la madeleine à l'envers, interview avec serge doubrovsky lors de la réédition en 2012

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« La madeleine à l’envers : entretien avec Serge Doubrovsky », Australian Journal of French studies, vol. XLVI, n° 1-2, janvier- août 2009, p. 3-30. J/S/D "Le travail de la madeleine à l’envers" Entretien d’Isabelle Grell avec Serge Doubrovsky (2006) par Isabelle Grell 1

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« La madeleine à l’envers : entretien avec

Serge Doubrovsky », Australian Journal of

French studies, vol. XLVI, n° 1-2, janvier-

août 2009, p. 3-30.

J/S/D

"Le travail de la madeleine à l’envers"

Entretien d’Isabelle Grell avec Serge

Doubrovsky

(2006)

par

Isabelle Grell

1

Table des matières

Présentation 3

I. Autoécriture 4

II. Ecrire la femme 12

III. Le fait d’être Juif 18

IV. L’Autre 21

V. Pourquoi écrire 28

VI. Index 35

2

Présentation

En 2006, Serge Doubrovsky a accordé toute une journée à

Isabelle Grell, spécialiste de son œuvre, afin de discuter

de la spécificité de son écriture, son "work in progress"

et, intimement lié à cela, son "new life in the making".

Serge Doubrovsky venait de prendre officiellement sa

retraite de NYU, il avait bouclé ses valises, distribué ses

livres aux bibliothèques diverses, et finalement envoyé des

caisses en métal remplies de ses divers biens par la voie

aérienne à Paris, au 5 rue Vital, dans le XVIème, où il

allait maintenant vivre. Cet homme qui a fait de son

déchirement éternel un mode de vie, qui y fut presque

condamné dès sa venue au monde, puisque père et mère lui

octroyèrent un nom double : Julien (pour rappeler un cousin

de sa maman, mort aux Dardanelles) et Serge (pour "quand il

sera écrivain"), n’avait plus, depuis le début de sa jeune

et brillante carrière de professeur, vécu dans un seul

lieu. Maintenant, approchant les 80 ans, il était là, à

Paris, dans l’appartement qu’il avait partagé avec Ilse -

dont on connaît la fin (Le livre brisé). Serge Doubrovsky

n’enseignait plus, les étudiants lui manquaient. Afin

d’exorciser une dépression naissante, l’écrivain prit sa

chaise à deux mains et la plaça devant son bureau, il

enfonça une feuille blanche dans sa machine à écrire et

commença son "dernier livre" qui, aujourd’hui, en avril

2009, compte environ 300 pages dactylographiés par les

doigts habiles de sa nouvelle épouse. Sa femme, le fait de

se remettre à l’écriture et un intérêt universitaire de

plus en plus significatif pour son œuvre l’aidèrent à

passer ce cap difficile. En 2005, la critique génétique

3

s’était penchée sur l'autofiction comme en témoigne le

colloque Genèse et autofiction à l'ENS1, rue d’Ulm. Cette année

fut aussi tourné un reportage sur le phénomène autofiction

par Dominique Gros, avec la participation de Serge

Doubrovsky, Nancy Houston, Elfriede Jelinek, on parlait

aussi de Guibert, de Perec, de Duras2. L’année suivante, en

2006, nous étions déjà embourbés dans les préparatifs

chronophages des deux grands colloques autofiction qui

eurent lieu l’année des 80 ans de l’inventeur du fameux

néologisme, en 2008. C’est donc dans ce cadre d’une

fébrilité croissante que l’entretien amical a eu lieu,

autour d’un café, dans la grande salle principale qui donne

sur la rue Vital.

Le "dernier" livre de Serge s’appellera Un homme de passage.

1 Colloque dirigé par Isabelle Grell, Jean-Louis Jeannelle etCatherine Viollet (cf. Genèse et autofiction, Bruylant, 2007).2 Le film sortit en 2006 sur ARTE.

4

Moi j’ai fait le travail de lamadeleine à l’envers. C’est l’inversede la perfection, de la reconstitutionque Proust a faite dans son livre. (SD)

I. AUTOECRITURE

I. Grell : Je vais vous lire un extrait du "Monstre"3 (Fils,

1977) qui date du milieu des années soixante-dix :

"L’Amérique a compris que l’autobiographie est une

thérapie, parmi les 29 ou 32 autres officiellement

répertoriées, entre psychanalyse et Gestalt, EST et primal

scream et j’en passe. Mais sur les autres, elle a un

immense avantage : elle est infiniment moins chère. Une

plume, du papier, des confessions. Si l’on sait s’y

prendre, avec l’art et la manière, en rédigeant l’histoire

de sa vie, on la fixe une bonne fois, on en fait la somme,

on l’assume. Et puis après avoir dressé le bilan, on le

dépose. Consigner sa vie vous en débarrasse. Coucher par

écrit c’est déjà coucher un peu dans la tombe.

L’autobiographie est la plus efficace et la plus commode

des préparations à la mort."

Se raconter serait donc perçu comme une nécessité propre à

l’homme "moderne" ? 

S. Doubrovsky : Oui, et si l’on veut continuer ce fil, le

premier de ces hommes "modernes" est Jean-Jacques Rousseau

3 Il s’agit de l’avant-texte de ce qui devint finalement Fils. Voirle travail de l’équipe autofiction de l’ITEM (Institut des texteset manuscrits modernes que dirige Isabelle Grell.http://www.everyoneweb.com/doubrovskymanuscrit.com/.

5

avec les Confessions4. Personne n’avait jamais conçu un tel

projet avant. Montaigne dans ses Essais s’y était essayé,

mais il était trop embarrassé par les règles morales de son

époque : "Mes défauts s'y liront au vif, et ma forme naïve, autant que la

révérence publique me l'a permis. Que si j'eusse été entre ces nations qu'on dit

vivre encore sous la douce liberté des premières lois de nature, je t'assure que je

m'y fusse très volontiers peint tout entier, et tout nu" Son dilemme étant

qu’il ne pouvait que montrer ses pensées, ses émotions. Il

ne nous raconte pas sa vie sexuelle ou le fait que, alors

qu’il était maire de Bordeaux, il a fui lorsque la peste

s’est déclarée dans sa ville. Donc le premier qui se soit

raconté en noir et blanc, c’est Rousseau. "Je me suis montré tel

que je fus, méprisable et vil quand je l'ai été." C’est un projet qui

s’est malheureusement banalisé depuis, mais qui a une

origine historique très précise et récente. Nous n’avons

pas d’autobiographie de Platon, encore moins de Socrate.

C’est un genre qui n’existait pas dans l’Antiquité. Même si

l’on évoque souvent saint Augustin…

I. Grell : D’après vous, quel est le rapport de la

confession telle que saint Augustin a pu la pratiquer avec

l’autofiction telle que vous la pratiquez ?

S. Doubrovsky : Dans ses Confessions5, saint Augustin poursuit

un but précis à justifier ses considérations religieuses

qui constituent la plus grande partie de l’œuvre. C’est

vrai que Rousseau a appelé son livre Les Confessions en

référence à Saint Augustin. Mais chez Saint Augustin les

"Confessions" à proprement parler sont limités aux

4 Jean-Jacques Rousseau. Les confessions. 1782 (livres I-VI) 1789(livres VII-XII). Paris : Edition H. Launette & Cie, 1889.5 Saint Augustin. Les Confessions. Paris : Hatier, 1998.

6

premières pages de la Vie, même s’il prend ses risques et

qu’il s’assume comme homme. Toujours est-il que le télos de

Saint Augustin est dès le début de passer à sa théorie du

temps, de Dieu, etc.

I. Grell : Vous vous êtes partagé entre le théoricien connu

et reconnu par ses pairs et le romancier. Mais c’est le

théoricien qui a eu ce coup de génie de créer le terme

d’AUTOFICTION. Pourquoi avez-vous eu besoin, au moment de

la parution de Fils, de créer ce néologisme ?

S. Doubrovsky : Il y a des différences fondamentales entre

ce que j’ai essayé de faire et ce qui a été appelé

l’autobiographie au sens traditionnel. Nous disions il y a

un instant que c’est un genre relativement récent puisque,

littérairement, il commence dans le sens plein du terme

avec Jean-Jacques Rousseau. Mais Rousseau s’est illusionné

lorsqu’il imagine qu’il livre un exemple qui n’a jusque là

pas eu de modèle et qui n’aura pas d’imitateur. Pas

d’imitateur, il s’est trompé. A peine ses Confessions

publiées après sa mort, tout le monde s’est mis à vouloir

se raconter. Rétif de La Bretonne dans Monsieur Nicolas6,

Goethe écrit son autobiographie Dichtung und

Wahrheit7, Chateaubriand bien entendu. Mais cet ensemble

d’ouvrages se caractérise par le fait que ce sont des

récits écrits par le narrateur au terme de sa vie et où il

relate ce qu’il considère comme les épisodes les plus

marquants de cette vie sous une forme chronologique : "Je

6 Rétif de La Bretonne. Monsieur Nicolas. Paris : Gallimard,Bibliothèque de la Pléiade, 1989.7 Johann Wolfgang von Goethe. Poésie et vérité, souvenirs de ma vie, trad.Pierre du Colombier. Paris : Aubier, 1992.

7

suis né en 1712…" Vous voyez, Rousseau commence par nous

donner un extrait d’acte de naissance.

L’autobiographie, c’est le récit de sa propre vie, rédigé

par une personne dans l’ordre chronologique, avec des

considérations logiques. Ce que Rousseau ou Chateaubriand

ou d’autres contemporains essaient de faire, ce n’est pas

simplement de déployer les différents épisodes de leur vie,

mais de les comprendre, de les relier les uns aux autres.

Ceci dit, j’ai une admiration totale pour Rousseau que je

considère comme le plus grand de tous ceux qui ont essayé

de parler d’eux-mêmes. Il est frappant de voir que cet

homme, en plein 18ème siècle, où la notion d’inconscient

n’existe pas, comprend qu’il a eu un instinct sexuel très

précoce et que la fameuse histoire de la fessée donnée à

Rousseau enfant a déterminé sa sexualité, son rapport à

autrui pour le restant de ses jours. Je ne sais pas si

Freud a jamais lu ce passage, mais il est évident que là,

l’autobiographie ne se contente pas de nous raconter : "A

telle époque, j’ai eu une fessée qui a changé mes rapports avec la famille de

mes précepteurs". Rousseau essaie de se comprendre, au niveau

le plus profond et le moins évident.

L’autofiction, telle que j’ai été amené à la pratiquer, est

tout à fait différente dans la mesure où elle ne raconte

pas une vie dans son développement mais tel épisode, à tel

moment, avec des retours en arrière, avec peut-être des

prolepses. La matière est décomposée et recomposée par

l’écriture et par le souci d’une certaine conception de la

littérature, qui s’éloigne des normes classiques. Lorsque

Marguerite Duras dit : "L’histoire de ma vie n’existe pas, tantôt là où on

croyait qu’il y avait quelqu’un il n’y avait personne." (L’Amant), alors

8

elle nous livre des fragments divers du même épisode : la

fameuse concession que sa mère aurait construite en

Indochine. Mais dans chacun de ses livres c’est une autre

histoire qu’elle nous raconte…

Sous la plume de Robbe-Grillet, on lit : "Voila donc tout ce qu’il

reste de quelqu’un, au bout de si peu de temps, et de moi-même aussi bientôt,

sans aucun doute : des pièces dépareillées, des morceaux de gestes figés et

d’objets sans suite, des questions dans le vide, des instantanés qu’on énumère

en désordre sans parvenir à les mettre véritablement (logiquement) bout à

bout"8. … L’idée qu’on arrive à faire une synthèse de soi-

même et à livrer, en toute vérité, son essence n’est plus,

aujourd’hui, partagée par les gens de mon époque. Je sais

que ce je raconte est une fiction à plusieurs titres. C’est

une fiction parce que le récit est gouverné par des

nécessités intérieures, par des structures textuelles qui

sont décidées ou qui s’imposent à l’auteur. Par exemple,

dans Fils, je raconte, sur le modèle de Joyce, dans Ulysse, où

Claude Simon dans Histoire, douze heures dans la vie d’un

homme, et dans ces douze heures-là, grâce aux souvenirs qui

jaillissent, par des associations, nous reparcourons le

développement d’une vie, mais absolument pas dans un sens

méthodique, téléologique. Donc c’est une fiction aussi

parce que l’écrivain cherche à établir un certain suspens

narratif. Il faut intéresser le lecteur. Le lecteur, lui,

ne connaît pas tous les détails de notre vie, alors il faut

que ces éléments que vous lui livrez soient livrés de telle

manière qu’ils forment un récit que l’on suit et qui

intéresse en tant que récit, qui n’est plus un récit

chronologique, qui est un récit, je dirais, littéraire,

8 Alain Robbe-Grillet. Le Miroir qui revient. Paris : Minuit, 1985, 27-28.

9

imposé par la conception que l’on a d’une œuvre d’art à

faire, telle qu’un romancier traditionnel peut l’avoir

lorsqu’il crée un personnage propre. Il faut qu’il

construise son livre de telle sorte qu’il révèle les

facettes de son personnage.

I. Grell : L’introduction des rêves et de la psychanalyse

dans Fils, affine votre autoportrait, mais elle renforce

simultanément le doute sur la véracité des faits contés.

S. Doubrovsky : Oui, c’est une fiction aussi parce que, au

sens littéral du terme, la psychanalyse et l’analyse de

rêves a joué un rôle capital dans la genèse de mon

écriture. Il y a une question que je me pose toujours et

qu’on me pose souvent : Pourquoi avez-vous voulu parler de

vous ? Rousseau était, avec Voltaire, l’écrivain le plus

connu de l’Europe à son époque. Chateaubriand était à la

fois un écrivain célèbre et un homme d’Etat qui avait eu

des fonctions. Ceux qui avaient droit, Goethe ou George

Sand ou d’autres, à l’autobiographie c’était des gens qui

avaient été des esprits majeurs. Brusquement arrivent

d’autres qui veulent raconter leur vie alors qu’ils ne sont

nullement des héros, ils ne sont nullement des génies, ils

n’ont rien changé au cours de l’histoire humaine. Alors,

pourquoi se raconter ? C’est un problème que je me suis

posé à moi-même. Je ne suis pas du tout le seul à pratiquer

ce genre. Se raconter, mais d’une façon qui touche à

l’imaginaire.

Je voudrais être tout à fait clair sur un point : il y a

certains critiques qui ont dit : l’autofiction c’est

simplement prêter le nom de l’auteur au narrateur et au

10

personnage principal du livre, et ensuite s’inventer une

vie totalement imaginaire, comme Dante lorsqu’il descend

dans les enfers. Cela n’est pas du tout ma conception de

l’autofiction. Pour moi, je le définis dans ma postface de

Fils, dans le prière d’insérer : "fiction de faits et d’événements

strictement réels." Se pose la question : comment écrire une

fiction avec des faits strictement réels ? Réponse : c’est

dans la manière de les assembler, de les dire, de

transformer la vie en roman. Il y a un mot de Napoléon que

j’aime beaucoup. Il paraît qu’il aurait dit à Las Cases

vers la fin de sa vie : "Quand même, quel roman que ma vie !" Eh

bien, je pense que des gens moins célèbres que Napoléon,

moins glorieux, peuvent aussi se dire : "Quand même. Quel

roman que ma vie !", et essayer de décrire leur vie comme un

roman et non plus comme un récit historique, une

autobiographie classique. Vous voyez que le préfixe auto a

son importance. Il faut qu’il y ait le nom, que le nom de

l’auteur sur la couverture du livre, du narrateur à

l’intérieur du livre et du personnage à l’intérieur du

livre soit le même, ce que mes collègues savants appellent

l’homonymat de l’auteur, du narrateur, du personnage.

Mais si je suis l’inventeur du terme, je ne suis absolument

pas l’inventeur de la chose, c’est-à-dire du modèle

autofictif. Je prendrais deux livres qui ont paru en 1928,

année de ma naissance : La naissance du jour de Colette, où elle

raconte l’histoire d’une femme dans la cinquantaine, dont

un jeune homme est amoureux. Elle lui dit : "Non, j’ai

passé l’âge, je ne peux plus." Elle essaie finalement de

marier ce jeune homme à une jeune fille qui était amoureuse

de lui. Dans ce livre-là, le jeune homme lui dit : "Mais

11

madame Colette… vous qui avez écrit les Claudine…" Il s’agit

donc bien d’une mise en scène de l’écrivain Colette qui a

écrit les Claudine par Colette elle-même. Non seulement le

personnage est nommé, mais le nom des gens qu’elle visite,

Dunoyer de Segonzac, Francis Carco, ce sont des noms de

personnes qui ont existé. La villa qu’elle décrit était la

sienne. Mais en même temps nous savons que quand elle a

écrit ce livre, elle n’était pas du tout dans les

dispositions d’une femme qui renonce à l’amour, elle venait

de rencontrer Maurice Goudeket et elle a eu une longue

relation avec lui jusqu’à la fin de ses jours. Déjà dans

Chéri9 en 1920, Colette était intriguée par l’idée d’une

femme plus âgée qui aime un homme plus jeune. L’histoire

avait mal fini dans Chéri, elle a bien fini pour Colette.

Son livre est une autofiction dans la mesure où elle se met

bien avec ses traits de sa personnalité : l’amour de

l’amour, l’amour de l’homme, et notamment de l’homme jeune,

ce sont bien des traits à elle, c’est son nom à elle qui

est cité, ce sont ses œuvres à elle qu’on y retrouve, mais

elle se livre à nous à travers une fiction : cet homme n’a

jamais existé. Mais c’est une possibilité d’exploration de

soi, la manière que j’ai choisie pour le faire n’est pas la

seule, il y a d’autres possibilités.

La même année, 1928, André Breton publie Nadja10. Breton

déteste le roman, dit pis que pendre du roman, et il nous

raconte l’histoire de ses aventures avec Nadja. A la fin du

livre, Nadja avance : "André ? Un jour tu écriras un roman sur moi."

Et ce roman, bien entendu, c’est Nadja. Pourquoi est-ce un

roman ? Parce qu’on lit une conversation entre Nadja et

9 Colette. Chéri. Paris : Calmann-Lévy, 1958.10 André Breton. Nadja. Paris: Gallimard, coll. NRF, 1928.

12

Breton où Nadja parle sur trois pages et Breton sur quatre.

Evidemment, un dialogue inventé sur une telle longueur est

une fiction. Toujours est-il que Nadja a existé. Breton a

eu une relation avec elle. Mais la manière dont il écrit

son livre, dont il le compose, ce pseudo journal intime

avec des dates, montre qu’il s’agit de la fictionnalisation

d’une expérience réellement vécue avec une jeune femme qui

s’appelle Nadja…

I. Grell : Vous trouvez qu’avec La nausée11, Jean-Paul Sartre

fait de l’autofiction ?

S. Doubrovsky : Non. Roquentin n’est pas lui. C’est du

roman autobiographique, il y en a des centaines où on se

sert de sa propre vie, mais dont on garde certains détails

et pas tous, qui est un mélange de fiction et de

transposition, mais sous un autre nom. Benjamin Constant

dans Adolphe12, ne s’appelle pas Benjamin Constant, et

Eléonore ne s’appelle pas Madame de Staël… C’est un roman

qui est inspiré par l’histoire qu’il a eue avec elle,

évidemment. Mais ce n’est pas de l’autofiction, c’est le

roman autobiographique, qui est une autre catégorie.

I. Grell : Pour vous, le contrat de l’autofiction, c’est

que tout ce que vous dites a existé, et que ce n’est que la

forme qui fait la différence avec l’autobiographie

classique ?

11 Jean-Paul Sartre, La nausée. Paris : Gallimard, 1938. 12 Benjamin Constant. Adolphe. Paris : Gallimard, 1967.

13

S. Doubrovsky : Non seulement le style, mais les dialogues,

certains détails…Il y a des fois de l’invention : quand je

fais dire à ma femme dans Le livre brisé (1989), lorsque je lui

achète l’anneau de mariage : "C’est pas une alliance, c’est

un alliage.", c’est moi qui l’ai écrit. Elle ne savait pas

assez bien le français, à l’époque. Donc c’est de la

fiction. Mais le mariage s’est bien passé ainsi, à la

mairie de New York, avec mes filles, et ma fille aînée qui

était pressée de partir chez sa grand-mère, etc.

I. Grell : Je voudrais que l’on ouvre la discussion sur la

production littéraire de ces vingt-cinq dernières années.

Vous avez été professeur de littérature pendant 50 ans à

New York, vous dites vous-même que l’autobiographie

s’apprend, en tous cas s’enseigne. Comment interprétez-vous

le fait que de plus en plus de gens veulent écrire un texte

à partir de leur propre histoire. Trouvez-vous que cela

pourrait desservir la littérature ?

S. Doubrovsky : De même qu’il y a de bons romans

historiques et des mauvais, il y a de la bonne autofiction

et de la mauvaise. Ce n’est pas le genre qui est décrié,

c’est la qualité du produit qu’on offre. J’aime bien L’ami

qui ne m’a pas sauvé la vie13 de Guibert. C’est un beau livre. Là,

c’est de l’autofiction. Il n’a pas nommé Foucault ou

Barthes, mais on les reconnaissait. Ou Dans ces bras-là14 de

Camille Laurens. Et puis il y en a, et je ne citerai pas de

noms, que je considère comme mauvais. Il y a des romans

historiques d’Alexandre Dumas et puis il y a aussi des

13 Hervé Guibert. L’ami qui ne m’a pas sauvé la vie. Paris : Seuil/Points,2000.14 Camille Laurens. Dans ces bras-là. Paris : P.O.L, 2000.

14

livres très mauvais qu’on vend sur les quais de la gare. Ce

n’est pas le genre qui est déconsidéré, c’est la qualité du

livre qu’on offre. Alors évidemment il y a de très

mauvaises écritures de soi, sans intérêt, banales, naïves,

vaniteuses. Mais il y en a d’autres qui ont écrit de beaux

livres dans ce domaine-là. Georges Perec : Je me souviens15 et

puis W ou le souvenir d’enfance16 sont deux livres admirables.

C’est une forme d’autofiction, il y a diverses

autofictions. Entre les quelques malheureux souvenirs que

Perec a de ses parents et puis cette histoire mythique

qu’il invente montre bien que chacun trouve sa voie.

I. Grell : Pensez-vous que l’impudeur, la transgression, la

sexualité, la sueur et le sang sont traités de manière plus

ouverte aujourd’hui dans l’auto-écriture ?

S. Doubrovsky : Oui. Maintenant, en 2006, ce n’est peut-

être plus la même situation que quand j’ai publié Un amour

de soi en 82, ou Le livre brisé en 89. Les tabous sexuels sont

tombés. Ces aspects-là de mon livre ne peuvent plus choquer

beaucoup. Il faut qu’il plaise pour d’autres raisons que

cela, il ne transgresse plus aucune limite.

I. Grell : Si je vous suis, l’autofiction est quelque chose

qui de toute façon aurait dû advenir.

S. Doubrovsky: Ce que je sais, c’est qu’à ce stade

aujourd’hui du développement du genre, je crois qu’on peut

s’apercevoir que c’est une autre forme de récit de soi, tel

15 Georges Perec. Je me souviens. Paris : Hachette, 1978.16 Georges Perec. W ou le souvenir d’enfance. Paris : Denoël, LettresNouvelles, 1975.

15

qu’on peut le vivre à la fin du XXème siècle et au début du

XXIème siècle. Tous les gens n’ont pas l’impression d’avoir

une vie qui se compose de moments successifs bien liés les

uns aux autres et bien analysables, mais comme dit

Marguerite Duras dans L’Amant17 : "L'histoire de ma vie n'existe pas. Ca

n'existe pas. Il n'y a jamais de centre. Pas de chemin, pas de ligne. Il y a de

vastes endroits où l'on fait croire qu'il y avait quelqu'un, ce n'est pas vrai il n'y

avait personne". Alain Robbe-Grillet s’exprime autrement et

parle des "morceaux dépareillés". On trouve cette approche chez

Sollers, on la trouve dans mon propre texte Le livre brisé. J’ai

été très surpris en me relisant, de voir qu’il y avait un

passage qui ressemblait beaucoup aux passages de Robbe-

Grillet ou Marguerite Duras cités. C’est une forme de

sensibilité postmoderne. Les écrivains de la génération du

Nouveau Roman sont revenus sur eux-mêmes, tous.

I. Grell : Le personnage S. Doubrovsky vous apparaît-il à

travers votre œuvre un personnage qui pourrait être comme

certains personnages de Molière, des archétypes du

paranoïaque ou du misanthrope, du jouisseur ou du

professeur amoureux. Est-ce que vous sentez se définir, à

travers le personnage S. Doubrovsky, un prototype humain ou

ne s’agit-il pas plutôt d’un personnage lié intrinsèquement

à une époque, une situation historique, plutôt un

personnage sartrien ?

S. Doubrovsky : C’est une très bonne question que vous avez

posée, de savoir si il y a un personnage dont, malgré les

multiplicités de noms, de lieux, de situations, de

positions, d’amours au pluriel, etc., on pourrait dire,

17 Marguerite Duras. L’Amant. Paris : Editions de Minuit, 1984, 14.

16

telles sont ses qualités, tels sont ses défauts. Je n’ai

jamais fait ce travail, et je ne pourrais pas le faire.

Mais oui, je crois que l’époque est extrêmement marquée

dans mes livres. JSD, c’est un homme qui a été élevé dans

les années 30, qui a connu les années 40. Cet homme

d’ailleurs a eu besoin à un moment donné de s’exiler. Il a

rencontré une Américaine qu’il a suivie en Amérique parce

qu’il fallait que les anglicistes d’ici étudient l’anglais

américain. Là-bas, ils se sont mariés, et puis il

souhaitait qu’elle vienne en France mais elle voulait

rester en Amérique. Il y donc est resté. D’un seul coup,

sans qu’à aucun moment je l’aie décidé, ma vie s’est

déterminée ainsi.

Maintenant, je reviens à Paris, c’est comme si j’avais fait

le tour de ma vie et que je revienne dans le quartier. A

dix minutes d’ici, il y a la maison où ma mère a emménagé

avec mon oncle en 1905 ; dans la rue d’à côté, il y a

l’appartement où j’ai vécu avec mes grands-parents en 1939

et 1940. Et un peu plus loin il y a l’appartement de mon

oncle, rue de la Pompe, où il était depuis 1932, et puis un

peu plus loin il y a la maison où ont emménagé mes grands-

parents maternels quand ils se sont mariés vers les années

1885 ou 86. Je reviens exactement au point de départ. C’est

très étonnant.

Cette traversée de l’Amérique, ce sera mon prochain livre.

Pour répondre de façon précise à votre question, de savoir

si au bout de tout cela il y a un personnage S. Doubrovsky

qu’on peut suivre, je ne peux pas vous répondre. C’est au

lecteur d’en décider. J’ai écrit dans des phases

différentes, avec des écritures différentes. Mon dernier

livre n’est pas écrit comme le premier. Alors, est-ce que

17

malgré tout il se dégage un personnage, comme il y Julien

Sorel ou Lucien Rubempré ? Je ne peux pas vous répondre. Je

ne peux pas être mon propre lecteur de ce point de vue-là.

Quand je me relis, je me relis en comparant ce que j’ai

écrit avec mes souvenirs réels et je m’aperçois qu’il y

avait des choses que j’ai oubliées, que j’ai notées quand

j’écrivais, parce que j’étais plus près des faits. Mais en

même temps, quand je me relis, c’est moins en me comparant

à mes autres livres qu’en me comparant à mes souvenirs

personnels.

18

II. ECRIRE LA FEMME

I. Grell : Avez-vous rencontré une femme que vous aimiez et

avec laquelle vous avez pu vraiment échanger ?

S. Doubrovsky: Oui, je dirais avec toutes les femmes que

j’ai connues, jusqu’à un certain point, mais pas au-delà.

D’où la tragédie de mes livres qui au fond racontent tous

la fin d’un amour, son développement, son intensité, son

départ. Je suis surpris en me relisant, il n’y a que des

pertes à la fin.

I. Grell : Sartre avait Simone de Beauvoir avec qui il

pouvait parler, mais même pas de tout.

S. Doubrovsky: Il avait des "contingentes" à côté. Je dirai

que la femme avec qui je me sens, dans un certain sens le

plus proche, c’est avec celle avec qui je vis maintenant.

Mais elle m’a demandé de ne pas trop la mentionner. Donc,

je ne parlerai pas. Avec Rachel d’Un amour de soi, je me suis

senti très proche, et à la fois très distant. Très proche

parce que techniquement c’était possible, elle était une

universitaire, une fille très brillante qui a ensuite a été

nommée professeur à Harvard, à Yale. C’était vraiment la

plus littérairement douée des femmes que j’ai connues. Mais

justement, je me suis aperçu, et le livre le montre, à un

certain moment donné, on est rivaux.

I. Grell : Oui, bien sûr.

19

S. Doubrovsky: Tant qu’elle se sentait écrasée par moi,

elle m’aimait. C’était le grand amour, j’étais le père,

elle était heureuse. Et puis le jour où je lui ai montré un

article sur Proust, elle m’a dit : "Oui, ce n’est pas mal",

j’ai demandé : "Quoi il ne te plaît pas ?" "Si, ce n’est

pas mal, mais j’ai l’impression que si je m’étais

appliquée, j’aurais pu en faire autant". Alors je perdais

complètement mon intérêt. Donc si vous voulez, c’est

intéressant de découvrir que et c’est un des problèmes

actuels, la parité, est aussi une forme de rivalité.

I. Grell : C’est-à-dire qu’un couple qui marche doit être

dans une sorte d’échange où chacun fait évoluer l’autre.

S. Doubrovsky: Alors là je dirai que peut-être c’est de ma

faute. Dans la plupart des rapports que j’ai eus avec les

femmes de ma vie, il y avait un moment où l’échange,

l’évolution devenait impossible.

I. Grell : Mais vous avez pris aussi des femmes fragiles, à

part Rachel.

Serge Doubrovsky : Ma première femme était une femme

solide, rationnelle jusqu’au bout des ongles. Elle est la

mère de mes deux filles. C’était une femme remarquablement

intelligente, qui s’intéressait moins à la littérature qu’à

la politique. Et on avait des rapports complexes. Enfin…

I. Grell : Ensuite, c’étaient des femmes borderline.

20

S. Doubrovsky : Ilse et Elle de L’Après vivre (1994), étaient

alors des femmes, dont la vie personnelle ne s’était pas

accomplie, ni par la maternité, ni par le métier ou la

productivité. Le cas d’Ilse, était un cas dans Le livre brisé

tout à fait pathétique. C’était une femme qui était

extrêmement, comme beaucoup d’Autrichiennes, douée pour la

musique. Elle avait un père qui avait fait la guerre, mais

à son retour, il est redevenu ce qu’il était, c’est-à-dire

un grand pianiste qui jouait souvent à la radio de Vienne.

Et elle, dès son enfance, elle était dans une chorale, elle

jouait du piano et elle se préparait à donner son premier

récital. Son père meurt quand elle a onze ans. Elle revient

de l’école, le piano a disparu, et sa mère a dit : "On

n’avait plus d’argent, j’ai vendu le piano." Alors sa

carrière était liquidée.

I. Grell : À part Ilse, aucune de vos femmes ne vous a

demandé d’écrire sur elle.

S. Doubrovsky: Non. Au contraire. ELLE a qui je n’ai

justement pas voulu donner de prénom, ni même de

pseudonyme, disait : "T’es un charognard, Doubrovsky, toujours à

prendre la vie des autres." Vous savez, j’ai toujours aimé les

femmes plus jeunes que moi. C’est très banal et n’a rien

d’original. Ce qui est différent, ce sont mes rapports avec

mes filles. Elles comptent énormément pour moi. Et, très

curieusement, c’est même des sentiments dont on ne devrait

pas parler. Ce sont des rapports très profonds, et qui

étaient très ambivalents au début de leur vie. Parce que ma

femme s’occupait des enfants, comme on considérait que

c’était le rôle de la femme à l’époque, mais en même temps,

21

elle voulait faire un doctorat de Sciences Politiques, elle

était inscrite à l’Université de Harvard, elle avait un

professeur remarquable dont elle me parlait, qui s’appelait

Henry Kissinger et un économiste prodigieux qui s’appelait

John Galbraith. Alors ma femme dit souvent à mes filles :

"votre père m’a laissé tout le soin de vous élever." Mais maintenant je

vois que mes deux filles m’aiment vraiment. Alors c’est

donc que je les ai aimées aussi et que je leur ai apporté

quelque chose. Autrement les enfants ne nous aiment pas,

s’ils ne sont pas aimés. Give and take. Si je réfléchis, mes

filles étaient ce qui me ramenait en enfance moi-même. Avec

ma fille aînée, quand elle avait cinq ans et que nous

habitions dans la campagne du Massachusetts, nous allions

voir les vaches à l’Université du Massachusetts, et on

visitait la campagne. Avec ma fille cadette on allait

courir le long de l’océan Atlantique. Quand elle avait

dix, onze ans, on partait tous les dimanches. À l’époque,

j’avais ma propre maison dans le Queens et on filait en

voiture. J’ai les meilleurs souvenirs de ce moment-là. Je

leur ai apporté le divertissement, la joie de vivre, le

plaisir. Ma femme évidemment, elle a organisé la vie

quotidienne.

I. Grell : Vous en parlez très peu dans vos livres. Est-ce

par respect pour vos filles ?

S. Doubrovsky: Ma fille aînée m’a dit : Quand tu seras

mort, je me ferai traduire Le livre brisé mot à mot18.. Mais

elle ne veut pas le lire maintenant. Oui, c’est peut-être

18 Quelques extraits du Livre brisé ont été traduits par Armine KotinMortimer dans GENRE 26 (1993): 13–26.

22

une des choses sur lesquelles je me suis le moins

profondément exprimé. Je crois que dans mon prochain livre.

Il faudra peut-être le faire. Elles jouent un grand rôle

pour moi. J’appelle mes filles tous les jours de Paris à

New York.

I. Grell : Vous voulez dire que tous vos proches, parmi vos

proches, personne n’a lu vos livres ? Est en mesure de lire

vos livres ?

S. Doubrovsky: Il n’y a que ma première femme qui savait

très bien le français, qui m’a lu. Elle m’a dit : "bravo,

c’est un bon livre". Il s’agissait de La Dispersion (1969),

après cela elle est partie de son côté. Ma fille aînée, sa

première langue a été le français, elle avait trois ans, on

a passé l’année en France. Puis on est retourné en

Amérique, elle s’est mise à l’anglais. On est revenu en

France, elle a dû faire un effort pour se remettre au

français, on est repartis en Amérique.

I. Grell : La famille d’Ilse ne les a pas lus.

S. Doubrovsky: Non. Je leur ai remis un exemplaire de mon

livre parce qu’ils voulaient un exemplaire de mon livre

après sa mort. Et avant de le leur remettre, avec un

rasoir, j’ai coupé toutes les pages où il y avait des

phrases allemandes, où elle racontait comment, elle s’était

fâchée avec sa mère en descendant les jardins du Trocadéro

et sa mère a eu cette phrase incroyable.

I. Grell : "Du benimmst dich wie eine Zigeunerin." (Le livre brisé)

23

S. Doubrovsky: Ce racisme. D’ailleurs, on les gazait comme

les juifs, les tziganes. Au rasoir, j’ai enlevé ces

phrases-là, pour ne pas leur faire de la peine.

I. Grell : Mais il est intéressant que vous ayez donné le

livre, mais en découpant les phrases.

S. Doubrovsky: Pourquoi faire de la peine à ces gens ?

Parce que cela aurait été les seules choses qu’ils auraient

comprises, c’étaient les mots en allemand. Il n’y avait

aucune raison de les blesser. Mais avec mes filles, je n’ai

pas exploré à fond nos rapports. Il y a des choses qui sont

même maintenant difficiles à dire. C’est un paradoxe pour

moi étonnant qu’évidemment j’aime autant une fille que

l’autre, l’une ultrabrillante, l’autre handicapée.

I. Grell : L’amour, est-ce fatalement la guerre entre un

homme et une femme ?

S. Doubrovsky : Oui et non. L’amour peut être la guerre

dans les moments où les égoïsmes individuels, les besoins

individuels entrent en conflit. Par exemple, Elle dans

L’Après-vivre, n’aimait pas son mari. Elle a cru qu’elle

pourrait refaire sa vie avec moi. Mais elle s’était aperçue

qu’un homme de plus de 60 ans n’avait plus les capacités

sexuelles d’un homme de 30 ou 40 et que finalement je

n’avais pas du tout envie de reprendre une vie maritale

normale. Elle buvait aussi beaucoup, mais cela, je ne l’ai

pas mis dans mon livre. Vous voyez, il y a des choses que

je n’ai pas dites. Elle se saoulait presque autant qu’Ilse

24

et je me suis fait la réflexion : "Je ne peux pas à mon

âge, passé 60 ans, emménager avec une alcoolique" Elle a

été fondamentalement déçue puisqu’elle espérait que je

l’aiderais à refaire sa vie, mais pour moi ce n’était pas

possible. On se voyait, elle venait ici. Régulièrement. Et

cela a duré dix ans.

Je crois que nous avons tous en nous des possibilités de

destruction autant que des possibilités d’amour. Et on a de

la chance quand ce sont les secondes qui triomphent quand

même des premières. C’est vrai que l’instinct de mort n’est

pas seulement l’instinct de sa propre mort, c’est aussi

l’instinct de la donner aux autres. J’ai été frappé par un

très beau passage d’un livre de Jorge Semprun, L’écriture ou la

vie19, où il raconte comment il est dans un bois, et de

l’autre côté d’une petite rivière, il voit un soldat

allemand qui est en train de laver sa chemise et qui chante

en allemand La Paloma qui est une chanson espagnole. Il est

là : "Est-ce que je tire, est-ce que je ne tire pas ?" Ce

sont des pages magnifiques. Et il a tiré. C’était la

guerre. Cela faisait un soldat allemand en moins. Il a donc

commis le crime. Il le fallait. Donc, même un homme aussi

remarquable peut tuer. Semprun a tué. Vous disiez que

l’amour est une forme de guerre. Dans cette forme-là, il y

a des gens qui, effectivement, se tuent. Je n’en suis pas,

chez moi, c’est une métaphore "Je tue une femme par livre"

ai-je écrit dans Le livre brisé, mais aussi je les perpétue.

Mais elle indique bien que des sentiments extrêmes, des

situations extrêmes, qu’elles soient de guerre au sens

historique du terme ou qu’elles soient de relations

humaines existent. Et il y a des moments où c’est

19 Jorge Semprun., L’écriture ou la vie. Paris : Gallimard, 1994.

25

réciproque. On a aussi envie de se débarrasser de vous.

J’ai néanmoins essayé de montrer le double aspect des

passions humaines. Curieusement mon premier roman, composé

dans ma lointaine jeunesse avait déjà un titre qui résume

toute mon œuvre à venir : L’un contre l’autre.

I. Grell : C’est aussi une des raisons pour lesquelles,

dans vos livres, on a rarement des mises à distance d’un

jugement, qu’il soit philosophique, moral, esthétique, de

ce qui est en train d’être exposé. J’avais envie de vous

demander, pourquoi, dans Le livre brisé, le personnage qui

s’appelle Serge Doubrovsky, n’entreprend jamais l’effort de

comprendre le personnage féminin dans sa souffrance ou dans

sa douleur d’absence d’enfant. Cela m’avait beaucoup

troublée. Est-ce que aujourd’hui, vous ressentiriez lors de

l’écriture un besoin de prendre un retrait supplémentaire

pour pouvoir juger de l’événement ou juger de la situation

ou pas ?

S. Doubrovsky : Quand on lit mon livre, et encore une

fois : "faits et événements strictement réels", après avoir refusé

d’avoir un enfant avec cette femme qui mourait d’envie d’en

avoir un, refus fondé sur une différence d’âge entre elle

et moi considérable, j’ai quand même accédé à son vœu et

elle a été enceinte deux fois, volontairement. Finalement

j’ai cédé à son désir. Elle a fait deux fausses couches, et

ce n’est pas de ma faute. Donc ultimement, je ne me hais

pas totalement parce que je lui ai donné autant qu’on peut

donner à une femme, la preuve que je comprenais son désir

puisque moi qui n’avais pas vraiment, 60 ans passés, le

désir de me reproduire de nouveau, j’ai tout fait pour que

26

cela arrive. Son corps n’a pas suivi, ce n’est pas de ma

faute. Des jugements sur soi, oui, on est amené à en

porter. Le livre lui-même était un jugement. Mais il n’y a

pas de jugement dernier, c’est à chaque lecteur de tirer sa

leçon, sa vision. Je reviens sur ce que j’étais en train de

dire tout à l’heure : la psychanalyse m’a donné l’envie et

les moyens d’écrire, le sentiment aussi d’écrire avec les

mots qui s’accrochent les uns aux autres, comme les

associations qui s’accrochent l’une à l’autre. Cela a

déterminé en partie mon style et mon écriture. Mais ce

n’est pas le seul élément. Vous citiez tout à l’heure un

passage d’un de mes livres où je déclare "j’écris pour

moins mourir". Oui, je crois que c’est un moyen que j’ai

trouvé, que j’ai essayé de trouver, pour dépasser le fait

que je sais que je vais mourir. Alors, tant qu’il y a

encore des lecteurs, et j’ai été encouragé de voir que des

gens de jeunes générations aujourd’hui font encore des

maîtrises, des doctorats ou ce qu’on appelle aujourd’hui

des masters sur mon œuvre. Si cela se prolonge au-delà de

ma propre mort, je serai moins mort que si je n’avais pas

écrit ces livres. Certainement, écrire, c’est une lutte

contre la mort et contre sa propre mort. C’est aussi

encore, troisième élément, vous m’aviez posé la question,

mais je crois qu’elle est essentielle pour comprendre mon

autofiction, c’est le fait d’être juif.

27

III. LE FAIT D’ETRE JUIF

S. Doubrovsky : Beaucoup des critiques contemporaines que

j’ai pu lire ces dernières années sur mon œuvre ont insisté

sur la judéité, et je dis bien la judéité et non pas la

judaïté. Je ne suis absolument pas pratiquant, je suis même

totalement athée. Je suis comme Freud dans le titre d’un

ouvrage célèbre en Amérique sur sa vie : A Godless Jew: Freud,

Atheism, and the Making of Psychoanalysis20. Pour les Américains,

c’est quelque chose de choquant. Moi aussi, je suis un juif

sans Dieu. Mais la judéité, c’est-à-dire le sentiment

d’appartenir à une filiation ethnique et culturelle qui a

traversé les siècles à travers les persécutions les plus

incroyables, bien que je n’en sois pas solidaire sur le

plan idéologique, j’en suis solidaire sur le plan

historique.

Mon père avait dans son enfance connu les pogroms, les

cosaques russes. Mon grand-père avait réussi à quitter son

village natal de Pologne où il était traité comme un chien

pour arriver à ce qu’on appelait à l’époque Constantinople

et de là il a essayé de partir en Amérique. Mais il a

échoué en France. Cet aspect-là est essentiel. Une des

expériences les plus marquantes de ma vie, a été de porter

l’étoile jaune et de savoir que je pouvais d’un moment à

l’autre être déporté. Dans Fils, il y a cette phrase que je

ne récuse pas aujourd’hui : "je porte la mort entre les

jambes". Alors l’organe de vie est aussi l’organe de mort.

Cette expérience-là m’a profondément marqué. J’ai écrit

20 Peter Gay. A Godless Jew: Freud, Atheism, and the Making of Psychoanalysis. NewHaven: Yale University Press, 1989.

28

pour faire exister un juif d’un certain type, qui n’est pas

un juif orthodoxe, qui n’est pas un juif religieux, mais

qui est juif quand même… Vous savez, il a des Français qui

sont bretons, ils ont reçu d’autres traditions et même dans

certains cas une autre langue, mais ils sont bretons et

français. Un Provençal, il a toute une tradition, mais il a

aussi sa langue, mais il est provençal et français. A

Saint Aventin, à la frontière espagnole du côté de

Biarritz, dans un village où j’habitais pendant que je

faisais une cure thermale à Luchon, les gens parlaient

catalan. Ils étaient Français. Alors moi, je suis un

Français juif russe Français. J’ai échappé de justesse à la

lutte contre la mort policière et politique. Ce n’est pas

simplement la lutte contre la mort inévitable pour tout le

monde, c’est aussi : "Vous avez voulu me tuer, eh bien je

vais me ressusciter, je vais écrire." Emanait de là une

puissance très motivante, et très curieusement aux Etats-

Unis, contre ma volonté d’ailleurs, on m’a inscrit dans le

dictionnaire des écrivains de l’Holocauste. Heureusement je

n’ai pas connu l’Holocauste. Je ne voulais pas y figurer,

mais on m’a dit : "Mais non, mais non, c’est un thème

essentiel dans votre œuvre." Et on m’y a classé. Je crois

que c’est quelque chose d’important pour moi.

Le mot Autofiction est un mot un peu bizarre, il est

employé maintenant tout le temps, par tout le monde.

J’ouvre un journal, on me parle d’un peintre ou d’un

cinéaste ou d’un chanteur qui a fait de l’autofiction. Ce

terme est dans le Larousse, il est dans le Robert qui a la

gentillesse de me l’attribuer : " Serge Doubrovsky, 1977".

Mais à l’intérieur de moi-même, je vais être tout à fait

franc, je suis content qu’un type dont le grand-père était

29

illettré et qui s’est traîné, je ne saurai jamais comment,

depuis la Pologne jusqu’à Odessa, et d’Odessa jusqu’à

Marseille, pour aboutir à Paris rue des Rosiers, fils d’un

père qui a échappé à l’armée russe, où il ne voulait pas

servir en 1912, dans un tonneau qui l’a amené jusqu’à

Berlin, et de là il a gagné la France, soit devenu

quelqu’un qui a inventé un terme français. Evidemment, mon

père a toujours parlé avec un gros accent, ses langues

étaient le russe et le yiddish. Quand même, leur petit-fils

et leur fils a donné UN mot à la langue française, c’est ma

revanche. Dans ce sens-là, je me sens très solidaire de mes

aïeux. Et très curieusement, j’ai deux filles en Amérique

qui ne sont absolument pas pratiquantes mais qui sont très

conscientes d’être juives. C’est une de leurs identités.

Par ailleurs, je ne voudrais pour rien au monde vivre en

Israël, ce n’est pas mon pays, je n’ai aucun désir de vivre

uniquement parmi les Juifs. Absolument pas. Mais je ne peux

pas renier ma judéité, tout en étant à 100% français… Les

gens quelquefois me disent : "Mais vous n’avez pas, en 50

ans d’Amérique, acquis la double nationalité ?" Je

réponds : "Jamais." J’ai tout en double : les prénoms, les

professions : professeur, écrivain ; la vie : France,

Amérique ; un appartement : Paris, New York. Souvent, quand

j’étais plus jeune, une femme d’un côté et une de l’autre.

Mais il y a deux choses où il n’y a aucune ambiguïté, ma

nationalité et mon orientation sexuelle sont uniques.

Dans Laissé pour conte, le livre s’ouvre en juillet 40 sur la

vision du pont de Saint Germain au Pecq que l’armée

française a fait sauter pour retarder l’avance allemande et

il se termine en 1944. Entre ces premières et dernières

lignes, le personnage principal s’est baladé à travers les

30

années pour remonter jusqu’en 1997, au moment où j’étais en

train d’écrire, et il s’est refermé exprès, là c’est la

décision de l’écriture, ce n’est plus une autobiographie,

ma vie est comprise entre deux dates, juillet 40 et mais

44, c’est-à-dire au moment où je me cachais, et où je ne

savais pas ce qui allait advenir.

Depuis, c’est un phénomène très curieux, j’ai été très

souvent invité à faire des conférences en Allemagne, j’ai

été très gentiment traité lors de ces séjours. J’y ai été

reçu par des gens qui n’ont plus rien à voir avec ceux que

j’ai pu connaître dans mon enfance : le croisement du

boulevard Haussmann et de la rue de l’Arcade, juste avant

d’arriver au Printemps. Le 12 juin 1940, je suis descendu

avec mes deux cousins et on a vu passer l’armée allemande.

Paris ville ouverte, toutes les boutiques avaient leurs

tabliers baissés, tout le monde était parti, nous étions

parmi les seuls à être restés à Paris. Il faisait une

chaleur incroyable, il y avait des soldats torse nu, fusils

entre les jambes, camion après camion à l’infini. C’est une

image inoubliable. J’ai écrit non pas pour effacer ce

souvenir, mais pour le faire sentir. En tant que Français

et en tant que Juif, cela a été l’humiliation suprême. 40 –

44 : je n’ai jamais réussi à me dégager de cette prison.

31

IV. L’AUTRE

I. Grell : Vous dites, c’est dans Fils ou Le livre brisé, que vous

aviez décidé dés l’enfance d’être écrivain, que vous alliez

faire sérieusement de la littérature…

S. Doubrovsky : Cela remonte indubitablement à la petite

enfance. Mon père était lettré dans sa culture, mais pas

dans la culture française. Ma mère, par contre, n’avait pas

fait d’études avancées puisqu’à son époque, cela ne se

faisait pas pour une fille rangée. Mais elle avait sa

bibliothèque où se côtoyaient Baudelaire, Albert Samain,

Victor Hugo. Dès mon enfance, j’ai été nourri de

littérature par ma mère. Cet amour de la littérature est

donc antérieur à la guerre. J’ai toujours senti que c’était

les livres qui m’intéressaient. J’étais mauvais en maths,

les sciences n’étaient pas pour moi. J’étais nul en dessin,

je ne serais pas un artiste ni un peintre. Mais j’étais

toujours premier en composition française. A l’époque il y

avait des classements, c’était une époque très élitiste et

hiérarchisée. Devenir un homme de lettres remonte donc au

plus loin de l’enfance.

Mais il faut avouer que j’ai été professeur parce que mes

parents voulaient que j’aie un revenu fixe. C’était peut-

être une conséquence de la guerre ; ils voulaient que je

puisse compter sur un revenu, alors qu’un écrivain, par

définition, vit dans la précarité parce qu’il n’y a pas

d’assurance que ce qu’on lit aujourd’hui va intéresser les

autres demain. C’est un petit peu ce que raconte Sartre

dans Les mots21. C’est le grand-père Schweitzer qui avait

21 Jean-Paul Sartre. Les Mots. Paris : Gallimard, 1964.

32

souhaité que son petit-fils devienne professeur. Je suis

sans doute dans le même cas. J’ai donc préparé après la

guerre l’Ecole normale supérieure et je me destinais à

l’agrégation de philosophie, mais je suis tombé tuberculeux

entre-temps. J’ai fait deux ans de sanatorium, les médecins

m’ont déconseillé de poursuivre l’agrégation de

philosophie : à l’époque, on recevait seulement une

quinzaine de personnes, c’était trop difficile. J’ai donc

préparé l’agrégation d’anglais. Pour, finalement, par la

force des choses, enseigner les lettres françaises en

Amérique ! Mais le professorat m’a passionné. Je viens de

prendre ma retraite et je dois dire que j’ai fait un métier

que j’aimais. J’avais des contacts qui m’étaient très chers

avec les jeunes, j’essayais de leur faire partager des

livres essentiels de la littérature française.

Mais au fond de moi-même, il fallait faire autre chose

aussi, le plaisir que j’avais à lire ces livres m’a fait

vouloir en écrire aussi. L’un et l’autre son

indissociables. Si je n’avais pas été ému et passionné

quand je lisais Le rouge et le noir22, je n’aurais peut-être pas

été porté à faire des livres moi-même. Mais la différence

fondamentale avec la littérature classique et ce que

j’essaie de faire, c’est que Julien Sorel n’est pas

Stendhal, même pas un Stendhal qui aurait changé son nom.

Donc j’ai voulu que ce soit MOI qui sois le personnage, que

si l’on m’aime ou si l’on me déteste, ce n’est pas un

personnage que j’ai créé, c’est moi-même. J’ai voulu

établir un rapport particulier avec le lecteur. Cela me

paraît essentiel. Le lecteur, le destinataire est toujours

22 Stendhal. Le rouge et le noir. Paris : Levasseur, 1830.

33

présent. Autrui, cette foule inconnue qui m’entoure, c’est

pour elle que j’écris. Je n’ai jamais tenu de journal

intime, par exemple, parce qu’écrire pour moi tout seul ne

m’intéresse pas. Dans l’acte d’écriture, il y a déjà

l’implication d’un lecteur éventuel, futur. Je ne cherche

pas du tout à lui faire plaisir en inventant par exemple

une très belle histoire comme tant de romanciers ont pu le

faire, qui n’est absolument pas la leur mais où ils ont mis

tout leur talent d’imagination. L’art de la fiction pure ne

m’a jamais sollicité.

J’ai toujours eu besoin d’un contact personnel avec mon

lecteur. Je n’en ai pas été conscient dès le début, je m’en

suis aperçu peu à peu. J’écrivais pour que, si on aime le

livre, on m’aime, mais si on déteste le livre, on me

déteste. Je veux être en jeu nommément, personnellement,

pas par le truchement de personnages imaginaires. En ce

sens-là il faut donc que je puisse, par l’écriture, me

transformer en personnage de fiction tout en exposant des

faits réels qui sont arrivés dans ma vie. Alors, quel

rapport est-ce que je demande au lecteur ? Il s’agit là

d’une question qui m’a longtemps poursuivi. Je reviens à

Rousseau qui est le parangon, le maître de toute cette

sorte de littérature. Il vient, dit-il, son livre en main,

se présenter devant Dieu. Mais finalement ce qu’il demande,

c’est l’absolution. On se rend compte que finalement, ce

qui a poussé Rousseau à écrire ses mémoires, ses

confessions, c’est le fait que Voltaire avait dénoncé le

bruit que Rousseau avait livré plusieurs enfants qu’il

avait eus avec Thérèse Levasseur aux enfants trouvés de

l’époque. Et il explique dans Les Confessions que dans le

genre de vie qu’il menait, il n’aurait pas été capable de

34

leur donner une bonne éducation et que comme cela ils

seraient bien élevés, ce qui était monstrueux quand on

pense à ce que devait être le sort des enfants trouvés au

18ème siècle. Rousseau demandait l’absolution. Voltaire

avait cherché un crime. Rousseau le nie. "Donc, cher

lecteur, je me présente devant Dieu avec mon livre…" Moi,

je ne cherche absolument pas l’absolution. On peut me

condamner. Ce que je cherche ? Je voudrais que le lecteur

participe à ma vie. La participation n’est pas forcément

une approbation, elle peut être négative. Car si je fais

partager ma vie au lecteur, lui-même va sentir, éprouver

des sentiments peut-être plus forts qu’en s’identifiant à

un personnage imaginaire. Ce rapport au lecteur est donc

essentiel.

J’ai reçu des centaines de lettres au cours de ma carrière

- cela fait quand même plus de 30 ans que j’écris de

l’autofiction -, des lettres tout à fait étonnantes, avant

tout de personnes du milieu universitaire, parisien,

cultivé, mais il y en a une aussi d’un ouvrier d’usine.

C’est une des lettres qui m’ont fait le plus plaisir. J’ai

reçu des lettres de gens qui ne sont absolument pas dans ma

profession. C’était ma victoire : arriver à ce que

quelqu’un qui n’est absolument pas dans le métier de

l’enseignement trouve le besoin de m’écrire. Il y a des

gens qui ont aussi détesté mes livres, mais alors ils ne

m’ont pas écrit. J’ai juste eu deux lettres d’insultes que

je garde très précieusement. Pour moi, elles sont

parfaitement valables, elles ont leur droit. Pour certaines

personnes, je suis un salaud mais est-ce que c’est bien

écrit ? Si c’est le cas, finalement la valeur littéraire

35

sauve l’homme. Je me souviens à l’époque où j’étais en

train d’écrire Fils, j’ai découvert le livre de Philippe

Lejeune Le pacte autobiographique23 qui a eu une énorme influence

sur moi, qui m’a aidé à comprendre ce que c’était que

l’autobiographie et à comprendre un peu aussi ce que

j’étais en train de faire, parallèle à l’autobiographie,

mais différent or, après la publication d’ Un amour de soi, on

a eu une très, très longue conversation téléphonique et à

la fin il m’a dit : "Serge, quand même tu es un salaud" et

j’ai dit : "Oui, mais est-ce que c’est un bon livre ?" Il

m’a répondu : "Oui." Pour moi, c’est ce qui compte.

I. Grell : Vous dites que votre but n’est pas l’approbation

de votre lecteur, vous ne cherchez pas à ce qu’il vous

absolve, qu’il vous juge ou méjuge, juste à ce qu’il

participe à votre vie. La preuve en est que vous gardez les

deux lettres de personnes qui n’ont pas aimé. Ces lettres

jugeaient-elles votre style ou l’homme derrière

l’écrivain ?

S. Doubrovsky : Il y a un homme qui jugeait l’homme. Il

dit : "Je n’ai pas pu continuer ton livre", il me tutoie :

"Je me suis arrêté à la page 200 ou je ne sais pas quoi.

C’est immonde, c’est dégueulasse." Ce n’était pas quelqu’un

de très cultivé d’après son style. Puis j’ai reçu une

lettre de femme beaucoup plus élégante à propos d’Un amour

de soi, qui n’appréciait pas le personnage qui portait mon

nom. Mais elle avoue que : "Quand même, j’ai été obligé

d’aller jusqu’au bout de votre livre. Votre livre m’a quand

même intéressée."

23 Philippe Lejeune. Le pacte autobiographique. Paris : Seuil, 1975.

36

En général ceux qui vous écrivent sont des gens qui ont

aimé le livre et qui disent pourquoi. Les raisons

diffèrent. Pour certains, c’est une certaine diversité des

personnages, des situations. On m’écrit souvent : "Ah, moi

aussi j’ai connu cela, moi aussi j’ai eu…" Il s’agit ici

d’une identification. J’en ai reçue une tout récemment qui

dit: "Dans Le livre brisé, votre histoire, vous savez, moi les

histoires, j’en ai eu aussi dans ma vie et ce n’est pas

cela qui m’impressionne, mais c’est votre écriture. La

manière dont vous écrivez, cela, c’est ce qui me touche."

Donc pour beaucoup de lecteurs, c’est mon style, c’est

l’écriture qui les a attirés et qui les a amenés à

m’écrire. Pour d’autres, ce sont au contraire les histoires

contées : "Ah, moi aussi j’ai eu un mariage raté, je sais

ce que c’est…" Il y a toutes sortes de niveaux

d’identification, de niveaux d’appréciation et je suis

toujours heureux de recevoir ce signe de vie.

Finalement, je suis quelqu’un qui est assez solitaire de

tempérament, je ne suis pas un personnage médiatique, je ne

vis pas dans le public, j’ai une vie privée, et par le

livre, je sors de cette vie privée et j’en fais une vie

publique qu’on peut acheter sur un rayon de

librairie. C’est une manière de socialiser ma vie, de la

rendre contemporaine à la fois des gens de ma génération

mais aussi des gens d’autres générations que le livre

continue à toucher toujours. Je crois que pour moi, c’est

une des raisons profondes pour lesquelles je me mets en

scène, pour lesquelles je ne veux pas faire de roman au

sens classique. C’est une manière de chercher un rapport

direct ou indirect, à travers les mots bien entendu, à

travers la fiction que toute histoire raconte, avec mes

37

contemporains. J’ai reçu des publications sur mon œuvre,

surtout sur Le livre brisé, des Etats-Unis, d’Angleterre, de la

France naturellement, d’Allemagne d’Italie, de l’Angleterre

ou d’Australie et du Canada. Et j’ai même là sur cette

table un compte-rendu de mon œuvre en polonais. Là, je ne

peux pas le lire, mais il m’a été apporté par une

ravissante Polonaise qui m’a dit : "Voilà, notre professeur

voulait que je vous apporte cet ouvrage." Mon grand-père

l’aurait compris, mais il ne pouvait pas lire.

I. Grell : Est-ce qu’il y a des choses qui sont taboues

pour vous dans l’écriture ? Est-ce qu’il y a des lieux, des

personnes, des époques auxquels vous ne toucherez jamais ?

S. Doubrovsky : Oui, cela m’arrive. D’abord il y a les lois

du texte lui-même. Je crois avoir dit dans Laissé pour conte :

"Je n’ai jamais écrit mes livres, mes livres s’écrivent à travers moi." Alors,

je garde un jugement de valeur : si c’est bon, je garde, si

c’est mauvais, je jette. Mais il y a des livres qui

m’acceptent et certains qui ne m’acceptent pas. Par

exemple, dans Laissé pour conte, il y a une chose que je

voulais raconter, et que je n’ai racontée dans aucun de mes

livres, je n’ai pas pu. C’était en 1964, la visite que j’ai

faite à Auschwitz. Je n’ai pas pu l’écrire. Il y a donc des

tabous. Le livre n’en a pas voulu. Donc oui, il y a

certaines choses dans ma vie, très peu, qui restent

taboues.

Ma sœur m’a dit dès le début : "Je ne veux pas que tu écrives sur

moi." Alors je n’ai jamais écrit en profondeur sur elle.

J’ai décrit sa superbe maison, les grandes réunions de

famille que l’on a chez elle, mais je ne suis jamais entré

38

dans son intimité. En ce qui concerne ma mère, Fils, je n’ai

pu l’écrire qu’après sa mort. De son vivant, cela aurait

été impossible. Ma mère était la personne la plus effacée :

"Il faut jamais se faire remarquer" Elle détestait les m’as-tu vu.

Ce livre n’aurait donc pas été possible. Même si ma mère

n’était pas un sujet tabou. Mon père non plus, d’ailleurs.

D’autres choses ont pu l’être, mais relativement peu. J’ai

peu de tabous.

I. Grell : Si votre mère avait été en vie plus longtemps,

si vous n’aviez pas commencé une analyse, vous n’auriez pas

pu écrire de l’autofiction ? L’écriture consonantique,

quasi-automatique se serait refusée à vous ? Vous seriez

passé par le roman classique ?

S. Doubrovsky : Là je ne peux pas vous répondre. Je ne sais

pas. On ne peut pas se réécrire une vie qu’on n’a pas eue.

Mais une chose est évidente, je n’aurais pas pu écrire ce

que j’ai écrit de son vivant. Ecrire ce livre a été un

moyen de la maintenir en vie. A l’origine, dans un moment

de folie, des années de folie, j’ai écrit 2599 pages, la

première version, et là toutes les paroles de ma mère ont

été consignées, j’étais comme une espèce de greffier. Tant

que j’écrivais le livre, ma mère vivait, elle était là,

elle me parlait, elle me répondait, je la maintenais en

vie. Mais de son vivant je n’aurais pas pu publier un livre

la révélant, elle. Bref, il y a peu de sujets tabous. Je

vous ai donné un exemple de quelque chose que je n’aurais

jamais pu écrire. Il y en a probablement d’autres.

Mais il y a aussi des choses dans ma vie qui n’ont aucun

intérêt. Elle est là, la différence entre le journal intime

39

et l’autofiction : dans le journal intime, on note tout ce

qu’on peut ressentir dans une journée, tout ce qu’on peut

avoir fait. Mon livre trie, il n’y a pas tout, il y a ce

qu’il faut pour le livre lui-même. Donc il y a des choses

que j’élimine parce qu’elles ne seraient pas bonnes,

littérairement, dans le livre. Non pas pour des raisons

éthiques ou morales. Mais on ne peut pas tout mettre dans

un livre. Il y a des aspects de ma vie qui n’ont aucun

intérêt.

I. Grell : Permettez-moi de vous citer un passage du Livre

brisé qui m’avait interpellée : "Dans ma vie, caressé pas mal de

nénés, connu pas mal de nanas, jamais eu un cas pareil dans les bras, sur les

bras, les bras m’en tombent, de nouveau ma main se lève, je l’ai lourde, si

malgré tous les toubibs elle continue à s’imbiber, basta le baston, je la tabasse.

Maintenant chaque fois qu’elle se saoule la gueule je lui fous carrément un tas

de pains dessus, pas du gâteau, lorsqu’elle dégoise ses injures, une vraie tarte.

Tous ces mois je me suis fait du mauvais sang. Mais j’ai aussi le sang mauvais

parfois il m’injecte les yeux, je vois rouge, je dis stop. Une fois lancée rien ne

l’arrête, elle me poursuit de ses acidités obscènes, à mon tour peux plus

m’arrêter, le sang m’afflue au cerveau, elle hurle à tue-tête que je veux la tuer,

sa voix grimpe les octaves, elle s’égosille, à une heure du matin un raffut à

réveiller les morts et les voisins, à mon tour je crie stop, pas l’envie qui manque,

je crève d’envie de la descendre... "

Vous vous présentez vous-même sous les traits d’un homme

monstrueux, traçant une image très peu flatteuse de vous-

même. Cette posture-là, est-elle une tentative de forage de

vous-même afin de faire monter à la surface le pire et le

meilleur de l’homme ou est-ce que la création du personnage

vous dépasse-t-elle à un moment ? Quelles sont les limites

que vous vous autorisez dans l’écriture ?

40

S. Doubrovsky : Il est vrai que cette écriture peut heurter

des esprits facilement choquables. On peut raconter des

histoires, mais il ne faut pas parler de soi. Il y a une

limite qu’il ne faut pas dépasser. Je citerai un exemple

personnel. Mon livre Un amour de soi avait été présenté à un

des grands éditeurs parisiens, il est passé entre les mains

d’un lecteur professionnel. Cette personne m’a dit :

"Ecoute, on n’a pas pu le prendre, non pas parce qu’il est mauvais, mais tu

comprends, tu appelles le héros de ton livre S. Doubrovsky. Si tu l’avais appelé

Jacques ou Michel, on aurait pu, mais tu te racontes et tu racontes quand même

des choses sur toi et sur les autres qui… On peut pas…" Ce côté choc, je

crois qu’il est absolument essentiel dans l’autofiction.

Disons que mes seules limites me sont dictées par les

relations à autrui, et en particulier à une femme. Tous mes

livres, jusqu’à présent, sont l’histoire de la perte d’une

femme. Ma mère dans Fils, celle que j’ai appelée Rachel dans

Un amour de soi, Ilse, dont c’est le nom réel, dans Le livre

brisé. Je crois que l’accusation que font beaucoup de gens

que "parler de soi, est narcissique, impudique", ce sont des

considérations qui ne m’intéressent pas et dont je ne tiens

absolument aucun compte. Je crois qu’il faut avoir le

courage, si l’on écrit, de révéler sa propre vérité et

aussi celle des autres parce qu’on ne vit pas seul sur une

île. Il ne peut pas y avoir simplement autofiction, il y a

aussi l’hétérofiction. Alors cela pose effectivement

problème. Pour revenir à la scène que vous avez lue, elle a

été réelle. Est-ce que c’est les mots exacts qui ont été

dits, probablement non, en récrivant, je réinvente le

dialogue comme Breton avait réinventé le dialogue avec

41

Nadja. Mais l’expérience d’une femme ivre qui vient

agressivement à vous et le fait qu’on réagit brutalement,

cela est vrai. Fiction de faits et d’évènements strictement réels. Les

limites sont celles qui concernent d’autrui. Dans quelle

mesure a-t-on le droit de le faire, je ne sais pas les

limites précises. Lorsqu’on parle de soi, lorsqu’on se met

en fiction ou en récit d’une manière générale, on inclut

forcément les autres. Rousseau ne voulait pas que ses

Confessions soient publiées de son vivant. La plus grande

partie des Mémoires de Chateaubriand a été publiée après sa

mort. Dans mon cas, non seulement SD n’est pas mort, mais

les gens sur lesquels on écrit, soi-même et autrui, sont

des gens vivants. Se pose donc le problème de transgression

de la vie privée. C’est un problème juridique, moral,

éthique. Peut-on parler de soi avec toutes ses bassesses,

en montrant les côtés répugnants, brutaux, sordides que

l’on peut avoir soi-même lorsque cela implique l’Autre ?

J’ai essayé de résoudre ce problème en demandant pour Le livre

brisé à Ilse d’être ma correctrice. J’ai fini le livre quand

j’étais en Amérique, elle était restée en France et je lui

envoyais les chapitres à mesure qu’ils étaient écrits en

lui disant : "S’il y a quelque chose que tu ne peux pas supporter, je ne le

publierai pas." Elle aurait donc eu la possibilité de décider

de ce qui est publiable ou non. Je l’ai eue au téléphone

quelques jours avant sa mort après lui avoir envoyé par la

poste, comme un imbécile, le chapitre "Beuveries" qui

racontait l’aspect misérable de sa vie, son alcoolisme,

dont elle et moi aussi avons énormément souffert. Elle m’a

dit : "Tu sais, tu as été dur avec moi." On voulait en parler mais

elle n’est jamais arrivée à New York puisqu’on l’a

retrouvée morte dans la chambre qu’elle avait louée en mon

42

absence à Paris. Elle était morte, et je l’ai publié. C’est

un droit que je me suis donné.

Vous avez là, dans cette armoire, un manuscrit de L’Après-vivre

où la femme que j’ai appelée Elle m’a fait couper une

cinquantaine de pages. Elle m’a dit : "Je ne veux pas que tu

publies ça." Je ne l’ai pas fait. Dans Un amour de soi, c’était

un règlement de compte. Je n’y ai pas été de main morte

parce que la prénommée Rachel était une femme qui pendant

quatre ans m’avait poursuivi pour que je l’épouse. A la

fin, elle m’a fait divorcer et après m’avoir fait divorcer,

elle m’a quitté. C’est là que j’ai écrit Un amour de soi.

J’ajoute qu’à la fin, nous nous sommes réconciliés. Au bout

de 20 ans, le temps était passé.

43

V. POURQUOI ECRIRE ?

I. Grell : Croyez-vous en une écriture salvatrice ?

S. Doubrovsky: Sûrement, mais elle ne me sauvera que quand

j’aurai déjà vécu ce que je vais écrire. Pour moi, la vie

précède toujours l’écriture. J’ai besoin de cette

identification de moi-même comme personnage de ma vie.

I. Grell : L’écriture pour vous, la nouveauté que vous avez

offerte d’une certaine manière à l’écriture postmoderne de

l’autobiographie, c’est quoi ?

S. Doubrovsky: C’est à la fois essentiel de répondre et

difficile parce que la question que se pose à l’écrivain,

c’est : Pourquoi j’écris ainsi, et non pas autrement ?

Pourquoi est-ce qu’un écrivain écrit L’Etranger24 comme Camus

ou La Nausée comme Sartre. Ce ne sont pas des choix

abstraits. On ne le sait pas à l’avance, ce n’est pas comme

les compositions de français à l’école et qu’on vous

apprend à écrire selon certaines règles. Là, chacun a

inventé sa langue écrite. Et je crois que c’est le moment

capital qui fonde une œuvre littéraire. Pour Céline,

l’invention de son langage et le fait que le corps du

récit, pour ne pas parler de « diégèse » est basée sur une

langue orale, alors que chez Zola, les parties écrites par

l’écrivain et les dialogues sont deux langues complètement

différentes.

I. Grell : Et chez vous ?

24 Albert Camus. L’Etranger. Paris : Gallimard, 1942.

44

S. Doubrovsky: Alors chez moi, comme chez Céline, il y a le

mélange des deux, dès le début du récit… J’essaie de

comprendre moi-même, pourquoi j’ai été amené à écrire selon

des procédés non-classiques, d’une nouvelle forme de

rhétorique, qui fait que j’aime que les mots appellent les

mots. Et les attire à eux par les ressemblances, par leurs

dissemblances. Je n’emploierai pas le vocabulaire de

paronomase, laissons cela, nous ne sommes pas à

l’université. Je suis en contact direct avec les mots, il

faut qu’il y ait des échos, une certaine musique. J’ai fait

des études dans ma jeunesse de violoniste, maintenant je

suis sourd, mais apparemment je ne l’étais pas quand

j’étais jeune. Donc l’écriture aussi, c’est quelque chose

qui se joue comme un instrument. Proust dit : " faire sa

langue comme chaque violoniste est obligé de faire son

son ."25 Et moi je dis : "Des mots accrochant des mots et

tirant." Soit dans la sonorité, soit dans les antithèses.

I. Grell : Oui, mais là c’est de la poésie et, que je

sache, vous n’avez pas publié de poèmes. Pourquoi est-ce

que votre écriture devient du roman autofictionnel ? Et

pourquoi est-ce que ces mots-là, quand vous les employez,

vous renvoient à vous-même ? Un mot renvoie à quelque

chose…Non ?

S. Doubrovsky: Oui, et vous avez raison, quand j’écris, je

ne fais pas de la poésie. C’est-à-dire que j’essaie de

raconter quelque chose. C’est un récit. Mais c’est un récit

25 Marcel Proust. Correspondance générale. Paris, Plon, 1930-1936,lettre XLVII, p. 94, ca. janvier 1908.

45

où les mots se comportent de manière différente de leur

usage dans le roman traditionnel, qui se rapproche peut-

être davantage de l’expression poétique. Il peut y avoir

des blancs, des trous, du silence, ou des passages sans

ponctuation et d’autres surponctués, où il y a trop de

virgules etc. Donc, c’est une nouvelle logique du langage

qui s’accroche à la chair sonore et sémantique, en même

temps, des mots.

Je dis toujours que l’écrivain louche, il y a un côté de

lui qui regarde vers le langage, vers les mots. J’ai besoin

d’un dictionnaire pour écrire. Et puis il y a un autre côté

de moi, qui essaie de se souvenir d’une certaine histoire,

la mienne, des certains épisodes. Et je suis pris entre les

deux. Quelquefois, les deux sont en lutte, quelquefois, ils

s’accordent. Je ne me suis pas dit un jour, je vais faire

de l’écriture consonantique, puisque c’est le mot qu’on a

adopté parmi les collègues en poétique, où il y a des

assonances, des dissonances. Si mes propres mots ne me

reprennent pas à leur tour à la lecture et ne me forcent

pas à continuer, je déchire la page, elle n’a aucun

intérêt. Il faut qu’il y ait quelque chose qui m’attire.

Mais alors là, nous touchons au mystère sans doute :

Pourquoi écrit-on comme ainsi et pas autrement ? Alors on

peut voir l’influence de l’analyse. Le fait aussi que

j’étais aux Etats-Unis, et que je vivais en anglais à

l’extérieur et je vivais en français à l’intérieur. Alors

je me souviens en écrivant Fils, j’étais plongé dans les

divers Roberts, je cherchais les mots, et quelquefois, il y

avait un mot que je ne connaissais pas, qui me plaisait et

je l’introduisais dans mon texte. Je me considérais, un

peu, comme le détenteur de la langue française, au milieu

46

d’un pays anglophone. Je faisais vivre cette langue, et

j’apprenais moi-même en feuilletant les dictionnaires, de

nombreuses choses que je ne savais pas. J’ai vécu en

écrivant Fils avec la langue française, je me mirais dans

les profondeurs de cette langue française.

I. Grell : Le mythe de Narcisse, que vous évoque-t-il ?

S. Doubrovsky: Ce n’est pas un thème obsessionnel chez moi,

de se regarder dans un miroir et de s’y noyer. Sûrement,

j’ai dû dans des passages de Fils avoir cette image-là.

Mais, je ne me considère pas comme un Narcisse. Se

raconter, c’est raconter ses rapports à autrui. C’est déjà

ne plus être seul. Dans Fils, non seulement il y a

l’Histoire avec un grand "H", il y a ma mère, il y a ma

sœur, il y a les copains d’école, il y a les professeurs et

bien sûr, les femmes. On ne vit pas seul.

I. Grell : Je trouve très important que vous le disiez, car

le reproche souvent fait à l’autofiction ou à

l’autobiographie, c’est le nombrilisme. N’est pas perçue la

part de réflexion sur soi, cette réflexion qui engendre une

réflexion sur soi dans les yeux d’autrui. Il y a ici un

projet existentiel, existentialiste, une écriture qui se

situe dans la prolongation sartrienne et invite à réfléchir

à deux au lieu de se noyer ensemble dans les bons

sentiments.

S. Doubrovsky: Notre ami Michel Contat a dit que j’étais un

des derniers écrivains existentialistes avec Paul Nizon et

Paul Auster, je me souviens, il m’avait mis en très bonne

47

compagnie. Je ne renierai certainement pas cette filiation,

et je ne me sens aucunement coupable d’un narcissisme qui

consisterait à me regarder le nombril. Je regarde autant,

et sans doute, bien plus le visage des autres que le mien.

I. Grell : Si dans l’autofiction, on s’autorise à prendre

soi comme modèle dans le sens pictural, dans quelle mesure

on peut s’autoriser à prendre tous les gens qui font partie

de sa vie comme étant d’autres personnages ? Est-ce que là,

il n’y a pas une difficulté morale ou intellectuelle ?

S. Doubrovsky: Il y a certainement des difficultés morales,

éthiques. Je préférerais dire éthique. Dans une des

interviews que j’ai donnée, que j’ai relue récemment, pour

une revue américaine, je dis : Writing is a very imoral act. Écrire

est un acte très immoral. Ce que je veux dire, c’est un

choix à faire sans cesse, je citerai un exemple d’un auteur

ou d’une auteur dont je ne donnerai certainement pas le

nom, qui me disait qu’elle faisait aussi des autofictions,

elle avait écrit un livre sur ses rapports avec son mari et

sa vie de famille, elle l’a donné à lire à son mari. Son

mari lui a dit : « Ton livre est excellent, c’est un très

beau texte, si tu le publies, je te quitte ». Alors elle a

dit « J’aime mon mari », donc elle a rangé son texte dans

un tiroir. Voilà, cela c’est un cas qui me paraît

exemplaire, il a des choix à faire, des risques à prendre.

Tout le monde connaît l’histoire de Camille Laurens avec

son mari dans L’amour. Roman26. Des histoires plus anciennes

de Jacques Lanzmann avec sa mère etc. Il y a aussi

Christophe Donner qui a eu des problèmes avec le fils de

26 Camille Laurens. L’amour. Roman. Paris : Gallimard/folio, 2004.

48

Paul Ricœur, enfin, on pourrait multiplier à l’infini les

exemples. Il y a parfois une transgression. Rousseau,

Chateaubriand furent publiés des années après leur mort.

Mais quand on publie de son vivant, sur du vivant, sur

autrui, avec lequel on a des rapports, forcément, il y a

des risques. On peut être poursuivi, on pourrait citer de

nombreux cas où on pourrait faire une telle peine aux gens,

qu’ils nous quitteraient à ce moment-là. L’écrivaine dont

je parlais préférait son mari à son texte, donc elle ne l’a

pas publié. Il n’y a pas de règle générale. Je crois que

nous avons dit hier qu’à propos de ce problème-là, j’ai

essayé dans la plupart des cas de faire mes livres avec le

consentement d’autrui. A Ilse, j’avais dit que je lui

enverrais les chapitres à mesure que j’écrirais. Elle les

relisait. Sur le chapitre "Avortement" du Livre brisé, elle

m’a dit : "Ca m’a beaucoup ému : Tu as bien senti la situation." Puis je

lui ai envoyé le chapitre "Beuveries", là elle m’a dit :

"Quand même…"

I. Grell : Vous y aviez été fort.

S. Doubrovsky: C’était trop fort. Je lui ai dit : "Ecoute, je

t’ai dit que je ne publierai pas quelque chose si tu ne veux pas." Elle m’a

répondu : "On en reparlera à New-York." Entre-temps, elle a bu

un litre de Vodka, avec sept grammes d’alcool dans le sang,

elle est morte.

Toute personne qui écrit dans la veine de l’autofiction,

forcément, mêle autrui à sa vie et il y a une sorte de

transgression. Je citais hier dans un autre milieu et dans

une autre époque : Nadja d’André Breton. C’est quand même

extraordinaire, cet homme, on est au début du Surréalisme,

49

cette femme qui est plus surréaliste que lui, qui est son

professeur en Surréalisme, et que finalement, il l’a

tellement idéalement poussée dans cette voie, qu’elle est

devenue vraiment folle, on l’a mise dans un asile : et je

déteste tellement les asiles, explique Breton, que je n’ai

jamais pris de ses nouvelles. C’est honteux, cette fin. Il

l’a exploitée… Elle a existé. Il a exploité toutes ces

expériences. Il est vrai qu’il l’a immortalisée en

écrivant. Mais il a été trop loin. Donc oui, il y a une

question éthique, un engagement personnel. J’ai dit qu’Un

amour de soi était un règlement de comptes. Là, je n’ai pas

demandé à la personne si cela lui plaisait ou non. Je sais

qu’au début elle a été très blessée, furieuse. Nous nous

sommes revus et réconciliés.

I. Grell : L’autofiction peut être grinçante, mais aussi

généreuse, une réflexion sur soi, mais sur soi dans un

monde qui peut faire avancer l’autre. Et cela ne nécessite

aucune absolution. 

Serge Doubrovsky: C’est pour cette raison que l’image de

Narcisse ne me fascine pas du tout et ne convient nullement

à mon entreprise. Je ne suis pas là à noter chaque jour mes

états d’âme. Cette attitude n’est pas la mienne. Dans un

récit de soi, à un niveau plus profond, l’autre est là,

l’autre réel avec vous. Puisqu’on raconte sa vie. À moins

d’être un stylite, autrui est dans votre vie et je crois

qu’en parlant de moi, je parle forcément aussi de l’autre.

Par exemple, dans Un amour de soi au-delà des querelles entre

hommes et femmes, on assiste à la transformation d’une

jeune femme Américaine brillante mais traditionnelle, en

50

une féministe ardente. On assiste quand même dans les

années soixante-dix à un mouvement de l’histoire, qui

marque si bien les Etats-Unis, que peut-être on aura une

présidente des Etats-Unis dans trois ans. Je dis peut-être.

Donc, mon livre traduit cela aussi. Même si le personnage

que je suis est quelques fois choqué par ce féminisme

naissant, c’est parce que je ne suis pas de cette

génération-là. Mais je témoigne. Il y a aussi l’aspect de

témoignage. Si on écrit sur soi vraiment en profondeur, on

ne regarde pas son nombril, on regarde le monde. On regarde

les autres, ceux avec qui on vit. On est dans une Histoire

avec un grand " H " et elle doit transparaître à travers

vos œuvres. Je ne dis pas que c’est la seule forme

d’écriture possible. J’adore lire les romans de

Dostoïevski, les livres de fiction au sens traditionnel.

J’aime beaucoup les romans mais j’ai décidé d’écrire les

choses que je connaissais le mieux et je connais le mieux

ma propre vie. On ne la connaît jamais tout à fait, mais je

la connais quand même le mieux. Je ne pourrais pas écrire

la vie d’un peintre ou d’un général, parce que je n’ai

jamais été soldat, je n’ai jamais fait de peinture. Ce

serait totalement abstrait et inutile. Je n’ai pas le génie

de Zola pour aller passer six semaines chez les mineurs et

puis ensuite en sortir Germinal27. Il faut avoir le

tempérament adéquat. Il faut être un écrivain doublé d’un

journaliste. Il faut ensuite du génie. C’est un phénomène

d’époque.

J’écris sur moi, ma situation. Et je récuse la notion de

nombrilisme, de moimoisme, qu’on me jette parfois à la

27 Emile Zola. Germinal. 1885.

51

tête. Non, je suis inclus dans mes rapports essentiels avec

autrui et avec le monde qui m’entoure. Avec le mal qu’on

fait malgré soi, que les autres font quelquefois malgré

eux. Quelquefois volontairement. Mais on le fait peut-être

aussi soi-même. Je crois que pour qu’une autofiction soit

réussie, il ne faut pas qu’on soit trop beau parce

qu’alors, c’est une pure fiction. Et je crois que

l’autofiction, c’est tout simplement la forme qu’a prise

l’autobiographie au cours du XXe siècle. Dès le début,

l’autobiographie, même des plus grands classiques, était

une forme de roman. Et cela a été admis par les chercheurs

et critiques. Nous nous faisons avec notre vie des romans.

Robbe-Grillet le fait à sa manière dans les Romanesques28,

Nathalie Sarraute le fait d’une autre manière en faisant

dialoguer les instances de sa personnalité, chacun trouve

son approche. Il n’y a pas un seul type d’autofiction.

Mais, toute autofiction n’est pas nécessairement de la

littérature, il y en a qui peuvent avoir un intérêt de

témoignage et n’avoir aucune valeur littéraire. La

littérature, c’est cet étrange pouvoir de l’écriture que

certains ont et que d’autres n’ont pas, d’une écriture qui

est à la fois sens, musique et mystère.

I. Grell : Et si on devait se mettre un peu en marge de la

littérature, comment percevez –vous cette nécessaire

production de soi, des récits de soi, qui prolifèrent

partout ? Et ce n’est plus seulement l’écrivain, c’est tout

le monde qui s’y met. C’est tout un chacun raconte sa vie

ou met en scène sa vie. Pourquoi, d’après vous, est-ce

28 Alain Robbe-Grillet. Romanesques. Le Miroir qui revient. Romanesques I(Minuit, 1985). Angélique ou L’enchantement. Romanesques II (Minuit,1988). Les Derniers jours de Corinthe. Romanesques III (Minuit, 1994).

52

qu’en ce moment, énormément d’autobiographies ou pseudo-

autofictions fleurissent partout ?

Serge Doubrovsky: C’est aux historiens, aux sociologues de

répondre. Je crois que ce qu’on appelait les grands

récits : la glose marxiste, la glose freudienne, ou

chrétienne. Tout cela est un peu mort. Il n’y a plus aucune

idéologie, on le voit en ce moment. Il n’y a plus rien qui

anime une société, même chez les intellectuels. Les grandes

visions de Foucault et de Derrida, d’Althusser ou Lacan..

Tout cela a été exporté en Amérique, c’est là-bas qu’on se

bagarre là-dessus. Ici, on s’en moque, et donc chacun

revient à lui-même, à sa propre vie, je crois que c’est un

mouvement de l’Histoire qui fait que l’autofiction est

elle-même prise dans un moment d’Histoire, et qu’elle sera

sans doute dépassée dans une période ultérieure. On n’en

écrira plus. Regardez la tragédie, il y a des œuvres

admirables, mais on n’écrit plus comme Racine ou comme

Shakespeare. On écrit Mademoiselle Julie29 de Strindberg, là, on

a une tragédie mais c’est une tragédie moderne comme

l’autofiction est la forme moderne de l’autobiographie. On

n’écrit plus de tragédies comme Racine, c’est fini. Donc

l’autofiction sera peut-être un jour finie.

I. Grell : C’est une évolution qui s’inscrit dans le temps,

l’époque ou, comme dirait Sartre, dans une situation

historique.

S. Doubrovsky : C’est une évolution à l’intérieur de

l’Histoire. Il y a une raison sociologique, historique pour

29 Auguste Strindberg. Mademoiselle Julie. Paris : L’arche, 1988.

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laquelle beaucoup de gens sont ramenés vers eux-mêmes faute

de vision universelle. Enfin, j’ai vu mon père, j’ai vu ce

que c’est qu’un communiste, il ne pensait qu’à la

construction d’un nouvel Etat, qu’a changer la condition

humaine. C’était une religion, c’était un salut. Chez

aucune des personnes que je rencontre aujourd’hui, et

surtout parmi les intellectuels, je ne trouve le moindre

écho de ce genre.

Encore aujourd’hui, je reste sur ma faim en tant

qu’écrivain parce que je ne suis pas encore absolument sûr

de ce que je suis devenu, de qui je suis. Prendre sa

retraite, c’est aussi une forme de retrait de la vie, et

c’est une expérience qui pour moi, commence seulement. Même

n’est pas commencé dans la mesure où pour l’instant je suis

encore dans les soucis matériels du déménagement, de

l’emménagement. Finalement, qu’est ce que va être cette

vie ? Ce sera la vie d’un autre homme. La vie d’un autre

homme qui est à découvrir par moi-même. Je ne sais pas qui

je serai.

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SERGE DOUBROVSKY, né le 22 mai 1928 à Paris de parents juifs. Après laguerre, il entre à l'Ecole Normale Supérieure, passe l'agrégation d'Anglaiset part pour Dublin (1949-51), puis pour l'Amérique (en1955) où il débutesa carrière de professeur de Lettres en tant que spécialiste de Racine,Molière et Corneille. Il a, depuis, poursuivi une triple carrière deprofesseur de littérature française dans les grandes universitésaméricaines, de critique littéraire dans des revues de prestige et deromancier de langue française. Serge Doubrovsky est l'inventeur du termed'autofiction figurant sur la quatrième de couverture de Fils (1977), termequ'il déclarera humblement n'être qu'une sous-catégorie del'autobiographie. Ce roman qui a lancé une nouvelle discussion dans lacritique littéraire fut précédé par Le Jour S (nouvelles, 1963), La Dispersion(1969) et suivi par Un amour de soi (1982), La Vie l'instant (1985), Le livre brisé(1989), L'Après-vivre (1994) et Laissé pour conte (1999). Définitivement de retouren France depuis 2006, il écrit son prochain livre, Un homme de passage.

BibliographieLivres de critiqueCorneille et la dialectique du héros, Paris: Editions Gallimard, 1963.Pourquoi la nouvelle critique, critique et objectivité, Paris: Mercure de France, 1966. La place de la madeleine, Ecriture et fantasme chez Proust, Paris: Mercure de France,1974.Parcours Critique, essais, Paris: Galilée, 1980. Autobiographiques, de Corneille à Sartre, Perspectives Critiques, Paris: PUF, 1988.Parcours Critique II, recueil d’articles de Serge Doubrovsky édités et annotéspar Isabelle Grell, Presses Universitaires de Grenoble, ELLUG, 2007.

RomansLe Jour S, nouvelles, Mercure de France, 1963.La Dispersion, roman, Mercure de France, 1969.Fils, roman, Galilée, 1977, folio 2001. Un amour de soi, roman, Hachette-Littérature, 1982,folio, 2001. La Vie l'instant, roman, Balland, 1985. Le livre brisé, roman, Grasset, 1989 Prix Médicis L'Après-vivre Grasset, 1994. Laissé pour conte, Grasset, 1999.

ISABELLE GRELL, née en 1969, a soutenu une thèse sur les romans de Jean-Paul Sartre à Grenoble 3 en 2001. Elle s’est, depuis, aussi intéressé àl’œuvre de Serge Doubrovsky et dirige le groupe Autofiction à l’ITEM, ENS,CNRS. Outre maints articles sur Sartre, Beauvoir et Doubrovsky, elle apublié les livres suivants : Numéro spécial Serge Doubrovsky, Dalhousie Frenchstudies, Australie, 2010; Genèse et Autofiction, avec C. Viollet et J-L Jeannelle,Ed. Academia Bruylant (2007); Parcours Critique II, recueil d’articles de SergeDoubrovsky édités et annotés par I. Grell, ELLUG (2006), Les Chemins de laliberté de Sartre, Genèse et écriture (1938-1952), Peter Lang, Berne (2005).

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En 2005 elle a codirigé deux colloques sur Doubrovsky et l’Autofiction. Lepremier sous le titre "Masculin, Féminin, Neutre" à l’Université deMulhouse avec Ph. Weigel, le second, une décade sur l’Autofiction à Cerisyla Salle avec Claude Burgelin. Elle codirige deux sites :http://www.everyoneweb.com/doubrovskymanuscrit.com/ sur la genèse de FILS deSerge Doubrovsky (ITEM) et http://www.autofiction.org en codirection avecArnaud Genon

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INDEX des noms cites et ouvrages de Serge Doubrovsky

Althusserl, 34Auster, Paul, 31Barthes, Roland, 10Baudelaire, 22Breton, André, 9, 28,

32Burgelin, Claude, 36Camus, Albert, 29Céline, 29Chateaubriand, 5, 6, 7,

28, 32Colette, 8Constant Benjamin, 9Contat, Michel, 31Dante, 7de Beauvoir, Simone, 13Derrida, Jacques, 34Dieu, 5, 19, 23Donner, Christophe, 32Dostoïevski, 33Dumas, Alexandre, 10Duras, Marguerite, 3,

6, 11Fils, 4, 5, 7, 19, 22,

24, 26, 27, 30, 31, 36

Foucault, Michel, 10, 34

Freud, Sigmund, 19Galbraith, John, 15Genon, Arnaud, 36Goethe, Johann Wolfgang

von, 5, 7Goudeket, Maurice, 8Grell, Isabelle, 3, 4,

36

Gros, Dominique, 3Guibert, Hervé, 3, 10Houston, Nancy, 3Hugo, Victor, 22Ilse, 3, 14, 15, 16,

27, 28, 32ITEM, 4, 36Jeannelle, Jean-Louis,

3Jelinek, Elfriede, 3Joyce, James, 7Kissinger, Henry, 15Kotin Mortimer, Armine,

15L’Après-vivre, 16, 28, 36La Dispersion, 15, 36La Vie l'instant, 36Laissé pour conte, 20, 25,

36Lanzmann, Jacques, 32Las Cases, 8Laurens Camille, 10, 32Le Jour S, 36Le livre brisé, 9, 10, 11,

14, 16, 17, 22, 25, 27, 36

Lejeune, Philippe, 24Madame de Staël, 9Molière, 11Montaigne, 4Napoléon, 8Nizon, Paul, 31Perec, Georges, 10Platon, 4Proust, Marcel, 4, 13,

29

Rachel, 13, 14, 27, 28Racine, 34Rétif de La Bretonne, 5Ricœur, Paul, 32Robbe-Grillet, Alain,

6, 11, 34Rousseau, Jean-Jacques,

4, 5, 6, 7, 23, 28, 32

Saint Augustin, 5Sand, George, 7Sarraute, Nathalie, 34Sartre, Jean-Paul, 9,

13, 22, 29, 35, 36Savin, Albert, 22Schweitzer, Karl

(Sartre), 22Semprun, Georges, 17Shakespeare, William,

35Simon, Claude, 7Socrate, 5Sollers, Philippe, 11Stendhal, 23Strindberg, Auguste, 35Un amour de soi, 10, 13,

24, 27, 28, 33, 36Un homme de passage, 3,

36Viollet, Catherine, 3Voltaire, 7, 23Weigel, Philippe, 36Zola, Emile, 29, 33

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