folie et psychiatrie dans la martinique d'antan. questions pour le temps présent

7
Communication Folie et psychiatrie dans la Martinique d’antan. Des questions pour le temps pre ´ sent Madness and psychiatry in the Martinique of yesterday. Questions for today Aime ´ Charles-Nicolas CHU de la Martinique, BP 632, 97261 Fort-de-France cedex, France 1. Introduction L’histoire de la folie, de la psychiatrie et de la psychopathologie a ` La Martinique se re ´ ve ` le diffe ´ rente de celle que l’on connaı ˆt en Europe, car elle e ´ pouse, bien su ˆr, la culture et l’histoire spe ´ cifique des populations. L’histoire d’aujourd’hui commence avec la de ´ cimation des peuples ame ´ rindiens au de ´ but du XVII e sie ` cle et le commerce triangulaire a ` partir de 1670 a ` destination de la Martinique. L’esclavage en effet est de plus en plus pre ´ sent dans les travaux psychiatriques et psychosociologiques relatifs a ` la situation des pays de la Caraı ¨be aujourd’hui [22]. Car l’esclavage est une succession continue de psychotrauma- tismes qui commence par les razzias arabes et africaines, se poursuit par une longue marche jusqu’au port, le cou et les mains entrave ´s, et souvent les chevilles. Puis commence l’installation « en sardines » dans le bateau [16,33]. Les conditions de la traverse ´e de l’Atlantique pendant des semaines et des semaines, au fond de la cale ou ` chacun d’eux « tenait moins de place qu’un cadavre dans un cercueil », ont e ´te ´ de ´ nonce ´es par Aime ´ Ce ´ saire avec une force tragique et terrible : « J’entends de la cale monter les male ´ dictions enchaı ˆne ´ es, les hoquettements des mourants, le bruit d’un qu’on jette a ` la mer. . . » [13] (Fig. 1). C’est cette horreur qu’on a appele ´e « multidimensionnelle » de la Traite qui distingue radicalement l’esclavage en Ame ´ rique de la pratique ancienne de l’esclavage dans la Rome antique, en Afrique et ailleurs dans le monde. Est incluse dans cette « horreur » la vie Annales Me ´ dico-Psychologiques 173 (2015) 313–319 I N F O A R T I C L E Historique de l’article : Disponible sur Internet le 23 avril 2015 Mots cle ´s : Caraı¨be Esclavage Martinique Psychiatrie Psychotrauma Structure psychiatrique innovante Traitements rituels Transmission transge ´ne ´ rationnelle Keywords: Caribbean Intergenerational transmission Innovative psychiatric care Martinique Psychiatry Ritual treatments Slavery Trauma R E ´ S U M E ´ Cet article relate l’histoire singulie ` re de la psychiatrie dans l’ı ˆle de la Martinique, de l’e ´ poque de l’esclavage a ` aujourd’hui. Dans la liste des e ´ ve ´ nements traumatoge ` nes signale ´s par le DSM-IV et le DSM- 5, l’esclavage ne figure pas. L’article ne ´ anmoins aborde la question jamais e ´ tudie ´e sur le plan psychiatrique du psychotraumatisme de l’esclavage et de sa transmission transge ´ ne ´ rationnelle aux populations d’aujourd’hui ; il met en paralle ` le les destins de l’insense ´ et de l’esclave, il de ´ crit la clinique et les the ´ rapeutiques du XVII e au XIX e sie ` cle, en particulier l’innovation remarquable qu’a e ´ te ´ la Maison de Sante ´ de Saint-Pierre qui sera ensevelie sous les nue ´ es ardentes de la montagne Pele ´e le 8 mai 1902 avec les espoirs de l’offre de soins psychiatriques. ß 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits re ´ serve ´s. A B S T R A C T This article presents the unique history of psychiatry in the island of Martinique in the time of slavery to today. In the list of traumatogenic events reported by the DSM-IV and DSM-5 slavery is not. Nevertheless, the article discusses ever studied psychiatrically the trauma of slavery and its transgenerational transmission to people today; it compares the fate of the fool and the slave, it describes the symptoms and treatment from the seventeenth to the nineteenth century and it tells the remarkable psychiatric innovation that was the Health House of St. Peter to be buried May 8, 1902 under the burning ashes with the hopes of the supply of psychiatric care. ß 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Adresse e-mail : [email protected] Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2015.03.009 0003-4487/ß 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits re ´ serve ´s.

Upload: univ-antilles

Post on 25-Apr-2023

0 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Annales Medico-Psychologiques 173 (2015) 313–319

Communication

Folie et psychiatrie dans la Martinique d’antan. Des questions pour letemps present

Madness and psychiatry in the Martinique of yesterday. Questions for today

Aime Charles-Nicolas

CHU de la Martinique, BP 632, 97261 Fort-de-France cedex, France

I N F O A R T I C L E

Historique de l’article :

Disponible sur Internet le 23 avril 2015

Mots cles :

Caraıbe

Esclavage

Martinique

Psychiatrie

Psychotrauma

Structure psychiatrique innovante

Traitements rituels

Transmission transgenerationnelle

Keywords:

Caribbean

Intergenerational transmission

Innovative psychiatric care

Martinique

Psychiatry

Ritual treatments

Slavery

Trauma

R E S U M E

Cet article relate l’histoire singuliere de la psychiatrie dans l’ıle de la Martinique, de l’epoque de

l’esclavage a aujourd’hui. Dans la liste des evenements traumatogenes signales par le DSM-IV et le DSM-

5, l’esclavage ne figure pas. L’article neanmoins aborde la question jamais etudiee sur le plan

psychiatrique du psychotraumatisme de l’esclavage et de sa transmission transgenerationnelle aux

populations d’aujourd’hui ; il met en parallele les destins de l’insense et de l’esclave, il decrit la clinique et

les therapeutiques du XVIIe au XIX

e siecle, en particulier l’innovation remarquable qu’a ete la Maison de

Sante de Saint-Pierre qui sera ensevelie sous les nuees ardentes de la montagne Pelee le 8 mai 1902 avec

les espoirs de l’offre de soins psychiatriques.

� 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.

A B S T R A C T

This article presents the unique history of psychiatry in the island of Martinique in the time of slavery to

today. In the list of traumatogenic events reported by the DSM-IV and DSM-5 slavery is not. Nevertheless,

the article discusses ever studied psychiatrically the trauma of slavery and its transgenerational

transmission to people today; it compares the fate of the fool and the slave, it describes the symptoms

and treatment from the seventeenth to the nineteenth century and it tells the remarkable psychiatric

innovation that was the Health House of St. Peter to be buried May 8, 1902 under the burning ashes with

the hopes of the supply of psychiatric care.

� 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Disponible en ligne sur

ScienceDirectwww.sciencedirect.com

1. Introduction

L’histoire de la folie, de la psychiatrie et de la psychopathologiea La Martinique se revele differente de celle que l’on connaıt enEurope, car elle epouse, bien sur, la culture et l’histoire specifiquedes populations.

L’histoire d’aujourd’hui commence avec la decimation despeuples amerindiens au debut du XVII

e siecle et le commercetriangulaire a partir de 1670 a destination de la Martinique.L’esclavage en effet est de plus en plus present dans les travauxpsychiatriques et psychosociologiques relatifs a la situation despays de la Caraıbe aujourd’hui [22].

Adresse e-mail : [email protected]

http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2015.03.009

0003-4487/� 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.

Car l’esclavage est une succession continue de psychotrauma-tismes qui commence par les razzias arabes et africaines, sepoursuit par une longue marche jusqu’au port, le cou et les mainsentraves, et souvent les chevilles. Puis commence l’installation « ensardines » dans le bateau [16,33]. Les conditions de la traversee del’Atlantique pendant des semaines et des semaines, au fond de lacale ou chacun d’eux « tenait moins de place qu’un cadavre dans uncercueil », ont ete denoncees par Aime Cesaire avec une forcetragique et terrible : « J’entends de la cale monter les maledictionsenchaınees, les hoquettements des mourants, le bruit d’un qu’onjette a la mer. . . » [13] (Fig. 1).

C’est cette horreur qu’on a appelee « multidimensionnelle » dela Traite qui distingue radicalement l’esclavage en Amerique de lapratique ancienne de l’esclavage dans la Rome antique, en Afriqueet ailleurs dans le monde. Est incluse dans cette « horreur » la vie

Fig. 1. Chargement en esclaves d’un navire.

Fig. 2. Scene de la vie quotidienne.

A. Charles-Nicolas / Annales Medico-Psychologiques 173 (2015) 313–319314

des esclaves dans le systeme des plantations, c’est-a-dire laseparation des familles, l’omnipresence du fouet (la rigoise), lemarquage au fer, les amputations de jarrets [32]. . . Quinze millionsd’hommes ont ete ainsi precipites hors de l’humanite en toutelegalite institutionnelle, officialisee et normalisee dans le Code Noir

[36]. On entend pourtant souvent : « L’esclavage a toujours existe, ily a meme un esclavage moderne. . . »

De nombreux auteurs (J. Adelaıde-Merlande, Aime Cesaire,Condorcet, Myriam Cottias, Mireille Delmas-Marty, Leo Elisabeth,Gilbert Pago, Louis Sala-Molins, Victor Schoelcher, Olivier Petre-Grenouilleau, etc.) et les attendus de la loi Taubira soulignent que« par son ampleur, sa duree sur deux a quatre siecles selon les pays etson atrocite, la traite negriere transatlantique se distingueradicalement de l’esclavage traditionnel ». Plusieurs mentionnentque sa force traumatique est decuplee par son institutionnalisationcodifiee [32] et Jean-Michel Deveau [19] la qualifie de « plus grandetragedie de l’histoire humaine par sa duree et son ampleur » (Fig. 2).

L’esclavage transatlantique est donc un psychotraumatismeviolent, avec son encodage cerebral, avec son « corps etranger internedont les effets se feront sentir apres la disparition du traumatisme ».

De fait, les esclaves sur une plantation sont d’origine differenteet ne parlent pas la meme langue afin qu’ils ne puissent pascomploter ; ils perdent leur identite, leur culture, leur histoirepuisqu’ils ne peuvent pas les partager1. Les menaces sur leur vie sont

permanentes.

1 « Nous sommes la trace qu’ont laissee les autres dans notre systeme nerveux,

dans les rapports que nous avons eus avec eux » (Henri Laborit, 1976, Eloge de la

fuite, Paris, Folio). L’autre me fait exister, a tel point que « C’est faux de dire : Je

pense. On devrait dire : on me pense » (Arthur Rimbaud). Voir, bien sur, Marx, Sartre

et la question de la relation d’objet de Freud a Winnicott, en passant par Maurice

Bouvet.

La psychopathologie de cette population qui est ravalee par leCode Noir au rang « d’objets meubles » peut-elle exister ? Desmeubles ne parlent pas et n’ont pas de sentiments.

Des travaux que nous mentionnerons plus loin etudientl’esclavage comme psychotraumatisme mais ils sont surtout denature sociologique ou psychosociologique et considerent l’escla-vage transatlantique comme un psychotraumatisme global. Or,d’une part la dimension individuelle ne doit pas etre oubliee – c’estelle qui est ici pertinente, il s’agit de souffrance – et d’autre part cetesclavage, loin d’etre un etat stable et calme auquel on s’habitue,est fait de multiples evenements traumatogenes. Il y a donc chezchaque individu une confrontation avec plusieurs agressions dontdes menaces vitales dans un contexte – « l’esclavage » – qui nesaurait resumer a lui seul le potentiel traumatogene. Larepresentation que l’on se fait generalement de l’esclavage estd’ordre ontologique et collectif. Or, au-dela des principesphilosophiques, le propos psychiatrique a pour objet la dimensionhumaine, singuliere et personnelle. Il ne s’agit pas, pour nous, d’unevenement historique, unique, survenu entre le XVI

e et le XIXe siecle,

il s’agit d’une succession d’evenements concrets « qu’un sujet avecus, ou dont il a ete temoin, durant lesquels des individus ont pumourir ou etre tres gravement blesses, ou bien ont ete menaces demort ou de grave blessure, ou bien durant lesquels son integritephysique ou celle d’autrui a pu etre menacee. », DSM-IV [3]. LeDSM-IV precise que les agressions interindividuelles presentent unrisque bien plus eleve de consequences psychiatriques graves queles catastrophes naturelles.

La psychotraumatologie liee ou non a l’esclavage n’est paslimitee a l’etat de stress post-traumatique. Elle est constituee d’unemultiplicite de symptomes d’intensite variee au retentissementfonctionnel souvent severe. Tous ces symptomes ont une traduc-tion cerebrale anatomique et neurobiologique en termes d’enco-dage mnesique et de reponse emotionnelle au stress. Il y a destableaux cliniques post-traumatiques depourvus de reviviscencescaracterisees et qui font pourtant souffrir. Certains de cessymptomes peuvent se reveler severes et durables.

2. La transmission du psychotraumatisme a travers le temps

« The past is never dead. It’s not even past. »William Faulkner. Requiem for a Nun, 1951.

D’une facon generale, le fait que le trauma soit survenu dans lecadre d’une experience collective justifie l’attribution de l’etio-logie traumatique a un cluster de symptomes evocateurs,independamment du temps ecoule. Ainsi on considere que

Fig. 3. Le Code de l’esclavage.

2 Bien des prejuges a propos de la paresse des Noirs [voir par exemple

Montesquieu qui pourtant combat l’esclavage : « Les negres sont si naturellement

paresseux que ceux qui sont libres ne font rien. » (De l’esclavage des Negres)], de leur

indolence, de leur stupidite et de leur credulite ont ete fabriques a partir de ces

constatations. Celles-ci ont, evidemment, ete recoupees, corroborees, attestees par

plusieurs observateurs des siecles passes dans la Caraıbe, les Ameriques du Nord et

du Sud, en Afrique, en Australie, partout ou le Noir s’est retrouve en position

inferieure, juge par des Blancs conquerants, maıtres et race superieure. Ce qui

explique, en partie, combien les prejuges ont la vie dure. On retrouve aujourd’hui

ces stereotypes sous la plume d’Alain Finkielkraut et de Pascal Bruckner.3 Liliane Chauleau : « Dans les recits, j’ai recueilli des elements de resilience en

rapport avec le caractere psychotraumatique de l’esclavage plutot que des

descriptions des symptomes. L’Histoire est ecrite par les vainqueurs. » Histoire

Antillaise - la Martinique et la Guadeloupe du XVIIe siecle a la fin du XIX

e siecle, Paris, Ed.

Desormeaux, 1973 et Voix des Esclaves, Foi et Societe aux Antilles XVIIe-XIX

e siecles, Paris,

l’Harmattan, 2012.4 Liliane Chauleau, communication orale.

A. Charles-Nicolas / Annales Medico-Psychologiques 173 (2015) 313–319 315

l’impact d’evenements traumatiques traverse le temps a traversles liens psychologiques, sociaux et genealogiques des familles,des groupes ethniques et des nations : qu’il s’agisse d’evenementscomme la guerre [2,4–7,23,30,34] ; la spoliation et l’exploitationd’indigenes [20,21,25,26,29], la maltraitance des enfants [12], laviolence domestique [37], et l’Holocauste [1,8,38], ils ont tous faitl’objet de travaux tendant a etablir la transmission intergene-rationnelle de l’impact [2,11].

Ces auteurs fournissent un rationnel pour les concepts deSyndrome post-traumatique de l’esclavage [9,26], de Seconde

generation de Survivants de l’holocauste [10,38], de ‘‘Cycle d’abus’’qui designe la repetition transgenerationnelle d’abus et du sentiment

d’avoir ete abuse [12]. Il en est de meme de l’heritage multi-

generationnel du trauma) [17].Les auteurs qui ont mis en evidence le Post-Traumatic Slave

Syndrome font remarquer que la forme « experience collective » vafavoriser la diffusion de l’impact psychotraumatique de generationen generation au-dela de ceux qui ont subi directement lestraumatismes, pour atteindre les generations actuelles d’Afro-Americains. Il convient d’ajouter que la fonction reciproque del’egalite Noir = esclave constitue un argument facilitateur de cettetransmission transgenerationnelle [14]. La couleur de peau a etependant des siecles un marqueur suffisant de la nature esclave duNoir ; et aussi une explication des traitements qu’il a subis. JoyDegruy Leary, Gagne et Danieli [17,21,25] rattachent explicitementa l’esclavage des symptomes tels que l’absence d’estime de soi, ladepression, le desespoir, les comportements autodestructeurs, lapropension a la colere et a la violence et aussi a un « racismeinternalise » [18] (Fig. 3).

Ainsi, au-dela des consequences a long terme, economiques etpolitiques, l’esclavage a produit des effets psychiques qui sontactuels. Ces effets ne sont pas directs, ils sont passes au fil du tempspar des mecanismes psychiques complexes, des modifications quelui imprime la necessite, a travers des vies et des generations, dereagir aux evenements du moment et aux souvenirs traumatiques,la volonte de survivre oblige le psychisme a elaborer ces souvenirsdonc a se modifier pour s’adapter, donc a se « deformer » au longdes decennies et des evenements.

Les relations a l’autre sont alors impregnees de ces modifica-tions, les relations avec ses enfants en particulier. Il se produit ainsiune transmission du traumatisme et de ses effets a la descendance.

Sur un plan neurobiologique egalement, les processus epigene-tiques vont favoriser la transmission a la descendance decaracteres acquis que sont l’hypermemorisation glutamatergiquehippocampique et amygdalienne ainsi que l’hypofonctionnementdes neurones modulateurs serotoninergiques et ses correlationscliniques d’anxiete, d’irritabilite, d’impulsivite.

3. Symptomes et « caracteristiques »

Il est meme possible [14,15] que des symptomes post-traumatiques (reviviscences, detresse, anxiete, asthenie, lethargie,depressions) soient devenus des « caracteristiques » de la naturememe du « Negre » de cette epoque et, pour partie, aient fait le lit du« portrait du Noir » d’aujourd’hui2.

Pourtant il y aurait beaucoup a dire sur la psychopathologie desesclaves, pensent certains historiens3, s’ils avaient ete considerescomme des etres humains apres la controverse de Valladolid. « S’ilsavaient ete consideres comme des etres humains a l’instar desIndiens, ils auraient une ame et les chroniqueurs auraient pueventuellement preter attention a leurs « etats d’ame »4. Nousavons entrapercu, neanmoins, une semiologie a travers des recitsde voyage [24,27] qui parlent par exemple du suicide« nostalgique » auquel se livraient les Africains arraches a leurpays (« peut-etre dans la pensee d’y retourner apres leur mort ? »),qui parlent egalement des « pleurs incessants » apres ces tres

A. Charles-Nicolas / Annales Medico-Psychologiques 173 (2015) 313–319316

frequentes separations des familles, desastreuses pour l’evolutionpsychologique des enfants et de leurs parents. Ce sont des esclavesqui sont charges de fouetter les esclaves desobeissants et demutiler les esclaves marron. Ils sont contraints de le faire avecconviction et sont ainsi confrontes a de terribles conflits de loyautedevastateurs tant pour le bourreau que pour sa victime ; on penseau film Twelve years a slave de Steve McQueen (2014), unanime-ment reconnu, qui tente, a partir de faits reels tires d’uneautobiographie, de raconter l’esclavage de l’interieur ; il representeun temoignage precieux de la dimension psychologique del’esclavage, ce que ressentent les esclaves n’ayant guere eteapprehende par les chroniqueurs et les voyageurs. Et comme « cequi n’est pas ecrit n’existe pas » – Marc Bourgeois nous le rappelledans ce meme numero – cette dimension est absente des archiveset des esprits. Le film montre d’ailleurs pourquoi il est dangereuxpour le systeme que quiconque ressente de la sympathie pour desesclaves qui souffrent et comment des mouvements d’empathiesont severement reprimes. « Qu’un Blanc puisse, meme seulementen conversation, se mettre a la place d’un Noir etait proprementimpensable » [27].

L’hypothese de la persistance de l’impact psychologique del’esclavage chez certaines populations d’aujourd’hui dans laCaraıbe (et aux Etats-Unis. . .) n’est pas sans consequencespolitiques et sociales en termes de validation de l’hypothesepar les gouvernements, de retentissement international, et entermes de reparation de l’esclavage5, meme si les motifspresidant a cette derniere revendication sont surtout d’ordreeconomique.

4. La psychopathologie au temps de l’esclavage

La folie est une maladie redhibitoire, comme la lepre etl’epilepsie prevues par le code du commerce des esclaves : « Si ellesse revelaient dans l’annee qui suivait l’achat, la vente etait annuleeet le vendeur oblige de reprendre le malade. »

La psychopathologie au temps de l’esclavage, ici commeailleurs, ne semble pas constituer un corpus structure mais resulteplutot de la fusion d’explications provenant des regions dont leshabitants sont originaires : de differentes cultures africaines et descroyances populaires regionales de l’epoque. Le raisonnement quiprevaut releve de la recherche etiologique.

Celle-ci a le choix entre cinq grandes causes :

� la possession : un esprit est entre dans le corps du sujet ;� la perte de l’ame : elle entraıne la perte de l’esprit ;� la colere divine : en Afrique, la folie est causee par des dieux en

colere, en milieu chretien elle traduit la punition d’unetransgression religieuse qu’il faudra retrouver ;� la sorcellerie/magie noire : le mal a ete provoque par un sort jete

ou par un « travail » de quimboiseur ;� la violation d’un interdit : les dieux infligent la folie comme

punition pour avoir viole un tabou, une regle (inceste, alimentsinterdits, vol).

Le contexte europeen est celui de l’« histoire de la folie a l’ageclassique », celui des traitements magico-religieux pour tenter deguerir les insenses. Les pelerinages vers des lieux sacres et lesdevotions a des saints guerisseurs conduisent des familles et desprocessions dans des chapelles dont certaines sont celebres.Jusqu’au debut du XIX

e siecle, persistent des pratiques proches de lamagie : appliquer « sur le chef » un pigeon vivant coupe en deux, oudu sang de truie ou un poumon de porc, ingerer de la fiente depaon. . .

5 Il existe un Mouvement International pour les Reparations (de l’esclavage) et un

MIR-France.

A la Martinique, les traitements sur l’habitation tentent decontrecarrer la cause : aux rituels de France on prefere parfois lesrituels proches du vaudou (le vaudou a ete combattu activement et,in fine, victorieusement par le clerge catholique a la Martinique).Les rituels d’exorcisme6 participent syncretiquement des culturesafricaines et francaises, prieres, et talismans egalement (la pierreverte des Amerindiens disparus, les amulettes). Pour le pere Labat[24], les traitements de la folie vont du bapteme a l’emprisonne-ment et aux coups de baton.

Sur quelques grandes plantations, on reservait une case pour lesmalades, en quelque sorte une infirmerie des plantations. Elle etaitplus grande que toutes les autres mais sans dispositionsparticulieres, seulement isolee tout en restant dans le voisinagede la « grand’case » qui pouvait la surveiller.

Les decennies s’ecoulent, scandees par les revoltes d’esclaves etleur repression. La prison demeure la solution administrative etnaturelle au comportement des fous. La Convention proclamel’abolition de l’esclavage le 4 fevrier 1794, sans effet a la Martinique(contrairement a la Guadeloupe) car, pour l’eviter, les colons blancsont prefere negocier la reddition de la Martinique aux Anglais quis’installent et deportent les Republicains. L’esclavage sera retabli le19 mai 1802 par Napoleon.

5. La Maison Coloniale de Sante de Saint-Pierre, une innovationcarbonisee

Entre 1802 et 1848, regression et repression s’abattent sur laMartinique et paradoxalement stimulent la reflexion et lacontestation. L’elite s’interroge, a la Martinique comme en Europe,a travers le mouvement d’idees heritier de la philosophie desLumieres qu’on appelle mouvement philanthropique du fait de sonsouci de la condition humaine. Ce mouvement milite contrel’esclavage aux colonies et, pour certains, aussi contre l’indignitedes conditions de vie des « insenses ».

C’est en 1839, un an seulement apres la loi de 1838 que s’ouvre aSaint-Pierre une institution d’avant-garde, etonnante pourl’epoque : la « Maison Coloniale de Sante ». S’il existe deja deshospices d’alienes a Paris ou a Bordeaux par exemple – il faudraattendre une dizaine d’annees apres la promulgation de la loi pourque commence le grand mouvement de construction des asilespsychiatriques.

« Beaute des lieux, qualite des soins », les descriptions descontemporains ne tarissaient pas d’eloges. La creation de la Maisonde Sante marque, en effet, la naissance d’une profonde transforma-tion de la representation du fou qui va s’operer au meme momenten France et dans la petite colonie de la Martinique, laquelleparticipe ainsi au mouvement d’idees d’avant-garde qui s’indignedes traitements infliges aux « insenses ».

La Maison de Sante de Saint-Pierre represente, dans la Caraıbe,la traduction institutionnelle de ce saut epistemologique de1838 qui faisait passer le fou du statut d’« insense » (depourvude sens) a celui d’« aliene » (etranger, autre).

C’etait reconnaıtre l’humanite du fou.

Il en fut de meme de l’esclave moins de dix ans apres.

Au-dela des cloisonnements entre les historiens et lespsychiatres, la similitude des images, peintures et gravures nousfrappe aujourd’hui, les unes representant « Pinel liberant lesalienes » (Fig. 4), les autres, « Schoelcher liberant les esclaves »(Fig. 5).

L’administration de l’ıle doit reconnaıtre au meme moment laliberation du fou et celle de l’esclave, sortis tous deux de leurinhumanite.

6 St Thomas d’Aquin : « Le diable peut arreter completement l’usage de la raison

en troublant l’imagination et l’appetit sensible, comme cela se voit chez les

possedes. »

Fig. 4. Pinel liberant les insenses.

A. Charles-Nicolas / Annales Medico-Psychologiques 173 (2015) 313–319 317

Peut-etre, dans l’etude des facteurs d’evolution des mentalitesaux Antilles, faut-il desormais prendre en compte le role de laMaison de Sante de Saint-Pierre dont la notoriete rayonne dans laCaraıbe et qui accepte tous les malades sans aucune distinction,des plus demunis aux plus aises et des esclaves aux notables. C’est,en tout cas, ce que dit avec conviction le Docteur Rufz de Lavison,alieniste, agrege de medecine martiniquais, ne a Saint-Pierre, qui apublie en 1856, en collaboration avec Luppe, un « Memoire sur lamaison des alienes de Saint-Pierre » [35] ou ils ont exerce.

5.1. De quels outils conceptuels disposaient les medecins de la Maison

de Sante ?

Dans son Traite medico-philosophique sur l’Alienation mentale ou

la Manie, Pinel [31] avait enseigne une classification quadripartitede l’alienation :

� manie sans delire et manie avec delire ;� melancolie ou delire exclusif sur un objet ;� demence ou abolition de la pensee ;� idiotisme ou obliteration des facultes intellectuelles ou affectives.

Nous sommes en 1801.En 1838, paraıt l’ouvrage d’Esquirol, disciple de Pinel, Des

maladies mentales considerees sous les rapports medical, hygienique

et medico-legal ou il oppose a la manie, qui est un delire global, lesmonomanies, delires partiels exprimant une passion exaltee etexpansive, et la lypemanie qui est un delire partiel avec tristesse etdepression.

Fig. 5. Schoelcher liberant les esclaves.

A La Martinique, Rufz [35] et les autres alienistes martiniquaisse sont inspires des travaux d’Esquirol. Selon Rufz, les formesd’alienation mentale a la Martinique sont les memes qu’en Francemetropolitaine. Tout au plus signale-t-il que la folie des Noirs estmoins souvent violente. La demence est une des formes les plusrepandues chez le Noir, selon Rufz : « Elle se manifeste par un grandcalme le jour et une tres grande agitation faite de cris a la tombeede la nuit. » Il souligne, en outre, la tres grande frequence a LaMartinique de la « folie alcoolique », par ailleurs responsable desquatre-cinquieme des folies chez le Noir. Quant a la folie querelleuse

qui se manifeste par des invectives et des injures lancees a lacantonade, associees a des periodes d’agitation, elle seraitparticuliere a la Martinique, surtout chez les femmes noires [34].

5.2. Ou en sont les traitements psychiatriques au moment ou s’ouvre

la Maison Coloniale de Sante de Saint-Pierre ?

5.2.1. Le contexte

Du point de vue individuel, le fou restera enferme (jusqu’a cequ’arrivent progressivement des traitements efficaces entre lesdeux guerres). Mais sa reclusion change de sens. Elle n’obeit plus aune logique sociale d’exclusion mais a une logique medicale detraitement.

Dans les colonies, les lois sanitaires n’etaient pas faciles aappliquer du fait des difficultes financieres. Pourtant les besoins ensoins psychiatriques etaient cruciaux. Comme l’ecrit GenevieveLeti : « Jusqu’alors, les alienes esclaves etaient gardes sur leshabitations, et les autres dans leur famille sans aucun soin. Uncertain nombre etait abandonne et errait sur les routes. On lesarretait et les conduisait a la geole. Aussi le directeur de l’Interieurdemande-t-il en 1840, que dorenavant, en attendant le jugementqui doit prononcer leur interdiction, les alienes cessent d’etreenfermes a la geole ou l’absence de soins ne peut qu’aggraver leuretat et qu’ils soient deposes dans la Maison Coloniale de Sante deSaint-Pierre. Au prealable le Conseil de Sante de Saint-Pierre ou duFort Royal aura constate l’etat de l’individu et le certificat de visiteaura ete vise par le Procureur du Roi » [28].

5.3. Le statut de la Maison Coloniale de Sante de Saint-Pierre

En fait, la Maison Coloniale de Sante de Saint-Pierre n’a pas lestatut d’asile d’aliene tel qu’il est prevu par la loi de 1838. Il fallait desdecrets d’application adaptant la loi au contexte colonial. Un arretelocal du 25 octobre 1877 a pour but d’assurer une meilleureassistance psychiatrique aux alienes de la Martinique. Malgre cestentatives, certains points de la legislation ne seront pas appliquesaux Colonies. Les droits du malade mental reconnus en Metropole nesont pas octroyes a ceux des colonies et ces derniers restent sanspouvoir juridique face a l’administration coloniale. C’est dire la forced’innovation de la maison de sante qui s’inscrit a contre-courant en1839. Maison de soins privee, elle fait office d ’etablissement public.

5.4. Les therapeutiques a la Maison Coloniale de Sante de Saint-Pierre

Les medecins qui soignent dans la Maison de Sante ont eteformes en France. A cette epoque on ne disposait d’aucuntraitement qui serait encore utilise de nos jours.

Les therapeutiques se divisent en trois categories : traitementsphysiques, traitements chimiques ou medicamenteux et traite-ments psychologiques.

5.4.1. Traitements physiques

Parmi ces traitements physiques :

� l’hydrotherapie sous forme de douches, de bains, de jets date de lafin du XVIII

e siecle et s’est perfectionnee au cours du XIXe siecle,

A. Charles-Nicolas / Annales Medico-Psychologiques 173 (2015) 313–319318

notamment pour le soin aux malades mentaux avec desindications therapeutiques dependant de la temperature del’eau et de la force du jet. Le patient est plonge attache dans unbain d’eau fraıche provenant des sources de la montagne Pelee,douche au jet, puis cloıtre dans sa cellule.

« Des douches a plusieurs degres de force administrees avecmoderation aux malades recalcitrants, un fauteuil enterre aquelques pieds dans le sol permettant de maintenir et de saigner,sans avoir recours a l’odieux emploi des fers, les alienes meme lesplus furieux, une salle de bain divisee en deux parties pour lesmalades de l’un et l’autre sexe, une immense tonnelle et unhangar spacieux destine a servir de promenade aux malades et deles abriter de l’ardeur si funeste du soleil. Telles sont lesprincipales ressources offertes a la guerison des alienes » [35].

Le savoir-faire de la Maison de Sante en hydrotherapie, lamethode la plus novatrice, est salue par les medecins quiviennent visiter la Maison.� d’autres traitements physiques servaient a maintenir le malade

agite :� la cellule d’isolement ou chambre forte, qui est le plus souvent

une piece nue,� la chaise de force, solidement scellee dans le ciment du sol et

qui permettait aussi les saignees,� le gilet de force, ou camisole de force, attache au dos et

emprisonnant les membres superieurs.

On ignore si le « tremoussoir », siege a ressorts agite devibrations, a ete utilise a la Maison de Sante.� D’autres traitements comme les ventouses et surtout les bonnes

vieilles purges et saignees etaient utilises, en tout cas au debutcar des 1854, les purges « avilissantes » sont ecartees au profit dela baignoire ou les alienes sont introduits et boucles sous uneplanche ne laissant passer que leur tete. « Les bains tiedes etprolonges, avec ou sans effusion d’eau froide sur la tete dans lescas d’agitation prolongee, sont le moyen auquel nous donnons lapreference » [35].

5.4.2. Traitements medicamenteux

L’utilisation de substances vegetales visait soit a traiter leshallucinations (datura) soit a traiter l’agitation (belladone, opium,ellebore, datura, camphre).

5.4.3. Traitements moraux

Ils sont representes par le traitement moral et l’ergotherapie.Rufz et Luppe [35] declarent : « Nous n’avons repousse aucunmoyen. Ceux dits ‘‘moraux’’ ou ‘‘intellectuels’’ sont les plususuellement employes. La douceur et la patience forment le fond

de notre methode generale. L’intimidation n’est essayee que parexception, lorsque la douceur et la patience ne font aucun effet. »

Des 1856, un jardin est amenage a proximite immediate del’asile et les medecins constatent que ceux qui y travaillent sontplus calmes et que leur appetit et leur sommeil s’ameliorent.L’ergotherapie est nee. L’oisivete est percue comme un facteur derechute et le travail comme un facteur d’amelioration. C’est pourexercer cette methode que l’etablissement s’est dote d’un jardin ; lejardinage est reserve aux hommes, les femmes etant vouees a lacouture et a la broderie.

Les soignants fondent beaucoup d’espoirs sur la vertu du travailet ils ont le projet d’etablir une sucrerie associee a l’hopital : « Nousne desesperons pas qu’une petite sucrerie devienne un jour lecomplement de notre Maison de Fous et ne soit un des progres quel’avenir reserve a ce pays » [35]. La Maison coloniale de sante est unasile « vitrine ». La fille de Victor Hugo, Adele, y sejourne. Lesalienistes martiniquais sont resolument modernes. En appliquantla methode nouvelle du traitement moral, en la personnalisant, ils

tentent d’etre a la pointe du progres. Les lieux ont ete concus dansune perspective de quietude et d’apaisement. « Mais c’est vraimenttrop beau pour des fous » s’etait exclame le gouverneur Gueydon,embrassant le panorama et les batiments au pied de la montagnePelee, « la position la plus riante, la plus fraıche, la plus salubre deSaint-Pierre face a la belle savane du Fort ».

En ces temps de representation satanique du fou, et decontroverses sur l’ame de l’esclave, ce choix etait a la fois courageuxet genereux, d’autant qu’il reclamait beaucoup de temps et d’effectifsmedicaux. Les audaces therapeutiques de la Maison de Sante n’ontete freinees que par ses difficultes financieres.

5.5. Les resultats

La notion de guerison en matiere de maladies mentales estaujourd’hui l’objet de controverses et elle l’etait du temps de laMaison de Sante. Il n’y a dans cette Maison de Sante que desmalades tres graves et il faut tenir compte des sorties de maladesqui ne sont pas gueris mais qui ne sont plus dangereux. Lesevaluations de Rufz et de Luppe [34] revelent qu’entre 1839 et1854, la maison de Sante a accueilli 490 malades (qui statistique-ment y sejournent moins longtemps que dans les hopitauxpsychiatriques de metropole) et que 173 ont ete gueris. Le nombrede patients etant reste approximativement le meme apres 1842,l’augmentation du nombre de guerisons est une donnee a peu presfiable.

Le nombre de deces est eleve, notamment en 1849 apresl’arrivee d’esclaves venant des habitations et dont l’etat general esttres altere.

En resume, disent les auteurs, la Maison de Sante est d’abordune atmosphere therapeutique et le « traitement moral » uneattitude globalement bienveillante et reeducative envers les alienes.

Sur un plan administratif, la loi de 1838 ne sera appliquee auxcolonies que plus d’un siecle apres. C’est dire l’audace de

l’anticipation de la Maison de Sante de Saint-Pierre.

Mais brutalement, le 8 mai 1902, en soixante-neuf secondes, lesnuees ardentes de la montagne Pelee aneantissent la ville deSaint-Pierre et ses 30 000 habitants. L’eruption volcanique la plusmeurtriere du XX

e siecle declenche une emotion planetaire.

6. Apres la catastrophe

Apres la destruction de la Maison de Sante, la psychiatrie a laMartinique va connaıtre une regression spectaculaire : comme unsiecle auparavant, l’aliene est depose a la prison dans desconditions indignes. L’arrete du 28 mars 1903 donne priorite ala securite publique et non a des mesures therapeutiques. L’alieneest de nouveau presente comme un danger pour la societe et nonplus comme un malade necessitant des soins. L’administration decet asile est confiee au directeur de la prison. La promiscuite va tresvite s’aggraver et, des 1903, les alienes martiniquais sont envoyes al’asile de Saint-Claude en Guadeloupe, le surpeuplant un peu plus.

L’hopital psychiatrique de Colson (Fig. 6) va ouvrir enseptembre 1953, loin de tout, sur le modele des asiles metropo-litains, avec un service de neurologie et des services paracliniques.L’asile provisoire situe dans la prison ferme en 1956. Par la suite, lesmouvements d’apres mai 1968 qui secouent le monde psychia-trique auront a Colson des repercussions longtemps peu con-structives (bouillonnement d’idees, greves, reunions, « collectifs »,« AG ») mais aussi concretes : sectorisation, desinstitutionnalisa-tion, mixite, montee en charge de l’extrahospitalier. En 1993, lacreation du Service Hospitalo-Universitaire de Psychiatrie au seindes services de medecine du CHU (ou il n’existait pas depsychiatrie) va renouveler la vision de la psychiatrie sur l’ensembleAntilles-Guyane et, dans l’opinion publique, favoriser la destig-matisation, impulser un approfondissement de la clinique et une

Fig. 6. L’Hopital psychiatrique de Colson.

Fig. 7. L’addictologie au SHU de psychiatrie de la Martinique.

A. Charles-Nicolas / Annales Medico-Psychologiques 173 (2015) 313–319 319

dynamique d’enseignement, de recherche et de publications et despecialisation : de nouvelles structures voient le jour (departementd’addictologie (Fig. 7), Unite Anxiete-Depression, psycho-geriatrie)ainsi que des unites fonctionnelles (Urgences psychiatriques,Psychiatrie de liaison). Finalement est inaugure en decembre2012 l’hopital de Mangot-Vulcin (moitie psychiatrie de secteur,moitie Medecine-Chirurgie) qui absorbe 150 des 350 lits de Colson.Cette belle avancee architecturale et sanitaire ameliore nettementl’offre de soins mais. . . il reste beaucoup a faire.

Declaration d’interets

L’auteur declare ne pas avoir de conflits d’interets en relationavec cet article.

References

[1] Alexander JC. On the social construction of moral universals: the ‘‘Holocaust’’from war crime to trauma drama. In: Alexander JC, Eyerman R, Giesen B,Smelser NJ, Sztompka P, editors. Cultural trauma and collective identity.Berkeley, CA: University of California Press; 2004. p. 196–263.

[2] Ancharoff MR, Munroe JF, Fisher LM. The legacy of combat trauma: clinicalimplications of intergenerational transmission. In: Danieli Y, editor. Interna-tional handbook of multigenerational legacies of trauma. New York: Plenum;1998. p. 257–76.

[3] American Psychiatric Association. Diagnostic and Statistical Manual of MentalDisorders, Fourth Edition, Text Revision. Washington DC: American PsychiatricAssociation; 2000.

[4] APA. Appendix on disaster epidemiology. Special populations; 2004 [http://www.psych.org/disaster/dpc_populations.cfm].

[5] APSY. Briefing sheet: the psychological impact of terrorism on vulnerablepopulations; 2004.

[6] APSY. Facts about women and trauma; 2004 [http://www.apa.org/ppo/issues/womentraumafacts.html].

[7] APSY. Disaster Response Network Member Guidelines; 2008 [http://www.apa.org/practice/drnguide.html].

[8] Auerhahn NC, Laub D. In: Danieli Y, editor. Intergenerational memory of theholocaust. in international handbook of multigenerational legacies of trauma.New York: Plenum; 1998. p. 21–41.

[9] Banks AM. Reconciliation walk repents for slavery. Annapolis, MD.: RegionalNews Service; 2004[Posted on the National Coalition of Blacks for ReparationsListserv].

[10] Bloom SL. The germ theory of trauma: the impossibility of ethical neutrality.In: Stamm BH, editor. Secondary traumatic stress: self-care issues forclinicians, researchers, and educators, in. Baltimore, MD: Sidran; 1995 . p.257–76.

[11] Brennan T. The transmission of affect. Ithaca, NY: Cornell University Press;2004.

[12] Buchanan A. Intergenerational child maltreatment. In: Danieli Y, editor.International handbook of multigenerational legacies of trauma. New York:Plenum; 1998. p. 535–52.

[13] Cesaire A. Cahier d’un retour au pays natal. Volontes 1939;20 [Paris, 1re editionreedite maintes fois].

[14] Charles-Nicolas A. Pour avoir toujours la force de regarder demain. In: Laresilience, une demarche collective pour la Martinique ? Resilience Martiniqueedit.; 2012.

[15] Charles-Nicolas A. Mettre notre identite multiple au service d’une dynamiqued’epanouissement. In: Martinique 2030, sortir de la dependance, alternativeseconomiques. Hors-Serie poche; 2014.

[16] Conneau T. Capitaine Canot. Vingt annees de la vie d’un negrier. Paris: Mercurede France, coll « Les Libertes francaises »; 1938[Traduction de : Captain Canot,or, Twenty years of an African slaver being an account of his career andadventures on the coast, in the interior, on shipboard, and in the West Indies,New York: D. Appleton; 1854].

[17] Danieli Y. International handbook of multigenerational legacies of trauma.New York: Plenum. Davis; 1998.

[18] DeGloma T. Expanding trauma through space and time: mapping the rhetori-cal strategies of trauma carrier groups. Soc Psychol Q 2009;72:105–22.

[19] Deveau JM. La traite rochelaise. Paris: Karthala; 2009.[20] Duran E, Duran B, Yellow Horse Brave Heart M, Yellow Horse-Davis S. Healing

the American Indian soul wound. In: Danieli Y, editor. International hand-book of multigenerational legacies of trauma. New York: Plenum; 1998 . p.341–54.

[21] Gagne MA. The role of dependency and colonialism in generating trauma infirst nation citizens: the James Bay Cree. In: Danieli Y, editor. Internationalhandbook of multigenerational legacies of trauma. NewYork: Plenum; 1998. p.355–72.

[22] Guerda N, Wheatley A. Historical and socio-political perspectives on mentalhealth in the Caribbean region. Journal of Psychology 2013;47:167–76[Revista Interamericana de Psicologıa/Interamerican].

[23] Hamblen J. Terrorist attacks and children; 2007 [http://www.ncptsd.va.gov/ncmain/ncdocs/fact_shts/fs_children_disaster.html].

[24] Labat JB. Nouveau voyage aux isles francoises de l’Amerique; 1722.[25] Leary Joy DeGruy. The theory of post traumatic slave syndrome; 2004 [http://

posttraumaticslavesyndrome.com/docs/Editorial.pdf].[26] DeGruy LJ. Post traumatic slave syndrome: America’s legacy of enduring injury

and healing. Milwaukie: Uptone Press. Lifton; 2005.[27] Le Douget A. Juges, esclaves et negriers en Basse-Bretagne 1750-1850. Paris:

Unesco; 2000.[28] Leti G. Sante et societe esclavagiste 1802-1848. Paris: L’Harmattan; 2000.[29] NCOBRA. Reparations and the National Coalition of Blacks for Reparations in

America (N’COBRA); 2004 [http://www.ncobra.org/pdffiles/Information%20Sheet%20Master%20 %20NCOBRA.pdf].

[30] NCPTSD. PTSD and older veterans: a national center for PTSD fact sheet; 2003[http://www.ncptsd.org/facts/veterans/fs_older_veterans .html].

[31] Pinel P. Traite medico-philosophique sur l’alienation mentale ou la manie.Encyclopædia Universalis; 1801, URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/traite-medico-philosophique-sur-l-alienation- [en ligne].

[32] Petre-Grenouilleau O. Les Traites negrieres, essai d’histoire globale. Paris:Gallimard; 2004.

[33] Rediker M. A bord du negrier. Une histoire atlantique de la traite. Paris: Seuil;2013 [Trad. fr Aurelien Blanchard].

[34] Rosenheck R, Pramila N. Secondary traumatization in children of Vietnamveterans, 36. Hospital and Community Psychiatry; 1985. p. 538–9.

[35] Rufz de Lavison E, De Luppe. Memoire sur la maison des alienes de Saint-PierreMartinique; 1856.

[36] Sala-Molins L. Le Code noir. Paris: PUF; 1988.[37] Simons RL, Johnson C. An examination of competing explanations for the

intergenerational transmission of domestic violence. In: Danieli Y, editor.International handbook of multigenerational legacies of trauma. New York:Plenum; 1998. p. 553–70.

[38] Yehuda R, Schmeidler J, Wainberg M, Binder-Brynes K, Duvdevani T. Vulnera-bility to post-traumatic stress disorder in adult offspring of holocaust survi-vors. Am J Psychiatry 1998;155:1163–71.