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LES LIEUX DE LA VIERGE Notes de topo-liturgie mariale en Catalogne (XI e -XV e siècles) Marc SUREDA i JUBANY Conservateur Museu Episcopal de Vic (MEV)* Conservées souvent dans des collections comme des œuvres d’art décontextualisées, objets parfois de considérations principa‑ lement stylistiques, les images sculptées romanes et gothiques de Vierge à l’Enfant très nombreuses en Catalogne 1 , risquent de ne guère susciter, parmi le public de nos musées, la question de leur place et leur fonction dans l’église médiévale. Cette question est, en revanche, tout à fait propre à l’histoire de l’art et vise à une meilleure compréhension du contexte social, cultu‑ rel et spirituel dans lequel ces objets furent produits et utilisés 2 . Le cadre de la liturgie et de la spiritualité médiévales et le rôle par‑ ticulier de Marie, ouvrent une remarquable richesse d’interprétations pour ce genre de représentations quant à leurs positions et leurs usages. 1. À titre d’exemple, des sondages documentaires menés particulièrement dans le cadre du diocèse de Vic permirent à A. Pladevall d’affirmer que presque aucune église cata- lane, vers 1300, indépendamment de son titre principal, ne manquait d’un autel dédié à la Vierge, et que les quelques 250 images conservées en Catalogne ne sont qu’une petite partie de ce qui a pu exister. Pladevall, 1994, p. 45-47. 2. Cette approche a toujours été présente dans l’histoire de l’art mais beaucoup plus exploitée depuis quelques décen- nies (voir par exemple Palazzo, 1993, p. 45-46 ; Palazzo, 2000, p. 150 sq. ; Baschet, 2008, p. 67 ; Baschet, 2011, p. 179). Tout en tenant compte d’autres contributions importantes, on résumerait ce parcours historiographique pour la Catalogne en citant deux jalons : les travaux pionniers de Josep Gudiol i Cunill, aux origines, et de nos jours, ceux notamment de Fran- cesca Español. Ces deux auteurs seront abondamment cités. * Ce travail prend également place dans le projet de recherche « Organización funcional de los espacios en sedes episcopales de la Cataluña Vieja (I) : Seu d’Urgell, Girona y Vic (s. IX-XII). Análisis tecnológicos y documentales de arquitectura y progra- mas visuales (HAR2009-13211, subprograma ARTE) », financé par le Ministerio de Educación y Ciencia espagnol. Je remer- cie M.-P. Subes qui a bien voulu relire et améliorer ce texte, ainsi que F. Español, N. Armengol, G. Boto, J. Sacasas, A. Cortés, C. Martí, M. S. Gros, R. Ordeig, R. Ginebra, D. Font, M. Vendrell, L. Campins et A. Rodríguez pour leurs avis et remarques. chart 5 Vierges.indb 39 18/12/2013 17:13:04

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LES LIEUX DE LA VIERGENotes de topo-liturgie mariale en Catalogne (XIe-XVe siècles)

Marc SUREDA i JUBANYConservateur

Museu Episcopal de Vic (MEV)*

Conservées souvent dans des collections comme des œuvres d’art décontextualisées, objets parfois de considérations principa‑lement stylistiques, les images sculptées romanes et gothiques de Vierge à l’Enfant très nombreuses en Catalogne1, risquent de ne guère susciter, parmi le public de nos musées, la question de leur place et leur fonction dans l’église médiévale. Cette question est, en revanche, tout à fait propre à l’histoire de l’art et vise à une meilleure compréhension du contexte social, cultu‑rel et spirituel dans lequel ces objets furent produits et utilisés2. Le cadre de la liturgie et de la spiritualité médiévales et le rôle par‑ticulier de Marie, ouvrent une remarquable richesse d’interprétations pour ce genre de représentations quant à leurs positions et leurs usages.

1. À titre d’exemple, des sondages documentaires menés particulièrement dans le cadre du diocèse de Vic permirent à A. Pladevall d’affirmer que presque aucune église cata-lane, vers 1300, indépendamment de son titre principal, ne manquait d’un autel dédié à la Vierge, et que les quelques 250 images conservées en Catalogne ne sont qu’une petite partie de ce qui a pu exister. Pladevall, 1994, p. 45-47.2. Cette approche a toujours été présente dans l’histoire de l’art mais beaucoup plus exploitée depuis quelques décen-nies (voir par exemple Palazzo, 1993, p. 45-46 ; Palazzo, 2000, p. 150 sq. ; Baschet, 2008, p. 67 ; Baschet, 2011, p. 179). Tout en tenant compte d’autres contributions importantes, on résumerait ce parcours historiographique pour la Catalogne en citant deux jalons : les travaux pionniers de Josep Gudiol i Cunill, aux origines, et de nos jours, ceux notamment de Fran-cesca Español. Ces deux auteurs seront abondamment cités.

* Ce travail prend également place dans le projet de recherche « Organización funcional de los espacios en sedes episcopales de la Cataluña Vieja (I) : Seu d’Urgell, Girona y Vic (s. IX-XII). Análisis tecnológicos y documentales de arquitectura y progra-mas visuales (HAR2009-13211, subprograma ARTE) », financé par le Ministerio de Educación y Ciencia espagnol. Je remer-cie M.-P. Subes qui a bien voulu relire et améliorer ce texte, ainsi que F. Español, N. Armengol, G. Boto, J. Sacasas, A. Cortés, C. Martí, M. S. Gros, R. Ordeig, R. Ginebra, D. Font, M. Vendrell, L. Campins et A. Rodríguez pour leurs avis et remarques.

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Cette contribution essayera d’expo‑ser quelques concrétisations matérielles de cette spécificité mariale dans le Moyen Âge catalan, qui puissent servir à mettre en relief, même simplement à titre d’exemple, la riche interaction de plusieurs facteurs (mobilier d’autel, reliques, conception et décor des espaces architecturaux, circula‑tions liturgiques, scénarios de dévotion...) dont ces sculptures de la Vierge furent des catalyseurs.

LA VIERGE SCULPTÉE ET L’AUTEL : SOURCES, DONNÉES ET LIMITES

La localisation d’une image sculptée dans l’église médiévale est, sans doute, l’un des facteurs principaux à considérer lors d’une approche fonctionnelle ou d’une inter‑prétation historique complète de l’objet3. Or, sa détermination précise est presque toujours difficile, surtout pour la période romane. L’affirmation générique des études à propos de la position sur ou à proximité de l’autel4, soutenue par nombre d’indices, ne suffit pourtant pas à éclairer le cadre spatial et liturgique d’une image placée hors contexte. Du point de vue matériel, la disposition de l’image dans un retable roman ou gothique, servirait à proposer une position analogue de l’image sculptée isolée – et par là moins bien connue –, selon une ligne évolutive proposée dans toute synthèse de l’histoire du mobilier d’église et qui, habituellement, fait appel à une fonc‑

3. Gaborit, 2005, p. 19. Ce même auteur justifie la question par la mobilité essentielle de ces objets, meubles par défi-nition, ce qui évoque aussi les processions dans lesquelles ces images pouvaient être utilisées (Forsyth, 1972, p. 40-45). Pourtant, dans ces premières pages nous nous bor-nerons à considérer la position ordinaire de l’image isolée dans l’église, hormis son déplacement processionnel lors de célébrations particulières.4. Par exemple Forsyth, 1972, p. 38-40, ou Belting, 1990, p. 393.

tion d’origine comme reliquaire5. Un petit groupe de meubles catalans romans conser‑vés ou documentés, comme les retables à baldaquin d’Angoustrine et de Sant Martí Sarroca, le petit baldaquin de Taüll ou des vierges adossées comme celles de Bel‑loc (Dorres), de Quadres ou de Baixas, à côté d’autres Vierges que l’on a supposées intégrant des aménagements semblables6, en attestent. Pour Joaquim Folch i Torres le seul exemple d’Angoustine suffisait à résoudre la problématique entière7. Mais, en fait, là où les images sculptées sont res‑tées dans leurs lieux d’origine (ou au moins dans une église), les dispositions originales ont été largement altérées, comme le regret‑tait déjà en 1902 Josep Gudiol i Cunill pour la Catalogne8. Ainsi, la disposition actuelle de sculptures indépendantes telles que, par exemple, la Vierge dels Correchs (Perpignan)9, Nostra Senyora d’Urgell (la

5. Gudiol, 1902, p. 277 et 445-449 ; à l’autre extrémité de la chronologie, Crispí, 2000, p. 172 (en reprenant la thèse de Gudiol), Krœsen, 2008, p. 45-46 et aussi Español, 2009, p. 20, par exemple. Pour les retables romans (parmi lesquels celui très célèbre de Carrières-sur-Seine) Le Po-gam, 2009 ; les plus anciens cas espagnols recueillis dans Krœsen, 2009, p. 42-48. Pourtant, une image peinte ou sculptée dans un retable n’a pas forcément des conno-tations spatiales semblables à celles d’une image isolée, sculptée en ronde-bosse : Barbier, 1968, p. 200. On laisse de côté ici, volontairement, le large et complexe sujet des images-reliquaires, sur lequel nous nous proposons de réfléchir à une autre occasion.6. Krœsen, 2008, p. 45 ; Camps, 2008, p. 133-135 ; Ma-thon (dir.), 2011, p. 106 pour Baixas (fiche de M.-P. Subes), et p. 143 (fiche de M.-P. Subes) en ce qui regarde des sup-positions topographiques pour la Vierge de Corneilla.7. « La qüestió de com i on anaven col·locades en l’altar romànic les imatges d’escultura, no ens ha sigut aclarida d’una manera completa fins ara recentment, en que una troballa [celle du retable d’Angoustrine] (...) ens ha permès el certificar aquest aspecte interessant de la forma de l’altar medieval ». Folch, 1925, p. 4. Voir aussi Folch, 1956, p. 32-35. 8. « Son molt rares les indicacions que’ns donguin los monu-ments sobre la colocació de les imatges de bulto complert en la casa de Déu ». Gudiol, 1902, p. 279. Le retable d’Angous-trine apparaît dans la deuxième édition, posthume (1931-1933, p. 263-264, fig. 302), sous l’édition de son neveu Josep M. Gudiol et de son successeur au MEV Eduard Junyent.9. Mathon (dir.), 2011, p. 120 (fiche de M.-H. Sangla).

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Seu)10 ou Santa Maria de l’Estany (Osona), évocatrice et archaïsante, qui correspon‑drait peut‑être avec la disposition de la célèbre Vierge de Clermont d’après le rêve de l’abbé Robert11, n’est que le résultat de réaménagements tardifs. En fait, sans vou‑loir nier son importance évidente, le retable d’Angoustrine lui‑même, lors de sa décou‑verte vers 1910 ne se trouvait pas dans son contexte original, mais associé à un autre retable roman et à un crucifix, tous les trois décontextualisés et suspendus sur le mur du fond de l’église de Saint‑Martin d’Envalls, à côté de l’autel à retable de la fin du Moyen Âge alors en service12.

Si de nombreuses sources apportent des données, elles montrent aussi des limites. Des sources littéraires13 célèbres à propos de la position de la Vierge indépendante po‑sée sur ou près de l’autel, telles que la Vita Gauzlini abbatis14 ou la Visio monachi Roth-berti dont on vient de parler, comportent un certain degré d’abstraction : ce dernier texte par exemple, peut‑être le plus large‑ment utilisé à cet égard, est en fait la vision, dans un rêve, d’une église à connotations surtout symboliques15. Des considérations

10. Elle fut intégrée dans le retable gothique, qui n’existe plus aujourd’hui (Pujol, 1948, p. 451). Sa position actuelle, cependant, est dûe aux dernières transformations du chœur de la cathédrale, qui eurent lieu en 1999. Nous re-mercions Clara Arbués pour ces informations.11. « Retro autem altare videbatur columna esse ex mirifico marmore posita et in sumitate ipsius videbatur (...) construc-tam imaginem... », cité dans Goullet ; logna-Prat, 1996, p. 390.12. Folch, 1925, p. 5-6. Bien qu’on aurait du mal, sans doute, à l’imaginer placée ailleurs que sur un autel.13. Pour la présence de Marie dans la littérature médiévale, voir dans ce même volume la contribution de Paul Bretel.14. « ... idea ipsius matris Domini ex ligno honestissimae arae supereminet insculpta, cum ipsius nostri Redemptoris huma-nae assumptionis forma... », cité dans Forsyth, 1972, p. 101 ; voir aussi Palazzo, 1996, p. 231-232 ou Sansterre ; Henriet, 2009, p. 63-64, avec d’autres cas. Pour le cadre catalan, il est opportun de souligner les rapports de Gauzlin avec l’évêque et abbé Oliba de Vic, Ripoll et Cuixà, manifestés dans les très cordiaux échanges de lettres en 1021 et 1023. Junyent, 1992, p. 320-322 et 325-326, doc. 10, 11 et 14.15. Goullet ;Iogna-Prat, 1996, p. 404-405 ; Forsyth, 1972, p. 39

semblables sont possibles pour certaines illustrations de ce genre de sources, particu‑lièrement des récits de miracles de la Vierge, car si des enluminures nous montrent des Vierges sur l’autel, ce n’est pas pourtant l’équivalent direct d’une reconstruction archéologique : il faut tenir compte du degré d’abstraction utilisé afin de rendre à la Vierge le protagonisme exigé par le récit. En Catalogne, l’image de la Vierge sur un manuscrit ripollais du XIe siècle (ACA, Ri‑poll 151) fait facilement l’objet de ce type de réserves16. Dans un cadre plus général, le célèbre códice rico des Cantigas de Santa Maria (Escorial, ms. T.I.1, ca. 1265), par exemple, montre la Vierge à l’Enfant sur l’autel17 lors de scènes de prière, mais elle peut disparaître s’il s’agit de représenter la célébration de la messe. Ou encore, dans le même cadre chronologique, l’illustra‑tion du miracle de Théophile dans l’Apo-calypse Lambeth (Londres, Lambeth Palace, ms. 209, ca. 1260) montre sur l’autel, la Vierge, au centre, et une croix, déplacée en conséquence [ill. 1]. Cette dernière n’est pas ici un objet nécessaire à la célébration de la messe, mais un signe de l’intercession de Marie devant son Fils d’après la version de Vincent de Beauvais18. En ce dernier cas, la croix est devenue accessoire à côté d’une Vierge qui est, elle, indispensable. Ces deux cas cités semblent signaler une possibilité quelquefois évoquée, mais difficile à docu‑menter dans ses détails : le déplacement de l’image d’autel lors de la célébration de la messe19, c’est‑à‑dire son remplacement par l’ensemble de la croix et des chandeliers.

et 95-96.16. Sansterre ; Henriet, 2009, p. 64-65, avec bibliographie.17. Rien n’oblige à supposer, en fait, le déplacement de l’image en arrière suggéré par Iñiguez, 1991, p. 302.18. Oakes, 2008, p. 83-85. 19. Gaborit, 2005, p. 19. Le déplacement, sans rapport direct avec la messe, est aussi suggéré dans Forsyth, 1972, p. 39-40, bien que pour les seules images en bois.

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Ceci n’était pas nécessaire lors de l’existence d’un retable, ou bien si l’image était à la fois un reliquaire assurant la sacralité de l’autel. Toutefois, dans le cas où une image occu‑pait une part importante de la surface d’un autel, il fallait probablement la déplacer. L’illustration des Cantigas exige ce change‑ment de scène pour des soucis de visibilité ; on pourrait se demander si la pratique litur‑gique au XIIIe siècle – moment qui vit une telle prolifération des sculptures de la Vierge à l’Enfant – l’exigeait aussi.

La tradition était en effet opposée au pla‑cement sur l’autel d’objets autres que ceux nécessaires à la célébration de la messe20, 20. Un texte inclus dans l’Admonitio synodalis (IXe-Xe siècles) et aussi attribué aux papes eutychiens (275-283) ou, plus probablement, Léon IV (847-855) détermine : « Super altare nihil ponatur nisi capsae et reliquiae et quatuor Evangelia et pixis cum corpore Domini ad viaticum infirmorum, caetera in nitido loco recondantur ». PL 5, col. 165 ; 115, col. 677. Le fragment est souvent cité dans les synthèses et études qui touchent l’histoire de l’autel, par exemple Gudiol, 1902, p. 176 ; Barbier, 1968, p. 201, ou Arocena, 2006, p. 35. Cette

auxquels il faut ajouter, à partir probable‑ment du IXe‑XIe siècles, la croix et les chan‑deliers, à l’origine eux‑mêmes portatifs et non pas permanents sur l’autel21, ainsi que les boîtes à reliques, un groupe dont cer‑taines images de Marie et des saints – que l’on pense souvent plus anciennes – fai‑saient partie22. Il semble que la défense d’y placer d’autres objets fut suivie sans doute

norme, recueillie ensuite par des auteurs médiévaux tels que Reginald de Prüm (Braun, 1924, II, p. 554), est passée très naturellement et avec peu de changements aux rubri-ques du missel post-tridentin (Rubricae generales Missalis, 1604, n. XX) puis au missel de Jean XXIII (1962, n. 529) et enfin à celui en vigueur aujourd’hui (Institutio Generalis Missalis Romani, 2000, n. 306), malgré de nombreuses ex-ceptions établies à partir du bas Moyen Âge.21. La seule indication claire à cet égard semble être ce-lle, bien tardive, de l’époque d’Innocent III (1160-1216) : « Inter duo candelabra in altari crux collocatur media » (Righetti, 1944, p. 488-490, n. 322), recueillie avec presque les mêmes mots dans le Rationale de Guillaume Durand, L. I, c. III, n. 31. Voir aussi Iñiguez, 1991, p. 262.22. Pour ne citer qu’une seule référence classique concer-nant ce problème que nous évitons volontairement de trai-ter plus profondément ici, Forsyth, 1972, p. 32-33.

ill. 1 - Autel, statue et croix dans l’illustration du miracle de Théophile. Apocalypse Lambeth, ca. 1260.

Londres, Lambeth Palace, ms. 209, détail du f. 46v. D’après Oakes, 2008.

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avant l’époque carolingienne23. Mais pour les siècles suivants, ceux de l’abondance des sculptures, on a du mal à trouver des déter‑minations normatives à cet égard. Un texte de première importance comme le Decre-tum Gratiani, quoiqu’il défende les images selon le concile de Nicée II (P. III, d. III, c. XXVIII et XXIX), ne nous renseigne pas da‑vantage sur les conditions de leur présence ou absence. Guillaume Durand ajoute dans son Rationale (ca. 1291) des arguments en faveur de l’image sculptée, il ne l’inclut pas dans de sa liste d’ornements de l’autel24. C’est dans un autre de ses textes, destiné à son diocèse de Mende, que le célèbre li‑turgiste signale l’opportunité de placer des images devant, derrière ou même sur l’autel, mais avec une justification tout à fait par‑tielle et incomplète : elles servent à recon‑naître le saint en l’honneur duquel l’autel est dressé25.

Ce sont dans des attestations ponctuelles comme celle‑ci, grâce à des documents gla‑nés ici et là, que l’on trouve les renseigne‑ments les plus éclairants sur la position de l’image. Cependant, ces références disper‑sées servent plus à l’illustration qu’à l’établis‑sement de lois générales. C’est sur nombre d’entre elles (pour la France et particulière‑ment pour l’Auvergne) qu’Ilene Forsyth a bâti sa recherche qui demeure fondamen‑

23. Barbier, 1968, p. 201.24. L. I, c. III, n. 24 : « Altaris vero ornatus consistit in cap-sis et pallis, philacteriis et candelabris, in crucibus, in auri-frisio, in vexillis, in codicibus, in velaminibus, in cortinis ».25. « Praecipimus ut in unaquaque ecclesia ante vel post vel supra quodlibet altare sit ymago vel sculptura vel pictura vel scriptura expresse designans et cuilibet intuenti mani-festans in cujus sancti nomen et honorem sit ipsum altare constructum », cité dans Gardner, 1981, p. 32. C’est presque avec les mêmes mots que s’exprimait, peu après, le synode de Trèves de 1310. Et c’est dans cet esprit que saint Char-les Borromée décrète la présence des images à la fin du XVIe siècle (Braun, 1924, II, p. 282). Un propos qui, d’ailleurs, ne suffit pas du tout à justifier l’existence et les implications de l’image de culte médiévale.

tale26. Gudiol même, comme pour répondre à son propre desideratum, cita un texte daté de 1095, dans lequel le comte de Toulouse fait don d’un cierge qui doit demeurer al‑lumé jour et nuit « ante dei genitricis vene-randam imaginem super altare »27.

En Catalogne on peut citer quelques renseignements de ce type, bien qu’ils soient très rares pour la période romane, et bien maigres par rapport aux quelques 250 images mariales conservées28. En de‑hors d’une possibilité pour l’image mariale – disparue – de Ripoll au XIIe siècle, en gé‑néral il faut attendre au moins au XIVe siècle pour trouver de pareilles mentions, au moins dans l’état présent de nos connais‑sances29. Elles complètent alors le panorama mieux connu des autels gothiques. Nous nous contenterons de citer ici quelques cas. En 1317 et 1340 des Vierges en argent furent offertes au sanctuaire de Montser‑rat comme ex‑voto, la deuxième au moins étant placée « apud altare » à côté des autres images30. À Barcelone, en 1358 une image de la Vierge à l’Enfant présidait le maître‑autel de la paroissiale de Santa Maria del Pi, car elle était signalée comme modèle pour d’autres sculptures31, et un inventaire du monastère de Pedralbes dressé en 1364, ré‑vèle « una taula feta a manera de tabernacla, en que ha una ymage de madona sancta Ma-ria »32 qui nous rappelle immédiatement la disposition plus ancienne d’Angoustrine.

26. Forsyth, 1972, p. 39 et 102-112.27. Gudiol, 1902, p. 245 ; aussi Sansterre ; Henriet, 2009, p. 68, qui nous révèle la source ôtée par Gudiol. L’on se de-manderait cependant si l’on parle du cierge ou de l’image, et si celle-ci est peinte ou sculptée.28. Cf. note 2.29. Sansterre ; Henriet, 2009, p. 64-66.30. Blason-Berton, 1967, p. 403-407 ; cité aussi, avec l’autre cas, dans Español, 2007, p. 307, et edaem, 2009, p. 21.31. Madurell, 1950, p. 14-15, doc. 8. Ce cas et trois autres simi-laires, liés à la production de nouveaux retables pour intégrer des images antérieures (Cardona 1375, Paret Delgada 1359, Pedralbes 1427), sont cités dans Crispí, 2000, p. 173-175.32. Gudiol, 1902, p. 448.

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En 1417, une visite pastorale à la cathédrale de Gérone inédite décrit, près de l’autel de la Sainte‑Croix dans le massif occidental, « quedam postis fustea coram dicto altari posita et in qua sedet quedam imago virginis Marie lapidea »33. Finalement, un ajout au calendrier du sacramentaire de Sant Iscle d’Empordà (Gérone) nous informe du fait que « XVI [kalendas december] in die sab-bati anno Domini MºCCCºXXºVº ponita fuerunt ymago beate Marie et opus Corporis Christi supra altare sancti Aciscli »34. Dans cette petite paroisse de l’Empordà, donc, l’ensemble Vierge et tabernacle – deux objets cités comme équivalents – étaient, en 1325, un digne ornement du maître‑au‑tel afin de célébrer au mieux, le lendemain 17 novembre, la fête des saints titulaires Assiscle et Victoire. Ces éléments contre‑disent clairement le propos exprimé par Guillaume Durand, et soulignent surtout la spécificité théologique de Marie35, taber‑nacle vivant du Christ, comme d’ailleurs l’affirma Durand lui‑même36. À propos de ce dernier cas, particulièrement inté‑ressant, on se demanderait même si cette inscription relativement solennelle dans le calendrier du sacramentaire paroissial est le signe d’une bénédiction ou d’une consécra‑tion spéciale de ces objets, que l’on pour‑rait ainsi remémorer chaque année la veille de la fête37. Quoi qu’il en soit, le dispositif

33. Arxiu Diocesà de Girona (ADG), Visites Pastorales, vol. 145, f. 1v.34. Gros, 2003, p. 111, n. 461. La composition du volume date de la première moitié du XIIe siècle.35. Forsyth, 1972, p. 67-86 ; Belting, 1990, p. 400-404 ; Pladevall, 1994, p. 41-42 ; Palazzo, 1996, p. 322-324 ; Wirth, 1999, 57-58 ; Sansterre, 2006, p. 276-277 ; Oakes, 2008, p. 27-32 ; García, 2009, p. 33 ; Daussy, 2011, p. 183-184, parmi d’autres. « Concernant l’assimilation de l’image et de l’autel rapportée parfois par la bénédiction ou la consécration de la première, voir la note antérieure et aussi Sansterre ; Henriet, 2009, p. 70-71.36. L. I, c. III, n. 25 : « Et nota quod capsa in qua hostiae consecratae servantur significat corpus Virginis gloriosae... ».37. La consécration des images-reliquaire du Christ fut dé-crite pour la Catalogne il y a déjà longtemps par Ainaud, 1966, p. 11-20, bien que dans ce cas l’image de la Vierge

de base constituée par ces deux pièces se retrouvera abondamment, en effet, dans la structure des retables gothiques, où très souvent le tabernacle constitue la base de l’image centrale38.

Si la position à proximité de l’autel ou bien sur l’autel, ainsi attestée, constitue un cadre normal pour une image de culte et pour sa riche multiplicité fonctionnelle39, la presque totalité de ces fonctions peut être attestée pour des images qui se trouvent ail‑leurs, d’habitude dans des lieux plus éloi‑gnés40. Et ceci s’avère particulièrement vrai en ce qui regarde certaines images mariales. De ce point de vue, la distinction entre image de « culte » et image de « dévotion » ne ferait guère sens en termes de positions ou de matériaux, d’autant moins si quelques images de la Vierge, particulièrement en pierre, démontrent avoir pu voyager aisé‑ment d’une position à l’autre et vice versa. En fait, au sein d’une multiplicité d’images mariales dans un même ensemble architec‑tural, la détermination de celle qui réussit à attirer une dévotion significative ne semble pas avoir un rapport déterminant avec l’une ou l’autre position41. Des questions bien connues, certes, mais qui nous aident ici à ne pas concevoir les images d’autel de la Vierge d’une façon trop rigide.

Les pages qui suivent visent à illustrer le propos développé ci‑dessus par l’exposé détaillé de plusieurs exemples catalans entre le XIe et le XVe (ou XVIe) siècles : une ca‑thédrale au titre principal non marial (Vic) mais à la disposition axiale des autels et n’avait pas apparemment de cachette à reliques. Pour les rituels de consécration-bénédiction des images de la Vierge et des saints contenus dans les pontificaux, particulière-ment anglais, Sansterre, 2006, p. 285-292.38. Español, 2002, p. 184-186.39. Wirth, 2003, p. 283-284 ; Baschet, 2008, p. 54-64.40. Un résumé de cas anciens hispaniques dans Sansterre ; Henriet, 2009, p. 71-72.41. Español, 2009, p. 22.

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images de Marie ; une cathédrale au titre de l’Assomption (Gérone) où, au fil du temps, un dialogue multiple, complexe et croisé de références mariales fut établi ; et, fina‑lement, quelques exemples d’images qui ont transité, dans l’un ou l’autre sens, entre des positions éloignées et une position sur l’autel.

TOPO-LITURGIE MARIALE DANS L’ENSEMBLE CATHÉDRAL DE VIC

Pour reconstruire la présence de la Vierge dans la topo‑liturgie de la cathédrale de Vic au Moyen Âge, il faut remonter aux origines de cette installation. L’ensemble épiscopal de Vic est documenté depuis 889 avec un triple titre (Saint‑Pierre, Sainte‑Marie et Saint‑Michel) courant dans la topographie épiscopale du haut Moyen Âge en Cata‑logne. L’évêque et abbé Oliba le réorganisa entre 1017 et 1038 avec seulement deux

églises, celle de Saint‑Pierre – l’église épisco‑pale et canoniale, à nef unique et transept, incluant un autel Saint‑Michel – et celle de Sainte‑Marie dite la Rodona, placée axiale‑ment, devant la façade ouest de Saint‑Pierre, et aux fonctions paroissiales42. Des fouilles archéologiques récentes43 ont confirmé que le plan de l’église de Sainte‑Marie, érigée par Oliba, était occidentée et circulaire, cette dernière caractéristique étant reprise au XIe siècle lors de sa reconstruction, qui fit l’objet d’une consécration en 1080. Une porte à l’est regardait l’église Saint‑Pierre et une autre s’ouvrait au nord [ill. 2].

Au XIe et XIIe siècles, donc, le culte marial restait confiné dans cette deuxième église du groupe épiscopal44. Le modèle des rotondes mariales dérivées du Panthéon romain (Sainte‑Marie ad Martyres) ou celui

42. Junyent, 1957.43. Fouille réalisée en 2003 et publiée en catalan en 2004. Pour la version française du dossier, utilisée ici, Subiranas, 2009.44. Junyent, 1954, p. 444.

ill. 2 - Plan de l’église Notre-Dame de la Rodona, états du XIe siècle (cercle intérieur) et du XIIe siècle

(cercle extérieur). Dessin : Carme Subiranas, Olga Castro.

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des rotondes occidentées inspirées du Saint‑Sépulcre de Jérusalem ont été évoqués dans la production scientifique45 pour les ori‑gines du bâtiment. On est cependant obligé de mettre en rapport l’édifice du XIe siècle tout d’abord avec les créations architectu‑rales complexes attribuées à l’action directe ou à l’influence d’Oliba, notamment avec le dispositif occidental de Saint‑Michel de Cuxa. Toutefois, à la différence des chapelles rondes de la Crèche et de la Trinité, la Rodo-na du XIe siècle avait une abside saillante et occidentée, disposition compatible avec un autel isolé qui permettait de célébrer face à l’est, selon l’ancienne coutume. D’ailleurs, nous ne savons rien à propos du décor de l’autel ni de l’abside, ni de la présence ou de l’absence de représentation de Marie en ce cadre.

Dans l’église du XIIe siècle, par contre,

45. Sapin, 1996, p. 297-298 ; Heitz, 1994 ; Subiranas, 2009, p. 195-197 et 200.

l’espace du maître‑autel n’était pas inclus dans un plan parfaitement rond, bien que celui‑ci ait dû se trouver dans l’extrémité occidentale de l’axe de l’église, comme dans le bâtiment précédent étant donné la dispo‑sition des portails. La Vierge romane qui dé‑corait cet autel, conservée au MEV46, nous renseigne davantage sur cette disposition [ill. 3]. Cette sculpture est une pièce extra‑ordinairement plate qu’il faudrait supposer originellement placée contre un dossier, re‑table ou prédelle, à l’instar d’autres Vierges catalanes telles que celles de Baixas ou de Belloc, pour ne citer que deux exemples47. Sa verticalité extrême inspire aussi la com‑paraison avec d’autres structures plus com‑plexes, des retables romans comme celui en

46. MEV 17.143. L’image fut préservée par les religieuses du monastère de Sainte Catherine, près de la cathédrale. Gros, 1991, p. 88.47. Gros, 1991, p. 88-89, núm.75-76 ; Camps, 2008, p. 133-135 ; Camps, 2011, p. 97.

ill. 3 - Notre-Dame de la Rodona, MEV 17.143, ca. 1180. Face et profil.

© Museu Episcopal de Vic, photo : Gabriel Salvans.

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pierre d’Oberpleis, également vertical dans sa disposition48. Ainsi, vers 1180, au moins à Vic, s’était imposé l’usage de célébrer dos aux fidèles, indépendamment de l’orienta‑tion géographique réelle.

Par ailleurs, cette dimension plus scé‑nographique de l’autel et de son décor pourrait avoir trouvé des compléments dans l’entourage de cette image. Comme dans le retable cité d’Oberpleis, qui inclut les Mages, ou comme les prédelles à balda‑quin de Saint‑Martin‑d’Envalls ou de Sant Martí Sarroca d’après la restitution de Folch i Torres49, il serait possible d’imaginer aussi pour le meuble qui entourait notre image un déploiement similaire, qui puisse avoir servi aussi bien pour la liturgie que pour des activités paraliturgiques50. Des représenta‑tions de ce type, bien qu’elles ne peuvent pas être mises indubitablement en rapport avec cette église, sont attestées dans la docu‑mentation de la cathédrale de Vic dans cette deuxième moitié du siècle51. Malheureuse‑

48. Le Pogam, 2009, p. 27-29.49. Folch, 1956, p. 46.50. Forsyth, 1972, p. 49-60 ; Orriols, 2003, p. 151.51. Gros, 1999.

ment nous ne savons rien sur ce mobilier primitif. Mais un indice peut être vu dans un parchemin de privilèges de la confrérie de la Rodona, daté de 1342, qui comporte une miniature de la Vierge à l’Enfant [ill. 4] flanquée de l’Annonciation et du Calvaire52. Plus intéressantes encore à notre avis sont les données transmises par Eduard Junyent à propos du retable dont la commande est passée en 1492 pour renouveler l’entourage de l’image d’autel. Dans ses panneaux laté‑raux se mêlaient une assez moderne Vierge du Rosaire avec d’autres scènes à la saveur plus archaïque (Épiphanie, Annonciation, Assomption), tandis que dans la prédelle, bien que commandée deux ans auparavant, l’iconographie s’avérait plus tardive (Pietà, Conception et Présentation de la Vierge et deux scènes de la Passion du Christ)53. Il n’est pas déraisonnable d’imaginer que, dans les panneaux principaux, l’inclusion du Rosaire visait à mettre à jour un programme icono‑graphique repris d’un mobilier plus ancien. En effet, l’on retrouve ces scènes anciennes dans les exemples romans cités et dans

52. Gudiol,1924, p. 289-290, fig. 96.53. Junyent, 1957, p. 499.

ill. 4 - Parchemin de privilèges de la confrérie de la Rodona, MEV 10.881, 1342. © Museu Episcopal

de Vic.

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nombre d’autres, tout comme dans des devants d’autel centrés sur l’image de la Vierge et produits dans le milieu lié à la cathédrale de Vic dans la deuxième moitié du XIIe siècle, tels ceux d’El Coll (MEV 3) [ill. 5] ou d’Espinelves (MEV 7), dont le contexte de production a été mis en rap‑port précisément avec la consolidation des drames sacrés à sujet marial54.

Cependant, nous ne pouvons pas assurer que l’image romane de la Vierge ait présidé ce réaménagement gothique du maître‑au‑tel de la chapelle. La représentation de la Vierge assise dans le parchemin cité a ame‑né M. S. Gros et A. Orriols à croire en sa substitution par une image gothique55 dont aucune autre trace ne nous serait parvenue. Nous savons, en tout cas, qu’au XVIIe siècle il y avait deux Vierges dans l’église, l’une sur le maître‑autel, entourée du retable, l’autre sur l’autel de Saint‑Thomas56. Cette deuxième, était‑elle l’image romane ? Ce n’est pas la seule possibilité, car une belle

54. Beltrán, sous presse.55. Millenum, 1989, p. 322, núm. 247 (fiche de M. S. Gros) ; Orriols, 2003, p. 152.56. « Altare Sancti Thome [...] Visitavit imaginem de Nostra Señora de bulto, que esta en mix del altar, y no es de dit altar sino del de Nostra Señora ». Arxiu Episcopal de Vic (AEV), Vi-sites pastorales 1213/D (1621-1622), f. 46v (19 octobre 1622).

Vierge en marbre, œuvre italienne du XVIe siècle, est aussi censée provenir de la même chapelle57 [ill. 6]. D’ailleurs, les anciennes structures du XIe siècle furent réutilisées au siècle suivant pour aménager une petite crypte avec un autel, en usage jusqu’au tournant de 170058. Les descrip‑tions ne nous disent pas où était placé l’au‑tel de saint Thomas, mais s’il était l’autel de la crypte, pour une certaine période, une Vierge aurait pu surplomber l’autre.

Dans l’église épiscopale Saint‑Pierre, il faut attendre les années 1200 pour documenter la présence de la Vierge. Là aussi, le maître‑autel, voué au Prince des Apôtres, surplombait un deuxième autel du même titre, celui de Saint Pierre in confessione, placé dans la crypte du XIe siècle. L’élargissement de ce dispositif au siècle suivant, jusqu’à l’occupation de toute la croisée du transept, permit un développement du chœur des chanoines réalisé dans l’esprit des cryptes‑tribunes italiennes et languedo‑

57. MEV 12.316. Catálogo de la Exposición Arqueológico-Ar-tística de Vich, Vic, 1868. D’après cette dernière source, l’image « italienne » aurait au moins présidé le monument qui, après 1803, gardait la mémoire de l’église démolie en 1787. Il est difficile de savoir si l’image avait été re-prise de l’intérieur de l’église ou bien achetée par l’évêque Veyan (1783-1815), homme aux goûts classiques.58. Subiranas, 2009, p. 199-202.

ill. 5 - Devant d’autel del Coll, MEV 3, dernier quart du XIIe s. © Museu Episcopal de Vic, photo :

Gabriel Salvans.

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ciennes de l’époque59. On ne connaît rien de l’aménagement intérieur de ce chœur nou‑veau, hors l’existence d’un autel dénommé de beata Maria de choro, fondé en 1205 par le chanoine Andreu Salmúnia60. Ne pouvant l’imaginer au fond de l’abside, où une chaire épiscopale en stuc était conservée encore au XVIIe siècle61, une position dans l’enceinte du chœur, et probablement à l’ouest du maître‑autel, devient, à notre avis, l’hypothèse la plus vraisemblable62. L’autel de Notre‑Dame du Chœur prit le relai immédiat dans le dérou‑lement de la liturgie de la cathédrale qui en fit en certaines occasions un pôle en dialogue avec l’autel de la Rodona, comme en repro‑59. Junyent, 1966, p. 102 ; Barral, 1979, p. 93-107.60. Gudiol, 1897 (1982), p. 36 ; Junyent, 1954, p. 444-445.61. Español, 2005, p. 216, en citant les sources originales.62. Bien que nous n’ayons aucun renseignement précis, une position accolée à un des murs latéraux du chœur roman obligerait à déplacer ou à interrompre la succession des stalles. Il nous semble plus probable de l’imaginer à l’occident de la tribune, au milieu des rangs de stalles, peut-être même visible depuis la nef.

duisant la plus ancienne opposition axiale de celui‑ci avec le maître‑autel, mais en termes mariaux. D’après le coutumier de 1215, ré‑digé par le propre chanoine Almunia, l’autel du Chœur était le lieu de bénédiction des chandelles pour la procession de la Purifica‑tion (2 février), laquelle se dirigeait ensuite vers l’église ronde, et se terminait par la messe solennelle, à nouveau sur l’autel du chœur63 [ill. 7]. De même, le Processionaire de 1318 reflète cette polarité en nommant d’un côté, l’autel du chœur et, de l’autre, l’église circu‑laire, sous le titre Sancta Maria Maior lors de la description de la procession des litanies majeures64.

À la disposition axiale des deux autels mariaux (de la Rodona et du chœur) pou‑

63. Gros, 1996, p. 244-245, pièces 494-497.64. Gros, 1983, p. 96-97, pièces 125 et 148.

ill. 6 - Vierge provenant de Notre-Dame de la Rodona, MEV 12.316,

XVIe s. © Museu Episcopal de Vic, photo : Joan M. Díaz.

ill. 7 - Ensemble cathédral de Vic en 1200 avec les circulations de

la procession du 2 février d’après le Coutumier de 1215. En bleu,

autels mariaux. 1) Bénédiction des chandelles, 2) statio à l’autel de

Saint-Nicolas, 3) statio entre les portes des églises Saint-Pierre et

Sainte-Marie, 4) division du clergé entre l’église Sainte-Marie et

l’autel Sainte-Marie du Chœur. Dessin : auteur.

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vait correspondre une disposition sem‑blable de leurs images. Les inventaires de la cathédrale de Vic depuis 1368 nous décrivent, dans l’espace proche du maître‑autel, une image de la Vierge en marbre qui aurait bien pu provenir de l’autel du chœur, qui est à cette époque un dispositif complexe avec une chasse‑armoire élevée65. Le réaménagement du chevet, vers 1400, entraîna l’élimination de la crypte romane, la disposition d’un chœur nouveau au mi‑lieu de la nef selon la mode du temps et le déplacement de l’autel du chœur à un autre endroit de l’église. Ceci détermina apparemment une nouvelle position de cette image sur (ou derrière) le maître‑au‑tel de saint Pierre, comme on le voit dans les inventaires à partir de 140266. À par‑tir de 1420‑1428, l’important retable en albâtre sculpté par Pere Oller incorpora, selon les dispositions du commanditaire – le chanoine Bernat Despujol –, une autre image de la Vierge à l’Enfant placée au‑des‑sus de l’image du saint titulaire [ill. 8]. De cette façon, la présence mariale dans l’en‑tourage du maître‑autel et le dialogue axial marial prenaient un grand relief visuel67.

Mais si cette image restait près du maître‑autel afin d’entretenir la mémoire et la dévotion, la présence du retable où elle s’inscrit avait entraîné, comme l’on a dit,

65. « Item Ia ymage de madona sancta Maria de pera blanc-ha, ab I coroneta d’argent » (1368) ; « Item una image de medona Sancta Marie de pera marbre, ab I mantell de dias-pre vert abrigada ab una coroneta d’argent al cap, modici valoris » (1402, très similaire dans les inventaires de 1414, 1416-19, 1421 et 1424). Ginebra, 2001, p. 397 et 408 ; idem 2003, p. 167 ; idem 2004, p. 247, et idem 2006, p. 164.66. « Item II mantellets de drap de seda qui servexen a la ymage de madona santa Maria / qui servex detràs / de l’altar de sant Pere ». Ginebra, 2003, p. 179. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une sculpture en ronde-bosse, est attestée, dans la même proximité du maître-autel, à partir de 1414, la présence d’une table peinte avec le visage de la Vierge (dite « Véronique de la Vierge » en catalan), probablement celle qu’on conserve aujourd’hui au MEV sous la cote 1.885. Gu-diol, 1921, p. 71 ; Crispí, 1996, p. 98 ; Ginebra, 2004, p. 257.67. Junyent, 1954, p. 445.

le déplacement de l’ancien autel du chœur. On ne pouvait pas simplement l’annuler ou l’oublier, car, outre son rôle dans les actions liturgiques communautaires, il était tou‑jours le siège des chapellenies qui y étaient fondées et donc la raison d’être de certains revenus. La dissociation de la sculpture et de l’autel provoqua une multiplication d’images mariales.

Le nouvel autel, associé aussi au culte et à la chapellenie de la Transfixion de la Vierge, fut installé vers 1398 contre le mur sud de la nef, près de la porte des cloîtres et d’un pilier, près de l’autel saint Nicolas68. Cet autel, d’après Josep Gu‑diol, Eduard Junyent, puis Josep Bracons, fut orné d’une belle image de la Vierge à l’Enfant en albâtre, assise et avec un bou‑

68. Gudiol, 1897 (1982), p. 46.

ill. 8 - Pere Oller, Vierge du retable de la cathédrale de Vic, 1420-

1428. Delegació de Patrimoni del Bisbat de Vic.

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quet fusiforme dans la main gauche, que l’on conserve aussi au MEV69 [ill. 9]. Il est difficile de dire si cette image, datable aussi bien du dernier tiers du XIVe siècle que des débuts du XVe, est la même que l’on trouvait auparavant près du maître‑autel – qui alors aurait été déplacée au nouvel autel du chœur, probablement à partir de la deuxième moitié du XVe siècle70 – ou s’il s’agit d’une sculpture différente. Quoi qu’il en soit, au fil du temps, l’image survécut à l’autel qu’elle avait orné et, en un certain sens, elle arriva même à s’y substituer. En

69. MEV 1.310. Gudiol, 1897 (1982), p. 25 et 46-48 ; Ju-nyent,  1954, p. 445 ; Bracons, 1983, p. 40 et 72-73, no 16. Une certaine confusion en l’identification de cette image par rapport à une autre, documentée aussi dans cet endroit de la cathédrale vers 1335, ne peut pas être résolue ici. 70. Car on la trouve encore près du maître-autel, proba-blement dans l’espace de la sacristie, en 1462 : ACV, arm. 34/10 (inventaires de la Trésorerie), vol. de 1462, f. 51v.

effet, lorsqu’en 1593, l’évêque décréta l’ins‑tallation de l’image, alors placée sur la porte du cloître, sur l’autel d’une autre chapelle, il y transféra le siège des chapellenies : « mane transfer y trasllevar (...) la dita ymatge de Nostra Senyora ab tots los beneficis en ella fundats... »71. Un fil marial à trois nœuds (images et autels) continuait à relier axiale‑ment les bâtiments de l’ensemble épiscopal de Vic jusqu’aux grands remaniements du fin du XVIIIe siècle.

LE MAÎTRE-AUTEL DE LA CATHÉDRALE DE GÉRONE : DE FOISONNANTES RÉSONNANCES MARIALES

Dans la cathédrale de Gérone, vouée à la Vierge et intégrée au bas Moyen Âge en un seul bâtiment, une axialité plus ou moins semblable, bien que plus souple, pourrait être établie entre le maître‑autel et l’image en pierre qu’en 1417, nous avons vu orner l’autel de la Sainte‑Croix dans le massif occidental. Toutefois, le cas de Gérone nous intéresse davantage pour illustrer un phénomène de multiplication qui pose des questions à propos des rapports entre culte, dévotion et décor liés aux objets. L’histoire des aménagements liturgiques du maître‑autel de la cathédrale de Gérone a été déjà bien établie par Francesca Español il y a quelques années72. Nous voudrions seule‑ment ici, en suivant ses réflexions, remar‑quer la multiplicité des présences mariales dans cet espace, et redessiner une ligne à la fois spatiale et chronologique du XIe au XVe siècle.

Une tradition légendaire née probable‑ment au XIe siècle, et consolidée au XIVe,

71. Gudiol, 1897 (1982), p. 47.72. Español, 2005 ; un article pourvu d’une exhaustive bi-bliographie qui sera cité à plusieurs reprises.

ill. 9 - Notre-Dame « del Cor », MEV 1.310, fin XIVe ou début XVe s.

© Museu Episcopal de Vic.

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met en rapport une apparition de la Vierge à Charlemagne et la conquête de la ville contre les musulmans en 78573, légende qui rendait l’empereur responsable du titre de l’église. Cependant, la plus ancienne présence mariale attestée à la cathédrale de Gérone se trouve parmi les reliques qui furent ensevelies dans le maître‑autel consacré en 1038. L’inventaire que l’on en fit le 20 avril 1347 lors de sa réinstallation dans le nouveau chœur gothique, révèle des morceaux de cheveux, de la chemise, de la tunique et du sépulcre de la Vierge74, dans un esprit propre au monde roman et même carolingien75. Présence aniconique, invisible et discrète, mais fondamentale et très puissante, ces reliques furent aug‑mentées au fil du temps par d’autres objets placés hors du sepulchrum du maître‑au‑tel, comme du Lait de la Vierge, un phé‑nomène que l’on retrouve dans d’autres cathédrales médiévales catalanes, comme 73. Sureda 2008b, p. 548-552 ; tous les textes et versions de l’office dans Altés, 2009.74. « (...) de petra in qua invenit Beatus Gabriel Angelus Virginem Mariam caelitus salutatam (...) Hic vero quodam reliquiarum habentur beate Marie eiusdem sue matris vide-licet de capillis eius, et de tunica quam ipsam texuit, nec non et de eius camisia, sive de sepulcro eius (...) ». Villa-nueva, 1850, p. 339, ap. XXXV.75. Sureda, 2008a, p. 228.

l’ont bien décrit F. Español ou M. Crispí76. Ces reliques, plus visibles dans leur propre reliquaire, accumulaient aussi des « effica‑cités » plus précises et particulières. En ce sens, il faut ajouter la cathédrale de Gé‑rone à la liste des églises catalanes qui, au XVe siècle au moins, possédaient une cein‑ture de la Vierge, ici un bel objet en cuir décoré d’argent77 utilisé pour la protection des accouchements. Une pièce, donc, apo‑tropaïque même plutôt que relique, dérivée des mensurae Virginis et en dernier terme de la ceinture conservée à la Chalkoprateia de Constantinople et qui, comme cela arrivait avec les objets similaires conservés à Bar‑celone, Lavaix, Àger, Montserrat, l’Estany ou Paret Delgada, et contrairement aux cas de Tortosa ou Prato78, ne fit pas appa‑remment, à Gérone, l’objet d’une grande dévotion.

Pour revenir à l’autel consacré en 1038, on n’a aucune trace d’autres représentations 76. Español, 2003, p. 91-93 ; p. 94 pour le Lait de la Vierge à Gérone ; Crispí, 2008, p. 125-134 ; Español, 2009, p. 19.77. Sans trop de conviction, le visiteur en 1502 décrit « (...) Item unam corrigiam cum capitibus de argento ex corio livido cum aliquibus litteris argenteis per totum, que facit miracula super mulieribus pregnantibus, et assertur ab aliquis fuisse virginis Marie (...) ». ADG, Visites Pastorales, vol. 148 (visite 1502), f. 138r. 78. Español, 2003, p. 91-93 ; eadem, 2009, p. 19.

ill. 10 - Restitution du devant d’autel de la cathédrale de Gérone, seconde moitié du XIe s. Dessin de G. Baltrons, d’après Marquès, 1959.

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mariales à cette époque. On peut présumer que le cul‑de‑four de l’abside abritait des peintures à thème marial, mais on ne peut pas aller plus loin79. Cependant, c’est encore au XIe siècle qu’apparut la plus ancienne image de Marie connue en ce lieu : celle in‑sérée dans le devant d’autel de la deuxième moitié de ce siècle. Malheureusement dis‑parue en 1809, on compte sur quelques descriptions anciennes qui ont permis d’en restituer l’aspect80 [ill. 10]. Au milieu du XIIe siècle, s’ajouta à l’ensemble la célèbre Vierge à l’Enfant en bois [ill. 11], jadis re‑couverte de feuilles d’argent, inscrite dans une tradition bien attestée en Auvergne et en Roussillon qui remonte au monde otto‑nien et carolingien. Aussi, dans l’esprit des rapports auvergnats, F. Español a supposé

79. Español, 2005, p. 221.80. Marquès, 1959. Étude et bibliographie plus complète dans Español, 2005, p. 218-220. Outre tout ce qu’on y lit, on ne remarquerait que la filiation des inscriptions accom-pagnant le Tetramorphos : les célèbres quartètes de Sédule (Paschale Carmen, I, 355-358).

que cet objet était installé primitivement sur une colonne, ce qui est une hypothèse plausible, et qui répartit mieux des fonc‑tions : celle plus « cultuelle » de l’image sculptée, et celle plus ornementale et narra‑tive du devant d’autel [ill. 12a]. Également vraisemblable est la possibilité d’imaginer, un siècle et demi plus tard, l’intégration de cette image dans un état primitif du retable d’argent, probablement organisé en guise de simple prédelle par un certain maître Bartomeu autour de 132081. Et c’est proba‑blement à partir de ce moment que cette ancienne image fut mise en rapport avec la légende de la prise de Gérone par Char‑lemagne, en devenant son image de dévo‑tion particulière, celle qui, dans la légende, aurait été attachée à sa selle par l’empereur, et donc rapportée à une victoire légendaire contre les musulmans, comme dans le cas de la Vierge de Thuir, elle aussi recouverte de métal82. C’est la seule trace d’une sin‑gularisation de cette image au niveau de la croyance, bien que dans des termes plutôt érudits qui ne réussirent pas à passer, appa‑remment, dans le domaine de la dévotion populaire.

Dans ce même cadre chronologique, d’ail‑leurs, la présence mariale se doubla ensuite en deux sens. D’un côté, l’image assise du devant d’autel fut doublée d’une représentation sem‑blable dans la table placée de l’autre côté de la mensa. Elle fut, là, entourée de prophètes, probablement dans un esprit centré sur l’In‑carnation comparable à celui, plus ancien, du devant d’autel d’Espinelves (MEV 7). C’est aussi à cette époque qu’apparaît le su‑jet du couronnement de la Vierge, en deux

81. Español, 2005, p. 222.82. Camós, 1657, p. 92 ; pour Thuir, Delcor, 1984, p. 104-107. La mémoire de Charlemagne à Gérone, qui prenait comme référence matérielle quelques objets de la cathédrale, prit un essor définitif pendant le pontificat d’Arnau de Mont-rodon (1335-1348), qui en institua le culte, mais la légende avait dû se diffuser quelques siècles auparavant. Sureda, 2008b.

ill. 11 - Vierge romane de la cathédrale de Gérone, Tresor de la

Catedral de Girona (TCG) 149, seconde moitié du XIIe s. © Catedral

de Girona, photo : Josep M. Oliveras.

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lieux : l’un, bien visible, à la clé de voûte du baldaquin d’argent ; l’autre, plus discret, dans le relief placé côté Évangile de la mensa altaris, entouré d’un cycle de la glorification de la Vierge et faisant le pendant, avec la table du côté Épître, à la Maiestas Domini83. Vers 1325 la Vierge romane en ronde‑bosse présidait donc un ensemble déjà complexe de représentations mariales [ill. 12b].

Toutefois, la vraie éclosion mariale dans l’entourage du maître‑autel de Gérone se produit aux alentours de 1350, dans le nou‑veau cadre architectural gothique, moyen‑

83. Pour les tables d’autel droite, gauche et postérieure, Marquès, 1959, p. 218-220 et 231-231 (transcription de la visite pastorale de 1511).

nant des représentations organisées comme en cercles concentriques [ill. 12c]. De la périphérie vers le centre, la structure du nou‑veau chevet à déambulatoire, presque com‑plété en 1347 lors de la re‑consécration de l’autel, fut configuré dans la nette volonté d’être le cadre d’un culte marial. Les vitraux de l’étage supérieur, réalisés vers 1348‑1350, tout en apportant une spectaculaire lumière inconnue dans le bâtiment roman, insistent sur la narration des épisodes les plus impor‑tants du cycle de la Vierge (Présentation de la Vierge au Temple, noces de Joseph et Marie, Annonciation, Visitation, Nativité, Épiphanie, Présentation de Jésus au Temple,

ill. 12 - Évolution des présences mariales dans l’espace du maître-

autel de la cathédrale de Gérone.

a) état vers 1200, b) état vers 1320, c) état vers 1350-1400,

(?) hypothétiques peintures murales,

1. sepulchrum reliquiarum, ca. 1038,

2. devant d’autel, seconde moitié du XIe s.,

3. Vierge à l’Enfant en bois, seconde moitié du XIIe s.,

4. tables latérales de l’autel, ca. 1320,

5. clé de voûte du baldaquin, ca. 1320,

6. clé de voûte du sanctuaire, ca. 1350,

7. vitraux du sanctuaire, ca. 1350,

8. Vierge – disparue – du groupe sculpté de l’Annonciation,

ca. 1340-1400,

9. retable d’argent, état vers 1360 avec deux Vierges intégrées,

10. Vierge en argent (ex-voto ?), vers 1400.

Dessin : auteur.

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Dormition et Couronnement)84. De cette façon, le nouvel éclairage selon les orien‑tations des espaces liturgiques gothiques85 fut chargé d’un contenu iconographique, peut‑être en substitution d’anciens cycles picturaux perdus. L’Annonciation du vitrail central [ill. 13], d’ailleurs, se voyait dou‑blée par un petit ensemble sculpté placé sur les chapiteaux des piliers orientaux de la travée droite du chœur, dont ne reste aujourd’hui que l’archange Gabriel. L’on a attribué cette statue au maître picard Pere

84. Ainaud et al., 1987, p. 16-18.85. Par exemple, Daussy, 2011, p. 172-173 pour Noyon, avec bibliographie.

de Sant Joan, actif vers 140086, mais la dis‑position de l’ensemble doit avoir plutôt, à notre avis, un rapport avec la date du chan‑gement de dessin dans le projet du chevet (après 1321), qui créa l’espace où les images étaient placées. Encore dans l’architecture, le sujet du couronnement fut répété une troisième fois dans la clé de voûte centrale du chœur, surplombant donc le même sujet au centre du baldaquin. Si, dans celui‑ci, la scène de glorification est entourée par deux registres de saints et d’anges, la clé du chœur est à son tour enveloppée des onze clés du déambulatoire, qui configurent un col‑lège des apôtres presque complet87 [ill. 14].

86. Nadal et al., 2002, p. 141, fig. 100 (légende de P. Freixas).87. Calzada, 1975. Une interprétation en ce sens, plus com-plexe, des clés de voûte dans le chevet noyonnais, dans Daussy, 2011, p. 175-176.

ill. 13 - La double Annonciation au chevet de Gérone : vitrail axial,

1340-50. © Catedral de Girona, photo : Gustavo A. Torres.

ill. 14 - Le double Couronnement : clés de voûte a) du baldaquin,

ca. 1325, et b) centrale du chevet, ca. 1350. Cathédrale de Gérone,

photo : Josep M. Oliveras.

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ill. 15 - Le retable du maître-autel de la cathédrale de Gérone, maître Bartomeu ca. 1320 et Pere Berneç ca. 1357 :

a) vue d’ensemble, b) Vierge de la prédelle, c) Vierge du pinacle central. © Catedral de Girona, photo : Josep M. Oliveras

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De cette façon le chevet de Gérone, moyen‑nant l’iconographie des clés de voûte, s’érige, tout comme – et mutatis mutandis – dans le rêve de Robert de Clermont, en métaphore de la Jérusalem céleste ; une métaphore cen‑trée dans les deux cas (chevet et baldaquin) sur la Vierge couronnée. Voici des ressources architecturales, sculptées et figuratives com‑binées dans un espèce d’écho de ce qu’Éric Palazzo avait nommé, dans un autre cadre chronologique, « architecture mariale » vi‑sant à la création d’un espace ecclésial dis‑tinctif 88.

Plus encore, au cœur de cet ensemble architectural, vers 1357 le retable d’orfèvre‑rie subit des modifications importantes dues au prestigieux artiste Pere Berneç. Les scènes narratives furent portées à seize, centrées sur une Crucifixion, et élargissant ainsi le récit préalable centré sur la Passion. L’ensemble fut doté d’une prédelle et de trois pinacles. La prédelle, aux images de saints, de saintes et des évêques commanditaires de l’agran‑dissement du retable, comporte au centre une superbe Vierge à l’Enfant assise sous un dosseret et entourée d’anges musiciens, tandis que le pinacle central montre à nou‑veau une très belle Vierge, cette fois debout, sur un fond émaillé de têtes célestes et flan‑quées par les autres pinacles aux images des saints de la ville, Narcisse et Félix. Comme on l’avait bien remarqué89, un même pro‑jet, donc, incorporait volontairement une double représentation de la Vierge, en bas dans une position presque de tabernacle, en haut comme en substituant l’image d’autel sur le retable [ill. 15]. Mais, précisément en ce sens, on pourrait se demander si cette profusion renouvelée d’images mariales dans l’entourage immédiat de l’autel visait à refor‑muler, ou à substituer, le dispositif d’images cultuelles en fonctionnement jusqu’à ce mo‑

88. Palazzo, 1996, p. 316-317.89. Español, 2005, p. 226-227.

ment‑là. En d’autres termes, qu’en fut‑il de l’image romane ? Demeurait‑elle sur l’autel et conservait‑elle sa prééminence comme image principale du culte ? Si oui, com‑ment pouvait‑elle interagir avec les nouvelles images qui, à la différence des précédentes, se trouvaient dans une position analogue, voire concurrente, sur la mensa altaris ? Et sinon, quelle était sa nouvelle fonction ?

Les documents qui, près d’un siècle plus tard, nous décrivent l’état de l’en‑semble ne nous fournissent pas du tout, bien au contraire, une réponse simple et directe à ces questions. En 1502, l’image romane et une autre plus grande étaient probablement placées sur le retable (supra retrotabulum)90. On a du mal à imaginer quelle était leur disposition exacte, mais une hypothèse vraisemblable consisterait à les placer, en haut, entre les pinacles du retable91. Une description plus soi‑gnée, de 1478, nous renseigne davantage sur l’identification de cette mystérieuse deuxième image, inconnue jusqu’à pré‑sent : après la description soigneuse du retable orné de ses deux images mariales, le visiteur trouve une autre sculpture en argent de la Vierge à l’Enfant debout, dite « de la Misericorde », probablement haute d’un mètre environ et ornée d’ar‑moiries et d’un long collier de corail92.

90. « (...) Item visitavit supra retrotabulum duas ymagines beatissime virginis Marie ex argento fabricatas, unam magne stature et aliam parve (...) ». ADG, Visites pasto-rales, vol. 148 (visite 1502), f. 180r-v.91. Comme l’avait déjà suggéré F. Español, un parallèle de cette disposition se trouvait dans le retable de la cathé-drale de la Seu d’Urgell, où, au XVIe siècle, l’image romane de la Vierge se trouvait aussi en haut du meuble (al cap del retaule). Español, 2005, p. 221.92. « (...) Item supra retrotabulum predictum invenit qua-dam ymaginem argenteam in cuius pede est scriptum Nos-tra Dona de Misericordia, cum armis cum uno cervo cum cornibus, quequidem beata Maria tenet quandam coronam in capite cum novem lapidibus et cum sex perlis, et tenet in brachio filium suum tenentem in manum avem et capite coronam, et beata Maria habet unum lilium in manu et tenen in collo unum filium corallorum rubeorum quid est

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À la suite, la visite nous présente la Vierge romane qui, à cette époque‑là, lui faisait pendant : toujours recouverte d’argent, elle est assise sur un trône à six pommeaux d’argent (aujourd’hui disparu) et porte, se‑lon le goût du temps, une couronne et un manteau93. L’image debout, aux caractères et dénomination pleinement gothiques et avec ses armoiries94, évoque clairement un type d’ex‑voto luxueux que l’on voit pro‑liférer dans les autels bas‑médiévaux cata‑lans, particulièrement dans les sanctuaires. En plus, cette image mariale « quadruplée » était encore accompagnée, au sommet du retable (on ne dit pas comment le tout était disposé), de deux Veronicae95 qui, à l’instar peut‑être de celle plus tardive préservée au Trésor de la Cathédrale (TGC 72), ou de celle de Jaume Cabrera conservée au MEV et datée vers 1400 (MEV 1.885), pouvaient comporter deux panneaux, l’un, avec la face du Christ et l’autre, avec la face de la Vierge, comme on le trouve dans certaines églises et

sex palmorum longitudinis (...) » ADG, Visites pastorales, vol. 147 (visite 1478), f. 136v.93. « (...) Item invenit unam aliam imaginem beate Marie argenteam cum corona in capite, habentem filium suum in gremio, cum corona rotunda cum decem lapidibus, et beata Maria tenet unum magnum topazium cum catedra argentea cum sex pomis argenteis cum uno mantello et cordonibus (...) » Idem.94. Oakes, 2008, p. 224-225 et 232-233. Quant aux armoiries, il est difficile d’identifier clairement le lignage sans connaître les couleurs de l’écu au cerf. Des armoiries aux trois besants chargés chacun d’un cerf sont utilisés à la cathédrale par le lignage Cervià au XIVe siècle (Marquès, 2009, p. 316, n. 342), mais le texte désigne un cerf tout seul, bien que la pos-sibilité d’une variante ne peut pas être exclue. L’animal, d’après les armoriaux catalans, fut adopté par les lignages médiévaux Sirvent, Cervera, Timor ou Cervelló, selon les combinaisons de couleurs (Riquer, 1983, p. 225, 773). Ne pouvant exclure d’autres possibilités, on pourrait toutefois signaler la présence dans la documentation capitulaire des alentours de 1400 d’un seul chanoine au nom concordant, Martí de Cervera, qui prit possession en 1382 et ensuite fit des voyages d’études. ADG, Notularum, 2.1.3.2, f. 125v, 127r et 144r ; ADG, Visites pastorales, vol. 145 (visite 1368), f. 6v. 95. « Item invenit duas imagines veronice depictas exis-tentes in quibusdam postibus bene ornatis existentes in sumitate retrotabuli (...) » ADG, Visites Pastorales, vol. 147 (visite 1478), f. 136v.

retables catalans de la fin du Moyen Âge96. Cette diversité, et notamment la pré‑

sence de plusieurs images d’autel parmi les‑quelles une Vierge gothique en argent, aurait bien pu faciliter des confusions à propos de l’image titulaire. Si à Montserrat le pèlerin pouvait avoir du mal à identifier l’image destinataire de ses prières97, à Gérone le célébrant de la messe pouvait, en principe, avoir de semblables problèmes. Peut‑être que pour le clerc cette question ne se posait pas au même niveau : la présence sacrale, si répé‑tée en toutes les images, enracinée dans les reliques cachées dans l’autel mais aussi dans celles encloses dans des coffrets ajoutés au retable, rendait possible d’encenser un totum qui n’avait pas besoin d’une seule image pré‑éminente. C’est du moins, ce que semble suggérer la disposition de cet ensemble ex‑traordinaire, vraie exposition du trésor de la cathédrale qui, loin de se manifester seule‑ment lors des grandes fêtes comme c’était l’habitude dans la plupart des lieux98, se montrait ici exceptionnellement de façon quasi permanente99.

Depuis la deuxième moitié du XIVe siècle, donc, le maître‑autel de Gé‑rone, dans un nouvel entourage architectu‑ral et décoratif qui augmentait sa dimension symbolique, était un scénario complexe à la multiplicité de présences mariales, une

96. Gudiol, 1921 ; Crispí, 1996, p. 96-99.97. Español, 2009, p. 21.98. D’après le Rationale de Guillaume Durand, L. I, c. III, n. 42 : « In praecipuis festivitatibus thesauri ecclesiae in publicum educuntur propter tria. Primo, propter conside-rationem cautelae (...). Secundo, propter silemnitatis vene-rationem. Tertio, propter oblationis memoriam, videlicen in memoriam illorum, qui prius ea ecclesiae obtulerunt (...) ». 99. Español, 2002, p. 182-183 ; on pourrait admettre une certaine variation de scénarios, par exemple avec l’usage de devants d’autel textiles, en réservant l’impact de celui d’orfèvrerie pour les fêtes les plus remarquables, ou avec l’usage des voiles entre les colonnes du baldaquin lors du Carême, mais il n’en demeure pas moins que le retable et son entourage étaient exposés de façon permanente. Concernant l’impact de ce genre de dispositions, voire aussi Bacci, 2005, p. 126.

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multiplication encouragée par la centralité de la figure de Marie100, certes, mais ici ex‑traordinairement développée. Ne pouvant exhiber des reliques exceptionnelles ou très spectaculaires telles que des corps saints (qui, à Gérone, se trouvaient plutôt dans l’église voisine de Saint‑Félix), le chevet de la cathédrale avait mis en place une « sanc‑tuarisation » qui profitait largement de l’ac‑cumulation d’images mariales à plusieurs nuances et fonctions, et surtout aux maté‑riaux précieux et lumineux. L’ensemble vi‑sait à manifester, avec les mots de Stéphanie D. Daussy pour le chevet de la cathédrale de Noyon, « l’holisme d’un lieu où tous les composants contribuent à unifier sphères célestes et terrestres »101, dynamiquement organisé non seulement par le dessin archi‑tectural, mais aussi par les rapports entre les images de Marie qui s’y trouvaient. Une approche selon les conclusions suggérées par Jérôme Baschet102 serait alors possible. La juxtaposition ou superposition d’images bien visibles, au caractère plus « cultuel », à d’autres moins directement perceptibles à la disposition narrative, et encore à d’autres, dont certaines presque non visibles, lisibles en termes de décor symbolique et de « pré‑sence » objective ; les liens avec leurs lieux respectifs ; les échos à leur tour, plus ou moins visibles ou évidents, entre les images ; tout cela constituait un ensemble résultant de trois siècles, mais en certain sens bien ordonné, avec des images subordonnées à d’autres et organisé d’une manière générale selon un ordre concentrique. Lorsque l’on avançait vers le maître‑autel, on voyait pas

100. Bacci, 2005, p. 108.101. Daussy, 2011, p. 170 ; à Noyon, le chevet a mis en place au XIIIe siècle une « sanctuarisation » qui en fit une grande châsse aux reliques de saint Éloi (p. 177 sqq.).102. Surtout Baschet, 2011, p. 195-196 ; pour la visibilité des images, Baschet, 2008, p. 54-57. Des orientations sem-blables peuvent être lues entre les lignes d’Español, 2005, p. 227 (particulièrement dans le paragraphe final).

moins de cinq images de la Vierge, dont trois indiquaient clairement un axe princi‑pal (iter), les deux autres marquant à la fois, et de façon très puissante, le caractère marial du sancta sanctorum de l’église (locus). Puis, en regardant le mobilier lui‑même (le pour‑tour d’autel, le retable), tout comme les vi‑traux plus haut, on pouvait suivre des itinera narratifs dominés par l’horizontale ; tandis que, en un sens plutôt vertical et centripète, le baldaquin (plus visible) et le déambu‑latoire avec ses clés de voûte (qui l’étaient moins) configuraient un double entourage symbolique jalonné de présences célestes et toujours centré sur le Couronnement de la Vierge. Les regards croisés étaient abon‑dants et pouvaient créer de remarquables ré‑sonances : les Vierges en Majesté des tables d’autel antérieure et postérieure, et celles du retable (dont deux debout) ; le vitrail central et l’ensemble sculpté des piliers du chœur, deux scènes de l’Annonciation unies en axe est‑ouest ; enfin, verticalement, le surplomb des deux Couronnements (ou trois, si l’on ajoute la table latérale de l’autel). Malgré les deux images ajoutées sur le retable, malgré la fonction probable d’ex‑voto de la plus moderne et malgré la légende dont la plus ancienne était accompagnée, on ne trouve pas de traces d’une dévotion marquée à une des Vierges de l’ensemble du maître‑autel, comme l’on aurait pu s’y attendre dans un contexte bas‑médiéval103. Par contre, l’en‑semble du chevet de Gérone, très significatif en tant que cadre liturgique et symbolique, montrait une importante richesse en ni‑veaux de lecture possibles, une remarquable dynamique multiple, une foisonnante réso‑nance mariale du lieu sacré qui pivotait sur la multiplication d’images de la Vierge.

103. L’approche dévotionnelle à une image de la Vierge était probablement déplacée vers les cloîtres, comme nous allons le voir.

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DU PORTAIL (OU DU CLOÎTRE) À L’AUTEL : DES VIERGES VOYAGEUSES

Si l’exemple du sanctuaire de Gérone montre des dialogues entre une pluralité d’images mariales en différents formats artistiques, supports et matériaux (relief et ronde‑bosse en bois, en métal ou en pierre, vitrail), d’autres exemples peuvent montrer, à l’inverse, la mobilité d’une seule image et sa capacité à catalyser des activi‑tés liturgiques ou dévotionnelles, que ce soit dans le cadre, en principe plus hono‑rable d’un autel ou, presque avec la même force, dans des positions étroitement liées à l’architecture, souvent en contextes limi‑trophes. Cette capacité peut expliquer non seulement des déplacements vers un autel, mais aussi d’autres mouvements en sens contraire.

C’est peut‑être le cas d’une belle image récemment restaurée à l’église paroissiale de Santa Maria del Pi, au cœur de la Barcelone gothique [ill. 16]. L’image, assez endom‑magée par les intempéries et le vandalisme durant la Guerre civile, présidait, jusqu’il y a peu de temps, le portail occidental de l’église. Mais un regard attentif sur sa disposition dans ce cadre révèle une mau‑vaise adaptation de la sculpture à celui‑ci : l’image, trop petite, a dû être surhaussée à une certaine époque. On avait déjà remar‑qué l’excellente qualité artistique de cette Vierge104, très supérieure à celle du reste du décor sculpté de la façade. De plus, les travaux de restauration ont montré que le type de pierre de cette Vierge (une pierre de Vilaseca ou du Vallès, semblable à celle mieux connue de Vinaixa) est différent de celui de la façade et de son décor (en pierre de Montjuïc). Il s’agit d’une pierre plus tendre qui, en lien avec un traite‑

104. Ainaud ; Gudiol ; Verrié, 1947, p. 111.

ment sculpté de grande qualité, reçut une finition polychrome aussi très soignée105. Tout ceci permet de penser à une locali‑sation originale de l’image à l’intérieur

105. Je remercie mon ami Jordi Sacasas, Conservateur à la basilique del Pi, Albert Cortés et la restauratrice Cristina Martí de la communication de ces données.

ill. 16 -Santa Maria del Pi, Barcelone, ca. 1350.

a) position sur le tympan occidental (photo avant 1936),

b) état actuel, détail (la tête de l’Enfant est moderne). Basílica

Parroquial de Santa Maria del Pi.

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de l’église. Aussi pour son encadrement stylistique, l’on pourrait voir une corres‑pondance entre cette statue et la mention en 1358 de l’image du maître‑autel parois‑sial que nous avons citée plus en amont106. L’image et son retable furent remplacés par une nouvelle installation, soit à l’occasion de la construction d’une crypte vers 1550 ou, plus probablement, lors du renouvelle‑ment total du retable après la destruction du maître‑autel en 1714107. Une position très visible sur le tympan de la façade ouest de l’église pourrait avoir constitué, à cette époque, une solution assez honorable pour une image visuellement bien connue par des paroissiens.

D’autres exemples de déplacements de ce type peuvent se trouver dans des lieux particulièrement propices à l’expression dé‑votionnelle mariale : les cloîtres. L’existence d’une Vierge des Cloîtres (ou d’un autre vo‑cable similaire ou particulier) dans plusieurs cathédrales et abbayes catalanes – comme ailleurs – constitue un fait bien connu108. Nous avons vu qu’une entrée du cloître de la cathédrale de Vic, depuis la nef de l’église Saint‑Pierre, était présidée, au XVe siècle, probablement depuis un certain temps, par une image en provenance d’un autel. Celle‑ci finit par occuper, le dessus d’un autre autel109. De même, l’ostium Beate Marie au coin nord‑est du cloître de Sant‑Cugat del Vallès est toujours orné d’une image en stuc, probablement du XVe siècle, qui a pu être déplacée dans son cadre Renais‑

106. Madurell, 1950, p. 14-15, doc. 8. Le document parle d’une image évoquée comme modèle pour des sculptures en bois, mais ceci n’oblige pas à en déduire que le modèle était lui-même taillé en bois.107. Le retable commandé en 1508 remploya les images de la Vierge et des saints Pierre et Paul appartenant au retable gothique, Vergés, 1992, p. 72-75.108. Crispí (2000, p. 188-192) cite pour le XIVe siècle les cas de Solsona, Lleida Vallbona de les Monges, Santes Creus, Tarra-gone et Gérone.109. Gudiol, 1897 (1982), p. 45-47.

sance actuel, bien que sa disposition d’ori‑gine était peut‑être déjà la même [ill. 17]. C’était en tout cas le lieu d’une des stationes dans la procession funéraire des moines telle que nous la décrit le coutumier de 1218110. Une autre Vierge en stuc récemment découverte au cloître de Ripoll pourrait être le témoin d’un déplacement [ill. 18].

110. Auladell, 1998, p. 360-361 ; Sureda, 2012.

ill. 17 - Notre-Dame « la Grossa », au cloître de l’abbaye St Cugat

del Vallès, XVe s. (?). Museu de Sant Cugat.

ill. 18 - Notre-Dame du Cloître, cloître de l’abbaye Sainte-Marie de

Ripoll, moitié XIIIe s. Generalitat de Catalunya, Direcció General del

Patrimoni Cultural.

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Datée peut‑être du milieu du XIIIe siècle, elle ornait le tympan de la porte d’accès à l’ancien réfectoire de l’abbaye, pièce qui marquait la limite méridionale du cloître ripollais. Lors de la construction d’une nouvelle porte plus à l’ouest, au cours du XVIe siècle, l’ancien accès roman fut muré. Il est probable qu’à l’occasion de ces modi‑fications, on ait voulu détacher la Vierge en stuc pour la déposer ailleurs, sur la nouvelle porte (comme peut‑être à Sant‑Cugat) ou même sur un autel ; cependant, la fragili‑té du matériau ne le permettant pas, on a dû abandonner cette idée. Ceci aurait été le signe d’un grand intérêt pour l’image peut‑être pour des raisons liturgiques et dévotionnelles. Quoiqu’il en soit, cette pos‑sibilité expliquerait très bien la raison pour laquelle cette image a été découverte dans un état si fragmentaire et, en même temps, pourquoi nombre de fragments détachés se trouvaient inclus dans la maçonnerie qui murait l’ancienne porte et son tympan111. Ces deux derniers cas de Sant‑Cugat et de Ripoll, tous les deux en milieu bénédictin, nous parlent de la richesse de fonctions de ces images mariales dans le cloître, bien au‑delà du simple décor. Si, dans un monastère voué à sant Cugat, l’image de la Vierge a fait l’objet d’une considération liturgique remarquable, c’est d’autant plus vrai pour une statue semblable placée au milieu de la galerie sud du cloître de l’abbaye Sainte‑Marie de Ripoll.

Or, l’exemple le plus clair en ce sens nous est fourni par une image voyageuse qui nous renvoie à la cathédrale de Gé‑rone et qui nous mènera, par une petite incursion, jusqu’au XVIe siècle. L’image de Notre‑Dame de Bell‑ull i Gràcia, jadis Notre‑Dame des Cloîtres [ill. 19], fut sculptée vers 1270 par Maître Bartomeu

111. Une première approche de cette image, Sureda, 2012.

dans l’ensemble funéraire du chanoine, sacristain et archevêque élu Guillem de Mont grí. Cette ambitieuse œuvre associait le tombeau du prélat au renouvellement de la porte d’accès au cloître depuis l’église, chargée dès lors d’un puissant message symbolique qui exprimait la dévotion ma‑riale du défunt, le tout, de plus, caracterisé par des traits stylistiques et typologiques apparentés au gothique rayonnant, ainsi présent pour la première fois en Catalogne. La Vierge, accompagnée de deux anges cé‑roféraires, fut placée sur le tympan de cette porte, et vers 1360, elle marquait le lieu d’une statio lors de la procession claustrale préalable à la grande messe de l’Annon‑ciation (25 mars). La disposition origi‑nale de cette image de la nouvelle Ève ne manquait pas d’éléments de dialogue, car elle se trouvait en face du relief roman du cloître où l’histoire de l’ancienne Ève et du péché originel était racontée112 [ill. 20a].

112. Description, contexte et interprétation de l’ensemble dans Sureda, 2010.

ill. 19 - Notre-Dame de Bell-Ull, cloître de la cathédrale de Gérone,

1273, © Catedral de Girona, photo : Josep M. Oliveras.

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Ce qui maintenant nous intéresse davan‑tage, c’est la vie ultérieure de cette image. À partir de cet usage éminemment litur‑gique, il semble que la Vierge aurait pu susciter une certaine dévotion car, lorsque la porte fut murée à cause de l’avancée de la construction de la nef unique de la cathé‑drale, on réutilisa l’espace pour y organi‑ser une petite chapelle dédiée à la Vierge des Cloîtres, dans laquelle le sacristain se‑cond, Joan Pellicer, fonda une chapellenie en 1442 (ou 1462) [ill. 20b]. Cette fonda‑tion fut probablement accompagnée de la commande d’un nouveau retable, attribué au peintre Ramon Solà II, dont il ne reste aujourd’hui que le panneau central avec la Vierge à l’Enfant et la partie inférieure du Calvaire113 [ill. 21].

113. Idem, p. 224-225, note 20. Pour l’identification de Joan Pellicer et son legs d’un calice d’argent pour la chapelle, ACG, Repertori per Alfabètic, I, f. 157v, et ADG, Visites Pasto-rales, vol. 147, f. 78r (visite 1470).

ill. 20 - Positions et dédoublements de Notre-Dame de Bell-ull.

a) ca. 1300, b) ca. 1470, c) 1532,

1. frise du péché originel du cloître, fin XIIe s.,

2. image de la Vierge de Bell-ull,

3. enfeu de Guillem de Montgrí, ca. 1273,

4. chapelle « ancienne » et retable gothique de Notre-Dame des

Cloîtres, aménagée vers 1440-1460,

5. chapelle « nouvelle » de Notre-Dame des Cloîtres, aménagée

en 1531-1532,

6. portail Saint-Michel.

Dessin : auteur.

ill. 21 - Panneau central de l’ancien retable de Bell-ull, atribué à

Ramon Solà I ou II, TCG 4, ca. 1450. © Catedral de Girona, photo :

Josep M. Oliveras.

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Vers 1500, donc, la Vierge des Cloîtres était figurée en double : sur le retable et sur le tympan de l’ancienne porte, en formant un tout coordonné plus modeste que celui du maître‑autel. Pourtant, l’image en pierre des Cloîtres devait continuer à faire l’objet d’une dévotion remarquable. En 1531 l’évêque Guillem Boïl décréta son transfert dans l’ancien réfectoire de la cathédrale, de‑venu dès lors la nouvelle chapelle de Notre‑Dame de Cloîtres114 [ill. 20c]. En ce cas donc, le déplacement fut à l’origine d’un dédoublement non seulement des images, mais aussi des autels et même des chapelles, ce qui permettait à la fois la multiplication des chapellenies associées.

La Vierge sculptée, qui avait été créée pour l’ensemble mémorial de Guillem de Montgrí, fut ainsi réutilisée, deux siècles et demi plus tard, dans l’aménagement d’un nouvel ensemble cultuel, dévotion‑nel et aussi mémoriel, parce qu’il incorpo‑rait à nouveau un enfeu, celui de l’évêque Boïl († 1532). Là, l’image acquit tous les attributs d’une Vierge d’autel, incluant des manteaux et des couronnes115. Autant pour Mont grí que pour Boïl, donc, bien qu’en partie pour des raisons d’opportu‑nité topographique, la Vierge des Cloîtres du maître Bartomeu était capable de susci‑ter plus de dévotion que l’image cultuelle romane, toujours placée dans le com‑plexe réseau iconique du maître‑autel. Et l’évêque Boïl n’était pas le seul à en appré‑

114. « Deinde dicto die et incontinenti suam continuando visitationem ad alios atque non divertendo accessit per-sonaliter ad altare capelle beate Marie de novo construc-tum in reffetorio veteri, in latere claustrarum dicte sedis, inquoquidem altari imago beate Marie virginis que super capellam altaris beate Marie claustrarum dicte sedis stare solebat per dictum Reverendum Dominum Gerundensem Episcopum, cum consilio et voluntate sui honorabili Capi-tuli dicte Sedis, nuper translata et portata fuit, et prius per eum in dicto altari missa cum devotione condita ». ADG, Visites pastorales, vol. 149, f. 144r (visite 1532).115. Marquès, 1988.

cier les vertus. Le transfert de la statue oc‑casionna des plaintes de la part des fidèles, attachés à une dévotion déjà qualifiée de séculaire. En 1539, les chanoines durent les tranquilliser en affirmant que l’autel et l’image peinte sur le retable de l’ancienne chapelle étaient également dignes de leur dévotion116. Toutefois, la réponse ne devait pas être très convaincante car, un ou deux siècles plus tard, l’image retourna sur son tympan original, où l’on peut la voir encore de nos jours117.

Tandis que l’image romane en bois, jadis sur le maître‑autel, est aujourd’hui conser‑vée au Trésor de la Cathédrale, l’ancienne image de la Vierge des Cloîtres, après un parcours au travers des siècles un peu mou‑vementé, conserve toujours une indubi‑table importance au niveau de la dévotion populaire. Elle remplit au long des siècles, en un certain sens, le manque d’attraction dévotionnelle que l’on semble détecter dans le cas des images placées autour du maître‑autel, à la connotation plus liturgique et symbolique. Dans son lieu d’origine, au tympan de l’ancienne porte‑chapelle du cloître, la Vierge de Bell‑ull i Gràcia préside chaque année, le 8 septembre, la tradition‑nelle messe accompagnée de la bénédiction des herbes aromatiques, une célébration ancestrale capable de réunir encore, dans la cathédrale, un grand nombre de personnes attachées à cette dévotion. La senteur du romarin et du basilic à peine coupés, à la douce lumière d’un crépuscule de sep‑tembre : aimable entourage sensoriel pour saisir, aujourd’hui comme il y a sept siècles, les potentialités d’une image de la Vierge à l’Enfant en son lieu.

116. ACG, Actes capitulaires, vol. 7, f. 106v-107r.117. Marquès, 1988.

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