l'activité évergétique des femmes sénatoriales. in epigrafia 2006, rome, 2008
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IntroductIon
Les activités publiques des femmes de l’ordre sénatorial sont multiples1. Celles qui sont de nature religieuse2 sont bien connues, des grands sacerdoces romains aux prêtrises locales, l’échelon provincial étant toutefois généralement omis. En Italie et dans les provin-ces, comme à Rome, avec l’apparition de la divinisation des femmes de la famille impériale, se mirent, en effet, en place des prêtrises féminines3 qui offrirent aux femmes romaines de nombreuses possibilités de manifestation publique complémentaires à celles que procuraient les sacerdoces municipaux, parfois importants4, et les associations féminines du type curia mulierum que l’Italie comporte5. Les femmes de l’élite pouvaient aussi être des «patronnes» de cité6 ou de collèges, ou même revêtir, en Orient, des «magistratures» particulières, comme la prytanie ou la gymnasiarchie7. Ces diverses fonctions publiques féminines conduisent tout naturellement vers une pratique qui exhaussait encore l’élite au-dessus de la mêlée du peuple:
1 raepsaet charlIer, Activités, 2005.2 raepsaet charlIer, Sacerdoces, 2005.3 Voir C. hayward, dans AA.VV., Femmes, 1998, pp. 117-130; hemelrIjk, Priestesses, 2005; hemelrIjk,
Priestesses, 2006; campanIle, Sacerdoti, 1994.4 Voir par exemple T. ZImmermann - R. FreI stolba, dans AA.VV., Femmes, 1998, pp. 91-116; G.
camodeca, dans AA.VV., Donna, 2005, pp. 163-182; F. maInardIs, dans AA.VV., Donna, 2005, pp. 335-351.5 Voir par exemple CIL, XI 1421; IG, XIV 760; CIL, X 688; AE 1964, 106; AE 1992, 244; hors d’Italie,
en Narbonnaise: AE 1907, 136 = ILGN 385. Cf. W. eck, dans AA.VV., Sozialgeschichte, pp. 311-314; A. kolb - C. campedellI, dans AA.VV., Donna, 2005, pp. 135-142; A. pasqualInI, dans AA.VV., Donna, 2005, pp. 259-274.
6 E.A. hemelrIjk, dans AA.VV., Rule, 2004, pp. 415-427.7 van bremen, Limits, 1996, pp. 41-81.
Marie-Thérèse Raepsaet Charlier
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l’évergétisme. mais les contextes religieux ne sont pas les seuls où s’exercèrent ces actions: qu’en est-il de l’épouse du gouverneur, ou simplement de l’attachement à la patria, en dehors des obligations légales ou morales de summa honoraria ou d’ampliatio liées aux fonctions? Il serait intéressant de détailler quelque peu les attestations que nous en avons conservées, de manière à mettre en évidence, le cas échéant, quelques caractéristiques propres aux femmes de cette catégorie sociale.
etablIssement du tableau et problèmes méthodologIques
partant de l’analyse de nos catalogues prosopographiques8 des femmes de l’ordre sé-natorial9 pour les trois premiers siècles de notre ère, nous avons établi un tableau qui détaille les évergésies, avec leur référence, leur lieu d’action, leur auteur et leur nature. La sélection opérée à cette fin a révélé immédiatement des problèmes méthodologiques: qu’est-ce qu’une évergésie, en effet? Que retenir comme action spécifique? Il est des dédicaces publiques dont la formulation n’est pas claire: Claudia Fadilla (FOS 237) est honorée par Allifae pour son amor erga patriam. Asiatica (FOS 109), de même à Gortyne pour son eunoia envers la ville. Que signifient exactement ces expressions? on peut supposer qu’il s’agit là d’une allusion à une action financière mais, en l’absence de précision, j’ai préféré écarter ces exemples car ils peuvent ne recouvrir que des attitudes favorables sans matérialisation. On ne trouvera pas non plus de liste complète des prêtrises, fonctions diverses et patronages qui ont tous «dû» engendrer des évergésies; il n’a été fait état que des actes concrets célébrés par une inscrip-tion. C’est évidemment un choix discutable, puisque j’ai retenu par contre les exemples peu explicites mais, me semble-t-il, plus nets, de munificentia, merita et autres liberalitates que l’on pourra relever. Il m’a également semblé qu’il n’était pas opportun de mettre sur un pied d’égalité les actes d’évergétisme des particuliers et ceux de la famille impériale. Ainsi je n’ai pas retenu, par exemple, les fondations de matidie, ni sa bibliothèque (FOS 533 / PIR2, m 368). Enfin je n’ai pas repris non plus le seul cas de patronage littéraire que nous connaissions dans notre répertoire: Argentaria polla, protectrice de martial (FOS 90).
Une autre difficulté réside dans les formes d’expression religieuse: comment dis-tinguer les véritables donations des simples actes de piété10? plusieurs dédicaces laissent supposer qu’il pourrait s’agir du don d’une statue. Faut-il considérer ces cas? Nous avons retenu certaines statues notamment lorsqu’elles sont nombreuses, comme celles que dédie
8 raepsaet charlIer, FOS, 1987; m.-Th. raepsaet charlIer, dans Klio, 75, 1993, pp. 257-271; m.-Th. raepsaet charlIer, dans aa.vv., Prosopographie, 1993, pp. 147-163 (a donné lieu à un catalogue provisoire des femmes sénatoriales du IIIe siècle, inédit). Je n’ai pas retenu Vibia Galla (AE 1952, 19 = 1962, 30) car son clarissimat n’est pas avéré. sur cette personne voir andermahr, Grundbesitz, 1998, p. 481; m. buonocore, dans AA.VV., Donna, 2005, pp. 535-536.
9 La définition des femmes sénatoriales est assez simple puisque l’appartenance à l’ordo senatorius était définie par la loi: fille et petite-fille de sénateur, épouse de sénateur (raepsaet charlIer, FOS, I, pp. 1-12).
10 Ainsi n’a pas été retenue l’offrande d’une ara aerea à Bulla Regia par Tituleia Paula Rufina (FOS 761).
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plancia magna (FOS 609) à pergè, ou monumentales, comme le taureau d’Olympie offert par Regilla, l’épouse d’Hérode Atticus (FOS 66). D’autres cas nous ont semblé difficiles à définir, comme les statues d’Esculape et d’Hygie offertes à Aptuca, pour lesquelles nous ne disposons pas de la dédicace pour juger de la formulation, ou lorsqu’il s’agit archéologi-quement de bases sans que l’usage qui en est fait ne soit expliqué: songeons à celles de seia maxima (FOS 692) et Vesia Rustica (FOS 791) à Aïn Zouza. Nous avons retenu les premières et non les secondes. A nouveau un choix discutable qui ne permet aucun comptage sûr, mais il n’est guère possible de parler en termes de chiffres dans ce type d’analyse, en tout cas pas de pourcentages fins.
Le premier bilan sera toutefois chiffré: pour un ensemble de femmes qui avoisinent le nombre de 1200 pour trois siècles, seule une cinquantaine de cas (56) peuvent être réper-toriés avec une documentation suffisante mais certaines personnes ont réalisé plusieurs dons. Ce n’est pas une forte proportion quand on compare avec l’ampleur que revêt l’évergétisme municipal, en Espagne par exemple11, ou en Italie12. mais la pratique évergétique sénatoriale, même si elle peut atteindre des montants très élevés, n’est pas dans son ensemble très déve-loppée, malgré la fortune des membres de l’ordre: la constatation en a été faite en Espagne13 précisément. de surcroît, certains cas sont peu clairs qui ne permettront pas beaucoup de conclusions; en outre, et cela diminue en fait le volume réel, quelques jeunes filles apparais-sent qui n’agissent pas en propre mais avec leur mère ou leurs parents. Nous disposons donc d’un groupe assez limité, mais assez étoffé, me semble-t-il, pour tenter l’étude.
Les premières caractéristiques apparaissent au premier regard: toutes les régions du monde romain ne sont pas équivalentes en matière d’évergétisme: l’Italie se détache avec 21 exemples, suivie par l’Afrique (13) et l’Asie mineure (16). Il ne reste alors que deux cas pour les Gaules, deux cas pour la péninsule ibérique et deux cas pour la Grèce.
La chronologie n’est pas neutre non plus, avec une majorité au IIe siècle: les exemples se répartissent en 5 cas seulement au Ier siècle, 30 au IIe, 12 à la fin du IIe ou au début du IIIe siècle et 9 cas au IIIe.
les donateurs
Lorsque l’on s’attache à définir les donateurs de ces actes d’évergétisme, il apparaît que dans 41 cas sur 56, la femme est seule donatrice, ou plus exactement des femmes sont seules donatrices. En effet, dans trois cas, deux femmes se sont associées pour effectuer le don: deux sœurs à minturnes (FOS 150 et 151), deux femmes sans doute apparentées à Aptuca (FOS 33 et 38) et deux consulaires à sardes (FOS 218 et 374). Contrairement à ce que l’on aurait pu
11 E. melchor gIl, dans AA.VV., Élites, 2001, pp. 157-171; J.F. donahue, dans Latomus, 63, 2004, pp. 874-891.
12 ForbIs, Virtues, 1996, pp. 29-43; m.L. woodhull, dans AA.VV., Influence, pp. 75-91; K. lomas, dans AA.VV., Bread, 2003, pp. 28-45; et en général l’ouvrage AA.VV., Donna, 2005.
13 E. melchor gIl, dans AA.VV., Élites, 2001, p. 164.
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penser d’après les schémas de pensée antique où la femme devrait être «muette», on voit donc qu’elle ne pratique que très rarement l’évergétisme en couple: on relève les cas de Appia (FOS 83), de Volusia Laodice (FOS 837) et de Flavia papiana (FOS 373): cette dernière applique une coutume assez répandue à Ephèse14, liée sans doute à un fonctionnement «conjugal» des sacerdoces et des fonctions en Asie mineure15. dans quatre cas, le couple agit avec les enfants, ce qui implique deux jeunes filles: Vedia Phaedrina (FOS 784, mari et fils), Iulia Magia (FOS 446, mari et fils), Flavia Silva Prisca (mari, fils et fille Claudia Galitta), Aemiliana (mari et fille Flavia [- - -]ina). un exemple un peu différent: le sénateur L. Flavius silva Nonius Bassus dédie en son nom propre, au nom de sa mère et au nom de son épouse l’amphithéâtre d’Urbs Salvia (FOS 846 et 49). Ces cas ne présentent aucune cohérence entre eux, les régions sont différentes et les époques également. dans un cas, douteux, il semble qu’une femme ait agi avec son père ou son frère mais l’inscription est fragmentaire (Venuleia FOS 786). Il apparaît aussi une am-pliatio par la mère d’une évergésie de son fils (Seia Potitia FOS 693).
Enfin dans un seul cas, la femme agit pour exécuter une pollicitation familiale: Clodia macrina (FOS 260) augmente de son propre chef la donation que son grand-père et son frère avaient promise à l’occasion de leur décurionat, pour l’érection d’un temple à Muzuc16. C’est un cas isolé qui ne relève pas de la pratique clarissime: nous sommes au premier niveau du rang sénatorial, non hérité mais acquis par le mariage dans un milieu de rang municipal. Il re-joint les pratiques de l’évergétisme ob honorem bien connues dans ces catégories sociales17.
dans un esprit différent mais proche, on peut classer une inscription d’Ephèse18 qui atteste la rénovation du synedrion des Courètes et le don de sommes d’argent aux Courètes et à la Gérousie: les moyens financiers de cette évergésie, réalisée par M. Aurelius Menemachos, proviennent des prytanes, parmi lesquels deux femmes clarissimes avérées: Vedia phaedrina (associée à son mari et à son fils) et Claudia Crateia Veriana. Le montant de l’offrande sé-natoriale (hommes ou femmes) est supérieure à celles des prytanes de rang moindre, puis-que les clarissimes donnent chacun 1000 deniers. On peut donc hésiter sur le clarissimat de Vedia papiana (FOS 783), sans épithète de rang, assurément apparentée aux Vedii sénatoriaux d’Ephèse, mais dont la souscription se limite à 250 deniers. Vedia papiana est habituelle-ment19 considérée comme une sœur de Vedia Phaedrina, elle-même fille de Flavia Papiana et mère de T. Flavius papianus, mais cela doit demeurer une hypothèse.
L’évergétisme des femmes sénatoriales est donc bien, pour l’essentiel, un évergé-tisme féminin propre et non une association à des actions masculines.
une des idées reçues en matière de mécénat (féminin) est que ces actions sont liées à des fonctions, notamment religieuses20, et donc essentiellement l’exécution amplifiée de de-
14 G.m. rogers, dans ZPE, 90, 1992, p. 217.15 van bremen, Limits, 1996, pp. 114-141.16 cl. brIand ponsart, dans Histoire et Sociétés rurales, 19, 2003, pp. 79-90, spéc. p. 83.17 jacques, Privilège, 1984, pp. 722-765.18 IvEph., 47.19 Voir, par exemple, FOS, II, stemma LIII; E. FontanI, dans ZPE, 110, 1996, p. 237.20 R. gordon, dans AA.VV., Priests, p. 194; wesch kleIn, Liberalitas, 1990, p. 47.
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voirs légaux. Cette interprétation a déjà été revue pour les prêtresses du culte impérial en Occident21. En ce qui concerne les femmes clarissimes, de même, ce n’est pas un fait avéré, ou du moins, ce fait ne suffit pas, loin de là, à rendre compte de la majorité des donations connues. En effet, dans un nombre assez notable de cas (37), la ou les femme(s) ne sont qualifiée(s) d’aucune fonction, ni d’aucun titre particulier dans le document qui atteste leur évergésie, ni ailleurs. On peut donc s’interroger sur les motivations qui les animent, souci de paraître, amour de la patrie, rivalité avec des membres masculins de leur famille, tradition locale, il est bien difficile de se prononcer. Bien évidemment, un certain nombre de cas indique aussi une pratique liée à l’exercice de prêtrises, tout spécialement en Orient: en Asie mineure, ces sacer-doces locaux (ou beaucoup plus rarement provinciaux22) peuvent aussi accompagner des fonc-tions civiques de prytane, de théore ou de gymnasiarque par exemple, qui les représentaient sur les sites les plus visibles de la cité23. Le tableau révèle 7 cas qui ressortissent à ce cas de figure, auxquels on ajoutera des prêtrises locales en Occident24 au nombre de 6 et le sacerdoce de déméter exercé par Regilla à Olympie. Ces formes d’évergétisme rapprochent les femmes clarissimes des catégories inférieures de l’élite sociale dont elles rejoignent les motivations: l’évergétisme féminin religieux est, en effet, bien représenté, par exemple en Italie25. un cas illustre cette situation, celui d’Antonia picentina, sacerdos divae Faustinae, qui avait promis d’orner le théâtre de statues, assurément une pollicitatio à l’occasion de sa prêtrise.
une autre possibilité se rencontre, en petit nombre, parmi nos évergètes, celle du patronage: patronage de cités (3 cas), patronage de collège26 (2 cas). On en rapprochera l’état de fille (2 cas) ou épouse (3 cas) du patron de la cité, qui ne relève pas de la même situa-tion. C’est davantage une explication de l’intérêt développé que la justification nécessaire de l’acte. Le cas des femmes patronnes de villes a été récemment étudié27, elles ne sont pas très nombreuses mais elles existent, elles témoignent de cette «visibilité» des femmes romaines de l’élite, pas nécessairement sénatoriale, et de la place de celles-ci dans la vie publique, bien au-delà des clichés de pudicitia et de sophrosyne.
Il peut y avoir aussi cumul de caractéristiques: Antonia picentina (FOS 79) et Cassia Cornelia prisca (FOS 195) sont à la fois prêtresse du culte impérial et épouse du patron de la colonie.
Il peut y avoir redondance de féminité: Laberia Hostilia Crispina (FOS 478) est pa-tronne des mulieres Trebulanae qui l’honorent ob merita.
21 hemelrIjk, Priestesses, 2006, p. 101, constate, en effet, que leurs libéralités ne sont pas majoritairement en rapport avec leur sacerdoce.
22 Voir raepsaet charlIer, Sacerdoces, 2005, pp. 293-294.23 van bremen, Limits, 1996, pp. 55-81 et tableaux; raepsaet charlIer, Activités, 2005, pp. 198-200.24 hemelrIjk, Priestesses, 2005; raepsaet charlIer, Activités, 2005, pp. 194-197.25 p. basso, dans AA.VV., Donna, 2005, pp. 353-371, spéc. pp. 366-368.26 m.d. saavedra guerrero, dans Athenaeum, 89, 2001, pp. 575-587; F. boscolo, dans AA.VV.,
Donna, 2005, pp. 275-289. On ajoutera peut-être le cas d’Aquillia Blaesilla (FOS 89). 27 hemelrIjk, Patronesses, 2004, pp. 220-222; cf. aussi E.A. hemelrIjk, dans AA.VV., Rule, 2004, pp.
415-427.
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Reste une courte catégorie, les épouses de gouverneur: Calpurnia quadratilla (FOS 181) est ainsi honorée comme évergète de la ville d’Ephèse alors que son mari est proconsul d’Asie et Flavia Silva Prisca (avec sa fille Claudia Galitta) est associée à une construction de temple à Lambèse par son mari, gouverneur de Numidie. Ce cas pose un problème sur lequel nous revien-drons. si les hommages publics aux épouses et familles de gouverneur sont fréquents28, les cau-ses exactes en sont rarement explicitées, et le cas de Calpurnia quadratilla apparaît bien isolé29.
les dons
qu’offrent donc les femmes de l’ordre sénatorial? La principale réponse sera: des monuments prestigieux. En effet, si l’on écarte un certain nombre de cas non explicites30, où la femme est honorée pour ses merita (6), sa munificentia (2), ses liberalitates (2), sa donatio (1) ou simplement parce qu’elle est qualifiée d’«évergète» (4), ce sont les monuments importants ou les parties de monuments publics qui sont les plus représentés: 24 dames sont concernées par des attestations précises auxquelles s’ajoutent 3 cas lacunaires ou muets (Claudia Caninia severa31, fille de Caninia Gargonilla FOS 188, Iulia magia FOS 446, et l’anonyme FOS 865). Parmi ces monuments ce sont les édifices de spectacle, qu’ils soient construits, restaurés ou décorés, qui retiennent l’attention32: amphithéâtre (FOS 49, 846, 829), théâtre (FOS 829, 125, 836). A cet égard on retient tout particulièrement l’exemple d’ummidia quadratilla (FOS 829 = 830?)33, évergète de Casinum, bien connue par pline le Jeune34, qui mentionne sa passion pour la pantomime: elle était protectrice des arts de la scène à plusieurs niveaux, entretenant une troupe, construisant ou reconstruisant théâtre35 et amphithéâtre. L’autre catégorie de bâti-ments souvent offerts, ce sont les temples: 6 femmes sont concernées, dans des contextes dif-férents. Il y a le cas du temple promis par le grand-père à Muzuc, la chapelle de l’amphithéâtre de Cassino, le temple de mars d’Emerita, le temple de la magna mater de Cales, en tout cas des dépenses considérables. d’autres monuments peuvent encore être cités, à commencer par la porte de la ville de pergè avec ses statues36, offerte par plancia magna37 (FOS 609). Le cas
28 erkelenZ, Amtsträger, 2003, pp. 55-60 (voir aussi les tableaux exhaustifs pp. 239-330); raepsaet charlIer, Activités, 2005, pp. 204-205.
29 J’ai écarté Cassia Cornelia Prisca de cette catégorie car je pense aujourd’hui à un sacerdoce italien: cf. raepsaet charlIer, Sacerdoces, 2005, p. 294; A. arnaldI, dans AA.VV., Donna, 2005, pp. 224-227.
30 sur le vocabulaire de l’évergétisme et des hommages publics, voir par exemple ForbIs, Virtues, 1996, pp. 29-43.
31 halFmann, Éphèse, 2004, p. 114.32 C. holleran, dans AA.VV., Bread, 2003, pp. 46-60.33 Cf. m. buonocore, dans AA.VV., Donna, 2005, p. 537.34 Ep., VII, 24.35 m. Fora, dans ZPE, 94, 1992, pp. 269-273.36 un autre exemple comparable, pris cette fois hors du groupe clarissime: l’arc des Sergii de pola offert
par salvia postuma (cf. m.L. woodhull, dans AA.VV., Influence, pp. 75-91; m. chIabà, dans AA.VV., Donna, 2005, pp. 373-387).
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de cette femme qui cumula les fonctions officielles et qui dépassa tous les standards de la vie municipale par ses évergésies, est tout à la fois exemplatif de l’importance des richesses et des activités féminines possibles dans le monde romain et non représentatif par son excel-lence même. Autres monuments publics: la schola du decumanus de Lepcis Magna (Aquilia Blaesilla 89), un grand gymnase38 et le bouleuterion à Ephèse (Flavia phaedrina 373), la do-rure de l’alepteirion du bain-gymnase de sardes (Claudia Antonia sabina 218 et Flavia pollitta 374), une salle de réunion (Anonyme du IIIe s.), un tribunal (les sœurs Burbuleiae 150-151), une apotheca (Aemiliana et sa fille) et bien sûr des thermes. L’évergétisme de l’eau39 est repré-senté à hauteur de 5 cas, des thermes et leur équipement (Venuleia 786 à pise, Iulia memmia 449 à Bulla Regia, Curtia Iulia Valentilla à Tabalae 305), un aqueduc (Gavia maxima 403 à Vérone), un réservoir avec conduites et fontaine (Appia 83 à Albingaunum). On y ajoutera l’exemple de Laberia marcia à Trebula Mutuesca car des fistules de plomb à son nom y indi-quent une participation aux travaux publics d’adduction d’eau40. de même, sans doute, doit-on interpréter le nom de Volusia Cornelia (FOS 836) et celui d’Arria priscilla (FOS 101) sur les fistules du sanctuaire de Nemi41. Cela pose, au passage, le problème difficile du repérage des occurrences puisque la documentation n’est pas toujours explicite. On pourrait peut-être y ajouter d’autres cas42 qui me sont apparus moins probants: Arria priscilla cette fois à Ostie, Larcia priscilla (FOS 485) à Ostie aussi, Lusia Galeria Rufina (FOS 511) à Lorium. Avec A.m. Andermahr43, je penche plutôt pour une interprétation classique de leurs fistules dans le cadre de maisons ou de domaines personnels.
Les bâtiments, même s’ils représentent la catégorie la plus fréquemment offerte, ne sont pas les seules possibilités: on trouve aussi des statues (9 cas) dont certaines présentent un lien avec un bâtiment. C’est le cas des statues du théâtre de Falerio Picenus (79), ou celles du tribunal de minturnes (150/151), ou celles de la porte de pergè (609). Celles d’Aptuca dé-coraient des thermes (33 et 38). Celle du Taureau de Regilla qui ornait le sanctuaire d’Olym-pie, est mise en relation avec l’eau, donc avec les adductions offertes par Hérode Atticus. L’Esculape d’argent de Laberia marcia à Amiternum n’est mentionné que sur une inscription incomplète. Il appartient toutefois aux actes de piété que nous n’avons normalement pas retenus et n’apparaît ici qu’en relation avec une évergète connue par ailleurs. Le cas de Attia pia (FOS 124) est un peu différent: il s’apparente de très près aux évergésies locales de l’élite municipale puisqu’il s’agit du remboursement de la statue dont elle a été honorée44. Le fait
37 J. nollé, dans aa.vv., Männersache, 1994, pp. 247-252; m. talIaFerro boatwrIght, dans AA.VV., History, pp. 249-272.
38 halFmann, Éphèse, 2004, p. 104.39 Cf. par exemple L. ZerbInI, dans AA.VV., Donna, 2005, pp. 394-395.40 ForbIs, Virtues, 1996, p. 175; andermahr, Grundbesitz, 1998, pp. 8-9 et 312-314 n° 290.41 J. scheId, dans AA.VV., Thermes, 1991, pp. 215-216; C. bruun, dans AA.VV., Acta, 1995, pp. 41-58,
spéc. p. 50.42 C. bruun, dans AA.VV., Acta, 1995, pp. 47, 49-50.43 andermahr, Grundbesitz, 1998, pp. 161-162 n° 53, 317-318 n° 295, 326-327 n° 318.44 s. dardaIne, dans Mélanges de la Casa de Velazquez, 16, 1980, pp. 39-55.
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n’est pas pour surprendre si on rappelle que son père, q. Attius Tergus, était un magistrat municipal d’Amiternum.
On citera encore deux fondations alimentaires45 à Ostie (Fabia Agrippina 348) et à Hispalis en Bétique (Fabia Hadrianilla 352) ainsi que la création d’un marché lié à un vicus, destiné sans doute à l’usage des colons libres d’un domaine en Numidie46 (81), et on rappel-lera enfin la souscription des prytanes d’Ephèse.
Les actes d’évergétisme pouvaient être directs, exécutés «viva», mais il est quelques exemples qui évoquent explicitement des testaments: c’est le cas de la statue d’Esculape, de la salle de réunion d’Antioche de pisidie, des fondations alimentaires et de l’aqueduc de Vérone. A côté de la motivation de prestige - familial ou personnel - s’ajoute alors la perpé-tuation de la mémoire.
L’organisation de jeux47, les banquets et la distribution de sportules48, évergésies cou-rantes s’il en est49, sont très peu représentés dans ce tableau50. Elles sont toujours complémen-taires. mis à part le banquet public offert aux décurions, au peuple et aux femmes par ummidia quadratilla (829) à l’occasion de la restauration du théâtre de Casinum, on ne trouve mention-nés que les 40 paires de gladiateurs qui célébrèrent la dédicace de l’amphithéâtre d’Urbs Salvia - peut-être liées au fait que c’est un homme qui procéda à cette cérémonie -, le banquet et les jeux en mémoire d’Aemilia Agrippina à Ostie, la divisio distribuée aux décurions et à la plèbe urbaine de Faléries lors de la dédicace des statues, et les sportules distribuées lors de l’inaugu-ration du tribunal et de la statue de la Victoire à minturnes (150/151). La dernière inscription est incomplète mais, là aussi, on peut se demander si la dédicace ne fut pas opérée par le père, au nom des femmes, qui étaient peut-être des jeunes filles, voire des fillettes. Le caractère éphé-mère de ces générosités qu’un Cicéron51 ou un sénèque52 dénigrait, ne cadrait manifestement pas avec l’image de marque que les femmes clarissimes voulaient se donner ni avec l’ampleur des évergésies dont elles s’acquittaient le plus souvent. A moins de fonder une thèmis: il faut en effet s’attarder un instant sur un cas original, celui de Volusia Laodice (FOS 837). Avec son mari q. Tineius sacerdos, elle fonda, en effet, une thèmis, un de ces concours où le prix n’est
45 sur ce type d’organisation, voir eck, Italia, 1999, pp. 150-169; duncan jones, Economy, 1974, pp. 136-138. sur les puellae alimentariae, I. cao, dans AA.VV., Donna, 2005, pp. 569-583. sur les fondations fémi-nines, A. magIoncalda, dans AA.VV., Donna, 2005, pp. 503-521, spéc. pp. 514-517. pour l’évergétisme annonai-re et alimentaire, E. melchor gIl, dans Veleia, 10, 1993, pp. 95-104, spéc. pp. 100-103.
46 pour ce type de marché et cette catégorie d’évergétisme, voir de lIgt, Fairs, 1993, pp. 155-196.47 Voir par ex. R. FreI stolba, dans Stadion, 24, 1998, pp. 115-128; il faut aussi rappeler que les femmes
gymnasiarques ou agonothètes ou théores organisaient aussi des jeux mais cela rentrait alors dans le cadre de leurs fonctions: A. bIelman, dans AA.VV., Femmes, 1998, pp. 33-50; dans notre documentation cela concerne plancia magna et Claudia Caninia severa.
48 Cf. W.J. slater, dans Phoenix, 54, 2000, pp. 107-122.49 Cf. veyne, Pain, 1976, pp. 425-451; ForbIs, Virtues, 1996; wesch kleIn, Liberalitas, 1990, pp.
11-26.50 même constatation par p. basso, dans AA.VV., Donna, 2005, p. 360.51 De officiis, II, 55-57.52 De beneficiis, I, 11-12.
L'ACTIVITé éVERGéTIquE dEs FEmmEs CLARIssImEs sOus LE HAuT-EmpIRE 1037
pas une simple couronne de laurier mais une somme d’argent et une statue honorifique. C’est une forme de jeux sportifs toujours liée à une évergésie, caractéristique de la Lycie53 et de la pamphylie. Ici l’attestation s’en trouve à Syedra en Cilicie, mais les donateurs avaient des liens étroits54 avec sidè où plusieurs inscriptions55 nous renseignent sur cette organisation.
Notons que toutes les régions concernées par ces pratiques sont représentées, il n’y a pas de lien entre caractéristiques des donateurs et types d’offrandes, exception faite des dernières constatations.
Il est évident que la plupart des évergésies que ces femmes ont effectuées représentent des capitaux considérables. Les seuls prix que nous connaissons explicitement le confirment: 1 million de sesterces dans l’héritage de Fabia Agrippina et 50.000 sesterces dans celui de Fabia Hadrianilla pour la création ou la participation à une fondation alimentaire56, 600.000 sesterces pour l’aqueduc de Vérone. Le petit temple de Muzuc n’a coûté que 12.000 sester-ces57: 6400 ob honorem decurionatus, ampliatio de 5600. dans l’ensemble la liste des bâti-ments offerts laisse supposer des coûts exorbitants58, à commencer par le gymnase d’Ephèse avec toute sa décoration ou le théâtre et l’amphithéâtre de Casinum. Les dorures de sardes sont sans doute moins chères. seules les statues sont des dons plus modestes, quoiqu’une statue puisse coûter 48.000 sesterces59, voire même beaucoup plus60. L’Esculape de Laberia marcia pèse 100 livres d’argent soit un coût de l’ordre de 50.000 sesterces pour le seul mé-tal61. Cela n’a rien pour surprendre quand on sait que les évergésies des ordres majeurs pou-vaient atteindre des sommes impressionnantes, en proportion il est vrai avec ce que l’on peut connaître de la fortune d’un sénateur62.
les sItes des évergésIes
La première constatation est d’importance: la plupart des actes de mécénat opérés par les femmes sénatoriales le sont dans leur ville d’origine au moins probable (41 cas), ou éven-tuellement la ville d’origine de leur mari (5 cas) ou de leur mère (1 cas). Comme W. Eck63 l’a
53 A Xanthos: IGR, III 622-626; TAM, II, 1, 301-306; à Termessos: IGR, III 437; cf. aussi à Apollonia: IGR, III 319.
54 Tineius père et fils étaient patrons de Sidè: IGR, III 808.55 IK Side, 120-126. Voir le commentaire de J. nollé, Side im Altertum, II, Bonn 2001, pp. 423-432.56 E. melchor gIl, dans Veleia, 10, 1993, pp. 101-102; andermahr, Grundbesitz, 1998, pp. 259-260;
duncan jones, Economy, 1974, p. 172.57 Il n’est pas exclu que l’ampliatio soit en réalité une manière de couvrir les intérêts de retard: jacques,
Privilège, 1984, pp. 746-752.58 duncan jones, Economy, 1974, pp. 90-91 et 157.59 G. barbet - R. bIllerey, dans Gallia, 61, 2004, pp. 281-290 (AE 2004, 998).60 duncan jones, Economy, 1974, pp. 93-99 et 162-163.61 duncan jones, Economy, 1974, pp. 126-127.62 duncan jones, Economy, 1974, pp. 17-32.63 W. eck, dans AA.VV., Sozialgeschichte, pp. 283-322; cf. J. nollé, dans aa.vv., Männersache,
1994, p. 250.
1038 m.-T. RAEpsAET CHARLIER
déjà remarqué, les activités sénatoriales dans les cités et régions d’origine - et les activités féminines de surcroît - sont très bien représentées dans l’Empire et témoignent de liens plus étroits qu’on ne le pense parfois, maintenus entre l’origo et le sénateur, même au-delà de la première génération. Cela paraît être une caractéristique féminine que d’en constituer l’inter-face, notamment par des fonctions, mais aussi par des actions évergétiques comme ce tableau le manifeste. Il faut noter toutefois que cet élément n’est perceptible que dans certaines ré-gions, l’Asie mineure, l’Afrique et l’Italie. Les liens semblent beaucoup plus ténus entre les sénateurs gaulois et leur terroir, par exemple, à moins que ce fait apparent ne soit que le reflet d’usages épigraphiques différents selon les régions64. Evidemment Rome étant officiellement la patria de tous les sénateurs qui devaient posséder une partie de leur fortune en Italie65, cela peut fausser notre jugement66. mais l’implication des femmes sénatoriales d’Asie mineure dans leur région est un fait avéré, appuyé sur une documentation abondante, et représente le fruit d’une longue tradition familiale remontant à l’époque hellénistique. que cette implica-tion locale soit un véritable moyen de visibilité féminine ou le résultat du poids contraignant des obligations morales67 reste discuté.
Lorsque les dames clarissimes font bénéficier d’autres lieux de leur générosité, où se situent-ils? Trois cas de sanctuaire apparaissent, d’importance inégale: Olympie, Nemi et Mirebeau. Si Olympie constituait assurément un des lieux de culte majeurs de la province d’Achaïe dont était originaire le mari de Regilla, on peut supposer aussi qu’At-tia sacrata (FOS 125) - ne fût-ce que d’après la forme de son nom68 - était originaire de Germanie supérieure ou de Gaule Lyonnaise, toute proche de mirebeau69. Nemi est un lieu de culte important70, voisin de nombreux sites de villas sénatoriales: Volusia Cornelia (836) y a manifesté sa munificence71 et peut-être aussi Arria priscilla (101). dans certains cas, on en est réduit à l’hypothèse de la possession de domaines, comme pour Laberia marcia (FOS 478) qui exerça un patronage sur les mulieres de Trebula Mutuesca et fit une offrande à Amiternum, alors que son père venait de sans doute Lanuvium et son mari de Volcei. quant à Volusia Laodice (FOS 837), nous n’avons pas d’explication claire sur sa présence à Syedra, sinon qu’elle-même portait un surnom grec et était peut-être d’origine micrasia-tique. Calpurnia quadratilla (FOS 181) fut évergète dans la province que gouvernait son
64 Lire à ce propos les réflexions méthodologiques de W. eck dans AA.VV., Die Stadt in oberen Italien und in den nordwestlichen Provinzen des Römischen Reiches, W. eck - H. galsterer edd., (Kölner Forschungen, 4), Mainz 1991, pp. 73-84.
65 A. chastagnol dans AA.VV., Mélanges offerts à L.S. Senghor, dakar 1977, pp. 43-54; cf. les «duae patriae» des sénateurs: A. krIeckhaus, dans AA.VV., Rule, 2004, pp. 299-314.
66 andermahr, Grundbesitz, 1998, pp. 115-123.67 van bremen, Limits, 1996, p. 301.68 Gentilice comme surnom ont des formes très fréquentes dans les provinces gallo-germaniques. Ils
peuvent être interprétés en latin et en celtique.69 spIckermann, Germania, 2003, pp. 69-71.70 J. scheId, dans AA.VV., Thermes, 1991, pp. 215-216; F. gentIlI - R. lucIanI, Il santuario di Diana
a Nemi, Roma 2001.71 C. bruun, dans AA.VV., Acta, 1995, pp. 54-55; andermahr, Grundbesitz, 1998, p. 495 .
L'ACTIVITé éVERGéTIquE dEs FEmmEs CLARIssImEs sOus LE HAuT-EmpIRE 1039
mari, nous avons déjà souligné cette exception. L’autre cas éventuellement comparable demande examen: Flavia Silva Prisca et sa fille Claudia Galitta sont associées dans la dé-dicace d’un temple à Lambèse, province que gouverne son époux Claudius Gallus. mais l’origine de ce sénateur a été fort discutée72 et il n’est pas exclu qu’il en soit originaire, ou alors c’était un Bithynien? mais sa famille peut avoir des liens avec la Numidie en la personne de sa probable belle-sœur pomponia Germanilla (FOS 639), que l’on a supposée originaire de Numidie d’après des inscriptions de Rusicade, ville dont était assurément citoyen le chevalier q. Austurnius Lappianus73, époux d’une autre Claudia Gallitta74. Cette dernière est la sœur de Tib. Claudius Claudianus sans doute frère de Claudius Gallus et époux de pomponia Germanilla. Toutes ces considérations sont peut-être sans intérêt ici. Claudius Gallus a en effet achevé la construction d’un temple de Caelestis qui avait été entrepris par un de ses prédécesseurs C. Iulius Lepidus Tertullus. On peut donc considérer qu’il a accompli une mission officielle: mais alors pourquoi associer femme et enfants? Il n’est d’ailleurs pas explicitement affirmé qu’il y a participé de ses deniers, mais peut-on comprendre autrement ce «perfici curavit»? Est-ce purement de la direction de travaux qui seraient entièrement payés par ailleurs? Cela me semble peu probable, c’est pourquoi j’ai retenu cet exemple.
conclusIon
L’examen des 56 cas retenus montre différents problèmes de méthode et d’inter-prétation mais aussi conduit à quelques constatations significatives: l’évergétisme des da-mes sénatoriales se réalise principalement dans leurs villes d’origine pour la construction de bâtiments importants et coûteux sans que ces femmes qui opèrent pour la plupart seules, n’exercent nécessairement de fonctions ou de prêtrises qui en seraient la justification plus ou moins obligatoire, et ce pour l’essentiel en Italie, en Afrique et en Asie mineure. Il s’agit d’un évergétisme durable, volontiers ostentatoire. Tels sont, brièvement résumés, les accents que nous pensons avoir pu mettre en évidence, sans perdre de vue quelques exemples plus isolés d’évergétisme culturel, social ou agonistique.
Ces exemples ciblés dans une catégorie sociale bien délimitée rejoignent, au som-met des valeurs à la fois culturelles, religieuses, urbaines et sociales, les préoccupations que l’on peut découvrir dans l’évergétisme féminin en général75. La question se pose en effet: pourquoi ces libéralités? doit-on penser que «toutes les apparitions publiques des femmes semblent être destinées à diffuser et à accroître le prestige des hommes de leur famille76»?
72 W. eck, dans ZPE, 42, 1981, pp. 227-256, spéc. pp. 254-256.73 PIR2, A 1677.74 PIR2, C 1095.75 par exemple: G.m. rogers, dans ZPE, 90, 1992, pp. 215-223; J.F. donahue, dans Latomus, 63, 2004,
pp. 874-891; m.L. woodhull, dans AA.VV., Influence, pp. 75-91; AA.VV., Donna, 2005, passim.76 m. navarro caballero, dans AA.VV., Élites, 2001, pp. 191-199, spéc. pp. 198-199.
1040 m.-T. RAEpsAET CHARLIER
Certaines actions devaient être certes liées au prestige familial77: c’est ainsi que l’on doit comprendre le fait que Clodia Macrina fit construire à Muzuc le temple d’Apollon que son père et son frère avaient promis lors de leur décurionat en doublant la somme, de sa propre générosité (liberalitate sua). d’autres sont clairement engagées dans la mise en évidence de la brillance d’une promotion sociale ou dans celle de l’éclat d’une tradition familiale: son-geons aux Vedii-Flavii d’Ephèse. mais le plus souvent la femme agit seule, avec un intérêt tout particulier pour ses consœurs souvent favorisées dans les distributions féminines d’ar-gent ou de nourriture. Et lorsqu’on voit plancia magna, à pergè, en pamphylie, assumer la rénovation de la porte principale de la ville en l’ornant de statues impériales où l’on compte autant de figures féminines que de masculines, ou Laberia Hostilia Crispina remerciée dans un hommage public par les femmes de la cité de Trebula Mutuesca, en sabine, alors que son nom figure sur des tuyaux d’adduction d’eau dans les thermes de la cité, on peut s’interroger sur les parts respectives de motivations de prestige personnel et d’obligations liées au patro-nage qui animaient ces femmes. Aussi les raisons doivent plutôt se chercher dans une volonté de s’affirmer et de s’accomplir personnellement dans la vie publique et dans la société locale: ce que leur sexe ne permet pas ou guère, leur richesse l’obtient. Et les inscriptions, italiennes par exemple, qui leur sont élevées publiquement, au nom de la cité, «pour célébrer la splen-deur de leur munificence»78, les détachent du schéma restrictif des vertus habituellement fé-minines pour leur assurer une existence individuelle et une personnalité reconnue, au même titre que les évergètes masculins79. En tout cas la pérennité de leur action leur fut assurée.
N° nom lieu référence donation auteur Fonction date site865 Anonyme Vaison (Narb) ILGN 206 Bâtiment indéter-
miné reconstruit Flaminique per-pétuelle
circa 50-60
cité d’origine de son mari
Anonyme Antioche (pis) AE 1988, 1036
salle de réunion (oecobasilicus): testament
- IIIe cité d’origine
846 [- - -]milla urbs salvia (Ita )
AE 1969/70, 183
Amphithéâtre à ses frais sur son terrain + 40 pai-res de gladiateurs
au nom de 49 et 846
mari patron de la colonie
après 81 cité d’origine du mari
847 [- - -]na pollentia (Ita) AE 1982, 376
Merita envers collège des den-drophores
prêtresse de plusieurs divae dans différentes cités
fin IIe cité d’origine
33 Aemilia marciana
Aptuca (Afr ) inédit statues de déco-ration de thermes, Esculape et Hygie
avec 38 ? fin IIe-déb. IIIe
origine?
77 R. van bremen, dans AA.VV., Images, pp. 223-241; van bremen, Limits, 1996, pp. 301-302; cf. p. basso, dans AA.VV., Donna, 2005, p. 366 pour Gavia maxima.
78 AE 1971, 79; cf. E.p. ForbIs, dans AJPh, 111, 1990, pp. 493-512.79 m.L. woodhull, dans AA.VV., Influence, pp. 89-90; J.F. donahue, dans Latomus, 63, 2004, pp.
888-891; G.m. rogers, dans ZPE, 90, 1992, p. 223; hemelrIjk, Priestesses, 2006, pp. 101-102.
L'ACTIVITé éVERGéTIquE dEs FEmmEs CLARIssImEs sOus LE HAuT-EmpIRE 1041
N° nom lieu référence donation auteur Fonction date site38 Aemilia
TertullaAptuca (Afr ) inédit statues de déco-
ration de thermes, Esculape et Hygie
avec 33 ? fin IIe-déb. IIIe
origine?
PIR2, A 313
Aemiliana Vazi Sarra (Afr)
IlAfr 207 Agrandissement de l’apotheca édifiée a paren-tibus
avec mari et fille
- IIIe cité d’origine
49 Ann[- - -]tta urbs salvia (Ita)
AE 1969/70, 183
Amphithéâtre à ses frais sur son terrain + 40 pai-res de gladiateurs
au nom de 49 et 846
fils patron de la colonie
après 81 cité d’origine
66 Annia Regilla
Olympie (Gr ) IvOlymp 610
statue de Taureau prêtresse de déméter
circa 150 sanctuaire
79 Antonia picentina
Falerio picenus (Ita )
IX 5428 = ILS 5652
statues pour un théâtre et des sportules
mari patron de la colonie, sacerdos divae Faustinae
138-161 cité d’origine
81 Antonia saturnina
Aïn mechira (Num)
ILS 6869 marché 138 cité d’origine
83 Appia [- - -] Albingaunum (Ita)
AE 1975, 403
Fontaine, réser-voir et conduites d’eau
avec mari Flaminica divae Augustae
117-124 cité d’ori-gine?
89 Aquillia Blaesilla
Lepcis magna (Tri)
inédit Schola du decu-manus
? circa 150 cité d’origine du mari (col-lège?)
101 Arria priscilla
Nemi (Ita) XV 7830 Adduction d’eau - Ier sanctuaire
124 Attia pia Amiternum (Ita)
IX 4456 Remboursement de la statue dont elle est honorée
- circa 200 cité d’origine
125 Attia sacrata
mirebeau (Ger sup)
XIII 5614 Proscaenium d’un théâtre
- fin IIe-déb. IIIe
sanctuaire
150 (Burbuleia) [- - -]a
minturnae (Ita)
AE 1982, 157
Tribunal et sta-tue à la Victoire Auguste, ainsi qu’une distribu-tion d’argent (not. aux épouses des décurions)
avec soeur
père patron de la colonie
130-150 cité d’origine
151 (Burbuleia) procula
minturnae (Ita)
AE 1982, 157
idem avec soeur
père patron de la colonie
130-150 cité d’origine
181 Calpurnia quadratilla
Ephèse (Asie) IvEph 619B
Evergésie non précisée
Epouse du gouverneur, qualifiée du titre d’“évergète de la cité”
circa 180 cité de fonction de l’époux
195 Cassia Cornelia prisca
Formies (Ita) AE 1971, 79
Munificentia mari patron de la colo-nie, sacerdos Augustae et patriae
circa 200 cité d’ori-gine?
218 Claudia Antonia sabina
sardes (Asie) AE 1993, 1505
dorure de l’aleip-terion du bain-gymnase
avec 374 - 211 cité d’ori-gine?
219 Claudia Aquillia
Ancyre (Gal) Bosch 107-108
Evergésies non précisées
«Evergète» des phylès
114 cité d’ori-gine?
1042 m.-T. RAEpsAET CHARLIER
N° nom lieu référence donation auteur Fonction date site225 Claudia
BalbinaAncyre (Gal) Bosch 75 Evergésies non
préciséesprêtresse d’Asie ou d’Ancyre
milieu IIe cité d’origine
PIR2, C
1084
Claudia Caninia severa
Ephèse (Asie) IvEph 892 = AE 1972, 587
plusieurs grands travaux
prytane, prê-tresse d’Arté-mis, théore
IIIe cité d’origine
233 Claudia Crateia Veriana
Ephèse (Asie) IvEph 47 Fondation pour les courètes
tous les prytanes
Kosmeteira d’Artémis, prytane, gym-nasiarque, prê-tresse
Commode cité d’origine
RE sXIV 418a
Claudia Galitta
Lambèse (Num)
AE 1957, 123
Temple avec père, mère et frère
- 202-205 gouverne-ment du père; ori-gine?
260 Clodia macrina
Muzuc (Afr) VIII 12058
Temple d’Apol-lon promis par son grand-père ob honorem decurio-natus + ampliatio personnelle
- fin IIe-déb. IIIe
cité d’origine
305 Curtia Iulia Valentilla
Tabalae (Asie)
IGR, IV 1378
Bain et aménage-ments
- circa 200 cité d’origine
334 domitia Vettilla
Emerita (Lus) II 468 Temple dédié à mars
- circa 130 cité d’origine du mari?
348 Fabia Agrippina
Ostia (Ita) XIV 4450 Fondation ali-mentaire + jeux + banquet: testa-ment
- milieu IIe cité d’ori-gine?
352 Fabia H[adria–nill]a?
Hispalis (Bét) II 1174 participation à une fondation alimentaire: tes-tament
- 150-200 cité d’origine
(Flavia ) [- - -]ina
Vazi Sarra (Afr)
IlAfr 207 Agrandissement de l’apotheca édifiée a paren-tibus
avec père et mère
- IIIe cité d’origine
373 Flavia papiana
Ephèse (Asie) IvEph 460; SEG, IV 438
Gymnase et bou-leuterion
avec son mari
Archiereia Asiae
milieu IIe cité d’origine
374 Flavia pollitta
sardes (Asie) AE 1993, 1505
dorure de l’aleip-terion du bain-gymnase
avec 218 - 211 cité d’ori-gine?
RE sXIV,
245a
Flavia silva prisca
Lambèse (Num)
AE 1957, 123
Temple avec mari, fils et fille
- 202-205 gouverne-ment du mari; ori-gine?
402 (Gavia) Cornelia Cethegilla
mytilène (Gr) IG, XII 237 = ILS 8825
Evergétisme in-déterminé
- fin IIe cité d’origine de sa mère
403 Gavia maxima
Verona (Ita) V 3402 = ILS 5757
Aqueduc: testa-ment
- IIe cité d’origine
425 Iulia Aemilia Gallitta
Regium (Ita) EE, VIII 247
Merita Sacerdos IIe-IIIe cité d’origine
427 Iulia Agrippina
Antioche (pis) AE 1960, 35
Merita - 100-150 cité d’origine
L'ACTIVITé éVERGéTIquE dEs FEmmEs CLARIssImEs sOus LE HAuT-EmpIRE 1043
N° nom lieu référence donation auteur Fonction date site446 Iulia magia Verona (Ita) V 3318 Epistyle d’un
bâtiment indéter-miné
avec mari et enfants
- fin IIe - déb IIIe
cité d’origine du mari?
449 Iulia memmia [?pris]ca
Bulla Regia (Afr)
ILAfr 454 = AE 1973 578
Thermes Patrona fin IIe cité d’origine
478 Laberia Hostilia
Trebula mutuesca (Ita)
AE 1964, 101; IX 4512 + fistules
Merita; statue: testament; adduc-tion d’eau
Patrona des mulieres
après 139; après 153
cité NON d’origine ni mari
497 Licinia Victorina
Hispellum (Ita)
XI 5270 = AE 1988, 510
Munificentia - 150-200 cité d’origine
587 Oscia modesta
Avioccala (Afr)
VIII 23832
Merita Patrona fin IIe - déb IIIe
cité d’origine
609 plancia magna
perge (L-p) IvPerge 91-99, 118, 121, 123-125
porte de la ville avec ses statues
sacerdoces et magistratures
120-140 cité d’origine
693 seia potitia Consortiana
Thibaris (Afr) ILAfr 511 donatione sua amplificavit libe-ralitatem
associée à son fils
Patrona déb. IIIe cité d’origine
713 sextia Asinia polla
Brixia (Ita) V 4355 = II, 5, 1, 145
Merita Patrona du col-lège des iuvenes
circa 175 cité d’origine
748 surdinia Vaga (Afr) VIII 14387
Liberalitas - IIe-IIIe cité d’origine
532 Valeria marianilla
uchi maius (Afr)
VIII 26273 = Uchi Maius, 68
Liberalitas - IIe ou IIIe cité d’origine
783 Vedia papiana
Ephèse (Asie) IvEph 47 Fondation pour les courètes
tous les prytanes
prytane Commode cité d’origine
784 Vedia phaedrina
Ephèse (Asie) IvEph 47 Fondation pour les courètes
tous les prytanes
prytane Commode cité d’origine
786 Venu[leia] pisa (Ita) XI 1433 = II, 7, 1, 17
Thermes avec père ou frère
- circa 150 cité d’origine
820 Vitrasia Faustina
Cales (Ita) X 4635 = ILS 1115
Temple à la magna mater
- avant 176 cité d’origine
829 = 830?
ummidia quadratilla
Casinum (Ita) pline; X 5183 = AE 1991, 326, AE 1946, 174 = 1992, 244
Amphithéâtre et temple, restaura-tion du théâtre, entretien d’une troupe de théâtre, banquet (not. aux femmes)
- avant 107 cité d’origine
836 Volusia Cornelia
Nemi (Ita) AE 1932, 68 + fis-tules
Restauration du théâtre et adduc-tion d’eau
- Ier sanctuaire
837 Volusia Laodice
syedra (Cil) IGR, III 829
Concours avec son mari
- milieu IIe cité NON d’origine ni mari
1044 m.-T. RAEpsAET CHARLIER
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