victor serge et les anarchistes
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Victor Serge et les anarchistes
Luc NEMETH
(communication présentée au Colloque V. Serge organisé à l’ULB Bruxelles, 21-23/3/1991 ; texte complété en
2000 à l’aide d’archives devenues accessibles)
La rapidité de l'évolution avec laquelle le socialisme dirigeant a cessé de combattre la
société bourgeoise pour en devenir le plus valide soutien sera un des phénomènes les plus
intéressants de l'histoire contemporaine, aura eu le temps de prophétiser Reclus, avant la fin
de sa vie. Ces mots semblent avoir trouvé comme un écho en la personne du jeune Victor, né
en 1890. Certes celui-ci fit quelque temps partie des Jeunes Gardes, à Ixelles (où Reclus avait
jadis habité) mais il entra rapidement en conflit, non avec le socialisme, comme il l'indiquera
dans ses Mémoires, mais avec "tout ce qui grouille d'intérêts nullement socialistes autour du
mouvement ouvrier"1.
Il n'était pas fait, pour en sortir à droite. A en croire une notice de provenance universitaire
il se serait, à son arrivée en France en 1909, "lancé à corps perdu dans le militantisme au sein
des milieux anarchistes"2. Passons sur ce milieux anarchistes, qui trahit toujours quelque
aigreur. C'est surtout ce corps perdu, qui en dit long sur la mentalité des bons docteurs :
l'anarchisme, n'est jamais qu'une erreur de jeunesse ! Mais la jeunesse, on le sait, a parfois la
vie dure. Pendant treize ans Victor Kibaltchiche (alias Victor Serge) fut pour ce mouvement,
un militant infatigable. Et, contrairement à ce qui est ici insinué, il le fut tout autant en
Belgique, de 1906 à 1909, qu'il ne le fut ensuite en France, de 1909 à 1919.
De cette période belge, dont l'histoire reste largement à écrire3, on peut tout de même retenir
des éléments utiles pour la suite :
a) la place des liens d'amitié dans la vie militante : "nous fûmes quelques adolescents plus
unis que des frères" (Victor Serge, Mémoires d'un révolutionnaire).
b) l'importance de l'écriture. Elle était déjà évidente au vu des articles qu'il publia, dès cette
époque, dans la presse anarchiste. On en trouve la confirmation dans une note qu'il consacre
en novembre 1908 au petit mouvement anarchiste belge, et dans laquelle il écrit : "Nous
profitons de toutes les circonstances pour diffuser nos publications, journaux, manifestes,
brochures. Car c'est surtout par l'écrit que nous travaillons. C'est l'arme la plus facile, et
certainement une de celles qui portent le mieux"4.
c) même s'il exprime un point de vue qu'il sait parfaitement être minoritaire il ne cesse
jamais de s'adresser à tous les hommes : on ne trouve pas chez lui de familiarités, ni de
jargon, ni de "clins d'œil au lecteur". A l'intérieur même du courant anarchiste, vouloir lui
attribuer à tout prix une tendance précise relève de l'exercice de style.5
d) son immense culture est mise au service de la lutte, non à celui des idées. On ne saurait
voir en lui un intellectuel même s'il ne répond pas, avec ses manières de buveur de thé -il est
russe-, à l'image que la partie adverse se fait des anarchistes ; à tel point que sa fiche
signalétique de police comporte la mention "joli garçon", sic. Même teneur, du côté français,
dans une note de renseignements en 1912 : "Quoique d'une nature efféminée il est
foncièrement énergique". Cette image de distinction ne le servira pas : la justice aura
tendance à "taper" fort sur celui qu'elle prend pour un traître à sa bourgeoisie natale -là même
où il est issu d'une famille où criait la famine ! Il semble aussi que plus tard à Moscou, du
temps de ses hautes responsabilités dans l'appareil de propagande du régime, on n'ait jamais
totalement cessé de se méfier d'une culture dont on savait bien, là, qu'elle pouvait être mise au
service de la lutte...
2
e) dernier point : lorsqu'il arrive en France à la fin de l'été 1909 ce n'est déjà plus tout à fait
un inconnu, dans le mouvement. A titre d'exemple, la "note" de 1908 rappelée ci-dessus avait
été publiée dans le Bulletin de l'Internationale Anarchiste ; c'était Emma Goldman qui y
donnait parfois les nouvelles des Etats-Unis, et Rudolf Rocker celles des juifs de Londres.
En France il découvre un mouvement ouvrier qui n'est pas forcément en meilleur état qu'en
Belgique : derrière toute la rhétorique révolutionnaire -c'est la grande époque du syndicalisme
révolutionnaire, des Bourses du Travail- le processus de bureaucratisation est déjà très
avancé. Cette crise se double d'une crise de l'anarchisme : les "lois scélérates" continuent
d'exercer un effet dissuasif en matière de recrutement, même si elles remontent à quinze ans
plus tôt ; en sens inverse il y a hémorragie de militants en direction du syndicalisme où ils
finissent comme le craignait Malatesta par se dissoudre, sans parvenir à ce qui avait été prévu
au Congrès d'Amsterdam en 1907 -faire prévaloir le point de vue anarchiste à l'intérieur des
syndicats ; à l'horizon, aucun leader ne paraît en mesure de prendre la succession de Reclus,
Louise Michel, Sébastien Faure.
Un des rares pôles d'agitation est constitué par le journal l'anarchie, continuateur d'un
phénomène qui à partir de 1902 fit beaucoup pour la propagation de l'idéal anarchiste : les
Causeries Populaires. Au départ elles étaient conçues, dans une perspective scientiste, comme
des conférences scientifiques -on disait alors des "causeries"- au thème parfois assez
rébarbatif, mais le public prit l'habitude de s'y retrouver et de parler de ce qui lui tenait à cœur
-la "question sociale". Devant le succès rencontré, celui qui incarnait cette transformation des
Causeries, Albert Libertad, estima venu en 1905 le moment d'en prolonger l'action par ce
journal, dont il fut rédacteur. Un grand rédacteur, pas seulement par le souffle qui l'animait,
mais par cette capacité qu'il avait, même lorsqu'il abordait une question réputée secondaire,
de la replacer dans une perspective globale.6 Libertad meurt en 1908 -des suites possibles
d'un passage à tabac-, mais le journal lui survit. C'est là que Victor va s'exprimer, tout en
créant au Quartier Latin un groupe intitulé La Libre Recherche, où il prendra un ascendant
dont il se défend dans une lettre à Emile Armand : "Il ne faut pas que l'on tienne La Libre
Recherche pour mon groupe. Nous l'avons fondé à plusieurs, dans un but nettement défini. J'y
use fréquemment de mon droit d'initiative ; mais ce n'est pas et ce ne sera pas ma chapelle,
ma firme ou mon club. Merci !"7.
La Libre Recherche ne semble pas avoir duré très longtemps, peut-être parce que Victor eut
la possibilité de prendre en mains le journal l'anarchie. En juin 1911 le rédacteur, Lorulot, ne
souhaite plus continuer ; Rirette Maîtrejean, la compagne de Victor8, est pressentie pour
prendre la suite ; ils vont donc habiter au siège du journal, qui s'était transféré l'année d'avant
dans un pavillon avec jardin à Romainville, au 16 rue de Bagnolet. Au début les choses vont
mal se passer car ces locaux sont aussi, comme ils l'étaient déjà à Paris, un lieu de vie
collective9 dont les participants sont presque tous adeptes de théories "scientistes" qui
n'intéressent visiblement ni Rirette ni Victor ; elle a évoqué cette période dans ses Souvenirs
d'anarchie ; on trouve aussi des pages sur Romainville dans A nous deux, Patrie ! d'André
Colomer, et dans un livre de Malcolm Menzies, En exil chez les hommes, tentative subtile, et
documentée, de reconstituer la psychologie de ce qui allait devenir la bande à Bonnot.10
L'autre pomme de discorde c'est précisément la question de l'illégalisme, à propos de
laquelle Victor Méric rapporte une anecdote : "Il ne faisait pas toujours bon soutenir un avis
opposé à celui des autres. Kibaltchitch dit le Rétif, ami de Mme Rirette Maîtrejean, en sut
quelque chose pour son compte. Déjà il se dressait contre ce courant d'idées et de méthodes
qu'il estimait dangereux et pernicieux. Un soir de juillet 1911, au cours d'une conférence sur
l'illégalisme dans une salle de la rue Ordener, Kibaltchitch protesta à la tribune, expliquant
3
que les prisons regorgeaient d'anarchistes et que cela était dû à toute l'agitation folle qu'on
créait ; il ajoutait que si chaque individu demeurait libre de vivre à son gré, du moins ne
fallait-il pas transformer certains moyens d'action en but et en idéal"11
.
Le même Méric précise ensuite que Kibaltchiche se fit traiter de "vendu" et faillit recevoir
un coup de poing en pleine figure. Au bout de trois semaines la rupture est consommée :
Callemin, Carouy, Garnier et Valet ont quitté le pavillon, comme prévu au départ (Rirette et
Victor devant recruter une nouvelle rédaction12
), mais sur fond de conflit. Cette rupture, et la
mise à l'écart de Lorulot -qui avait laissé proliférer les articles sur les thèmes secondaires en
général, et sur celui de l'illégalisme en particulier-, font que Victor souhaite "marquer le
coup". Pour bien montrer qu'une page est tournée il publie dans le numéro du 21 septembre
un éditorial intitulé "Contre la faim" (ensuite publié en brochure, la seule de lui connue pour
cette période), où il montre avec exemples à l'appui que "hors de la recherche des causes du
mal, tout est puéril"13
: on est ici très loin du strict individualisme qui lui a été attribué et qui
de toutes façons était aussi, sans vouloir ici justifier tout ce qu'il a pu écrire, une réaction
contre un ouvriérisme devenu envahissant. Ce qu'il en a dit dans les Mémoires est d'ailleurs
suffisant pour comprendre comment des hommes comme lui, qui aspiraient passionnément au
bonheur de leurs semblables, ont pu en arriver à "lancer le bouchon" parfois très loin dans la
direction de l'individualisme. De toute façon "individualisme" est un mot qu'il n'aimait pas, et
il le dira dans une lettre à Mauricius : "J'avoue volontiers que, comme toi, je n'aime pas le
terme individualisme. Sa signification a été si souvent dénaturée, et il y a eu tant de
Nietzschéens baroques et de Barrèsistes par trop déracinés ! Puis le mot anarchiste est si bref,
si concis, si juste"14
.
En octobre Rirette et Victor, à qui leurs moyens ne permettent plus de garder le pavillon,
vont s'installer à Paris, 24 rue Fessart, qui devient donc le nouveau siège du journal.
Le 21 décembre (1911) éclate l'affaire de la bande à Bonnot.15
Quelques jours plus tard la police est déjà sur la piste et c'est là, et seulement là, que Victor
va monter au créneau, en particulier face au quotidien Le Journal où un certain Ernest La
Jeunesse propose d'abattre sur place les bandits, comme aux Etats-Unis.16
Ceux qui ont lu ces
articles consacrés par Le Rétif aux bandits17
savent aussi que tout en affirmant sa totale
solidarité, il se démarque, comme il l'avait déjà fait dans les colonnes du Communiste en
1908 : "Etre solidaire des réfractaires économiques ne signifie pas non plus prôner le vol ou
l'ériger en tactique"18
.
On peut même estimer que s'il n'y avait eu que ces articles Victor avait peu à craindre,
d'abord parce qu'une bonne partie de la France était du côté des bandits dans cette chasse-à-
l'homme, ensuite parce qu'il n'était pas autrement menacé de poursuites (ce qui est bien la
moindre des choses pour l'auteur de l’ouvrage Ce que tout révolutionnaire devrait savoir de
la répression !19
) : son dossier aux archives de la Préfecture de Police (Paris) contient surtout,
jusqu'à cette date, des indications recueillies dans le cadre de la surveillance des réunions ;
dans les archives du Ministère de l'Intérieur son dossier ne contient pas de documents
antérieurs à son arrestation ; et son nom ne figure pas dans la "note sur la Fédération
Anarchiste de Belgique et ses principaux membres", pourtant rédigée à un moment (7/4/1909)
où la police belge ne chômait pas -le camarade Le Rétif adressa même une note à ce propos à
la presse militante française.20
Ce qui va mettre le feu aux poudres est un éditorial signé Ralph (un de ses pseudonymes)
paru dans le numéro du 25 janvier, donc six jours avant la perquisition et dans lequel il
abandonne le terrain étroit de l'illégalisme pour se placer sur celui autrement subversif de la
propriété privée, et même contre-attaquer sur le "point faible", celui de l'encaisseur qui avait
4
été tué : "L'argent que véhiculait Caby, d'où venait-il ? Combien avait-il fallu de morts
d'hommes pour mettre aux mains de quelque bourgeois cossu ces trois cent mille francs ?
Combien ? Rappelez-vous les salaires dont vivent -non, dont crèvent !- les ouvriers des
filatures du Nord, ou les casquettiers juifs de Paris, ou certains verriers ! Rappelez-vous que
le nombre des tuberculeux atteint dans certaines industries 65%. Faites le compte de ce que
coûte en vies abîmées, en vies supprimées, chaque billet de mille francs prélevé sur le labeur
ingrat de ces agonisants !"21
.
La perquisition des locaux du journal a lieu le 31/1/1912, la police trouve trois révolvers
provenant d'un "casse" effectué dans une armurerie rue La Fayette, Victor est incarcéré. Les
dossiers de la Cour d'Assises de la Seine ont brûlé (accidentellement semble-t-il) au fort de
Montlignon en 1974, mais des documents conservés par ailleurs permettent de retracer la
procédure : le 31 janvier Kibaltchiche n’est inculpé que de recel d’armes volées ; c’est
seulement le 29 mars, devant son refus persistant de collaborer avec la justice, qu'il va être
inculpé d'association de malfaiteurs -accusation qui sera d'ailleurs abandonnée lors du procès.
Bonnot est tué en avril, Garnier et Valet en mai. Le procès des survivants s'ouvre l'année
suivante, le 3/2/1913. A l'issue de la première journée, après lecture de l'acte d'accusation, La
Bataille Syndicaliste conclut son article sur ces mots : "En somme, l'impression qui se dégage
de cette première audience est que Mme Maîtrejean et son compagnon Kibaltchitch portent le
poids d'avoir consacré leurs efforts à une feuille anarchiste"22
. Les débats vont durer presque
tout le mois. La lecture des journaux montre qu'il fut peu question de Kibaltchiche.
Manifestement le juge avait peur de se faire remettre à sa place par cet accusé très vigilant sur
le respect du droit, et qui dès le premier interrogatoire avait mis le public du bon côté :
Q.- (le président Couineau) Vous paraissez n'avoir jamais été condamné.
R.- (l'accusé) Je ne parais pas. Je n'ai jamais été condamné.
Mais le juge se vengera au moment du verdict, et malgré l'abandon de l'un des deux chefs
d'inculpation et les circonstances atténuantes reconnues par le jury, pour l'autre, Victor écope
de cinq ans de réclusion. La Bataille Syndicaliste écrit alors : "il est impossible qu'une grâce
n'intervienne pas"23
.
En fait : il y aura, demande(s) de grâce. Le dossier est intéressant, d'abord à cause de la
personnalité des demandeurs : dans le premier cas, le député socialiste Jean Longuet ; dans le
second, ce médecin que Serge mentionne dans les Mémoires, Maurice De Fleury ;
intéressantes aussi, les réponses : à chaque fois, le Directeur de la Centrale de Melun donne
un avis favorable, mais le pouvoir politique (Ministère de la Justice) met son veto, et au total
Kibaltchiche fait partie de cette minorité de détenus qui auront effectué la totalité de leur
peine jusqu'au dernier jour -on ne peut que s'interroger sur les buts poursuivis par les auteurs
qui ont écrit qu'il aurait bénéficié d'une libération anticipée. Seul aménagement : afin de
bénéficier du droit de visite Rirette épouse Victor, le 3 août 1915. Ces années passées derrière
les barreaux sont évoquées dans son roman Les hommes dans la prison.24
Politiquement, cette condamnation ne changea rien. Victor continua d'écrire des articles,
sous pseudonyme bien sûr, dans les journaux qu'éditait Emile Armand : Les Réfractaires, puis
Par-delà la mêlée, puis Pendant la mêlée.25
A sa sortie de prison la reprise de sa collaboration
rédactionnelle fut envisagée mais elle lui était difficile à cause de l'arrêté d'expulsion dont il
faisait l'objet, à cause de sa condamnation ; d'autre part il refusait d'écrire dans les journaux
où s'exprimait André Lorulot par lequel il estimait avoir été "lâché" lors du procès -accusation
qui paraît fondée, si on s'en tient au compte-rendu publié dans la presse.26
5
Début février (1917) Victor expédie ses affaires courantes, les camarades ouvrent une
souscription en sa faveur dans Par-delà la mêlée27
et douze jours plus tard il arrive en
Espagne où il va trouver un mouvement ouvrier en meilleur état, avec en particulier, du point
de vue anarchiste, un syndicat qui fait son travail, la C.N.T., laquelle dispose aussi d'un
journal, Solidaridad obrera, auquel Serge va bien entendu collaborer (précisons, pour qui
serait tenté de voir dans cette collaboration syndicale un premier pas vers le bolchevisme,
qu'elle était d'une parfaite cohérence anarchiste28
). Il collabore aussi à un autre titre, Tierra y
libertad, d'après les indications fournies dans la très utile notice autobiographique29
qu'il
rédigea en 1928 lorsqu'il commença à avoir des ennuis en U.R.S.S. Il signe maintenant du
pseudonyme qu'il conservera, Victor Serge : réutiliser "Le Rétif" ne pouvait que favoriser les
attaques de la presse réactionnaire espagnole, qui s'appuyant sur son incarcération récente, eût
tôt fait de présenter les anarchistes comme des repris de justice... Rirette le rejoint mais elle
repartira, ne pouvant assurer sa subsistance et celle des deux fillettes qu'elle avait eues d'un
premier mariage. Dans un article de souvenirs paru en 1959 elle nous rappelle ce que fut l'état
d'esprit de Victor face à la nouvelle qui arriva, en mars : "Quand éclata la révolution russe, il
n'y put tenir : il lui sembla qu'il devait se rendre là-bas, être sur place, participer, payer de sa
personne"30
. Avant de repartir il aura le temps d'assister à l'insurrection manquée de juillet
1917, et à sa terrible répression.
Pour pouvoir rentrer en France avec des papiers en règle il déclare au consul russe qu'il
désire s'engager dans un régiment de Russes en exil, qui combattent du côté allié. Ce n'est pas
faux, mais ce n'est qu'une partie de la vérité : ce qu'en fait il espère est que ces régiments, une
fois la guerre terminée, seront rapatriés en Russie. Mais il ignore qu'une mutinerie vient
d'éclater au camp de La Courtine, où sont cantonnés ces soldats ; du même coup, ce type de
recrutement n'est plus à l'ordre du jour, lorsqu'il arrive à Paris le 26 juillet ; et c'est ainsi, que
malgré un domicile fixe et un emploi régulier de typographe, il se retrouve en situation
d'infraction à arrêté d'expulsion. Le 2 octobre 1917 il est arrêté, puis interné quatre jours plus
tard comme sujet "indésirable, défaitiste, bolchevisant" au camp de triage de Fleury-en-Bière,
où il reste six mois avant d'être transféré le 1er avril 1918 à celui de Précigné, dans la Sarthe.
Pendant ce temps, Rirette ne reste pas inactive : son forcing tout au long de l'année auprès des
autorités va obliger celles-ci à décider... ce qu'elles avaient décidé en janvier 1917 : remise en
liberté, avec passeport pour le pays choisi par lui-même. Il sera libéré le 2 janvier 1919.
Lui non plus, pendant sa détention, ne resta pas inactif. Il organisa à l'intérieur du camp un
groupe de discussion, adressa des articles au journal anarchiste La Mêlée de Pierre Chardon,
et relayait avec fermeté, la protestation des détenus.
Un imprévu, alors qu'il n'a pas encore quitté le camp, va sur un point précis exaucer son
plus cher désir. En effet, lorsque le ministère de l'Intérieur avait décidé sa libération-
expulsion, cette mesure avait été assortie, le 21 octobre, de l'octroi d'un passeport pour le
Brésil (où son père avait émigré). Mais, maintenant que la guerre est terminée, la France n'est
pas mécontente de se débarrasser, en les renvoyant en Russie, de ceux des indésirables qui
ont la nationalité du pays. De plus la France a besoin de candidats au rapatriement31
, qui
seront garants en personne, lors d'un échange : les bolcheviks ne voient plus d'inconvénient à
laisser repartir les membres de la mission militaire française en Russie, qu'ils retenaient32
.
Bonne nouvelle, assurément, pour celui qui le 15 décembre écrit à Pierre Chardon : "Quelle
est la portée des transformations sociales accomplies en Russie ? Nul ne peut le prévoir. /.../
Quelles que soient les erreurs du moment nous ne pouvons, en tout cas, nous désintéresser de
faits historiques sur lesquels l'avenir se fondera et qui permettent le plus grand espoir"33
. Mais
ces propos laissent aussi entrevoir le doute, qui à cette époque déjà existait en lui, à propos du
régime qui avait pris la suite de la tyrannie tzariste. Et l'embarras transparaît encore, dans ce
6
qui suit. Avant de partir pour la Russie, celui qui depuis 1917 signait Victor Serge remet au
Libertaire ses notes sur les origines du mouvement révolutionnaire russe, qui seront publiées
en sept articles34
; mais il les signe "V.S. Le Rétif" -comme s'il lui fallait soudain, réaffirmer
sa fidélité.
A partir de son arrivée à Leningrad et de son adhésion au parti communiste (mai 1919), ses
rapports avec les anarchistes s'inscrivent de part et d'autre sous le signe d'un jeu si
transparent, qu'on ne peut même plus parler de manipulation : lui, joue sur la vieille amitié et
adresse aux camarades les lettres "personnelles"... qu'il désire voir publiées dans leurs
journaux ; mais il est bien obligé de mentionner la répression (qui dans le cas des anarchistes
a déjà commencé de façon définitive au printemps 1918 35
), et du coup, eux se font un plaisir
de publier ses lettres36
et de le donner en exemple d'incohérence. Il ne peut pas non plus, sauf
à se poser en ennemi, se lancer dans des attaques contre eux ; et au total il ne peut que tourner
en rond. Ainsi lorsqu'en octobre 1920 il annonce avec solennité que "le temps n'est plus où
l'on pouvait se désintéresser de la mêlée sociale et se croire un anarchiste parce qu'on était
végétarien"37
: l'ennui est qu'il ne disait ici rien d'autre, que ce qu'en disaient les anarchistes
eux-mêmes. Il publie aussi en 1921 une brochure sur les anarchistes et la révolution russe38
,
brochure qui n'en finit pas de rendre hommage à leur rôle... passé, et qui est pour le reste
assez ingénue, sur le mode :
a) nous aussi, nous sommes pour le dépérissement de l'Etat, mais cela viendra plus tard ;
b) vous aussi, vous admettez la nécessité d'exercer une certaine contrainte ;
c) DONC : il n'y a rien qui nous sépare ! -discours évidemment peu crédible dans le contexte
de chasse aux anarchistes généralisée, même si le régime fait encore la différence entre les
"bandits", et les "bons anarchistes" (ceux qui acceptent de se rallier).
Un de ceux qui ont pu rencontrer Serge en Russie à cette époque et qui l’avaient connu
antérieurement, Armando Borghi, paraît confirmer ce qu'il a pu dire de son évolution "longue
et difficile" de l'anarchisme au marxisme39
:
Il me fixa rendez-vous pour le lendemain. Le jour suivant je frappai à sa porte ; un
camarade espagnol était avec moi. Victor Serge, ayant entr'ouvert la porte, me
demanda en quoi il pouvait m'être utile. Stupéfait, je lui rappelai le rendez-vous pris
la veille. Encore plus étonné que moi, il me dit que j'avais mal compris, et qu'en plus
à l'heure qu'il était, il devait sortir pour des choses importantes. C'était dur à avaler.
Je refis le chemin en sens inverse.
De retour dans ma chambre, le téléphone sonna.
- Qui est à l'appareil ?
- C'est moi, Serge.
- Eh bien, vous avez changé d'avis ?
- Vous êtes seul ?
- ...
- Alors venez tout de suite.
- Alors : j'avais raison ?
- Non... Oui... De toute façon venez, je vous expliquerai.
Je refis le chemin. Il n'attendit pas que je l'interroge.
- Ecoutez, mon chéri, (en français dans le texte, NdT), moi je vous avais donné un
rendez-vous, mais... pour vous tout seul.
- Mais l'Espagnol est un camarade, fis-je remarquer.
- Je comprends : vous, vous venez de l'Europe.
Et cela dit, il m'égrena son chapelet. (...)40
Conclusion, du témoignage de Borghi sur Serge : "il est certain qu'en 1920 ses informations
me furent d'une grande utilité, et sans me faire tomber dans la dissimulation, me
commandèrent la prudence"41
. A ce genre de conseils s'ajouteront des interventions en faveur
7
d'anarchistes emprisonnés42
, et c'est sans doute ce qui explique qu'un modus vivendi se soit si
aisément établi, car tous les visiteurs étaient loin d'être aussi indulgents que Borghi. Emma
Goldman, dans ses souvenirs, ne fait qu'évoquer rapidement le young anarchist Kibalchich et
n'écarte pas formellement toute sincérité de sa part, mais se désole de sa crédulité.43
Gaston
Leval, qui lui aussi eut droit à des "confidences", ne put qu'en déduire que Serge était un
cynique comédien, lorsqu'ensuite il chantait en public les louanges du Parti.44
Mais, comme le
comprit finement Ugo Fedeli, jamais il n'aurait "fait ses confidences" à des non-membres du
Parti : son seul but, en procédant ainsi, était de tirer les vers du nez à ses amis-visiteurs, afin
de savoir quel genre d'argument utiliser avec le courant auquel ils appartenaient.45
Toujours
est-il que ses rapports avec les anarchistes ou ses ex-admirateurs, comme Séverine, ne se
dégraderont qu'à une occasion46
, lorsque des gens qu'il a décrits comme des marxistes (?)
imbéciles, avec un point d'interrogation après marxistes mais pas après imbéciles47
, font
courir le bruit qu'il aurait publié en Allemagne un article de calomnies sur Bakounine -article
effectivement publié, dans Das Forum48
, mais qui n'avait pas cette tonalité. Le nuage fut vite
dissipé, à en juger par la reprise d'un ton courtois dès l'année suivante49
. On en resta donc à ce
qui avait été écrit dans l'Un de Marcel Sauvage sur lui et ceux qui "demeurent ses amis ou
qui, sans partager toutes ses conceptions, lui portent une fraternelle estime"50
.
Parmi les amitiés qui persisteront durant ces années il y a celle de Rirette, qui a rappelé en
1959 : "Tout au long de ce périple extraordinaire, nous ne nous sommes pas quittés,
moralement parlant. J'ai toute une correspondance de partout -de Russie, d'Allemagne,
d'Autriche, de Silésie, et enfin du Mexique"51
. Notons aussi que de retour en Russie à la fin
de l'année 1925 après quatre années passées à l'étranger, Serge était désormais en disgrâce :
cela facilita la reprise des relations, avec des opposants qu'il avait connus avant de partir.
Gérard Rosenthal, qui se trouvait à Moscou en 1927 pour les fêtes du dixième anniversaire de
la Révolution et qui allait souvent prendre le thé dans le petit appartement de Serge et sa
femme, a laissé une description : "Dans un coin du divan était assis Ghezzi, un jeune
anarchiste italien qui avait dû fuir son pays. /.../ Quand la discussion avait été trop longue,
Ghezzi chantait quelques airs napolitains ou nous racontait la lutte des anarchistes contre la
police milanaise"52
. Enfin, Serge ne chercha jamais à dissimuler son passé, même lorsqu'il
avait peu à gagner d'un tel rappel : comme dans cette lettre du 16 octobre 1932 par laquelle il
exige un passeport pour lui et pour sa femme, rappelle être entré dans le mouvement
révolutionnaire à l'âge de quinze ans, et commence par évoquer son poste de rédacteur d'une
feuille anarchiste.53
Bonjour le passeport...
Ce sera donc "la Sibérie" (dans son cas, l’assignation à résidence dans l'Oural), et à cette
occasion un certain Camille, pseudonyme probable de Berneri, écrit dans la Revue Anarchiste
d'août 1934 : "Même si Victor Serge s'est séparé de ses compagnons individualistes
d'autrefois, n'oublions pas qu'il aida, depuis, plusieurs camarades en difficulté. Cette seule
considération suffit pour que nous souhaitions que soit libéré l'auteur de Ville conquise"54
(on
peut noter ici le sens tactique de Berneri, qui refuse de considérer comme acquise la
séparation de Serge avec l'anarchisme, et ne parle que d'individualistes). Ce n'est pas pour
autant que Serge va redevenir anarchiste -il ne le redeviendra jamais-, mais des
rapprochements de fait interviennent dès sa sortie d'URSS :
a) sa propre persécution et les procès de Moscou posent implicitement une question qui est
vite formulée, par lui notamment, dans les revues comme La Révolution prolétarienne : à
quel moment la Révolution russe a-t-elle commencé à dégénérer ? Quels ont été les premiers
signes de la dictature ? Et bien entendu la persécution des anarchistes (dont Cronstadt n'est
qu'un épisode), resurgit au premier plan55
;
8
b) ensuite il y a l'affaire espagnole, où la position de Serge va plus loin qu'une "solidarité de
victimes"56
entre ce P.O.U.M. dont il défend les positions, et les anarchistes :
- à partir de novembre 1936 les anarchistes hostiles à toute participation ministérielle
(disons pour simplifier : Durruti, Berneri) deviennent dans la lutte objectivement plus proches
du P.O.U.M., qu'ils ne le sont des autres anarchistes : l'article dans lequel Serge accuse la
C.N.T. de cacher une partie de ce qu'elle sait sur l'assassinat de Berneri est à cet égard
accablant57
;
- ceux qui ont lu ses Carnets savent aussi que la révolution espagnole fut le premier des
facteurs de rupture entre Serge et Trotsky, et ce à cause du refus de Trotsky de se solidariser
clairement des anarchistes58
;
c) il y a cette rupture elle-même, qui amène Serge à répondre à Trotsky dans les colonnes de
la presse pivertiste -courant dont certains militants se définissaient comme socialistes
libertaires.
Chacun restera sur ses positions mais les anarchistes prendront acte de cette bonne volonté et
renonceront aux polémiques, là même où Serge s'y était exposé. Sa critique de Cronstadt, par
exemple, fait froid dans le dos ; en fait il ne condamne pas ce massacre, dans son principe : il
nous dit qu'il fit trop (?) de victimes, et qu'il aurait du être assorti de... plus d'explication
pédagogique. Et en 1941 encore il écrira, dans une lettre à Angelica Balabanoff : "En 1921, à
l'époque de Cronstadt, c'était certainement Lénine qui avait tort et Cronstadt qui avait raison
mais, bien qu'ayant raison, Cronstadt aurait précipité la révolution dans un chaos mortel"59
.
Mais en cette année 1937, au plus fort des crimes staliniens en Espagne, on y regardait moins
du côté de l'instauration de la dictature dans les premières années du régime, que de tout ce
qui avait suivi. Or Serge ne pouvait être mis sur le même plan que les renégats, tel Archinoff,
dont Berneri a si bien fustigé le comportement : "Il y a manière et manière de quitter notre
maison. Vous vous en êtes parti en claquant la porte et en vociférant comme un ivrogne"60
.
Aussi on oublia tout ce qui faisait tâche et serait aujourd'hui jugé affolant, tel cet article écrit
en 1926 après la mort d'un vieux militant anarchiste : "Ces hommes ont été des précurseurs.
Ils ont anticipé sur une époque encore lointaine. C'est là leur grandeur. Leur faiblesse fut d'être
inactuels. La victoire définitive du prolétariat abolira l'Etat, la peine de mort, toutes les peines,
toutes les contraintes. Mais il faut d'abord que le prolétariat soit victorieux. Et pour qu'il le soit
il faut l'organisation, la discipline, la centralisation, la dictature, la terreur. Nous n'avons pas le
choix. Tant pis pour les précurseurs idéalistes qui, dans les batailles sociales, se mettent en
travers de la nécessité. La révolution (sic, NdA) les écarte de son chemin pour vaincre, vivre et
atteindre le but qu'ils entrevoient mais dont ils ignorent le chemin"61
.
C'est aussi dès sa sortie d'URSS à la mi-avril 1936 que Serge entreprend la rédaction de ses
souvenirs, en commençant par le début (autant dire, par les années d'anarchie) ; une ébauche
du premier chapitre des Mémoires est publiée sous forme d'article, Méditation sur
l'anarchie62
: on peut en contester les jugements, ou la généralisation d'expériences très
particulières, mais on ne saurait lui prêter la volonté de passer ces années sous silence. Dans
le même temps, de retour à Paris après s'être arrêté en Belgique, il fait face à des difficultés
matérielles ; les staliniens, qui disposent de la mainmise à l'embauche dans les métiers du
Livre, ont lancé un mot d'ordre de boycott contre lui dans les imprimeries ; et il ne survit que
grâce aux piges que lui rapportent ses articles dans La Wallonie. Mais, d'après son fils Vlady,
"le syndicat des correcteurs, refuge de la veille garde libertaire, lui trouva du travail au
quotidien sportif L'Equipe et les rentrées augmentèrent"63
. Dans le même entretien Vlady
rapporte une anecdote qui a trait à cette période : "Un jour nous rencontrâmes Eugène
Dieudonné, vieux camarade des jours tragiques de la bande à Bonnot. Les deux hommes
9
s'embrassèrent aussitôt"64
. Dieudonné, L'homme qui s'évada du bagne, dont Albert Londres a
évoqué les souffrances, et la lutte...
A Paris il rencontrera aussi en 1939 Emile Armand, le correspondant privilégié d'autrefois,
qui nous dit que l'entrevue fut cordiale.65
A son arrivée au Mexique en 1941 il écrit à Voline,
le "vieil ami et adversaire"66
, et l'incite à venir s'y installer également. Plus officielle, en 1944,
sa tentative de sauver des camarades : à cette date en effet les Togliatti et autres apparatchiks
italiens réfugiés à Moscou commencent à être rapatriés, et il comprend que c'est le moment de
leur demander des nouvelles des opposants italiens persécutés en URSS, parmi lesquels
Ghezzi (dont il ignore encore la disparition) : ce qu'il fait, dans un article du New Leader, qui
a été reproduit dans le Cahier Spartacus dédié à Serge.67
En définitive il n'y a pas trop à s'étonner d'une situation inhabituelle, que Garosci a
soulignée dans sa préface à l'édition italienne des Mémoires : la confiance personnelle était
restée acquise, malgré la séparation politique.68
Une confiance qui dans le cas d'Armand ira
jusqu'à refuser de croire à l'authenticité de la flèche que Serge lui décoche dans ce livre, et à
y voir la main de leur compilateur "ou de leur compilatrice"...69
(effectivement Armand était
en droit d'être perplexe devant un ton nouveau à son égard70
, mais l'authenticité du manuscrit
est attestée).
Des précisions enfin sont là pour nous rappeler que si Le Rétif n'oubliait pas son passé, les
pouvoirs publics ne l'oubliaient pas non plus -et lui en firent payer le prix, même à bien des
années de distance :
1) les articles par lesquels il n’avait cessé de dénoncer la menace hitlérienne et le jeu trouble
de Staline lui valurent un peu plus de considération à Paris, durant la "drôle de guerre".71
Le
quai d’Orsay demanda alors à toutes fins utiles les renseignements le concernant aux RG qui
notent dans leur propre dossier, le 13/1/1940 : On dit qu’il serait sur le point d’être engagé au
service de l’Information.72
Mais le contenu de ce dossier valait déjà pour refus : "Cet individu
aurait un passé judiciaire chargé, il aurait été traduit devant la Cour d’Assises avant la guerre
dans l’affaire BONNEAU"73
.
2) comme il supportait mal l'altitude de Mexico à cause de ses ennuis cardiaques il fit
effectuer par un syndicaliste américain, Bob Watt, des démarches pour émigrer aux Etats-
Unis74
, mais elles échouèrent : à cette époque il n'était pas question qu'un ex-anarchiste
bénéficie du même droit d'entrée dans le pays, que des personnages au passé "chargé". Et
dans son cas, insister, n'aurait servi à rien. John Edgar Hoover, le patron du FBI, suivait
personnellement le dossier : si d’aventure le Department of State s'était laissé fléchir, Hoover
s'apprêtait déjà à brandir un... "complot de séparatistes québécois, avec l'aide de trotskistes de
Mexico". Tel est d'ailleurs le seul élément à peu près utilisable du dossier de près de cent
cinquante pages qui m'a été remis par le FBI -dossier presque entièrement maculé à l'encre
noire, afin de le rendre illisible.
3) quant à la France j'ai mieux compris, au vu du dossier du ministère de l'Intérieur,
pourquoi on m'avait fait attendre plusieurs années pour me le délivrer dans son intégralité. Ce
dossier contient en effet la preuve, de ce que l'on pouvait ici pressentir. Ce ne fut pas en 1936
mais à la fin de l'année 1935, que Staline décida de laisser "filer" Serge ; soit, qu'il ait été
sensible à la campagne en sa faveur -j'y crois peu ; soit qu'il ait espéré que celui-ci allait
commettre des imprudences, et qu'ainsi on allait pouvoir "remonter" des filières d'opposants à
l'étranger. La suite, n'étonnera que les naïfs : ce fut la France-des-droits-de-l'Homme, qui ne
voulut pas de ce mal-pensant sur son territoire ! Et il y eut même à Paris un haut-
fonctionnaire, pour justifier par écrit ce refus, en ces termes qui constituaient à leur façon un
bel hommage : son passé et son activité ne peuvent, en aucune façon, être une garantie pour
son avenir.
10
1 Victor Serge, Mémoires d'un révolutionnaire, Paris, Le Seuil, 1951, p. 17.
2 Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, t. 41, Paris, Ed. ouvrières, p. 255.
3 Le nom de Kibaltchiche apparaît surtout dans des synthèses, dont : Jan Moulaert, Le mouvement anarchiste en
Belgique, 1870-1914, Ottignies, Quorum, 1996. Parmi les rares études le concernant cf. Michel Hainaut, "Sur les
traces de Victor Serge à Bruxelles", Socialisme, n. 226-227, juil.-oct. 1991, pp. 279-281 (= Actes du colloque ;
notre communication figure en pp. 282-291 ; c’est sans notre autorisation que la revue Critique de Glasgow l’a
traduite, sous le titre "On Anarchism"). 4 Le Rétif, note sur la Belgique, Bulletin de l'Internationale Anarchiste, n. 7, nov. 1908, p. 5.
5 Les liens d'époque du jeune Victor avec des "colonies" permettraient de le définir comme "communiste" ; sa
participation supposée au Cubilot où écrivait Pierre Monatte le rapprocherait du courant syndicaliste ; des
articles cf. "Anarchistes-bandits" (Le Révolté, n. 36, 6/2/1909, pp. 3-4) le désigneraient comme individualiste... 6 Une anthologie a été publiée : Albert Libertad, Le culte de la charogne, Paris, Galilée, 1976.
7 Institut Français d'Histoire Sociale, 14 AS 211 (8) = Correspondance Emile Armand ; lettre, s.d.
8 Victor et Rirette semblent s'être connus dans le nord de la France ou en Belgique, et revus aux Causeries ; cf.
R. Maîtrejean, "Commissaire Guillaume, Ne réveillez pas les morts!", Confessions, n. 15, 11/3/1937, p. 6 ;
Mémoires d'un révolutionnaire, cit., p. 30. 9 Une note qui figure dans le dossier Goldman Emma des Archives de la Préfecture de Police (Paris) indique que
le 23/9/1907 celle-ci a visité "la Colonie Libertad" (et non : "les locaux du journal"). 10
Rirette Maîtrejean, "Souvenirs d'anarchie", Le Matin, 18/8/1913 et sq. (rééd. 1988 La Digitale, Quimperlé) ;
André Colomer, A nous deux, Patrie!, Ed. de "L'Insurgé", 1925 (indiqué écrit en 1916-17, soit antérieurement au
passage de l'auteur au bolchevisme) ; Malcolm Menzies, En exil chez les hommes, Troesnes, Corps 9, 1985. 11
V. Méric, Les bandits tragiques, Paris, Kra, 1926, p. 111. 12
Mémoires d'un révolutionnaire, cit., p. 40. 13
Le Rétif, "Contre la faim", l'anarchie, n. 337, 21/9/1911, p. 1. 14
Le Rétif, lettre à Mauricius, l'anarchie, n. 347, 30/11/1911, p. 4. 15
A lire : Richard Parry, The Bonnot gang, London, Rebel Press, 1987 ; William Caruchet, Ils ont tué Bonnot,
Paris, Calmann-Lévy, 1990. 16
E. La Jeunesse, "L'Evolution du Crime", Le Journal, 29/12/1911, p. 1. Cf. également Eugène Fournière, "Les
deux pendants", La Dépêche, 10/1/1912, p. 1. 17
Le Rétif, "Les bandits", l'anarchie, n. 352, 4/1/1912 ; "Expédients", idem, n. 354, 18/1/1912 ; "Anarchistes’ et
‘Malfaiteurs", idem, n. 356, 1/2/1912, p. 1. 18
Le Rétif, "Les illégaux", Le Communiste, n. 14, 20/6/1908. 19
Victor-Serge, Les coulisses d'une sûreté Générale: Ce que tout révolutionnaire devrait savoir sur la
répression, Paris, Librairie du Travail, s.d. (1925) ; et nombreuses rééd. ultérieures. 20
Le Rétif, "BELGIQUE.- Tracasseries", Les Temps nouveaux, n. 39, 23/1/1909, pp. 5-6. 21
Ralph, "Les hauts-criminels", l'anarchie, n. 355, 25/1/1912, p. 1. Les casquettiers immigrés étaient alors un
symbole de la misère ouvrière à Paris ; cf. brochure de Maurice Lauzel : Les Casquettiers, Paris, Cornély & Cie,
1912. 22
La Bataille Syndicaliste, 4/2/1913, p. 2. 23
idem, 3/3/1913, p. 1. 24
V. Serge, Les hommes dans la prison, Paris, Rieder, 1930. Un autre livre sur ses "années anarchistes", Les
Hommes perdus, fait partie des manuscrits confisqués à Serge à sa sortie d'URSS en avril 1936. 25
Le pseud. utilisé était encore Le Rétif, ou autres occasionnels (Yor) ; "Victor Serge" apparaît à partir de 1917. 26
La Bataille Syndicaliste, 13/2/1913, p. 2. 27
Par-delà la mêlée, n. 23 (début février 1917) à n. 26 (Pâques 1917) ; et IFHS, 14 AS 200 = Fonds Armand,
Correspondance et divers, lettre de G. Reiss, 13/2/1917. 28
La tentative de faire de Serge un bolchevik dès 1917 est à l'origine de puériles coupes effectuées dans ses
lettres à Armand, lors de leur publication par Jean Maitron : "De Kibaltchiche à Victor Serge. Le Rétif (1909-
1919)", Le Mouvement social, n. 47, avril-juin 1964, pp. 45-78. 29
Notice publiée in Pierre Pascal, Mon Journal de Russie, t. II, Lausanne, L'Age d'Homme, 1977, pp. 104-108. 30
R. Maîtrejean, "De Paris à Barcelone", Témoins, n. 21, fév. 1959, p. 38. 31
Parmi les candidats figurait Eugenia Roussakova dont Victor épousera à l’arrivée la sœur, Liouba. Cf., pour
récit d’Eugenia : "Tribulations d'une famille", in P. Pascal, op. cit., t. II, pp. 49-103. 32
Précisons que cette péripétie n'a rien à voir, dans le cas de Serge, avec la décision de remise en liberté. Mais,
ayant écrit le contraire dans un de ses romans (Naissance de notre force, Paris, Rieder, 1931), il a en 1951
préféré reprendre cette fable dans les Mémoires d'un révolutionnaire, cit., pp. 75-76.
11
33
Le Rétif, "Lettres d'un emmuré", La Mêlée, n. 19, 1/2/1919, p. 2. Chardon disparaîtra le 2/5 à l'âge de 26 ans,
terrassé par la grippe espagnole ; cf. Pierre Chardon : sa vie - son action - sa pensée, Paris et Orléans, Ed. de
"l'en-dehors", 1928, p. 3. 34
V.S. Le Rétif, "L'esprit révolutionnaire russe", Le Libertaire, n. 1, 26/1/1919, p. 2 ; n. 2, 2/2, p. 2 ; n. 3, 9/2, p.
2 ; n. 4, 16/2, p. 2 ; n. 6, 2/3, p. 2 ; n. 10, 30/3, p. 2 ; n. 11, 6/4, p. 2. 35
Groupe des anarchistes russes exilés en Allemagne, Répression de l'Anarchisme en Russie Soviétique, Paris,
Ed. de la "Librairie Sociale", 1923, p. 42. 36
"Lettre de Russie", Le Libertaire, 7/11/1920, pp. 1-2 (datée Petrograd, 6/10/1920) ; "Lettre de Russie", Le
Soviet, 15/1/1921, pp. 3-4 ; idem, 1/5/1921, p. 2. 37
Cf. lettre du 7/11/1920, cit. supra, p. 2. 38
V. Serge, Les anarchistes et l'expérience de la révolution russe, Paris, Librairie du Travail, 1921. 39
Cf. notice in P. Pascal, op. cit., t. II, p. 108. 40
Armando Borghi, Mezzo secolo di anarchia, Napoli, Edizioni Scientifiche Italiane, 1954, p. 234. 41
Ibid., p. 235. A noter, pp. 245-246, un épisode qui concerne la disparition de Lefebvre, Lepetit et Vergeat : on
est loin ici de la version... fataliste qu'en donne Serge dans les Mémoires, pp. 124-125. 42
Mémoires d'un révolutionnaire, cit., p. 169. 43
E. Goldman, Living my Life, v. 2, New York, Knopf, 1931, p. 732. 44
G. Leval (Pierre Piller, pseud.), "Choses de Russie", Le Libertaire, n. 147, 11/11/1921, p. 3. 45
Hugo Trene (Ugo Fedeli, pseud.), "Note di taccuino", L'Adunata dei Refrattari, n. 26, 4/8/1923, p. 3. 46
Séverine, "L'oiseau de passage", Le Journal du Peuple, 27/10/1921, p. 1. A signaler, parmi les nombreux
articles de Séverine : "Rirette", Gil Blas, 11/8/1912, p. 1. 47
Mémoires d'un révolutionnaire, cit., p. 170. 48
V. Serge, Bakunins "Bekenntnis", Das Forum, n. 9, juni 1921, pp. 373-380. 49
E. Armand, "Lettre ouverte à Victor Serge", L'en-dehors, n. 2, mi-novembre 1922, p. 1. 50
M. Sauvage, "Entre nous", Un, n. 5, oct. 1920, p. 5. 51
"De Paris à Barcelone", art. cit, p. 38. Le divorce de Victor et Rirette fut prononcé le 14/2/1927. 52
Gérard Rosenthal, Avocat de Trotsky, Paris, Laffont, 1975, pp. 23-24. Cf., sur la police milanaise et les
anarchistes, remarquable ouvrage de Vincenzo Mantovani : Mazurka blu, Milano, Rusconi, 1979. 53
"Une lettre de Victor Serge au Comité Central Exécutif des Soviets", La Révolution prolétarienne, n. 153,
10/6/1933, pp. 6-7. 54
Camille, note de lecture in La Revue Anarchiste, n. 20, août-sept. 1934, p. 40. 55
V.S., "Sur Cronstadt 1921 - et quelques autres sujets...", La Révolution prolétarienne, n. 277, 25/8/1938, pp.
7-8. Pour rappel : en 1921 Serge fut informé des faits "en temps réel", en fut sans aucun doute horrifié, et servit
d'intermédiaire pour une tractation qui échoua, mais il n'alla pas jusqu'à protester -du moins, publiquement. 56
V.S., "Crimes à Barcelone", La Révolution prolétarienne, n. 249, 2/6/1937, p. 6. 57
lettre de Victor Serge in Esprit, n. 57, 1/6/1937, p. 501. Cf., sur l'assassinat de Berneri : Pietrogrado 1917
Barcellona 1937, a cura di Pier Carlo Masini e Alberto Sorti, Milano, Sugar Ed., 1964, pp. 239-254. 58
V. Serge, Carnets, Paris, Julliard, 1952, p. 44. 59
Attilio Chitarin, "Tre lettere di Victor Serge ad Anzelika Balabanova", Il Ponte, n. 11-12, 30/11-31/12/1979,
p. 1335 (lettre du 23/10/1941). 60
Camillo Berneri, "Due parole a Pietro Arcinoff", L'Adunata dei refrattari, n. 40, 5/10/1935, p. 7. 61
V. Serge, "Un anarchiste russe : Karéline", La Vie Ouvrière, 7/5/1926, p. 3. Serge avait comme on vient de le
voir une particulière affection envers Karéline car celui-ci avait témoigné en sa faveur, à l'occasion du procès de
1913 ; cf. L'Humanité, 26/2/1913, p. 2. 62
V. Serge, "Méditation sur l'anarchie", Esprit, 1/4/1937, pp. 29-43. 63
Claudio Albertani, "Victor Serge a Parigi (1937-40)", Rivista storica dell'anarchismo, n. 2, lug. 2000, p. 96. 64
ibidem. 65
E. Armand, "Kibaltchiche est mort", L'Unique, n. 26, déc. 1947, p. 7. 66
Cf. lettre du 11/1/1946 à Daniel Martinet in La Révolution prolétarienne, n. 310, déc. 1947, p. 23. 67
V. Serge, Le nouvel impérialisme russe, Cahiers Spartacus Série B n. 50, oct.-nov. 1972, pp. 46-48. 68
Aldo Garosci, préface à : V. Serge, Memorie di un rivoluzionario, Firenze, La Nuova Italia, 1956, p. IX. 69
E. Armand, "Où il est question d'honneur et de "Mémoires", L'Unique, n. 45, jan. 1950, pp. 73, 74 et 75. 70
Armand fournit comme contre-exemple le ton des remarques de Serge le concernant, dans un article paru dans
Crapouillot de janvier 1938. 71
« un des collaborateurs de Daladier m’invita à le venir voir à l’hôtel Matignon » (Mémoires, cit., p. 387). 72
AN, F7 14787, doss. Kibaltchiche Victor (note du 16/12/1939, complétée le 13/1/1940). 73
ibidem, 16/12/1939. 74
Jef Rens, Rencontres avec le siècle, Paris-Gembloux, Duculot, 1987, p. 102.