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COMMENT CONCILIER DEVELOPPEMENT DU MARCHE INTERIEUR, D’UNE PART, ET PRESERVATION DU MODELE DE L’ÉTAT PROVIDENCE, D’AUTRE PART? MASTER COMPLEMENTAIRE EN ANALYSE INTERDISCIPLINAIRE DE LA CONSTRUCTION EUROPEENNE Travail de fin d’études Année Académique 2014/2015 Etudiant ERMINIA PIETROBONO 1

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COMMENT CONCILIER DEVELOPPEMENT DU MARCHE INTERIEUR, D’UNE PART, ET PRESERVATION DU MODELE DE L’ÉTAT PROVIDENCE, D’AUTRE PART?

MASTER COMPLEMENTAIRE EN ANALYSE INTERDISCIPLINAIRE DE LA CONSTRUCTION EUROPEENNETravail de fin d’étudesAnnée Académique 2014/2015Etudiant ERMINIA PIETROBONO

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IndexCOMMENT CONCILIER DEVELOPPEMENT DU MARCHE INTERIEUR, D’UNE PART, ET PRESERVATION DU MODELE DE L’ÉTAT PROVIDENCE, D’AUTRE PART?

Introduction..............................................................................................................................3

LA NOTION D’ÉTAT PROVIDENCE...............................................................................3

LES PRINCIPES DU MARCHE INTERIEUR...................................................................4

L’APPARENTE CONTRADICTION INITIALE ENTRE LES MODELES..................6

LES TENTATIVES DE SYNTHESE MIS EN ŒUVRE A L’INTERIEUR DE L’UNION.................................................................................................................................8

LES DEFIS ACTUELS DE L’ÉTAT SOCIAL DANS L’UNION EUROPEENNE....12

LE PRINCIPE DE LA LIBRE CIRCULATION DES TRAVAILLEURS ET LA LEGISLATION EN MATIERE DE PROTECTION DES DROITS DES TRAVAILLEURS. LE DUMPING SOCIAL....................................................................17

Bibliographie..........................................................................................................................24

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Introduction

Le but du présent travail est de montrer comment une conscience sociale a pu se développer au sein du marché unique de l’Union européenne, initialement créée et conçue comme une organisation purement économique. La conscience sociale en question a de plus en plus pris pied jusqu’à conditionner les nouvelles politiques de l’Union européenne.

Après avoir décrit brièvement ce que l’on entend par Etat-providence et quels sont les principes fondamentaux régissant le marché unique, on montrera comment les différentes théories du rôle de l’État sont entrés inévitablement en conflit et comment à l’intérieur de l’Union européenne on s’est efforcé de concilier les besoins de protection sociale avec les règles nécessaires au développement économique.

La deuxième partie de la thèse concerne l’une des quatre libertés sur lesquelles se fonde le marché unique, notamment la libre circulation des travailleurs, et plus particulièrement on examinera les garanties sociales mises en place pour donner à ce principe un droit réellement utilisable par chaque citoyen européen.

La libre circulation des travailleurs implique cependant aussi des inconvénients et, à cet égard, il s’agira d’examiner l’aspect du dumping social et voir comment ce phénomène a été abordé par la législation européenne et la jurisprudence correspondante.

LA NOTION D’ÉTAT PROVIDENCE

La référence à l’«État-Providence» désigne l’ensemble des interventions publiques dans le domaine du social qui ont pour but de garantir un niveau minimum de bien-être à toute la population, en particulier grâce à un système de protection sociale.1

Dans le modèle de l’État social, l’État dispose de toute une série de compétences, aux fins de garantir aux citoyens des avantages sociaux et économiques. Il prévoit différentes matières et intervient dans de nombreux domaines, y compris des mesures à caractère économique.

À la base de la philosophie de l’État-providence repose la notion de solidarité. Si l’on admet que tous les êtres humains ont la même valeur, l’Etat-providence est le moyen le plus modéré de civilisation et de solidarité.2

1 Selon Rosanvallon Pierre, «La crise de l’Etat-Providence», Éd. du Seuil, 1981, France, il n’y a pas un seul modèle d’État providence, mais il comporterait trois différentes déclinaisons de la même notion : le modèle anglo-saxon, où il prévaut un État-providence libéral dans lequel il existerait une prévalence du marché sur l’État et où la valeur principale serait la liberté; un modèle social-démocratique, typique de l’Europe de l’est, dans un contexte d’égalitarisme poussé, il y aurait la prédominance de l’État; le modèle typique de l’Europe centrale, typiquement conservateur, dans lequel il y aurait la prédominance de la famille et du principe de fraternité.2 Erik Meijer, «L’Etat-providence, l’Union europèenne et l’avenir» dans dossier: Les modèles sociaux européens, url http://www.espaces-marx.net/IMG/pdf/T_3MEIJER_pdf.pdf , qui soutienne que « l’État-providence est une mosaïque universel ici peut être constitué de toutes les mesures nécessaires pour corriger les capitalisme dans l’intérêt de large couches de la population.»

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Les organisations sociales, dont la généralisation a donné lieu au système général de sécurité sociale obligatoire telle que nous le connaissons, reposent sur le principe de solidarité de la Communauté face aux risques, dans lequel tous les membres du groupe en cas de besoin peuvent bénéficier d’une garantie d’assistance. Cette garantie s’exerce indépendamment du mérite ou des capacités de la personne concernée: la contribution de chacun sert à soutenir le besoin de tous. Le bien-être de chacun est un problème de tous.3

Les mécanismes de solidarité collective ont donc un rôle fondamental dans la construction du lien de cohésion d’une Communauté et constituent l’expression d’un sentiment d’assistance mutuelle, d’un sentiment perçu comme un bien commun.

Par exemple, en s’accordant sur un mécanisme obligatoire général d’assistance en cas de chômage, les partenaires sociaux ne donnent pas seulement preuve de compassion envers les travailleurs qui ont perdu leur emploi, mais ils démontrent aussi qu’il est de l’intérêt du marché du travail dans son ensemble, conçu comme l’ensemble des employeurs et des travailleurs, que toutes les personnes actives puissent bénéficier de conditions de vie minimales garanties y compris ceux qui sont actuellement sans emploi.4

L’État-providence — c’est-à-dire l’ensemble des mécanismes de redistribution publique démocratique des risques sociaux — selon toute probabilité peut être considéré comme l’institution sociale plus efficace qui n’ait jamais été créée tout au long de la longue histoire de la coopération humaine.5

Selon certains auteurs, l’État-providence aurait atteint au cours du siècle dernier un seuil maximal6: face à une demande croissante de sécurité sociale, l’État serait devenu de plus en plus présent et interventionniste. Ainsi, paradoxalement, on assisterait à une régression de la démocratie (en vertu d’une montée des interférences de la part de l’administration étatique) et à une hausse des coûts des politiques d’assistance, qui deviennent de plus en plus nombreuses.

LES PRINCIPES DU MARCHE INTERIEUR

La création d’un marché commun a été le premier objectif que certains pays européens ont voulu atteindre, lors de la signature des traités de Rome (articles 2 et 3 du traité CEE). L’accélération de la construction européenne au cours des années

3 Elvire Fabbri, «la solidarité européenne: Où en sommes nous? Faut-il les renforcer et comment ? », compte rendu de l’édition 2010 du Forum européen des think thanks, URL: http://www.notre-europe.eu/fr/axes/visions-deurope/projets/projet/edition-2010-du-forum-europeen-des-think-thanks//4 Sur ce point Van Parijs cité par 2009 Fabbri Elvire, «la solidarité européenne: Où en sommes-nous? Faut-il les renforcer et comment?», compte rendu de l’édition 2010 du Forum européen des think thanks, op. cit.5 Eloi Laurent, «Europe: faut-il sortir de l’État providence ? », Le Monde, 22 mai 2014. URL http://www.lemonde.fr/idees/article/2014/05/22/europe-faut-il-sortir-de-l-etat-providence_4423653_3232.html qui soutient que «à l’heure où nous nous interrogeons pour savoir si l’Etat-providence favorise le développement, les pays émergents se rendent à l’évidence: L’Etat-providence est le développement.»6 Rosanvallon Pierre, «La crise de l’Etat-Providence», Éd. du Seuil, 1981, France

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1980/1990, qui a conduit à la création d’un marché unique, a été en grande partie provoquée par l’augmentation de la concurrence internationale, particulièrement par les économies des pays émergents, principalement asiatiques. Ainsi, il avait été constaté que l’une des principales faiblesses des entreprises européennes était causée par la fragmentation du marché commun européen: les barrières intracommunautaires adoptées par les États membres entravaient l’apparition de la libre concurrence qui aurait permis aux entreprises les plus efficaces de pouvoir pleinement tirer parti des économies d’échelle, qu’on aurait pu réaliser dans le marché européen élargi.

La solution trouvée fut alors celle d’éliminer (i) toutes les barrières qui empêchaient la réalisation d’un véritable marché intérieur intégré et (ii) les risques liés aux taux de change du commerce intracommunautaire par la création d’une monnaie unique.

Pour le fonctionnement du marché intérieur, on a établi tout d’abord (art. 26 § 2 TFUE) la libre circulation des biens et des personnes, des services et des capitaux (art. 30, 45, 49, 56 et 63 TFUE).

La création du marché intérieur est passée notamment par la réduction de l’intervention publique dans le domaine économique (privatisations, libéralisations, aides d’État): jusqu’alors, les États membres avaient adopté des mesures protectionnistes de leurs entreprises nationales. On avait décidé, donc, de renforcer le pouvoir de contrôle de la Commission au niveau des aides d’État: les articles 90, 92 et 93 cessent d’être lettre morte, comme elles l’avaient été au cours des vingt premières années de l’histoire du marché commun. Dans un autre domaine, toujours dans la même optique, le traité de Maastricht a notamment imposé la règle du vote à la majorité qualifiée pour l’adoption de normes techniques européennes.

Aussi la jurisprudence a suivi cette tendance tout en reconnaissant, à partir du célèbre arrêt Cassis de Dijon (1979), le principe de la reconnaissance mutuelle, aux termes duquel, en substance, on pose des limites à la compétence étatique dans le contrôle des activités économiques, effectuées à l’étranger, ayant néanmoins une incidence à l’intérieur des frontières nationales.7

Le projet d’intégration européenne de ces dernières années, passe donc par la limitation de l’intervention de l’État dans l’économie et l’encouragement du jeu de la concurrence intracommunautaire comme solution pour obtenir la croissance, la compétitivité internationale et l’emploi. En substance, on estime que l’intervention de l’État visant à protéger les entreprises nationales ou en tout état de cause à la réalisation d’intérêts autres que purement économiques, est susceptible de gêner la réalisation d’un espace total de libre-échange au sein de l’Union européenne, particulièrement nécessaire dans un contexte de pressions concurrentielles croissantes provenant des nouvelles réalités économiques mondiales.

7 Cour de justice, affaire 120/78 du 20 février 1979: «En l'absence d'une réglementation commune de la production et de la commercialisation de l'alcool, il appartient aux États membres de régler, chacun sur son territoire, tout ce qui concerne la production et la commercialisation de l'alcool et des boissons spiritueuses […] Il n'y a aucun motif valable d'empêcher que des boissons alcoolisées, à condition qu'elles soient légalement produites et commercialisées dans l'un des États membres, soient introduites dans tout autre État membre».

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L’APPARENTE CONTRADICTION INITIALE ENTRE LES MODELES

La théorie qui sous-tend le fonctionnement du marché intérieur peut être ramenée, en résumant à l’extrême et aux fins de la présente étude, à la notion du libéralisme, selon lequel l’intervention de l’État dans la sphère économique créerait des perturbations dans les mécanismes de régulation du marché. Ces mécanismes, laissés libres d’agir, conserveraient le marché en équilibre.8 Comme on vient de le voir, les politiques de l’Union européenne en faveur du développement du marché intérieur se sont précisément axées sur la limitation de l’intervention de l’État dans l’économie.

La limitation de l’action de l’État dans le domaine économique pour garantir un marché intérieur libre et une libre concurrence ne sont toutefois pas sans conséquences et peuvent poser des questions sur le rôle de l’État en tant que prestataire de services sociaux pour les citoyens.9 La question sociale est donc posée dès le départ au sein du débat européen, par opposition à la vision purement mercantiliste qui caractérise une zone de libre-échange classique.

Déjà les négociations de la conclusion du traité de Rome ont révélé des oppositions entre ceux qui concevaient le «social» comme contenu fondamental de leur engagement dans les communautés (la France) et ceux qui refusent absolument d’accepter que le futur marché commun pouvait avoir une dimension sociale (l’Allemagne). Une solution de compromis a été adoptée: la France a accepté une clause qui ne reconnaissait aucune compétence en matière sociale aux Communautés européennes mais considérait que le marché commun devait permettre un nivellement par le haut des conditions de travail.10 Le texte de cette clause serait devenu ensuite l’art. 117 TCE qui prévoyait de “promouvoir l’amélioration des conditions de vie et de travail de la main d’œuvre permettant leur égalisation dans le progrès”.

Cet article a été utilisé comme base juridique pour toute la législation de l’UE relative à la libre circulation des travailleurs.11

La Communauté économique européenne s’était donc vu refuser une compétence spécifique en matière d’harmonisation sociale, mais s’était contentée de «promouvoir une collaboration étroite» en matière de sécurité sociale.12

8 Voir Adam Smith, selon lequel les pouvoirs de l’État en général devraient se limiter à trois: La défense contre une menace extérieure, la justice, «élever ou entretenir des ouvrages ou établissements publics» qui ne sont pas suffisamment attrayants pour être prises en charge des particuliers (Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776, Livre V).9 Eloi Laurent, «Europe: Faut-il sortir de l’État providence?», Le Monde, 22 mai 2014. Note 24, «Rien ne justifie de sacrifier les bienfaits de l’État- providence sur l’autel d’une compétitivité que l’on ne sait même pas définir ou mesurer.»10 Avec le général de Gaulle au pouvoir, la France renonce, en revanche, à sa demande de traiter la question sociale dans le cadre des Communautés européennes, car l’Europe n’était qu’ «un traité de commerce et rien de plus, n’en déplaise à ceux qui prétendent autre chose» cité dans Gérard Bossuat, «Faire l’Europe sans la défaire», Peter Lang, 200511 En particulier du règlement n° 68/1612/CEE dans le domaine de la libre circulation des travailleurs, qui décline le principe de non-discrimination entre les travailleurs.12 Article 118.CEE. Sans préjudice des autres dispositions du présent traité, et conformément aux objectifs généraux de celui-ci, la Commission a pour mission de promouvoir une collaboration étroite entre les États membres dans le domaine social, notamment dans les matières relatives : - à l'emploi ; - au droit du travail et aux conditions de travail ; - à la formation et au perfectionnement professionnels ; - à la sécurité sociale ; - à la protection contre les accidents et les maladies professionnels ; - à l'hygiène

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Seul l’article 51 CEE prévoyait une intervention dans le domaine de la sécurité sociale. Cette intervention était cependant limitée à favoriser la libre circulation des travailleurs migrants et seulement ceux qui résidaient dans un État membre autre que celui dont ils avaient la nationalité.

Pour le reste, l’harmonisation des législations sociales était déléguée à la mise en œuvre des dispositions générales sur la constitution d’un marché commun et ayant comme objectif l’élimination des distorsions économiques (articles 101 et 102 du traité CEE). Cependant, aucune législation de sécurité sociale ne sera adoptée sur la base de l’article 102.

L’équilibre obtenu dans le traité de Rome se retrouve encore aujourd’hui dans les dispositions de l’article 48 du TFUE, relatif à la coordination des mesures en matière de sécurité sociale et de l’art. 153 TFUE qui permet d’établir des prescriptions minimales (il convient toutefois de noter que ce dernier article n’a toutefois jamais été utilisé).

L’art. 48 TFUE concerne la sécurité sociale des travailleurs migrants. Comme l’a précisé la Cour de justice des Communautés européennes, cet article permet l’adoption de mesures positives d’harmonisation entre les différents régimes de sécurité sociale des différents États membres.13 En ce qui concerne l’harmonisation on doit néanmoins faire référence à la «mise en harmonie» des systèmes de protection sociale, ainsi qu’à des systèmes de règles visant à résoudre les conflits liés aux aspects de la migration. Il s’agit donc, tout simplement, de prendre toutes les mesures nécessaires pour rendre possible et effective la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union.

L’objectif phare reste donc la libre circulation des travailleurs, au-delà de laquelle il n’est pas possible d’adopter des dispositions sur le fondement de l’article 48. Mais la portée exacte et les limites de cet objectif sont difficiles à évaluer. Le législateur de l’Union jouit donc d’une grande marge d’interprétation au moment du choix des mesures les plus appropriées pour atteindre le résultat de la libre circulation.

Il convient de noter que cette compétence était à l’origine sous réserve d’un vote à l’unanimité. Après le passage à la majorité qualifiée, le Traité de Lisbonne a introduit une clause de frein au sein de la disposition de l’article 48 TFUE en ce qui concerne la libre circulation des travailleurs.14 Cette clause n’a jamais été appliquée jusqu’à présent, mais elle a été invoquée à plusieurs reprises par différents États membres afin d’obtenir un plus large consensus dans l’adoption des actes de législation de coordination en la matière.

du travail ; - au droit syndical et aux négociations collectives entre employeurs et travailleurs. A cet effet, la Commission agit en contact étroit avec les États membres, par des études, des avis et par l'organisation de consultations, tant pour les problèmes qui se posent sur le plan national que pour ceux qui intéressent les organisations internationales. Avant d'émettre les avis prévus au présent article, la Commission consulte le Comité économique et social.13 CJCE 16 juillet 2009, von Chamier — Gliczinski, aff. C-208/0714 La clause de «frein d’urgence» a été prévue pour étendre la majorité qualifiée en ce domaine. Le principe est comparable à celui prévu par les deux clauses de «frein de secours» pour l’espace de liberté, de sécurité et de justice: la procédure législative peut être suspendue dans le cas où un État membre estime que son système de sécurité sociale puisse être mis en péril.

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LES TENTATIVES DE SYNTHESE MIS EN ŒUVRE A L’INTERIEUR DE L’UNION

En dépit de l’apparente substantielle indifférence des traités originaires par rapport aux questions purement sociales, l’expérience de l’Union européenne, qui s’est développée au fil des ans, semble démontrer au contraire l’absence d’une incompatibilité absolue et de principe entre la réalisation d’une économie intégrée du marché — objectif primaire de l’Union européenne elle-même, et l’intervention des pouvoirs publics pour protéger la population et surtout les couches de population les plus vulnérables. En substance, la dichotomie entre les deux modèles est plus apparente que réelle, bien que la synthèse ne soit joignable que par un délicat équilibre d’interventions.

En premier lieu, à l’intérieur de l’Union l’interdiction de l’intervention étatique n’est pas totale ; des dérogations sont prévues par la législation européenne. Sur le plan des principes, même l’enseignement historique prouve que l’État-providence n’est pas imperméable aux réformes et que les dispositions en matière de protection sociale les plus généreuses et les plus efficaces sont compatibles avec l’intégration du marché15 et avec l’équilibre des finances publiques.16 La solidarité au niveau européen n’est pas un fait acquis, mais quelque chose à construire: «la solidarité européenne est en tout cas de nature non affective et repose essentiellement sur des intérêts bien compris, souvent perçus et définis par les états membres».17 Jacques Delors évoquait fréquemment un «triptyque» explicatif à cet égard: «La compétition qui stimule, la coopération qui renforce et la solidarité qui unit». 18 Il s’agissait selon Delors l’un des fondements du contrat qui créa le marché européen.

On peut même considérer que la naissance d’un marché commun, devenu ensuite unique, a servi de fondement pour que puisse naître au sein de l’UE un sentiment de solidarité. La mise en œuvre des quatre libertés de circulation, comme rappelé ci-dessus, a donné lieu à des négociations et à des ajustements d’intérêts qui ont été le plus souvent admis dans le budget européen, comme nous le verrons sous peu. L’Union européenne a conféré à ce budget une fonction de redistribution qui a évolué au fil du temps, mais qui demeure crucial.19

Comme nous l’avons vu, la synthèse était déjà présente in nuce, dès la naissance du projet européen. Le traité de Rome contenait déjà dès l’origine un titre

15 Eloi Laurent, «Europe: Faut-il sortir de l’État providence?», Le Monde, 22 mai 2014, précité, «les insécurités sociales actuelles […] conduisent ainsi à penser que nous allons vers un renforcement global de nos protections collectives, soit la direction exactement opposée à ce que nous indique une vulgate néo-libérale en bout de course. […]. En redécouvrant ses fonctions essentielles à la lumière de la question écologique, on réaffirme le rôle majeur de l’état-providence en matière économique et sociale.»16 Sur ce point, Hemerijck Anton, «Failles et rares lueurs d’espoir au sein de l’économie sociale de marché européenne» in Natali David (sous la direction de), «Bilan social de l’Union européenne 2013», Bruxelles, 2014, p. 31

17 Jérôme Vignon, «Solidarité et responsabilité dans l’UE», dans notre Europe, bref, no 26, juin 201118 Jacques Delors, «Mémoires», éd. Plon, Paris 200319 Yves Bertoncini, «La solidarité au sein de l’Union européenne: Fondements politiques», dans notre Europe, tribunes, 5 janvier 2012

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spécifiquement consacré à la politique sociale, même si sa portée pratique était très limitée en raison de la fragilité de l’accord politique sous-jacent. Les États membres étaient d’accord sur la “nécessité de promouvoir l’amélioration des conditions de vie et de travail de la main d’œuvre permettant leur égalisation dans le progrès» 20 et que, par conséquent, ils s’étaient engagés à coopérer dans différents domaines, sans toutefois prévoir aucune action spécifique de la Communauté en tant que telle.21 À cet égard, à l’article 117 TCE ont suivi deux dispositions relatives à l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes (art. 119 CEE) et au maintien de l’équivalence existante entre les régimes de congés rémunérés (art. 120 du traité CEE).

En 1961, le Fonds Social Européen a été institué ayant pour but de financer la formation et la reconversion des travailleurs. Les réformes de ce fonds qui se sont succédés dans le temps ont peu à peu mené des actions du FSE vers une approche toujours plus territoriale, plutôt que personnelle. Par ailleurs, il faudra attendre l’année 2007 et la création du «Fonds européens d’ajustement à la mondialisation» pour voir l’Union européenne intervenir en faveur des travailleurs.22

Un nouvel élan à la politique sociale est venu par les traités ultérieurs, à commencer par le traité de Maastricht et par l’Acte unique européen, puis dans le traité d’Amsterdam.

On doit considérer notamment, sur le plan des principes, la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, du 9 décembre 1989, faisant désormais partie intégrante du traité en 1997, ayant pour but d’ “affirmer de façon solennelle que la mise en œuvre de l’Acte unique doit pleinement prendre en compte la dimension sociale de la Communauté”. En outre, la Charte insiste sur la nécessité de “donner aux aspects sociaux la même importance qu’aux aspects économiques et (…), dès lors, ils doivent être développés de façon équilibrée”23. La Charte consacre les droits dont doivent bénéficier tous les travailleurs dans l’Union européenne: libre circulation, juste rémunération, amélioration des conditions de travail, la protection sociale, le droit de s’associer et d’adhérer à des accords collectifs, égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne leurs chances sur le marché du travail et le traitement au travail, information, consultation et participation des travailleurs, protection de la santé et de la sécurité sur le lieu de travail, protection des enfants, des personnes âgées et des personnes handicapées.24

Par la suite, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, signée à Nice le 7 décembre 2000 et adoptée à Strasbourg le 12 décembre 2007, a consacré de nombreux droits sociaux déjà présents dans la Charte des droits sociaux. Une nouveauté de ce texte est la valeur équivalente qui est reconnue aux droits

20 Article 117 CEE, maintenant devenu l’article 151 TFUE21 Art 118 CEE (Art. 156 TFUE)22 Yves Bertoncini, «La solidarité au sein de l’Union européenne: fondements politiques», dans Notre Europe, Tribune, 5 janvier 2012, qui souligne que «les fondements politiques d’une telle intervention sont assez clairs: puisque l’UE est à l’origine d’une libéralisation commerciale pouvant entraîner des délocalisations et des pertes d’emplois, il paraît logique qu’elle contribue directement à l’indemnisation des travailleurs qui en sont victimes».23 Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, URL http://www.eesc.europa.eu/resources/docs/chartecomdroitssociauxfondamentaux-fr.pdf

24 Voir notamment les articles 5, 15, 23, 27, 31.

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économiques et sociaux, et aux droits civils et politiques. Cette équivalence est effectuée par la reconnaissance de valeurs non hiérarchisées parmi lesquelles la solidarité en tant que fondement de la reconnaissance des droits collectifs et de la liberté syndicale des travailleurs. A cet égard on a relevé à juste titre que «bien que la création de richesse soit essentielle pour le progrès social, celui-ci ne peut être fondé uniquement sur la compétitivité des économies. Il doit l'être également sur l'efficacité de la société européenne dans son ensemble, efficacité basée sur une population active éduquée, motivée et adaptable. Le progrès économique et le progrès social doivent, donc, aller de pair pour préserver les valeurs qui constituent le modèle social européen: l’économie de marché, la démocratie et le pluralisme, le respect des droits individuels, la liberté des négociations collectives, l'égalité des chances pour tous, la protection sociale et la solidarité.»25

Le développement de la conscience sociale de l’Union européenne a ensuite été mis en œuvre par l’article 151, paragraphe 1, TFUE, selon lequel la politique sociale a pour objectifs “la promotion de l’emploi, l’amélioration des conditions de vie et de travail, permettant leur égalisation dans le progrès, une protection sociale adéquate, le dialogue social, le développement des ressources humaines permettant un niveau d’emploi élevé et durable et la lutte contre les exclusions».26 Les mesures nécessaires à la réalisation des objectifs énoncés, tant au niveau des États membres qu’à l’échelon de l’Union doivent tenir “compte de la diversité des pratiques nationales, en particulier dans le domaine des relations conventionnelles, ainsi que de la nécessité de maintenir la compétitivité de l’économie de l’Union”. La disposition prévoit enfin que la réalisation des objectifs de la politique sociale “résultera tant du fonctionnement du marché intérieur, qui favorisera l’harmonisation des systèmes sociaux, que des procédures prévues par les traités et du rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives”.

Ainsi, en matière de politique sociale, le droit de l’Union a pour objectif le rapprochement des législations nationales, caractérisées par une forte différence entre elles. L’article 153, paragraphe 1, du TFUE prévoit que «l’Union soutien et complète l’action des États membres» dans le but de réaliser les objectifs sociaux pour l’harmonisation «dans les progrès» selon les termes de l’article 151 TFUE précité. L’article 153 TFUE réalise donc dans le domaine de la politique sociale, le principe de subsidiarité énoncé à l’article 5, paragraphe 3, du traité sur l’Union européenne.27

Cette évolution législative a trouvé un correspondant dans l’évolution jurisprudentielle. Depuis les années 80 du siècle dernier, la Cour de justice a été particulièrement active pour tenter de faire aboutir le projet européen à un véritable marché unique. Ces dernières années, on a donc alimenté un débat sur les limites d’application des règles régissant le marché intérieur dans le domaine de la sécurité sociale. Un exemple clair des interférences possibles qui peuvent exister entre les

25 Moussis Nicholas, «Accès à l’Union européenne: Droit, économie, politiques», European Study Service, Rixensart, 200826 Il est évident la contribution donnée par la Charte sociale européenne, signée à Turin le 18 octobre 1961 et dans la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs de 1989.27 Schmitt Mélanie, «Droit du travail de l’Union européenne», éd. Larcier, Bruxelles, 2012

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besoins sociaux nationaux et la régulation économique au niveau européen est bien représenté dans les affaires Kohll28 et Decker.29

Dans les deux cas, des ressortissants d’un État membre se sont rendus dans un État membre autre que celui dans lequel ils résident en vue d’obtenir dans un cas des lunettes de vue et dans l’autre une prestation dentaire. Les deux exigeaient ensuite le remboursement de ces prestations réalisées «à l’étranger» par leur service d’aide sociale national. Dans ses arrêts, la Cour de justice a été très claire sur le fait que les principes communautaires en matière de libre circulation peuvent et doivent être appliqués au secteur de la sécurité sociale.30 Cela signifie que, même si une circonstance est étroitement liée au système de sécurité sociale nationale, cela ne signifie pas qu’il soit exemptée de l’application des règles financières communautaires.31

Cette progressive infiltration de règles généralement économiques dans des secteurs traditionnellement sociaux a été décrite comme un processus de «Euro-creep» (Euro-fluage) au moyen duquel les États ont vu les règles économiques européennes s’infiltrer dans des secteurs précédemment considérés à l’abri des ingérences communautaires.32

Il convient d’ajouter que, depuis la fin des années 80, la plupart des États européens ont adopté toute une série de réformes visant à rendre leurs systèmes sociaux plus efficaces et plus favorables à la production d’emploi.

Ainsi, on a dessiné un processus de transformation graduelle des États providence dans divers domaines clés de la politique sociale: En matière de politique salariale par la mise en place d’accords avec les syndicats et les organisations patronales et gouvernementales; dans le cadre de l’aide sociale grâce à des programmes de protection qui lient la protection d’une prestation de revenu minimum à des programmes de réinsertion sociale; la politique de l’emploi et la réglementation du marché du travail se sont orientés vers le modèle de flexicurité33; en matière de retraites, on a veillé à prendre des initiatives afin de promouvoir une vie active plus longue et plus saine; pour terminer, avec les interventions dans le domaine de la 28 Raymond Kohll v union des caisses de maladie, Case C-158/9629 Nicolas Decker v Caisse de maladie des employés privés, Case C-120/9530 «Les articles 59 et 60 du traité CE s'opposent à une réglementation nationale qui subordonne à l'autorisation de l'organisme de sécurité sociale de l'assuré le remboursement, selon le barème de l'État d'affiliation, des prestations de soins dentaires fournies par un orthodontiste établi dans un autre État membre.» (Kohll)31 “Calling something social security policy does not give Member State carte blanche. The Member States have some discretion but that discretion is confined”: Nickless Jason, “The impact of the EU Internal Market on Social Health Care” paper prepared for delivery at the conference on European Integration and Health Care System: A Challenge for Social Policy. A conference organized during the Belgian presidency of the European Union, 7-8 Decembre 2001.32 Terme utilisé par Berman P. dans son discours «The effects of euro-creep on Health Care: «Ostrich policies or anticiper», 19-20 février 1998, Oostende et rapportées par Nickless Jason, «The impact of the EU internal market on social Health Care», op.cit.33 «La flexicurité est une stratégie intégrée visant à renforcer à la fois la flexibilité et la sécurité sur le marché du travail. Elle cherche à concilier les besoins des employeurs en matière de flexibilité de la main-d'œuvre avec ceux des travailleurs en matière de sécurité  », Commission européenne, Emploi, affaires sociales et inclusion, URL http://ec.europa.eu/social/main.jsp?catId=102&langId=fr

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politique de la famille, complément indispensable d’assistance et de soutien aux travailleurs.

Les États providence se sont ainsi progressivement transformés en «Etats sociaux actifs» tel qu’il est également consacré par l’article 156 TFUE, article qui encourage la coopération entre les États membres de l’Union facilitant également la coordination de leur action dans tous les domaines de la politique sociale.

De bref aperçu, il est facile de vérifier qu’en réalité le marché intérieur, comme mis en œuvre par l’Union européenne, ne prévoie pas un modèle de libéralisme absolu. En outre, il prévoit toujours un rôle central de l’État dans le domaine social, tout en restant dans les limites des objectifs de réalisation du marché intérieur et, comme on le verra dans le paragraphe suivant, notamment à la lumière des récentes évolutions du contexte intérieur et international.

En définitive, on peut néanmoins concorder avec ce qui est écrit dans les relations entre les institutions de l’Union européenne et les États membres en matière de prestations sociales: «l’Etat-providence n’a jamais été créé par l’Union européenne ou par les trois Communautés européennes précédentes qui rassemblaient, à un stade plus précoce, un petit nombre d’Etats seulement. L’Etat-providence ne peut pas être amélioré ou supprimé par l’Union européenne, même si elle essaie sans cesse d’interférer sur lui.»34

LES DEFIS ACTUELS DE L’ÉTAT SOCIAL DANS L’UNION EUROPEENNE

La tension entre les objectifs de nature strictement économique propres à l’Union européenne et sa fonction sociale issue de la sphère publique a acquis aujourd’hui une nouvelle signification, en raison d’une série de défis résultant des actuelles conditions intérieures et internationales, certes changés par rapport au scénario dans lequel l’Union est née et dans la situation où le corpus législatif en vigueur a été façonné.

Au niveau intérieur, on doit faire référence en premier lieu à l’élargissement de l’Union à l’Est en 2004, dans un contexte international caractérisé, comme nous l’avons vu, par une pression concurrentielle croissante de la part des États non européens. Dans ce contexte de concurrence internationale, les entreprises européennes commencent à délocaliser une partie du processus de production dans les pays dans lesquels ils peuvent offrir des salaires plus bas et où l’on peut disposer d’une main d’œuvre hautement qualifiée à meilleur marché, et notamment dans les pays d’Europe orientale qui, entre-temps, ont adhéré à l’Union européenne et bénéficient donc des quatre libertés offertes par le marché unique (la libre circulation des personnes, des biens, des capitaux et des services). Ce phénomène de décentralisation du processus de production, conjugué à la mobilité accrue des capitaux et des investissements, a engendré des pressions sur les systèmes sociaux européens et risque de faciliter le développement d’une concurrence vers le bas en matière de réglementation fiscale afin de lutter contre cette délocalisation. À cet égard, on parle de dumping social (voir ci-dessous).

34 Erik Meijer, «l’Etat-providence, l’union européenne et l’avenir» dans dossier : Les modèles sociaux européens, cité.

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En tout état de cause, compte tenu du fait que le marché unique n’est pas encore devenu une économie unique, pour son bon fonctionnement, il convient que soient éliminés les déséquilibres économiques et sociaux susceptibles de se produire en son sein. Il faut donc aujourd’hui privilégier l’objectif des politiques de solidarité, conçues pour aider les régions où le niveau de développement est plus faible et/ou les secteurs de l’économie sont en difficulté.

La question de la persistance d’une différence entre modèles sociaux européens et de leurs capacités d’adaptation à la pression concurrentielle a été donc abordée à Lisbonne.35 Le défi social présente un double aspect: il s’agit en même temps de réduire le pourcentage de non actifs en Europe de manière à réduire leur poids financier, et d’augmenter le niveau de la formation.

Le pilier social de la stratégie de Lisbonne “doit permettre de moderniser le modèle social européen grâce à l’investissement dans les ressources humaines et à la lutte contre l’exclusion sociale” tout en investissant dans l’éducation et la formation.36 Malheureusement, faisant aujourd’hui un bilan des réalisations de la stratégie de Lisbonne, on peut noter que plusieurs des objectifs qui y étaient proposés n’ont pas encore été atteints.37

Par ailleurs, à partir de 2009, les politiques sociales de l’Union européenne et des États membres se sont trouvées entravées par la crise économique et financière mondiale. La discipline imposée dans le cadre de la politique monétaire a bloqué la croissance et a contribué à accroître le taux de chômage des pays les plus pauvres de la zone euro: «La cohésion économique et sociale et le modèle social européen sont sacrifiés à l'autel de la procédure de déficit excessif.»38

La crise de la zone euro s’est traduite par une augmentation de la responsabilité de tous les États membres et a abouti à une multitude de règles de rigueur budgétaire et de réduction des dépenses en matière sociale dont les conséquences sont bien visibles dans certains pays les plus faibles.39 L’Union européenne est donc appelée à jouer un rôle plus actif aux côtés des États membres, en tenant compte des différentes situations des ressortissants européens concernés par les mesures.40

La crise remet, en substance, en cause la logique économique de l’intégration européenne depuis les années 80: des nations alliées qui sont conçues comme une collectivité de petits pays qui tentent par tous les moyens de se faire concurrence au niveau fiscal et social plutôt que d’organiser ensemble les conditions de leur prospérité

35 La stratégie de Lisbonne est un programme de réformes économiques adopté à Lisbonne par les chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne en 2000. L’objectif expressément déclaré est celui de faire de l’Union européenne la plus compétitive et dynamique économie basée sur la connaissance d’ici 2010. Sources: Wikipedia, intitulé «Stratégie de Lisbonne».36 Erik Meijer, «l’Etat-providence, l’union europèenne et l’avenir» dans dossier: Les modèles sociaux européens, URL http://www.espaces-marx.net/IMG/pdf/T_3MEIJER_pdf.pdf soutient que «en fin des compte, l’Europe sociale est une copie de l’Europe néolibérale.»37 Voir «An Agenda for a growing Europe» Making the EU Economic System Deliver, Report of an Independent High-Level Study Group established on the initiative of the President of the European Commission, Chairman of the Group André Sapir, July 200338 Moussis Nicholas, «Accès à l’Union européenne: Droit, économie, politiques», European Study Service, Rixensart, 200839 La Grèce, l’Irlande, l’Espagne et le Portugal.40 Jérôme Vignon, «Solidarité et responsabilité dans l’UE», dans notre Europe, bref, no 26, juin 2011

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commune. Les différences structurelles entre les économies finissent par être trop lourdes au moment où les instruments nécessaires pour asseoir une solidarité au niveau européen deviennent de ce fait impossibles à construire.41

La crise économique et financière a en outre provoqué paradoxalement la nécessité imprévue d’une accélération du processus d’intégration de l’Union, que l’on peut voir également dans les domaines désormais couverts par le principe du partage de la souveraineté dans le domaine macroéconomique.42 Les États membres, y compris ceux qui s’étaient montrés plus hostiles au projet de Constitution européenne (songeons à la France) ne demandent pas de renoncer à l’euro mais réclament un renforcement des garanties sociales et politiques qui favoriseraient sa légitimité. Il semble évident que faire régresser la protection sociale reviendrait à priver l’Europe de son bien commun plus utile et faire cesser de fonctionner le cœur de la prospérité sociale.43 Ainsi il a été observé, “Au-delà de la question de la croissance, il reste clair que la conjoncture européenne requiert une démonstration de solidarité et de justice, manifestant que la rigueur ainsi consentie ne doit pas, au contraire, aggraver les risques d’exclusion et de pauvreté. Elle appelle surcroît de solidarité européenne, ce qu’en d’autre termes ou peut nommer une étape supplémentaire de l’Europe sociale.»44

Une question importante de ce nouveau cadre économique est celui qui concerne les modalités d’implication des partenaires sociaux européens. La Confédération européenne des syndicats (CES) s’est opposée fermement à des mesures considérées comme antisociales et qui ne tenaient pas en compte de la diversité des situations de chaque pays de l’Union.45 La Confédération des syndicats s’est ainsi faite porte-parole d’un mouvement contre une réglementation dite aveugle car “inspirée par une sorte d’ordo libéralisme européen coupé de la délibération démocratique”46

En raison de la période de stagnation économique résultant de la crise actuelle, il s’est donc développé un grand débat sur la nécessité de renforcer la dimension sociale de l’Union européenne.47

41 Eloi Laurent, «Europe: Faut-il sortir de l’État providence?», le monde, 22 mai 2014 c-104/03 «La crise presque fatale des années 2010 – 2012 est venue confirmer l’instabilité existentielle de cette Europe à somme nulle, où ce qui est gagné par les uns est perdu par les autres.»

42 Sur le caractère déséquilibré de cette route à absorber l’intégration européenne voir Tommaso Padoa Schioppa, «La stabilitè oui; mais aussi la croissance». octobre 2010, dans notre Europe, bref, no 16, jamais 201043 Eloi Laurent, «Europe: Faut-il sortir de l’État providence?», le monde, 22 mai 2014, «Défaire l’état-providence, comme commencent aujourd’hui de le faire les pays européens de la Grèce au Royaume-Uni, c’est lui faire payer le prix des erreurs de l’Etat macroéconomique et de l’état régulateur, lui qui n’a jamais provoqué la moindre crise économique et permet au contraire depuis quatre décennie de contenir les dégâts de celles qu’engendrent à répétition l’aveuglement des politiques budgétaires et monétaires et la financiarisation à outrance.»44 Jérôme Vignon, «Solidarité et responsabilité dans l’UE», dans notre Europe no 26, juin 201145 Voir, entre autres, la «Déclaration de la CES sur la situation économique actuelle», du 19-20 octobre 2010 en https://www.etuc.org/fr/documents/d%C3%A9claration-de-la-ces-sur-la-situation-%C3%A9conomique-actuelle#.VbZMVP4w-Uk46 Jérôme Vignon, «Solidarité et responsabilité dans l’UE», dans notre Europe no 26, juin 2011

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Ce débat a été encouragé par la Commission européenne à travers sa communication sur le «renforcement de la dimension sociale de l’Union économique et monétaire».48 Le document apporte quelques grandes lignes directrices pour améliorer la dimension sociale de la zone euro:

- Renforcer la surveillance sur l’utilisation et sur les défis sociétaux et coordonner les politiques nationales dans ce domaine. À cet égard, on a souligné la nécessité d’améliorer les règles et les droits sociaux dans les pays de l’UE: cette amélioration devrait contribuer à faciliter la libre circulation des travailleurs, et donc à créer un marché de l’emploi plus efficace et de nature à contrecarrer le risque de dumping social, notamment par la mise en place au niveau européen d’exigences sociales minimales de nature à mettre un frein à la course sociale vers le bas;49

- Approfondir la solidarité et les actions dans le domaine de l’emploi et de la mobilité de la main d’œuvre: à cet égard, la Commission propose la mobilisation complète des fonds d’investissement et des Fonds structurels pour faire en sorte que les politiques sociales plus efficaces puissent être diffusées; un rôle stratégique de l’UEM (Union économique et monétaire) dans la redistribution sociale, par exemple à travers la mise en place d’un régime européen d’assurance chômage50

- Renforcer le dialogue avec les partenaires sociaux européens grâce à la mise en place d’un comité pour le dialogue social. Le débat sur cette question met l’accent sur la nécessité de prévoir des stabilisateurs automatiques au niveau européen qui peuvent revêtir la forme de fonds de solidarité ou de l’octroi d’allocations sociales minimales à transposer au niveau européen. À cet égard, certains auteurs51 proposent l’adoption d’un programme établissant un régime européen d’assistance en cas de chômage, financé par un transfert économique effectué à cet égard par les États membres à un fonds européen capable de réaffecter autant que de besoin aux États membres les plus touchés

47 David Natali (sous la direction de), «Bilan social de l’Union européenne 2013», Bruxelles, 201448 Commission européenne, Communication «Renforcer la dimension sociale de l’Union économique et monétaire», COM (2013) 690 final du 2 octobre 201349 Priestley J., «EU election fault lines: The free movement of labour, Policy Network», 14 janvier 2014 qui soutient la création d’un système européen de salaire minimal national. Voir également, sur ce point, Chopin t. et Fabre A., «Social Europe», a lever for euro zone integration, Fondation Robert Schuman/ European Issues, 292,, où les auteurs soutiennent la création d’un «salaire minimum européen» calculé comme pourcentage donné du salaire médian de chaque état membre. «Le pourcentage serait le même pour tous les états participants et le niveau absolu du salaire minimum varierait donc selon le salaire médian de l’état considéré.»

50 Mais à cet égard, la Commission soutient que, en vue de la mise en pratique de ces mesures devrait être une modification importées aux textes des traités car, à l’heure actuelle, l’UE n’a pas la compétence nécessaire pour pouvoir les adopter51 Peine/Casas Ramon et Bouget Denis, «Vers un revenu minimum européen? Débats, enjeux et perspectives», dans David Natali (sous la direction de), «Bilan social de l’Union européenne 2013», Bruxelles, 2014, p.139

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par la crise de l’emploi. Il s’agirait d’un véritable filet de sécurité au niveau européen capable de coordonner les efforts nationaux et, en même temps, offrir une protection de base provenant de l’UE.

Comme on peut le constater, la conception de l’investissement social a changé, elle n’est plus reléguée à une sorte de politique de «beau temps» qui doit être supprimée lorsque les circonstances deviennent difficiles.

Même en tenant compte du vieillissement de la population, les États providence sont comparés avec d’énormes défis en termes d’investissement social. On pourrait parler d’un changement de paradigme au sein de la Commission52: la Direction Generale de l’emploi, des affaires sociales et de l’inclusion (DG Emploi) estime que les politiques sociales actives stimuleraient la croissance économique, la compétitivité, la création d’emplois et les recettes fiscales en réduisant ainsi la pression sur le budget à long terme.

Le train de mesures sur les investissements sociaux et la DG Emploi s’écartent donc de la théorie négative de l’État-providence pour souligner l’importance clé de l’activation des politiques sociales qui fournissent des services essentiels aux familles et au marché du travail. En d’autres termes, le véritable point essentiel ne réside pas dans les dépenses sociales mais dans la manière de concevoir l’État-providence. Dans la mesure où les dangers liés au cycle de vie et du marché sont devenus fondamentalement moins prévisibles, les États providence des économies avancées doivent fournir des services sociaux capables de renforcer les aptitudes et les compétences, qui ne sont pas nécessairement proposées par le marché, dans le but de fournir des instruments plus élevés pour les ménages atténuant ainsi les risques auxquels ils sont confrontés.

Par ailleurs, l’agenda de l’investissement social est par essence même une stratégie de l’offre ne pouvant à elle seule être une alternative viable à une politique macroéconomique efficace, mais plutôt un complément de celui-ci: plus il y aura des investissements sociaux intégrés dans une politique macroéconomique crédible et plus les rendements de ces investissements seront élevés.53

En conclusion et à la lumière de la récente crise ainsi que des problèmes engendrés par l’évolution de la position de l’Union européenne sur la scène internationale, la réalisation complète du marché unique demeure une priorité de la Commission européenne, qui s’efforce de relancer l’économie du vieux continent après la crise. Tel est l’objet des « Actes pour le marché unique I54 et II55», une série de mesures visant à relancer l’économie et l’emploi. Certes, toutefois, la création d’un marché unique moderne ne saurait se faire sans la mise en place d’un système social cohérent et tendanciellement uniforme au sein de l’Union européenne. Plus

52 Hemerijck Anton, «Failles et rares lueurs d’espoir au sein de l’économie sociale de marché européenne», cité53 Hemerijck Anton, «Failles et rares lueurs d’espoir au sein de l’économie sociale de marché européenne», dans David Natali (sous la direction de), «Bilan social de l’Union européenne 2013»,54 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, l’acte pour le marché unique Douze leviers pour stimuler la croissance et renforcer la confiance «Ensemble pour une nouvelle croissance», COM/2011/0206 final55 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, l’acte pour le marché unique II «Ensemble pour une nouvelle croissance», 3.10.2012, COM(2012) 573 final

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précisément, l’objectif des politiques sociales européennes doit être principalement celui de corriger les plus flagrantes inégalités présentes au sein de la société européenne. Une synthèse des différents objectifs économiques et sociaux, semblerait de ce fait encore possible.

En tout état de cause, l’aide financière n’est pas la seule mesure prévue par l’Union européenne pour améliorer les conditions sociales en Europe. Les effets dynamiques de la croissance doivent encourager le progrès social.56 Cela va de pair avec la mise en place d’une législation garantissant un socle dur de droits sociaux, dont certains sont consacrés par les traités (comme par exemple l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes57), tandis que d’autres sont issus des directives (par exemple ceux qui concernent la protection des travailleurs et les normes de sécurité58). Dans le dernier paragraphe du présent document, on analysera précisément la législation européenne en matière de protection sociale des droits des travailleurs.

LE PRINCIPE DE LA LIBRE CIRCULATION DES TRAVAILLEURS ET LA LEGISLATION EN MATIERE DE PROTECTION DES DROITS DES TRAVAILLEURS. LE DUMPING SOCIAL.

Aujourd’hui encore, et malgré les interventions de l’Union européenne dans ce domaine, il existe encore de nombreuses entraves à la libre circulation des personnes dans l’Union européenne: pour certains, il s’agit d’obstacles liés à la culture et aux traditions, pour d’autres, il s’agit d’obstacles juridiques ou administratifs.

La question qui se pose est de savoir comment supprimer ces obstacles afin de favoriser une véritable mobilité géographique des travailleurs. Dans ce contexte, les droits sociaux fondamentaux jouent un rôle important pour la protection de la main-d’œuvre.

Dans le but de garantir le droit à la libre circulation des travailleurs, l’Union européenne a mis au point plusieurs politiques qui, ensembles, contribuent à la réalisation de l’objectif en cause:

— la politique commune pour le travail, qui vise à coordonner les politiques nationales de l’emploi et les politiques de l’Union de telle sorte qu’elles soient cohérentes les unes avec les autres afin de promouvoir les réformes économiques et sociales;59

56 FONTAINE Pascal, «The European Union explained: Europe in 12 lessons», European Union, 201457 Article 157.1. TFUE: «Chaque État membre assure l'application du principe de l'égalité des rémuné-rations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail ou un travail de même valeur.»58 Directive 89/391/CEE du Conseil du 12 juin 1989 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail.

59 Voir Moussis Nicholas, «Accès à l’Union européenne: droit, économie, politiques», cité. «La stratégie coordonnée pour l'emploi vise à canaliser les réformes structurelles et la modernisation afin d'améliorer l'efficience du marché de l'emploi, tout en maintenant une dynamique de croissance non

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— la politique d’éducation et de formation professionnelle, qui accompagne la première politique afin d’adapter la main-d’œuvre à l’évolution des conditions de vie et de travail;

— la politique commune pour l’amélioration des conditions de vie et de travail qui a pour but la convergence des systèmes de protection sociale et la création d’un socle commun de règles sociales.

Du point de vue du droit positif, le droit à la libre circulation des travailleurs, depuis la signature du traité de Rome, a prévu la suppression de toutes les discriminations fondées sur la nationalité par les États membres afin de permettre l’ouverture du marché du travail aux ressortissants d’autres États membres.

L’article 45 paragraphe 1 du TFUE a établi dès lors que «la libre circulation des travailleurs est assurée à l’intérieur de l’Union». Pour que la libre circulation des travailleurs soit assurée conformément à cet article, l’Union adopte une série de mesures pour: (i) assurer une collaboration étroite entre les administrations nationales du travail; (ii) éliminer les procédures et pratiques administratives et toutes les restrictions dont le maintien entraverait la libre circulation des travailleurs ou qui imposeraient des conditions différentes en ce qui concerne les possibilités d’emploi entre ressortissants d’États différents; (iii) établir des mécanismes aptes à mettre en contact les offres et les demandes d’emploi (art. 46 TFUE).

Sur base de l’article 46 a été adopté le règlement n° 1612/68/CEE, modifié à plusieurs reprises, relatif à la libre circulation des travailleurs salariés et qui a achevé la discipline de ce droit fondamental.60 Ce règlement a été finalement remplacé par le règlement n° 492/2011/UE.61

A cet égard on doit rappeler également la directive 2004/38/CE du 29 avril 2004, une sorte de texte unique qui réunit les dispositions en matière de libre circulation en ce qui concerne les travailleurs salariés, les non-salariés, les étudiants et les autres personnes sans emploi.62

A ces dispositions à caractère général s’ajoute toute une série de dispositions contenues dans des directives et règlements relatifs à la reconnaissance des diplômes et des qualifications professionnelles.63

Corollaire indispensable à la reconnaissance de la liberté de circuler, c’est le principe de non-discrimination rappelé à plusieurs reprises.

inflationniste. Les orientations pour l'emploi, qui sont approuvées chaque année par le Conseil, aident les États membres à concevoir leurs propres stratégies pour l'emploi, tout en poursuivant des objectifs communs, tels que: l'accroissement des possibilités d'emploi par une formation professionnelle adéquate; le développement de l'esprit d'entreprise; l'encouragement de l'adaptabilité des ressources humaines; et la garantie des chances égales pour les hommes et les femmes.»60 Règlement n° 1612/68 du Conseil, du 15 er octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté (JOCE L 257 du 19 octobre 1968) maintenant abrogé.61 REGLEMENT (UE) n° 492/2011 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 (JO L 141 du 27.5.2011, p.1).62 Directive 2004/38 du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, joue, 29 juin 200463 Voir, par exemple, la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, ultérieurement modifiée, et le règlement n° 1024/2012 du 25 octobre 2012 concernant la coopération administrative par l’intermédiaire du système d’information du marché intérieur.

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Conformément à l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 492/2011, l’interdiction s’applique à l’ensemble des éléments de la relation de travail, et «notamment en matière de rémunération, de licenciement et de réintégration professionnelle ou de réemploi s’il est tombé en chômage», ainsi que, selon l’article 8 de ce même règlement, les droits syndicaux, y compris le droit d’affiliation à un syndicat, le droit de vote et d’éligibilité aux organes de représentation syndicale.

Le principe de non-discrimination couvre l’ensemble des conditions de travail et s’étend aux «avantages sociaux et fiscaux» dont bénéficient les travailleurs nationaux.64

La notion d’avantage social a été interprétée dans un sens large jusqu’au point d’englober «tous avantages qui, liés ou non à un contrat d’emploi, sont généralement reconnus aux travailleurs nationaux […] et dont l’extension aux travailleurs ressortissants d’autres états-membres apparaît, des lors, comme apte à faciliter leur mobilité à l’intérieur de la Communauté».65

On doit considérer enfin qu’il est dans l’intention des institutions européennes de réviser et d’améliorer la législation en matière de libre circulation des travailleurs et des aspects sociaux qui y sont liés. Dans le cadre du programme de travail de l’année 2015, la Commission a donc annoncé un Labour Mobility Package66, qui a pour but de «créer un marché intérieur plus réceptif et plus équitable vis-à-vis des travailleurs mobiles et migrants».67

La libre circulation des travailleurs permet donc à tous les citoyens européens d’ «aller chercher» à l’intérieur de l’Union des conditions de vie et d’emploi meilleures que celles offertes dans leur région d’origine. Dans le même temps, cette circulation de travailleurs pourrait réduire les pressions sociales dans les pays et régions les plus pauvres de l’UE, permettant ainsi une amélioration des conditions de vie de la population qui ne bouge pas, alors que, au niveau européen, faciliterait l’adéquation entre l’offre et la demande de travail, notamment en cas de fluctuation du marché du travail, facilitant ainsi des politiques plus cohérentes et efficaces à l’échelle européenne.68

La liberté de circulation des travailleurs peut donc contribuer à la réalisation des objectifs du marché unique, à travers la mise en place d’un marché du travail plus flexible et, par conséquent, plus efficace.69

64 Art. 7, paragraphe 2 du règlement n° 492/2011.65 CJCE 27 mai 1993, Schmid, C-310/91, Rec. P. I- 301166 Voir le document de la Commission COM(2014) 910 final du 16 décembre 2014.67 Selon une étude réalisée par M. Carlo Caldarini pour le compte de l’Observatoire INCA CGIL sur les effets possibles du Labour Mobility package (disponible sur http://www.osservatorioinca.org/section/image/attach/Labur_Mobility_Package.pdf,) le nouveau paquet aurait pour conséquence d’introduire des «nouveaux et plus stricts critères d’accès aux prestations de sécurité sociale qui favoriseront des pays comme l’Allemagne et le Royaume-Uni, et qui pénaliseront à la fois les travailleurs mobiles et leur pays d’origine, ceux qui ont des systèmes économiques, sociaux et de sécurité sociale plus faibles par rapport à ceux de destination».68 En ce sens Moussis Nicholas, «Accès à l’Union européenne: Droit, économie, politiques», European Study Service, Rixensart, 200869 Moussis Nicholas, «Accès à l’Union européenne: droit, économie, politiques», cit, qui affirme que «pour la création d'une véritable zone européenne de mobilité, dans laquelle la liberté de circulation devienne non seulement un droit légal, mais aussi une réalité quotidienne pour toutes les couches des populations en Europe il faut encore la convergence de plusieurs paramètres […] sur la politique

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Il convient toutefois de fixer également un autre aspect de cette liberté de circulation. Il existe un risque inhérent à la mobilité libre et garantie des travailleurs, à savoir que des travailleurs provenant de pays dont le niveau de vie est inférieur au niveau de vie du pays d’accueil puissent accepter des conditions de travail moins favorables que celles réservées aux travailleurs nationaux, mettant en péril les conditions économiques des travailleurs locaux. Ce phénomène est connu sous le nom de «dumping social».70 Cette expression indique la concurrence entre travailleurs, concurrence qui est exacerbée par la mondialisation économique.

Ce phénomène, en plus d’être préjudiciable à la cohésion sociale du pays hôte, peut porter atteinte au pays de nationalité du migrant. Il peut créer des problèmes de financement du système des retraites et l’émergence d’un phénomène de désertification industrielle progressive et de dépeuplement de certaines régions géographiques. Ce phénomène a été constaté principalement dans les pays du sud et de l’est de l’Europe.

En outre, peut apparaître une pression concurrentielle à la baisse à l’égard des systèmes de sécurité sociale de différents pays. À cet égard, il a été bien noté que «la création du marché unique expose les entreprises opérant dans un contexte national à une concurrence avec les autres entreprises dans les autres états membres. Cela signifie qu'une pression sera exercée sur les entreprises avec des coûts salariaux élevés, pour conserver une productivité qui leur permettra de concurrencer les entreprises de la Communauté ayant des coûts salariaux plus faibles. Une conséquence des différences de coût du travail est le risque d'une menace de dumping social. Comme conséquence de ce qu'on a appelé 'concurrence des régimes sociaux' entre états membres, les gouvernements nationaux subiront une pression pour réduire leurs standards sociaux et du marché du travail, afin de diminuer les problèmes de couts salariaux indirects sur les entreprises. »71

Autre révélateur du débat suscité par la question du dumping social a été l’attention suscitée au niveau européen par la figure du travailleur détaché.72

L’encadrement est dicté par la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services. Cette réglementation stipule que le travailleur détaché temporairement dans un autre État membre dans le cadre d’une prestation de services, devrait bénéficier d’un salaire minimum dans le pays de destination et des mêmes conditions de travail que les résidents de ce pays. Au contraire, le régime de protection sociale applicable reste le même que celui du pays d’origine ainsi que les versements liés à la prestation de travail. On a ainsi observé que «En effet, la directive détachement, […], profite du retard de l’Europe en matière social et de protection réelle des travailleurs. D’une part, il faudrait avancer au plus vite sur la convergence des systèmes de protection social nationaux afin de réduire les écarts de cotisations sociales et assurer une protection sociale minimum européenne. D’autre part,

sociale.»70 Voir la voix «dumping» dans http://fr.m.vikipedia.org71 Voir «Texte sur les risques de dumping social au sein de l’Union Européenne», sur le site European Foundation for the Improvement of Living and Working Conditions, organisme créée par l’Union européenne, https://www.eurofound.europa.eu/72 Pour une analyse détaillée de la directive sur le détachement des travailleurs, voir Defossez Alexandre, «Les dumping social dans l’Union européenne», Bruxelles: Larcier, 2014.

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l’harmonie fiscale «par le haut» est nécessaire car, dans le cadre de la directive, c’est bien la concurrence fiscale qui favorise le dumping social. Enfin, la mise en place d’un salaire minimum européen, prenant en compte les spécificités nationales, est désormais indispensable»73

Le principe de la directive en question a donc exprimé la crainte d’un risque de dumping social. Cette préoccupation a pris la forme allégorique du «plombier polonais»74, soumis au régime de droits sociaux prévue par la législation polonaise moins favorable que celui prévu par la législation de l’État membre où il travaille, comme par exemple, celle qui régit ses collègues français.

L’écho du plombier polonais se retrouve dans la jurisprudence de la Cour de justice que dans trois arrêts (Laval75, Viking76 et Ruffert77). Ceci a réaffirmé la supériorité des principes de libre prestation des services et de la libre circulation des travailleurs par rapport aux droits de protection des travailleurs.78 En effet, dans les trois arrêts, le respect de l’égalité de traitement des travailleurs de nationalités différentes aurait entraîné comme conséquence une entrave à la liberté garantie par l’article 56 du TFUE. En substance, la Cour a considéré comme inapplicables aux travailleurs détachés les conditions de travail plus favorables que celles du pays de provenance; ces conditions découlant non des dispositions légales du pays de détachement, mais de mesures d’ordre syndical et social, et en tant que telles, exclues du champ d’application de la directive en question et susceptibles de restreindre la libre prestation des services.

La libre circulation des travailleurs doit être accompagnée de mesures sociales envisagées pour protéger les travailleurs migrants et leurs familles.79 Condition préalable à l’utilisation de la liberté en cause est qu’il existe des dispositions européennes en matière de sécurité sociale garantissant une protection adéquate envers ceux qui se déplacent dans un pays autre que celui où ils résidaient afin qu’ils ne

73 «Directive détachement des travailleurs: les symbole d’une Europe insuffisamment régulée», posté par 2009 Sauvons l’Europe 3 Février 2014. URL http://www.sauvonsleurope.eu/directive-detachement-des-travailleurs-le-symbole-dune-europe-insuffisa&#823074 «Le plombier polonais est une expression popularisée en France au printemps 2005 lors du dé-bat sur le projet de traité constitutionnel européen, par référence à un projet de directive européenne, très impopulaire en France, présenté par l'ex-commissaire Frits Bolkestein», c’est-à-dire la directive du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, dite «directive Services» ou «directive Bolkestein» cité. voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Plombier_polonais75 CJCE, 17 décembre 2007, Laval un Partneri Ltd, C-341/05, Rec. P. I- 1176776 CJCE, 11 décembre 2007, The International Transport Workers’ Federation & The Finnish Seamen’s Union/Viking Line ABP & ou Viking Line Eesti, dit «Viking», C-438/05, Rec. p. I- 1077977 CJCE, 3 avril 2008, Ruffert, C-346/06, Rec. P. I- 198978 «Les droits syndicaux fondamentaux […] sont actuellement attaqué par les règles du marché concurrentiel intérieur» Meijer Erik, «L’Etat-providence, l’Union européenne et l’avenir» dans Dossier: les modèles sociaux européens, cite'.79 Moussis Nicholas, «Accès à l’Union européenne: droit, économie, politiques», cit, «Elle [la libre circulation des travailleurs – ndr] doit surtout être doublée par une politique régionale efficace capable de créer des emplois dans les régions défavorisées de l'UE pour occuper la main-d’œuvre disponible sur place. Sous ces conditions, la libre circulation est un acquis des travailleurs de l'Union européenne.»

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risquent pas de perdre tous les droits acquis dans le pays d’origine. Tel serait le cas par exemple pour les droits à la retraite ou les droits aux prestations familiales.

L’adoption de mesures de protection sociale et d’harmonisation des systèmes nationaux s’avère donc nécessaire non seulement pour les travailleurs, mais aussi afin de favoriser la mise en œuvre effective de la libre circulation des travailleurs.

Dans cette optique, l’Union européenne a adopté, sur le fondement de l’article 48 TFUE, une série de mesures nécessaires pour assurer la protection sociale des travailleurs migrants et plus généralement pour la coordination des régimes de sécurité sociale.80 Le système mis en place ne vise pas à remplacer les systèmes nationaux: tous les pays sont libres de décider qui assurer dans le cadre de leur législation, quelles prestations accorder et à quelles conditions. Il existe cependant des règles communes pour protéger les droits de sécurité sociale des citoyens qui se déplacent à l’intérieur de l’Union européenne, basées sur les principes suivants:

(i) le sujet en question est couvert par la législation d’un seul pays à la fois, et donc les contributions ne sont versées que dans un seul pays. La décision de savoir quelle est la législation applicable appartient aux institutions de sécurité sociale et non au citoyen concerné;

(ii) les travailleurs étrangers ont les mêmes droits et obligations que les ressortissants du pays où ils sont assurés: il s’agit de ce que l’on appelle le principe de l’égalité de traitement ou de non-discrimination;

(iii) lors de la demande d’une prestation sociale, sont, le cas échéant, pris en considération les périodes précédentes d’assurance, de travail ou de séjour dans d’autres pays;

(iv) si on a droit à une prestation pécuniaire dans un pays, généralement on a le droit à la recevoir même si on séjourne dans un autre pays (principe de l’exportabilité).

La législation prévoit des dispositions différentes en fonction de certaines situations: les travailleurs frontaliers (s’ils travaillent dans un pays et retournent dans le pays de résidence, au moins une fois par semaine), les travailleurs détachés (s’ils travaillent dans un pays autre que le pays de résidence pour une durée maximale de 24 mois), les personnes travaillant dans plusieurs pays et, enfin, les travailleurs séjournant de façon permanente dans un autre pays que celui d’origine. Il convient de noter que la réglementation prévoit également un régime de protection en faveur des personnes qui ne travaillent pas.

Enfin, dans le but de faciliter le bon fonctionnement du marché du travail au niveau européen, a été introduit un mécanisme destiné à faciliter les demandes et offres d’emploi au niveau européen dénommé EURES (European Employment Service) 81 ; un réseau composé d’environ 400 conseillers formés pour répondre aux besoins de la main-d’œuvre et des personnes à la recherche d’un emploi, et qui contribue ainsi à la création d’un véritable marché européen du travail.82 L’objectif d’EURES est de fournir toutes les informations nécessaires concernant le nombre, la nature et les exigences des postes vacants au sein de l’Union européenne. Des informations doivent 80 Règlement n° 883/2004 du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale: règlement n° 987/2009 du 16 septembre 2009 fixant les modalités d’application du règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale.81 https://ec.europa.eu/eures/public/fr/homepage82 Moussis Nicholas, «Accès à l’Union européenne: Droit, économie, politiques», cité, p. 97.

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aussi être fournies sur les conditions de vie et de travail dans les pays de l’UE (logements, impôts et sécurité sociale).

En conclusion, sans parvenir à l’harmonisation complète des systèmes de protection sociale dans les États membres, la législation de l’Union européenne a voulu régler le domaine des prestations sociales en faveur des travailleurs migrants, afin de favoriser une mise en œuvre effective de la liberté de circulation.

Tous les problèmes ne peuvent pas être résolus (le risque de dumping social est loin d’être contrecarré) et les outils sociaux restent accessoires à l’achèvement du marché intérieur. Toutefois, les institutions européennes semblent désormais avoir compris que la seule chance de succès de l’expérimentation en cours depuis plus de cinquante ans, repose sur la mise en balance entre les exigences du marché et la protection sociale des citoyens de l’Union européenne, qu’ils soient ou non des travailleurs migrants.

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