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1 Gormont et Isembart, emprunt au Carmen de Hasngae Proelio ? Gormund and Isembart, taken from Carmen de Hasngae Proelio ? Jack Breton bretonjack @ gmail.com Résumé : Le fragment de Bruxelles, découvert au XIX e siècle, connu généralement sous le tre Gormont et Isembart, relate une bataille entre un roi païen, Gormont, secondé par un renégat, Isembart, et une armée franque sous le commandement d’un roi Louis. Ce texte, écrit dans la dernière moié du XI e siècle ou la première du XII e , développe des péripées présentant des similitudes avec des événements survenus dans la bataille d’Hasngs telle que décrite par Guy d’Amiens dans le Carmen de Hasngae Proelio. Guy d’Amiens a-t-il écrit le texte à l’origine du poème à l’origine du fragment de Bruxelles en empruntant aux thèmes du Carmen ? Le poème, auquel apparent le fragment, est-il le résultat d’un remaniement anglo-normand ? Mots-clés : Guy d’Amiens, Gormont, Isembart, roi Louis, Carmen, Hasngs, emprunts, chanson de geste, Saint-Riquier, païens. Abstract : The Brussels fragment, discovered in the 19th century, more oſten tled : Gormund and Isembart, recounts a bale between a heathen king, Gormund, assisted by a renegade, Isembart, and a Frankish army, lead by a king named Louis. This poem, wrien in the second half of the 11th century or the first half of the 12th century, elaborates on episodes similar to the events of the Bale of Hasngs, as described, in Carmen de Hasngae Proelio. Did Guy bishop of Amiens use themes from Carmen to write the original text resulng in the poem of the Brussels fragment ? Is the poem, to wich the Brussels fragment belongs the result of an Anglo-Norman remix ? Keywords : Guy bishop of Amiens, Gormund, Isembart, king Louis, Carmen, Hasngs, literary borrowing, chanson de geste, Saint-Riquier, heathens.

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Gormont et Isembart, emprunt au Carmen de Hastingae Proelio ?

Gormund and Isembart, taken from Carmen de Hastingae Proelio ?

Jack Breton

bretonjack @ gmail.com

Résumé :

Le fragment de Bruxelles, découvert au XIXe siècle, connu généralement sous le titre Gormont et Isembart, relate une bataille entre un roi païen, Gormont, secondé par un renégat, Isembart, et une armée franque sous le commandement d’un roi Louis. Ce texte, écrit dans la dernière moitié du XIe siècle ou la première du XIIe, développe des péripéties présentant des similitudes avec des événements survenus dans la bataille d’Hastings telle que décrite par Guy d’Amiens dans le Carmen de Hastingae Proelio. Guy d’Amiens a-t-il écrit le texte à l’origine du poème à l’origine du fragment de Bruxelles en empruntant aux thèmes du Carmen ? Le poème, auquel appartient le fragment, est-il le résultat d’un remaniement anglo-normand ?

Mots-clés :

Guy d’Amiens, Gormont, Isembart, roi Louis, Carmen, Hastings, emprunts, chanson de geste, Saint-Riquier, païens.

Abstract :

The Brussels fragment, discovered in the 19th century, more often titled : Gormund and Isembart, recounts a battle between a heathen king, Gormund, assisted by a renegade, Isembart, and a Frankish army, lead by a king named Louis. This poem, written in the second half of the 11th century or the first half of the 12th century, elaborates on episodes similar to the events of the Battle of Hastings, as described, in Carmen de Hastingae Proelio.

Did Guy bishop of Amiens use themes from Carmen to write the original text resulting in the poem of the Brussels fragment ? Is the poem, to wich the Brussels fragment belongs the result of an Anglo-Norman remix ?

Keywords :

Guy bishop of Amiens, Gormund, Isembart, king Louis, Carmen, Hastings, literary borrowing, chanson de geste, Saint-Riquier, heathens.

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Gormont et Isembart : emprunt au Carmen de Hastingae Proelio ?

________________________________________________

Abréviations utilisées :

CHP : The Carmen de Hastingae Proelio of Guy Bishop of Amiens, édit. et trad. par Frank Barlow, Oxford, Clarendon Press, 1999.

GP : Guillaume de Poitiers, Histoire de Guillaume le Conquérant, édit. et trad. par Raymonde Foreville, Paris, Les Belles Lettres, 1952.

GI : Gormont et Isembart, Fragment de Chanson de Geste du XIIesiècle, édit. par Alphonse Bayot, Paris, Champion, 1931.

Au XIXe siècle, un manuscrit est découvert à Bruxelles. Il correspond à un fragment de poème écrit au XIe ou au XIIe siècle. Le texte du fragment commence au milieu d’une bataille qui se déroule à Cayeux, près de Saint-Valéry-sur-Somme, et qui voit s’affronter un roi païen arabe, appelé Gorm[und], accompagné d’Isembart, un renégat surnommé le Margari, et un roi de France appelé Louis, fils d’un Charles, soutenu par ses barons et par un jeune chevalier, Hugon. Les troupes de Gorm[und] sont composées d’Irlandais [Ireis], d’Arabes [Arabiz], de Turcs [Turz] et de Persans [Persanz], qualifiés de Sarrasins et de païens. Durant le combat qui suit l’incendie de l’abbaye de Saint-Riquier par les envahisseurs, Isembart se souvient que, lorsqu’il a rencontré Gorm[und] à Cirencestre en Angleterre, il lui a exposé la valeur des guerriers français. Au cours de la bataille, Gorm[und], après avoir résisté aux assauts des barons français, meurt, tué par Louis. Isembart regroupe les troupes païennes qui se débandent, mais, blessé, il meurt à son tour après s’être repenti.

Selon les historiens qui se sont penchés sur le texte du fragment, il s’agit d’un manuscrit rédigé par un copiste anglo-normand à la fin du XIIe ou au début du XIIIe. Philip E. Bennet, qui a repris récemment le problème de la datation du manuscrit, après une étude paléographique approfondie, conclut à une date autour de 1200, à plus ou moins dix ans, et privilégie la limite la plus précoce1.

Le poème, selon Alphonse Bayot, qui a procédé à plusieurs éditions du texte original 2 et qui se rallie à l’avis de Gaston Paris, devrait remonter à la fin du premier tiers du XIIe siècle. D’autres auteurs proposent des dates plus précoces. C’est le cas de Ferdinand Lot qui, pour des raisons que nous verrons plus loin, a avancé la date de 1068.

1 P.E. Bennet, « A New Look at the Gormont et Isembart Fragment : Brussels, Bibliothèque Royale Albert 1er, mssii, 181 », Olifant, 25 : 1-2, 2006, p. 123-132, p. 130.2 GI, p. vi.

3

Hariulf dans sa Chronique de l’abbaye de Saint-Riquier3, rédigée en 1088 et révisée en 1104, parle d’un chant populaire racontant l’histoire de Gormont et Isembart. Si, dans sa forme initiale, le poème d’où est issu le fragment, correspond au chant évoqué par Hariulf, il pourrait alors avoir été créé quelques décennies plus tôt.

Un autre poème, mais en langue latine, le Carmen de Hastingae Proelio raconte la bataille d’Hastings. Il a été écrit, selon une opinion maintenant majoritaire chez les historiens, par Guy, évêque d’Amiens. Ce poème aurait donc été composé entre 1066 et 1074, date de la mort de Guy. Si on rapproche le Carmen de Hastingae Proelio du texte du fragment de Bruxelles, il est impossible de ne pas être frappé par l’existence de nombreux points communs entre ces deux poèmes.

Dans un premier temps nous rechercherons ces points communs. Dans la mesure où leur multiplication pose la question de l’existence d’emprunts, nous cernerons les éléments pouvant être considérés, de façon peu contestable, comme des emprunts. Nous nous efforcerons ensuite de rechercher les informations qui peuvent être apportées par les personnages du fragment et de préciser la datation de la genèse du fragment pour déterminer quels liens pourraient exister entre l’auteur du Carmen et celui du fragment de Bruxelles.

I - Points communs entre le Carmen de Hastingae Proelio et le fragment de Bruxelles

Le texte du fragment de Bruxelles, dit de Gormont et Isembart, raconte une bataille engagée entre le roi Gormont et le roi Louis, mais un grand nombre des éléments, constituant le déroulement de la bataille, sont communs à la bataille d’Hastings, telle que décrite dans le Carmen de Hastingae Proelio, en particulier au niveau du scénario de base.

- Un roi A combattant à pied - Installé au haut d’une colline où il a planté son étendard- Des assaillants à cheval défaits successivement par le roi A- La volonté du roi B menant l’attaque d’abattre le roi A pour terminer un combat qui a

trop duré- Des combats au javelot et à l’épée (A), à la lance, au javelot et à l’épée (B)- La fuite des soldats de A en apprenant sa mort- Le corps du roi A transporté avec les honneurs dans le camp du roi B sur son ordre

Des « ingrédients » du récit sont communs aux deux textes :3 Hariulf, Chronique de l’abbaye de Saint-Riquier (Vème siècle-1104), pub. par Ferdinand Lot, Paris, Picard, 1894.

4

- Les combattants à pied sont des arbalétriers, des archers et des sergents- Pour éviter la fuite de ses hommes, un chef les exhorte- Un combattant, ayant perdu sa monture, fait tomber un cavalier pour prendre son

cheval- Un groupe de quatre cavaliers va tuer le roi A dans le Carmen et son affidé, Isembart,

dans le fragment- Des provocations verbales accompagnent les combats- La violence du combattant et l’acharnement sur ses adversaires caractérisent les

deux poèmes

Même si beaucoup de ces éléments relèvent du topos, leur accumulation conduit à s’interroger sur l’existence d’un emprunt. Il faut noter que les points communs entre le Carmen et la relation de la bataille d’Hastings par Guillaume de Poitiers sont beaucoup moins nombreux que les points communs entre le Carmen et le fragment alors même que beaucoup de spécialistes pensent que Guillaume a pu avoir connaissance du Carmen et s’en inspirer lors de la rédaction de ses Gesta Guillelmi4.

L’examen des points de rencontre du texte du Carmen et de celui du fragment sera fait pour le Carmen à partir du texte édité et traduit en anglais par Frank Barlow5 et pour le fragment à partir du texte critique établi par Alphonse Bayot.

Les Gesta Guillelmi6 pourront servir d’élément de comparaison pour mesurer la proximité des textes.

4 Raymonde Foreville (GP, p. XXIII) écrit en 1952 à propos du Carmen : « Nul doute qu’il fût connu de Guillaume de Poitiers, lorsqu’en 1073-1074, celui-ci rédigeait les Gesta Guillelmi ». En 1996, Marjorie Chibnall, lorsque, dans le sillage de R.H.C. Davis, elle propose une nouvelle édition et traduction : The Gesta Guillelmi of William of Poitiers, Oxford, Clarendon Press, 1998, est plus réservée : entre temps, R.H.C. Davis a développé des arguments en faveur d’une rédaction du Carmen au XIIe siècle. Elle conclut cependant que l’attribution du Carmen à Guy d’Amiens semble l’emporter et que « si Guy d’Amiens est venu en Angleterre dans la suite de la reine Mathilde, il est difficile de penser que Guillaume de Poitiers n’aurait pas connu son poème » op. cit, p. xxviii-xxix). Frank Barlow estime que, parmi différentes hypothèses, la plus probable est que Guillaume de Poitiers, « apologiste et panégyriste normand, a revu la version française de la campagne, moins flatteuse ». CHP, p.xxx. 5 CHP6 GP

5

1– Les indices d’un scénario de bataille commun

- Gormont, comme Harold, combat à pied

À aucun moment dans le texte un cheval de Gormont n’est mentionné, alors que l’auteur du fragment est manifestement passionné par les chevaux. En revanche il décrit en détail les montures des barons français : Gormont combat à pied7.

Harold et ses troupes combattent aussi à pied à Hastings, ainsi que le décrit le Carmen :

« Nescia gens belli solamina spernit equorum,

Viribus et fidens, heret humo pedibus » (v. 369-370)

[Ce peuple, ignorant de l’art de la guerre, rejette l’utilisation des chevaux : confiants dans leurs forces, ils combattent à pied]

Plus loin, lorsque l’armée anglo-saxonne se prépare à la bataille :

« Omnes descendunt et equos post terga reliquunt » (v. 377)

[Ils mettent tous pied à terre et laissent leurs chevaux en arrière]

- Gormont comme Harold est sur une colline près de son étendard

Gormont s’est placé sur une hauteur.

« e vit Gormunt el pui estant » (v. 13)

[Il vit Gormont posté sur une hauteur]

« e vit Gormont el pui ester » (v. 116)

[Il vit Gormont posté sur une hauteur]

Gormont a son étendard près de lui.

Le fragment reprend plusieurs fois :

« puis mist avant sun estandart » (v. 7, 39, 63, 136, 162)

[Il plaça devant lui son étendard]

7 Jean Györi dans « Èpaves archaïques dans Gormond et Isembart » dans Mélanges offerts à René Crozet, Poitiers ,Société d’Ètudes Médiévales, 1966, p.675-680, a été le premier à mettre en valeur le fait que Gormont combattait à pied contre des cavaliers dont il récupérait les chevaux.

6

La phrase appartient à une sorte de refrain, scandant la fin de chaque assaut, repoussé, d’un baron français, et est donc répétée une demi-douzaine de fois.

Même mort, Gormont git près de son étendard :

« Loowis at trové Gormunt

a l’estandart, en sum le mont » (v. 537-538)

[Louis a trouvé Gormont, près de l’étendard, au sommet de la colline]

Dans le Carmen, Harold choisit de s’installer sur une colline où il plante son étendard :

« Ascendit montem rex bellaturus in hostem

Nobilibusque uiris munit utrumque latus.

In summo montis uexillum uertice fixit,

Affigique iubet cetera signa sibi » (v. 373-376)

[Pour préparer la rencontre, le roi [Harold] gravit la colline, planta son étendard sur le sommet et ordonna que toutes les autres bannières soient jointes à la sienne]

Plus tard, avant que le duc Guillaume décide de lancer un groupe de cavaliers contre Harold, il le situe dans une phrase pratiquement identique à celle utilisée à deux reprises avant deux assauts contre Gormont.

« Cum dux prospexit regem super ardua montis » (v. 533)

[Alors le duc aperçut le roi au sommet de la colline]

Si Guillaume de Poitiers indique la position de l’armée anglaise sur une hauteur, il ne mentionne pas les étendards d’Harold8. La tapisserie de Bayeux représente la cavalerie normande attaquant une position élevée occupée par des Anglo-Saxons à pied, mais ne portant pas cottes et casques. Dans la scène décrivant la mort d’Harold, celui-ci est près de son étendard, mais il n’est pas figuré sur un lieu élevé.

- Les adversaires de Gormont comme ceux d’Harold viennent l’attaquer à cheval :

« Es lor puignant Gualtier de Mans » (v.11)

[Voici Gautier du Mans qui arrive au galop]

8 GP, [16], p. 186-187.

7

« Eis lur puignant Tierri deTermes

Sur un cheval bai de Chastele » (v. 47-48)

[mais voici Tierri de Termes, monté sur un cheval bai de Castille]

« Eis vos puignant li quens de Flandres

Tut eslaissiés par mi la lande » (v. 67-68)

[Voici maintenant le comte de Flandres qui s’élance sur la lande]

« Eis lur Eodon le Champaneis (v. 88)

E sist sur un destrier moreis ;

E vait ferir Gormont le rei ; » (v. 91-92)

[Voici maintenant Odon de Champagne… Il est assis sur un cheval moreau et s’en va frapper le roi Gormont]

« Eis lur le conte de Peiteu

Sur un destrier sor balzan ert » (v. 114-115)

[S’avance maintenant le comte de Poitou sur un destrier marqué de taches blanches]

De même Richard de Normandie, Hugon et son écuyer Gautier sont à cheval. Lorsque le roi Louis s’apprête à aller lui-même assaillir Gormont, il en appelle à saint Riquier :

« Pernez les resnes del destrier,

gesques a lui me conduiez » (v. 382-383)

[Prenez les rênes de mon destrier et conduisez moi jusqu’à lui]

Pour aller tuer Harold, le groupe est constitué de cavaliers. Eustache de Boulogne, qui avait donné sa monture à Guillaume, prend le cheval d’un de ses hommes :

8

« Miles erat quidam comitis, nutritus ab illo,

Fecerat ut domino, fecit et ille sibi » (v. 523-524)

[Alors, un des chevaliers de la maison d’Eustache fit pour son seigneur ce que le comte avait fait pour le sien]

Quelle que soit la traduction retenue, impliquant ou non Guillaume, l’attaque contre Harold est menée par quatre cavaliers. Guillaume de Poitiers n’indique pas de quelle façon Harold a été tué. La Tapisserie de Bayeux situe la mort d’Harold au milieu d’une charge de cavaliers normands sans que la cause soit clairement représentée.

- Jusqu’à l’assaut final, les assaillants sont défaits successivement

Avant que le roi Louis vienne affronter Gormont, ce sont au moins neuf cavaliers qui sont repoussés par le païen. La résistance d’Harold est comparable dans son efficacité et sa durée. Dans les deux cas, le constat est le même : le roi ennemi oppose une résistance farouche se traduisant par des lourdes pertes pour l’assaillant.

Pour mettre un terme à l’hécatombe de ses chevaliers, le chef des assaillants décide d’en finir avec la résistance de son adversaire.

C’est le cas de Guillaume :

« Aduocat Eustachium ; linquens ibi prelia Francis

Oppressis ualidum contulit auxilium » (v. 535-536)

CHP

«Cum dux prospexit regem super ardua montis

Acriter instantes dilacerare suos » (v.533-534)

[Alors le duc aperçut le roi, au haut de la colline mettant férocement en pièces ceux qui l’attaquaient.]

GI

« Quant Loowis, li reis preisiés,

vit si murir ses chevaliers

e ses compaignes detrenchier,

mult fut dolenz e esmaiés. » (v.360-363)

[Quand le bon roi Louis vit mourir tant de ses chevaliers et mettre en pièces tant de ses compagnons, la douleur et l’inquiétude l’envahirent.]

9

[Il appela Eustache qui, laissant les Français à leurs combats, apporta son concours efficace à ceux qui étaient en difficulté]

C’est le cas aussi de Louis, mais il faut souligner que si le déroulement de l’événement est comparable, la description du comportement des deux acteurs diffère. Guillaume appelle Eustache de Boulogne pour apporter son appui à l’assaut contre Harold. Dans Gormont et Isembart, le roi Louis décide d’y aller lui-même, seul avec l’appui de Dieu, alors que Guillaume se fait accompagner, voire est absent du groupe. Guillaume veut un résultat. Il constitue un groupe de quatre cavaliers dont il fait peut-être partie, et l’issue de l’entreprise ne fait pas de doute. Louis introduit expressément une intervention divine. Il va seul au combat contre Gormont, mais il en appelle à Dieu à travers l’intercession de saint Denis et de saint Riquier :

« Ber sainz Denis, or m’en aidiez !

Jeo tiegn de vos quite mun fief ;

de nul altre n’en conois rien,

fors sul de Deu, le veir del ciel.

Ber sainz Richiers, or m’en aidiez !

Ja vos arst il vostre mustier ;

en l’onur Deu, pur l’eshalcier,

jol vos creistrai trente e set pies.

Pernez les resnes del destrier,

gesques à lui me conduiez. » (v. 374-383)

[Saint Denis, aidez-moi ! C’est de vous que je tiens mon royaume ! Je n’en suis redevable, à nul autre que vous, hormis Dieu, le roi du Ciel ! Saint Riquier, aidez-moi ! Il a brûlé votre église ! En l’honneur de Dieu, pour célèbrer sa puissance, je l’élèverai de trente-sept pieds de plus. Prenez les rênes de mon destrier et conduisez-moi jusqu’à lui]

L’idée de volonté divine n’est pas absente du Carmen, mais elle ne suppose pas de combat singulier :

« Vesper erat ; iam cardo diem uoluebat ad umbras

Victorem fecit cum Deus esse ducem » (v. 557-558)

[C’était le soir, le jour déjà cédait la place à la nuit quand Dieu accorda la victoire au duc]

10

Le thème d’une manifestation de la volonté divine constante de la pensée médiévale, ne peut être considéré comme révélateur d’une proximité des deux textes.

L’intervention divine est tout autant présente chez Guillaume de Poitiers qui écrit dans l’exhortation de Guillaume à ses troupes :

« Praesertim cum justae causae praesidium caeleste non desit »

[Alors surtout que le secours d’en haut ne peut manquer de soutenir une juste cause] 9

Vers la fin de la bataille, Guillaume de Poitiers tire la conclusion :

« Nostra vereo tenuis prosa, …, praelium, quo tam fortiter quam juste vicit, veraci termino brevique concludat »

[mais, notre faible prose, …, doit achever rapidement le récit véridique de cette bataille où il vainquit par la force et la justice] 10

Si la proximité était avérée entre le Carmen et Gormont et Isembart, il apparaîtrait une certaine volonté de l’emprunteur de marquer une distance entre les comportements de Guillaume et de Louis, impliquant une certaine réserve à l’égard du duc. Le Carmen serait moins louangeur pour Guillaume. C’est peut-être un sentiment comparable qui conduit Guillaume de Poitiers à éluder les conditions de la mort d’Harold et à expliquer longuement avec force de références aux héros de l’Antiquité que Guillaume aurait pu affronter Harold en combat singulier , mais qu’il ne l’a pas fait11.

9 GP, [16], p. 184-185.10 Id. [22], p. 200-201. 11 Id. [22] , p. 198-201.

11

- Gormont, à l’instar d’Harold, est mis à mort sans vraiment résister.

Gormont lance trois javelots sans succès contre Louis protégé par Dieu, mais il n’a pas l’opportunité de se défendre. Il est coupé en deux par Louis qui ne prend pas le temps de le

GI

« Gormonz li at treis darz lanciés ;

Deus le guari, par sa pitié,

quil ne l’at mie en charn tochié.

Reis Loowis fut mult iriés ;

a joste mie nel requiert ;

encontre munt dreça l’espié ;

si l’at feru par mi le chief

que l’elme agu li at trenchié

e del halberc le chapelier ;

gesqu’al braiel le purfendiét,

qu’en pre en chieent les meitiés ; » (v. 385-395)

[Gormont lui décocha trois dards. Dieu miséricordieux le sauva, ils ne pénétrèrent pas dans sa chair. Le roi Louis entra en colère. Sans provoquer en combat singulier son adversaire, il brandit bien haut son épieu. Il le frappa à la tête, tranchant le heaume et le capuchon du haubert. Il le pourfendit jusqu’à la ceinture et laissa les deux moitiés du cadavre choir sur le sol]

CHP

« Per clipeum primus dissoluens cuspide pectus,

Effuso madidat sanguinis imbre solum ;

Tegmine sub galee caput amputat ense secundus ;

Et telo uentris tertius exta rigat ;

Abscidit coxam quartus ; procul egit ademptam.

Taliter occisum terra cadauer habet.» (v. 545-550)

[Le premier perfore le bouclier de sa lance et lui transperce la poitrine.

Un flot de sang jaillit et inonde le sol.

Le second, de son épée, lui entaille le cou juste au-dessous de son casque.

Le troisième d’un coup de javelot répand ses viscères.

Le quatrième lui tranche la cuisse et jette au loin le membre coupé.

C’est ainsi que la terre reçoit le

cadavre d’Harold ]

(trad. P. Bouet, Hastings, 14 Octobre 1066, Paris, Tallandier, 2010, p. 142)

12

défier. Si on reprend la description de la mort d’Harold dans le Carmen, il n’y est fait non plus aucune référence à une résistance d’Harold, qui est massacré méthodiquement.

Dans les deux textes, même s’il faut reconnaitre que celui du Carmen dépasse de loin en violence celui de Gormont et Isembart, la même idée d’une mort fatale accompagnée d’une destruction du corps est présente. Dans les deux cas le corps est coupé en morceaux. Harold est décapité, éventré, amputé. Gormont est coupé par le milieu. L’image de morceaux de cadavre tombant sur le sol s’impose dans les deux cas :

L’utilisation du terme « occisum » précise que le corps est découpé, mis en morceaux.

Il faut remarquer toutefois que le texte de Gormont et Isembart reste en deçà de celui du Carmen dans la mesure où Louis va seul au combat contre Gormont. Il est avant tout l’instrument de Dieu et, s’il ne respecte pas la règle du défi préalable, c’est parce qu’il est irrité d’avoir essuyé le jet des javelots de Gormont.

Guillaume de Poitiers ne donne pas d’indication sur la mort d’Harold, en revanche la Tapisserie de Bayeux, dans la scène correspondant à la mort d’Harold, fait figurer un cavalier normand tranchant la jambe d’un guerrier anglo-saxon tombé à terre, mais Harold n’est pas clairement désigné.

- Les armes utilisées dans les combats sont la lance, le javelot et l’épée mais aussi les arcs et les arbalètes

Dans le Carmen, comme nous venons de le voir avec la mise à mort d’Harold, les armes utilisées par les cavaliers français sont la lance, le javelot et l’épée. L’épée est utilisée lorsque la lance est cassée ou que le cavalier n’est plus approvisionné en javelots par ses valets d’armes. Le javelot peut être utilisé comme une arme de poing. C’est le cas avec le troisième agresseur d’Harold.

Guillaume, à cheval privilégie l’usage de l’épée :

« Abstracto gladio, galeas et scuta recidit ;

Illius et sonipes corpora multa ferit. » (v. 469-470)

CHP

« Taliter occisum terra cadauer habet » (v. 550)

GI

« qu’ en pre en chieent les meitiés » (v. 395)

13

[Brandissant son épée, il fracasse les casques et les boucliers et même son destrier piétine les corps]

Privé de monture, Guillaume combat, à pied, avec son épée :

«Hos truncos facit, hos mutilos ; hos deuorat ense ;

Perplures animas mittit et ad tenebras. » (v. 483-484)

[Il décapite certains, il mutile d’autres, il les anéantit avec l’épée ; nombreuses sont les âmes qu’il envoie aux enfers]

Du côté de l’armée anglaise qui combat à pied, en rangs serrés, les armes sont le javelot utilisé en arme de jet et l’épée :

« Anglorum stat fixa solo densissima turba,

Tela dat et telis et gladios gladiis. » (v. 415-416)

[La masse des Anglais au coude à coude se tient enracinée au sol, javelot contre javelot, épée contre épée]

Guillaume a deux montures tuées sous lui par des javelots anglais :

« Heraldi frater, non territus ore leonis,

Nomine Gernt, regis traduce progenitus,

Librando telum celeri uolitante lacerto

Eminus emisso cuspide, corpus equi

Vulnerat, atque ducem peditem bellare coegit. » (v. 471-475)

[Le frère d’Harold, Gyrth, né de sang royal, n’était pas effrayé par la figure du lion (Guillaume). Brandissant son javelot, il le projeta de loin d’un bras rapide et sûr et il frappa la monture du duc l’obligeant à combattre à pied]

Par la suite, alors que Guillaume a récupéré un cheval, un combattant anglais le vise avec un javelot, le manque, mais tue le cheval :

« set, misso iaculo, traditur ictus equo » (v. 506)

[mais, quand il lança le javelot, le projectile atteignit le cheval]

A la différence de Guy d’Amiens, Guillaume de Poitiers qui n’entre pas dans le détail individuel des affrontements, en reste, en dehors du rôle joué par les archers et les arbalétriers français, aux combats au corps à corps à l’épée :

14

« Pudet eminus pugnare, gladiis rem gerere audent. » 12

[Répugnant à se battre de loin, ils affrontent le combat à l’épée]

Guillaume foudroie de son épée, mais on en reste là au niveau du topos:

« Scuta, galeas, loricas, irato mucrone et moram dedignante penetravit ; »13

[De son glaive furieux et rapide, il transperça écus, casques et cuirasses]

En dehors des projectiles lancés de façon générale par les Anglais contre les Français qui montent à l’assaut, Guillaume de Poitiers contrairement à Guy d’Amiens ne s’intéresse pas au rôle des lances et des javelots dans les comportements individuels.

Comme dans le Carmen, le rôle des lances, des javelots et des épées ainsi que leurs effets sont détaillés dans une sorte de ballet sanglant joué par Gormont et ses adversaires.

Une arme s’impose dans le texte du fragment, qui n’apparaît pas de façon aussi précise dans le Carmen, c’est l’épieu qu’utilisent Louis, Isembart, Ernault, sire de Ponthieu et des alleux de Saint-Valery, et Gormont.

« L’espié » [épieu], dans certains textes on parle « d’espié sarrazin », était une arme qui portait au bout d’une hampe, plus courte que celle de la lance, une extrémité métallique à la fois perçante et tranchante. L’épieu portait souvent, sous l’extrémité métallique, un fanion. Son origine était parfois donnée comme scandinave ou orientale.

Le terme « cuspis », utilisé aussi bien par Guy d’Amiens (v. 474, 545) que par Guillaume de Poitiers14, peut signifier aussi bien « épieu » (v. 545) que « javelot » (v.474). Il est vrai qu’arme d’hast, l’épieu pouvait être éventuellement utilisé comme arme de jet.

Enfin même si une absence n’est pas preuve d’influence, il faut signaler que les haches mentionnées comme hache de jet ou de poing par Guillaume de Poitiers15 ou sur la Tapisserie de Bayeux n’apparaissent ni dans le Carmen, ni dans Gormont et Isembart.

A côté des armes offensives, un rapprochement peut être fait entre le bouclier rond utilisé par Gormont, le tuënard, et les écus des troupes d’Harold à la bataille d’Hastings. Si le bouclier en amande des Français est porté également du côté anglais, le bouclier rond est encore très utilisé par les Anglo-Saxons au moment de la Conquête, comme le montre la tapisserie de Bayeux16. Le Carmen, pas plus que Guillaume de Poitiers, n’évoque la question.

12 GP [17], p. 188-189. 13 Id. [22], p. 198-199. 14 GP. [17], p. 188-189.15 Id.16 La Tapisserie de Bayeux contient trois scènes de la bataille d’Hastings où figurent des tuënards : Scène 52 « hic ceciderunt Lewine et Gyrd fratres Haroldi regis » : deux combattants anglo-saxons (un avec une épée, un avec un javelot) portent un tuënard avec un umbo proéminent. Sur la frise inférieure un tuënard recouvre un corps, un autre repose sur le sol. Scène 57 « et ceciderunt qui erant cum Haroldo » : un anglo-saxon

15

Le bouclier rond de Gormont ne peut donc pas conduire à un rapprochement entre le Carmen et le texte du fragment. L’utilisation du mot tuënard, cependant, peut donner une information sur la date et le lieu de rédaction du fragment. Si le bouclier rond était l’apanage aussi bien des Vikings que des Sarrasins, le terme tuënard semble d’origine scandinave, il est encore utilisé au XII° en anglo-normand17.

Un dernier élément d’armement, commun aux deux textes, apparait très significatif car il est considéré comme très spécifique à la bataille d’Hastings et écarté longtemps des chansons de geste, c’est l’utilisation d’archers et d’arbalétriers.

La présence parmi les fantassins (serjant), des archers et des arbalétriers à Hastings du côté français a été considérée comme déterminante dans le succès de Guillaume. Leur intervention n’est pas seulement mise en avant par Guy d’Amiens, mais aussi par Guillaume de Poitiers :« Pedites in fronte locavit, sagittis armatos et balistis, item pedites in ordine secundo firmiores et loricatos »[Il [Guillaume] plaça en tête des fantassins armés de flèches et d’arbalètes ; des fantassins au second rang, mais plus sûrs et revêtus d’une cuirasse] 18

(mercenaire danois ?), portant une grande hache, a le dos protégé par un tuënard criblé de flêches. Sur la frise inférieure un tuënard git au sol près du corps d’un soldat. Scène 58 « hic Harold rex interfectus est » : Le porteur d’étendard d’Harold porte un tuënard de même que deux soldats anglo-saxons, l’un armé d’une épée, l’autre d’un javelot. Sur la frise inférieure, un tuënard git entre deux cadavres en train d’être dépouillés. 17 Cf. F. Pirot., « Du bon usage actuel des travaux anciens consacrés à l’épopée française », Le Moyen Age, 2004-1, p. 9-53, p. 48-52.

18 GP, [16], p. 184-185.

CHP

« Premisit pedites commitere bella sagittis

Et balistantes inserit in medio

Quatinus infigant uolitancia uultibus arma» (v. 337-339)

[Il mit en avant les fantassins pour attaquer avec des flèches et inséra des arbalétriers au milieu de telle sorte que les armes volantes frappent l’ennemi de face]

GI

« En pruef traient arbalestier,

e lur serjant, e lur archier »

(v. 318-319)

[De près, les arbalétriers, les sergents et les archers envoyaient des traits]

16

La tapisserie de Bayeux montre également, du côté français, la présence importante d’archers, dont certains revêtus d’une cuirasse, alors qu’un seul archer figure du côté anglais.

La présence des arbalétriers apparait tout à fait spécifique à la bataille d’Hastings ainsi que le soulignent C.Morton et H. Muntz 19.

Dans Gormont et Isembart, la mention des fantassins, archers et arbalétriers faisant pleuvoir des projectiles n’est pas un élément déterminant pour l’action, mais est seulement un « créateur d’ambiance ». Il faut souligner que dans le Carmen comme chez Guillaume de Poitiers, les archers et les arbalétriers sont en avant. C’est aussi le cas dans Gormont et Isembart. L’emprunt n’en apparaît que plus évident à une relation de la bataille d’Hastings. Cependant, comme l’information se retrouve dans toutes les sources disponibles, il n’est pas possible de la considérer comme reprise avec certitude du Carmen.

- L’annonce de la mort du roi entraîne la fuite de ses troupes

19 Guy Bishop of Amiens, Carmen de Hastingae Proelio, édit. et trad. par C.Morton et H.Muntz, Oxford, Clarendon Press, 1972, Appendix C, The use of crossbows at Hastings, p. 112-115.

CHP

« Fama uolans `Heraldus obit !’ per prelia sparsit ;

Mitigat extimplo corda superba timor.

Bella negant Angli. Veniam poscunt superati.

Viuere diffisi, terga dedere neci. » (v.551-554)

[La nouvelle ‘Harold est mort’ se répand à travers le champ de bataille et la peur amollit les cœurs courageux. Les Anglais refusent de se battre. Ils implorent la clémence des vainqueurs. Désespérant de vivre, ils fuient la mort]

GI

« Quant paien virent Gormont mort,

Fuiant s’en turnent vers le port.» (v. 420-421)

[Lorsque les païens constatèrent la mort de Gormont, ils s’enfuirent vers le port]

« Al quart, comencent a fuir

Turz e Persant e Arabi

Par mi Vimeu e par Pontif,

Vers les aloés Saint Valeri. » (v. 432-435)

[Au quatrième jour, les Turcs, les Perses et les Arabes, commencèrent à fuir à travers Vimeu et Ponthieu vers les alleux de Saint-Valery.]

17

Cette fuite se retrouve tant chez Guillaume de Poitiers que dans la Tapisserie de Bayeux.

- Le vainqueur fait transporter le corps du vaincu dans son camp pour lui rendre les hommages funèbres

L’inhumation des restes d’Harold fait l’objet de relations très proches au niveau des faits bruts de la part de Guy d’Amiens et de Guillaume de Poitiers : le corps retrouvé est transporté au camp de Guillaume, celui-ci refuse de rendre à la mère d’Harold le corps de son fils qui est inhumé sur le bord de la falaise. Si dans les deux cas Guillaume refuse la proposition de la mère d’Harold de lui échanger le corps de son fils contre son poids en or, les motivations de Guillaume sont différentes selon les auteurs. Selon Guillaume de Poitiers :

« Aestimavit indignum fore ad matris libitum sepeliri, cujus ob nimiam cupiditatem insepulti remanerent innumerabiles »

[Il estimait qu’il eut été indigne de laisser ensevelir, selon le désir de sa mère, l’homme qui, par excès de cupidité, était responsable d’une multitude [de morts] à jamais privés de sépulture]20.

Chez Guy d’Amiens, Guillaume refuse la demande de la mère d’Harold, mais, s’il ne veut pas que le traitement accordé au corps d’Harold lui échappe, il souhaite que la dépouille reçoive un traitement digne d’un roi. Cela se voit dans les égards accordés aux restes d’Harold lors de leur transfert. C’est le traitement appliqué à Harold par Guillaume que le roi Louis accorde au corps de Gormont.

20 GP, p. 204-205.

CHP

« Heraldi corpus collegit dilaceratum

Collectum texit sindone purpurea ;

Detulit et secum, repetens sua castra marina,

Expleat ut solitas funeris exequias. » (v.573-576)

[(Guillaume) rassembla le corps mutilé d’Harold, l’enveloppa dans un linceul pourpre et l’emmena avec lui, quand il retourna dans son camp sur le rivage, pour accomplir les rites funéraires traditionnels]

GI

« De ceo fit Loowis que pru :

Porter l’en fist as paveilluns

Covert suz un escu runt. » (v.543-545)

[En preux, Louis fit porter Gormont dans son pavillon, recouvert, sur un écu rond]

18

2 – Autres points communs

Le scénario des combats comporte des scènes s’inscrivant dans le même enchaînement chronologique. A côté de ces éléments, d’autres faits identiques peuvent illustrer des moments différents de la bataille et dans des camps différents :

- Les fuyards sont exhortés avec succès à la résistance par leur chef

CHP

« Dixit,’Quo fugitis ?quo iuuat ire mori ?

(…)

Non homines set oues fugitis, frustraque timetis ;

Illud quod facitis dedecus est nimium.

Est mare post tergum ; maris est iter ad remeandum

Pergraue, quod uobis tempus et aura negat.

Ad patriam reditus grauis est, grauis et uia longa ;

Hic uobis nullum restat et effugium

Vincere certetis, solumsi uiuere uultis » (v. 450-459)

[Il [Guillaume] dit : « Où fuyez-vous ? Où voulez-vous aller mourir ? (…)Vous fuyez comme des moutons et non des hommes car vos craintes sont vaines. Ce que vous faites vous enfonce dans le déshonneur. Derrière vous, c’est la mer ; rentrer par la mer est très difficile quand le temps et les vents sont contre vous. Difficile est le retour au pays, dure et longue la route. Il n’y a pas de moyen de vous échapper. Soyez sûrs que vaincre est le seul moyen si vous voulez rester en vie »]

GI

Le Margari en ot les crisz ;

Il poinst vers els, si lur at dit :

‘ U fuiez vos, paien chaitif ?

N’avez recet en cest païs,

parent, ne uncle, ne cusin,

u vos puissiez ja revertir.

Tornez ariere les chemins ;

si vengerons le Arabi,

nostre emperere de Leutiz,’

(v. 436-444)

Le Margari entendit leurs cris, il pointa vers eux et leur dit : « Où fuyez-vous lâches païens ! Vous n’avez dans ce pays aucun parent, oncle ou cousin chez qui vous réfugier ! Faites demi-tour et nous vengerons l’Arabe, notre empereur du pays des Leutices ]

« U fuiez vos, gent esguaree,

senz seignor en altre contree ?

Turnez ariere les estrees,

Si vengerons nostre emperere » (v. 490-493)

[Où fuyez-vous, hommes désemparés, sans seigneur dans un pays étranger ? Faites demi-tour et nous vengerons notre empereur]

19

Alors que la nouvelle de la mort de Gormont se répand parmi ses troupes provoquant leur fuite, Isembart s’efforce de les regrouper en les haranguant. Devant l’insuccès d’une première tentative, Isembart la renouvelle. Cette harangue qui est alors couronnée de succès, peut être rapprochée de celle que Guillaume adresse à ses troupes dans le Carmen lorsqu’une fuite simulée se transforme en déroute.

Chez Guillaume de Poitiers, le mouvement de panique des troupes françaises est motivé par la fausse annonce de la mort de Guillaume. Pour enrayer la fuite, Guillaume enlève son casque et exhorte ses troupes21 :

« Me, inquit, circumspicite. Vivo et vincam, opitulante Deo. Quae vobis dementia fugam suadet ? Quae via patebit ad effugendium ? Quos ut pecora mactare potestis, depellunt vos et occidunt. Victoriam deseritis, ac perpetuum honorem ; in exitium curritis ac perpetuum opprobrium. Abeundo, mortem nullus vestrum evadet. »

[Regardez-moi je suis vivant et je serai vainqueur, Dieu aidant ! Quelle démence vous conseille la fuite ? Quelle voie s’ouvrira devant votre retraite ? Ceux que vous avez pouvoir d’immoler comme un troupeau, vous repoussent et vous tuent ! Vous désertez la victoire et la gloire impérissable pour courir à votre perte et à l’opprobre éternel ! En fuyant, nul d’entre vous n’échappera à la mort] 22

En dehors de l’appel de Guillaume à constater qu’il est bien vivant, les thèmes développés sont très proches de ceux contenus dans le texte de Guy d’Amiens : impossibilité de la retraite, comparaison avec un troupeau de moutons, enfoncement dans l’opprobre, fuite synonyme de mort. Les difficultés matérielles d’une fuite ne sont pas reprises.

Si la comparaison est faite entre l’intervention de Guillaume dans le Carmen et celle d’Isembart, on trouve, ouvrant les deux harangues, la question : « Où fuyez-vous ? ».

On relève aussi une considération sur les difficultés matérielles d’une fuite. Il n’est pas question d’honneur pour des païens, mais l’objectif de venger leur roi s’en rapproche. L’idée de fond est commune au Carmen et au fragment, mais il faut souligner la très grande proximité du texte du Carmen et de celui de Guillaume de Poitiers. Il y a là un argument en faveur d’une connaissance préalable de l’œuvre de l’évêque d’Amiens par le chapelain de Guillaume.

- Un cavalier sans monture fait basculer un cavalier pour prendre son cheval

Dans Gormont et Isembart, alors que les combats se poursuivent, Isembart, à pied, se bat au corps à corps lorsqu’un cavalier qui est présenté comme son père, mais qu’Isembart ne

21 La Tapisserie de Bayeux mentionne également la reprise en main de ses troupes par Guillaume en se faisant reconnaitre.22 GP, [18], p. 190-191.

20

reconnaît pas, l’attaque. L’échange de coups entre les deux hommes est sans résultat. Alors Isembart le fait chuter de cheval et s’empare de la monture. Hors l’affrontement père-fils, qui donne une dimension particulière à l’événement, celui-ci ne peut pas ne pas être rapproché d’un même événement, mais dans un contexte différent, rapporté par Guy d’Amiens dans le Carmen : Guillaume, son cheval tué sous lui, demande à un chevalier manceau de lui donner son cheval. Devant son refus il le désarçonne et s’empare de sa monture.

L’anecdote du cavalier culbuté par Guillaume est particulière à Guy d’Amiens et ne se retrouve ni chez Guillaume de Poitiers, ni sur la Tapisserie de Bayeux.

- Un groupe de quatre cavaliers met à mort le chef adverse

Dans le Carmen, Harold est mis à mort par quatre cavaliers. La démarche est différente dans Gormont et Isembart puisque l’éxécution de Gormont par Louis, soutenu par saint Denis et saint Riquier, est un élément essentiel du poème. Pour autant la mise à mort du chef adverse par quatre cavaliers n’est pas absente dans le fragment, mais elle s’applique à Isembart. Le texte est incomplet, mais il apparaît clairement que les blessures qui vont entraîner la mort d’Isembart sont provoquées par l’attaque conjointe de quatre cavaliers :

« [ … ] les treis, contes, e le quart, duc.

CHP

Dux, memor ut miles, subito se uertit ad illum

Per nasum galee concitus accipiens,

Vultum telluri, plantas ad sydera uoluit ;

Sic sibi concessum scandere currit equum. » (v. 491- 494)

[mais le duc, en combattant expérimenté, soudain se tourne vers lui et l’attrapant rapidement par le nasal du casque, le culbute, tête à terre, pieds au ciel et s’empresse d’enfourcher le cheval qui lui est offert]

GI

« de sun cheval le desrocha,

par les dous resnes le cobra,

veant ses uelz, puis i monta :

unques congié ne demanda » (v. 569-572)

[Isembart le fit basculer de cheval et se saisit des rênes. Sous ses yeux, il monta en selle sans demander congé]

21

Li uns li fiert en sun escu ;

li treis, al blanc halberc menu ;

el cors li firent treis pertuis ;

de sun cheval le mistrent jus ; » (v. 621-625)

[… les trois, des comtes, et le quatrième un duc. L’un frappe son écu et les trois autres son haubert blanc. Ils lui firent trois trous dans le corps et le firent basculer de son cheval]

A la différence d’Harold, Isembart est à cheval et ses blessures n’entraînent pas une mort immédiate car il doit être en état de se repentir, mais l’action est la même. Le premier cavalier frappe l’écu avec sa lance tandis que les trois autres lui font des blessures. La composition des attaquants est très proche : dans les deux cas il y a un duc23 et s’il y a trois comtes dans le fragment, Ils sont aussi trois dans le Carmen : Eustache de Boulogne, l’héritier du Ponthieu et Gilfard (v. 535-539).

- Des provocations verbales accompagnent les combats

Dans Gormont et Isembart les affrontements s’accompagnent de provocations verbales qui ponctuent les rencontres. C’est ainsi que le fragment s’ouvre par un sarcasme de Gormont :

« a halte voiz s’est escrié :

‘ Vos estes tut en duel finés ;

n’avrez garant por vostre Dé’ » (v. 1-4)

[… il [ Gormont ] s’écria à haute voix : « Vous êtes condamné, votre Dieu ne pourra vous protéger » ]

Chaque combat, entre Gormont et un baron, est l’occasion d’une agression verbale. Un rapprochement ne peut être évité avec la moquerie dont Guillaume agrémente le démembrement de Gyrth, frère d’Harold, qui a tué son cheval d’un jet de javelot :

« Accipe promeritam nostri de parte coronam ;

Si periit sonipes, hanc tibi reddo pedes » (v. 479-480)

[Accepte de notre part ce trophée pour ton mérite ; si mon cheval est mort, en tant que piéton, je te donne ta récompense]

De tels propos n’existent pas chez Guillaume de Poitiers.

23 Certains traducteurs du Carmen comme Pierre Bouet ont exclu Guillaume du groupe, mais la majorité ont adopté une traduction incluant Guillaume.

22

Une autre parenté existe entre le Carmen et le texte du fragment, c’est l’expression de la violence du combattant et de son acharnement sur l’adversaire. La comparaison de l’expression de Guillaume de Poitiers avec celle de Guy d’Amiens montre, chez le chapelain de Guillaume, une retenue dans la description des combats, mais aussi dans le comportement même des combattants alors que dans le Carmen la violence est poussée à un paroxysme dont les conséquences sur les corps sont étalées avec complaisance. La description de Guillaume au combat en est l’exemple : alors que Guy d’Amiens montre Guillaume mutilant, « membratim perimens » (v. 478) [arrachant membre par membre], le frère d’Harold qui vient de lui tuer son cheval ou bien taillant en pièces ses adversaires « Hos truncos facit, hos mutilos ; hos devorat ense ; » (v. 483) [Ceux-là, il les tronçonne, ceux-là il les ampute ; ceux -là il les balaie de l’épée], Guillaume de Poitiers, qui connait le Carmen et peut en tirer de l’inspiration, ne retient que l’image littéraire, adoucissant le propos de Guy : « Abstracto gladio, galeas et scuta recidit » (v. 469), qui devient: « Scuta, galeas, loricas, irato mucrone et moram dedignante penetravit »24.

Ce goût du détail sanglant se retrouve par contre dans les descriptions du fragment de Bruxelles. Trois vers dont il est probable qu’ils décrivent Gormont sont significatifs :

« ocit, e fiert, e esboële.

Qui il consiut, nel laist en sele :

avestu l’at de mort nuvele. » (v. 44-46)

[Il tue, frappe et éventre. Celui qu’il atteint, il ne le laisse pas en selle : il le frappe rapidement à mort]

Les corps coupés en morceaux abondent, victimes de Gormont, jusqu’à ce que lui-même soit fendu en deux par Louis.

La multiplication des points communs entre le Carmen et le fragment de texte, dit de Gormont et Isembart, interroge. Certains rapprochements, qui peuvent être trouvés entre ces deux textes et les Gesta Guillelmi de Guillaume de Poitiers, concernent des généralités telles que la bataille pour le contrôle d’une colline, la composition des armées, leur ordre de bataille. Les autres qui dépassent la dizaine, même si certains relèvent du topos, montrent une proximité telle, entre le Carmen et le fragment de Bruxelles, qu’il est difficile d’envisager que seul le hasard en soit responsable.

Il faut souligner que la proximité entre les deux textes ne se situe pas seulement au niveau du scénario général : si la trame de la bataille est semblable, ce n’est pas la même histoire transposée dans un cadre différent. On se trouve en fait devant deux histoires originales, mais dont certaines briques qui les composent, sont les mêmes, utilisées de façon différente.

24 GP, [22], p. 198-199.

23

Une part des éléments composant le fragment se retrouve dans le Carmen, pour autant tous les éléments ne se retrouvent pas dans le Carmen. C’est le cas de la reprise de la résistance des païens, malgré la mort de Gormont, après qu’Isembart ait interrompu leur fuite.

Les Gesta Guillelmi évoquent une résistance anglaise après la mort d’Harold25. Selon Guillaume de Poitiers, Eustache de Boulogne veut fuir devant cette attaque imprévue. Il est alors blessé dans le dos. Guy d’Amiens ne mentionne pas cette contre-attaque anglaise. Plusieurs hypothèses peuvent être avancées pour expliquer cette absence. Parmi elles on peut en retenir trois.

La première serait que Guy d’Amiens n’aurait pas connu cet épisode. C’est peu probable compte tenu de la blessure d’Eustache, dont Guy était proche. La deuxième serait que Guy, souhaitant mettre en avant l’apport positif d’Eustache à la bataille, aurait tu dans le Carmen l’épisode qui était défavorable au comte de Boulogne, mais, dans l’hypothèse qu’il soit l’auteur du fragment, s’en serait inspiré pour réintroduire Isembart. La troisième hypothèse, à supposer que l’auteur du fragment soit un tiers, serait, à côté d’emprunts nombreux au Carmen, une inspiration puisée chez Guillaume de Poitiers ou dans la tradition épique.

La deuxième hypothèse est appuyée par le fait que Guy d’Amiens, s’il n’évoque pas explicitement de contre-attaque anglo-saxonne, souligne la poursuite et la mise à mort des fugitifs où s’illustre le « fils d’Hector », terme appliqué lors de la mise à mort d’Harold au « noble héritier du Ponthieu » (v. 537) :

« Peruigil Hectorides sequitur cedendo fugaces ;

Mars sibi tela gerit ; mors sociata furit.

Duxit ad usque diem uario certamine noctem ;

Nec somno premitur, somnia nec patitur. » (v. 563- 566)

[Le fils d’Hector, toujours en éveil, pourchassait et tuait les fuyards. Mars conduisait ses traits ; la mort se déchainait à son côté. Il continua jusqu’à ce que le jour l’emporte sur la nuit, jamais abattu par le sommeil, ni dominé par ses rêves]

Devant le constat de ces multiples parentés, la question se pose alors d’une relation entre l’auteur du Carmen et celui du fragment de Bruxelles.

25 GP, [24], p. 202-203.

24

II – Mieux cerner les composantes du fragment pour mieux cerner ses origines

1 – Tradition épique et topoï n’expliquent pas certains points communs au Carmen et au fragment

Un certain nombre de traits, communs aux textes de la littérature de geste, sont l’expression de la tradition épique et relèvent du topos sans que puisse être établie une relation d’emprunt entre les textes. Le caractère sanguinaire des descriptions, la teneur aristocratique du discours, le commentaire insultant qui conclut les affrontements, se retrouvent au long des chansons de geste. Le discours aux combattants avant la bataille ou lorsqu’il s’agit de les reprendre en main, le combat à distance avec des javelots réservé aux païens, le prêt d’un cheval au seigneur démonté, la fuite après la mort du chef, sont des ingrédients récurrents de la littérature épique et ne peuvent permettre de conclure à une influence d’un texte sur un autre.

Sans être des topoï, des points communs à deux textes peuvent être des réminiscences de sources antérieures plus ou moins éloignées. Cette remarque peut être faite pour le groupe exterminateur qui se retrouve dans Richer, dans le Carmen et dans le fragment. Comme dans le Carmen et le fragment, le Waltarius met en scène un héros combattant à pied et défaisant, armé d’une lance, successivement une dizaine de cavaliers26.

Jean Rychner dans La chanson de geste, Essai sur l’art épique des jongleurs27, distingue, dans les moyens d’expression de la chanson de geste, motifs et formules. Jean-Pierre Martin a approfondi l’analyse des motifs en distinguant motifs narratifs et motifs réthoriques. Il en a établi un index28.

Si on s’appuie sur cet index, on constate que le texte du fragment rassemble un grand nombre de ces motifs. Ceci est normal dans une chanson de geste mais certains de ces motifs, bien qu’en moins grand nombre sont également présents dans le Carmen :

Poursuite, visite du champ de bataille, bataille (générale), cadavre outragé, panorama épique, combat à la lance, combat à l’épée, héros dans la mêlée, mêlée générale, attaque aux armes de jet, funérailles.

Certains de ces motifs relèvent des moyens de rendre compte d’une bataille de cette époque quel qu’en soit la nature, sans être propres à la chanson de geste. Poursuite, visite du champ de bataille, bataille générale, combat à la lance, combat à l’épée, héros dans la mêlée,

26 B. Gicquel, Généalogie de la Chanson de Roland, suivi de sources et modèles, Paris, Publibook, 2003, Appendice I, Gautier d’Aquitaine, p. 273-297.27 J. Rychner, La chanson de geste, Essai sur l’art épique des jongleurs, Genève, Droz, 1999, p. 126-153. 28 J.P. Martin, Les motifs dans la chanson de geste, Définition et Utilisation (discours de l’épopée médiévale), Université de Lille III, Centre d’études médiévales et dialectales, 1984.

25

attaque aux armes de jet se retrouvent chez Guillaume de Poitiers29. Toutefois, certains motifs propres à la chanson de geste sont communs au Carmen et au fragment sans apparaitre chez Guillaume de Poitiers. Le motif cadavre outragé existe dans le texte du fragment mais aussi dans le Carmen avec le sort infligé aux cadavres de Gyrth et d’Harold. Surtout, se rattachant au motif du panorama épique, Guillaume et Louis, de la même façon lèvent les yeux vers le roi adverse, constatent qu’il défait tous ses assaillants et décident d’en finir. Dans ce cas, même si la différence de langage utilisé ne facilite pas la comparaison, il est même possible de parler de formule commune au sens de J.Rychner. La même remarque peut être faite pour le motif funérailles.

Cependant la présence commune de ces derniers motifs ne permet pas de conclure à des emprunts du texte du fragment au Carmen, mais peuvent aussi marquer une influence de la tradition épique sur l’auteur du Carmen qui utiliserait le langage de l’épopée.

La comparaison du Carmen et du fragment met en valeur des points communs relevant de la tradition épique et du topoï, certaines sources communes peuvent aussi être envisagées, mais certains ingrédients spécifiques et leur organisation rendent difficile à envisager le simple fait du hasard.

Le schéma du déroulement de la partie de bataille, décrite dans le fragment, similaire à Hastings et Cayeux, correspond à des situations quasi exceptionnelles. De Guillaume de Poitiers30 à Stephen Morillo qui parle d’ « une bataille hors normes »31, les historiens de la bataille d’Hastings ont insisté sur l’originalité de la deuxième partie de l’affrontement alors que la première attaque française avait échoué. Parallèlement, les spécialistes du fragment considèrent le combat à pied de Gormont comme exceptionnel dans les chansons de geste32. Cet élément n’apparait que dans le texte du fragment et dans la Chanson de Guillaume où Raynouart juché sur une butte, armé de son tinel, défait des cavaliers sarrasins33. Le combat à pied de Gormont ne figure pas dans les versions inspirées du fragment. Philippe Mouskes 34 ne fait qu’un résumé très bref de la bataille (v.14240-14250) et dans Loher und Maller, Gormond est à cheval 35. Dans les deux cas, la bataille n’a d’ailleurs pas lieu à Cayeux mais près d’Amiens. Dès le début du XIIIe siècle, Nicolas d’Amiens avait déplacé la bataille finale près d’Amiens36.

29 R. Foreville, « Aux origines de la Légende épique, Les Gesta Guillelmi ducis Normannorum et Regis Anglorum de Guillaume de Poitiers », Le Moyen Age, 3-4, 1950, p.205-219.30 GP, « Alors commença un combat d’un genre inaccoutumé, l’un des adversaires attaquant par élans et mouvements divers, l’autre comme fiché en terre, supportant l’assaut.», 21, p. 195. 31 S. Morillo, The Battle of Hastings, sources and interpretations, Woodbridge, The Boydell Press, 1996, p. 220-227.32 Gormund e Isembart, édit. et trad. par Andrea Ghidoni, Alessandria, Edizioni dell’Orso, 2013, p. 27. 33 Peut-être s’agit-il, comme d’autres éléments de la Chanson de Guillaume, d’un emprunt inversé au poème du fragment. 34Mouskes P., Chronique rimée publiée par le baron de Riffenberg, Bruxelles, Hayez, 1838, t. 2, p.81. 35« König Germon fiel todt von seinem Pferde », Loher und Maller, publié par Karl Joseph Simrock, Stuttgart, 1868. p. 285.36 F.Suard, « L’épopée médiévale et la Picardie », Perspectives Médiévales, 20, 1994, p. 68-79.

26

Outre le schéma général du combat, l’emprunt d’autres éléments apparait plausible.

Le seul thème du groupe exterminateur ne permettrait pas, comme vu précédemment, de conclure à un emprunt. Cependant, la précision de sa composition : « trois comtes et un duc », laisse peu de place au hasard et plaide pour l’emprunt.

Les honneurs funéraires accordés à un Sarrasin ne sont pas légion dans les chansons de geste. Le rituel suivi pour Harold, repris pour Gormont, a été considéré par C. Morton et H. Muntz comme une réminiscence scandinave.

La présence, dans le Carmen et dans le fragment, des sergents, arbalétriers et archers est aussi un trait spécifique, supposant un emprunt, même si, dans le fragment, les arbalétriers et archers appartiennent au camp sarrasin, conformément à la tradition épique. Dans les chansons de geste, les chevaliers chrétiens n’utilisent pas des armes de jet, réservées aux païens qui craignent le combat rapproché. L’Eglise condamnait l’utilisation de l’arbalète qui, à l’exception du fragment, n’est pas mentionnée comme arme de combat dans les chansons de geste considérées contemporaines du fragment, Roland d’Oxford et Chanson de Guillaume. Les arbalétriers n’apparaissent, dans les chansons de geste, du côté chrétien, qu’à la fin du XIIème, dans les troupes de défense castrale comme dans Aymeri de Narbonne ou Garin le Loherain.

L’anecdote du cavalier, culbuté pour s’emparer de son cheval, n’est avancée que par Guy d’Amiens dans les relations de la bataille d’Hastings. Le même élément dans le fragment pourrait être aussi un emprunt.

Enfin, un emprunt apparait capital : la topographie du site du combat.

Le texte du fragment révèle une bonne connaissance physique de la géographie du Vimeu et du Ponthieu. Il ne reprend pas la localisation du combat à Saucourt, contenue dans les Annales de Saint-Vaast37, mais après un débarquement à Cayeux38, le combat a lieu près d’une chapelle.

« Desus Caiou, a la chapele,

fut la bataille fort e pesme » (v. 41-42)

[Au-dessus de Cayeux, près de la chapelle, la bataille était rude et terrible]

L’ancien port naturel du Hable de Hault à Cayeux, longtemps utilisé par les pêcheurs locaux, constituait, avant sa fermeture par les apports marins, un havre propice à abriter une petite flotte. Ce havre était séparé des contreforts en pente douce de la colline de Saint-Valery par des marais. Les zones de marais mises en exploitation, comme les essarts, avaient au Moyen

37 Les Annales de Saint-Bertin et de Saint-Vaast suivies de fragment d’une chronique inédite, publiées par C. Dehaisne, Paris, Société de l’Histoire de France, 1871, p. 302. 38 L’information n’existe pas ailleurs, excepté chez Gaimar. Il faut y voir une confirmation de l’utilisation du poème comme source de Gaimar.

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Âge souvent le statut d’alleu. Un petit hameau de la commune de Lanchères, jouxtant le territoire de Cayeux, au bord d’un marais qui porte ce nom, Laleu, est situé à quelques kilomètres au sud de Saint-Valery sur la route d’Eu. Dans le poème, un des adversaires de Gormont est «Ernalt, qui tint Pontif e les aloés Saint Valeri » (v. 165-166) [Ernaut, sire de Ponthieu et des alleux de Saint-Valery]. Lorsque les troupes de Gormont se débandent après sa mort, elles fuient vers les alleux de Saint-Valery au-delà desquels se trouve le havre qui abrite leurs navires (v. 432-435).

La chapelle située sur une hauteur à l’est de Cayeux au-dessus de Saint-Valery existait déjà avant les invasions scandinaves, construite selon la légende par saint Valéry lui-même, près du monastère de Saint-Valery39. A la fin du XIXe siècle, elle a été restaurée en tant que chapelle des marins.

Le lieu de la bataille de Saucourt n’est qu’à quelques kilomètres de Cayeux et la tradition populaire en avait certainement conservé quelque souvenir. Par ailleurs, le poème manifeste une volonté de promouvoir Saint-Riquier, il fallait donc une nécessité très forte pour que le créateur du poème vienne situer la bataille juste sous les murs de l’abbaye de Saint-Valery, quitte à l’occulter totalement. Une explication serait que, dès lors que le compositeur du poème souhaitait s’inspirer de la bataille décrite dans le Carmen, tout en souhaitant une localisation dans le Ponthieu, non loin de Saint-Riquier, les exigences de la topographie le conduisaient à installer ses protagonistes « au-dessus de Cayeux, près de la chapelle ». Il a choisi pour site du combat un lieu très précis qui, par ses caractéristiques correspond schématiquement à celui de la colline de Senlac par rapport à la baie de Pevensey.

Ces différents éléments conduisent à conclure à des emprunts entre le Carmen et le texte du fragment.

Clôturant une polémique, les travaux d’Elisabeth van Houts40 et de Frank Barlow41 ont conduit, après débats, à attribuer avec le plus de probabilité le Carmen à Guy, évêque d’Amiens. C’est l’hypothèse que nous retiendrons.

Si le Carmen a influencé le poème à l’origine du fragment, deux possibilités peuvent être envisagées : Guy est l’auteur, sinon du texte du fragment du moins du poème initial, et a fait du « recyclage » en réutilisant des éléments du Carmen ou bien c’est un anonyme qui a procédé aux emprunts. Cette deuxième hypothèse pourrait être avancée si l’hypothèse Guy devait être abandonnée.

Une troisième hypothèse doit être écartée, qui verrait dans le poème à l’origine du fragment, un texte, antérieur au Carmen, dont Guy d’Amiens se serait inspiré. Compte tenu de la date de rédaction du Carmen retenue par les tenants de son attribution à Guy

39 F.C. Louandre, Biographie d’Abbeville et de ses environs, Abbeville, Devérité, 1829, p. 319. 40 E. M. C. van Houts, « Latin poetry and the Anglo-Norman court 1066-1135 : The Carmen de Hastingae Proelio », Journal of medieval History, 15, 1989, p. 39-62. 41 CHP, Introduction, p. xxiv-xl.

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d’Amiens, il est peu probable que ce poème ait pu être écrit entre la bataille d’Hastings et la rédaction du Carmen. Le poème d’origine devrait alors être antérieur à la bataille.

Certains faits communs au Carmen et au fragment ne se retrouvent pas dans d’autres sources telles que Guillaume de Poitiers ou la Tapisserie de Bayeux et le sens de l’influence exercée peut être discuté. C’est le cas de la décision du roi menant l’attaque de tuer le roi ennemi qui résiste victorieusement. C’est aussi l’exécution menée par quatre cavaliers, encore qu’on puisse faire un rapprochement avec Richer et que le détail de la composition du groupe qui tue Isembart, un duc et trois comtes, détail non fondamental pour le fragment, laisse plutôt envisager une influence du Carmen sur le fragment que l’inverse. Ce sont enfin le cavalier désarçonné par un combattant à pied et les honneurs rendus à la dépouille du roi vaincu.

Le problème est différent lorsque les faits communs au Carmen et au fragment correspondent à des éléments de la bataille d’Hastings historiquement attestés. C’est le cas de la configuration du terrain, de la disposition des troupes, de la façon de combattre des différentes armées confirmées par Guillaume de Poitiers et la Tapisserie de Bayeux. C’est le cas de la présence de son étendard auprès d’Harold, représenté sur la tapisserie de Bayeux. Il faut citer aussi la présence des archers et des arbalétriers. Mentionnée, sans être un élément important, dans le texte du fragment, elle constitue une donnée fondamentale de la bataille d’Hastings, tant dans les sources contemporaines, telles que Guillaume de Poitiers et la Tapisserie, que chez les historiens anglo-normands du siècle suivant. Il est possible d’ajouter à cette liste des événements, confirmés par Guillaume de Poitiers et la Tapisserie, tels que la fuite enrayée par l’intervention de Guillaume ou la débandade après la mort d’Harold, sauf à considérer le Carmen comme la seule source des deux précédentes, hypothèse généralement exclue par les historiens. Pour ces éléments correspondant à ce qui peut être considéré comme la réalité historique de la bataille d’Hastings, une antériorité du poème Gormont et Isembart supposerait une multiplication de coïncidences, ce qui relève de l’improbabilité. Il est alors possible de conclure à une naissance du poème, à l’origine du fragment, postérieure à la bataille d’Hastings et au plus tôt concomitante au Carmen.

Les emprunts au Carmen, outre qu’ils déterminent un terminus post quem, en 1067, pour la création du texte du fragment, conduisent à écarter une création progressive collective, peu compatible avec la cohérence de l’inscription d’un scénario de type Hastings dans le site de Cayeux. La précision des informations topographiques suppose aussi que cet auteur connaissait parfaitement le comté du Ponthieu.

2 – Quelles informations retirer des personnages cités dans le fragment ?

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Le souci de s’inscrire dans une chronologie historique ne semble pas être le souci premier du rédacteur du fragment. Les informations tirées du texte ne permettent pas de situer le combat dans le temps. Si la partie manquante du poème n’apportait pas plus de précisions, la légende de Gormont et Isembart a pu, d’autant plus facilement, être placée, selon les emprunteurs, au IXe (Hariulf, Gaimar), au Xe (Guillaume de Malmesbury) voire au VIe siècle dans L’Histoire des Rois de Bretagne et la série des Brut.

Ainsi, Louis est présenté comme fils de Charles ce qui peut correspondre à Louis le Pieux fils de Charlemagne, à Louis II, fils de Charles le Chauve, ou à Louis d’Outre-Mer, fils de Charles le Simple, mais pas à Louis III, vainqueur de Saucourt, qui n’est d’ailleurs pas mort des suites de la bataille42. Selon les Annales de Saint-Vaast, Louis III serait mort accidentellement en poursuivant une jeune fille dont le père s’appelait Germundus. La mort de Louis, des suites de la bataille, se trouve dans le fragment, mais aussi, chez Hariulf, Guillaume de Malmesbury et Gaimar, ainsi que dans les textes plus tardifs inspirés de la légende (Philippe Mouskes, Loher und Maller et même Hugues Capet43).

Gormont, Gorm, a fait l’objet de nombreuses recherches. La recherche d’une identification de Gormont a mobilisé les chercheurs depuis la découverte du fragment et les mobilise encore44. L’hypothèse privilégiée içi est que Gormont pourrait être le fruit d’une tradition locale liée au sac de l’abbaye de Saint-Riquier en 881. Les annales de l’époque ont retenu, parmi les chefs de la grande armée viking, un dénommé Worm45. Il faut noter que le nom de Gormont était porté dans la famille picarde des Péquigny qui assuraient héréditairement le service d’avoué de l’abbaye de Corbie.

Isembart est le nom d’un comte de Louis le Pieux, cité par les Annales de Saint-Bertin et par l’Anonyme, dit l’Astronome. Guillaume de Malmesbury attribue le nom d’Isembart à Enguerrand II de Ponthieu, tué dans les affrontements avec les Normands en 1053 au moment du siège d’Arques par Guillaume le Bâtard. Les auteurs français, en particulier Guillaume de Poitiers et Orderic Vital, n’appliquent pas à Enguerrand II le surnom d’Isembart, pas plus que ce surnom n’est appliqué à Enguerrand Ier, alors que les généalogistes anglo-saxons évoquent systématiquement : « Enguerrand Ier Isembart ».

Dans la préface à son édition de De Gestis Regum Anglorum Libri Quinque et Historiae Novellae Libri Tres de Guillaume de Malmesbury, William Stubbs écrit :

42 La même fausse information se retrouve chez Hariulf, Guillaume de Malmesbury et Gaimar laissant supposer une même source antérieure : le poème ?43 Hugues Capet, chanson de geste, publiée par Mr de La Grange, Paris, Franck, 1864.44 Ghidoni A., « Archéologie d’une chanson de geste : quelques hypothèses sur Gormund et Isembart », Cahiers de civilisation médiévale, 57, 2014, p. 244-266. 45 Cf. P. Bauduin, Le monde franc et les Vikings, VIIIe-Xe siècle, Paris, Albin Michel, 2009, P. 205-211.

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« The count of Ponthieu who was beheaded at the siege of Arques, is called Isembart 46, instead of Ingelram or Enguerrand as William of Poitiers named him ; this may be a mere clerical error but on the authority of our author, or rather of the extracts current in Commelin’s collection as a continuation of Bede, Isembart is given as an alias or surname to Ingelram in the French lists of the Counts of Ponthieu »47.

[Le comte de Ponthieu qui a été décapité au siège d’Arques est appelé Isembart au lieu de Ingelram ou Enguerrand comme il a été nommé par Guillaume de Poitiers ; c’est peut-être une simple erreur du clerc, mais sur l’autorité de notre auteur, ou plutôt des extraits de la collection Commelin en continuation de Bède. Isembart est donné comme alias ou nom de famille à Ingelram dans les listes françaises des Comtes de Ponthieu.]

En note, William Stubbs signale : « Of course Isembart may have been a surname or even a nickname after the traitor of 881 »48.

[Èvidemment, Isembart a pu être un nom de famille ou même un sobriquet venant du traître de 881]

En fait, que l’on retienne l’antériorité du personnage d’Isembart par rapport à la naissance du poème à l’origine du fragment ou celle de la création du personnage avec le poème, une proximité du nom Isembart avec la famille de Ponthieu apparaît.

Des trois protagonistes principaux, on peut seulement retenir une tradition locale liée au Ponthieu et à la mémoire lointaine d’incursions vikings et de la bataille de Saucourt. Alain Corbellari parle de « trois noms aux référents inégalement cernés et un embryon de narration, simple souvenir, à vrai dire, d’un traumatisme collectif »49.

Les chevaliers français appartiennent au XIe siècle. Leur choix relève de la fantaisie, voir du clin d’œil. Les chevaliers qui montent à l’assaut de Gormont peuvent être des personnages génériques (comte de Poitiers, comte de Flandre), des personnages liés à la tradition épique (Tierry de Termes) ou à la tradition du Ponthieu (Hernaut), mais certains personnages peuvent être rattachés à des modèles historiques qu’on peut se risquer à préciser.

- Gautier du Mans a pu être inspiré par Gautier de Vexin. Le seul comte du Maine à porter le nom de Gautier, avant le XIIe, est Gautier de Vexin, appelé aussi Gautier de Mantes. Gautier était le fils de Dreux de Vexin, frère de Foulques II, évêque d’Amiens,

46 « Reliquit tamen primates aliquos qui impetum regium tardarent ; quorum astutia insidiis exceptus, Isembardum Pontiui comitem coram se obtruncari, Hugonem Pardulfum capi merito ingenuit . » , Guillaume de Malmesbury, Gesta Regum Anglorum, vol. 1, édit. et trad. par R.A.B. Mynors, R.M. Thomson et M. Winterbottom, Oxford, Clarendon Press, 1998, (iii. 232. 3), p. 432-433. 47 De Gestis Regum Anglorum Libri Quinque et Historiae Novellae Libri Tres,(vol. 2) de Guillaume de Malmesbury, éd. par William Stubbs, Cambridge University Press, 2012, p. cxii. 48Id. 49A. Corbellari, « Gormond, Isembard, Saint-Riquier et Bédier », », Saint Riquier à Saint-Riquier, Actes du Colloque du Centre d’Etudes Médiévales de l’Université de Picardie-Jules Verne, Saint-Riquier (9 et 10 décembre 2000), publiés par les soins de Danielle Buschinger, Amiens, 2001, p.25-31, p. 28.

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prédécesseur et ami de Guy d’Amiens. Gautier, appelé par l’aristocratie du Maine, en opposition avec Guillaume le Bâtard, est abandonné par ses soutiens. Il est emprisonné, avec sa femme, à Falaise où il meurt en 1063, peut-être empoisonné. Il faut souligner que dans le Carmen, le seul guerrier mentionné du côté français, en dehors d’Eustache de Boulogne et des autres membres du groupe qui exécutent Harold, est un chevalier manceau qui refuse de donner sa monture à Guillaume qui vient de perdre son cheval. Ce refus, qui manifeste le peu de confiance à accorder aux chevaliers manceaux ralliés à Guillaume, peut être relié à la mésaventure de Gautier de Vexin, sollicité puis lâché par les barons manceaux.

- Odon de Champagne, seigneur de Chartres, de Blois et de Château-Landon en Gâtinais, a été identifié comme Eudes II par Ferdinand Lot qui souligne cependant que les comtes de Champagne n’ont jamais possédé le Gâtinais50. Il apparait difficile, toutefois, qu’Eudes II ait inspiré un personnage de pleutre. Plutôt qu’Eudes II, référence pourrait être faite ici à Eudes III, comte de Champagne qui a possédé une partie de ces titres51. Son oncle Thibaud Ier de Champagne l’a évincé en 1063. Le Gâtinais a été acquis par le roi de France, de Foulques le Réchin, en 1068. Cela conduit d’ailleurs Ferdinand Lot à avancer que le texte original du fragment ne doit pas être postérieur de beaucoup à 1068. Le personnage d’Odon apparaît dans le fragment sous un angle peu favorable puisqu’en fait, son cheval tué, il se retire du combat sans affronter Gormont qui le brocarde :

« A ! » dist Gormond, « or est surdeis !Vos fussiez mielz en Estampeis. » (v. 102-103)

[Ah ! s’écria Gormont les choses empirent ! Vous seriez bien mieux en pays d’Ètampes !]

Robert, le grand père de Philippe Ier, avait fait construire une résidence royale à Ètampes que Philippe fréquentait. Gormont oppose ici la dureté du champ de bataille aux charmes de la cour royale. Le comportement prêté à Odon de Champagne est à rapprocher du fait qu’Eudes de Champagne, troisième mari de l’ancienne épouse du neveu de Guy d’Amiens, Enguerrand II, mort lors du siège d’Arques, peut être considéré comme un personnage un peu inconsistant, mais surtout que les droits sur Aumale, octroyé à Eudes après son mariage avec Adélaïde, la sœur de Guillaume, par l’archevêque de Rouen en contrepartie de son service, avaient été perdus par la famille de Ponthieu,

50 F. Lot, « Gormond et Isembard », Romania, 27, 1898, p. 1-54, p. 53.51 La sœur de Guillaume le Conquérant, Adélaïde , mariée en premières noces avec Enguerrand II de Ponthieu, fut mariée en troisième noces avec le comte Eudes de Champagne (cf. CHP, p. XLV, note 128) après que celui-ci, évincé par son oncle et, peut-être, accusé de meurtre, s’est réfugié auprès de Guillaume de Normandie.

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certainement à la suite de la détention de Guy de Ponthieu par Guillaume après la bataille de Mortemer52.Eudes III de Champagne qui avait fait le choix d’être accueilli par Guillaume en espérant, peut-être, une récompense en Angleterre, ne reçut rien du vivant de Guillaume et dut attendre le règne de Guillaume le Roux pour devenir seigneur d’Holderness. Le rappel d’Etampes et de la cour royale est peut-être celui d’un mauvais choix.

- Le comte de Rouen, constructeur de l’abbaye de FécampConsidéré généralement comme inspiré par Richard Ier de Normandie, le comte de Rouen pourrait l’avoir été par Richard II, « bon vassal » du roi capétien. La construction de l’abbaye de Fécamp, commencée par son père, a été la grande œuvre de son règne et il a été un bienfaiteur de Saint-Riquier.

Si l’hypothèse Gautier de Vexin et Eudes III de Champagne est retenue, il apparait pour le poème un terminus post quem c. 1065. Les historiens, partisans des dates les plus anciennes pour la composition du poème, retiennent pour d’autres raisons, une date comparable.

Le personnage d’Hugues peut être totalement un personnage de fiction. Cependant, lorsque Guillaume de Malmesbury semble s’inspirer du poème à l’origine du fragment pour évoquer la fin de la dynastie carolingienne, il fait du roi Louis le dernier des carolingiens et d’Hugues son successeur, c’est-à-dire Hugues Capet. L’enjambement des faits n’a rien d’historique. Il a l’avantage d’établir une continuité légendaire entre carolingiens et capétiens. Il faut rappeler que le fondateur de la lignée du Ponthieu, grand-père de Guy, soutien d’Hugues Capet, avait reçu sa fille en mariage. A la fin du XIVe, la chanson de geste Hugues Capet53 fait le lien avec Gormont et Isembart.

3 – Le texte du fragment est-il le résultat d’un remaniement anglo-normand ?

Si les emprunts au Carmen et la présence de certains intervenants conduisent à fixer un terminus post quem au texte du fragment autour de 1067-1070, la question est posée d’un terminus ante quem.

Hariulf écrit entre 1088 et 1104 sa Chronique de Centule sur l’abbaye de Saint-Riquier dans laquelle il évoque les personnages de Gormont et Isembart, sujets d’un chant bien connu localement. Ce chant ne doit pas être confondu avec les chroniques auxquelles Hariulf fait

52 Cf . P. Bauduin, La première Normandie (Xe-XIesiècles), Caen, Presses Universitaires de Caen, 2006, p. 313-316. et K. Thompson, « Being the ducal sister : The role of Adelaide of Aumale », Normandy and its neighbours, 900-1250, Essays for David Bates, edit par David Crouch et Kathleen Thompson, Turnhout, Brepols, 2011, p. 61-76.53Hugues Capet, op. cit. , p. 19.

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par ailleurs des emprunts. Edmond Faral54 montre bien qu’Hariulf insère la mention de Gormont et Isembart dans la reprise du texte de la Chronique des rois de France tenue par l’abbaye de Saint-Denis. Le chant a donc son autonomie et il doit avoir été composé au moins quelques années avant qu’ Hariulf en fasse mention.

Si on suppose que le poème à l’origine du fragment est distinct de cette chanson, il est peu probable qu’il y ait eu, en Ponthieu, cohabitation de deux textes dans le même temps. Postérieur à la chronique d’Hariulf, le poème, origine du fragment, aurait alors été composé en intégrant les éléments mentionnés par Hariulf, en particulier la mort du roi Louis des suites de la bataille. Cette hypothèse est peu vraisemblable car, autour de 1125, Guillaume de Malmesbury fait référence à une source qui associe, sans contradictions avec le texte du fragment, Isembart, Hugues et le roi Louis. Une composition tardive du poème, en Ponthieu, apparait peu compatible avec sa diffusion avant 1125 en Angleterre. Le plus probable est donc que la chanson, dont parle Hariulf, était le poème à l’origine du fragment55. Hariulf mentionne un chant chanté par les habitants du Ponthieu. Il était donc, certainement, en langue vernaculaire et avait été composé entre 1067 et 1088-1104. La popularité de ce chant, soulignée par Hariulf, laisse supposer une date de composition plutôt proche de la date la plus ancienne.

Les linguistes qui se sont penchés sur la langue du fragment, concluent majoritairement à un français du sud-ouest de Paris avec des traits anglo-normands. C’était la conclusion d’Alphonse Bayot56, c’est celle d’Andrea Ghidoni dans sa thèse récente57.

Il est peu probable que la chanson, chantée dans le Ponthieu, était en dialecte angevin mêlé d’anglo-normand. Ceci conduit à poser l’hypothèse d’un texte du fragment fruit d’un remaniement intervenu en Angleterre. La date de ce remaniement, à supposer qu’il n’y en ait pas eu plusieurs, se situerait après que Geoffroi de Monmouth a introduit, dans son Histoire des rois de Bretagne, la conquête de l’Irlande par Gormont, préalablement à sa venue en Bretagne. La présence d’Irlandais dans l’armée de Gormont (v. I00, v. 282, v. 610) apparaitrait alors comme un à peu-près logique. Dans la mesure où le combat du roi Louis et de Gormont est mentionné dans le Roman de Horn58, le remaniement, écrit en dialecte angevin mêlé de traits anglo-normands, aurait eu lieu entre 1140 et 1170.C’est aussi dans cet intervalle que les barbares païens deviennent des « Sarrazins » dans la langue littéraire. L’inscription de Gormont et de ses troupes dans une référence « sarrazine » pose problème. Ce n’est qu’après le milieu du XIIe siècle que l’équivalence « Sarrazin », païen s’impose. Si l’hypothèse d’un poème créé entre 1060 et 1088 est retenue, il aurait été composé plus de vingt ans avant la première croisade, alors que la Chanson de Roland n’est pas encore écrite (chez Guy, Taillefer n’entonne pas la Chanson de Roland). La transformation des païens vikings en « Sarrazins » s’explique mal, à moins d’envisager, au milieu du XIIe siècle, un 54 E. Faral, « Gormond et Isembard », Romania, 51, 1925, p. 481-510, p. 498-500.55 Andrea Ghidoni arrive à la même conclusion, op. cit. p.18. 56 GI , p. VI.57 Gormund …, op.cit.., n 32, p.18. 58 The Romance of Horn par Thomas, éd. par Mildred K. Pope, Oxford, Anglo-Norman Text Society, 1964, p.6-8.

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remaniement anglo-normand postérieur aux références au poème faites par Guillaume de Malmesbury et Geoffroy Gaimar, mais aussi à Geoffroi de Monmouth qui, suivi par Wace, parle d’Africains. Ce remaniement pourrait ainsi expliquer la présence, aux côtés des « Ireis» sortis tout droit de Geoffroi de Monmouth, d’Arabes, de Turcs et de Persans59, issus de la première croisade. En Angleterre, dans le dernier tiers du XIIe siècle, le Roman de Horn, qui fait d’ailleurs référence à la légende de Gormont et Isembart, introduit également des « Sarrazins » aux caractéristiques pourtant très nordiques et Layamon donne de Gormont une image très musulmane60. En France, la Chanson d’Aiquin qui met en scène des « Sarrazins norrois » est réécrite, selon les hypothèses de Nicolas Lenoir, entre 1170 et 121061.

Une assimilation aux Sarrasins et autres peuples d’Orient, voire des terres païennes de l’est (Leutices) dès les origines du poême, si elle n’est pas totalement à écarter62, apparaît en contradiction avec le fait qu’ Hariulf, Guillaume de Malmesbury et Geoffroy Gaimar connaissent une version qui les conduit à qualifier les envahisseurs de « barbares » pour les deux premiers et de Danois pour le troisième. Lorsque Geoffroy de Monmouth, repris par Wace, évoque les Païens qui composent les troupes de Gormond, il parle d’ « Africains » et non de « Sarrazins ». C’est seulement dans Le Roman de Rou que Wace utilise l’expression « Sarrazins » pour qualifier les Vikings63.

Dans ces conditions, une réécriture par un anglo-normand, peut-être d’origine angevine, pourrait être l’hypothèse la plus envisageable. Ce remaniement serait intervenu après les écrits de Guillaume de Malmesbury, Gaimar et Geoffroi de Monmouth. Cependant compte tenu du fait que le terme « Sarrazin », pris par extension au sens général de païen et appliqué aux Vikings, n’est utilisé par Wace que dans le Roman de Rou et non dans le Brut, le remaniement anglo-normand, aboutissant à la version du fragment, n’aurait pas eu lieu avant les années 1160. C’est entre 1170 et 1180 qu’est daté le Roland d’Oxford64, résultat d’un remaniement anglo-normand. La Chanson de Guillaume, considérée, avec la Chanson de Roland et Gormont et Isembart, comme une des trois plus anciennes chansons de geste connues, aurait pu subir le même sort 65.

59 Id., v. 433. 60 Layamons Brut or Chronicle of Britain, A litteral translation, notes and a grammatical glossary by Sir Frederic Madden, London, Society of the Antiquaries of London, 1847, p. 156-179. 61 N. Lenoir, Etude sur la Chanson d’Aiquin ou la conquête de la Bretagne par le roi Charlemagne, Paris, Honoré Champion, 2009, p. 112.62 En 1064, les chrétiens espagnols soutenus par des contingents venus de France et d’Italie ont repris momentanément la ville de Barbastro aux Sarrasins. Cette préfiguration de croisade a été soutenue par le pape Alexandre II dont Guy d’Amiens, dans les années qui suivent, recherche l’appui. Guillaume de Montreuil, issu de la famille normande des Giroie, commandait l’expédition (cf. Aimé de Mont-Cassin).63 Wace, The Roman de Rou, trad. par G. S. Burgess, avec texte de A. J. Holden et notes de G.S. Burgess et E. van Houts, Jersey, Société Jersiaise, 2002. , App., p. 348-349. 64 La chanson de Roland, présentation et traduction par Jean Dufournet, Flammarion, Paris, 2004, p. 24.65 P.E. Bennet, « La chanson de Guillaume, poème anglo-normand ? », dans Au carrefour …, op.cit. n 69, p. 259-281. P.E. Bennet arrive à la conclusion que le texte anglo-normand serait à l’origine « une œuvre continentale composée sans doute bien avant 1125 » puis remaniée « bien plus tard, peut-être après 1175 » par un Anglo-normand, p. 277.

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C’est, peut-être aussi, à l’occasion de ce remaniement que le surnom de Margari entre dans le poème. Il peut être rapproché de Margari de Sibilie (Séville), prince sarrasin du Roland d’Oxford qui est contemporain. Il en est de même pour de nombreux éléments repris dans les versions postérieures au fragment. Par contre, la rencontre en Angleterre de Gormont et d’Isembart indispensable au récit de la chanson, a pu être située à Cirencestre dès les origines du poème.

Geoffroy Gaimar et Geoffroi de Monmouth ont repris à une source, correspondant aux éléments du fragment, la rencontre de Gormont et Isembart à Cirencestre. Il y a lieu de supposer que cette source pouvait être le poème à l’origine du fragment. La Chronique anglo-saxonne et, surtout, la Vie d’Alfred, rédigée en latin par Asser, ont été la source qui a rendu possible l’introduction de Gormont à Cirencestre. Après le baptême de Guthrum, celui-ci n’est plus mentionné dans la Chronique anglo-saxonne, à l’exception de sa mort en 890, information non reprise par Asser. Il faut souligner que les mêmes sources (Vie du roi Alfred, Chronique anglo-saxonne) ne signalent pas la présence de Guthrum à Cirencestre, pas plus que celle d’un autre chef danois, mais seulement de la Grande Armée. Ce n’est que beaucoup plus tard que Henri de Huntingdon mentionne la présence de Guthrum à la tête de l’Armée qui quitte Cirencestre pour s’installer en Est-Anglie66. Il n’y a donc pas de contradiction, pour un lecteur d’Asser, à faire de Gormont le chef de l’armée païenne.

La première mention de la présence de Gormont à Cirencestre, avant l’expédition sur le continent, serait faite dans le poème à l’origine du fragment. Elle peut être une fiction totale. Gaimar reprendrait l’information comme pour le débarquement à Cayeux ou les causes de la mort du roi Louis67. Dans la mesure où ces deux derniers éléments appartiendraient à la version d’origine, ceci renforcerait l’hypothèse d’une mention de Cirencestre dès cette même version. Geoffroi de Monmouth68 place également la rencontre d’Isembart avec Gormont à Cirencestre, mais deux siècles plus tôt que Gaimar, ce qui peut supposer une même source antérieure non datée : les événements non situés dans le temps dans cette même source conduiraient à leur emprunt en les plaçant à des époques différentes. La présence de l’armée viking, à Cirencestre, est suivie par l’information, reprise par Asser, de combats contre les Francs suivis de « rapts de chevaux ». En ce qui concerne le rapt des chevaux, Asser, reprenant la Chronique anglo-saxonne, indique, à la date de 881, qu’après les affrontements avec les Francs, la Grande Armée fut pourvue en chevaux 69. Dans la mesure où le rapt des chevaux des cavaliers, vaincus par Gormont, apparait essentiel dans la

66 Henri de Huntingdon, Historia Anglorum, édit. et trad. par Diana Greenway, Oxford, Clarendon Press, 1996, v.9, p.290-291.67 Geoffroi Gaimar, Estoire des Engleis, édit. et trad. par Ian Short, Oxford, Oxford University Press, 2009, v. 3232-3292, p. 176-181. 68 Geoffroi de Monmouth, Histoire des Rois de Bretagne, trad. et comm. par Laurence Mathey-Maille, Paris, Les Belles Lettres, 1993, p. 261.

69The Anglo-Saxon Chronicles, trad. et éd. par Michael Swanton, Londres, Phoenix Press, 2000, p. 76-77.

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construction du texte du fragment, il apparait le plus probable que rencontre à Cirencestre et rapt des chevaux figuraient dès l’origine du poème. Ceci suppose que l’auteur du poème, à l’origine du fragment, devait connaitre la Vie d’Alfred.

III – Guy d’Amiens, auteur du poème à l’origine du fragment ?

1 – Des arguments en faveur de cette hypothèse

L’ensemble des informations, tirées des sources apparaissant dans le fragment de Bruxelles, permettent de dresser une sorte de portrait-robot de l’auteur du poème, à l’origine du fragment, qui pourrait être la chanson mentionnée par Hariulf.

- Un poème composé entre 1067 et 1088- Un très bon connaisseur du Carmen - Un familier des traditions et de la topographie du comté du Ponthieu- Un auteur de grande culture féru de littérature épique- Des liens forts avec l’abbaye de Saint-Riquier et sa riche bibliothèque- Une culture aristocratique associant art du combat, gout des chevaux et sens du

lignage- Un proche de la cour du roi de France- Un connaisseur du monde anglo-saxon- Une sympathie pour Gautier de Vexin- Un ressentiment à l’égard d’Eudes III de Champagne

Ces éléments s’accordent bien avec le personnage de Guy d’Amiens. Frère et oncle des comtes du Ponthieu, avoués de Saint-Riquier, après de brillantes études à l’abbaye de Saint-Riquier, Guy, avant de succéder à l’oncle de Gautier de Vexin à la tête de l’évêché d’Amiens, a été archidiacre du Ponthieu. Auteur présumé du Carmen, il y manifeste une culture classique, mais aussi un goût prononcé pour le style épique. Soucieux des intérêts de la maison du Ponthieu et de ses alliés, une antipathie à l’égard d’Eudes III de Champagne et une sympathie à l’égard de Gautier de Vexin n’étonneraient pas. Sa tradition familiale, sa fréquentation de la cour capétienne en font un proche du roi Philippe Ier, mais Guy d’Amiens a été aussi en contact avec la cour royale anglo-saxonne.

Selon Elisabeth van Houts et Frank Barlow, Guy d’Amiens écrit le Carmen entre 1067 et 1069. Il meurt en 1074 ou 1075. Le poème d’où est issu le fragment, a été composé après le Carmen et quelques années avant la rédaction de la Chronique de Centule par Hariulf. Sur le plan chronologique, il est donc possible que Guy ait été l’auteur du poème. Il faut remarquer

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aussi que Ferdinand Lot70 repris par Urban T. Holmes71 fait remonter la rédaction d’origine du fragment autour de 1068.

L’auteur est manifestement attaché à saint Riquier et à l’abbaye, mentionnés trois fois dans le fragment72, or Guy a été élevé ainsi que son frère dans cette abbaye. Si on suppose une naissance de Guy autour de 101473, son entrée dans le monastère a pu se situer entre 1020 et 1025. Présent dans l’abbaye cent cinquante ans après le sac des Vikings, Guy ne devrait pas ignorer les traditions liées à cet événement. Cependant si le souvenir de Worm, évoqué par les chroniques franques contemporaines de l’arrivée de la grande armée danoise sur le continent, peut expliquer Gormont, le personnage d’Isembart peut être totalement un personnage de fiction, peut-être inspiré par un personnage comme Turmod74 ou Aethelwold75, voire Tostig76, auquel Guy aurait donné le surnom de son père : Enguerrand Isembart Ier, comte du Ponthieu, avoué de Saint-Riquier.

Guy a été l’élève d’Angelran, abbé de Saint-Riquier, formé par Fulbert à l’école de Chartres, auteur entre autres d’une hagiographie de saint Riquier et célèbre pour ses chants religieux. Hariulf signale que : « Et quia tantus scientae fulgor non facile poterat abscondi, multi nobiles ejus se subsidere magistratui. E quibus fuerunt duo honorifici uiri, Guydo praesul Ambianensis et Drogo episcopus Taruennensis. Hi ejus se discipulos, hi, quoad vixerunt semper, gratulati sunt si ejus prudentia illustratos »77[Et parce que l’éclat du savoir d’Angelran ne pouvait être tenu facilement caché, beaucoup de nobles voulurent suivre son enseignement. Parmi ses élèves, deux furent particulièrement illustres, Guy, évêque d’Amiens et Dreux, évêque de Thérouanne. Toute leur vie ils se glorifièrent d’avoir bénéficié de son enseignement.]. Guy a donc reçu une bonne formation dans le domaine poétique.

70 F. Lot, Etude sur les légendes épiques françaises, Paris, Champion, 1970, p. 238. 71 U.T. Holmes, A History of Old French Literature from the Origins to 1300, New York, F.S. Crofts, 1938, p. 90-92. 72 GI, v. 330, 351, 378.73 CHP, p. xlv 74 Turmod selon Flodoard, dans ses Chroniques, était un Normand qui était revenu à l’idolâtrie. Après la mort de Guillaume Longue Èpée, il s’allia avec Sétric un roi viking païen contre Louis IV lors de l’intervention de ce dernier en Normandie. Louis IV tua Turmod au cours d’un combat. Richer reprit le thème en le développant. Lauer: « Louis IV d’Outre-mer et le fragment de Gormont et Isembart » paru dans Romania, 26, p. 161-174, souligna des points communs au texte de Richer et au fragment de Bruxelles dans la description des combats entre Francs et païens. Guy d’Amiens était en mesure de connaitre les écrits des clercs de Reims. Il se serait inspiré en particulier de Richer pour lui emprunter certains détails des affrontements qui peuvent être retrouvés dans sa description de la bataille d’Hastings et/ou dans le fragment.75 Aethelwold était le fils du frère d’Edouard, roi du Wessex. Il se révolta contre son oncle en ralliant la Grande Armée viking de Northumbrie dont il devint roi en 901, avant d’être battu et tué en 903. Cf, The Anglo-Saxon … , op. cit. n. 5, p. 93-95.76 Tostig, frère d’Harold, en rébellion contre son frère devenu roi d’Angleterre, s’allia au roi de Norvège Harald Hardrada pour débarquer avec une armée en Angleterre. Ils furent vaincus et tués à la bataille de Stamford Bridge quelques jours avant la victoire de Guillaume à Hastings. 77 Hariulf, op. cit.,n 3., p. 202.

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Il est vrai qu’il s’agit de poésie religieuse, mais Guy d’Amiens a montré dans le Carmen qu’il savait aborder le genre épique. L’auteur du fragment se distingue par une bonne connaissance des armes et de la manière de combattre. On peut même dire qu’il se complaît dans les détails sanglants selon la tradition de la chanson de geste. Ce trait se retrouve dans le Carmen. Au contraire, Guillaume de Poitiers reste mesuré dans son expression et, lorsqu’il s’inspire de la lecture du Carmen, reste en deçà de sa source.

En même temps, le créateur du poème présente le monde des combattants comme un monde fermé, aristocratique. Ainsi, Gormont refuse de se battre avec Gontier qui a été l’écuyer d’Hugon :

Li reis Gormonz li respundiet,

cum orguillos e cume fiers :

« Fui de sur mei, garz palteniers !

Jeo sui de lign a chevaliers,

De mult riches e de preisiés ;

n’i tocherai ui escuier. » (v. 354-359)

[Le roi Gormont lui répondit, avec orgueil et cruauté : « Ecarte-toi de moi, jeune insolent, je suis un chevalier de lignage puissant et respecté ; je ne combattrai pas un écuyer »].

L’importance accordée à la description des chevaux et à la distinction des différentes races et robes des chevaux contribue aussi à laisser penser à un auteur lié à l’aristocratie.

Par ailleurs, l’auteur a une bonne connaissance de la chevalerie française du nord du royaume, même si le choix de ses personnages ne possède aucune cohérence chronologique. Or, Guy a été très présent à la cour du roi Philippe I er comme le relève Elisabeth van Houts78.

Une question est posée par les références à des éléments du monde anglo-saxon

- Chevaux français récupérés lors de la bataille par les envahisseurs païens- Rencontre de Gormont et Isembart à Cirencestre- Utilisation du bouclier rond (tuënard)

Ces éléments peuvent correspondre à un remaniement ou à des interpolations d’origine anglo-normande, mais certains, sinon tous, pouvaient être connus de Guy, soit par une lecture d’Asser, dont la Vita Aelfredi Regis était écrite en latin, soit à l’occasion de contacts personnels. Guy a été cosignataire de charte avec Harold Godwinson et a peut-être accompagné Mathilde pour son couronnement en Angleterre79. Par ailleurs, Saint-Riquier

78 E.M.C. van Houts, « Latin poetry … », op.cit., n 28, p. 54. 79 Cf. CHP, p. xlii-liii.

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avait des possessions en Angleterre et possédait une bibliothèque dont la richesse était célèbre. Guy aurait pu y prendre connaissance de la Vie d’Alfred.

2 – Des objections non déterminantes

Des objections peuvent être faites à l’hypothèse d’une écriture par Guy d’Amiens du poème à l’origine du fragment :

- La description d’un combat sanglant ne cadre pas avec les préoccupations littéraires d’un évêque.

- Il apparaît difficile qu’un évêque puisse envisager qu’un chevalier chrétien soit apostat.

- Le poème en octosyllabes est en langage vernaculaire et non en latin.

La rédaction par un évêque d’un chant exaltant une bataille peut étonner, mais, dès lors que Guy a écrit le Carmen, il peut être aussi à l’origine du fragment. Il faut en effet remarquer que les détails sanglants, pour décrire les combats à Hastings, sont plus développés chez Guy d’Amiens que chez Guillaume de Poitiers et que la description de la mise à mort d’Harold est sur le plan de la cruauté au même niveau que les combats entre Gormont et le roi carolingien ou ses barons. Guy s’inscrirait simplement dans la tradition de la chanson de geste. Remarquons aussi que, si l’essentiel du fragment raconte un combat, il est aussi l’histoire d’une victoire sur des païens et sur leur chef, vu comme l’antéchrist80, et d’une rédemption obtenue par l’intercession de la vierge Marie.

Qu’un évêque fasse d’un chevalier chrétien reniant sa religion un héros d’un poème semble difficile à admettre. Selon Diane Speed, le cas ne se rencontre pas dans les chansons de geste81. Qu’un évêque envisage l’apostasie d’un chevalier chrétien apparaîtrait donc comme une incongruité. En fait, Hariulf parle d’un traître, « proditor », mais non d’un apostat. De même, dans la Chanson de Roland, Ganelon est un traître, mais pas un apostat. Il est vrai que dans le morceau disponible du poème rien ne confirme un reniement de sa religion par Isembart. En effet le surnom de « Margari » ou l’attribution du qualificatif de « reneié »82 n’impliquent pas obligatoirement que Isembart a apostasié sa religion, mais simplement qu’il a trahi son seigneur83. Dans le fragment les accusations portées par les combattants « sarrazins » contre Isembart, après la mort de Gormont, peuvent laisser supposer qu’il a conservé sa religion initiale. La mention de Guillaume de Malmesbury peut n’être qu’une interprétation, de même que chez Geoffroi de Monmouth et les auteurs des Brut qui font du reniement d’Isembart un fait capital. Il n’en reste pas moins qu’ Hariulf a pu lui-même exprimer une certaine retenue en faisant d’Isembart un traître, mais non un apostat. De la 80 GI, v. 209, p. 9. 81 D. Speed, « The Saracens of King Horn », Speculum, vol. 65, 3, Juillet 1990, p. 564-595, p. 582-590. 82 GI, v. 302, p. 13.83 F. Pirot souligne le fait que « Margari » ne se voit donner le sens d’apostat que dans le fragment. Mouskes ne reprend pas ce sens. Margari peut être utilisé par ailleurs soit en nom propre, soit avec le sens d’amiral. F. Pirot, « Du bon usage actuel des travaux anciens consacrés à l’épopée française », le Moyen Age, 2004 – 1, p. 9-53, p.43-45.

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même façon, Hariulf ne relève pas de parenté entre le roi Louis et Isembart. Cet élément n’apparaît pas dans le fragment pas plus que chez Guillaume de Malmesbury, alors que Geoffroi de Monmouth, suivi par les auteurs postérieurs, en fait un neveu de Louis84.

Le poème est en langage vernaculaire alors que le Carmen est en latin. Le latin est la langue littéraire utilisée par le clergé, mais dès lors que le poème s’adresse à un public élargi qui ne parle pas latin, pour glorifier saint Riquier ou pour offrir un divertissement de cour, l’usage de la langue vernaculaire apparaît adaptée et s’inscrirait dans le même mouvement que les chansons religieuses telles que La légende de Saint Alexis85. Alors que la chanson de geste est traditionnellement, telle la Chanson de Roland, en décasyllabes, le fragment est en octosyllabe, mais l’octosyllabe est aussi utilisé par Gaimar et Wace lorsqu’ils écrivent leurs poèmes en langage vernaculaire86. On remarquera aussi qu’il n’y a pas de contradiction entre la qualité des vers des deux œuvres : dans les deux cas, certains spécialistes s’accordent à les trouver médiocres, même si la technique en est bien maîtrisée. Paul Zumthor qualifie le Carmen de : « poème épique en vers élégiaques d’une érudition appliquée et scolaire »87 tandis que, pour lui, Gormond et Isembart est « littérairement assez médiocre »88.

3 – A l’origine, une chanson épique pour la cour du roi de France ?

Si Guy a écrit le poème, il a certainement plutôt cherché à faire une œuvre, sinon populaire, du moins destinée à un public élargi. Gormont et Isembart est une chanson de geste et non une chronique.

Si on adopte l’hypothèse que l’auteur du Carmen et du poème à l’origine du fragment de Bruxelles est Guy d’Amiens, les raisons de la rédaction du Carmen donnent encore lieu à des interrogations, mais la question se pose aussi pour le poème de Gormont et Isembart. Si le souci d’accroître l’attractivité du pèlerinage à Saint-Riquier ou de s’inscrire dans les préoccupations espagnoles d’Alexandre II peut être une motivation, le plus probable, compte tenu de la personnalité de l’auteur et de son rang, serait la réalisation d’une œuvre de cour destinée à rendre hommage à la monarchie française, tout en restant dans la tradition religieuse en développant les thèmes de la tentation satanique et de la rédemption. Elle pourrait s’accompagner d’une volonté de contrebalancer un texte antérieur à la gloire du duc de Normandie, roi d’Angleterre. Dans le fragment, le comte de Normandie est bien le vassal du roi de France.

84 Geoffroi de Monmouth, Histoire…, op. cit., n 4 , p. 261. 85 Une autre hypothèse pourrait être que le poème à l’origine du texte du fragment ait été rédigé en latin et ait fait par la suite l’objet d’un remaniement en langue vernaculaire, à l’instar de l’œuvre de Geoffroi de Monmouth. Une telle hypothèse n’apparaît pas chez les auteurs ayant étudié le fragment. 86 Dafydd Evans, « La versification anglo-normande», dans Au carrefour des routes d’Europe : la chanson de geste, Xe Congrès international de la société Rencesvals pour l’étude des épopées romanes, Strasbourg, 1985, Senefiance no 20, t.1, 1987, p. 473-488. Dafydd Evans écrit : « la versification anglo-normande, loin d’être une sorte d’aberration insulaire, pourrait être envisagée comme l’héritière d’un vers primitif français qui ressemblait fortement au vers pangermanique. C’est ce vers primitif qu’employaient, à ce qu’il me semble, les auteurs des chansons de geste apportées en Angleterre après la Conquête.», p. 483. 87 P. Zumthor, Histoire littéraire de la France Médiévale VIe-XIVe siècles, Paris, PUF, 1954, p. 158. 88 Id., p. 163.

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Le poème pourrait avoir été chanté pour la première fois lors d’une des nombreuses présences de Guy à la cour de Philippe, peu après la diffusion du Carmen. Dans la mesure où le poème est en langue vernaculaire, il était destiné à un public élargi dont une partie ne maîtrisait pas le latin, ce qui correspondrait au public réuni à l’occasion d’une assemblée de « grands » rassemblant autour du roi, évêques, grands aristocrates et maison du roi. Ces assemblées avaient lieu de façon régulière, mais l’hypothèse peut être avancée que le poème a été écrit pour une occasion sortant de l’ordinaire, or, le 25 Décembre 1071, Philippe Ier, qui avait déjà été couronné enfant, du vivant de son père, est à nouveau couronné à Laon en présence des évêques, dont Guy d’Amiens89. De telles festivités dans l’ancienne capitale des rois de France pourraient avoir été l’occasion pour l’auteur du Carmen d’écrire un « divertissement », pour reprendre les termes de Géraud, auteur ou transmetteur de Gautier d’Aquitaine, dans son prologue à l’évêque Archambaud90.

L’hypothèse selon laquelle Guy d’Amiens est le créateur d’un premier texte à l’origine du fragment de Bruxelles, remanié par un auteur anglo-normand au milieu du douzième siècle peut donc être avancée, compte tenu des éléments introduits précédemment et dans la mesure où il n’apparaît pas d’éléments la contredisant. Cependant il est peu probable qu’elle puisse un jour être prouvée sauf si on découvrait un texte plus complet que le fragment et qui comporterait des informations sur son auteur.

Si l’hypothèse Guy d’Amiens devait être écartée, il n’en resterait pas moins que se dessinerait le portrait d’un auteur écrivant en français du sud-ouest du Bassin Parisien, qui serait un clerc proche de l’abbaye de Saint-Riquier, lié à l’aristocratie guerrière, familier de l’œuvre de Guy d’Amiens et informé des réalités de l’Angleterre anglo-saxonne.

Composé avant la fin du XIe siècle si on considère qu’il s’agit du chant cité par Hariulf, le poème serait antérieur au Roland d’Oxford sur lequel il pourrait avoir eu une influence comme sur d’autres chansons de geste plus tardives telles que la Chanson de Guillaume ou Garin le Lorrain. Alors que les recherches les plus récentes91 sur la Chanson de Roland, en rupture avec la théorie d’une création collective par des ménestrels, développent l’hypothèse d’une première rédaction en français par des clercs appartenant à l’aristocratie religieuse normande, l’hypothèse d’une création du poème, partiellement préservé dans le fragment de Bruxelles, dans le cadre de l’élite religieuse du Bassin Parisien pourrait aller dans le même sens.

89 Dans un acte daté de la fin de 1071, Philippe Ier déclare avoir fait confirmer, à la prière d’Elinand évêque de Laon, une donation, effectuée par ses prédécesseurs à l’église de Laon, de biens du fisc royal et de revenus d’un marché local par les évêques réunis à Laon le jour de Noël pour son couronnement. Parmi les souscripteurs figure Guy évêque d’Amiens. Recueil des Actes de Philippe Ier, roi de France (1059-1108), publié sous la direction de M. D’Arbois de Jubainville par M. Prou, Paris, Imprimerie Nationale, 1908, p. 160-163. 90B. Gicquel, op. cit., n 30 , p. 273.91 C’est le cas de de Bernard Gicquel (cf. supra p.34) et de Jean Dufournet qui dans son introduction à sa traduction de La Chanson de Roland, Paris, Flammarion, 1994, p.17, reprend l’attribution à Turoldus de Fécamp, chanoine de Bayeux, abbé de Malmesbury puis de Peterborough.

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