la france sous le regard critique des grandes revues intellectuelles britanniques au cours de la...

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La France sous le regard critique des grandes revues intellectuelles britanniques au cours de la première moitié du XIX° siècle. Au cours de la première moitié du XIX° siècle, l’intelligentsia britannique prend goût à la lecture d’un nouveau genre de publications, les revues trimestrielles de critique littéraire 1 . Deux d’entre elles, les premières et les plus respectées, dominent le champ. Lancée en 1802, l’Edinburgh Review servira de matrice à bien d’autres périodiques tant son style est novateur et son ton libre. Sept ans plus tard, en 1809, la Quarterly Review voit le jour à Londres 2 . Cette seconde revue se fixe pour objectif de concurrencer, sur le même terrain, sa rivale écossaise mais en se proclamant idéologiquement proche des Tories, alors que l’Edinburgh Review s’était d’emblée inscrite dans le sillage des libéraux. Ces ancrages politiques, en apparence éloignés, n’empêchent pas nombre de lecteurs aisés et cultivés, appartenant tous au même monde, et qui souhaitent avant tout s’informer, de « braconner » de l’une à l’autre, voire de s’abonner aux deux 3 . 1 Quelques chiffres permettent de mesurer le succès de ces deux publications. En 1807, l’Edinburgh Review tire à 7000 exemplaires, à 13 000 en 1814, pour se stabiliser autour de 11 000 en 1825-1826. En ce qui concerne la Quarterly Review, les résultats ne sont pas très différents : 5000 en 1810, 14 000 en 1817-1818 et 10 000 pour les décennies 1830-1840. Compte de la lecture qui s’effectue dans les cabinets et les salons littéraires, ainsi que par le biais des bibliothèques de prêt, il n’est sans pas exagéré de penser que chacune de ces deux revues étaient lues par au moins cinq personnes, soit un total de 100 000 lecteurs au milieu du siècle. 2 Sur ces revues voir Diana Cooper-Richet, « Revues anglaises, revues françaises : des formes multiples d’échange », La Belle Epoque des revues 1880- 1914, dir. Jacqueline Pluet-Despatins, Michel Leymarie, Jean-Yves Mollier, Paris, Editions de l’IMEC, 2002, pp. 361-379. 3 Voir sur ce point Diana Cooper-Richet, « Les grandes revues littéraires et politiques dans la formation des élites britanniques au cours de la première moitié du XIX° siècle », communication au colloque international Politica, naçao e ediçao, Universidade Federal de Minas Gerais, Belo Horizonte, 7- 1

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La France sous le regard critique des grandes revuesintellectuelles britanniques au cours de la première

moitié du XIX° siècle.

Au cours de la première moitié du XIX° siècle,l’intelligentsia britannique prend goût à la lectured’un nouveau genre de publications, les revuestrimestrielles de critique littéraire1. Deux d’entreelles, les premières et les plus respectées, dominentle champ. Lancée en 1802, l’Edinburgh Review servira dematrice à bien d’autres périodiques tant son style estnovateur et son ton libre. Sept ans plus tard, en1809, la Quarterly Review voit le jour à Londres2. Cetteseconde revue se fixe pour objectif de concurrencer,sur le même terrain, sa rivale écossaise mais en seproclamant idéologiquement proche des Tories, alors quel’Edinburgh Review s’était d’emblée inscrite dans lesillage des libéraux. Ces ancrages politiques, enapparence éloignés, n’empêchent pas nombre de lecteursaisés et cultivés, appartenant tous au même monde, etqui souhaitent avant tout s’informer, de « braconner »de l’une à l’autre, voire de s’abonner aux deux3.1 Quelques chiffres permettent de mesurer le succès de ces deuxpublications. En 1807, l’Edinburgh Review tire à 7000 exemplaires, à 13 000 en1814, pour se stabiliser autour de 11 000 en 1825-1826. En ce qui concernela Quarterly Review, les résultats ne sont pas très différents : 5000 en 1810,14 000 en 1817-1818 et 10 000 pour les décennies 1830-1840. Compte de lalecture qui s’effectue dans les cabinets et les salons littéraires, ainsique par le biais des bibliothèques de prêt, il n’est sans pas exagéré depenser que chacune de ces deux revues étaient lues par au moins cinqpersonnes, soit un total de 100 000 lecteurs au milieu du siècle.2 Sur ces revues voir Diana Cooper-Richet, « Revues anglaises, revuesfrançaises : des formes multiples d’échange », La Belle Epoque des revues 1880-1914, dir. Jacqueline Pluet-Despatins, Michel Leymarie, Jean-Yves Mollier,Paris, Editions de l’IMEC, 2002, pp. 361-379.3 Voir sur ce point Diana Cooper-Richet, « Les grandes revues littéraires etpolitiques dans la formation des élites britanniques au cours de lapremière moitié du XIX° siècle », communication au colloque internationalPolitica, naçao e ediçao, Universidade Federal de Minas Gerais, Belo Horizonte, 7-

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Ces périodiques, d’une facture encore inconnuejusque là, connaissent leur apogée durant la premièremoitié du XIX° siècle, à un moment où les magazines etautres publications de large diffusion n’ont pasencore été mis sur le marché pour le public desclasses moyennes. Ils perdureront longtemps, pourtant,en dépit de la transformation du paysage éditorial.L’Edinburgh Review disparaît en 1929, sa consoeur luisurvivra jusqu’en 1967. La nouveauté de la formule queproposent, dès la première décennie du XIX° siècle,ces trimestriels consiste à dresser un panoramacritique de la littérature britannique et étrangère,notamment française, prise au sens très large duterme. Le spectre des imprimés couverts s’étend desouvrages scientifiques, aux récits de voyage, enpassant par les livres à caractère historique, lesmémoires et correspondances de personnages célèbres,ainsi que par la littérature romanesque et la poésie.Rien de ce qui se publie de sérieux, ou que lesrédacteurs de ces deux revues jugent dignes d’intérêtpour leur lectorat, n’est laissé de côté même si lesauteurs – toujours anonymes – d’articles doiventfranchir certaines barrières linguistiques pouraccéder aux textes originaux.

Les articles, dits « essays » en anglais, quiportent le plus souvent un titre général, traitentd’un thème à partir de l’analyse d’un ou de plusieursouvrages, brochures ou pamphlets. L’intitulé choisitpar l’essayiste indique la tonalité et l’orientationde son étude, dont les sujets peuvent être trèspolémiques, particulièrement en ce qui concerne laFrance. C’est le cas dans l’Edinburgh Review : avec« Centralization » dans le n° 172 d’avril 1847 4, ouencore dans celui d’octobre 1850 avec : « Difficulties

9 avril 2003. 4 Pp. 221-258.

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of the French Republicans »5. Cette revue se poseégalement la question des limites de la liberté de lapresse en France6. Dans la Quarterly, c’est la notion dedémocratie, dans ses rapports avec les Français, quiest interrogée.

La curiosité à l’endroit de la France semble trèsgrande dans ces revues représentatives des classesdirigeantes britanniques. Les pages qui y fontréférence sont nombreuses et les aspects de la vie dece pays traités, extrêmement variés dans les deuxrevues, avec néanmoins quelques différences dans lespriorités données à certains sujets. Les mêmes grandsnoms de la science, des lettres et de la vie politiquefrançaises s’inscrivent au fil des pages de ces deuxprestigieuses publications, formant ainsi un« Panthéon », mais aussi un « enfer » de ceux que lesélites britanniques admirent ou dont elles déplorentl’action et/ou les écrits. Les textes sont souventémaillés de jugement sévères ou d’éloges marqués, plusparticulièrement sur les nombreux évènementspolitiques que traversent la France à cette époque,instabilité que les Anglais ont beaucoup de mal àcomprendre.

La France « sous toutes les coutures ».

Les ouvrages, ayant un rapport avec la France,recensés dans les deux grandes revues britanniques,entre 1802/1809 et le milieu du siècle, sont abondantset les thèmes traités d’une grande variété7. En dépit5 N° 188, pp. 504-533.6 Ibidem, n° 35, mai 1811, pp. 98-123.7 Pour ce travail, les deux revues de références ont été consultées du n° 1jusqu'à la fin de l’année 1851, à raison de deux numéros sur 4 par an, soit100 exemplaires pour l’Edinburgh Review et 86 pour la Quarterly Review. Ont étéretenus tous les compte-rendu d’ouvrages en français ou traitant de la

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des différences de sensibilités politiques et desrelations centre - périphérie qu’entretiennent, delongue date, l’Ecosse et l’Angleterre, la plupart desgrands sujets relatifs à la France sont abordés dansune optique comparable par les deux publications.

Au sommet du hit parade des articles dans les deuxpériodiques, il y a la littérature de voyage, ce quidemeura une constante durant tout le siècle si l’onen juge par le reflet fournit, en France, par la RevueBritannique qui s’inspire directement des meilleurspériodiques et magazines d’outre-Manche8. Le spectrede ces récits est large tant sur le plan géographique,qu’historique. Il témoigne de l’intérêt des élitespour la découverte et la conquête du monde, maiségalement de leur volonté de suivre les expéditionsentreprises par leurs voisins et de mesurer leurexpansion. La relation des excursions en Louisiane,d’un certain Baudry de Lozières, en 1803, est jugéeavec sévérité : c’est l’« oeuvre d’un ego-centriquequi se lamente sur le sort des planteurs ruinés9 » !!!Tous les articles ne concernent pas, loin de là, desrégions dans lesquelles il existe des divergencesentre la France et l’Angleterre. Les voyages à traversla Suisse, les pays germaniques10, en Hongrie11, en

France et des Français, même s’ils émanaient d’auteurs non-francophones,notamment britanniques. L’objectif étant de dresser un premier tableau desreprésentations que les lecteurs pouvaient avoir de l’« Hexagone », de seshabitants et de ses dirigeants. Les deux revues accordent une placesensiblement égale à la France, avec entre 160 (Quarterly) et 175 (Edinburgh)ouvrages repérés sur ce sujet, ce qui représente un nombre plus faibled’articles, puisque beaucoup d’entre eux sont élaborés à partir deplusieurs livres. Soulignons également que les extraits en français sonnombreux et parfois longs.8 Diana Cooper-Richet, « Revues anglaises … », op. cit.9 Edinburgh Review, n° 5, octobre 1803, pp. 81-90. Sur les Etats-Unis voir aussi n° 13, octobre 1805, pp. 155-163 ; n° 16, juillet 1806, pp. 378-399.10 Ibidem, n° 9, octobre 1804, pp. 78-91 et n° 16, juillet 1806, pp. 254-271.11 Ibidem, n°141, octobre 1839, pp. 71-89.

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Espagne12, en Italie13, en Ecosse14, dans le nord del’Europe15, mais aussi en France16 trouvent égalementleur place, tout comme des contrées plus exotiques, laChine17 et la Cochinchine18, Manille, l’Ile de France19

et l’Egypte20 par exemple, ainsi que les terresaustrales21. Les articles de ce genre sont rarementpolémiques, mais factuels et informatifs. Leurcontribution à la construction des représentationsest, sans aucun doute, moins marquante que lesanalyses portant sur les aléas de la vie politiquefrançaise. Ils permettent, néanmoins, aux Anglais dese faire une idée de la puissance de la France àl’étranger et de l’esprit d’aventure qui anime seshabitants.

Le classement par sujets des articles estrévélateur de l’importance accordée aux découvertes etau progrès de la science, mais aussi de l’attentionportée à ses développements en France. Les disciplinesscientifiques occupent une place prééminente dans lesdeux revues. Un Traité de minéralogie, écrit par le citoyenHaüy, en 1801, est jugé positivement en dépit decertaines erreurs22, tout comme la première livraisondu Journal des mines est signalée, en 180623, comme étantparticulièrement remarquable. La théorie des glaciers,est étudiée dans la revue écossaise en 1842, sur labase de six ouvrages, dont trois sont d’auteurs

12 Ibidem, pp. 125-136 et Quarterly Review, n° 34, juillet 1817, pp. 530-562.13 Ibidem, n° 16, juillet 1806, pp. 254-271 et n°55, mars 1817, pp. 31-58.14 Ibidem, n°76, mai 1823, pp. 464-478.15 Quarterly Review, n° 21, avril 1814, pp. 104-123. 16 Edinburgh Review, n° 76, mai 1823, pp464-478.17 Ibidem, n°27, avril 1809, pp. 107-121.18 Quarterly Review, n° 5, février 1810, pp. ?19 Edinburgh Review, n° 27, avril 1809, pp. 107-121. 20 Quarterly Review, n° 55, octobre 1822, pp. 59-97 et n° 106, février 1835, pp. 19-55.21 Ibidem, n° 7, novembre 1810, pp. 42-60.22 Edinburgh Review, n°5, octobre 1803, pp. 26-42.23 Ibidem, n° 15, avril 1806, pp. 78-86.

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français dont l’un est extrait des Annales des mines24. LeMémoire sur les quantités imaginaires25, ouvrage d’algèbre deBuëe est également longuement commentée. Les travauxde Cuvier sur les fossiles26 et Les ichothyolites, poissonsfossiles, observés par H. de Blainville figurent aussiparmi les travaux français considérés commeétonnants27. A partir de 1812, les tablesbarométriques françaises n’ont plus de secrets pourles lecteurs de la revue d’Edimbourg28.

Les règnes animal et végétal ne sont pas absentsdes préoccupations des rédacteurs. Une Flore du Nord de laFrance, par un certain F. Roncel fait l’objet d’unerecension de 13 pages29, mais les Nouvelles observations surles abeilles de F. Huber occupent une place deux foissupérieure. L’« essay » sur la physiologie végétalequi paraît dans l’Edinburgh Review d’octobre 182930 estrédigé à partir de trois ouvrages, dont deux sontfrançais. La science physique et la chimie françaisessont présentées, très tôt, dans les pages de laQuarterly Review, tout comme les travaux d’astronomie deJean-Baptiste Biot31, de même que les phénomènesélectro-magnétiques observés par Ampère32 et ceux misen évidence par M.P. Foissac dans un rapport àl’Académie royale de médecine sur le magnétismeanimal33.

Les avancées de la médecine trouvent égalementleur place dans les pages de ces publications.Anatomie et physiologie du système nerveux en général et du cerveau enparticulier… , de F.J. Gall et G. Spurzheim, sont24 Ibidem, n° 151, pp. 49-103.25 Ibidem, n° 24, juillet 1808, pp. 306-318. 26 Ibidem, n° 35, mai 1811, pp. 214-230.27 Ibidem, n° 73, juin 1822, pp. 47-60.28 N° 39, juillet 1812, pp. 169-202.29 Edinburgh Review, n° 13, octobre 1805, pp. 100-113. 30 N° 99, pp. 143-163.31 N° 13, mars 1812, pp. 120-136. 32 N° 69, janvier 1827, pp. 237-269.33 Quarterly Review, n°121, janvier 1838, pp. 1-38.

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analysées sur plus de 40 pages en 181534 par l’EdinburghReview. La malaria, ou paludisme, maladie tropicalequi intéresse les deux puissances coloniales faitl’objet d’une étude qui s’appuie sur quatre livresdont deux ont été écrits par des professeurs demédecine exerçant en France, le premier à la facultéde Strasbourg et le second à l’Académie royale desSciences de Lyon35. Enfin, la mort et sesmanifestations sont présentées aux lecteursbritanniques par le biais des recherches faites parJulia de Fontenelle et Z. Bichot, avec des notes de F.Magendie36.

Ainsi, les expériences scientifiques réalisées enFrance sont-elles suivies, en Grande-Bretagne, avec laplus grande attention et rrarement critiqués avecsévérité. Ils sont parfois mis en relation avec lesrecherches conduites par d’autres, notamment desAllemands et des Anglais. Les « essays » qui leur sontdédiés portent le témoignage de l’admiration et durespect portés par les rédacteurs, des deux revues, àun certain nombre de savants français.

Les évènements politiques qui bouleversentla France, au cours de la première moitié du XIX°siècle, suscitent étonnement et inquiétude de l’autrecôté de la Manche, où ils sont suivis pas à pas. LaRévolution de 1789, l’Empire, puis l’installation dela monarchie constitutionnelle, avec les soubresautsde 1830 et ceux de 1848 sont autant d’occasions pourles collaborateurs des deux trimestriels des’interroger sur l’incapacité des Français àstabiliser leur système politique et sur les dangerspotentiels qu’une telle situation présente pour leursvoisins.

34 Edinburgh Review, juin 1815, pp. 227-256.35 Quarterly Review, n° 59, octobre 1823.36 Ibidem, n° 170, septembre 1849, pp. 346-399.

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1789, et les années qui suivent la prise de laBastille, troublent profondément les esprits outre-Manche. La vie et la personnalité exceptionnelles desrévolutionnaires, qui se sont engagés dès le début desévènements, sont exposées afin d’aider les lecteurs dela Quarterly à comprendre leurs motivations37. En 1816,dans cette revue conservatrice, les Mémoires de lamarquise de la Roche Jacquelin sur la Guerre de Vendéesont considérés, avec ceux de Madame Roland, comme lesmeilleurs ouvrages historiques sur la Révolution38.Quelques années plus tard, en 1823, dans un compte-rendu de l’Histoire de l’Assemblée Constituante de France deLacretelle l’Aîné, l’éditorialiste de la Quarterlyestime que malgré les difficultés qu’il y a pour touthistorien de parler d’un « terrible évènement » auquelil a personnellement pris part, le député de laLégislative est le premier à réussir une analyse de laRévolution39. L’œuvre de Philippe Buonarroti, toutcomme les pièces saisies lors de l’arrestation deBabeuf, son compagnon dans la Conjuration des Egauxcontre le Directoire, est jugée comme un apportimportant à la compréhension de cette périodetroublée. L’auteur de l’article compare les deuxhommes au « malveillant » Robert Owen, dont les idéessont, peut-être, bonnes mais risquent d’être reprisespar des hommes dangereux40. Des souvenirs sur Mirabeauet les deux premières assemblées législatives par E.Dumont41, tout comme ceux de l’ex-conventionnel RenéLe Vasseur et les causes de la Révolution françaisevues par John Russel42 viennent compléter en 1833,

37 Ibidem, n° 14, juin 1812, pp. 412-438.38 Ibidem, n° 29, avril 1816, pp. 1-69.39 Ibidem, n° 56, janvier 1823, pp. 271-314.40 « Mischievous » en anglais, ibidem, n° 89, avril 1831, pp. 167-209.41 Ibidem, n° 93, mars 1832, pp. 261-331 et n° 178, septembre 1851, pp. 333-363.42 Ibidem, n° 97, janvier 1833, pp. 152-174.

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pour les lecteurs de la Quarterly Review, le sombretableau brossé des années 1789-1799 en France.

Le premier article du premier numéro de l’EdinburghReview, est consacré aux origines de la Révolution,sur lesquelles il est recommandé de lire J.-J.Monnier, le parlementaire le plus populaire de la 1ère

Assemblée qui a dû quitter son pays « victimes defactions sans principes ». Dans son ouvrage il insistesur l’influence néfaste des philosophes, des francs-maçons et des « illuminés »43. Dans la même livraison,deux autres articles concernent la Révolution, l’unsouligne la dépréciation des assignats44, l’autre estun Essai sur l’art de rendre les révolutions utiles de J. E. Bonnet,donné pour impartial et qui fournit un résumé desmoments mémorables45. A cet égard, les Considérations surles principaux évènements de la Révolution, ouvrage posthume deMadame de Staël, sont dits du « plus haut intérêt »46.En janvier 1848, l’Histoire des Girondins d’Alphonse deLamartine, est l’objet d’une critique nuancée. Cemembre de l’opposition libérale s’y révèle être unfervent partisan de la Révolution, mais pour l’auteurde l’article le poète n’a pas pris le temps de laréflexion et ne peut donc pas être mis au rang desgrands historiens47. Dans le numéro suivant, celuid’avril, l’« essay » intitulé « The Frenchrepublicans » revient sur le même ouvrage, tout ens’intéressant à deux autres textes, dont l’Histoire de dixans de Louis Blanc, afin de comprendre pourquoi laFrance est redevenue une république48. Les historiensanglais de la Révolution trouvent également leur placedans les pages de la grande revue écossaise. Il enest ainsi de Thomas Carlyle lorsque la deuxième43 Edinburgh Review, n° 1, octobre 1802, pp. 1-18.44 Ibidem, pp. 91-92.45 Ibidem, pp. 122-128.46 Ibidem, n° 60, septembre 1818, pp. 275-317.47 Ibidem, n° 175, pp. 1-46.48 Ibidem, n° 176, pp. 430-451.

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édition de son histoire de la Révolution françaiseparaît à Londres, en 183949. Il est clair que l’espritde cet ouvrage n’est pas de nature à choquer lesrédacteurs de la revue. 

Le régime napoléonien, avec son Blocus50, faitl’objet de très nombreux commentaires dans lesrédactions, tant à Edimbourg, qu’à Londres. En mai1810, un article de la Quarterly Review, intitulé« Disposition of the French government »51 (génie dugouvernement français), rédigé à partir de l’ouvraged’un Américain de retour d’Europe, conclut que laFrance a, plus que tout autre pays, vocation à être unempire. Le même livre est recensé et approuvé dans larevue d’Edimbourg pour la critique zélée etintelligente qu’il fait de la France52. Le sort del’empereur déchu53 ne laisse pas indifférents lesBritanniques, mais ils sont amenés à constater queNapoléon veut demeurer vivant dans la mémoire desFrançais, comme l’illustre la publication de sessouvenirs, ceux de ses compagnons, de son dernierchirurgien, de Las Cases54 et de Fouché, duc d’Otranteet ministre de la police55, mais aussi avec lemanuscrit de l’Ile d’Elbe56 et les lettres de Saint-Hélène57. L’intérêt pour cet empereur ne faiblit pasavec le temps, même longtemps après sa mort. Leschansons de Béranger dédiés à Lucien Bonaparte,publiées à Paris en 1833, sont jugées beaucoup troplouangeuses par l’Edinburgh Review58 et en avril 1837, la49 Ibidem, n° 144, juillet 1840, pp. 411-445.50 Quarterly Review, n° 5, février 1810, pp. 50-63.51 Ibidem, n° 6, pp. 320-339.52 Edinburgh Review, n° 31, avril 1810, pp. 1-30.53 Quarterly Review, n° 151, juin 1845, pp 204-247. Cet article porte, notamment,sur la chute de Napoléon.54 Ibidem, n° 55, octobre 1822, pp. 219-264.55 Edinburgh Review, n° 83, avril 1825, pp. 64-8856 Edinburgh Review, n° 60, septembre 1818, pp. 444-463.57 Ibidem, n° 54, décembre 1816, pp. 459-492 et n° 83, avril 1825, pp. 64-88.58 Ibidem, n° 116, juillet 1833, pp. 486-504.

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même revue imprime deux « essays »59 dans lesquels lesauteurs s’indignent sur la façon dont sont écrits lesmémoires en France et sur la véritable nature dupremier Empire, régime sur lequel tant d’inexactitudesont été publiées.

La pratique de la monarchie constitutionnelle à lafrançaise laisse perplexes les critiques littérairesbritanniques. Dans la Quarterly Review, dès juillet 1816,paraît un article intitulé « Chateaubriand’smonarchy », dans lequel l’ouvrage de l’auteur de René,La monarchie selon la charte, traduit en anglais, estconsidéré comme très important60. Dès octobre 1815,l’Edinburgh Review se félicite du retour des Bourbons61.En juillet 1819, on peut lire dans le même publicationque « tous les amoureux de la liberté, doivent seréjouir du spectacle offert par les voisins de laGrande-Bretagne qui sont désormais délivrés desambitions guerrières de l’empereur et peuvent penser às’établir sur les bases solides d’une constitutionlibre »62. Quelques années plus tard, la même revuecommentant la « French official life », espère que laFrance aura du succès en copiant la forme dugouvernement d’outre-Manche63. Certains évènementspolitiques de la Restauration inquiètent, pourtant,les Britanniques64 tout particulièrement les journéesrévolutionnaires de 1830, vues par B. Sarrans l’aide

59 Ibidem, n° 116, pp. 406-413 et 473-497.60 Quarterly Review, n° 30, pp. 419-440.61 Edinburgh Review, n° 50, pp. 501-526.62 Ibidem, n° 63, juillet 1819, pp. 192. Dans la Quarterly Review, n° 49, juin 1815, pp. 112-134, les réflexions de Benjamin Constant sur la responsabilité des ministres sont commentées.63 Edinburgh Review, n° 87, juin 1826, pp. 156-173.64 Ibidem, n° 86, octobre 1830, pp. 564-596. Il s’agit d’un article conçuautour des Annales des sessions du Corps Législatif. Quarterly Review, n° 98, pp. 464-485.

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de camp de Lafayette65, ainsi que le changement brutalde dynastie66.

Les derniers jours de Louis-Philippe et sa fuite,la mise en place du Gouvernement provisoire, « uneusurpation bâtarde »67, les bouleversements de 1848 et« les promesses » de la seconde Républiqueinterpellent les Britanniques. Les « FrenchRepublicans » font l’objet d’ « essay » dans la revued’Edimbourg en avril 1848 : « Depuis notre dernièrelivraison une révolution extraordinaire a bouleversél’Europe, la France est devenue une République » 68.Or, les Français ont une notion insuffisante de laresponsabilité et le prix à payer pour bénéficier du« self government69 » est élevé. L’évènement étantencore récent l’objectif de l’étude, qui porte sur lalecture du National (1832-1848), de l’Histoire de dix ans deLouis Blanc et de l’Histoire des Girondins de Lamartine estd’éclairer le lecteur sur le passé afin de permettreune meilleure compréhension du présent. Lesdifficultés du nouveau gouvernement sont analysées àtravers une étude de presse du Siècle, du Pouvoir, duMoniteur et du Journal des débats des années 1849-185070.Pour l’auteur de ce travail, toutes les nations n’ontpas les mêmes dons, ni les mêmes exigences en matièrede gouvernement libre, il va même jusqu’à écrire quela liberté nationale requiert des vertusparticulières, notamment l’aptitude à respecter lesdroits des autres. C’est par le biais de la critiquedu livre d’Emile Thomas, Histoire des Ateliers nationauxconsidérés sous le double point de vue politique et social … que laquestion de la République sociale est abordée, en juin65 Edinburgh Review, n° 112, janvier 1833, pp. 481-498.66 Ibidem, n° 55, mars 1817, pp. 106-125.67 Plusieurs articles sont consacrés à ces sujets. Quarterly Review, n° 173, juin 1850, pp. 276-288 ; n° 174, septembre 1851, pp. 502-532 et 557-579.68 Edinburgh Review, n°176, pp. 565-600. 69 Ibidem.70 Ibidem, n° 188, octobre 1850, pp. 504-533.

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1850, dans la revue conservatrice71. Le débatmonarchie/république, « une affaire sérieuse », estillustré « sous une forme légère » dans une chroniqueintitulé « Jérôme Paturot on the Frenchrevolution »72. Le sujet est repris à partir de troistextes de François Guizot : De la démocratie en France, De laCharte du peuple et de République et monarchie. Questionsbrûlantes, parus en 1849. A l’automne 1851, sous letitre « Littérature révolutionnaire » un ensemble de21 publications variées, dont 16 en français, estprésenté aux lecteurs anglais, parmi lesquels unéchange entre Guizot et E. Dehais sur le thème de ladémocratie, L’histoire de la Restauration par Lamartine et unouvrage de Proudhon73.

La conclusion que semble tirer, d’un demi-sièclede vie et de changements politiques en France, lesrédacteurs de la revue écossaise est sans doute assezreprésentatif de ce que pense l’élite britannique. Enavril 1849, commentant l’ouvrage de Guizot, Ladémocratie en France et un ouvrage de G.H. Lewes sur lavie de Maximilien Robespierre, l’un des essayistesécrit :  « Nous pouvons dire que la France a complétéson travail. Elle a permis aux nations d’Europe dedésapprendre la leçon qu’elle avait été la première àleur donner. Elle a fourni l’antidote à son proprepoison. Il faut se méfier des actes d’une minorité etdes paroxysmes de l’action »74.

71 Quarterly Review, n° 173, pp. 1186-141.72 Ibidem, n° 166, septembre 1848, pp. 419-450. L’article analyse l’ouvrage de Louis Reybaud, Jérôme Paturot à la recherche de la meilleure des républiques.73 Ibidem, n° 178, septembre 1851, pp. 491-543.74 Edinburgh Review, n° 180, avril 1849, pp. 381-401.

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Panthéon et « Enfer » des Britanniques.

Si la vie et les hommes politiques, de la premièremoitié du XIX° siècle, ne trouvent guère grâce dansles pages des deux grandes revues intellectuellesd’Edimbourg et de Londres, les rédacteurs de ces deuxpublications sont cependant très admiratifs d’uncertain nombre de Français, parmi lesquels deshistoriens, des scientifiques, des hommes et desfemmes de lettres.

Augustin Thierry a, selon l’Edinburgh Review, quisuit les « progrès de la recherche historique enFrance », une production brillante dont de nombreusespassages en français, tirées des Récits des tempsmérovingiens, précédés de considérations sur l’histoire de France sontcités75. François Guizot est mentionné avec respect, àplusieurs reprises, dans les deux périodiques pour sesécrits sur la démocratie76. Jules Michelet estégalement recommandé à l’attention des lecteurs de larevue écossaise pour son Histoire de France en 5 volumes,même si son style est jugé trop affecté77. Mêmeconstatation à propos de l’auteur Du prêtre, de la femme, dela famille, dans la Quarterly Review, sa recherche del’effet dans ses œuvres et dans ses démonstrations estconsidérée comme nuisant à ses talents d’historien78.Le Précis historique de la Révolution française de Lacretelle lejeune est jugé, quant à lui, par l’Edinburgh Review en

75 Ibidem, n° 147, avril 1841, pp. 84-120.76 Quarterly Review, n° 169, juin 1849, pp. 260-312, n° 178, septembre 1851, pp. 431-543 et Edinburgh Review, n° 180, avril 1849, pp. 554-581.77 Edinburgh Review, n° 159, janvier 1844, pp. 1-39.78 Quarterly Review, n° 152, septembre 1845, pp. 299-354.

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1805, comme une œuvre tout à fait imparfaite79. Maispar la suite, dans la Quarterly Review, ses travaux surl’Histoire de France pendant le XVIII° siècle80 et l’Histoire del’Assemblée Constituante de France81 seront très bienaccueillis et accompagnés de nombreuses citationstirées de la version originale. L’auteur est alorsqualifié de meilleur historien français en vie82.

Les historiens-acteurs de la vie politiquefrançaise sont peu nombreux à être loués. C’estnéanmoins le cas de Mirabeau. Sa correspondance avecle comte de la Marck, entre 1789 et 1791, publiée en1851, paraît intéressante aux Britanniques pour tenterde comprendre la Révolution de 184883. De même lespoints de vue de Necker sont très respectés en Ecosse,notamment en ce qui concerne la forme de gouvernementqui conviendrait à la France, mais également enmatière financière84 et pour son Cours de morale religieuse.A l’occasion de la critique de ce dernier ouvrage, ilest souligné que la grande majorité des Français n’ani culture et morale religieuses, l’auteur del’article semble partager le sentiment de Necker selonlequel il faudrait ranimer le sentiment religieux dansce pays85. Par contre, les dix volumes de l’Histoire de laRévolution française et les quatre de l’Histoire du Consulat etde l’Empire de Thiers sont, au contraire, qualifiés detissu de mensonges tout comme l’article, sur le mêmesujet, de Sainte-Beuve ami et admirateur d’AdolpheThiers, paru dans la Revue des Deux Mondes86. La QuarterlyReview considère, d’ailleurs, choquant de faire faire

79 Edinburgh Review, n° 10, janvier 1805, pp. 421-437. 80 Quarterly Review, n° 21, avril 1814, pp. 138-177.81 Ibidem, n° 56, janvier 1823, pp. 271-314.82 Ibidem.83 Ibidem, n° 192, octobre 1851, pp. 430-471 et Quarterly Review, n° 178, septembre 1851, pp. 333-363.84 Edinburgh Review, n° 2, janvier 1803, pp. 382-395.85 Ibidem, n° 5, octobre 1803, pp. 90-99. 86 Ibidem, pp. 521-582.

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le compte rendu d’un ouvrage par un familier de sonauteur !!! Si les œuvres historiques de Thiers ne sontguère appréciées outre-Manche, il en est de même decelle d’Elias Regnault, ancien chef de cabinet duministre de l’Intérieur du Gouvernement provisoire :Histoire du gouvernement provisoire87, ainsi que de celles deCondorcet, même enrichies des lettres de Voltaire etd’un éloge d’Arago. Quant aux Mémoires de Talleyrand,l’auteur de l’« essay » publié dans la revued’Edimbourg, en octobre 1805, estime qu’« il esthonteux de mettre de tels libelles sur le marché »88.

Les développements de la vie littéraire françaisesont régulièrement suivis de l’autre côté de laManche. En mars 1824, dans un article intitulé :« French romances », la revue écossaise estime que lesFrançais ne maîtrisent pas encore le genre romantique.Les romans commentés, extraits à l’appui, Le Solitaire duVicompte (sic) d’Arlincourt, Le Renégat et Ipsiboe, ensont respectivement à leur 10°, 6° et 4° édition en1823. Selon l’auteur de l’ « essay » cette productionn’est qu’une caricature du courant romantique89. Dixans plus tard, dans « French literature. Recentnovalists », seize volumes des oeuvres de JulesJanin90 sont mis en parallèle avec 12 de celles deVictor Hugo. Le jugement de la revue écossaise tombealors comme un couperet : « Janin ne peut guèreespérer occuper une grande place à côté d’Hugo, qui ala première dans le monde littéraire français »91. Enavril 1836, la Quarterly fait également une recensiondes romans français parmi lesquels elle distingue,elle aussi, ceux de Victor Hugo, mais égalementAlexandre Dumas, Georges Sand, Michel Raymond, Michel

87 Ibidem, n° 174, septembre 1850, pp. 502-532.88 Edinburgh Review, n0 13, pp. 151-155.89 Ibidem, n° 79, mars 1824, pp. 158-169.90 Quarterly Review, n° 121, janvier 1838.91 Edinburgh Review, n° 116, juillet 1833, pp. 330-357.

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Masson, les œuvres complètes de Paul de Kock et Honoréde Balzac. L’auteur avoue, pourtant, aborder cettelittérature avec appréhension et être surtoutpréoccupé par le fait de savoir si la France va, ounon, conserver son roi. Toujours perspicace l’EdinburghReview, en 1843, présente le roman de Balzac, CésarBirotteau dans une étude au titre significatif « Theadvertising system », dans lequel il est question à lafois de l’œuvre, mais également des liens, nouveaux,entre littérature et publicité92.

Quelques autres noms de la littérature françaisefranchissent les pages de ces deux revues, comme ceuxde Chateaubriand, de Benjamin Constant et deLamartine plutôt, d’ailleurs, pour leurs écritspolitiques. Prosper Mérimée est cité pour ses romanshistoriques, comme Histoire de Don Pedro 1er, roi de Castille.Mais pour les Britanniques, il semble avoir été tropséduit par ses héros93. Les poètes français ne sontpas, non plus, négligés. Pourtant, dans un article del’Edinburgh Review, le recenseur estime, en évoquant lesMéditations poétiques de Lamartine et les Trois Messeniennesde Casimir Delavigne, qu’il n’y a aucune matière danslaquelle le goût anglais et français diffèrent plusqu’en poésie. Les Anglais ont une affectionparticulière pour la Nature et les Français unevéritable vénération pour l’Art. Alors que lespremiers utilisent l’Art pour améliorer ou imiter laNature, leurs voisins n’y ont recours que pour lacorriger et la supplanter94. Mais le plus grand poètevivant, le traducteur de Paradise Lost de Milton est,pour la prestigieuse revue d’Edimbourg, Jacques deLille95 !

92 Ibidem, n° 155, pp. 1-43.93 Ibidem, n° 185, juillet 1850, pp. 136-173.94 Ibidem, n° 74, novembre 1822, pp. 407-432.95 Ibidem, n° 16, juillet 1806, pp. 254-271.

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Quelques femmes de lettres françaises ont leprivilège de retenir l’attention bienveillante desintellectuels d’outre-Manche. Certaines d’entre ellesle sont, comme nous l’avons vu plus haut, pour leurtémoignage sur la Révolution. C’est le cas de lamarquise de la Roche Jacquelin, dont les Mémoires toutcomme ceux, très différents, de la girondine MadameRoland sont jugés du plus haut intérêt96. Pour ce quiconcerne le mystère du Temple et la mort du Dauphin,la duchesse d’Angoulême, dont les œuvres ont ététraduites en anglais, est citée en référence97. Madamedu Deffand est admirée pour sa correspondance avec lesencyclopédistes, d’Alembert et Montesquieu notamment,mais également pour ses lettres à l’écrivain HoraceWalpole, père du roman noir anglais98. Madame deGenlis est mentionnée, quant à elle, pour Pétrarque etLaure, paru à Paris et à Londres en 181999. MadameNecker, avec ses Reflexions sur le divorce permet àl’éditorialiste de critiquer l’une des législationsles plus irréfléchies et des maladroites mises enplace par la Révolution100.

C’est à Madame de Staël que vont les hommages lesplus élogieux et les plus fréquents. Les lettres et penséesdu maréchal Prince de Ligne sont jugées amusantes etinstructives101. De l’Allemagne, ouvrage d’une extrêmeimportance, est signalé comme ayant été censurépendant trois ans en France, sous l’Empire102. La mortde cette femme, en tous points remarquable, seraconsidérée de l’autre côté de la Manche comme uneperte importante pour le monde des lettres103. Ses

96 Quarterly Review, n° 29, avril 1816, pp. 1-69.97 Ibidem, n° 56, janvier 1823, pp. 464-474.98 Ibidem, n° 10, mai 1811, pp. 485-498.99 Ibidem, n° 48, janvier 1821, pp. 529-566.100 Edinburgh Review, n°2, janvier 1803, pp. 486-495.101 Ibidem, n°27, avril 1809, pp. 107-121.102 Ibidem, n°43, octobre 1813, pp. 198-238.103 Ibidem, n°71, octobre 1821, pp. 54-82.

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œuvres, y compris les posthumes comme les Considérationssur les principaux événements de la Révolution française, sontestimées le fruit du travail de l’auteur le pluspuissant que la France ait produit104.

Certains philosophes et penseurs français, commeVictor Cousin sur le système éducatif allemand105,Denis Diderot pour sa correspondance littéraire avecle baron de Grimm106 ou encore Lamennais pour sonapport sur la « conspiration » papale107 sontdistingués, tout comme Vivant Denon, artiste,diplomate et directeur général des musées, sousl’Empire, dont les Monuments des arts du dessin chez les peuplestant anciens que modernes sont signalés parmi les ouvragesillustrés dignes d’intérêt108, même si quelquescritiques lui sont adressées pour son Voyage dans la Basseet la Haute Egypte pendant les campagnes du Général Bonaparte,notamment en ce qui concerne l’originalité de sesdessins et de son style, jugé, trop familier109. Cesont pourtant, semble-t-il, les scientifiquesfrançais, appartenant à différentes disciplines, quisuscitent l’admiration la plus sincère et la plusdénuée d’arrières pensée en Grande-Bretagne.

Cuvier et Brogniart ont les honneurs de l’EdinburghReview en 1812, pour leur Essai sur la géographie minéralogiquedes environs de Paris110. Le mathématicien Gaspard Monge etle physicien Jean-Baptiste Biot sont cités, avecLaplace comme étant parmi les plus grands en France111.Le nom de Biot revient à plusieurs reprises, pour sonTraité élémentaire d’astronomie physique 112 comme pour son104 Ibidem, n° 60, septembre 1818, pp. 275-317.105 Ibidem, n°112, janvier 1833, pp. 505-542.106 Quarterly Review, n° 17, mars 1813, pp. 89-117 et n° 22, juillet 1814, pp.398-423.107 Ibidem, n° 125, janvier 1839, pp. 88-120.108 Ibidem, n° 147, juin 1844, pp. 167-199.109 Edinburgh Review, n° 2, janvier 1803, pp. 330-345.110 Ibidem, n° 40, novembre 1812, pp. 369-386.111 Quarterly Review, n° 173, juin 1850, pp. 115-118.112 Ibidem, n° 13, mars 1812, pp. 120-136.

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Mémoire sur les nouveaux rapports entre la réflexion et la polarisationde la lumière lu à l’Institut le 1er juin 1812113. Soncollègue Arago avec lequel il effectua diversesmesures trouve, lui aussi, fréquemment sa place dansles pages de ces deux revues. Son Etude sur les fortificationsde Paris, considérées politiquement et militairement sont signalésdans un ensemble consacré à la défense de lacapitale114 et sa vie de James Watt est très appréciéeen Ecosse : « En tant que peuple, nous avons de bonnesraisons d’être fiers du tribu payé par Arago à notregrandeur nationale »115. Les recherches du chimisteClaude-Louis Berthollet sont traduites en anglais en1804 et commentées positivement, la même année, dansles pages de l’Edinburgh Review116.

Les questions relatives à l’industrie et à la vieéconomique sont présentées par le biais des études duchimiste et homme politique Chaptal, qui fut àl’origine des premières chambres de commerce et desécoles d’arts et métiers117. Le mathématicien et hommepolitique Charles Dupin, élève de Monge se penche surles mêmes problèmes avec le récit de ses Voyages dans laGrande-Bretagne entrepris relativement aux services publics de laguerre, de la marine et des ponts et chaussés qui analysent la« force commerciale ». Charles Dupin est considérécomme capable de très bien comparer les institutionsdes deux pays et leurs forces respectives. « Il lefait avec plus de candeur que la plupart des autresFrançais, qui sont trop prompts à être jaloux d’uneNation qu’ils considèrent comme rivale »118.Champollion, l’égyptologue et Malte-Brun, le géographene sont pas exclus du Panthéon britannique, le premier113 Ibidem, n° 21, avril 1814, pp. 42-56.114 Ibidem, n° 156, septembre 1846, pp. 269-297. Ici, il est fait référence àArago comme député des Pyrénées Orientales.115 Edinburgh Review, n° 142, janvier 1840, pp. 471-472.116 N° 9, octobre 1804, pp. 141-152.117 Ibidem, n° 64, octobre 1819, pp. 340-389118 Quarterly Review, n° 60, janvier 1824, pp. 368-382.

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y accède, notamment, grâce à sa Paléographie universelle :collection de fac-similés d’écritures de tous les peuples…119 et lesecond pour sa traduction de l’anglais vers lefrançais de récits de Voyage à la Cochinchine120.

Les socialistes français de la première moitié duXIX° siècle font également l’objet d’attention etleurs idées sont portées à la connaissance deslecteurs. Les quatre volumes De la littérature du midi del’Europe de Simone de Sismondi sont rapidement présentésdans les deux revues121. A sa mort, en 1842, l’ensemblede sa vie et de ses œuvres est commenté dans laQuarterly Review122. Sous le titre « Nouvelle distributionde la propriété » la doctrine du comte Henri de Saint-Simon est exposée dans les pages de la revueconservatrice londonienne, dès juillet 1831. L’« essayiste » explique qu’après les idées de Babeuf123

il est important de faire connaître celles de cephilosophe français qui pourraient trouver un échodans les certaines classes sociales anglaises124.Michel Chevallier, disciple de Saint-Simon, a écrit unouvrage : Lettres sur l’Amérique du Nord est considéré commevalable par les rédacteurs de la revue londonienne125.Les écrits d’Etienne Cabet, tout comme ceux de PierreProudhon et Louis Blanc font l’objet d’une recensioncritique dans la Quarterly Review, qui semble prêter plusd’attention à ce type de littérature que sa consoeur,en juin 1848126.

119 Ibidem, n° 147, juin 1844, pp. 167-199.120 Ibidem, n° 5, février 1810, pp. 89-110.121 Edinburgh Review, n° 49, juin 1815, pp. 31-63 et Quarterly Review, n° 21, avril1814, pp. 1-33.122 Quarterly Review, n° 144, septembre 1843, pp. 299-356.123 Rappelons que les écrits de Buonarroti ont été analysés en avril 1831dans la Quarterly Review, voir plus haut.124 Ibidem, n° 90, pp. 407-450.125 Ibidem, n° 116, avril 1837, pp. 497-523.126 Quarterly Review, n° 165, pp. 165-178. L’article s’intitule « Cabet’s Voyageen Icarie ». Proudhon est de nouveau mentionné en septembre 1851, dans len° 178, pp. 333-363.

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Une mention spéciale doit être réservée auxanglophiles du Continent. Francophone, mais nonFrançais, le Genevois Marc-Auguste Pictet qui, avecson frère Charles, dirigea de 1796 à 1815 une revuemensuelle intitulée la Bibliothèque Britannique présentantdes traductions d’articles de périodiques anglais127

est de ceux-là, tout comme l’Arlésien Amédée Pichot,animateur à Paris de la fameuse Revue Britannique. L’uncomme l’autre sont cités pour leurs récits de voyagedans les Iles Britanniques128. Le second est durementcritiqué dans la Quarterly Review d’octobre 1825.L’auteur de l’article, intitulé « Pichot’s literarytour », le traite de plumitif de la traduction àl’usage des libraires parisiens, qui a jugé nécessairede visiter, pour son métier, le pays dont il prétendcomprendre la langue et les coutumes. Ses quelquesqualités d’angliciste sont supérieures à ses capacitésde voyageur ; ses récits de voyages ne sont guère plusque des traductions129.

Au cours de ces années de lecture quelle image,les classes aisées et cultivées britanniques, ont-elles pu se construire de la France et de seshabitants ? Si certains jugements portés sont sévères,voire parfois injustes, les articles publiés dans cesdeux revues sont toujours d’une très bonne tenueintellectuelle, documentés, argumentés et présentantle sujet traité de la façon la plus large possible.Là, où l’incompréhension semble avoir été la plusgrande c’est dans le champ politique. La difficilerecherche, par les Français, du bon gouvernement, tout127 David Bickerton, Marc-Auguste et Charles Pictet, the Bibliothèque Britannique (1796-1815) and the dissemination of British literature and science on the Continent, Genève, Slatkinereprints, 1986.128 Edinburgh Review, n° 6, janvier 1804, pp. 287-294 et Quarterly Review, n° 64, janvier 1825, pp. 342-353. 129 N° 64, p. 342.

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comme les violences révolutionnaires qui à différentesreprises secouent leur pays sont jugées, par lesBritanniques, comme une forme d’agitation, à la foisstérile et dangereuse. Dans ce domaine l’inquiétude etun mépris certain sont de mise de la part d’habitantsd’un pays dans lequel le système politique, stable,est considéré comme le meilleur et le plusdémocratique du monde. Il découle de cette attitudementale les nombreuses réserves formulées à l’endroitdes hommes politiques français, surtout lorsqu’ils sepiquent de vouloir se faire les historiens, partiaux,d’événements dont ils ont été les acteurs.

Sur la production littéraire française les deuxrevues portent un regard qui, avec le recul du temps,paraît relativement équilibré. Sévères pour lespremiers balbutiements du courant romantique, elles nemanquent pas de signaler à leurs lecteurs les auteursqui leur paraissent les meilleurs : Victor Hugo,George Sand, Balzac, Chateaubriand, Constant etLamartine, en dépit de prises de positions politiquesqui, pour certains d’entre eux, n’étaient pas faitespour séduire les Britanniques. C’est cependant unefemme qui est distinguée comme le meilleur écrivain deson temps, Madame de Staël. Dans l’univers, plusneutre, qu’est celui des sciences l’admiration quel’intelligentsia britannique voue aux savants françaissemble débarrassée de bons nombres des arrièrespensées qui pouvaient encombrer leurs jugements dansd’autres disciplines. Ainsi, les critiques sont-ellespeu nombreuses, et les éloges sincères, sur des hommesconsidérés comme contribuant au progrès de l’humanité,auquel les Britanniques croient profondément. Ainsi,sans nul doute, l’idée que finirent par se forger dela France, au cours de la première moitié du XIX°siècle, les élites d’outre Manche fut-elle trèscontrastée.

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Diana Cooper-RichetCentre d’Histoire Culturelle des Sociétés

ContemporainesUniversité de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

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