connecteurs de causalité, implication du locuteur et profils prosodiques: le cas de car et de parce...

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French Language Studies 17 (2007), 323–341, C Cambridge University Press doi:10.1017/S095926950700302X Connecteurs de causalit´ e, implication du locuteur et profils prosodiques: le cas de car et de parce que ANNE CATHERINE SIMON VALIBEL, Universit´ e catholique de Louvain LIESBETH DEGAND CETIS, Universit´ e catholique de Louvain (Received August 2005; revised April 2007) abstract Nous comparons l’usage de deux connecteurs de causalit´ e, car et parce que, en fonction de leur fr´ equence dans diff´ erents types de corpus en franc ¸ais (´ ecrits et oraux). Sur la base d’une analyse s´ emantique et cognitive, nous d´ ecrivons quel degr´ e d’Implication du Locuteur chaque connecteur est susceptible d’encoder dans la construction des relations de discours, ` a l’´ ecrit et ` a l’oral (o` u car est nettement moins fr´ equent, ce qui produit une r´ eorganisation des types de relations causales couvertes par chaque connecteur). Enfin, sur la base de l’analyse de 50 occurrences de chaque connecteur ` a l’oral (extraites de la banque de donn´ ees Valibel), nous ecrivons les diff´ erents types d’empaquetages prosodiques et leur corr´ elation avec les relations causales plus ou moins objectives. 0. introduction Dans cet article, nous proposons une description formelle et fonctionnelle des con- necteurs de causalit´ e selon deux points de vue souvent envisag´ es s´ epar´ ement: une description cognitive en termes de degr´ e d’Implication du Locuteur (sections 12) est combin´ ee, pour l’usage des connecteurs ` a l’oral, avec une analyse prosodique (sections 3 ` a 5). Cette analyse est appliqu´ ee ` a deux connecteurs de causalit´ e, parce que et car. On montre comment ils se distinguent en termes d’Implication du Locuteur, et comment leur emploi varie ´ egalement ` a l’oral et ` a l’´ ecrit (section 2). ` A l’oral, nous analysons comment le degr´ e d’Implication du Locuteur encod´ e par chaque connecteur est rendu par l’empaquetage prosodique des segments de texte reli´ es par ce connecteur (sections 3 ` a 6). 1. une classification cognitive scalaire des connecteurs de causalit´ e Dans la ligne de nos travaux portant sur une classification alternative des relations de coh´ erence et de leurs marqueurs linguistiques en termes d’Implication du locuteur 323

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French Language Studies 17 (2007), 323–341, C© Cambridge University Pressdoi:10.1017/S095926950700302X

Connecteurs de causalite, implication du locuteur etprofils prosodiques: le cas de car et de parce que

ANNE CATHERINE SIMON

VALIBEL, Universite catholique de Louvain

LIESBETH DEGAND

CETIS, Universite catholique de Louvain

(Received August 2005; revised April 2007)

abstract

Nous comparons l’usage de deux connecteurs de causalite, car et parce que, enfonction de leur frequence dans differents types de corpus en francais (ecrits etoraux). Sur la base d’une analyse semantique et cognitive, nous decrivons queldegre d’Implication du Locuteur chaque connecteur est susceptible d’encoder dansla construction des relations de discours, a l’ecrit et a l’oral (ou car est nettementmoins frequent, ce qui produit une reorganisation des types de relations causalescouvertes par chaque connecteur). Enfin, sur la base de l’analyse de 50 occurrencesde chaque connecteur a l’oral (extraites de la banque de donnees Valibel), nousdecrivons les differents types d’empaquetages prosodiques et leur correlation avecles relations causales plus ou moins objectives.

0 . introduction

Dans cet article, nous proposons une description formelle et fonctionnelle des con-necteurs de causalite selon deux points de vue souvent envisages separement: unedescription cognitive en termes de degre d’Implication du Locuteur (sections 1–2)est combinee, pour l’usage des connecteurs a l’oral, avec une analyse prosodique(sections 3 a 5).

Cette analyse est appliquee a deux connecteurs de causalite, parce que et car.On montre comment ils se distinguent en termes d’Implication du Locuteur, etcomment leur emploi varie egalement a l’oral et a l’ecrit (section 2). A l’oral,nous analysons comment le degre d’Implication du Locuteur encode par chaqueconnecteur est rendu par l’empaquetage prosodique des segments de texte reliespar ce connecteur (sections 3 a 6).

1 . une class i f ication cognit ive scalaire de s connecteur sde causal it e

Dans la ligne de nos travaux portant sur une classification alternative des relationsde coherence et de leurs marqueurs linguistiques en termes d’Implication du locuteur

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Anne Catherine Simon and Liesbeth Degand

(‘Speaker Involvement’) (Degand et Pander Maat, 2003; Pander Maat et Degand,2001), nous proposons une conceptualisation scalaire des proprietes de car et parceque a l’ecrit et a l’oral. L’implication du locuteur (IdL) fait reference au degre aveclequel le locuteur joue implicitement un role actif dans la construction de la relation,en l’occurrence de la relation causale. Le degre d’implication augmente a mesureque le locuteur investit la relation causale d’un certain nombre d’assomptions (cf.infra) lui conferant ainsi une fonction legitimante (Rossari et Jayez, 1996). Selonnotre hypothese, les differents connecteurs sont ordonnes sur une echelle allantd’une implication minimale du locuteur (relation objective) a une implicationmaximale (relation subjective).1 Ainsi, dans le domaine de la causalite, l’echellecomporte en ordre croissant d’IdL les relations suivantes, toutes illustrees par desexemples tires de la banque de donnees Valibel2 (Francard, Geron et Wilmet, 2002):causale non volitive (1), causale volitive (2), causale mentale (3), causale epistemique(4) (deductive (4a), abductive (4b)) et causale interactionnelle (5) (illocutoire (5a)et discursive (5b)).

(1) ilrMF0 et le quartier dans lequel tu vis/il y a une bonne ambiance vousvous connaissez tous ou euh comment c’estilrBC1 on ne se connaıt pas tous parce que les gens sont quand memeassez casaniers [Valibel, ilrBC1r]

(2) euh bon maintenant il faut que je m’y mette parce que sinon je vais etredepassee par les evenements [Valibel, ilrBC1r]

(3) mais quand je reviens [. . .] a Bruxelles je suis contente parce qu’il y a dumonde et que ca bouge [Valibel, ilrBC1r]

(4) a. monsieur Ya-Mutwale vient de creer une agence de distribution decourrier/il couvre Kinshasa/le Zaıre et l’etranger non sans difficultesd’ailleurs car un autre parastatal/Air-Zaıre ne cesse d’augmenter ses prix[Valibel, jtaBJ1r]

b. quelques semaines apres/l’heritier meurt a septante ans//celui de quatre-vingt-huit ans etait revenu de l’hopital et il est venu marcher le premiera l’enterrement de son heritier (silence) ca je l’ai vecu//et alors de ca(silence) deux trois ans apres/parce que il a passe les nonante ans/il estdecede [Valibel, chaBR1r]

1 Pour une conception des relations causales en termes du subjectivite, voir Pit (2003),Pander Maat et Sanders (2001).

2 La banque de donnees textuelles orales Valibel contient actuellement plus de 400 heuresd’enregistrement transcrites en orthographe standard. Les conventions de transcriptionpeuvent etre telechargees sur http://valibel.fltr.ucl.ac.be/ sur la page ‘corpus oraux’. Acela s’ajoutent environ 200 enregistrements non ou partiellement transcrits. Environ42% sont des entrevues portant sur des questions sociolinguistiques; 30% sont desentrevues informelles (entre deux ou plusieurs locuteurs qui se connaissent) et 6% sontdes conversations non sollicitees par un enqueteur. 6% relevent des medias (interviewsradiophoniques, debats, emissions d’information), 2,5% relevent du secteur professionnel(reunions de travail) et un autre 2,5% du secteur scolaire (cours). Enfin, 11% sont constituesde taches de lecture. Cette repartition evolue chaque annee au gre des projets de recherche.

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Connecteurs de causalite, implication du locuteur et profils prosodiques

(5) a. je crois que ca s’appelle en francais mais excusez-moi parce que je vaispeut-etre [. . .] estropier le mot hein/un goupillon la [Valibel, chaBR1r]

b. je crois que ma femme hesitait a croire a l’authenticite du trait jusqu’aumoment ou un jour a l’hopital car elle n’a jamais connu ma mere qu’al’hopital [. . .] [Valibel, chaCL1r]

La relation causale non volitive etablit une relation de cause a effet entierementobjective. Ainsi, en (1) la relation est presentee comme un phenomene auquelpersonne ne prend volontairement part. Le locuteur met en relation deux etats deschoses de maniere purement factuelle sans s’impliquer dans la relation. En (2), parcontre, un protagoniste conscient, capable d’actions et de decisions, est impliquedans une relation causale volitive. Le locuteur pose un acte volontaire q (se mettrea faire quelque chose, sans doute travailler) sur la base d’un jugement d’un etat deschoses p (le locuteur va etre depasse par les evenements). Il y a donc une certaineevaluation de la situation qui constitue pour le protagoniste (ici le locuteur) uneraison valide pour agir, raison qui peut etre validee ou non par l’interlocuteur.On franchit un pas de plus en (3) ou la relation causale mentale donne uneraison jugee valide par le protagoniste pour un etat d’esprit plutot que pour uneaction (concrete). Dans les relations causales epistemiques (4a&b), la causalite estargumentative. Le protagoniste (par defaut le locuteur) tire une conclusion a partird’un etat des choses, ce dernier fonctionnant comme une premisse pour uneargumentation. Elle doit des lors etre connue et acceptee. En d’autres termes, laconclusion est presentee comme la consequence d’un raisonnement argumentatif,il s’agit donc d’un etat mental du protagoniste. Contrairement a la causalite mentaleen (3), la causalite epistemique est ‘immediate’, elle se situe dans le hic et nuncde la situation causale. Pour etre valide, la ou les premisse(s) doivent etre partageespar l’interlocuteur. On distingue deux types de relations causales epistemiques: larelation deductive (4a) et la relation abductive (4b). Dans le premier cas, la causereelle dans le monde (le fait que le Parastatal Air-Zaıre ne cesse d’augmenter sesprix) est prise comme argument pour soutenir la conclusion concernant l’effetdans le monde reel (le fait que l’agence de distribution de courrier couvre nonsans difficultes Kinshasa, le Zaıre et l’etranger). Le raisonnement causal suit doncla causalite dans le monde reel (cause-effet). Dans le cas de la relation abductive,l’effet dans le monde reel est pris comme argument pour soutenir une conclusionconcernant la cause dans le monde reel. Ainsi, en (4b) le locuteur conclut, sur labase de l’age du deces (il a passe les nonante ans), que la personne en question estdecedee deux ou trois ans apres son heritier. Enfin, les exemples sous (5) illustrentdes relations interactionnelles. Dans ce type de relations, le locuteur n’est pasimplique en tant que personne pensante, mais uniquement dans son role de locuteur.Ainsi, en (5a) le premier segment introduit un acte de langage (excusez-moi) qui estjustifie par le segment introduit par le connecteur causal. Tout comme les relationsepistemiques, les relations interactionnelles reposent sur un nombre d’assomptionspartagees par le locuteur et l’interlocuteur: dans l’exemple (5a), le locuteur veut quel’interlocuteur considere son excuse comme etant un acte de langage approprie. Il

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va donc justifier cet acte de langage (l’excuse) en faisant appel a une assomption qu’ilpense etre acceptable pour l’interlocuteur: lorsque vous parlez mal, il est appropriede s’en excuser; et de maniere plus generale, lorsque l’on n’agit pas selon la norme,il est approprie de s’en excuser. Enfin, de maniere generale, ce genre de relationinteractionnelle est egalement marque par la nature implicite de l’acte de langage. Enoutre, l’acteur causal est toujours identique au locuteur et les deux segments causauxont lieu au temps et au moment de parole. Une variante de ce type de relationinteractionnelle est donnee dans l’exemple (5b) ou ce n’est pas un acte de langagecomplet qui est justifie, mais l’emploi d’un segment donne (a l’hopital). Ainsi, en (5b)le locuteur veut s’assurer que son message soit comprehensible en expliquant pour-quoi la rencontre a lieu a l’hopital. Il s’agit d’une parenthese discursive dans laquellela causalite porte exclusivement sur la presence formelle de certains elements dans lediscours (cf. la justification formelle dans Groupe λ-l (1975: 265) et les parentheticalconnectives de Cuenca (2003)). Les assomptions presentes divergent legerement decelles en (5a): la premiere assomption est que le segment justifie formellement doitetre reconnu comme necessitant une justification pour l’interlocuteur. En d’autrestermes, ne devront etre justifies que les termes potentiellement problematiquespour la comprehension ou l’acceptabilite du message. Dans le cas present, il neva pas de soi que l’on rencontre la mere de son conjoint a l’hopital, cela necessitedonc une explication/justification. La seconde assomption decoule logiquement dela premiere: la justification doit rendre le message plus comprehensible/acceptable.

Le niveau d’IdL d’une relation (causale) va de pair avec un certain nombre decaracteristiques discursives. En resume, une relation causale aura un degre d’IdLbas si elle exprime une relation causale conforme a la causalite dans le monde, siaucun protagoniste n’intervient dans la relation ou, si c’est le cas, si ce protagonisteest nomme explicitement, et si l’evenement causal est relate independammentde la situation enonciative presente. La relation causale aura, au contraire, unniveau d’IdL maximal si elle n’est pas iconique avec la causalite reelle, si elle faitintervenir un protagoniste conscient qui reste implicite dans la relation, et si lasituation causative se confond avec la situation enonciative (cf. Pander Maat etDegand, 2001 pour une justification theorique; Degand et Bestgen, 2004 pour uneoperationnalisation). Ces caracteristiques concernent les relations causales. En cequi concerne les connecteurs – en tant que marqueurs prototypiques des relations decoherence –, nous avons etabli qu’un connecteur encode un certain niveau d’IdL, quiconstitue sa contribution a l’interpretation de son environnement discursif. Lorsquece niveau est trop bas ou trop eleve pour etre combinable avec cet environnement,l’usage du connecteur est inapproprie (voir (6)).

(6) chaGG (. . .) vous parlez francais vous parlez wallon egalement c’est cachaBR1 ah ouais plus le wallon que le francaischaGG0 plus le wallon que le francais ouichaBR1 c’est pour ca que je melange toujours le wallon dans le francais/

parce que/?car je ne sais pas parler le francais couramment[Valibel, chaPB1r]

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Connecteurs de causalite, implication du locuteur et profils prosodiques

Comme pour les relations de coherence, la place qu’occupe un connecteur surl’echelle se reflete dans son comportement discursif. La representation scalaire rendcompte du fait que les connecteurs ne sont pas strictement lies a un ‘niveau’specifique de signification, mais qu’ils imposent neanmoins des contraintes surles contextes dans lesquels ils peuvent apparaıtre, certains contextes etant plus‘naturels’ que d’autres. Pour decouvrir le profil semantique d’un connecteur donneainsi que son interaction avec le discours environnant nous faisons appel a desanalyses systematiques de corpus combinant donnees distributionnelles et intuitionssemantiques.3

2 . comparaison de car et parce que en terme sd’ impl ication du locuteur

Les connecteurs car et parce que ont fait l’objet de nombreuses etudes linguistiques(Bentolila, 1986; Debaisieux, 2002; Groupe λ-l, 1975; Iordanskaja, 1993; Moeschler,1987). Si tous les auteurs s’accordent pour dire que les deux connecteurs sontdifferents, ils s’accordent egalement sur l’observation que les deux connecteurspeuvent apparaıtre dans des contextes tres similaires, sinon identiques. Unedistinction recurrente est celle faite par le Groupe λ-l (1975) caracterisant parce quecomme une ‘conjonction de contenu’ et car comme une ‘conjonction marquantun acte de parole’, difference semantique qui est refletee dans le comportementsyntaxique different des deux connecteurs. Dans la suite de cet article, nousvoulons montrer sur la base de donnees ecrites et orales que la distinction entreles deux connecteurs peut etre re-exprimee en termes de subjectivite graduelleou Implication du locuteur, et que la semantique des deux connecteurs varieavec le mode ecrit vs. oral. En ce qui concerne la comparaison du mode ecrit etoral, nous nous attendons a ce qu’ils divergent en termes de subjectivite: a l’oral,les locuteurs et les interlocuteurs devraient etre plus ‘visibles’ qu’a l’ecrit, ce quidevrait rendre le degre de subjectivite du discours oral plus eleve que le discoursecrit (cf. Spooren et al. (sous presse) pour une position similaire). Avant d’aborderla description semantique des deux connecteurs, quelques indications s’imposentquant a la frequence de car et parce que a l’oral et a l’ecrit.

2.1 Frequence de car et parce que a l’ecrit et a l’oral

Tout locuteur (natif) du francais partage sans doute l’intuition que car est quasiinexistant en francais parle contemporain. Les chiffres le confirment. Dans uncorpus de presse ecrite (Le Soir 1997, +/−27 millions de mots), car a une frequencede 0.40% contre 0.32% pour parce que. A l’oral, nous avons releve dans la base dedonnees Valibel, composee principalement d’interviews, de discours mediatique

3 Pour une description plus complete des methodologies utilisees (qu’elles soient manuellesou semi-automatisees), nous renvoyons le lecteur a Degand & Bestgen (2004).

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et de conversations informelles (+/−3,7 millions de mots), 13.614 occurrences deparce que, soit 3,70%, pour seulement 80 occurrences de car, soit 0.02%. Si, a l’ecrit,la frequence des deux connecteurs est sensiblement similaire, a l’oral parce que serencontre 185 fois plus! Nos donnees confirment donc que c’est en francais parleque le fosse est le plus grand entre les deux connecteurs, en termes de frequence.4

Parce que semble etre un connecteur de l’oral par excellence avec une frequence 11fois plus elevee a l’oral qu’a l’ecrit. Dans les prochains paragraphes, nous examinonssi cette difference frequentielle se repercute au niveau de la distribution semantiquedes deux connecteurs.

2.2 Profil semantique de car et parce que a l’ecrit

Sur la base des resultats principaux de Degand et Pander Maat (2003), nous pouvonsdecrire les profils semantiques suivants pour car et parce que a l’ecrit.5

En premier lieu, la distribution des deux connecteurs confirme l’intuition et lesobservations faites dans la litterature: car et parce que peuvent apparaıtre dans descontextes causaux similaires. Tous deux peuvent exprimer des relations causalesnon volitives, volitives et epistemiques. Le seul contexte dans lequel on ne retrouvepas le connecteur parce que a l’ecrit est la relation interactionnelle. Neanmoins, cettesimilitude n’empeche pas une certaine specialisation semantique des connecteurs.On observe, en effet, une tendance significative pour parce que d’exprimer desrelations causales a IdL moins elevee (surtout non volitives et volitives), alors quecar exprime des relations plus subjectives, y compris les relations interactionnelles(X2 = 24,15, df = 3 et p < .0001).6 Il en resulte un profil semantique different (memes’il y a une intersection) pour les deux connecteurs (Figure 1).

Globalement les autres caracteristiques determinant le niveau d’Idl desconnecteurs confirment que car occupe une zone de subjectivite plus eleveeque parce que dans l’echelle (voir Degand et Pander Maat, 2003 pour les analysesdetaillees).

4 Ces donnees confirment sensiblement celles de Labbe (2003), basees, d’une part, sur uncorpus oral (+/−2,3 millions de mots) compose d’entretiens sociologiques et, d’autre part,sur un corpus ecrit (+/−7,4 millions de mots) compose pour moitie de litterature francaisedes XVIIe–XXe siecles, de textes techniques et de discours politiques. Car a une frequencede 0.05% a l’oral contre 0.46% a l’ecrit. Par contre, pour parce que, c’est le mouvementinverse qui se dessine, et de maniere encore plus tranchee: parce que a une frequence de5.79% a l’oral contre 0.50% a l’ecrit. Enfin, a l’ecrit, car et parce que divergent a peine(0.46% pour car contre 0.50% pour parce que).

5 L’analyse de corpus porte sur 50 occurrences de chacun des connecteurs dans un corpusde presse ecrite, a savoir tous les articles de contenu du quotidien belge francophone LeSoir de l’annee 1997.

6 Pour des raisons de puissance statistique, les relations causales mentales et epistemiques(deductives et abductives) ont ete regroupees en une seule categorie epistemique.

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non-volitive volitiveepistémique

interactionnelle

parce que

car

Figure 1. Distribution relationnelle de car et parce que dans un corpus journalistique(corpus Le Soir, 1997) sur la base des resultats de Degand et Pander Maat (2003).

2.3 Profil semantique de car et parce que a l’oral

Pour etudier la distribution de car et parce que a l’oral, nous avons extrait de la banquede donnees textuelles orales Valibel 50 occurrences de chacun des connecteurs.7

Au vu de notre hypothese generale que le mode oral devrait etre plus subjectifque le mode ecrit, et de notre observation que parce que est beaucoup plus frequenta l’oral que car, nous pouvons formuler deux hypotheses plus specifiques:

Hypothese 1: A l’oral, la difference en termes de subjectivite entre car et parce que devraits’attenuer; parce que devrait se rapprocher du profil semantique de car.Hypothese 2: A l’oral, car se (sur)specialise pour exprimer exclusivement des relations ahaut degre d’IdL.

Pour le codage des exemples, nous avons travaille a partir des transcriptions desfragments retenus. Nous avons donc fait abstraction de la ‘bande son’, ce qui peutsembler une aberration lorsque l’on travaille sur des donnees orales, mais se justified’un point de vue methodologique. En effet, notre but etait de comparer le profilsemantique de nos deux connecteurs (a l’oral et a l’ecrit) selon les memes criteresafin d’assurer une interpretation univoque (voir Spooren et al., sous presse, pourune demarche similaire et une discussion methodologique). Les aspects typiquement‘oraux’ seront abordes a partir de la section 3.

7 Les 50 occurrences de parce que proviennent d’interviews abordant des thematiquessociolinguistiques (13), d’interviews radiophoniques (8), d’entretiens avec des eleves enfin de cycle secondaire (19) et de conversations (10). Les 50 occurrences de car (rappelonsque, au moment de la constitution de l’echantillon, la banque de donnees Valibel n’encontenait que 80 sur plus de 400 heures de parole) proviennent d’interviews (3 chezdes locuteurs ages bilingues wallon francais; 4 chez des cadres en fonction; 8 chez desspecialistes de la langue (grammairiens, professeurs), dont 6 occurrences produites par lememe locuteur; 13 dans des interviews portant sur l’accent regional); l’autre petite moitieprovient de journaux parles ou de reportages televises.

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non-volitive volitive épistemique interactionnelle

parce que

car

Figure 2. Distribution relationnelle de car et parce que dans les corpus oraux.

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non-volitive volitive épistemique interactionnelle

écrit

oral

Figure 3. Distribution relationnelle de parce que a l’oral et a l’ecrit.

A l’oral, le profil semantique des deux connecteurs n’est plus divergent(X2 = 3.357, df = 3 et p = .34 (N.S.)). On semble pouvoir attribuer en premierlieu cette similarite de profil a la distribution semantique plus etendue de parceque (Figure 2). Il semble en effet que parce que rejoigne car dans ses usages les plussubjectifs, ce qui confirme la premiere hypothese formulee plus haut.

Cette observation se confirme si l’on fait une comparaison inter-modale deparce que (Figure 3). Le connecteur a, en effet, une nette tendance a exprimerdes relations avec un degre d’Idl plus eleve (des relations plus subjectives) a l’oralqu’a l’ecrit, et ceci de maniere statistiquement significative (X2 = 18.301, df = 3et p < .0001), ce qui nous porte a parler de la ‘subjectivisation’ de parce que al’oral. Ces resultats confirment les analyses quantitatives de Debaisieux (2002), quia montre qu’en francais parle8 l’usage de parce que non subordonnant, c’est-a-direarticulant deux enonciations differentes (ce qui correspond aux plus hauts degresd’IdL dans notre echelle) est l’usage le plus frequent. Cet usage, qualifie par l’auteurde macro-syntaxique, recouvre trois interpretations differentes, non strictement

8 Sur la base de l’analyse de plus de 3 000 occurrences de parce que tirees du corpus Corpaix.

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non-volitive volitive épistemique interactionnelle

écrit

oral

Figure 4. Distribution relationnelle de car a l’oral et a l’ecrit.

causales: une valeur de regulation (toujours en incise), une valeur explicative et unevaleur justificative – qui correspondent respectivement aux constructions causalesepistemiques et interactionnelles.

A l’inverse, la Figure 4 nous montre que la distribution semantique de car nediverge pas a l’oral et a l’ecrit (X2 = 5.74, df = 3 et p = 0.14 (N.S.)), ce qui infirmela seconde hypothese.

Une premiere conclusion concernant le profil semantique des deux connecteursest que car est un connecteur stable en terme de mode: son profil ne varie passelon le mode oral ou ecrit, meme si sa frequence est, elle, tres divergente. Uneexplication peut venir de l’analyse du profil semantique de parce que qui a l’oralsemble ‘prendre la place’ de car en couvrant toutes les situations enonciatives,des plus objectives au plus subjectives.9 Cela se confirme egalement lorsque l’onetudie la maniere dont sont encodes linguisiquement les protagonistes impliquesdans la relation causale exprimee par les deux connecteurs. Selon nos observationsanterieures, la co-occurrence d’un connecteur avec des marques de la premierepersonne est un indicateur de la nature subjective de ce connecteur. La Figure 5nous montre que, dans le contexte immediat du connecteur parce que a l’oral, onobserve une veritable montee de ce type de marques (de 60% a l’ecrit a 86.1% al’oral) alors que pour car cette evolution est moindre (de 76.1% a l’ecrit a 82.3%a l’oral). Ces chiffres confirment une nouvelle fois que le mode oral est dans sonensemble plus subjectif que le mode ecrit. En ce qui concerne les connecteurs caret parce que, nous voyons la un signe supplementaire de la subjectivisation de parceque a l’oral, et de la relative stabilite de car a travers les deux modes ecrit et oral.

Cela veut-il dire que car et parce que ont en francais parle contemporain lameme signification? Nous ne le pensons pas. La difference frequentielle entre lesdeux connecteurs plaide en faveur d’une interpretation en termes de registre et,eventuellement, de genre. En effet, car semble se cantonner au registre ‘formel’ a

9 Ceci nous amene a emettre l’hypothese que les deux connecteurs poursuivent des voiesde grammaticalisation et/ou de pragmaticalisation (cf. Dostie, 2005) differents. Car auraitmomentanement acquis un equilibre semantique, alors que parce que poursuivrait sonevolution semantique. Une etude diachronique devrait nous en apprendre plus.

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Anne Catherine Simon and Liesbeth Degand

82,3 76,186,1

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20%

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60%

80%

100%

oral écrit oral écrit

CAR PARCE QUE

1èrepers. 3èmep ers.

Figure 5. Marques de la 1e et 3e personne pour car et parce que a l’oral et a l’ecrit.

l’œuvre dans les entretiens diriges (interviews) ou les locuteurs ne se connaissentpas. Il est quasi absent des echanges familiers, caracterises par un registre informel.10

3 . prof ils prosodique s et hypothe se s

Dans la suite de cet article, nous observons le profil prosodique des segmentstextuels (enonces) relies par les connecteurs de causalite parce que et car dans le butde verifier (i) si les deux connecteurs divergent prosodiquement et (ii) si le degred’IdL vehicule par l’instanciation d’une relation causale particuliere s’accompagnesystematiquement d’un marquage prosodique specifique.

Le lien entre types de relations causales et types d’empaquetages prosodiques aete largement demontre, en particulier pour parce que et pour des equivalents dansd’autres langues. Par exemple, en considerant les relations entre syntaxe, semantiqueet prosodie, Ferrari (1992: 197) predit que ‘la construction causale non integreedonne lieu a deux enonces phonologiques, tandis que la construction causaleintegree, quel que soit le type d’adjonction, est associee a un unique enonce

10 Une analyse sociolinguistique des profils des locuteurs utilisant car n’a pas ete realisee,meme si l’on peut relever que la presque totalite des occurrences ont ete produites pardes journalistes, des cadres superieurs ou des specialistes de la langue.

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Connecteurs de causalite, implication du locuteur et profils prosodiques

Figure 6. Prosogramme d’un enonce prosodiquement integre: je pense que il n’y aaucune raison/de s’exprimer d’une maniere euh/euh complique parce qu’onecrit de la poesie.

phonologique’.11 Le degre d’integration de la construction causale correspond chezcette auteure a la difference entre operateur et connecteur, qui se traduirait dans notremodele par un bas vs haut degre d’IdL. Les auteurs qui ont travaille sur des corpusoraux (De Baisieux, 1995; Couper-Kuhlen, 1996), et non sur un modele deductifintonosyntaxique, remarquent que parce que a l’oral etablit presque toujours unerelation macrosyntaxique entre deux clauses, les constructions microsyntaxiquesetant marginales.

Afin de rendre compte schematiquement de la maniere dont deux segmentsde texte articules par parce que ou car peuvent etre regroupes par l’intonation,nous distinguons quatre profils prosodiques contrastes. Chaque profil est illustrepar la transcription intonative d’un exemple de notre corpus, sous la forme d’unprosogramme:12

1. dans le profil integre, les deux segments articules par le connecteur sont realisesen un seul groupe intonatif, sans pause ni frontiere intonative majeure avant niapres le connecteur [S1 + C + S2];13

11 Dans l’analyse syntaxique d’orientation generative de Ferrari, une subordonnee causale estconsideree comme integree lorsque le syntagme prepositionnel (PP) qui la constitue estadjoint a VP ou a IP; elle est non integree lorsqu’elle est construite comme un constituantindependant, et que le lien syntaxique se concretise au niveau de IP (Ferrari, 1992: 193,195).

12 Le prosogramme (voir Fig. 6 pour un exemple), developpe par Mertens (2004), est unetranscription stylisee de l’intonation correspondant aux variations percues de la frequencefondamentale (traits noirs gras interpretable en fonction de la graduation en demi-tonssur l’axe vertical). Le prosogramme represente aussi les variations d’intensite (trait grise)et de duree (graduation en dixiemes de seconde de l’axe horizontal).

13 ‘S1’ correspond au premier segment textuel, le plus souvent une proposition syntaxique,‘C’ correspond au connecteur (car ou parce que) et ‘S2’ correspond au deuxieme

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Figure 7. Prosogramme d’un enonce prosodiquement neutre: ah c’est-a-dire d’assumerun truc tragique parce que quand on est a cette hauteur de sensibilite. . ..

Figure 8. Prosogramme d’un enonce ou le connecteur est autonomise (presence d’unepause): mais il y en avait parce que//il faut te dire que dans ces annees-la.

2. le profil non marque (ou neutre) presente deux unites intonatives separees: lepremier segment de texte se termine par une frontiere intonative majeure et ilest generalement suivi d’une pause breve; ensuite, une seconde unite intonativeintegre le connecteur et le second segment textuel;

3. un profil plus marque est celui ou le connecteur lui-meme est autonomiseintonativement: soit il constitue un groupe intonatif autonome [S1 # C # S2],soit il est regroupe avec le premier enonce et clairement separe du second parune frontiere conclusive et une pause [S1 + C # S2];

4. le dernier profil correspond au cas ou le connecteur et le second segmenttextuel sont realises dans une incise intonative (debit accelere, registre rehausseou abaisse, et realisation compressee des syllabes accentuees) [S1 # c + s2].

Nos hypotheses visent a verifier si ces quatre profils prosodiques correspondenta des relations causales specifiques, caracterisees par un degre plus ou moins eleved’IdL. (1) On s’attend a ce que seules les relations causales a faible degre d’IdL

segment articule par le connecteur. Le symbole ‘#’ represente une frontiere intonativeforte, accentuelle et/ou pausale. Le signe ‘+’ indique que les elements sont regroupesintonativement.

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Connecteurs de causalite, implication du locuteur et profils prosodiques

Figure 9. Prosogramme d’un enonce ou C + S2 sont realises dans une incise: jusqu’aumoment ou un jour a l’hopital/car elle n’a jamais connu ma mere qu’al’hopital/elle a entendu. . ..

(non volitives et volitives) soient realisees avec un profil prosodique integre (unseul groupe intonatif regroupant les deux enonces). (2) On s’attend a ce quele profil neutre puisse s’appliquer a tous les degres d’IdL. (3) Quant au profilautonomise, etant donne qu’il presente une pause ou une rupture forte entre leconnecteur et le second enonce, on fait l’hypothese qu’il est gouverne non par letype de relation causale mais par des contraintes liees a la planification discursive.Enfin, (4) on s’attend a ce que la realisation en incise soit restreinte aux relationscausales les plus ‘subjectives’, a savoir les relations interactionnelles (textuelle etinteractionnelle). Une derniere hypothese vise a verifier si les connecteurs caret parce que se distinguent entre eux en s’associant de maniere privilegiee a unprofil prosodique. Meme si nous avons observe que le profil semantique des deuxconnecteurs n’etait pas significativement divergent a l’oral, parce que se subjectivisantpour se rapprocher des contextes d’utilisation de car (voir Figure 3), (5) on s’attendneanmoins a trouver une difference significative entre les profils prosodiques utilisesavec chaque connecteur a cause de leur nature semantique differente.

4 . prof ils prosodique s et deg r e d ’ impl ication du locuteur

L’analyse de la distribution des profils prosodiques en fonction du degre d’IdL desconnecteurs montre qu’il existe une association moderee (mais significative) entrele profil semantique du connecteur et le profil prosodique (Cramer’s V = .306;p < .001). La Figure 10 presente la distribution des profils prosodiques en fonctiondes relations causales, ces dernieres etant classees de la plus ‘objective’ (faible degred’IdL) a la plus ‘subjective’ (haut degre d’IdL).

Le profil neutre est le plus repandu (70% des cas) et, conformement a notrehypothese, il se distribue sur tous les types de relations causales. Cela signifie que leprofil neutre n’aide pas a distinguer les relations causales et qu’il n’est incompatible

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intégré neutre autonomisé incise

non-volitif&volitif

mental

épisté&abductif

interactionnel

Figure 10. Distribution relationnelle des profils prosodiques en fonction du degre d’IdLdes relations causales, pour parce que et car.

avec aucune. Ensuite, la distribution non aleatoire de nos donnees confirmenos autres hypotheses. Premierement, le profil prosodique integre, qui regroupeen une seule unite intonative les deux enonces relies par le connecteur causal,correspond plutot a des relations a faible degre d’IdL, comme les relations causalesvolitives et non volitives, et la relation mentale. Les donnees montrent un seul caspresentant une forme de non-congruence (‘mismatch’) entre le type de relationcausale et le profil prosodique utilise par le locuteur. En effet, une relation causaleinteractionnelle (illocutoire) est realisee avec un profil prosodique integre (exemple(5a) commente a la section 1). A un niveau plus general, cela pose la question desavoir quelle dimension (syntactico-semantique vs. prosodique) est predominantepour l’interpretation, puisque les instructions donnees semblent diverger. Dansl’exemple (5a), la non coıncidence entre profil prosodique et relation causale nedebouche pas sur un effet interpretatif particulier: l’interpretation textuelle persistemalgre le caractere prosodiquement integre de l’enonce.

Deuxiemement, et a l’autre extremite de l’echelle, nos attentes concernantle profil prosodique d’incise sont egalement confirmees. Une incise permet aulocuteur d’operer, tout en le rendant visible pour son interlocuteur, un decrochagedans la construction de son discours. Ce decrochage est marque iconiquementpar une chute importante de la F0 au debut de l’incise (voir Nemni, 1979: 108;Mertens, 1997: 12; Morel et Danon-Boileau, 1998: 59; Simon, 2004: 226). Auplan interpretatif, un tel decrochage semble vehiculer un haut degre d’IdL dans larelation causale, en montrant que le locuteur n’introduit pas une cause objectivedans la ligne de ce qui precede, mais plutot la justification d’un acte de langage(relation illocutoire) ou de l’utilisation d’un segment textuel particulier (relation

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intégré neutre autonomisé incise

Profils prosodiques

parce que

car

Figure 11. Distribution de car et parce que en fonction des profils prosodiques dans uncorpus oral.

textuelle). Un cas typique de cet appariement entre relation causale a haut degred’IdL et intonation d’incise est l’exemple (4b) commente a la section 1 et reprispartiellement ci-dessous.

4b. et alors de ca (silence) deux trois ans apres/parce que il a passe les nonanteans/il est decede [Valibel, chaBR1r]

Nos donnees ne presentent pas le cas d’une relation causale (non) volitive (adegre d’IdL tres bas) realise avec une intonation d’incise.

Enfin, le profil prosodique autonomise decrit 16% des cas, principalement desrelations causales de type mental. Ce profil se caracterise par le fait que le connecteurn’est pas regroupe avec le S2 qu’il introduit, mais qu’il est regroupe avec S1 ouautonome. On verra au point suivant que le fait de produire une pause importanteapres le connecteur n’est pas tant un indicateur du degre d’IdL code par la relationcausale qu’une strategie liee a la planification discursive.

6 . prof ils prosodique s de car vs. parce queet facteur s textuels

La comparaison des profils prosodiques associes a car par rapport a ceux associes aparce que montre une divergence significative (X2 = 22,714; df = 3 et p < .0001).

Globalement, car adopte un profil plus neutre et les enonces qu’il articule sont,dans 90% des cas, simplement realises en deux unites intonatives juxtaposees. Tantcar que parce que peuvent etre realises dans une incise intonative (voir section 5).

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Enfin, on constate que car ne fait jamais l’objet d’une realisation prosodique integree(deux propositions syntaxiques regroupees dans une seule unite intonative), ce quiest dans la ligne du caractere plus ‘subjectif’ des relations causales marquees parcar.

D’autre part, parce que adopte des profils prosodiques plus specialises. Il faitl’objet d’une realisation prosodique integree dans quelque 16% des cas, ce qui sejustifie par le degre d’IdL plus bas generalement encode par ce connecteur. Pourrappel, la realisation intonative en un seul paquet a ete decrite comme typique despropositions causales qui sont integrees a VP au niveau syntaxique, et s’interpretentcomme plus ‘objectives’ (Ferrari, 1992). Par contre, le fait qu’on puisse rencontrerdes cas ou parce que est realise avec une intonation d’incise (marquant un haut degred’IdL) est une confirmation de la subjectivisation de parce que a l’oral.

Il reste a expliquer la distribution du profil prosodique ou le connecteur lui-meme se trouve prosodiquement detache ou autonomise. Dans l’exemple (7), lelocuteur repond a la question de savoir si, dans sa jeunesse, certaines personnesassistaient systematiquement a tous les enterrements:

(7) plus beaucoup sais-tu mais il y en avait parce que (0.5) il faut te dire quedans ces annees-la/euh/il y avait beaucoup des pensionnes mineurs//et lespensionnes mineurs euh bon ils allaient en/dans la mine a a quatorze ans/treizeans/il leur fallait trente ans de mine accomplis pour avoir leur pension/arrives aquarante-cinq ans ils etaient pensionnes/[. . .] et ceux qui leur allaient encoreun peu bien/je vais dire comme ca/ils allaient aux enterrements pourpasser leur temps/pour prendre l’air pour un peu marcher [Valibel,chaPB1r]

Le connecteur parce que est suivi d’une pause particulierement longue (voir Figure8). L’analyse de la structure du fragment textuel qui suit montre que la cause(de type ‘mental’) invoquee par le locuteur pour justifier sa reponse (souligneeen gras dans l’exemple) est precedee d’un long preambule destine a rappeler lasituation des pensionnes des mines a l’epoque. L’autonomisation prosodique duconnecteur, rendue par la presence d’une pause de 500 ms, s’explique par la structuretextuelle, a savoir un long developpement requerant une planification de la S2 astructure complexe. Ce profil prosodique particulier ne s’explique pas par desfacteurs semantiques ou pragmatiques, mais plutot par une strategie de planificationtextuelle a l’oeuvre dans les discours oraux. On observe en effet une correlationsignificative entre le profil ‘autonomise’ et la complexite du segment introduit parle connecteur (Figure 12) (Simon et Grobet, 2002 presentent des resultats qui vontdans le meme sens).

Il se peut que les observations faites sur le profil autonomise du connecteur,et son role dans la planification discursive, soit aussi liees aux types de corpusanalyses, car se retrouvant dans des corpus plus formels (mediatiques) que parce que(interview semi-dirigees). Vu la tres faible frequence du connecteur car a l’oral, unecomparaison sur des corpus regroupant les memes styles de parole s’avere difficile.

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intégré neutre autonomisé incise

S2 = 1 clause

S2 > 1 clause

Figure 12. Distribution relationnelle du profil prosodique en fonction du degre decomplexite textuelle du segment introduit par le connecteur.

7 . conclus ion

Notre comparaison de deux connecteurs de causalite, car et parce que, en fonction(a) de leur frequence dans differents types de corpus (ecrits et oraux), (b) du degred’Implication du Locuteur qu’ils sont susceptibles d’encoder dans la constructiondes relations de discours, et (c) de leur profil prosodique, donne les resultats suivants.

Si les deux connecteurs se retrouvent avec une frequence tres proche dans lescorpus de presse ecrite, on observe que car devient presque inexistant a l’oral etapparaıt presque exclusivement dans des styles tres formels (comme les emissionsd’information a la television). Par consequent, le profil semantique des connecteurss’adapte en partie en fonction de leur frequence d’utilisation. Alors que dans lescorpus ecrits (formels) parce que est preferentiellement utilise pour encoder lesrelations causales a bas degre d’IdL (entre etats de choses existant dans le monde),lorsqu’il est utilise a l’oral et dans des styles moins formels, il adopte le meme profilque car et se subjectivise. Par contre le profil de car, qui couvre un plus large eventailde relations sur l’echelle d’IdL, y compris les relations plus subjectives, reste stable,ce qui peut s’expliquer par le fait qu’on le retrouve dans des styles plus formels, al’ecrit comme a l’oral. Une etude plus systematique de la variation de l’usage desconnecteurs en fonction du degre de formalite et du style (et pas seulement enfonction du medium oral vs. ecrit) permettrait de verifier ces resultats.

Du point de vue des profils prosodiques (du plus integre au plus ‘expose’), lesconnecteurs se differencient de maniere significative dans un sens qui confirme ladistribution observee pour l’usage ecrit: car adopte plutot un profil prosodiqueneutre (deux unites intonatives juxtaposees, le connecteur etant integre a la

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seconde), qui peut se combiner avec tous les degres d’IdL, alors que parce queest le seul qui puisse aller de pair avec le profil prosodique integre (une seuleunite intonative regroupe les deux enonces articules par le connecteur) typiquedes relations plus ‘objectives’, a bas degre d’IdL. Les deux connecteurs peuventadopter le profil d’incise, ce qui est aussi une preuve de la subjectivisation decertains usages de parce que a l’oral. Enfin, les observations que nous avons faitessur le profil prosodique autonomise ne semblent pas liees au degre d’IdL. Lorsqueparce que est separe du segment textuel qu’il introduit par une pause importante oupar une frontiere intonative majeure, ce n’est pas pour signaler un type particulierde relation causale, mais pour indiquer que ce segment a une structure complexeet ainsi contribuer a la planification discursive.

La specificite de car et parce que, a l’ecrit plus qu’a l’oral, est encore une foisdemontree par cette etude. Nos resultats invitent cependant a davantage prendreen consideration le role du style de parole et du degre de formalite, pour mieuxrendre compte de certaines divergences d’emploi entre les deux connecteurs.

remerciements :

L. Degand est chercheur qualifie au Fonds National de la Recherche Scientifique.Cette recherche beneficie du soutien financier des projets F.R.F.C. n◦ 2.4535.02du FNRS et Action de Recherche Concertee n◦ 03/08–301 de la Communautefrancaise de Belgique.

Adresse des auteurs:Anne Catherine Simon and Liesbeth DegandUniversite Catholique de LouvainPlace Blaise Pascal 1B-1348 Louvain-la-NeuveBelgiume-mail: [email protected]; [email protected]

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