

réinventés » (Scola 2011). D’ailleurs, Blanc et Seraiocco (2010), conseillères en

commerce électronique et marketing Web, invitent les partis politiques à se restructurer et

à s'ouvrir à ce qu'elles estiment être la volonté populaire par l'utilisation des NTIC. Selon

elles, les partis doivent prendre en compte les discussions communiquées à travers le

Web dans leur processus de gestion et de prise de décision. En réalité, que se passe-t-il

chez les partis politiques? Devant cet univers technologique qui évolue si rapidement7,

que sait-on de l’utilisation du Web chez les partis politiques? Tout comme Blanc et

Seraiocco, plusieurs praticiens de la communication Web ont tenté de répondre à ces

questions.

Pour Trippi (2004), ancien directeur de la campagne présidentielle du démocrate Howard

Dean, Internet est « une chance pour les gens de ne pas simplement voter, mais d’être

engagés à nouveau, de rédiger l’agenda [politique] et de contribuer à l’organisation,

d’influencer davantage que des chiffres »8 (Trippi 2004 : 20). Trippi argue que le peuple

(the people) se réintroduira dans l'espace politique, monopolisé trop longtemps par le

discours télévisuel et par une élite politique trop proche des intérêts des grandes

5 Le sénateur Gore deviendra plus tard vice-président des États-Unis de 1993 à 2001.6 Dans la présente recherche, j’utilise l’expression « nouvelles technologies » et NTIC pour représenterl’ensemble des technologies permettant le traitement et la transmission des informations, notamment lesordinateurs, l'Internet et télécommunications.7 Pensons à MySpace qui fut surclassé en nombre d'utilisateurs par Facebook, ou encore aux forums et auxservices de clavardage dit « clients à clients » comme mIRC qui ne sont plus des outils largement utiliséssur la Toile.8 Traduction libre.

7

entreprises. Dans un autre ordre d'idées, le praticien raconte dans son livre « The

Revolution Will Not Be Televised » comment il a pris conscience d'une potentialité

d'Internet. Pendant une entrevue à la radio de son candidat, Trippi fut informé que les

dons faits à la campagne étaient en train d'exploser au même moment. Aussitôt l'entrevue

terminée, le rythme des dons revint à la normale. Il n'en fallut pas plus à Trippi pour saisir

que ce qui avait « fait sauter la banque », c'était les auditeurs, motivés par l'entrevue, qui

effectuèrent des dons par Internet.

Dans sa description des opérations chez Obama, McGregor (2009 : 69-72) décrit

comment le financement par Internet faisait partie de la communication routinière avec

les sympathisants alors que ces derniers recevaient de nombreux courriels les invitant à

donner 5, 10 ou 20 dollars et que la campagne leur offrait les outils Web pour monter leur

propre campagne de financement personnelle. Ferrand (2009 : 5-6), quant à lui, est

catégorique à ce sujet : les dons représentaient le premier niveau d'implication dans la

campagne. L'organisation tenait ensuite ces donateurs informés sur les activités à venir et

les invitait à approfondir leur implication en « descendant » sur le terrain.

Les partis utilisent donc les nouvelles technologies afin de profiter des promesses liées à

leur potentiel. Selon O'Reilly (2005 : 247), ils le font grâce à un ensemble d'outils Web

qui forme une « architecture de participation » capable de partager de l'information, bâtir

des réseaux sociaux - dans le sens de liaisons sociales et non des sites Web comme

Facebook9 - et de permettre une véritable interaction. Au cœur de cette architecture, on

retrouve les philosophies d'une participation et d'une co-production en ligne que l'on

nomme le « Web 2.0 ». Pour Christiansen et Roberts (2009), l'opérationnalisation de cette

vision participative a eu comme conséquence lors de la première campagne de Barack

Obama d'établir le « nouveau modèle d'armée » politique. À ce sujet, Ferrand ajoute :

[Il] ne s'agit plus d'une campagne politique traditionnelle, de conviction desélecteurs, mais d'une campagne visant à créer un mouvement, une campagne demobilisation. [...] Plus de 10 millions de personnes ont participé à la campagned'Obama. 3 millions ont fait des donations. 1.2 millions ont milité sur le terrain. Du

9 Dans le présent mémoire, j'utilise l'expression « médias sociaux » pour désigner les sites Web commeFacebook, Twitter et Linked In. Les « médias sociaux » sont donc distincts du concept sociologique des« réseaux sociaux » (« networks »).

8

jamais vu. Barack Obama a créé un immense mouvement, une communauté Obama(2009 : 2).

Les praticiens promettent donc que l'utilisation des NTIC permettra aux partis politiques

de considérer davantage la volonté populaire, de bâtir une base militante et d'amasser des

fonds. Est-ce que ces promesses sont réalisées ou non selon les chercheurs? Que peut-on

retenir de la littérature académique sur l'utilisation du Web dans la communication et

l'organisation des partis politiques? Dans le chapitre suivant, je ferai un tour d’horizon

(cf. 1.1) des potentiels qui s'offrent aux partis, (cf. 1.2) des fonctions remplies par les

nouveaux outils Web chez les partis et, plus fondamentalement, (cf. 1.3) de la manière

dont cette utilisation du Web est adaptée au sein des partis politiques.

1.1 – Les potentialités du Web pour les partis politiques

La littérature académique sur les relations entre Internet et la politique était déjà

abondante dans les années 1990. Basées sur une utilisation qui en était à ses premiers

balbutiements, des visions largement différentes s'entrechoquaient et inspiraient tout un

éventail de souhaits et de craintes. En d'autres termes, des possibilités s'ouvraient au

monde politique. C'est dans un contexte d’expérimentation qu'une littérature étudiant les

potentialités d'Internet s'est vite développée. En effet, cette première littérature est

largement fondée sur le fonctionnement technique d'Internet. Par sa nature même, le Web

est structurellement bidirectionnel. Tout ordinateur qui se connecte à un réseau peut ainsi

émettre des paquets10 d'informations à une adresse spécifique sur ce réseau, mais il peut

également recevoir des paquets des autres ordinateurs. Cet aspect n'est pas négligeable

alors qu'il est caractérisé par la fin du monopole d'émission des médias traditionnels et

par le contrôle de l'opérateur, c'est-à-dire que l'individu qui utilise un ordinateur consulte

une donnée souhaitée et qu'il peut arrêter un échange d'information quand bon lui

semble (Minh Duc 2005).

À ces fondements s'ajoutent plusieurs fonctionnalités virtuelles telles que

les automatisations (les processus11 de sauvegarde ou de surveillance), l'entreposage dans

des bases de données, le filtrage de l'information et l'exécution de requêtes et de fonctions10 Notion d’informatique. Le paquet est l’entité de transmission de la couche réseau.

9

complexes en relativement peu de temps (Vedel 2003a; Minh Duc 1999). Ces possibilités

techniques ont d'ailleurs été scrutées par les chercheurs. Dans Citoyens sous

surveillance : La face cachée d'Internet, Fortier (2012) appréhende une société davantage

contrôlée par le gouvernement, les employeurs et les médias. Ceux-ci useront des

capacités techniques d’Internet pour compromettre notre vie privée par la surveillance et

le contrôle de l’information.

En fait, toute une littérature « technophobe » se fonde sur l’idée qu’Internet a le potentiel

d’instaurer « Big Brother », cette représentation orwellienne d’un gouvernement qui sait

et qui contrôle absolument tout, notamment par l’automatisation des sauvegardes et la

puissance de traitement des ordinateurs. Selon cette école, ce contrôle entraverait, voire

étoufferait complètement, la capacité qu'ont les citoyens de s'informer et de penser

rationnellement (Gandy Jr 1993; Lyon 1994; Virillio 1996). Par ailleurs, Sunstein (2001,

2005) avance qu’une utilisation d’Internet en vase clos (egocentric Internet use) est

néfaste pour la délibération et la démocratie. Tout en poursuivant dans la lignée de cette

représentation technophobique du Web, on peut se demander quels rôles joueraient les

partis politiques quant à la surveillance et au contrôle de l’information? S'effaceront-ils

pour fusionner avec le gouvernement en un seul parti officiel? L'expérience chinoise

symbolise justement la possibilité que l'État et « le Parti » ne fassent qu'un pour limiter la

libre circulation de l’information et l’accès à Internet (Haski 2008).

D’autre part, une école plus positive ajoute sa voix à cette sombre vision : les

« technophiles ». Pour les tenants de cette école, les développeurs12 Web peuvent trouver

des moyens d’améliorer la démocratie et le fonctionnement des gouvernements par la

création de sites ou d’applications Web13. Cette prémisse annonce l'arrivée du « e-

gouvernement » : le gouvernement utiliserait les NTIC afin d’instaurer une démocratie

11 En programmation, un processus représente du code s'exécutant sur un ordinateur et ne retournant aucunrésultat. Le processus est parfois utilisé en tant que synonyme de fichier exécutable. Elle se différencie ainside la "fonction" qui elle retourne toujours un résultat.12 Titre professionnel englobant ceux qui construisent les sites Web de logiciels, c’est-à-dire lesprogrammeurs, analystes, graphistes, intégrateurs et architectes.13 Les applications Web sont des outils très complexes, tels que des systèmes de gestion de base de données,des médias sociaux, des wikis, des messageries Web et des extranets, mais demeurent techniquement unensemble de pages Web. Elles sont donc aussi des sites Web.

10

directe, plus ouverte, favorisant l'engagement et dirigeant l'État selon les résultats de

sondages électroniques récurrents (Krip 1992; Levy 2002; Melucci 1996). Par

conséquent, les partis politiques, les groupes d'intérêts et les autres agrégateurs sociaux

disparaîtraient, n’ayant plus de raisons d'être (Fishkin 1991 : 13-19). Au cœur de cette

nouvelle démocratie, les auteurs technophiles annoncent une politisation constante issue

d'une implication continue des citoyens à travers le Web.

Nous avons vu précédemment que, selon l'ancien directeur de la campagne présidentielle

du démocrate Howard Dean, Internet permettra aux citoyens d'influencer la gestion et la

direction de leur gouvernement (Trippi 2004 : 20). Ce discours s'apparente à celui de la

« théorie de l'égalisation » selon laquelle Internet aurait, grâce à des coûts relativement

peu élevés de communication et de participation, un effet de levier sur les petits acteurs

en leur offrant, entre autres, une plus grande visibilité. L'égalisation amènerait une

restructuration des rapports de force au sein de la société qui diminuerait l'importance des

élites et des acteurs dominants (Browning 1996; Bollier et Firestone 1996; Corrado et

Firestone 1996 : 13; Grossman 1995 : 16; Jones 1995; Porter 1997; Poster

1995; Rheingold 1991 : 6, 1993 : 57-80). Ce processus d'égalisation concernerait

également les partis, car le coût des campagnes en ligne est bas et le potentiel de diffusion

du message est grand. En plus d'outrepasser le filtre des médias traditionnels, l'utilisation

d'Internet rongerait peu à peu l'influence des groupes d'intérêts et des élites politiques

actuelles, ce qui pourrait égaliser les forces entre les petits et les grands partis. (Barber

2001; Corrado et Firestone 1996; Hagen et Mayer 2000; Rheingold 2000)

Pour Gibson (2012), l'utilisation des nouvelles technologies a d'ailleurs une place dans la

confrontation des élites. En favorisant une décentralisation, ces technologies défient les

hiérarchies traditionnelles de contrôle qui ont caractérisé les campagnes électorales

américaines et les partis centralisés (ibid. : 79). Cette confrontation s'illustre également

dans les campagnes d'Howard Dean, Ségolène Royal et Barack Obama, tous des

candidats qui se sont présentés contre l'establishment de leur parti. Lefebvre (2008) argue

que Royal a su court-circuiter le PS en se bâtissant un capital de reconnaissance

médiatique entre autres par sa présence sur Internet. Sa campagne participative réalisée

11

en ligne lui a conféré une autorité et un appui populaire dans les sondages « qu'elle est

parvenue ensuite à convertir en soutiens internes lors de la primaire socialiste » (ibid. :

165). Pour l'auteur, sa victoire aux primaires a été celle d'une « outsider » sur

l'establishment socialiste. Les nouvelles technologies pourraient donc avoir un effet

égalisant au sein même des partis politiques, alors que tous les candidats à un poste

électif auraient une chance de remporter la course.

D'autres chercheurs, se distanciant des « technophiles », estiment que le potentiel

d'Internet chez les partis est plus modeste. En résumé, les changements apportés par

l'utilisation du Web se limiteraient aux pratiques des partis (Dahlgren 2009; Farrell 1997).

Plusieurs arguent qu'il en serait ainsi parce qu'Internet ajoute de nouvelles ressources

pour bâtir et opérer une campagne électorale traditionnelle (Best et Krueger

2005; Bimber 2000; Kling 1999; Kiesler et al. 2000; Bimber 1999; Delli Carpini 2000).

Selon eux, le Web a le potentiel de faciliter à la fois l'organisation et la communication

politique. Par exemple, il est possible de faire des dons par ce nouveau médium de

communication. Or, l'addition des petits dons faits par Internet peut rapidement s'avérer

significative comparativement aux dons recueillis dans les grands banquets de

financement. Les militants peuvent lancer leurs propres campagnes de financement

locales par Internet. Le potentiel de la responsabilisation (empowerment) se dévoile ici.

Parce que les outils pour mobiliser et amasser des dons sont à sa disposition, tout

sympathisant peut alors potentiellement devenir un militant à travers le Web.

Du côté de la communication, le Web offre la possibilité d'améliorer les relations à deux

niveaux : 1) entre le parti et les citoyens en assurant une meilleure représentativité de

leurs intérêts, mais aussi; 2) entre le parti et les membres de son organisation, car

l'engagement militant et les échanges entre les responsables internes favoriseraient la

prise en compte des idées de la base militante par l'establishment. Une telle redéfinition

des relations représenterait un bris de la gestion traditionnelle du « haut vers le bas »

(Anstead et Straw 2009; Johnson 2011). Cependant, cette participation peut également

être risquée pour les partis. En effet, les adversaires politiques chercheront à nuire aux

efforts du parti dans l’espace virtuel et la diffusion d’une information par Internet peut

12

rapidement devenir virale14. Par conséquent, la crainte que des informations

dommageables, des rumeurs ou des faux pas soient diffusés sur Internet fait également

partie des risques à considérer chez les partis politiques en termes de communications

(ibid.).

Dans un autre ordre d'idées, plusieurs chercheurs se sont penchés sur le potentiel de la

mobilisation par Internet. Quel impact a l'utilisation du Web sur la participation, le

recrutement de militants et sur le taux de vote des électeurs? Quelques auteurs affirment

que l'utilisation des nouvelles technologies par les partis politiques favorise la

participation. La simple présentation d'un site Web ergonomique, facile d'utilisation et

conforme à ce que les utilisateurs souhaitent favoriserait l'engagement des citoyens

(Coleman, Lieber et al. 2008). Pour Hindman (2005), le groupe de militants de Dean

« aurait été sensiblement plus petit » (ibid. : 126) sans l'utilisation d'Internet pour les

mobiliser. De leur côté, Gibson et McAllister (2006, 2011) concluent que les partis

australiens ayant des sites Web ont de plus grandes parts de votes que ceux qui n'en ont

pas. D'Alessio (1997) arrive à une conclusion similaire avec les partis américains.

Néanmoins, la plupart des auteurs sont sceptiques face à un effet d'Internet sur la

mobilisation des électeurs. Par exemple, Bimber et Davis (2003) n'ont pu trouver de

preuves de l’existence d'un tel effet. En résumé, la plupart des recherches sur l'effet de la

participation en ligne ne constate pas d'augmentation du nombre de citoyens engagés

(Gibson 2012 : 81). Selon Gibson, « les études ne réussissent pas à confirmer la présence

d'un effet direct » (ibid.) pour le moment et se tournent plutôt vers les limitations

méthodologiques que soulève une telle question.

1.2 – Les fonctions des nouvelles technologies

Les potentiels du Web en politique, et plus particulièrement chez les partis politiques,

représentent à la fois de grandes espérances et de multiples écueils démocratiques. La

question demeure; est-ce que la littérature relève que ces potentiels se concrétisent chez

14 L'appellation « virale » rappelle un contenu distribué comme un virus passant de porteur à porteur, ouencore comme la distribution d'une rumeur de bouche à oreille. Par exemple, une vidéo virale est une vidéodevenue populaire par le partage via Internet, typiquement à travers les médias sociaux et l'échange decourriels.

13

les partis? Or, toute une littérature s'est développée autour de la description de l'utilisation

des NTIC chez les partis, les candidats et les élus politiques. Ces recherches révèlent que

le Web est plutôt utilisé pour faire de la politique partisane traditionnelle d'une nouvelle

manière. En effet, les fonctions des partis (Gunther et Diamond 2001 : 7-9; Hudon et

Poirier 2008 : 263) telles que la communication, la mobilisation, la gestion des membres

et la direction de campagnes électorales sont renouvelées par l'utilisation du Web.

D'ailleurs, après être devenu la norme sur le Web aux débuts des années 2000 (O'Reilly

2005), les partis politiques ont aussi expérimenté à leur tour le Web 2.0. Parmi les

exemples les plus cités d'une utilisation du Web 2.0 se trouvent la campagne

présidentielle française de Ségolène Royal (Beauvallent 2007; Dolez et Laurent 2007),

les campagnes présidentielles américaines de John McCain en 2000 (Smith 2009),

d'Howard Dean en 2004 (Kreiss 2009) et de Barack Obama en 2008 (Anstead et Straw

2009; Johnson 2011). En ce qui à trait à ce dernier, Stromer-Galley (2009) souligne que

les normes du Web 2.0 y furent utilisées pour « impliquer les électeurs potentiels à travers

des vidéos viraux, les sites des médias sociaux, les blogues, le microblogging [(Twitter)]

et les textos » (2009 : 50). Cela s'inscrit dans la philosophie 2.0 puisque le Web 2.0 est

fondé sur la participation des internautes à travers la création de contenu en ligne,

l'échange et la décentralisation organisationnelle. Barsky abonde dans le même sens en

ajoutant que le Web 2.0 est également synonyme de démocratisation de l'information

(2006 : 33). Par ailleurs, cette participation dans les échanges de l'espace public soulève

des questions politiques :

Web 2.0 is about interacting with Web-based content, adding comments, or uploadingfiles. The user experience is no longer the preserve of the Web site designer, but eachvisitor is able, due to the architecture of participation that provides the space forpublic contributions, to have shared ownership over the evolution of a site. Thisimplies a change in power structures and a shift in organizational thinking towardsmodels based on equal partnership rather than elite dominance (Jackson et Lilleker2009 : 232).

Afin de bénéficier des avantages de la participation des électeurs, les campagnes

électorales devraient toutefois cesser de tenter de contrôler leur communication et

redéfinir le rôle qu'ils ont dans la construction de leur message politique :

The result for campaigns is a delicate balancing act between guiding the message and surrendering to the message constructed about them. When done effectively,

14

it can lead to increased fundraising, name recognition and, most importantly,votes (Stromer-Galley 2009 : 50).

D'ailleurs, une abondante littérature académique sur l'utilisation des blogues, des médias

sociaux, de vidéos viraux, de publicités en ligne et de courriels ciblés chez les partis

politiques forge la conception partagée que la communication en ligne est un nouveau

standard pour les partis (Anstead et Straw 2009; Bimber et Davis 2003; Clayton 2010;

Foot et Schneider 2006; Grönlund 2001; Heinderyckx 2011; Johnson 2011; Kes-Erkul et

Erkul 2009; Norris 2001; Serfaty 2009, 2006); et non pas seulement aux États-Unis (Han

2007; Jackson et Lilleker 2009; Karan et al. 2009; Kluver 2007; Schweitzer 2011). On

peut donc structurer l’apport des nouvelles technologies chez les partis en 5 grandes

fonctions : 1) servir de vitrine et contacter un large public, 2) transformer des électeurs en

sympathisants, 3) recruter des militants, 4) diminuer les coûts d’organisation et de

coordination et 5) lever des fonds.

1.2.1 – Servir de vitrine et contacter un large public

Les nouvelles technologies servent désormais à assurer et augmenter la visibilité des

partis politiques. Notamment, les blogues politiques font partie de ce nouveau standard

(Snow 2010 : 67 ; voir également : Bimber et Davis 2003; Blood 2000; Davis, 1999;

Grönlund 2001; Kluver 2007; Serfaty 2004; Winer 2002). Ils sont utilisés à la fois en tant

que plateforme officielle et comme outil d'expression chez les militants. D'abord, les

blogues constituent pour les électeurs une nouvelle source d'information beaucoup plus

divertissante et attirante que les médias traditionnels par leur ton personnel et informel.

Ils servent autant à diffuser un message qu'à amasser des fonds pour un candidat ou un

parti. Du côté de la politique américaine, le premier blogue officiel pour une campagne

présidentielle fut celui d'Howard Dean en 2003 (Serfaty 2006 : 29). L'année suivante,

Kerry et Bush renouvelèrent l'expérience lors de leur duel pour la présidence américaine

(Johnson 2011). En ce qui concerne l'ancien gouverneur du Vermont, Serfaty explique

que :

[Sous] l’influence de Joe Trippi, le directeur de campagne [...], le blog officiel étaitalimenté en partie par le comité directeur, qui y contribuait directement de façonoccasionnelle, au lieu de laisser la plume uniquement à des bénévoles ou à desprofessionnels de la communication (2006 : 29).

15

Toujours d'après cet auteur, l'exploitation d'un format de communication plus personnel

combinée à l'interaction possible entre les véritables responsables et les sympathisants a

suscité l'enthousiasme d'une jeunesse connectée qui s'est impliquée dans la campagne de

Dean. Ensuite, les blogues créés par les militants ont augmenté la visibilité de leur

candidat en y exprimant leur support. Ces blogues personnels ont également attiré

l’attention des médias nationaux (Serfaty 2006; Foot et Schneider 2006; Sifry 2004).

Beaucoup d’internautes sans lien avec les partis tiennent également un blogue où ils

s'expriment sur les enjeux politiques et l'actualité (Blood 2000; Serfaty 2004; Winer

2002). Dans ce contexte, le blogue mêle « le personnel et le politique, puisque les

descriptions d’évènements privés y côtoient des mots d’ordre de mobilisation et des

prises de position partisanes » (Serfaty 2006 : 29).

Si Serfaty énonce la décentralisation de la communication et donc l'absence d'une « voix

narrative clairement reconnaissable » chez les blogueurs de Dean, la campagne de

l'ancien sénateur de l'Illinois, Barack Obama, a remédié à cette situation. À ce sujet, Kes-

Erkul décrit bien la place des blogues dans la stratégie Web de la campagne de 2008

(2009 : 10). Le site officiel d’Obama permettait à un sympathisant de profiter d'outils en

ligne pour participer à la campagne, tels que la création d'un blogue personnel. De cette

manière, les blogues des militants générèrent beaucoup de trafic sur le site d'Obama tout

en transmettant un message cohérent avec celui du candidat (Kes-Erkul 2009 : 14; Shakir

2009 : 59-63).

En France, la candidature présidentielle de Ségolène Royal misa sur une « campagne

participative » à travers son site Internet « Désirs d’avenir ». Se révélant un succès

participatif avec la publication de 90 000 argumentaires par ses utilisateurs, le dispositif

favorisa l’avènement d’une foule de blogues rebaptisée la « Ségo-sphère » (Beauvallent

2007; Dolez et Laurent 2007). Ces derniers servirent de relais aux positions, articles et

informations concernant Royal. Selon Dolez et Laurent (2007), cette effervescence a

« permis à la candidate socialiste de créer en ligne un réseau de soutien et de pallier le

manque d’appuis dont elle disposait » (ibid. : 28) au sein du Parti socialiste.

16

Une autre innovation chez les partis politiques est l'utilisation répandue des médias

sociaux. Les partis et les candidats créent des profils dans les médias sociaux comme

Facebook afin d'entrer en contact avec les utilisateurs et d'y transmettre de l'information

sur leurs opérations, leurs positions idéologiques et leurs promesses électorales (Anstead

et Straw 2009; Clayton 2010; Ferrand 2009; Heinderyckx 2011; Johnson 2011; Kes-Erkul

et Erkul 2009; Serfaty 2006, 2009). Ces informations politiques prennent la forme de

notes, d'images, de vidéos, de billets de blogue, de biographies et côtoient des

informations personnelles telles que les dates d'anniversaire, le statut civil et la liste des

films préférés.

Néanmoins, les nouveaux médias n'échappent pas aux techniques traditionnelles de

communication politique, notamment le partage de lignes préfabriquées (le spin) et le

contrôle des communications (Foot et Schneider 2006). À ce propos, les sociologues

américains Sandy et Schutz (2011) décrivent la communication de la première campagne

présidentielle d'Obama comme étant de « haut en bas » :

By necessity the campaign seems to have largely treated supporters in the aggregate.Certainly there was no use of social networking technology to actively encouragesomething more like independent « organizing » (Schutz et Sandy 2011 : 122).

Nouveau standard de la campagne en ligne, les hyperliens vers les comptes YouTube,

Facebook, Twitter, MySpace, Foursquare, Google Plus, et bien d'autres ornent désormais

la plupart des sites Web de candidats et de partis politiques. Le site de Barack Obama

s’inscrit largement dans cette hyperconnexion en présentant une douzaine de profils sur

différents médias sociaux15. Par conséquent, les nouvelles technologies ont la flexibilité

nécessaire pour être un outil de diffusion de masse et en même temps, un outil de

fragmentation du message, c'est-à-dire qu'il est possible de diffuser des messages ciblés16

(Heinderyckx 2011).

L’avènement de YouTube en 2005 a également servi la visibilité des partis politiques.

YouTube rend le partage et le visionnement de vidéos en ligne plus conviviaux.

15 www.barackobama.com (site consulté le 30 avril 2012).16 À cet effet, pensons aux médias sociaux qui ciblent des groupes ethniques précis tels que blackplanet.com, asianave.com ou migente.com. Ces médias sociaux furent d’ailleurs utilisés par la campagne d’Obama (Heinderyckx 2011).

17

« YouTube transformed the way campaigns think about video », annonce

catégoriquement Stromer-Galley (2009 : 50-52). Selon elle, les campagnes doivent

désormais penser à la diffusion et production des vidéos en ligne et non pas seulement à

la télévision, dont le format et le rythme sont fort différents. Cela signifie que les partis

doivent engager des équipes de production, planifier leurs tournages en prenant en

compte l'agenda des élus et candidats, exposer ce qui se trouve « derrière-la-caméra »,

montrer les militants, leur détermination et leur enthousiasme (Johnson 2011 :

15 ; Stromer-Galley 2009 : 50-52).

L'utilisation des vidéos en ligne est stratégique selon Stromer-Galley (2009). En devenant

populaires et virales, ces vidéos font la promotion de ces politiciens et politiciennes,

aident à établir leur crédibilité et à attirer l'attention des médias nationaux. Ce processus

permet, en plus, d'amasser des fonds et ultimement, obtenir des votes. Internet devient

une plateforme grand public capable de compétitionner avec les médias traditionnels, en

plus de diffuser un message qui rejoint directement les électeurs, sans passer par le filtre

des médias. Plus besoin de clipper sa pensée, pas besoin de convaincre des producteurs

d'être invité à une émission de télévision. Les vidéos sont publiées et partagées ensuite

par les internautes (Johnson 2011 : 15-16; Clayton 2010 : 144-145).

Médias sociaux, vidéos viraux et blogues, toutes ces ressources sont maintenant

accessibles de partout grâce à la popularisation des cellulaires et des téléphones

intelligents17 (Anstead et Straw 2009; Ferrand 2009; Johnson 2011 : 87-88). L'implication

de Twitter et des cellulaires dans le printemps arabe18 en est une démonstration éloquente

(Faris 2012). Par exemple, Karan et al. (2009) décrivent l'utilisation exploratoire des

cellulaires chez le parti philippin GABRIELA (GWP). Même en ayant des ressources

financières limitées, le parti a réussi à rejoindre davantage d'électeurs par téléphone que

par Internet (voir également Alojamiento 2007). Les partis tentent donc de dresser des

17 "Téléphone intelligent" : téléphone cellulaire bonifié d'une couche applicative lui permettant de naviguersur Internet, d'envoyer des SMS et d'échanger par les médias sociaux.18 Le « Printemps arabe » est un mouvement de contestations populaires s’étant produit dans plusieurs pays arabes à partir de décembre 2010.

18

listes de numéros de cellulaire en utilisant différentes stratégies afin d'envoyer des SMS19

et de faire ultimement sortir le vote.

Contacter un large public n’est toutefois pas toujours affaire de promotion. Cela soulève

parfois également des questions éthiques. En effet, Gingras (2013) souligne l’affaire

récente ayant pris le diminutif de « robocall ». L’auteur raconte qu’à l’élection fédérale

canadienne de 2011, des appels téléphoniques automatisés auraient faussement rapporté à

des électeurs ciblés un changement de lieu de leur bureau de scrutin. Toujours pendant

cette campagne électorale, d’autres appels agressifs et xénophobes auraient été faits en

pleine nuit au nom du candidat libéral local. Selon Élections Canada, ces appels ont pu

être reliés à l’ordinateur du bureau d’un candidat conservateur. Pour Gingras, cette affaire

démontre que ce qu’elle appelle les « technologies médiatiques », c’est-à-dire l’ensemble

des appareils et technologies informatiques peuvent « rendre plus aisée l’organisation de

fraudes » électorales.

1.2.2 – Transformer des électeurs en sympathisants

Si en 2008, la simple utilisation des médias sociaux en politique faisait la manchette chez

les médias traditionnels, leur utilisation partisane s'est définitivement raffinée par la suite.

Les campagnes se sont mises à y entretenir des relations sociales et à récolter leurs fruits.

Par exemple, les médias sociaux deviennent une plateforme pour se connecter avec les

électeurs, rencontrer d'autres supporteurs sur le terrain et bâtir des amitiés (Ferrand

2009; Johnson 2011).

Cette visibilité sur les médias sociaux permet aux partis politiques d’entrer directement

en communication avec les électeurs. En demeurant en contact avec eux à travers le

temps, les partis tentent alors de les convaincre et d’en faire des sympathisants. Le ton et

l’interaction personnelle décrits par Serfaty (2006 : 29) invitent les électeurs à se sentir

personnellement concernés par le message. L’efficacité de cette conversion réside dans

l’échange entre l’électeur et le parti dans le temps où un « curieux » est progressivement

exposé au matériel promotionnel et aux positions du parti.

19 SMS, acronyme de Short Message Service, il s'agit de courts textes échangés entre les cellulaires.

19

1.2.3 – Recruter des militants

Aux hyperliens, vidéos YouTube et autres formulaires invitant le visiteur d'un site Web

politique à « passer à l'action » se combinent une volonté manifeste de faire du Web une

porte d'entrée des militants vers les partis politiques. En ce sens, Heinderyckx (2011 :

122) explique que la stratégie de recrutement de la campagne d'Obama 2008 peut être

divisée en cinq axes : 1) recruter des militants, 2) les motiver, 3) les informer, 4) les

organiser et 5) récolter des fonds. Heinderyckx conclut :

Il n'en demeure pas moins que l'efficacité de ces mécanismes de recrutement tientdans la fluidité avec laquelle un simple curieux est progressivement converti enacteur politique de terrain. Le sentiment d'appartenance à une communauté qui peutfaire la différence et qui incarne le renouveau apporte un ensemble de gratificationsdont l'intensité sera modulée par le niveau d'investissement cognitif, temporel etpécuniaire de chacun (2011 : 123).

Autant en ligne que sur le terrain, ces mécanismes de recrutement étaient représentés par

le dicton « respect, empower, and include », véritable directive guidant l'intégration et la

coordination des militants (Anstead et Straw 2009 : 41-47). Par le Web, on ouvre les

portes de son parti en recrutant des militants au-delà des limites de sa propre structure et

de son membership habituel, puis on responsabilise les recrues en compensant par des

formations récurrentes sur le terrain (Clayton 2010; Ferrand 2009; Trippi 2004). Selon

Foot et Schneider (2006), une véritable croissance de la participation des citoyens grâce à

Internet n'a pas encore été observée dans les campagnes électorales. Pour ces auteurs, les

sites des partis ne sont pas encore des points de convergence de mouvements populaires.

L'expérience d'Howard Dean n'aurait été qu'une exception plutôt qu'un nouveau standard.

1.2.4 – Diminuer les coûts d’organisation et de coordination

L'objectif organisationnel ultime d’un parti politique demeure la sortie du vote le jour de

l'élection (GOTV)20, passage obligé pour atteindre le pouvoir ou maintenir sa députation

(Johnson 2011 : 92; Ghitza et Rogers 2009 : 79). Or, la manière d'élaborer et d'opérer ces

20 En langue anglaise, la sortie de vote porte communément le nom de Get-Out-The-Vote ou GOTV(Johnson 2011 : 92). L’utilisation de cette expression fut également observée lors de mon terrain derecherche.

20

stratégies a changé avec l'apport des nouvelles technologies, dont notamment les bases de

données. Cela change la donne selon Johnson :

What has been added over the past decade, however, has been the overlay oftechnology and pinpoint targeting to much more accurately connect with likelyvoters (Johnson 2011 : 85).

Désormais, des sites Web privés (non accessibles au public) ou des logiciels sécurisés

permettent l'exploitation, l'analyse et l'impression du contenu des bases de données21

(Ghitza et Rogers 2009 : 74-83; Graff 2009; Johnson 2011 : 79-93; Lehman 2010). Les

efforts de pointage servent donc à obtenir les informations pour contacter les électeurs,

leurs opinions sur différents enjeux politiques et, évidemment, leur choix de vote pour la

prochaine élection.

Puisque les coûts de développement et de maintenance de ces outils sont considérables,

ce sont les campagnes américaines générant des millions de dollars qui en ont été

les pionnières. Par exemple, le stratège républicain Karl Rove fut l'un des instigateurs de

la base de données républicaine « Voter Vaul » (Grossman et al. 2004; Tynan 2004), alors

que les démocrates développèrent la base de données « Vote Builder » et furent appuyés

par la firme de gestion de données Catalist (Johnson 2011 : 84).

L'apport des bases de données aux GOTV pour identifier, enregistrer22 et faire voter les

sympathisants est aussi souligné dans la littérature (Clayton 2010 : 22; Johnson 2011 :

92). Ghitza et Rogers (2009 : 74) nomment cet apport « la politique menée par la

donnée » : la donnée de toute la nation est centralisée dans une base de données, ce qui

rend possible le microtargeting, c'est-à-dire la communication ciblée grâce à l'analyse

statistique de données identifiant les croyances et actions d'individus (Howard 2005). Par

exemple, la première campagne d'Obama concentra ses efforts d'identification sur deux

groupes. Le premier était composé d'individus dont la probabilité de vote était très élevée,

mais qui appuyait les démocrates modérément. Ce premier groupe fut la cible de contacts

21 En ce qui concerne les "bases de données" Vote Vault ou Vote Builder, je sous-entends qu'elles sont unsystème de données regroupant (1) une base de données et (2) une couche applicative permettant de gérerfacilement cette donnée, d'en faire l'analyse et d'imprimer des rapports et des listes.22 Aux États-Unis, les électeurs ne sont pas automatiquement enregistrés sur les listes électorales.L’enregistrement des électeurs sympathisants entre donc dans les stratégies d'identification et de sortie devotes des partis américains.

21

par appels, en personne et de d'autres stratagèmes dont l'unique but était de les persuader

de voter pour les démocrates. Le second groupe était composé d'individus qui iraient

voter modérément, mais qui étaient fortement démocrates. Conséquemment,

l'organisation électorale s'est assurée de faire voter ce groupe (Ghitza et Rogers 2009 :

78-79).

Parallèlement au pointage virtuel, ces bases de données sont également liées à ce que

j'appellerai les systèmes de gestion des efforts militants, c'est-à-dire les sites Web et

autres applications permettant une individualisation informatisée du militantisme ou une

gestion de campagne politique : site Web du candidat préfabriqué, gestion de listes de

courriels, gestion du financement, gestionnaire d'événements et des données des divisions

territoriales (États, comtés, circonscriptions) (Blaser 2005). Le Web permet d'aller plus

loin que d'informer et de dialoguer avec ses supporteurs, la technologie existe désormais

pour coordonner sa campagne et les efforts des militants par Internet. À ce propos, Blaser

(2005 : 4) évoque l'utilisation de Convio.com, tandis que Johnson (2011), Reeher et

Davis (2004) et Serfaty (2006, 2009) nous informent de l'utilisation du site Meetup.com

par la campagne d'Howard Dean pour organiser les activités de l'équipe de campagne et

des militants :

D’autre part, [Howard] Dean s’est appuyé sur un site Internet indépendant,MeetUp (meetup.com), pour organiser des rencontres entre partisans de sacampagne dans tout le pays. Dans ce cas également, [Howard] Dean a su détournerun site de son usage premier; en effet, établi au départ pour mettre en relation despersonnes ayant des intérêts ou des goûts communs, MeetUp a vocation à s’intégreravant tout à la culture populaire en y créant des réseaux sociaux. Son utilisation àdes fins politiques allie adroitement culture politique plutôt élitiste et techno-culturepopulaire. Le répertoire des techniques de mobilisation de l'électorat, ainsi enrichi, apermis d’atteindre un segment plus large d'électeurs potentiels, parmi lesquels se sonttrouvés, selon Reeher et Davis, nombre de primo-accédants à l’action politique(Serfaty 2006 : 29).

Néanmoins, même si l'utilisation de MeetUp chez Dean mérite d'être remarquée, l'arrivée

du site my.barackobama.com (MyBO)23 représente le summum de l'utilisation du Web en

politique. Il s'agit d'un média social interne développé par le cofondateur de Facebook,

Chris Hughes, pour coordonner les activités militantes et favoriser la participation. Avec

chaque utilisateur ayant son compte personnel, MyBO permet de créer sa propre

23 MyBO fut reprogrammé et renommé « Dashboard » pour l’élection présidentielle de 2012.

22

campagne en donnant accès à une section pour prendre contact avec d'autres militants,

ainsi qu'à un blogue pour se présenter et lever des fonds. Bâti pour faire circuler de

l'information dans la « communauté Obama » telle que les positions officielles, des

argumentaires et les activités, MyBO permet également de planifier des rencontres et de

s'organiser pour militer. S'ajoutent à cela des outils pour faire du bénévolat tels que des

kits de formation, des documents et des fonctionnalités permettant de faire des séances de

téléphones et de porte-à-porte à distance (Clayton 2010; Johnson 2011; Kes-Erkul et

Erkul 2009; Schifferes 2008; Schutz et Sandy 2011).

Selon Clayton (2010 : 140), MyBO a amené l'utilisation d'Internet chez les partis

politiques à un tout autre niveau en permettant aux masses de militants de s'auto-

organiser et de communiquer entre eux à travers leur propre média social (voir également

Mooney 2008). Clayton précise que :

[The] point was never to get a large number of people signed up for it, but to enablethose who did sign up to organize into manageable groups (2010 : 140).

Au terme de l'élection de 2008, my.barackobama.com contient 400 000 billets de blogues,

35 000 militants inscrits, 200 000 événements sur le terrain (Johnson 2011 : 19). Le

média social MyBO inspira aussi de multiples pastiches partout dans le monde24.

L’espace virtuel créé par l’utilisation des nouvelles technologies par l’équipe de la

campagne présidentielle française de Royal révèle plusieurs dynamiques internes des

partis politiques. D’abord, l’aspect participatif de son site « Désirs d’avenir » est en soi ce

qui la différenciait de ses concurrents dans leur utilisation des nouvelles technologies. Le

site était orienté vers « l’expression des Français » plutôt que vers la présentation des

positions de Royal. Au fond, cette stratégie a servi deux fonctions pour sa campagne. La

participation à une discussion virtuelle sert à la formation politique des sympathisants et

24 Pages Web consultées le 8 décembre 2010 : Republican Volunteers du Parti Républicain(USA) : http://volunteer.gop.com/; Les créateurs de possibles de l’UMP(France) : http://www.lescreateursdepossibles.com/; La coopol du Parti Socialiste(France) : http://www.lacoopol.fr/; Membersnet du Labour Party (UK) : http://members.labour.org.uk/; e-Démocrates du parti Mouvement Démocrate (France) : http://www.e-democrates.fr/; Mon PS, du PartiSocialiste (Suisse) : http://www.mon-ps.ch/; ACT, The Lib Dem Network, du parti Libéral Démocrate(UK) : http://act.libdems.org.uk/; L'Atelier, du Parti Québécois : http://atelier.pq.org (page consultée le 15mai 2012).

23

militants. Elle joue aussi un rôle dans leur appropriation des pratiques militantes

(Beauvallet 2007). Du même coup, les 90 000 argumentaires déposés par les utilisateurs

de « Désirs d’avenir » servent de matériel pour légitimer les positions de Royal en créant

une liaison entre ses paroles et « la volonté des Français » (Dolez et Laurent 2007). Une

utilisation « participative » des technologies médiatiques s’avère donc être

potentiellement un outil facilitant l’élaboration de l’argumentaire du politicien et

l’intégration des militants.

1.2.5 – Lever des fonds

Dans une étude comparative entre le financement politique américain et britannique,

Anstead (2008) relève quatre éléments de l'implication du Web dans le financement

politique américain. D'abord, 1) l'arrivée d'Internet dans le financement des partis

coïncide avec une période où les campagnes engrangent des sommes records. Ensuite, 2)

les dons par Internet aident des politiciens dits outsider à amasser des sommes leur

permettant de compétitionner aux côtés des figures établies. Anstead parle même d'un

effet « égalisant la compétition politique »25 (ibid. : 286). Toujours selon l'auteur, 3)

Internet restructurerait également les positions financières traditionnelles des partis

américains, c'est-à-dire que le Parti démocrate ne serait plus derrière son adversaire

républicain, comme ce fut le cas pendant plusieurs décennies. En effet, depuis la

campagne présidentielle de John Kerry en 2004, les démocrates atteignent la parité ou

dépassent leur opposant républicain « largement grâce aux prouesses du financement en

ligne »26 (ibid. : 286). Pour terminer, 4) Anstead souligne que le financement politique

aux États-Unis a été redéfini en ne reposant plus uniquement sur les énormes sommes de

quelques riches donateurs. Le financement inclut désormais une grande part de dons

populaires, c'est-à-dire l'accumulation de petits dons citoyens (ibid.).

En effet, les partis sont même capables d'accumuler plusieurs centaines de millions

uniquement en récoltant ces petites sommes par Internet (Clayton 2010 : 21; Howard

2005). Au total, Howard Dean amassera plus de 51 millions de dollars, dont 27$ millions

25 Traduction libre.26 Traduction libre.

24

récolté en ligne principalement par des petits dons (Purdum 2004; Serfaty 2006 : 28). Il

ne faut cependant pas croire que l'ordinateur se transformera en guichet automatique pour

le parti politique. Ce que la littérature relie au financement de la campagne d'Obama, c'est

la création d'une armée de volontaires et la démocratisation du financement politique

(Clayton 2010 : 21, 147). À ce sujet, McGregor écrit :

Obama’s fundraising broke new ground in two key ways. First, he was able torecruit a huge army of donors who tended to give small amounts of money repeatedly throughout the campaign. In total, of the 6.5 million donations made, more than 90 per cent were less than $100. Secondly, he was able to tap into thefundraising potential of the internet. He was not the first candidate to do this– McCain in 2000 and Dean in 2004 both had good online fundraising, withDean raising a then-record of $27 million online – but the sheer volume raised byObama was on an unprecedented scale, totalling more than $500 million (McGregor2009 : 67).

Dans sa description des opérations de financement chez Obama, McGregor (2009 : 69-

72) note que lever des fonds par Internet faisait partie de la communication routinière

avec les sympathisants alors que ces derniers recevaient de nombreux courriels les

invitant à donner 5, 10 ou 20 dollars et que la campagne leur offrait les outils Web pour

monter leur propre campagne de financement personnelle.

Au final, Johnson résume bien l’ensemble des fonctions des nouvelles technologies au

sein des partis politiques. L’auteur a pris en compte les campagnes américaines de 2008

et de 2010 afin de proposer son « modèle de la campagne du 21e siècle » (2011 : 8-10).

Selon ce modèle, 1) le Web fait désormais partie intégrale des campagnes politiques, 2) le

modèle traditionnel du « haut vers le bas » devient plus fluide en intégrant réellement les

idées, la direction et les efforts des sympathisants, 3) la télévision demeure un médium

important pour la publicité de campagne, néanmoins l'utilisation des nouveaux médias et

des médias gratuits en ligne a explosé, 4) la campagne électorale est désormais

permanente, 5) les partis exploitent les données et les recherches quantitatives, 6) les gros

dons sont toujours importants, mais les petits dons faits en ligne forment aujourd'hui une

part non négligeable du financement des partis et finalement, contrairement à ce

qu'affirmaient Foot et Schneider (2006), 7) Johnson estime qu'on observe dans la

campagne du 21e siècle une plus grande implication des citoyens. Ce modèle semble

justement résumer la nouvelle manière de faire la politique dont j'ai énuméré jusqu'ici les

25

principales fonctions. Quoi qu'il en soit, cette liste demeure « descriptive »27 et centrée

sur les moyens technologiques et leurs utilisations (Gibson 2012 : 78).

1.3 - La normalisation du Web et la prise en compte de logiques sociétales

Peut-on faire davantage que de simplement décrire les potentialités des nouvelles

technologies et les outils employés par les partis politiques? Quel portrait brosse la

littérature de l'apport des nouvelles technologies chez les partis politiques et dans la joute

partisane? L'étude de l'utilisation des outils et fonctionnalités 2.0 chez les partis politiques

britanniques (et leurs chefs) de Jackson et Lilleker (2009) répond de manière intéressante

à ces questions. Les auteurs cherchent à établir si les outils 2.0 sont utilisés dans un esprit

1.0 ou si un véritable style 2.0 émerge chez les partis politiques de Grande-Bretagne.

Leur analyse suggère plutôt que les partis britanniques ont créés un « Web 1.5 » qui offre

simultanément les avantages du 1.0 et du 2.0, c'est-à-dire l’utilisation d’une architecture

de participation 2.0 au sens d’O’Reilly (2005) combinée au maintien du processus

décisionnel et de la hiérarchie en place (voir également Gibson et Ward 1998; Ferber et

al. 2007; Schweitzer 2011). Même si les partis établissent une architecture 2.0, Jackson et

Lilleker n'ont pu identifier des exemples significatifs symbolisant un tournant dans la

culture organisationnelle des partis.

Aux États-Unis, même l'organisation de campagne d'Howard Dean illustre bien cette

adaptation aux outils Web qui se combine à une continuité de la tradition

organisationnelle des équipes de campagne présidentielle. Allant à l'encontre de la

description d'une structure d'équipes militantes autonomes qu'en fait Castells (2007 :

251), Kreiss (2009 : 293) et Chadwick (2007 : 14) concluent plutôt que les équipes

militantes n'étaient pas totalement spontanées, autonomes et décentralisées. La structure

organisationnelle aurait plutôt été une organisation « hybride » entre les partis

traditionnels et les nouveaux mouvements sociaux. Malgré l'adoption de pratiques dites

« post-bureaucratiques », le département Web de Dean (« Internet Division ») faisait

27 J'utilise le qualificatif « descriptif » pour désigner les auteurs qui ont comme objet d’étude la description de l’utilisation des NTIC chez les partis politiques et qui ont été présentés à la section 1.2 de la présente recherche.

26

partie d'une hiérarchie formelle qui a façonné son adaptation technique. Même si les

militants ont été responsables de plusieurs projets, « ils étaient loin de contrôler les

décisions sur les positions, les stratégies ou l'allocation des ressources »28 (Kreiss 2009 :

293). En fait, la direction tentait de guider leurs efforts. D'ailleurs, les partis priorisent

aussi le contrôle de la communication et de leur image sur l'échange et la prise en compte

des opinions issues de la communauté Web. Stromer-Galley (2000) abonde dans le même

sens après avoir interviewé des membres du personnel des campagnes américaines de

Bob Dole et de Bill Clinton en 1996. Selon elle, le Web était vu comme une brochure

électronique et non comme un outil de communication bidirectionnelle. Les employés

étaient profondément inquiétés par la perte de contrôle du message pouvant émaner de

ces interactions. Par ailleurs, la directrice de la campagne présidentielle de Bill Bradley

en 2000 avoua qu'outiller les sympathisants d'un forum de discussion en ligne va à

l'encontre du sens commun puisque les campagnes doivent contrôler tous leurs messages

publics (Foot et Schneider 2006 : 94). De toute évidence, les campagnes politiques font

face à des tensions inhérentes à l'utilisation des nouvelles technologies et à la

communication Web.

Gibson et Ward (1999) avancent même que les partis ne font pas l'effort de véritablement

prendre en compte l'opinion de leurs membres. Par conséquent, les « conversations 1.5 »

sur les plateformes 2.0 se limiteraient à n'être rien de plus que la promotion traditionnelle

des campagnes sur un nouveau médium (ibid.). Le Web 1.5 résulterait alors d'une

adaptation d'Internet aux objectifs des partis :

It thus seems that political parties are trying to mold Web 2.0 to their own needs andcultural norms. They ask social networking users to join their cause but do not fullyengage with the norms of social networking communities. O’Reilly suggests thatpolitical communication using Web 2.0 will be rational, considered, and positive.However, unless this is facilitated, graffiti is just as, if not more likely, to be present(Jackson et Lilleker 2009 : 247).

À cet effet, l'apport du travail de Foot et Schneider (2006) est considérable. Les

chercheurs tentèrent d'identifier un mécanisme de cette adaptation du Web dans les

campagnes politiques américaines de 1999 à 2004. Ils ont conceptualisé ces dernières

comme étant des réseaux socio-techniques (ibid. : 14), c'est-à-dire qu’ils ont combiné les

28 Traduction libre.

27

concepts de la littérature des NTIC à la pensée néo-institutionnaliste de la sociologie des

organisations (voir également DiMaggio et Powell 1983). La résultante est l'utilisation de

l'isomorphisme (imitation et altération des comportements de structures) de la culture

organisationnelle des partis dans l'analyse du développement Web. En plus de présenter

l'idée d'une continuité en ligne de la politique traditionnelle, Foot et Schneider (2006)

fondent ces différentes adaptations sur quatre facteurs : 1) les caractéristiques des

développeurs Web; 2) les caractéristiques (aspects) d'une campagne politique; 3) les

dynamiques de l'environnement virtuel; et 4) l'impact d'actions favorisant la participation

des autres. Dans une approche semblable, Robillard (2004) propose d'étudier les NTIC et

les dynamiques organisationnelles par un modèle nous permettant d'appréhender les

principaux rapports en présence : l'infrastructure normative, la structure opérationnelle et

la superstructure culturelle et cognitive (ibid. : 15-39). Robillard conclut :

Nous avons pu constater qu'une organisation est un système social poursuivant desfins économiques, et que le moyen par lequel ce système pouvait accomplir les finspour lesquelles il est conçu et mis en oeuvre n'était autre que celui du contrôle desactions individuelles (ibid. : 253).

D'ailleurs, l'adaptation à la culture de l'organisation soulevée par Foot, Robillard et

Schneider fait écho à la théorie de la normalisation. Selon elle, l'utilisation d'Internet par

les partis politiques n'a pas un effet égalisant la visibilité et nivelant les forces de chacun.

C'est plutôt l'utilisation d'Internet qui est normalisée aux rapports de force et structures de

pouvoirs chez les partis politiques (Resnick 1998; Davis 1999). Ce qui est fort

intéressant, c'est que même si les ouvrages de Resnick et Davis sur la normalisation

datent de la fin du vingtième siècle, le temps et les campagnes subséquentes tendent à

soutenir leur théorie. En fait, la liste des ouvrages s'inscrivant dans cette voie tracée par

Davis et Resnick est longue (Bimber 1998a, 1998b, 1998c, 1999, 2000; Bimber et Davis

2003; Chadwick et May 2001; Gibson et al. 2003; Gibson et Ward 1998, 1999,

2003; Norris 2001; Margolis et Resnick 2000; Owen et Davis 1998; Pisani

2008; Schweitzer 2011; Serfaty 2009; Stein 2009; Strandberg 2009; Vedel 2003a) et les

recherches empiriques ne manquent pas. Par exemple, tel que souligné précédemment, le

mouvement des femmes GABRIELA (GWP) n'a pas pu rejoindre une partie significative

de la population en ligne, même si le plus grand mouvement de femmes philippin s'était

tourné vers le Web (Cuevas 2004; Karan, Gimeno et al. 2009; Mirandilla 2007). Ensuite,

28

Marmura (2008), quant à lui, avance que les activistes utilisant le Web pour altérer les

politiques américaines portant sur le conflit israélo-palestinien ne jouissent pas d'un plus

grand avantage relatif que ceux qui souhaitent maintenir le statu quo. Finalement,

Heinderyckx (2011 : 121) estime que la campagne « Obama 08 » ne fut pas une véritable

virtualisation politique, mais bien une utilisation de nouvelles technologies au service de

« modalités très traditionnelles de campagne » :

[Le Web en politique ne mène] non pas vers une quelconque virtualisation ounumérisation de la campagne électorale, mais bien vers un retour à des modes demobilisation, d'action et de persuasion politiques très classiques, rajeunis et catalyséspar ce que nous proposons de qualifier d'inflexion numérique (Heinderyckx 2011 :128).

En plus de l'adaptation de l'utilisation du Web à la structure et à la culture d'une

organisation, d’autres études lient la normalisation à une adaptation aux habitudes et

coutumes hors ligne de la société étudiée. Ces recherches s’inscrivent donc davantage

dans une approche socio-culturelle. En effet, Castronova, Williams et al. (2009)

expliquent que le comportement économique en ligne suit les théories du behaviourisme

économique du monde réel. Quant à Giasson, Raynauld et Darisse (2009), ils relèvent

que les blogueurs politiques québécois sont déjà des citoyens qui, hors ligne, s'impliquent

en politique. Ce à quoi Quintelier et Vissiers (2008) ajoutent qu'utiliser le Web n'amène

pas les internautes à s'impliquer davantage en politique.

Dans la même veine, les recherches d’Albrecht (2006 : 75-77) portent sur la participation

et la représentation dans les délibérations politiques sur Internet. Selon lui, quatre facteurs

favoriseraient la participation à de tels débats : 1) l’intérêt des internautes pour la

politique; 2) leurs ressources économiques et culturelles; 3) les coutumes et l’utilisation

habituelle des NTIC dans leur milieu socio-culturel; et 4) un phénomène bandwagon où

les internautes serait attirés vers ce que les médias traditionnels définissent comme étant

« en vogue ». Or, puisque le cas d'étude porte sur des débats virtuels faits par des citoyens

d'Hamburg en Allemagne, des traditions discursives locales (Gambetta 1998) se sont

glissées dans les résultats d’Albrecht. L'utilisation du Web a donc été « normalisée » par

un facteur culturel des participants. L'auteur est catégorique, l'influence des NTIC est trop

souvent réduite à une variance dichotomique menant à proposer les conséquences

29

automatiques de la présence des nouvelles technologies. Cela a créé une école

déterministe de la technologie qui omet les interrelations entre la technologie et le social

(Albrecht 2006 : 75; voir également Gingras 1999b, 2003; Vedel 2003a, 2003b, 2009).

Par conséquent, pour prendre en compte ces relations, Albrecht propose de recourir à un

modèle théorique qui conceptualise l'utilisation de la technologie en tant qu'ensemble de

pratiques culturelles (voir également Suchman et al. 1999) :

Such a culturalist perspective on technology means that we take into account thecomplexity of the social practices of usage as well as its symbolic dimension. It alsomeans that we have to be sensitive to the specific technology used in a given case, asthe corresponding practices differ greatly. (Albrecht 2006 : 75).

Vedel (1994, 2003a, 2003b) abonde dans le même sens en suggérant de fuir le

déterminisme spéculant sur l'influence des NTIC. Il est préférable de se tourner vers une

approche en termes de potentialités et de pratiques qui modèlent la technologie (Vedel

2003a). Conséquemment, on revient à l'idée de Foot et Schneider (2006) d’analyser les

campagnes électorales en ligne comme des réseaux socio-techniques (voir également

Bijker 1995; McKenzie et Wajcman 1999; Vedel 1994).

Robert (2009) s'inscrit dans cette même vision en affirmant qu'on ne peut comprendre le

monde de l'informatique en le mettant au centre de notre réflexion. En nuançant, l'auteur

ajoute que :

Croire que la technique ne possède pas de propriétés susceptibles d'influencer ledéveloppement de la société est une erreur. Croire que la technique en deviendraitpour autant instituante, capable symboliquement, en est une autre (ibid. : 299).

Pour Robert, il faut plutôt penser les NTIC en restituant le sens et les enjeux de leurs

usages. Cela nécessite une approche qui ne se subordonne pas à une seule discipline des

sciences sociales; c'est-à-dire ni à une discipline sociale particulière, ni à celle de la

technique et de l'informatique. Dans une perspective résolument transdisciplinaire,

l'auteur propose une démarche en « système », dit éco-systémique (Robert 2009 : 79), qui

se divise en trois branches : celles de l'éco-système cognitif, de l'éco-système économico-

politique et de l'éco-système anthropologico-politique (ibid. : 79-80, 282, 289). En

prenant ainsi en compte les diverses disciplines sociales à travers cette modélisation,

Robert dit qu'il propose une « théorie sociétale des TIC » (ibid. : 58).

30

Même approche pour Gingras (1999b, 2003) qui appelle à la prise en compte des

logiques sociétales, comme les logiques techniques, économiques, politiques et sociales.

Selon l'auteur, l'analyse des NTIC ne peut pas uniquement porter sur l'identification de

potentialités pouvant répondre à des problématiques sociales complexes, puisque ces

potentiels ne se matérialisent pas seulement parce que les conditions technologiques sont

présentes. En étant construit et opéré par des humains, les rapports de force et les

processus sociaux du monde réel sont transmis en ligne. Portant généralement sur

l'utilisation des NTIC en politique, l'approche de Gingras s'applique donc également aux

partis politiques. Pour Heinderyckx (2011), chaque campagne politique à son contexte

unique. Les conjonctures de la campagne structureront l'usage du Web qui y sera fait :

L'ampleur et la nature de cette inflexion [numérique] ne peuvent être déterminéesdans l'absolu, mais seulement situées dans une dynamique structurelle évolutivecontrainte par les insaisissables facteurs conjoncturels et contextuels qui caractérisentchaque élection (2011 : 128).

Cardenal (2011) abonde dans le même sens qu'Heinderyckx après avoir comparé les

partis espagnols et américains. Les bénéfices et les coûts de l'utilisation d'Internet par les

partis politiques varieront selon le contexte électoral du pays étudié (ibid. : 86, 98). Par

exemple, Cardenal explique que les partis américains sont d'énormes organisations, dont

les programmes officiels ont peu d'influence29 et qui ne reposent pas sur une masse de

membres officiels. Selon l'auteur, ces caractéristiques favorisent l'exploitation des

potentiels d’interaction d'Internet pour mobiliser (ibid. : 98). À l'opposé, les partis

européens, qui ont des programmes politiques et dont l'organisation repose sur un

membership formel, ont des caractéristiques faisant en sorte qu'ils ont moins de succès

dans leur utilisation d'Internet.

Au final, la littérature sur l'utilisation du Web en politique est claire : le Web peut jouer

un certain rôle dans le jeu des rapports de force politique, comme l'armée de militants

d'Obama semble le suggérer. Néanmoins, le Web - seul - n'est pas suffisant pour

engendrer ses propres potentiels. Le contexte social et politique doit être en place pour

29 Cardenal utilise le terme « non-programmatic » pour décrire les partis américains. Pourtant, le Partidémocrate et le Parti républicain ont tous deux des programmes officiels. Cependant, ils sont peu connus et ils nesont pratiquement pas publicisés par les partis.

31

favoriser la concrétisation de ces derniers. En s'inscrivant dans cette mouvance critique

de l'analyse du Web chez les partis politiques, je porterai attention à trois éléments : 1) le

Web apporte des potentiels à la fois d'ouverture et de contrôle en politique; 2) dans

l'espoir d'exploiter ses potentiels, les partis politiques ont embrassé l'utilisation des NTIC

et du Web pour renouveler la manière dont ils effectuent leurs opérations traditionnelles;

et 3) cette utilisation, souvent loin d'instaurer les potentiels promis, s'effectue jusqu'à

maintenant en suivant une adaptation des outils aux impératifs de la politique partisane et

non le contraire comme certains tendent à le soutenir. Cette adaptation n’est pas elle-

même automatique, mais plutôt tributaire des logiques sociétales et des pratiques en

présence dans le parti.

32

Chapitre 2 – Problématique et cadre conceptuel

2.1 – Question de recherche

La littérature illustre comment les partis politiques américains ont intégré les nouvelles

technologies pour réaliser leurs opérations traditionnelles. Selon les tenants technophiles,

cet apport aux partis a un potentiel d'ouverture et de transparence, alors que pour les

tenants technophobes, ces outils serviront plutôt au contrôle et à la surveillance.

D’ailleurs, plusieurs auteurs rapportent que les partis priorisent le contrôle de leur

communication en ligne au détriment de l’instauration d’une ouverture ou d’une plus

grande transparence par l’utilisation du Web 2.0 (Foot et Schneider 2006; Jackson et

Lilleker 2009; Stromer-Galley 2000).

Cette vision de la communication des partis semble cohérente avec la nature même des

partis politiques occidentaux, ainsi qu'avec la distribution du pouvoir qu'on y retrouve.

Alors que les partis reposaient traditionnellement sur la force de leur membership et de

leurs militants, le phénomène du déclin des partis explique comment l'influence de leurs

membres s’est considérablement réduite au siècle dernier (Farrell 1997; Katz et Mair

1994; Scarrow 1996; Seyd et Whitely 1992; Whitely et al., 1994; Wring, 1996). En

parallèle au déclin des membres, Schudson (1999 : 147-174, 187) associe le décrochage

des citoyens envers les partis américains avec leur tendance à se professionnaliser. C’est-

à-dire que la valorisation de l’expertise favoriserait la professionnalisation de

l’administration et une spécialisation des partis politiques (Hudon 1987; Michels 1971 :

190-191). Pour Tolchin (1998 : 226), « au fur et à mesure que les partis se

« professionnalisent », ils sont moins portés à des pratiques traditionnelles comme le

patronage qui profite aux militants du parti et ils deviennent plus élitistes ». Ce

phénomène de la concentration du pouvoir s’accentuerait également à travers les

nouvelles techniques de marketing, les sondages et le rôle grandissant des médias dans la

vie politique mettant ainsi l’accent sur l’image et les dirigeants (Amyot 1986; Bercuson

1993; Gingras 1999a; Pelletier 2005 : 185, 192).

33

Par conséquent, la gestion des partis est maintenant sous le contrôle d'une élite imposant

sa volonté de « haut en bas » dans l’organisation (Katz et Mair 1994; Lipow et Seyd

1996; Michels 1971). Le pouvoir est alors concentré autour d'une oligarchie

bureaucratique qui a la mainmise sur les communications et la capacité de débattre à

l'interne (Pelletier 1991, 2005). Ces théories révèlent que les partis sont naturellement

centralisateurs, qu’ils cherchent à limiter la dissension et qu'ils ont tendance à contrôler et

uniformiser leur message. D’ailleurs, dans le récit de son expérience au sein de la garde

rapprochée de Stephen Harper, Flanagan (2009) développe un point de vue semblable.

Selon lui, une organisation de campagne électorale doit être contrôlée « à tous les

niveaux », y compris les candidats, les dirigeants, les membres et les militants (ibid. :

247-290).

Selon Michels (1971 : 349, 353), un parti politique ne peut exister sans une classe

dominante, une élite. Après avoir réussi à contrôler les instruments collectifs du pouvoir

au sein du parti, cette classe cherchera à maintenir cette position. Pour Michels, il est si

« naturel » qu’une minorité dirige la majorité que la distribution du pouvoir aura toujours

tendance à se concentrer entre les mains d’une oligarchie. Pelletier résume ainsi

l’argumentaire de Michels :

[La] direction des grandes machines politiques est progressivement accaparée par uneclasse professionnelle qui évince les militants et militantes et qui contrôle lespromotions dans le parti. Ce pouvoir oligarchique se fonde à la fois sur un monopolede l’information, sur l’habilité politique et l’expérience des dirigeants professionnelsface à des militants amateurs, sur la volonté des membres eux-mêmes d’êtrefermement conduits et sur la vénération des masses pour les leaders (2005 : 181).

Cette tendance à former et maintenir des classes dominantes est ce que Michels appelle la

« loi d’airain de l’oligarchie ». Ce mécanisme serait causé par « l’inéluctabilité »30 d’être

dirigé. En fait, même les partis politiques affirmant être fondés sur des principes

démocratiques seraient en fait des organisations sous le contrôle d’oligarques (Michels

1971 : 364-365). D’ailleurs, cela évoque les conclusions de l’étude empirique du Parti

Québécois de Montigny (2011). Selon l’auteur, le « PQ » était à ses débuts une

organisation « ouverte » où les membres pouvaient influencer la direction du parti.

30 Traduction libre de « indispensability » (indispensable) (Michel 1971 : 364).

34

Toutefois, l’arrivée subséquente de nouveaux chefs a coïncidé avec un processus menant

à une plus grande centralisation du pouvoir autour de leurs entourages (2011 : 195).

En contrepartie, les campagnes électorales d’Howard Dean et de Barack Obama nous

portent à croire que les nouvelles technologies ont joué un rôle dans la décentralisation du

fonctionnement de leurs organisations naturellement centralisées (Castells (2007 : 251).

Du moins, c'est la lecture que font Christiansen et Roberts (2009 : 42-46) de la répartition

du pouvoir entre la direction et les équipes sur le terrain31 de la première campagne

d’Obama. À travers MyBO, les militants pouvaient s'organiser, communiquer entre eux et

gérer leur temps. Toutefois, bien qu’ils pouvaient prendre localement leurs propres

décisions, ils recevaient des objectifs et étaient évalués quantitativement sur leurs

résultats par la direction (nombre de portes frappées, nombre d'électeurs contactés par

téléphone, etc.). Ainsi, malgré la participation de MyBO dans la gestion de l’organisation

sur le terrain, les équipes locales n'étaient pas totalement indépendantes et décentralisées

comme le soulignent Kreiss (2007 : 293) et Chadwick (2007 : 14). Du côté de la

communication, les directions des campagnes d’Obama et de Dean contrôlaient la

communication traditionnelle, mais laissaient volontairement les sympathisants prendre

en charge la communication en ligne à travers les médias sociaux et autres forums

virtuels. Chez le Parti démocrate, les équipes locales sur le terrain et la stratégie de

communication en ligne sont donc des exemples d'une forme hybride de décentralisation

rendue possible grâce aux NTIC (Chadwick 2007; Jackson et Lilleker 2009; Plouffe

2009; Trippi 2004). Et c’est là toute la prétention des nouvelles technologies à changer la

démocratie : en offrant la possibilité d’agir, les citoyens pourraient librement prendre en

main la politique ou partager leur opinion avec la direction des partis. Or, il est

techniquement possible de programmer des systèmes informatiques permettant aux

militants d'avoir plus de pouvoir décisionnel et d'autonomie sur le terrain et dans les

communications.

31 Dans un parti politique, le « terrain » réfère aux équipes locales se trouvant dans chacune des divisionsterritoriales (circonscriptions, quartier, États). Bien que l’expression employée aux États-Unis est « field »,j'utiliserai « équipe sur le terrain » ou « organisation sur le terrain ».

35

Il y a lieu de se questionner sur l'intégration des nouvelles technologies dans des partis

centralisateurs dont la communication est contrôlée par une oligarchie. Comment ces

deux forces se conjuguent-elles au sein des partis politiques américains? Si les outils

offerts par les partis américains ont le potentiel d’améliorer la participation citoyenne et

de remettre entre les mains de plusieurs millions de militants32 une partie de la

communication en ligne, qu'est-ce qui empêche ces mêmes partis de perdre le contrôle de

leur communication et de se retrouver face à un environnement hostile, voire favorable à

leurs adversaires? Cette tension doit être prise en compte dans l'analyse de l'utilisation du

Web chez les partis politiques, sans quoi nous favorisons malgré nous une simplification

et une imprécision du fonctionnement réel des partis politiques.

Malgré les observations externes des technophobes, technophiles et des « descriptifs »,

tels que Anstead et Straw (2009), Foot et Schneider (2006), Jackson et Lilleker (2009), et

Serfaty (2004, 2006, 2009), le fonctionnement interne des partis politiques américains et

l’interaction entre le personnel politique, les militants et les internautes demeurent

toujours largement méconnus. En effet, ces auteurs analysent l'utilisation des NTIC chez

les partis en axant leurs études sur les capacités des outils technologiques, c'est-à-dire sur

l'instrument. Certes, l'analyse et la description de l'utilisation des NTIC chez les partis

américains sont fondamentales. Néanmoins, force est de constater que, chez les

technophobes et les technophiles, les conclusions tirées font preuve de déterminisme et

de généralisation. Ces auteurs extrapolent à l'ensemble de la société des potentiels offerts

à l'utilisateur (Vedel 2003a). Une autre problématique provient de l’omission des

mécanismes sociaux et des différents groupes qui composent nos sociétés (Gingras

1999b). En ce qui concerne les « descriptifs », ils s'appuient sur un regard extérieur au

sujet d'étude, ce qui limite leur compréhension de la pratique des partis. Ils omettent la

manière dont s'opère quotidiennement, dans les partis américains, la gestion de la tension

entre leur nature centralisatrice et des potentiels de décentralisation.

32 L’équipe électorale de Barack Obama prétend avoir recruté 2,2 millions de militants pour la présidentiellede 2012. SIFRY, M. L., « Presidential Campaign 2012, By The Numbers», TechPresident, consulté le 8décembre 2012, http://techpresident.com/news/23178/presidential-campaign-2012-numbers

36

À la lumière de ces éléments, il y a lieu de se questionner sur l'approche à adopter dans

l’analyse de l'utilisation des NTIC. Loin de remettre en question la pertinence de ces

recherches, il faut toutefois saisir qu’un potentiel n'est pas, en lui-même, garant de son

accomplissement et qu’une liste d’outils Web ne brosse pas un portrait suffisant d’une

utilisation. Selon Neuman (2000), l’analyse de cette utilisation doit prendre en compte les

processus sociaux et les éléments structurants en présence :

Scholars might encourage such popular speculation [des technophobes ettechnophiles] but should, in my view, aspire to something more substantial. I believethat empirically sound and theorecally grounded research on the impact of the newtechnologies will require us to reconnect these popular hypotheses with ourtheoretical roots in the social sciences. (Neuman, 2000 : 300)

Il est nécessaire de considérer les NTIC comme un objet d’étude inscrit dans la société.

Se situant à la rencontre de multiples facteurs sociétaux, les dimensions des logiques

techniques, économiques, politiques et sociales sont nécessaires afin d'en explorer les

dynamiques et mécanismes (Gingras 1999a : 256; Robert 2009 : 58). La présente étude

tient à se distancier de la recherche sur les partis politiques s'appuyant principalement sur

des sources et des observations externes. Afin de comprendre l'utilisation du Web à

l'intérieur même des partis américains, ces recherches doivent être complétées par un

éclairage sur les processus internes. Ainsi, l'attention de la présente recherche sera portée

particulièrement au niveau de la praxis des acteurs (Deslauriers, 1991) afin d'esquisser le

mieux possible les mécanismes sociaux et les dynamiques internes touchant le quotidien

des militants rencontrés. Un retour à l'étude de la pratique des utilisateurs, de leur praxis

et des processus au sein des partis américains est préalable à l'obtention d'un portrait plus

complet de l'utilisation des NTIC en politique.

Les recherches qui se sont intéressées, jusqu'à présent, aux processus et aux mécanismes

internes des partis politiques sont peu nombreuses. Quelques ethnographies politiques

(Bachelot 2011; Berezin 2007; Broqua 2009; Ethuin 2006; Heaney et Rojas 2011) et des

récits intéressés (Flanagan 2009; Laschinger et Stevens 1992) peuvent toutefois servir

d’exemples. Mon étude s'inscrit résolument dans la foulée des travaux qui ont intégré le

milieu partisan pour tenter de comprendre les actions, la subjectivité et la culture interne

des partis. Les partis politiques américains seront donc vus non pas comme des agents ou

37

des acteurs unitaires, mais plutôt à travers la vision du modèle de « l'arène intra-parti »

(Gibson et Ward 1999 : 342-343). Selon ce modèle, le parti politique est un

environnement dans lequel s'opèrent des interactions et des mécanismes sociaux entre des

acteurs internes tels que des membres (pour les systèmes parlementaires), des militants, le

personnel politique et des élus (ou représentants officiels). C'est avec ce modèle que

Gibson et Ward (1999) conceptualisent la distribution de pouvoir à l'intérieur des partis

britanniques. Selon eux, il y a d'abord la distribution verticale entre les membres et l'élite,

puis la distribution horizontale (spatiale) entre des groupes intra-parti et l'élite. Dans un

même ordre d'idées, Marvick (1966) étudia la socialisation organisationnelle et la praxis

des « cadres »33 politiques dans trois villes différentes : Los Angeles, Detroit et Munich.

L’auteur se servit du modèle intra-parti pour comprendre le comportement des cadres en

relation avec la structure hiérarchique et la culture organisationnelle de leur parti

respectif. Sans négliger les dynamiques sociales et culturelles externes aux partis, le

modèle intra-parti permet de conceptualiser le parti comme un environnement social,

traversé par des conflits et des rapports de force, au sein duquel on peut s'intéresser aux

dynamiques sociales, à la praxis et à la prise de décision des acteurs en présence. Ce

modèle est donc un outil conceptuel nous aidant à comprendre le fonctionnement interne

des partis américains.

L'utilisation du modèle de l'arène intra-parti dans l'analyse des pratiques numériques

soulève plusieurs questionnements qui ont contribué à la construction de la

problématique de cette recherche : Quel est le rôle des acteurs dominants et de l'élite qui

contrôlent la communication? Comment les partis américains gèrent-ils la

communication en ligne de plusieurs millions de militants? Quelles sont les dynamiques

sociales et organisationnelles intra-parti qui sont en jeu dans la communication partisane

en ligne? Est-ce qu'un mécanisme de normalisation des potentiels des nouvelles

technologies en fait partie? Dans la perspective de comprendre l'implication quotidienne

des nouvelles technologies, la présente recherche propose de réfléchir à la question

suivante : En considérant la tension entre la nature centralisée des partis et le

33 Pour Marvick, le « cadre » est un statut combinant les tâches de mobilisation d'un organisateur de terrain(field organizer) et celles plus administratives d'un membre du personnel politique. Le cadre est parfois unmilitant, parfois un employé rémunéré.

38

potentiel de décentralisation des nouvelles technologies, peut-on penser que les

nouvelles technologies vont défier avec succès la « loi d'airain de l'oligarchie »?

2.2 – Le Parti démocrate américain

Si les partis politiques sont des organisations où une classe dominante a tendance à

contrôler l'ensemble de ses opérations, cela s'opèrerait également selon Michels (1971) au

sein des partis prétendant être plus démocratiques, progressistes et ouverts. D'ailleurs, les

démocrates se targuent d’être le parti du « progrès » (Rossitier 1965 : 166-167). Pourtant,

selon plusieurs auteurs, le Parti démocrate est caractérisé par l’exposition publique de

chicanes et luttes de pouvoir, signes de tensions internes. Les conflits internes seraient la

résultante de la structure même du parti et de sa composition (Freeman 1986 : 349;

Rossitier 1965 : 197). En effet, les démocrates ont un parti pluraliste formé de multiples

entités aux relations hiérarchiques complexes et mouvantes (Skinner et al. 2012; Freeman

1986; Hershey 2005; Melber 2010). Ainsi, comme le rapporte Galvin (2008), le pouvoir

au sein des partis américains n’est pas concentré au sommet, mais plutôt réparti entre les

différents groupes et sous-groupes le constituant (Galvin 2008 : 13; Eldersveld 1964).

Il est pertinent d'évoquer que cette composition interne n'entre pas en contradiction avec

la théorie de Michels. Un parti ayant une structure décentralisée, c'est-à-dire multi-

organisationnelle, comme c'est d'ailleurs le cas pour le Parti démocrate, n'est pas exempt

du processus décrit par la « loi d'airain » :

Thus, as has been shown at length, the various tendencies towards decentralizationwhich manifest themselves in almost all the national parties, while they suffice toprevent the formation of a single gigantic oligarchy, result merely in the creation of anumber of smaller oligarchies, each of which is no less powerful within its ownsphere. The dominance of oligarchy in party life remains unchallenged (Michels1971 : 202).

Dans la présente étude, le Parti démocrate est donc conceptualisé en tant qu’organisation

à multiples composantes (Coleman 1994; Cotter et al. 1984; Mayhew et al. 1986). Une

approche socio-organisationnelle est utilisée pour mettre en évidence le pluralisme et la

dimension concurrentielle de leurs interrelations, ainsi que pour saisir les rapports de

pouvoir entre elles au sein du parti (Bachelot 2011 : 126; Schonfeld 1989, 1985).

39

Dans les sections précédentes, il a été question de l’utilisation des nouvelles technologies

par les militants des partis politiques. Pour les besoins de cette recherche, les personnes

s’engageant dans un parti politique afin d’y faire prévaloir des idées ou des positions

politiques seront définies comme des militants. Un travail non rémunéré sera plutôt

représenté par le terme bénévole34. Dans son livre « Les Partis Politiques », Duverger

(1953) fait du militant un adhérent actif du parti de masse. C’est d’ailleurs le caractère

participatif de son adhésion qui le différencie de l’électeur et des sympathisants :

Les militants forment le noyau actif sur lequel un parti (ou toute autre organisation)fonde son activité de réunion, diffusion des mots d’ordre, relais des programmes,organisation de la « propagande », préparation des campagnes électorales,recrutement et prosélytisme politique. Si, au regard du parti, le militant est un« exécutant », il est, au regard de la société dans son ensemble, un « participant »(Dechezelles 2006 : 14).

Les auteurs utilisent également le concept du « cadre » pour identifier les employés (staff)

et les militants bénévoles se positionnant au sein de la hiérarchie du parti, entre la masse

militante et son élite :

Le mot « cadre » s'applique à tous ceux qui constituent la charpente d'uneorganisation, et qui doivent se montrer capables de recruter, de former et de mobiliserde nouveaux membres. Outre les tâches qui concernent directement les butspoursuivis par leur organisation, les cadres doivent assurer plus particulièrement laliaison, la publicité, la coordination, les recherches, et autres fonctions semblables.L'expérience et l'habileté acquises dans la plupart de ces domaines peuvent êtreappliquées à des situations très différentes. (Marvick 1962 : 621)

Ce que les médias et le public désignent comme étant le Parti démocrate s’avère être en

fait le Democratic National Committee (DNC), la principale organisation nationale

regroupant une pluralité de comités et associations démocrates35. Le DNC coordonne les

stratégies des campagnes de ces différents regroupements. En plus des organisations

nationales, le parti est composé d’une instance dans chacun des États américains. À New

York, le New York State Democratic Committee est structuré selon des divisions34 Lors de la présentation des résultats, nous constaterons que le terme anglais « volunteer » est utilisé parles participants pour désigner les militants. Néanmoins, je me distancie de sa stricte traduction alors, qu’enfrançais, « volontaire » évoque un engagement à une cause d’une durée déterminée soutenu par unedimension émotionnelle. Le terme est également largement associé à l’engagement militaire dans lalittérature francophone (Billaut et al. 2001).35 Le DNC est responsable, entre autres, de la coordination des opérations des comités suivants :Democratic Congressional Campaign Committee (DCCC), Democratic Senatorial Campaign Committee(DSCC), Democratic Legislative Campaign Committee (DLCC), College Democrats of America (CDA),Young Democrats of America (YDA) et même des comités nationaux pour les maires et les gouverneurs.

40

électorales et judiciaires (precinct, district et county) (Hershey 2005; Melber 2010;

Wilson 1962). Par ailleurs, en 2009, l’organisation de campagne de Barack Obama

(Obama For America) fut renommée Organizing For America (OFA) et incorporé dans la

structure du Parti démocrate. À partir de ce moment, elle devint l'organisation dédiée

exclusivement au support de l’agenda politique et à la réélection du président Obama.

Si OFA est désormais légalement un « projet » du Parti démocrate, il n’en demeure pas

moins qu'OFA et le Parti démocrate maintiennent des structures militantes parallèles dont

les interrelations sont limitées :

While OFA is part of the DNC, it has not provided many opportunities for membersto increase their access or power to the DNC’s formal membership, decision structureor superdelegate system (Melber 2010 : 68).

OFA divise chaque État en plusieurs territoires contenant des équipes locales, appelées

neighborhood teams (Melber 2010 : 60; Organizing For America 2011). Ces équipes sont

dirigées par un « dirigeant d’équipe locale »36 (NTL) « responsable de recruter, entraîner

et de diriger un groupe de militants et d'implémenter les efforts d'organisations sur son

territoire déterminé »37 (Organizing For America 2011 : 18). D’ailleurs, l’Annexe 3

présente la structure hiérarchique d'OFA. En plus de leurs structures parallèles, le DNC et

OFA divergent également dans leurs objectifs. Tel que mentionné précédemment, OFA est

dédié à l’avancement de l’agenda présidentiel et le mandat du DNC porte plutôt sur

l'élection de candidats nationaux et au niveau des États (Melber 2010 : 7; Organizing for

America 2011 : 3; Schultz et Sandy 2011 : 114).

Après l'élection d'Obama en 2008, plusieurs équipes locales d’Organizing For America

se sont séparées de la direction nationale afin de garder leur indépendance et de continuer

à militer pour leurs propres priorités. La plupart des groupes pionniers de la campagne

d’Obama utilisèrent l’appellation « [nom du quartier] For Change », par exemple New

York City For Change, Hell's Kitchen For Change et Tribeca For Change. Sur son site

Web, le groupe du quartier de Tribeca se décrit comme suit :

Tribeca for Change grows out of the progressive grassroots election campaign ofBarack Obama and Organizing for America. We are an independent, non-partisan,

36 Traduction libre de « Neighborhood Team Leaders » (Organizing For America 2011 : 18).37 Traduction libre.

41

political and cultural, activist organization; targeting specific local and national issues– supporting the continued renewal of civic responsibility, community andcitizenship. (Tribeca For Change 2012 : consulté le 28 décembre 2012,http://tribecaforchange.org/?p=649)

Cette définition révèle que ces organisations déclarent être grassroots et clament leur

indépendance par rapport à Organizing For America et aux autres instances démocrates38.

Le milieu démocrate s’avère donc être structurellement complexe étant composé de

multiples entités. Par conséquent, la présente recherche prendra en compte les relations

des militants au sein de ces organisations, mais également les relations entre les

différentes organisations du Parti démocrate.

2.3 - L’ascension de Barack Obama : le mythe de l’influence du Community Organizing

Dans la littérature, le passé d’organisateur communautaire39 d’Obama est parfois associé

à l’organisation de campagne grassroots bâtie pour remporter l’élection présidentielle de

2008. Par exemple, Clayton affirme :

One key strategy to Obama's successful run for the presidency was the building of agrassroots organization of campaign staff, offices, and volunteers in almost everystate in the nation. Obama had been a community organizer in Chicago and he feltthat a bottom-up approach was key to winning the White House. (Clayton 2010 : 22)

On peut se demander ici ce que signifie en réalité community organizer dans le contexte

de la carrière d’Obama et si Organizing For America est une véritable « organisation

communautaire ». À ce propos, Schutz et Sandy (2011) offrent un portrait de

l’organisation communautaire américaine et une analyse de sa filiation avec la première

campagne présidentielle d’Obama. Les auteurs définissent d’abord le community

organizing comme « la recherche de l’altération des rapports de force entre les groupes

détenant traditionnellement le pouvoir et les habitants de communautés marginalisées »

(Schutz et Sandy 2011 : 12). Considéré comme le père de l’organisation communautaire,

38 Dans le présent ouvrage, j’utilise donc l’expression « groupe grassroot » pour les identifier.39 Dans le présent chapitre, j’utilise l’expression « organisateur communautaire », ainsi que toutesréférences au « communautaire », en tant que traduction libre de « community organizing ». Dans lechapitre des résultats, j’utilise l’expression « organisateur » en tant que traduction de « organizer », cesmilitants bénévoles ayant la responsabilité de coordonner et mobiliser des équipes locales ou autres groupesdémocrates.

42

Alinsky (1971) abonde dans le même sens. C’est en aidant des groupes communautaires à

s’organiser qu’on bâtit un capital pouvant faire contrepoids aux détenteurs du pouvoir :

Organizing groups shift the relations of power by increasing their membership,nurturing and training leaders, gaining a reputation for canny strategy, raising moneyto fund their infrastructure and staff, and demonstrating their capacity to get largenumbers of people out to public actions (ibid.: 12).

En vue de mobiliser les citoyens, les théoriciens du community organizing suggèrent,

entre autres, de s’engager dans un processus itératif. Dans un premier temps,

l’organisateur doit parfaire ses connaissances sur son territoire par des entrevues dites

« face-à-face »40 et des rencontres avec les acteurs du milieu. Dans un second temps,

raconter des histoires vécues (storytelling) personnalisant les luttes politiques et

polarisant les protagonistes s’est montré efficace pour susciter l’engagement

communautaire (Schutz et Sandy 2011 : 220-228).

Ancien organisateur communautaire devenu chargé de cours à Harvard, Ganz (2006)

avance également que raconter des histoires vécues est une approche mobilisante,

motivante et permettant de bâtir des relations. Dans son cours sur le community

organizing, Ganz y décrit sa vision d’une histoire personnelle efficace accomplissant trois

objectifs. Schutz et Sandy résument la pensée de Ganz :

An effective story : includes a narrative of « self » that defines who a leader is andprovides a model for others; roots a leader’s story in the collective story of theircommunity, creating a story of « us »; and points to a better collective future for thatcommunity if they can come together in collective action (Schutz et Sandy 2011 :115).

D’ailleurs, Ganz travailla au sein de la première campagne d’Obama. Il développa les

« Camp Obama », une activité pédagogique pour les militants et les dirigeants des

équipes locales d’OFA, où il a mis en pratique plusieurs tactiques de l’organisation

communautaire, notamment celle des histoires vécues (ibid. : 115). Les participants

étaient invités à se raconter et se positionner dans l’organisation, mais également dans la

vision politique d’Obama (« story of us ») (Exley 2007). Ganz s’appuie sur les pratiques

de conversion évangélique pour développer sa version politique : « l’utilisation

d’histoires personnelles encourage les autres à atteindre un point d’expression

confessionnelle afin d’accepter une figure religieuse particulière » (Schutz et Sandy40 Traduction libre de « one-on-one » (Schutz et Sandy 2011 : 191).

43

2011 : 119). Ainsi, pendant les camps, les militants étaient invités à raconter l’histoire de

leur « conversion » à la vision d’Obama.

À la lumière de ces éléments, est-ce qu'Obama a réussi à bâtir une nouvelle organisation

politique pouvant être qualifiée « d’organisation communautaire »? Schutz et Sandy sont

sans équivoque :

Given these realities, should we have to create an authentic, independent communityorganizing group to support his election? No. And he didn’t. While he and hissupporters drew ideas from community organizing, what they created was acampaign organization focused on electing Obama (ibid. : 114).

Pour les auteurs, OFA a développé des équipes électorales ayant comme unique objectif

de faire élire un candidat politique, plutôt que de responsabiliser les résidents d’un

quartier pour les opposer aux forces du statu quo. Un politicien créant une entité qui lui

serait indépendante pourrait entrer en conflit avec elle, voire constater qu’elle travaille

contre ses intérêts et son élection (ibid. : 35-36, 113). En ce sens, l’organisation de la

première campagne d’Obama peut être considérée comme une organisation politique

traditionnelle.

D’ailleurs, les propos d’anciens militants soulignent à quel point cette campagne était

centralisée par la direction d’OFA (Kennedy-Shaffer 2009; Rogers 2009; Schutz et Sandy

2011 : 121). Notamment, un ancien militant décrit l’implication de Chicago dans leur

gestion locale comme étant « suffocante » (Kennedy-Shaffer 2009 : 63-65). La direction

envoyait des consignes et des scripts expliquant comment communiquer avec les

électeurs. Ces militants avaient néanmoins plus de flexibilité à travers l’utilisation

d’outils technologiques facilitant leurs actions, mais cette flexibilité se limitait au

déroulement des opérations de la campagne. Pour Schutz et Sandy, les militants n’avaient

aucune influence sur la direction de la campagne et les positions du candidat Obama

(Schutz et Sandy 2011 : 121). Par conséquent, la mobilisation sans précédent d’OFA

serait beaucoup plus près de l’organisation politique traditionnelle que de la définition de

l’organisation communautaire.

44

2.4 - Facteurs sociaux et dynamiques internes des partis politiques

Dans son livre Communication Power, Castells (2009) souligne l’importance du partage

de concepts dans l’exercice du pouvoir. Selon lui, l’efficacité de la violence et de la

menace de violences est tributaire de la construction de symboles inhérents à la

production et reproduction des relations de pouvoir dans un milieu. Castell précise que le

processus de la construction symbolique s’opère dans un contexte culturel qui est

simultanément global et local. Ainsi, le pouvoir s’exerce à travers l’appréhension des

concepts partagés faisant suite à cette construction symbolique adaptée : elle dépend des

discours et des cadres (« framing ») formatés et diffusés au sein de « réseaux humains de

communications »41 (2009 : 417).

Dans le cas des partis politiques, en les concevant justement comme des réseaux socio-

organisationnels, on constate qu'un certain nombre de normes admises par les acteurs

politiques définit le déroulement de la compétition. C’est ce que Marvick qualifie de

« règles du jeu » dans le contexte de la compétition électorale (Marvick 1966 : 625).

Leach (1954), quant à lui, apporte un éclairage intéressant sur ce sujet grâce à ses travaux

effectués dans les hautes terres de la Birmanie. L’auteur conçoit le « combat politique »

comme l’utilisation de tactiques et de stratégies par un réseau d’individus cherchant à

atteindre les objectifs du groupe. Or, à travers ces tactiques et ces stratégies, les

détenteurs du pouvoir chercheront à favoriser leur contrôle au sein d’un système politique

par la manipulation des règles du jeu. Pour Leach, l’appréhension de la manipulation des

règles du conflit politique par les dirigeants politiques birmaniens pour avantager leur

position dominante n’était possible qu’en conceptualisant la région des hautes terres du

Kachin comme l’écosystème étudié.

Dans un même ordre d’idées, Freeman (1986) soutient également que des règles du jeu

structurent les comportements au sein du Parti démocrate et du Parti républicain :

Party activists share membership in common social strata, with common rules ofbehavior and a common definition of who is acceptable. These rules of behavior or

41 Traduction libre de « communication networks ».

45

acceptability create an informal language and style that is hard for outsiders to learnand thus operates as a barrier to their assimilation. (Freeman 1986 : 349)

Formées de normes et situées dans un contexte social, les règles du jeu sont construites à

partir de la culture du parti politique. Pour Key (1962), la construction symbolique chez

l’élite, les militants et le cercle politique produirait, par une certaine forme de

socialisation, des normes et des valeurs partagées formant une sous-culture originale

(1962 : 622). En s’appuyant sur la théorie de Key, Marvick (1966) parvient, par exemple,

à distinguer les cultures distinctes de partis politiques allemands. Par ailleurs, cette

théorisation s’apparente au concept de « culture des organisations » (Ouchi 1982; Pascal

et Athos 1981; Peters et Waterman 1982). Les organisations, notamment les entreprises,

sont des réseaux sociaux à l’intérieur desquels se trouvent des systèmes de

représentations et de valeurs partagées :

As individuals come into contact with organizations, they come into contact withdress norms, stories people tell about what goes on, the organization’s formal rulesand procedures, it’s informal codes of behavior, rituals, tasks, pay systems, jargon,and jokes only understood by insiders, and so on. […] The patterns or configurationsof […] interpretations, and the ways they are enacted, constitute culture(Martin 1992 : 3).

Le contact avec l’organisation contribue à rendre certains types de rétributions et de

pratiques désirables, d’autres moins; formant ainsi un processus de socialisation (Sawicki

et Siméant 2009). Les individus intériorisent des attitudes, valeurs, normes, pratiques et

des représentations au sein du réseau (Brim 1966; Mohr 1982; Van Maanen et Schein

1979). D’ailleurs, plusieurs études rapportent la présence d’une socialisation des militants

politiques (Burrell 1982; Eldersveld 1964; Hedges 1984). Néanmoins, elle n’est pas

identifiée à tous coups, révélant ainsi la difficulté de son appréhension (Browder and

Ippolito 1972; Ippolito 1969). Lorsqu’elle l’est, les activités partisanes sont au cœur du

processus en transmettant les croyances, valeurs et règles, en entretenant des opinions et

en permettant l’apprentissage de savoir-faire et de techniques d’actions politiques

(Lagroye 2006 : 226). En fait, la socialisation pourrait être le ciment maintenant un parti

politique en un ensemble cohérent (Eldersveld 1964; Kirkpatrick 1976; Miller and

Jennings 1986), alors que l’expérience et le temps influenceront, à différents degrés,

l’attitude et les croyances des militants (Burrell 1982; Conway and Feigert 1968;

Eldersveld 1964; Hedges 1984; Roback 1980; Wilson 1962).

46

Les théories de Bourdieu (1979, 1990, 1993, 2004) peuvent également nous éclairer sur

la reproduction de la pratique, par exemple sur celles de la contestation (Ancelovici 2009)

ou des « pratiques militantes »42 (Ibrahim 2011). En effet, le concept de l’habitus de

Bourdieu aide à comprendre la volonté d’un acteur et son habilité à agir de manière

réfléchie à l’intérieur d’un champ. Avec le temps, une pratique devient une seconde

nature. L’acquisition de capital devient alors routinière, creusant certaines distinctions et

inégalités culturelles, symboliques et sociales existantes dans le champ. Un tel processus

rejoint aussi les travaux de Bourdieu et Passeron (1964, 1970) sur la reproduction de

l’ordre social dans l’accès aux études supérieures et la persistance de systèmes

d’enseignement. Les auteurs évoquent dans leurs écrits que la reproduction d’un ordre

social est permise par la reproduction de la hiérarchie sociale et de la légitimité du

système à l’origine de cette hiérarchie.

Par ailleurs, la reproduction d’un système de domination à laquelle participent

inconsciemment les personnes dites « dominées » forme une violence symbolique selon

Bourdieu (2004). Ces personnes adopteraient par leur socialisation, voire par

l'incorporation des relations de domination, « le point de vue des dominants » et par

conséquent ces relations leur apparaîtraient « naturelles » (2004 : 332) :

how domination operates on an intimate level via the misrecognition of powerstructures on the part the dominated who collude in their own oppression to theextent that every time they perceive and judge the social order through categories thatmake it appear natural and self-evident (Bourdieu et Wacquant 1992 : 162)

Dans le cadre de la présente étude, l’exercice du pouvoir comme une forme de contrôle

structurel, reproduisant un ordre hiérarchique et instituant un ensemble de valeurs et

normes culturelles au sein de son organisation, sera alors envisagé à travers ces notions

de reproduction d’ordre social et de légitimation. En ce sens, les militants peuvent

reproduire ces relations en adhérant à la microculture du parti qu’ils percevraient comme

allant de soi.

42 Traduction libre de « political pratice » (Ibrahim 2011).

47

2.5 - L’utilisation des nouvelles technologies comme pratique culturelle

Le présent mémoire s'inscrit dans une approche socio-culturelle de l’utilisation des

nouvelles technologies pour la penser en termes de pratiques culturelles (Albrecht 2006;

Suchman et al. 1999). Par conséquent, l’utilisation des nouvelles technologies sera vue à

travers le prisme d'éléments culturels liés au Parti démocrate américain tout en tenant

compte des dimensions symboliques et sociales : les normes créent des habitudes et

pratiques ritualisées liés aux distinctions culturelles du milieu dans lesquelles elles sont

réalisées. Par exemple, Dalsgaard (2008) estime que l’utilisation d’outils 2.0 participe à

la formation d’une identité virtuelle qui est la résultante de la construction, par

socialisation, d’un capital culturel (Bourdieu 1984). C’est-à-dire que l’identité virtuelle se

présente par rapport aux relations de l’utilisateur. Si l'on prend l'exemple de l'utilisateur

de Facebook : « The Facebook person is a dividual that incorporates her/his social

relations to form the representation of her/his identity » (Dalsgaard 2008 : 9). Pour sa

part, Regan (2006) s’est penchée sur les procédures gouvernementales de la publication

en ligne en y soulignant l’influence de facteurs institutionnels. En effet, la culture

organisationnelle et la structure hiérarchique « donnent directement la forme »43 au

contenu publié :

Institutional factors, including the organizational hierarchy and the power structurethat evolved over time among IT actors, would shape the actions of those concernedwith Web content. The sense of mission, the values, and the routines that emergefrom the history and culture of the agency, all influence these Web content decisionsand structures (Regan 2006 : 519).

Regan souligne également le rôle central joué par l’analyse socio-organisationnelle dans

la compréhension des mécanismes et pratiques des institutions face aux nouvelles

technologies (voir également Fountain 2001).

Ces études empiriques soulignent l’effet structurant de la culture organisationnelle et des

relations de pouvoir sur l’utilisation des nouvelles technologies. Les potentiels offerts par

les nouvelles technologies se voient donc également « normalisés » par ces facteurs

(Davis 1999; Resnick 1998). Comme il a été souligné dans les chapitres précédents, la

43 Traduction libre ( Regan 2006 : 509).

48

théorie de la normalisation stipule que l’utilisation des outils technologiques est adaptée

aux impératifs de la vie partisane dépendamment des rapports de force et facteurs sociaux

en présence. Schweitzer (2011 : 311-314) amena cette théorie plus loin en avançant

qu’elle s'effectue à trois niveaux, sans égard à la culture et au système électoral. D'abord,

il y a la 1) normalisation relationnelle alors que les différences de pouvoir entre les partis

majeurs et mineurs sont demeurées sensiblement les mêmes dans le cyberespace.

L'utilisation du Web ne serait pas suffisante pour égaliser les rapports de force, voire les

altérer (Carlson et Strandberg 2008; Gulati et Williams 2007; Jackson et Lilleker 2009;

Kalnes 2009; Strandberg 2008; Schweitzer 2008). Ensuite, il y a la 2) normalisation

fonctionnelle, qui souligne le style formel, modéré, contrôlé et de « haut en bas » de la

communication politique en ligne. La communication organisationnelle demeurerait

sensiblement la même (Carlson et Strandberg 2008; Gulati et Williams 2007; Kluver et

al. 2007). Finalement, la 3) normalisation discursive identifie en ligne un modèle

(pattern) argumentatif qu'on retrouve également hors ligne (Benoit 2007; Schweitzer

2008, 2010; Wicks et Souley 2003).

Au final, l'idée que ces normes, ces pratiques et que cette culture « normalisent » des

potentiels soulève une question qui mérite d'être abordée. La théorie de la normalisation

renvoie à un état « normal » quelconque, qui n'est pas précisé. Lorsqu'ils sont adaptés,

vers quelle « normalité » sont menés les potentiels des nouvelles technologies? Afin de

souligner l'intégration des réalités sociopolitiques existantes dans l'analyse de l'utilisation

des nouvelles technologies, je mobiliserai plutôt l'idée d'une structuration des potentiels.

En ce sens, l’utilisation des nouvelles technologies n’échappe pas à l’influence des

facteurs sociaux dans laquelle elle s’opère. Cette utilisation peut se concevoir comme un

ensemble de pratiques culturelles étant, elles-mêmes, des éléments d’une culture

organisationnelle apprise et reproduite par la socialisation des non-initiés. En

comparaison, les partis politiques ont également des règles du jeu, des normes et des

pratiques pouvant former une microculture de parti.

49

Chapitre 3 – Méthodologie

La structuration des potentiels de décentralisation du Web au sein des partis politiques

s'opérerait à travers les processus sociaux et les pratiques internes des partis. Des

contraintes se transposeraient dans le quotidien des militants, ainsi que dans leur

utilisation du Web. La présente recherche s'inscrit donc dans la tradition des études

scrutant la pratique des militants. Dans l'optique de révéler et de décrire les mécanismes

internes entourant l’utilisation des nouvelles technologies et comment ils s’articulent avec

le pouvoir de l’élite du Parti démocrate, une immersion dans le milieu militant a été

nécessaire. Cela a permis de recueillir des données qui ont la qualité d'être riches sur la

vie militante et le fonctionnement interne des partis. Une approche ethnographique ancrée

dans le paradigme compréhensif a été sélectionnée afin de répondre à notre question de

recherche : En considérant la tension entre la nature centralisée des partis et le

potentiel de décentralisation des nouvelles technologies, peut-on penser que les

nouvelles technologies vont défier avec succès la « loi d'airain de l'oligarchie »? C'est

guidé par ce questionnement que j'ai amassé des données, malgré les obstacles rencontrés

sur le terrain. Mais avant de présenter les résultats de notre étude, il importe de

comprendre la méthodologie employée.

3.1 – Approche méthodologique et originalité de la recherche

Ce qui est proposé dans le présent ouvrage, c'est le recours à une méthodologie

ethnographique dans l'étude de l'utilisation du Web et des NTIC par les partis politiques.

Peu fréquent dans l'étude de ce phénomène, c'est cette approche qui attribue l'originalité

au travail proposé. Il est intéressant de constater que les méthodologies employées pour

étudier l’utilisation par les technophiles, les technophobes et les « descriptifs » ont un

point en commun. Elles sont fondées sur une observation externe des partis où le parti est

scruté comme un objet entier et monolithique où la présence de composantes internes

concurrentes est omise.

51

Par ailleurs, comme mentionné antérieurement, les partis politiques semblent être la

scène de multiples mécanismes internes, dont celui de la structuration des potentiels du

Web. Avec leur déterminisme appliquant les potentiels des NTIC à l’ensemble de la

société, les tenants technophiles et technophobes n’en font pas mention. Toutefois,

quelques chercheurs « descriptifs » ont soulevé un phénomène similaire à celui de la

normalisation (Foot et Schneider 2006; Gibson et Ward 1999; Jackson et Lilleker 2009;

Lamiter 2009). Leurs recherches sont bonifiées par l’apport de sources internes aux

partis, notamment des questionnaires et des entrevues (Foot et Schneider 2006; Gibson et

Ward 1999; Latimer 2009; Resnick et Margolis 2000; Schweitzer 2011; Stromer-Galley

2000). Il n'en demeure pas moins que ces recherches continuent d'avoir une portée limitée

en termes de compréhension des mécanismes et dynamiques internes des partis. La

participation du personnel politique sert à mettre en contexte les résultats obtenus. Par le

fait même, elles omettent le rôle des militants et méjugent celui du personnel politique

(Marvick 1966). Selon Marvick, « cette négligence n'est pas sans conséquence : elle

favorise en effet les simplifications abusives et l'imprécision dans l'étude du

fonctionnement réel des partis » (1966 : 620).

Il a, d’ailleurs, été avancé précédemment que l’utilisation des NTIC, en tant que

nouvelles manières de faire la politique, s'accompagne d'un renouvellement du rôle des

militants dans les fonctions des partis. Le message du parti est désormais transmis sur les

médias sociaux par les militants et le Web aide à gérer les opérations militantes sur le

terrain. Néanmoins, on en connaît très peu sur cette nouvelle forme d’implication des

militants dans le fonctionnement interne des partis. On ignore également si des

dynamiques internes structurent les potentiels des nouvelles technologies que pourraient

exploiter les militants. De plus, les recherches empiriques sur l'usage des nouvelles

technologies qui prennent en compte la structure organisationnelle des partis politiques

sont limitées (Kreiss 2009 : 282). Comment les partis gèrent-ils l'expression publique de

la dissension et des problématiques internes par Internet? Comment s'articule l’apport du

Web dans la gestion et la prise de décision des partis? Comment se négocie la tension

entre le potentiel d'autonomie des équipes sur le terrain et la nature centralisatrice des

partis?

52

Quelques auteurs choisissent une approche différente pour appréhender l'environnement

intra-parti. Actuellement, les chercheurs redécouvrent l’approche ethnographique dans

l’étude des partis politiques (Bachelot 2011). Ces recherches portent en général sur la

base militante et sont réalisées dans des milieux locaux (Jenson et Ross 1984; Mischi

2010; Faucher-King 1999; Combes 2005; Avril 2008; Bachelot 2011). Les partis y sont

souvent abordés à travers le prisme de grands rassemblements ou des campagnes

électorales (Faucher-King 2005; Ethuin et Nonjon 2005; Lefebvre 2005) plutôt que par

celui du quotidien des militants (Fields 2012; Heaney et Rojas 2011; Combes 2009). En

plus d’être une approche davantage adoptée dans l’étude des partis européens

qu’américains (Schonfeld 1985; Fretel 2004; Lefebvre 2005; Tristan 1987; Boumaza

2001; Bizeul 2003; Avanza 2007; Dechézelles 2006; Vergani 2011; Ethuin 2006; Berezin

2007), je n’ai pu recenser aucune étude ethnographique sur l’emploi du Web chez les

partis politiques. En fait, toutes approches confondues, le fonctionnement interne des

partis a été très peu étudié par les politologues depuis l’apparition d’Internet. Selon

Heinderyckx, « l'utilisation des ressources en ligne pour l'organisation [d'un parti] est

l'aspect le moins documenté de l'opération, bien qu'absolument décisif » (2011: 126).

Dans ces circonstances, des données ethnographiques sur le sujet peuvent être conçues

comme un « savoir désirable » (Chevrier 1992 : 51).

Une méthodologie qualitative ayant recours aux questionnaires et à la conduite

d'entrevues avec les militants et les « cadres » bénévoles aide à comprendre leur

comportement, leur praxis et « la façon dont ils exercent leurs fonctions, les raisons pour

lesquelles ils les exercent ainsi et les conséquences qui en découlent » (Marvick 1966 :

621). Malgré son caractère exploratoire, la pertinence de la présente étude réside dans son

potentiel à mettre en lumière les dynamiques intra-parti et à tenter d'appréhender un

processus de structuration technologique pouvant avantager l’élite du parti. Également,

elle s'avère informative pour le milieu académique en s'inscrivant dans la courte liste des

études ethnographiques au sein des partis politiques, tout en le faisant au sein d’un parti

ayant intégré des NTIC pour exécuter ses fonctions traditionnelles.

53

En choisissant de s'intéresser aux mécanismes intra-parti et à la structuration de la

communication des militants, la méthodologie employée doit alors nous permettre

d'explorer le quotidien des militants. Il est essentiel de poser un regard au niveau de la

praxis des acteurs, aux « actions que les personnes entreprennent à partir de certaines

représentations de la réalité, selon leur conception du monde et les possibilités du

moment » (Deslauriers 1991 : 71). C'est pourquoi le cadre méthodologique de la présente

recherche s'appuie sur une approche empirico-inductive. Le paradigme qualitatif « se

concentre sur l'analyse des processus sociaux, sur le sens que les personnes et les

collectivités donnent à l'action, sur la vie quotidienne, sur la construction de la réalité

sociale » (Deslauriers, 1991 : 6). La présente recherche s'inscrit aussi dans un processus

de reconceptualisation inachevée, c'est-à-dire « itératif et rétroactif » comme l'entendent

Deslauriers et Kérisit (1997). Ainsi, la problématique, le cadre conceptuel et le

questionnaire de notre étude ont été adaptés aux réalités et différents processus présents

sur le terrain. À cet effet, Deslauriers et Kérisit affirment :

Le chercheur qualitatif ne va pas sur le terrain seulement pour trouver réponses à sesquestions; il y va aussi pour découvrir des questions, surprenantes par certainsaspects, mais souvent plus pertinentes et plus adéquates que celles qu’il se posait audébut (Deslauriers, Kérisit, 1997 : 106).

Même si notre analyse met l'accent sur la praxis des acteurs, elle le fait sans négliger les

contextes microsocial et macrosocial dans lesquels ces actions sont réalisées, car « pour

l'ethnométhodologue, micro et macro ne s'opposent pas, le micro fournissant au macro le

contexte nécessaire à son actualisation » (Laperrière, 1987 : 7).

Au final, cette méthodologie ethnographique s'inscrit également dans le paradigme

compréhensif (Mucchielli 2004 : 24, 28), c'est-à-dire que dans cette étude, l'objet et le

sujet sont interdépendants et qu'ils ne sont pas extérieurs à la subjectivité humaine. À ce

sujet, Herman (1983) énonce « [qu']étudier le social, c'est le comprendre (ce qui n'est

possible qu'en le revivant), l'objet social n'est pas une réalité externe, c'est un construit

subjectivement vécu » (1983 : 44). Par conséquent, l'ethnologue prend en compte les

perceptions, les sensations et les impressions provenant de son immersion au sein de

l'environnement étudié et des entrevues avec des participants. Elles sont porteuses de faits

et de sens sur les rapports sociaux en présence. Suivant le processus de

54

reconceptualisation itérative, l'approche compréhensive permet d'appréhender les

processus et mécanismes par synthèses progressives jusqu'à formuler une synthèse finale,

plausible socialement et qui donne une interprétation « en compréhension » de l'ensemble

étudié (Mucchielli 2004 : 24).

3.2 – Méthodes de collecte dans une analyse empirico-inductive du fonctionnement interne du Parti démocrate

Cette démarche méthodologique s'inscrit dans l'ethnographie de Bailey (2007) par

l'utilisation de trois méthodes de collecte de données, c'est-à-dire l'intégration et

l'observation-participante dans le milieu militant, la tenue d'un journal de terrain et

finalement, la conduite d'entrevues semi-directives avec des militants démocrates44. Par

cette multiplication des méthodes de collecte et la combinaison de leurs données, une

« triangulation » se forme et assure la qualité de la recherche (Bailey 2007).

Tout d’abord, l'observation-participante a été utilisée pour s'immerger dans

l'environnement étudié tout en échangeant de manière informelle avec les militants.

Jacoud et Mayer affirment que l'observation-participante « constitue souvent le moyen

privilégié pour pénétrer dans un milieu culturel donné » (1997 : 241). Cette technique

joue un rôle clé dans le processus itératif de reconceptualisation des outils conceptuels et

du schéma d'entrevue, mais également dans l'ethnographie en tant que sources de

données.

L'observation-participante est un processus, en soi, à travers lequel le chercheur peut

déterminer ce qui est important à appréhender et peut comprendre la signification des

observations vécues par les participants (Bailey 2007). Pouvant renfermer des

coïncidences aux yeux du chercheur, l'observation d'événements et de pratiques alimente

son intuition et sa quête de sens (Deslauriers 1987). « Les observations n'ont pas de sens

en elles-mêmes, mais seulement à la lumière des processus sociaux qu'elles illustrent, »

affirme Deslauriers (1987 : 149).

44 Dans la prochaine section (3.3), je précise pourquoi notre population se limite aux militants du Partidémocrate.

55

Priorisant la recherche de participants à travers le développement de relations avec des

militants et l'agrandissement de mon réseau45, aucun guide n'a structuré la sélection des

événements auxquels j’ai participé. J'ai préféré me concentrer sur ce qui semblait

pertinent au fur et à mesure que les événements se présentaient. Cette approche « non

structurée » demeure plus flexible, sans négliger la triangulation des lieux, des classes

sociales et du moment de la journée (Bailey 2007). Néanmoins, afin de cerner l'aspect

quotidien de l'expérience des militants, j’ai suivi les directives suivantes pendant les

observations :

1) Décrire en détails l'observation des activités partisanes en portant attention à

l'aspect physique des lieux, au contexte social des activités, aux participants

(comportement, langage et schèmes de pensée) et à leurs actions (gestes et

déroulement des activités);

2) Décrire en détails l'observation des activités en portant attention à ce qui ne se voit

pas, au non verbal et à ce qui est caché;

3) Décrire en détails mon intégration dans le milieu et mon processus de recherche de

participants en prenant en compte de ma propre participation dans le milieu

(réflexivité).

Ensuite, toutes les observations de la présente étude ont été consignées systématiquement

dans un journal de terrain, puis ont été considérées dans l'analyse. Ces notes comprennent

des descriptions d’événements, des réflexions sur des événements passés, des pensées

réflexives et des analyses préliminaires (Altheide et Johnson 1994; Bailey 2007; Lofland

1971).

Finalement, j'ai conduit des entrevues semi-dirigées enregistrées avec la permission des

participants46 (Bailey 2007; Schensul et al. 1999). Ces derniers savaient que leur entretien

était de nature académique et qu'il portait sur l'utilisation des nouvelles technologies au

sein de l'environnement partisan. Les entrevues étaient conduites lors de rendez-vous

formels prévus à cet effet, mais prenaient l'apparence de discussions informelles. J'ai

45 La méthode de recherche de participants sera développée dans la prochaine section (3.3).46 Le questionnaire de recherche peut être consulté à l’Annexe 1.

56

demandé aux participants d'exprimer le sens qu'ils donnent à leur comportement, aux

actions qu'ils posent et aux situations dans lesquelles ils évoluent en lien avec leur

implication militante. Par ailleurs, tout comme l'observation-participante, les entrevues

ont également aidé à l'ajustement du schéma d'entrevues et des outils conceptuels aux

réalités du terrain et au quotidien des militants. En résumé, 25 entrevues furent conduites

en privé dans une salle adjacente au quartier général des démocrates de New York ou

dans l'anonymat de la foule d'un café de Manhattan. Leurs durées ont varié entre 20 et

200 minutes (3h20) et elles duraient en moyenne 1h30. Si 24 entrevues furent réalisées en

anglais, une seule fut conduite en français.47 Aucun des 25 participants n'a refusé d'être

enregistré. Les militants interviewés dans le cadre de cette étude seront désignés comme

étant des participants, puisqu'ils ont partagé leurs expériences lors d'une entrevue semi-

dirigée. J'emploie également des pseudonymes afin de protéger l’identité des participants.

3.3 - Ethnographie en milieu urbain : intégration et recherche de participants sur le terrain

Les données de cette recherche ont été collectées à l'été 2011 sur une période de 3 mois48

dans la ville de New York. Le contexte socio-démographique de ce milieu urbain

spécifique a donc caractérisé le processus de récolte de données du présent mémoire.

Selon Laperrière, « ce qui importe dans le choix d’une situation ou d’une population

d’étude de départ, c’est leur capacité à éclairer le mieux possible le phénomène à

l’étude » (1997 : 314). Or, la revue de la littérature a révélé que c'est aux États-Unis que

l'utilisation des NTIC semble bien implantée dans les pratiques des partis politiques.

D'ailleurs, les campagnes électorales d'Howard Dean et de Barack Obama sont maintes

fois citées pour leurs innovations technologiques. Néanmoins, même si le grand nombre

d'études sur ces campagnes démocrates trace un portrait adéquat de cette utilisation, j'ai

soulevé le vide théorique quant au fonctionnement interne des partis face aux potentiels

du Web. Avec cette perspective en tête, je me suis penché sur les mécanismes internes du

47 Les extraits retenus en français ont été traduits en anglais pour empêcher toute identification du participant francophone.48 Plus précisément, du 1er juillet au 25 septembre 2011.

57

Parti démocrate. La ville de New York a été sélectionnée comme lieu de cette étude de

terrain pour sa grande population et pour le nombre important d'activités démocrates s'y

déroulant, ainsi que pour sa diversité culturelle et économique. Ayant déjà servi à l’étude

des activistes politiques, New York serait comparable aux autres communautés urbaines

des États-Unis (Hirschfield et al. 1962 : 490).

Au début du terrain de recherche, j'ai envoyé plusieurs centaines de courriels à des

militants qui m'étaient inconnus. Les courriels furent obtenus par des recherches de

contacts sur les médias sociaux. Malgré cet envoi massif, une seule personne répondit

pour m’exprimer sa volonté de participer à la présente recherche. Or, l'ethnographie m'a

permis de collecter des données beaucoup plus efficacement que par l'envoi de courriels.

Étant affichées sur le site Web d'Obama, je me suis d'abord inscrit à une foule d’activités

tout en multipliant les quartiers et leurs types. J'ai donc participé à divers types d'activités

militantes : 1) des house meetings49; 2) des séances d'appels téléphoniques; 3) des séances

d'enregistrement d'électeurs; 4) des formations; et 5) des activités sociales.

En participant à ces différentes activités, j'ai pu ensuite établir des liens de confiance avec

plusieurs militants. Plus particulièrement, j'ai bâti peu à peu des relations avec des

« gatekeepers » au sens de Burgess (1991), c'est-à-dire des individus qui jouent un rôle

dans l'accession ou le barrage à un réseau, un milieu (voir également Bailey 2007). Pour

la présente étude, ce sont les dirigeants des équipes locales et le directeur terrain50 de

New York qui ont agi comme des gatekeepers. Par l'instauration d'un rapport entre nous,

j'ai pu bénéficier de leur collaboration. Cela me donna accès à l'ensemble de leur réseau,

mais également à leur capital social, alors qu'uniquement par notre accointance, la

présente recherche bénéficiait d'une plus grande crédibilité et devenait soudainement

digne d'intérêt aux yeux des militants.

49 Un « House Meeting » est une rencontre d’accueil et d’intégration à une équipe locale d’Obama. Cetteactivité se déroule chez un bénévole actif : « House meeting are gathering of supporters in a neighborhoodlocation. House meetings persuade, organize, motivate, and activate volunteers. House meetings helpOrganizers to form teams » (Organizing For America 2011 : 46-47). 50 Traduction libre de « Field director ». Le directeur terrain supervise toutes les opérations militantes surson territoire et gère tout le personnel et les bénévoles sur le terrain. C’est un employé responsable « fordeveloping, implementing and adjusting the field plan to meet the overall objectives of the campaign »(Organizing For America 2011 : 74).

58

C'est dans ce contexte que j'ai recherché des participants par la méthode snowball (Gray

2004; Kish 1965). Il s'agit d'une technique d'échantillonnage récursive par laquelle

d'anciens participants aident au recrutement de nouveaux participants. La technique

assume que les participants initiaux connaissent dans leur réseau d'autres contacts

correspondant aux critères de sélection. Dans l'optique d'éviter que les entretiens soient

étroitement circonscrits au sein d'un seul réseau social de la population étudiée, j'ai

multiplié les points d'entrées comme le suggère Jones-Correa (1998). Selon l'auteur, la

méthode snowball doit être bonifiée par la triangulation de plusieurs réseaux différents.

Dans un autre ordre d'idées, notons que les gatekeepers ne m'ont pas restreint l'accès à un

groupe ou à un réseau. Néanmoins, cela peut se produire, car j'ai été témoin de la

marginalisation d'un militant par un organisateur local51.

Une recherche portant sur des notions telles que le contrôle et la liberté d’expression des

conflits et dissensions intra-parti soulève également des enjeux éthiques. Ces notions ne

pouvaient pas être abordées d'emblée lors de la rencontre de nouveaux militants, ni être

discutées pendant les activités sans risquer de créer des tensions ou de nuire à l’accès du

milieu militant. Comment alors ne pas compromettre l'immersion tout en évitant de

chercher des participants par le mensonge et la duperie? Pour moi, la réponse se trouve

dans la nature même de l'intégration d'un milieu d'étude qui s’effectue par le

développement de relations avec les acteurs en présence (Bailey 2007). Ainsi, j'ai adopté

une approche indirecte sur le sujet. Lorsque je rencontrais de nouveaux militants, je ne

leur demandais pas d'emblée s'ils souhaitaient être interviewés sur leur utilisation du Web

en tant que militants. En revanche, j'ai plutôt choisi d'attendre et de bâtir des relations.

D'ailleurs, Bailey (2007) soutient qu’établir des liens de confiance tend à assurer la

qualité des entretiens. Avec cette approche en tête, je me suis ouvertement affiché comme

un candidat à la maîtrise qui était à New York pour réaliser un terrain de recherche52.

C’est uniquement lorsque je me trouvais avec des militants connus dans un contexte

social le permettant que je leur demandais de participer à la présente recherche. Je leur

51 Par « marginalisation », je fais référence à l'action de rendre un individu marginal par rapport à un groupede bénévoles ou un réseau politique. Ce point sera développé dans le chapitre présentant les résultats.52 À un certain point, cela devint même connu du milieu démocrate New Yorkais. J’ai rapidement étéidentifié comme étant le chercheur « canadien français ».

59

présentais alors le sujet et les notions abordées. Les réponses étaient généralement

favorables. Quelques fois, des militants ont soulevé eux-mêmes le sujet et ont offert leur

participation.

J'ai donc interviewé des militants que je côtoyais dans les différents événements partisans

et certaines activités sociales. À première vue, cela peut soulever des questions sur la

validité de la démarche. Néanmoins, la présente étude s'inscrit résolument dans les traces

des recherches anthropologiques où le chercheur participe aux activités du groupe étudié

(Chenault 2004; Bourgois 1995; voir également Bailey 2007). Pendant les périodes

d'observation, mon intégration dans le milieu militant s'est fait en tant que participant-

observateur. La plupart du temps, j'ai observé les militants tout en participant aux actions

politiques pour le président Obama. À d'autres moments, mon rôle comme participant

était beaucoup plus passif. Tout au long du terrain de recherche, ma participation s'est

limitée à ce qui n'altérait pas la communication par le Web des militants, car mon sujet

d'étude était potentiellement lié à des mécanismes internes structurant la communication

partisane. Par exemple, je n'ai pas participé aux rencontres du comité Web de Hell’s

Kitchen. Ce comité ad hoc organisait des opérations de communication sur les médias

sociaux et définissait de bonnes pratiques d’utilisation des médias sociaux pour les

militants. Cependant, j’ai été présent lors des formations sur les médias sociaux et j'ai

observé les échanges entre les militants sur les médias sociaux.

Au final, j'ai rencontré 25 participants issus de la classe moyenne ou élevée, de

différentes communautés ethniques (caucasienne, afro-américaine, indienne, arabe, juive)

et ayant tous une scolarité supérieure au High School américain (collège américain : 5,

université : 20). Les militants rencontrés ne semblaient pas emblématiques d'un genre (11

hommes, 14 femmes), d'un degré d'implication53 ou d'une tranche d'âge particulière (16

participants ont moins de 40 ans, 9 ont plus de 40 ans). Malgré mon intention de

circonscrire la collecte de données à la ville de New York, une participante habitait la

Pennsylvanie. Néanmoins, elle répondait aux critères de sélection tout en remplissant des

fonctions semblables à celles des autres participants.

53 Certains participants étaient bénévoles depuis plusieurs années, d'autres quelques mois.

60

Afin de systématiser la sélection, les critères suivants ont été considérés54 :

1) Avoir au moins 16 ans;

2) Avoir milité au sein du Parti démocrate plus d'un mois (pas nécessairement

consécutivement et à tous les jours)55;

3) Avoir utilisé le Web (courriels, Facebook, Twitter, un outil Web du Parti

démocrate, etc.) pour communiquer ou pour effectuer des tâches politiques (au moins

4 fois par semaine).

Certains professionnels, sous-traitants et acteurs politiques ont également été rencontrés

afin de bénéficier d’entretiens informels et de servir d’intermédiaires entre nous et les

militants. Ces rencontres enregistrées ont été prises en compte dans l'analyse et ont

permis un réajustement du cadre conceptuel et du schéma d'entrevue. À ce sujet, Jacoud

et Mayer expliquent que ces intermédiaires servent souvent de « traits d’union entre deux

univers symboliques différents » (1997 : 228). La rencontre avec le Délégué général du

Québec à New York, M. John Parizella, a permis de situer les observations dans un

contexte de lutte électorale nationale, alors que les professionnels et sous-traitants en

informatique ont aidé à appréhender les différences culturelles, la place du Web dans

l'organisation démocrate et dans les opérations de sortie de vote.

Au final, il n'a jamais été prévu d'interviewer les intermédiaires en tant que participant.

Cela évacuait d’éventuelles problématiques de tensions ou d'omissions par intérêts

financiers ou politiques. Néanmoins, notons qu’aucun d'entre eux ne répondit aux critères

de participation. Les critères suivants furent considérés pour systématiser la sélection de

ces personnes-ressources :

1) Avoir déjà travaillé au sein du Parti démocrate ou faire de la recherche sur le Parti

démocrate;

54 L'annexe 2 présente le profil sociologique des participants.55 Sawicki et Siméant (2009) définissent l'engagement militant comme étant une « forme de participationdurable à une action collective visant la défense ou la promotion d’une cause » (2009 : 98 ). À la lecture denombreux auteurs, j'estime qu'un « participation durable » d'un mois est suffisante pour s'immerger dansl'habitus militant. Cette définition est également inductive, puisque c'est grâce à mon expériencepersonnelle dans le milieu militant québécois que cette définition a été construite.

61

2) Être régulièrement en contact avec des employés, des organisateurs ou des militants

du Parti démocrate.

Au total, 25 militants et 4 personnes-ressources ont participé à la présente recherche, soit

29 personnes.

62

Chapitre 4 – Pratiques des militants et dynamiques intra-partis : les pratiques en ligne comme continuité de la vie militante

Fidèles à la théorie de la normalisation de Resnick (1998) et Davis (1999), mes

observations sur le terrain et les propos des participants de la présente étude suggèrent

qu’une structuration des potentiels technologiques s'opère au sein du Parti démocrate.

L'analyse présentée ici vise à explorer en profondeur deux niveaux d’interactions sociales

des partis politiques : la structure hiérarchique du parti et le « milieu militant », c'est-à-

dire les interactions uniquement entre militants à l’intérieur et en dehors des institutions

du parti. Ainsi, la participation aux activités partisanes et l’intégration au milieu militant

ont un effet socialisant sur les militants qui, en devenant eux-mêmes plus expérimentés,

recréent ces situations avec les nouveaux arrivants. L’intériorisation de contraintes par

cette socialisation forme un mécanisme conformant les militants à certaines normes et

pratiques, ce qui limite de manière concomitante les pratiques d’utilisation des nouvelles

technologies. La première partie de ce chapitre tentera d'abord de mettre en lumière

l'utilisation actuelle des NTIC par les militants et les cadres du Parti démocrate (cf. 4.1).

Puis, une seconde partie sera présentée pour comprendre le processus de structuration des

potentiels des nouvelles technologies et en quoi cela s’inscrit dans un maintien du

contrôle des opérations et communications des militants par la direction du Parti

démocrate (cf. 4.2 et 4.3).

Avant de se pencher sur l’utilisation des nouvelles technologies par les militants et cadres

démocrates vue lors de mon terrain à New York, notons que les résultats de recherche

sont présentés sans pouvoir faire ressortir les pratiques virtuelles à tout moment. C’est-à-

dire que les propos des participants ne me permettaient pas toujours de distinguer les

pratiques virtuelles des pratiques réelles (de terrain, personne-à-personne). Il faut

cependant comprendre que le militant ne délimite pas lui-même ses pratiques de

militantisme et celles-ci seront toutes associées, en ligne ou pas, à un bagage culturel

acquis au Parti démocrate. Le militant qui utilise des technologies médiatiques le fait

avec tout son capital social, culturel et politique sans nécessairement en faire une

63

distinction. Cela rejoint les travaux d’Albecht (2006) effectués au sein d’une

communauté allemande locale qui répliquait ses caractéristiques culturelles en ligne.

L’auteur conceptualise donc l’utilisation de la technologie en tant que pratique culturelle.

Dans une conception similaire, les pratiques numériques des militants rencontrés et

observés s’inscrivent à l’intérieur de l’ensemble plus large des pratiques militantes. Ainsi,

qu’elles soient en ligne ou sur le terrain, ces pratiques culturelles nous renvoient à un

processus de socialisation et de centralisation du militantisme démocrate.

4.1 – L’utilisation intra-parti des nouvelles technologies

Le Web, les médias sociaux et les bases de données supportent les militants et les cadres

dans la réalisation de leurs fonctions. En s’inspirant de l’énumération du premier chapitre

(cf. 1.2), il est possible de faire émerger de nos données une utilisation intra-parti des

nouvelles technologies que je structure en six axes : 1) servir de vitrine; 2) recruter des

militants; 3) transformer les sympathisants en militants; 4) diminuer les coûts

d’organisation et de coordinations; 5) lever des fonds; ainsi que 6) s’informer.

4.1.1 – Servir de vitrine

Les nouvelles technologies servent d'abord de vitrine à la vie militante au sein du parti. À

travers les médias sociaux, les blogues et d’autres sites de production multimédia tels que

Flickr (images) ou YouTube (vidéos), chaque militant peut désormais partager les

actualités le touchant ou encore devenir l’émetteur de son expérience militante. Ces

comptes personnels présentent des photos ou vidéos des militants, tous sourires,

s’affairant à leurs tâches dans diverses activités ayant des allures de fêtes. D’après les

participants que j’ai rencontrés, il faut toutefois souligner que ces multiples comptes

supportent davantage une utilisation personnelle que militante. Pendant mon séjour sur le

terrain, leur utilisation reposait sur la diffusion de contenus médiatiques et sur l’échange

avec les membres de leur réseau personnel plutôt que sur la promotion du parti, de sa vie

interne et des activités partisanes. Cela pourrait s'expliquer par le fait que mon terrain de

recherche a eu lieu plus d'un an avant l'élection présidentielle de novembre 2012, alors

qu’OFA était en pleine reconstruction. D'ailleurs, lors de la rédaction du présent mémoire,

plusieurs militants rencontrés ont partagé abondamment, par le biais des nouvelles

64

technologies, le matériel promotionnel d'Obama dans les quelques semaines précédant

l'élection présidentielle.

Tel que mentionné dans les chapitres précédents, des comptes officiels ou personnels de

médias sociaux, de plusieurs services multimédias et de blogues permettent de faire la

promotion du militantisme politique. Les comptes officiels Facebook, Twitter ainsi que le

blogue d’OFA de l'État de New York étaient sous la responsabilité de certains stagiaires56

(Alice, militante démocrate, 2011). Les organisations internes du Parti démocrate, telles

que les organisations de county, le groupe des jeunes de Manhattan et les groupes

grassroots, ont également recours à ces outils promotionnels par le biais de compte

officiel (selon deux militants démocrates, 2011).

4.1.2 – Recruter des militants

Au cours de mon immersion, j'ai observé que la place des NTIC dans le recrutement des

militants était quelque peu différente de ce qui fut rapporté dans la littérature. En effet,

comme il en a été question précédemment (cf. section 1.2), l’utilisation de vidéos viraux,

des médias sociaux et des blogues a maintes fois été soulignée par les auteurs (Stromer-

Galley 2009; Shakir 2009). Bien que cet usage a été observé sur le terrain, les

technologies médiatiques ne remplacent pas les techniques traditionnelles de mobilisation

politique, notamment l’envoi de courriels, les rencontres one-on-one57 et les appels

téléphoniques aux listes de sympathisants (Alice, militante démocrate, 2011). Pour Alice,

la stagiaire responsable des comptes Facebook et Twitter d’OFA New York, les nouvelles

technologies viennent appuyer les techniques traditionnelles et ne sont pas un

remplacement complet : « We would depend on calls and actually some face to face

contacts in that » (ibid.). D’ailleurs, il s’agissait d’une expérience vécue par plusieurs

participants rencontrés (selon quatre militants démocrates, 2011).

56 Pour aider sa reconstruction et débuter la préparation de la campagne présidentielle sur le terrain,Organizing For America a mis sur pied des programmes de stagiaires organisant les équipes locales sur leterrain. À l’été 2011, les summer organizers débutèrent la reconstruction. À l’automne, ce fut les FallFellows qui prirent la relève (Organizing For America 2011). Ces stagiaires ne sont pas rémunérés.57 Les « one-on-one » sont des rencontres tenues « en tête-à-tête » par deux bénévoles afin d’identifier lesleaders et les « meilleurs militants potentiels » (Organizing For America 2011 : 26).

65

J'ai pu observer que c'est l'utilisation de la base de données VoteBuilder qui était au cœur

des tactiques du recrutement traditionnel. Les militants de plusieurs groupes démocrates y

exportaient les listes de contacts de sympathisants afin de les inviter par courriel à

différentes activités ou pour planifier des rendez-vous one-on-one avec les sympathisants

intéressés. Ces listes pouvaient également être utilisées lors de séances d'appels

téléphoniques afin de les inviter de vive voix aux prochaines activités. D’ailleurs, nous

reviendrons dans le présent chapitre sur l’interaction humaine qui est privilégiée dans le

recrutement chez OFA. Notons que chaque fois qu'un nouveau sympathisant s'inscrit à

une activité ou qu'il remplit un formulaire signalant sa volonté de s'impliquer sur MyBO,

ses informations de contact sont automatiquement transférées dans VoteBuilder.

Également, les militants y entrent manuellement les informations de contact de militants

recrutés à des kiosques publics ou à des séances de recrutement dans la rue (Marvin,

militant démocrate, 2011; Organizing For America 2011).

Au final, l’utilisation des nouvelles technologies dans cet axe dépendait des ressources

disponibles pour l’organisation concernée. Par exemple, le recrutement des petits groupes

grassroots « For Change » reposait essentiellement sur la collecte de courriels et

Facebook (Lynn, militante démocrate, 2011) alors qu’OFA disposait de la plus imposante

base de données de tout le Parti démocrate.

4.1.3 – Transformer les sympathisants en militants

Sans égard à l’outil technologique impliqué, les militants rencontrés ont raconté comment

ils ont recours aux histoires vécues pour motiver en ligne les internautes à agir hors ligne.

La structure narrative de ces histoires vécues comporte plusieurs éléments essentiels à

leur efficacité pour rejoindre et émouvoir le sympathisant : 1) elle a une histoire vécue

comme point de départ; 2) elle s'inscrit dans la culture militante; 3) les lecteurs doivent

alors sentir qu'ils font partie d'une histoire collective; et 4) qu'ils font face à un

choix : l'issue de l'histoire collective dépend alors de leur implication (Orlando, militant

démocrate, 2011; Organizing For America 2011 : 9 à 15). Cette déclinaison n’est pas sans

rappeler l’approche du storytelling pour favoriser l’engagement du militant, approche

66

enseignée par Ganz dans ses cours de Harvard sur le community organizing et utilisée

dans les camps de formation des militants démocrates (Schutz et Sandy 2011 : 115).

4.1.4 – Diminuer les coûts d’organisation et de coordination

La préparation d’activités et la gestion d’organisations démocrates sont grandement

facilitées par l'usage de multiples technologies, telles que les courriels, les SMS et les

forums (Google Groups). Chez Organizing For America, le média social interne

« NationalField » était également un exemple de la diminution du coût dans la

coordination. Visuellement similaire à Facebook, NationalField est un outil de

communication sécurisé permettant de capturer en temps réel les réalisations des

militants (nombre d’appels faits, portes frappées, militants recrutés) et une

compréhension qualitative de ce qui se produit « sur le terrain » de chaque État. Seuls les

militants « influents », les dirigeants d’équipe locale (NTL), les employés et les membres

de la direction d’OFA y ont accès et peuvent ainsi se partager des messages, des

stratégies, des tactiques et réaliser ensemble le suivi des objectifs. Pour plusieurs

participants à cette recherche, il s’agit là d’un véritable exemple où les nouvelles

technologies accentuent l’influence de la « base » sur sa direction. L’outil crée un espace

interne où s’effectuent des rapprochements entre militants, mais également où tous les

dirigeants et cadres d’OFA peuvent échanger avec les militants. Cette communication est

prise en compte par la direction de l’organisation et mène à des correctifs ou

changements de cap (selon trois militants démocrates, 2011).

Par ailleurs, à travers les nouvelles technologies, tous les dirigeants d’une organisation

démocrate peuvent désormais participer au processus de prise de décision et exprimer

leurs opinions. Cet échange peut même se faire en parallèle à la vie des militants. Lynn,

une participante issue d’un groupe grassroots, expliquait que les dirigeants de son groupe

s’échangeaient constamment des courriels pour en faire la gestion. Souvent, ils n’avaient

pas besoin de tenir leur session habituelle de coordination, car les décisions avaient été

prises par l’entremise des courriels. Selon elle, c’est parce que la direction a un processus

collégial de prise de décision et une division équivalente du pouvoir qu’elle s’engage

couramment dans des débats interminables sur les actions à prendre sans que l’un des

67

dirigeants ne puisse les clore. En effet, rien ne pouvait empêcher techniquement un

dirigeant d’envoyer un courriel aux membres de la direction. Pourtant, Lynn racontait

pouvoir distinguer à certaines occasions les relations de pouvoir entre les membres de la

direction alors que, parfois, le membre le plus influant du groupe imposait sa vision aux

autres (Lynn, militante démocrate, 2011). Dans le prochain segment (cf. 4.2), je

reviendrais sur la nature contradictoire de ces pratiques illustrée par les propos de Lynn.

La capacité des organisations internes du Parti démocrate à coordonner, à préparer, puis

mobiliser des militants à des activités politiques uniquement par courriel représente aussi

une économie de temps et d’efforts. Lynn rapporte que les coûts sont si bas que quelques

individus réussissant à bâtir une liste de courriels sont désormais perçus comme un

groupe politique au sein du milieu militant : « They have the name of the group and they

have a mailing list and therefore, they have a group » (ibid.). Ils utiliseront ensuite cette

liste pour y faire la promotion d’activités à venir ou de leur propre message politique.

Également, le maintien à travers le temps d'un échange par courriels entre plusieurs

militants peut être perçu par le milieu comme étant la représentation d'un groupe ou d'un

réseau social politique. Ces militants se donnent parfois un nom de groupe comme ce fut

le cas pour la liste de courriels « Obama in ‘12 ». Contenant les courriels de certains

cadres et militants de New York, les membres de cette liste discutaient en parallèle à la

structure du Parti démocrate et se coordonnaient de manière autonome. La nature de leurs

actions et leur capacité d’influence chez les autres organisations démocrates me sont

cependant demeurées inconnues. Néanmoins, des participants m’ont rapporté que l’on y

exprimait son opinion ou encore les dernières actualités sur le milieu militant new-

yorkais (selon deux militants démocrates, 2011). De plus, faire partie d'un groupe gérant

une liste de courriel de masse est porteur de symboles qui sont partagés et compris au

sein du milieu militant. En effet, avoir une place dans ce réseau est d’abord synonyme de

la reconnaissance du statut de militant, puisque seuls les organisateurs « influents » y sont

admis par les membres. Ensuite, l’accession au capital social, culturel et plus simplement

aux réflexions des membres de la liste est une source de pouvoir selon une participante :

« You know, it’s power. You know, being on it is power » (Lynn, militante démocrate,

2011).

68

On constate alors l'incapacité du parti à contrôler tout l'espace où se jouent les

interactions entre les militants démocrates, une partie échappe à leur contrôle selon les

participants rencontrés. Grâce au bas coût de coordination et de mobilisation par

courriels, les militants mécontents peuvent quitter une organisation comme OFA afin de

se consacrer à leur propre « groupe » parallèle, c’est-à-dire faire la gestion d’une liste de

courriels (Florence, militante démocrate, 2011) :

I think in fact it [les NTIC] is really completely democratized the process, yeah, like Isaid, you know, say, take the example the Obama campaign or you know, OrganizingFor America and they have a particular approach or thing they want to do and theysend out a list or they ask you : « can you do this ?» and it is like, « well, you knowwhat? I want to do something else ». And I can do something else and I can put anevent and I can send out an e-mail too and I can say I want to take this in anotherdirection, I want to do this differently (Carroll, militante démocrate, 2011).

Toutefois, comme l’a souligné Davis (1999), cette capacité des individus à se créer des

organisations marginales n'est pas nouvelle en soit et existait bien avant l'avènement

d'Internet. Les NTIC facilitent cependant la création et la coordination de ces groupes.

C’est du moins ce que suggère le groupe « Obama in ‘12 » : il suffit que quelques

militants combinent leur capital social et symbolique par le biais de courriels pour

construire un groupe attirant et respecté au sein du milieu militant (Lynn, militante

démocrate, 2011).

4.1.5 – Lever des fonds

Mes observations au sein du milieu démocrate de New York et les entretiens des

participants rencontrés dans le cadre de cette étude n’ont pas porté abondamment sur le

financement. Néanmoins, j’ai pu observer l’utilisation des courriels par la direction du

Parti et en discuter avec les militants. En effet, le Parti démocrate et OFA envoient

régulièrement des courriels à sa liste de contacts s’accumulant dans la base de données

VoteBuilder. Plutôt que de faire appel directement à la générosité des lecteurs, chaque

courriel porte sur un enjeu politique tout en s’inscrivant dans le storytelling de Ganz

(Schutz et Sandy 2011 : 115). C’est uniquement à la fin du courriel qu’on invitera le

lecteur à faire un don de 5, 10 ou 20$. Plusieurs militants rencontrés sur le terrain ont

69

exprimé trouver la fréquence d’envoi de ces courriels de financement beaucoup trop

grande. Ils étaient même source de railleries pour certains et de frustrations pour d’autres.

4.1.6 – S’informer

Peu importe leur âge, les militants se servent de plus en plus des nouvelles technologies

comme d’un médium informatif. Une quinzaine des participants à cette étude ont dit

suivre l’actualité à travers des médias exclusivement sur Internet, tel que le Huffington

Post58 (selon quinze militants démocrates, 2011). De plus, onze participants rencontrés

ont mentionné les médias sociaux en tant que source d’informations (selon onze militants

démocrates, 2011). Ainsi, l’arrivée des NTIC comme médium informatif engendre de

nouvelles situations, puisqu'elles sont caractérisées par la fin du monopole de l’émission

des médias traditionnels et le contrôle de la réception de l'information par l'utilisateur des

technologies (Minh Duc 2005).

Actuellement, le militant peut passer outre le filtre des médias traditionnels pour être

informé directement par les acteurs politiques. Par exemple, si un militant a de la

difficulté à saisir les raisons derrière une décision politique, il peut consulter une vidéo du

politicien s’expliquant. À ce sujet, Saul racontait :

« [You need] just, you know, to go to the horse’s mouth, right. And then you don’thave to get so frustrated about all the messages that are affecting these people, whichit is, and I don’t disagree with » (Saul, militant démocrate, 2011).

Selon lui, OFA faisait des efforts pour tenir ses militants informés en leur envoyant des

lignes de communication et des argumentaires par courriels. Saul concevait cette pratique

comme étant importante puisque les militants doivent représenter l’organisation et le

président Obama lorsqu’ils discutent avec les électeurs par téléphone (ibid.).

Ce qui signifie que les militants peuvent choisir les sources médiatiques auxquelles ils

désirent s’informer tout en ayant recours aux lignes officielles du Parti. Par le fait même,

les potentiels d'ignorer ou non le message du Parti et ses positions officielles existent

(Carroll, militante démocrate, 2011). Pour les militants rencontrés, s'informer par le biais

des nouvelles technologies participe au développement d’un discours qui leur est propre,

58 The Huffington Post, page consultée le 19 janvier 2013 (www.huffingtonpost.com).

70

alternatif et plus près de leur pensée politique. Le processus de construction individuelle

qui s'en dégage n'est pas s'en rappeler la théorie de Dalsgaard (2008) sur la construction

de l'identité virtuelle. En effet, l'utilisation des nouvelles technologies comme médium

informatif place l'individu au centre de la construction de leur discours. Une personne

s'informe en relation avec ses intérêts, son réseau personnel et l'offre de multiples

sources.

4.2 – Les contraintes quotidiennes du milieu militant : démystifier la structuration de l'utilisation des nouvelles technologies

Comme nous l’avons vu jusqu’ici à travers la revue de la littérature et la présentation des

pratiques intra-partis observées lors du terrain de recherche, l’utilisation des nouvelles

technologies dans les partis politiques est au cœur des relations de pouvoir dans

l’organisation. En effet, la technologie offre plusieurs potentiels pouvant affaiblir et

remettre en question l'autorité des dirigeants de l'organisation : les militants peuvent

réaliser leurs tâches de manière autonome, ignorer le discours du parti, le promouvoir,

quitter les organisations officielles et entrer en compétitions avec elles par le biais de

leurs propres groupes indépendants tout en demeurant au sein du milieu militant. Ces

potentiels décentralisent non seulement l’action militante, mais elles défient la « loi

d’airain de l’oligarchie », en ce sens qu’elles atténuent les capacités de contrôle des

dirigeants de partis politiques.

Pourtant, à partir des données recueillies auprès des militants rencontrés, il a été possible

de constater des contraintes empêchant les militants de bénéficier des potentiels des

NTIC. En effet, l’approche ethnographique invite à s’interroger sur le mécanisme et les

limites en jeu dans ce processus de structuration des pratiques hors ligne et en ligne. J'ai

pu identifier deux facteurs qui contraignent les militants. D’abord, un facteur politique

auquel sont associées les relations de pouvoir au sein du milieu militant et de ses

organisations. Ensuite, un facteur culturel par lequel le parti génère des rites établis, des

valeurs et des normes partagées formant ainsi une microculture démocrate. L’influence

mutuelle du facteur politique et du facteur culturel matérialisent un « éthos de

71

contraintes » à l’intérieur duquel se meuvent les militants. C’est ce que je définis

inductivement comme étant la structuration des potentiels et de l'utilisation des nouvelles

technologies chez les militants.

4.2.1 – Les relations de pouvoir et la position au sein du parti

Les militants démocrates de New York évoluent à l’intérieur de multiples relations de

pouvoir structurant leurs pratiques, notamment leur utilisation des technologies

médiatiques. Cette situation varierait en fonction de la position de l’acteur au sein du

réseau composé par l’ensemble des militants, des cadres et employés du milieu militant.

Afin de présenter ces diverses relations, la conceptualisation de la distribution du pouvoir

chez les partis politiques de Gibson et Ward (1999) sera mobilisée. Pour eux, la

distribution verticale s’opère entre les membres et l'élite et la distribution horizontale

(«spatiale») se conçoit entre les différents groupes et organisations intra-partis.

En ce qui concerne, dans un premier temps, les relations verticales entre les militants et la

direction du Parti démocrate, on en vient à constater à travers les données recueillies que

l’autorité de la structure hiérarchique du parti la traverse du haut vers le bas. Malgré la

pluralité d’instances organisationnelles coexistant au sein du parti (OFA, structure des

county, équipe électorale d’un candidat, groupes jeunes, etc.), toutes ces organisations

possèdent une chaîne de commande dont l’autorité et la conduite proviennent des niveaux

supérieurs (selon trois militants démocrates, 2011). En effet, les niveaux supérieurs

déterminent les objectifs pour les niveaux subordonnés, donnent des directives59 à leurs

cadres et contrôlent l’accès des militants aux outils technologiques. Bobby, par exemple,

reconnaît que le militant a un supérieur ayant autorité sur lui quand il dit : « but as any

other organization, ultimely, there is someone who is, I guess, your boss, coordinator,

supervisor, superior and they tell you more or less how it is gonna work » (Bobby,

militant démocrate, 2011). Comme le décrivent Michels (1971) et Flanagan (2009),

l’organisation d’un parti politique est structurée comme une organisation militaire : « But

the military spirit is still strong. They don’t call it a « campaign » for nothing » (2009 : 7).

59 Traduction libre de « guidelines ».

72

Ainsi, les individus ayant une telle position hiérarchique disposent de l'autorité et du

capital suffisant pour donner des ordres aux militants. Toutefois, qu’ils soient employés

ou bénévoles, j’ai pu observer sur le terrain leur capacité à transmettre leur volonté sans

l’imposer par la confrontation. Ce qu’affirme également Bobby :

I mean, they've got management skills. They don’t say « do this », they say « well,we had more success in the past if you go about it like this : X, Y, Z ». And people arelike, « Oh, okay. So you had more success, maybe I disagree but I will try it ». Youknow, that kind of, it goes along (Bobby, militant démocrate, 2011).

Sur ce point, Florence, une militante, a raconté une anecdote. Pendant la lutte législative

pour réformer le système de santé américain, les militants démocrates furent

« muselés »60 et se firent demander « de rester calme »61. Selon elle, les militants ont

obtempéré. Beaucoup d’entre eux sont demeurés à la maison et ont pris part à peu

d’actions pour favoriser le passage de la réforme (Florence, militante démocrate, 2011).

Pour d’autres participants, respecter l’autorité de la structure du parti peut signifier

l’adaptation de sa communication en ligne. « We don't have many secrets, because it's

transparent. But if I was told not to share something, well I would not do it », raconte

Marvin à ce sujet (militant démocrate, 2011). Dans une situation semblable, Karen a

respecté la demande d’un cadre bénévole de ne pas publier en ligne ce qu’elle et d’autres

militants new-yorkais faisaient dans un autre État en termes de militantisme (Karen,

militante démocrate, 2011).

Néanmoins, les différents niveaux hiérarchiques ne s’engagent pas dans une micro-

gestion de leurs subordonnés. Les organisations se rabattent plutôt sur des directives, des

formations et la distribution de guides pratiques, c'est-à-dire des documents servant de

références, afin de faciliter la préparation d’activités et de spécifier les pratiques

attendues (selon deux militants démocrates, 2011). D’ailleurs, plusieurs organisations

croisées sur le terrain utilisaient un code de conduite pour communiquer en ligne avec le

public. À cet effet, un participant me dit :

Floyd – It doesn’t really happen that much because the level of micromanagement, ofminute by minute supervision is, there is almost no minute by minute supervision. F.L. – Interesting.Floyd – We are given overall guidelines, overall goals.

60 Traduction libre.61 Traduction libre.

73

F.L. – By who ?Floyd – By staff or by [Saul], by [Saul] the community organizer.F.L. – I see.Floyd – You know, like if one of my own fellow community organizer, is organizingan event, I will treat them as the boss, and I will take my direction from them. But, ingeneral, we operate in an environment where we are given overall guidelines, overallgoals, but we are not supervised minute by minute, we are not givenmicromanagement. F.L. – Even online you don’t?Floyd – No (Floyd, militant démocrate, 2011).

Ainsi, cette conversation expose comment le militant agit sous l’autorité d’une double

direction : 1) un supérieur peut lui donner des ordres; et 2) des directives générales

forment un environnement l’encadrant.

Par ailleurs, certains militants bénéficient d’une autorité émanant de leur statut au sein de

la structure du parti. Cette autorité est suffisante aux yeux des militants pour que son

détenteur donne des directives, influence ou impose sa vision aux autres membres du

groupe (selon deux militantes démocrates, 2011). Les stagiaires d’OFA, les summer

organizers et fall fellows, bénéficient eux aussi de l’autorité que leur apporte leur statut.

Alors qu’ils sont également des militants bénévoles, ils coordonnent la construction

d’équipes et mènent les rencontres de certaines équipes locales. Même chose pour les

dirigeants de county imposant leurs positions aux militants démocrates de leur territoire.

Étant élus, ils ont l’autorité et la légitimité nécessaires pour le faire (Dale, militant

démocrate, 2011). Dans un autre ordre d’idées, un participant m’expliquait qu’il avait

réalisé un stage au parti pendant la campagne des midterms de 2010. Contrairement aux

summer organizers, il était l’un des assistants de la directrice de terrain62. Selon lui, il

pouvait diriger les équipes de militants grâce à son capital social et son lien hiérarchique

avec sa directrice : « [...] Indeed, I had Kate's autority to tell them if, here's what you have

to do » (Marvin, militant démocrate, 2011).

Bien que plusieurs participants aient affirmé respecter la chaîne de commande du parti,

plusieurs autres ont dit ne reconnaître aucune figure ou source d'autorité au sein de

l'organisation. Pour ces derniers, être un militant, c’est être libre dans ses actions

partisanes et de son message (selon trois militantes démocrates, 2011). Néanmoins, les62 Tel qu'indiqué précédemment, traduction libre de « field director ».

74

militants ne respectant pas la hiérarchie du parti ou confrontant les ordres des acteurs

bénéficiant d'une autorité légitime font face à des sanctions; ces militants ne recevront

pas de récompenses telles que des invitations à des discours d’Obama et à visiter la

Maison-Blanche (Floyd, militant démocrate, 2011). Aussi, ils ne se verront pas accorder

de nouvelles responsabilités ou se feront retirer celles qu’ils ont (OFA 2011). Ou encore,

ils se feront isoler et exclure de l’organisation en question (selon deux militants

démocrates, 2011).

À ce propos, Floyd raconte l’anecdote d’une militante exclue. Bien que son travail aux

séances d’appels téléphoniques était bien fait et apprécié, cette militante s’exprimait si

agressivement lors des rencontres de planification qu’on lui demanda de ne plus revenir :

And finally, like somebody on staff, I don’t know who pulled her aside and said « wedon’t want you to go on and meet volunteers. We think you're a disruptive influence,we think you are upsetting people and we don’t think/, what you're contributing isworse/, we don’t think you are contributing more than what you are taking away fromus ». F.L. – But from your point of view, she just disappeared? Floyd – Oh, yeah. She disappeared. We have no idea what happened to her. What sheis doing then (Floyd, militant démocrate, 2011).

Des participants rencontrés ont dit souhaiter obtenir un emploi au sein du parti après leur

stage. La recherche d’un emploi peut aussi s’inscrire dans une dynamique de pouvoir où

le militant adaptera ses pratiques pour plaire à l’organisation. Dans ce contexte, le

militant cherche à démontrer le meilleur de lui-même et à ne pas déplaire, c'est-à-dire à

ne pas faire quelque chose d'inapproprié pour le parti (Michels 1971 : 352). Selon

Florence, chercher un emploi rend le militant plus réceptif aux habitudes de

l’organisation :

And then now the 2012 is coming up, I think you will have like another wave ofhugely talented people willing to work for low wages. So, that makes a hugedifference too. You know, the kind of people left in these like off years are gonna bepeople more likely to listen to a corporate structure and work hard to kind of raise upabove the corporate ladder (Florence, militante démocrate, 2011).

Le militant s’exprimera aussi différemment s’il cherche un emploi. Bobby abonde dans le

même sens : « it is entirely, much like any other thing, in terms of volontary basis entirely

connected with my performance » (Bobby, militant démocrate, 2011). En somme, pour

75

Florence, avoir un emploi au sein de l'organisation limite et affecte les comportements

d'un individu, particulièrement sa liberté d'expression :

Florence – Oh, just that, I don’t have a stake in the game. If I was actually a stafferfor OFA I could not speak up that much. So I am just an activist on the side, so.F.L. - [incompréhensible]Florence – Yeah, I have absolutely more freedom. F.L. – Oh, I am sorry, go on.Florence – I just wanted to say, if it was my actual boss getting my pay-check andmaking that decision, I would certainly be quieter about it. [rires] I don’t complain tomy boss about like the fact that we are not open on certain days or that we have towork up certain days, [rires] it is not done (Florence, militante démocrate, 2011).

Ces relations agissent comme des restrictions qui empêchent le militant, par exemple, de

s'exprimer librement en ligne. On comprend alors qu’il existe des conséquences hors

ligne à ce qu’on fait en ligne. Cindy et Alice, toutes deux cadres bénévoles, disent

qu’elles ne partagent pas en ligne d’actualités négatives pour le président Obama. Quant à

elle, Maria exprime qu’on peut « se faire renvoyer »63 si on a un emploi et qu’on écrit des

propos inappropriés en ligne (selon trois militantes démocrates, 2011).

Au final, la position d’un militant au sein de la hiérarchie du parti s’accompagne de

responsabilités, de possibilités pouvant l’intéresser, d’intérêts à protéger, d’un rôle à jouer

et de pratiques attendues de lui :

As far as volunteers who work for the campaign I think the higher you go up, themore perfect you are expected to be. So, on the grassroots, on the bottom level, I am,you know, you have people to guide you, but, I mean, they are definitely more likelyto go off the wall, so to speak (James, militant démocrate, 2011).

On constate que les militants ayant des rôles ou positions au sein de la structure

hiérarchique du parti peuvent avoir des relations de pouvoir avec des subordonnés. On

remarque également que ceux qui ne suivent pas les indications de la hiérarchie sont

désavantagés ou exclus. Il semble donc qu’à travers ces rapports, les membres de cette

hiérarchie peuvent influencer l’utilisation des nouvelles technologies par les militants.

De plus, l’environnement intra-parti est le lieu de relations horizontales entre les

différents groupes composant le parti. Cet espace est également le lieu d’interactions

entre les militants et entre les groupes grassroots n’ayant pas de liaisons officielles avec

63 Traduction libre de « get canned ».

76

le Parti démocrate. Cette toile d’organisations politiques internes observée sur le terrain et

décrite par les participants rejoint les travaux d’Allison (1971) effectués sur l’analyse de

la crise des missiles cubains de 1962. L’auteur énumère des modèles opératoires

complémentaires pour expliquer le comportement des gouvernements impliqués dans le

conflit. Pour Allison, le modèle du processus organisationnel stipule que le gouvernement

est un conglomérat composé de plusieurs organisations internes ayant tendance à

respecter leurs propres politiques et procédures. Pour ce qui est du modèle de la politique

bureaucratique, il énonce que ces organisations internes défendent leurs propres intérêts

et se livrent une lutte de pouvoir.

En comparaison, les modèles du processus organisationnel et de la politique

bureaucratique semblent être observés chez le Parti démocrate. En effet, le Parti est

composé d’un conglomérat d’organisations menant leurs propres objectifs politiques et

défendant une liste spécifique de causes. Le milieu démocrate est aussi un échiquier où

ces organisations sont en compétition et se livrent des luttes pour le pouvoir. Elles

souhaitent influencer la direction du parti ou encore mobiliser dans leur organisation, et

non pas chez les autres, le même ensemble de militants. Les militants dirigeants ces

groupes prennent donc part à ces joutes de pouvoir et adoptent des pratiques avantageant

leur organisation ou, à tout le moins, ne lui nuisant pas (selon trois militantes démocrates,

2011).

Cela évoque d’ailleurs les écrits de Michels (1971) sur les combats entre les groupes

politiques et leurs dirigeants. Selon lui, les partis sont parfois verticalement structurés par

plusieurs strates, causant des luttes entre les strates positionnées les unes sur les autres.

Dans d'autres cas, l'environnement est plutôt horizontal comme lorsqu'un conflit éclate

entre deux groupes d'une même strate, par exemple entre deux groupes locaux ou entre

deux groupes nationaux. Pour maintenir sa position de pouvoir, le dirigeant affronte alors

les prétendants, les adversaires idéologiques ou les rivaux personnels qui dirigent les

autres groupes (1971 : 172-173). La rivalité politique ne se vit donc pas seulement entre

les différents partis, mais également entre les membres et les entités qui composent le

même parti.

77

Or, les luttes de pouvoir de ces organisations internes sont visibles par le biais des

nouvelles technologies. Par exemple, Lynn m’expliquait que ce qui est communiqué en

ligne par son groupe grassroots prend la forme de positions officielles et s’inscrit dans le

jeu entre les organisations internes du parti : « We put it on the Facebook page, so you

should like that. And these emails become very important because, they become our

policy statements too » (Lynn, militante démocrate, 2011). Dans un même ordre d’idées,

cette autre participante raconte que faire pression sur d’autres organisations en

promouvant une position a des conséquences même si on le fait à travers les technologies

médiatiques :

Well, a good example is when, I think around Christmas time, there was theexpiration of the Bush tax cuts, that was a huge waist in the progressive community.So OFA obviously, being the president’s organization could not say anything. Andthen many progressive groups came out saying that the tax cut should expire and thatit was huge to give away that as a bargaining point. And the president gave it away inexchange for all kinds of things : the repeal of Don't Ask Don't Tell, etc., etc. Andpolitically like, it is a mixed bag that he did that. But it was, anyway, the Greater NewYork City for Change, like the board, we voted that we had go come out against thisaction because it was, it was just devastating on a lot of levels and a lot ofprogressive groups came out against this. So this is a huge, this is definitely amoment when many groups were like absolutely and completely against OFA andDNC. And we sent it out [through mails], and we got a lot of push back, a lot ofvolunteers did not like it. So, I mean, I think the volunteer group is the same fromOFA and all the other community groups like me, they will go with what seems to befun and what seems to be effective. But that was, yeah, that was definitely a timewhen... OFA staff did not say anything to us but certainly like the top volunteers wereaware of that. But, that is part of the course (Florence, militante démocrate, 2011).

Ces luttes de pouvoir laissent voir qu'elles mettent en jeu du capital social et symbolique

(Bourdieu 1986, 1987, 1994). Par exemple, une organisation interne ayant une position

officielle au sein de la structure du Parti démocrate bénéficiera d’un capital symbolique

attirant les militants. Depuis 2007, le Parti démocrate a recruté et intégré dans l’ensemble

de sa structure toute une nouvelle cohorte de militants attirés essentiellement par Barack

Obama. Malgré l'arrivée de militants dans des groupes ne travaillant pas pour le

président, c’est son organisation de campagne, Organizing For America, qui maintient le

poids politique du président au sein du milieu militant en faisant office de service

d’accueil pour la majorité des nouveaux militants au Parti (Lynn, militante démocrate,

2011). Cela fait écho à l’implication du capital symbolique dans la reproduction des

78

rapports de force (Bourdieu 1987). Puisque les nouveaux militants souhaitent aider le

président et son agenda, ils s’impliqueront davantage au sein de son organisation

officielle que dans les groupes grassroots ou que dans la structure traditionnelle du DNC.

D’autres organisations travailleront également avec OFA afin de profiter de son capital

social, pour bâtir leur réseau et pour cultiver des relations. Par la suite, la possession ou

l’acquisition de ce capital social peut s’avérer utile lorsqu’ils souhaiteront que leur

organisation travaille avec OFA ou lorsqu’ils mobiliseront les militants d’OFA (selon

deux militantes démocrates, 2011). Une participante décrit cette relation à travers son

identification organisationnelle :

No, I am first, the only reason I say I am first and foremost « for Change » and then,but I work mainly for, with OFA [is] because they have the greatest phonelist. And I,yeah, I definitely am connected strongly with OFA but I do other stuff of thereservation (Karen, militante démocrate, 2011).

Il n’y a pas que la représentation des organisations qui affecte les relations au sein du

Parti. Il en va de même pour des individus possédant un capital symbolique et social leur

permettant d’influencer les opinions et les pratiques des autres militants. Au fur et à

mesure que je m’intégrais au milieu démocrate, j’ai compris que le dirigeant d’un groupe

grassroots était très respecté et influent à New York. Ce militant est reconnu pour sa

capacité à « bien conduire » son groupe grassroots, à en avoir fait une réussite, pour avoir

recruté plusieurs militants établis, pour mener les rencontres de plusieurs groupes

grassroots, pour son implication dans le milieu syndical et pour avoir été sélectionné par

OFA pour rencontrer Barack Obama64. Bref, il est reconnu pour être l’un des meilleurs

organisateurs militants de New York. Ce militant influent discute donc avec beaucoup de

ses collègues en les rencontrant ou par le biais de forums virtuels et de courriels. Il les

écoute alors exprimer leurs frustrations et leurs craintes. Il est toutefois reconnu par les

participants pour être surtout un point de repère et quelqu’un ayant des réflexions

politiques pertinentes valant la peine d’être écoutées et partagées (selon six militants

démocrates, 2011) :

He is totally my mentor. Everything I have worked on, like we had a meetinglast night, I talked to him, ahead of time, and see what he thinks is important

64 Le président Obama rencontre fréquemment des bénévoles. Néanmoins, cela demeure un privilège utilisécomme une récompense pour les « meilleurs » bénévoles, les stagiaires ou les cadres.

79

to establish if we are organizing. I always get feedback on, because I am notreally an organizer, I am a [emploi65] (Karen, militante démocrate, 2011).

Ce militant a acquis une telle influence que la perception que les autres se font de son

capital social lui a valu le titre de « Godfather of New York » (Karen, militante

démocrate, 2011).

Issu de l’interaction entre les militants, le regard des autres forme une pression sur les

actions du militant. Entre autres choses, cette pression agit comme une contrainte sur la

communication en ligne des militants. Par exemple, en se côtoyant davantage semaine

après semaine, les militants apprennent à se connaître, à se respecter et forment des

relations d’amitié. L’esprit d’équipe devient alors sacré (selon trois militants démocrates,

2011). Le militant prend conscience qu’il ne représente pas uniquement son groupe en

tant qu’entité monolithique, mais également chacun des collègues qu’il respecte et

apprécie déjà. Il adaptera donc son comportement pour ne pas trahir l’équipe (Lynn,

militante démocrate, 2011). Par ailleurs, la volonté de bien paraître empêche les militants

de s’exprimer en ligne sur plusieurs tabous. Pour les participants à notre étude, on ne

discutera pas en ligne de sexualité (ibid.); on ne parlera pas négativement d’OFA, de ses

stagiaires et des employés en public (selon trois militants démocrates, 2011); on

n'abordera pas les sujets personnels et les relations amoureuses (selon deux militants

démocrates, 2011); on n'exprimera pas des propos racistes (James, militant démocrate,

2011); et finalement, on ne se permettra pas de louanger l’adversaire (Chavez, militant

démocrate, 2011). Cette camaraderie se voit aussi perçue comme une pression

contraignant également Cynthia qui refuse de récolter des fonds dans son réseau

(Cynthia, militante démocrate, 2011) et Lynn lorsqu’elle dit ne pas vouloir déranger les

militants en envoyant trop fréquemment des courriels (Lynn, militant démocrate, 2011).

Même chose pour Dale qui ne publie pas de photo de lui avec un verre d’alcool à la main

ou en état d’ébriété (Dale, militant démocrate, 2011).

Qu’ils soient bénévoles ou employés, ceux qui supervisent et coordonnent les activités

donnent des scripts et des « lignes de communication »66 aux militants participant aux

65 L’emploi de cette participante a été retiré pour ne pas permettre de l’identifier.66 Traduction libre de « talking points ».

80

séances téléphoniques et les tiennent aussi informés par courriels. Ces organisateurs

représentent donc les gardiens de la « ligne » de parti et de la cohésion des messages de

l'organisation aux yeux des autres militants. Le statut des superviseurs, qu'ils soient

bénévoles ou employés, est synonyme d'autorité et d'exemple à suivre. Pour

communiquer leur discours politique, les militants se réfèrent aux comportements des

superviseurs afin d'adopter une conduite exemplaire autant en ligne que hors ligne.

Certains participants s’attendent à ce qu’un organisateur respecte une attitude et certaines

pratiques attendues en fonction de son statut, sans égard à sa position dans la structure du

parti (selon trois militants démocrates, 2011). La pression du regard des autres est donc

interreliée avec la représentation du statut. Le rôle joué par le militant est associé à un

certain nombre de bonnes conduites. À ce sujet, Floyd raconte :

F.L. – What about the internet in that field, I mean ? As a volonteer could you writeor state or publish anything you want on the web ? As a volonteer.Floyd – Yes and no. I think you can, you are able to technically, yes, but if you wantto be invited to participate as an organizer or to play a lead role in events, you couldeasily write yourself out of them by what you say. F.L. – Because somebody will ?Floyd – Take offense, will think it is inappropriate, take it as a sign of, like you arenot really a team player, etc.F.L. - It is important to be a team player ?Floyd – Oh, yeah. Yes. Critical. Absolutely critical. There is a certain personality typeand this comes from the top, I think this comes from the top.[…]F.L. – [...] But the summer organizer then write what he want on Facebook ? Eventhat « Obama is an asshole » ?Floyd – No. F.L. – Why ? [There] is not suppose to be free speech ?Floyd – He would lose his credibility as a summer organizer because he has peoplewatching his every move. People will stay aware of what he is doing or saying, he isnot free to do that in reality. In theory, he is, if he’s ready to it (Floyd, militantdémocrate, 2011).

C’est une notion partagée que les militants qui souhaitent devenir cadres ne peuvent pas

écrire ou faire n’importe quoi. Par ailleurs, nous reviendrons sur cette norme dans le

prochain segment portant sur la culture. Toutefois, on constate que la pression du regard

des autres s’entremêle avec l’allusion de conséquences pour les délinquants. En effet,

froisser les autres militants peut résulter en un bris de leur relation, voire à l’exclusion du

groupe ou même carrément, du milieu militant (selon trois militants démocrates, 2011).

Norman, lui-même un summer organizer, abonde dans le même sens. Il refuse de

81

partager en ligne des éléments négatifs sur le président, parce que cela pourrait le faire

mal paraître, tout en admettant que ce refus n'est pas lié à des pressions externes, mais

plutôt le fruit de sa propre communication libre de contraintes : « I am free to share or not

share, based […] on my views and the way I want people to see things » (Norman,

militant démocrate, 2011). Ce qui nous amène à considérer que la pression sur les

militants d'adopter une bonne conduite, surtout en ce qui concerne leurs propos en ligne,

n'est pas toujours ressentie comme une contrainte, mais plutôt comme une norme allant

de soi, partagée et admise au sein du milieu militant.

4.2.2 – Culture et normes du Parti démocrate

Des normes, valeurs et coutumes partagées transparaissent de mes observations sur le

terrain ainsi que des propos des participants rencontrés dans le cadre de cette recherche.

Ma démarche ethnographique m'a permis de circonscrire quelques éléments issus d'une

« culture démocrate ». Bien que cette culture est constamment en redéfinition, on y

retrouve : 1) une responsabilisation des militants; 2) une norme du dialogue; 3) une

notion partagée du réalisme politique; et 4) une perception des démocrates d'eux-mêmes.

Notons que ces éléments culturels ont été décelés autant chez les militants d’OFA qu’au

sein du DNC new-yorkais et dans les groupes dits grassroots.

La perception qu’ont les démocrates d’eux-mêmes fait partie de l’imaginaire collectif des

participants rencontrés. En effet, plusieurs militants rapportent que le Parti démocrate est

le « big tent party », fort d'une diversité sociale, ethnique et politique. Selon eux, cette

diversité rend habituels les désaccords, les mécontentements et les débats autant au sein

du parti qu'à l'extérieur, c'est-à-dire publiquement. D’ailleurs, la possibilité de débattre et

d'échanger librement y est un principe fondamental (selon neuf militants démocrates,

2011). Néanmoins, les données recueillies n’ont pas permis de lier cette vision à

l’utilisation des nouvelles technologies. Dans le contexte où la présente étude est

exploratoire, je présente cette perception en espérant que d’autres chercheurs pourront s’y

pencher. Cette perception fait néanmoins partie de la culture démocrate et les nouveaux

militants l'adoptent au fur et à mesure qu'ils s'y intègrent.

82

Dans un autre ordre d’idées, les militants s’impliquant dans les groupes grassroots et

chez OFA clament être les membres d’un « mouvement » ayant comme héritage le

community organizing (voir également OFA 2011). Tel que mentionné précédemment, la

campagne présidentielle d’Obama fut identifiée comme étant grassroots, c’est-à-dire

dirigée et coordonnée par une base militante et populaire (Clayton 2010), et celle de Dean

fut qualifiée « d’anti-establishment » (Trippi 2004). Ces campagnes constituent

désormais le mythe d'un mouvement axé sur le changement comme le suggère Lynn

(militante démocrate, 2011) : « To some people, there’s still this myth of the Obama

movement, you know ». Lors des activités et des réunions d’Organizing For America, j’ai

pu reconnaître les techniques et notions de base du community organizing décrites par

Schutz et Sandy (2011). Comme l’expose le guide des organisateurs Fall Fellows d'OFA,

« Our work is grounded in the knowledge that community organizing has been the engine

behind societal change for centuries, and is an important part of the President's

background » (OFA 2011 : 3). De plus, ce guide identifie la structure hiérarchique des

équipes locales comme étant une « structure d’organisations grassroots » (ibid. : 6; voir

la copie de la structure en annexe 3). Ces éléments culturels forment l’image d’une

organisation qui ne se perçoit pas comme un parti politique, mais bien en tant que

« mouvement politique ».

Cette représentation place les militants au cœur des actions de ce « mouvement

grassroot » et les rend responsables de ses réussites en remettant symboliquement son

contrôle entre leurs mains. Le « changement » survient uniquement par l’intervention de

l’individu et de la communauté locale, s’inscrivant ainsi dans l’imaginaire de la

participation citoyenne américaine (Almond et Verba, 1963). En effet, lorsqu’on visite les

locaux d’OFA New York, on trouve une abondance de photos de militants et d’affiches

faites à la main annonçant « I’m In », « Respect, Empower, Include », « Thank You », ou

encore « Keep the Change Coming ». Également, le « we » est fréquemment utilisé dans

les activités sans égard à la position hiérarchique du locuteur et introduit le travail des

militants dans leur représentation collective du « mouvement », tel que l’entend Ganz

(Schutz et Sandy 2011 : 115). Par conséquent, le militant est identifié par le parti comme

83

étant le moteur des opérations partisanes. Cette représentation symbolique est porteuse de

sens, car le parti affirme n'être plus dirigé par une élite de stagiaires et d’employés. Il se

targue plutôt d'être composé et identifié dans son entièreté par les militants qui le

composent. En d’autres termes, les militants « sont » le mouvement grassroot.

Que ce soit chez OFA ou dans la structure traditionnelle du DNC, j'ai pu constater que les

cadres sont ouverts à l’arrivée et l’intégration de nouveaux militants. Ces nouveaux

militants sont invités à prendre une part active et à « faire partie de la solution » (Maria,

militante démocrate, 2011). On utilise l'empowerment (OFA 2011 : 2, 7) pour motiver les

militants. La rhétorique du parti et les discussions avec d’autres collègues inspirent le

militant à s’impliquer davantage et à participer à des activités afin de concrétiser le

« changement » souhaité. De plus, s’il travaille suffisamment fort, le militant peut

prendre de nouvelles responsabilités :

It's people who weren't elected to those positions, but who, simply put, have sometime, who are good. It's also a system that's built on competence, which is importantaccording to me. [...] Those who are good will get promotions and they'll get moreresponsibilities (Marvin, militant démocrate, 2011).

Lors de mon immersion, j’ai participé à un camp de formation pour les dirigeants des

équipes locales (NTL). La rhétorique employée par les formateurs et les cadres présents

invitait tout un chacun à se responsabiliser et à prendre en charge des activités, des postes

et éventuellement la direction d'une équipe locale. Pendant cette formation, j’ai donc écrit

la note suivante dans mon journal de terrain :

J'avoue moi-même avoir une émotion! Je me sens impliqué dans ce mouvement parceque je sens que rien ne m'arrête, sinon ma volonté et mon horaire. En bref, je sais queje peux partir des groupes, faire du militantisme, aider où je le veux, quand je leveux. « Sky is the limit » à OFA. C'est puissant comme sentiment, tu as l'impressionde faire une différence (Journal de terrain 2011).

Ce sentiment est partagé par les militants qui, à travers la perception de former un

mouvement grassroots, estiment pouvoir influencer sa direction s’ils le prennent en

main :

It’s such a good point of decentralization because they come up with all of thesestrategies for what like the Democratic Party should do. And they all think thatthey’re the one that’s like gonna implement this stuff, the strategy for the entireDemocratic Party. And you, I mean, you wanna laugh but I’m so admiring of them

84

because they feel such of part of it. They fell like they have that power (Lynn,militante démocrate, 2011).

Exprimant un sentiment similaire, une participante me raconta comment elle avait

commencé à militer au Parti démocrate. Ce que son anecdote révèle, c’est que la

responsabilisation est une rhétorique qui se matérialise dans les pratiques des militants

inspirés par leur implication dans le « mouvement du changement » :

Hmm, I remember the first event that I ever organized… I, I asked this person if hegonna organize this event but, to watch the primary results for some states, he said« well, I’m not gonna do it, but if you want to, you can » and I said « what do I do »?And He said « call, call the bar and tell them that you wanna reserve that room andthem go on MyBO and post-it on MyBO ». So I had to go and figure out how to postit on MyBo and so… it definitively made it easy to, hmm, we used to use MyBO forevery event, after the election we used to use it for every single thing we did, forhealth care.[…] And I felt really useful. And I felt like I was really contributing (ibid.).

Dans cet extrait, l’organisateur motive la militante à organiser sa première activité, ce

qu’elle peut faire avec l’appui des nouvelles technologies. Ce sont des interactions hors

ligne entre militants et organisateurs qui structurent l’utilisation des nouvelles

technologies. Dans ce cas-ci, la responsabilisation amène le militant à utiliser les outils en

ligne qui facilitent l’organisation d’actions politiques.

De manière complémentaire, la responsabilisation s’accompagne également de normes

limitant les pratiques, dont celles en ligne. En effet, en encourageant les militants à

prendre des positions de directions ou à organiser leurs propres activités, on encadre les

pratiques par la description précise du déroulement des activités67, ainsi que des postes et

des responsabilités. Le militant motivé par la responsabilisation ne se construit pas lui-

même, il doit se positionner à l’intérieur d’un ensemble de comportements et de fonctions

attendues de lui (OFA 2011).

Les stagiaires, par exemple, savent exactement ce que la direction attend d’eux. Leur

mission et les « bons » comportements sont explicitement écrits dans leur guide du

militant et verbalisés lors de leur camp d’introduction (OFA 2011 : 3). Ils jouent alors un

rôle défini à la fois par l’organisation, mais également par la perception qu’ont les

67 OFA distribue à ses militants des guides de préparation et déroulement d’activités.

85

militants de ce rôle. Selon un participant, les summer organizers doivent montrer

l’exemple. Il affirme d’ailleurs essayer de suivre cet exemple, même s’il n’est pas lui-

même stagiaire (James, militant démocrate, 2011). Pour une autre militante rencontrée,

ils doivent être exemplaires dans leur utilisation des nouvelles technologies. Selon elle,

les employés et les stagiaires doivent penser aux conséquences avant d'utiliser Facebook

(Lynn, militante démocrate, 2011). Planifier quelques activités à l’occasion ou occuper

une position bénévole, c’est aussi s’intégrer à la structure hiérarchique du parti. Ainsi,

pour un militant, critiquer publiquement l’organisation, c'est se critiquer lui-même. Les

militants adaptent leurs communications en ligne selon le comportement attendu et selon

ce qu'ils pensent de l'organisation :

I might say something [online] about Obama but I wouldn’t say something negativeabout the organization. His campaign, I wouldn’t… […] But no, I don’t generallythink negatively about all those organizations. I think they’re all doing the best theycan (ibid.).

Pour d’autres participants, la responsabilisation ne modifie pas leurs comportements. Au

contraire, certains deviennent si responsables et habitués à l’idée de contrôler le

« mouvement » qu’une série de déceptions et de confrontations avec l’organisation les

amène à quitter, convaincus qu’ils n’ont pas l’influence nécessaire pour changer le parti :

One of the things Obama struggles with is he empowered all these people to thinkthat they were in control and they weren’t. […] As the three year had passed, we’veall developed our own path in this political system. That is some people have, youknow… Some people have continued to be very very loyal to Obama and that’s great.And then, there are other people who felt like their role as organizers, as activists wasto be… Hmm, to the left of Obama (Lynn, militante démocrate, 2011).

Les militants rencontrés ont également exprimé une notion partagée semblable à une

réalpolitik à l’échelle de ce qui est, à leurs yeux, la joute partisane. Plus précisément, je

définirai inductivement la notion partagée du « réalisme politique » comme étant l’idée

selon laquelle la participation d’un militant doit avantager, ou ne pas nuire, la cause ou

l’organisation à laquelle il adhère (selon neuf militants démocrates, 2011). En ce sens, il

s’agit d’un calcul fondé sur des aspects pratiques et les intérêts de la cause défendue ou

de son organisation, plutôt que sur des notions éthiques ou normatives, telles que la

liberté d’expression.

86

Plusieurs militants ont souligné l’importance de ne pas nuire au Parti démocrate ou à leur

groupe politique en s’exprimant, y compris par le biais des nouvelles technologies :

And about free speech… Again, everyone’s allowed to say whatever they want…And you can’t control that. But you… can talk to them and say « listen, we’re notgoing to win if everyone who support candidate A calls everyone who’s friend ofcandidate B a douchebag. It’s just not gonna happen, we gonna look bad, so don’t doit. » And you suggest it, and you hope that they want your candidate to win enoughthat they will listen to you (Dale, militant démocrate, 2011).

Même si plusieurs participants ont exprimé tenir à leur liberté d'expression, d’autres ont

néanmoins estimé que la censure pouvait être « justifiée » dans certaines situations. Entre

autres, les militants ne peuvent pas s’exprimer librement lorsqu’ils font des appels

téléphoniques pour identifier les sympathisants ou pour convaincre des électeurs. Dans

cette situation, il est approprié selon eux de suivre les scripts distribués68 et de respecter

les lignes de communication. Afin d’atteindre les objectifs d'une séance d'appels, le

militant peut aller jusqu’à faire croire à son interlocuteur qu’il partage son opinion (selon

quatre militants démocrates, 2011). Les militants ne suivant pas cette norme, c’est-à-dire

ceux qui s’expriment librement ou se disputent au téléphone, sont qualifiés

d’incompétents ou d’inexpérimentés (James, militant démocrate, 2011).

Par conséquent, les militants doivent se montrer « pragmatiques » et souhaiter d’abord

favoriser leur parti, plutôt que de défendre, coûte que coûte, leur liberté d’expression.

Aller à l'encontre de l'organisation semble contre productif et inutile, selon Karen : « And

also, it does no good to be super-negative […] if you can't say something nice don’t say

anything at all » (militante démocrate, 2011). Certaines situations sont alors identifiées

comme étant des « moments et des lieux » où la liberté d'expression est tolérée.

Communiquer avec des électeurs n’est pas l’une d’entre elles, c’est plutôt un « moment

précieux »69 devant être rentabilisé :

I think that you have few, fewer and fewer precious moments with voters and it’smuch, it’s much more effective to spend that time talking about what’s good aboutyour candidate, what’s good about your campaign, why you’re right, rather thattaking all that time talking why that person’s wrong. There’s been, there’s always in a

68 Lors des séances d’appels téléphoniques, le responsable de l’activité distribuera un script spécifiantprécisément le texte à dire lors des appels téléphoniques. Ces scripts participent donc à l’encadrement desdiscussions avec les électeurs.69 Traduction libre.

87

campaign, there’s places and there’s gonna be times when you're gonna go negative,but being positive is really where you wanna be (Dale, militant démocrate, 2011).

On constate comment les militants estiment qu’il n’est pas « efficace » de s’exprimer

librement dans cette situation. Cela leur semble aller de soi alors que, selon eux, le

militant ne pourra jamais être entièrement en accord avec les positions de son parti ou de

son organisation : « I mean that is just, it is just how it goes », explique Olivia (militante

démocrate, 2011). Toujours en ce qui concerne le pragmatisme, Pamela me dit vouloir

militer pour la réélection d'Obama même si elle avoue être déçue de lui (Pamela,

militante démocrate, 2011). Ces situations illustrent que faire des compromis est

également une composante de ce réalisme politique dont font preuve les militants

rencontrés.

L’adhésion au réalisme amène donc le militant à adopter un comportement pragmatique.

Toutefois, même s’il demeure pragmatique, il est bien difficile de savoir ce qui peut être

dit et ce qui doit être omis lorsqu’un militant s’exprime. Selon Cindy, c'est du cas par cas,

mais l'important est d'être en tout temps campaign appropriate :

F.L. – What is campaign appropriate?Cindy – I guess [rires], I mean, I have cursed on my Facebook before, but it has to dowith like, it is hard to say honestly what is campaign appropriate. You can’t know,you take it situation by situation, so if someone post a nude picture on the wall youare gonna delete that so that can be inappropriate but when, you know, if you havebeen through an argument with someone on a certain issue, it is hard to say what canbe appropriate because it just depends on languages and the content and stuff likethat. Usually it is, like inappropriate for any other situation it would not be campaignappropriate. So, if you can’t say it in front of a teacher or any, you know, don’t say iton Facebook (Cindy, militante démocrate, 2011).

Cet extrait révèle que le réalisme est subjectif et s'inscrit dans ce que le militant évaluera

comme étant inapproprié. Cette subjectivité est néanmoins encadrée par la volonté de ne

pas nuire à son parti ou sa cause. Par exemple, lorsque j'ai interrogé Cindy sur la capacité

des militants à s'exprimer de manière à refléter les lignes officielles du parti, elle a

répondu :

For the most part, they are pretty [on message], if they go against what [Obama] say,they are not loud about it. They can’t be because then it would show a divisionamongst the party and you don’t want to show that because this is a weakness (ibid.).

88

Selon elle, exprimer publiquement son désaccord est inappropriée parce que cela nuit au

parti. Plusieurs participantes ont raconté des anecdotes où elles se sont censurées en ligne

afin de ne pas nuire aux chances de leur organisation (selon trois militantes démocrates,

2011). Cela révèle que le réalisme peut s’opérer consciemment à travers la praxis des

militants.

Après le réalisme et la responsabilisation, les pratiques de l’écoute et de l’expression de

soi ont largement été observées au sein du milieu militant de New York. Mais ce ne sont

pas uniquement les militants rencontrés qui valorisent ces pratiques. J’ai pu remarquer

comment les organisations des branches du DNC, d’OFA et les groupes grassroots ont

ritualisé plusieurs moments s’inscrivant dans ce que je définis comme étant la « coutume

du dialogue ». Sur le terrain, j’ai noté que les employés et les bénévoles ayant des

positions de directions ou de responsabilités avaient également des pratiques ritualisant

l’écoute. Cela prenait forme en demandant l’opinion des militants autant en ligne que

dans les rencontres en personne. D’abord, après la plupart des activités auxquelles j’ai

participé, les militants continuaient à discuter entre eux. Aux rencontres mensuelles du

club démocrate d’Astoria (DNC), on accueille les commentaires des sympathisants et

militants présents. Ces derniers posent alors des questions à l’exécutif local et aux élus.

Dans un même ordre d’idées, on s’assoit avec les nouveaux militants en one-on-one et on

invite chacun des participants d’un house meeting d’OFA à s’exprimer. Dans les deux

cas, le militant a l’occasion de se présenter, d’exprimer les raisons qui l’ont mené à se

présenter à l’activité et pourquoi il appuie le président Obama. Lors d’un camp de

formation pour les organisateurs militants et dirigeants des équipes locales (NTC) auquel

j’ai assisté, la directrice de terrain70 se livra à une séance de questions. Elle écouta

patiemment chacune des interventions sans les interrompre, même lorsque les propos

étaient conflictuels ou qu’ils confrontaient l’autorité du parti. Par la suite, elle leur

donnait des réponses, expliquant des décisions, relativisant des situations.

En ligne, le média social interne NationalField est techniquement conçu pour transmettre

les opinions des militants et des employés aux niveaux supérieurs de la hiérarchie. Selon

70 Tel qu'indiqué précédemment, traduction libre de « field director ».

89

Floyd, l’outil est réellement utilisé afin d’écouter et d’impliquer la base militante dans le

processus décisionnel d’OFA par l’intégration de leurs commentaires (Floyd, militant

démocrate, 2011). Dans un autre ordre d’idées, une participante rencontrée m’explique

que la gestion de son groupe grassroots par le biais des nouvelles technologies représente

quelques défis. En effet, tous les dirigeants du groupe veulent s'exprimer sur les décisions

à prendre et sur la coordination des activités à venir. Selon elle, l’envoi constant de

courriels portant sur la gestion du groupe complexifie la prise de décision en rendant les

débats interminables (Lynn, militante démocrate, 2011). L’habitude des militants à

s’exprimer au sein des groupes est aussi une pratique répliquée en ligne. L’utilisation des

nouvelles technologies, notamment des courriels, des forums et des médias sociaux, pour

échanger sur l’actualité, coordonner des activités ou gérer son organisation, forme

virtuellement une continuité du milieu militant et de ses interactions hors ligne.

Par ailleurs, la coutume du dialogue sert à canaliser les craintes et les frustrations à

l’intérieur du parti, limitant du même coup l’expression externe de messages nuisibles.

En favorisant l’expression de soi pendant leurs activités, les militants se vident le cœur à

l'interne plutôt qu'en public (Karen, militante démocrate, 2011). De plus, le militant sait

qu'il existe à l’interne des forums de discussion où il pourra se faire entendre et tenter

d'influencer les prises de décisions ou encore la direction des opérations (Florence,

militante démocrate, 2011). En ligne, les chaînes de discussion par courriels entre les

militants n’échappent pas à cette pratique, car : « in fact, a lot of it is venting » (ibid.).

Pour Saul, le dialogue au sein d’un cercle ou d’une organisation militante favorise la

formation d’un esprit d'équipe. Ces pratiques d’écoute et de partage d’opinions peuvent

créer des « liens dans l’organisation »71 et doivent devenir une habitude afin de les

maintenir (Saul, militant démocrate, 2011). La coutume du dialogue est donc perçue

comme étant bénéfique pour le parti, prenant parfois la forme d’un capital social :

F.L. – First, how do you feel about this? About the fact that you are just, you aredirectly in a relationship, volunteers with [your field director]? How do you feelabout this ?Floyd – I think it is good. I think it is valuable. We have a lot of contacts with thestaff persons, absolutely. They can tell us what the staff is up to, we can tell themwhat we are up to. If they have a problem with what we are doing, they can tell us, if

71 Traduction libre.

90

we have a problem with what they are doing we can tell them. Yeah, absolutely. Ithink that is very valuable (Floyd, militant démocrate, 2011).

Pour Marvin, l’échange au Parti démocrate n’est pas forcé : « But it is quite spontaneous.

[...] We won't tell people "now we're gonna talk" » (Marvin, militant démocrate, 2011).

Selon lui, les militants n'ont pas peur d'exprimer leurs opinions et de poser des questions.

Pour d’autres participants, la coutume du dialogue entre les cadres du parti et les militants

est strictement cosmétique. Selon eux, il s’agirait d’une tactique de gestion du personnel,

en ce sens qu’elle permettrait aux militants de se sentir écoutés, sans toutefois prendre en

compte ce qu’ils ont à dire (selon deux militants démocrates, 2011). Ainsi, cette

participante partage le sentiment que lui suscitent les échanges avec les cadres :

« I feel that we are being talked to, they can keep trying to make us feel like theywant to know what we feel, but I don’t know if that is true. I feel, I am being talked toor talk with » (Pamela, militante démocrate, 2011).

Un autre militant rencontré abonde dans le même sens :

F.L. – So, in your opinion, is the DNC or OFA opened for, to be precise, debate,opened to free speech, open for diversity of opinion ?Floyd – I would say on paper it is. In reality, it is not. It pretends to be, it has moretools in place, like your local stand person or whatever, where you can theoreticallyyou can engage in with, but it is the appearance of that ability (Floyd, militantdémocrate, 2011).

Saul fait partie des ceux qui croient que l’ouverture présentée aux militants est en fait une

tactique. Il se dit toutefois convaincu que certaines organisations démocrates prennent en

compte l’opinion des militants :

The opportunity for free discussion, debate, people listening to your ideas, in a scaleof one to a hundred, […] I would say, so, in the context of the New York StateDemocratic Party, 7. […] A labor union, 25, okay? […] Organizing for America 50,50 […] our grass roots level. No inhibition whatsoever. And even in a higherhierarchical stuff it is a little more diplomatic maybe but still, right ? (Saul, militantdémocrate, 2011)

Les militants des groupes grassroots seraient moins liés par des relations de pouvoirs et

cela permettrait à ces groupes d’être plus flexibles. Néanmoins, même chez OFA,

l’incorporation des commentaires des militants serait limitée. Plusieurs témoignages

révèlent que l’organisation prend en compte les commentaires sur des « choses sans

importance »72, mais que changer les stratégies ou les positions politiques est très ardu

72 Traduction libre de « not symbolic kinds of things » (Alan, militant démocrate, 2011).

91

(selon cinq militants démocrates, 2011). Selon Saul, cette difficulté d’incorporation « est

presque culturelle »73 (Saul, militant démocrate, 2011).

Bref, ces exemples d’expression et d’écoute mettent en perspective le caractère ritualisé

de ces pratiques. D’abord, la coutume du dialogue s’inscrit dans l’idée selon laquelle le

Parti démocrate est un mouvement grassroots conduit par sa base militante. Également,

la répétition de moments formels et codifiés par le biais de guides et de procédures

spécifiques (OFA 2011) suggère que la coutume serait une tactique des cadres contribuant

à canaliser l'expression des militants au sein des forums internes.

Ainsi, une microculture démocrate, c’est-à-dire la présence des normes et valeurs

partagées au sein du milieu démocrate, pourrait structurer les pratiques des militants.

Parallèlement, les pratiques en ligne seraient également structurées par ces contraintes

culturelles. Les données recueillies sur le terrain semblent indiquer que l’utilisation des

nouvelles technologies dans le contexte du militantisme politique n’est pas suffisante

pour faire contrepoids aux contraintes quotidiennes vécues par les participants dans le

cadre de leurs fonctions militantes. La coutume du dialogue, la responsabilisation des

militants, leur perception de prendre part à un mouvement politique et une vision

pragmatique du militantisme s’entremêlent aux relations de pouvoir pour encadrer le

militant par toute une série de contraintes perçues et invisibles. Ces contraintes s’opèrent

donc à travers les interactions sociales des acteurs du milieu militant.

4.2.3 – Socialisation et reproduction des contraintes quotidiennes

La socialisation est un processus d’apprentissage de la culture et de la reproduction de

l’ordre social (Bourdieu et Passeron 1964, 1970; Ibrahim 2011). En plus de construire

une identité démocrate, les règles du jeu, les valeurs et les normes de l’environnement

sont apprises par l'interaction et le dialogue entre les membres du milieu. Ainsi, en

comparaison aux données recueillies, les contraintes culturelles et relationnelles (relations

de pouvoir) s’inséreraient dans les processus de socialisation des nouveaux militants,

étant perçues comme inhérentes au quotidien de la vie militante.

73 Traduction libre.

92

Même si le Parti démocrate recrute de nouveaux militants par le biais des séances

téléphoniques ou du réseau personnel des militants impliqués, faisant ainsi écho à la

méthode snowball (Gray 2004; Kish 1965), les nouvelles technologies font également

partie de ce processus. En effet, les sympathisants contactant virtuellement une première

fois le Parti démocrate, que ce soit en s’inscrivant à la liste des courriels ou en le

finançant, sont automatiquement ajoutés dans la base de données VoteBuilder et invités

ensuite à « faire partie du mouvement », c’est-à-dire se joindre aux activités des militants.

Ainsi, la socialisation au vocabulaire, aux normes et aux coutumes du milieu débute

pendant la transition entre l'espace virtuel et l'espace hors ligne, c'est-à-dire lorsque le

sympathisant débute son intégration en ligne et qu'il la poursuit graduellement en dehors

du Web, au sein du milieu militant. L’invitation des sympathisants par courriels

communiquant une rhétorique responsabilisante est un exemple éloquent de cette

transition, alors que cette rhétorique se poursuit lors des activités militantes.

Les activités auxquelles participent les militants sont ritualisées autant au DNC, qu’à

OFA ou encore au sein des groupes grassroots. Chez OFA, les guides et les formations

suggèrent des directives et un déroulement strict des activités (OFA 2011). Dans la

structure traditionnelle du DNC, des rencontres mensuelles permettent aux participants de

questionner et d’exprimer leurs opinions à l’exécutif local et aux élus présents. En ce qui

à trait aux groupes grassroots, leur processus décisionnel débute par un débat sur l’enjeu

soulevé et se scelle généralement par un vote ou l’expression d’une décision majoritaire.

Ainsi, la socialisation des militants est un processus suivant un itinéraire sacralisé dans

des moments et des activités circonscrites. Ces rituels participent de la socialisation des

militants impliqués en posant un cadre qui expose les contraintes du milieu, les

conditions de l’influence du militant et les objets de savoir à acquérir.

L’un des moments clés du processus de socialisation est l’accueil des nouveaux militants.

Chez OFA par exemple, des activités codifiées, comme les one-on-one et les house

meetings, servent explicitement à « l’introduction » du militant et à connaître

l’organisation. Régulièrement, des activités sociales dans les cafés et les bars sont

93

planifiées afin d’y écouter les débats ou pour agrandir le réseau de contacts personnels du

militant. Le nouveau militant est alors exposé aux anecdotes et à des situations contenant

des représentations culturelles. Ce faisant, les intentions politiques des nouveaux

arrivants sont tempérées par les explications des initiés sur les règles du jeu. Par la même

occasion, des relations et des amitiés se bâtissent par l’échange et la discussion avec les

initiés. D’ailleurs, certaines relations entre militants peuvent devenir similaires à une

forme de mentorat où l’initié offre ses conseils et participe à la construction de la

compréhension du milieu du profane (selon cinq militants démocrates, 2011). À ce

propos, Orlando me raconte que : « some of them has been there since the 60’s. I really

take my cues from them and follow their example » (Orlando, militant démocrate, 2011).

D’autres activités pédagogiques servent à l’acquisition de compétences et de

connaissances. C’est le cas notamment des camps de formation, ou encore de

rassemblements d’une poignée de militants pour apprendre à utiliser Twitter. En insérant

ces connaissances à l’intérieur d’un imaginaire partagé comprenant des règles de jeu et

des normes, les formateurs participent également à l’apprentissage de celles-ci. Le

formateur des séances d’appels téléphoniques, par exemple, explicite que les militants

doivent faire preuve d’efficacité en ne s’éternisant pas avec des interlocuteurs

réfractaires, tout en maintenant une agréable ambiance. Le militant est, avant tout, invité

à porter son attention sur le nombre d’appels effectués et le responsable des séances est

mandaté de s’en assurer. Cette supervision fait également écho aux consignes des cadres

et autres guides pratiques stipulant le déroulement « normal » d’activités (OFA 2011).

Ces exemples de socialisations mettent en perspective que l’intégration du militant

permet une incorporation progressive aux contraintes du milieu prenant la forme d’un

processus continu d’ajustement aux règles et aux normes.

Un tel processus rejoint les travaux de Bourdieu et Passeron (1964, 1970) portant sur

l’accès aux études supérieures et la reproduction d’un ordre social permit par 1) la

reproduction de la hiérarchie sociale et 2) la reproduction de la légitimité du système à

l’origine de cette hiérarchie. Pour Nay (1998), la sélection des employés et candidats

politiques participe justement à la reproduction de l’ordre hiérarchique. Nay utilise la

94

notion de « règles institutionnelles » pour appréhender en quoi des normes formelles et

informelles encadrent la sélection. En fait, nos données semblent appuyer cette théorie.

Par exemple, OFA New York, avec l’approbation de son siège social à Chicago,

sélectionne des stagiaires (summer organizer, fall fellow) ayant pour mandat de

reconstruire les équipes locales. Ces derniers le font d’ailleurs avec l’appui de formations

et des guides pratiques (OFA 2011; selon deux militants démocrates, 2011). Ainsi, les

équipes sont structurées comme l’entendent les autorités (OFA 2011) et les dirigeants

locaux sont sélectionnés par ces stagiaires avec la collaboration des militants locaux. De

plus, lorsqu’un militant souhaite obtenir plus de responsabilités, devenir stagiaire ou

obtenir un emploi au sein du parti, il embrasse les règles du jeu et accepte les normes de

l’institution plutôt que de les rejeter afin de ne pas nuire à ses chances d’être sélectionné,

comme l’ont expliqué plusieurs participants (Bobby, militant démocrate, 2011).

L’exemplarité entre militants pourrait aussi participer à la reproduction de l’ordre

hiérarchique. Les cadres et les militants possédant un grand capital social servent de

modèles et agissent parfois comme mentors. Des participants disent prendre exemple sur

eux et tentent d’émuler leur comportement (James, militant démocrate, 2011). On perçoit

dans ces situations le caractère cyclique de la reproduction hiérarchique. Le parti

maintient son contrôle sur les positions d’autorité au sein de sa structure, permettant ainsi

à son tour la sélection des militants responsabilisés et des stagiaires selon leurs critères.

Un nouveau militant est introduit et exposé aux normes du parti, puis se positionne au

sein de la structure, pour finalement accueillir et former, à son tour, les nouveaux

militants. Les militants embarquent alors dans le système de leur propre domination.

En ce qui concerne la reproduction de la légitimité, on constate que les activités

d’apprentissage ritualisent la légitimation de l’autorité du parti sur ses militants. En effet,

elles instituent une légitimité à l’arbitraire par la compétence et l’expertise que semblent

posséder le formateur et les cadres y participant. En même temps, des militants ne

peuvent pas se réclamer légitimement de l’autorité de certaines positions ou statuts sans

avoir traversé le rite de passage qu’est une formation, comme c’est le cas notamment

pour les stagiaires d’OFA. Par conséquent, on comprend que ces moments sont dotés

d’une efficacité symbolique : ils agissent sur la représentation partagée du réel et

95

participent à la construction de l’identité des acteurs (Mollo-Bouvier 1998 : 75). Par

ailleurs, la rhétorique responsabilisante associée à cette perception de faire partie d’un

mouvement grassroots s’inscrit également dans la reproduction de la légitimation de

l’autorité. Les détenteurs de l’autorité seraient légitimes puisqu’ils sont des citoyens qui,

comme n’importe quel militant démocrate, font partie du mouvement grassroots,

évoquant ainsi l’accessibilité de ces postes et le caractère populaire de ses détenteurs.

Ainsi, la détention de leur position reposerait exclusivement sur leur expérience et tout

militant pourrait y accéder éventuellement (Marvin, militant démocrate, 2011).

À l’exception des sympathisants partageant uniquement le matériel promotionnel des

démocrates par le biais des nouvelles technologies, mon immersion et les rencontres avec

les participants n’ont pu révéler l’existence de « militants Web » naviguant en parallèle

du milieu démocrate hors ligne de New York. Les pratiques en ligne s’insèrent au sein du

même processus de socialisation des normes et coutumes du parti. En effet, les nouvelles

technologies sont utilisées par des participants pour continuer à vivre leurs relations de

mentorat (selon deux militants démocrates, 2011), ou encore lors des formations des

militants (Orlando, militant démocrate, 2011)74.

4.2.4 – Résistance à la socialisation et autres voies

Il reste alors à se demander si les militants de New York sont tous contraints lors des

activités militantes et dans leurs pratiques en ligne. Est-ce que les potentiels de

décentralisation et de communications transparentes offerts par les technologies

médiatiques se voient modifiés à tous coups pour n'être rien de plus que ce qu'est le

militantisme en face à face? Certains éléments pourraient nous laisser croire que les

cadres et dirigeants locaux ont réussi à imposer leur autorité tant au sein du milieu

74 « Digital divide » : L’une des caractéristiques de cette recherche est d’être exploratoire. À cet effet, mesobservations sur le terrain n’ont pas présentée de situation où la capacité des bénévoles à utiliser desnouvelles technologies influençait leur capacité à y exprimer librement des messages « innapropriés » pourla campagne ou à décentraliser les efforts du parti. Sur le terrain, j’ai côtoyé des bénévoles âgés qui étaientla plupart du temps à l’aise avec les ordinateurs, les bases de données, les médias sociaux, les forums enligne, les logiciels d’édition numérique (photoshop), etc. Néanmoins, les participants ont souligné àquelques reprises l’existence d’un fossé entre les capacités des jeunes à utiliser les nouvelles technologieset celles des militants plus âgés (selon trois militants démocrates 2011).

96

militant que dans l’espace virtuel par le biais de rapports de force et de la conversion des

militants à une microculture démocrate. Mes données tendent cependant à suggérer autre

chose : le suivi en ligne des normes et mécanismes du milieu hors ligne est un

phénomène tributaire du degré de conversion et d’intégration du militant dans le milieu

observé.

Cachés derrière leur écran, certains militants croient pouvoir tout faire sur Facebook. À

ce propos, une participante m’explique pourquoi :

I guess because obvisouly you're behind the computer, nobody sees you, nobodyknows who you are, it is completely anonymous and you could just say whatever youwant. Which I think it causes a lot of behaviour on the internet. I think lots of peoplewould not do or say a lot of the things that they do or say on the internet in real life,because they feel protected by the internet. Like you are, if two people are cursingeach other out on Facebook, it is not gonna escalade until one of them punches theother. It is gonna be two people sitting by their computer, you know what I mean, soit is not gonna be a threat, you are sitting there you are comfortable, you feel you arethe king of the world and you say what you want, because nobody is gonna hurt you.So, I think definitely people do this (Cindy, militante démocrate, 2011).

Dans certaines circonstances, ce sentiment pourrait être nuisible pour le parti alors que

des informations sensibles pourraient éventuellement être rendues publiques par un cadre

ou un militant se sentant protégé derrière son écran. Mais cela pourrait s’avérer possible

si cette personne n’est pas informée de l’horizon des conséquences et sanctions qu’elle

pourrait subir. Également, elle n’aurait pas encore accepté la norme du réalisme stipulant

qu’un militant nuit tout autant à ce qu’il cherche à promouvoir quand il nuit à son parti.

Par l’intégration dans le milieu militant, et en parallèle par sa socialisation, le militant

apprend qu’il subira les mêmes conséquences s’il enfreint les règles dans l’espace virtuel

que s’il le fait dans l’espace hors ligne.

Néanmoins, plusieurs participants ont indiqué partager en ligne des articles de presse peu

favorables envers le président Obama ou le Parti démocrate. Si certains le font

publiquement (selon six militants démocrates, 2011), d’autres préfèrent échanger ces

nouvelles en privé, c’est-à-dire entre militants, et maintenir une image publique positive

(selon quatre militants démocrates, 2011). C’est peut-être en se penchant sur le cas de

Lynn que la différenciation entre les deux groupes est la mieux abordée (Lynn, militante

97

démocrate, 2011). Vétérante de la première campagne d’Obama, cette participante est

désormais employée par une autre campagne démocrate75. Lynn m’explique qu’elle

partage souvent des articles de presse négatifs pour le président Obama, mais qu’elle ne

partagerait jamais des articles négatifs pour la campagne qui l’emploie. Selon elle, c’est

la nécessité de garder son emploi et l'impact négatif qu’un tel geste pourrait causer à sa

campagne qui l’éloignent de cette situation. Toutefois, elle se sent libre de s’exprimer en

ligne sur le président puisque sa proximité n’est pas la même : « I don’t feel like we are

close enough, you know, that I am damaging is chances by saying something negative

about him » (ibid.). En décrivant les partages de ses amis, Maria abonde dans le même

sens : « And a lot of my friends do that [partages négatifs], don’t have their account tied

to business » (Maria, militante démocrate, 2011).

Dans un autre ordre d’idées, plusieurs participants rejettent l’identité militante issue de la

culture démocrate dominante (cf. 4.2.2). Ces participants semblent plutôt affirmer une

identité d'activiste au sens d'Alinsky (1971), une contre-culture évoluant au sein même du

milieu militant. Selon eux, ce sont les enjeux et le bien de sa communauté locale 76 qui

priment sur les intérêts des organisations ou des élus démocrates. De plus, être un militant

indépendant est très important pour eux. Pour Olivia, un militant est simplement une

personne qui aide épisodiquement différents candidats « parce [qu’elle est] déjà d’accord

avec leurs positions »77 (Olivia, militante démocrate, 2011). Souvent, une organisation

n’arrive pas à satisfaire tous ses militants et ses sympathisants. Par conséquent, certains

militants quitteront parce qu’ils priorisent les enjeux et tenteront de les faire avancer

ailleurs. Ainsi, que ce soit l’organisation du président, d’un groupe grassroots ou encore

celle d’un candidat démocrate pour le Sénat, une organisation politique doit se tenir en

équilibre entre ses intérêts, c’est-à-dire gagner des élections, puis gouverner, et satisfaire

en même temps ses militants afin de bénéficier d’une main d’œuvre électorale (Hershey

2005). Certains participants rencontrés s’identifient comme étant des citoyens

indépendants, cherchant à garder leur liberté pour critiquer et s’exprimer « librement » en

ligne. Dans ce cas, ces militants s’impliqueront davantage au sein des groupes grassroots

75 La campagne où cette participante travaillait n'est pas spécifiée afin de maintenir son anonymat.76 Traduction libre de « community » faisant référence à un large groupe d'individus vivant à proximité.77 Traduction libre.

98

où ils estiment être plus libres qu’au sein des organisations comme le DNC ou OFA

(selon deux militants démocrates, 2011). À ce sujet, Florence abonde dans le même sens :

[OFA is] a top-down organization that has to be extremely disciplined about themessage going out there. And that, you know, volunteers who want to have wildvariating messages should take out of group [rires] (Florence, militante démocrate,2011).

Selon des participants, malgré le fait que certains militants s’impliquent sporadiquement

avec eux, demeurer au sein de ces groupes officiels, c’est perdre son temps à se faire

manipuler au sein de groupes contrôlés. On constate alors leur rejet de l’autorité du Parti

démocrate (selon trois militantes démocrates, 2011).

Malgré ces nombreuses possibilités dans lesquelles les militants peuvent aller à

l’encontre des intérêts et de l’autorité du parti, les données de la présente étude tendent à

suggérer que l’utilisation des nouvelles technologies n’est pas suffisante pour faire

contrepoids aux contraintes politiques vécues par les militants. Théoriquement, la

création et l’utilisation d’espaces alternatifs pour réaliser ses actions politiques et

amoindrir l’autorité des détenteurs du pouvoir légitime par le biais des nouvelles

technologies pourraient influencer les rapports de forces en présence au sein du milieu

intra-parti. D’abord, il pourrait y avoir une inflexion grâce à la simple existence de

groupes alternatifs en ligne faisant contrepoids aux organisations dites « officielles » du

parti78. Toutefois, les groupes politiques alternatifs existaient déjà aux États-Unis bien

avant l’avènement des nouvelles technologies (Davis 1999). Ensuite, en facilitant et

réduisant les coûts de l’organisation politique, les nouvelles technologies aideraient les

individus et ces groupes alternatifs à accroître leur capital social au point où ceux-ci

compétitionneraient avec les organisations « officielles ». Sur le terrain, j’ai constaté que

les organisations « officielles » n’ignorent pas les groupes alternatifs et qu’ils doivent

composer avec leur présence. Par exemple, les stagiaires doivent maintenir de bonnes

relations avec ces groupes puisqu’ils travaillent souvent ensemble et se partagent

plusieurs militants. Or, si les membres de ces groupes sont mécontents, par exemple à

propos d’une lutte législative comme la réforme de la santé, le plafonnement de la dette

78 Par « officielle », j’entends les organisations faisant officiellement partie de la structure du Partidémocrate telles qu’Organizing For America et les organisations de la structure du DNC.

99

américaine79 ou encore la reconduction des réductions d'impôt de George Bush80, alors ils

pourraient exprimer leur mécontentement autant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Parti afin

de le presser à agir.

Néanmoins, même si les nouvelles technologies facilitent l’organisation d’un tel

mouvement de contestation, mes données suggèrent plutôt que ces groupes demeurent

incapables de dicter leur volonté ou d’imposer leur agenda politique au Parti démocrate.

Si les groupes alternatifs étaient déjà des acteurs pouvant influencer l’échiquier, l’arrivée

des nouvelles technologies ne semble pas jusqu’à maintenant changer les rapports de

force entre les groupes dominants et alternatifs. Pourquoi en est-il ainsi? Certains

pourraient croire, comme Davis (1999), que les groupes dominants bénéficient également

des avantages des nouvelles technologies et que cela viendrait contrebalancer les

bénéfices des groupes alternatifs. Il serait hâtif de poser une telle conclusion à cause de la

nature exploratoire de cette recherche, mais toutefois, voilà une question intéressante qui

pourrait être étudiée par de nouvelles ethnographies au sein de partis politiques.

4.3 – Organizing For America : de grassroots à establishment

Dès ses débuts, l’organisation de campagne de Barack Obama s'est décrite comme un

mouvement grassroots, c'est-à-dire un mouvement issu, organisé et conduit par sa base

militante. Dans sa forme de 2011, Organizing For America se décrivait toujours comme

tel autant dans sa littérature qu’à travers le discours de ses cadres (Organizing For

America 2011 : 3 à 7; Lynn, militante démocrate, 2011). Pourtant, plusieurs participants

rencontrés ont exprimé leur frustration face à ce qu'est devenu OFA après l'élection du

président Obama en 2008. À l’origine, OFA était composé d’une multitude d’équipes

militantes organisées et conduites de manière autonome. Ces petits groupes furent

« transformés en une seule grande organisation hautement hiérarchisée »81 (Saul, militant

démocrate, 2011). L’autonomie des équipes locales de la première campagne aurait ainsi

79 Traduction libre de l’expression « Debt celling ».80 Traduction libre de l’expression « Bush tax cuts ».81 Traduction libre (Alan 2011).

100

laissé place à une augmentation du contrôle des opérations et des communications par la

direction d’OFA à Chicago (selon cinq militants démocrates, 2011).

Pourtant, la victoire d’Obama a suscité beaucoup d’espoirs concernant l’avenir d’OFA.

Plusieurs militants espéraient que l’organisation garderait son autonomie allant même

jusqu’à pouvoir militer pour des enjeux choisis démocratiquement par les militants. Quoi

qu’il en soit, le réveil fut brutal pour bon nombre de ces militants ayant amorcé leur

implication au son de la rhétorique de « l’espoir » du candidat Obama :

And then we find out that we weren’t gonna have that. It [l’organisation decampagne] wasn’t gonna be ours, it wasn’t gonna be what we did. And that’s okay.But, but you know. It’s, it does make for some confusion and some frustration (Lynn,militante démocrate, 2011).

Des groupes « For Change » travaillant avec la campagne d’Obama depuis le tout début

ont donc cessé de reconnaître l’autorité d’OFA et d’autres groupes grassroots se sont

également formés. Cependant, de leur point de vue, ces groupes sont simplement

demeurés « indépendants » et grassroots :

And they are independent, independent groups. They are independent of the party.And therefore, they would never accept this definition of the regional field director asbeing their supervisor, all right ? (Saul, militant démocrate, 2011)

Selon des militants rencontrés, OFA serait devenu l’organisation du président, servant

exclusivement sa réélection et son agenda politique, ce qui s’entrechoque avec la

rhétorique d’écoute et d’ouverture exprimée. À ce propos, Darren abonde dans le même

sens :

I said « Hey, OFA go do that », but that was the president bid. Now he has his ownpersonal political army. He does. That’s very [inaudible]. That’s very controlled.That’s very centralized, because it respond to the will of the president (Darren,militant démocrate, 2011).

Dans un même ordre d’idées, une participante me raconte que lorsqu'un militant eut la

chance de souper avec le président Obama, ce dernier consulta les militants de la ville de

New York afin de savoir quel message lui livrer :

And the key [thing that] we all felt frustrated with was the belief, strongly aroundmany of us, that the entity OFA was a top-down Democratic Party imposition of theirpoint of view and it was not respecting the local organic entities that know better thenthem what should be done (Lori, militante démocrate, 2011).

101

Cette perception d’une organisation contrôlée prend également forme dans la

reconstruction des équipes locales. Lors de la première campagne, les équipes locales

étaient créées et consolidées82 par les militants locaux. En 2012, OFA eut plutôt recours à

des stagiaires sélectionnées par son organisation nationale afin de rebâtir ses équipes

locales (selon deux militants démocrates, 2011). Un participant, Darren, m’indique ce qui

distingue les deux campagnes à son avis :

So, the difference between 2007 national OFA and current national OFA. In past, theysent, you know, stuff. They sent you supplies, swags, stickers, you know, posters.They sent you literature. They sent you phone lists, to all of us. And they would alsosend you the material, hmm, the website, the website that allowed you to make callsand set up phone banks yourself, in your own home with one or two people, or onlyby yourself if you wanted to. Hmm. Now, they’re sending some organizers who arerunning the show. It’s a little different (Darren, militant démocrate, 2011).

Comme l’explique Nay (1998), la sélection joue un rôle de gatekeeper assurant un

filtrage des acteurs correspondants aux règles du parti, ce qui oriente les comportements

du personnel et participe à la reproduction de l’ordre hiérarchique par la même occasion.

Cette transformation organisationnelle se serait aussi opérée en ligne. D’abord, des

comptes officiels de médias sociaux sont apparus afin de représenter chacune des entités

d’État d’OFA. Bien que des comptes semblables ou revêtant un caractère plus officieux

existaient déjà pendant la campagne présidentielle de 2008, ils étaient gérés par des

militants impliqués dans des équipes locales. Or, pour la campagne de réélection de 2012,

les comptes officiels étaient sous la responsabilité d’une poignée de stagiaires. D’ailleurs,

l'une de ces responsables me racontait qu'elle y présentait toujours avantageusement OFA

(Alice, militante démocrate, 2011). Ensuite, l’accès aux outils du site Web de Barack

Obama aurait également changé. En effet, Lynn raconte qu'à l'époque de « 2008 », les

militants bénéficiaient de plus de liberté dans leur utilisation du site Web. Elle déplore

que la campagne de réélection soit désormais « moins grassrootsy » (Lynn, militante

démocrate, 2011). Selon cette participante, les gestionnaires filtrent les activités publiées

et vont parfois modifier le contenu des activités créées par les militants. Lynn s’est dite

insultée par ces interventions puisqu’elle s’estime compétente en tant qu’employée d’une

autre organisation démocrate et puisqu'elle a déjà milité pendant plusieurs années.

82 Une équipe locale cherchant à se « consolider » s’assurera que tous ces positions internes sont occupéeset augmentera son nombre de militants (Organizing For America 2011 : 20-21).

102

Pour Florence, OFA fait moins confiance aux militants qu’avant en ce qui concerne les

nouvelles technologies, notamment l’accès aux données :

Well, I think it was probably genuine into 2008, I mean they did a very good job andthey, I think it was grassroots. There was very controlled from the top, but theydefinitely trusted their volunteers more, they gave unheard of access to lists, to walkwith and information. And to a degree that still exists, but now, to get access youhave to like be summoned by some invisible process like. I think I am considered abit of a threat because I have never been given access to certain kind of lists. Youknow, the staff doesn't trust what I would do it, I would guess. (Florence, militantedémocrate, 2011)

Ainsi, même s’il est possible d’obtenir les responsabilités et les accès aux données, les

cadres filtrent ces accès en les offrant uniquement aux militants de confiance. D’ailleurs,

j’ai moi-même pu obtenir un accès à certaines données de VoteBuilder en gagnant la

confiance des stagiaires de New York.

Il demeure important de souligner que des participants considèrent NationalField comme

un outil permettant aux militants d’influencer véritablement les décisions des dirigeants

d’OFA (Floyd, militant démocrate, 2011). Néanmoins, malgré une flexibilité des cadres

en ce qui concerne les tactiques de mobilisation et de coordination ou encore des « choses

sans importance », plusieurs participants doutent de leur capacité d'influence sur ce qui

est plus « symbolique » (selon cinq militants démocrates, 2011). En ce sens, changer les

stratégies de l’organisation ou les positions politiques du président s’avère « très difficile

à faire »83 (Saul, militant démocrate, 2011).

À la lumière de ces informations, il semble désormais clair que les participants ont décrit

une concentration du pouvoir au sein d'Organizing For America. Les propos des

participants suggèrent que l’organisation était moins hiérarchisée en 2008 et qu’elle

reposait davantage sur des organisations locales autonomes dont la vaste majorité des

militants ne s’était jamais impliquée auparavant. Lors de mon terrain de recherche à l'été

2011, le contexte était fort différent. D'abord, OFA était en pleine reconstruction en vue

de l'élection présidentielle de 2012. L'organisation est décrite par les participants comme

étant hiérarchisée, top-down et imposant ses opérations et ses positions sur les entités

83 Traduction libre.

103

locales. Ensuite, OFA demeure le « bras militant » du président Obama. En désignant le

militant comme moteur du changement, le discours de la responsabilisation dissimule

cependant les véritables rapports de force en présence. C’est-à-dire qu’elle n’explicite pas

la relation hiérarchisée existant entre le militant et sa direction. Contrairement à son

identité officielle de mouvement grassroots, OFA est maintenant l’organisation de

l’establishment et représente le président par la même occasion (Organizing For America

2011 : 8; Darren, militant démocrate, 2011). Mes données tendent à suggérer que cette

représentation amène la direction d'OFA à garder le contrôle de ses militants par un

resserrement hiérarchique de ses relations internes.

Ces extraits nous ramènent à la « loi d'airain » de Michels (1971) et à ce qu'il décrit

comme étant l'inévitabilité d'un parti politique d'être accaparé par une classe dominante et

professionnelle. La transition d'OFA entre 2007 et 2011 est semblable à un tel processus

de prise de contrôle et de maintien des instruments collectifs du pouvoir (Michels 1971 :

349, 353; Pelletier 2005 : 181). Alors que l'utilisation des nouvelles technologies était un

élément central de la stratégie de la première campagne présidentielle d'Obama, son

utilisation n'a pas été suffisante pour défier la « loi d'airain de l'oligarchie ». En effet, tel

que le suggèrent Davis et Resnick, ce sont les pratiques d'utilisation du Web qui furent

structurées par cette prise de contrôle de l'organisation et de sa communication officielle

en ligne. C'est ce que décrivent les participants en énonçant la sélection des gestionnaires

des comptes officiels, la manipulation des libellés affichés sur le site Web et le contrôle

des accès aux outils Web et aux listes téléphoniques.

Au final, ce n'est pas seulement OFA, mais bien toutes les organisations observées

pendant mon terrain de recherche qui ont présenté les signes de groupes structurés par

une élite. Dans la structure du DNC, des conseils exécutifs et des dirigeants élus

cherchent à garder le contrôle de leur groupe puisque leur position leur permet de se

présenter, au nom du Parti démocrate, à des postes électifs dans leur État (precinct,

district, county, state) ou de se maintenir au pouvoir. Même chez les groupes « For

Change » prétendant être les seuls véritables groupes grassroots du milieu démocrate, les

dirigeants de ces groupes sont plus ouverts à l’opinion de leurs militants, mais entrent

104

néanmoins dans des relations conflictuelles dont l’objet est l’acquisition et le maintien du

pouvoir (Lynn, militante démocrate, 2011). Par exemple, ils cherchent à influencer les

autres membres de la direction afin de faire triompher leur agenda et leur vision des

opérations :

It’s come to, I mean, a couple of the people that appear to have to most power, wishthat we had less power. But, all groups have hierarchy I guess. But anyways, thepoint is many, many in the groups says ‘I object to this’. Then it has to be talkedabout and if, then, if it comes to it, we just do a vote. Majority rules. So, I’ve beenoutvoted on things (ibid.).

Cela évoque les écrits de Michels (1971) sur la tendance des partis politiques à se

décentraliser. Selon l’auteur, même si la décentralisation d'un parti empêche la formation

d’une seule entité oligarchique géante, cette tendance mène plutôt à la formation de plus

petites oligarchies qui sont puissantes dans leur sphère respective : « la dominance des

oligarchies dans la vie des partis demeure incontestée » (ibid. : 202).

105

Conclusion

La simple utilisation des nouvelles technologies chez les partis politiques ne garantit pas

à tout coup l’avènement d’un mouvement de masse en faveur d'un parti ou d'un candidat

politique. Rejetant un tel déterminisme, le point de départ de cette recherche porte sur des

ouvrages postulant que les NTIC doivent plutôt être appréhendées sans omettre les

facteurs sociaux et les différents groupes qui composent nos sociétés (Davis 1999;

Gingras 1999b). Les forces et mécanismes structurant cette utilisation doivent donc être

pris en compte alors que plusieurs recherches soulignent la volonté des partis politiques

de bénéficier des potentiels et avantages qu’offrent les technologies médiatiques (Anstead

et Straw 2009; Foot et Schneider 2006; Jackson et Lilleker 2009; Serfaty 2004, 2006,

2009). Ces études illustrent d’abord comment les partis ont intégré les nouvelles

technologies pour réaliser leurs opérations traditionnelles. Selon les technophiles, cet

apport a un potentiel d’ouverture et de transparence (Levy 2002; Melucci 1996; Trippi

2004), alors que les technophobes y appréhendent un potentiel de contrôle et de

surveillance (Gandy Jr 1993; Lyon 1994; Sunstein 2001, 2005; Virillio 1996).

Ces études ont également un point en commun. Elles sont principalement fondées sur des

observations externes des partis. Lorsqu’elles intègrent des sources internes, c’est

uniquement pour mettre en contexte ces mêmes observations externes. Le parti est donc

scruté comme un objet entier et monolithique, omettant ainsi les processus internes, le

rôle des militants et des cadres politiques (Marvick 1966). Cela obscurcit notamment les

pratiques des bénévoles, les mécanismes internes et leurs effets sur les relations de

pouvoir au sein des partis politiques. Un changement de regard s’impose pour mieux

explorer l’utilisation des nouvelles technologies chez les partis politiques. C’est dans

cette optique que le présent ouvrage a fait le choix théorique d’utiliser le modèle de

« l’arène intra-parti » de Gibson et Ward (1999) où les partis politiques ne sont pas vus

comme des acteurs unitaires, mais bien à travers les distributions de pouvoir, les

organisations et les acteurs présents à l’intérieur du parti. Comme autre apport à notre

réflexion théorique, l'approche socio-culturelle permet de conceptualiser l'utilisation des

nouvelles technologies en termes de pratiques culturelles (Albrecht 2006; Suchman et al.

107

1999). Chargées de leur dimension symbolique et sociale, ces pratiques s'inscrivent au

sein des normes et des pratiques ritualisées de l'organisation et du réseau social où elles

ont lieu.

Dans l'optique de révéler et de décrire les mécanismes internes entourant l'utilisation des

technologies médiatiques et comment ceux-ci sont reliés à la distribution du pouvoir au

sein des partis politiques, une immersion dans le milieu militant a été réalisée. Par

conséquent, la méthodologie de la présente étude embrasse l'approche ethnographique de

Bailey (2007). Principalement, un tel changement d'approche permet de mieux

comprendre les processus internes, de mettre en lumière les dynamiques, mais également

la praxis des acteurs en présence, contribuant ainsi à la brèche des ouvrages

ethnographiques en science politique. Quelques-uns de ces travaux issus de l'approche

qualitative portant sur le quotidien des militants ont d'ailleurs guidé l'élaboration de ce

mémoire (Fields 2012; Heaney et Rojas 2011; Combes 2009). Je n’ai cependant pas pu

recenser d'étude ethnographique sur l’emploi du Web par les partis politiques. Cela

démontre à mes yeux la pertinence de l'exploration de l'étude des nouvelles technologies

par des méthodes ethnographiques.

Parmi les multiples forces et mécanismes sociaux, plusieurs s'articulent à travers ce que

Michels (1971) identifie comme étant le contrôle des élites sur la direction des partis. Tel

que mentionné précédemment, l'auteur nomme « loi d'airain de l'oligarchie » le contrôle

de l'organisation et de ses relations publiques par une élite. Toutefois, en intégrant les

nouvelles technologies dans leurs pratiques courantes, les partis politiques s'exposent

également à des potentiels pouvant décentraliser l'organisation et facilitant la

communication. Dans tous les cas, ces potentiels favorisent l'autonomie de l'action

politique et portent ainsi atteinte à l'autorité de la direction. Néanmoins, les partis

politiques ne peuvent pas se passer d'une main-d'œuvre électorale même si celle-ci a

désormais accès à une telle technologie. Dans l'optique de mieux comprendre l'utilisation

des nouvelles technologies au sein des partis politiques et la relation des militants avec sa

hiérarchie organisationnelle, la question de recherche suivante a guidé ma démarche :

108

En considérant la tension entre la nature centralisée des partis et le potentiel de

décentralisation des nouvelles technologies, peut-on penser que les nouvelles

technologies vont défier avec succès la « loi d'airain de l'oligarchie »?

En plus de soulever l'utilisation actuelle des nouvelles technologies par les militants et les

cadres (cf. 4.1), les données recueillies sur le terrain ont permis de faire émerger un

mécanisme de structuration des potentiels et de l'utilisation des nouvelles technologies au

sein du Parti démocrate (cf. 4.2). Il s’est avéré que cette structuration peut être conçue

comme un « éthos de contraintes » s'opérant au quotidien pour les militants. Structurée

par un ensemble de normes, bonnes pratiques et rapports de force, elle se répercute sur

l’apprentissage et dans les pratiques technologiques en politique. D'abord, ces contraintes

sont relationnelles et évoluent à l'intérieur de multiples relations de pouvoir entre les

membres et l'élite, mais également entre les différents groupes et organisations intra-

partis. Ces relations agissent donc comme des restrictions qui empêchent le militant de,

par exemple, s'exprimer librement en ligne. Ensuite, un ensemble de normes et de valeurs

partagées forment une microculture démocrate structurant les pratiques des militants,

dont l'utilisation des nouvelles technologies. La coutume du dialogue, la

responsabilisation des militants, leur perception de prendre part à un mouvement

politique grassroots et une vision pragmatique du militantisme s’entremêlent aux

relations de pouvoir pour encadrer le militant et le guider dans les pratiques socialisantes

des nouveaux militants. Les règles du jeu définissant les bonnes conduites s'en trouvent

alors imprégnées. En prenant des responsabilités et en étant désigné comme étant le

moteur du changement, le discours de la responsabilisation dissimule cependant les

véritables rapports de force en présence. Lui apparaissant comme « naturel » et

« normal », le nouveau militant accepte le schème de pensée qu'il découvre, c'est-à-dire

celui offert par la direction du parti. À travers cette méconnaissance de la structure de

pouvoir du milieu démocrate, les militants participent à la reproduction de l'ordre social

(Bourdieu et Wacquant 2004; Bourdieu 1979) et à leur propre contrôle et socialisation

(cf. 4.2). Finalement, les propos des participants à la présente étude suggèrent que

l’organisation du président Obama était moins hiérarchisée en 2008 et qu’elle reposait

davantage sur des organisations contrôlées en 2011 (cf. 4.3).

109

L’objectif principal de ce mémoire était de comprendre les relations entre les différentes

sources d’autorité des partis politiques, la propension des partis à conserver le contrôle de

leurs opérations et rechercher les potentiels d'ouverture et de décentralisation des

nouvelles technologies. À la lumière des données présentées, il s’avère que les forces et

mécanismes intra-partis sont suffisamment dominants pour imposer des pratiques

technologiques favorables à la direction des partis politiques. C'est ce que suggère la

structuration des potentiels et usages technologiques. Toutefois, cela n'enlève rien au fait

qu'il existe toujours des voies et organisations alternatives. Comme l'a souligné Davis

(1999), cette capacité des individus à rejeter l’autorité et se créer des organisations

marginales n'est pas nouvelle en soit et existait bien avant l'avènement d'Internet. Les

données de la présente recherche ne suggèrent pas que ces organisations et autres voies

sont dominantes, ni que l'usage des nouvelles technologies suffit à dicter sa volonté à la

direction du parti politique. De plus, la transformation d'Organizing For America en

organisation électorale pour un président semble respecter les prémisses de la « loi

d'airain ». En effet, le mouvement grassroots fut progressivement accaparé par une classe

dominante qui limita l'autonomie des militants (Pelletier 2005) et qui mit sur pied une

organisation pyramidale assurant le contrôle du parti par la direction à Chicago. Malgré

une identité grassroots, des valeurs démocratiques partagées, l'ouverture aux non-initiés

et la responsabilisation des militants, le Parti démocrate demeure une organisation

politique sous le contrôle d'oligarques. Au final, la vision de Michels selon laquelle aucun

ordre social développé ne peut exister sans une classe politique dominante (1971) est

appuyée par les données de la présente étude.

La pertinence de cette recherche réside surtout dans le fait qu’elle présente un point de

vue interne centré sur le quotidien de la vie militante et qu'elle fait appel à l'ethnographie,

une méthodologie peu employée pour appréhender l’utilisation des nouvelles

technologies chez les partis politiques. Cette étude contribue également aux

connaissances sur les partis politiques et l’influence des nouvelles technologies dans les

organisations. Néanmoins, alors que la configuration interne et les normes des

organisations politiques varient d'un parti à l'autre, les données de la présente étude

110

proviennent uniquement du Parti démocrate. Chaque parti politique dispose de règles et

structures hiérarchiques qui lui sont propres, ce qui, comme ce fut souligné

précédemment, interagit sur les pratiques technologiques. De plus, il ne faut pas présumer

de la pérennité des dynamiques exposées dans le présent ouvrage. En effet, cette étude

s’inscrit dans la mouvance décrivant l’utilisation des nouvelles technologies en tant que

pratiques culturelles. Tout comme Davis (1999) et Gingras (1999b), elle invite à prendre

en compte les logiques sociétales et les mécanismes en présence dans l'environnement

social où sont réalisées ces pratiques. Ainsi, loin d'assurer l'instauration ou l'impossibilité

d'un potentiel technologique, une utilisation s'effectue plutôt en s'adaptant aux impératifs

et contraintes présents.

Avec le petit nombre de militants rencontrés, les résultats présentés doivent être

considérés comme étant exploratoires et descriptifs. Cette recherche soulève néanmoins

de nombreuses pistes de réflexion intéressantes. Par exemple, il serait nécessaire

d'étendre l'analyse de l'utilisation des nouvelles technologies à l'autre parti américain

majeur, le Parti républicain, mais également à d'autres régimes démocratiques comme le

système parlementaire britannique. En prenant en compte leur environnement intra-parti,

il serait également intéressant de se pencher davantage sur l'utilisation des nouvelles

technologies dans les partis émergents, les groupes alternatifs et contestataires. Est-ce que

le fait que les groupes dominants bénéficient également des avantages qu’offrent les

nouvelles technologies vient contrebalancer les bénéfices des groupes alternatifs et des

partis émergents? Ces pistes méritent d’être approfondies par de nouvelles ethnographies

et de nouvelles collectes de données au sein des partis politiques.

111

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133

Annexe 1 – Schéma d’entrevue

Topic: Being a political volunteer

1. What are the reasons that led you to get involved in politics?

2. Could you describe to me what do you do for your party – on the Internet and in

person?

2.1. Do you have clear objectives to accomplish?

2.2. Within and without the party, with whom do you interact to accomplish these

goals?

2.3. Who’s your political superior or supervisor?

3. Our research project focuses on the potential of decentralization and the potential

of centralization in the use of Internet by political parties. If by decentralization, I

mean openness, transparency and debate; and by centralization, I mean control,

monitoring and dissemination of a single message, then what do you think about

it?

Topic: Volunteers culture

4. Have you ever tried to bring new ideas or to change a policy of your party, of one

of your candidate or elected officials?

4.1. Could you tell me an anecdote or a story that reflects that situation?

5. In your opinion, is your party open for debates, free speech and diversity of

opinions? And why is that?

5.1. As a political volunteer, can you tell anything you want in any situation? And

why is that?

5.2. Again, could you tell me an anecdote or a story that reflects that situation?

6. In your opinion, are your party officials always on message?

6.1. What about the volunteers on that matter?

Topic: Reproduction of discourses

7. Who are your political mentors or your political models?

7.1. Do you have some models in your personal network?

134

7.2. Do you share their writings, actions and comments with your social network?

8. From which media organizations do you follow the news?

8.1. What type of media do you use to get information?

8.2. Do you share any piece of news on the Internet?

8.3. Why do you share posts, articles, images, videos or any other information?

8.3.1. And what if that piece of news was negative for you party?

8.3.2. And what if that piece of news was positive for you party?

Topic: Power and Influence

9. Were there any moments where you felt that people tried to make you change

your mind (A) after you did something or stated something on the Internet?

9.1.1. Or ever tried to persuade you? (B)

9.1.2. Or to intimidate you? (C)

9.1.3. Or to force you to say or do something? (D)84

9.2. So you think that X about Y (rechercher une position opposée à celle de la

direction du parti), did you try to promote that idea in the party? Have you

used the Web to promote it? Why is that?

9.3. Are there any topics or taboos that you and your friends in your virtual

network don’t talk about? Why is that?

9.4. Are there things that you cannot do through your virtual network? Why is

that?

9.5. Could you tell me an anecdote or a story that reflects the way you deal with

that situation?

84 Donner des exemples: What was your opinion of Barack Obama when he won the presidency in 2008?In its current form, what is your opinion on the health care reform?

In your opinion, what exactly explains last year’s midterm results?

135

Annexe 2 – Profil sociologique des participants

Norman Age : 18 ans Occupation : ÉtudiantNiveau d’éducation : Collège, Prégradué universitaireTitre au Parti démocrate : organisateur terrain, Summer Organizer

Lynn Age : 34 ans Occupation : Employée politiqueNiveau d’éducation : Baccalauréat complétéTitre au Parti démocrate : Directrice de l'organisation, militante

Carroll Age : 52 ans Occupation : Artiste, graphisteNiveau d’éducation : Baccalauréat complété, M. A. complétéTitre au Parti démocrate : Militante

Cynthia Age : 25 ans Occupation : ÉtudianteNiveau d’éducation : Baccalauréat complétéTitre au Parti démocrate : Militante

Darren Age : 19 ans Occupation : ÉtudiantNiveau d’éducation : Prégradué universitaireTitre au Parti démocrate : Militant

Cindy Age : 18 ans Occupation : ÉtudiantNiveau d’éducation : Collège, Prégradué universitaireTitre au Parti démocrate : Organisatrice terrain, Summer Organizer

Saul Age : 70 ans Occupation : RetraitéNiveau d’éducation : Baccaléaurat complétéTitre au Parti démocrate : Organisateur terrain

136

Lori Age : 60 ans Occupation : RetraitéeNiveau d’éducation : PH.D complétéTitre au Parti démocrate : Militante

Florence Age : 34 ans Occupation : Emploi administratifNiveau d’éducation : Baccalauréat complétéTitre au Parti démocrate : Organisatrice terrain, militante

Melissa Age : 60 ans Occupation : RetraitéeNiveau d’éducation : M.A. complétéTitre au Parti démocrate : Militante

David Age : 21 ans Occupation : ÉtudiantNiveau d’éducation : Prégradué universitaireTitre au Parti démocrate : Militant, Volunteer Team Leader

Jennifer Age : 38 ans Occupation : Emploi dans les médiasNiveau d’éducation : Baccalauréat complétéTitre au Parti démocrate : Militante

Alice Age : 20 ans Occupation : ÉtudianteNiveau d’éducation : Prégradué universitaireTitre au Parti démocrate : Organisatrice terrain, Summer Organizer

Karen Age : 60 ans Occupation : RetraitéNiveau d’éducation : Baccalauréat complétéTitre au Parti démocrate : Organisatrice terrain

137

Marvin Age : 19 ans Occupation : ÉtudiantNiveau d’éducation : Prégradué universitaireTitre au Parti démocrate : Organisateur terrain, Summer Organizer

James Age : 23 ans Occupation : ÉtudiantNiveau d’éducation : Baccalauréat complétéTitre au Parti démocrate : Militant

Pamela Age : 58 ans Occupation : RetraitéeNiveau d’éducation : Baccalauréat complétéTitre au Parti démocrate : Militante

Maria Age : 37 ans Occupation : Employée politiqueNiveau d’éducation : Baccalauréat complétéTitre au Parti démocrate : Organisatrice terrain, militante

Orlando Age : 22 ans Occupation : Emploi administratif, étudiantNiveau d’éducation : Prégradué universitaireTitre au Parti démocrate : Militant

Floyd Age : 57 ans Occupation : RetraitéNiveau d’éducation : Baccalauréat complétéTitre au Parti démocrate : Militant

Margaret Age : 37 ans Occupation : Travailleur autonomeNiveau d’éducation : Baccalauréat complétéTitre au Parti démocrate : Organisatrice terrain, militante

138

Jonathan Age : 17 ans Occupation : ÉtudiantNiveau d’éducation : CollègeTitre au Parti démocrate : Organisateur terrain, Summer Organizer

BobbyAge : 27 ans Occupation : ÉtudiantNiveau d’éducation : CollègeTitre au Parti démocrate : Militant

OliviaAge : 34 ans Occupation : Organisatrice communautaireNiveau d’éducation : Baccalauréat universitaireTitre au Parti démocrate : Militante

DaleAge : 29 ans Occupation : Planificateur urbainNiveau d’éducation : CollègeTitre au Parti démocrate : Militant

139

Annexe 3 – Structure hiérarchique d’Organizing For America

(Organizing For America 2011: 6)

140