les ingrédients dans les prescriptions médico-magiques égyptiennes

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Frédéric Rouffet 23 u n passage de l’Enseignement pour Mérykaré précise que "c’est pour [les hommes] qu’il (= le dieu créateur) a créé la magie (hékaou) en tant qu’arme destinée à repousser un coup du sort" 1 . Le rituel magique est donc perçu comme permettant de lutter contre un mal extra-ordinaire. pour ce faire, le magicien pratique un rituel précis nécessitant la récitation d’une formule à laquelle s’ajoute un acte pratique qui consiste en une prescription dite "médico-magique", dans laquelle on rencontre des ingrédients spécifiques. ceux-ci se présentent sous divers aspects (minéral, végétal, etc.) ou états (solide, liquide, etc.) et peuvent subir une ou plusieurs préparations (cuisson, pul- vérisation, etc.). Sans pour autant dresser une liste exhaustive des ingrédients utilisés en contexte médico- magique, nous en observerons les catégories prin- cipales avant de nous interroger sur leur importance mythologique et pratique. LeS INGrédIeNtS dANS LeS preScrIptIONS MédIcO-MAGIqueS éGyptIeNNeS fig 1 Séhaqeq, un démon dont on nous dit qu'il "mange ce qui résulte de sa subsistance". Ostr. Leipzig 5251, recto (d'après J. Černy, A.H. Gardiner, Hieratic Ostraca I, Oxford, 1957, pl. III-IIIA [1]).

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Frédéric Rouffet 23

un passage de l’Enseignement pour Mérykaréprécise que "c’est pour [les hommes] qu’il(= le dieu créateur) a créé la magie (hékaou)

en tant qu’arme destinée à repousser un coup du sort" 1.Le rituel magique est donc perçu comme permettantde lutter contre un mal extra-ordinaire. pour ce faire,le magicien pratique un rituel précis nécessitant larécitation d’une formule à laquelle s’ajoute un actepratique qui consiste en une prescription dite"médico-magique", dans laquelle on rencontre desingrédients spécifiques.ceux-ci se présentent sous divers aspects (minéral,végétal, etc.) ou états (solide, liquide, etc.) et peuventsubir une ou plusieurs préparations (cuisson, pul-vérisation, etc.). Sans pour autant dresser une listeexhaustive des ingrédients utilisés en contexte médico-magique, nous en observerons les catégories prin-cipales avant de nous interroger sur leur importancemythologique et pratique.

LeSInGrédIentS

dAnS LeS preScrIptIOnSmédIcO-mAGIqueS

éGyptIenneS

f ig 1

Séhaqeq, un démon dont on nousdit qu'il "mange ce qui résulte desa subsistance". Ostr. Leipzig5251, recto (d'après J. Černy,A.H. Gardiner, Hieratic Ostraca I,Oxford, 1957, pl. III-IIIA [1]).

Frédéric Rouffet24

Les ingrédientsOn peut distinguer différents groupes d’ingrédients. nous nous écartons ici des classificationsgénéralement admises qui ne recensent que des éléments issus des mondes végétal, minéralet animal en y ajoutant une catégorie spécifique : celle des produits de nature anthropique,qui, par définition, ne se trouvent pas en milieu naturel 2.Les végétaux. Le praticien utilise souvent des fragments de végétaux dans ses remèdes.cependant, comme le fait remarquer à juste titre J.F. nunn, "La pharmacopée del'égypte ancienne comprend des centaines de produits, dont la majeure partie ne peutêtre traduite" 3, observation particulièrement adaptée au monde végétal égyptien pourlequel notre connaissance est loin d’être complète. Si de nombreuses études ont été menéesafin d’identifier les espèces endémiques  4, nous constatons que beaucoup de noms deplantes nous restent encore inconnus et qu’il nous est souvent impossible d’associer unvocable égyptien à son équivalent français.quelques plantes, arbustes ou arbres comptent cependant parmi les espèces dontl’identification est assurée, c’est par exemple le cas de l’acacia nilotica (SnD.t), du sycomore (nh.t),du pin parasol (aS), ou encore du figuier (dAb).entre autres, dans le pap. Budapest mFA 51.1961, les prescriptions nécessitent, pour lamoitié d’entre elles, la partie matet du jonc (sw.t) associée à d’autres éléments, l’ensembledevant être placé sur la tête du patient."paroles à dire 4 fois sur la partie matet du jonc et sur le dessus d’un fil que l’on aura nouéde 4 nœuds. On récitera cette formule sur chacun des nœuds placés à la tête de l’homme :cela anéantira l’adversaire, l’être vil, le mort ou la morte qui use de son influence dans la tête(ou) dans une quelconque partie du corps. Véritablement efficace un million de fois"(pap. Budapest 51.1961 [2], ro 2, 4-6) 5.

n.B. : Les parties en gris dans les textes hiéroglyphiques

et dans les traductions correspondent aux parties

écrites à l’encre rouge par les scribes.

f ig. 2

pap. Budapest mFA 51.1961, ro 2 (d’après L. Kákosy,

op. cit., p. 315).

LeS InGrédIentS dAnS LeS preScrIp tIOnS médIcO-mAGIqueS 25

Les matières premières. Leur identification est plus aisée 6. On peut distinguer dans ce groupeles roches et minéraux – pierre (jnr), ocre rouge (mnS.t), argile (sjn) –, les pierres semi-pré-cieuses – hématite (ddj.t), turquoise (mfkA.t), cornaline (Hrs.t) – et les métaux précieux – argent,or. Le magicien n’utilise jamais ces ingrédients bruts et les travaille toujours. Outre la pulvérisa-tion qui reste la transformation la plus courante, il réalise parfois un objet spécifique lié auxbesoins du rituel qu’il désire mener à bien. L’argile est ainsi utilisée pour fabriquer des billes(bnn.wt – pap. Leyde I 348 [12], ro 6,3), une statuette (rpj.t – pap. Leyde I 348 [20], ro 12,4),un nain (nmj – pap. dem I [4], vo 5,2), un ibis (hbj – pap. Londres Bm eA 10059 [32], ro

10,5), un crocodile (msH – pap. chester Beatty V, vo 4, 5-6) ou encore un œuf (swH.t – pap.Londres Bm eA 10042 [K], ro 6,12) 7. ce travail d’une matière première n’est pas inconnupuisque les contes du papyrus Westcar mettent en scène, par exemple, un prêtre ritualiste enchef appelé Oubainer qui, ayant été averti que sa femme le trompait, façonne un crocodile decire qui prend vie et emporte dans les profondeurs de l’onde l’amant adultère 8.La formule pap. Londres Bm eA 10059 [7] (ro 3, 5-6) fournit, à titre d’exemple, la prescrip-tion suivante : "une autre : minéral pesedj, ocre rouge, sel du nord, fruits de la caroube, verserdans de la bière douce".

Les ingrédients d’origine animale. Le magicien utilise régulièrement des parties du corps d’ani-maux dans ses prescriptions, le plus souvent en lien avec un aspect mythologique – nous yreviendrons. À de rares exceptions près, la grande majorité des noms d’animaux égyptiensnous est connue 9.ces animaux peuvent être domestiques – chat (mjw), cochon (SAj), âne (aA) – ou sauvages dansle cas du crocodile (msH), du serpent (HfAw) ou encore du scorpion (DAr.t/wHa.t). de même, lescomposants dont le ritualiste a besoin sont variés  : liquides (sang, urine, crachat, lait),excréments, partie visible du corps (griffe, crin, poils, peau) ou interne à celui-ci (foie, langue,poumon, etc.)."paroles à dire sur le dessus d’une serre de faucon et d’une carapace de tortue. calcineret placer dans l’huile (puis) oindre au plus profond des blessures de l’homme afin quen’advienne à son encontre aucune chose mauvaise ou néfaste. Véritablement efficace unmillion de fois" (pap. Leyde I 348 [14] (ro 9, 7-8) 10.

Les produits anthropiques. Sont regroupés sous ce terme les boissons – vin (jrp), bière (Hno.t) –et aliments – miel (bj.t), huile (mrH.t), vinaigre (pAwr). La plupart des procédés concernant lafabrication de ces produits nous sont bien connus, notamment à travers les représentations destombes de l’Ancien empire."paroles à dire sur une image d’Atoum-Horus-Hékénou, une statuette d’Isis et une imaged’Horus dessinée de la main du patient et léchée par un homme. Faire de même sur unebande de lin paqet placée sur le patient, à son cou. c’est une herbe, l’herbe du scorpion ouhât :broyer avec de la bière ou du vin et à boire par celui qui a été piqué par un scorpion djaret.c’est ce qui tuera le venin, véritablement efficace, un million de fois" (Historiola d’Isis et Rê –pap. turin cG 54051 [4], ro 5, 2-5) 11.

Frédéric Rouffet26

Le magicien emploie donc majoritairement des produits que l’on pourrait qualifierd’"usuels" en ce sens qu’il est relativement aisé de se les procurer. ceux-ci ne sont pas pourautant choisis au hasard.

Pourquoi ce choix d’ingrédients ?Si la plupart des ingrédients utilisés dans les prescriptions médico-magiques semblentbanals à nos yeux, certains sont plus surprenants. d’autres encore posent la question de lapotentielle guérison du patient. Il est donc légitime de se demander quelles sont les raisonsqui ont poussé le magicien à utiliser tel ou tel ingrédient. plusieurs motifs peuvent alors êtreinvoqués.

f ig. 3

pap. Leyde I 348, ro 9 (d’après J.Fr. Borghouts,

op. cit., pl. 9).

LeS InGrédIentS dAnS LeS preScrIp tIOnS médIcO-mAGIqueS 27

- L’analogie. Le choix de l’ingrédient s’effectue en fonction de la partie du corps touchée parla maladie. Il semble alors jouer le rôle de "substitut" de l’élément qui fait défaut chez lepatient, aidant, de fait, à son rétablissement. dans une formule pour lutter contre un problè-me oculaire et repousser l’action d’un mort ou d’une morte, la prescription indique : "parolesà dire sur des yeux de vautour, des yeux de crocodiles […], du minéral-saour et du fard vert.chauffer et placer sur les yeux" (Ostr. dem 1062)  12. pour reprendre un lieu commun desétudes sur la magie, le semblable agit en faveur du semblable.

- Le motif mythologique. c’est le plus courant. L’égypte nous a livré un grand nombre demythes ou de thèmes mythologiques auxquels le ritualiste fait référence afin d’atteindre sonbut. dans le cas des textes magiques, le thème le plus souvent mis en relief est celui dujeune Horus touché par un mal et guéri par sa mère Isis, bien que celle-ci soigne égalementle dieu rê dans l’historiola les mettant en scène. de fait, la prescription de cette dernière formule prend la forme suivante : "paroles à dire surune image d’Atoum-Horus-Hékénou, une statuette d’Isis et une image d’Horus dessinée<de> la main du patient et léchée par un homme. Faire de même sur une bande de lin paqetplacée sur le patient, à son cou" 13. Les trois divinités principales de l’historiola sont invoquéesdans la prescription : le dieu rê sous l’un de ses noms, la déesse Isis et son fils Horus auquelelle a pour mission de transmettre ses connaissances. Le texte ajoute : "c’est une herbe, l’herbe duscorpion-ouhât : broyer avec de la bière ou du vin et à boire par celui qui a été piqué par unscorpion-djaret", élément qui renvoie à une médication analogique d’une herbe spécifiquement liéeau scorpion, à la fois par le nom et sa capacité à soigner ceux qui ont été piqués.

f ig. 4

pap. turin cG54051, ro 5 (d’après .A. roccati, op. cit., p. 71)

Frédéric Rouffet28

dans le cas d’un passage du pap. Londres Bm eA 10059 14, la formule fait mention destesticules tranchés de Seth, rappel de son combat contre le jeune Horus protecteur deson père. La fin du texte prend la forme suivante : "paroles à dire sur un phallus d’âneen érection fait en gâteau depet et inscrit du nom de l’adversaire, du nom de son père etdu nom de sa mère qui sera placé dans le gras (d’un morceau) de chair et donné à unechatte". Or, l’âne est un animal séthien : l’adversaire est donc associé à Seth et c’est en leprivant de l’une de ses principales capacités – la vigueur sexuelle – qu’on s’attaque à lui,faisant de plus appel à un chat, animal qui n’est pas sans rappeler la représentation dudieu rê en tant que grand chat d’Héliopolis 15.enfin, notons également que le dieu Seth n’est pas toujours perçu comme lié à l’adver-saire et, à l’instar de son rôle de protecteur dans la barque solaire, il peut venir en aide auritualiste dans sa lutte contre son adversaire. Il est ainsi recensé dans les listes anato-miques de protection du corps du patient ou invoqué avec d’autres divinités comme c’est,par exemple, le cas dans le pap. chester Beatty V  : "Ô rê, Ô Atoum, Ô chou, Ôtefnout, Ô Geb, Ô nout, Ô Anubis qui préside au sanctuaire divin, Ô Horus, Ô Seth,Ô [Isis], Ô nephthys, Ô Grande ennéade, Ô petite ennéade. Venez et contemplezvotre père qui est entré vêtu de faïence pour [voir] l’émissaire de Sekhmet. Vous viendrezdonc pour conjurer l’adversaire, l’être vil, le mort, la morte, l’opposant, l’opposante [qui setrouve] dans le visage d’untel né d’unetelle" 16.Ainsi, la grande variété des thèmes mythologiques et les nombreuses interactions pos-sibles entre les divinités permettent au magicien de s’associer ou de s’opposer à une ouplusieurs divinités selon le mal auquel il est confronté.

- Le motif empirique. de nombreux ingrédients sont connus pour leurs capacités curativesdepuis l’Antiquité. de fait, en observateurs scrupuleux, les égyptiens avaient mis enévidence certaines d’entre elles. Ainsi ont-ils su exploiter les vertus antiseptiques etcicatrisantes du miel. un grand nombre de formules magiques destinées à lutter contredes brûlures vont ainsi en ce sens 17. d’autres formules encore, destinées à guérir un malidentique, associent miel et lait ou encore le miel et un corps gras (graisse, huile, etc.).L’égypte ancienne ne nous a pas légué de "traité des simples", mais les prescriptionsrévèlent une recherche empirique sur certains ingrédients. Serge Sauneron indiquaitainsi que "des rapports d’ordre mythologique pouvaient expliquer le choix des animaux(…)" mais d’autres facteurs moins extérieurs ont pu jouer également. c’est ainsi que labile est, paraît-il, un produit qui neutralise le venin" 18. L’auteur note également qu’ilexiste des espèces végétales dont l’odeur repousse les serpents et qu’au sein du Traitéd’ophiologie, l’oignon apparaît régulièrement dans les prescriptions 19.

Le motif "pratique". À la lecture de diverses médications, il semble évident que certainsingrédients n’étaient pas employés uniquement pour leurs capacités curatives. prenonsl’exemple du pap. Londres Bm eA 10059 [49] : "Autre remède créé pour une brûlurequi se putréfie : déchets de cuivre, fard vert, fruit péret-chény, encens frais, cumin, ocrejaune, partie khépa de genévrier, cire, camphre (?), grains de résine (?), myrrhe […], miel,broyer en un seul élément et oindre de cela" 20.

LeS InGrédIentS dAnS LeS preScrIp tIOnS médIcO-mAGIqueS 29

La liste des ingrédients met en évidence que la plupart d’entre eux devaient se présenter, unefois broyés, sous forme de poudre. On comprend alors la difficulté pour le magicien d’oindreson patient sans l’apport d’un élément qui jouerait le rôle de liant : c’est ici la fonction du miel.Son action au sein de la présente médication est donc triple : antiseptique, cicatrisante et lian-te. une étude précise de l’ensemble des prescriptions pourrait sans nul doute apporter de nou-velles informations concernant d’autres ingrédients.On constate ainsi que la guérison d’un malade s’appuie sur un acte tant oral que pratique, maiségalement sur la combinaison de deux actions : l’une concrète, agissant directement sur le malà travers des ingrédients précis, et l’autre plus conceptuelle, luttant contre le mal grâce à l’aidede divinités.

f ig. 5

pap. chester Beatty V, vo 4(d’après . A.H. GArdIner, op. cit., pl. 28)

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Les prescriptions étaient-elles efficaces ?La question de l’efficacité de telles prescriptionsmérite d’être soulevée. dans certains cas, commenous l’avons vu avec l’exemple du miel appliqué surune brûlure, on peut aisément arguer que le traitementétait efficace et la guérison du patient complète.dans le cas d’ingrédients employés analogiquement,on peut douter de la pertinence de leur utilisation.enfin, dans quelques cas, de sérieux doutes pèsentsur le traitement. Ainsi, pour "repousser le sang", ilest conseillé d’enfoncer une perle de cornaline dansles fesses d’une femme 21.d’autres part, que penser de la prescription de la for-mule pap. turin cG 54050 [3] : "On dira cette for-mule sur des excréments de crocodile, des excrémentsde lion, des excréments de chien, des excrémentshumains, des excréments de porc, des excréments debélier, des excréments de petit out (?) d’âne, desexcréments de serpent, de la graisse de sout, du crinde la queue d’un âne noir  (?). Broyer finement etconfectionner en une masse homogène (puis) fumi-ger l’homme avec cela 4 fois" 22 ? malgré l’absence del’énoncé-titre initial qui aurait pu donner une indica-tion concernant le mal affectant le patient, on peutlégitimement se demander si un tel remède a pu, unjour, être efficient.Les rédacteurs de textes magiques ont pourtant par-fois affirmé en fin de formule que celle-ci était, selonl’expression, "véritablement efficace, un million defois" (Ss-mAa HH n(y) sp) 23. une telle indication incite àse demander s’il ne s’agit pas d’un remède souventprescrit et dont l’efficacité aurait pu être prouvée parplusieurs cas cliniques de manière empirique.

Où se déroulait le rituel médico-magique ?La dernière question soulevée est celle d’un lieu où lemagicien égyptien aurait pu exercer son office. eneffet, on peut se demander où le praticien soignait sesmalades et s’il disposait d’une sorte d’"officine" pource faire.cette hypothèse repose sur un passage de la

formule pap. turin cG 54051 [2] où le ritualisteprononce le texte suivant  : "Le venin était en joieaprès avoir fait souffrir la conscience de la foule maisHorus l’a tué de sa magie hékaou ; ainsi, l’inconscientse réjouit. Lève-toi donc toi qui es endormi carHorus t’a accordé la vie ! celui qui est venu en étantporté sortira ainsi de lui-même après qu’Horus aurarendu inoffensives ses morsures et quiconque obser-vant rê (i.e. "tous les hommes") remerciera le filsd’Osiris. puisses-tu t’en retourner, serpent bitchet carton venin, qui est dans chacune des parties du corpsd’untel né d’unetelle, a été conjuré. Vois, la magiehékaou d’Horus est devenue forte contre toi ! écou-le-toi, venin, viens à terre !" 24.plusieurs éléments doivent être mentionnés. toutd’abord, la formule traite d’un homme qui a été piqué(ou mordu) par un animal venimeux et que l’on doitguérir. celui-ci est désigné tour à tour par les termes"inconscient" et "endormi". La formule indique deplus qu’il "est venu en étant porté", c’est-à-dire quequelqu’un l’a amené auprès du magicien  25. cetteinformation est l’unique élément, au sein de la litté-rature magique, qui pourrait laisser penser que le pra-ticien disposait d’un lieu de travail. cela est confirmépar la suite du texte qui précise qu’une fois guéri,l’homme "sortira de lui-même", opposant de fait sonétat premier, caractérisé par une grande faiblesse, à uneissue positive : une fois le patient remis sur pied, celui-ci quitte l’endroit dans lequel il était en voie de guérison.Si l’on ajoute à cela que le titre désignant le magicienau sein des contes est celui de "prêtre ritualiste enchef" (Xry-Hb.t Hry-tp), on peut émettre l’hypothèsequ’un tel lieu de travail devait se situer dans ou àproximité d’un temple. en cas de maux bénins, leségyptiens disposaient donc d’un lieu de consultationoù se rendre afin que leur cas soit examiné. Il est pos-sible d’envisager alors qu’en cas de blessure graveengageant le pronostic vital du patient, le praticien serendait à son chevet ou à l’endroit de l’accident.

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L’étude du rituel médico-magique et de chacun deséléments le composant en est encore à ses débuts. Ilne s’agit ici que d’un bref aperçu de ce type de textes,mais il est évident qu’une étude d’ensemble devraêtre entreprise. dresser la liste exhaustive des ingré-dients, tenter d’en déterminer la nature et les pro-priétés et déterminer les raisons de l’emploi de tel ou

tel ingrédient au sein des prescriptions médicalessont autant de sujets qu’il faut désormais aborder.cependant, il est déjà possible de constater que der-rière des rites qui semblent parfois étranges à nosyeux, se dissimulent les témoignages d’une cultureriche dont le savoir empirique se révèle plus étenduqu’on aurait pu de prime abord l’imaginer.

LeS InGrédIentS dAnS LeS preScrIp tIOnS médIcO-mAGIqueS

nOteS1 J.F. quAcK, Studien zur Lehre für Merikare, GOF 23, 1992, p. 78-81 et 198 [136-137].2 Voir entre autres p. GHALIOunGuI, La médecine des pharaons, paris, 1983, p. 182-190 ; J.F. nunn, AncientEgyptian Medicine, BMP, 1996, p. 144-162 et p.A. dA SILVA VeIGA, Health and Medicine in Ancient Egypt,BAR International Series 1967, 2009, p. 61-63 pour les trois catégories usuelles d’ingrédients. d’autres auteursregroupent l’ensemble des éléments sous une seule division : H. VOn deIneS, H. GrApOW, Wörterbuch derägyptischen Drogennamen, Grundriss der Medizin der alter Ägypter VI, Berlin, 1959 et th. BArdInet, Les papyrusmédicaux de l ’Égypte pharaonique, paris, 1995, p. 567-583 (index).3 "the ancient egyptian pharmacopoeia included hundreds of items, many of which cannot be translated" :J.F. nunn, op. cit., p. 144.4 consulter G. cHArpentIer, Recueil de matériaux épigraphiques relatifs à la botanique de l ’Égypte antique,paris, 1981  ; L. mAnnIcHe, An Ancient Egyptian Herbal, BMP, 1989 ou encore S.H. Aufrère (dir.),Encyclopédie religieuse de l ’univers végétal. Croyances phytoreligieuses de l ’Égypte ancienne, 4 vol., OrMonsp 10,11, 15 et 16, 1999-2005.5 pour la publication de ce papyrus, voir L. KAKOSy, "ein magischer papyrus des Kunsthistorischen museumsin Budapest", StudAeg VII, 1981, p. 239-258.6 consulter à ce sujet l’ouvrage de S.H. AuFrère, L’univers minéral dans la pensée égyptienne, 2 vol.,BiEtud 105, 1991.7 Cf. J.Fr. BOrGHOutS, The Magical Texts of Papyrus Leiden I 348, OMRO 51, 1971 (pap. Leyde I 348)  ;J. Černý, Papyrus hiératiques de Deir el-Médineh I [Nos I-XVII], DFIFAO 8, 1978 (pap. dem I) ; chr. LeItz,Magical and Medical Papyri of the New Kingdom, HPBM 7, 1999 (pap. Londres Bm eA 10042 et 10059) etA.H. GArdIner, Chester Beatty Gift I. Texts & II. Plates, HPBM 3, 1935 (pap. chester Beatty V).8 Cf. B. mAtHIeu, "Les contes du papyrus Westcar  : une interprétation", EAO 15, 1999, p. 32 ;W.K.  SImpSOn, "King cheops and the magicians", dans W.K. Simpson (éd.), The Literature of AncientEgypt. An Anthology of Stories, Instructions, Stelae, Autobiographies, and Poetry, new Haven & Londres, 3e éd.,2003, p. 14-16.

Frédéric Rouffet32

9 consulter en général l’ouvrage de p. VernuS, J. yOyOtte, Bestiaire des pharaons, paris, 2005 ainsi que les articles dedimitri meeks consacrés au monde animal, récemment : "de quelques ‘insectes’ égyptiens. entre lexique et paléographie",dans z. Hawass, p. der manuelian, r.B. Hussein (éd.), Perspectives on Ancient Egypt. Studies in Honor of EdwardBrovarski, CASAE 40, 2010, p. 273-304 et id., "La hiérarchie des êtres vivants selon la conception égyptienne", dansA. Gasse, Fr. Servajean, chr. thiers (éd.), Et in Ægypto et ad Ægyptum. Recueil d’études dédiées à Jean-Claude Grenier,CENiM 5/III, 2012, p. 517-546.10 Cf. J.Fr. BOrGHOutS, op. cit., pl. 9-9A. 11 Cf. A. rOccAtI, Magica Taurinensia. Il grande papiro magico di Torino e i suoi duplicati, AnOr 56, 2011, p. 71.12 Cf. G. pOSener, Catalogue des ostraca hiératiques littéraires de Deir el Médineh, DFIFAO 1, 1938, p. 16 et pl. 34-34a.13 Cf. A. rOccAtI, op. cit., p. 71 et 167.14 p. Bm eA 10059 [26] = ro 9, 3-7, cf. chr. LeItz, Magical and Medical Papyri of the New Kingdom, HPBM 7, 1999,p. 68 et pl. 34.15 pour le lien entre l’âne et le dieu Seth, consulter W.A. WArd, "the hiw-Ass, the qiw-Serpent, and the God Seth",JNES 37, 1978, p. 23-34. L’image de la chatte n’est pas nouvelle en contexte magique puisqu’on la retrouve sur la stèlemetternich, notamment dans la 3e formule dans laquelle le dieu rê est la divinité invoquée pour guérir l’animal ; cf.c.e. SAnder-HAnSen, Die Texte der Metternichstele, AnAeg 7, 1956, p. 20-29 et J.p. ALLen, The Art of Medicine inAncient Egypt, MMA, 2005, p. 53-54.16 pap. chester Beatty V [2] : A.H. GArdIner, Chester Beatty Gift I. Texts, HPBM 3, 1935, p. 50-51 et id. II. Plates,pl. 28-28A. notons que Seth peut être présent seul dans les textes magiques et que le ritualiste va même jusqu’às’identifier à lui ; cf. pap. Londres Bm eA 10042 [t] (chr. LeItz, op. cit., p. 44 et pl. 19). 17 Il s’agit des formules p. Bm eA 10059 [35-56] (cf. chr. LeItz, op. cit., p. 73-78 et pl. 35-37) et p. Leyde I 348[37-39] (cf. J.Fr. BOrGHOutS, The Magical Texts of Papyrus Leiden I 348, OMRO 51, 1971, p. 33-34 et pl. 16-16A).18 S. SAunerOn, Un traité égyptien d’ophiologie. Papyrus du Brooklyn Museum Nos 47.218.48 et 85, BiGen 11, 1989, p.192.19 S. SAunerOn, op. cit., p. 201 et 203-205. certaines croyances populaires conseillent encore de nos jours, pour soignerune piqûre de guêpe, de frotter la plaie à l’aide d’un oignon coupé en deux.20 chr. LeItz, op. cit., p.76-77 et pl. 36-37.21 Cf. pap. Londres Bm eA 10059 [25] (chr. LeItz, op. cit., p. 67 et pl. 34). 22 A. rOccAtI, op. cit., p. 32-33 et 172.23 La formule pap. Londres Bm eA 10059 [32] précise même que la prescription est "efficace depuis l’époque denebmaâtrê (Amenhotep III)" (cf. chr. LeItz, op. cit., p. 70 et pl. 35).24 A. rOccAtI, op. cit., p. 68 et 165.25 notons qu’il s’agit du même verbe désignant le fait de "porter un sac, une charge".