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Alchimie et stoïcisme : à propos de récentes recherches par Sylvain Matton

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Alchimie et stoïcisme :à propos de récentes recherches

par

Sylvain Matton

S OM M A IR E

LE STOï CISME, MODÈ LE PHILOSOPHIQUE DE L’ALCHIMIE ? 7

LES RÉFÉRENCES DES ALCHIMISTES AU STOï CISME 10

La morale stoïcienne 13

L’alchimisation du Portique 16

➊ Les « stoïciens » 16

➋ Zénon 20

➌ Cléanthe 27

➍ Chrysippe 28

➎ Sénèque 30

S PIR ITUS M UNDI ALCHIMIQUE ET PNEUMA STOï CIEN 33

Dénonciations de l’impiété et de l’athéisme des stoïciens 33

Une dé-divinisation du pneuma 40

La question théologique de l’âme du monde 47

Distinction et unification de l’âme du monde et de l’esprit du monde chez lesalchimistes 57

Méconnaissances et distorsions de la physique stoïcienne 71

LES CONSTITUANTS DES CORPS 83

Éléments et principes 83

Matière et forme 95

LE MÉLANGE TOTAL 102

LA CONFLAGRATION UNIVERSELLE 114

DE L’INFLUENCE DE LIPSE ET DE SON MILIEU SUR L’ALCHIMIE 122

CONCLUSION 131

APPENDICES

1. Les discours de Zénon dans la Turba philosophorum 1342. Jean Fernel, Utrum elementorum substantiæ, an qualitates solæ,

totis totæ perfundantur (Physiologia, II, VII) 1403. Francesco Piccolomini, Quinta essentia (De rerum definitionibus) 142

INDEX DES NOMS ET DES OUVRAGES ANONYMES 145

LE STOï CISME,MODÈ LE PHILOSOPHIQUE DE L’ALCHIMIE CLASSIQUE ?

On ne mesure encore que très imparfaitement la place que tinrent dans l’élaboration et ledéveloppement des doctrines alchimiques les grandes écoles de la philosophie antique. C’estsur cette importante question que Bernard Joly s’est proposé d’entreprendre des recherches,dont il a exposé les résultats dans La Rationalité de l’alchimie au XVIIe siècle, ouvrage quiconsiste en une présentation 1, une édition 2, une traduction 3 et un commentaire de l’opus-

1. La Rationalité de l’alchimie au XVIIe siècle […] avec le texte latin, la traduction et lecommentaire du Manuscriptum ad Federicum [sic] de Pierre-Jean Fabre, Préface de Jean-PaulDumont, « Mathesis », Paris, 1992. — Cet ouvrage reprenant, sous une forme assez peu modi-fiée, sa thèse de doctorat dirigée par J.-P. Dumont (Lille, 1988), il est fâcheux que Joly n’ait passaisi cette occasion pour en corriger les nombreuses fautes, presque toutes reproduites dans sonouvrage, ce qui rend entre autres inutilisable sa bibliographie des œuvres de Fabre (pp. 375-376) : on a ainsi une Chirurgica spagyrica, in quo [sic] de morbis cutanei [sic] omnibus spagyrice& methodice agitatur [sic]…, un Hercules pio-chymicus in quo penitissima tum morales [sic]philosophiae tum chymicae artis arcana laboribus Herculeis [sic]…, un Hydrographum spagyri-cum, in quo de mira fonticum [sic] essentia… ; ou encore un Panchymici, seu, Anatomia [sic]totius Universi Opus… En outre, les titres de diverses éditions sont confondus : Sapientia Uni-versalis quatuor libris comprehensa… n’est pas le titre de l’édition de « Toulouse, Bosc, 1654 »,mais celui de l’édition de Francfort, J. Beyer, 1656 ; on a une « Traduction et notes du Cursus [sicpour Currus] triomphalis [sic] Antimonii de Basile Valentin ; Toulouse, Bosc, 1646 », alors queles notes seules sont de Fabre, la traduction du Triumph-Wagen Antimonii ayant été faite à sademande par un certain Spigellius. De même, les références ne sont pas toujours très sûres. Ainsi,p. 27, le texte de Leibniz sur la signification du prénom Basile Valentin n’est pas tiré de laconclusion d’une lettre du 27 juin 1690, mais de son Œdipus chymicus ænigmatis Græci, etGermanici ; p. 288, la traduction française par François Sauvin du Char triomphal de l’antimoinede Basile Valentin n’a pas été « publiée » mais effectuée en 1646, ni « rééditée à Paris en 1977 »,mais éditée pour la première fois ; etc.

2. Cette édition, qui se veut critique, du Manuscriptum ad Fridericum est fort défectueuse.D’abord, on comprend mal comment l’édition tardive de J.-J. Manget (dans sa Bibliothecachemica curiosa) a pu être choisie pour texte de base, et non pas l’édition originale parue dans lesMiscellanea Curiosa sive Ephemeridum Medico-physicarum Germanicarum Academiæ ImperialisLeopoldinæ Naturæ Curiosorum decuriæ II de l’année 1689 (Nuremberg, 1690) — titre écorché parJoly qui écrit (p. 122, note 5) germanicum et Imperiales, et donne l’année 1681 pour 1689.Ensuite, une foule de fautes, qu’une relecture un tant soit peu attentive de ce texte assez bref auraitpu éviter, la rendent peu utilisable (certaines, provenant d’une confusion due à la proximité desanciennes graphies du s et du f, laissent des plus perplexes). En voici un relevé qui permettra aumoins de corriger les quinze premières pages : p. 130, l. 6 : heredæ pour hederæ, l. 15 : la leçonterendo de BCC pour ferendo n’est pas signalée dans l’apparat, legitiman pour legitimam, l. 26après Claudero manque D. ; p. 132, l. 1 : præcatur pour precatur, l. 7 : amitiam pour amicitiam ; l.12 : referabit pour reserabit ; p. 134, l. 7 : après reliqua manque omnia ; ac pour at ; l. 11 sit pourfit ; l. 14 sit pour fit ; l. 22 sit pour fit ; p. 136, l. 17 : sit pour fit ; l. 29 afferit pour asserit ; l.30, même chose ; p. 138, l. 19 : dinstinctam pour distinctam ; l. 20 dinstincta pour distincta ; p.142, l. 5 Lapidem pour Lapideam ; l. 6 : quita pour quinta ; l. 15 posquam pour postquam ; p. 144,l. 4 après materia manque hæc ; p. 146, l. 5 impregnat pour imprægnat ; 10 : fortiatur pour sor-tiatur ; l. 26 immmaculata pour immaculata ; p. 148 ce sont les définitions 23 et 29, et non pas

8 Sylvain Matton

cule connu sous le nom de Manuscriptum ad Sereniss. Holsatiæ ducem, DN. Fridericum(Nuremberg, 1690) du médecin achimiste de Castelnaudary Pierre Jean Fabre (ca 1588-1658). En effet, l’analyse de cet écrit de Fabre 4 sert ici essentiellement à illustrer la thèsedéjà défendue par Jean-Paul Dumont dans son étude de 1981 « Les a priori philosophiques del’alchimie classique : J.-J. Becher et le matérialisme stoïcien » 5. Cette thèse pose que « les

les 24 et 30, comme il est faussement indiqué dans l’apparat, qui manquent dans BCC ; p. 150, l.10 perenni pour perennis ; l. 18 afferunt pour asserunt ; p. 152 l. 11 pæcedenti pour præcedenti ;l. 28 immaturata pour immatura ; l. 29 afferimus pour asserimus ; p. 154 l. 6 sua pour suæ ; l. 12après Trinus manque est ; l. 17 similitudinem quamdam pour similitudine quâdam ; l. 26 principumpour principium ; apparat, supprimer la note 11 (ubique est bien dans BCC) ; p. 156, l. 5 sissitaspour siccitas ; l. 18 Philisophorum pour Philosophorum ; l. 21 afferit pour asserit ; l. 27Mercurius pour Mercurium ; p. 158, l. 2 afferunt pour asserunt ; p. 160 l. 7 perficientur pourperficiuntur ; l. 13 : afferit pour asserit ; l. 17 recipiende pour recipiente ; l. 19 afferendo pourasserendo ; l. 21 fiunt pour sunt ; l. 27 cœrcetur pour coërcetur ; l. 31 palpere pour palpare ; ipsôpour illô, dans l’apparat, ajouter : 28 « radicati » au lieu de « radicali » BCC ; p. 162, l. 6 opumpour opus.

3. La traduction, donnée en regard du texte latin, est élégante et exacte, pour autant que lesfautes d’édition ne retentissent pas sur elle. Car si cette traduction ne semble pas avoir étéeffectuée sur le texte tel qu’il est ici édité, mais directement sur celui de Manget, elle répercutenéanmoins certaines fautes de l’édition de Joly ; par exemple, page 142, l. 5, qui materiamLapidem (au lieu de lapideam) indurat donne : « qui durcit la matière en pierre » (au lieu de « quidurcit la matière pierreuse »).

4. En raison de sa publication posthume et surtout de l’introduction de l’alkaest (voir l’ar-ticle de B. Joly cité infra note 263), dont Fabre ne parle jamais dans ses autres ouvrages, l’au-thenticité du Manuscriptum ad Fridericum a été contestée, notamment par R. Nelli dans son étude« Pierre Jean Fabre, médecin spagirique et alchimiste, 1588-1658 », La Tour Saint-Jacques, 16(juillet-août 1958), pp. 36-50, ici p. 50. Or, en faisant observer (pp. 126-127) que dans sonAurum superius et inferius auræ superioris et inferioris hermeticum, daté de 1674, ChristianAdolph Baldewein (Balduinus, 1632-1682) cite le Manuscriptum ad Fridericum, B. Joly apporteune contribution significative à l’histoire de ce texte et un élément qui milite en faveur de son au-thenticité. Il est donc regrettable que Joly n’ait pas procédé à une analyse interne du texte sur labase de parallèles avec les autres œuvres de Fabre, lesquels permettent en effet de défendre cette au-thenticité. Par exemple, le passage sur la salamandre pp. 184-185 du Manuscriptum adFridericum (« Vidi enim ego in Britannia, ubi multæ adsunt in fimis veteribus Salamandræ, quasego igne destruxi & in cineres redegi. Nullo pacto siquidem igne vivunt & conservantur, sed mo-riuntur ac destruuntur totaliter, ut sæpissime in Britannia expertus sum. ») a son exact correspon-dant dans le Panchymicum (V, VI, t. II, p. 441 : « Nam apud Britannos vbi copiosas vidi egoSalamandras, igne maximo combustas & in cinerem redactas, quo igne nullo pacto gaudebant imòipsum fugiebant »; voir aussi, mais sans référence à la Bretagne, Universalis sapientia, I, XXII,pp. 120-122). Si le Manuscriptum ad Fridericum est apocryphe, il s’agit donc d’un faux délibérédont l’auteur connaissait parfaitement les écrits de Fabre ; or l’on ne voit pas très bien ce qui au-rait pu motiver la confection d’un tel faux. Quant à l’introduction de l’alkaest, elle ne pose pasune réelle difficulté quand on sait que Fabre ne répugnait nullement à revenir sur ce qu’il avaitécrit, sa pensée ayant évolué, et parfois radicalement changé, sur bien des points. Il est par ail-leurs dommage, à propos de la formation de Fabre, que Joly n’ait pas mieux mis en valeur et ex-ploité sa découverte, à savoir qu’ « en 1614 les docteurs de la faculté de médecine de Montpellier,lui reprochant de soutenir des thèses paracelsiennes, refusèrent de le faire docteur » et qu’ « il nereçut son grade que l’année suivante » (pp. 38-39).

5. Dans M. Jones-Davies (éd.), La Magie et ses langages, Presses Universitaires de Lille,1981, pp. 1-23, repris dans les Cahiers philosophiques, VII (juin 1981), pp. 59-84 (nous

Alchimie et stoïcisme 9

alchimistes du XVIIe siècle se sont fondés sur des concepts stoïciens » et que nous sommesmoins en présence d’une « influence » stoïcienne que d’un « modèle » stoïcien, car « la no-tion d’influence implique une réception passive, consciente ou inconsciente, qui ne corres-pond certainement pas à la réalité de la constitution d’un système de pensées » 6. Cesconcepts stoïciens à partir desquels, ou par référence auxquels, se serait développée la penséealchimique, et singulièrement celle de l’âge classique, sont celui de pneuma, ceux de prin-cipe, d’élément et de corps — qui auraient permis aux alchimistes de conduire un« important remaniement » des concepts de forme et de matière —, celui du mélange total etenfin celui de la conflagration universelle. Ce serait en particulier en bénéficiant de l’en-gouement que connut, à partir du XVIe siècle, la morale stoïcienne et surtout des travaux deJuste Lipse (Joest Lips, 1547-1606) 7 que l’alchimie du XVIIe siècle a pu utiliser pleine-ment toutes les ressources que lui offrait la physique stoïcienne. Car « dans les textes al-chimiques les plus anciens », précise Joly, l’importance des concepts stoïciens « était occul-tée par la présence dominante d’autres courants philosophiques » (id.), occultation qui doitsans doute permettre de nous expliquer le fait que, toujours selon Joly, il n’y aurait que derares références formelles au stoïcisme dans l’ensemble de la littérature alchimique.

Malheureusement, comme l’a fait remarquer Gad Freudenthal dans son compte rendu deLa Rationalité de l’alchimie au XVIIe siècle 8, cette thèse « ne reçoit pas de confirmationici ; à la fin du livre elle reste ce qu’elle avait été à son début — une hypothèse intéressantepouvant servir d’heuristique pour des recherches historiques », et ce en raison de l’approcheanhistorique de Bernard Joly (et, ajouterons-nous, de Jean-Paul Dumont), dont « l’argu-mentation présente trois vices décisifs » : 1) « une analyse purement conceptuelle etnotamment structurale » de la pensée alchimique ; 2) l’absence d’étude de la connaissanceque les alchimistes avaient du système stoïcien, ainsi que l’absence de vérificationhistorique des rapprochements effectués ; 3) une analyse fondée sur « ce qu’une théorie estsupposée pouvoir ou ne pas pouvoir expliquer “objectivement”, c’est-à-dire selon le juge-ment de l’analyste, et non pas [sur] ce que les adhérents de cette théorie à une période donnéeont réellement pensé à ce sujet ».

C’est donc à la lumière d’une approche purement historique que nous voudrions exami-ner la validité de la thèse du stoïcisme modèle philosophique de l’alchimie, en reprenantchacun des principaux points, mentionnés plus haut, sur lesquels elle s’articule. Or une

renverrons toujours à la première édition et, entre crochets droits, à la seconde édition). La thèsede J.-P. Dumont n’était au reste pas entièrement nouvelle, sinon par son caractère systématique,puisque certaines influences stoïciennes sur les théories minéralogiques avaient été relevées parD. R. Oldroyd dans son article « Some Neo-Platonic and Stoic Influences on Mineralogy in theSixteenth and Seventeenth Centuries », Ambix, XXI (1974), pp. 128-156.

6. B. Joly, La Rationalité de l’alchimie au XVIIe siècle, p. 84.7. Voir J. Lagrée, Juste Lipse et la restauration du stoïcisme (bibliographie sur Lipse

pp. 257-259) ; Ch. Mouchel (éd.), Juste Lipse (1547-1606) en son temps. Actes du Colloque deStrasbourg 1994, Colloque, Congrès et conférences sur la Renaissance, 6, Paris, 1996.

8. Revue philosophique de la France et de l’étranger, avril-juin 1995, pp. 265-268.

10 Sylvain Matton

telle approche, nous allons le voir, ne permet pas de vérifier ces diverses supputations, maistout au contraire les infirme.

LES RÉFÉRENCES DES ALCHIMISTES AU STOï CISME

Dans « Les a priori philosophiques de l’Alchimie classique : J.-J. Becher et le matéria-lisme stoïcien », Jean-Paul Dumont s’étonnait que « le nom de Chrysippe, fréquemmentcité par les philosophes de l’époque hellénistique et les Pères, cesse […] d’apparaître dans lecatalogue des auteurs, même apocryphes, allégués par les alchimistes » 9. Pareillement,Bernard Joly écrit dans son étude « Présence des concepts de la physique stoïcienne dans lestextes alchimiques du XVIIe siècle » 10 que les alchimistes « semblaient ne jamais se référerexplicitement à la doctrine du Portique », avant qu’il ne présentât comme « l’un des rarestextes alchimiques du XVIIe siècle qui parle explicitement des stoïciens » 11 un passage duPalladium spagyricum (Toulouse, 1624) de Pierre Jean Fabre 12. À ce témoignage, Joly en arécemment ajouté deux autres 13, l’un de Clovis Hesteau de Nuysement (ca 1550/60-1623/24) 14 et l’autre d’Étienne de Clave (ca 1585 – ca 1645) 15. En réalité, les références austoïcisme dans la littérature alchimique sont beaucoup plus fréquentes que ne l’ont cruDumont et Joly. Mais bien évidemment leur fréquence n’est pas en soi significative :l’existence ou l’inexistence de références formelles au stoïcisme, comme la présence dedoctrines ou simplement de concepts stoïciens, prennent une tout autre signification selonla période et l’aire culturelle auxquelles appartiennent les textes qui les mentionnent.

La situation des alchimistes grecs, qui vivaient à une époque où la philosophie stoï-cienne était largement diffusée 16 et pour qui les écrits des stoïciens étaient encore dispo-

9. « Les a priori philosophiques de l’alchimie classique… », p. 19 [82].10. Parue dans : J.-C. Margolin et S. Matton (éd.), Alchimie et philosophie à la Renais-

sance. Actes du colloque international de Tours (4-7 déc. 1991), Paris, 1993, pp. 341-354.11. « Présence des concepts de la physique stoïcienne dans les textes alchimiques du XVIIe

siècle », p. 342.12. Voir infra, pp. 73-74.13. Cf. « Physique stoïcienne et philosophie chimique au XVIIe siècle », dans : Le Stoïcisme

aux XVIe et XVIIe siècles, Actes du Colloque CERPHI (4-5 juin 1993), organisé par Pierre-FrançoisMoreau, publié sous la direction de Jacqueline Lagrée, Cahiers de Philosophie politique etjuridique, n° 25, Caen, 1994, pp. 175-191, ici pp. 182 et 188.

14. Voir infra pp. 77-80. Sur Nuysement, voir la thèse inédite de W. Kirsop, Clovis Hes-teau, sieur de Nuysement, et la littérature alchimique de la fin du XVIe siècle et du début du XVIIe

siècle, consultable à la Bibliothèque de la Sorbonne, cote : W. Univ. 1960 (21) in-4°, 2 vol ; voirencore R. Guillot, introduction à : Cl. Hesteau de Nuysement, Œuvres poétiques, I, Genève, 1994.

15. Voir infra pp. 108-110. Sur de Clave, voir H. Metzger, Les Doctrines chimiques enFrance du début du XVIIe à la fin du XVIIIe Siècle, Paris, 1923 (rééd. Paris, 1969), pp. 51-59 ;O. R. Bloch, La Philosophie de Gassendi, La Haye, 1971, passim, et « Le discours de la méthoded’Étienne de Clave (1635) », dans : G. Belgioso et al. (éd.), Descartes : il metodo e i saggi,Rome, 1990, pp. 155-161 ; A. G. Debus, The French Paracelsians, Cambridge, 1991, passim.

16. Pour la diffusion du stoïcisme dans l’Antiquité, voir notamment R. M. Wenley,Stoicism and its Influence, Boston, 1924 ; M. Pohlenz, Die Stoa, Geschichte einer geistigen

Alchimie et stoïcisme 11

nibles, était à cet égard radicalement différente de celle des alchimistes du monde arabe, où laconnaissance des doctrines de la Stoa était déjà confuse, même si un certain nombre d’idéesd’origine stoïcienne s’introduisirent très tôt dans l’Islam et y exercèrent une importante in-fluence jusque dans la théologie 17 ; elle différait également de celle des alchimistes duMoyen Âge latin, où l’on ne connaissait guère le stoïcisme qu’à travers Cicéron, Sénèque etCalcidius 18 ; de même, la situation des alchimistes médiévaux était fort différente de celledes alchimistes de la Renaissance et du XVIIe siècle, siècles marqués, avec la redécouvertedes textes philosophiques grecs, mais aussi des Pères grecs 19, par un regain d’intérêt pour laphilosophie du Portique 20. Cet intérêt était certes essentiellement tourné vers la morale, etc’est lui qui suscita les principaux monuments de la renaissance du stoïcisme 21, depuis lestraductions de l’Enchiridion d’Épictète en 1450 par Niccolò Perotti (1429-1480) 22 et en1479 par Ange Politien (Angelo Poliziano, 1454-1494) 23 jusqu’aux Elementa philosophiæstoicæ moralis quæ in Senecam, Ciceronem, Plutarchum, aliosque scriptores commentariiloco esse possint (Mayence, 1606) de Caspar Schopp, dit Scioppius (1576-1649) 24, en pas-sant par l’Ample discours sur la doctrine des Stoïques (Paris, 1595) 25 de Simon Goulart(1543-1628) 26, La Philosophie morale des Stoïques (Lyon, 1600) 27 de Guillaume Du Vair

Bewegung, 2 vol., Göttingen, 1948-1949 ; G. Verbeke, L’Évolution de la doctrine du pneuma dustoïcisme à S. Augustin, Paris – Louvain, 1945, et « Le Stoïcisme, une philosophie sansfrontières », dans Aufstieg und Niedergang der römischen Welt, I : Von den Anfängen Roms biszum Ausgang der Republik, 4. Bd, Berlin – New York, 1973, pp. 3-42 ; M. Spanneut,Permanence du stoïcisme de Zénon à Malraux, Gembloux, 1973.

17. Voir F. Jadaane, L’Influence du Stoïcisme sur la pensée musulmane, Beyrouth, 1967.18. Voir M. Spanneut, Permanence du stoïcisme de Zénon à Malraux ; G. Verbeke, The

Presence of Stoicism in Medieval Thought, Washington, 1983 ; M. M. Colish, The StoicTradition from Antiquity to the Middle Ages, Leyde, 1985.

19. Sur la présence du stoïcisme chez les Pères, voir M. Spanneut, Le Stoïcisme des pères del’Église de Clément de Rome à Clément d’Alexandrie, Patristica Sorbonensia, 1, Paris, 1957.

20. Voir L. Zanta, La Renaissance du stoïcisme au XVIe siècle, Paris, 1914 ; J. Lagrée, JusteLipse et la restauration du stoïcisme, Paris, 1994 ; M. J. Osler (éd.), Atoms, pneuma, and tran-quillity, Epicurean and Stoic Themes in European Thought, Cambridge University Press, 1991.

21. Voir Julien-Eymard d’Angers, art. « Stoicismo cristiano », dans Enciclopedia filoso-fica, VI, Florence, 1967, col. 190-191.

22. Cette traduction a été éditée pour la première fois par R. P. Oliver, Niccolò Perrotti’sversion of the Enchiridion of Epictetus, Urbana (Ill.), 1954. Voir aussi L. Zanta, La Traductionfrançaise du Manuel d’Epictète d’André Rivaudeau, Paris, 1914, pp 13-15.

23. L’édition princeps est celle de Bologne, 1497. Sur cette traduction, voir I. Maïer, AngePolitien : La formation d’un poète humaniste, 1469-1480, Travaux d’Humanisme et Renaissance,81, Genève, 1966, pp. 374-380.

24. Voir Biographie universelle (Michaud), XXXVIII, pp. 509-511 (notice de Weiss) ;F. Hoefer (éd.), Nouvelle Biographie générale, XLIII, Paris, 1864, col. 581-583.

25. Ample discours sur la doctrine des Stoïques, nommement sur celle de Senecque, dans :Les Œuvres morales et meslees de Senecque, traduites de latin en françois et nouvellement misesen lumiere par Simon Goularrt [sic], Paris, 1595, éd. s. l. [Genève], 1606, III, pp. 326-384.

26. Voir M. Prevost, R. d’Amat, H. Tribout de Morembert (éd.), Dictionnaire de biographiefrançaise, XVI, Paris, 1982, col. 737-738 (notice de Tribout de Morembert).

12 Sylvain Matton

(1556-1621) 28 et la Manuductio ad Stoicam philosophiam (Anvers, 1604) de Juste Lipse.Cependant, l’attention des humanistes à l’ensemble de la philosophie stoïcienne est attestéedès le dernier quart du XVe siècle avec le grand ouvrage encyclopédique de Giorgio Valla(1447-1500) 29, le De expetendis et fugiendis rebus (Venise, 1501), resté inachevé et publiéposthumement, mais que Valla avait mis en chantier dès les années 1480 30. Cette attentiondevait même déboucher sur des essais de reconstruction de la logique stoïcienne, avec laComparatio dialecticæ et logicæ ex Stoicorum, Platonicorum, et Peripateticorum placitis(Paris, 1565) 31 de Jean Riolan (1539-1605) 32, ainsi que de la métaphysique et de la phy-sique stoïciennes, avec l’Ample Discours sur la doctrine des Stoïques de Goulart, mais sur-tout avec les Physiologiæ stoicorum libri tres (Anvers, 1604) de Lipse et les Dissertationesad stoicæ philosophiæ et cæteram philosophicam historiam facientes argumenti varii(Leipzig, 1682) du très aristotélicien Jakob Thomasius (1622-1684), le maître de Leibniz 33.

Ainsi, même si elle ne constitue pas un argument péremptoire contre la thèse d’uneinfluence déterminante du stoïcisme sur l’alchimie grecque — thèse dont on attend toujoursun début de démonstration 34 —, l’absence de références aux stoïciens chez les alchimistes

27. La Saincte philosophie, La Philosophie des stoïques, Manuel d’Epictète, Civileconversation et plusieurs autres traictez de pieté, Lyon, 1600, pp. 121-269.

28. Voir E. Cougny, Guillaume Du Vair. Étude d’histoire littéraire avec des documents nou-veaux tirés des manuscrits de la Bibliothèque impériale, Paris, 1857 ; R. Radouant, Guillaume DuVair, l’homme et l’orateur jusqu’à la fin des troubles de la Ligue (1556-1596), Paris, s. d. [1934].

29. Voir V. Branca (éd.), Giorgio Valla tra scienza e sapienza. Studi di Gianna Gardenal,Patrizia Landucci Ruffo, Cesare Vasoli, Civiltà veneziana. Saggi 28, Florence, 1981 (chronolo-gie de la vie et des œuvres de Valla, par G. Gardenal, pp. 93-97).

30. Voir J.-M. Mandosio, « Les sources antiques de la classification des sciences et des artsà la Renaissance », dans : D. Jacquart (éd.), Les Voies de la science grecque (sous presse).

31. Disputationes duæ, una de origine, altera de incremento et decremento philosophiæ,habitæ Burdigalæ in schola Aquitanea. Quibus accessit comparatio dialecticæ et logicæ exStoicorum, Platonicorum, et Peripateticorum placitis, Paris, 1565.

32. Cf. R. Tabuteau, Deux anatomistes français : les Riolan, Paris, 1929 ; I. Tolomio, « Ilgenere “historia philosophica” tra Cinquecento e Seicento », dans : G. Santinello (éd.), Storiadelle storie generali della filosofia, I : Dalle origini rinascimentali alla “historia philosophica”,Brescia, 1981, pp. 114-116.

33. Voir R. Sachse, Jakob Thomasius, Rektor der Thomasschule, Programm der Thomas-schule, Leipzig, 1894 ; G. Aceti, « Jakob Thomasius ed il pensiero filosofico-giuridico diG. G. Leibniz », Ius, 1957, pp. 259-318 ; C. Weber, notice « Thomasius, Jakob », dans :A. Jacob (éd.), Encyclopédie philosophique universelle : III, Les Œuvres philosophiques,dictionnaire, dirigé par J.-F. Mattéi, Paris, 1992, t. 1, pp. 1499-1501.

34. L’on peut repérer dans le corpus des alchimistes grecs un vocabulaire d’origine stoï-cienne, mais ce vocabulaire, à l’exception de quelques très rares expressions, s’était alorsconsidérablement banalisé en prenant des sens très différents, ainsi que l’a noté G. Verbeke qui, àpropos du «Ë¥` √µ|�¥`…§≤∫µ (“corps spirituel”), observe que « les alchimistes se sont emparésd’une expression courante dans la philosophie de leur époque, mais ils en ont notablementchangé la signification » (L’Évolution de la doctrine du pneuma du stoïcisme à S. Augustin,p. 347). On attend donc toujours des partisans d’une influence stoïcienne sur l’alchimie grecquequ’ils apportent la démonstration de leur thèse. Car si von Lippmann a consacré au stoïcisme,comme aux autres grandes écoles philosophiques antiques, une section de son Entstehung undAusbreitung der Alchemie (Berlin, 1919 [rééd. Hildesheim, 1978], pp. 144-152), il n’a

Alchimie et stoïcisme 13

grecs, remarquée par Marcelin Berthelot 35, traduit au moins une non-reconnaissance par cesalchimistes d’une filiation doctrinale entre eux et le Portique. Inversement, comme nousallons le voir, la filiation affirmée par les alchimistes arabes et médiévaux par le biais d’unealchimisation de la Stoa et de ses scholarques n’implique en soi aucune véritable influencedoctrinale. En revanche, parce qu’elles pouvaient s’appuyer sur un savoir réel, certainesréférences d’alchimistes de la Renaissance et de l’Âge classique à des thèses stoïciennes sontsusceptibles de fournir des éléments importants en faveur ou au détriment de la thèse d’unmodèle philosophique stoïcien dans l’alchimie de cette époque.

Présence de la morale stoïcienne

En premier lieu, nombre de renvois au stoïcisme présents dans les écrits alchimiques dela Renaissance et de l’Âge classique ne concernent pas directement l’alchimie, ni même desdoctrines physiques, voire logiques, plus ou moins reliées à l’alchimie, mais cettephilosophie morale à laquelle le stoïcisme devait alors son renouveau. Tel est le cas de laremarque de Gianfrancesco Pico della Mirandola (1469-1533) 36 dans son De auro :

« […] car on sait (qui l’ignore en effet ?) que les hommes avec qui nous vivons ontconvenu depuis déjà de nombreux siècles que l’or serait la mesure de toutes les

cependant fourni aucun élément mettant formellement en évidence une relation de dépendance del’alchimie envers le stoïcisme, pas plus que ne l’ont fait R. P. Multhauf dans The Origins ofChemistry (Londres, 1966, pp. 73-77) et J. Lindsay, dans The Origins of Alchemy in Graeco-Roman Egypt (Londres, 1970, pp. 20-23, traduction française de Ch. Rollinat, Les Origines del’alchimie dans l’Égypte gréco-romaine, Paris, 1986, pp. 29-33) — pour ne rien dire de l’articleextravagant de J.-P. Dumont, « Deux hypothèses concernant l’interprétation stoïcienne de l’arttinctorial : Alexandre d’Aphrodise et la villa des Vettii » (dans : J.-C. Margolin et S. Matton(éd.), Alchimie et philosophie à la Renaissance, pp. 327-340 [voir aussi la préface de Dumont àB. Joly, Rationalité de l’alchimie au XVIIe siècle, pp. 16-18]. Encore que lors de la discussion desa communication au colloque de Tours, où il lui fut demandé si cette dernière n’était pas uncanular, J.-P. Dumont en ait fermement affirmé le caractère sérieux, je préfère, pour ma part, yvoir un malicieux pastiche (au moins pour sa seconde partie) de ces érudites interprétationsalchimiques des documents de l’Antiquité qu’aimèrent à faire les adeptes, dès la Renaissance).

35. Cf. Les Origines de l’alchimie, p. 142 : « les écoles Épicuriennes et Stoïcienne, cir-constance étrange, semblent inconnues de nos auteurs » ; ce que Berthelot explique en affirmant(p. 264) : « On sait d’ailleurs que les doctrines épicuriennes et stoïciennes, qui ont joué un sigrand rôle à Rome, sont presque ignorées à Alexandrie. C’est à l’École Ionienne, auxPythagoriciens et surtout à Platon, que les alchimistes se rattachent, par une tradition constanteet par des théories expresses ; théories qui sont venues jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. »

36. Cf. Enciclopedia filosofica, Florence, 1967, IV, coll. 1583-1584 (art. de M. Schia-vone) ; Ch. B. Schmitt, Gianfrancesco Pico della Mirandola (1469-1533) and his critique of Aris-totle, Leyde – La Haye, 1967 ; F. Secret, « Gianfrancesco Pico della Mirandola, Lilio GregorioGiraldi et l’alchimie », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, XXXVIII (1976), pp. 93-108.

14 Sylvain Matton

choses extérieures que les péripatéticiens nomment “biens” et les stoïciens“commodités” » 37.

Tel est également le cas de deux références faites par Adam von Bodenstein (1528-1577) 38 dans deux dédicaces d’ouvrages de Paracelse 39. La première se rencontre dans l’épîtredédicatoire, adressée à Cosme de Médicis, du De causis, signis et curationibus morborum extartato utilissimi (Bâle, 1563). Bodenstein y note :

« Le consensus général des hommes usant de la raison atteste à juste titre que lesbiens de l’âme sont les plus éminents de tous ; les stoïciens jugèrent même, à tort,que ces seuls biens suffisent à établir une vie heureuse. » 40

La seconde référence se trouve dans les Libri V de vita longa (Bâle, s. d. [1563]), dansl’épître, datée de 1562 et adressée à Ludwig Wolfgang de Habsbourg, préfet de Badenweiler.Observant qu’il faut placer le bien public au-dessus des intérêts privés, Bodenstein explique :

« C’est pourquoi Platon, nous dit Cicéron, a excellemment écrit que nous nesommes pas nés seulement pour nous, mais nous nous devons pour partie à notrepatrie, pour partie à nos amis 41, et, comme le pensent les stoïciens, tout ce qui estengendré sur terre est créé pour l’usage des hommes, et LES HOMMES EUX-MêMES

SONT ENGENDRéS DANS L’INTéRêT DES HOMMES, afin de pouvoir être utiles les unsaux autres. » 42

37. Cf. De auro libri tres, III, III, Venise, 1586, p. 112 (éd. J. J. Manget, Bibliothecachemica curiosa, II, p. 580b) : « […] cum notum sit, (quis est enim is qui nesciat ?) interhomines, quibus cum viuimus multis iam seculis conuenisse vt aurum metiretur externa omnia,quæ peripatetici bona, stoïci commoda nuncupaverunt […] ».

38. Voir la notice de P. Kibre dans : Ch. C. Gillispie (éd.), Dictionary of ScientificBiography, I, New York, 1970, pp. 49-50 — bibliographie à compléter par celle donnée dansC. L. Lang (éd.), Deutsches Literatur-Lexikon, Ergänzungsband II, p. 203.

39. Sur ces dédicaces, voir A. Perifano, « Thèmes paracelsiens en Italie au XVIe siècle : lesdédicaces d’Adam de Bodenstein à Côme 1er de Médicis et au doge de Venise », dans : B. Joly (éd.),Les Idées paracelsiennes et les nouveaux savoirs de la révolution scientifique, Actes du colloquede Lille, 12-13 septembre 1996 (à paraître).

40. Medicorum et Philosophorum summi Aureoli Theophrasti Paracelsi, Eremitæ, libriquinque de causis, signis et curationibus morborum ex Tartato utilissimi. Opera et industrianobilis viris Adami a Bodestein…, Bâle, 1563, f. *2r : « Animi quidem bona omnium esse præs-tantissima communis hominum ratione vtentium consensus verè testatur : Cæterùm ea sola adbeatam vitam constituendam sufficere Stoici perperam iudicarunt ». Voir aussi l’édition et latraduction de la dédicace données par A. Perifano dans L’Alchimie à la cour de Côme 1er deMédicis : savoirs, culture et politique, Paris, 1997 (sous presse).

41. Cf. Cicéron, De finibus bonorum et malorum, II, XIV, 45 : « ut ad Archytam scripsitPlato, non sibi se soli natum meminerit, sed patriae, sed suis, ut perexigua pars ipsi relinquatur. »(Cf. Platon, Lettres, IX, 726A).

42. Medicorum ac philosophorum facile principis Theophrasti Paracelsi Eremitæ libri V, deVita longa, incognitarum rerum, et hucusque à nemine tractarum refertissimi. Una cum com-mendatoria Valentii de Retiis, et Adami à Bodenstein, dedicatoria Epistola, quibus Theophrastisingularis et excellens eruditio commendatur, Bâle, s. d., f. A2r-v : « Natura præstantior,

Alchimie et stoïcisme 15

Il en va de même de la citation suivante d’Heinrich Khunrath (1560-1605) 43, tirée deson Amphitheatrum Sapientiæ æternæ (éd. Hanau, 1609) :

« La langue est comme l’éventail de la discorde. Aussi doit-elle toujours êtrecontenue avec beaucoup de soin. C’est pourquoi Zénon demandait de discourir avecune langue trempée dans l’esprit 44. » 45

Les allusions à la philosophie morale des stoïciens ne sont bien sûr pas nécessairementlaudatives. En lui dédiant son Auriloquio (ca 1560/70), Vincenzo Percolla 46 écrit à son fils :

« Et je t’exhorte à délaisser l’opinion stoïcienne du mépris des richesses pour suivrecelle des péripatéticiens, qui considèrent qu’elles sont l’instrument nécessaire d’unevie vertueuse 47. En effet, on ne peut pratiquer la magnificence, la libéralité nid’autres vertus si l’on ne possède les biens adéquats, faute desquels il est difficile des’élever jusqu’aux contemplations abstraites, qui sont la route conduisant aubonheur ; on recherche ces biens lorsqu’il faut pourvoir aux besoins de la vie. Jeveux donc que tu soies péripatéticien, et je t’interdis absolument d’agir à la manièredes épicuriens, qui font du plaisir le souverain bien. » 48

præstantissime uir euidenter nos docet, semper publica bona anteponenda esse priuatis : namIEHOVA omnibus creaturis simul benefacit : Solem communicat bonis & malis, iubetque nosaliorum salutem æquè quærere quàm nostram : Ac recta ratio commoda latè patentia, pluribusuitalia & maiora, angustioribus, proprijs ac minoribus suadet præferenda, quòd uniuersi potius sithabenda cura, quàm unius partis. Vnde præclarè scriptum est à Platone (ait Cicero) Non nobissolùm nati sumus, sed ortus nostri partem patria uendicat, partem amici, atque (ut placet Stoicis)Quæ in terris gignuntur ad usum hominum omnia creari, HOMINES AVTEM HOMINVM CAVSA ESSE

GENERATOS, ut ipsi inter se alij alijs prodesse possint. »43. Voir J. Ferguson, Bibliotheca Chemica, Glasgow, 1906 (rééd. Hildesheim, 1974),

pp. 462-464.44. Ce dit de Zénon ne figure pas dans J. von Arnim, Stoicorum Veterum Fragmenta,

Leipzig, 1903-1905. Nous n’avons pu trouver la source de Khunrath.45. Cf. Amphitheatrum Sapientiæ æternæ, Hanau, 1609, p. 82 : « Lingua quasi flabellum

est seditionis : quare omnibus quàm diligentissimè continenda. Hinc Zenon, linguâ in mentemintinctâ, disserere iussit. Semper cogita, lingua quò ? Audi citus, dic lentus atque cautus. » Voiraussi la traduction Grillot de Givry, Amphithéâtre de l’Éternelle sapience, [Paris, 1898-1900](rééd. Milan, 1990), p. 67.

46. Voir l’introduction de C. A. Anzuini à son édition de l’Auriloquio, Textes et travaux deChrysopœia, 2, Paris – Milan, 1996, et « Alchimie et mythologie dans un traité inédit du XVIe

siècle : l’Auriloquio de Vincenzo Percolla », Chrysopœia, V (1992-1996), pp. 493-508.47. Cf. Aristote, Ethica Nicomachea, X, 9.48. Traduction J.-M. Mandosio, « L’Auriloquio (“Discours doré”) de Vincenzo Percolla.

Extraits et Table des matières traduits de l’italien », Chrysopœia, V (1992-1996), pp. 509-528,ici p. 511 ; cf. Auriloquio, édition C. A. Anzuini, p. 2 : « Et ti essorto che lasciando la stoicaopinione del disprezzo delle ricchezze, t’appigli alla peripatetica, che tiene s’habbiano daprocurare come instromento della virtuosa vita ; poiche non si potrebbe usare magnificenza,liberalità et altre virtù senza i necessarij beni et si può male elevare l’animo alle contemplationiastratte, strada che adduce alla felicità che si richiede quando è forza d’occuparsi à provedere ilsostentamento della vita, et volendoti peripatetico, di necessità ti prohibisco l’uso epicureo, chegeneralmente ripone il sommo bene nel dilettevole […]. »

16 Sylvain Matton

Alchimie et stoïcisme 17

18 Sylvain Matton

Des références aux stoïciens alchimistes se rencontrent encore dans l’une des versionsdu Liber Marie Sororis Moysi ou Practica Mariæ Prophetissæ in artem alchimicam,traduction latine médiévale de la Risælat Mæriya ilæ Æras wa-su’æluhº wa-jawæbuhæ lahº(Épitre de Marie à Aros, avec sa réponse à sa question) 57, qui fut publiée dans l’édition deBâle 1593 de l’Artis auriferæ quam chemiam vocant volumen primum 58. On y lit :

« Aros dit : Certainement. Mais parle-moi de ce vase sans lequel on ne peutachever l’œuvre.

Marie dit : C’est le vase d’Hermès, que les stoïciens ont caché, et il n’est pas unvase de nigromancie mais il est la mesure de ton feu.

Aros lui dit : Ô maîtresse, prête l’oreille à la société des stoïciens 59 ; ôprophétesse, as-tu pénétré dans les secrets des philosophes qui posèrent dans leurslivres que l’on peut faire l’art à partir d’un seul corps ?

Et Marie dit : Certainement. Hermès ne l’a pas enseigné parce que la racine de lascience est un corps que l’on ne peut faire souffrir ni soigner. C’est un poison quimortifie tous les corps et les réduit en poudre, et qui coagule le mercure par sonodeur.

Et elle dit : Moi, je te jure par le Dieu éternel que quand ce poison se dissoutjusqu’à devenir une eau subtile — peu m’importe par quelle dissolution cela se

« Dixit Plato 1. Et

2 separatio per contraria in inquisitione. Dixit Hames 3. Hec est dictio quam

adinuenit philosophus secundum stoycos qui dicunt separationem in hac specie operis persolutionem et calcinationem simul in una

4 re et 5 in uno tempore per solutionem in aqua

6, etcalcinationem in igne, qui est contrarius aque. Quod autem opinantur discipuli eius, scilicetPlatonis, est ut soluant

7 aliquid ex re 8 cum humiditate, secundum quod potest, deinde soluant cum

calcinatione quod remansit ex humiditate. Set opinio philosophi conueniens 9 stoycis leuior

10 estoperanti, et facilior et conuenientior ueritati. Nam res spoliata per contraria propinquior erit

11

temperantie, cum non 12 spolietur partem suam

14. Oportet ergo ut dominatur 15 res illa, set

repugnat ne res illa dominetur ei 16. »

1. Dixit Plato om. Theat. || 2. et Theat. : ei Lat. 6514 || 3. Dixit Hames om. Theat. || 4. unica Theat. || 5. etom. Theat. || 6. aquam Theat. || 7. soluat Lat. 6514 Theat. : correxi || 8. exre sic Lat. 6514 : exir Theat. || 9. postconveniens add. est Theat. || 10. lenior Theat. || 11. est Theat. || 12 uero Theat. || 13 post spolietur add. per Theat.|| 14. unam Theat. || 15. dominetur Theat. : dominatur Lat. 6514 || 16. post ei. add. He. Ha. Theat.

Je remercie Antoine Calvet de m’avoir signalé ce passage.57. Voir F. Sezgin, Geschichte des arabischen Schrifttums, IV, pp. 72-73 (Sezgin affirme à

tort que la traduction latine de la Risælat Mæriya ilæ Æras a été publiée dans l’édition de 1572 del’Artis auriferæ…). Sur Marie, voir encore E. J. Holmyard : « An alchemical text ascribed to Marythe Copt », Archeion, VIII (1927), pp. 161-168 ; M. Ullmann : Die Natur- und Geheimwissen-schaften im Islam, Leyde – Cologne, 1972, p. 183 ; R. Patai : « Maria the Jewess, foundingmother of alchemy », Ambix, XXIX (1982), pp. 177-197 ; D. Kahn, « Les Sept Visions de Mariela Prophetesse sur l’œuvre de la pierre des philosophes », Chrysopœia, II (1988), fasc. 4,pp. 369-384 ; J. Letrouit, « Chronologie des alchimistes grecs », dans : D. Kahn et S. Matton(éd.) Alchimie : art, histoire et mythes, Actes du premier colloque international de la Sociétéd’Étude de l’Histoire de l’Alchimie, Paris, Collège de France, 14-16 mars 1991, Paris – Milan,1995, pp. 20-21.

58. Cf. Artis auriferæ quam Chemiam vocant volumen primum, Bâle, 1593, pp. 319-324.59. Il faut en effet très probablement corriger l’incompréhensible « in societate Scoyari »

donné dans l’édition de l’Artis auriferæ… en : in societate Stoycorum ou Stoyca.

Alchimie et stoïcisme 19

fait —, il coagule le Mercure en Lune possédant une véritable solidité, et il tombesur le trône de Jupiter, il le lunifie en Lune. La science se trouve dans tous lescorps, mais les stoïciens ont caché cela, à cause de la brièveté de leur vie et de lalongueur de l’œuvre, et ils ont trouvé ces éléments tinctoriaux et ils les ontdéveloppés. Tous les philosophes enseignent ces éléments tinctoriaux, excepté levase d’Hermès, parce qu’il est divin et, de par la sagesse du Seigneur, caché auxinfidèles. Et ceux qui l’ignorent ne connaissent pas le véritable régime, en raison deleur ignorance du vase d’Hermès. » 60

N’ayant pu consulter le texte arabe, resté manuscrit, de la Risælat Mæriya ilæ Æras,j’ignore si ces références aux stoïciens s’y trouvent ou si elles relèvent d’une corruption dutexte de la traduction latine, car elles n’apparaissent pas dans la version reproduite dans letome V du Theatrum chemicum (Strasbourg, 1660) 61. Quoi qu’il en soit, ces référencesdans un texte qu’il tenait pour être « fort ancien », sinon de la sœur de Moïse 62, ont dûparaître si incongrues au « Sieur S. » que celui-ci les élimina, sans même le mentionner

60. Cf. Artis auriferæ…, Bâle, 1593, pp. 323-324 (éd. 1610, p. 207 ; éd. Theatrum chemi-cum, V, pp. 85-86) : « Aros dixit : vtique, sed narra mihi de isto vase sine quo non complebituropus. Dixit Maria : Istud est vas Hermetis, quod Stoici occultauerunt, & non est vas nigro-manticum, sed est mensura ignis tui. Cui dixit Aros : ô domina obedisti in societate Scoyari : ôprophetissa an inuenisti in secretis Philosophorum qui posuerunt in libris suis quod aliquispossit facere artem de vno corpore ? Et dixit Maria : vtique, quod Hermes non docuit, quia radixscholiæ est corpus indolabile, insanabile & est toxicum mortificans omnia corpora, & puluerizatea, & coagulat Mercurium odore suo. Et dixit : Ego iuro tibi per Deum æternum, quod illud toxicumquando soluitur donec fit aqua subtilis, non curo qua solutione fiat : coagulat Mercurium in Lunamcum robore veritatis, & incidit in solium Iouis, & lunificat ipsum in Lunam. Et in omnibuscorporibus est scientia, sed Stoici propter eorum vitæ breuitatem & operis longinquitatem hococcultauerunt, & hæc elementa tingentoria inuenerunt, & ipsi increuerunt ea, & omnesPhilosophi docent illa præter vas Hermetis, quia illud est diuinum, & de sapientia dominiGentibus occultatum : & illi qui illud ignorant, nesciunt regimen veritatis, propter vasis Hermetisignorantiam. »

61. Theatrum chemicum, V, Allegoriæ Sapientum : Supra Librum Turbæ XXIX Distinc-tiones, « Distinctio Vigesima septima », pp. 83-86, ici pp. 85-86 : « Intellexisti ô Aron ? uti-que Domina mea : sed narra de isto vase, sine quo non complebitur opus. Dixit Maria ; Illud estvas Hermetis, quod occultaverunt stolidi, & non est vas ignorantium & mensuræ ignis, cui tu essapiens : ulterius audi conditionem meam, ô Aron, & avide plectere, donec sum in mundo, quiaimpossibile est evasio motus quia quatior ab ipso. Dixit Aron eidem : ô Domina, an audisti insecretis stoliarum, quæ posuerunt in libris, quod ars possit facere artem de corpore uno ? InquitMaria : Utique, quod Hermes dixit quod radix stoliæ est corpus indolabile, insanabile, & esttoxicum mortificans omnia corpora, & plumbificat omnia, & coagulat mercurium odore suo.Inquit Maria : Ego juro per Deum æternum, quod illud toxicum donec sit aqua subtilis non curo quasolutio fiat, coagulat reibec, id est mercurium in lunam, cum rubore veritatis, & incidit in sonumrasas, & lætificat ipsam, & in omnibus est corporibus scientia. Sed stolici propterlonginquitatem probationis, & eorum vitæ brevitatem, invenerunt hæc elementa congenera velcontingentioria, & ipsi decreverunt ea præter vas Hermetis, quia illud est divinum sapientia DEI

occultatum gentibus, & ipsi ignorant veritatis regna propter eorum ignorantiam vasis. »62. Cf. Bibliotheque des philosophes [chymiques], II, Paris, 1678, « Preface », « Dialogue

de Marie & d’Aros sur le Magistere de Hermés », ff. œr-ºr.

20 Sylvain Matton

dans ses remarques, de la traduction française qu’il en donna sous le titre de Dialogue d’Aroset de Marie, sur le Magistere de Hermes, dans le second volume de sa Bibliotheque desphilosophes [chymiques] (Paris, 1678) 63. C’est donc dans le recueil de l’Artis auriferæ quele médecin François Pousse 64, s’il est bien l’auteur de l’anonyme ouvrage anti-alchimiqueExamen des principes des alchymistes sur la pierre philosophale (Paris, 1711), a lu le LiberMarie Sororis Moysi, lui qui ironise :

« Marie sœur de ce Prophete [Moïse], eut aussi cette belle connoissance ; elle en amême fait un Livre, dont l’antiquité est bien établie, par les mots d’alun d’Espagne,de la chaleur du soleil, des mois de Juin & Juillet, & des Philosophes Stoïciens. » 65

➋ Zénon

Les adeptes ne se contentèrent cependant pas d’alchimiser d’anonymes « stoïciens ». Ilsmirent aussi au nombre de leurs prédécesseurs les grands philosophes du Portique. En ce quiconcerne le fondateur de l’école, Zénon, il n’est fait nulle part allusion à lui dans le corpusdes alchimistes grecs, et il est même absent de la tardive liste des « maîtres de l’œuvre »fournie par le manuscrit Parisinus Græcus 2327 (f. 195v) 66. Si les alchimistes arabes ne luiattribuèrent pas davantage d’écrits alchimiques, le nom de Zénon apparaît toutefois dans leurlittérature 67, notamment dans l’anonyme MuÒÌaf al-jamæ‘a (Le Livre de l’assemblée),

63. Cf. id., pp. 86-87 : « Oüy, Madame, luy dit-il. Mais je vous prie de me dire, ce que c’estque le vaisseau, sans lequel l’œuvre ne se peut faire.

Ce vaisseau, dit Marie, est le vaisseau de Hermés, que les Philosophes ont caché, & que lesignorans ne sçauroient comprendre, car c’est la mesure du feu Philosophique. ****

Aros dit alors. O Prophetesse dites-moy je vous prie, si vous avez trouvé dans les Livres desPhilosophes, que l’on pûst faire l’œuvre d’un seul Corps ?

Oüy, dit-elle, & cependant Hermés n’en a point parlé, parce que la racine de la Science est,*** & un venin qui mortifie tous les corps, qui les reduit en poudre, & qui coagule le Mercure parson odeur. Et je vous proteste par le Dieu vivant, que lors que ce venin se dissout en une eausubtile, de quelque maniere que cette dissolution se fasse, il coagule le Mercure en veritable Lune àtoute épreuve. Et si l’on en fait projection sur Jupiter, il le change en Lune. Je vous dis de plus quela Science se trouve en tous les corps. Mais les Philosophes n’en ont rien voulu dire, à cause de labrieveté de la vie, & de la longueur de l’ouvrage. Et ils l’ont trouvée plus facilement dans lamatiere qui contient le plus évidament les quatre Elemens, & ils ont multiplié & obscurcy cettematiere, par les divers noms qu’ils luy ont donnez. Ce n’est pas que tous les Philosophes ontassez parlé de tout ce qu’il faut pour faire l’œuvre, hormis du vaisseau de Hermés ; parce que c’estune chose divine, & que Dieu veut qui soit inconnuë aux Gentils & Idolâtres. Ce vaisseau estantd’une si grande necessité pour le Magistere, que ceux qui ne le connoissent pas, n’en sçaurontjamais le veritable regime. »

64. Voir S. Matton, « Jean-Baptiste Le Brethon et la situation de l’alchimie à la Faculté demédecine de Paris au début du XVIIIe siècle », introduction à la rééd. anastatique de : Le Breton,Les Clefs de la philosophie spagyrique (1722), Paris, 1985, pp. 7-32, ici p. 14.

65. Examen des principes des alchymistes sur la pierre philosophale, Paris, 1711, p. 203.66. Voir M. Berthelot, Les Origines de l’alchimie, Paris, 1885 (rééd. 1938), pp. 128-129.67. Sur « Zénon » dans la littérature alchimique arabe, voir F. Sezgin, Geschichte des

arabischen Schrifttums, IV, pp. 61, 66, 117.

Alchimie et stoïcisme 21

perdu en arabe, mais qui, traduit en latin sous le titre de Turba philosophorum, tint uneplace capitale dans la tradition alchimique occidentale 68. Il est malheureusement impossiblede déterminer positivement si Zénon (« Zenon », « Zimon », « Zeumon », « Cinon »,« Symon », etc., dans les manuscrits latins) y désigne le fondateur de l’école du Portiqueplutôt que l’Éléate, les cinq discours qu’il y prononce n’offrant aucun élément théorique ca-ractéristique de la philosophie de l’un ou de l’autre 69. Mais l’important est que rienn’interdisait d’entendre que ce Zénon fût Zénon de Citium, et que l’introduction, opérée àpartir de la Turba philosophorum, de « Zénon » dans la suite des anciens maîtres de l’artlaissât toujours la porte ouverte à cette identification. Cette insertion de Zénon dans la sériedes grands alchimistes se rencontre dans la Pretiosa margarita novella (ca 1330) de PietroBono de Ferrare (Petrus Bonus) 70, qui cite par ailleurs les discours de Zénon dans la Turbaphilosophorum 71. Elle se présente ainsi :

« Hermès Trismégiste, père et prophète des philosophes, Pythagore, Anaxagore,Socrate, Platon, Démocrite, Aristote, Zénon, Héraclite, Dédale, Diogène, Exiodus [=Hésiode ?], Lucas , Hipp<ocrate> [ou Hipp<ase>, ou Hipp<on>], Hamec, Thébit,Geber, Rhazès, Calid, Haly, Morienus, Thephi, Parménide, Mélissus, Empédocle,Albohaly, Al<c>méon, Ptolémée, Homère, Virgile, Ovide » 72.

68. Voir J. Ruska, Turba Philosophorum, Ein Beitrag zur Geschichte der Alchemie, Berlin,1931 ; M. Plessner, « The place of the Turba philosophorum in the development of alchemy »,Isis, XLV (1954), pp. 331-338, « The Turba Philosophorum, A Preliminary Report on ThreeCambridge Mss », Ambix , VII (1959), pp. 159-163, et Vorsokratische Philosophie undGriechische Alchemie in arabisch-lateinischer Überlieferung. Studien zu Text und Inhalt der TurbaPhilosophorum , Boethius, 4, Wiesbaden, 1975 ; F. Sezgin, Geschichte des arabischenSchrifttums, IV, pp. 60-65 ; U. Rudolph, « Christliche Theologie und Vorsokratische Lehren inder Turba Philosophorum », Oriens, XXXII (1990), p. 97-123. Plessner (« The place of the Turbaphilosophorum… », pp. 333-334, Vorsokratische Philosophie…, p. 130) a avancé l’hypothèseque l’auteur de la Turba philosophorum pourrait être l’alchimiste ‘UÚmæn ibn Suwaid al-IÏmîmî,actif à Panopolis, en Égypte, dans la première moitié du IXe s.

69. Voir ces cinq discours donnés dans l’Appendice I, ci-dessous pp. 134-141.70. Voir J. M. Stillman, « Petrus Bonus and Supposed Chemical Forgeries », Scientific

Monthly, XVII (1933), pp. 318-325 ; J. Ruska, « L’alchimie à l’époque du Dante », AnnalesGuébhard-Séverine, X (1934), 411-417 ; L. Thorndike, A History of Magic and ExperimentalScience, III, pp. 147-162 ; Crisciani (C.), « The conception of alchemy as expressed in the Pre-tiosa Margarita Novella of Petrus Bonus of Ferrara », Ambix, XX (1973), pp. 165-181, et Pre-ziosa Margarita Novella. Edizione del volgarizzamento, Florence, 1976, pp. XLIV-LIII.

71. Cf., par exemple, Pretiosa margarita novella, IV, éd. Theatrum chemicum, V, p. 570,éd. J. J. Manget, Bibliotheca chemica curiosa, I, p. 25 : « Unde dicit Zeno in Turba philoso-phorum : Lapis quem quæritis, palam vilissimo venditur pretio. »

72. Cf. Pretiosa margarita novella, XV (« In quo probat, hanc artem esse veram tripliciter,scilicet primò autoribus : secundò rationibus : tertiò, à simili & exemplis »), éd. Theatrumchemicum, V, p. 639, J. J. Manget, Bibliotheca chemica curiosa, I, p. 52 : « Et Morienus : Siautem ea quæ tibi dixero, & testimonia antiquorum rectè inspexeris, bene & apertè cognosces,nos omnes in uno convenire, & omnia quæ dicimus, vera proferre, &c. Et omnes breviter hocidem volunt, & sunt sicut Hermes Trismegistus, Pater & propheta philosophorum, Pythagoras,Anaxagoras, Socrates, Plato, Democritus, Aristoteles, Zeno, Heraclitus, Dedalus, Diogenes,Exiodus, Lucas, Hipp. Hamec, Thebit, Geber, Rasis, Calid, Haly, Morienus, Thephi, Parmenid.

22 Sylvain Matton

En raison de l’absence de tout qualificatif, « Zénon » pouvait facilement désigner (aumoins aux yeux de nombreux lecteurs de Pietro Bono) Zénon de Citium, Zénon d’Élée étanttrès peu connu du Moyen Âge, et Zénon l’épicurien totalement inconnu, comme entémoigne, par exemple, le De vita et moribus philosophorum du pseudo-Walter Burley : cedictionnaire des philosophes antiques quasi contemporain de la Pretiosa margarita novella,puisque rédigé vers 1315/1320 par un italien anonyme 73, consacre une notice à « Zénonphilosophe stoïcien » 74 et une autre à Zénon d’Élée, mais ne connaît ce dernier que comme« un autre philosophe du nom de Zénon à propos duquel Valère Maxime a écrit » 75. À laRenaissance, avec la redécouverte de la littérature grecque et notamment des écrits de Platon,de Plutarque et de Diogène Laërce, Zénon d’Élée devint une figure plus familière du paysagephilosophique, encore que sa notoriété n’atteignit jamais celle de Zénon de Citium, si bienque l’on peut penser que le nom seul de « Zénon » devait alors évoquer d’abord le premierplutôt que le second. Mais surtout cette meilleure connaissance de l’histoire de laphilosophie antique allait à l’encontre de l’identification avec le fondateur du Portique duZénon alchimiste de la Turba philosophorum, auquel beaucoup d’alchimistes — parexemple Evangelista Quattrami (1527-1602) 76, Henri de Linthaut 77 ou David de PlanisCampy 78 — font référence en prenant justement soin de préciser « Zénon dans la Turba », à

Melissus, Empedocles, Albohaly, Almeon, Ptolemeus, Homerus, Vergilius, Ovidius, & alii quam-plurimi Philosophi, & hujus veritatis amatores : » Pour l’identification de ces noms, voirS. Matton, « Diogène alchimiste », Chrysopœia, V (1992-1996), pp. 675-686, ici p. 679.

73. Voir M. Grignaschi, « Lo pseudo Walter Burley e il “Liber de vita et moribus philoso-phorum” », Medioevo, XVI (1990), pp. 131-190, et « “Corrigenda et addenda” sulla questionedello ps. Burleo », id., pp. 325-354 ; J. Prelog, « “De Pictagora phylosopho”. Die Biographiedes Pythagoras in dem Walter Burley zugeschriebenen “Liber de vita et moribus philoso-phorum” », id., pp. 191-251.

74. Cf. Liber de vita et moribus philosophorum, LXXVIII, éd. H. Knust, Gualteri Burlaei Liberde vita et moribus philosophorum, mit einer altspanischen Übersetzung der Eskurialbibliothek,Bibliothek des litterarischen Vereins in Stuttgart, CLXXVII, Tübingen, 1886 (rééd. Francfort,1964), p. 304 : « Zenon stoicus philosophus floruit tempore Ptolomei. »

75. Cf. id., LXXIX, éd. Knust, p. 306 : « Fuit autem similiter et alius philosophus nomineZenon de quo scribit Valerius […] » ; cf. Valère Maxime, III, III, Ext. 3.

76. La Vera Dichiaratione di tutte le Metafore, Similitudini, & Enimmi degl’antichi FilosofiAlchimisti, tanto Caldei & Arabi, come Greci & Latini, usati da loro nella descrittione, &compositione dell’Oro potabile, Elissire della vita, Quinta essenza, & Lapis Filosofico,Borgonovo, 1587, p. 211 : « Dice Zenone e Platone alla turba ». Sur Quattrami, voir G. B. DeToni, « Notizie bio-bibliografiche intorno Evangelista Quattrami », Atti del Reale IstitutoVeneto di Scienze, Lettere ed Arti, LXXVII, parte seconda, pp. 373-396 ; A. Perifano,« Alchimie et philosophie de la nature chez Evangelista Quattrami », dans J.-C. Margolin etS. Matton (éd.), Alchimie et philosophie à la Renaissance, pp. 253-264.

77. Commentaire de Henri de Linthaut, sieur de Mont-Lion, docteur en Médecine sur leTresor des tresors de Christophle de Gamon, Reveu & augmenté par l’Auteur, Lyon, 1610 (rééd.Paris, 1985), p. 174 : « comme dit Zeno, & autres en la Tourbe des Philozophes ».

78. Cf. L’Ouverture de l’escolle de philosophie transmutatoire, sect. II, chap. VI, Paris,1633, p. 124 (éd. Œuvres, Paris, 1646, p. 699) : « Zenon, fomente la seconde opinion disant enla Turbe, ce que nous cherchons se vend publiquement, & à vil prix ». Planis Campy distingue

Alchimie et stoïcisme 23

moins que cette précision ne soit évidemment rendue superflue par le contexte, comme dansle Discours d’auteur incertain sur la pierre des philosophes (1590) 79.

Malgré tout, rien n’empêche de supposer que c’est au fondateur de l’école stoïcienne quesongèrent nombre de philosophes chymiques en recensant leurs prédécesseurs : GiovanBattista Nazari (1533 - ap. 1599 ?) 80, en dressant dans Il metamorfosi metallico et humano(Brescia, 1564) une liste d’auteurs alchimiques qui mentionne par deux fois « Zenonphilosophus » 81, tandis que dans celle des Della tramutatione metallica sogni tre (Brescia,1572), version augmentée du précédent ouvrage, on ne trouve que « Zenonis philosophitractatus » 82 ; l’anonyme rédacteur du Trilogio della trasmutatione de’ metalli, tra ilFilosofo, il Teorico et il Pratico, en ne donnant qu’une fois « Zenon philosophus » mais enajoutant un « Stoycus Grecus » dans son « Catalogo di filosofi autori della Trasmutatione »qui reprend celui de Il metamorfosi metallico et humano 83 ; Evangelista Quattrami, eninsérant « Zénon » dans sa longue énumération des vrais philosophes alchimistes, audemeurant manifestement inspirée, elle aussi, par la liste des Della tramutatione metallicasogni tre 84 ; où encore l’anonyme auteur de l’Auriga chemicus, sive Theosophiæpalmarium 85, lorsqu’il explique à propos des alchimistes :

« Les premiers d’entre eux, avant le Déluge, furent Seth et ses fils, ainsi queleurs élèves. Après le Déluge, il y eut Hermès Trismégiste, le chef des philosophes,ensuite Moïse et sa sœur Marie. Après eux, le roi Hercule, Étienne, Astanus,Belinus, Salomon, Démocrite et Rosinus. Il y en eut ensuite d’autres, à partir desdits desquels fut composé le livre de la Turba [Philosophorum], tel Pythagore,

Zénon de « Zimon » (cf. id., sect. III, chap. VI, p. 165, éd. Œuvres, p. 708) : « Bref Zenon, &Zimon en la Turbe, disent qu’il faut obseruer les Mois, Ans & Saisons […] ».

79. Cf. éd. B. Husson, « Un texte alchimique inédit du seizième siècle, Discours d’auteurincertain sur la pierre des philosophes (1590) », dans Cahiers de l’Hermétisme. Alchimie, Paris,1978, pp. 31-72, ici p. 68 : « Zenon dit aussi : si vous ne blanchissez cette Pierre, vous ne lapourrez rougir de la vraie rougeur. » Sur ce traité, voir D. Kahn, « Alchimie et littérature à Paris endes temps de trouble : le Discours d’autheur incertain sur la pierre des philosophes (1590) »,Réforme, Humanisme, Renaissance, XXI, n° 41 (déc. 1995), pp. 75-122.

80. Voir [L. Toth], « Nota biobliografica », dans la réédition anastatique des Della tramu-tatione metallica sogni tre (Brescia, 1599), Milan, 1966, pp. III-IX ; A. Zenone, « I sognialchemici di Giovan Battista Nazari », Esperienze letterarie, X (1985), n° 2-3, pp. 81-111 ;F. Greiner, « L’initiation alchimique de Giovan Battista Nazari », Réforme, Humanisme, Renais-sance, XXI, n° 41 (déc. 1995), pp. 9-36.

81. Cf. Il metamorfosi metallico, ff. 26r et 27r.82. Cf. Della tramutatione metallica, p. 144.83. Cf. l’édition donnée en appendice à l’étude d’A. Perfetti, « Aristotélisme et alchimie

dans l’anonyme Trilogio della trasmutatione de’ metalli », dans : J.-C. Margolin et S. Matton(éd.), Alchimie et philosophie à la Renaissance, pp. 224-251, ici pp. 250 et 251.

84. Cf. La Vera Dichiaratione…, VI (« Li veri filosofi alchimisti »), p. 39 : « […] StefanoAllessandrio, Socrate, Sinesio, Thebit, Nimidio, Zenone, Zozimo […] ».

85. Voir J. Ferguson, Bibliotheca Chemica, I, p. 58.

24 Sylvain Matton

Socrate, Platon, Zénon et d’autres dont les dits ont été transcrits précisément dans lelivre de la Turba. […] » 86

On retrouve la même ambiguïté — et la même possibilité d’attribution à Zénon de Ci-tium — en ce qui concerne les dits de « Zénon » qui circulèrent en sus de ceux de la Turbaphilosophorum, qu’ils en dérivassent ou non. Par exemple, le Liber definitionum ou De di-vinis interpretationibus mis sous le nom de Rosinus 87, bien que citant à plusieurs reprisesla Turba philosophorum, rapporte le dit suivant qui ne semble pas tiré de cet ouvrage, pourautant que l’on puisse en juger d’après le texte édité, sans doute très corrompu :

« Le philosophe Zénon dit : Sache qu’il est possible de le faire et avec son bien,et que Dieu a créé à partir de lui tous les nombres. Il est leur [?] origine, et il fuit lefeu des airains [? 88], mais quand il s’est maintenu dans le feu, il fait des œuvresadmirables et sublimes. Lui seul est l’esprit vivant et dans le monde il n’est rien depareil à lui. Il pénètre n’importe quel corps, entre en lui et l’élève, et il surpassetous les corps. Donc, lorsqu’il se sera mélangé à un corps, il le vivifiera,l’illuminera et le transmutera d’un état en un autre, d’une couleur en une autre, tantqu’il lui sera mélangé et conjoint. Il sera le ferment de ce corps, et alors il sera iksirtout entier, à cause de sa blancheur, eau de vie et de vertu, herbe mondifiante etnettoyante. » 89

Qu’il ait de plus existé des textes alchimiques, aujourd’hui perdus, qui, comme la Turbaphilosophorum, mettaient en scène « Zénon » (de Citium ?), et qui, malgré d’éventuels

86. Cf. Auriga chemicus, sive Theosophiæ palmarium, éd. dans Theatrum chemicum, III,p. 835 : « Quorum primi ante diluvium fuerunt Seth, filiique ejus, & Scolici eorum sectatores.Post diluvium verò Hermes Trismegistus Philosophorum caput, deinde Moses, & Maria soror :post hos Rex Hercules, Stephanus, Astanus, Belinus, Salomon, Democritus & Rosinus : DeindeAlij, ex quorum dictis compositus est liber turbæ, ut Pythagoras, Socrates, Plato, Zenon & alij ;quorum dicta in ipso libro turbæ descripta sunt : postremo vero plures alii eorum sequaces fuerunt,qui libros in hac via operis descripserunt : vel de ipsa in aliqua parte suorum librorum memoratisunt, ut Morienus, Rex Calid, Miruendus, Alfidius, Alexander, Rasis, Avicenna, Virgilius, Geber& quidam alij, quorum dicta ad perfectam expositionem & probationem eorum, quæ in hoc libronarrabimus, prout oportunum fuerit, pro veritatis testimonio adducemus. »

87. Sur Rosinus, corruption de Zosime, voir F. Sezgin, Geschichte des arabischenSchrifttums, IV, pp. 73-77 ; L. Thorndike, A History of Magic and Experimental Science, III,passim (voir « General index »).

88. Il faut peut-être lire « aerum » (« des airs »), au lieu de « ærum » (« des airains »).89. Cf. Rosini de divinis interpretationibus, II, éd. Artis auriferæ…, Bâle, 1593, I, p. 302

(éd. 1610, I, pp. 192-193) : « Zenon Philosophus dicit : Scias quòd ipsum est facere & suo, &Deus creauit ex eo omnes numeros. ipsum est origo earum [sic], & est ærum ignis fugitiuum, sedcùm in igne steterit, facit mira opera & alta : & ipsum solum est spiritus viuus, & in mundo talisnon est, qualis ipse est : & ipse penetrat omne corpus, intrat ac leuat, & excellit omnia corpora.Ergo cùm se miscuerit alicui corpori ipsum viuificabit, illuminabit, & transmutabit de statu instatum, de colore in colorem dum cum eo mixtum fuerit & coniunctum, & ipsum erit fermentumcorporis illius : & tunc erit totum Iccir ob albedinem, aqua vitæ & virtutis, & herba mundificanset lauans. »

Alchimie et stoïcisme 25

anachronismes ou invraisemblances historiques, furent tenus par certains adeptes pour desouvrages doxographiques authentiques, on peut le déduire non seulement du Zenonisphilosophi tractatus cité par Nazari dans ses Della tramutatione metallica sogni tre, maisencore du passage suivant de l’Auriloquio de Vincenzo Percolla :

« Platon a mêlé les trois voies susdites des individus minéraux, végétaux etanimaux ; il les a étendues jusqu’au nombre de sept, car le mélange pouvant se fairede quatre façons différentes, on retrouve trois voies simples et quatre voies mixtes,dont Platon a parlé dans la réponse qu’il fit à Zénon, son disciple, qui lui demandaitde quelle manière il pourrait retrouver la félicité du monde. Il lui répondit que lafélicité du monde, il l’obtiendrait en mettant en mouvement la terre avec la terre, encongelant l’eau avec l’eau, en pacifiant le vent avec le vent, en éteignant le feu avecle feu, en remplissant la lune avec la lune, en obscurcissant le soleil avec le soleil eten vivifiant Saturne avec Saturne. Par ces mots, il a voulu dire qu’il obtiendrait lafélicité de la pierre appelée le petit monde s’il composait ladite pierre en suivant lestrois voies susdites. En effet, dans la voie minérale la terre de la marcassite est miseen mouvement avec la terre du mercure vulgaire, car une fois réunies, ces terres sedissolvent et se mettent en mouvement en passant par l’alambic. » 90

En admettant qu’il s’agisse bien ici de Zénon de Citium, on ne s’étonne guère qu’il soitfait auditeur de Platon au lieu d’être, comme il le fut, celui de Xénocrate et de Polémon. Lesouci de l’exactitude historique et du respect de la chronologie fut en effet rarement le fortdes alchimistes. Même un auteur aussi savant que William Davisson (Davidson,d’Avissone, ca 1593-1669) 91, tint « Zénon le Stoïcien » pour un philosophe antérieur à

90. Cf. V. Percolla, Auriloquio, CLXXIX (« Delli enigmati di Platone, nelli quali si conten-gono le sette vie »), éd. C. A. Anzuini, p. 131 : « Mescolando Platone le tré vie sudette degliindividui minerali vegetabili et animali, le allargo fino al numero di sette, percioche variandosila mistione per quattro modi, si ritrovano tré vie semplici et quattro miste delle quali ragionòPlatone nella risposta che fece à Zenone suo discepolo quando dimandato da lui in che manieraritrovar potesse la felicità del mondo, gli rispose che la felicità del mondo egli havrebbe semobilitasse la terra con la terra, congelasse l’acqua con l’acqua, pacificasse il vento col vento,estinguesse il fuoco col fuoco, empiesse la luna con la luna, oscurasse il sole col sole, et Saturnocon Saturno vivificasse et per queste parole volle egli dire che haverà la felicità della pietra dettaminor mondo se per le tre vie sudette comporrà la detta pietra, percioche nella via minerale simobilita la terra della marcasita con la terra del mercurio volgare, peroche congiunte, queste terresi solvono et mobilitano, passando per lambicco. »

91. Voir F. Hoefer, Histoire de la chimie depuis les temps les plus reculés jusqu’à notreépoque, II, Paris, 1843, pp. 242-244 ; J. Small, « Notice of William Davidson, M.D. », Procee-dings of the Society of Antiquaries of Scotland, X (1875), pp. 265-280 ; E.-T. Hamy,« W. Davisson, intendant du Jardin du Roi et professeur de chimie (1647-1651) », Nouvellesarchives du Muséum d’histoire naturelle, 3e série, X (1898), pp. 1-38 ; J. Read, « WilliamDavidson of Aberdeen, the First British Professor of Chemistry », Ambix, IX (1961), pp. 70-101 ; O. Hannaway « Davison, William », dans : Ch. C. Gillispie (éd.), Dictionary of ScientificBiography, III, New York, 1971, pp. 596-597 (avec bibliographie) ; F. Secret, « Qui étaitClaude Dormy, protecteur de W. Davisson et de J. B. Morin ? », dans « Notes pour une histoire de

26 Sylvain Matton

Aristote et l’une des sources de la physique de ce dernier, ainsi qu’en témoigne le passagesuivant de son Commentariorum in sublimis philosophi et incomparabilis viri PetriSeverini Dani Ideam medicinæ philosophicæ (La Hague, 1660) :

« […] de la même manière que nous avons parlé des fondements d’Aristote en ce quiconcerne les réalités matérielles, j’ajouterai encore les opinions des Anciens sur lamatière première. Celles-ci peuvent être réparties en deux classes. La première estcelle des Anciens des premiers siècles du paganisme, semble-t-il, tels l’ÉgyptienMercure Trismégiste et le Chaldéen Zoroastre, lequel était contemporain d’Abraham,vécut avec lui à Zur et apprit des fils de Noé la connaissance des réalités naturelles,Noé ayant reçu de Mathusalem ces connaissances qui se transmirent ensuite chez sesdescendants jusqu’à Moïse. La seconde est celle des Anciens qui vécurent avantAristote, tels Platon, Plotin, Proclus, Jamblique, Mélissus, Parménide, Anaxagore,Démocrite, Hippocrate, Zénon le Stoïcien, Épicure, Empédocle, Héraclite, Leucippe,Pythagore : Aristote compila toute sa physique en pillant leur enseignement, puisbrûla les livres de la plupart d’entre eux afin que les doctrines qu’il leur avait voléessemblassent avoir été découvertes par lui. » 92

Par ailleurs, aux pseudépigraphes alchimiques durent s’en ajouter d’autres concernant in-directement l’alchimie. Ainsi, lors de l’examen des doctrines alchimiques et minéralogiquesauquel il procède dans son Speculum naturale, première partie du Speculum maius 93,Vincent de Beauvais (1184/94 - 1264) 94 mentionne un ouvrage de Zénon De naturalibus,qu’il cite de la manière suivante :

l’alchimie en France », Australian Journal of French Studies, IX (1972), pp. 217-236, icipp. 230 sqq. ; A. G. Debus, The French Paracelsians, pp. 124-130 ; J.-P. Brach, « Deux exem-ples de symbolisme géométrique dans des textes alchimiques du XVIIe siècle », dans : D. Kahn etS. Matton (éd.) Alchimie : art, histoire et mythes, pp. 717-735, ici pp. 718-728.

92. Cf. Commentariorum In sublimis Philosophi & incomparabilis Viri Petri Severini DaniIdeam Medicinæ philosophicæ, Proprediem proditurorum Prodromus. In quo Platonicæ doctrinæexplicantur fundamenta, super quæ Hippocrates, Paracelsus & Severinus : nec non ex antithesi,Aristoteles & Galenus sua stabilivere Dogmata, éd. Rotterdam, 1668, p. 302 : « Sed antequam adrem veniam ; sicut jam jacta fuerant Aristotelis de materialibus fundamenta ; Veterum etiam demateria prima opiniones adjiciam : illæ autem in duos ordines disponuntur ; in Veteres primorumseculorum gentilium, ut videtur ; quales fuerant Mercurius, Trismegistus Ægyptius, & ZoroasterChaldeus, Abrahamo coætaneus ; & cum quo in Zur Chaldæorum vixit, & à Noachi filiis scientiamrerum naturalium didicit. Noachus à Methusalemo, quæ postea successoribus fuerunt tradita, usquead Moisen : Secundò in Veteres qui ante Aristotelem fuerant ; tales fuerunt Plato, Plotinus,Proclus, Jamblichus, Melissus, Parmenides, Anaxagoras, Democritus, Hippocrates, ZenoStoicus, Epicurus, Empedocles, Heraclitus, Leucippus, Pythagoras, & super quorum doctrinam,totam Physicam suam compilaverat Aristoteles ; qui post quam Veterum plerorumque libros ignecombussisset ; quo dogmata quæ ab illis surripuerat, ut sua inventa viderentur. »

93. L’édition princeps du Speculum maius parut à Strasbourg en 1473-1476 ; elle fut suiviespar cinq autres éditions au XVe siècle, une au XVIe (Venise, 1591) et une au XVIIe (Douai, 1624).

94. Pour la bibliographie concernant Vincent de Beauvais, voir Spicae, Cahiers de l’AtelierVincent de Beauvais, I (1978), pp. 6-29, à compléter notamment par S. Lusignan, Préface auSpeculum maius de Vincent de Beauvais : réfraction et diffraction, Cahiers d’Études Médiévales de

Alchimie et stoïcisme 27

« Zénon, dans le livre Des choses naturelles, écrit : “Il existe en effet une vertucachée universelle qui produit les pierres à partir du feu, et à partir de l’eau quand serépand le bezon [?] lui-même sur le lieu. Car alors il se coagule immédiatement etne revient plus à sa propre nature. C’est pourquoi ce qui arrive au feu, à l’eau et à laterre arrive aussi aux animaux et aux plantes, à savoir, grâce à cette vertu de leurmatière, temps ou lieu se fait leur complète dissolution ou bien leur changement enpierre. » 95

➌ Cléanthe

Lui aussi ignoré de la littérature alchimique grecque, le successeur de Zénon à Athènesn’est qu’indirectement relié à la littérature alchimique arabe. En effet, il n’apparaît, semble-t-il, que dans le Kitæb sirr al-Ïalîqa (Le livre du secret de la création) mis sous le nomd’Apollonius de Tyane, en arabe Balînæs ou Balînºs 96. Or, bien qu’il ait été utilisé parJæbir ibn Îayyæn et surtout qu’il contienne, comme l’on sait, la plus ancienne versionconnue de la fameuse Table d’émeraude d’Hermès 97, cet ouvrage n’est pas spécifiquementalchimique. C’est d’ailleurs en recopiant un long passage du R|ƒ® aµ£ƒ‡√∑� ⁄Õ«|›» (Surla nature de l’Homme) de Némésius d’Émèse, où ce dernier expose et réfute les argumentsdes stoïciens Chrysippe et Cléanthe en faveur de la corporalité de l’âme humaine, queBalînºs cite l’un et l’autre 98. En ce qui concerne la littérature alchimique occidentale laseule occurence de Cléanthe que nous ayons pu trouver, dans les Aurei Velleris, sive sacræ

l’Université de Montréal, 5, 1979, et par M. Paulmier-Foucart, « Ordre encyclopédique etorganisation de la matière dans le Speculum maius de Vincent de Beauvais », dans : A. Becq (éd.),L’Encyclopédisme. Actes du Colloque de Caen, 12-16 janvier 1987, Paris, 1991, pp. 201-226.Sur Vincent de Beauvais et l’alchimie, voir M. Berthelot, La Chimie au Moyen Âge, I, Paris,1893, pp. 280-289 ; J.-M. Mandosio, « La place de l’alchimie dans les classifications dessciences et des arts à la Renaissance », Chrysopœia, IV (1990-1991), pp. 199-282, ici pp. 203-205.

95. Vincent de Beauvais, Speculum naturale, VIII, IIII (« De quorumdam lapidum miraculis »),éd. Venise, 1591, f. 84r : « Zenon in libro de Naturalibus : virtus enim est occulta vniuersalis,quæ lapides ex igne facit. Et ex aqua quando funditur ipsum super locum Bezon. Tunc enim subitocoagulatur. Nec amplius in naturam suam reuertitur. Itaque quod igni, aquæ, & terræ contingit,illud etiam animalibus, & plantis accidit, Qua scilicet virtute materiæ suæ, temporis aut loci, fiteorum omnino dissolutio, aut in lapidem conuersio. » Texte signalé par M. Berthelot, La Chimieau Moyen Âge, I, p. 286.

96. Voir U. Weisser, Das “Buch über das Geheimnis der Schöpfung” von Pseudo-Apolloniosvon Tyana, Berlin – New York, 1980.

97. Voir, pour l’état actuel de la question de la Table d’émeraude, D. Kahn, « La Tabled’émeraude et les textes alchimiques attribués à Hermès Trismégiste », préface à HermèsTrismégiste, La Table d’Émeraude et sa tradition alchimique, Paris, 1994, pp. IX-[XXX].

98. Cf. Néménius, R|ƒ® aµ£ƒ‡√∑� ⁄Õ«|›», II, éd. M. Morani, Nemesius. De natura homi-nis, Leipzig, 1987, p. 20, 12 sqq. (= J. von Arnim, Stoicorum veterum fragmenta, II, 790). Tex-tes cités par P. Kraus, Jæbir ibn Îayyæn. […] Jæbir et la science grecque, pp. 278-279, note 5.

28 Sylvain Matton

Alchimie et stoïcisme 29

En revanche, dans son De arte metallicæ metamorphoseos (Paris, 1560), JoannesChrysippus Fanianus 105 laisse entendre que Chrysippe a allégoriquement fait allusion augrand œuvre. Traitant de l’usage de la métaphore chez les alchimistes, Fanianus explique àpropos de Raymond Lulle :

« S’il a utilisé les lettres de l’alphabet, Aristote fit également de même, et l’on nedoit pas plus s’étonner à propos de Lulle qu’à propos d’Aristote de ce qu’il ait ainsiécrit à la manière des anciens et des étrangers, puisqu’Aristote lui-même dans son Desecretis secretorum (si du moins cet ouvrage est bien d’Aristote) nomme la pierreanimale, végétale et métallique “ œuf ”, et que Pythagore nomme “ fève ” ce dernier, sinous en croyons Marcellus 106. Cœlius [Rhodiginus] dit aussi au livre XIV 107 de sesLectiones antiquæ que dans l’œuf se retrouve analogiquement toute la machine dumonde, appelant “ terre ” son enveloppe ou coquille, “ eau ” l’humeur réfrigérante ethumectée qui lui est voisine, “ air ” ce qu’il contient de spiritueux, chauffant et hu-mide, “ feu ” son jaune. Cela est confirmé, ajoute-t-il, par la modération de la chaleurqui est la sienne comme par sa nature assez sèche, en même temps que par sa cou-leur et sa figure ronde et par la force vitale qui se trouve en lui, ainsi que c’est le caspour le monde. Certains vont plus loin et, parlant de manière surprenante comme lefont les précédents, nomment “ quinte essence ” le cœur même des oiseaux qui setient au milieu et même au centre du jaune de l’œuf. Que dire encore de ce fait qu’ilest attesté que beaucoup d’êtres plus admirables naissent dans un œuf, comme desserpents et une forme semblable à l’homme, que l’on dit douée d’admirables vertuset que l’on nomme la vraie mandragore ? Ou du lait de coq (sur lequel Érasme a écritbeaucoup de choses en se fondant sur Aristophane, Pline, Eustathe et Athénée 108),lait si rare à trouver que ºƒµ§…›µ zc≥` est devenu une expression proverbiale, fortappropriée aux riches et à ceux qui ont tous les biens en abondance ? Et Chrysippe, àce que rapporte Cicéron, n’a-t-il pas écrit que l’œuf dont rêva une certaine personneconcernait un trésor, et que l’oniromancien que consulta cette personne conjecturaque le jaune de l’œuf indiquait de l’or et le reste, de l’argent 109 ? D’autres, recourant

105. Voir J. Ferguson, Bibliotheca Chemica, I, p. 265 ; D. I. Duveen, Bibliotheca Alche-mica et Chemica, Londres, 1949, pp. 206-207.

106. Nous n’avons su identifier ce Marcellus (cette référence ne se trouve ni chez MarcellusEmpiricus ni chez Marcellus Sidetes ni chez Nonius Marcellus). Il s’agit peut-être d’une erreurpour Robertus Valensis (Robert Duval), lequel, dans son De veritate et antiquitate artis chemicæ,Paris, 1561, [p. 67] (éd. Theatrum chemicum, I, p. 18), cite le passage sur la pierre animale,végétale et métallique du « cap. 65. » du De secretis secretorum pseudo-aristotélicien, et note enmarge : « Arist. metallicum ouum nominat, et hoc Pythago. fabam. »

107. Il s’agit en réalité du livre XXVII, chap XVII (éd. 1599, col. 1259).108. Cf. Érasme, Adagia, chil. I, cent. VI, 3 (« Lac gallinaceum »), éd. Genève, 1612, col.

222. Voir aussi la traduction anglaise de R. A. B. Mynors, dans Collected Works of Erasmus,XXXII, Toronto, 1989, pp. 5-6.

109. Cf. Cicéron, De divinatione, II, 65 (= J. von Arnim, Stoicorum Veterum Fragmenta, I,fr. 1201, p. 344) : « Defert ad coniectorem quidam, somniasse se, ouum pendere ex fascia lecti

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au même vêtement de la vérité, écrivirent que la pierre des philosophes est une cer-taine marcassite […]. » 110

➎ SénèqueUn autre stoïcien célèbre, Sénèque, se vit lui aussi indûment enrôlé dans la troupe des

philosophes chimiques. Dans le Livre de Bernard le Trévisan (seconde moitié du XVe

siècle 111), il est en effet renvoyé à « l’epitre de Senecque, qu’il escript a Aros, Royd’Arabie » 112. On a très certainement ici la source de Robert Duval (Robertus Vallensis, ca1510 - ap. 1584) 113 qui, dans son De veritate et antiquitate artis chemicæ (Paris, 1561),

sui cubicularis. Est hoc in Chrysippi libro somnium. Respondit coniector, thesaurum defossumesse sub lecto. Fodit, inuenit auri aliquantum idque circumdatum argento. Misit coniectori,quantulum visum est, de argento. Tum ille, Nihilne, inquit, de uitello ? Id enim ei ex ouo uidebaturaurum declarasse ; reliquum, argentum. »

110. Cf. éd. Theatrum chemicum, I, De arte metallica metamorphoseos, pp. 41-42 : « Porrosi [Lullius] literarum usus est notis, idem fecit & Aristoteles. Neque de Lullio, quod ita obsolete acperegrine scribat, magis mirandum quam de Aristotele. Siquidem & Aristotel. ipse libro desecretis secretorum (si modo is liber Aristotelis est) lapidem animalem, vegetalem & metallicumovum nominat : & hoc Pythagoras, si Marcello credimus, fabam. Et Cœlius in ovo totam consis-tere mundi machinam similitudine quadam lib. antiq. lect. quarto & decimo expressit, crustam seucorticem ipsius terram appellans, proximum huic humorem frigentem humectumque, aquam, quodinest spirituosum, calens humensque, aerem, vitellum, ignem. Cui calculum adjiceremediocritatem caloris, quam obtinet, aridioremque naturam addidit, simul & colorem & globatamfiguram vimque ei innatam vitalem, veluti & mundo. Nec desunt qui progrediantur, atque ut illifaciunt prodigiose loquantur, & ipsum avium cor, quod vitelli meditullium atque adeo centrumtenet, quintam naturam appellent. Quid quod multa magis admirabilia in ovo fieri testantur, utserpentes, & formam similem hominis, quam mirandis virtutibus efficacem perhibent, & verammandragoram dicunt ? Lac deinde illud gallinaceum quod inventu rarum, ut in proverbium abieritºƒµß…∑µ zc≥`, opulentis, & quibus quidvis rerum suppeditat, accommodatissimum, de quo pluraDesid. Erasmus ex Aristophane, Plinio, Eustatthio & Athenæo ? Annon & Chrysippus, quodrefert Cicero, ovum somnianti scribit thesaurum contigisse, atque coniectorem, ad quem illesomnium retulerat, ex vitello aurum, è reliquo argentum coniecisse ? Atque alij quidam eodem usiveritatis tegumento, pyritem quendam scripserunt lapidem esse philosophorum […]. »

111. Le terminus ad quem de 1516 est fourni par le manuscrit Lat. 7174 de la Bibliothèquenationale de France, lequel présente un passage de ce texte aux ff. 26r-27v, comme l’a signaléR. Crouvizier, « L’authenticité de l’Opuscule attribué à Maistre D. Zecaire », dans : D. Kahn etS. Matton (éd.), Alchimie : art, histoire et mythes, pp. 469-484, ici p. 470. Voir aussiL. Thorndike, A History of Magic and Experimental Science, III, p. 623, qui estime que ce traitéa été rédigé ou au moins interpolé à partir de la seconde moitié du XVe siècle.

112. Cf. Opuscule tres-eccellent, de la vraye philosophie naturelle des metaulx, traictant del'augmentation & parfection d'iceulx, Avec advertissement d'eviter les folles despences qui sefont ordinairement par faulte de vraye science : par Maistre D. Zecaire, Gentilhomme &Philosophe Guiennois. Avec le traicté de venerable Docteur Allemand Messiere Bernard Conte dela Marche Trevisane sur le mesme subgiect, Anvers, 1567, p. 143.

113. Voir F. Secret, « Qui était Robertus Vallensis ? », Bibliothèque d’Humanisme etRenaissance, XXXII, (1970), p. 629 ; « Guillaume Guillard et l’alchimie », id., XXXIII (1971),pp. 632-633 ; « Notes sur quelques alchimistes italiens de la Renaissance », art. cit., pp. 203-204 ; S. Matton, « Un témoignage de Jean Riolan sur Robertus Vallensis », Chrysopœia, I(1987), pp. 77-78 ; M. M. Fontaine : « Banalisation de l’alchimie à Lyon au milieu du XVIe

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range bizarrement Sénèque parmi les alchimistes grecs 114. C’est en tout cas expressémentau Trévisan que renvoie Pierre Borel (ca 1620-1671) dans sa Bibliotheca chimica (Paris,1654) 115. On retrouve Sénèque dans le petit livre anonyme de François Alary 116, LeParnasse assiégé ou la guerre declarée entre les philosophes anciens et modernes (Lyon,1697), ouvrage burlesque, encore que son but affiché soit de « demontrer la realité de laScience d’Hermes, & la verité de la Médecine de Paracelse » 117. Cette guerre oppose lessectes des académiciens, des épicuriens, des gymnosophistes, des Ioniens, despéripatéticiens, des gassendistes, des cartésiens, qui veulent chacune s’emparer du Parnasseaprès la mort de son maître, Apollon. Non seulement les stoïciens ne font pas partie desbelligérants, mais ils réprouvent ceux-ci :

« Enfin l’on ne pouvoit s’imaginer que le bruit dût jamais cesser. Car les Stoïciensreprenoient si rudement de tous côtés les mutins, y étant excités par Zenon leurGeneral que l’on auroit veu les Philosophes entre eux en venir bientôt aux mains ;ce qui animoit même davantage toutes les sectes les unes contre les autres. » 118

La raison, suggérée par Alary, du refus des stoïciens de participer au combat est leuramour des bonnes mœurs, amour dont sont expressément crédités Posidonius et Diogène leBabylonien (ici dénommé par erreur Denis) :

« Pendant tout ce desordre Socrate voiant voler les livres par la campagnecomme les balles dans un jeu de paume, fit signe à Carneades & à Philogene qu’ilssortissent de l’embarras, où l’on ne s’entendoit pas parler à cause du bruit. Il leur ditqu’ils lui fissent venir Aristippe, Possidone, Denis le Babilonien, Antistene &

siècle, et contre-attaque parisienne », dans : A. Possenti et G. Mastrangelo (éd.), Il Rinascimentoa Lione, Rome, 1988, pp. 263-322, ici pp. 289-295 ; D. Kahn, « Quelques précisions surRobertus Vallensis alias Robert Duval, de Rugles (av. 1510 - ap. 1584 ?) », Chrysopœia, V(1992-1996), pp. 439-442.

114. Cf. De veritate et antiquitate artis chemicæ, Paris, 1561, [pp. 74-75] (éd. Theatrumchemicum, I, p. 20) : « Græcé uerò desiderantur, Olympiodorus Alexandrinus, Osthanes, PelagiusAphricanus, Zosimus, Isaac monachus, Blemidas, Theophilus, Synesius, Ptolemæus, Euclides,Apuleius, Heliodorus ad Theodosium, Dardarus, Demetrius, Democritus, Aristoteles de Minera-libus lib. 3. Theophrastus, Albugazal præceptor Platonis in hac arte, Plato iunior, in cuius Apho-rismos, seu scholia commentarium scripsit Hameth, sive Hamech, & Seneca. » (Une traductionanglaise du De veritate… a été donnée par T. S. Paterson, J. D. London, Adeline O. M. Cook,Annals of Science, VI (1948), pp. 1-23.) La référence à Albugazal, qui se trouve également chezle Trévisan, confirme que ce dernier est bien la source de R. Duval. Pour « Plato iunior », voir ci-dessus p. 17.

115. Cf. P. Borel, Bibliotheca chimica, Paris, 1654, p. 210 (éd. Heidelberg, 1656,p. 199) : « Seneque escriuant à Aros, selon Treuisan. »

116. C’est à Didier Kahn que l’on doit d’avoir identifié F. Alary comme étant l’auteur duParnasse assiégé, paru anonymement. Voir le résumé de ses conférences dans Annuaire de l’EPHE,Ve section, CI (1992-1993), pp. 347-356, ici p. 353, et surtout son article « Littérature etalchimie ? À la recherche de l’authentique Songe vert » (à paraître).

117. Le Parnasse assiégé, Lyon, 1697, « Preface », f. Aijr.118. Id ., pp. 6-7.

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plusieurs autres qu’il savoit aimer les bonnes mœurs, pour deliberer sur les affairesprésentes. » 119

Aussi quand, à l’incitation de Diogène le Cynique, l’on forme, pour tenter de rétablir lapaix, un conseil dont Aristote est élu chef, c’est sans doute en raison de leur neutralité quece dernier « établit Seneque & Vegetius pour faire la charge de ses Secretaires » 120.

Quoique relativement discrète, surtout comparée avec celle, beaucoup plus massive,d’Aristote et des aristotéliciens, la présence des stoïciens dans la littérature alchimique n’estdonc pas aussi rare que Jean-Paul Dumont et Bernard Joly l’ont affirmé. Reste à examiner sicette présence est liée à une influence significative du stoïcisme sur l’alchimie, voire àl’institution d’un « modèle » stoïcien, en sorte qu’il faudrait prendre à la lettre les vers del’anonyme et satyrique auteur du Chymica vannus (Amsterdam, 1666) 121 :

« Qu’est-ce que la chimie, sinon la secrète école des sagesQui te montre les œuvres de la nature universelle ?Qu’est-ce que la chimie, sinon la Stoa, le portique d’oùL’on sort élevé et armé des mystères ? » 122

119. Id. , p. 7.120. Id. , p. 9.121. Voir J. Ferguson, Bibliotheca Chemica, II, pp. 246-247.122. Reconditorium ac reclusiorum opulentiæ sapientiæque Numinis Mundi Magni, cui

deditur in titulum Chymica Vannus […], Amsterdam, 1666, p. 152 :« Quid Chymia est aliud, schola quàm secreta Sophorum

Unversæ physios quæ tibi monstret opes ?Quid Chymia est aliud, præter Stoa porticus, unde

Exstructus quis abit, mysteriísque potens ?Quid Chymia est aliud, quàm totius Orbis Athenæ,

Unde superraræ prodeat Artis homo ?Mundo quidquid opum, medicinæ quídve medelæ,

Id Chymia est totum suppeditando satis ;Sed Chymia esse solet cunctorum pus nebulorum,

Exeat hoc cœtu, qui volet esse probus.Sed Chymia esse solet verges, vallésque dolorum,

Longiùs hinc absis spe procul esse volens ;Sed Chymia esse solet deceptrix plena dolorum,

Labra favo mellis, viscera felle natant. »

Alchimie et stoïcisme 33

S PIR ITUS M UNDI ALCHIMIQUE ET PNEUM A STOï CIEN

Dénonciations de l’impiété et de l’athéisme des stoïciens

« Dans l’esprit céleste de l’alchimie, mélange de feu et d’air, comment ne pasreconnaître le pneuma des stoïciens ? » demande Bernard Joly, qui poursuit : « Ce feu venudu ciel engendre toutes choses : il est semence universelle, qui donne aux corps leurspropriétés particulières dans les trois règnes, ce qui correspond à la qualité déterminante desstoïciens, mais qui leur donne aussi leur consistance en les fixant ; les stoïciens appelaienttonos cette force cohésive du pneuma. La matière ainsi constituée est faite du mélange deséléments actifs (le feu et l’air) et des éléments passifs (l’eau et la terre). De la mêmemanière, l’esprit céleste des alchimistes se mêle à l’humidité radicale : ce sont les deuxprincipes, Soufre et Mercure, qui dans leur union intime ne perdent pas leurs propriétés ; telest le mélange total des stoïciens, inévitable si l’on admet que le pneuma se répand dans unmonde où il n’y a pas de vide, comme l’enseignaient Chrysippe, Apollodore et Posidonius,selon le témoignage de Diogène Laërce » 123.

On prendra garde tout d’abord qu’il serait fort aventureux de parler de l’esprit céleste « del’alchimie » en général, puisque, nous l’avons montré, il s’agit là d’une innovation del’alchimie de la Renaissance 124, et d’une innovation que tous les alchimistes n’acceptèrentpas. C’est en particulier le cas de Johann Joachim Becher (1635-1682) 125 au moins dans letraité où Jean-Paul Dumont prétendit pourtant retrouver les conceptions matérialistesstoïciennes, l’Œdipus chimicus (Francfort, 1664). En effet, si Becher — à qui il arrivesouvent de se contredire, y compris à l’intérieur d’un même ouvrage 126 — accepte dans le

123. « Présence des concepts de la physique stoïcienne dans les textes alchimiques du XVIIe

siècle », p. 343.124. Voir S. Matton, « Marsile Ficin et l’alchimie. Sa position, son influence », dans : J.-

C. Margolin et S. Matton (éd.), Alchimie et philosophie à la Renaissance, pp. 123-192.125. Voir la notice d’A. G. Debus dans : Ch. C. Gillispie (éd.), Dictionary of Scientific

Biography, I, pp. 548-550 ; bibliographie à compléter par M. Teich, « Interdisciplinarity inJ. J. Becher’s Thought », History of European Ideas, 9.2 (1988), pp. 145-160 ; id., « J. J .Becher and Alchemy », dans Z. R. W. M. von Martels, Alchemy Revisited, Proceedings of theInternational conference on the History of Alchemy at the University of Groningen 17-19 April1989, Collection de Travaux de l’Académie Internationale d’Histoire des Sciences, 33, Leyde,1990, pp. 222-228 ; G. Frühsorge et G. F. Strasser (éd.), Johann Joachim Becher (1635-1682),Wolfenbütteler Arbeiten zur Barockforschung, 22, Wiesbaden, 1993 ; P. H. Smith, « Alchemy asa Language of Mediation at the Habsburg Court », Isis, LXXXV (1994), pp. 1-25, et Thebusiness of Alchemy. Science and Culture in the Holy Roman Empire, Princeton, 1994.

126. Ainsi que l’a fait remarquer J. R. Partington, A History of Chemistry, II, Londres,1961, chap. XVII (« The phlogiston theory. Part I. Becher »), p. 639 : « He frequently contradicts

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premier Supplément à sa Physica subterranea (Francfort, 1669), l’Experimentum chymicumnovum (Francfort 1671) 127, l’existence d’un spiritus universi, il la refuse dans l’Œdipuschimicus, où il explique :

« D’aucuns affirment qu’existe sur terre un esprit (spiritus) unique qui vivifie etconserve tous les corps, les uns lui attribuant pour demeure la rosée, d’autres lapluie, d’autres la glaise, la terre, les silex, un assez grand nombre le nitre, d’où ilss’efforcent de l’extraire par des procédés variés. Mais de telles gens semblent malcomprendre la Nature et vouloir la faire matériellement comparaître devant leursyeux. L’activité vitale des choses est en effet une faculté de la nature, non pointquelque corps ou esprit matériel que l’ouvrier peut parvenir à prendre dans sa main.Car il y a une égale impossibilité à voir devant ses yeux les qualités occultes de lanature et à chercher à les manier de ses mains. Je ne nie point que l’on puissetrouver des matières subtiles qui puissent développer l’activité vitale et conserver lescorps, mais de façon accidentelle et non pas essentielle, et au surplus de diversesmanières. En effet les végétaux croissent et sont aidés dans leur activité vitale grâceau fumier, les animaux grâce aux bons sucs, les métaux grâce aux soufres. Donc,vouloir trouver un unique esprit pour l’activité vitale de toutes les choses revient aumême que de poser une seule matière pour les trois règnes, ce qui est absurde. » 128

Quant aux alchimistes qui soutinrent l’existence d’un esprit universel, il n’étaitévidemment pas question pour eux de reconduire, au moins ouvertement, le monismematérialiste du Portique dans la mesure où ils étaient chrétiens ou devaient paraître tels.

himself in the same work or in different works, and use the same word in a variety of meanings,and different words for the same thing (haerent Peripatetici in verbis nos in rebus). »

127. Cf. Experimentum chymicum novum, quo artificialis et instantanea metallorumgeneratio et transmutatio ad oculum demonstratur. Loco Supplementi in Physicam […]subterraneam, Francfort, 1671, cap. V, pp. 65-93 (= Actorum Laboratorii chymici Monacensis,seu Physicæ subterraneæ […], Francfort, 1681, Supplementi in Physicam Subterraneam,pp. 605-629), où, pour la doctrine du Ciel ou pierre des philosophes qui se trouve en touteschoses, Becher renvoie entre autres à « Penotus, cui Gerhardus Dorn, Nuyssement [sic], multiquealii subscribunt » (p. 608).

128. Cf. Œdipus chimicus, obscuriorum terminorum et principiorum chimicorum mysteriaaperiens et resolvens, I, § 4 (« De spiritu universi »), éd. J. J. Manget, Bibliotheca chemicacuriosa, I, p. 308 : « Sunt qui statuunt, singularem terræ inesse Spiritum, qui omnia corporavegetat & conservat, huic habitaculum aliqui rori, alii pluviæ, alii luto, terræ, silicibus, nonpauci nitro asscribunt, unde variis laboribus educere conantur, verùm tales videntur Naturamsubintelligere eamque corporaliter ob oculos sistere velle, rerum enim vegetatio naturæ facultasest non materiale aliquod corpus vel spiritus, qui in manus artificum veniat, pari enimimpossibilitate occultas qualitates naturæ suis quis oculis videbit, suis quæret tractare manibus ;Non inficias eo reperiri materias subtiles, quibus vegetatio promovetur atque corporaconservantur ; verùm accidentaliter, non essentialiter, tum diversimodè, fimo enim vegetabilia,bonis succis animalia, sulphuribus metalla promoventur, suaque in vegetatione adjuvantur,unicum ergo spiritum pro omni rerum vegetatione velle quærere, est idem ac statuere unammateriam pro tribus regnis, quod absurdum est. » J.-P. Dumont a évidemment ignoré ce texte.

Alchimie et stoïcisme 35

Leur spiritus mundi ne pouvait donc être le pneuma igné des stoïciens conçu comme laDivinité elle-même, matérielle et immanente. C’est ce que rappelle dans son Traicté du feuet du sel (Paris, 1618) Blaise de Vigenère (1523-1596) 129 — qui ne fait au reste pas desstoïciens les inventeurs de la doctrine du feu artiste, la rapportant à la « TheologiePhenicienne », laquelle selon lui « n’admettoit qu’vn seul element, le feu ; qui est leprincipe & la fin de tout ; le producteur & destructeur de toutes choses » 130. Parlant du feu,Vigenère note :

« Les Stoiciens, bien que trop superstitieux en cela, faisoient vn si grand cas de cestelement, qu’ils le disoient estre ie ne sçay quoy de viuant, & tres-sage, fabricateur detout l’Vnivers, & de ce qui y estoit contenu, à propos de ce que nous auons cy-dessus allegué de la Sapience 7 [21]. Omnium artifex me docuit Sapientia, quæomnibus mobilibus mobilior est ; attingit enim vbique propter suam munditiem :En quoy sont attribuées deux proprietez du feu à la Sapience ; le mouuement, & lapureté. Et en somme l’estimoient estre vn Dieu, selon que met sainct Augustin,liure 8. de la Cité de Dieu, chapitre 5 131. » 132

Dans son Lumen de Lumine : or A new Magicall Light discovered, and Communicatedto the World (Londres, 1651), Thomas Vaughan (1620-1665) 133 condamne de manièreencore plus nette les stoïciens, qu’il place, avec les aristotéliciens « athées » (c’est-à-dire,très probablement, les averroïsants), dans le même sac que les épicuriens. Commentant lefrontispice de son traité (voir figure ci-après), Vaughan explique :

« La partie inférieure de cette figure représente un cercle obscur rempli par ungrand nombre d’étranges chimères et le tragélaphos d’Aristote 134, cette bêtemétaphysique des scolastiques. Elle désigne les innombrables vertiges prétentieux etles creuses imaginations vagabondes de l’homme. Car, avant que nous n’atteignionsla vérité, nous sommes sujets à mille fantaisies, fictions et appréhensions que noussupposons faussement et souvent que nous affirmons publiquement être la vérité

129. Sur Vigenère et l’alchimie, voir S. Matton, « Alchimie, kabbale et mythologie chezBlaise de Vigenère : l’exemple de sa théorie des éléments », dans : Blaise de Vigenère poète etmythographe au temps de Henri III, Cahiers V. L. Saulnier, 11, Paris, 1994, pp. 111-137.

130. Traicté du feu et du sel, p. 25. Repris par W. Davisson, Philosophia pyrotechnica,Paris, 1640, p. 459 : « Theologia Phœnicum admittebat vnicum tantum elementum, nempeignem omnium productorem, & destructorem. »

131. Cf. Augustin, De civitate Dei, VIII, V, (= J. von Arnim, Stoicorum Veterum Fragmenta,II, 423) : « Nam stoici ignem, id est corpus, unum ex his quattuor elementis, quibus uisibilismundus hic constat, et uiuentem et sapientem et ipsius mundi fabricatorem atque omnium, quae ineo sunt, eumque omnino ignem deum esse putauerunt. »

132. Traicté du feu et du sel, pp. 105-106.133. Voir l’introduction de D. Kahn à la réédition anastatique de [Th. Vaughan], L’Art

hermetique à decouvert ou nouvelle lumiere magique où sont contenus diverses [sic] mysteres desEgyptiens, des Hebreux et des Caldéens, Paris, 1989.

134. Animal fabuleux mi-bouc mi-cerf ; voir Aristote, Analytica priora, A, 38, 49a 24.

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Thomas Vaughan, Lumen de Lumine (Londres, 1651)

Frontispice

Alchimie et stoïcisme 37

elle-même. Cette région fantastique est le vrai séminaire primordial de toutes lessectes et de leur dissensions. De là sont venus le sceptique désespéré, l’épicuriendébauché, le stoïcien hypocrite et le péripatéticien athée. De là aussi leurs diversesdisputes sur la nature : si la première matière est du feu, de l’air, de la terre ou del’eau, ou bien une mêlée d’atomes imaginaires, toutes choses qui sont de fausses etfabuleuses suppositions. » 135

Une telle condamnation englobant à la fois les stoïciens, les épicuriens et les aristoté-liciens n’est nullement isolée. Elle se rencontre par exemple chez le platonico-paracelsienWilliam Davisson, lequel écrit dans son Commentariorum in […] Petri Severini DaniIdeam medicinæ philosophicæ :

« […] nous avons dit que la première cause incréée avait causé d’autres causes aumoyen du premier être ou cause créée, laquelle n’est admise ni par lespéripatéticiens, ni par les stoïciens, ni par les épicuriens, dont le nombre estimmense. Il faudra donc apporter des raisons mathématiques pour convaincre leur

135. Cf. The Works of Thomas Vaughan, edited by Alan Rudrum, with the assistance ofJennifer Drake-Brockman, Oxford, 1984, p. 325 : « The Inferior part of this Type presents aDark Circle, charg’d with many strange Chimæra’s, and Aristotle’s …ƒ`zÄ≥`⁄∑», that Metaphy-sicall Beast of the Schoolemen. It signifies the innumerous conceited Whimzies, and ayrieroving Imaginations of Man. For, before wee attain to the Truth, we are subject to a ThousandFansies, Fictions, and Apprehensions, which wee falsly suppose, and many Times publicklypropose for the Truth it self. This Phantastic Region is the true Originall Seminarie of all Sectsand their Dissentions. Hence came the despayring Sceptic, the loose Epicure, the HypocriticallStoic, and the Atheous Peripatetic. Hence also their severall Digladiations about Nature :Whether the first Matter be Fire, Aire, Earth, or Water, or a Frie of Imaginarie Atoms, all whichare false and fabulous Suppositions. »

Sous sa forme imprimée, la traduction française anonyme du Lumen de Lumine, parue sous letitre de L’Art hermetique à decouvert ou nouvelle lumiere magique où sont contenus diversesmysteres des Egyptiens, des Hebreux et des Caldéens, s. l., 1787 (voir note précédente), mais quiplus d’un siècle avant sa publication circulait déjà en manuscrits, donne (pp. 40-41) : « La partieinferieure de ce type represente un cercle obscur dans lequel il y a diverses & etranges chimeres ;qui sont les bêtes metaphisiques, scholastiques, lors qu’elles nous representent le grand nombredes opinions fausses, qui ont étés etablies par succession des temps, car avant que nousdecouvrions le verité, nous sommes sujets à mils erreurs que nous avancons tres souvent pour deschoses certaines. La Region fantastique de ce cercle est l’origine de touttes les sectes des fauxphilosophes & de leur division, de la sont venû les visionairs sceptiques desesperés, lesvoluptueux epicuriens les stoiques hypocrites & les peripateticiens Athées, de la aussy procedentleurs contestations sur la nature, sçavoir, si la premiere matiere est le feu, si elle est l’air, ou, sielle est l’Element de l’eau, ou celuy de la terre, ou bien enfin si elle est une vision d’atomes,touttes les quelles choses sont des suppositions fabuleuses. »

Dans sa Préface à The Fame and Confession of the Fraternity of R : C :, Commonly, of theRosie Cross (Londres, 1652), Vaughan se montrera un peu moins ouvertement sévère pour ladoctrine morale des stoïciens, écrivant à propos d’Apollonius de Tyane (éd. A. Rudrum, p. 497) :« […] he was so great a stranger to the Secrets of Nature, that he did not know what to ask for.For my own part, if I durst think him a Philosopher, I should seat him with the Stoics ; for he wasa great Master of Moral Severities, and this is all the Character I can give him ».

38 Sylvain Matton

ignare sagesse, en disant que certaines des choses créées sont des `À…∑’√∫«…`…`,c’est-à-dire qu’elles demeurent par soi, lesquelles, par leurs propres hyparxis, essenceet forces, ne s’appuient, pour être, sur rien d’autre que sur l’être incréé de Dieu, êtreproducteur et créateur, qui de même qu’il les a produites, les conserve et lesmaintient afin qu’elles ne retournent pas au néant, et il les convertit à lui, les couvede ses forces continues et inépuisables et les rappelle à lui. » 136

Cet amalgame entre les stoïciens et les épicuriens trouvait un appui dans l’Écrituresainte elle-même, les Actes des Apôtres [17, 16-18] nous apprenant que sur l’agorad’Athènes, cette « ville remplie d’idoles » dont le spectacle « faisait brûler en luil’indignation », saint Paul était abordé par « des philosophes épicuriens et stoïciens », dont« les uns disaient : “que peut bien vouloir dire ce discoureur ?”, d’autres : “On dirait unprécheur de divinités étrangères”, parce qu’il annonçait Jésus et la résurrection ». Ainsi —encore que ce ne soit pas dans un contexte exactement alchimique, mais dans un écrit dirigécontre les Rose-Croix — ce sont ces versets évangéliques que l’on trouve cités par l’anti-paracelsien Andreas Libavius (ca 1550-1616) 137 dans son Analysis Confessionis Fraterni-tatis de Rosea Cruce (Francfort, 1615) :

« Au sujet des Athéniens et des étrangers qui résidaient chez eux, ainsi qu’ausujet des philosophes stoïciens et épicuriens, nous lisons dans les Actes des Apôtres[17, 21] qu’ils n’avaient d’autres passe-temps que de dire ou écouter les dernièresnouveautés. Il semblait donc à ces philosophes qu’en annonçant l’Évangile du Christl’apôtre Paul leur versait dans les oreilles des nouveautés sur de nouveaux dieux, unnouvel enseignement qu’ils désiraient certes apprendre de lui, mais qu’ils rejetaientbientôt, peut-être de peur de connaître, condamnés par jugement de l’Aréopage, lesort de Socrate, comme si, ayant répudié les patries, ils voulaient accepter et honorerles étrangers. » 138

136. Cf. Commentariorum In […] Petri Severini Dani Ideam Medicinæ philosophicæ, éd.cit., p. 85 : « […] dictum est primam causam increatam causasse alias causas, per primum ens seucausam creatam, quam nec Peripatetici, nec Stoici, nec Epicurei, quorum ingens numerus est, nonadmittent : rationes igitur Mathematicæ erunt afferendæ ut illorum ignara sapientia convincatur,dicendo creatorum alia esse `�…∑√∫«…`…` [sic] hoc est per se stantia, quæ propria sua hiparxi &essentia & viribus non innixa alterius, illius adminiculo ut sint, quam Dei ente increato, &productore & Creatore, qui ea uti produxit, ita ut ne in nihilum vertatur [sic] conservat & continet,& ad se convertit, continuis & inexhaustis viribus ea fovet, & ad se revocat. »

137. Sur Libavius, voir O. Hannaway, The Chemists and the Word. The Didactic Origins ofChemistry , Baltimore – Londres, 1975, pp. 75-156, et B. Meitzner, Die Gerätschaft derchymischen Kunst. Der Traktat « De Sceuastica Artis » des Andreas Libavius von 1606.Übersetzung, Kommentierung und Wiederabdruck, Boethius, 34, Stuttgart, 1995.

138. Analysis Confessionis Fraternitatis de Rosea Cruce pro admonitione et instructioneeorum, qui, quid iudicandum sit de ista noua factione, scire cupiunt, Francfort, 1615, p. 3 : « I. DeAtheniensibus & peregrinantibus apud ipsos hospitibus, item Philosophis, Stoicis, & Epicureislegimus in Actis Apostolorum, æ…§ |•» ∑À{ŵ Ñ…|ƒ∑µ }�≤`߃∑�µ ê ≥Äz|§µ …® ≤`® a≤∑Õ|§µ≤`§µ∫…|ƒ∑µ. Vnde & Apostolus Paulus annunciato Eugelio [sic] de Christo, Philosophis

Alchimie et stoïcisme 39

Et dans son Vita, vigor et veritas Alchymiæ transmutatoriæ (Francfort, 1615), quirépond aux attaques lancées par Nicolas Guibert (ca 1547-ca 1620) 139 contre l’alchimie, lemême Libavius rappellera encore l’impiété de la conception que les stoïciens se faisaient deDieu :

« Après le Diable il appelle à l’aide les païens Homère, Ovide, Galien, etc. L’ons’étonne ici que notre homme manque à ce point de décence qu’il ose citer Ovide etGalien comme s’il traitait avec des personnes qui n’ont lu les écrits ni de l’un ni del’autre, et comme si, conduisant la danse, il sautillait au milieu de servantes debouviers. Ovide attribue des métamorphoses à ses dieux. Que dire de la tête deMéduse ? Est-ce là Dieu ? Circé use de magie diabolique. Les transmutations sont-elles possibles grâce au Diable ? Que penser des exemples du XVe livre desMétamorphoses ? Des abeilles naissent du cadavre d’un bœuf, un cheval de guerreenfoui sous terre donne naissance à un frelon, etc. Voyez ce qui est dit à propos d’unscorpion naissant d’un crabe, de vers à soie changés en papillons, de grenouillesnaissant du limon, d’un serpent naissant de la moelle épinière d’un homme, etc.Galien nie avec Pline que Dieu puisse quoi que ce soit de plus que la nature. Lesstoïciens l’enchaînent au destin 140. Voilà bien de fameux témoignages ! » 141

Même si cette condamnation du stoïcisme ne fut pas unanime, elle reste suffisammentmassive pour éclipser des textes comme celui des Aurei Velleris […] libri tres, oùGuillaume Mennens allègue assez spécieusement Épictète pour défendre la liberté humaine :

« En vérité les péripatéticiens riront de cela, comme l’Arabe Averroès, qui traiteles prophètes de colporteurs de sornettes. Plus prudemment Avicenne pensa que le

videbatur noua quædam auribus eorum ingerere de dæmonibus nouis, noua quædam doctrina, quamex ipso cognoscere quidem cupiebant, sed mox contemnebant, ne fortasse iudicio Areopagidamnati Socratis fortunam experirentur, quasi patriis abnegatis peregrinos acceptare, & colerevellent. »

139. Voir J. Ferguson, Bibliotheca Chemica, I, p. 353 ; F. Secret, « Notes sur quelquesalchimistes italiens de la Renaissance », VII : «Nicolas Guibert et l’alchimie en Italie à la fin duXVIe siècle », Rinascimento, XIII (1973), pp. 197-217 (211-217) ; O. Hannaway, The Chemistsand the Word…, pp. 92-93.

140. Cette référence au stoïciens ne paraît pas se trouver chez N. Guibert.141. Cf. Vita, vigor et veritas Alchymiæ transmutatoriæ…, § 6, dans Appendix necessaria

Syntagmatis Arcanorum Chymicorum, Francfort, 1615, p. 195 : « Post Diabolum in auxiliumaccersit Ethnicos Homerum, Ouidium, Galenum, &c. vbi mireris homini pudorem adeo deesse vtOuidium & Galenum citare ausit quasi agat cum his hominibus qui neutrius scripta legerint, &saltitaret inter bubulcorum famulas restim ductitans. Diis suis asscribit Ouidius transmutationes.Quid de capite Medusæ dicendum ? Num & hoc Deus ? Circe Diabolica magia vtebatur. NumDiabolo possibiles transmutationes ? Quid de exemplis libri 15. Metamorphoseon ? Apes excadauere bubulo : pressus humo bellator equus crabronis origo est, &c. vide de scorpio ex cancro,de bombycibus in papiliones, de ranis ex limo, de angui ex spinali medulla hominis, &c. Galenuscum Plinio negat Deum posse quicquam vltra naturam. Stoici fato eum alligant. En præclaratestimonia. »

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mouvement du ciel n’étant ni un mouvement nécessaire, ni un mouvement parviolence, mais un mouvement intermédiaire entre ceux-ci, de sorte qu’il dépend de lavolonté de Dieu, lequel est fléchi par les sacrifices, les offrandes, les prières, lesjeunes, les aumônes — autrement, s’il n’était pas tout-puissant, s’il était soumis àla nécessité, il ne serait pas Dieu, de même qu’un homme ne serait point un hommes’il n’avait pas de libre-arbitre, mais, telle une bête, agissait sous l’empire d’autrui,ce contre quoi s’élève la sentence d’Épictète qui disait : “Quoique je sois esclave decorps, je porte partout avec moi une âme libre” 142. Et si l’homme était contraint parnécessité ou par prédestination à faire tout ce qu’il fait, il ne serait nullement soumisau jugement divin, tout comme un animal dépourvu de raison, puisqu’il seraitexcusé par le destin et la prédestination, c’est-à-dire l’ordre de la nécessité. » 143

Une dé-divinisation du pneuma

Rien ne s’opposait cependant à ce que les alchimistes tinssent le pneuma igné desstoïciens pour être la nature entendue comme principe actif de la génération et del’organisation des êtres : ce pneuma n’est plus alors Dieu, mais seulement l’instrument deDieu. Ainsi, dans sa Philosophia pyrotechnica seu cursus chymiatricus (Paris, 1635),traitant « De la nature, c’est-à-dire de l’esprit du monde et de son séminaire général, ainsique des opinions des anciens philosophes sur la constitution de sa nature », et après s’êtreappuyé aussi bien sur la Genèse que sur la philosophie néoplatonicienne 144 pour faire de cetesprit du monde, qui procède de l’âme du monde, un feu ou une lumière 145, WilliamDavisson écrit :

142. Cette citation ne paraît pas être littérale ; voir Épictète, Dissertationes, I, I, et XIX.143. Cf. Aurei Velleris […] libri tres, I, XIII, Anvers, 1604, p. 104 (éd. Theatrum chemi-

cum, V, p. 349) : « Verum Peripatetici ridebunt hæc, vt præfatus Arabs ille [Abenrhoes], Prophe-tas nugarum institores appellando : prudentius Avicenna putauit, cæli motum neque necessarium,neque violentum, sed medium in iis, sic vt à voluntate Dei dependeat, qui sacrificiis,oblationibus, precibus, ieiuniis, eleemosynis flectitur ; alioquin non esset Deus, si non essetomnipotens, si necessitati subiiceretur ; vt nec homo esset homo, si libero arbitrio careret, sedvt belua alterius imperio ageretur, cui refragatur Epicteti sententia dicentis : Quamvis corpore simseruus, attamen animum circumfero liberum. Et si homo de necessitate seu prædestinatione cunctaagere cogeretur, diuino iudicio neutiquam subiiceretur, vt nec brutum animans, quum fata <&>prædestinatio, sive necessitatis ordo ipsum excusatum haberent. »

144. Il allègue notamment l’empereur Julien.145. Cf. Philosophia pyrotechnica seu cursus chymiatricus, pars II, cap. XI (« De natura seu

mundi spiritu & communi eius seminario veterumque Philosophorum de eius naturæ concursuopiniones »), éd. Paris, 1640, p. 292 : « Conclude animalem quendam spiritum semper ab animamundi, quasi interioris vitæ propaginem, pullulare, ignemque hunc esse, & quasi animale lumenipsum, in dimensiones iam porrectum, spiritum actu omnium vbique fomitem, cœlum inquam,non circumfusum solum, sed etiam cunctis infusum, cœlumque cœlorum, flatum animæ diuinioris,sub forma quadam animæ proxima, id est, cælesti, id est ignea : hoc est translucida, lucida,calida ; protinus euolantem, mox in aërem dissimiliorem animæ tumescentem, subinde in aquamterramque compactum. »

Alchimie et stoïcisme 41

« Le feu céleste est un feu unique et pur, ne subissant ni ne produisant aucune vio-lence, brillant d’admirable manière, mais au-delà de la vue, et ardant très suavement.En revanche, notre feu qui brûle n’est pas un feu pur, mais plutôt un élément igné.Assurément, parce qu’il peut plus facilement que le reste être engendré et engendrer,s’augmenter, briller très longtemps, attirer toutes choses à lui et naître partout, cefeu tient tout du ciel, lequel a partout vigueur. Voilà pourquoi Théophraste consacreun livre entier à admirer la puissance du feu 146. Voilà peut-être d’où vient cet espritque les stoïciens disaient infus en toutes choses, géniteur des réalités naturelles etséminaire du monde. Au livre I de son Du régime, Hippocrate le nomme égalementfeu : démontrant en cet endroit le cercle et la conspiration de la nature dans les corps,il dit : “le feu a établi des triples circuits” 147, comme s’il disait “la nature a éta-bli…”. Les Anciens appelaient cet esprit “lien du monde tout entier”, grâce à quoi cemonde, quoique constitué de choses si diverses, est dit un. Pour parler chrétienne-ment, on peut dire que cela n’est rien d’autre que la continuelle opération de Dieu leprotecteur (opération que les théologiens nomment “nature naturante”) au moyen decet esprit, feu ou séminaire général, qui est comme son instrument très proche et quenous, nous appelons de façon appropriée “nature naturée”. La première nature estdonc Dieu, tandis que la seconde est la nature proprement dite, laquelle se divise enuniverselle et en particulière. L’universelle est cette puissance ordonnatrice de Dieudiffuse à travers l’univers, et elle est tenue pour être une vertu divine que Dieu a pla-cée dans toutes les créatures. C’est pourquoi les Anciens disaient que tout est pleinde Dieu. En outre, c’est la nature universelle dont parle Platon dans le Timée lors-qu’il dit : “La nature est une certaine force infuse à travers toutes choses, régulatriceet nourrice des corps, principe du mouvement et du repos en eux-mêmes” 148. En destermes presque identiques, Hermès dit que cette nature est une certaine force issue dela cause première, diffuse à travers tous les corps, principe en soi du mouvement etdu repos en soi. Anaxagore, Démocrite, Parménide, Pythagore et d’autres très sagesphilosophes reconnurent cette force comme étant une intelligence diffuse à traversl’univers, auteur et nourrice de toutes choses, qu’ils comprirent comme étant Dieului-même, désigné par Orphée sous le nom de Jupiter. » 149

146. Pour une utilisation alchimique de Théophraste, voir par exemple E. Quattrami, La VeraDichiaratione…, p. 225.

147. Cf. Hippocrate, R|ƒ® {§`ß…ä», I, X, 2, éd. et trad. R. Joly, Hippocrate, Du régime,Paris, 1967, p. 12 (pour une traduction latine, voir A. Foes, Hippocratis […] opera omnia […],éd. Genève, 1657, p. 344). Pour une alchimisation d’Hippocrate, outre la liste d’alchimistescitée ci-dessus p. 21, voir par exemple P. J. Fabre, L’Abregé des secrets chymiques, Paris, 1636,pp. 180-182 (« Hypocrate sçauoit la pierre philosophale »).

148. Cette citation n’appartient pas au Timée de Platon.149. Cf. Philosophia pyrotechnica…, II, XI, pp. 294-295 : « Est autem cœlestis ignis,

solus purusque ignis, neque vim patiens, neque inferens : mirificè lucens, sed super aspectum [,]suauissimè calens. At noster comburens, non ignis est purus, sed ignitum potiùs elementum. Quisanè quod facilius, quam alia generetur, generetque & amplificet se ipsum & longissimè luceat, &

42 Sylvain Matton

C’est ce que redira un autre paracelsien, Francesco Maria Colonna (Colonne, ca 1649-1726) 150, dans Les Principes de la nature ou de la generation des choses (Paris, 1731) :

« Les Stoïciens définissent la nature, (c’est-à-dire, ce qui fait cet ordre des choses quenous appellons Nature), un feu artificiel, qui dans toutes ses actions tend à la genera-tion, & que c’est un esprit qui ressemble au feu, & à un ouvrier qui travaille toû-jours pour former quelque chose. Opinantur naturam ignem esse artificialem suo iti-nere ad generationem tendentem, id autem esse spiritum, ignis speciem artisque præse ferentem 151.

Et en effet si l’on considere que la matiere subtile étherée produit le feu par sonmouvement, & que toutes choses se produisent & se corrompent par le mouvementde cette matiere qui se meut toûjours, on verra que cette espece de feu n’est jamaisoisif, parce qu’il ne cesse jamais de se mouvoir, & de mouvoir ; & par ce moyen

ad se omnia trahat, & nascatur vbique, totum habet à Cœlo quod viget vbique. Hinc Theophrastuslibro integro, ignis potentiam admiratur. Hinc forsan est ille spiritus, quem Stoïci rebus infusumomnibus appellant, naturalium genitorem & mundi seminarium. Hunc Hippocrates primo deDiæta etiam ignem nominat. Circulum & conspirationem naturæ in corporibus eo in locodemonstrans, Fecit ignis, inquit, triplices circuitus. Quasi diceret, fecit natura. Veteres autemhunc spiritum totius mundi vinculum, quo mundus hic ex tam diuersis rebus constans, vnus tamenappellatur, nominabant, quod nihil aliud dici potest, vt Christianè loquar, quam Dei præsentis(quem Theologi naturam naturantem nominant) continua operatio mediante hoc spiritu, igne seucommuni seminario quasi proximo instrumento, quam nos naturam naturatam proprièappellamus. Prima igitur natura Deus est. Secunda verò propriè natura est, quæ diuiditur invniuersalem & particularem. Vniuersalis est ordinatia [sic] illa Dei potentia, per totum orbemdiffusa. Sumiturque pro virtute Diuina, quam Deus omnibus creaturis indidit. Vnde dicebantantiqui, Dei omnia plena esse. Præterea ea est natura vniuersalis, de qua Plato loquitur in Timeo,cum ait : Natura est quædam vis infusa per omnia, corporum moderatrix & nutrix, principiummotus & quietis per se ipsis. Quam naturam Hermes iisdem ferè verbis dicit esse vim quandam àprima causa subortam, per omnia corpora diffusam, per se principium motus & quietis in ipsis.Hanc vim Anaxagoras, Democritus, Parmenides, Pythagoras, aliique Philosophi sapientissimiMentem per vniuersum orbem diffusam, rerum omnium auctorem nutricemque agnouerunt, quamDeum ipsum, ab Orpheo Iouis nomine designatum, intellexerunt. »

150. Voir F. Hoefer (éd.), Nouvelle Biographie générale, XI, Paris, 1855, col. 297-298 ;J. S. Spink, French Free-Though from Gassendi to Voltaire, Londres, 1960, pp. 128-132 (trad.française de P. Meier, La Libre Pensée française de Gassendi à Voltaire, Paris, 1966, pp. 144-146) ; G. Costa, « Un collaboratore italiano del conte de Boulainviller : Francesco Maria PompeoColonna (1644-1726) », Atti e Memorie dell’Accademia Toscana di Scienze e Lettere “LaColombaria”, XXIX (1964), pp. 205-295 ; id. « La fortuna europea della filosofia colonnese »,dans : S. Bertelli (éd.), Il Libertinismo in Europa, Milan – Naple, 1980, pp. 417-433 ; id. ,« Colonna, Francesco Maria Pompeo », dans : Dizionario biografico degli italiani, XXVII,Rome, 1982, pp. 304-309 (avec, pp. 308-309, d’autres références bibliographiques). Rappelonsque Colonna publia, entre autres, un Abregé de la doctrine de Paracelse et de ses Archidoxes, avecune explication de la nature des principes de chymie, Paris, 1724.

151. Cf. Cicéron, De natura deorum, II, 57 (= J. von Arnim, Stoicorum Veterum Fragmenta,I, 171) : « Zeno igitur naturam ita definit, ut eam dicat ignem esse artificiosum ad gignendumprogredientem uia. Censet enim artis maxime proprium esse creare et gignere, quodque in quibusnostrarum artium manus efficiat, id multo artificiosius naturam efficere, id est, ut dixi, ignemartificiosum, magistrum artium reliquarum. »

Alchimie et stoïcisme 43

d’engendrer ou de corrompre toûjours quelque chose, soit sur la terre, ou dans sesentrailles les plus profondes, soit dans l’air, ou dans les eaux. L’on verra que cettematiere subtile est le principe de la vie & des actions de toutes les choses ; car la vie& les actions ne sont que des mouvemens, de maniere que si l’on ne doit pas suivrel’erreur de Platon, d’Aristote, & des Stoïciens même, en disant que cet esprit de feuétherée est Dieu, on peut dire sans difficulté, que c’est l’instrument immediat dontDieu se sert pour former la nature naturée sensible, & que c’est l’ame du monde quianime, donne la vie & la forme à tous les individus de l’univers. C’est ce que lesAcademiciens ont appellé Forme, c’est-à-dire, esprit formateur, & plusieurs Anciens& autres plus modernes l’ont nommé Natura Plastica 152, ou nature ouvriere. » 153

Et c’est également en ce sens — comme l’indiquent assez les autres autorités alléguées— que, dans la préface de sa Basilica medica (Francfort, 1618), Johann Daniel Mylius 154

interprète le feu artiste de Zénon :

152. Il s’agit bien sûr de Ralph Cudworth, dans The True Intellectual System of theUniverse, Londres, 1678, spéc. I, III, XXXVII, pp. 147-181 (où, p. 153, il se réfère à Paracelse etaux chymistes : « Lastly, as the latter Platonists and Peripateticks have unanimously followedtheir Masters herein, whose Vegetative Soul also is no other than a Plastick Nature; so theChymists and Paracelsians insist much upon the same thing, and seem rather to have carried theNotion on further, in the Bodies of Animals, where they call it by a new name of their own, theArcheus. ») ; il s’agit aussi de Henry More, qui écrit par exemple dans l’Immortalitas animæ, II,VIII, 6 (Philosophicorum Tomus alter, Londres, 1679, p. 353) : « verùm altiùs ascendemus adargumenta validiora ; in quibus hoc, puto, locum aliquem habere possit, Nullam nos nulliusanimæ operationem immediatam usquam deprehendere, quam non ea primùm in materia exeritmajorem in modum puritatis partiúmque tenuitatis participem, quæ sequax sit ductilis ; quod inomnibus omnino generationibus observari potest ; ubi corpus semper è tenui fluidóque liquoreorganizatur, qui Plasticæ virtuti animæ cedit facillimé. Nec dubito quin ea imprimis moveat,quippe ad movendum opportunissimas, partes subtilissimas, quales sunt illæ primi secundíqueelementi Cartesiani, quæ ex istiusmodi substantia humida ac tenui nunquam excluduntur : quæ ejuselementa, sunt illa verè cœlestis seu ætheria materia, quæ ubique est, ut Ficinus alicubi affirmat decœlo, & ignis ille, quem Trismegistus [en marge : Pœmand. cap. 10. sive Clavis] ait intimum essementis vehiculum, ac instrumentum quo Deus usus est in mundo fabricando, *quóque Animammundi, ubicunque quid agat, etiamnum uti certissimum est. » La note * (p. 355) précise : « PerAnimam Mundi intellige Spiritum Naturæ, non talem Animam Mundi qualem utplurimum finguntPlatonici. » La théorie cudworthienne de la nature plastique suscita, comme on sait, un débat entreP. Bayle (Continuation des pensées diverses […] sur la comète, Rotterdam, 1705, t. I, § 21,Histoire des ouvrages des savants, art. XII, p. 380) et J. Leclerc (Bibliothèque choisie,Amsterdam, 1703-1713, t. VI, VII et IX), le premier la critiquant, le second s’y montrantfavorable. Sur Cudworth et More, voir infra, notes 226 et 227

153. Les Principes de la nature ou de la generation des choses, Paris, 1731, pp. 92-94. Laquestion de la sincérité des professions de foi théistes de Colonna, et de savoir si elles cachent ounon un matérialisme de fond, importe peu ici (sur cette question, voir J. S. Spink, op. cit.).

154. Voir B. T. Moran, The Alchemical World of the German Court, Occult philosophy andchemical medicine in the circle of Moritz of Hessen (1572-1632), Sudhoffs Archiv, Beiheft 29,Stuttgart, 1991, pp. 111-114.

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« Saint Bernard (In Cant., serm. VIII) dit : “L’industrie de la nature ne peut dormir ennous ; assurément la nature elle-même est un grand don en nous” ; Boèce (De conso-latione philosophiæ, III [20]) : “La nature donne à tous les êtres ce qui leur convientet travaille à ce qu’ils ne périssent pas aussi longtemps qu’ils sont aptes à subsis-ter”. Hugues dit : “La nature est une certaine force et puissance créatrice divinementintroduite dans les choses, qui produit les êtres les uns à partir des autres à l’intérieurde leur genre” 155 ; Cassiodore (Epistulæ, IV, 38) : “Quand la nature lui est opposée,toute industrie lui cède” ; saint Thomas ([Summa theologica,] 1re part., q. 29, art.1) : “La nature fait naître toutes choses”. Zénon ([Cicéron], De natura deorum, II,[LVII]) définit la nature “un feu artiste, qui procède méthodiquement à la généra-tion” 156. » 157

Dans ces conditions, le feu des stoïciens n’est “divin” que dans la mesure où cettenature créée est l’image et le symbole de Dieu, lequel n’est plus lui-même “feu” quemétaphoriquement, ainsi que l’explique Cesare Della Riviera (ca 1538-1625) 158 dans Ilmagico mondo de gli heroi (Milan, 1603) 159, en s’inspirant du Settenario dell’humanariduttione (Venise, 1571) d’Alessandro Farra (ca 1540 - ap. 1577) 160 :

155. Il s’agit probablement d’Hugues de Saint-Victor, mais nous n’avons pas retrouvé cettedéfinition chez ce dernier, qui, en transcrivant évidemment Cicéron, écrit par ailleurs dans sesEruditionis didascalicæ libri VII (I, XI « Quid sit natura », éd. Migne, P. L., CLXXVI, col. 748-749) : « Tertia diffinitio talis est : “Natura est ignis artifex, ex quadam ut procedens in ressensibiles procreamus.” Physici namque dicunt, omnia ex calore et humore procreari. »

156. Cf. ci-dessus, note 151.157. Cf. Ioannis Danielis Mylii Vetterani Hassi M. C. Opus Medico-Chymicum : Continens

tres Tractatus siue Basilicas : Quorum prior inscribitur Basilica Medica. Secundus BasilicaChymica. Tertius Basilica Philosophica, Francfort, 1618, I, f. cr : « Bernh. in Cant. Serm. 8. ait :Naturæ industria nunquam in nobis dormitet, grande profecto in nobis donum natura ipsa est.Boeth. de cons. lib. 3. Dat cuique natura quod conuenit : & ne (dum manere possunt) intereant,laborat. Hugo ait : Natura creatrix est quædam vis & potentia diuinitus rebus insita, alia ex alijs insuo genere producens. Cassiod. Epist. 38. lib. 4. repugnante natura quælibet cedit industria. B.Thom. I. part. q. 29. art. I. Natura facit omnia nasci. Zeno lib. 2. de nat. Deorum naturam definit,ignem artificiosum, ad gignendum progredientem via. »

158. Voir F. Picinelli, Ateneo dei letterati milanesi, p. 142, repris dans F. Argelati,Bibliotheca scriptorum Mediolanensium…, Milan, 1745, II, p. 1232 ; L. Thorndike, A Historyof Magic and Experimental Science, VII, pp. 275-276 ; F. Secret, « Notes sur quelquesalchimistes de la Renaissance », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, XXXIII (1971),pp. 626-640, ici pp. 629-632 ; L. Toth, « Avertissement pour la réédition anastatique de laseconde version du Monde magique des héros publiée en 1971 », dans : Cesare Della Riviera, LeMonde magique des héros, traduction de P. Pascal, Milan, 1977, pp. 23-34 ; F. Secret,Hermétisme et Kabbale, pp. 104-107.

159. Della Riviera en donna une seconde édition (Milan, 1605) qui comporte desremaniements stylistiques et quelques additions. J. Evola en a publié une version italiennemodernisée, Bari, 1932, où il introduit des divisions en chapitres avec des titres de son cru.

160. Cf. A. Farra, Settenario dell’humana riduttione, Venise, 1571, f. 114r (« Parte quinta.Socrate, overo della morte, & delle mondane afflittioni ») et f. 223r (« Parte settima. Filosofiasimbolica, overo delle imprese »). Sur Farra, voir la notice de A. Pagano dans Dizionariobiografico degli italiani, XLV, Rome, 1995, pp. 171-173 ; sur les emprunts de Della Riviera à

Alchimie et stoïcisme 45

« Ce feu, pour commencer par le principe inprincipié, est chez les antiquesthéologiens symbole de Dieu, grande nature incréée, indépendante et naturante, etc’est pourquoi le même grand Dieu est appelé feu : feu — comme on lit dansl’Exode — qui consume. Et du même Dieu eut entendement le grand mageZoroastre, lorsqu’il dit :

Toutes les choses sont nées du feu 161.Il fut pareillement appelé ainsi par les kabbalistes hébreux, Platon, Hermès etd’autres. Les anges eux aussi sont dits feux et flammes ailées. Les étoiles sontappelées par les anciens poètes et par Platon feux éternels. De même le soleil est ditroi des étoiles et feu éternel. Comme donc la divine nature est feu, mais feu divin, etle céleste soleil est également feu, nature moyenne créée, et image sensible de lapremière, de même la nature terrestre et naturée, provenant immédiatement de lacéleste, n’est rien d’autre que feu. Et c’est ce qu’entendit Virgile, là où il dit :

Vigueur de feu, origine céleste 162.C’est pourquoi Héraclite d’Éphèse, Chrysippe et Hipparque de Métaponte affirmèrentavec raison que le feu est le principe de l’être de toutes les choses. » 163

C’est encore ce qu’enseigne, mais de façon plus confuse, Guillaume Mennens dans deuxparagraphes de ses Aurei Velleris […] libri tres, paragraphes presque entièrement recopiéssur le De harmonia mundi (Venise, 1525) de François Georges de Venise (FrancescoGiorgio ou Zorzi, 1453-1540) 164. Expliquant que les deux principes de la génération

Farra, voir S. Matton, « Alessandro Farra et l’alchimie : une source oubliée de Cesare DellaRiviera », à paraître dans Chrysopœia VI (1997).

161. Cf. É. des Places, Oracles chaldaïques. Avec un choix de commentaires anciens, Paris,1971, fr. 10, p. 69 (éd. Kroll, De oraculis Chaldaicis, Breslau, 1894, p. 15). Cet oracle avait étécité par Ficin dans sa Platonica theologia, II, VII, éd. Opera omnia, 1576, I, p. 100 (Paris, 1641,p. 98, éd. R. Marcel : Marsile Ficin, Théologie platonicienne de l’immortalité des âmes, textecritique établi et traduit par Raymond Marcel, Paris, 1964-1970, 3 vol., I, p. 92).

162. Cf. Virgile, Æneis, VI, 730.163. Cf. Il magico mondo de gli heroi, Milan, 1603, p. 71 (Milan, 1605, pp. 72-73 ; trad.

P. Pascal, Le Monde magique des héros, pp. 142-143) : « Questo, per cominciare dal Principioimprincipiato, appò gli antichi Theologi è simbolo di Dio, gran Natura increata, independente, enaturante, e per questo l’istesso grande Iddio vien fuoco addimandato : Foco, come si leggenell’Essodo, che consuma. E dell’istesso Iddio intese il gran Mago Zoroaste, mentre disse

Tutte le cose son dal foco nate.così medesimamente egli fù chiamato da’ Cabalisti Hebrei, Platone, Hermete, & altri. Gli Angeliancor essi sono detti fuochi, e fiamme alate. le Stelle da gli antichi Poeti, e da Platone, sonochiamate fuochi eterni. il Sole altresi è detto Rè delle Stelle, e sempiterno fuoco : come adunque ladiuina natura è fuoco, ma fuoco diuino, & fuoco parimente è ’l celeste Sole, Natura media creata, edella prima imagine sensibile, così la terrena, e naturata Natura dalla celeste immediatamenteproueniente, altro non è, che fuoco ; e cioè intese Virgilio là, doue ei disse

Vigor di fuoco origine celeste.Il perche Eraclio Efesio, Crisippo, & Hipparco Metapontino, con ragione vollero, il fuoco essereprincipio dell’essere di tutte le cose. »

164. Cf. De harmonia mundi, Cant. I, ton III, cap. XVI, éd. Paris, 1545, f. 53v. Voir aussi latraduction de Guy Le Fèvre de La Boderie, L’Harmonie du monde, divisee en trois cantiques. Œuvre

46 Sylvain Matton

corporelle que sont le feu, ou chaleur naturelle, et l’eau, correspondent aux deux principes dela régénération spirituelle que sont l’esprit saint igné et l’eau supracéleste, Mennens écrit :

« En vérité, cette eau élémentaire est une préfiguration ou une ébauche de cetteeau divine qui jaillit dans le paradis céleste 165, à savoir le Christ, et, parparticipation, tel un petit ruisseau, sourd en nous. De même, cette chaleur céleste estune copie ou image de la chaleur supercéleste. C’est ce que semble signifier le divincitharède lorsqu’il dit [Ps 103, 4] : Vous faites de vos anges des vents (à savoir dessouffles d’air), et de vos ministres un feu brûlant. Dans l’archétype, ainsi quel’attestent Empédocle, Héraclite et tous les autres sages, se trouve un feu idéal et unelumière spirituelle, ou, comme le veut Zénon, un artiste suprême, lequel,comprenant la totalité des puissances, sort pour former toutes choses. C’estpourquoi le royal poète a chanté [Ps 65, 7] : Il règne éternellement par sa vertu. Etégalement ailleurs [Ps 20, 14] : Levez-vous, Seigneur, dans votre force ; nouschanterons et nous célèbrerons vos vertus. Et pareillement, à un autre endroit [Ps150, 1-2] : Louez le Seigneur dans son sanctuaire, louez-le dans le firmament de savertu. Louez-le pour ses vertus, louez-le selon l’immensité de sa grandeur.

Le philosophe Cléanthe approuve l’opinion précédente, lui qui a dit que ce feuest incorporel, divin, salutaire, un feu qui engendre, conserve, soutient, nourrit etfait croître 166. En Dieu, dit le Mineur François [Georges] de Venise, les élémentssont les idées et les origines des choses qui ont été, sont et seront produites ; dansles anges, ce sont les puissances distribuées ; dans le ciel, ce sont les vertus ; dans lanature, ce sont les semences des choses, et dans ce monde inférieur, ce sont lesformes des corps. Car s’il n’y avait pas dans le ciel des vertus élémentaires, à savoircelles de l’eau et du feu, comment seraient-ils engendrés par leur influence, ici, surterre ? » 167

singulier […] composé en latin par François Georges Venitien […], Paris, 1578, pp. 100-101.Dans le De occulta philosophia, surtout en I, VIII (« Quomodo elementa sunt in cœlis, in stellis, indæmonibus, in angelis, in ipso denique deo »), Agrippa n’a pas manqué de plagier le chapitre duVénitien. Sur ce dernier et l’alchimie, voir F. Secret, Hermétisme et Kabbale, pp. 15-36.

165. Cf. Jean, IV, 14: qui autem biberit ex aqua, quam ego dabo ei, non sitiet in æternum :sed aqua, cum ego dabo ei, fiet in eo fons aquæ salientis in vitam æternam.

166. Cf. Cicéron, De natura deorum, II, 23 (= J. von Arnim, Stoicorum Veterum Fragmenta,I, 513).

167. Cf. Aurei Velleris […] libri tres, I, XII, Anvers, 1604, pp. 98-99 (éd. Theatrum chemi-cum, V, pp. 343-344) : « Verùm elementaris hæc aqua præfiguratio sive rudimentum est diuinæillius aquæ, quæ salit in paradyso cælesti, hoc est, Christo, & per communicationem velut rivulis[sic] exilit in nobis. Itidem calor ille cælestis, exemplar est sive specimen supercælestis. Quodsignificare videtur diuinus Citharœdus, cum ait : Qui facit angelos suos spiritus, nempe aëreos, &ministros suos ignem vrentem. In archetypo, vt testantur Empedocles, Heraclitus, ac cæteri sa-pientes, est ignis idealis ac spiritualis lux, aut vt Zenon vult, aristotechnis, qui exit ad forman-dum res omnes complectens virtutes vniuersas. Quamobrem cecinit Vates Regius : Qui dominaturin virtute sua in æternum. Item alibi : Exaltare Domine in virtute tua, cantabimus & psallemusvirtutes tuas. Similiter alio passu : Laudate Dominum in Sanctis eius, laudate eum in firmamento

Alchimie et stoïcisme 47

La question théologique de l’âme du monde

Dans son Anima Mundi : Or, an Historical Narration of the Opinions of the AncientsConcerning Man's Soul After this Life : According to Unenlightened Nature (Londres,1679), Charles Blount (1654-1693) 168, remarquait :

« Pour en revenir à l’anima mundi, les gens vulgaires de l’espèce la plus lourdeont employé ce mot “âme” comme nous le faisons avec celui de materia prima ouavec celui de “pierre des philosophes” : ils pensent que c’est quelque chosed’excellent et de singulier, mais n’en ont aucune notion définie et arrêtée. » 169

Appliqué aux alchimistes eux-mêmes, ce jugement serait certes très excessif. Il fautcependant convenir que ceux-ci n’ont pas défini leur esprit universel du monde de manièreunanime, ni, souvent, arrêtée et claire. La reconnaissance de l’existence d’un pneuma ouspiritus mundi qui n’est pas Dieu, mais sa créature et son instrument, n’implique enparticulier nullement qu’ils aient adopté de façon un tant soit peu rigoureuse les doctrinesphysiques stoïciennes. Les amalgames d’autorités disparates où s’inscrivent les références aufeu artiste de Zénon l’indiquent assez à eux seuls 170. Pour Mylius, qui ne fait que reprendre

virtutis eius. Laudate eum <in> virtutibus eius, laudate eum secundum multitudinem magnitudiniseius. / Prædictæ sententiæ assentitur Cleanthes Philosophus, qui dixit hunc ignem esseincorporalem [corporalem Theatrum chemicum], diuinum, vitalem, salutarem, qui generat,conservat, sustinet, nutrit, & augmentat. In Deo, inquit Franciscus Venetus Minorita, elementasunt ideæ atque origines rerum, quæ productæ sunt, quæ producuntur, & quæ producentur : inangelis potestates sunt distributæ, in cælo sunt virtutes, in natura sunt semina rerum, ac in mundohoc inferiori sunt formæ corporeæ. Quod si non essent virtutes elementares in cælo, aquævidelicet & ignis, quomodo generarentur hîc per influentiam ipsorum in terris. »

168. Voir U. Bonanate, Charles Blount, Libertinismo e deismo nel seicento Inglese,Florence, 1972.

169. Cf. Anima Mundi…, Londres, 1679, XIX, p. 63 : « But to return to Anima Mundi : Thedullest sort of the Vulgar People used this word Soul, as we do that of Materia Prima, or thePhilosophers-Stone ; they thought it be some strange excellent Thing, but had no particularformd Notion thereof : »

170. De tels amalgames de doctrines philosophiques diverses ne sont évidemment pas pro-pres aux alchimistes, lesquels pouvaient les tirer de la littérature philosophique. Ainsi dans saPhilosophia pyrotechnica seu cursus chymiatricus, II, XVIII (« De principiis seu elementis inspecie, & primò de Sale »), Davisson écrit (p. 449) : « Mais pour que des allégories et du sensmystique nous accédions à une véritable investigation de sa nature, il nous faudra poser quelquesfondements pouvant illustrer la nature du ciel et par conséquent du feu. Tout d’abord nousutiliserons en cette partie les œuvres de Piccolomini, qui écrit au chapitre II de son traité du ciel :“En recherchant la nature des choses, les plus anciens philosophes ont jugé de celles qui sontdistantes des sens par celles qui leur sont plus proches. Du fait que tout ce qui se présente devantnos yeux est soit l’un des quatre éléments, soit un mixte de ces quatre éléments, ils ont jugé que leciel était aussi de même nature. C’est pourquoi Empédocle pensait qu’il était composé des quatreéléments ; Démocrite, Leucippe et Épicure estimèrent qu’il se compose d’atomes s’accordantsurtout avec la nature du feu ; Diogène [d’Apollonie] disait qu’il est un air raréfié ; Pythagore,Héraclite, la suite des Stoïciens soutenaient qu’il est un feu, et Plotin dans son livre du ciel,confirme, en suivant l’avis de Platon, que le ciel est un feu.” » (« Sed vt ab allegoriis & mysticosensu ad veram eius naturæ inquisitionem accedamus, ponenda erunt aliquot fundamenta, quæ cæli

48 Sylvain Matton

en cela certaines thèses du Testamentum pseudo-lullien pour les appliquer au spiritusmundi, ce dernier est la « quinte essence », substance pure dans laquelle est comprise toutela nature et que Dieu créa d’abord ex nihilo pour en tirer ensuite les anges et le ciel empirée,puis le firmament et les astres, et enfin notre monde 171. Quant à Guillaume Mennens,Cesare Della Riviera et William Davisson, ce sont des conceptions du monde résolumentnéoplatoniciennes qu’il défendent. Della Riviera emprunte à Ficin et à Farra sa doctrine duspiritus mundi 172. De Guillaume Mennens, anti-aristotélicien avoué, prenant pour phareGeorges de Venise 173, on a pu dire qu’il donne « dans tous les écarts de l’idéologie ultra-platonicienne » 174. Quant à William Davisson, pour qui, nous l’avons dit, l’esprit dumonde procède de l’âme du monde dont il est « comme le rejeton de la vie interne » 175, cesont toujours les néoplatoniciens antiques et modernes — Ficin 176 bien sûr, mais aussiJean Pic de la Mirandole 177, Giovanni Aurelio Augurelli 178 ou Léon l’Hébreu 179 — qui,

naturam, & proinde ignem illustrare possunt. Primumque vtemur in hac parte opera Picolominei,qui libro de cœlo, cap. 2. Vetustiores, inquit, Philosophi, naturam rerum indagantes, & per ea quæsensibus proximiora sunt, distantia sensibus mesurantes, quoniam cuncta quæ ante oculosversantur, vel sunt vnum ex quatuor elementis, vel aliquid ex iis mixtum, ideo cælum quoqueeiusdem naturæ existimarunt. Propterea Empedocles ex quatuor elementis constare censuit.Democritus, Leucippus, & Epicurus, existimarunt constare ex atomis, præsertim naturæ igniscongruentibus. Ægyptij aquam, & humorem concretum id esse affirmarunt. Diogenes aëremattenuatum, Pythagoras, Heraclitus, Stoicorum series dixere ignem. Plotinus, in libro de cælo, exsententia Platonis, cælum esse ignem confirmat. »)

171. Voir Philosophia reformata, Francfort, 1622, p. 171. Voir aussi L. Thorndike, AHistory of Magic and Experimental Science, VII, p. 177 ; B. T. Moran, The Alchemical Worldof the German Court…, p. 113.

172. Voir S. Matton, « Marsile Ficin et l’alchimie… », pp. 175-178, et « Alessandro Farraet l’alchimie : une source oubliée de Cesare Della Riviera ».

173. Mennens fait aussi un large usage des Interpretationes in selectiora cabalistarumdogmata, ex commentationibus Ioannis Pici Mirandulani excerpta d’Archangelus de Burgonovo(qui lui-même pilla Georges de Venise) ; voir Aurei Velleris […] libri tres, pp. 110, 127, 131,147 (éd. Theatrum chemicum, pp. 355, 372, 377, 392). Mennens a lu dans le recueil de Pistoriusle traité d’Archangelus de Burgonovo, avec ceux de Reuchlin (voir pp. 81, 147, 162, éd.Theatrum chemicum, pp. 326, 392, 407) et de Léon l’Hébreu (voir p. 129, éd. Theatrumchemicum, p. 374).

174. B. Hauréau, article cité supra note 99.175. Voir supra note 145.176. Voir, par exemple, Philosophia pyrotechnica seu cursus chymiatricus, pp. 159 et 300

(« vt Marsilius Ficinus pluribus docet lib. 4. Theologiæ Platonicorum ») ; Commentariorum In[…] Petri Severini Dani Ideam Medicinæ philosophicæ, éd. cit., pp. 75, 92, 96, 97, 142.

177. Voir, par exemple, Philosophia pyrotechnica seu cursus chymiatricus, p. 40 : « D ehac [Dei] vnitate legantur plura apud Picum Mirandulanum, tractatu de vno & ente. » (= LesElemens de la philosophie de l'art du feu ou chemie, Paris, 1651, p. 86 : « De cette vnité voustrouuerez dauantage chez Pic de la Mirande dans son traicté de l’vn & de l’estre. »)

178. Voir id., p. 299.179. Voir Commentariorum In […] Petri Severini Dani Ideam Medicinæ philosophicæ, éd.

cit., pp. 75 et 142.

Alchimie et stoïcisme 49

relus à la lumière du paracelsisme de Petrus Severinus (Peder Sørensen, 1540/42-1602) 180,constituent l’une des sources majeures de sa doctrine.

L’interprétation néoplatonicienne du pneuma matériel des stoïciens comme véhiculed’une âme du monde incorporelle ne posait pas sur le fond un problème théologique aussigrave que celui de la divinisation stoïcienne de ce pneuma matériel. Comme JakobThomasius l’objecta à Juste Lipse dans la quatorzième (« Stoicus Deus forma Mundiinformans ») de ses Dissertationes ad Stoicæ Philosophiæ et cæteram PhilosophicamHistoriam facientes argumenti varii — où Vivès est épinglé au passage pour son ignorancede la doctrine du Portique —, il n’y a pas une « légère », mais une « énorme » différenceentre identifier, avec les stoïciens, l’âme du monde à Dieu et en faire, avec les platoniciens,une production de Dieu 181. Dès lors, en effet, que l’âme comme l’esprit du monde étaient

180. Cf. Les Elemens de la philosophie de l'art du feu ou chemie, Paris, 1651, p. 17 : « dansce petit Volume [l’Idea medicinæ philosophiæ] il [Severinus] a compris la Philosophie de Platon,Procle, Plotinus, de tous les Platoniciens & Cabalistes, & les a reconciliez à la Philosophie qu’ila grandement illustrée, accommodant autant que la verité le luy a peu permettre, les sentimens deGalien, d’Aristote & d’Hippocrate. » Et, id., p. 19 : « C’est donc à tort que quelques-vns placentles Chemiques parmy les ignorants, puisque pour acquerir la cognoissance de la Medecinevulgaire, il falloit auoir la cognoissance de bel art, il falloit estre versé dans les Platoniciens &Cabalistes, estre instruit en la science des nombres, en l’Astrologie & Astronomie celeste &elementaire. »

Sur Severinus, voir la notice d’A. G. Debus dans : Ch. C. Gillispie (éd.), Dictionary of Scien-tific Biography, XII, New York, 1975, pp. 334-336 ; à bibliographie à compléter parE. Bastholm, « Petrus Severinus », Acta Historica scientiarum naturalium et medicinalium,XXXII (1979) ; M. L. Bianchi, « Occulto e manifesto nella medicina del Rinascimento : JeanFernel e Pietro Severino », dans Atti e memorie dell’Accademia Toscana di Scienze e Lettere, LaColombaria XLVII, Nuova Serie XXXIII, Florence, 1982, pp. 185-248 ; J. Shackelford,« Paracelsian and Patronage in Early Modern Denmark », dans : B. T. Moran (éd.), Patronage andInstitutions : Science, Technology, and Medicine at the European Court 1500-1750, Rochester,1991, pp. 85-109 ; O. P. Grell, « The reception of Paracelsianism in early modern LutheranDenmark : From Peter Severinus, the Dane, to Ole Worm », Medical History, XXXIX (1995),pp. 78-94 ; J. Shackelford, « Early reception of Paracelsian theory : Severinus and Erastus »,Sixteenth Century Journal, XXVI (1995), pp. 123-135.

181. Dissertationes ad Stoicæ Philosophiæ et cæteram Philosophicam Historiam facientesargumenti varii […], Leipzig, 1682, « Dissertatio XIV, ad Thes. XII. vv. Stoicus Deus formaMundi informans », p. 182 :

« §. 19. Fecerunt idem [= non dubitabant Deum vocare Animam Mundi] è Schola PlatonisAcademici, fateor : neque hoc latuit Lipsium dictâ dissert. 7. p. 16. Sed cave putes, sub iisdemverbis eandem esse utriusqve sectæ sententiam. Observavit discrimen amiciss. Francus Disp. II.de Fato c. 2. §. 17.

§. 20. Nos hîc ipsius Lipsii confessionem, qvæ legitur lib. II. Diss. 10. p. 78 :adscribemus : Hoc diversum à Platonicis nostri habent, etsi audita sententia, non explorata,imponat. Nam utrique animam Mundo tribuunt, sed diverso paullùm sensu. Plato Mundi animamex Deo natam vult : nostri Deum ipsam esse. Illi qvoqve Deum, sed secundarium qvendam, necprimum & Patrem. Rectè omnia, nisi qvòd sensum utriusqve Philosophiæ non paullùm, sed veròmultùm, imò plurimùm differre profitendum fuerat.

§. 21. Certum hoc interim, Mundanam Animam Stoicis Deum ipsum supremum fuisse,Platoni Numinis hujus, Mundum extrà se conditurientis, ut è Timæo f. 1049. 1050. cognoscimus,

50 Sylvain Matton

clairement distingués de Dieu, l’on n’encourait aucune censure théologique. En s’appuyantsur Augustin et Thomas d’Aquin, Marsile Ficin avait fait remarquer que l’existence d’âmesdes sphères célestes et élémentaires, et par conséquent de l’âme unique de l’Univers que,selon lui, elles impliquent est, au pire, indifférente à la théologie chrétienne 182. Ficinajoutait que l’existence de l’âme du monde s’accorde en réalité avec l’enseignement desthéologiens chrétiens 183. C’était là beaucoup s’avancer. Car si effectivement l’Églisecatholique ne condamna jamais la thèse de l’existence d’une âme du monde, ce fut pour s’entenir à la position de saint Augustin : on sait qu’après avoir affirmé dans son D eimmortalitate animae que le monde est vivant et possède une âme, l’évêque d’Hipponereconnut dans ses Retractationes le caractère téméraire de son affirmation et conclut que lesSaintes Écritures n’ayant pas sur ce point un enseignement clair et univoque, il estimpossible de soutenir comme de nier l’existence d’une âme du monde 184. Ce faisant,Augustin tient clairement l’âme du monde pour une créature, et ne tente nullement deramener l’âme du monde au Saint-Esprit, ce qui fut en revanche fréquemment le cas chez lesPères grecs 185. Aussi les théologiens du Moyen Âge comme ceux de la Renaissance et de

progeniem seu effectum. Discrimen utriusqve Sectæ observavit & Piccolom. c. 29. de Mundop. 627. 628.

§. 22. Qvare non probo Lud. Vivem, ad August. IV. de C. D. 11. f. 241. ita commentantem :Stoici cum Platone Deum qvidem Mentem esse dicunt, sed non utentem Mundo pro corpore.Mundum ipsum Deum esse, habereqve & Mentem & Animam, sed aliam, qvàm sit ipse Deus. Inhis paucis verbis ter peccat Hispanorum doctissimus. Primùm qvòd putat, Stoicos hîc cumPlatone sensisse. Deinde qvòd Stoicum Deum negat uti Mundo pro corpore. Tertiò qvòd iisdemStoicis animam Mundi aliud qvid ait fuisse, qvàm ipsum Deum, puta summum. Postremum hocnon Stoicorum Philosophia est, sed Platonis ; cui, ut modò dixi, anima Mundi erat primi Deieffectus. »

Pour la position de Lipse, voir J. Lagrée, Juste Lipse et la restauration du stoïcisme, pp. 51-56.

182. Platonica theologia, IV, I, éd. Opera omnia, Bâle, 1576, I, p. 130 (Paris, 1641,p. 127, éd. R. Marcel, I, p. 163) : « Augustinus Aurelius in Enchiridion, & Thomas Aquinas inlibro contra Gentiles secundo, tradunt, nihil quantum ad Christianam doctrinam spectat, interessecœlestia corpora animas habere uel non habere. »

183. Cf. id., éd. Opera omnia, éd. Bâle, 1576, I, p. 131 (Paris, 1641, p. 128, éd. R. Marcel,I, p. 165) : « Quamobrem tres rationalium animarum gradus collogimus. In primo fit animamundi una. In secundo duodecim sphærarum animæ duodecim. In tertio animæ multæ, quæ insphæris singulis continentur. Hæc omnia quæ ad sphærarum animas pertinent, ex Platonicorumopinione narrata, tunc demum affirmentur, cum Christianorum Theologorum concilio diligenterexaminata placuerint. »

184. Cf. Retractationes, I, XI, 4 : « Sed animal esse istum mundum, sicut Plato sensit, alii-que philosophi quamplurimi, nec ratione certa indagare potui, nec diuinarum scripturarum auctori-tate persuaderi posse cognoui. Unde tale aliquid a me dictum quo id accipi possit, etiam in libro deimmortalitate animae temere dictum notaui, non quia hoc falsum esse confirmo, sed quia necuerum esse comprehendo, quod sit animal mundus. » Sur cette question, voir V. J. Bourke, « St.Augustine and the cosmic soul », Giornale di metafisica, IX (1954), pp. 431-440 ; voir aussiG. Verbeke, The Presence of Stoicism in Medieval Thought, p. 29.

185. Voir R. Arnou, « Le Platonisme des Pères », dans : A. Vacant et E. Mangenot (éd.),Dictionnaire de théologie catholique, Paris, 1899-1972, XII, col. 2322-2338.

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l’Âge classique ne condamnèrent-ils pas comme contraire à la foi la thèse d’une âme dumonde créée, lors même qu’ils rejetaient pour leur part son existence, ce qu’ils firent dansleur immense majorité. De fait, même parmi les théologiens platonisants du Moyen Âge— y compris les maîtres de l’école de Chartres — 186 qui, à partir du Timée 187, de soncommentaire par Calcidius, de l’In somnium Scipionis (I, 15) de Macrobe et du D econsolatione philosophiae (III, IX) de Boèce, mais aussi d’écrits augustiniens aujourd’huireconnus comme apocryphes, tel que le Sermo CLVII in vigilia Paschae (I, 3) 188, et enfinde la tradition arabe, en particulier d’Avicenne 189, se livrèrent à des spéculations sur l’âmedu monde, beaucoup ne reconnurent pas l’existence d’une véritable âme du monde dans lamesure où ils identifiaient cette dernière à Dieu. Ce fut en particulier le cas du chartrainGuillaume de Conches (1080-1145) 190, dont le Dragmaticon fut édité à Strasbourg en1567 191 par l’éditeur du recueil Veræ alchemiæ […] doctrina (Bâle, 1561), GuglielmoGrataroli (1516-1568) 192, et dont les ouvrages où il traite de l’âme du monde furent égale-ment imprimés à la Renaissance 193, bien que ce ne fût pas sous son nom : sa Mundiconstitutio fut attribuée à Bède le Vénérable dans l’édition des Opera de Bède que JohannHerwagen (Hervagius, 1497-1564) 194, l’ami d’Érasme, publia sur ses presses, à Bâle, en1563 195, et à laquelle contribua Jacques de Pamele (Pamelius, 1536-1587) 196 ; sa

186. Voir L. Ott, « Die platonische Weltseele in der Theologie der Frühscholastik », dans :Parusia. Studien zur Philosophie Platons und zur Problemgeschichte des Platonismus. Festgabefür Johannes Hirschberger, Francfort, 1965, pp. 307-331.

187. Voir T. Gregory, Platonismo medievale. Studi e ricerche, Rome, 1958, cap. IV (« IlTimeo e i problemi del platonismo medievale »), pp. 53-150.

188. Voir G. Verbeke, L’Évolution de la doctrine du pneuma…, pp. 496-497.189. Pour la théorie de l’âme du monde chez les arabes, voir F. Dieterici, Die Lehre von der

Weltseele bei den Arabern im X. Jahrhundert, Leipzig, 1872.190. Voir T. Gregory, Anima mundi. La filosofia di Guglielmo di Conches e la scuola di

Chartres, Florence, s. d.191. Sous le titre Dialogus de substantiis physicis ante annos ducentos confectus a

Vuilhelmo Aneponymo Philosopho. Voir T. Gregory, Anima mundi, p. 9.192. Sur G. Grataroli, cf. G. B. Gallizioli, Della vita, degli studi, e degli scritti di Guglielmo

Grataroli filosofo e medico, Bergame, 1788 ; D. Cantimori, Eretici italiani del Cinquecento, Flo-rence, 1939 (rééd. Turin, 1992) passim ; L. Thorndike, A History of Magic and ExperimentalScience, V, pp. 600-616 ; G. Jüttner, Wilhelm Gratarolus. Benedikt Aretius. Naturwissenschaft-liche Beziehungen der Universität Marburg zur Schweiz im 16. Jahrhundert, Marburg, 1969.

193. Voir T. Gregory, Anima mundi, p. 5.194. Voir la notice de P. G. Bietenholz dans : P. G. Bietenholz et Th. B. Deutscher (éd.),

Contemporaries of Erasmus. A Biographical Register of the Renaissance and Reformation,Toronto – Buffalo – Londres, 3 vol., 1985-1987, II, pp. 186-187. Mais P. G. Bietenholz faitmourir Herwagen avant le 31 janvier 1559.

195. Opera Bedæ Venerabilis presbyteri, Anglosaxonis, Bâle, 1563, 8 vol. (rééditionCologne, 1612). En 1544 le juriste François Jamet avait donné, à Paris, des Opera de Bède en 3volumes, mais les traités apocryphes de Bède n’y figurent pas.

196. Voir la notice de A.-C. De Schrevel dans Biographie nationale, publiée par l’Académieroyale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique, XVI, Bruxelles, 1901, col. 528-542. La contribution de Pamelius à l’édition des Opera de Bède a été oubliée par De Schrevel.

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Philosophia fut aussi attribuée à Bède, sous le titre R|ƒ® {ß{`∂|›µ sive elementorumphilosophiæ libri quatuor 197, mais également à Guillaume de Hirschau, sous le titrePhilosophicarum et astronomicarum institutionum (Bâle, 1531) 198, et à Honorius d’Autun,dont sept traités furent publiés également à Bâle, en 1544 199, par l’humaniste JoannesBasilius Herold, dit Acropolitanus (1511 - ap. 1581) 200, lequel nous apprend dans sa préfacedédicatoire qu’un manuscrit lui fut communiqué par Gilbert Cousin (Cognatus, 1506-1572) 201, le secrétaire d’Érasme 202. Dans la Philosophia, son premier ouvrage systématique,Guillaume de Conches rappelle donc que par âme du monde certains entendent « le Saint-Esprit », d’autres « une force vitale naturelle placée par Dieu dans les choses », d’autresencore « une certaine substance incorporelle qui se trouve tout entière dans chaque corps,bien que, en raison de la lenteur de certains corps, elle n’opère pas de la même manière entous » 203. Or c’est bien à l’identification de l’âme du monde au Saint-Esprit que souscrivitlongtemps Guillaume de Conches, comme le firent aussi Théodoric de Chartres dans son Desex dierum operibus 204 ou Arnaud, abbé de Bonneval, dans son Liber de cardinalibusoperibus Christi 205 ; et quand Guillaume de Conches renonça à cette identification 206, ce ne

197. Bède le Vénérable, Opera, Bâle, 1563, II, pp. 311-343.198. Philosophicarum et astronomicarum institutionum Guillelmi Hirsaugiensis olim

abbatis libri tres, Bâle, 1531.199. D. Honorii Augustudunensis presbyteri Libri septem. Quorum Primus est : I De Imagine

Mundi. II De Temporibus Mathesis. III De Philosophia mundi. Lib. IIII. IIII De AffectionibusSolis. V De Aetatibus mundi Chronicon. VI De Luminaribus siue scriptoribus Ecclesiasticis. VIIde Hæresibus […], Bâle, 1544.

200. Voir la notice de Weiss dans Biographie universelle (Michaud), XIX, Paris, 1857,pp. 311-312.

201. Voir la notice de P. G. Bietenholz dans P. G. Bietenholz et Th. B. Deutscher (éd.),Contemporaries of Erasmus. A Biographical Register of the Renaissance and Reformation, I,Toronto – Buffalo – Londres, 1985, pp. 350-352.

202. Cf. D. Honorii Augustudunensis […] libri septem…, Præfatio, f. ` 4r.203. Cf. Philosophia, éd. Bâle, 1544, pp. 121-122 (éd. Migne, Honorius d’Autun, P.L.

CLXXII, col. 46 ; voir aussi Bède le Vénérable, Opera, Bâle, 1563, II, p. 313 = éd. Migne, P.L,XC, col. 1130) : « Anima mundi secundum quosdam Spiritus Sanctus est. Diuina enim bonitate &voluntate quæ Spiritus sanctus est, ut prædiximus, omnia uiuunt quae in mundo uiuunt. Alij dicuntAnimam mundi esse naturalem uigorem, rebus à Deo insitum, quo quædam uiuunt tantum, quædamuiuunt & sentiunt, & discernunt : non est aliquid quod uiuat & sentiat & discernat in quo illenaturalis uigor non sit. Tertij Animam mundi esse quandam incorpoream substantiam, quae totaest in singulis corporibus, quamuis propter quorundam tarditatem corporum, non idem in omnibusexercet uel operatur : quod uolens significare Virgil. ait [Æn. VI, 731] : Quantum non noxiacorpora tardant. In homine ergo est illa propria anima. Si aliquis concludat, Ergo in homine suntduæ animæ : dicimus non, quia non dicimus Animam mundi esse animam : sicut non dicimus,caput mundi esse caput. Hanc dicit Plato ex diuidua et indiuidua substantia esse excogitatam, & exeadem natura & diuersa. Cuius expositionem si quis quærat, in glosulis nostris super Platoneminveniet. » Cité par T. Gregory, Anima mundi, pp. 133-134.

204. Cf. De sex dierum operibus, éd. Haureau, Notices et extraits, I, Paris, 1890, pp. 61-62 ;textes cités par T. Gregory, Anima mundi, pp. 134-135.

205. Cf. Liber de cardinalibus operibus Christi, éd. Migne, P. L., CLXXXIX, col. 1672-1673 ; textes cités par T. Gregory, Anima mundi, pp. 137-138.

206. Voir T. Gregory, Anima mundi, pp. 148 sqq.

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fut pas pour adopter l’une des deux autres définitions de l’âme du monde en les entendant detelle sorte qu’elles impliquent une âme du monde distincte de Dieu, conception que, dans saMundi constitutio, il met prudemment dans la bouche d’autrui 207.

Quant à Pierre Abélard (1079-1142) — dont Jakob Thomasius, dans une dissertation de1663, An Gentiles in Anima Mundi agnoverint Spiritum sanctum ?, a prétendu que RobertFludd (1574-1637) 208 était sur ce point le rénovateur 209 —, sa position est en fait trèsproche de celle de Guillaume de Conches. En effet, contrairement à ce qu’affirment lesarticles 2 (« Le Saint Esprit n’est pas de la substance du Père ou du Fils ») et 3 (« Le SaintEsprit est l’âme du monde ») de sa condamnation par le concile de Sens en 1141 210, Abélard

207. Cf. Mundi constitutio, chap. « De anima mundi », éd. dans Bède le Vénérable, Opera,Bâle, 1563, I, p. 397 (éd. Cologne, 1612, I, p. 340 ; Migne, P.L., XC, col. 902-903) : « Dicuntetiam quidam unam tantùm esse animam, id mundanam : quæ omnia in animum & conformesunicuique rei uires pro sua habilitate, sicut stellis rationem, hominibus quos in caducis rebusinuenit habere sphæricum caput, & erectam faciem, rationem quoque infudit, & sensualitatemsicut diuinis corporibus, licet præ nimia contemplatione diuina animalia sensualitatem nonexerceant. Cæteris animantibus sensum & uegetationem. Arboribus & herbis tantummodouegetationem : & sicut unus uultus in pluribus speculis : & in uno speculo plures uultus apparent,ita una anima in pluribus rebus : & ubique omnes uires suas habet, licet in diuersis habeatexercitium pro habilitate corporum. Secundum quam sententiam nullus homo uidetur esse peioralio, quia una eademque anima bona & immaculata in sui natura est in omnibus corporibus : seddicitur magis degenerare in uno quàm in alio, utpote consensualitas dominatur rationi, quia incuiuscunque corpore sit, illud corpus est infernus animæ. secundum hanc quoque sententiam nullushomo moritur, ita quòd patiatur separationem animæ, quamquam separatur à quatuor elementis,inque omnia corpora resoluuntur : sed tunc dicitur mori, cùm in illis anima relinquit priorumuirium exercitium. Præterea dicunt quidam, eandem mundanam animam pariter cum humana animaesse in homine, de qua uermes uiuificentur, sic´ que hominem duas animas asserunt habere. » Citépar T. Gregory, Anima mundi…, pp. 154-156. Sur ce traité voir aussi P. Duhem, Le Système dumonde , III, Paris, 1915, pp. 76 sqq . ; E. Garin, « Contributi alla storia del platonismomedievale », Annali della Scuola Normale Superiore di Pisa, XX (1951), pp. 67 sqq.

208. Voir la bibliographie détaillée donnée par J. Godwin, Robert Fludd, Londres, 1979(trad. française, Paris, 1980), à compléter notamment par A. G. Debus, Chemistry, Alchemy andthe New Philosophy, 1550-1700, Londres, 1987, et W. H. Huffman, Robert Fludd and the End ofthe Renaissance, Londres – New York, 1988.

209. Cf. « An Gentiles in Anima Mundi agnoverint Spiritum sanctum ? Præscriptum Oratio-ni, Quam Anno 1663. d. 6. Jun. pridie Pentecostes habuit Michael Sipsius, Lipsiensis, De Co-lumbâ Pentecostali », dans Dissertationes LXIII. varii argumenti magnam partem ad historiamphilosophicam et ecclesiasticam pertinentes, Halle, 1693, pp. 347-363, ici p. 361 : « Qvod inPetro certè Abaëlardo evenit, cui cum alia, tum hoc etiam exprobrat Bernhardus, qvòd Spiritum S.dixerit esse animam mundi, ethnicum se probans, (hæc devoti Abbatis censura est,) dum multumsudat, qvomodo Platonem faciat Christianum. Hic est Abaëlardus, Præceptor Petri Lombardi,meritus, ut ab ejus maximè tempore initia fædatæ per secularem Philosophiam sacræ Theologiæduceret Trithemius. Improbatum in Abaëlardo dogma nostro ævo Robertus Fluddus renovavit,asserens, Animam Mundi Deum sse, aut Spiritum Sanctum ( f ). » La note ( f ) indique : « TesteFranc. Lanovio ap. Gassend. Tom. III. Oper. f. 267) ». Thomasius est certainement la source deJ. L. Mosheim, qui ajoute Paracelse et les Rose-Croix à Fludd dans le commentaire de satraduction de Cudworth (Systema intellectuale huius universi…, Iéna, 1733, p. 659).

210. Cf. Ch. Du Plessis d’Argentré, Collectio judiciorum de novis erroribus…, t. I, Paris,1728, p. 21, et J. D. Mansi, Sacrorum consiliorum nova et amplissima collectio, XXI, Venise,

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ne défendit pas l’existence d’une âme du monde distincte de Dieu 211 : dans son De unitate ettrinitate divina 212, comme dans sa Theologia Christiana (ca 1123/25) 213, il s’appuieseulement sur la théorie de l’âme du monde pour montrer que Platon et les Anciens avaienteu une certaine intuition du Saint-Esprit, démonstration qui s’appuie elle-même sur unethéorie de l’involucrum interdisant de prendre à la lettre les discours des philosophesantiques sur l’âme du monde 214. D’ailleurs, dans la révision de sa Dialectica, Abélard rejetteouvertement la théorie du monde « animal immense, vivant d’une âme divine » 215.

Cette circonspection des théologiens platonisants dans l’affirmation de l’existence d’uneâme du monde eut pour pendant celle des anti-platoniciens dans leur négation de cette âme.Pour ne prendre que quelques exemples dans un milieu peu suspect d’une excessivecomplaisance envers le platonisme, celui de la Compagnie de Jésus au dernier quart du XVIe

siècle 216, ce fut la position de Benito Pereyra (Pereirus, 1535-1610) 217 qui, dans ses Decommunibus omnium rerum naturalium principiis et affectionibus libri XV, qui plurimumconferunt ad eos octo libros Aristotelis qui de Physico auditu inscribuntur intelligendos(Rome, 1562), ne paraît pas tenir pour absurde ni scandaleuse l’idée platonicienne d’une

1776, col. 568 : « 2. Quod Spiritus sanctus non sit de substantia Patris aut Filii. / 3. QuodSpiritus sanctus sit anima mundi ». On sait que cet article 3, qui ne figure pas dans la liste desarticles condamnés publiée par François d’Amboise, Præfatio apologetica, n’est pas examiné parAbélard dans sa rétractation (voir E. Portalié, « Abélard », dans : A. Vacant et E. Mangenot (éd.),Dictionnaire de théologie catholique, I, col. 44.).

211. Voir Ch. de Rémusat, Abélard, Paris, 1845, II, p. 388 ; abbé Vacandard, Abélard, salutte avec saint Bernard, sa doctrine, sa méthode, Paris, 1881, pp. 235-236 : « Sa doctrine de laTrinité platonicienne et de l’âme du monde personnifiée dans le Saint-Esprit, prise en touterigueur, est l’expression la plus pure du panthéisme. Ce serait cependant lui faire injure que del’accuser d’avoir soutenu formellement cette grossière hérésie. Son dessein était d’adapter unethéorie philosophique au dogme catholique, et de chercher dans l’antiquité païenne des images,des emblèmes et même une connaissance voilée de nos mystères. » ; T. Gregory, « Abelard etPlaton », dans : E. M. Buytaert (éd.), Peter Abelard. Proceedings of the International Conference,Louvain, May 10-12, 1971, Louvain – La Hague, 1974, pp. 38-64, ici pp. 50 sqq.

212. Voir éd. Stolzle, p. 10.213. Voir Theologia Christiana, I, 68-136, éd. E. M. Buytaert, Petri Abaelardi opera

theologica, II : Theologia christiana. Theologia scholarium. Recensiones breuiores, Corpuschristianorum. Continuatio Mediaeualis, XII, Turnhout, 1969, pp. 100-131 (éd. Migne, P. L.,CLXXVIII, col. 1144-1166).

214. Cf. Theologia christiana, I, 106, éd. Buytaert, p. 116 : « Clarum est ea quæ aphilosophis de anima mundi dicuntur, per involucrum accipienda esse. Alioquin summum philo-sophorum Platonum, summum stultorum esse deprehenderemus ». Texte cité par T. Gregory,« Abelard et Platon », p. 51.

215. Voir E. Portalié, « Abélard », art. cit., col. 46.

216. Voir S. Matton, « Quelques figures de l’antiplatonisme de la Renaissance à l’âgeclassique », dans : M. Dixaut (éd.), Contre Platon, I : le platonisme dévoilé, Paris, 1993,pp. 357-413, ici pp. 401-408.

217. Voir la notice de J.-P. Grausen dans : A. Vacant et E. Mangenot (éd.), Dictionnaire dethéologie catholique, Paris, 1899-1972, XII, col. 1217 ; G. Santinello (éd.), Storia delle storiegenerali della filosofia, I. Dalle origini rinascimentali alla “historia philosophica”, Brescia,1981, pp. 90-93 (art. de I. Tolomio) ; Ch. Schmitt et Q. Skinner (éd.), The Cambridge History ofRenaissance Philosophy, Cambridge, 1988, pp. 606-609, 798-799 et notice p. 830.

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âme du monde, même s’il la repousse 218. Ce fut aussi celle d’un ami du futur cardinalBellarmin, Giovan Battista Crispo († ca 1595) 219, lequel n’appartenait pas à la Compagniemais dont le De ethnicis philosophis caute legendis (Rome, 1594) fut loué et utilisé parAntonio Possevino (1534-1611) dans sa Bibliotheca selecta de ratione studiorum (Rome,1593), ouvrage qui servit lui-même de référence pour l’élaboration de l’enseignement reçu etdispensé par les jésuites : si Crispo souligne le caractère théologiquement hétérodoxe de ladoctrine platonicienne qui fait de l’âme humaine une partie de l’âme du monde dès lors quel’on assimile à Dieu cette âme du monde 220, il ne se prononce en revanche pas sur ladoctrine de l’âme du monde conçue comme distincte de Dieu.

Il en alla pareillement dans les milieux de la Réforme. Témoin le pasteur luthérien etprofesseur extraordinaire de théologie à Leipzig, August Pfeiffer (1640-1698) 221. Dans sesDubia vexata Scripturæ sacræ (Leipzig et Francfort, 1685), s’interrogeant sur la nature del’Esprit de Dieu qui, selon Genèse I, 2, reposait sur les eaux, Pfeiffer mentionne entreautres interprétations dont aucune apparemment ne lui semble scandaleuse, celle de JanAmos Comenius (Komensky, 1592-1670) 222 dans sa Physicæ ad lumen divinum reformatæ

218. Cf. De communibus omnium rerum naturalium principiis…, XV, IV, « Ad novumargumentum Procli », éd. Cologne, 1595, p. 792 : « An non etiam iuxta Platonem, anima nostraà se mouetur & immortalis est, corpus autem quod ab ipsa mouetur, & ortum & interitum habet ?An non infirma ratio est, quæ nititur decreto Platonis non valde certo, neque à multis recepto,nimirum quòd essentia animæ in eo sit, vt moueatur à se ipsa, & sit principium mouendi ? Nequeplacet Aristoteli, vnam esse Mundi animam à Deo diuersam, à qua cuncta regantur corpora, sedsolis orbibus cælestibus immortales animas suam cuique attribuit, quarum motionibus omnia, quæinfra Lunæ orbem sunt, regi, foueri, & moderari censet. Quare quod hîc à Proclo de anima Mundidicitur, à nobis non conceditur. Adde, quòd qui negant Mundum æternum esse, hos consequens estvel negare animam Mundi, cæterasque intelligentias æternas esse, sed fuisse eas simul cum mundoprocreatas ; vel dicere, illas non habere adeò necessariam cum mundo connexionem, vt sine ipso& ante ipsum esse non potuerint. Quare sumere æternitatem animæ, tanquam rem certam &indubitatam, & ex ea concludere æternitatem Mundi, quasi absque Mundo anima esse non potuerit,est duplici nomine vitiosam facere argumentationem : tum quia sumit pro certo, quod est dubium ;tum quia ex hoc conficit id, quod ex illo non concluditur necessariò. »

219. Voir Dizionario biographico degli italiani, XXX, Rome, 1984, pp. 806-808 (noticed’A. Romano) ; S. Matton, « Quelques figures de l’antiplatonisme… », pp. 405-406.

220. Cf. De ethnicis philosophis caute legendis, Rome, 1594, I, III : « Animam nostrammundi animæ partem nequaquam esse »), pp. 59 sqq. Voir, par exemple, p. 68 : « CAVTIONE LEO

PRIMVS P. Epistola VC. / Quinto capitulo refertur, quod animam hominis diuinæ asserant essesubstantiæ, nec a natura conditoris sui, condicionis nostræ distare naturam. Quam impietatem, exPhilosophorum quorundam, & Manichæorum opinione manantem, Catholica fides damnat,sciens, nullam tam sublimem, tamquam præcipuam esse facturam, cui Deus ipse natura sit. Hæcille. Ex quibus vltimis verbis colligunt Theologi, esse etiam contra fidem Catholicam dicere,creaturam quamlibet, quantumcumque præstantissimam, etiamsi Angelis posset esse superior,siue creata, siue creabilis illa sit, ex Dei natura existere. Si vero etiam Mundi anima non sitsuperior, Deus, & animam rationalem producat vt partem sui, nihil refert : modo easdem incurratreprehensiones, quibus ne quidem a Mente posse animam produci, superiore libro cauebamus. »

221. Voir Biographie universelle (Michaud), XXXIII, p. 8 ; Allgemeine Deutsche Biogra-phie, XXV, pp. 631-632.

222. Voir H. Aarsleff, art. « Comenius, John Amos » dans : Ch. C. Gillispie (éd.), Dictio-nary of Scientific Biography, III, pp. 359-363.

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synopsis (Amsterdam, 1643) 223 et d’Oswald Croll (Crollius, ca 1560-1609) 224 dans saBasilica chymica (Francfort, 1609), l’un et l’autre voulant que cet esprit soit « l’esprit vitaldu monde », interprétation qui a été réfutée, précise Pfeiffer, par Henricus Kippingus dans saDe Creatione exercitatio 225.

Même au siècle des Lumières où, davantage par réaction aux thèses des libres penseursmatérialistes qui se réapproprièrent le spiritus mundi des alchimistes 226, plutôt qu’aux

223. Cf. Physicæ ad lumen divinum reformatæ synopsis, Amsterdam, 1643, II (« D evisibilibus Mundi principiis : Materia, Spiritu, et Luce »), pp. 15-17 : « At verò, cum de Materia& Luce nemo dubitet ; hoc saltem probandum venit, per spiritum illum, qui incubuisse diciturAquis, Spiritum quendam Mundi Vniuersalem, qui Vitam & Vigorem omnibus creatis indat,intelligi. Dubitandi enim occasionem præbet sententiæ hujus in Physicis novitas,Theologorumque dicti loci, de Persona Spiritus Sancti, consentiens interpretatio. At verò rectiùscreatum Spiritum, qui Mundi velut anima sit, intelligi, & agnoscit Chrysostomus (citante Aslaco)ac Danæus ; & probatur validè : I. Scripturâ […] II. Ratione & Sensu. » Comenius donne, p. 20,les définitions suivantes des principes (« Principiorum definitiones ») : « MATERIA, estsubstantia corpulenta, per se bruta & tenebricosa, corpora constituens. / SPIRITVS, estsubstantia subtilis, per se viva, invisibilis & insensilis, corpora inhabitans ac vegetans. / LVX,est substantia per se visibilis, & mobilis lucida, Materiam penetrans, eamque recipiendisspiritibus præparans, atque ita corpora efformans. »

224. Voir H. Fränkel, Zur Geschichte der Medizin in den Anhalt’schen Herzogthümern,Dessau, 1858 ; L. Vannier, « L’œuvre de O. Crollius (1560-1609) », Bulletin de la SociétéFrançaise d’Histoire de la Médecine et de ses filiales, XXXI (1937), pp. 91-109 ; L. Thorndike, AHistory of Magic and Experimental Science, V, pp. 649-651 ; P. Barbier, Oswald Crollius,moine, médecin, philosophe, Paris, 1942 ; R. Multhauf, « Medical Chemistry and ‘TheParacelsians’ », Bulletin of the History of Medecine, XXVIII (1954), pp. 101-125 ;J. R. Partington, A History of Chemistry, II, pp. 174-177 ; W.-E. Peuckert, Gabalia . EinVersuch zur Geschichte der magia naturalis im 16. bis 18. Jahrhundert, Berlin, 1967, pp. 274-295 ; G. Schröder, « Oswald Crollius », Pharmaceutical Industry, XXI (1959), pp. 405-408,« Studien zur Geschichte der Chemiatrie », Pharmazeutische Zeitung, CXI (1966), n° 35,pp. 1246 sqq. ; notice « Crollius, Oswald » dans : Ch. C. Gillispie (éd.), Dictionary of ScientificBiorgaphy, III, pp. 471-472 ; M. Klutz, Die Rezepte in Oswald Crolls Basilica Chemica (1609)und ihre Beziehungen zu Paracelsus, Veröffentlichungen aus dem PharmaziegeschichtlichenSeminar der Technischen Universität Braunschweig, 14, Braunschweig, 1974 ; O. Hannaway,The Chemists and the Word…, pp. 1-72 ; A. G. Debus, The Chemical Philosophy, I, pp. 117-126 et passim ; W. Kühlmann, « Oswald Crollius und seine Signaturenlehre : Zum Profilhermetischer Naturphilosophie in der Ära Rudolphs II », dans A. Buck (éd.), Die okkultenWissenschaften in der Renaissance, Wolfenbütteler Abhandlungen zur Renaissanceforschung,12, Wiesbaden, 1992, pp. 103-123; W. Kühlmann et J. Telle (éd.), Oswaldus Crollius: Designaturis internis rerum. Die lateinische Editio princeps (1609) und die deutsche Erstübersetzung(1623), Heidelberger Studien zur Naturkunde der frühen Neuzeit, 5, Stuttgart, 1996.

225. Cf. Dubia vexata Scripturæ sacræ, Leipzig et Francfort, 1685, « Qv. Quis sit illeSpiritus incubans aqvis ? », p. 1 : « 3. Joh. Amos Comenius Phys. Reform. p. 9.19.20. Oswal-dus Crollius Præf. ad Basilicam Chymicam p. 19 sq. aliique spiritum vitalem mundi, qvibus res-pondit Henr. Kippingus de Creatione Exerc. I. p. 15 sq. »

226. Voir J. S. Spink, French Free-Though from Gassendi to Voltaire, pp. 243-252 (trad.fr., La libre pensée française de Gassendi à Voltaire, pp. 283-294) ; A. Mothu, « La pensée encornue : considérations sur le matérialisme et la “chymie” en France à la fin de l’âge classique »,Chrysopœia, IV (1990-1991), pp 307-445, et « Le mythe de la distillation de l’âme au XVIIe

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spéculations des rénovateurs du platonisme comme Henry More (1614-1687) 227 et RalphCudworth (1617-1688) 228, des théologiens, tel l’abbé Bergier (1718-1790) dans sonDictionnaire de théologie (Paris, 1778), s’élevèrent violemment contre la théorie de l’âmedu monde, ce sont toujours les doctrines — qualifiées de pythagoriciennes aussi bien que destoïciennes — ramenant Dieu à l’âme du monde qui sont visées 229.

Distinction et unification des Âme et Esprit du monde chez les alchimistes

Une des interprétations hétérodoxes de la doctrine de l’âme ou de l’esprit du mondeconsistait donc à confondre cette âme du monde telle que la concevaient et la définissaientles platoniciens, soit avec Dieu même, soit, plus spécifiquement, avec l’une des personnesdivines, que ce fût le Saint-Esprit ou le Verbe. C’est ce que reprocha aux alchimistesJohann Crato von Krafftheim (1519-1585) 230 dans l’épître dédicatoire de son In Cl. Galenidivinos libros methodi therapeutices perioche methodica (Bâle, 1563). Fustigeant lesiatrochimistes paracelsiens, il écrit :

« Aujourd’hui menace le temps des ténèbres, temps où certains introduisent unemédecine tartaréenne 231 qu’ils enrobent d’artifices nouveaux et de vaines parolessentant la fange alchimique et barbare, en sorte qu’ils paraissent malheureusementêtre davantage des aveugles que des médecins, sortis non pas tant de l’écoled’Héraclite que des fumées alchimiques, qu’ils vendent avec grand zèle. Car, pour ne

siècle en France », dans : J.-C. Margolin et S. Matton (éd.), Alchimie et philosophie à la Re-naissance, pp. 435-462.

227. Voir S. Hutton (éd.), Henry More (1614-1687), Tercentenary Studies, Archives inter-nationales d’histoire des idées, 127, Dordrecht – Boston – Londres, 1990, spéc. pp. 219-246 :R. Crocker, « A bibliography of Henry More ».

228. Voir J. A. Passmore, Ralph Cudworth, Cambridge 1951 (rééd. Bristol, 1990) ;L. Gysi, Platonism and Cartesianism in the Works of Ralph Cudworth, Berne, 1962 ;J. Jacquot, « Le platonisme de Cudworth », Revue philosophique de la France et de l’étranger,LXXXIX (1964), pp. 29-44. Sur l’âme du monde chez Henry More et Ralph Cudworth, voirnotamment D. P. Walker, Il concetto di spirito o anima in Henry More e Ralph Cudworth,Lezioni della Scuola di studi superiori in Napoli, 5, Naples, 1986.

229. Voir abbé N. S. Bergier Dictionnaire de théologie, s. v. « âme » (éd. Paris, 1828, I,pp. 95-97).

230. Voir J. F. A. Gillet, Crato von Crafftheim und seine Freunde. Ein Beitrag zur Kirchen-geschichte, Francfort, 1860 ; sur les rapports de Crato et des antiparacelsiens, voir, pour Ges-sner, C. Gilly, « “Theophrastia Sancta”. Der Paracelsismus als Religion im Streit mit den offi-ziellen Kirchen » dans : J. Telle (éd.), Analecta Paracelsica. Studien zum Nachleben Theophrastvon Hohenheims im deutschen Kulturgebiet der frühen Neuzeit, Heidelberger Studien zur Natur-kunde der frühen Neuzeit, 4, Stuttgart, 1994, ici pp. 430-431 ; pour Th. Éraste, Ch. D. Gunnoe,Jr., « Thomas Erastus and his Circle of Anti-Paracelsians », ibid., pp. 127-148, ici pp. 135-136 et 141-142.

231. Jeu de mot probable sur Tartareus qui peut aussi bien signifier “du Tartare” (“tartaréen”)que “du tartre” (“tartareuse”), ce qui pourrait ainsi être une allusion au De tartaro de Paracelse, quifut édité par Adam de Bodenstein (voir ci-dessus p. 14).

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rien dire de leur affreuse impiété — qu’ils révèlent par des signes parfaitement clairsquand ils imaginent que le Fils de Dieu sauveur du genre humain est l’esprit dumonde et de notre corps, et lorsqu’ils s’efforcent de dissimuler leur arianisme derrièreje ne sais quelle philosophie platonicienne —, je ne puis taire le fait que ce qu’ilsracontent publiquement en recommandant leurs médecines célestes témoigne de leurmanifeste ignorance non pas simplement des mots, mais des réalités mêmes, et quetous ceux qui sont expérimentés dans les distillations chimiques voient bien qu’ilsdisent et enseignent des choses non seulement inventées et fausses, mais encorepernicieuses et funestes. » 232

Le caractère vague et par trop général de cette accusion lui fait toutefois perdre saportée : on aimerait savoir à quels alchimistes ou iatrochimistes exactement songeait Cratoen la lançant, car tant s’en faut qu’il ait été fréquent chez les alchimistes partisans de l’espritdu monde d’identifier cet esprit avec le Verbe ou le Saint-Esprit. En témoigne la Religiomedici (1642/43) de Thomas Browne (1605-1682) 233, qui avouait avoir quelque lumière surla pierre philosophale 234, même s’il doutait qu’elle ait jamais été obtenue par quiconque 235

232. Cf. Iohannis Cratonis Wratislaviensis in Cl. Galeni divinos libros methodi therapeu-tices Perioche methodica, in qua perspicua brevitate obscura explicata esse et quæ reprehen-sionem habuerunt confirmata videbit lector, Bâle, 1563, Epistola dedicatoria, f. *[6]v : « Tene-brarum certè tempora nunc ingruunt, in quibus Tartaream medicinam quidam nouis inuolutampræstigijs, verborumque vanitatibus, quæ Alchymisticum barbaricumque cœnum redolent,implicant, ita vt «≤∑…|§µ∑® potius quam medici, non tam ex Heracliti schola, quam ex fumisAlchymicis, quos magno studio vendunt, infeliciter conflati videantur. Nam, vt de nefaria illorumimpietate, quam minimè obscuris indicijs produnt, dum filium Dei «›…ïƒ` generis humanispiritum mundi atque corporis nostri fingunt, & Arrianismum suum, nescio qua Platonicaphilosophia occultare conantur, nihil dicam : illud reticere nequeo, eas ipsas res, quas iactitant,dum cœlestes suas medicinas prædicant, illorum manifestam ignorationem non modòvocabulorum, sed rerum ipsarum prodere, omnesque qui distillationum chymicarum periti sunt,videre, quàm non modò conficta & falsa, verùm perniciosa & pestifera dicant atque doceant. »Texte cité par A. Rotondò, Studi e ricerche di storia ereticale italiana del Cinquecento, Turin,1974, p. 366 (le texte de Crato y est défiguré par des fautes d’impression). Je remercie A.Perifano de m’avoir signalé ce passage de Rotondò.

233. Voir A. Mothu, notice « Browne, Thomas » dans : A. Jacob (éd.), Encyclopédie philo-sophique universelle : III, Les Œuvres philosophiques, dictionnaire, dirigé par J.-F. Mattéi, t. 1,pp. 1008-1009 ; « La Religio medici en français », La Lettre Clandestine, V (1996), pp. 57-71.

234. Religio medici, XXXIX, éd. N. Endicott, The Prose of Sir Thomas Browne, New York /Londres, 1968, p. 47 : « The smattering I have of the Philosophers stone, (which is somethingmore than the perfect exaltation of gold) hath taught me a great deale of Divinity, and instructedmy beliefe, how that immortall spirit and incorruptible substance of my soule may lye obscure,and sleepe a while within this house of flesh. Those strange and mysticall transmigrations that Ihave observed in Silkewormes, turn’d my Philosophy into Divinity. There is in these workes ofnature, which seeme to puzle reason, something Divine, and hath more in it than the eye of acommon spectator doth discover. » Le manuscrit Pembroke ajoute (éd. N. Endicott, ibid.) : « Ihave therefore forsaken those strict definitions of death, by privation of life, extinction ofnaturall heate, separation, etc. of soule and body, and have fram’d one in an hermeticall way untomine owne fancie ; est mutatio ultima, quâ perficitur nobile illud extractum Microcosmi, for tomee that consider things in a naturall and experimentall way, man seemes to bee but a digestion

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et critiquait la jactance des alchimistes 236. Loin de déceler, comme Crato, une quelconqueimpiété dans l’esprit du monde des philosophes hermétiques, Browne fait au contraire de sonexistence un argument en faveur de celle de Dieu :

« Maintenant, outre ces esprits particuliers et divisés, il peut exister (pour autantque je sache) un esprit universel et commun au monde tout entier. C’était l’opinionde Platon, et c’est encore celle des philosophes hermétiques. S’il existe une naturecommune qui unit et lie en une même espèce les individus dispersés et divisés,pourquoi ne pourrait-il en exister une qui les unisse tous ? Quoi qu’il en soit, je suissûr qu’il existe un Esprit commun qui agit à l’intérieur de nous bien qu’il neconstitue aucune partie de nous, et que c’est l’Esprit de Dieu, le feu et l’éclat de cettenoble et puissante essence, qui est la vie et la chaleur radicale des esprits, et de cesessences qui ne connaissent pas la vertu du Soleil ; un feu entièrement contraire aufeu de l’enfer. C’est la douce chaleur qui couvait les eaux, et qui en six jours fitéclore le monde ; c’est ce rayonnement qui dissipe les brumes de l’enfer, les nuées del’horreur, de la crainte, de l’affliction, du désespoir, et maintient la région de l’âmedans la sérénité ; de quiconque ne sent pas le souffle chaud et la douce brise de cetEsprit, je n’ose dire qu’il vit quoique je sente son pouls, car vraiment sans lui iln’est pour moi aucune chaleur sous les tropiques, ni aucune lumière, même sij’habitais dans le corps du Soleil. » 237

or a preparative way unto that last and glorious Elixar which lies imprison’d in the chaines offlesh &c. »

235. Cf. id., XLVI, éd. N. Endicott, p. 54 : « That common sign drawne from the revelationof Antichrist, is as obscure as any ; in our common compute he hath beene come these manyyeares, but for my owne part to speake freely, I am halfe of opinion that Antichrist is thePhilosophers stone in Divinity, for the discovery and invention whereof, though there beprescribed rules, and probables inductions, yet hath hardly any man attained the perfectdiscovery thereof. »

236. Cf. Pseudodoxia Epidemica, or Enquiries into very many received tenents, andcommonly presumed truths (Londres, 1650), chap. VII, éd. N. Endicott, p. 134 : « These withswarms of others have men delivered in their writings, whose verities are only supported by theirAuthorities : but being neither consonant unto reason, nor correspondent unto experiment, theiraffirmations are unto us no Axiomes ; we esteem thereof as things unsaid, and account them butin the list of nothing. I wish herein the Chymistes had been more sparing ; who over-magnifying their preparations, inveigle the curiosity of many, and delude the security of most.For if experiments would answer their encomiums, the Stone and Quartane Agues, were notopprobrious unto Physitians ; we might contemn that first and most uncomfortable *Aphorismof Hippocrates ; For surely that Art were soon attained, that hath so generall remedies ; and lifecould not be short, were there such to prolong it. » La note * précise « Ars longa, vita brevis ».

237. Cf. Religio medici, XXXII, éd. N. Endicott, pp. 38-39 : « Now, besides these particularand divided Spirits there may be (for ought I know) an universal and common Spirit to the wholeworld. Is was the opinion of Plato, and it is yet of the Hermeticall Philosophers ; if there be acommon nature that unites and tyes the scattered and divided individuals into one species, whymay there not be one that unites them all ? However, I am sure there is a common Spirit thatplayes within us, yet makes no part of us ; and that is the Spirit of God, the fire and scintillationof that noble and mighty essence, which is the life and radicall heat of spirits, and those essences

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Certains alchimistes prirent même le soin de rejeter expressément l’identité de l’âme dumonde avec l’une des personnes divines. Ayant fait, nous l’avons vu, du spiritus mundil’instrument immédiat de la « continuelle opération » de Dieu, et ayant été conduit àassimiler l’âme du monde des néoplatoniciens à une « puissance de Dieu », WilliamDavisson met par deux fois son lecteur en garde, dans Les Elemens de la philosophie del’art du feu ou chemie (Paris, 1651), contre une éventuelle identification de l’âme du mondeavec le Saint-Esprit. Il avertit d’abord :

« Les Platoniciens nomment cet esprit ou puissance, l’ame du monde ; non pas queformellement le S. Esprit ou troisiesme personne de la Trinité fust l’ame du monde,car ce seroit vn blaspheme ; mais il est cause efficiente du monde, pource que cetesprit anime & viuifie le monde. » 238

Et il répète plus loin :

« Ceste opinion de l’Ame du monde, est si commune parmy les Platoniciens, qu’iln’y en a pas vn seul qui ne soit de ce sentiment-là, auquel s’accordent plusieursd’entre les Poëtes & les Autheurs profanes.

Cét esprit ou Ame, est quelquefois nommé esprit de Dieu, quelquefois esprit desCreatures. Mais il ne faut pas croire que cét esprit soit l’esprit de Dieu, qui est latroisiesme personne de la Trinité : car ce seroit blaspheme, mais bien vn Espritproduit le premier iour, qui souuant est nommé Esprit de Dieu, par excellence[…]. » 239

Pour défendre l’existence d’une âme du monde, Davisson ne craint pas de recourir à desautorités qui nous paraissent étrangères, voire opposées à cette doctrine. Dans sa Philoso-phia pyrotechnica, il invoque Aristote :

« D’autres définissent l’âme du monde comme la puissance de Dieu et pour ainsi direle Dieu de la nature elle-même, ou l’âme de la nature moyenne, par le biais de

that know not the vertue of the Sunne ; a fire quite contrary to the fire of Hell : This is that gentleheate that brooded on the waters, and in six dayes hatched the world ; this is that irradiation thatdispells the mists of Hell, the clouds of horrour, feare, sorrow, despaire ; and preserves the regionof the mind in serenity : whosoever feels not the warme gale and gentle ventilation of this Spirit,(though I feele his pulse) I dare not say he lives ; for truely without this, to mee there is no heatunder the Tropick ; nor any light, though I dwelt in the body of the Sunne. » Cf. aussi latraduction française de Ch. Chassé, Paris, 1947, pp. 73-74.

Dans une note à la traduction latine de J. Merryweather (Religio medici cum Annotationibus,Strasbourg, 1652, « Annotata ad Sect. XXXI. », p. 196), L. N. Moltke observe à propos del’Esprit de Dieu qui planait sur les eaux : « Qui olim aquis incubens] Genes. I. v. 2. Non potuitesse Pythagoræorum mundi spiritus, nam ille inesse mundo diceretur, nec ventus, quia nondumfuit. »

238. Les Elemens de la philosophie de l’art du feu ou chemie, traduit par Jean Hellot, Paris,1651, pp. 174-175.

239. Id., pp. 207-208.

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laquelle, dit-on, Dieu est partout dans le monde et emplit et conserve toutes choseset les conserve constamment. Il apparaît qu’Aristote ne nie pas entièrement cetteâme ou esprit du monde quand il écrit au livre 3 de La Génération des animaux,chap. 11 : “Il existe de l’eau dans la terre, de l’esprit dans l’eau, de la chaleur animaledans l’univers, si bien que, en quelque sorte, tout est plein d’âme” 240. » 241

Cet appel à Aristote ne constituait pas au demeurant une nouveauté : il avaitnotamment déjà été fait par Henricus Cornelius Agrippa (1486-1534) 242 dans son Deocculta philosophia (s. l., 1533) 243, au chapitre traitant « de l’âme du monde et des cieuxselon la tradition des poètes et des philosophes ». Là, après avoir cité des vers de Manilius,Lucain, Boèce et Virgile, Agrippa conclut :

« Qu’est-ce que ces vers paraissent signifier d’autre, sinon que non seulement lemonde a un esprit et une âme, mais encore qu’il participe de l’intelligence divine, etque l’origine, la vertu et la vigueur de toutes les choses inférieures dépendent del’âme du monde elle-même ? C’est là ce que tous les platoniciens, les pythago-riciens, Orphée, le Trismégiste, Aristote, Théophraste, Avicenne, Algazel et tous lespéripatéticiens confessent et confirment. » 244

La source, directe ou indirecte, d’Agrippa n’était autre que Marsile Ficin. C’est dans lepremier chapitre du livre IV de sa Platonica theologia de immortalitate animorum, quirépartit les âmes rationnelles en trois degrés, ceux de l’âme du monde, des âmes des sphères

240. Cf. De animalium generatione, III, 11, 762a 18-21 : « zßµ|…`§ {ı }µ z° ≤`® }µ ÃzƒÙ …dâÙ` ≤`® …d ⁄�…d {§d …ª }µ z° ¥Åµ —{›ƒ Ã√cƒ¤|§µ, }µ {ı —{`…§ √µ|◊¥`, }µ {Å …∑Õ…Ù √`µ…§£|ƒ¥∫…ä…` ‹�¤§≤çµ, ‰«…| …ƒ∫√∑µ …§µd √cµ…` ‹�¤ï» |≠µ`§ √≥çƒä. » Sur ce passage d’Aristote,voir G. Freudenthal, Aristotle’s Theory of Material Substance, Heat and Pneuma, Form and Soul,Oxford, 1995, pp. 123 et 127.

241. Cf. Philosophia pyrotechnica seu cursus chymiatricus, p. 301 : « Ab aliis describituranima mundi, esse virtutem Dei & quasi ipsius naturæ Deum seu animam mediæ naturæ, per quamDeus in mundo vbique esse, omniaque implere & iugiter conseruare dicitur. Hanc mundi animamsiue spiritum planè negare non videtur Aristoteles, dum libro 3. de generatione animal. cap. 11.scribit humorem in terra, spiritum in humore, calorem animalem in vniuerso esse, ita vt quodam-modo plena sint animæ omnia. »

242. Voir A. Prost, Les Sciences et les arts occultes au XVIe siècle : Corneille Agrippa. Savie et ses œuvres, Paris, 1881-1882 (2 vol.), C. G. Nauert, Agrippa and the Crisis of RenaissanceThought, Urbana (Ill.), 1965, ainsi que l’introduction de V. Perrone Compagni à son édition duDe occulta philosophia citée note suivante.

243. Voir l’édition critique de V. Perrone Compagni : Cornelius Agrippa, De occultaphilosophia libri tres, Studies in the History of Christian Thought, 48, Leyde – New York – Cologne, 1992.

244. De occulta philosophia, II, LV (« De anima mundi & cœlestium, iuxta traditionespoëtarum & philosophorum »), éd. 1533, p. 201 (éd. V. Perrone Compagni, p. 384, 5-11) :« Quid enim hi uersus aliud uelle uidentur, quàm mundum non modo habere spiritum & animam,sed etiam mentis diuinæ esse participem, atque omnium inferiorum originem, uirtutem,uigoremque, ab ipsa mundi anima dependere ? Hoc Platonici omnes, hoc Pythagorici, hocOrpheus, hoc Trismegistus, hoc Aristoteles, Theophrastus, Auicenna, Algazeles, omnesqueperipatetici fatentur atque confirmant. »

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et des âmes des êtres vivants contenus dans chacune des sphères 245, que Ficin, se proposantde suivre « les théologiens disciples d’Hermès Trismégiste » 246, et après avoir allégué entreautres Zoroastre 247, Chrysippe 248, les Pythagoriciens 249 et les Mages 250, écrit :

« Que les sphères célestes aient des âmes, non seulement les Platoniciens, maisaussi les Péripatéticiens l’admettent. Aristote l’enseigne au deuxième livre de sontraité du Ciel, au septième et au huitième livre de sa Physique, au deuxième livre deson traité de l’Ame, au onzième livre de la Métaphysique ; Théophraste, discipled’Aristote, le dit aussi dans son traité du Ciel. Avicenne et Algazel l’ont confirméavec soin. » 251

Et quelques lignes plus bas Ficin cite Orphée, à propos des noms des esprits divins 252.Il est néanmoins possible que Ficin ne soit ici que la source indirecte d’Agrippa, car le textede ce dernier entretient aussi une évidente relation de dépendance avec un passage del’anonyme De arte chymica, ouvrage probablement rédigé dans le premier quart du XVIe

siècle, qui fut à tort attribué à Ficin et que s’appropria Mylius 253. Mais il est difficile dedéterminer lequel est la source de l’autre. Après avoir défini la nature comme Dieu, oucomme une puissance et vertu de Dieu, l’auteur du De arte chymica explique, en démarquantde plus près encore le texte de Ficin que ne l’avait fait Agrippa :

« On a donc trouvé bon d’appeler “âme du monde” cette vertu génératrice et conserva-tion des choses, non pas que le monde soit un animal, comme semblent le prouverles arguments platoniciens et même les témoignages des astrologues arabes, desÉgyptiens et des Chaldéens. Car les philosophes ont soutenu que le monde est unanimal, que les cieux et les étoiles sont des êtres vivants, et que les âmes des chosessont des intelligences, qui participent à l’intelligence divine. Démocrite et Orphée,ainsi que beaucoup de pythagoriciens étaient d’avis qu’un dieu ou une certaine âmeprésidait à toutes choses et que tout es plein de dieux, auxquels ils rendirent les hon-neurs divins, adressèrent des prières et des sacrifices et qu’ils vénéraient par différentscultes. En outre, ils ramenaient toutes les âmes de cette sorte à une unique âme du

245. Platonica theologia de immortalitate animorum, IV, I , éd. Opera omnia, Bâle, 1576, I,p. 122 (Paris, 1641, p. 119, éd. R. Marcel, I, p. 144) : « Tres sunt animarum rationalium gradus,in primo est anima mundi, in secundo animæ sphærarum, in tertio animæ animalium, quæ insphæris singulis continentur. »

246. Voir id., p. (Paris, 1641, p. 119, éd. R. Marcel, I, p. 144).247. Voir id., p. 124 (Paris, 1641, p. 121, éd. R. Marcel, I, p. 148).248. Voir ibid.249. Voir id., p. 126 sqq. (Paris, 1641, p. 124 sqq., éd. R. Marcel, I, pp. 152 sqq.).250. Voir id., p. 130 (Paris, 1641, p. 127, R. Marcel, I, p. 162).251. Cf. ibid (éd. R. Marcel, p. 163) : « Cœlestes sphæras habere animas, non modò

Platonici, sed omnes etiam Peripatetici confitentur, quod Aristoteles docet libro de cœlo secundo,rursus 7. & 8. naturalium, 2. de anima, 11. diuinorum. Theophrastus etiam discipulus Aristotelislibro de cœlo. Quod Auicenna & Algazales summopere confirmarunt. »

252. Voir ibid., (Paris, 1641, p. 128, éd. R. Marcel, I, p. 164).253. Voir S. Matton, « Marsile Ficin et l’alchimie… », pp. 128-130.

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monde. Semblablement, ils rapportaient tous les dieux au seul Jupiter. C’est cequ’admettent Aristote et l’aristotélicien Théophraste, Avicenne, Algazel, lesstoïciens et tous les péripatéticiens, et ils s’employèrent avec le plus grand soin à leprouver. » 254

Il est probable qu’il y a aussi réminiscence du De arte chymica dans un passage surl’âme du monde de la Basilica Chymica, où Oswald Croll ne fait cependant nommémentréférence qu’à Agrippa, qu’il range parmi ceux qui « définissent l’âme du monde comme lapuissance de Dieu », pour reprendre l’expression de Davisson 255 :

« Donc toutes choses procèdent d’une source unique et après avoir accompli leurtâche, délaissant le séjour de la vanité, retournent en leur lieu, comblées d’un reposimmuable. Cet esprit universel agitant toute la masse (Agrippa l’appelle le sujet detoute merveille 256, l’Être compréhensible par nul sens), qui opère tout en tout etemplit le globe de la Terre, puissance de Dieu, contenant en soi le monde toutentier, Avicenne, confiant en l’autorité de Platon, des Arabes et des Chaldéens, lenomme âme du monde diffuse en toutes choses. Mais cela doit s’entendre sanssuperstition ni culte d’idolâtrie, en réservant à Dieu seul son honneur et sa gloire,qu’il ne cède point à un autre. La nature moyenne, dis-je, liant par un certain accordharmonique les choses inférieures aux supérieures (on la nomme tantôt animale,tantôt végétale, tantôt minérale selon la diversité de son sujet et réceptacle) opère deschoses étonnantes dans les trois familles de la Nature […]. » 257

254. Cf. De arte chymica, cap. IX (« De natura »), éd. Artis auriferæ […] volumen primum,Bâle, 1593, pp. 594-595 (éd. 1610, p. 382 ; éd. J. J. Manget, Bibliotheca chemica curiosa, II,p. 176) : « Hanc ergo generandi virtutem rerum´ que conseruationem Animam Mundi vocare li-buit : non quòd Mundus sit animal, vt Platonicæ rationes, & etiam Astrologorum Arabum, Ægyp-tiorum, Chaldæorum´ que testimonia comprobare videntur. Posuerunt etenim Philosophi Mundumesse animal, cœlos´ que ac stellas esse animalia, & animas rerum esse intelligentes, mentemparticipantes diuinam. Insuper cuilibet rei Deum aut animam quandam præesse, omnia´ que plenadiis esse Democritus & Orpheus & multi Pythagoreorum sunt opinati : quibus statuerunt diuinoshonores, preces´ que & sacrificia dedicarunt eisdem, & diuerso cultu venerabantur : Præterea omneseiusmodi animas reducebant ad vnam animam Mundi. Similiter deos omnes ad vnum referebantIovem. Hoc Aristoteles Aristotelicus´ que Theophrastus : hoc Auicenna, Algazeles : hoc Stoici,omnes´ que Peripatetici confitentur, ac summo opere comprobare sunt conati. »

255. Il est possible qu’en écrivant cela Davisson ait songé précisément à Croll.256. Cf. H. C. Agrippa, De occulta philosophia, II, IV (« De unitate & eius scala »), p. 103

(éd. V. Perrone Compagni, p. 256, 15-20) : « Vna res est à deo creata, subiectum omnismirabilitatis, quæ in terris & cœlis est, ipsa est actu animalis, uegetalis & mineralis, ubiquereperta, à paucissimis cognita, à nullis suo proprio nomine expressa, sed innumeris figuris &ænigmatibus uelata, sine qua neque Alchymia, neque naturalis magia, suum completum possuntattingere finem. » Agrippa n’identifie cependant pas ici formellement cette « chose unique » avecl’esprit universel. Il s’agit de la « pierre des philosophes » qui marque l’unité dans le « mondeélémentaire », comme l’« âme du monde » la marque dans le « monde intellectuel » (voir le tableauid., p. 104 [éd. V. Perrone Compagni, p. 257]).

257. Cf. Basilica Chymica, éd. Francfort, 1609, « Præfatio admonitoria », p. 54 : « Ex unoergo fonte procedunt omnia, & post absolutum pensum, relictâ Vanitatis statione revertuntur ad

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C’est en tout cas directement du De arte chymica que s’inspire Cesare Della Rivieralorsqu’il écrit :

« Non seulement les platoniciens mais encore, tout ensemble, les antiquesastrologues égyptiens, arabes et chaldéens, Orphée, Démocrite, Aristote, Avicenne etAlgazel, les sectes des pythagoriciens, stoïciens et péripatéticiens affirmèrent que lemonde est animal, enseignant amplement que non seulement les cieux avec tous lescorps célestes lumineux, mais encore toutes les choses créées sont informées grâce àleur propre âme intellectuelle et participante de l’Intelligence divine. » 258

La position résolument néoplatonicienne d’un William Davisson sur la question del’âme et l’esprit du monde s’oppose dans sa démarche même à celle qu’adoptèrent d’autresalchimistes, tels Pierre Jean Fabre ou Daniel Georg Morhof (1639-1690) 259, et qui consisteà donner une solution au problème théologique de l’âme du monde en réduisant cette der-nière à ce qui n’était pour les néoplatoniciens, que son véhicule corporel : l’esprit universel.

loca sua, immutabili quiete beata : Spiritus ille universalis totam agitans molem (Agrippa vocatsubiectum omnia [sic] miserabilitatis [sic], Ens nullo sensu comprehensibile) qui omnia inomnibus operatur & orbem Terrarum implevit, DEI Numen, totum mundum in se complectens.Auicenna vocat Animam mundi diffusam in omnibus rebus fretus autoritate Platonis, Arabum &Chaldæorum, absque omni tamen superstitione & cultu idolatrico audiendum hoc, habito interimuni DEO honore & gloriâ suâ quam alteri non dat : Natura inquam media, infima supremisHarmonico quodam concentu coniungens (& nunc Animalis, nunc Vegetabilis nunc Mineralis prosubiecti & receptaculi diversitate vocatur) stupenda operari in tribus Naturæ Familiis […]. » Danssa traduction française, J. Marcel de Boulène renforce la prudence théologique du passage ; cf.Royalle chymie, éd. Paris, 1633, pp. 114-115 : « Donc toutes choses procedent d’vne mesmesource, & apres leurs cours sans aucune vanité s’en retournent à leur lieu, affin de jouïr d’vnebeatitude constante & immuable : & de faict cest esprit vniuersel appellé selon Agrippa sujet detoute merueille, ou Ens qui ne peut estre compris d’aucun sens, donnant le bransle à toute cestegrande masse, fait toutes les operations en toutes choses, & remplit ceste vaste machine, c’est legenie de Dieu (s’il est permis d’ainsi parler) qui tient & contient tout le monde en soy ; Auicennefauorisé de l’authorité de Platon, des Arabes & des Chaldeens, a bonne raison de l’appeller Ame dumonde diffuse & dilatee en toutes choses : cela soit neantmoins entendu hors de superstition &culte d’idolatrie, parce que Dieu ne veut ceder à vn autre l’honneur qui n’est deu qu’à luy mesme ; lanature, dis-je, conjoignant les choses infinies et moyennes aux plus hautes par vn certain accordharmonique, fait des choses autant dignes d’estonnement que d’admiration, selon la diuersité deson sujet ou receptacle, soit aux animaux, vegetaux ou mineraux, tantost en l’vne & tantost enl’autre des trois dittes familles […]. »

258. Cf. Il magico mondo de gli heroi, Milan, 1603, pp. 134-135 (Milan, 1605, pp. 140-141) : « Affermarono non pure essi Platonici, ma anco insieme con gli antichi Astrologi Egitij,Arabi, e Caldei, Orfeo, Democrito, Aristotile, Auicenna, & Algazele, le sette de’ Pitagorici,Stoici, e Peripatetici, il Mondo essere animale : empiamente insegnando, che non tanto i Cielicon tutti i celesti luminosi corpi, ma anco qualunque cosa creata veniua informata dalla propiaanima intellettuale, e della diuina Mente partecipe. »

259. Voir C. Weber, « Morhof, Daniel Georg », dans : A. Jacob (éd.), Encyclopédie philo-sophique universelle : III, Les Œuvres philosophiques, dictionnaire, dirigé par J.-F. Mattéi, t. 1,pp. 1359-1360.

Alchimie et stoïcisme 65

À s’en tenir à son épître De metallorum transmutatione (Hambourg, 1673), adressée àJoel Langelott (1617-1680), il pourrait sembler que Morhof écarte la doctrine d’un esprituniversel dans la mesure où il prend ses distances avec celle, qui lui est liée, d’un sel uni-versel, telle que l’avait diffusée Clovis Hesteau de Nuysement dans ses Traictez du vray selsecret des philosophes et de l’esprit general du monde contenant en son interieur les troisprincipes naturels, selon la doctrine de Hermes (Paris, 1621) 260. Toutefois, dans saDissertatio de quinta essentia catholico morborum remedio, Morhof défend l’idée d’unemédecine universelle qui est la quintessence céleste 261, et surtout, dans son Polyhistor,literarius, philosophicus et practicus (Lübeck, 1668-1692), il admet bien l’existence d’unesprit éthéré universel auquel il veut réduire l’âme du monde de Platon, laquelle, entendue ausens strict d’âme, lui paraît totalement injustifiable :

« Platon nomme “animal monde” tout cet univers qu’il considère comme unanimal et auquel il attribue une âme infuse à travers toutes ses parties. D’où il est denouveau clair que Platon a trop œuvré à ramener les corps naturels à ces classesuniverselles que sont les idées, conçues par l’intelligence. Il lui a paru absurde

260. Cf. De metallorum transmutatione ad virum nobilissimum amplissimum Joelem Lange-lottum, serenissimi Principis Cimbrici archiatrum Celeberrimum epistola, Hambourg, 1673, III,pp. 28-29 (éd. Manget, Bibliotheca chemica curiosa, I, p. 172) : « Alii iterum sunt, qui metal-lorum originem à sale petunt. Qui vero sic sentiunt, non idem omnes sentiunt. Quidam enimuniversale aliquod sal comminiscuntur, quo nescio quæ miracula in universa natura atque adeò inregno minerali se effecturos sperant. Quæ opinio à Paracelsi tempore primum invaluit, ac à non-nullis ejus asseclis, & Fratribus Rosæ crucis, ad hæc usque tempora propagata est. Extat quoquespeciosus de vero sale Philosophorum liber à Gallo Nuisement scriptus & in Latinam linguam àCombachio conversus, ubi sententia illa & proponitur & propugnatur. Sal illud cœleste,æthereum, aëreum, universi nominant, quod vel ex rore, vel aëre, vel nitro, vel excrementis etiamanimalium extrahunt. Tale aliquod an detur, ego quidem definire non ausim : vetustiorum certèChemicorum schola ignoravit. Ex aëre extrahi posse sal, non negaverim : sed universale illudesse vix crediderim. »

261. Cf. Dissertatio de quinta essentia catholico morborum remedio, dans Dissertationesacademicæ et epistolicæ […], Hambourg, 1699, pp. 595-605, ici p. 599 : « Est præterea interspiritus nostros & Quintam Essentiam tantus magnetismus tanta´ que similitudo, ut major esse nonpossit. Spiritus enim nostri sua quidem natura ætheri, puri, quanquam è putredine humorum ortifætores nebulam illis offundunt, unde morbi in corpore oriuntur, rebus incorruptibilibus, tanquamsui similibus, qualis Quinta Essentia est, servari debent, unde confirmati at´ que aucti majus contramorbos robur acquirant. Etenim, quoniam mors & morbus nihil aliud est, quam corruptio veltransitus ad corruptionem, ea præcaveri non potest, nisi per rem incorruptibilem, quæ & vitamservat & producit, & ratione similitudinis, quam habet cum spiritibus ac calore nostro, omnibusmorbis contraria est. Præterea cum hæc medicina, quam describimus, sit separata ab omni materiaelementali, & quasi anima è corpore suo sejuncta, facile sine impedimento vires suas exercet.Quare propter summam istam subtilitatem Cœlum Philosophorum à Philosophis dicta est.Quemadmodum enim cœlum & corpora cœlestia, quibus analogum vocabat spiritum Aristoteles,qui in seminibus rerum habitat, ut universalis causa influit in res omnes, ita hæc, ut medicinauniversalis, omnes alias incurabiles morbos sanat, & spiritibus nostris, quæ ejusdem naturæætheræ sunt, aggregatur. Quemadmodum etiam cœlum se habet ad quatuor elementa ; ita & hocCœlum Philosophorum ad quatuor corporis humani, quod ex elementis compositum est, quali-tates, unde & Essentia Quinta dicitur : »

66 Sylvain Matton

qu’une partie du monde vive, mais non pas sa totalité, puisque le monde engendredes êtres animés, et que ce qui est dépourvu d’âme ne peut engendrer des être vivants.Telle est, dans le Timée, la véritable opinion de Platon, qui appelle “animal” cetunivers parce qu’il contiendrait le reste des êtres animés, parmi lesquels Platoncomprend même tous les disques célestes. Mais cette opinion implique de grandesabsurdités. Car quoi de plus absurde que d’imaginer un animal composé d’uneinfinité d’autres ? Par quel argument idoine pourrait-on prouver qu’existe une âme dumonde qui soit une intelligence rationnelle différente de Dieu tout en n’étant pas unange ? Assurément cela ne peut être démontré par aucune raison, ni par la révélation.Toutes ces choses sont davantage semblables à des fables qu’à la raison. Certes, lesstoïciens ont eux aussi admis une âme du monde ; mais par elle ils désignaient Dieu,que Platon distingue de l’âme du monde. Cette opinion est peut-être également celledes pythagoriciens, mais on ne peut presque rien apprendre de précis sur leurphilosophie. Que si Platon veut entendre par cette âme du monde un certain espritéthéré, ensemencé des raisons séminales et répandu à travers les parties de l’univers,il ne serait pas fort à reprendre pour une pareille opinion, et ceux qui rejettent cetesprit ne peuvent rien nous riposter de plus connu et que nous puissions plusdistinctement concevoir. De plus, tous ceux qui nous ont donné des principesphysiques, y compris les péripatéticiens, ont imaginé un autre principe communauquel ils ont recours quand ils ne peuvent expliquer une chose au moyen des quatreéléments. Ils imaginent ainsi un cinquième être ou quinte essence, comme onl’appelle couramment, qui pour ainsi dire dominerait parmi les quatre éléments, etles régirait, tout en renfermant une sorte de combinaison supérieure de ceséléments. » 262

262. Cf. Polyhistor, literarius, philosophicus et practicus, t. II, lib. II, cap. XI (« De plato-nicæ philosophiæ principiis, ejus illustratoribus veteribus et novis, consensuque vel dissensu abAristotele »), § 7, éd. Lübeck, 1708, p. 222 (Lübeck, 1732, pp. 210-211) : « M u n d u mAnimalem Plato vocat totum istud Universum, quod, ut animal considerat, eique animam quandamper omnes partes infusam affingit. Ex quo iterum patet, nimium laborasse Platonem in corporibusnaturalibus ad universales illas Idearum classes, mente conceptarum, reducendis. Absurdum illiscil. visum est, partem aliquam mundi vivere, non verò totum, cùm mundus generet animantes,neque illud, quod expers animi sit, generare possit animalia. Atque hæc Platonis vera sententiaest, in Timæo, Universum hoc animal vocantis, quod contineret relinquas animantes, quibuscomprehendebat etiam omnes orbes cœlestes ; quæ verò magnas absurditas implicat. Quid enimest absurdius, quam fingere animal, ex aliis infinitis compositum ? quo idoneo argumento probaripoterit, esse aliquam mundi animam intelligentem rationalem, à Deo diversam, quæ tamen necesset Angelus ? nullâ certè id ratione evinci potest, nec revelatione ; quæ omnia portentis potius,quam rationi sunt similia. Stoici quidem Animam mundi etiam agnoverunt, sed ea ipsa Deumnotabant, quem tamen alium ab anima mundi facit Plato. Fortassis & Pythagoreorum illasententia est. Sed de illorum Philosophia nihil adeò distinctè doceri potest. Quod si Plato peristam mundi animam intelligere velit Spiritum quendam æthereum, rationibus seminarijs fœtum,per partes universi dispersum, non esset adeò ob istam sententiam reprehendendus, quique illumrejiciunt, nihil possunt nobis reponere, quod notius sit, animoque distinctius concipi possit.Præterea omnes ii, qui nobis principia Physica posuerunt, ac ipsi quoque Peripatetici aliud

Alchimie et stoïcisme 67

Encore qu’il ne l’ait pas explicitement formulée comme Morhof, la réduction de l’âmedu monde des platoniciens à ce qui n’était pour eux que son véhicule matériel, l’esprit dumonde, avait déjà été opérée par Fabre, en particulier dans son Panchymicum 263 (Toulouse,1646) ouvrage que Morhof ne méprisait pas 264, tout en doutant que son auteur, quoi qu’il enait dit, ait jamais possédé la pierre philosophale 265. Fabre connaissait en effet la doctrinenéoplatonicienne du spiritus mundi telle que Ficin l’avait exposée dans ses De vita libritres : c’est le célèbre passage, fort souvent cité par les alchimistes, du chapitre III du De vitacœlitus comparanda que paraphrase Fabre dans son Propugnaculum alchymiæ (Toulouse,1645), en utilisant principalement le plagiat qu’en avait fait Agrippa dans son De occultaphilosophia (I, XIV) 266, mais non pas uniquement ce plagiat, puisque Fabre reprend la réfé-rence à l’élixir des Arabes dont avait parlé Ficin mais qu’avait omise Agrippa. Fabre écrit :

« Le pur de la nature repose dans les profondeurs de n’importe quel mixte. C’estl’étincelle de la lumière créée et son esprit emprisonné et enclos dans la matière très

quoddam comminiscuntur commune principium, quo confugiunt, quando per quatuor Elementa remnon possunt expedire. Quare quintum aliquod, sive quintam essentiam, ut vulgo vocant,comminiscuntur, quæ inter quatuor illa Elementa quasi dominetur, illisque præsideat, eorum verotemperamentum quoddam excellentius comprehendat. »

263. Le titre complet du traité de Fabre est Panchymici seu anatomiæ totius universi […]opus in quo de omnibus quæ in cœlo et sub cœlo sunt spagyrice tractatur […] volumen primum [–secundum]. Il s’agit évidemment d’un Panchymicum et non pas d’un Panchymicus commel’écrivait régulièrement B. Joly (« La réception de la pensée de Van Helmont dans l’œuvre dePierre Jean Fabre » pp. 206, 212; notice « Fabre » dans : A. Jacob (éd.), Encyclopédie philoso-phique universelle : III, Les Œuvres philosophiques, dictionnaire, t. 1, pp. 1133-1134 ; L aRationalité de l’alchimie au XVIIe siècle, pp. 219, 367, 399). Joly semble avoir un problèmetout particulier avec ce Panchymicum, puisqu’il donne même (La Rationalité de l’alchimie auXVIIe siècle, p. 45) un Universalis sapientiæ seu panchymica [sic].

264. Cf. Id., t. I, I, XI (« De libris physicis secretioribus præcipue chemicis »), 17, éd.Lübeck, 1708, p. 100 (Lübeck, 1732, p. 100) : «Tota illâ [chemiâ] gentilium Mythologia huncsibi scopum præfixum habet, qvod à Vîris doctissimis, Michaële Mejero in Arcanis arcanissimis,Blasio Vigenerio in Commentario in Philostrati tabulas, Joh. Petr. Fabro in Panchimicoostensum est.» , et t. II, II, part. I, IV (« De philosophia naturali Ægyptiorum »), 4, éd. Lübeck,1708, p. 169 (Lübeck, 1732, p. 169): « Etiam PET. JOH. FABER in Panchymico suo, Gentiliumfabulas sensu chymico explicavit, qua in re abundare quemque suo sensu patiamur ». Morhofrappelle par ailleurs — id., t. II, II, part. II, XXIX (« De mineralibus in genere, et autoribus quiillorum historia scripserunt »), 4, éd. Lübeck, 1708, p. 403 (Lübeck, 1732, p. 403) — que danssa Metallographia John Webster place Fabre parmi ceux qui écrivirent sur la « chymie vulgaire »et non sur la « chymie mystique », laquelle porte sur la transmutation des métaux (cf. J. Webster,Metallographia : or, an History of Metals, Londres, 1671, p. 31 : « I shall onely reckon somefew, as Quercitanus, Mylius, Beguinus, Sala, Faber, and such like, who though they have writtenmuch in the way of preparing Minerals for Medicaments by Chymistry, yet have they done littledo discovery of the Nature and Generation of metals »).

265. Cf. De metallorum transmutatione…, XII, p. 142 (éd. Manget, p. 188) : « PetrusJohan. Faber, qui fortassis etiam hodie vivit, à Comite de Flisco Decad. de Fato p. 132. pro veropossessore habetur. Nostris, inquit, temporibus Petrus Joh. Faber Lapidem Philosophicumcomposuit. Multis certè scriptis id ipse orbi persuadere voluit. Verùm apud me, nisi idoneisdocumentis fulciantur, talia non facilè fidem inveniunt. »

266. Sur tout cela, voir S. Matton, «Marsile Ficin et l’alchimie…», pp. 145 sqq.

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pure de tous les éléments, pour actuer et informer cette matière des éléments ; carcette étincelle de la lumière créée et son esprit est la très véritable forme de la matièreélémentaire, et par conséquent une substance véritable, puisque c’est la forme que lesanciens philosophes ont appelé presque d’une infinité de noms afin d’en cacher laconnaissance. Ils l’ont en effet nommé soufre de nature, vigueur ignée, esprit dumonde, intelligence, âme, démon terrestre ou dieu terrestre, puissance et {Õµ`¥§»,mime [sic = mumie ?] inné, chaud inné, humide premier-né, nature moyenne, fleurde l’âme, sel inné et radical, force dorée de l’âme, vigueur de l’intelligence dans leséléments ; dans l’éther, Jupiter, dans l’air, Junon, dans l’eau, Neptune, et dans laterre, Pluton; et ainsi ils ont obscurci par des noms variés cette unique et seulechose, et l’ont cachée pour qu’elle ne devînt point connue de tout le monde. Celle-cin’est cependant rien d’autre que la partie la plus ténue et la plus subtile de la naturecréée, partie qui se compose de la lumière pure créée comme d’une forme ousubstance formelle, et de la substance très pure des éléments comme d’une matière,en sorte qu’en raison de cette lumière, elle est presque esprit, et en raison de lamatière élémentaire, elle est presque corps ; c’est pourquoi les philosophes disent quec’est un intermédiaire, qui est presque non-corps, mais presque déjà âme, ou presquenon-âme et presque déjà corps, conjoignant les deux extrêmes, l’âme et le corps, danstoutes les choses naturelles, en sorte que c’est un corps spirituel et un esprit cor-porel, qui pénètre et vivifie tout ; si bien qu’en lui seul se trouvent de vrais contra-dictoires, comme chacun peut le conclure de sa définition. Cet esprit a une vertu etvigueur si considérable, que rien ne se fait dans la nature sinon par sa vertu etefficacité, et plus sa qualité est grande dans les choses naturelles, plus il y a en ellesde vertu et de force, au point que sa force et vertu atteint au miracle, puisque sasubstance est d’une telle vertu spirituelle qu’une très petite quantité peut agiterpresque le monde tout entier. Voilà pourquoi les anciens philosophes ont réalisé aveccet esprit naturel des choses merveilleuses, dans les animaux, dans les végétaux etdans les corps métalliques. Par le moyen et l’industrie de lui seul, ils ont ramenétous les métaux, parfaits et imparfaits, à la première semence d’où ils naissent, et ilsamenèrent par leur art cette matière à une si grande subtilité et à une telle puissanced’agir, qu’ils ont réalisé la transmutation métallique des métaux imparfaits en mé-taux très parfaits. Et c’est ainsi qu’ils ont confectionné à partir de cet esprit leurpierre et leur élixir arabique […]. » 267

267. Cf. Propugnaculum alchymiæ…, V (« Quid & Quale sit naturæ Purum naturam totamcoërcens »), Toulouse, 1645, pp. 14-16 (éd. Opera reliqua, Francfort, 1656, pp. 10-11 : « Purumergo naturæ in penetralibus cuiuscumque mixti quiescit, & est scintilla lucis creatæ, & spirituseius, materiæ elementorum omnium purissimæ incarceratus & inclusus, vt materiam illam ele-mentorum actuet & informet : nam scintilla illa lucis creatæ, & spiritus eius, est verissima forma,materiæ elementaris, & perinde vera substantia, cum sit forma quam antiqui Philosophi infinitisfere nominibus nominarunt, vt eius notitiam occultarent : Sulphur enim naturæ eam dixerunt,igneum vigorem, spiritum mundi, mentem, animam, terrestrem, dæmonem, vel terrestrem Deum,

Alchimie et stoïcisme 69

Pourtant Fabre ne soutient pas à l’instar de Ficin ou d’Agrippa l’existence d’une âme dumonde incorporelle, et ce probablement en raison de son souci, sans cesse proclamé, de nepas sortir du cadre d’un catholicisme parfaitement orthodoxe 268. Lui qui médita peut-être, entout cas qui connut la pique lancée par Blaise de Vigenère dans le Traicté du feu et du selcontre la « superstition » des stoïciens à l’égard du feu 269, lui qui se montre extrêmementsoucieux d’éviter toute confusion entre Dieu et la nature — au point de rejeter la distinctionscolastique, reprise par Della Riviera ou Davisson, entre une natura naturans, qui seraitDieu, et une natura naturata qui serait la nature proprement dite 270 —, nie en effet

potestatem & {Õµ`¥äµ, innatam Mimam, Calidum innatum, humidum primigenium, mediam na-turam, florem animæ, Salem innatum & radicalem, auream vim animæ, mentis vigorem in ele-mentis. In æthere, Iouem, in aëre Iunonem, in aqua Neptunum, & in terra Plutonem, & sic varijsnominibus, hanc vnicam solam rem obscurarunt, & sic occultarunt, ne nota fieret omnibus : Quætamen nihil aliud est, quàm tenuissima illa, & subtilissima naturæ creatæ pars, quæ ex luminepuro creato, tanquam forma, seu formalis substantia, & substantia elementorum purissima, tan-quam materia constat, ita vt ratione illius luminis, est quasi spiritus, & ratione materiæ elementa-ris est quasi corpus, vnde dicunt Philosophi medium esse, quod est quasi non corpus, sed quasi iamanima, siue quasi non anima, & quasi iam corpus, coniugens duo extrema, animam & corpus inrebus omnibus naturalibus, ita vt sit corpus spirituale, & spiritus corporalis, omnia permeans &viuificans, ita vt in ipso solo contradictoria vera reperiantur, vt ex definitione sua, quilibet col-ligere potest. Tantam virtutem & vigorem habet hic spiritus, vt nihil fiat in rerum natura, nisivirtute & efficacia illius, & quo maior est qualitas illius in rebus naturalibus, eo maior est in ipsisvirtus & robur, adeò vt ad miraculum deveniat eius robur & virtus, cum eius substantia sit adeòspiritualis virtutis, vt minima quantitas eius totum ferè mundum agitare possit : hinc ex eo spiritunaturali mira fecerunt antiqui Philosophi in animalibus, in vegetantibus & in metallicis corpori-bus, cuius solius ope, & industriâ, metalla omnia, siue perfecta, & imperfecta, in primum suumsemen, ex quo ortum habuerunt, redegerunt, & hanc materiam, arte sua in tantam redegerunt subti-litatem, & agendi virtutem, vt transmutationem metallicam imperfectorum metallorum, in perfec-tissima metalla fecerint : Et sic ex eo spiritu Lapidem suum & Elixir Arabicum composuerunt, dequo cùm agendum erit, vt Mysochimicos nostros verè confundamus, & eorum ignorantiam mani-festam faciamus, quod veritatem hanc rideant & stultè non credant. » Pour l’esprit universelcomme « mumie », voir P. J. Fabre, L’Abregé des secrets chymiques, p. 14 ; voir cependantPropugnaculum alchymiæ…, IX (éd. Opera reliqua, pp. 17-18), où l’« arcanum chymicum » estcomparé à un comédien (« persona »).

268. De fait, son soin à respecter l’orthodoxie tant dans ses doctrines que dans sa démarchelui valut d’être donné en exemple — par le biais de son Alchymista christianus — par Mersennelui-même, pourtant prompt à dénoncer l’impiété des alchimistes, celle d’un Fludd ou d’un Nuyse-ment. Voir, pour l’éloge fait par Mersenne de thèses de l’Alchymista christianus, notre introduc-tion à : Dom Belin, Les Aventures du philosophe inconnu, Paris, 1976, pp. 30-41 ; pour laposition générale de Mersenne envers l’alchimie, R. Lenoble, Mersenne ou la naissance dumécanisme , Paris, 1943, (rééd. 1971), pp. 134-135 et passim, et A. Beaulieu, « L’attitudenuancée de Mersenne envers la chymie », dans J.-C. Margolin et S. Matton (éd.), Alchimie etphilosophie à la Renaissance, pp. 395-403.

269. Fabre se réfère expressément au Traicté du feu et du sel dans son Palladium spagyricum,Toulouse, 1624, p. 133 : « […] vt narrat & asserit se fecisse ipse Vigenerius in libro cui titulumfecit, les Chiphres, & in tractatu peculiari de sale & igne […] ».

270. Cf. Panchymici seu anatomiæ totius universi […] opus, I, IV, Toulouse, 1646, t. I,pp. 12-13 : « Recentium ac modernorum Philosophorum quamplurimi, Naturam duplicemfecerunt, eamque diuiserunt in Naturam Naturantem, & Naturam Naturatam : Naturam naturantemDeum appellant, & Naturam naturatam creata omnia quæ extant. Hæc distinctio & naturæ diuisio

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formellement l’incorporalité de cette nature créée, ou « entéléchie » 271, que l’on nommeaussi « âme du monde » 272. Cette nature, martèle Fabre, est un corps, elle est une « vraiesubstance corporelle » :

« Cet esprit de lumière, que nous disons être la nature, est une vraie substancecorporelle. Toutefois, parce qu’il est invisible et impalpable, je l’appelle “esprit”,mais sans entendre une substance surnaturelle, divine et incorporelle. Je dis en effetque Dieu a fait corporelle la nature puisqu’il revient d’avoir un corps à ce par quoitous les corps doivent être fabriqués. » 273

En soi invisible et impalpable, cette substance corporelle devient visible et palpable enprenant un corps par lui-même visible et palpable, qui est celui du « sel central » de touteschoses 274. C’est donc une substance corporelle spirituelle qui se corporifie en prenant un

arridere ac placere mihi non potest ; Deus enim nulla ratione naturæ essentiam inducere potest,nec Natura Dei Thronum ac sedem conscendere ; sunt enim essentiæ ac substantiæ omnino diuersæac variæ, nec datur supremum genus Deum comprehendens. Deus solus est, qui seipsumcomprehendit, qui extra omnibus est, non exclusus, & intra omnia habitat non inclusus. Itaquenon legitima est, hæc naturæ diuisio, & qui hanc excogitarunt, Naturæ exactam nomenclaturamnon contemplati sunt, ac promiscuè cum Dei nomine confuderunt : quod tamen PhilosophiChristiani pati non debent, nec ratio naturæ postulat, vt creator cum creatis confundatur, horumenim permixtio vtrorum ignorantiam parit, separentur necesse est, quia differunt toto cœlo. »

271. Cf. Id., I, XXIII (« De Entelechia mundi, Vndenam sit & quid sit »), t. I, p. 98 : « Entele-chia ergò, quam alij spiritum mundi, mentem vniuersi, & mercurium dixerunt, alijsque ferè infi-nitis nominibus insignierunt, est pars tenuissima omnium elementorum & cœli seu lucis, quæ interræ visceribus simul vnita, transit & mutatur in semen mundi, è quo prodeunt omnia, quæ natura-liter fiunt in hoc mundo & facta conseruantur. » La source de l’« entéléchie » comme âme dumonde est Cicéron, Tusculanae disputationes, I, 10, à travers Calcidius et Scot Érigène ; pourcette tradition médiévale, voir P. Dronke, Fabula, Exploration s into the uses of myth in medie-val Platonism, Leyde – Cologne, 1974, cap. III (« Fables of the soul »), spec. pp. 109 sqq.

272. Cf. Id., I, I (« Quid sit Natura & eius lumen »), t. I, pp. 3-4 : « Naturam ergo definiamussecundum lumen quod nos à patre Luminum industria Vulcani accepimus, & vidimus, esse Spiritumluminis in principio à Deo creatum primis aquis incubantem & confusa in his tanquam in chaosrerum omnium semina de potentia in actum educentem & educta per constantem alterationis ortumversantem, componendo & resoluendo hæc inferiora Geometricè tractantem. Hic est Spiritus quiest principium motus & quietis in rebus omnibus per se, & non secundùm accidens, quem virtutemdixerunt alii per vniuersas mundi partes commeantem, quem Deum, quem spiritum omniapenetrantem & molientem, quem calidum innatum, mentem vniuersi, mundi animam, igneumvigorem è cœlo ortum formam ac materiam mundi, descripserunt per suas proprietates, virtutes &energias, non tamen fontem & scaturiginem harum virtutum cognouerant ignoto lumine, quodlumen istud creauit, & ex nihili fonte diuina ac omnipotenti virtute, ac agendi energeia eduxit. »

273. Id., p. 4 : « Spiritus hic luminis quem Naturam dicimus, vera est substantia corpo-ralis : at quia inuisibilis est & impalpabilis, ideo spiritum dico, non tamen substantiam superna-turalem, diuinam & incorpoream intelligo, dico enim Deum naturam corporalem fecisse, corpussiquidem competit illi cui corpora omnia fabricanda sunt. »

274. Cf. Id., pp. 4-5 : « Quale autem corpus sibi vendicet natura, seu spiritus lucis altis-simæ est inquisitionis, & qui Alchymiam ignorat eamque tractare nescit, huc vsque penetrare nonpotest ; in corporibus enim omnibus latet istud luminis corpus, at inuisibiliter, & suo spiritualimodo ; istud tamen à peritissimo artis chymiæ magistro visibile & tangibile efficitur, ita vt quodin corpore visibile inuisibile & spirituale lateat, visibile redditur & corporale : ne autem ambages

Alchimie et stoïcisme 71

corps non spirituel. En d’autres termes, le sel est le corps sensible de la substancecorporelle insensible qu’est la nature. Fabre aboutit de la sorte à la définition suivante :

« La Nature est un esprit de lumière créé au commencement par Dieu, esprit à partirduquel tout a été fait par création divine, et qui est radicalement infus dans le corpsdu Sel central de chaque chose, pour la conservation et la génération de touteschoses. » 275

Par delà sa corporalisation de l’âme du monde, Fabre maintient donc au bout du comptela structure binaire caractéristique du néoplatonisme d’un Ficin, soit :

FICIN FABREÂme du monde Esprit de lumière

Esprit du monde (véhicule de l’âme dumonde)

Sel (corporification de l’Esprit de lumière)

Mais avec un décalage ontologique d’un degré, à savoir :

FICIN FABREIncorporel Dieu

Âme du mondeDieu

Spirituel Esprit du monde Esprit de lumière

Corporel Corps (éléments) SelCorps (éléments)

Méconnaissances et distorsions de la physique stoïcienne

Il convient de prêter attention au fait que l’affirmation, chez certains alchimistes, ducaractère corporel de l’âme du monde, ou esprit universel, n’implique nullement de leur part

quæram, dicam corpus naturæ, Salis corpus esse, quod in centro cuiuscumque rei creatæ latet, &quod per Alchymiam Vulcani ope, à centro rerum omnium educitur, cui inhæret Sulphur radicale, &Mercurius innatus ac primigenitus, ita vt duos secum habeat coniunctos frates à se ipso insepara-biles, nec propterea id vnum compositum est, sed quid valde simplex & homogeneum, etsi tria inse coerceat quæ quamuis distinguantur, non tamen differunt nec diuersas constituunt formas in suoesse, vt latissimè & clarissimè disputa tum est, ac demonstratum in Alchymista Christiano nobisiamdiu in lucem edito. […] Si ergo quis Salis istius centralis naturam ac essentiam cognitam ha-bet, habet & naturæ manifestam essentiam ; naturæ enim omnes proprietates, virtutes, & ener-gias quas antiqui omnes Philosophi in natura ipsa posuerunt facillimè animaduertet ac reperiet inipso centrali rerum Sale, humidi potissimùm primigenij, & calidi innati proprietates, in quibusantiqui totam naturæ essentiam collocarunt tanquam Principium motus & quietis rerum omnium. »

275. Id., pp. 5-6 : « Est ergo Natura Spiritus Luminis in principio à Deo creati, à quo omniafacta sunt per creationem diuinam, quique in corpore Salis centralis cuiuscumque rei radicaliterinfusus est ad conseruationem & generationem rerum omnium ».

72 Sylvain Matton

une adhésion à une physique pneumatique stoïcienne, à défaut d’un impossible assentimentà la théologie du Portique. La raison principale en est que le plus souvent ils n’avaient surcette physique que des connaissances très limitées, incertaines et confuses. En particulier, iln’était pas rare qu’ils interprétassent la théorie stoïcienne du pneuma en un sensfranchement néoplatonicien, en tenant le pneuma stoïcien pour le véhicule d’une âme dumonde incorporelle. C’est ce que fait William Davisson dans sa Philosophia pyrotechnica,où, après avoir expliqué ce qu’est l’âme du monde pour les platoniciens — en se référant àPlaton, mais aussi à Plotin et à Marsile Ficin —, il poursuit :

« L’esprit corporel des stoïciens, ou esprit revêtu d’un corps extrêmement subtil —qu’ils ont très sagement reconnu être commun à tous les éléments et à toutes leschoses —, n’est pas différent. Il serait identique à un vent envoyé par des souffletsdans des instruments musicaux, ce qui leur fait émettre un son : ainsi l’ensemble deschoses sont mues, selon leur aptitude, par cet esprit qui les pénètre. En effet, s’ils’introduit dans la matière du feu, il déploie et meut ses aiguillons extrêmementpointus par un mouvement parfaitement adapté. De la même façon, s’il pénètre dansla matière de l’air, dans celle de l’eau ou dans celle de la terre, il donne à chacune unemesure convenable, écartant, tant qu’elles le requièrent, leurs parties les unes desautres et mouvant chacun conformément à ce qui a été ordonnancé par l’intellect et àce qui convient à leur nature. Ainsi avec la matière du feu il produit du feu, avecl’air, de l’air, et ainsi de suite. Et il est en toutes les choses soit comme la forme detoutes, soit comme un troisième séminaire, soit comme une forme spécifique,comprise dans l’extension d’une idée plus commune. De fait, à partir de nombreusesformes particulières dans le monde intelligible se constitue une certaine formeunique, comme celle qu’Hermès, avons-nous vu, appelle omnicorporelle oupantomorphe. Ensuite, à partir des nombreuses formes spécifiques, on est peu à peuramené dans une unique forme générique subalterne, et de là dans la forme la plusgénérale. C’est pourquoi tant qu’elles se tiennent cachées dans ce séminairecommun, les espèces de ce qui doit être engendré constituent réellement une réalitéunique, n’étant distinctes qu’en puissance, c’est-à-dire par rapport à l’espèce, à laqualité, au corps et à la matière qui doit être informée. » 276

276. Cf. Philosophia pyrotechnica…, pp. 301-302 : « Non absimilis est his spirituscorporeus Stoïcorum, seu spiritus corpore tenuissimo indutus, quem omnibus elementis, & rebuscommunem sapientissimè agnouerunt. Qui quidem in omnibus idem esset, quod ventus à follibusin organa immissus vnde sonum edant : sic ab illo spiritu ineunte res cunctas moueri, proutipsarum fert aptitudo. Si enim materiam ignis subeat, eius quam acutissimos aculeos motu quamaptissimo diducit mouetque, prout eorum naturæ conditio postulat. Eodem pacto, si aëris, si aquæ,aut terræ materiam ineat, vnicuique mensuram dat congruam, partes quoad requirunt, aliasremouens ab aliis, atque mouens vnumquodque, prout à mente ordinatum est, & prout suæ naturæcompetit. Sic cum ignis materia, ignem ; cum aëre, aërem efficit, & ita de reliquis, estque in rebusomnibus vel sicut omnium forma, vel seminarium tertium, vel forma specifica, intracommunioris ideæ ambitum comprehensa. Et enim ex multis particularibus formis in mundointelligibili, forma quædam est conflata vnica, qualem vel omnicorpoream vel √`µ…∫¥∑ƒ⁄∑µ

Alchimie et stoïcisme 73

Et Davisson est encore plus explicite dans Les Elemens de la philosophie de l'art du feuou chemie. Parlant de l’esprit, il explique :

« Ainsi la nature incorporelle loge & envoye le Notre dans les corps mixtes, &changeant mesme les aliments en des corps vivants, engendre tout le sang desAnimaux. Or dans ceste substance corporelle, loge la force incorporelle, qui estl’esprit de l’univers, tout feu & intellect, plein des exemples ou idées de tout l’ordre,& des dispositions des principes & elements des corps mixtes : c’est pourquoyHermes Trismegiste parlant dans sa Table Smaragdine de cét esprit, & des miraclesd’une seule chose, dict, que le vent l’avoit porté autrefois dans son ventre ainsi qu’unair deslié, ou bien comme un soufflement & épanchement de l’air, lequel estant levray soufflet de la nature donne une perpetuelle entrée aux esprits dans les corps, afinde les rarefier, & par sa sortie les condenser. D’où vient que les Stoiciens appelloienttres sagement le vent, un esprit corporel present & entrevenant en toutes chosespour empescher le vuide, & dans un clin d’œil penetrant en toutes choses, &agissant avec tres grande force contre ce qui luy resistoit, comme dans les esclairs &tonneres, & dans les coups de canon. » 277

Une telle dichotomie ramenant le pneuma stoïcien au couple néoplatonicien âme dumonde / esprit du monde se retrouve chez Pierre Jean Fabre lui-même, mais sans que cedernier aille jusqu’à affirmer le caractère incorporel de l’âme du monde. Précisément dans lepassage du Palladium Spagyricum allégué par Bernard Joly pour démontrer que le médecinde Castelnaudary était « assez bien informé de la physique stoïcienne » 278, Fabre écrit :

« Cependant je ne pense pas, à la manière des stoïciens mal compris, que lemonde soit un animal ayant, dans les profondeurs de l’Océan, des sortes de narinespar lesquelles ses haleines expirées ou inspirées tantôt enfleraient les mers, tantôt lesferaient refluer. Cela relève en effet de la fable, et je ne crois point que les stoïciensaient professé un tel conte de vieilles femmes, si ce n’est par énigme. Ils estimaient,en vérité, que ce monde est une sorte d’animal qui a vigueur grâce à une âme et unesprit, mais cette âme était pour eux la nature, et l’esprit était tenu, toujours pareux, pour quelque chose d’extrêmement subtil et l’alcool de tous les éléments, parlequel la force et puissance de la nature se communiquait à l’univers. Vers cette opi-nion, moi je ne rougirais pas d’aller, toutes brides de ma pensée relâchées, puisquepar sa seule grâce, sans aucun mérite de ma part, Dieu m’a jugé digne de voir cette

visus est appellare Mercurius. Deinde ex specificis pluribus paulatim in vnam genericamsubalternam, & hinc in generalissimam refertur. Itaque gignendarum species quamdiu in illocommuni seminario delitescunt, re vera vnum sunt quid, distinctæ solum secundum potentiam siuerespectum ad speciem, qualitatem, corpus atque materiam informandam. »

277. Les Elemens de la Philosophie de l’art du feu ou chemie, pp. 496-497.278. Voir B. Joly, « Présence des concepts de la physique stoïcienne dans les textes

alchimiques du XVIIe siècle », pp. 344 sqq, et « Physique stoïcienne et philosophie chimique auXVIIe siècle », p. 185.

74 Sylvain Matton

âme ou nature (bien qu’autrement invisible) et l’esprit souventefois 279, revêtu, parart spagyrique, du corps des éléments, dans le règne animal, végétal et minéral. Jeprie et supplie encore et encore Dieu de permettre à beaucoup de philosophes d’excel-lentes mœurs de voir cela, afin qu’avec le secours de la lumière divine apparaisse en-fin devant nous la vraie philosophie, dépouillée de tous les voiles et vêtements quil’ont cachée jusqu’à présent, et la cacheront à l’avenir, à moins que quelqu’un n’ex-plique très bien et comme il convient les fables et énigmes de tous les anciens phi-losophes, pour déchirer complètement les voiles recouvrant la face de la physiquearistotélicienne, jadis dépeinte sur les guirlandes mêmes d’Aristote (comme si ellen’avait pas encore été vue par Aristote lui-même et par beaucoup d’autres), et nousmontrer Diane, c’est-à-dire la nature, dans sa nudité. Mais je ne crois pas que cela sepuisse produire, en raison de la brièveté de la vie, de l’immense travail de l’œuvre, dela difficulté à bien juger et du danger pour la renommée de l’expérimentateur.Toutefois, je ne cesserai d’avertir ceux qui désirent vivement cet œuvre, que, s’ilsveulent et désirent voir la nature nue, ils doivent travailler de toutes leurs forces àtoutes les opérations chimiques qui sont exposées dans tous les chapitres du présentlivre. C’est en effet seulement grâce à elles qu’ils pourront apercevoir, voilée par unesorte de corps subtil exalté, cette âme, la nature, — qualifiée par d’autres philo-sophes de “puissance contemporaine de la matière première”, d’ “inengendrable et in-corruptible”, d’ “adaptée à toutes les formes” —, en même temps que l’esprit de cettemême âme, qui a également été appelé “âme” et “nature” ; [âme et esprit] à partirdesquels uniquement, nous en sommes convaincus, peut se faire la teinture des phi-losophes, vers laquelle, comme cela est clair d’après ce que nous avons dit, tend depar son mouvement naturel intrinsèque la nature en soi elle-même — de mêmequ’un mouvement vers son terme, où il doit cesser —, la nature ayant besoin del’art, qui lui est semblable, pour enfin parvenir à cette fin. » 280

279. Dans « Physique stoïcienne et philosophie chimique au XVIIe siècle », B. Jolycomprend différemment ce passage, qu’il traduit (l. c.) : « […] puisque cette âme ou nature, quoiquepar ailleurs constamment invisible et esprit, […] Dieu m’a jugé digne de la voir […] ». Enrevanche, dans « Présence des concepts de la physique stoïcienne dans les textes alchimiques duXVIIe siècle », Joly traduisait bien (p. 353) : « cette âme ou nature, quoique par ailleurs invisible,et l’esprit, Dieu me jugea digne de les voir fréquemment […] ».

280. Cf. Palladium spagyricum, V, pp. 73-75 : « Nec tamen more Stoïcorum perperamintellectorum animal mundum esse puto, in profundis Oceani nares quasdam habens, per quasemissi anhelitus vel reducti, modo inflent maria modo reuocent. Hoc enim fabulosum est necStoïcos nisi ænigmatice hæc anilia sensisse puto. Existimabant quidem mundum hunc animalquoddam esse, quod anima quadam & spiritu valeret, sed illa anima, natura illis erat, & spiritus,tenuissimum & Alcool elementorum omnium, illis ijsdem habebatur, quo naturæ vis & potestasvniuerso communicaretur. In quam ego sententiam, totis mentis meæ laxatis habenis, ire nonerubescam, cum animam illam siue naturam, etsi alioqui inuisibilem & spiritum identidem, arteSpagyrica in animali regno vegetabili & minerali, elementorum corpore indutum, me vidisse,merito nullo, sua sola gratia dignatus sit Deus, quem iterum atque iterum rogo ac deprecor, vt idipsum cernere liceat, multis optimorum morum philosophis, vt tandem diuino aspirante lumine,

Alchimie et stoïcisme 75

Il faut par ailleurs noter que Fabre fait encore, par deux fois au moins, référence au« Dieu de Zénon ». La première mention se trouve dans le Palladium spagyricum. On y lit :

« Comme la vie de tous les êtres animés n’est rien d’autre qu’une permanence de lachaleur céleste dans un sujet constitué d’un épais assemblage de tous les éléments,dans l’union desquels elle rejaillit, l’âme sensitive, l’âme végétative ou l’âmerationelle seront introduites à partir d’une préparation proportionnée de ce sujet. Carle sujet avec lequel doit être liée cette chaleur céleste, le Dieu de Zénon, mérite desubir certaines préparations particulières avant que l’âme sensitive puisse s’y éleverou bien l’âme rationnelle y être introduite. » 281

L’autre référence se trouve dans le Panchymicum :

« La chaleur céleste, Dieu de Zénon, Vulcain de la Nature et Archée diffusé àtravers le monde tout entier, lorsqu’elle agite, excite et pousse chaque partie d’unmicrocosme à accomplir des actions, produit dans des divers sujets diverses chosesétonnantes et admirables : dans les végétaux, des feuilles, des fleurs et des fruits ;dans les minéraux et les animaux, quelque chose d’autre qui n’en diffère guère ni danssa réalité ni dans sa définition, car les minéraux ont leur propres fleurs, les animauxles leurs, et les uns et les autres leurs propres fruits. » 282

nobis vera appareat philosophia, velaminibus, & teguminibus omnibus depositis quibus adhucobtegitur, & in posterum obtegetur, nisi quis antiquorum omnium philosophorum fabulas &ænigmata optime, & vt decet explicet, vt physeos Aristotelicæ velo facie obductæ, antiquitus inipsis Aristotelis stemmatibus depictæ (tanquam ab ipso Aristotele inuisæ, & ab alijs multis)velamina prorsus disrumpat, nobísque nudam commonstret Dianam, seu physim : hæc autembreuitate vitæ, & operis improbo labore iudiciíque difficultate, & experientis famæ periculo, fieriposse non existimo. Attamen huius operis auidos admonere non desistam, si naturam velint, &cupiant videre nudam, eos debere hisce omnibus operibus chymicis quæ in hoc libro capitulisomnibus inseruntur, totis viribus incumbere : his enim solis animam illam, naturam, quam alijphilosophi materiæ primæ coæuam potentiam, ingenerabilem, & incorruptibilem formisomnibus accommodatam dixere, corpore quodam tenui exaltato, velatam cernere poterunt, cumeiusdem animæ spiritu, quem etiam animam & naturam dixere, ex quibus solis tincturamphilosophorum fieri posse decreuimus, naturámque per se ipsam, ad eam tendere naturali motu suointrinseco, tanquam ad vltimum sui motum in quo quiescere debet, vt dictis claruit : ad quemtandem vt deueniat finem arte eget natura, sibi simili. »

281. Cf. Palladium spagyricum, XXIV (« De Coniunctione seu Vnione Animantium »),Toulouse, 1624, p. 310 : « Vita ergo animantium omnium cùm nihil aliud sit, quàm permanentiacaloris cœlestis in subiecto ex spissitudine elementorum omnium coadunato, in quorum vnioneresultat [,] anima sentiens, vegetans, aut rationalis, inducentur ex proportionata huiusce subiectipræparatione. Subiectum enim cui connecti debet calor ille cœlestis, Zenonis Deus, peculiaresquasdam subire meretur præparationes antequàm anima sentiens ex eo educi, aut rationalis in illudinduci queat. » Texte ignoré de B. Joly.

282. Cf. Panchymici seu anatomiæ totius universi […] opus, III, sec. VIII, cap. I (« Floresquid sint in genere, & vnde exoriantur »), t. I, pp. 794-795 : « Calor cœlestis Zenonis Deus,Vulcanus Naturæ & Archaeus per totum mundum diffusus, dum singulas Microcosmi partes agitat,stimulat, & ad actiones obeundas compellit, varia varijs in subiectis stupenda, ac miranda,producit, in vegetabilibus folia, flores & fructus, in mineralibus & animalibus aliquid aliud, nec

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Pour Fabre, donc, le « Dieu de Zénon » correspond à la « chaleur céleste », laquelle n’estpas, selon lui, la nature elle-même, mais son « vulcain » et son « archée », c’est-à-dire lesoufre. Cependant — thèse que s’appropriera Nicaise Le Febvre (Le Fèvre, dit “Nicolas”, ca1610-1669) dans son Traicté de la chymie (Paris, 1660) 283 —, le soufre est, avec le mercureet le sel, l’un des trois principes à la fois distincts et homogènes constitutifs de l’unique es-sence de l’« esprit de lumière » qu’est la nature. Aussi, bien que, en raison de l’unicité es-sentielle de cette triplicité principielle, par quoi la nature forme un symbole de la divineTrinité, on puisse lato sensu désigner un principe par un autre, ou encore la nature par l’unou l’autre de ces principes 284, il n’en reste pas moins que stricto sensu ces trois principes nedoivent pas être confondus entre eux ni avec la nature, pas plus que ne doivent être confon-dues entre elles et avec Dieu les trois personnes de la sainte Trinité. En conséquence, ilsemble qu’aux yeux de Fabre la conception zénonienne de la Nature ne soit qu’une ap-proximation de la vérité, comme le sont au demeurant celles des meilleurs philosophes an-tiques, dont aucun, nous est-il expliqué au tout début du Panchymicum, n’a parfaitement suce qu’est réellement la nature puisque tous en ignorèrent la vraie cause 285.

re, nec ratione longè diuersum, suos etenim habent flores mineralia, suos animalia, suosquevtraque fructus […]. » Texte ignoré de B. Joly.

283. Voir O. Hannaway « Le Febvre, Nicaise », dans : Ch. C. Gillispie (éd.), Dictionary ofScientific Biography, III, New York, 1973, pp. VIII, pp. 130-131 ; S. Matton, « Une sourceinavouée du Traicté de la chymie de Nicaise Le Febvre, l’Abregé des secrets chymiques de PierreJean Fabre », Chrysopœia, V (1992-1996), pp. 721-729.

284. Cf. Panchymici seu anatomiæ totius universi […] opus, I, II, t. I, pp. 8-9 : « Spiritumsiquidem illum luminis, quem naturam dicimus, ideo Domini spiritum in Sacris lineis dixitMoyses, quod verè Domini esset & Creatoris, nulliusque alterius esse potuit. Vnus est & Trinus,& Trinitas vnitatem non corrumpit, nec vnitas Trinitatem diminuit, vnus est rationis suæsimplicitatis, Trinus est ratione suæ distinctionis ac diuisionis in Sulphur, in Mercurium & inSalem : hæc enim tria sunt distincta in spiritu illo luminis, & tamen non differunt ratione suæessentiæ : hæc enim tria vnum constituunt spiritum, seu vnam naturam, quæ totum regit orbem, acperficit. / Hæc tria Sulphur, Sal & Mercurius vnico sæpe nomine efferuntur, aliquando dicunturSulphur & ignis naturæ, aliquando Mercurius, & humidum primigenium rerum omnium, aliquandoSal, seu nodus & compago rerum, aliquando materia prima, sæpe natura, rarò spiritus lucis,sæpissimè mens & anima mundi, quæ omnia nullo pacto inter se differunt : at sunt vnum & idem,diuersæ tantùm voces & nomina varia, quæ vnicam & solam indicant essentiam, à qua omnesrerum essentiæ dependent & ortum habent per generationem & corruptionem, hæcque solaessentia natura dicta, & spiritus luminis à solo est Deo creaturo & ab illo regitur ac gubernatur,nec ab alio, nec à se ipsa esse potest, cùm per se subsistere nequeat, aliusque alterius indigeat ope& auxilio, vt suas peragat actiones & in his fungendis assiduò persistat. » L’une des sources deFabre est sans doute Joseph Duchesne qui, parlant des trois principes paracelsiens, écrivait dansson De Priscorum Philosophorum veræ medicinæ materia, præparationis modo atque in curandismorbis præstantia, Saint-Gervais, 1603 : « Nam ea ipsa præparatione tria principia eliciuntur exterra, quæ à se inuicem possunt separari, & nihilominus omnia tria consistunt in vna eadémqueessentia : suntque tantùm proprietatibus, ac viribus distincta, in quo manifestatur, & ad quodaliquo modo referri potest incomprehensibile illud mysterium de tribus personis in vna, eademquehypostasi, quæ diuinam constituunt Trinitatem. […] »

285. Cf. id. I, III, t. I, p. 11 : « Vnde verè Antiqui omnes Philosophi & præsertim Pagani &Ethnici naturam perfectè non cognouerunt, vt ipsorummet dogmatibus & præceptis facillimècolligitur ; docuerunt enim omnes, ignota causâ, effectus latere notitiam : ergo cùm ipsimet

Alchimie et stoïcisme 77

Que de l’allégation approbative d’une doctrine stoïcienne par un alchimiste l’on nepuisse automatiquement inférer que cette doctrine constitue pour lui un modèle, nous enavons un autre exemple avec l’une des sources de Fabre 286, les Traictez du vray sel secretdes philosophes et de l’esprit general du monde de Clovis Hesteau de Nuysement, ouvragedont un passage a été invoqué par Bernard Joly pour preuve de la présence d’un modèlestoïcien dans les textes alchimiques et abusivement relié à l’intérêt pour le stoïcismemanifesté dans le milieu de Juste Lipse 287. On sait en effet que ces Traictez du vray sel nesont qu’un plagiat des Trois livres des elemens chymiques et spagyriques, ouvrage anonymerédigé vers la fin du XVIe siècle et resté manuscrit 288, mais dont il ne fait guère de doute queson auteur est Jean Brouaut (av. 1541-1603/4 ?) 289. Il convient donc, pour analysercorrectement le passage de l’ouvrage publié par Hesteau de Nuysement, de partir du texteoriginal de Brouaut.

Dans la lignée du néoplatonisme ficinien, Brouaut affirme expressément l’existenced’une âme du monde unie à un esprit universel « qui luy est tres prochain » et se« corporifie » dans le monde sublunaire ; il explique que le « moteur » de cette corporifi-

causam naturæ ignorarint, & naturam ipsam ignorasse certum fuerit, quod & ipsorum scriptis luceclarius patet ; quæ enim ipsi scripserant de natura, meræ nugæ sunt, & adhuc ænigmatibus &griphis quamplurimis inuolutæ, quod plurimi pro veritate nugis illis inuoluta reputarunt. »

286. Voir S. Matton, « La figure de Démogorgon… » (art. cit. infra note 290), p. 329.287. Voir B. Joly, « Physique stoïcienne et philosophie chimique au XVIIe siècle » ,

pp. 181-184.288. Dans sa thèse Clovis Hesteau, sieur de Nuysement, et la littérature alchimique de la fin

du XVIe siècle et du début du XVIIe siècle, W. Kirsop avait signalé les manuscrits suivants : Paris,bibliothèque Mazarine 3678 [= Ma] ; bibliothèque Sainte-Geneviève, ms 2245 [= SG] ;bibliothèque centrale du Muséum national d’histoire naturelle 361, pp. 31-227 [= Mu] ;Strasbourg, Bibliothèque nationale et universitaire, ms. 368 [= S]. Deux autres manuscrits ontdepuis été découverts par D. Kahn (voir « Le fonds Caprara de manuscrits alchimiques de laBibliothèque Universitaire de Bologne », Scriptorium, XLVIII (1994), fasc. 1, pp. 62-110, icip. 96) à la Biblioteca Universitaria de Bologne, le cod. 457, b. XI, fasc. 1, ff. 15r-146v [= B1],et le cod. 457, b. XXII, fasc. 3, ff. 1r-85r [= B2].

289. L’identification de l’auteur des Trois livres des elemens chymiques et spagyriques avecJ. Brouaut a été suggérée, mais finalement laissée en suspens, par W. Kirsop dans sa thèse ClovisHesteau, sieur de Nuysement, et la littérature alchimique de la fin du XVIe siècle et du début duXVIIe siècle, I, p. 147 ; elle a été en revanche acceptée par D. Kahn dans « La faculté de médecinede Paris en échec devant le paracelsisme… », à paraître dans International Reception ofParacelsus, Actes du colloque de Bonn et Heidelberg (14-16 juin 1995). Pour l’état de la question,voir S. Matton, « Henry de Rochas plagiaire des Trois livres des elemens chymiques et spagy-riques de Jean Brouaut », Chrysopœia, V (1992-1996), pp. 703-720.

Sur Jean Brouaut, voir surtout W. Kirsop, op. cit., I, pp. 29-31 ; S. Colnort-Bodet, « U ntraité de thérapeutique au XVIe siècle : Brouaut et la panacée alcoolique, Revue d’histoire dessciences et de leur applications, XII (1959), pp. 301-313 ; « Un distillateur français, médecin etfabricant de remèdes, précurseur de Galilée ? Ou du rôle méconnu des distillateurs dans latransition entre la scolastique et la science moderne », Veröffentlichungen der internationalenGesellschaft für Geschichte der Pharmazie, Neue Folge, Bd. 42 : Die Vorträge derHauptversammlung in Paris, Stuttgart, 1975, pp. 11-20 ; « Un disciple peu connu de Rondelet etde Schyron : Jean Brouaut », Monspeliensis Hippocrates, XIV (hiver 1961), pp. 9-15.

78 Sylvain Matton

cation est un feu qui « se meut en l’air » et prend sa source dans « Démogorgon » 290, ce dieudes Anciens qui, « primogéniteur universel », désigne la « minière », au centre du monde, del’esprit universel ; il poursuit alors :

« Dans le sein de cest ancien a Demogorgon la racine de ce feu est implantée, et de lafaict sortir vne vapeur et haleine que Hermes au Pimandre appelle nature humide.Car vapeur b est la premiere et prochaine operation c du feu, avec lequel elle esttellement conioincte que l’on ne le scauroit seulement considerer d sans elle. Maispuisque ceste vapeur provient du feu, comment est ce qu’elle est humide ? et quellehumidité peut elle auoir ? et d’ou est ce qu’elle luy vient ? En cecy il e faultconsiderer qu’il est impossible que chaleur ny feu puisse estre sans humeur, qui estson entretien, aliment, et subiect sans lequel le feu mesme ne scauroit f estreimaginé. Car puisque son naturel est d’agir et que son action est indeficiente, il faultde necessité qu’il agisse sur quelque chose, et que ceste chose mesme ne luy manqueiamais. Ainsi donc le feu et l’humidité coessentiels sont comme le masle et lafemelle de toutes generations, et premiers parens de la corporification de l’esprit dumonde, comme nous dirons cy aprez. Mais le feu est comme le premier operateur,daultant que l’action est premiere que la g passion, combien que ce qui patistinseparablement coëxiste avec ce qui agist : Et c’est ce que iadis a senty h ZenonStoïque, estimant que la substance du feu par l’air conuertie en eau, et contenuë enicelle i, (comme la semence au germe) d’ou par j aprez toutes choses sont engendrées,estoit la premiere matiere de l’vniuers 291. Thales milesien k l’ung des sept que lesgrecs appellent saiges l s’arrestant a la matiere patiente, a pensé que c’estoit m l’eauou humeur n, que Heraclite aussy appelle o mer. Quand donc nous dirons le feu estre

290. Sur la fortune de ce dieu fictif posé par Boccace comme le premier père de toutes lesdivinités, voir S. Matton, « La figure de Démogorgon dans la littérature alchimique », dans :D. Kahn et S. Matton (éd.), Alchimie : art, histoire et mythes, pp. 265-346, et particulière-ment, à propos de Brouaut, pp. 309-316.

291. Cf. Diogène Laërce, VII, 1, 188, 21-29 Cobet : « ˘Fµ …ı|≠µ`§ ¢|ªµ ≤`® µ∑◊µ ≤`®|¶¥`ƒ¥Äµäµ ≤`® Eß` √∑≥≥`±» …ı ~…ă`§» ∏µ∑¥`«ß`§» √ƒ∑«∑µ∑¥câ|«¢`§. L`…ı aƒ¤d» ¥Åµ ∑”µ≤`¢ı `Ã…ªµ ¿µ…` …ƒÄ√|§µ …éµ √k«`µ ∑À«ß`µ {§ı aă∑» |•» —{›ƒ/ ≤`® ‰«√|ƒ }µ …° z∑µ° …ª«√ă¥` √|ƒ§Ä¤|…`§, ∑—…› ≤`® …∑◊…∑µ «√|ƒ¥`…§≤ªµ ≥∫z∑µ ºµ…` …∑◊ ≤∫«¥∑� …∑§∫µ{ıÃ√∑≥|ß√|«¢`§ }µ …Ù ÃzƒÙ, |À|ƒzªµ `À…Ù √∑§∑◊µ…` …éµ —≥äµ √ƒª» …éµ …˵ ~∂ï» zĵ|«§µ, |≠…ıa√∑z|µµkµ √ƒË…∑µ …d …Ä««`ƒ` «…∑§¤|±`, √◊ƒ, —{›ƒ, aă`, zïµ. » La traduction latine d’A.Traversari, qu’a peut-être utilisée Brouaut, donne (éd. Lyon, 1551, p. 309) : « Vnum quoque deumesse, ipsum´ que & mentem, & fatum, & Iouem, multis´ que alijs appellari nominibus. Principiòigitur illum cùm esset apud se, substantiam omnem per aërem in aquam conuertisse. Etquemadmodum in fœtu semen continetur, ita & hanc serendi rationem in humore talem resedissemateria ad operandum aptissimè parata, ex qua cætera post hæc gignerentur. Tum genuisseprimum elementa quatuor, ignem, aquam, aërem, terram. » Voir aussi id., 40-44: « Dßµ|«¢`§ {Å…ªµ ≤∫«¥∑µ, æ…`µ }≤ √�ƒª» å ∑À«ß` …ƒ`√° {§ı aă∑» |•» Ãzƒ∫µ, |≠…` …ª √`¤�¥|ƒÅ» `À…∑◊«�«…dµ a√∑…|≥|«¢° z°, …ª {Å ≥|√…∑¥|ƒÅ» }∂`|ƒ›¢°, ≤`® …∑◊…ı }√® √≥Ä∑µ ≥|√…�µ¢Åµ √◊ƒa√∑z|µµç«ñ. » La traduction latine d’A. Traversari donne (éd. cit, p. 311) : « Mundum uerò fieri,cum ex igne substantia per aërem uersa in humorem fuerit, deinde crassior ipsius pars effecta fueritterra, porrò subtilior in aërem cesserit, eadem´ que magis ac magis extenuata in ignem euaserit. »

Alchimie et stoïcisme 79

principe des choses, nous ne nous esloignerons p de la verité : Car pour certain c’estle premier ouurier, et dernier destructeur ou mueur q des formes iusques a ce qu’il aytreduict les choses a leur dernier periode et matiere, oultre laquelle il r n’y a plus deprogression mais bien transformation. » 292

a. pere add. SG || b. la vapeur B1 || c. action S || d. imaginer S || e. om. B1 B2 || f. peut a. c.,pourroit p. c. B2 || g. om. S || h. recogneu p. c. Ma. (senty a. c.), S || i. icelle SG ; iceluyB1 B2 ; iceluy air Ma S (air s. l. add. Ma) || j. om. SG || k. milosien B2 || l. sept sages desGrecs B1 || m. [s’arrestant – c’estoit om. B2 || n. l’humeur B2 || o. appellent B2 || p. pasadd. B1 || q. miniere SG, mineur (?) B2, moteur S || r. om. B1 B2.

Il ressort de ce texte que pour Brouaut le feu de Zénon n’est pas à proprement parlerl’esprit universel, mais seulement le moteur de sa corporification, de même que l’esprituniversel n’est pas davantage la divinité matérielle et immanente de Zénon, car si Démo-gorgon, la « racine et miniere » de l’esprit universel, est le « primogeniteur vniuersel » d’où« est sorty tout ce qui est, soit hault au Ciel, soit bas soubz le Ciel », il « n’y a rien qui deluy et par luy par la meditation et premiere pensee d’vng seul Dieu ne soit mis enlumiere » 293 ; Démogorgon n’est donc que l’agent et l’instrument du Créateur. Ainsi pourBrouaut, comme pour Fabre, la doctrine de Zénon, quoique plus approfondie que celle d’unThalès, qui s’est arrêté à la matière patiente, n’est qu’une vue partielle de la vérité, etBrouaut ne rappelle, d’après Diogène Laërce, les vues de Zénon sur les éléments et leurconversion que comme une confirmation de ses propres thèses, non comme leur source etleur modèle.

D’autre part, que les thèses de Zénon telles que les rapporte Diogène Laërce — demanière, il est vrai, quelque peu obscure — soient souvent restées incomprises aux XVIe etXVIIe siècles dans les milieux alchimiques, c’est ce dont témoigne la leçon erronée (i) de lamajorité des manuscrits des Trois livres des elemens chymiques et spagyriques, lesquels,substituant iceluy à icelle, font de l’air, et non de l’eau, la substance finale enveloppant leprincipe générateur. Sur ce point, la version donnée par Nuysement est correcte. CependantNuysement ne paraît pas avoir remarqué que ce passage — qui avait été cité par Juste Lipsedans sa Physiologia Stoicorum 294 — était tiré de Diogène Laërce, puisqu’il corrige« comme la semence au germe », par quoi Brouaut traduit le « ‰«√|ƒ }µ …° z∑µ° …ª

«√ă¥` » de Diogène Laërce, en « comme vn sperme general ». Au reste, loin d’insister surla doctrine physique de Zénon, comme il eût pu le faire s’il avait été réellement influencépar les milieux stoïciens de son temps, Hesteau de Nuysement en réduit sensiblementl’importance en ajoutant au texte de Brouaut une référence à la Genèse :

292. Ma, f. 27v (nous prenons ce ms comme texte de base) ; SG, f. 16v ; S, pp. 43-45 ; B1,ff. 31r-32r ; B2, ff. non chiffrés.

293. Mazarine, f. 4r-v. Voir aussi C. Hesteau de Nuysement, Traittez de l’harmonie etconstitution generale du vray sel, Paris, 1621, p. 4 (éd. La Haye, 1639, p. 2 ; éd. Paris, 1974,Clovis Hesteau de Nuysement, Les Visions hermétiques et autres poèmes alchimiques suivis desTraictez du vray sel, p. 143).

294. Voir Physiologiæ Stoicorum libri tres, II, VIII, éd. Opera, Lyon, 1613, I, p. 849.

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« Mais le feu est comme le premier operant ; d’autant que l’action precede tousioursla passion. Combien que ce qui patit inseparablement coexiste avec ce qui agit :Ainsi que le stoique Zenon disoit jadis, estimant que la substance du feu, par l’airconuertie en eau, & conseruee en icelle, comme vn sperme general, d’où puis aprestoutes choses sont engendrees, estoit la premiere matiere de l’vniuers. ThalesMillesien, que les Grecs honorent du nom de sage, s’arrestant à la matiere patiente,estimoit que c’estoit l’eau : qu’Heraclite aussi nommoit Mer : Et Moyse plusilluminé que ces deux, dit que l’Esprit de Dieu estoit porté sur les eaux auant lacreation du ciel & de la terre : Nommant le feu à cause de sa noble, pure, & digneessence, l’Esprit de Dieu. Quand je diray donc le feu estre le principe des choses[…]. » 295

Le texte d’Hesteau de Nuysement fut à son tour repris dans L’Hydre morbifiqueexterminée par l’Hercule Chymique (Paris, 1628) par David de Planis Campy (ca 1589-1644) 296, autre effronté pillard, qui paraît encore moins connaître le texte de Diogène Laërceet la doctrine de Zénon, puisqu’il attribue à ce dernier la théorie du sel qu’il trouve chezNuysement :

« Que diray je plus de l’Eau ? Hermes en son Pimandre appelle la nature Eau, par cemot humide : car vapeur est la premiere & prochaine action du feu, auec lequel elleest tellement conjoincte qu’on ne le sçauroit seulement imaginer sans elle. C’estpourquoy le Stoïque Zenon estimoit que la substance du feu par l’Air seconuertissoit en Eau, & conseruée en icelle comme un sperme general (pour lageneration & conseruation de toutes choses) en forme d’vn Sel : y ayant dans iceluySel vn secret Element de feu, qui a les mesmes actions de ce feu primitif, estantpour ceste cause appellé baulme des corps, dautant qu’il y a en luy ce qui donne,augmente, & conserue la vie ; n’est sinon vne vapeur humide accompagnée dechaleur temperée. » 297

Et dans L’Ouverture de l’escolle de philosophie transmutatoire (Paris, 1633), PlanisCampy réutilisera le passage, mais en gommant cette fois la référence à Zénon :

« Il est constant parmy tous les Philosophes, que le Feu ne peut subsister sans Air,qui est son aliment ; & c’est ce que Hermes veut inferer en son Pimandre quand il

295. Cf. Traittez de l’harmonie et constitution generale du vray sel, pp. 67-68 (éd. LaHaye, 1639, p. 26 ; éd. Paris, 1974, p. 179).

296. Voir F. Secret, « De quelques traités d’alchimie au temps de la régence de Marie deMédicis », Chrysopœia, III (1989), fasc. 4, pp. 382-385 ; A. G. Debus, The French Paracelsians,pp. 78-80.

297. L’Hydre morbifique…, VIII (« La massue herculeane »), éd. Œuvres, p. 257. Nuysementavait écrit : « […] Hermes en son Pimandre appelle Nature humide. Car vapeur est la premiere etprochaine action du feu ; avec lequel elle est tellement conjoincte qu’on ne le scauroit seulementimaginer sans elle […]. »

Alchimie et stoïcisme 81

appelle la Nature humide, car vapeur est la prochaine action du Feu ; aussi sasubstance par l’Air se conuertit en Eau & se conserue en icelle (ce qui sera pourl’explication de ceux qui disent qu’elle se treuue en l’Eau) laquelle jettee auxentrailles de la Terre par la force du Vent, immediate [sic] fils de la Nature, vient àexiter derechef à mouuement le Cahos, qui est l’Air, & luy exite le Feu centric ; &cestuy-cy separe, purge, digere, colore, & fait meurir toute espece de semence, lespoussant dans les Matrices pures ou impures d’où prouient la diuersité des Myxtes.En ce que dessus ce remarquent les actions des trois principes principiez, sçauoir leSouphre par le Feu, le Sel par l’Air, & le Mercure par l’Eau. » 298

On notera le flottement de Planis Campy dans son analyse des rapports entre leséléments et les « principes principiez », puisque dans L’Hydre morbifique il affirmait quepour Zénon c’est dans l’eau que le feu, en tant que sperme général, se conserve sous formede sel. Quant à l’attribution aberrante, dans cette même Hydre morbifique, d’une théoriechymique du sel au fondateur de la Stoa, elle ne resta pas tout à fait isolée, car WilliamDavisson évoqua lui aussi les stoïciens à propos du sel. Dans sa Philosophia pyrotechnica,en un texte qu’il devait reprendre, avec quelques modifications stylistiques, dans l’Oblatiosalis sive Gallia Lege Salis condita (Paris, 1641), il écrit :

« Que le sel soit incorruptible, et même le préservatif de tout ce qui est corruptible,cela a été suffisamment démontré plus haut. Il est donc comme une seconde âme,qui, aussi longtemps qu’elle est dans un corps, le préserve de la putréfaction,conformément à cette sentence de Pline 299 et des stoïciens, que la viande de porc esten soi pour ainsi dire morte à moins que ne lui soit donnée une âme en place de sel.Car le sel a, comme les ferments, la propriété de convertir finalement en sa naturetout ce à quoi il a été mêlé, pourvu qu’il puisse pénétrer en détruisant l’humiditésuperflue. » 300

L’on pourrait multiplier les textes de la littérature alchimique prétendant à l’éruditionmais présentant en réalité des connaissances soit fort approximatives, soit confuses, soitfranchement fausses de la philosophie stoïcienne, et d’où cette dernière sort défigurée,parfois même totalement méconnaissable. Dans sa Sympathia septem metallorum ac

298. L’Ouverture de l’escolle de philosophie transmutatoire, sect. II, chap. V, expl. § 5,pp. 114-115 (éd. Œuvres, p. 697).

299. Cf. Pline, Naturalis historia, VIII, LI : « Animalium hoc maxime brutum, animamque eipro sale datam non illepide existimabatur ».

300. Philosophia pyrotechnica, II, XVIII (« De principiis seu elementis in specie, & primòde Sale »), p. 429 : « Quod autem sal sit incorruptibile, immo & omnium corruptibilium præser-uatiuum, hoc satis superque demonstratum fuit. Est igitur quasi secunda anima, quæ quamdiu est incorpore, ipsum à putrefactione præseruat iuxta illud Plinij & Stoicorum dicentium carnemporcinam esse quasi mortuam per se, nisi anima ipsi data fuisset loco Salis. Nam Sal talem habetproprietatem, vt veluti fermenta omnia ipsi admixta in eius naturam tandem conuertat, modopenetrare possit absumendo superfluam humiditatem. » Voir aussi Oblatiosalis sive Gallia LegeSalis condita, Paris, 1641, pp. 25-26.

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septem selectorum lapidum ad planetas (Paris, 1610), après avoir expliqué que Vénus est ensympathie avec le cuivre et non avec l’aurichalque — correspondance platonicienne rappeléepar Ficin dans son Compendium du Critias ainsi que par Francisco Vallès dans son De sacraphilosophia (Turin, 1587) 301 —, Petrus Arlensis de Scudalupis 302 continue :

« Les sages comptent deux Vénus, l’une dans le ciel, sans mère, l’autre sur la terre,née et issue de parents. Les sages, comme je l’ai déjà dit, dissimulaient tout sous unvoile — coutume assurément excellente pour ne point donner des perles à des gensne les méritant pas et à des ignorants. Encore que les stoïciens et les platoniciensconsidèrent de manière différente ces deux Vénus, elles sont unies ensemble par saintAugustin, sur la foi duquel parlent les stoïciens. Saint Augustin pose deux cités, àsavoir la Jérusalem céleste et l’infâme Babylone. La Vénus céleste engendre unamour saint et chaste, tandis que la terrestre engendre un amour profane. La secondedépend de la première et ne peut en aucune manière subsister sans elle. Celle qui setourne vers la terre est commune et vulgaire, celle qui se tourne vers les cieux estplus ancienne et plus noble. Selon les Saintes Écritures, ce furent d’abord les cieuxqui furent affermis — et voilà l’ancienneté de la première. Ensuite, après laformation des cieux, apparut la terre ferme, et les corps élémentés n’existèrent pasaussitôt. C’est pourquoi les stoïciens qualifièrent d’ “éthérée” la première etd’ “aérienne” la seconde. En raison de sa vertu diffusive et productive, ils appelèrentl’une “céleste” et l’autre, en raison de son humidité et de sa viscosité, “métallique” et“terrestre” 303. » 304

301. Voir notre étude, « Marsile Ficin et l’alchimie… », pp. 136-138 et 180.302. Voir J. Ferguson, Bibliotheca Chemica, II, p. 184 ; L. Thorndike, A History of Magic

and Experimental Science, VI, pp. 301-302 ; F. Secret, Annuaire de l’École pratique des HautesÉtudes, Ve section, 1971-1972, p. 304.

303. Nous n’avons pas retrouvé la source, s’il y en a une, des propos de Petrus Arlensis deScudalupis. Elle n’est en tout cas constituée par aucun des textes se rapportant à Vénus recueillispar J. von Arnim dans ses Stoicorum Veterum Fragmenta, à savoir Athénée, XIII, 572f. (= SVF I,545), Stobée, Eclogae, éd. Wachsmuth, I, Berlin, 1884, p. 184, 8 (= SVF, II, 527), et Aëtius,Plac. I 6 (= SVF, II, 1009). Elle ne l’est pas davantage par le chapitre (XXIV) sur Vénus du Denatura deorum de Cornutus, lequel rappelle cependant la distinction des trois Vénus : Vénuscéleste (ıAŸƒ∑{ß…ä ∑Àƒcµ§`), Vénus vulgaire (ıAŸƒ∑{ß…ä √cµ{ä¥∑») et Vénus cause de touteschoses (ıAŸƒ∑{ß…ä √`µ`§…ß`).

304. Cf. Sympathia septem metallorum ac septem selectorum lapidum ad planetas, Paris,1610, pp. 375-376 (éd. Hambourg, 1717, pp. 289-290) : « Duæ Veneres a sapientibus enume-rantur, una in Cœlo sine matre, altera in Terra a parentibus orta productaque. Sapientes omnia, utprædixi, sub velamine occultabant, mos utique peroptimus, ne Margaritæ non merentibus nequeagnoscentibus concederentur. Duæ illæ Veneres licet a Stoicis diversimode quam a Platonicisconsiderentur, tamen simul a D. Augustino uniuntur : de cujus sententia Stoici loquuntur. DuasCivitates D. August. struit, cælestem nempe Hierusalem, & turpem Babylonem. Cælestis Venussanctum & pudicum, terrena vero profanum parit amorem. A prima secunda dependet, & sine illaullo pacto nequit subsistere. Quæ in terris versatur communis & vulgaris, quæ in cœlis antiquior &nobilior. Prius equidem cælos firmatos fuisse ex sacris libris habetur, ecce antiquitas primæ.Arida post Cælorum formationem apparuit, & non statim elementa extitere. Ideo Stoici Ætheream

Alchimie et stoïcisme 83

Quant à Pietro Maria Canepari 305, il range apparemment, dans son De atramentiscuiuscunque generis (Venise, 1619), les stoïciens parmi les adversaires du vitalismeminéral, et par conséquent du panvitalisme ou de l’hylozoïsme défendu par les tenants del’esprit universel du monde :

« Les stoïciens appellèrent “nature” l’âme qui régit les plantes, tandis qu’ilsappellèrent “âme” celle qui régit les animaux. Mais ils laissèrent entendre que lasubstance de l’une et de l’autre est un esprit inné, comme en témoigne Galien dansson Ve commentaire de la Ve partie du traité des Épidémies d’Hippocrate. Il s’ensuitque tout ce qui est privé d’âme est aussi privé d’esprit, puisqu’en effet l’esprit estl’instrument de l’âme, comme l’a montré Galien au livre III, chapitre VII du traitédes Lieux des affections et au livre V, chapitre IX du traité des Facultés des simplesmédicaments. En outre, les choses qui s’augmentent par addition sont sans semence.Les pierres et les métaux sont donc ainsi entièrement dépourvus d’âme, d’esprit et desemence. Aristote paraît être de la même opinion au IVe livre des Météorologiques,texte 53, où il dit que les métaux sont inanimés. » 306

LES CONSTITUANTS DES CORPS

Éléments et principes

Ce n’est pas seulement au prix d’un renversement de son statut ontologique qu’il seraitpossible de reconnaître dans le spiritus mundi des alchimistes le pneuma des stoïciens ; c’estaussi à condition de méconnaître leurs théories des éléments et des principes.

Nous avons vu Bernard Joly nous expliquer à partir d’une analyse de la pensée de PierreJean Fabre que « l’esprit céleste de l’alchimie » est un « mélange de feu et d’air » et qu’il

primam dixere, Æream secundam. Illam ex virtute diffusiva & productiva, Cælestem : istam exhumiditate & viscositate, Metallicam & Terream appellavere. »

305. Voir Dizionario biografico degli italiani, XVIII, Rome, 1975, pp. 23-34 (art. deA. De Ferrari).

306. De atramentis cuiuscunque generis, I, VI (« Utrum semen cum Spiritu & Anima insitMetallis & Lapidibus »), pp. 24-25 (éd. Rotterdam, 1718, p. 33) : « Hanc [animam] Stoiciappellarunt naturam qua stirpes, animam uero qua animantes gubernantur, utriusque ueròsubstantiam innatum esse spiritum insinuarunt teste Galeno comment. quinto in librumHyppocratis particula quinta de Vulg. morb. ex quibus consequitur quod omnia quæ carent animasint etiam spiritu priuata ; cum enim spiritus sit instrumentum animæ ut prodidit Galenus librotertio de loc. affect. capite septimo, ac libro quinto de simplicium medicamentorum facultatibuscapite nono : Prætera quæ augentur per additamentum sunt absque semine : prorsus itaque deficiuntlapides metallaque anima, spiritu & semine, ejusdem opinionis uidetur Aristoteles quartometheororum textu quinquagesimo tertio ubi ait metalla esse inanimata ». En revanche, Caneparine manquera pas de citer Ficin parmi ceux qui accordent semence, esprit et âme aux métaux ; voirS. Matton, « Marsile Ficin et l’alchimie… », pp. 184-186.

84 Sylvain Matton

« se mêle à l’humidité radicale », avec laquelle il forme « les deux principes, Soufre etMercure », conformément à la doctrine stoïcienne faisant de la matière un « mélange deséléments actifs (le feu et l’air) et des éléments passifs (l’eau et la terre) » 307. Mais l’affirma-tion que les alchimistes tenaient le spiritus mundi pour un mélange de feu et d’air est desplus contestables. Elle est indéniablement fausse dans son universalité, et l’on peut mêmese demander s’il y eut jamais un adepte à penser de la sorte : nous n’en connaissons pas,pour notre part, qui ait défendu cette thèse. En l’occurrence, ce ne fut pas le cas de PierreJean Fabre, contrairement à ce que croit Bernard Joly, qui précise que pour Fabre le véhiculedu spiritus mundi est constitué par l’humide radical 308. Or c’est très exactement le contraireque professe Fabre : pour lui, nous l’avons vu, l’humide radical, ou mercure, s’identifie auspiritus mundi en tant qu’il en est, avec le soufre et le sel, l’un des trois principes homo-gènes constitutifs 309, tandis que l’air n’est qu’un véhicule du spiritus mundi 310 — commele sont les trois autres éléments : ciel, eau, terre 311 —, véhicule d’où ce spiritus peut être

307. Voir supra p. 33.308. Cf. « Présence des concepts de la physique stoïcienne dans les textes alchimiques du

XVIIe siècle », p. 343 : « Le chapitre cinq du Palladium Spagyricum est consacré à la calcinationdes minéraux. Cette opération, explique Fabre, produit l’Alcool, c’est-à-dire la partie la plus té-nue que l’on puisse extraire de toute chose, et qui n’est autre que sa partie ignée et aérienne séparéede sa partie terreuse (Palladium Spagyricum, éd. Toulouse, 1638, p. 32). L’extraction de cettesubstance, spirituelle et métallique, puis sa réunion avec la matière fixe qui se trouve ainsi spiri-tualisée constituent l’essentiel des opérations de production de la Pierre des Philosophes (idem,p. 33). Se trouve ainsi mis en évidence, selon Fabre, l’existence d’un esprit, qui est de l’air rem-pli de lumière ou de chaleur, qui provient des astres, sources de toute chaleur, et qui, en se fixantdans les différents corps des trois règnes (végétal, animal et minéral), leur donne vie et conserva-tion (idem, p. 48). Cet esprit céleste, ou élixir de vie, se mélange à l’humide radical qui lui sert devéhicule et qu’il met en mouvement (idem, p. 50). » Voir aussi « Physique stoïcienne et philo-sophie chimique au XVIIe siècle », p. 186 : « il [l’esprit, pour Fabre,] est donc bien air et feu ».

309. Voir supra p. 76.310. Cf. L’Abregé des secrets chymiques, I, IX (« De l’air, second element des choses natu-

relles », pp. 58 (= Compendium secretorum chymicorum, éd. Opera reliqua, p. 359) : « L’airdonc, second element des choses naturelles, est vne substance subtile, penetrante, qui occupe toutl’espace du monde, qui est depuis le ciel iusques au globe de l’eau & de la terre. Il penetre encoreces deux solides elements, & s’insinuë dans leurs pores, pour porter l’esprit general de vie, entoutes les parties de leurs solides matières » ; et id., p. 60 (= Compendium secretorum chymico-rum, éd. Opera reliqua, p. 360) : « l’air est vn element qui a pris son origine & sa source de laplus subtile partie de l’humide radical du monde que Dieu estendit depuis le ciel iusques à la super-ficie de l’eau, & luy donna encore ingrés & penetration, iusques au plus profond de la terre pour yporter son esprit, qui premier lui donna son estre, afin de pouuoir par ce moyen fournir ce qu’ilfaut à tant de generations, & productions des mixtes, qui se font tous les iours parmy ces ele-ments ».

311. Cf. Id., pp. 62-63 (= Compendium secretorum chymicorum, éd. Opera reliqua,p. 361) : « en tant qu’element il [l’air] n’est que le vehicule de cét esprit [du monde], qui de soyest si simple & subtil, qu’il ne peut estre communiqué à nul des mixtes & indiuidus elementaires,que par les vehicules & moyens que Dieu a establis dans la Nature : Or ces vehicules sont quatre, leciel est le premier, qui par ses rayons & influences nous communique cét esprit de vie : l’air est lesecond vehicule qui moins subtil que les rayons et influences du ciel, nous communique encore ensa façon le mesme esprit : l’eau est le troisiéme vehicule qui nous départ pareillement cette

Alchimie et stoïcisme 85

extrait 312. Certes, dans l’un de ses derniers écrits, l’Universalis sapientiæ, seu Panchymicitomus ultimus, dont la dédicace à François Vautier est datée de 1648, Fabre écrit :

« Il existe de nombreux médecins qui nomment “éthérés” et “aériens” nos espritset ceux de toutes les autres choses, qui estiment également que ces esprits possèdent,innée en eux, la substance d’un air très pur, et qui pensent en conséquence que l’airentre dans la composition des esprits. J’ai moi-même considéré cela comme très vraien de nombreux endroits de mes livres, mais devenu plus vieux et plus prudent, j’aichangé d’avis, poussé à cela par l’anatomie même des choses, où je n’ai pointconstaté que l’air forme une partie essentielle de leur composition, mais seulementqu’il remplit les pores de toutes choses et constitue le véhicule de l’esprit céleste. Eneffet, l’air existe dans la nature non pas pour composer, avec les autres éléments, leschoses naturelles, mais seulement pour être le véhicule de l’esprit céleste, qui entredans la composition de toutes choses, et pour être le moyen de conjuguer les chosessupérieures, c’est-à-dire les influx célestes, avec les éléments inférieurs. » 313

Cette rétractation de Fabre ne signifie cependant pas qu’il ait jamais pensé que l’airentrait dans la composition substantielle de l’« esprit céleste », c’est-à-dire du spiritus mundiconsidéré dans son essence. De fait, nous n’avons trouvé en aucun endroit de ses œuvresantérieures à l’Universalis sapientia une telle proposition. Car il faut se rappeler que pourFabre, l’esprit général du monde n’est pas en soi composé d’éléments, mais est infus danstous les éléments, dont il constitue « la vie et l’âme » 314. Ce n’est qu’en sa corporification

quintessence de vie ; & la terre est le dernier & quatriesme moyen, par lequel nous receuons cettevertu qu’Aristote nomme Entelechie, comme vertu & puissance de l’estre. »

312. Cf. Palladium spagyricum, p. 68 (éd. Opera reliqua, p. 778), à propos de la répétitiondes opérations de distillation pour l’obtention du mercure des philosophes : « Vnde magis acmagis attrahit [materia, i. e. calx philosophorum, pluries distillata] aëris humidum (Elementorumomnium radicalem essentiam) quo solo gaudet & sitim explet, & sic in illo corpore latet perpe-tuus & perennis metallici spiritus fons & origo, mirum certè ipsius naturæ arcanum. »

313. Cf. Universalis sapientiæ seu Panchymici tomus ultimus, II, XII (« An spiritus cœlestisqui per aera nobis communicatur, induat aliquid aeris ad ipsius essentiam constituendam »), Tou-louse, 1654, pp. 276-277 : « Quamplurimi sunt medicorum qui spiritus nostros, & rerum aliarumomnium uocant æthereos, & aeros, & perinde existimant hos spiritus aeris purissimi substantiamsibi innatam habere, & inde aerem compositionem spirituum intrare putant. Ego ipse multis inlocis librorum meorum, id ipsum tamquam verissimum asserui, sed prudentior, & senior factus,mutaui sententiam, ex ipsa rerum anatomia, vbi aerem non iuueni [sic] tamquam partem essentia-lem compositioni ; sed poros tantum rerum omnium repletem, & spiritus cœlestis vehiculumesse, datus enim aer in rerum natura non vt componat, cum reliquis elementis, res naturales sedtantum vt sit vehiculum spiritus cœlestis, qui rerum omnium compositionem intrat, & vt sit me-dium coniungendi res superiores hoc est influxus cœlestes, cum inferioribus elementis. » Voiraussi la conclusion générale du chapitre, p. 279 : « His itaque declaratis intrepide concludemus,spiritum cœlestem qui nobis vt cæteris rebus omnibus, per aera communicatur, nihil aeris ipsiusinduere naturæ, & essentiæ, sed solum spiritus cœlestis esse vehiculum vt nobis cæterisque rebusomnibus communicetur. »

314. Cf. L’Abregé des secrets chymiques, I, V (« De l’humide radical de toutes choses, qu’enChymie on appelle Mercure »), pp. 25-26 : « C’est ce qui a trompé & abusé la plus grand part des

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qu’il se revêt des éléments, lesquels lui donnent un « corps visible et palpable » 315 en mêmetemps qu’ils souillent ce corps de leurs impuretés ou excréments 316. L’esprit général dumonde ne contient que virtuellement en lui — « dans son ventre » 317 — les éléments, dansla mesure où ceux-ci ont été produits par Dieu à partir des trois principes, même si la créa-tion tout entière fut, selon l’avis de « beaucoup de Chymiques », et notamment de RaymondLulle, instantanée 318.

Il reste cependant toujours possible de rapprocher la théorie fabrienne de l’esprit généraldu monde ainsi restituée d’une certaine conception stoïcienne du pneuma. L’on sait en effetque les stoïciens ne s’accordèrent pas sur sa nature, certains faisant effectivement de lui uncomposé d’air et de feu, mais d’autres le tenant pour une subtance ignée au-dessus et àl’origine des quatre éléments 319, ce qui est la doctrine de Fabre et de l’écrasante majorité,pour ne pas dire la totalité, des alchimistes partisans du spiritus mundi. Toutefois, cettedoctrine avait également été celle de néoplatoniciens tant antiques que modernes, et c’estessentiellement par leur intermédiaire, en particulier par celui de Ficin 320 relayé par lesparacelsiens, qu’elle se diffusa chez les alchimistes, dont les analyses divergent fréquemmentdès lors qu’elles portent précisément sur les éléments produits à partir du spiritus mundi.

Philosophes, qu’en la generation des mixtes naturels, les Elemens entrassent en leur composi-tion & production ; d’autant que toutes sortes de mixtes se produisent dans iceux, & prennentnourriture, & se conseruent emmy les Elemens : Mais si l’on pese bien & considere cette façon deproduction, nourriture & conseruation, l’on verra que bien qu’elle se fasse dans les Elemens, ellene se fait pas pourtant d’iceux ; mais de cét esprit de vie qui est en eux, & sans lequel les elemensseroient inutiles & vain dans la pâture, comme des corps sans ame & sans vie : car de vray cét es-prit est leur vie & leur ame ; au moyen de laquelle ils font, produisent, & conseruent toutes choses[…]. »

315. Id., II, VII (« Pourquoy la nature ne peut separer les impuretez & saletez qui sont en l’es-prit general du monde, & pourquoy ne peut-elle seule acheuer la Medecine vniuerselle »), p. 156.

316. Cf. id., p. 154 : « le corps du Soleil […] n’est rien plus que cette lumiere fixée encorps de Soleil par la main de Dieu, d’où il nous depart l’esprit general de vie pour la conseruation& production de toutes choses ; lequel esprit de vie venant à se corporifier en esperme general,contracte en cette coagulation les excrements qui sont dans les elements, & principalementdedans l’eau & dans la terre […]. »

317. Cf. id., II, III, p. 121 : « […] c’est la vraye chaleur naturelle & l’humide radical dumonde, duquel toutes choses ont estre, & au moyen duquel toutes choses se conseruent, quienferme dans son ventre les quatre elements & les trois principes Chymiques, Sel, Soulphre &Mercure. »

318. Cf. id., I, VII , pp. 44-45 : « Il y a beaucoup de Chymiques, entr’autres Lulle, qui estimeque Dieu crea les Elemens, & cét esprit de vie qui les viuifie, & les rend pleins de vertu productiue,& autres proprietez concernans la vie, tout en vn instant, & que cét esprit fut le premier creé, enintention & en pensee diuine, & non en temps ; & que du feu naturel de cét esprit les cieux furentfaits, & que de l’humide radical, l’air & l’eau, & que du sel radical la terre fut faite ; & ainsi cétesprit de vie donna le principe aux elements par la puissance diuine, qui les en separa, & mesla àl’instant cét esprit dans ces corps, & les vnit tellement ensemble qu’il est impossible de les enseparer par aucune industrie humaine. »

319. Voir G. Verbeke, L’Évolution de la doctrine du pneuma du stoïcisme à S. Augustin,p. 173. La première thèse fut celle de Zénon ; la seconde, celle de Marc-Aurèle.

320. Voir S. Matton, « Marsile Ficin et l’alchimie… », p. 143.

Alchimie et stoïcisme 87

Beaucoup d’alchimistes, comme de chimistes, de la fin de la Renaissance et de l’Âgeclassique n’adoptèrent pas en effet la doctrine classique des éléments 321. En premier lieu, cesalchimistes remirent en question le nombre canonique de quatre éléments. D’aucuns leréduisirent, tels Johann Joachim Becher ou Guillaume Mennens. Encore que ses vues surles éléments ne soient pas toujours très cohérentes 322, Becher retint seulement pouréléments l’air, l’eau et la terre 323, tandis que Mennens, lui, n’avait retenu que l’eau, le feu etla terre, l’air étant de la même nature que l’eau selon que l’atteste le divin TétragrammeHWHY (YHWH), où l’identité de l’eau et de l’air est marquée par la répétition du Hé 324 : cesont ainsi les eaux célestes, que nous nommons “air”, qui constituent la source continuellede ces eaux inférieures que nous appelons “eaux” 325, lesquelles alimentent jusqu’au feuéthéré — ce qui donne à Mennens l’occasion de citer Cléanthe d’Assos :

« En vérité, si l’on en croit le philosophe Cléanthe, ce feu éthéré ne manque jamaisd’aliment, à cause de quoi, dit-il, l’Océan est placé sous la zone torride, de sorte que,quand le Soleil, accompagné des autres planètes, parcourt aussi l’étendue de ce cercle,il tire sa nourriture de l’eau de l’Océan placée sous lui 326. C’est pourquoi les poètesimaginèrent qu’Océan et Thétis étaient les parents des dieux et des astres, à savoirparce qu’ils leur fournissent leur aliment. Et en raison de cela Homère imagina queles Éthiopiens, riverains de l’Océan et préparateurs de célestes festins, avaient convié

321. Voir en particulier R. Hooykaas, « Die Elementenlehre des Iatrochimiker », Janus, XLI(1937), pp. 1-28.

322. Voir H. Kopp, Beiträge zur Geschichte der Chemie, 3 vol., Brunswick, 1869-1875, III,pp. 201-210 ; Geschichte der Chemie, 4 vol., Brunswick, 1843-1847, I, pp. 178-180, et II,pp. 277-278 ; Die Alchemie in älterer und neurer Zeit. Ein Beitrag zur Culturgeschichte, 2 vol.,Heidelberg, 1886, I, pp. 65-68.

323. Voir A. G. Debus, « Becher », Dictionary of Scientific Biography, p. 549.324. Cf. De Aureo Vellere, I, XI, Anvers, 1604, p. 74 (éd. Theatrum chemicum, V, pp. 318-

319) : « Ex tribus elementis cuncta constare in præcedentibus enarravimus, & non pluribus,videlicet aqua, igne, ac terra ; aërem autem ostendimus vnius ac eiusdem esse naturæ cum aqua, acin nomine sanctissimo tetragrammato vtrumque contineri sub elementis sive literis He & He, &illa tria ex vno prodire demonstrabimus, vt etiam mathematum magistri tria imaginantur prin-cipia, attamen ex vno producta, exempli gratia : Lineam, superficiem, atque corpus, hoc est,longum, latum, atque profundum ex puncto deducunt, quod Epicureorum dogmati subscribit, qui exatomis cuncta creant, vt Pythagorei ex numeris videlicet & vnitate vt causa efficiente : acdualitate vt patiente, siue materia indefinita : cum enim ab vnitate recessum fuit in immensumfluctuatum fuisset, nisi pulcherrimo ordini hanc mundi machinam astrinxisset circumscrip-sissetque aristotechnes omnium. »

325. Id., p. 75 (éd. Theatrum chemicum, V, p. 320) : « Quapropter nisi aquæ præfatæcælestes, quas aera nuncupamus, perpetua continuaque scaturiginis serie ad hasce inferiores aquasdimanarent, geluque addensatæ defluerent, æther siue æstus solaris atque siderum feruentissimustotum hoc vniversum, vt prædictum est, conflagraret consumeretque, propterea in medio aquarumpositum est firmamentum. »

326. Cf. Cicéron, De natura deorum, II, 40 (= J. von Arnim, Stoicorum Veterum Fragmenta,I, 504) : « inquit [Cleanthes], quum sol igneus sit, Oceanique alatur humoribus, quia nullus ignissine pastu aliquo possit permanere […] ».

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à un banquet Jupiter et les autres dieux 327, et avaient fait savoir qu’avait été produittout le reste de ce avec quoi on dresse des banquets, à savoir de l’eau et de lachaleur. » 328

Le rejet par Guillaume Mennens de l’air comme élément ne constituait pas unenouveauté. Dans Le Grand Miroir du monde (Lyon, 1587), Joseph Duchesne (Du Chesne,Quercetanus, ca 1544-1609) 329 avait nié que l’air fût un élément, mais il lui arriva par lasuite de l’accepter en tant que tel 330. Semblablement, Pierre Jean Fabre, après avoir, nousl’avons dit, longtemps tenu l’air pour un élément, reviendra sur cette opinion dans l’Univer-salis sapientia 331.

Plus fréquemment encore que l’air, c’est le feu qu’à la suite de Jérôme Cardan 332 lesalchimistes exclurent du nombre des éléments. Henry de Rochas (ca 1575 - ap. 1654) 333 y

327. Cf. Homère, Iliade, I, 423-427, Odyssée, I, 22-26. Les banquets offerts, selon Homère,par les Éthiopiens aux dieux furent également commentés par Giordano Bruno, ainsi que l’aremarqué D. G. Morhof dans sa Dissertatio de sole igneo, Kiloni, 1672, repris dans lesDissertationes academicæ & epistolicæ […], Hambourg, 1699, p. 238 : « Fabulas etiamPoëtarum (dignum hâc patellâ operculum) pro stabiliendâ suâ sententia in subsidium vocat. Quæenim Homerus de Jove, Diisque cæteris apud Æthiopes juxta Oceanum epulantibus fabulatur,insano commento explicat de Solibus, astris ignitis, ex opacis Planetarum sive terrarumcorporibus (illa enim sub Æthiopum nomine intelligit,) in quibus elementum aquæ dominatur,nutrimentum capientibus. Est vero ille â Mersenno refutatus, ac vivicomburio, si Sorellocredimus, sententiarum suarum audaciam luit. » Voir également M. A. Granada, « Giordano Brunoet la Stoa. Une présence non reconnue de thèmes stoïciens ? », dans : J. Lagrée (éd.), L eStoïcisme aux XVIe et XVIIe siècles, pp. 53-80, ici pp. 79-80.

328. Cf. De Aureo Vellere, I, XI, Anvers, 1604, pp. 72-73 (éd. Theatrum chemicum, V,p. 322) : « Verùm si Cleanti Philosopho creditur, neque æthereus ille ignis fomento destituitur,cuius causa Oceanum sub torrida Zona positum autumat : vt cum Sol, cæteris stellis erraticisconcomitatus, & illius circuli latitudinem oberrat, ex subiecto Oceani humore trahat alimoniam.Itaque Poëtæ, Oceanum ac Thetim, deorum ac stellarum finxere parentes, quod videlicet eisnutrimentum suppeditent. Et ob id Homerus finxit Æthiopes Oceani accolas, atque cælestiumepularum instructores, Iovem cum cæteris diis ad conuiuium appellasse, insinuasseque cæteraomnia gigni, quibus conuiuia instruuntur humore videlicet atque calore. »

329. Sur Duchesne, voir la notice de A. G. Debus dans : Ch. C. Gillispie (éd.), Dictionaryof Scientific Biography, IV, New York, 1971 ; bibliographie à compléter par L. Thorndike, AHistory of Magic and Experimental Science, VI, pp. 247-251 ; B. T. Moran, The AlchemicalWorld of the German Court…, pp. 115-122 ; A. G. Debus, The French Paracelsians, passim.

330. Voir A. G. Debus, The French Paracelsians, pp. 54-55. Selon Debus, cette réintroduc-tion de l’air comme élément serait dictée par un souci de symétrie : aux trois élements actifs quesont les principes paracelsiens, sel, soufre, mercure, répondent trois éléments passifs, eau, air,terre.

331. Cf. Universalis sapientiæ, seu Panchymici tomus ultimus, II, III, Toulouse, 1654,pp. 298 sqq. Fabre maintient cependant l’air comme véhicule du spiritus mundi (cf. p. 298 :« cum ergo aer non ingrediatur compositionem sed tantum repleat poros vt deferat spiritum lucis,non potest esse elementum, sed vehiculum spiritus cœlestis »).

332. Cf. De rerum varietate, I, II, éd. Opera, Lyon, 1663, III, pp. 7-9 ; De subtilitate, II, éd.Opera, III, pp. 372 sqq.

333. Voir colonel de Rochas d’Aiglun, Notice biographique sur Henry de Rochas, Sr

d’Ayglun, Ingénieur des Mines, Conseiller et Médecin ordinaire du roi Louis XIII, Grenoble,

Alchimie et stoïcisme 89

voit un élément « chimeriquement imaginé par les Peripateticiens » et ignoré desphilosophes sacrés 334. Pour ce dernier motif, et conformément à une tradition paracelsienneet alchimique qui avait sa source tout à la fois dans le De consideratione quintæ essentiæ (ca1351/52) de Jean de Rupescissa (Roquetaillade) 335, dans le néoplatonisme ficinien et dans laGenèse, Pierre Jean Fabre se borna longtemps à substituer le “ciel” au “feu” 336, maintenantdonc, par delà ce changement terminologique, les quatre éléments 337 ; en revanche, Fabreopéra réellement la suppression du feu, avec celle de l’air, dans l’Universalis sapientia 338. Etil est remarquable que les stoïciens eux-mêmes aient parfois pu se voir invoqués pour

1907 ; S. Matton, « Henry de Rochas plagiaire des Trois livres des elemens chymiques etspagyriques de Jean Brouaut ».

334. Cf. La physique démonstrative, Paris, 1642, II, II, pp. 109-110 : « La nature se sert dedeux principaux instruments pour composer tous les mixtes, le premier est ce feu vivifiant ouesprit universel qui par toutes les parties de l’vniuers produict les effects de sa puissance, par lafecondité qu’il donne à toutes choses : Mais il tire ses principalles facultés du Soleil ; le secondinstrument est vn feu particulier donné par cet vniuersel à chasque mixte pour son entretien, quiest fomenté, par les continuelles vertus que luy influë son pere caché dans les rayons du Soleil. /Et c’est-là le seul feu de nature, non pas cette chaleur devorante ennemie jurée de la vie, ceprincipe des morts qui destine tous ses subjects à la ruine, & à la cendre, comme il estchimeriquement imaginé par les Peripateticiens ; les philosophes sacrés parlant, du ciel, de l’air,de la terre, & des deux eaux n’auroient pas obmis sa necessité pour la composition de touteschoses, si elle eust esté telle comme plusieurs se sont persuadés ; en somme s’il y auoit vnelement du feu, il auroit des-ja embrasé vniuersellement toute la nature ; celuy la doibt donc estreestimé entierement aueugle qui cherche autre feu elementaire, que dans le corps du soleil sonprincipe. » Voir aussi La Physique reformée, p. 1 : « Qu’il n’y a point de feu Elementaire ».

335. Voir R. Halleux, « Les ouvrages alchimiques de Jean de Rupescissa », Histoirelittéraire de la France, t. XLI, Paris, 1981, pp. 241-284 ; M. Pereira, The Alchemical Corpusattributed to Raymond Lull, Warburg Institute Surveys and Texts, 18, Londres, 1989, pp. 9-20 etpassim.

336. Cf. L’Abrégé des secrets chymiques, chap. VIII (« Du Ciel, premier element naturel »),pp. 48 sqq. ; Panchymici seu anatomiæ totius universi […] opus, t. I, pp. 50 sqq. Pour unexemple de cette substitution antérieur à Fabre, voir notamment P. Severinus, Idea mediciniæphilosophicæ, Bâle, 1571, V, pp. 40-41 : « Tanta opinionum uarietate, confusionibus & errori-bus, implicata est doctrina Elementorum, ut nulla ingenij dexteritate, sententiæ tam disparesconciliari possint. De Terra, communi omnium parente, Aqua, Aëre, consentiunt multi : Igneumuerò Elementum, quia remotum est, nec ita sensibus obuium, obscuram & dubiam explicationemsortitum est. Priora illa tria, fœcunditate Generationum, Generatorum conseruatione, & corrup-tionum testimonio, uitæ usura, repentè Elementorum appellationem obtinuerunt : de Igne ueròuehementer dubitandum est. Aristotelici Cœlum à corruptibili Elementorum familia planèseiunxerunt. À superiori Aëris regione, ad concauum Lunæ ignem collocarunt, motu leuium corpo-rum persuasi, quæ sursum rectà tendunt. Alij, inter quos est Plinius, Cœlum uel Firmamentum,ignem esse dixerunt, & quartum constituere Elementum. PARACELSVS Mosaicæ philosophiæ dis-cipulus, hanc sententiam magna authoritate confirmauit».

337. On pourrait imaginer que Cléanthe ait pu pousser Pierre Jean Fabre à substituer le “ciel”au “feu” dans la série des quatre éléments, l’insistance de Cléanthe à distinguer entre le feu vital etle feu ordinaire devant lui être connue, pour avoir été rapportée par Cicéron dans son De naturadeorum (Cf. II, 41 [= J. von Arnim, Stoicorum Veterum Fragmenta, I, 504]). Mais Fabren’invoque sur ce point que le récit de la Genèse.

338. Cf. Universalis sapientiæ seu Panchymici tomus ultimus, pp. 296-298.

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justifier ce retranchement du feu du nombre des éléments. Ainsi dans un ouvrage dédié àRobert Boyle, la Compendiaria et perfacilis physiologiæ idea, Aristotelicæ forteconformior, physicæ practicæ ac chymicis experimentis accomodatior et aptior, quam quævulgo in scholis obtinuit, et in amplis Jesuitarum monumentis conspicitur (Londres,1676), Alexander Pitcarne, ou Pitcairn (Pitcarnius, ca 1622-1695) 339, pasteur et professeurde philosophie anticartésien qui s’intéressa à la chimie même s’il ne fut pas alchimiste, nieque le feu soit un élément en remarquant :

« On dira que le feu forme, conserve et réchauffe toutes choses. Je réponds : soit,mais que s’ensuit-il ? Aristote (De la génération et corruption, II, 9, texte 55) ne niepas que “le feu soit le plus actif [des élements] et le plus capable de mouvoir” 340, etPlaton dit dans le Timée que le feu est comme l’agent et la terre comme lamatière 341. Il veut dire en effet que le feu est au plus haut point actif et la terre auplus haut point passive. C’est pourquoi la terre est appelée le ventre du monde (àsavoir le ventre dans lequel sont transportées les semences des choses qui doiventêtre engendrées). Zénon, au témoignage de Cicéron (De la nature des dieux, II), ditque la nature n’est rien d’autre qu’un feu artiste 342, et le feu est appelé “maître desarts”, non pas qu’il soit d’une nature simple, mais parce qu’il est constitué d’unechaleur d’une qualité extrêmement actuée et extrêmement apte à produire et àcorrompre les choses. C’est pourquoi Aristote (De la sensation et des sensibles, I)enseigne que le feu n’agit qu’en tant que chaud, comme s’il disait, quand on traite dela puissance et de la vertu active du feu, qu’il ne sert à rien de rechercher de quellenature ou de quelle substance il est constitué. Car si l’on regarde dans l’ordre del’action, “la nature du feu est sèche” et “le propre du feu est la chaleur” 343 : que l’onrecherche soit la nature soit la propriété du feu en tant que tel, on trouvera seulementla sécheresse et la chaleur. » 344

339. Voir G. Wallas, « Pitcarn, Alexander », dans : S. Lee (éd.), Dictionary of NationalBiography, XLV, pp. 337-338.

340. De generatione et corruptione, II, 9, 336a 11-12.341. Il s’agit là d’une interprétation plutôt que d’une citation.342. Voir ci-dessus, note 151.343. De sensu et sensili, 4, 441b 11-12.344. Compendiaria et perfacilis Physiologiæ Idea, Londres, 1676, sect. 6 (« De numero

elementorum ubi excluditur ignis »), pp. 14-15 : « Dices, Ignis omnia format, conservat etfovet. Res. Esto, quid inde sequitur, …ª √◊ƒ ¥c≥§«…` √∑§|±µ ≤`® ≤§µ|±µ non diffitetur Philo-sophus. Gen. et Cor. 2. l. 9. text. 55. et Plato in Timeo dicit ; ignem esse quasi agentem, &terram quasi materiam. Vult enim ignem esse maxime activam [sic] & terram maxime passivam,hinc terra Mundi uterus (in quem viz. rerum gignendarum semina transmittuntur) nuncupatur. Zenoteste Cic. lib. 2. de nat. deorum, dixit naturam nihil aliud esse nisi ignem artificiosum, & ignisvocatur artium Magister, non quod natura simplici, sed quia calore qualitate actuosissima, & ad resefficiendas & corrumpendas aptissima constat. unde Philosophus de sensu & sensib. cap. 4.Docet, ignem non nisi quatenus calidum agere ac si dixisset quando de }µÄƒz|§` & virtute activaignis agitur, nihil attinet inquirere qua natura quave substantia constet, si enim spectetur in

Alchimie et stoïcisme 91

Certains chimistes ou alchimistes n’acceptèrent même aucun des quatre élémentscanoniques. Dans son Tyrocinium chymicum (Paris, 1612), traduit en français sous le titrede Les Elemens de chymie (Paris, 1615), Jean Béguin (ca 1550 - ca 1620) 345 ne retient pouréléments que les trois principes paracelsiens 346. À son tour, Henry de Rochas souligne queles quatre éléments des péripatéticiens ne sont pas réellement des éléments, aucun n’entrantdans la composition des mixtes 347 : comme le voulait déjà Fabre, le ciel, l’air, l’eau et laterre ne sont pour de Rochas que les quatre colonnes véhiculant l’esprit universel 348.

En combinant les trois principes paracelsiens avec l’ensemble ou quelques-uns desquatre éléments traditionnels, d’autres alchimistes augmentèrent au contraire le nombre deséléments. C’est le cas de Pierre Jean Fabre lui-même dans l’Universalis sapientia.Supprimant le feu et l’air de la suite des éléments, Fabre porte le nombre de ces derniers dequatre à cinq, à savoir l’eau, la terre, le soufre ou huile, l’esprit ou mercure et le sel 349.Fabre emprunta très certainement cette suite au chimiste Étienne de Clave, qui, quoi qu’onen ait dit 350, n’était pas foncièrement hostile à l’alchimie 351. De Clave l’avait en effet

ordine ad actionem, ∂äƒd ê …∑◊ √�ƒª» ⁄Õ«§» ©{§∑µ …ª £Äƒ¥∑µ }«…§ sive naturam, siveproprietatem ignis qua talis inquiras, solam siccitatem et calorem reperies. »

345. Voir P. M. Rattansi, article « Beguin, Jean », dans Ch. C. Gillispie (éd.), Dictionaryof Scientific Biography, I, pp. 571-572.

346. Voir H. Metzger, Les Doctrines chimiques en France du début du XVIIe à la fin du XVIIIe

Siècle, pp. 35-44.347. Cf. La Physique demonstrative, Paris, 1642, II, IV, pp. 148-149 : « Ie dis donc, que

n’ayant trouué que ces trois principes dans les mixtes, ie ne suis pas obligé de croirefantastiquement, qu’il y ayt autre chose. C’est donc erreur de croire, que les quatre elementsentrent en la composition des mixtes ». Voir aussi La Physique reformée, contenant la refutationdes erreurs populaires, et le triomphe des veritez philosophiques, la genealogie des elemens, etdes principes, l’origine, et les operations de la nature, en la generation et production desanimaux, vegetaux ; et mineraux, Paris, 1648, p. 24, où de Rochas explique que l’air « n’estpoint Element, ny Principe », et p. 47, où il explique que « La Terre n’entre point à laComposition des Mixtes ».

348. Cf. La Physique demonstrative, II, II, p. 108 : « cet esprit se communique encore àtoutes les creatures inferieures, par le moyen de quatre colomnes, qui sont le ciel, l’air, l’eau, & laterre ». De Rochas emprunte peut-être ici à P. J. Fabre, qui avait écrit dans L’Abregé des secretschymiques (I, VII, p. 44) : « Ces quatres substances colomnes du monde qui furent créées du DieuTout-puissant, selon l’opinion de quelques Philosophes Chymiques, sont le Ciel, l’air, l’eau & laterre, car ils ne font point differnce entre le feu & le ciel, le ciel n’estant que feu, & le feu n’estantque ciel. »

349. Cf. Universalis sapientiæ, seu Panchymici tomus ultimus, pp. 296 sqq. : « sunt autemhæc quinque elementa aqua terra sulphur seu oleum, spiritus seu Mercurius, & sal ».

350. Voir, par exemple, O. Bloch, La Philosophie de Gassendi, pp. 238-239.351. Cf. Nouvelle lumière philosophique des vrais principes et elemens de nature et qualité

d’iceux, Paris, 1641, pp. 181-182 (à propos du feu des alchimistes) : « […] leur feu naturel, quenous cognoissons parfaitement, & qu’il ne nous est pas permis de reueler, dautant que nousl’auons découuert par vne profonde meditation, qui vous fera tousiours distinguer & tirer dunombre des Alkimistes grossiers & ignorans, auec leurs feux de Lampe, de bois ou de charbon.Enfin ces Philosophes Hermeticiens par ce feu de la nature, continué paruiennent iusques à lablancheur parfaitte, ayans pour lors acquis la moitié du Royaume Philosophique, & ainsicontinuans tousiours le mesme feu, cette blancheur se change en rougeur permanente à toutes

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énoncée en ces mêmes termes dans sa Nouvelle lumiere philosophique des vrais principes etelemens de nature et qualité d’iceux (Paris, 1641) 352, et dès 1624 dans les thèses que,conjointement avec Antoine Villon, il avait proposé de soutenir publiquement 353. Mais deClave ne faisait lui-même que reprendre une théorie déjà émise par Joseph Duchesne dans LeGrand Miroir du Monde, où n’étaient conservés, à côté des trois principes paracelsiens, queles deux éléments mosaïques : eau et terre 354. Quant à William Davisson, ce sont sept élé-ments qu’il adopte en suivant Severinus, soit le feu, l’air, l’eau, la terre, le sel, l’huile ousoufre et le mercure ou fluor 355.

Ces mélanges des principes paracelsiens avec les éléments classiques témoignent de lagrande hétérogénéité des doctrines des éléments et des principes, ainsi que des relationsqu’ils entretiennent, élaborées par les alchimistes de la Renaissance et de l’Âge classique.Par exemple les diverses combinaisons des trois principes sel, soufre, mercure et des élé-ments classiques contredisent les doctrines déjà contradictoires — comme le fit remarquer lepère Gaetano Felice Verani (1648-1713) dans sa Philosophia universa speculativa peripate-

espreuves. Ce que nous auons dit cy-dessus de cette operation n’assure pas que nous y soyonsparuenus, ne l’ayant iamais experimenté : mais nous auons declaré l’intension des Hermeticiens,& assuré seulement que nous auons découuert le secret du feu naturel, qui est vn des principaux &des plus necessaires de la Philosophie Chymique, que nous promettons de declarer à quiconquepourra depurer la matiere Hermetique. »

352. Cf. id., pp. 159-160 ; voir aussi chap. II (« De l’impossibilité du feu elementaire »,pp. 4 sqq., et chap. V (« de l’air »), pp. 26 sqq. De Clave proclame (p. 5) être le premier à avoirrejeté les quatre éléments d’Aristote. Mais il critique également les trois principes de Paracelse ;cf. chap. VI (« Des elemens & du nombre d’iceux »), pp. 39-40 : « il ne se faut pas esmerueiller, siAristote n’a pas premierement recognu le nombre des elemens, non plus que leurs qualitezpremieres, puisqu’il a ignoré la vraye resolution & reduction des mixtes en leurs elemens, nymesme Paracelse, qui a sceu la resolution d’iceux en leurs principes, qu’il appelle plus sensiblesMercure, Soufre & Sel, lesquels il a toutefois creu resulter du meslange des quatres elemensPeripatetiques: Ce que nous refuterons exactement cy-aprés.» Voir encore, contre Severinus,p. 40 : « Nous dirons à present en bref, que les elemens estans les corps simples qui entrent en lacomposition des mixtes, sont ceux qui se doiuent trouuer pareillement en leur resolution. Or est-ilque nous ne trouuons que cinq corps simples en leur derniere resolution : Par consequent nouspouuons dire qu’il y a cinq elemens, & non plus, quoy que clabaudent fastueusement apres Pierre,Seuerin, Danois, quelques chymistes ignorans, qui font des distinctions friuoles de principes &d’elemens, comme s’ils estoient distinguez les vns des autres ».

353. Voir B. Joly, « Les références à la philosophie antique dans les débats sur l’alchimie audébut du XVIIe siècle », dans D. Kahn et S. Matton (éd.) Alchimie : art, histoire et mythes,pp. 671-690.

354. Voir A. G. Debus, The French Paracelsians, p. 51.355. Cf. Commentariorum in […] Petri Severini Dani Ideam medicinæ philosophicæ […]

prodromus, éd. cit., p. 297 : « Elementum est minima pars Elementati. Elementa sunt numeroseptem, in tres distincta ordines, in volatilium, fixorum & Mercurii ambigui. Fixorum terra, sal& ignis : volatilium, oleum seu sulphur, aqua, aër, quorum præcipuum est Mercurius, aut Fluor.Praeterea horum tria sunt invisibilia & exemplaria ; quatuor visibilia. Invisibilia, ignis, aër &Mercurius : visibilia sunt Elementata, invisibilia vero Elementantia : & sicut anima in corpore ;sic elementa in Elementatis : Elementatum enim nihil aliud est quam corpus tenebricosum &mortuum Elementi, qui spiritus & vita est. Hic spiritus ex astris seu seminibus emanavit, qui suosfructus edunt, nempe corpora. »

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tica (Munich, 1684) 356 — de Paracelse, pour qui les trois principes constituent lescomposants des quatre éléments, et des paracelsiens pour qui ce sont les quatre éléments quicomposent les trois principes 357.

Remarquons enfin qu’il n’est pas jusqu’à la transmutation mutuelle des éléments, ac-ceptée par les stoïciens, qui n’ait été contestée par certains alchimistes, dont Becher n’estpas l’un des moins éminents 358, encore qu’il n’ait pas montré une totale constance sur cepoint, puisque dans l’Experimentum chymicum novum il accepte la transmutation de l’eauen terre démontrée par les expériences de Van Helmont, Boyle et de Rochas, transmutation àpropos de laquelle il rappelle qu’elle était acceptée par beaucoup d’Anciens, dont Zénon :

« Il n’y a rien d’étonnant que dans cette expérience de de Rochas l’eau se soitchangée en terre, attendu que Van Helmont et Boyle ont produit de nombreusesexpériences de ce genre. C’est d’ailleurs déjà là une antique opinion, puisqueAthénagoras cite le témoigne suivant tiré d’un des Anciens, Orphée :

ıF≤ …∑◊ —{`…∑» •≥Œ» ≤`…Ä«…ä,

“De l’eau fut fait du limon” 359.Ce à quoi un auteur grec, le scoliaste d’Apollonius, ajoute :

ıF∂ •≥§∑◊ }x≥c«…ä«| ¤¢·µ `—…ä,

“Du limon fut produite la terre”.Avis auquel souscrirent Thalès, Homère, Zénon, Hésiode et beaucoup d’autres. » 360

Il est donc difficile de soutenir qu’en ce qui concerne la théorie des éléments et desprincipes, la physique du Portique ait fourni un quelconque modèle aux alchimistes de laRenaissance et de l’Âge classique. Même la réduction des principes paracelsiens au statut

356. Voir Philosophia universa speculativa peripatetica…, Munich, 1684, t. II, p. 52, etS. Matton, « Gaetano Felice Verani et l’alchimie », à paraître dans Chrysopœia, VI (1977).

357. Voir, pour Paracelse, R. Hooykaas, « Die Elementenlehre des Paracelsus », Janus,XXXIX (1935), pp. 175-187, et W. Pagel, Paracelse, traduction française de M. Deutsch, Paris,1963, p. 133 ; pour les paracelsiens, R. Hooykaas, « Die Elementenlehre des Iatrochimiker », etW. Pagel, loc. cit. L’anonyme rédacteur du Dictionaire hermetique contenant l’explication destermes, fables, enigmes, emblemes et manieres de parler des vrais philosophes […], Paris, 1695,explique ainsi (p. 157) : « Ces principes sont universels & engendrez des quatre élemens, & sontcomme de seconds élemens, d’autant qu’ils sont contenus dans tous les mixtes »).

358. Voir A. Debus, notice citée du Dictionary of Scientific Biography.359. Cf. Athénagoras, Legatio pro christianis, éd. Migne, P. G., VI, col. 928A.360. Experimentum chymicum novum, cap. IV, p. 61 (éd. Leipzig, 1738, p. 305) : « quod

enim in hâc de Rochos [sic] operatione, aqua in terra mutata sit, non mirum est, cum Helmontius& Boyleus multa ejusmodi producant experimenta, estque jam antiqua opinio ; ex Orpheo unuspriscorum nempe Athenagoras, hoc citat testimonium :

ıF≤ …∑◊ —{`…∑» •≥Œ» ≤`…Ä«…ä,Ex aqua limus factus est,

Huic subjungit Scholiastes Apollonii, Græcus quidam Author.ıF∂ •≥§∑◊ }x≥c«…ä«| ¤¢·µ `—…ä,Ex limo terra producta est.

Cui sententiæ subscribunt Thales, Homerus, Zeno, Hesiodus, multique alii. »

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qui était celui des éléments classiques n’implique pas l’adoption par les alchimistes duconcept d’élément tel qu’il était reçu par les stoïciens : la définition zénonienne des élémentsfut ainsi ouvertement repoussée par Johann Conrad Barchusen (1666-1723) 361 dans sesElementa chemiæ (Leyde, 1718) — édition révisée de sa Pyrosophia, succincte atquebreviter iatro-chemiam, rem metallicam et chrysopoeiam pervestigans (Leyde, 1698).Traitant « des principes chimiques en général », et négligeant de mentionner la distinctionzénonienne entre “principe” (aƒ¤ç) et “élément” («…∑§¤|±∑µ), Barchusen détaille :

« […] la raison demande que nous sachions ce que sont les principes des corps etquel est leur nombre. Par principe, donc, nous entendons une certaine matièresimple, très ténue, incapable de se changer en une autre forme par elle-même, sansl’addition de quelque chose. Le Stagirite a défini autrement que moi le mot principe,et a dit : “Les principes sont ce qui ne vient pas d’autre chose, ni mutuellementd’eux-mêmes, mais ce dont viennent toutes choses” 362. De manière encore différente,Zénon, le premier des stoïciens, nomme élément “ce dont vient d’abord tout ce quise fait et en quoi finalement tout se résout” (Diogène Laërce, VII 363). Mais parce quel’une et l’autre définitions apparaissent trop obscures, nous avons avancé ici lanôtre, comme étant plus claire, afin que chacun sache ce que nous croyons qu’il fautentendre par un principe chimique. » 364

Dans ces conditions, lors même que des éléments sont communs aux stoïciens et auxalchimistes, cela ne signifie aucunement que les uns et les autres les entendent de manièreidentique. Dans une dissertation « sur la terre » de ses Acroamata (Utrecht, 1703), Barchusen

361. Voir O. Hannaway, « Johann Conrad Barchusen (1666-1723), contemporary and rivalof Boerhaave », Ambix , XIV (1967), pp. 96-111, et sa notice dans Ch. C. Gillispie (éd.) :Dictionary of Scientific Biography, I, pp. 451-452.

362. Cf. Aristote, Physica auscultatio, I, V, 188a 27-28.363. Diogène Laërce, VII, 1, 188. 32-33 Cobet : « Ç«…§ {Å «…∑§¤|±∑µ }∂ ∑‘ √ƒ‡…∑� zßµ|…`§

…d z§µ∫¥|µ` ≤`® |•» ø Ç«¤`…∑µ aµ`≥Õ|…`§ ». Barchusen utilise la traduction latine de Traversari(cf. ibid. et éd. Lyon, 1551, p. 309 : « Est autem elementum ex quo primò prodeunt quæ fiunt, &in quod extremum soluuntur. »)

364. Cf. Pyrosophia, lib. I, sect. I, cap. III (« De Chymicis Principiis in Genere »), pp. 6-7(Elementa chemiæ, Leyde, 1718, p. 6) : « II. Ne autem ejusdem vitii nos participes increpemur,ratio postulat ut sciamus, quid, & quot sint corporum Principia. Per Principium ergo intelligimusmateriam aliquam simplicem, separatam, & [exilissimam Elementa chemiæ] per se sine alicujusadditione in aliam formam transmutabilem [transmutari nesciam Elementa chemiæ], quæ cumreliquis Principiis concurrens, ex hisce rebus sublunaribus corpus quoddam constituit [quæ —constituit om. Elementa chemiæ]. Aliter quidem Stagirita, ac ego [ac ego om. Elementa chemiæ],vocem Principii definivit, & dixit. Principia sunt, quæ neque ex aliis sunt, neque ex se mutuo, sedex quibus omnia. Aliter Zeno, Stoicorum Princeps, vocat Elementum, ex quo primo prodeunt quæfiunt, & in quod extremum resolvuntur, ut habet Diog. Laert. in L. VII. At quoniam hæc & illadefinitio nimis obscura videbantur, eapropter nostram, tanquam magis dilucidatam [perspicuamElementa chemiæ], heic subteximus [protulimus Elementa chemiæ], ut unicuique innotesceret,quid per Principium quoddam Chymicum intelligendum esse, putem [putemus Elementachemiæ]. »

Alchimie et stoïcisme 95

insiste ainsi sur la différence qui sépare la conception des chimistes de celles de certainspenseurs antiques, entre autres de « certains stoïciens », mentionnés par Calcidius :

« Démocrite et Épicure attribuent à des connexions mutuelles, disposées de façonparticulière et formant jusqu’à un certain degré des figures, le fait que cette terre soitune certaine continuité de corpuscules, lesquels sont saisis par l’entendement plutôtque par les sens. D’autres ajoutent une qualité, comme Anaxagore, qui pense que lanature et propriété de toutes les matières se trouve amassée en chacune d’elles.D’autres, comme Diodore [le mégarique] et certains stoïciens, pensent que la subti-lité de la matière résulte de la petitesse de corps indivisibles, dont le nombre seraitinfini, et dont tant la réunion que la séparation seraient fortuites. (Si l’on désire ensavoir davantage sur cela, qu’on lise le commentaire de Calcidius sur le Timée dePlaton 365.) Mais par “terre” les chimistes entendent un corps chaud, insipide, im-muable, duquel l’artiste ne peut en aucune manière extraire quoi que ce soit. » 366

Matière et forme

Jean-Paul Dumont a estimé que si « les stoïciens anciens, et Chrysippe en particulier »ont rendu « pensable et possible la pratique de la transmutation et de la teinture métal-lique », c’est premièrement parce qu’ « ils inaugurent un travail sur les concepts de com-posé, de forme et de matière, qui sera jugé indispensable par les philosophes alchimistesjusqu’au XVIIe siècle ». Selon Dumont, « on assiste à une matérialisation de la forme et dela matière, même si les principes ne sont pas eux-mêmes à proprement parler descorps » 367. En réalité, s’il est parfaitement exact que certains alchimistes — mais non pastous, tant s’en faut, beaucoup d’entre eux se satisfaisant pleinement, surtout jusqu’au XVIe

siècle, des conclusions aristotéliciennes — ont jugé indispensable un travail sur lesconcepts de matière et de forme, il serait erroné de croire qu’un tel travail les ait majoritai-

365. Cf. Calcidius, Commentarius in Timæum, CCIII, éd. J. H. Waszink, Plato latinus, 4,Londres, 1962, p. 222.

366. Cf. Acroamata, Dissertatio XX (« De Terra »), pp. 223-224 : « Quam terramDemocritus & Epicurus esse continuationem quandam corpusculorum, quæ intelligantur potius,quam sentiantur, connexis sibi invicem assignant in aliquo modo positis, & aliquatenusfiguratis. Alii qualitatem addunt, ut Anaxagoras, qui omnium materiarum naturam & proprietatemin singulis materiis congestam esse censet. Alii propter exiguitatem individuorum corporum,quorum numerus in nullo fine sit, subtilitatem materiæ contexi putant, ut Diodorus, & nonnulliStoicorum, quorum corporum sit fortuitus tam cœtus quam segregatio. Plura, si de his cupiatis,adeatis tunc Chalcidem in Platonis Timæum. Sed Chemici intelligunt per eam corpus siccum,insipidum, immutabile, ex quo nullo pacto artifex quicquam extrahere potest. »

367. J.-P. Dumont, « Les a priori philosophiques de l’alchimie classique… », p. 18 [81].Thèse reconduite par B. Joly, La Rationalité de l’alchimie au XVIIe siècle, p. 86 : « C’est parréférence à ce modèle stoïcien qu’a pu être poursuivi [au XVIIe siècle] l’important remaniement duconcept de matière première que rendaient nécessaire les développements de la pensée alchi-mique. »

96 Sylvain Matton

rement conduits à adopter ou simplement à rejoindre les thèses stoïciennes. Quand il a lieu,l’abandon par les alchimistes des conceptions aristotéliciennes de la matière et de la formes’articule pour l’essentiel, et pas nécessairement de manière exclusive, soit sur des positionsdogmatiques paracelsiennes, épicuriennes 368, voire cartésiennes 369, soit sur une attitudeépistémologique de défiance à l’égard de toute spéculation métaphysique, attitude quelquefoisinspirée par la critique de Pierre de La Ramée (Ramus, 1515-1572) 370. On ne voit pas, enparticulier, de réinterprétation spécifiquement stoïcienne des concepts de matière et de formechez les deux auteurs qu’ont étudiés Jean-Paul Dumont et Bernard Joly : Johann JoachimBecher et Pierre Jean Fabre 371.

368. Voir H. Metzger, Les Doctrines chimiques en France du début du XVIIe à la fin du XVIIIe

Siècle, pp. 247 sqq.369. Voir H. Metzger, id., pp. 236-247 ; A. Mothu, « La pensée en cornue… »; J.-F. Mail-

lard, « Descartes et l’alchimie : une tentation conjurée ? » dans : F. Greiner (éd.), Aspects de latradition alchimique au XVIIe siècle, Actes du colloque international de l’Université de Reims (28 et29 novembre 1996), à paraître dans « Textes et Travaux de Chrysopœia ».

370. L’influence de Pierre de La Ramée s’exerça principalement dans les milieux allemands ;voir S. Matton, « L’alchimie chez les ramistes et semi-ramistes », Argumentation, V (1991),pp. 403-446.

371. Dans La Rationalité de l’alchimie au XVIIe siècle, p. 63, n. 47, à propos de la révisionalchimique du concept aristotélicien de matière première, B. Joly nous demande de noter « la trèsgrande similitude entre les thèmes développés par l’Œdipus chemicus [sic] de J. J. Becher,qu’étudie Jean-Paul Dumont et ceux du Manuscriptum ad Fridericum de Pierre-Jean Fabre, alors querien n’indique que les deux auteurs aient eu connaissance des travaux l’un de l’autre ». On peut enréalité affirmer sans hésiter que Fabre, mort en 1658, n’a pas eu connaissance des travaux deBecher, dont tous les traités parurent après la rédaction du Manuscriptum ad Fridericum, dernierouvrage de Fabre, et dont le premier que Fabre aurait pu lire, parce que rédigé en latin, l’Olitoropportunus , fut publié l’année même de la mort du médecin de Castelnaudary (pour labibliographie de Becher, voir H. Hassinger, Johann Joachin Becher, 1635-1682. Ein Beitragzur Geschichte der Merkantilismus, Veröffentlichungen der Kommission für neuere GeschichteÖsterreichs, 38, Vienne, 1951, pp. 254-272). En tous état de cause, Fabre n’a pas pu lirel’Œdipus chimicus, paru huit ans après sa mort. D’autre part, l’on peut également affirmer queBecher a bien eu connaissance des travaux de Fabre, puisqu’il le censure en ces termes dans saPhysica subterranea, Francfort, 1669, p. 204 : « Gellij enim dictum observandum est, qui loquivult, quod nemo intelligat, magnam rem præstat, si taceat, tali ergò inutili theoriâ & loquacitateplurimi libri scatent, quorum authores sine experientiâ Philosophati sunt, de Fabro Monspeliensisatis mirari nequeo, quòd non erubuerit tàm aperta mendacia scribere, narrat mihi R. D. CarolusBendegin, se ejusdem famâ & amore hujus scientiæ ex Italiâ in Galliam, virum convenisse, sed nefurnum quidem vel vidisse, vel minimam praxin in homine animadvertisse. » (« […] quant à Fabrede Montpellier, je ne cesse de m’étonner qu’il n’ait point rougi d’avoir écrit de si grossiersmensonges. Monsieur le Révérend Charles Bendegin me rapporte qu’en raison de la renommée deFabre, et par amour pour cette science, passant d’Italie en France, il lui rendit visite, mais ne vitpas même un fourneau ni ne remarqua chez lui la moindre pratique. » — Voir aussi la préface duTripus hermeticus fatidicus, éd Francfort, 1689, p. 8, où Becher écrit plus amènement : « Huicmalo itaque, cum alii remedia ponere deberent & in compendium redigere, non furnos modò,verùm etiam operationes & processus in infinitum quasi produxêre, idque adhuc sub Charitatistirocinii in artis formam redactione, ut in Libavio, Beguino, Fabro, le Febure, Rolfinckio,Glaubero, Hartmanno, Schrôdero aliisque quamplurimis videmus & observamus. »).

Alchimie et stoïcisme 97

En ce qui concerne Becher, c’est au prix d’une lecture pour le moins tendancieuse etpassablement forcée que Jean-Paul Dumont a tenté de lui faire endosser une tuniquestoïcienne. Voici le texte invoqué :

« De la vraie matière première des chimistes.Puisque la science chimique est une science pratique, elle a assurément un sujet

matériel et pratique. C’est pourquoi elle pose comme matière première ce qui pourelle tombe premièrement sous le sens et les mains. Or telle ne peut être la matièrepremière des aristotéliciens, puisque celle-ci ne peut être saisie que par la raison,sans pouvoir être appréhendée par les yeux et par les mains. Une autre matièrepremière doit donc être recherchée, et c’est bien sûr la matière seconde desaristotéliciens, qui est la première des chimistes, à savoir les accidents de la matièrepremière aristotélicienne, car ceux-ci se prêtent au traitement chimique. Cependant ilfaut savoir pourquoi les chimistes prennent les accidents pour la première matièredes choses : c’est en raison de l’ordre où ils tombent en premier lieu sous leur yeux,à savoir dans la semence. La semence est en effet la première matière des choses dupoint de vue de l’ordre où l’on peut traiter de celle-ci. Ainsi la semence du bœuf, dunavet et du plomb est la première matière du bœuf, du navet et du plomb qui tombesous nos yeux et sous nos mains 372. C’est pourquoi, chaque fois que chez leschimistes il est fait mention de la matière première des corps, il faut toujoursentendre la semence d’un corps déterminé. » 373

Il est évident que le « sujet » de la chimie est ici tout simplement son « objet », et qu’ilest faux de prétendre avec Dumont que « subjectum a ici le sens fort et étymologique dematériau sous-jacent et de substrat, et correspond au grec hypokeiménon » 374. Il est nonmoins évident que le fait de dire que la matière première des chimistes est la matière seconde

372. Dumont, « Les a priori philosophiques de l’alchimie classique… », p. 5 [66], traduit :« c’est bien évidemment parce que ce sont eux qui tombent d’abord sous nos yeux, et plusparticulièrement dans la semence (nempe in semine), car la semence est la matière première deschoses, pour autant qu’on puisse en parler : la semence du bœuf, du légume et du plomb est lamatière première du bœuf, du légume et du plomb, qui tombent [sic] sous nos yeux et nos mains ».

373. Cf. Œdipus chimicus, § 5 (« De verâ Chimicorum primâ Materiâ »), éd. Manget,pp. 308-309 : « Cùm Chimica scientia practica sit, subjectum, etiam habet materiale &practicum, quare id pro prima materia statuit, quod primùm ei sub sensum & manus cadit, taleautem Aristotelicorum prima materia esse nequit, cum illa tantum ratione comprehendi, oculisverò manibusque apprehendi non possit, alia meritò nobis quærenda erit, nempe Aristotelicorumsecunda, quæ Chimicorum prima est, puta primæ materiæ Aristotelicæ accidentia, hæc enimtractationi Chimicæ inserviunt ; Sciendum autem est, qua ratione Chimici accidentia pro primârerum materiâ sumant, eo scilicet ordine quo primùm ob oculos cadunt, nempe in semine ; semenenim prima est rerum materia, in ordine quo eam tractare licet, sic semen bovis, rapi, plumbi, estprima materia bovis, rapi, plumbi quæ nobis sub oculos & manus cadit, quare quotiescunque apudChimicos primæ corporum materiæ mentio fit, semper ejus corporis semen subintelligi debet[…]. » Pour l’ensemble de la traduction que Dumont donne de ce texte, nous renvoyons à sonarticle, « Les a priori philosophiques de l’alchimie classique… », pp. 65-66.

374. Dumont, « Les a priori philosophiques de l’alchimie classique… », p. 4 [65].

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d’Aristote n’implique aucunement que la matière première au sens aristotélicien constitueune « chimère théorique » 375 : simplement la chimie ne porte pas sur elle et par conséquent,selon Becher, n’a pas à se préoccuper d’elle, de son existence ou de son inexistence. Enconséquence, la chimie n’a pas davantage à se soucier d’une matière première telle que laconcevaient les stoïciens, à savoir une matière corporelle (ou, si l’on préfère, matérielle)informe et passive, substance sans qualité qui constituerait le substrat du cosmos, et donttoutes les autres choses, y compris les éléments, seraient des affections 376. Car une tellematière, tout comme la matière aristotélicienne, reste en soi imperceptible et non mani-pulable.

Ainsi, chez les auteurs mêmes qu’allèguent les partisans de la thèse d’un stoïcismefournissant les « a priori philosophiques » ou le « modèle » de l’alchimie de l’âge classique,on ne discerne nullement un retour aux conceptions stoïciennes de matière et de forme. Bienplus, lorsque la conception stoïcienne de la matière a l’heur de se voir citée par unalchimiste, ce n’est pas nécessairement pour être clairement exposée ni expressémentapprouvée. Tel est le cas de Johann Conrad Barchusen, grand admirateur de Becher. Opérantun rapprochement entre la conception des stoïciens et celle des platoniciens qui avait déjàété effectué par Juste Lipse dans sa Physiologia stoicorum 377 — lequel les rapprochaitencore de celle d’Aristote 378 —, Barchusen écrit dans la dissertation sur Hyles, Chaos etPrima Materia publiée dans ses Acroamata :

« Reste à expliquer la matière première, sur laquelle tant les philosophes que lesalchimistes ont toujours disserté d’incroyable façon. Les stoïciens, au témoignage de

375. Id., p. 4 [66]. Becher consacre d’ailleurs une section de l’Œdipus chimicus à la matièrearistotélicienne, qu’il ne traite nullement de « chimère théorique », mais qualifie simplement, ettrès classiquement, d’« être de raison ». Cf. § 3 (« De Materiâ primâ Aristotelicorum »), éd.Manget, p. 308 : « Non pauci Chimici sunt, qui ajunt Chimicorum materiam, unam eandemqueesse cum Aristotelicis, quare omnibus corporibus sublunaribus inesse atque exinde elici posse,autumant : verùm quamdiu talis materia sui corporis accidentia & formam continet, tamdiu proprima, universali & informi statui nequit, talem verò materiam à corporibus arte non elici auttractari posse quilibet animadvertet, qui sciet materiam absque forma & accidentibus tractabilemnon esse, cùm veriùs Ens rationis quam materia sit. » C’est d’ailleurs ce que dit Dumont lui-mêmep. 3 [65].

376. Cf. Diogène Laërce, VII, 137 ; Plotin, Ennéades, II, 4, 1 (= J. von Arnim, Stoicorumveterum fragmenta, I, 493) ; voir aussi S. Sambursky, Physics of the Stoics, Londres, 1959 (rééd.Westport, 1973), p. 18.

377. Cf. Physiologia stoicorum, dissert. II (« Materia prima, alterum Principium, descripta.Æternam esse ; Non augeri, non minus : Non item pati. »), éd. Opera, I, p. 844. Juste Lipse seréfère également au De dogmate Platonis d’Apulée, mais non pas aux mêmes lignes queBarchusen.

378. Cf. ibid. : « Neque Aristoteles est in aliâ mente, qui Materiam substantiam esseadfirmauit [en marge : VIII. Phys. cap. I & VII Metaphys. cap. III] : sed sensu quem PosidoniusStoicus aperit : E§`ŸÄƒ|§µ {Å …éµ ∑À«ß`µ …ï» —≥ä» …éµ ∑”«`µ, ≤`…d …éµ Ã√∫«…`«§µ, {§`µ∑ßl¥∫µ∑µ : Differre substantiam quæ exsistit, à Materiâ, ratione & intellectu tantùm. » Pour le textede Posidonius, voir Arius Didyme, 20, 548, 8-11 (= Poseidonios, Die Fragmente, éd. W. Theiler,Berlin – New York, 1982, p. 190, F. 267).

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Diogène Laërce (liv. VII), “appellent la substance de toutes choses matière première,et matière celle à partir de laquelle toute chose, quelle qu’elle soit, est composée” 379.Et les platoniciens, au témoignage d’Apulée (De dogmate Platonis), “déclarent que lamatière est incréable et incorruptible, et qu’elle n’est ni le feu ni l’eau ni un autredes principes ou éléments simples, mais de toutes les réalités la première capable deformes et sujette à être façonnée, encore brute et privée de la qualité d’une forme” 380.La matière première est donc le sujet de toutes les formes substantielles et desaccidents, parce que si elle recevait une forme, elle ne serait plus nommée matièremais corps. Quant à savoir si la matière existe sans la forme ou, inversement, laforme sans la matière, et pareillement si on se la peut représenter, il ne m’appartientpas de le déterminer. Vous me demandez ce que moi j’en pense, puisque j’ai avancéles opinions des autres ? Je dirais que j’ai l’esprit lent à saisir ces choses, et que je nepuis en aucun cas concevoir une quelconque matière sans la concevoir en mêmetemps étendue et configurée de telle ou telle façon. Et de même je ne puis concevoirune forme sans que ne me vienne en même temps à l’esprit quelque matière soitsolide, soit liquide, soit d’une autre nature, ou possédant une longueur ou unelargeur ou une profondeur. » 381

La thèse qui veut que l’alchimie classique ait eu pour modèle la doctrine stoïcienne destrois niveaux de la réalité, à savoir celle des principes, des éléments et des corps 382,n’apparaît donc pas fondée. Les alchimistes ne prirent pour modèles ni la théorie stoïciennedes principes ni celle des éléments, pour la simple raison qu’ils connaissaient fort mal cesthéories quand ils ne les ignoraient pas totalement avec la plupart de leurs contemporains.

379. Cf. Diogène Laërce, VII, 191, 30-33 Cobet : « ∑À«ß`µ {Ä ⁄`«§ …˵ ºµ…›µ b√cµ…›µ…éµ √ƒ‡…äµ —≥äµ, fl» ≤`® YƒÕ«§√√∑» }µ …° √ƒ‡…ñ …˵ ⁄�«§≤˵ ≤`® Gçµ›µ. —≥ä {Ä }«…§µ }∂ î»π…§{ä√∑…∑◊µ zßµ|…`§. »

380. Cf. Apulée, De dogmate Platonis, V, 191.381. Cf. Acroamata, in quibus complura ad iatro-chemiam atque physicam spectantia,

jocunda rerum varietate, explicantur, Utrecht, 1703, Dissertatio IX (« Hyles, Chaos & PrimaMateria »), pp. 117-125, ici pp. 123-124 : « Superest materia prima explicanda, de qua etiamtam Philosophi quam Alchimistæ incredibilem in modum disseruerunt semper. Stoici, teste Diog.Laertio libr. VII. rerum omnium substantiam, materiam primam : & materiam, ex qua quidvisconstat, appellant. Et Platonici, teste Apulejo in Dogm. Plat. commemorant materiam impro-creabilem, incorruptamque : atque hanc non ignem, neque aquam, nec aliud de principiis <&>absolutis esse elementis : sed ex omnibus primam figura<ru>m capacem, factionique subjectam,adhuc rudem, & figurationis qualitate viduatam. Est ergo materia prima subjectum omniumformarum substantialium & accidentium ; quod si formam nacta fuerit, non amplius materia, sedcorpus nominatur. Utrum vero materia absque forma : & vicissim forma absque materia existat,hancque taliter quispiam sibi imaginari possit, mei non est determinare. Quid ipse existimemquæritis ? adhuc enim aliis opinionibus accomodavi manum. Dicam, mihi in percipiendis hiscetardum esse ingenium, & neutiquam concipere posse materiam aliquam, nisi insimul conceperoeandem hoc vel alio pacto figuratam atque extensam : Et iterum concipere me non posse formam,quin insimul mihi in mentem veniat alicujus materiæ vel compactæ vel liquidæ vel alterius naturæaut longitudinem aut latitudinem aut profundum habentis. »

382. Cf. J.-P. Dumont, « Les a priori philosophiques de l’alchimie classique », p. 18 [81].

100 Sylvain Matton

Cette ignorance nous semble significativement illustrée par Fabio Glissenti († ca 1620) 383

dans son Breve trattato nel qual moralmente si discorre qual sia la Pietra di Filosofi, publiéavec ses Discorsi morali contra il dispiacer del morire (Venise, 1596), ouvrage qui futtraduit en latin, sous le titre de Brevis tractatus in quo de lapide philosophorum moraliterdisseritur (Giessen, 1671) 384 par le médecin Lorenz Strauss (1603-1687) 385, surtout connupour avoir traduit, toujours en latin, le Discours fait en une celebre assemblé […] touchantla guerison des playes par la poudre de sympathie (Paris, 1658) de Kenelm Digby (1603-1665) 386. Glissenti n’est pas alchimiste, ou il n’est, si l’on veut, qu’un alchimistepurement spirituel dans la mesure où son Breve trattato consiste à donner une interprétationexclusivement morale de l’alchimie, en ramenant tous les discours sur le grand œuvre —aussi bien ceux portant sur la pratique que ceux relevant de la théorie — à l’expressiond’une quête du souverain Bien, dont la pierre philosophale serait simplement l’allégorie.Dans le chapitre VIII, où il s’emploie précisément à « prouver par l’autorité des alchimistesque la pierre des philosophes n’est pas une médecine pour faire de l’or matériel », etexamine « les opinions de certains philosophes [antiques] concernant cette question », àsavoir leurs théories des principes naturels, en lesquels consiste leur « pierre », Glissentiomet l’opinion des stoïciens, qu’il ne manque pourtant pas de mentionner, en la personne deZénon, sitôt que s’éloignant de la question technique des principes, il passe à desconsidérations physico-morales sur la mort et l’immortalité :

« Et parce que, parmi ces causes premières, il y a les principes naturels, d’au-cuns veulent que lesdits principes soient cette pierre. Mais parce que les causes pre-mières ont été diversement interprétées par beaucoup de gens, leur pierre varie aussien fonction de ces opinions. Certains — dont les péripatéticiens — prétendent que lapierre est ce principe naturel, c’est-à-dire la matière appétitive de la forme par priva-tion. D’autres, comme Thalès de Milet, mettent la Pierre dans les eaux, car ils pré-tendent que c’est d’elles que toutes choses ont été engendrées. Anaximène l’a misedans l’air, Héraclite d’Éphèse dans le feu, Anaxagore de Clazomènes et Épicure dansles atomes, Parménide dans les qualités chaudes et froides, Diodore [le mégarique],Démocrite et Leucippe dans le vide et le plein, Pythagore dans le nombre, Empé-docle dans la discorde et l’amitié des quatre éléments. En bref, leurs recherches despremiers principes et des causes des effets furent très diverses. Ainsi, lorsqu’ils arri-

383. Voir la notice de Weiss dans Biographie universelle (Michaud), XVI, Paris, 1856,pp. 636-637 (s.v. « Gliscenti ») ; F. Hoefer, Histoire de la chimie…, Paris, 1843, II, p. 131.

384. Fabii Glissenti Brevis tractatus in quo de lapide philosophorum moraliter disseritur.Latinitate donatus à Laurentio Straussio Med. D. & Prof. P., Giessen, 1671.

385. Voir Biographisches Lexikon der hervorragenden Ärzte aller Zeiten und Völker, V,Munich – Berlin, 1962, p. 452.

386. Cf. Digbæi oratio de vulnerum per pulverem sympatheticum sanatione […] in latinumsermonem versa a Laurentio Strauss cum eiusdem Strauss epistola ad Digbæum, dans Theatrumsympatheticum, Nuremberg, 1660, pp. 1-192. Sur K. Digby, voir J. R. Partington, A History ofChemistry, II, pp. 423-426.

Alchimie et stoïcisme 101

vèrent au point qui leur semblait indépassable par la nature, ils s’arrêtèrent là et ap-pelèrent ce point la pierre, c’est-à-dire le terme de leurs spéculations. D’autres pré-tendent que le monde est éternel ; et voyant que toutes choses s’engendrent l’une del’autre, avec corruption de la première, ils ont posé par leur pierre la génération et lacorruption. Et parce que nulle chose ne peut être engendrée d’une autre si la corrup-tion ne l’a pas précédée, et parce que les choses qui se corrompent meurent, ils ontestimé que la mort elle-même était la pierre des philosophes. Car nulle chose mor-telle n’achève son existence sans s’achever en mort, et nulle chose ne commence àexister sans commencer par la mort. C’est pourquoi les éléments s’engendrent l’unde l’autre avec la mort du premier : l’air s’engendre du feu avec la mort du feu, l’eaude l’air avec la mort de l’air, la terre de l’eau après sa corruption et sa mort, et ainside suite. Et de cette belle conclusion Aristote s’est servi dans son livre De la généra-tion et de la corruption, lorsqu’il dit que la génération d’une chose est la mort d’uneautre, et la mort de l’une est la génération de l’autre. Il s’ensuit que nulle chose nepeut être engendrée dans les choses inférieures si elle n’a pris naissance de la mortd’une autre chose précédente 387. Donc cette cause commune appelée mort, et dési-gnée par Aristote sous le nom de privation, d’aucuns en ont fait leur pierre, commeun terme stable, vers lequel se jettent toutes les choses mortelles et d’où elles tirentleur origine, étant donné que nul effet ne peut être entièrement connu, qu’il soit uncorps composé ou simple, si l’on ne résout pas ses principes et s’il ne meurt pastout d’abord. Et il semble que Platon se soit accordé avec cette opinion, lorsqu’il adéfini la philosophie en disant qu’elle est “méditation sur la mort” 388 ; d’où l’on ap-pelle le philosophe “celui qui médite sur la mort”. Telle est cette pierre sur laquellebeaucoup ont trébuché, ne pouvant aller plus avant par leur entendement. Tu encomprendras mieux certains, comme Platon, Socrate, Zénon, et d’autres, en voyantque beaucoup de choses naturelles sont incorruptibles, comme l’âme raisonnable quine peut s’achever par la mort, mais qui va se perpétuant à travers les siècles. Ils ontaccordé que dans les choses mortelles, la mort est la Pierre ; et ils ne se sont pas ar-rêtés là : dans les immortelles, allant plus loin, ils ont connu que tous les effets seréduisent à une cause première, qui diffuse sa vertu, à travers les moyens termes,jusqu’aux derniers effets, en procédant selon l’ordre de composition ; puis, s’élevanten sens inverse selon l’ordre de résolution, ils ont finalement atteint Dieu. Ils ontdonc conclu que leur pierre était Dieu, première cause, sans principe, pierre, dis-je,au-delà de quoi on ne peut aller, pierre où il convient de s’arrêter, pierre stable, etbien digne d’être dite pierre des philosophes. » 389

387. Cf. Aristote, De generatione et corruptione, I, III, 318a.388. Cf. Platon, Phædo, 67D.389. Cf. Breve trattato nel qual moralmente si discorre qual sia la Pietra di Filosofi, cap. VIII

(« Si proua con le stesse autorità de gli Alchimisti, che la Pietra de i Filosofi non è medicina perfar Oro materiale, e delle opinioni di alcuni Filosofi intorno à lei. »), dans Discorsi morali contrail dispiacer del morire, Venise, 1596, ff. 583v-584r : « E perche frà queste prime cause sono i

102 Sylvain Matton

LE MéLANGE TOTAL

À l’appui de leur thèse, Jean-Paul Dumont et — à sa suite — Bernard Joly 390 ont allé-gué avec insistance la théorie chrysippienne du mélange total (≤ƒk«§» {§’ æ≥›µ) tellequ’elle nous a été rapportée par Alexandre d’Aphrodise dans son De mixtione (216) 391.

principij naturali, alcuni vogliono che i detti principij siano questa Pietra ; ma perche diuersa-mente sono state da molti reputate le prime cause, perciò secondo le diuerse opinioni varia ancola loro Pietra. Volendo alcuni, & i Peripatetici, che la Pietra sia quel principio naturale, cioè lamateria appetitiua della forma per priuatione. Altri come Talete Milesio pose la Pietra nell’acque,volendo che da queste fossero tute le cose generate. Anassimene la puose nell’aria. EraclitaEffesio nel fuoco. Anassagora Clazomeno, & l’Epicuro ne gli Atomi. Parmenide nelle qualitàcalde, e fredde. Diodoro, Democrito, e Leucippo nel uuoto, e nel pieno. Pitagora nel numero.Empedocle nella lite, e nell’amicitia de i quattro elementi ; in somma furono varij nell’inuesti-gare de i primi principij, e le cause de gli effetti : si che quando si trouarono giunti colà, doue pa-reua loro, che naturalmente più oltre non si potesse passare, quiui fermandosi chiamarono quelpunto Pietra, cioè il termine delle loro speculationi. Altri volendo che il Mondo sia stato eterno :e uedendo che tutte le cose si generano l’una dell’altra, con la corrottione della prima statuironoper loror Pietra la generatione e la corrottione ; e perche non si può generare cosa alcuna da un’al-tra se prima non precede la corrottione, e perche le cose che si corrompono muoiono, perciò sti-marono che la Morte stassa fosse la Pietra de i Filosofi ; poi che nessuna cosa mortale finisce diessere, che non finisca in morte ; e nessuna cosa commincia ad essere, che non comminci dallamorte ; impercioche gli elementi si generano l’vno dall’altro con la morte del primo, del fuoco sigenera l’aria con la morte del fuoco, dell’aria l’acqua con la morte dell’aria, di quella la terra con lasua corrottione e morte precedente, e così discorrendo. E di questa bella conclusione si seruìAristotele nel libro della Generatione, e Corrottione, dicendo. La generatione d’una cosa è lamorte d’un altra, e la morte dell’una è generatione dell’altra. Onde cosa alcuna non si può dar ge-nerata nelle cose inferiori, che dalla morte d’alcuna altra precedente non habbia hauuto l’origine.Questa causa dunque commune chiamata Morte, e da Aristotele compresa sotto il nome della priua-tione, fù la Pietra di alcuni, come termine stabile, a cui corrono tutte le cose mortali, e da cuitraggono l’origine, essendo che nessuno effetto intieramente si possa conoscere, sia corpo com-posito, ò semplice se non si rissoluene i suoi principij, e se prima non muore. E pare che a questaopinione acconsentisse Platone quando diffinendo la Filosofia, disse, che ella è Contemplationedi Morte ; di doue il Filosofo si verrebbe a nomare speculatore di Morte. E questa è quella Pietranella quale molti urtarono, non potendo col loro ingegno tra passare più oltre. Alcuni meglio in-tendi come Platone, Socrate, Zenone, & altri, uedendo che molte cose naturali sono incorrotti-bili, come l’anima ragioneuole che non può terminar con la morte, ma che si và perpetuando coisecoli, posto che nelle cose mortali concedessero esser Pietra la morte, nelle immortali però nons’acquetarono : ma passendo più oltre conobbero che tutti gli effetti si riducono ad una primacausa, la quale infonde la sua uirtù per li mezzi fin a gli ultimi effetti, procedendo con l’ordinecompositiuo ; & eglino col ressolutiuo salendo allo indietro diedero finalmente di petto in Dio ;si che tennero che la loro Pietra fosse Iddio, prima causa, senza principio, pietra dico, oltre di cuinon si può passare, pietra in cui conuiene fermarsi, e pietra stabile, e ben digna di dirsi Pietra diFilosofi. » Voir aussi la traduction latine de L. Strauss, Brevis tractatus… pp. 76-78.

390. Voir J.-P. Dumont, « Les a priori philosophiques de l’alchimie classique… », pp. 13-15 [76-77], « Deux hypothèses concernant l’interprétation stoïcienne de l’art tinctorial :Alexandre d’Aphrodise et la villa des Vettii », pp. 328-335, « Préface » à B. Joly, La Rationalitéde l’alchimie au XVIIe siècle, pp. 13-15 ; B. Joly, id., pp. 91-92 ; « Physique stoïcienne etphilosophie chimique au XVIIe siècle », pp. 188-189.

391. Cf. De mixtione, éd. Bruns, p. 216, 14 (= J. von Arnim, Stoicorum Veterum Frag-menta, II, 154, 19).

Alchimie et stoïcisme 103

Ayant cru déceler sa présence dans l’Œdipus chemicus de Becher, Dumont en a « attribué larésurgence à la large diffusion, au début du XVIIe siècle, de la Manuductio et de la Physio-logia stoicorum de Juste Lipse » 392. Attribution malencontreuse, car l’on ne trouve nulletrace de cette théorie dans les traités de Lipse. Toutefois, chose que paraissent ignorerDumont et Joly, il n’était guère possible que le De mixtione d’Alexandre d’Aphrodise restâtignoré de l’ensemble des alchimistes de la Renaissance et de l’Âge classique, dès lors qu’ungrand nombre d’entre eux étaient médecins et que, réciproquement, beaucoup de médecins semêlèrent d’alchimie, même s’ils ne travaillèrent pas au grand œuvre. Ainsi, dans l’édition del’épître De origine alchemiæ, distillationis aquarum, et olei modis, ac illorum usu deJohann Lange (1485-1565) une note marginale renvoie à propos du mélange des composés àla fois au livre IV des Météorologiques d’Aristote et au De mixtione d’Alexandre d’Aphro-dise 393. L’opuscule d’Alexandre ne pouvait guère manquer d’intéresser tout particulièrementles médecins, du fait que dans l’In Hippocratis librum de natura humana commentarius etdans le De methodo medendi Galien avait souligné l’opposition entre la conception aristoté-licienne du mélange et celle, qu’il repousse, des stoïciens 394. Or le texte du De mixtione futassez tôt à la disposition des érudits : le texte grec fut édité à Venise dès 1527 ; en 1540 leprofesseur de philosophie et de médecine à Tübingen Jakob Degen, dit Schegk (Schegkius,Scheggius, 1511-1578) 395, en procura une version latine qu’il fit précéder d’un De causacontinente 396 où il analyse, pour la rejeter, la conception stoïcienne de la cause formelle ; en1546 Angelo Canini (1521-1557) 397 publia sa propre traduction latine, trois fois réédi-tée 398 ; enfin le Padouan Gaspar Gabrielli (ca 1495-1553), qui enseigna la médecine àFerrare, le traduisit à nouveau, après 1541, mais sa traduction ne fut pas imprimée 399. Lesalchimistes pouvaient donc facilement avoir accès à ce texte. C’est ainsi que dans la Lista dinomi di scrittori chimici et di libri di diversi (XVIIe s.) contenue dans un manuscrit alchi-mique de la Biblioteca Nazionale Centrale de Florence, figure l’ « Opusculum Alexandri

392. « Deux hypothèses concernant l’interprétation stoïcienne de l’art tinctorial… » ,p . 329 .

393. Cf. Epistolæ, LIII, éd. Francfort, 1589, pp. 269-277, ici p. 272 : « De mixturacompositorum, lege Aristotel. lib. 4. Meteor. & Alexand. Aphrod. in libro de mixt. »

394. Voir ci-dessous notes 411 et 413.395. Voir la notice de Ch. B. Schmitt dans : Ch. C. Gillispie (éd.), Dictionary of Scientific

Biography, XII, pp. 150-151.396. De causa continente, autore D. Iacobo Scheckio. Eodem interprete. Alexandri

Aphrodisæi de mixtione libellus, Tübingen, 1540. Réédité à Bâle en 1558. Voir F. E. Cranz,« Alexander Aphrodisiensis », dans P. O. Kristeller (éd.), Catalogus translationum et commen-tariorum : Mediaeval and Renaissance Latin Translations and Commentaries. Annotated Lists andGuides, Washington, 1960, I, pp. 77-135, ici pp. 113-114.

397. Voir la notice de R. Ricciardi dans Dizionario biografico degli italiani, XVIII, Rome,1975, pp. 101-102.

398. À Venise, en 1549, 1555, 1559. Voir F. E. Cranz, « Alexander Aphrodisiensis », loc.cit.

399. Cette traduction est conservée à la Biblioteca Universitaria de Padoue, Ms 682. VoirF. E. Cranz, « Alexander Aphrodisiensis », loc. cit.

104 Sylvain Matton

Afrodisei de Mistione » 400. En outre, ceux qui n’avaient pas accès à ce De mixtione pou-vaient fort bien avoir une connaissance indirecte de la doctrine stoïcienne du mélange totalqui y est exposée grâce à la lecture d’ouvrages de médecine comme le commentaire composépar Jean Riolan sur le De abditis rerum causis (Paris, 1548) de Jean Fernel (ca 1497-1558) 401, cet Ad libros Fernelii de abditis rerum causis commentarius (Paris, 1598) deRiolan étant particulièrement important dans la mesure où Fernel fut rapidement élevé aurang d’une autorité par les alchimistes en raison du chapitre XVIII du Livre II du De abditisrerum causis, où le grand médecin se montre favorable à l’alchimie 402, encore que cela fûtcontesté par certains anti-alchimistes comme le médecin huguenot Jacques Aubert (ca 1500-1587) 403 dans ses Progymnasmata in Ioannis Fernelii medici librum De abditis rerum natu-ralium et medicamentorum causis (Bâle,1579) 404 et, à sa suite, par Nicolas Guibert 405.

Fernel, pour sa part, assoit sur des bases aristotéliciennes sa théorie des principes et deséléments constitutifs des corps 406. Selon lui, si les principes fondamentaux que sont la

400. Cf. Biblioteca Nazionale Centrale, Palatino 867, vol. X, ff. 24r-25v, ici f. 24v.401. Voir L. Figard, Un Médecin philosophe au XVIe siècle, Étude sur la psychologie de Jean

Fernel , Paris, 1903 ; C. S. Sherrington, Endeavour of Jean Fernel, Cambridge, 1946 ;M. L. Bianchi, « Occulto e manifesto nella medicina del Rinascimento : Jean Fernel e PietroSeverino », cit. supra note 180.

402. Cf., par exemple, P. Borel, Bibliotheca chimica, éd. Paris, 1654, p. 93 (Heidelberg,1656, p. 89) : « Fernelius libro de Abditis rerum causis, cap. 18. lib. 2. de lapide Philosophicooptimè disserit, & se calluisse eum testatur, processumque eius docet. » La « PhysiologiaFernelij » est également incluse dans la Lista di nomi di scrittori chimici et di libri di diversi citéesupra p. 103 et note 400. Voir encore les textes de Theobald van Hoghelande, Israël Harvet(l’« Anonyme d’Orléans » qui donna un commentaire du Tractatus vere aureus de lapidisphilosophici secreto d’Hermès) et de Pietro Maria Canepari cités dans notre article, « MarsileFicin et l’alchimie… », pp. 124, 125, 181, 185, 190.

403. Voir Dictionnaire de biographie française, IV, Paris, 1941, col. 32.404. Cf. Progymnasmata in Ioan. Fernelii med. librum de Abditis rerum naturalium et

medicamentorum causis : quibus adduntur quorundam grauissimorum morborum curationes, Bâle,s. d. [= 1579], Exerc. LII (« An Fernelius philosophicum lapidem probauerit ? »), p. 292 :« Bona sufflonum pars, & eorum præsertim, qui cæteris præstant, certè sua spe falluntur : quippe,qui Fernelium libro secundo [en marge Cap. 18], de Abditis rerum causis lapidem philosophicumprobare contendunt. Longè enim secus sensit ille, ueluti ex Eudoxo, qui omnia diluit argumenta, àBruto de isto lapide proposita, licet cuique percipere. Etenim Eudoxus Philiatrum carbonariorumelixir, ut quid abditum & supernaturale admirantem sic interrogat : Siccíne (inquit) è philosophiaad diuitias habendi desiderio quasi inflammatus raperis ? Vide ne quod postremò additum estfabulam detegat. Hæc Fernelius quibus lapidem Philosophicum nihil aliud ese, nisi uanorumhominum & impostorum figmentum perspicuè demonstrat. Quare tanto uiro, & de ueraphilosophia & medicina bene merito magnam faciunt iniuriam, ipsum dementiæ insimulantes.Imò uerò ipsos ludit, & artis imposturas detegit. »

405. Cf. Alchymia ratione et experientia ita demum viriliter impugnata et expugnata, unâcum suis fallaciis et deliramentis, quibus homines imbubinârat, ut nunquam imposterum se erigerevaleat, II, XI (« De Fernelio, et vtrum Alchymiæ fauerit »), Strasbourg, 1603, pp. 85-87, et De in-teritu alchemiæ metallorum transmutatoriæ tractatus aliquot, Toul, 1614, II, tract. III, pp. 108-113.

406. Pour un bon exposé de cette théorie, voir L. Figard, Un Médecin philosophe au XVIe

siècle, pp. 115 sqq.

Alchimie et stoïcisme 105

matière et la forme, antérieurs aux éléments, ne peuvent être saisis que par la raison, leséléments — dont les combinaisons presque infinies produisent tous les corps de l’univers— ne sont ni des concepts, ni des qualités, mais des substances matérielles absolumentindécomposables, isolables et théoriquement perceptibles dans leur état de pureté 407, bienqu’ils échappent à la grossièreté de nos sens. La combinaison substantielle constitutive descorps consiste par conséquent uniquement dans l’action réciproque des qualités spécifiquesdes éléments, qui ne sont pas modifiés par elle. C’est pourquoi il faut écarter la traditionscolastique, illustrée par Thomas d’Aquin et Duns Scot, selon laquelle les éléments, quidésignent non des substances mais des qualités, ne se rencontrent jamais à l’état isolé etn’ont aucune existence effective dans la mesure où leur présence dans les corps se réduirait àune modification qualitative et où ils perdraient leur forme propre, à laquelle se substitueraitla forme du composé, lorsqu’ils entrent dans la composition d’un corps. Il faut égalementécarter l’idée proprement inintelligible que les substances des corps se mélangenttotalement. C’est donc bien ici la théorie stoïcienne du mélange total, comme l’aparfaitement vu son commentateur Jean Riolan, que rejette formellement Fernel, même s’ilne se réfère pas aux stoïciens, mais voit la source de cette idée chez Plotin 408. Quand donc,au chapitre XII de son Ad libros Fernelii de abditis rerum causis commentarius, Riolantraite de la manière dont se mélangent les éléments, il expose, en renvoyant au De mixtioned’Alexandre d’Aphrodise, et pour les repousser, les arguments avancés par les stoïciens enfaveur de leur doctrine du mélange substantiel contre la doctrine aristotélicienne du mélangedes seules qualités adoptée par Fernel 409 et par lui-même. Une même théorie des éléments et

407. Cf. Physiologia, II (« De elementis »), III, éd. Leyde, 1645, p. 111 : « Elementumenim corpus est simplex, ex quo quidque primum constituitur ». Les élements se trouventnaturellement dans leur état de pureté dans certains lieux de l’univers, par exemple la terre aucentre du monde, ou le feu dans les cieux (voir id., II, VI, p. 117).

408. Voir id., II , cap. VII. Texte reproduit ci-dessous, Appendice II, pp. 140-142.409. Cf. Ad libros Fernelii de abditis rerum causis commentarius, cap. VIII (« Modvs mixtio-

nis exponitur »), dans Opera omnia, Paris, 1610, p. 12 : « Magna dissensione certant Stoïci cumPeripateticis, an elementa ≤`…d «‡¥`…`, penes substantias, an ≤`…d √∑§∫…ä…`», penes qualitatestantùm misceantur. Placet Stoïcis substantias ipsas & formas elementorum, permisceri,Peripateticis solas qualitates : quibus fauet Galenus, sic autem illi obiiciunt Stoïcis : elementaæ≥` {§ı æ≥∑µ, tota totis commiscentur, atqui non possunt substantiæ substantiis permisceri sinepenetratione dimensionum : deinde, quæ miscentur, prius remitti necesse est, vt actione & per-pessione mutua temperentur ; intentio & remissio sunt qualitatum propriæ, non formarum, misce-rentur ergo qualitates, non formæ. Respondent Stoïci, dimensiones sese penetrare non esse ab-surdum. Causam enim continentem, quam Zeno nominatim ignem appellabat, dispersam pervniuersum, eiusque præsentia nullam mundi particulam esse destitutam : lumen quoque, cùm sitcorporeum, corpus perlucidum, vt vitrum, vndique permeare : quibus videntur hæc attestari :Primò, quod elychnium totum oleo perfundatur. Secundò, quòd accrescat corpus & in omnes di-mensiones simul extendatur, alimento in omnes corporis particulas effuso : Tertiò, quòd vas ple-num cineribus, non minus aquæ continet quàm si vacuum esset : Postremò, quòd sudor corpus &cutem peruadat. Verùm ignem Stoïcorum, vt animam mundi, Platonicorum scriptis celebratam,Aristotelei multis argumentis refellunt, quæ nos collegimus lib. de anima mundi. Lumen verò nonesse corpus Aristot. aduersus Empedoclem demonstrauit, nec defuerunt qui intentionalem tantumqualitatem, non realem esse defenderunt, tantum abest vt illud corpus esse iudicarent. Lana aqua

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du mélange opposée à celle des stoïciens pouvait ainsi être reçue aussi bien par des partisansque par des détracteurs de l’alchimie, puisque Riolan, qui reproche à Fernel d’avoir parlé dela pierre philosophale 410, se rangeait parmi ces détracteurs.

La doctrine stoïcienne du mélange total s’est vue également repoussée par des alchimis-tes adoptant une doctrine non aristotélicienne des éléments. Ainsi dans un passage de sonAd Iacobi Auberti Vindonis de metallorum ortu et contra chemistas brevis et dilucidaresponsio (Lyon, 1575), où il s’inspire manifestement de la Physiologia de Fernel, JosephDuchesne, qui polémiqua aussi avec Riolan, rejette la conception stoïcienne du mélange, ense rangeant sur ce point à l’avis de son adversaire Jacques Aubert. Duchesne remarque :

« Les philosophes posent que les métaux, comme tous les autres corps mixtes, sontconstitués de deux matières : l’une, qui est la matière générale et très éloignée, se tiredes éléments comme de ce qui est au premier rang de toutes choses, les choses étantcomposées de ces éléments comme de ce qu’il y a de plus simple, et les plussimples d’entre elles se résolvant en eux. D’autre part, que seules les qualités et lesvertus des éléments se transforment mutuellement et se mélangent totalement, lespéripatéticiens le soutiennent contre les stoïciens 411, lesquels s’emploient au

madens, aut elychnium oleo perfusum, aëre excluso, in capacitates liquorem admittit, quo totumimbuitur, sic per cineres aqua diffunditur, eius tamen magna portione exhalante : sudor laxioriscutis meatus præterfluit, eoque copiosor, quò cutis laxior. Sed considera, quæso te per sacrasMusas, lector, quanta consequutione absurdorum premantur, qui duo corpora sese penetrare arbi-trantur. Omne corpus quantum & dimensum, quia continuum, infinitè diuiduum est, infinitè diuiduinon datur minimum, quare minimorum per minima transitu, vt illi loquuntur, non fit permixtiodimensionumque penetratio. Quòd si minima & indiuidua Democriti corpuscula, xysmatis & ra-mentis minutiora ab Arist. tot locis tam doctè & subtiliter confutata ponerentur, corporum sub-stantiæ tanquam in nihilum redactæ, sese mutuo destruerent. / Facessat igitur Stoïcorum commen-tum, & elementa penes qualitates permisceri concludamus : prius tamen alterum illorum argumen-tum diluamus. Formæ, inquiunt, non intenduntur, neque remittuntur, quid si respondero formasquidem perfectas, quales mixtorum, non intendi, imperfectas verò, quales primorum et simpliciumcorporum, intendi & remitti posse ? quot sunt docti & celebres Physici, qui elementorum formasnon alias cognoscunt, quàm primas qualitates ? Id enim inquiunt quod definit, & definitum abomni alio separat, forma est specifica & essentialis, elementa autem non aliter differunt, quàmprimis qualitatibus, quæ idcirco specificæ nominantur, ecquid aliud ignis, quàm primum calidum ?quánam alia qualitate agit, quàm calore ? At qualitas actiua est formalis : faciamus tamen ignotisquatuor formis atque substantiis elementa differre, an ipsæ formæ remittuntur ? minimè verò : sedelementa qualitatibus primum alterata, deinde formis vnita, permiscentur, quæ præterea solentquæri & disputari, explicantur libro de Temperamentis. » Riolan note en marge, à propos deGalien : « Gal. ad lib. Hip. de nat. hom. », à propos de Zénon et des arguments des stoïciens :« Lege Aphrodis. lib. de mixtione. », et à propos du début du second paragraphe : « Modus mix-tionis soli Deo & naturæ miscenti cognitus, Gal. ».

410. Cf. Ad libros Fernelii de abditis rerum causis commentarius, cap. XIX, « Digressio inchymistas », éd. Opera omnia, p. 168 : « Consultius fecisset Fernelius, si lapidis philosophicidescriptionem silentio obruisset, ne credulos & rerum nouarum cupidos in foueam calamitatisautoritate sua præcipitaret. »

411. Cf. Galien, In Hippocratis librum de natura humana commentarius, I, II, éd. C. G. Kühn,Claudii Galeni Opera omnia, XV, Leipzig, 1821, p. 32.

Alchimie et stoïcisme 107

contraire à démontrer que les substances des éléments se mélangent totalement entreelles. Mais abandonnant les flots agités de leurs opinions trompeuses, nousrevenons au port couvert et tranquille, et sur ce point nous approuvons l’opiniond’Aubert qui estime que dans les mixtes les éléments ne subsistent pas de manièreessentielle ou en acte, mais en puissance 412. Ce dont témoigne Galien dans son livreSur la méthode médicale, quand il écrit que les éléments se mélangent tous entre euxuniquement par le biais des qualités 413. » 414

Duchesne admet donc avec Aubert la doctrine scolastique de la présence seulementvirtuelle des éléments dans les mixtes qu’avait combattue Fernel. Étienne de Clave, enrevanche, s’alignera, dans sa Nouvelle Lumière philosophique, sur la position de Fernel enqualifiant d’« absurde » la théorie de la présence virtuelle. Il écrit :

« […] entre les Physiciens les vns veulent que les elemens soient actuellement auxmixtes, puis que par la resolution ils s’y trouuent actuellement : Ce que les autresnient, disans que ce ne sont pas des elemens, mais bien que cette resolution se faiten quelques corps, qui ont bien quelque affinité auec iceux ; mais qu’ils ne sont pasvrais elemens, d’autant qu’ils veulent que les formes elementaires perissent en lageneration, & que les qualitez, mais retuses, y demeurent en sorte que de cettemixtion il resulte vne nouuelle forme, qu’ils appellent la forme du mixte, parce,disent-ils, qu’elle donne estre à la chose qui est engendrée.

412. Cf. J. Aubert, De metallorum ortu et causis contra Chemistas brevis et dilucida explica-tio, Lyon, 1575, pp. 29-30 : « Porrò in horum [= metallorum] generatione, atque reliquorum om-nium mistorum duplicem oportet considerare materiam : vnam scilicet generalem, seu commu-nem : alteram propriam & ex qua res proximè generantur. Prior quem [sic] remotissimam appella-mus, ex elementis quatuor sumitur. Ex his enim tanquam partibus simplicissimis omnia constituicorpora mista necesse est. Animalia, stirpes, metalla, lapides reliquáque fossilia, atque adeòreliqua mista quatuor elementorum qualitatibus concrescere ne quidem insanis & fatuis dubiumesse debet. Ex quo intelligimus ipsa quatuor mundi elementa prædictorum corporum velut seminaquædam, quibus inter se quadam naturæ proportione connexis constituuntur corpora : sed ipsisquoque dissipatis in ea ipsa dissoluuntur. Cæterùm in concretis mistísque corporibus non actu, idest essentialiter, sed potestate ea subsistunt elementa […]. » Voir aussi Progymnasmata in Ioan.Fernelii med. librum de Abditis rerum naturalium et medicamentorum causis, IV, pp. 12-13.

413. Cf. Galien, De methodo medendi, I, éd. C. G. Kühn, t. XVI, p. 32.414. Cf. Ad Iacobi Auberti…, Lyon, 1575, pp. 35-36 (éd. Theatrum chemicum, II,

pp. 162-163) : « Metallorum, quemadmodum & reliquorum mixtorum corporum, duplicemconstituunt materiam [causam a. c.] Philosophi : vnam generalem & remotissimam, quæ sumiturex elementis, tanquam ex omnium rerum primariis, ex quibus vt simplicissimis constant, & inquæ simplicissima resoluuntur. Horum autem elementorum qualitates virtutésque tantùm in semutuò transire, omninòque misceri, Peripatetici in Stoicos contendunt : qui ipsorum substantiastotas esse totis permixtas contrà affirmare conantur. Sed missis lubricarum opinionum istisfluctibus, ad tutum & tranquillum portum nos recipimus, & in hac re Auberti comprobamusopinionem, existimantis in mixtis non essentialiter aut actu, sed potestate subsistere elementa :Quod Galenus testatur lib. primo method. medendi, vbi elementa suis qualitatibus duntaxat totatotis misceri scribit. De secunda verò ac propria ipsorum materia, non vna, sed longe diuersaetiam multorum Philosophorum opinio. » Voir le texte de Fernel cité ci-dessous, p. 141, 1er §.

108 Sylvain Matton

Laquelle opinion est absurde : car si la forme des elemens perit, & non pas lesqualitez, nous leur demandons qu’elle sera donc la base & l’appuy de cesqualitez. » 415

Et de Clave poursuit, quelques pages plus loin :

« Cela estant ainsi posé, il faut voir les obiections des aduersaires, afin d’yrespondre ponctuellement & maintenir les opinions des Philosophes anciens,deuanciers d’Aristote, & ce qu’ils auront dit conformément à la verité, commeAnaxagoras, Empedocles, Platon & mesmes les Stoïciens, & depuis Aristote,Auerroës, Auicenne auec plusieurs autres, comme Lucresse : & sur tous, & quasiauant tous ce grand Hyppocrate, lequel en son Liure de la Nature Humaine, dit que lanature en faisant ses corruptions renuoye chaque chose d’où elle a esté tirée. » 416

S’étonnant, à propos de ce passage, qu’Étienne de Clave mette les stoïciens au nombredes devanciers d’Aristote, Bernard Joly explique cette erreur, en effet grossière, à la fois parl’ignorance dont les stoïciens auraient été alors victimes et par « la place qu’ils occupentthéoriquement » dans l’esprit de de Clave, « parmi ceux qui assimilaient les principes à deséléments » 417. Cette bourde marque surtout la négligence d’Étienne de Clave, car son texten’est en fait qu’un extrait confus de l’In libros De generatione et corruptione AristotelisStagiritæ des Conimbricensis Collegii Societatis Jesu commentarii, où les jésuites coïm-brois sont d’une parfaite clarté, eux qui, examinant la question de savoir si les formes deséléments persistent dans les mixtes, écrivaient :

« Les anciens interprètes de la nature Anaxagore et Empédocle, ainsi que lesstoïciens et, à ce qu’il semble à certains, Platon, ont répondu affirmativement. Laplupart des philosophes postérieurs ont suivi leur traces, même s’ils sont loin des’accorder entre eux. En effet Avicenne […]. » 418

415. Nouvelle Lumière philosophique, chap. III (« Si les Elemens entrent actuellement en lamixtion »), pp. 264-265.

416. Id., pp. 270-271.417. Cf. « Physique stoïcienne et philosophie chimique au XVIIe siècle », p. 188 : « Que les

stoïciens soient pour de Clave des devanciers d’Aristote, voilà qui en dit long, à la fois surl’ignorance dont ils sont victimes et sur la place qu’ils occupent théoriquement dans son esprit,parmi ceux qui assimilaient les principes à des éléments. Fabre adoptait d’ailleurs une semblabledémarche lorsque, à la suite du texte sur la conception stoïcienne des marées, il ajoutait que seul leretour aux précurseurs d’Aristote permettrait de voir la nature dénudée de ses voiles, tandis queNuysement remontait à Thalès. Cette manière, en quelque sorte pré-aristotélicienne, de penserprincipes et éléments est elle-même caractéristique des premiers stoïciens. »

418. Cf. In libros De generatione et corruptione Aristotelis Stagiritæ, In lib. I, cap. X,quæst. III (« Vtrum elementa secundum suas formas maneant in mixto, an non »), art. I. (« Qui auc-tores affirmativam partem defendant, & quibus argumentis »), éd. Mayence, 1606, p. 347 :« Quod elementa omnibus mistis gignendis sese tanquam materiam accommodent, pro certo habe-tur in philosophia. Num verò etiam quoad formas substantiales in iis insint, controuersum est, &dissidentium Philosophorum opinione agitatum. Antiqui naturæ interpres Anaxagoras, &Empedocles ; præterea stoici, & vt quibusdam videtur, Plato, affirmantem partem secuti sunt, quo-rum vestigiis plerique è posterioribus philosophis institere, etsi hi non parum inter se dissense-

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Et après avoir expliqué la position d’Avicenne, puis celle d’Averroès, les Coïmbroiscitaient Hippocrate et Lucrèce à propos d’un argument en faveur de la persistance desformes 419. Les deux additions d’Étienne de Clave à leur texte, « devanciers d’Aristote » et« depuis Aristote », ne sont donc que des précisions malheureuses, et ne sont révélatricesd’aucun présupposé théorique 420, la connaissance qu’avait de Clave de la physique stoïcienneet spécialement de leur théorie du mélange paraissant bien s’être strictement limitée à cequ’en avaient dit les Coïmbrois. Ces derniers avaient écrit à propos de la thèse de ceux quinient que les formes spécifiques des éléments persistent dans le mélange :

« Cette opinion est donc démontrée, parce que si les éléments conservaient leurformes propres dans le mixte, de telles formes seraient ou bien dans une même situa-tion, ou bien dans des situations différentes. Si elles étaient dans une même situa-tion, comme le soutiennent les stoïciens, à ce que rapporte Alexandre dans sonopuscule sur le mélange, puisqu’elles comporteraient chacune leurs dimensionspropres, deux corps se pénétreraient entièrement l’un l’autre, ce qui est impossible.Si elles étaient dans des situations différentes, comme le pense Avicenne, alorschaque partie du mélange ne serait pas mélangée, puisque chacune ne contiendrait pasles formes des éléments, par l’assemblage desquelles, dit-on, les choses se mélan-gent. » 421

rint. Nam Auicenna primo sufficientiæ cap. 10. & 11. doct. 3. cap. 3. arbitratur, elementa inmisto formas suas perfectas, atque integras retinere, dissecta tamen, ac minutatim concisa ; ita vteorum particulæ ordine quodam compositæ, & connexæ mutuò aliæ aliis cohærescant. Ad quod adelementorum qualitates attinet, putat eas non secundum suas naturas in mixto remanere ; sed ac-tione mutua interire, & ex iis qualitatem quandam vnam emergere, quam vocat complexionem,virtutes quatuor primarum in se cohibentem, eaque producta resultare, inquit, formam mixti abelementorum formis distinctam. Auerroes hoc in lib. com. 90. & 3. libro de cœlo com. 67. & inepitome Metaph. tractatu primo, statuit formas elementorum per materiam æquabiliter fusas actuseruari in mixto ; remissas tamen, atque refractas sicuti ipsorum qualitates. »

419. Cf. id., p. 348 : « Quintò, Natura, vt dictum est ab Hippocrate in lib. de natura hu-mana, rerum obitus conficiens, eò singula refert, vnde accepta fuerunt. Proindeque vnumquodqueex iis constare creditur, in quæ dissoluitur : dissolui autem, & refluere mixtum in elementa, pers-picuum videtur in succensa viridium lignorum strue. Cernimus enim prodire ex ea flammam, fu-mum, humorem, & cineres ; quæ quatuor elementis igni, aëri, aquæ & terræ singulatim respon-deant. Idemque fit in obitu hominis. Nam spirituum vitalium substantia partim in ignem, partimin aërem dissipatur, humor in aquam refluit, solidiores partes in cinerem, & terram abeunt. Quospectat illud Lucretii lib. 2.

Credit enim retro de terra, quod fuit ante,In terras : & quod missum est ex ætheris oris,Id rursum cœli rellatum templa receptant :Nec sic interimit mors res, vt materieiCorpora conficiat, sed cœtum dissipat ollis. »

420. Voir ci-dessus, note 417.421. In libros De generatione et corruptione…, In lib. I, cap. X, quæst. III, art. II (« Negati-

vam partem quæstionis veram esse »), p. 349 : « Probatur igitur hæc opinio, quia si elementaproprias formas in misto seruarent, vel eiusmodi formæ in eodem situ essent, vel in diuerso. Si ineodem, vt Stoici autumant, referente Alexandro in opusc. de mistione, cum singulæ suas secum

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Et de Clave écrit à son tour :

« Le College de Conimbres produit plusieurs raisons au chap. dixiéme question3. art. premier, 2. & troisiesme du premier Liure de la Generation & Corruption, &entre autres celles-cy, pour infirmer les opinions des Philosophes desnommez auchapitre precedent, desquelles toutesfois il ne fait aucune mention, sinon qu’il ditqu’ils ont creu que les elemens estoient actuellement dans les mixtes, auec leursformes elementaires entieres, mais esmoussées par la forme du mixte. La raison esttelle : si les elemens gardoient leurs propres formes au mixte, les formes seroient enmesme situation ou diuerse, si en mesme, suiuant l’opinion des Stoïciens, deuxcorps se penetreroient l’vn l’autre. Nous respondons premierement que cela n’a pointde lieu parmy nos elemens ; d’autant que nous ne leur donnons point de diuersessituations, comme les Peripateticiens, qui en donnent vne fort esleuée & legere àleur feu imaginaire : puis en suitte vne autre moins legere & moins esloignée à l’air,que nous auons prouué au premier Liure n’estre pas element : Mais nos elemens semeslent & se mettent facilement en toutes sortes de postures & situations en lamixtion ; & partant il n’est pas necessaire d’introduire vne impossibilité sur lasituation, en disant que deux corps se penetreroient. Car bien que l’air ne soit pas vnelement, il ne laisse pas de s’introduire par les pores des autres corps mixtes, voiredes simples, où il en trouue pour éuiter le vuide : Et pour cela nous ne disons pasqu’il se fasse penetration de deux corps, oüy bien permeation des pores. » 422

On voit que non seulement Étienne de Clave n’a pas de lumière particulière sur lathéorie stoïcienne du mélange total, mais encore qu’il ne fait nullement sienne cette théorie.Car s’il accepte, avec Averroès, la permanence des formes et des qualités des éléments, quidemeurent comme « remises et rebouschées » et « resserrées » par la forme générale dumixte 423, de Clave explique le mélange des éléments dans le cadre d’une théoriecorpusculaire incompatible avec la doctrine stoïcienne, ainsi qu’en convient Bernard Jolylui-même 424.

dimensiones ferant, iam duo corpora sese inuicem permearent, quod fieri nequit. Si in diuerso, vtsentit Auicenna, iam non quælibet pars misti esset mixta ; quia non quælibet contineret formaselementorum, quarum coitione misceri res dicunt. »

422. Nouvelle Lumière philosophique, chap. IV (« De l’opinion de ceux qui nient que lesElemens entrent actuellement en la composition des mixtes auec la refutation d’icelle »),pp. 274-275.

423. Voir id., pp. 271-273. Si aux yeux d’Étienne de Clave cette thèse n’est pas expres-sément défendue par Aristote, elle n’est pas non plus rejetée par lui (cf. p. 274 : « D’ailleurs nouspouuons dire que touchant ce meslange des elemens en la composition, Aristote ploye tantostd’vn costé tantost de l’autre, comme nous monstrerons vn iour en nos Liures de la Generation &Corruption, ausquels nous refuterons plus exactement les opinions de ceux qui les interpretent àleur mode »).

424. Cf. « Physique stoïcienne et philosophie chimique au XVIIe siècle », p. 189 : « En finde compte, cependant, une approche corpusculaire l’emporte chez lui, puisqu’il considèrefinalement que la mixtion s’opère par une union des éléments “qui se meslent exactement en la

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Tous ces textes attestent que, loin d’avoir servi de modèle prépondérant ou simplementprivilégié aux alchimistes de la Renaissance et de l’Âge classique, la doctrine stoïcienne dumélange total ne laissa pas au contraire d’être souvent critiquée par eux, quand elle ne futpas tout bonnement ignorée. Nous avons vainement cherché un auteur chimique l’entérinantsoit explicitement soit tacitement, mais de manière incontestable. Car si l’obscurité de biendes textes alchimiques peut ne pas en interdire une lecture stoïcienne, cette dernière n’endevient pas pour autant légitime et ne prend aucune valeur démonstrative. Tel est le cas, parexemple, du passage suivant du pseudépigraphe lullien Conclusio summaria ouRepertorium ad intelligendum Testamentum et Codicillum (XVe s.) 425 :

« La chaleur du corps digère et résout le mercure dans la mesure où il est transportédans l’eau avec ses parties mercurielles dissoutes ; et ainsi notre flegme est constituéde trois substances essentielles, essences des éléments qui sont en vérité ainsi liéesentre elles, parce qu’une grande quantité de chaque est adjointe avec une grandequantité de quelque autre aux qualités d’eux-mêmes. En raison de quoi Alexandre lepéripatéticien dit que le mélange des éléments produit des choses admirables, car leséléments opèrent mieux certains effets en étant mélangés que séparément, et celaparce que dans un tel mélange demeurent les essences propres des éléments, qui sontleurs propres vertus opératives, comme le rend évident notre eau philosophique,laquelle est appelée “métalline” 426 parce qu’elle est produite seulement à partir dugenre métallique. En effet, dans cette eau se trouve conservée une dispositionmédiane, qui se tient entre la mollesse et la dureté. Par son moyen se fait le passagede la mollesse du vif-argent vers la dureté très parfaite du métal. Ainsi le passaged’un extrême à l’autre, ou d’un contraire à l’autre, s’accomplit uniquement par lebiais d’une disposition déterminée, qui participe des deux contraires. » 427

composition des corps, autant que la nature le peut permettre, c’est à dire par tres-menuësparcelles jointes tres subtilement entr’elles d’une conjonction Physicale, et non par une pene-tration de dimension” [op. cit., p. 276]. »

425. Voir M. Pereira, The Alchemical Corpus attributed to Raymond Lull, Warburg InstituteSurveys and Texts, 18, Londres, 1989, p. 70 (I.16). Cette Conclusio summaria semble avoirlargement circulé, si l’on en juge par le nombre assez important de manuscrits qui nous l’ontconservée, avant d’être publiée par G. Grataroli dans son recueil Veræ alchemiæ […] doctrina, II,pp. 185-187 (Intentio summaria, quæ aliter dicitur repertorium, valde utilis ad intelligentiamTestamenti, Codicilli et aliorum librorum Raymundi Lullii).

426. « Metallina » : mais il faut sans doute corriger en Metallica (métallique).427. Cf. G. Grataroli (éd.), Veræ alchemiæ […] doctrina, II, pp. 185-186 : « Calor corporis

quidem digerit & resoluit mercurium quantum deportatur in aquam cum suis partibus mercurialibusdissolutis : & sic phlegma nostrum ex tribus constat substantijs essentialibus, quæ quidemessentiæ elementorum sic ligantur adinuicem, quòd plurimum vniuscuiusque cum plurimo alteriusest adiunctum qualitatibus ipsorum : vnde Alexander Peripateticus dicit, quòd commistioelementorum facit mirabilia : eo quòd elementa quosdam effectus melius operantur in misto quàmin simplici. Et illud ideo quoniam in tali misto remanent propriæ essentiæ elementorum, quæ suntpropriæ virtutes operatiuæ, vt patet per aquam nostram philosophicam, quæ dicitur Metallina[sic], eo quòd ex solo genere metallico generatur. In hac enim aqua saluatur dispositio media, quæ

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On pourrait voir ici une reprise ou un écho de la thèse chrysippienne de la permanencedans le mélange total des substances des composants, telle qu’Alexandre d’Aphrodisel’expose dans le De mixtione. Mais la référence à Alexandre — trop vague pour que nousayons pu identifier le passage visé — ne concerne pas le De mixtione, et notre texte peuttout aussi bien s’interpréter dans un sens anti-stoïcien, si l’on comprend que ce qui demeuredans le mélange des éléments, ce sont leurs « essences » ou « substances essentielles »,lesquelles ne seraient pas leurs « substances » au sens strict, mais leurs seules « vertusopératives ».

Une chose en tout cas est sûre, c’est que ni Fabre ni Becher ne peuvent en toute rigueurêtre présentés comme des partisans de la doctrine stoïcienne du mélange total. Dans sonPanchymicum, consacrant un chapitre (I, XXXV) à la question « agitée chez les philosophespéripatéticiens et les médecins » de savoir « si les éléments disparaissent lors de la constitu-tion du tempérament, et si ne demeurent que leurs qualités », Fabre repousse — en s’inspi-rant très certainement encore une fois de la Nouvelle Lumière philosophique d’Étienne deClave — la théorie « absurde » de ceux qui nient la persistance de la forme des élémentsdans les mélanges substantiels tout en affirmant que subsistent leurs qualités 428. Exacte-ment comme pour de Clave, pour Fabre les formes des éléments ne disparaissent pas dansles mixtes, elles « demeurent réellement et formellement, mais tempérées, brisées et en-fouies dans le centre des éléments, si bien qu’elles n’agissent qu’à travers la forme du mixte,laquelle seule dans le mélange commande et domine toutes les actions » 429. Fabre sedistingue donc des stoïciens en ce qu’il affirme une modification des qualités singulières des

est inter mollitiem & duritiem, mediante qua fit transitus à mollitie argenti viui ad duritiemmetalli perfectissimam. Vnde nunquam fit transitus de extremo ad extremum, seu de contrario adcontrarium nisi per dispositionem determinatam, quæ participat de duobus contrarijs. »

428. Cf. Panchymici seu anatomiæ totius universi […] opus, I, XXXV (« An in tempera-mento constituendo pereant elementa & remaneant solum qualitates eorum »), t. I, p. 141 :« Hæc quæstio solet agitari Philosophos Peripatheticos, & Medicos, eorumque opiniones partimelementa non remanere in mixtione sustinent, sed tantùm secundùm eorum qualitates, essentiamverò & formam elementorum non persistere. Quod quidem quantum habeat absurdi ex eorummetdoctrina, & dogmatis iamiam ostendere in votis est. »

429. Cf. id., p. 144 : « Concludamus ergò in temperamento constituendo formas elemen-torum omnium non perire, sed remanere verè, & formaliter, at temperatæ, & refractæ, & reconditæin centro elementorum, adeò vt non agant nisi per formam mixti, quæ sola in mixtione habetomnis actionis imperium & dominium : Reliquæ formæ obsequuntur huic, & obediunt omninò,tanquam eius mancipia ; est enim in lucem educta vi Entelechiæ ex sinu suo, & elementorum vtregnet & imperet, reliqua omnia quæ in eius sunt regno, debent illi obsequium purum putum, imòtemperamentum ipsum non agit per se solum sine concursu formæ mixtionis, vt videbitur capitesequenti. » Voir encore, id., cap. XXXVI (« An temperamentum agat per se solum, sine concursuformæ mixtionis »), p. 146 : « Itaque in ancipiti huius quæstionis biuio non hæsitantes facilèconcludimus, temperamentum non agere per se solum, sed tantùm ex vi formæ mixtionis, cuiusope & ministerio habet subsistentiam, & perindè vim actionis, imò & forma mixti, cùm sitprincipium totius actionis, habet ex se sola alias actiones formales & substantiales, quasoccultas dicunt Peripathetici, in quibus edendis non concurrit vllo pacto temperamentum, sed exsola forma prodeunt, vt videre est sequenti capite. »

Alchimie et stoïcisme 113

composants du mélange, et qu’il ramène tout à une forme propre au mélange, ignorée desstoïciens.

Quant à Becher, sur cette question du mélange qu’il juge capitale 430, il ne défend pasplus que Fabre une théorie proprement stoïcienne. En faisant avant tout appel à la pratique,et en repoussant l’analyse aristotélicienne pour son vain verbalisme 431, Becher distinguedeux sortes de mélanges : d’une part une « mixtion superficielle », dont les constituantsrestent séparables et dont le principe est la raréfaction et l’« appétence du dense » ; d’autrepart une « mixtion centrale », qui par la cohésion de ses constituants produit un corpsspécifique, et dont le fondement est l’« appétence du sec et de l’humide » 432. Or, ainsi que lesouligna Georg Ernst Stahl (1660-1734) 433 dans son Specimen Beccherianum (Leipzig1703), cette doctrine de la mixtion s’articule sur une « théorie mécanico-corpusculaire » dela matière, qui exclut l’idée même de mélange total, puisque selon cette théorie lescorpuscules sont liés entre eux dans la mixtion, mais ne sont pas substantiellementcoétendus 434. Sur ce point, Stahl précise :

« Parce qu’ils étaient inexpérimentés dans les résolutions et les combinaisons ar-tificielles des choses vraiment pures, les Anciens entretinrent une étrange conceptionau sujet du mélange et de cette forme qui pour ainsi dire pénètre le mélange. Ilssoutinrent en effet qu’il fallait comprendre que ce mélange entraîne en quelque sorteune telle pénétration mutuelle et extrêmement profonde des principes, que si l’on di-visait un corps mixte de ce genre en des points même mathématiques, comme à l’in-

430. Cf. id., éd. Leipzig, 1738, p. 93 : « Nam licet subjectum hujus scientiæ, mixtionis &mixtorum cognitio sit, itaque spagyrica potius mixtoria quam separatoria vocanda esset ; tamen aposteriori nempe a separatione, tanquam a potiori & magis necessario, denominationem veteressumserunt : præsertim circa mixtionem subterraneorum. »

431. Cf. id., cap. III, p. 102.432. Cf. id., pp. 102-103.433. Voir la notice de L. S. King, dans : Ch. C. Gillispie (éd.), Dictionary of Scientific

Biography, XII, New York, 1975, pp. 599-606 ; sur la chimie de Stahl, voir H. Metzger,Newton, Stahl, Boerhaave et la doctrine chimique, Paris, 1930 (rééd. 1974), pp. 93-188, enparticulier pp. 118-124. (« Statique de la mixtion ») et 124-129 (« Statique de l’agrégation ») ;J. R. Partington, A History of Chemistry, II, Londres, 1961, pp. 637-690.

434. Cf. Specimen Beccherianum sistens fundamenta, documenta, experimenta, quibusprincipia mixtionis subterraneæ, et instrumenta naturalia atque artificialia demonstrantur, à lasuite de Becher, Physica subterranea, Leipzig, 1703, pp. 7-8 (éd. 1738, p. 3) : « Omnino verointelligit Autor, per Mixtionem, Combinationem corpusculorum talem, sub qua illa quidem actecomplicata, adeoque mutuo nexu, seu cohæsione in firma societate, velut exquisite pro uno stent :Omni modo tamen unumquodque illorum antiquam & propriam suam Essentiam, etiam sub hocnexu, retineat. / Consentit in hoc, & convenit Autor noster rectissime, cum sana TheoriaMechanico-Corpusculari, quæ nimirum recte intelligit, combinationes quascunque non aliter fieri& absolvi, quam per actam appositionem, exactam juncturam, aliquando etiam implicationem(tortuosorum, uncinatorum, hamatorum, spiralium) corpusculorum. » Pour une illustration decette théorie mécanico-corpusculaire, voir par exemple Becher, Supplementum secundum inPhysicam subterraneam, thèse IV (« De modo transmutationis metallicæ, nempe de objectitransmutantis penetrantia et forma tincturæ absoluta »), id., éd. 1738, pp. 370-379.

114 Sylvain Matton

fini, chacun de ces minima de minima resterait néanmoins un mixte, c’est-à-dire par-ticiperait de ce mélange qui existait auparavant dans ce minimum-physique indivisé.

Cette opinion procédait assurément en droite ligne de cette brillante imaginationd’Aristote quant à la divisibilité mathématique des corps physiques, à savoir que despoints qui dans tous les cas ont une dimension de physicâtre pourraient se diviser enpoints mathématiques, dépourvus de toute quantité.

Notre auteur [Becher] s’éloigne fort de ce genre de folie, et c’est pourquoi il n’apas accepté une telle confusion pénétrative des principes en un chaos absolument-un.En effet, comme cette confusion fait entièrement disparaître les propriétés desprincipes, ce qui est contraire à l’expérience, notre auteur, qui, lui, se met toujours àl’école de l’expérience, n’a pu l’admettre.

Et que le mélange fasse disparaître les propriétés des principes, c’est cequ’indique ou plutôt implique l’affirmation solennelle que l’introduction d’unenouvelle forme constituant un nouveau mélange présuppose une privation de laforme antérieure ; or il n’y a pas retour de la privation vers l’ “habitus”. Voilà lesvraies fleurettes de cette philosophie, à moins qu’on ne préfère les appeler leschampignons d’une cervelle philosophique. » 435

LA CONFLAGRATION UNIVERSELLE

Si, dans « Les a priori philosophiques de l’alchimie classique », Jean-Paul Dumont amentionné l’ekpyrœsis (}≤√Õƒ›«§»), la conflagration universelle des stoïciens 436, ce futsans chercher à la rattacher, au moins directement, à une doctrine alchimique. Par contre,

435. Cf. id., pp. 8-9 (éd. 1738, pp. 3-4) : « Veteres resolutionum & combinationum artifi-cialium sinceriorum imperiti, aluerunt mirabilem Conceptum, de Mixtione, & de forma illa, quæMixtionem quasi penetret . Voluerunt enim intelligi, quasi mixtio illa inferret talempenitissimam mutuam penetrationem principiorum, ut, si corpus tale Mixtum dividatur per punctaetiam Mathematica, velut in infinitum, singula illa minimorum minima nihilominus maneantmixta, seu de Mixtione illa participent, quæ prius in Indiviso illo Physice-minimo fuerat. / Hæcopinio videlicet procedebat justo gressu ex aureo illo Phantasmate Aristotelis, de divisibilitateCorporum Physicorum Mathematica, id est, quod puncta Physicastrinam dimensionem utiquehabentia, dividi possint in puncta Mathematica, expertia omnis quantitatis. / Ab huiusmodiinsania longe abest noster Autor, quapropter non agnovit talem penetrativam confusionemprincipiorum in absolute-unum chaos. Cum enim hac confusione penitissima proprietatesprincipiorum tollantur, quod ab Experientia alienum est ; Propterea Autor noster, Experientiautique aliter edoctus, non potuit illam admittere. / Quod autem Mixtione proprietatesprincipiorum tollantur, indigitat, imo urget, illa solennis assertio, quod introductio novæ formænovam Mixtionem constituentis, præsupponat Privationem pristinæ formæ : A privatione veroad habitum non datur regressus. Qui meri sunt flosculi hujus Philosophiæ, nisi quidem malis [sic]fungos cerebri Philosophici appellare. »

436. « Les a priori philosophiques de l’alchimie classique… », p. 11 [74].

Alchimie et stoïcisme 115

dans La Rationalité de l’alchimie Bernard Joly, après avoir fait observer que cette confla-gration universelle n’est pas, comme le croyait Plutarque 437, une corruption mais unepurification, ajoute : « C’est ainsi que dans les opérations alchimiques, les métaux, que l’onpeut rapprocher des astres, vont disparaître, fondus et sublimés, pour réapparaître au termede la transformation sous forme d’or » 438. De la même manière que la conflagration a pourconséquence de réduire le monde à sa propre semence, « les purifications successives del’œuvre alchimique doivent aboutir à la production de ce que l’alchimie des XVIe et XVIIe

siècles appellera semence métallique, matière première quasiment abstraite de tout corps,que l’on nomme pierre philosophale » 439. Joly conclut alors : « Les analyses stoïciennespeuvent donc bien être considérées comme des modèles des opérations alchimiques et l’onpeut aussi bien dire que la formation du monde et sa conflagration sont exprimées en termeschimiques, ou reconnaître dans les opérations alchimiques la reprise en laboratoire desprocédés par lesquels le monde s’est engendré à partir du feu-principe » 440. Et une note surles opérations alchimiques précise : « Il est vrai que la thèse de la conflagration estabandonnée dès Diogène de Babylone, au deuxième siècle av. J.-C. Par la suite, elle n’estplus reprise explicitement dans la philosophie alchimique de la nature. On peut cependantconstater qu’un “résidu” de ce modèle a subsisté pour rendre compte des opérations qui seproduisent dans ce microcosme que constitue l’appareillage alchimique » 441.

En vérité, on ne saurait sérieusement avancer que la thèse de la conflagration ne fut« plus reprise explicitement dans la philosophie alchimique de la nature » après Diogène deBabylone. D’une part, en effet, rien ne nous autorise à seulement supposer que cette thèsede la conflagration ait jamais été reprise par des alchimistes avant Diogène de Babylone,tous les textes alchimiques que nous possédons — dont les plus anciens remontent au IIIe

siècle de notre ère 442 — lui étant postérieurs. D’autre part, cette thèse de la conflagration abien été « explicitement reprise dans la philosophie alchimique de la nature » après Diogènede Babylone.

Elle fut rappelée sinon adoptée par Jacques Gohory (1520-1576) 443 dans le TheophrastiParacelsi philosophiæ et medicinæ, utriusque universæ, compendium (Paris, 1567) 444, qu’il

437. B. Joly renvoie à Des notions communes, XXXI, SVF, I, 510.438. La Rationalité de l’alchimie au XVIIe siècle, p. 93.439. Ibid.440. Id ., p. 94.441. Ibid., note 55.442. Voir J. Letrouit, « Chronologie des alchimistes grecs », pp. 11-93, en particulier la

« Table récapitulative », p. 88. Pour les recettes techniques conservées par les papyri, voirR. Halleux, Les Alchimistes grecs, Tome I : Papyrus de Leyde, papyrus de Stockholm, fragmentsde recettes, Paris, 1981, Notice, pp. 22 sqq.

443. Voir E.-T. Hamy, « Un précurseur de Guy de la Brosse. Jacques Gohory et le LyciumPhilosophal de Saint-Marceau-lès-Paris (1571-1576) », Nouvelles Archives du Muséumd’histoire naturelle, 4e série, I (1899), pp. 1-26 ; W. H. Bowen, Jacques Gohory (1520-1576),Ph. D. Thesis, Cambridge (Mass.), 1935 ; D. P. Walker, Spiritual and Demonic Magic fromFicino to Campanella, chap. IV ; L. Thorndike, A History of Magic and Experimental Science, V,

116 Sylvain Matton

publia sous le pseudonyme de Leo Suavius. Justifiant la possibilité d’une très longue viepour les hommes en arguant de celle des démons, Gohory explique à propos de ces derniers :

« les stoïciens posent dans un si grand peuple de dieux, comme le leur reprochentcertains, un seul dieu éternel, tandis que les autres sont nés et doivent mourir, encoreque la plupart pensent que cela ne doit point arriver avant que ne soit détruitel’entière machine du monde. » 445

Mais surtout elle fut alchimisée par Jacob Toll dans ses Fortuita. Expliquant le senschymique de la fable de Deucalion et Pyrrha, en s’appuyant sur les Métamorphoses d’Ovide,Toll glose :

« “Maintenant encore les nuées terrifient l’esprit” 446, il y a encore maintenantauprès du régule un certain soufre externe combustible, qu’il faut de nouveau chasserpar le feu. C’est là en effet cette véritable ekpyrœsis du monde dont ont parlé lesAnciens et à propos de laquelle notre Ovide a dit plus haut :

“Il se souvient que les destins ont fixé un temps où la mer et la terre et lepalais des cieux seront dévorés par les flammes, et la masse du MONDE,s’étant embrasée, tombera en ruines.” 447

([Cf.] Juste Lipse, Manuductio ad Stoïcam Philosophiam 448)

Sophocle, chez Justin Martyr (De monarchia Dei) :

“Car il viendra, il viendra, ce temps de l’âge où l’éther à l’éclat d’or sera pleinde son trésor de feu, et la flamme dévorante embrasera dans sa fureur < tout cequi est sur terre et dans l’air >.” 449

Lucrèce, au livre V :

pp. 636-640 ; E. Balmas, « Jacques Gohory traduttore del Machiavelli (con documentiinediti) », dans ses Saggi e studi sul Rinascimento francese, Padoue, 1982, pp. 23-73.

444. Une nouvelle édition en fut donnée chez P. Perna à Bâle en 1568, à laquelle fut jointel’Apologia de G. Dorn, réponse aux critiques de Gohory sur sa manière de traduire Paracelse.

445. Cf. Theophrasti Paracelsi philosophiæ et medicinæ, utriusque universæ, compendium,Ex optimis quibusque eius libris. Cum scholijs in libros IIII. eiusdem De vita longa, Plenosmysteriorum, parabolarum, ænigmatum, éd. Bâle, 1568, pp. 27-28 : « Sic Stoici in tanto, vt alijobloquuntur, Deorum populo vnum sempiternum, alios natiuos atque interituros statuunt :quanquam plerique id non antè euenturum arbitrantur, quàm vniuersa hæc mundi molitiodissoluatur. »

446. Ovide, Metamorphoseon libri XV, I, 357. Replacé dans son contexte, le vers d’Ovidedoit se traduire « Maintenant encore les nuées me terrifient l’esprit ».

447. Id., 256-258.448. Voir J. Lipse, Manuductio ad Stoïcam Philosophiam : Physiologiæ Stoicorum libri

tres, lib. II, diss. XXII, éd. Opera, I, p. 864.449. Cf. Justin, De monarchia Dei, 3, éd. Migne, P.G., VI, col. 317 (= Sophocle, fr. dub.

1027). Voir aussi Clément d’Alexandrie, Stromata, V, XIV, 123, 4, éd. A. Le Boulluec, Clémentd’Alexandrie, Les Stromates, Stromate V, Sources chrétiennes N° 278, Paris, 1981, p. 222, 26-30 (éd. Migne, P.G., IX, col. 131).

Alchimie et stoïcisme 117

“Commence par considérer les mers et les terres et le ciel : leur triple nature,leurs trois corps, Memmius, leurs trois formes si dissemblables, leurs troistextures particulières, un seul jour les livrera à la ruine et, après s’êtresoutenue durant tant d’années, s’écroulera la masse et la machine duMONDE.” 450

Servius dans son commentaire sur les Bucoliques de Virgile (VI) : “Il faut assuré-ment savoir qu’à la fois par le déluge et par l’embrasement est signifié un change-ment des temps” 451. Ce qu’a rapporté Nigidius est important. Il dit : “Certains,parmi lesquels Orphée, ont distingué les dieux et leurs lignées, leurs époques et leursâges” (il faut ainsi rétablir le texte ici mutilé). “Le premier règne est celui de Satur-ne, ensuite celui de Jupiter, puis celui de Neptune et de là celui de Pluton ; d’aucunsmême, tels les Mages” (à savoir les chymistes) “disent qu’adviendra le règne d’Apol-lon. En quoi il faut voir s’ils ne signifient pas un embrasement (c’est-à-dire ce qu’ilfaut appeler l’ekpyrœsis)” 452. Et c’est à juste titre (si, comme il convient, nous ac-ceptons cela) que les Stoïciens disent que, dans l’apocatastase du monde, après cetembrasement, du ciel tombent les semences par lesquelles se trouve restauré le genrehumain. Car notre HOMME naît d’une semence céleste, et à lui se rapporte vraimentexactement ce que Virgile, en vil flatteur, impute au fils de Pollion :

“Voici qu’une nouvelle génération descend des hauteurs du ciel.” 453

Le fait est qu’il est très parfait, à l’instar de l’Univers. Basile Valentin (De la grandepierre, Prolégomènes) : “Quant à cette semence qui produit les métaux, tuconsidéreras ceci : une certaine influence céleste est envoyée d’en haut par la volontédivine, et mélangée aux propriétés des astres ; de cette union naît une troisièmeréalité, qui est d’essence terrestre. Et c’est le principe de notre semence, et sapremière origine. De ces trois procèdent les éléments, qui ensuite, agités par le feude l’Etna, engendrent un corps parfait” 454. Cette semence est un esprit mercuriel,neptunien, qui, mélangé au soufre jupitérien, tombe dans le ventre plutonien de laterre, c’est-à-dire du sel, et là se nourrit et croît jusqu’à ce qu’il soit formé enHomme chymique, et par accouchement mis au monde. On trouvera sur ce pointbeaucoup de choses utiles chez le même auteur au chapitre VI de son De naturalibuset supernaturalibus, ainsi que chez Sendivogius, dans le VIe traité de son Novum

450. Lucrèce, De natura rerum, V, 92-96.451. Servius, Commentarius in Virgil. Bucol., VI, 41.452. Nigidius, De diis, cité par Servius, Commentarius in Virgil. Bucol., IV, 10.453. Virgile, Bucolica, IV, 7.454. Toll paraît user ici de sa propre traduction du Tractat von dem grossen Stein der Uhralten

[…], I. Nebenst seiner selbst eigenen Aaren Repetition und kurtzen Wiederholung […], s. l.,1626, sa traduction différant complètement de la traduction latine éditée (cf. Practica cumduodecim clavibus et appendice de magno lapide antiquorum sapientium, scripta et relicta aBasilio Valentino, dans Musæum hermeticum reformatum et amplificatum, éd. Francfort etLeipzig, 1749, p. 385).

118 Sylvain Matton

lumen chemicum. À cela se rapportent les orgies et les mystères des anciens, et leslustrations par l’eau et le feu […]. » 455

En outre, dans l’une de ses Dissertationes ad Stoicæ philosophiæ et cæteram philoso-phicam historiam facientes argumenti varii, l’« Exercitatio de Stoica mundi exustione » 456

— où, tout comme Toll et Juste Lipse lui-même 457, il ne fait pas de la conflagration

455. Cf. Fortuita, XXIII (« Deucalionis & Pyrrhæ fabula Chemica enarrata »), pp. 178-180 :« Terrent etiamnum nubila mentem, adest etiam nunc regulo sulphur aliquod externum adustibile,quod per ignem rursus expellendum. Hæc enim est illa vera }≤√Õƒ›«§» mundi, de qua veteresPhilosophi, & noster superius :

Esse quoque in fatis reminiscitur, affore tempus,Quo mare, quo tellus, correptaque regia cæliArdeat, & MUNDI moles operosa laboret. Lips. Manuduct. ad Stoïcam Phil.

Sophocles apud Justinum Martyrem :˜F«…`§ zdƒ, Ç«…`§ ≤|±µ∑» `•‡µ› ¤ƒ∫µ∑» Q˘…`µ √�ƒª» zÄ¥∑µ…` £ä«`�ƒªµ ¤c«ñYƒ�«›√ª» `•{çƒ. å {Ä x∑«≤ä£|±«` ⁄≥∑∂,<˜A√µ…` …d }√§z|§` ≤`® ¥|…cƒ«§`>X≥Ä∂|§ ¥`µ|±«`. De monarchia Dei

Lucretius in quinto :Principio maria, ac terras, cælum tuere :Horum naturam triplicem, tria corpora, Memmi,Tris species tam dissimileis [sic], tria talia textu,Una dies dabit exitio : multosque per annosSustentata ruet moles, & machina MUNDI.

Servius ad Virgilii Eclog. VI. Sane sciendum, & per dilivium [sic], & per ecpyrosim,significari temporum mutationem. Insignia sunt, quæ Nigidius retulit : Quidam, inquit, Deos, &eorum genera, temporibus & ætatibus distinxerunt : (Ita hic locus mutilus supplendus est) interquos & Orpheus. Primum regnum Saturni, deinde Jovis ; tum Neptuni, inde Plutonis : nonnulietiam, ut Magi ajunt (id est Chemici) Apollinis fore regnum. In quo videndum est, ne ardorem(sive illa ecpyrosis appelanda est) dicant. Et recte Stoïci, (modo, ut oportet, ea accipiamus) }µ …°a√∑≤`…`«…ç«|§ mundi post hanc deflagrationem cadere de cælo semina dicunt, quibus hominumgenus instauretur. Nascitur enim HOMO noster de cælesti semine, vereque in eum quadrat, quodadulatorie Virgillius Pollionis filio tribuit,

Jam nova progenies CAELO demittitur alto :Quippe qui perfectissimum instar universi est Basilius Valentinus : Jam vero de semine hoc,

quod metalla operantur, ita illud habeto, influentiam quandam cælestem divino nutu ab altodemitti, eaque Syderum proprietatibus mixtam, ex hoc conjugio tertium quid gigni, quod essentiæterrenæ sit. Atque hoc est initium seminis nostri, ejusque prima origo. Ex illis tribus prodeuntelementa, quæ deinde igne Aetnæo agitante perfectum corpus pariunt, Est autem hoc semenspiritus Merculialis [sic], Neptunius, qui cum sulphureo Joviali mixtus in uterum terræ sive salisPlutonium incidit, ibique alitur & crescit, donec in Hominem efformetur Chemicum, partuque inlucem prodeat. Plura huc facientia invenies apud eundem cap. VI. de natur. & supernaturalibus, &apud Sendivogium tr. VI. novi. lum. Chemici. Pertinent huc Orgia & …|≥Ä…`§ veterum,lustrationesque per aquam & ignem. […] »

456. Dans Dissertationes ad Stoicæ Philosophiæ et cæteram Philosophicam Historiamfacientes argumenti varii, pp. 1-28.

457. Voir J. Lipse, Manuductio ad Stoïcam Philosophiam : Physiologiæ Stoicorum libritres, lib. II, diss. XXIII (« Christianos etiam huius sententiæ, sed diuisa, esse : item Epicureos, &Heraclitum ante omnes: neque omnes tamen Stoicos. »), éd. Opera, I, p. 866.

Alchimie et stoïcisme 119

universelle un dogme spécifiquement stoïcien, l’assimilant au contraire à ceux d’Épicure,d’Empédocle et d’Héraclite 458 —, Jakob Thomasius note que la légende du phénix a étéinventée pour symboliser cette conflagration universelle. Il formule ainsi sa XIe thèse :

« L’insanité de ces sectateurs de Zénon n’a rien laissé de reste. De fait, en ce quiconcerne la [cause] efficiente, ils enseignèrent que ce n’est point en raison de lavolonté de Dieu mais à cause d’une fatale nécessité de la nature que touts’enflammera chaque fois que s’achèvera une période d’une grande année, à savoirlorsque les humeurs ayant été finalement, au bout de tant de siècles, entièrementbues par les étoiles, auront laissé une forêt propice aux feux. En ce qui concerne lamatière, toutes choses, y compris les âmes elles-mêmes, les génies, les dieuxinférieurs, se changeront non pas en néant, dans la mesure où nous nous référons àla forme, mais en leurs propres principes : les esprits en Dieu, les corps en lamatière. Et cela conformément à une fin et une mort telle que, à l’instar du phénix(que l’on dit être un oiseau fabuleux inventé comme symbole de cette fictionprincipalement), le même monde, numériquement, qui existait auparavant (avec cetteréserve qu’il y a une incertitude en ce qui concerne les êtres vivants) germera denouveau de ses cendres, la même fable se répétant en outre, selon des successionscirculaires, de toute éternité. » 459

Et dans une note portant sur le phénix (note q), Thomasius renvoie à sa neuvièmedissertation, « où ce thème est abondamment traité » 460. De fait Thomasius y exposediverses interprétations suscitées par le mythe du phénix, sans omettre l’interprétationalchimique 461. Pour celle-ci, il se fonde essentiellement sur deux ouvrages de Michael Maier

458. Cf. Dissertationes… , Th. IX, p. 10 : « Præter Stoicos & Epicureos etiam aliisqvibusdam Ethnicorum e) Mundana deflagratio utcunqve fuit persvasa. Verùm ex his omnibusStoicorum tantùm scrinia excutere jam placet, ut appareat, ipsorum confessio qvàm tetrisulceribus scateat. » La note e) renvoie à Empédocle et à Héraclite.

459. Cf. Dissertationes…, pp. 12-13 : « TH. XI. Nihil horum reliqvit insania sectatorumZenonis. Enimverò qvod ad efficientem attinet, non ex arbitrio Dei, sed fatali naturæ necessitatefinitis anni magni spaciis exarsura omnia docuerunt, cùm videlicet ebibiti tandem a stellis per totseculorum spacia humores obseqventem ignibus silvam reliqverint ; qvod ad materiam, omnia, &in his ipsas animas, genios, minores Deos conversum iri ; nec in nihilum tamen, qvod ad formamreferebamus, sed in principia sua, spiritûs in Deum, corpora in Materiam ; & eo qvidem fine atqveexitu, ut Phœnicis instar, qvam fabulosam avem dicas in hujus præcipuè commenti symbolumexcogitatam esse q), Mundus idem numero, qvi ante, nisi qvòd de animabus res ambigua, defavillis iterum progerminet, eademque fabula porrò circulatoriis vicibus in omnem æternitatemrepetatur. »

460. Cf. id., p. 14 : « q) Hâc de re copiosè agetur Dissert. IX. »461. Cf. Dissertationes , « Dissertation IX. Ad. Thes. q. Phœnix », pp. 78-155, ici

pp. 129-133. Pour un aperçu des divers aspects de cette interprétation, voir S. Matton, « L ePhénix dans l’œuvre de Michel Maier et la littérature alchimique », introduction à la rééditionanastatique de : Michel Maier, Chansons intellectuelles sur la resurrection du Phœnix (Paris,1758), Paris, 1984, pp. 5-61.

120 Sylvain Matton

(1569-1622) 462, les Symbola aureæ mensæ duodecim nationum (Francfort, 1617) et laSeptimana philosophica (Francfort, 1620) 463, en signalant que Maier n’a pas traité duphénix dans son ouvrage entièrement consacré à l’interprétation de la mythologie égypto-grecque, les Arcana arcanissima (s.l.n.d. [Londres, 1613/14]) 464. Mais Thomasius sait quele phénix a aussi été alchimisé par Gohory, dans son Theophrasti Paracelsi philosophiæ etmedicinæ, utriusque universæ, compendium, ce qu’avait noté Ulisse Aldrovandi (1522-1605) dans son Ornithologia (Bologne, 1599) 465 ; qu’il le fut encore par Pierre Jean Fabredans son Panchymicum, par Johannes Rist (1607-1667) avec son Philosophischer Phœnix(Hambourg, 1638) 466 et par Keslerus 467, tous signalés par Ole Borch (Borrichius, 1626-

462. Voir J. Telle : « Maier, Meier, Majerus, Michael », dans : W. Killy (éd.), Literatur-lexikon : Autoren und Werke deutscher Sprache, VII, Gütersloh – Munich, 1990, pp. 428 sqq. ;U. Neumann : « Maier, Michael », dans : T. Bautz (éd.), Biographisch-Bibliographisches Kir-chenlexikon, V, Herzberg, 1993, pp. 562-564 ; bibliographies à compléter par U. Neumann,« Michel Maier (1569-1622) “philosophe et médecin” », dans : J.-C. Margolin et S. Matton(éd.), Alchimie et philosophie à la Renaissance, pp. 307-326 ; K. Figala et U. Neumann, « Àpropos de Michel Maier : quelques découvertes bio-bliographiques », dans : D. Kahn etS. Matton (éd.), Alchimie : art, histoire et mythes, pp. 651-664, et « “Author cui nomenHermes Malavici”. New light on the bio-bibliography of Michael Maier (1569-1622) », dans :P. Rattansi et A. Clericuzio (éd.), Alchemy and Chemistry in the 16th and 17th Centuries, Archi-ves internationales d’histoire des idées, 140, Dordrecht – Boston – Londres, 1994, pp. 121-147.

463. Cf. Dissertationes , §. 234, p. 131 : « Sed ne inauditus condemnetur Majerus,jubeamus ipsum priùs causam suam dicere. Eqvidem Phœnicem ille secreti Chymici hiero-glyphicum facit non modò lib. I. symb. aureæ mensæ p. 30. sed & lib. IV. p. 151. lib. V.p. 197. lib. XIII. p. 562. & 598. nullibi tamen, qvod videre nobis contigerit, argumentaspeciosiora congerit, qvàm in Septimanâ philosophicâ die 5. p. 174. »

464. Cf. id., §. 230, p. 130 : « Nititur ille falsâ hypothesi, qvam d. l. his prodit verbis:pleraqve antiqvorum fabulosa de Diis, Deabus, Heroibus, animalibus, festis, ludis & intitutisscripta & cantata Chymiæ occultissimæ esse velamenta. Qvâ de re p. seq. 31. videri jubet Hiero-glyphica sua Ægyptio-Græca, (in qvibus tamen phœnicem avem frustrà sumus aucupati,) eâ inten-tione & fine scripta, ut artis Chymicæ veritas in allegoriis latens apertissimè demonstretur. »

465. Cf. id., §. 229 : « An huc etiam faciat, qvod apud Aldrovandum lego XII. Ornithol. 28.f. 404. Alchymistis phœnix elixirem significat. Nam Phœnix, Basiliscus, Glaura, Mandragora,Chamæleon, Homunculus & similia barbara vocabula sunt synonyma, ut Leo Svavius (Scholiis inParacelsum) annotat : dicant Chymiæ periti. » Cf. U. Aldrovandi, Ornithologiæ, hoc est deavibus historiæ libri XII, Bologne, 1599, XII, XXVIII (« De Phœnice »), p. 819.

466. Cf. id., §. 228 : « Etiam auctor occulti nominis I.R.H. perbrevi libello suo HamburgiA. 1638. in 12°. impresso, titulum fecit : Philosophischer Phœnix, das ist/ Sonnenklare Entdec-kung des alleredelsten Steins der Weisen. Idemqve alias qvasdam Gentilium Poetarum fabulaschymico sensu, qvod Majerus ante ipsum fecerat, exponit. » Le titre complet de l’ouvrage de Ristest I.H.R. Philosophischer Phoenix, das ist kurtze Jedoch grundl~che und sonnenklareEntdeckung der wahren und eigendl~chen matenae des aller edelsten Steins der Weisen.

467. Cf id., §. 231, pp. 130-131 : « Volverunt hoc idem saxum præter Majerum etiamCastelnovidariensis Faber, & Keslerus, ut è Barrichio [sic] p. 91. de ortu & progress. Chem.intelligo. Kircheri qvoqve sententia est, auriferam artem, (qvàm è §. 226. interpretare ChemiamPhilosophici lapidis nesciam,) à Trismegisto symbolis hieroglyphicis exhibitam fuisse. Ipsumadi Tom. II. Oedipi Part. alt. Class. 7. c. 2. & seqq. f. 393. »

Alchimie et stoïcisme 121

1690) 468 dans sa De ortu et progressu chemiæ dissertatio (Copenhague, 1668) ; qu’enfinJohannes Petrus Lotichius avait mentionné cette interprétation alchimique dans sescommentaires sur le Satyricon de Pétrone (Francfort, 1629) 469. Or ces écrivains chymiquess’accordent pour voir dans le phénix une figure hiéroglyphique du grand œuvre, qu’ilsl’appellent « teinture d’or » 470, pierre des philosophes ou élixir 471. En conséquence, encoreque Thomasius, qui veut que le phénix soit en réalité une image de la conflagration dumonde 472, rejette pour sa part cette interprétation, qui ne lui apparaît pas en adéquation avecles différents éléments du mythe 473, on obtient chez lui la suite d’équivalences ekpyrœsis =phénix = grand œuvre, et donc l’équivalence ekpyrœsis = grand œuvre. Certes, pour autant

468. Voir la notice de P. M. Rattansi dans : Ch. C. Gillispie (éd.), Dictionary of ScientificBiography, II, pp. 317-318.

469. Cf. id., §. 227, p. 130 : « A Majeri opinione non alienus videtur Jo. Petrus Lotichiuslib. II. Comment. in Petron. c. 13. ubi non modò p. 278. memorat, à fabulâ Phœnicis Chymicoscausæ suæ patrocinium accersere, sed & p. seq. Majeri symbola aureæ mensæ eruditissimumvocat de fabulis ad Chymiam pertinentibus tractatum. » Voir T. Petroni Arbitri Satyricon, Superprofligatis Neronianæ tempestatis moribus : Commentariis, sive excursibus medico-philosophicis : Itemque notis universalibus et perpetuis recens adornatum […] Noviterrecensente Jo. Petro Lotichio, Med. D. […], Francfort, 1629, pp. 277-280, où, à propos deJason, Lotichius donne un développement sur l’interprétation alchimique de fables antiques, enincluant, p. 278, celle du phénix (« Eodem referunt fabulam Phœnicis, Cadmi cum Draconecongressum, Ganymedis item, Midæ, Danaës, Sphyngis, Tantali, & id genus alia, é quibusomnibus Chymici caussæ suæ patrocinium accersunt. »).

470. Cf. id., §. 225, p. 129-130 : « Idem esto judicium secundò de accommodationePhœnicis ad chymicorum tincturam auream. Nec enim assentior Mich. Majero, cui lib. I.symbolorum aureæ mensæ p. 30. tàm certum, qvàm qvod certissimum est, Ægyptios per avemphœnicem intellexisse tincturam auream, si hoc ad primariam Ægyptiorum intentionem, utapparet, retulit. »

471. Cf. id., §. 229, cité ci-dessus note 465.472. Cf. id., §. 330, p. 155 : « Concludamus ergò sententiam si non immoti roboris,

saltem probabilitatis haud infimæ, qvi Phœnicem excogitarunt, eos illum imaginem esse Mundivoluisse, qvæ non unitatem ipsius tantùm, durationemqve longam, sed & circulos per vitæmortisqve vices exprimeret perpetuos, ex gentilium videlicet, qvi autores fabulæ fuerunt, mente ;atqve in his qvi phœnicem igne mori asseruerunt, mondo ex conflagratione interitum fuisseominatos. Qvem exemplo phœnicis adhibito depingunt atqve illustrant etiam Aug. Steuchus lib.X. de perenni philos. p. 710. & B. Gerhardus Tom. IX. Loc. Theol. tit. de Consumm. sec. n. 48.p. 409. »

473. Cf. id. : « §. 237. Qvi parum æqvi sunt Chymicis, qvintum fortasse comparationismembrum desiderabunt, neqve minùs aureæ tincturæ, qvàm phœnici locum inter entia rationisdeberi ajent. Sed transeant joci. Nos hoc Majero, ne qvidem si seria res agatur, non opponemus.Neqve verò de re, sed de gentis Ægyptiæ opinione lis est. Itaqve per hos vera & phœnici congruasint omnia, qvæ voluit vir doctus. / §. 238. Verùm qvò minùs credamus ad auream tincturamSacerdotes Ægyptios respexisse, cùm Phœnicem comminiscerentur, ea nos primùm ratio movet,qvòd Phœnix ille, qvi è cineribus corporis sui combusti nascitur, non Ægyptius est, sed Græcus,per §. 11. & seqq. / §. 239. Deinde si qvis pro combustione, ut causam Majeri adjuvet, mortem ingenere substituat : vel hæc sola nobis ratio, ut ipsum nos deferamus, sufficiet, qvòd ejusaccommodatio est inadæqvata. Qvinqve partibus primariis ideam phœnicis constare sæpiùsdictum est. Ex his duæ tantùm comparent : (secundariæ nullo nobis numero sunt,) mors &renovatio. Ubi tres reliqvæ ? ubi unitas individui ? ubi anni longævi ? ubi juges circuli ? »

122 Sylvain Matton

que nous le sachions, cette équivalence ne paraît pas avoir été posée par les alchimistes eux-mêmes, qui ne semblent pas non plus avoir relié le mythe du phénix à l’ekpyrœsis desstoïciens ; mais si d’aucuns ont jamais avancée cette équivalence ekpyrœsis = grand œuvre, ily a fort à parier que ce ne fut nullement en y trouvant un modèle théorique de leursopérations alchimiques, mais simplement en y voyant l’une des innombrables allégories,telle celle du phénix, par lesquelles les Anciens voilèrent le secret de l’Art.

DE L’INFLUENCE DE J USTE LIPSE ET DE SON MILIEU SUR L’ALCHIMIE

Jean-Paul Dumont, puis Bernard Joly ayant partiellement lié le prétendu regain d’intérêtdes alchimistes de l’âge classique pour la physique stoïcienne aux travaux de Juste Lipse 474,nous voudrions, avant de clore notre étude, dire quelques mots à ce sujet.

Les alchimistes avaient souvent beaucoup de lecture et d’érudition. Aussi n’est-il passurprenant qu’un certain nombre d’entre eux aient lu les écrits de Lipse, qu’il s’agisse de sestraités sur le stoïcisme — c’est le cas de Jacob Toll, que nous avons vu faire référence à laPhysiologia Stoïcorum — ou de ses autres ouvrages. Ainsi, dans la version finale de sonAmphitheatrum Sapientiæ æternæ, achevée deux ans avant la publication de la PhysiologiaStoicorum, commentant le verset biblique (Pr. VI, 6) Va à la fourmi, ô paresseux etconsidère ses voies, et apprends la sagesse, Henrich Khunrath explique qu’en tous lesanimaux « luit une étincelle de sagesse ou de prudence » et allègue entre autres l’exemple del’éléphant, à propos duquel il renvoie à la correspondance de Lipse :

« L’Éléphant, le plus grand des animaux terrestres est docile, clément, prudent, douéd’excellente mémoire ; ami de l’homme, selon Pline, au livre VIII de son Histoirenaturelle, et Juste Lipse dans ses Lettres ; au témoignage aussi de l’expérienced’aujourd’hui, car des témoins oculaires et dignes de foi connaissent les preuves demagnanimité qu’il a données de notre temps à Anvers, à Lisbonne et à Vienne. » 475

Ainsi encore, dans son De Aureo Vellere, paru la même année que la PhysiologiaStoicorum, Guillaume Mennens met à profit, à propos des discussions théologiques, le Deuna religione liber (Anvers, 1599) de Lipse :

474. Cf. J.-P. Dumont, « Les a priori philosophiques de l’alchimie classique… », p. 20[83], et « Préface » à B. Joly, La Rationalité de l’alchimie au XVIIe siècle, p. 10 ; B. Joly, L aRationalité de l’alchimie au XVIIe siècle, pp. 84-85, et « Physique stoïcienne et philosophiechimique au XVIIe siècle », pp. 179 et 183.

475. Traduction Grillot de Givry (modifiée par nous), Amphithéâtre de l’Éternelle sapience,p. 32 ; cf. Amphitheatrum Sapientiæ æternæ, p. 39 : « E LEPHAS, animalium terrestriummaximum, docile, clemens, prudens, memoria valens, ⁄§≥cµ¢ƒ›√∑µ, iuxta Plinium, lib. 8.Natural. histor. & Iustum Lipsium in Epistolis, teste quoque experientia hodernia : sciunt enimtestes oculares & fide digni, quæ præstiterit magnanimitatis documenta Antuerpiæ, Vlyxeponæ,atque Viennæ, nostro tempore. »

Alchimie et stoïcisme 123

« […] même le très docte Juste Lipse atteste que les discussions non seulement neréduisent point les schismes, mais poussent les hérétiques à durcir davantage leurposition ; qu’en conséquence on doit éviter les disputes dialectiques et proposer lesformules de foi transmises par les Anciens, comme l’écrit un vieil auteur ecclésias-tique qu’il rapporte. Car s’ils rejettent ce qui est ancien et les Anciens, quelle raisonou subtilité, poursuit-il, les pourra vaincre ? 476 » 477

De telles références, qui restent relativement rares, n’indiquent cependant pas chez lesalchimistes une lecture des ouvrages de Lipse qui ait été de nature à influersignificativement sur leur doctrines. Même l’utilisation de la Physiologia Stoicorum faitepar Toll dans ses Fortuita demeure en quelque façon marginale, puisque sa démarche neconsiste pas à partir de doctrines stoïciennes qui lui tiendraient lieu de modèles théoriques,mais à les utiliser avec d’autres doctrines en guise d’illustrations ou de confirmations depoints précis de son travail de déchiffrement des procédés chymiques dissimulés sous desfables antiques. S’ils avaient réellement trouvé chez Lipse des éléments propres à élaborer età justifier leur science, les alchimistes n’eussent certainement pas manqué de le faire savoir,comme ils le firent avec Ficin ou Fernel, et eussent été prompts à ranger sous leur bannièremême un auteur qui jamais ne mentionna l’alchimie, bien qu’il y ait beaucoup de chancespour qu’il ait eu des contacts avec les milieux alchimiques lors de son séjour romain de1567-1569 aux côtés du cardinal de Granvelle, à qui il avait dédié, en 1566, ses Variælectiones et dont il était devenu le protégé 478 : on connaît en effet l’intérêt de Granvelle pourl’alchimie, et l’on sait que des alchimistes — entre autres Domenico Pizimenti et NicolasGuibert — fréquentèrent sa cour, tant à Rome qu’à Naples, lorsqu’il y fut nommé vice-roi 479. Du moins Lipse exprima-t-il son goût pour la médecine paracelsique, ainsi que l’afait remarquer François Secret. Dans une lettre d’août 1585, confiant à son ami le médecin

476. Cf. J. Lipse, De una religione adversus dialogistam liber. In quo tria capita libri quartiPoliticorum explicantur, In cap. III, éd. Opera, II, p. 153. L’écrivain ecclésiastique en questionest Théodose d’Alexandrie.

477. De Aureo Vellere, I, VI, Anvers, 1604, pp. 27-28 (éd. Theatrum chemicum, V,p. 271) : « Vt etiam vir doctissimus Iustus Lipsius testetur, disceptationes non solum nonreconciliare schismata, sed hæreticos magis ad contentiones accendere, vitandas idcircoDialecticas concertationes, formulas autem fidei à veteribus traditas proponendas, vt idem exveteri scriptore Ecclesiastico acceptum tradit ; Si enim antiqua & antiquos reiiciunt, quæ ratio autargutia, inquit, illos vincat. »

478. Voir J. Jehasse, La Renaissance de la critique, l’essor de l’Humanisme érudit de 1560 à1614, Saint-Étienne, s. d. [1976], pp. 208-210.

479. Voir F. Secret, « Notes sur quelques alchimistes de la Renaissance », VI : «Blaise deVigenère et les alchimistes du Nivernais », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, XXXIII(1971), pp. 625-640 (636-640), ici p. 640 ; « Notes sur quelques alchimistes italiens de laRenaissance », p. 213 et n. 3; « Littérature et alchimie », III : « François Rossellet, le cardinalde Granvelle et l’alchimie », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, XXXV (1973), pp. 499-531, ici pp. 500-501 ; D. Kahn, « Les débuts de Gérard Dorn d’après le manuscrit autographe desa Clavis totius Philosophiæ Chymisticæ (1565) », dans : J. Telle (éd), Analecta Paracelsica,pp. 59-126, ici pp. 67-77.

124 Sylvain Matton

et philologue Victor Giselin (Ghyselinck, Giselinus, 1543-1591) 480 qu’il souffrait de cedérangement hépatico-mésentérique que les Arabes nomment « myr<a>chial », Lipse luidemandait en effet :

« Voilà le nœud. As-tu un coin pour lui ? Mais es-tu toi aussi attaché aux médecinsde la vieille école ? Je dis de la vieille, car ceux de la nouvelle depuis Paracelsepromettent un secours du vinaigre de vitriol. Ils disent qu’il refroidit, pénètre, ouvreet en même temps fortifie les viscères et les membres. Et en vérité (retiens ta colèreet ta voix) j’en use déjà, avec un succès assez heureux. Quant au résultat final, jeverrai : s’il continue de me soulager ainsi, j’appellerai son inventeur un dieu. » 481

Du silence de Juste Lipse sur l’alchimie, il est évidemment impossible de conclure quoique ce soit quant à sa position à l’égard de cette dernière. Simplement, que Lipse n’ait opéréaucun rapprochement entre les thèses de la physique stoïcienne et celles de la philosophiechymique est sans doute l’indice qu’il n’aperçut pas de lien entre les unes et les autres, toutcomme n’en avait pas vu le traducteur de La Politique de Juste Lipse (1594), SimonGoulart, dans son Ample discours sur la doctrine des stoïques, où il observait que « lesPeripatetiques anciens & modernes ont traicté infinies questions sur les meteores, ausquellesles Stoïques n’ont point touché » 482 : Goulart rangeait probablement parmi ces questionscelle de la formation des métaux, et partant celle des transmutations métalliques, surlaquelle il n’était pas totalement dépourvu d’information, comme en témoignent certainesremarques sur l’or et l’herbe lunaire de ses commentaires sur la Premiere Sepmaine deGuillaume de Saluste Du Bartas (Paris, 1583) 483, ainsi que ses annotations au Grand Miroir

480. Voir la notice de L. Roersch dans Biographie nationale, publiée par l’Académie royaledes sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique, VII, Bruxelles, 1880-1883, col. 787-792.

481. Cf. Epistolarum selectarum Centuria prima miscellanea, Epist. LXXXI (« XI. kalend.Sextil. 1585 »), éd. Opera, I, p. 32 : « habes ei cuneum ? an tu quoque cum veteris Scholæmedicis obhæres ? Dico, veteris. nam isti noui à Paracelso, auxilium pollicentur ab Vitrioliaceto. Frigerare id aiunt, penetrare, aperire ; & simul robur addere visceribus & membris. Et sanè(iram & vocem comprime) iam vtor, successu non infelici. De exitu videbo : si iuuare ita porròpergit, ego inuentorem hunc deum. » Je remercie F. Secret de m’avoir signalé cette lettre.

482. Ample discours sur la doctrine des Stoïques, éd. cit., p. 354.483. Cf. Les Œuvres de Guillaume de Saluste, seigneur Du Bartas, reveus et augmentés par

l’autheur. En ceste derniere edition ont esté adioustez commentaires sur la Sepmaine […]argumens […] et sommaires […], Paris, 1583, textes cités par F. Secret, « Notes pour unehistoire de l’alchimie en France », Australian Journal of French Studies, IX (1972), pp. 217-236, ici pp. 219-220 (« II. Du Bartas, ses commentateurs et l’alchimie »). F. Secret a faitobserver que le commentaire du passage sur l’élixir de la Seconde Sepmaine auquel fait allusionP. Borel dans sa Bibliotheca chimica (Paris, 1654, p. 42 [Heidelberg, 1656, p. 40] :« Salustius Bartassius in Gallica sua Hebdomade, vt & S. G. S. id est Simon GoulartiusSyluanectensis, in Commentario suo, de Elixire, quædam referunt. ») n’est pas de S. Goulart maisde Claude Duret. Pour l’ensemble du commentaire de Goulart, voir H. Perrochon, « Simon Goulart,commentateur de la Premiere Sepmaine de Du Bartas », Revue d’Histoire littéraire de la France,XXXII (1925), pp. 397-401. Sur Du Bartas, voir J. Dauphiné, Guillaume de Saluste Du Bartas,poète scientifique, Paris, 1983, et, sous la direction du même, Du Bartas poète encyclopédique du

Alchimie et stoïcisme 125

du monde de Joseph Du Chesne (Lyon, 1593), encore que dans ces dernières il jugât lestransmutations impossibles 484.

Nous ne sommes guère mieux renseignés sur l’attitude qu’adoptèrent face à l’alchimieles milieux stoïciens constitués autour de Juste Lipse. Les quelques jugements surl’alchimie que nous avons pu glaner dans l’entourage et chez les proches amis de Lipseémanent en effet d’auteurs qui assirent ces jugements sur des bases aristotéliciennes. Carmalgré le fait qu’il fut le premier traducteur de son De constantia, l’on ne saurait voir enNuysement l’un des membres de l’entourage de Lipse : il ne réalisa cette traduction,entreprise vers la fin de 1583 et achevée en 1584, que sur la demande de l’éditeur de Lipse,Plantin, qui entra en contact avec lui lors de son séjours à Anvers, où il avait suivi sonprotecteur du moment, Jacques de Harlay de Champvallon 485.

Parmi les amis de Lipse qui traitèrent d’alchimie, l’un des plus fameux est bien sûr lejésuite Martin Del Rio (1551-1608) 486. Examinant dans ses Disquisitionum magicarumlibri sex (Louvain, 1599-1600) la question de savoir à quelle sorte de magie ressortitl’alchimie transmutatoire, et si elle est véridique, Del Rio conclut prudemment à sapossibilité au moins théorique et à sa licéité conditionnelle, en s’appuyant principalementsur les analyses faites par les aristotéliciens Benito Pereyra, dans ses De communibusomnium rerum naturalium principiis et affectionibus libri XV 487, et Gregorio de Valencia(1551-1603), dans son Commentariorum theologicorum tomus tertius, complectensmaterias Secundæ Secundæ D. Thomæ (Ingolstadt, 1591) 488.

Cette approche aristotélicienne est également celle d’une autre relation de Lipse, leflamand Pierre Bert ou Bertius (1565-1629) 489, surtout célèbre pour sa conversion au

XVIe siècle, Colloque international, faculté des lettres et sciences humaines de Pau et des pays del’Adour, 7, 8 et 9 mars 1986, Lyon, 1988.

484. Voir Le Grand Miroir du monde par Joseph Du Chesne, Lyon, 1593, p. 131 et pp. 529-532 (où il écrit, p. 529, « […] les transmutations qui ne sont ni ne peuuent estre »).

485. Sur tout cela, voir W. Kirsop, Clovis Hesteau, sieur de Nuysement, et la littératurealchimique de la fin du XVIe siècle et du début du XVIIe siècle, chap. II (« “labore et constantia” »),t. I, pp. 33 sqq. La traduction très littérale de Nuysement fut jugée si médiocre que Plantin, suivantle conseil de son ami Porret, ne mit pas, semble-t-il, le livre en vente, ce qui en expliquel’extrême rareté (voir W. Kirsop, ibid.).

486. Sur la position de Del Rio à l’égard de l’alchimie, voir R. Halleux, « Helmontiana »,pp. 54-56 (alchimie et paracelsisme) ; M. Baldwin, « Alchemy and the Society of Jesus in theseventeenth century : strange bedfellows ? », Ambix , XL (1993), pp. 41-64, ici pp. 43-45(M. Baldwin affirme cependant à tort que Del Rio ne fait pas rentrer l’alchimie dans la magienaturelle) ; S. Matton, « La Compagnie de Jésus et l’alchimie », dans F. Greiner (éd.), Aspects dela tradition alchimique au XVIIe siècle, où sont exposées les analyses de Pereyra et de Gregorio deValencia.

487. Voir S. Matton, « La Compagnie de Jésus et l’alchimie ».488. Voir id.489. Sur P. Bert, voir J.-G. Chauffepied, Nouveau dictionnaire historique et critique…, I,

Amsterdam, 1750, pp. 265-267 ; Biographie nationale publiée par l’Académie royale dessciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique, II, Bruxelles, 1868, col. 292-298 (notice de DuBon de Saint-Genois).

126 Sylvain Matton

catholicisme, ayant abjuré entre les mains du cardinal de Retz après s’être réfugié en France,où Louis XIII lui donna une chaire de mathématique au Collège royal et le nomma sonhistoriographe. Bert connut bien Lipse pour avoir étudié les belles-lettres à Leyde sous sadirection et l’avoir accompagné en Allemagne en 1591. Bert enseigna d’ailleurs lui-même àLeyde, d’abord comme régent des basses classes, puis dans le nouveau collège del’Université, dont il fut aussi le bibliothécaire, avant d’être nommé en 1606 régent duCollège des États et fait en 1615 professeur en philosophie.

Bert s’intéressa au stoïcisme, tout particulièrement à la morale stoïcienne, et ses rela-tions avec Lipse y furent sans doute pour quelque chose. En 1619, il prit pour sujet de soncours à l’Université de Leyde le De brevitate vitæ de Sénèque, cours dont la leçon inaugu-rale fut publiée sous le titre de P. Bertii Quum librum L. Annæi Senecæ De brevitate vitæpublicè explicare adgrederetur, oratio, habita Lugduni Batavorum, VII. Eid. Quinctileis,Anno M. DC. XIX (Leyde, 1619) 490. Mais cet intérêt ne conduisit apparemment jamaisBert à remettre en question la philosophie d’Aristote, qu’il fit profession d’enseigner et qu’ilplace, dans ses Logicæ peripateticæ libri sex (Leyde, 1604), au-dessus de toutes lesautres 491. En particulier, les nombreuses thèses universitaires qu’il présida, notammentcelles portant sur la physique, s’inscrivent clairement dans le cadre de l’aristotélisme. Ainsi— et pour ne considérer que celles qui entretiennent un rapport plus ou moins direct avecl’alchimie —, un an avant que Lipse ne publiât sa Physiologia Stoicorum, Bert fit soutenirà l’Anversois Samuel I. F. Hochedé de La Vigne des Theses physicæ de elemento ignis,eiusque motu in orbem (Leyde, 1603) 492, dont la première énonce :

« Contre les novateurs Cardan et ses suivants, l’on peut prouver de diversesfaçons que le feu est un élément : 1) à partir de la raison du mouvement ; 2) à partirde l’union («�â�zßl) des qualités premières ; 3) à partir de la résolution des mixtes.Le feu élémentaire diffère cependant du nôtre en ce que celui-ci est le dernier degré dela chaleur, tandis que celui-là est la chaleur même ; celui-ci est épais et dense, celui-là ténu ; celui-ci brûle en raison de sa densité et de la compaction de sa matière,celui-là ne brûle pas en raison de sa ténuité ; celui-ci est visible même de jour grâce

490. Cf. Quum librum L. Annæi Senecæ De brevitate vitæ publicè explicare adgrederetur,oratio, Leyde, 1619, pp. 3-4 : « […] Senecæ libellum de Breuitate vitæ in manus sumere,publiceque explicare instituerim, id priusquam rem ipsam adgrediar, statui paucis exponere : nam& à vobis illud exspectari, & ab huius loci atque temporis ratione non esse omninò alienum,puto. Vereor enim ne qui sint, qui me ordinem meum desruisse suspicentur, quod omissoAristotele, eiusque laudatissimo interprete, ad Stoicæ Philosophiæ Principem nunc accedam, velnon mei muneris esse judicent, de longa & brevi vita disserere. »

491. Cf. Logicæ peripateticæ libri sex, Leyde, 1604, f. *r : « Philosophiam omnem Peripa-teticam (quæ & Dogmatum veritate, & Ordinis accuratione, & Demonstratione robore, cæterasomnes philosophias antecedit) […]. »

492. Theses physicæ de elemento ignis, eiusque motu in orbem, Quas […] sub patrocinio[…] D. Petri Bertii Illust. DD. Ordinum Holland et Occidentalis-Frisiæ Collegii TheologiciLugduno-Bat. Subregentis dignissimi, In eiusdem Collegii auditorio tueri adnitar Samuel I. F.Iochedæus [sic] de La Vigne Antwerp., Leyde, 1603.

Alchimie et stoïcisme 127

à sa couleur, celui-là ne peut pas même être vu la nuit, parce qu’il est extrêmementraréfié. Nous voyons donc le feu être très fort dans le fer incandescent, en raison desa densité, l’être moins dans le bois, être très faible dans le lin ou l’étoupe, être sidilué dans la flamme que nous y faisons passer la main sans blessure, et tellementténu dans l’eau ardente qu’il ne se nourrit pas du linge, mais le lèche. Nous nevoyons pas le feu élémentaire dans sa sphère. » 493

Il ne serait pas absolument illégitime de vouloir discerner dans ces thèses une influencestoïcienne dans l’insistance non seulement à souligner la différence entre le feu élémentaireet le feu ordinaire, mais encore à marquer la supériorité du feu sur les autres éléments. Lesstoïciens y sont au reste expressément allégués. Certes, la “citation” étrangement formuléede Sénèque, « il convient que le sage fasse confiance », faite dans la seconde thèse pourrepousser l’objection de ceux qui, « trop attachés au sens et liés à la matière », nient qu’ilexiste un feu élémentaire du fait qu’on ne le perçoit pas, est surtout d’ordre rhétorique 494. Enrevanche, bien que banale, la citation de Zénon faite dans la quatrième thèse a uneimportance au moins égale aux références faites à Aristote :

« Nous attribuons au feu une place dans la nature plus élevée que celles desautres éléments, deux principaux arguments nous poussant à cela. Le premier est quecomme la supériorité d’un élément s’infère d’une propriété native de chacun, qui estla marque de sa forme substantielle, et que la qualité du feu l’emporte de loin surtoutes les autres, nous affirmons légitimement que le feu est plus noble que lesautres éléments. D’autre part, sa chaleur l’emporte parce qu’elle est plus active etplus universelle pour produire des choses tant dans les œuvres de l’art (d’où vient,semble-t-il, que le feu est appelé “maître des arts”) que dans celles de la nature — etc’est pourquoi Zénon (au témoignage de Cicéron, dans le second livre du De naturadeorum 495), croyait que la nature n’est rien d’autre qu’un feu artiste, et qu’Aristote a

493. Id., f. G2r : « Ignem Elementum esse variè contra Cardanum, ejusque sequaces rerumnovatores probari potest. I. ex ratione motus. II. ex primarum qualitatum «�â�zßl. III. exmixtorum resolutione. Differt tamen ab igni nostro, quòd hic fit …∑◊ £|ƒ¥∑◊ Ã√|ƒx∑≥é, ille a�…ª…ª £|ƒ¥∫µ. hic crassus & densus, ille tenuis. hic vrat ob densitatem & materiæ compactionem,ille ob tenuitatem non urat. hic conspiciatur etiam interdiu ob colorem, ille ne noctu quidem sitconspicuus, quia rarissimus : Videmus igitur ignem in ferro candente validissimum esse, propterdensitatem, in ligno minùs, imbecilliorem eundem esse in lino aut stupa, in flamma ita dilutum,ut manum traducamus sine offensione. In aqua ardente ita tenuem, ut linteum non depascar, sedlambat : elementarem in suo orbe non videmus. »

494. Theses physicæ de elemento ignis, f. G2r : « Qui negant elementum esse, quia nonconspicitur, nimis videntur sensib. dediti, affixque esse materiæ. At rectè Seneca, SAPIENTEM

CREDVLVM ESSE OPORTERE dixit. » Il s’agit peut-être d’une allusion à Ad Lucilium epistulaemorales, I, III, 4 : « utrumque enim vitium est, et omnibus credere, et nulli ».

495. Voir ci-dessus, note 151.

128 Sylvain Matton

dit (dans le second livre De la vie et de la mort, et dans le second livre DesAnimaux, chap. V, texte 50 496) que l’âme fait tout par le biais de la chaleur. » 497

Toutefois, quelle que soit l’importance de la présence du stoïcisme dans ces thèses, cetteprésence ne mène guère à une attitude d’ouverture à l’alchimie. Si l’allusion à « l’eauardente » de la Thèse I nous rapproche de l’alchimie, c’est probablement aussi certainsalchimistes que vise la Thèse II en dénonçant « l’erreur de ceux qui prétendent que le ciel estle quatrième élément » 498, puisque, nous l’avons vu, certains alchimistes avaient substituéle « ciel » au feu dans la série des éléments 499.

La publication de la Physiologia Stoicorum de Lipse n’eut pas pour effet d’accroître laprésence de la physique du Portique dans les thèses que présida Pierre Bert. L’année de cettepublication, Bert fit ainsi soutenir à Samuel Nothæus des Theses physicæ de mixtione(Leyde, 1604) 500 où ne se rencontre pas même une allusion à la théorie stoïcienne dumélange. L’année suivante, il fit soutenir à l’Édamois Robertus Gulielmus F. Puppius desthèses sur la X�«§∑≥∑zß` de meteoris (Leyde, 1605) 501, dont le titre est peut-être un échode l’ouvrage de Lipse, mais dont le contenu est, du point de vue du stoïcisme, très en retraitsur les Theses physicæ de elemento ignis […] de 1603, en dépit d’une référence auxNaturales quæstiones de Sénèque, à propos des comètes 502. Elles offrent des analysesconventionnelles et des distinctions banales qui se rencontrent à l’époque dans la plupart desthèses universitaires sur les météores 503. La seconde thèse énonce ainsi :

496. Aristote, Parva naturalia : De juventute et senectute, de vita et morte, de respiratione,4, 469a-b, et 14 (8), 474a ; De animalium generatione, II, 4, 740b.

497. Cf. f. G2v : « Igni præ cæteris elementis altiorem naturæ gradum adscribimus, idqueduobus præcipuè moti argumentis. Primum est ; cum Elementi præstantia colligatur ex nativâcujusque proprietate, quæ substantialis formæ index est, Ignis autem qualitas ex cæteris longèexcellat, meritò ignem cæteris elementis nobiliorem asserimus. Excellit autem Calor, quiaactuosior est (Thom. 4. sent. d. 44. quæst. 3. art. 2.), & ad res efficiendas universalior, tam inoperibus artis, hinc dictus videtur ignis artium magister, quàm naturæ, hinc Zeno, teste Cicerone(lib. 2. de Natura Deorum), credidit naturam nihil aliud esse, quàm ignem artificiosum, &Aristoteles (lib. 2. de vita & morte & lib. 2. de Anim. cap. 5. tex. 50) animam omnia interventucaloris operari dixit. […] »

498. Cf. Thesis II, f. G2r : « Qui Cœlum putant esse quartum istud elementum, erroris depre-henduntur, ex eo, quòd cœlum non caleat, neque leve aut grave sit, neque rectâ lineâ feratur. »

499. Voir ci-dessus p. 89.500. Theses physicæ de Mixtione Quas J|∑◊ {§{∫µ…∑», Præside Clarissimo & Doctissimo

Viro, D. Petro Bertio, Collegii Theol. Illust. D. D. Ord. Hollandiæ & West-Frisiæ Subregentisdignissimi, pro viribus defendam Samuel Nothæus, Leyde, 1604.

501. XWTKQMQDK˝A de Meteoris, quam […] Præside […] D. M. Petro Bertio CollegiiTheologici, quod est in Acadaemiâ Lugduno-Bat. subregente, & Ethices Professore publico,a«≤ç«|›» ѵ|≤` Examinadam proponit Robertus Gulielmus F. Puppius Edamensis, Leyde, 1605.

502. Cf. id., Thesis V, f. A2v : « Durant [Cometæ] quandiu materia eorum ardet, ad summum(si Senecæ a credimus) senos menses » ; la note « a » indique : « Q.N. l. 7. c. 10 & 21 ». LeCorollaire de cette thèse explique : « Novum illud visum, quod anno 1572. ad genu Cassiopeæapparuit, non fuit stella nec cometa, sed hyperphysicâ generatione à Deo procreatum. »

503. Cf., par exemple, I. L. Hawenreuterus (præside), Disputatio de igneis meteoris, Stras-bourg, 1603 ; I. G. Leo (præside), Disputatio de meteoris philosophica, Bâle, 1601 ; etc.

Alchimie et stoïcisme 129

« La cause efficiente des météores est double, hyperphysique et physique. Lapremière est le premier moteur, supérieur à la nature : Dieu lui-même ; la seconde està son tour double, éloignée et prochaine. La cause éloignée est la force et influencedes astres qui dispose et prépare la matière élémentaire en vue d’une émanation, etl’émanation en vue de la génération des météores. La cause prochaine, égalementappelée instrumentale, est la chaleur et le froid : la chaleur, dans la mesure où,excitée par les rayons du soleil, elle dissout en émanation, en les raréfiant, de mincesparties de terre ou d’eau, et les élève en l’air ; le froid, dans la mesure où il resserreles exhalaisons qui se sont élevées. De même, leur matière est double. La matièreéloignée est constituée par les quatre éléments, et principalement par la terre etl’eau ; la matière prochaine est une exhalaison ou émanation (l’aµ`£�¥ß`«§» desGrecs) qui s’engendre à partir de particules de terre et d’eau amincies. Cetteexhalaison est double, c’est une fumée (en grec ≤`√µ∫») et une vapeur (en greca…¥ß»). La fumée est une exhalaison plus fine, chaude et sèche, tandis que la vapeurest plus épaisse, chaude et humide ; la première est tirée, par la vertu des astres, deterres et de lieux arides, tandis que la seconde l’est d’eaux et de lieux humides ; etelles sont soit portées en haut, soit enfermées dans des cavités dans la terre. Laforme des météores est ce par quoi chacun d’eux est ce qu’il est, et elle varie selonque la matière est diversement affectée. Leur fin est l’illustration de la sagessedivine, la justification du monde et le salut des vivants.

COROLLAIRE I. Le ciel agit sur ces réalités inférieures.COROLLAIRE II. La fumée ne diffère pas en espèce de la terre, ni la vapeur de

l’eau. » 504

Or c’est précisément dans ce cadre théorique d’un néo-aristotélisme scolastique qu’il estfait explicitement mention de la question de l’alchimie transmutatoire, présentée sous laforme d’un « e{∑∂∑µ », c’est-à-dire, selon la terminologie aristotélicienne, d’une thèse im-

504. Cf. XWTKQMQDK˝A de Meteoris, II : « Causa effectrix Meteororum duplex est,hyperphysica & physica : illa est primus motor, natura melior, ipse Deus ; hæc iterum est duplex,remota & propinqua. Remota est vis & influentia stellarum quæ materiam elementarem adhalituum, halitusque ad Meteororum generationem disponit & præparat. Propinqua, quæ &intrumentalis dicitur, est calor & frigus ; ille quatenus Solis radiis excitatus tenuiculas partesterræ, aquæve rarefaciendo in halitus solvit, & in sublime elevat ; hoc quatenus exhalationeselevatas constringit. Materia itidem duplex est, remota sunt 4 elementa, & imprimis terra &aqua ; propinqua est exhalatio sive halitus (Græcis aµ`�¥ß`«§») qui ex particulis terræ & aquæextenuatis gignitur. Halitus iste duplex est, fumus (qui ≤`√µª») & vapor (qui a…¥®» Græcisdicitur). Fumus est halitus tenuior, calidus & siccus : vapor vero crassior, calidus & humidus ; illeex terris & locis aridis, hic ex aquis locisque humectis virtute siderum educitur, & vel sursumfertur, vel in terræ cavernis concluditur. Forma Meteororum est id per quod unumquodque est idquod est ; estque varia, prout materia variè afficitur. Finis eorum est illustratio sapientiæ divinæ,mundi expurgatio, & salus viventium.

Coroll. I. Cœlum agit in hæc inferiora.II. Fumus à terrâ & vapor ab aquâ non differt specie. »

130 Sylvain Matton

probable 505, dont les arguments pro et contra ne sont malheureusement pas exposés, maisdont on sait au moins que pour Pierre Bert, étant un e{∑∂∑µ, elle ne devait pas être défenduepar le répondant, une proposition constituant selon lui un e{∑∂∑µ soit parce qu’elle est évi-demment fausse, soit parce qu’elle implique quelque chose de manifestement faux, soit parcequ’elle corrompt les bonnes mœurs, soit, enfin, parce qu’elle s’oppose aux opinions re-çues 506. Traitant des météores souterrains après qu’eurent été examinés les météores ignés,aériens et aqueux, la treizième et dernière thèse se présente en effet de la manière suivante :

« À partir de certaines des exhalaisons enfermées dans la terre et mélangées avecelle sont produits des corps qui sont des mixtes parfaits, et ne sont donc pas àproprement parler des météores, mais que l’on compte quand même parmi lesmétéores en raison de l’identité de leur cause et de leur matière. Ces corps sont lesmétaux, les pierres et les terres précieuses. Les métaux sont immédiatementengendrés à partir du soufre et du mercure, le premier se produisant à partir d’uneexhalaison chaude et sèche, le second à partir d’une exhalaison chaude et humidelorsque se présente une fine onctuosité terreuse. Ils sont soit purs soit impurs. Lespurs sont l’or et l’argent. Les impurs ont les uns plus d’eau, les autres plus de terre.Ont plus d’eau le plomb et l’étain, plus de terre le cuivre et le fer. Les pierres sontproduites à partir d’une exhalaison sèche lorsque se rencontre un onctueux terreux etaqueux. Elles sont soit viles soit nobles. Les viles sont soit poreuses soit solides.Les poreuses sont le tuf et la pierre ponce. Les solides sont le silex, la pierre àaiguiser, le roc, l’émeri, la pyrite. Les pierres nobles sont les gemmes et lesmarbres. Les espèces les plus nobles de ces derniers sont l’albâtre, le marbred’ophite, le porphyre. Les espèces les plus nobles des premiers sont le diamant, lesaphir, l’émeraude, la hyacinthe, l’améthyste, l’escarboucle, la calcédoine, le rubis,la chrysolite, l’œil de chat, l’agate, la cornaline, le jaspe, l’onyx, la turquoise. Lesmoins nobles sont le cristal, le corail, l’hématite et l’aimant. Les terres précieuses

505. Par opposition à l’ǵ{∑∂∑µ, ou thèse probable ; cf. Aristote, Topica, VIII, 5, 159a 39et suiv.

506. Cf. P. Bert, Logicæ peripateticæ libri sex, V, III, IV et IX, Leyde, 1604, pp. 308-309 :« De officio Respondentis. / Respondentis est ponere thesin, vel ǵ{∑∂∑µ, vel e{∑∂∑µ, vel¥ä{Ä…|ƒ∑µ. / Ad opposita ita respondebit, ut neque concedat falsa, neque ea quæ ignotiora suntconclusione. / Si Thesis fuerit ex alienâ sententiâ non ex suâ, respondebit ad objectiones exalienâ potius sententiâ quam ex suâ. / CAP. IV. / Ad argumentum opponentis hoc modo respon-dendum est. / I. si præmissæ veræ sint, neque iis evertatur thesis, dicendum est, videri : sed nihilhæc facere ad disputationem. / II. Si insuper præmissæ sint falsæ, licebit cum eâdem protestationeconclusionem concedere, præmissas negare. / III. Si & vera sint omnia, & ad rem faciant, viden-dum est an ulla sit petitio principii. / IV. Si ad rem faciunt & sunt e{∑∂`, rejicienda sunt. / V. Sineque ad rem conducant, neque e{∑∂` sunt neque ǵ{∑∂`, absolutè poterunt concedi. / VI. Si addisputationem pertinent, utendum vel distinctione, vel negatione, vel instantia. Nam si conce-dantur evertetur thesis. / […] / CAP. IX. / Respondentis est antè disputationem præmeditari, & sibiipsi aliquid objicere, quod tacitè solvat. / Hoc Græci vocant √ƒ∑|z¤|§ƒ|±µ. / ıA{∑∂` non sunt de-fendenda. / Idem præceptum lib. I. cap. II. Sunt autem e{∑∂`, I. Manifestè falsa. II. Ex quibus mani-festè falsum sequitur. III. Quæ bonos mores corrumpunt. IV. Quæ receptis sententiis adversantur. »

Alchimie et stoïcisme 131

naissent des deux exhalaisons mélangées à de la terre. Certaines d’entre elles nepeuvent pas se liquéfier, d’autres si. À ce dernier genre appartiennent le sel, l’alun, lebitume, le vitriol. Au premier, l’orpiment, le réalgar, la chaux, le gypse, la craie,l’ocre, l’argile, la terre sigillée, la terre d’Arménie.

COROLLAIRE I : Les métaux et les pierres ne sont pas animés.COROLLAIRE II : Les métaux, comme les pierres, diffèrent entre eux selon l’espèce.

IMPROBABILITé :De l’or véritable peut être produit par l’alchimie. » 507

CONCLUSION

L’approche historique des textes ne nous permet pas de voir dans le stoïcisme le« modèle philosophique » de l’alchimie de l’âge classique, aussi bien que de l’alchimie de laRenaissance et du Moyen Âge ; cette approche ne nous permet pas même de reconnaîtredans le stoïcisme un modèle parmi d’autres, avoué ou secret, et cela pour la simple et bonneraison que les doctrines physiques stoïciennes étaient alors très mal connues, voire complè-tement ignorées des alchimistes. Aussi, bien que sur les questions de l’esprit universel dumonde, des principes et des éléments, de la matière et de la forme, du mélange et desmixtes, etc., les alchimistes de la Renaissance et de l’Âge classique aient développé desthèses souvent divergentes ou franchement contradictoires, aucun d’entre eux ne sembleavoir repris de manière spécifique l’enseignement du Portique, et aucun ne s’en est jamaissérieusement réclamé. Mais s’il n’y a pas de modèle stoïcien, cela ne signifie évidemment

507. Cf. XWTKQMQDK˝A de Meteoris, XIII : « Cæterum è quibusdam ex exhalationibus terræinclusis cumque ea permistis fiunt corpora & quidem perfectè mixta, quare Meteora propriè nonsunt, sed tamen ob causæ & materiæ identitatem etiam inter Metora numerantur. Sunt autem illametalla, lapides, & terræ pretiosæ. Metalla proximè generantur ex sulphure, quod ex calida &sicca, & argento vivo, quod ex calida & humida exhalatione adveniente terrestri subtiliunctuositate fit. Suntque vel pura vel impura. Pura sunt aurum & argentum ; Impurorum alia plushumoris, alia plus terræ habent. Plus humoris habent plumbum & stannum. Plus terræ, æs &ferrum. Lapides ex sicca exhalatione accedente terrestri & aqueo unctuoso producuntur. Suntquevel ignobiles, vel nobiles. Ignobiles rursum vel porosi vel solidi. Porosi sunt tophus & pumex.Solidi, silex, cos, saxum, smiris, pyrites. Nobiles lapides sunt Gemmæ & Marmora. Horumspecies nobilissimæ sunt alabastrites, ophites, porphyrites. Illarum species nobiliores suntadamas, saphirus, smaragdus, hyacintus, amethystus, carbunculus, calchedonius, rubinus,chrysolithus, asterites, achates, sardius, iaspis, onyx, turcois. Minus nobiles crystallus,coralium, hæmatites & magnes. Terræ pretiosæ fiunt ex utraque exhalatione terræ commista.Harum aliæ liquescere non possunt, aliæ possunt. Istius generis sunt sal, alumen, bitumen,vitriolum. Illius auripigmentum, sandaracha, calx, gypsum, creta, ochra, argilla, terra-sigillata,terra-Armenia.

COROL. I. Metalla & lapides non sunt animata.II. Metalla inter se, ut & Lapides, differunt specie.

A˜EQPQO.Verum aurum per Alchymiam potest effici. »

132 Sylvain Matton

pas qu’on ne puisse pas retrouver dans l’alchimie des éléments d’origine stoïcienne ou, sim-plement, qui s’accordent avec les enseignement du stoïcisme — car il convient toujours debien distinguer, comme l’a fait Paul Kraus à propos du corpus jâbirien, entre ce qui relèved’une « influence du stoïcisme », ce qui est « interprétation stoïcisante » et ce qui n’est quepoint de rencontre non déterminant 508. Des éléments d’origine stoïcienne puisque, exacte-ment comme pour les rédacteurs du corpus jâbirien, la physique stoïcienne n’est parvenueaux alchimistes, pour l’essentiel, qu’ « encapsulée » dans la doctrine d’autres écoles philoso-phiques, principalement celle du néoplatonisme. Et c’est bien le néoplatonisme ficinien,non le néo-stoïcisme chrétien, qui exerça une influence déterminante sur l’alchimie des XVIe

et XVIIe siècles, en y introduisant la doctrine du spiritus mundi, identifié avec l’élixir. Surce point capital, l’analyse faite par le philosophe Francesco Piccolomini (1520-1604) 509

dans le chapitre sur la quintessence de son De rerum definitionibus (Venise, 1600) 510 estsignificative. Platonisant, mais sur la base d’une concordance de Platon et d’Aristotereconduisant la physique du dernier, ce critique du stoïcisme et de l’alchimie ne rapprochepas, comme il aurait pu le faire dans une intention polémique, la quintessence-élixir desalchimistes, qu’il tient pour une rêverie, du pneuma des stoïciens : il remarque au contraireque la quintessence des premiers ne peut correspondre au pneuma des seconds, dans lamesure où, selon eux, ce pneuma n’a pas d’existence séparée des corps ; il ne nie pas, enrevanche, qu’elle puisse correspondre au véhicule éthéré d’une âme du monde, tel quel’emprunte l’empereur Julien à « la théologie d’Orphée et des Phéniciens », dès lors que cevéhicule est conçu comme un corps, encore que cela lui apparaisse absurde, l’âme du mondene pouvant « exhaler » un corps. Mais surtout, c’est par les thèses des « académiciens », quiposent que la quinte essence est « l’essence du ciel, une perfection et pureté des quatreéléments», que Piccolomini explique celle qu’extraient les chimistes. Enfin, c’est Ficinmême qu’il recopie, sans le signaler, lorsqu’il écrit :

« […] c’est l’opinion de beaucoup de gens qu’au moyen de sublimations l’on peut ti-rer de tout ce qui se tient sous le ciel une quintessence, qu’ils disent extrêmementprécieuse, douée d’une merveilleuse vertu, très puissante pour prolonger la vie, pour

508. Cf. P. Kraus, Jæbir ibn Îayyæn […] Jæbir et la science grecque, Le Caire, 1942 (rééd.Paris, 1986), p. 171 : « La confrontation de la théorie des éléments de Jæbir avec celle d’Aristotea donc suffisamment montré que la différence entre les deux systèmes est due à une interprétationstoïcisante des données péripatéticiennes. Je dis stoïcisante et non pas stoïcienne, car il esthistoriquement improbable sinon impossible d’admettre une influence directe du stoïcisme surJæbir. La physique stoïcienne ne lui est parvenue qu’encapsulée dans la doctrine d’une autre écolephilosophique », celle du moyen platonisme.

509. Voir L. Thorndike, A History of Magic and Experimental Science, VI, pp. 377-379;E. Garin, « Note e notizie », Giornale critico della filosofia italiana, XL (1961), pp. 124-135, etStoria della filosofia italiana, pp. 656-661; A. Poppi, « Il problema della filosofia morale nellascuola padovana del rinascimento : platonismo e aristotelismo nella definizione del metododell’etica », dans : Platon et Aristote à la Renaissance, pp. 105-146.

510. Voir De rerum definitionibus liber unus…, Venise, 1600, f. 92v-94r ; texte reproduit ci-dessous, Appendice III, pp. 143-144.

Alchimie et stoïcisme 133

donner de l’éclat à son génie et acquérir sans peine les sciences, ainsi que pour fairede l’or, trois choses que les hommes désirent au plus haut point. Arnaud de Ville-neuve et Raymond Lulle en particulier pensent qu’elle peut se tirer d’un vin célesteet, jointe à de l’or céleste, être absorbée par celui-ci, et que se forme un or potabled’une rare vertu 511. Telles sont en grande partie les consolations des chimiques per-dus, qui rêvent encore que de l’or peut s’extraire une âme, à partir de laquelle onpourrait ensuite produire beaucoup d’or. Mais examinons selon quelle théorie il estpossible d’extraire des choses une quinte essence, au moyen de sublimations. Il estclair que cela ne peut se faire selon l’avis d’Aristote, d’une part parce que le ciel n’estpas mélangé aux choses périssables, d’autre part parce qu’il n’existe pas un premiercorps plus pur et plus simple que les quatre éléments, et que d’un mixte on peut seu-lement tirer les quatre éléments. Quant à l’opinion rapportée par Cicéron et attribuéeà Aristote 512, je n’en dis rien car c’est une erreur évidente, comme on l’a montré. Àpropos de l’esprit universel des stoïciens, on doit également dire qu’il ne se peut ob-tenir, non seulement parce qu’on ne doit pas l’admettre, comme l’a montré par diversarguments Alexandre [d’Aphrodise], mais encore parce que les stoïciens pensent quesa condition est de se répandre à travers les corps, et de les lier, et non pas de subsis-ter séparément. Si nous parlons selon l’avis d’Orphée et des théologiens phéniciens,leur quinte essence est soit incorporelle, soit un corps. Si elle est incorporelle, ellene convient pas, puisque ce qui est extrait au moyen de sublimations est un corps, etqu’en outre l’incorporel ne constitue pas légitimement un cinquième degré entre lescorps ; si c’est un corps, il est absurde que l’âme [du monde] incorporelle exhale uncorps ; de plus on n’a jamais remarqué chez nous d’autre corps que les quatre élé-ments, et ceux qui sont constitués d’eux. C’est pourquoi, si nous disons qu’elle peuts’extraire de ces corps, nous sommes contraints de dire avec les Académiciens que laquinte essence est une sublimation et une purification des quatre éléments, ainsi queleur réduction en esprits subtils, de condition ignée et solaire, doués d’un pouvoirexceptionnel en regard de la condition de ce dont ils sont tirés. Si nous disons cela,nous ne nous opposerons ni à Aristote ni à l’expérience : mais ces esprits ne peu-vent guère être correctement nommés une quinte essence, puisque ce sont des mixtesdes quatre éléments, et ils ne peuvent être doués de toutes les vertus que les chi-miques attribuent à la quinte essence. » 513

511. Cf. M. Ficin, In librum de Cœlo, comment., Opera omnia, Bâle, 1576, II, p. 1603, (éd.Paris, 1641, p. 557-558) : « Hunc igneum spiritum & uitalem Arnoldus & Raimundus putantesrebus omnibus insitum, & quintam appellantes essentiam diligentissimè perscrutantur, quibusmachinis ab aliena materia separent, & segregatum qua potissimum custodia sibi conseruent adusus, ut sperant, omnium saluberrimos. Mitto quòd sperant si hunc ex uino tanquam ualdè cœlestidiligenter acceperint, eum se adhibituros auro cœlesti quàm maximè : quem mox aurum combibatut cognatissimum, semperque retineat, fiatque potabile. »

512. Cicéron, Tusculanae disputationes, I, 10 ; voir ci-dessus note 271.513. Voir ci-dessous, Appendice III, pp. 143-144.

134 Sylvain Matton

APPENDICE I

Zenonis sermones ex Turba philosophorum excerpti(18/17, 28/26, 37/35, –/41, –/55)

[Sermo XVII] 514

Inquit Cinon : Iam dixistis, philosophorum et discipulorum Turba, in album faciendo ;dicendum est igitur in rubeum faciendo. Scitote, omnes huius artis investigatores, quod nisidealbetis, non potestis rubeum facere, eo quod duae naturae nihil aliud sunt quam rubeum et album.Dealbate igitur rubeum et album <rubificate> ! Et scitote, quod annus in quatuor dividitur tempora.Primum autem tempus est frigidae complexionis, quod est hiems ; secundum vero est <calidae>complexionis quod est ver ; deinde tertium, quod est aestas ; deinde quartum, quo fructusmaturantur, quod est autumnus. Hoc igitur modo vos oportet naturas regere : hiemis humiditate,deinde veris caliditate et exitu florum aestatisque calore et acie, et qualiter <autumnus> fructusmaturat <et> lenificat, ut <ab> arboribus colligantur. Hoc igitur descripto exemplo tingentesregite naturas ; sin autem, neminem nisi vos ipsos reprehendite !

[Sermo XXVI.] 515

Inquit Cinon : Video vos, Turba Sapientum, duo corpora coniunxisse, quod minime vobisiussit Magister fieri.

Respondit Turba : Dic ergo secundum opinionem tuam, Cinon, et cave invidiam !Et ille : Scitote, filii doctrinae, quod oportet vos compositum quadraginta diebus putrefacere,

deinde quinquies vase sublimare ; deinde igni stercoris iungite et coquite. Et scitote, quod colores,qui vobis ex eo apparent, sunt hi : prima die mugra citrina, secunda vero mugra rubea, tertiaquoque croco sicco similis ; demum perfectus color postea vobis apparebit et nummis vulgiimponetur. Tunc est iksir compositum ex humido et sicco, et tunc invariabili tingit tinctura.Scitote, quod corpus est, in quo aurum est. Iksir autem ponentes cavete, ne festinanter ipsumextrahatis, forte namque moratur. Extrahite igitur ipsum secundum vim iksir vestri. Hoc autemvenenum est quasi nativitas et vita, eo quod est anima ex multis extracta rebus et nummisimposita. Eius igitur tinctura est vita his, quibus adimit detrimentum, et mors corporibus, exquibus extrahitur. Ideoque magistri dixerunt, inter ea esse libidinem tanquam maris et feminae. Etsi quilibet in hac arte introductus sciret naturas, prolixitatem sustineret coquendi, donecpropositum nutu Dei extraheret.

[Sermo XXXV.] 516

Cinon autem ait : Numquid cuiquam dimisistis aliquid dicendum ?Et Turba : Quoniam parum prosunt dicta Vitimeri et Bacsem huius artis investigatoribus, dic

ergo, quid scis, prout diximus !Et ille : Verum dicitis, omnes huius artis investigatores ; nihil aliud in errorem vos

introduxit, quam invidorum dicta, quia quod quaeritis palam minimo venditur pretio ; quodsi<eius> pretium novissent venditores et quantum manibus tenent, nullo modo venderent. Ideoqueillud venenum philosophi honoraverunt et varie ac multipliciter de illo tractaverunt, omnibusquesumptis nuncupaverunt nominibus. Quare quidam invidi dixerunt, ‘est lapis et non lapis, verumgumma ascine’, ideoque huius veneni vim philosophi celaverunt. Hic enim spiritus, quem

514. Ed. J. Ruska, Turba Philosophorum…, pp. 126-127.

515. Id., pp. 135-136.

516. Id ., pp. 141-143.

Alchimie et stoïcisme 135

Discours de Zénon dans la Turba philosophorum

[Discours XVII]

Zénon dit : Assemblée des philosophes et des disciples, vous avez parlé de la façon de faire leblanc ; il faut donc parler de celle de faire le rouge. Sachez tous, chercheurs en cet art, qu’à moinsde blanchir, vous ne pouvez faire le rouge, parce que les deux natures ne sont rien d’autre que lerouge et le blanc. Blanchissez donc le rouge et rougissez le blanc ! Et sachez que l’année se diviseen quatre saisons. La première saison, qui est l’hiver, est de complexion froide, tandis que laseconde, qui est le printemps, est de complexion <chaude> ; vient ensuite la troisième, qui estl’été, puis la quatrième, où mûrissent les fruits, qui est l’automne. Aussi convient-il que vousrégissiez de cette manière les natures : par l’humidité de l’hiver, ensuite par la chaleur duprintemps et la sortie des fleurs, par l’ardeur et l’éclat de l’été, et de la façon dont < l’automne >fait mûrir et adoucit les fruits pour qu’on les cueille sur les arbres. Donc, en teignant selon lemodèle qui vient d’être décrit, régissez les natures. Si vous ne le faites pas, ne vous en prenez àpersonne d’autre qu’à vous-mêmes !

[Discours XXVI]

Zénon dit : Je vois, assemblée des sages, que vous avez conjoint deux corps, ce que notreMaître ne vous a absolument pas prescrit de faire.

L’Assemblée répondit : Donne donc ton avis, Zénon, et garde-toi de toute jalousie !Et lui : Sachez, fils de la science, qu’il faut que vous putréfiiez le composé pendant quarante

jours, puis que vous le sublimiez cinq fois dans le vase. Mettez-le ensuite au feu de fumier etcuisez-le. Et sachez que les couleurs qui vous apparaissent à partir de là sont les suivantes : lepremier jour, la mugra citrine; le second, la mugra rouge ; le troisième, encore une couleursemblable à du safran sec ; enfin, après cela, la couleur parfaite vous apparaîtra et on pourral’appliquer sur les monnaies d’argent communes. C’est alors l’iksir composé de l’humide et dusec, et alors il teint d’une teinture qui ne change pas. Sachez que c’est un corps dans lequel il y a del’or. Par ailleurs, en établissant l’iksir, prenez garde à ne pas l’extraire avec précipitation, car illui arrive de s’attarder. Extrayez-le donc en fonction de la force de votre iksir. D’autre part, cevenin est comme une naissance et une vie, parce qu’il est l’âme extraite de beaucoup de choses etappliquée aux monnaies. Sa teinture est donc une vie pour les choses chez qui elle supprimequelque chose de dommageable, et une mort pour les corps desquels on l’extrait. Voilà pourquoiles maîtres ont dit qu’il y a entre eux un désir comme celui du mâle et de la femelle. Et si n’importequi d’introduit en cet art connaît les natures, il maintiendra un long temps de cuisson, jusqu’à cequ’il ait extrait, grâce à Dieu, ce qu’il s’est proposé.

[Discours XXXV]

Or, Zénon dit : Permettez-vous à quelqu’un d’ajouter quelque chose ?Et l’Assemblée : Puisque les mots de Pythagore 517 et de Paxamos 518 ne sont pas suffisam-

ment utiles aux chercheurs en cet art, dis donc ce que tu sais, comme nous l’avons fait !Et lui : Vous dites vrai, vous tous, chercheurs en cet art. Ce sont les paroles des [auteurs] ja-

loux, et rien d’autre, qui vous ont fait tomber dans l’erreur, car ce que vous recherchez se vend de-vant tous les yeux à vil prix. Si les vendeurs connaissaient son prix, et tout ce qu’ils tiennentdans leurs mains, ils ne le vendraient en aucun cas. Pour ce motif les philosophes ont fait hon-neur à ce venin, en ont traité de façons nombreuses et variées, et l’ont appelé de tous les nomsqu’ils lui choisirent. Voilà pourquoi certains [auteurs] jaloux dirent : “il est pierre et non-pierre,la vraie gomme ascine”. C’est pourquoi les philosophes cachèrent la force de ce venin. En effet,

517. Vitimerus = Pythagore (voir J. Ruska, Turba philosophorum…, p. 26) || 518. Bacsem(Baqsam) = Paxamos (voir J. Ruska, ibid., p. 25 ; P. Kraus, Jæbir et la science grecque, p. 43).

136 Sylvain Matton

quaeritis, ut eo quodlibet tingatis, in corpore occultus est et absconditus, invisibilis quemad-modum anima in humano corpore. Vos autem, omnes huius artis investigatores, nisi hoc corpusdiruatis et imbuatis, teratis ac parce et diligenter regatis, quousque a sua spissitudine extrahatis etin tenuem spiritum et impalbabilem vertatis, in vanum laboratis. Quare philosophi dixerunt :‘nisi corpora vertatis in non corpora, et incorporea in corporea, nondum operandi regulaminvenistis’.

Turba autem ait : Demonstra igitur posteris, quomodo corpora in non corpora vertantur !Et ille : Igne et ethelie terantur, quousque pulvis fiat. Et scitote, quod non fit nisi fortissima

decoctione et contritione continua, igne, non manibus, cum imbutione, putrefactione, soliexpositione et ethelie. In hac autem arte vulgus errare fecerunt, cum dixerunt, quod natura vilisest, quae parva re venundatur. Amplius dixerunt, naturam omnibus naturis esse pretiosiorem,quare in libris suis inspicientes fefellerunt ; verum tamen dixerunt, nolite ergo dubitare in his !

Turba vero respondit : Ex quo invidorum dictis credis ? Demonstra igitur duarum disposi-tionem naturarum !

Et ille : Significo vobis, quod ars duabus eget naturis ; non enim fit pretiosum absque vili necvile absque pretioso. Oportet vos igitur, huius artis investigatores, Vitimeri dicta sequi, cumdixit suis discipulis : ‘nihil aliud expedit vobis, quam aquam et vaporem sublimare’.

Et Turba : Totum opus in vaporis est et aquae sublimatione. Demonstra igitur illis vaporisdispositionem !

Et ille : Cum videtis naturas aquam fieri ab ignis calore et purificatas totumque magnesiaecorpus ut aquam liquefactum, tunc omnia vapor facta sunt. De iure autem tunc vapor suum continetpar, quare invidi utrumque vaporem nominaverunt, eo quod similiter utrumque in decoctioneiunctum est et unum alterum continuit. Tunc vero natura ad fugiendum iter non invenit, quamquamest ei fuga essentialis ; continuit tamen eam, quod fugere non dimisit, et locum fugiendi noninvenit, et permanentia facta sunt. Cum enim incidit occulta in corpore, congelatur cum eo, etcolor eius variatur, suamque naturam extrahit ingeniis, quae Deus suis electis insinuavit, etmancipat ipsam ne fugiat. Nigredo vero et rubor apparet ac in aegritudinem incidit et in rubigineac putrefactione moritur ; de iure autem <non> habet tunc fugam, eo quod dimisit fugereservitutem. Tunc tamen libera fit, suum consequens coniugem, et sinceras offert orationes, ut eiuscolor sibi suoque coniugi eveniat et decor inde, quemadmodum fuerat ; verum cum nummisimponitur, aurem eos facit. Hoc autem et spiritum et animam philosophi vaporem appellaveruntet nominaverunt ; dixerunt ipsum spiritum humidum nigrum coinquinatione carentem. Etquemadmodum in homine est humiditas et ciccitas, sic opus nostrum, quod invidi celaverunt,nihil aliud est quam vapor et aqua.

Respondit Turba : Demonstra vaporem et aquam !Et ille : Dico opus ex duobus esse. Invidi tamen haec duo composita nuncupaverunt, eo quod

ista duo quatuor fiunt, in quibus siccitas est et humiditas, spiritus et vapor.Respondit Turba : Optime dixisti, ab invidia denudatus ; [demum] sequimini igitur Cinonem !

[Sermo XLI.] 519

Inquit Cinon : Quicquid dixisti, Iargos, verum est ; non video vos tamen, omnem Turbam,‘rotundum’ narrasse.

Et ille : Dic igitur de illo, prout opinaris !Et Zinon : Significo posteris rotundum, quod aes in quatuor vertit, ex una re esse.Respondit Turba : Ex quo dicis hoc ? Pone igitur posteris modum regendi !

519. Id. , p. 148.

Alchimie et stoïcisme 137

cet esprit que vous recherchez pour teindre tout ce que vous voudrez avec lui, se cache et sedissimule dans un corps, invisible comme l’âme dans le corps humain. Or vous tous, chercheursen cet art, vous travaillerez en vain à moins que vous ne détruisiez et imbibiez ce corps, que vousne le broyiez et ne le régissiez doucement et soigneusement, jusqu’à ce que vous le tiriez de sonépaisseur et le changiez en un esprit ténu et impalpable. C’est pourquoi les philosophes ont dit :“À moins que vous ne changiez les corps en incorporels et les incorporels en corps, vous netrouverez pas encore la manière correcte d’opérer”.

L’Assemblée dit alors : Démontre donc à tes suivants comment les corps se changent en in-corporels !

Et lui : Qu’on les broie par le feu et l’ethelie, jusqu’à obtenir une poudre. Et sachez qu’on nel’obtient que par une coction extrêmement forte et par un broyage continu, au moyen du feu, nondes mains, avec imbibition, putréfaction, exposition au soleil et ethelie. Mais dans cet art [lesphilosophes] ont fait se tromper la multitude, lorsqu’ils ont dit que c’est une nature vile qui sevend pour peu de chose ; ils ont ajouté que c’est une nature plus précieuse que toutes les natures, etainsi ils ont induit en erreur ceux qui compulsent leurs livres. Et pourtant ils ont dit vrai. Donc,gardez-vous de douter d’eux !

L’Assemblée répondit: D’où vient que tu crois les dires des [auteurs] jaloux ? Indique donc ladisposition des deux natures !

Et lui : Je vous signifie que l’art a besoin de deux natures, car le précieux n’advient pas sansle vil, ni le vil sans le précieux. Il faut donc, chercheurs en cet art, suivre les paroles de Pythagorequand il a dit à ses disciples : “Rien d’autre ne vous importe que de sublimer l’eau et la vapeur”.

Et l’Assemblée : Tout l’œuvre est dans la sublimation de l’eau et de la vapeur. Démontre-leurdonc la disposition de la vapeur !

Et lui : Lorsque vous voyez les natures devenir de l’eau sous la chaleur du feu, qu’elles sontpurifiées et que tout le corps de la magnésie est liquéfié comme de l’eau, alors tout a été faitvapeur. Or, la vapeur retient alors de droit son égal. C’est pourquoi les [auteurs] jaloux ontnommé vapeur ces deux choses, parce que l’une et l’autre ont pareillement été jointes dans lacuisson, et que l’une a retenu l’autre, qu’alors sa nature n’a pas trouvé son chemin pour fuir,quoique la fuite soit essentielle pour elle ; elle a pourtant retenu cette nature, parce qu’elle n’a pasrenoncé à fuir, mais n’a pas trouvé le lieu pour fuir, et elles sont devenues permanentes. Car quandelle tombe cachée dans le corps, elle se congèle avec lui, et sa couleur se change, et elle extrait sapropre nature par les propriétés que Dieu a communiquées à ses élus, et elle l’attrape pour qu’ellene fuie point. Mais la noirceur et la rougeur apparaissent, et elle tombe malade et elle meurt dansla rouille et la putréfaction. Par ailleurs, elle ne possède pas alors droit à la fuite, parce qu’elle arenoncé à fuir la servitude. Pourtant, elle devient alors libre, en suivant son conjoint, et elleélève de sincères prières pour que sa couleur lui échoie, à elle et à son conjoint, et de là sa beauté,telle qu’auparavant. En vérité, lorsqu’on l’applique à des monnaies d’argent, elle en fait de l’or.Les philosophes ont nommé “vapeur” cet esprit et âme ; ils ont dit que c’est un esprit humide,noir, exempt de souillure. Et tout comme il y a en l’homme humidité et sécheresse, notre œuvre,que les [auteurs] jaloux cachèrent, n’est rien d’autre que vapeur et eau.

L’Assemblée répondit : Indique la vapeur et l’eau !Et lui : Je dis que l’œuvre consiste dans les deux. Cependant les [auteurs] jaloux ont appelé

ces deux-là “composés”, parce qu’ils deviennent quatre, en lesquels il y a sécheresse, humidité,esprit et vapeur.

L’Assemblée répondit : Tu as fort bien parlé, sans jalousie. Finalement, suivons doncZénon !

[Discours XLI]

Zénon dit : Tout ce que tu as dit, Sergios 520, est vrai ; toutefois je ne vois pas que vous, toutel’Assemblée, ayez expliqué le “rond”.

Et lui : Parles-en donc, selon l’opinion que tu en as !Et Zénon : Je signifie à mes suivants que le rond, qui change le cuivre en quatre, vient d’une

seule chose.L’Assemblée répondit : En vertu de quoi dis-tu cela ? Expose donc à tes suivants la manière de

diriger !

520. Iargos = Sergios (voir J. Ruska, Turba philosophorum…, p. 26).

138 Sylvain Matton

Et ille : Libenter. Oportet ex aere nostro partem accipi, ex aqua vero permanente tres partes ;demum commisceantur et coquantur, quousque spissentur et unus fiant lapis ; de quo invididixerunt : ‘accipite de sincero corpore partem, de corpore vero magnesie tres, deinde commisceteaceto recto masculo terrae mixto, et cooperi<te> vas et observa<te>, quod in eo est, et continuecoquite, donec terra fiat.

[Sermo LV.]

Inquit Pion : [Quod] Pitagoras de aqua iam tractavit, quam invidi omnibus nuncupaveruntnominibus. Demum in fine sui libri de auri fermento tractavit, iubens ut ei quid sulfuris aquaemundae imponatur et aliquantulum suae gummae. Miror, universa Turba, qualiter invidi in hoctractatu operis perfectionem prius quam initium narraverunt.

Respondit Turba : Cur ergo putrefacere dimisisti ?Et ille : Verum dixistis ! Putrefactio non fit absque sicco et humido, vulgus autem humido

putrefacit, humidum utique sicco tantum coagulatur, et ex utroque tantum initium est operis,quamvis invidi hoc opus in duo diviserunt partes, asserentes, quod unum citius fugit, alterumverum fixum et immobile.

Alchimie et stoïcisme 139

Et lui : Volontiers. Il convient de prendre de notre cuivre une partie, et de l’eau permanentetrois parties. Qu’alors on les mélange et les cuise, jusqu’à ce qu’ils s’épaississent et deviennentune seule pierre. Les [auteurs] jaloux ont dit à ce propos : “Prenez du corps non altéré une partie,et du corps de magnésie trois parties ; mélangez ensuite avec du vinaigre rectifié mâle mélangé àla terre, puis couvrez le vase, surveillez ce qu’il y a en lui, et cuisez de façon continue jusqu’àobtenir une terre.

[Discours LV]

Zénon 521 dit : Pythagore a déjà traité de l’eau, que les [auteurs] jaloux ont appelée de tous lesnoms. Puis, à la fin de son livre, il a traité du ferment de l’or, demandant que lui soient appliquéesquelque eau de soufre nette et un peu de sa gomme. J’admire, ô Assemblée, comment les [auteurs]jaloux ont exposé, dans ce traitement de l’œuvre, l’achèvement avant le commencement.

L’Assemblée répondit : Pourquoi donc as-tu renoncé à putréfier ?Et lui : Vous avez dit vrai ! La putréfaction ne se fait pas sans le sec et l’humide ; or le

vulgaire putréfie avec l’humide ; l’humide dans tous les cas est coagulé par le sec seulement ; et lecommencement de l’œuvre est issu de l’un et l’autre seulement, quoique les [auteurs] jaloux aientdivisé cet œuvre en deux parties, affirmant que l’un fuit assez rapidement, tandis que l’autre estfixe et immobile 522.

521. Pion (Bijºn) = Zénon (voir J. Ruska, Turba philosophorum…, p. 25).522. Cf. id., p. 158.

140 Sylvain Matton

APPENDICE II

Fernel, Physiologia, lib. II (« De elementis »), cap. VII

(Ed. Ioan. Fernelii Universa medicina. Nova hac Editione, quæ obscura erant, illustrata : quæ defi-ciebant, suppleta sunt, Lugduni Batavorum, Ex Officina Francisci Hackii, 1645, pp. 120-123)

Vtrum elementorum substantiæ, an qualitates solæ, totis totæ perfundantur.

« Quando igitur mistorum elementorum substantias in concretione haberi perspicuum jamest, investigatione dignum videtur, ut illorum apta fiat adhæsio mutuaque complexio. Corporumsubstantias totas totis commisceri ac penitus in sese penetrare, multi ex Plotino opinati sunt.

Qui cum viderent sudores è cute nostra emanare, neque illam perfodi vel secari ; rursum lanamaqua perfusam permadere totam, affirmare non dubitaverunt, totum corpus in mistione per aliudtotum penitus induci, ipsumque quoquoversum subire, materiam materiæ injici, molemque moli.Etenim aquæ materiam in lana esse dixerunt, non quibusdam modo inanibus spatiis conclusam,sed per totam illius substantiam fusam : tota enim madet, nec ulla pars ejus expers est humoris.

Ad hunc modum non solum quatuor elementorum qualitates, sed eorum quoque substantiaspermisceri in compositione partium similarium prodiderunt.

At vero ista qui possint sibi constare, concipere arduum est, & supra captum cogitationis.Dum in corporibus macerandis humor solidioris substantiam pervadit, manifestum est, &

apud omnes in confesso, majorem toti molem accedere. Nam & lana madefacta occupat locumampliorem. Quod si est, necessarium consequitur, aliam alio situ collocari materiam. In quibusvero non amplior videtur moles evadere, ceu liquore perfusis cineribus, aut cuticula sudante,necesse est quos vocant poros & angustas vias latêre, in quibus aër, aut spiritus tenuior, aut aliquacum materia esset, exhalatur, cedensque liquori ingressum præbet.

Si enim nullum intervallum medium intercipitur, quomodo fieri posse credemus, ut in solidum& undique inaccessum aliud corpus penetret, nisi consectiones utrinque fiant, qua demum transitusfit ? Atqui si hoc modo corporum substantiæ totis immiscentur, fit saltem illorum adusque minimadivisio, sic ut hujus minimum corpusculum, illius minimam particulam contingat. Id certeindignum philosophia videri solet, credere aliquid esse in rerum natura minimum, quod diuidinequeat. Omne quidem corpus sectione infinitum est, neque ad extremum & individuum perducipotest dividendo.

Quinetiam si illuc veniri potest, continua fractione comminutioneque facta, corporumsubstantiæ in sectiones absumentur, & tanquam in nihilum redactæ se mutuo destruent.

Ad postremum vero quum exiguum quiddam permiscetur majori corpori, quomodo vsque adeodistendi aut secari poterit, ut per universum majus se diffundat, & cuique individuo hujus aliudindividuum minoris accedat ?

Fieri igitur non potest, sed ne intelligi quidem, ut corporum substantiæ mutuo se penetrent,& eodem prorsum situ constitutæ sint & collocatæ : nec fieri potest ut in ampliorem molemdiffusæ per minimas sectiones consertæ colligentur.

Rationes istæ fortasse Averrhoidem eo necessitatis adegerunt, ut non commentitium quiddammodo, sed somnio quoque simillimum adferret : qui ut hanc substantiarum permistionem tueretur,elementorum formas à perfectarum substantiarum dignitate & universo genere detorsit, ut non inqualitates, sed in medium quoddam & inauditum genus transferret. Illas quidem intendi posse &remitti per eandem materiam æquabiliter fusas, qualitatum comparatione & exemplo pariterexporrigi.

Cujus opinionis levitas alio loco à nobis refutata, fusiorem hic disputationem non desiderat.

Alchimie et stoïcisme 141

Quocirca missis lubricarum opinionum fluctibus atque jactationibus, in tutum & tranquillumportum nos recipiamus. Elementorum substantias mistio totis totas non inserit, sed qualitatesduntaxat miscet atque confundit, ut per totius compositi molem æquabiliter sint fusæ.

Primum enim quatuor illæ mundi simplices naturæ dum partibus quodammodo viribusconfluunt, in exiguas, non autem quamminimas portiones se distrahunt, eoque se ordinecomponunt, ut quæque tandem alterius diversique generis cuipiam cohærescat, nihilque sensunotari possit quod non ex quatuor earum portionibus constet.

Hoc positu exiguæ portiones suam formam, qualem ante permistionem, integram quæqueretinent : neque enim intensionem neque remissionem substantiæ ferunt.

At vero elementorum qualitates contrariæ totis totæ se permiscent, & mutua quadamrepugnantia sese vicissim ad moderationem quandam redigunt, fitque illarum confusionetemperamenti quoddam similare genus per unversam compositi molem diffusum. Quanquam igitursubstantiæ ≤`¢ı ø≥∑� temperari nequeunt, sed duntaxat continua appositione connecti :qualitatum tamen consummata est permistio.

Quumque hæc absoluta fuerit, temperamentum accedit æquabiliter toti comspersum, & novamprotinus forma inducitur : ac tum vere efficitur diversorum in unum atque idem concretio. Quoniamenim à forma & ejus vi totum subsistit, consentanem est, id ipsum ab unica & consimili, unumsimplexque fieri.

Quæ porro in hoc genito simplici corpore manent exiguæ elementorum portiones, suisquidem formis integræ subsistunt, non tamen liberæ aut sui juris, sed simplicitæ, vinctæ, & quasiinterceptæ mutua qualitatum pugnantia, atque etiam dignioris formæ præsentia. Unde pristinassibique inditas vires expromere non valent, neque ignis urere, neque aqua impendio refrigerare.Solum igitur potestate insunt : atque sic, ut, cum temperamento per obitum dissoluto ad seredibunt, partesque propriis elementis reddentur atque restituentur universitati, nullius imperioobstrictæ in libertatem vindicentur resumantque pristinas vires.

In hunc modum mistæ temperatæque elementorum portiones, materia fit totius, simpliciformæ substrata.

Hæc autem forma seu perfectio sui ubique persimilis est adeo, ut non modo particulæ quæ subaspectum recidunt, & quæ ex tenuibus elementorum portionibus constant, sed & ipsaelementorum fragmenta, quæ seorsum non aliis permista substantiis intelligimus, totius speciemgerant. Mistum enim jam est horum unumquodque, totiusque temperamentum accepit : nihil igiturprohibet quo minus compositi totius species immigret in omnia.

Neque vero flagitium est fateri, duabus illa formis ornari, quarum una actu præsentiqueimperio, altera ad tempus abrogata & antiquata, potestate duntaxat insideat. Ergo quæ fuerantolim diversa, ignis, aër, aqua & terra, nunc in similaris corporis compositionem dum confluunt,eandem similitudinem speciemque gerunt, omniumque fit in unum atque idem concretio.

Hæc fuerit nobis tanquam levis armaturæ primæ disputationis excursio, quæ simplices rerumnaturas persequuta sic coëgit, ut in π¥∑§∑¥|ƒËµ compositionem conjecerit omnes acilligaverit. »

142 Sylvain Matton

APPENDICE III

Francesco Piccolomini

(De rerum definitionibus liber unus. Serenissimo Cosmo Medici Magno Hetruriæ principi dicatus,Venise, 1600, ff. 92v-94r)

QVINTA ESSENTIA.

DISTINCTIONES.

Omnes consentiunt nomine Quintæ essentiæ denotari essentiam quandam corpoream,purissimam, & eminentissimam. Insuper consentiunt dici Quintam cum relatione ad quatuorelementa, adeò ut sit ordine corporum quinta, & dignitate prima. At quæ nam ea sit, summoperèdissentiunt, & præcipuæ opiniones sunt quinque. Prima est Stoicorum dicentium eam essespiritum quendam communem, per uniuersum orbem effusum, partes eius nectentem &uiuificantem, non secùs ac corpora animalium per spiritum proprium eorum. Secunda opinio est,quòd sit eminentia sublimitas & puritas quatuor Elementorum, & præsertim Ignis, ut putâruntPlato, & Plotinus. Tertio usurpatur pro entelechia, ex qua Anima & sydera sint conflata, ut exsententia Ciceronis. Quartò pro spiritu ex anima Mundi exspirato. Quintò pro essentia quintasimplicum corporum, omninò seiuncta à conditione quatuor Elementorum ; & huiusmodi estCœlum ex opinione Aristotelis, quæ essentia infra orbem Lunæ non reperitur.

DEFINITIONES

Cum Essentia quinta usurpetur mutipliciter, primò debet per id de quo consentiunt omnes unacommuni circumscriptione definiri ; mox per propria variarum opinionum distinctè explicari, &contrahi. Communi descriptione ita putarem posse circumscribi, Quinta essentia est substantia inordine simplicium corporum amplissima, purissima, & præciosissima. Ex sententia StoicorumQuinta essentia est primus & communis spiritus inter corpora tenuissimus & purissimus, effususper vniuersum orbem, nectens inuicem & perficiens partes eius. Ex opinione Academicorum estessentia cœli, & est sublimitas, & puritas quatuor Elementorum, & præsertim Ignis, cæterorumautem vt rediguntur in naturam igneam. Ex opinione, quam Cicero tribuit Arist. est substantia quæsecundum essentiam continenter mouetur, ex qua Animæ & Stellæ conflatæ sunt. Ex Orphei, &Phœnicum Theologorum sententia Quinta essentia est perspicuus, lucidusque spiritus, ex Mundianima effusus, eiusque imago, rerum formas passim efficiens, secernens, ac perficiens. Exopinione Arist. Quinta essentia est Natura & substantia Cœli, seiuncta à natura quatuorElementorum, eâque purior, simplicior, ac eminentior, apta sui conditione semper moueri inorbem.

ANNOTATIONES.

Considero primò, ut pertinet ad opinionem Stoicorum de ea multa dici ab Alexandro in cap.de mixtione, & iure explodi, nam partes vniuersi, ut nectantur, & sibi cohæreant, non egentalieno aliquo spiritu, sed per propriam naturam, & conditionem iunctæ sunt. Ita Aqua sui naturahæret Aëri, & Aër Igni, & cum spiritus ille statuatur corpus, si per omnia mearet, dareturpenetratio corporum, explosa ab Arist. in quarta Physicorum, & præsertim quia pro connexione,conseruatione, & perfectione sat est Lumen & motus Cœli, quorum uires per vniuersum effun-duntur. Considero secundò, ut pertinet ad opinionem Academicorum, quod ipsi quatuor tantùmputârunt, dari simplicia corpora & Elementa ; dicebant tamen ea non inueniri pura, sed permixta,adeò ut in omnibus essente omnia. Cum enim putârint ea esse prædita anima, etiam putârunt

Alchimie et stoïcisme 143

debere includere conditiones omnium primorum corporum. Supremam aëris partem nuncupâruntætherem ; Cœlum dixêre ignem, quia existimârunt cœlum esse elementa omnia in igneamconditionem eleuata, adeò ut re vera corpus simplex quintum, distinctum à conditione quatuorelementorum non approbauerint; & omnium eorum materiam dixêre unà, & eandem, & proptereàre uera eorum opinio differt ab ea Arist. Considero tertiò, ut pertinet ad opinionem tertiam exCicerone depromtam, quòd ipse in I. Tusculanarum ait, Cum quatuor Elementis non competantanimorum officia, & affectiones, Arist. quintum genus adhibet, uacans nomine, & sic ipsumanimam }µ…|≥|¤|®`µ appellat, nouo nomine, quasi quandam continuatam motionem & perennem.Insuper in progressu eiusdem libri addit, Sin autem est quinta quædam natura, ab Arist. inductaprimùm, hæc & Deorum est, & animorum, & post pauca, Ita quidquid est illud, quod sentit, quodsapit, quod vult, quod uiget, Cœleste, & diuinum est, ob eamque rem æternum sit necesse est, necuerò Deus ipse, qui intelligitur à nobis, alio modo intelligi potest, nisi Mens soluta quædam &libera, segregata ab omni concretione mortali, omnia sentiens & mouens, ipsaque prædita motusempiterno ; hoc è genere atque eâdem è natura est humana Mens. Et in primo Academicorum q.cum dixisset quatuor elementorum duo superiora agere, Aquam verò, & Terram formari, & pati,addit, quintum genus, è quo essent Astra mentesque singulares eorum quatuor, quæ supra dixi,dissimile Aristo. quoddam esse rebatur, sed subiectam putant omnibus sine ulla specie, atquecarentem omni illa qualitate materiam quandam, ex qua omnia expressa, atque effecta sint &c. Exhis refulget, quid ex opinione Aristotelis putauerit Cicero esse Quintam essentiam ; Eam enimnumerat in serie corporum, ait ex ea constare Astra & Mentes, inquit dici entelechiam, hoc est,perennem motum, ac ex se moueri, addit eorum vnam esse communem materiam ; quæ tantùmabest, vt sit opinio Arist. quòd nil pugnantius cum ea enunciari valeat. Nam ita Mens esset corpuscum statuatur portio Quintæ essentiæ, numeratæ inter corpora, ex qua constant astra, quæ corporasunt. Insuper Arist. Quintæ essentiæ negat competere materiam primam communem : Similiternegat Mentem ex se moueri, ut patet ex primo de anima. Prætereà entelechiæ nomen tribuit omniactui cùm substantiæ, tùm accidentium. Mitto alia innumera, quæ addere possem. Consideroquartò, vt pertinet ad opinionem quartam, putantium Quintam essentiam esse spiritum ex mundianima exspiratum, nonnullos existimare quod quemadmodum in vniuerso Mundo intelligibiliidem est actus intelligentiæ, ita per vniuersum Mundum sensibilem effunditur ex anima Mundiperspicuus quidam lucidusque spiritus, eius imago, formas passim efficiens atque secernens, vtille ideas : de hoc dici aiunt, Spiritus intus alit. Hinc Iulianus Platonicus ex Theologia Phœnicumait, diffusam esse per vniuersum, & singulis insitam naturam quandam tralucidam, atque Lucentemin seipsa, quasi ex diaphano, & Lucido temperatam, neque mixtioni alienæ, neque passionibusvllis obnoxiam, quæ sit actus quidam purus intelligentiæ, extra procedens, habeatque, inuisibile.Lumen, & incorporeum, luminis huius visibilis & incorporei causam. Addunt, quòd huiusmodiLumen anima Mundi ex Mente recipit, ac illud quasi spiritum foras efflat, de quo putant debereintelligi illud, Et spiritus ferebatur super aquas, quem spiritum Cœlum cœlorum appellant, ac utanimæ particulares proprios exposcunt in animali spiritus, ex sanguine genitos, ita animærationales ex Cœlo descendunt, hoc spiritu circumfusæ, ex anima mundi expirato tanquamvehiculo æthereo. Et addunt nonnulli, ut ait Simplicius, cœlorum essentiam per uniuersum vsquead centrum esse effusam, ut Sphæræ cœlorum perfectæ & absolutæ essent. Considero quintò deopinione Arist. nil esse dicendum, cum enim egerim de Cœlo, à quo Essentia quinta nondistinguitur. Patet quid ex eius opinione sit sentiendum, Cœlum enim est non sublimitasElementorum, sed Essentia quinta distincta à quatuor Elementis, ea simplicior, purior, &præstantior, cuius materia differt ab ea mortalium nec valet à sua sede, aut per naturam, aut per uimseiungi. Considero sextò, multorum esse opinionem, ex singulis sub cœlo positis posse persublimationes elici Essentiam quintam, quam dicunt præciosissimam, & præditam virtutemirabili, plurimumque valere pro uita proroganda, pro illustrando ingenio, acquirendisque sinelabore scientijs, & pro gignendo auro, quæ sunt tria ab hominibus maximè exoptata. Arnaldus deVillanoua, & Raimundus præsertim putant elici posse ex vino cœlesti, & iunctam auro solari,imbibi ab eo, & constitui aurum potabile eximiæ virtutis, & hæ magna ex parte suntconsolationes perditorum Chimicorum, qui etiam somniant ex auro elici posse animam, ex qua

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mox plurimum auri producatur 523. At perpendamus, secundum quam opinionem valeat per subli-mationes ex rebus elici Quinta essentia ? Id non posse fieri per opinionem Ari. conspicuum est ;tum quia cœlum non est permixtum cum mortalibus ; tum insuper quia non datur corpus priuspurius, & simplicius quatuor Elementis; ex mixto autem solùm quatuor Elementa elici possunt. Deopinione relata à Cicerone & Aristo. tributa, nil dico, quia est conspicuus error, vt apparuit. Decommuni spiritu Stoicorum etiam dicendum est, non posse elici, ne dum quia concedi non debet,vt varijs rationibus Alex. patefacit, verùm insuper quia ex opinione Stoicorum eius conditio esteffundi per corpora, eaque nectere, non autem seorsùm subsistere. Si loquimur de opinioneOrphei, & Phœnicum Theologorum, ea Quinta essentia vel est incorporea, vel corpus : siincorporea ad rem non facit, quia id quod elicitur per sublimationes corpus est, insuperincorporeum non rectè constituit gradum quintum inter corpora. Si est corpus, absurdum estanimam incorpoream spirare corpus ; insuper apud nos nunquam inspectum fuit aliud corpuspræter quatuor Elementa, & constituta ex eis. Quare si dicimus posse ex his corporibus elici,cogimur cum Academicis dicere Essentiam quintam esse sublimationem, & depurationem quandamquatuor Elementorum, reductionemque eorum in spiritus tenues; igneam & solarem quandamconditionem includentes, eximia facultate præditos, ob conditionem eorum, ex quibus educuntur.Hoc si dicimus, nec Aristo. nec experientiæ aduersabimur : at minus rectè illi spiritus Quintaessentia nuncupantur, cum sint mixti ex quatuor Elementis, nec valent esse præditi tot viribus,quos Chimici tribuunt Quintæ essentiæ

523. Voir encore F. Piccolomini, In libros Aristotelis De Cœlo…, Venise, 1607, « Expli-catio tertiæ quæstionis, An materia Cœli & mortalium sit eadem », f. 96r : « Hunc spiritumArnaldus de Villanoua, & Raymundus Lullius viri arti sublimandi & inani Magiæ addicti dixeruntper omnia esse effusum & per sublimationem ex cunctis elici posse, præsertim tamen ex vino, quimox arte in auro imbibitus constituere aurum illud potabile, saluberrimum pro vita proroganda &nouo auro conficiendo ; quorum sententia potius tanquam delirium est negligenda, quam accurataratione reijcienda, nam ex materiatis corporibus nil nisi materiatum elici potest, Cœlum autemest distinctæ essentiæ ; solum ex mixtis elici potest humor & spiritus aliquis tenuis & purus,eximiæ alicuius facultatis, vt experientia docet, at non quinta illa ab eis nuncupata essentia. »

Index des noms et des ouvrages anonymes

Aarsleff, H. 55Abélard, voir Pierre AbélardAbu l-‘Abbæs AÌmad ibn al-Îusain ibn

Jahær BuÏtær, dit Hames 17, 18, 21Aceti, G. 12Acropolitanus 52Ægidius Romanus, voir Gilles de RomeAëtius 28Agrippa von Nettesheim, Heinrich-Corn-

elius 46, 61, 62, 63, 67, 69AÌmad 17Alary, François 31Albohaly 21Albugazal 31Alcméon 21Aldrovandi, Ulisse 120Alexandre d’Aphrodise 13, 102, 103, 105,

109, 111, 112, 142Algazel 61, 62, 63, 64Alméon, voir AlcméonAmmonius (ps.-), voir BalînºsAnaxagore de Clazomènes 21, 26, 41, 95,

100, 108Anaximène 100Angers, Julien-Eymard d’ 11Antisthène 31Anzuini, Carlo Alberto 15, 25Apollodore 33Apollonius de Tyane (ps.-), voir BalînºsApollonius de Tyane 27, 37Apulée 31, 98, 99Archangelus de Burgonovo 48Aristippe 31Aristophane 29Aristote (et ps.-) 13, 15, 21, 26, 29-32,

35, 37, 43, 49, 60, 61, 62, 63, 64, 74,90, 94, 98, 99, 101, 103, 108, 109,114, 126, 127, 128, 130, 142-144

Arius Didyme 98Arlensis de Scudalupis, Petrus 82Arnaud, abbé de Bonneval, 52Arnaud de Villeneuve, 133, 143, 144Arnim, J. von 15, 27, 35, 46, 82, 87, 89,

98, 99

Arnou 50Aros 18, 30Astanus 23Athénagoras 93Athénée 29Aubert, Jacques 104, 106, 107Augurello, Giovanni Aurelio 48Augustin, saint 35, 50, 82Averroès 39-40, 108, 109, 110Avicenne (et ps.-) 51, 61, 62, 63, 64, 108,

109Bacsem, voir PaxamosBadawi, Abderrahman 17Baldewein (Balduinus), Christian Adolph 8Baldwin, M. 125Balînºs, 23, 27Balmas, Enea 116Baqsam, voir PaxamosBarbier, P. 56Barchusen, Johann Konrad 94, 98Basile Valentin 7, 117Bastholm, E. 49Bautz, T. 120Bayle, Pierre 43Beaulieu, A. 69Becher, Johann Joachim 8, 33, 87, 93, 96,

97, 98, 103, 112, 113, 114Becq, Annie 26, 27Bède le Vénérable 51, 53Béguin, Jean 91Belgioso, G. 10Belin, Jean-Albert 69Belinus, voir BalînºsBendegin, Carolus 96Bergier, N. S. 57Bergmans, P. 28Bernard le Trévisan 30, 31Bernard de Clairvaux, saint 44Bert, Pierre 125, 128, 130Bertelli, S. 42Berthelot, Marcelin 13, 17, 20, 27Bertius, P., voir Bert, PierreBianchi, M. L. 49Bietenholz, P. G. 51, 52

146 Sylvain Matton

Blemmydas, Nicéphore 31Bloch, Olivier 10Blok, P. J. 28Blount 47Boccace 78Bodenstein, Adam von 14, 57Boèce 44, 51, 61Bonanate, U. 47Bono, Pietro, voir Petrus BonusBonus, voir Petrus BonusBorel, Pierre 31, 104, 124Borrichius, Olaus 120Boulène, J. Marcel de 64Bourke, V. J. 50Bowen, W. H. 115Boyle, Robert 90, 93Brach, Jean-Pierre 25, 26Branca, Vittore 12Brouaut, Jean 77, 78, 79Browne, Thomas 58Bruno, Giordano 88Buck, August 56Burley, Walter 22Buytaert, E. M. 54Calcidius 11, 51, 70, 95Calid, voir ÎælidCalvet, Antoine 18Canepari, Pietro Maria 83, 104Canini 103Cantimori, Delio 51Cardan, Jérôme 88, 126Carnéade 31Cassiodore 44Chalcidius, voir CalcidiusChassé, Ch. 60Chrysippe, 10, 28, 29, 33, 45, 62Chymica vannus 32Cicéron 14, 29, 42, 44, 46, 70, 87, 89,

90, 142-144Cinon (= Zénon) 21Clave, Étienne de 10, 91, 92, 107, 108,

109, 110, 112Cléanthe 27, 28, 46, 87, 89Clément d’Alexandrie 116Cobet 78, 99Cœlius Rhodiginus 29Coïmbre, jésuites de 108, 109, 110Colish, M. M. 11Colnort-Bodet, Suzanne 77Colonna, Francesco 42Côme Ier de Médicis 14Comenius, Johann Amos 55

Conclusio summaria ou Repertorium adintelligendum Testamentum et Codicil-lum 111

Cook, Adeline O. M. 31Corbett, James 21Cosme de Médicis, voir Côme Ier

Costa, G. 42Cougny, E. 12Cousin, Gilbert 52Cranz, F. E. 103Crato von Krafftheim 57, 58Crispo, J.-B. 55Crocker, R. 57Croll, Oswald 56, 63Crouvizier, Renan 30Cudworth, Ralph 43, 53, 57Dardarus 31Davisson, William 25, 35, 37, 40, 47, 48,

60, 63, 64, 69, 72, 81, 92Debus, Allen G. 10, 25, 33, 49, 53, 56,

80, 87, 88, 92De Ferrari, A. 83Degen, voir SchegkDella Riviera, Cesare 44, 45, 48, 64, 69Del Rio, Martin 125Démétrius 31Démocrite (ps.-) 21, 23, 26, 31, 41, 47,

62, 64, 95, 100Descartes, René 96Des Places, É. 45De Toni, G. B. 22Deutscher, Th. B. 51, 52De vita et moribus philosophorum (pseudo-

Walter Burley) 22Dieterici, F. 51Digby, Kenelm 100Diodore, dit Cronos 95, 100Diogène d’Apollonie 47Diogène de Séleucie 31Diogène de Sinope 21, 32Diogène Laërce 22, 33, 78, 79, 80, 94, 98,

99Diogène le Babylonien, voir Diogène de

SéleucieDiscours d’autheur incertain sur la pierre

des philosophes 23Dixsaut, M. 54Dormy, Claude 25Dorn, Gérard 34, 116Drake-Brockman, Jennifer 37Dronke, P. 70Du Bartas, Guillaume de Salluste 124

Alchimie et stoïcisme 147

Du Bon de Saint-Genois, 125Du Chesne, Joseph 76, 88, 92, 106, 125Duhem, Pierre 53Dumont, Jean-Paul 7-9, 10, 13, 32, 33, 95-

99, 102, 114, 122Duns Scot, voir Jean Duns ScotDu Plessis d’Argentré, Charles 53Duret, C. 124Du Vair, Guillaume 11Duval, Robert (Robertus Vallensis) 29-31Duveen, Denis I. 29Endicott, N. 58, 59Épictète 11, 39, 40Épicure 26, 37, 95, 100, 119Érasme de Rotterdam 29Erastus, Thomas 57Étienne 23Euclide 31Eustathe 29Evola, Julius 44Eximenus, voir XénophaneExiodus, voir HésiodeFabre, Pierre Jean 8, 10, 41, 64, 67, 69,

70, 71, 73, 75, 76, 77, 83, 84, 85, 86,88, 89, 91, 96, 112, 113, 120

Fahd, T. 16Fanianus, Chrysippus 29Farra, Alessandro 44, 45, 48Ferguson, John 15, 23, 28, 29, 39Fernel, Jean 49, 104, 105, 107, 123, 140-

141Ficin, Marsile 33, 45, 48, 50, 61, 62, 67,

69, 71, 72, 82, 86, 89, 123Figala, K. 120,Figard, L. 104Fludd, Robert 53, 69Foes, A. 41Fontaine, Marie-Madeleine 30, 31Foppens, J. F. 28Franck, A. 28Fränkel, H. 56Freudenthal, Gad 9, 61Frühsorge, G. 33Gabrielli 103Galien 39, 49, 58, 83, 106, 107Gallizioli, G. B. 51Gardenal, Gianna 12Garin, Eugenio 53Gassendi, Pierre 53Geber (et ps.-) (voir aussi Jæbir ibn Îay-

yæn) 21,Georges de Venise, 45, 46, 48

Gillet, J. F. A. 57Giraldi, Lilio Gregorio 13Giselin 124Glissenti, Fabio 100Godwin, Joscelyn 53Gohory, Jacques 115, 116Goulart, Simon 11, 12Granada, M. A. 88Grataroli, Guglielmo 51Gregorio de Valencia, 125Gregory, Tullio 51-54Greiner, Frank 23, 125Grell, O.P. 49Grignaschi, M. 22Grillot de Givry, Jules 15, 122Guibert, Nicolas 39, 104, 123Guillard, Guillaume 30Guillaume de Conches 51, 52, 53Guillaume de Hirschau 52Gunnoe, Ch. D. 57Gysi, L. 57Îælid ibn Yazîd 21Halleux, Robert 28, 89, 115, 125Haly (voir aussi Senior Zadith) 21Hamec, ou Hames, voir Abu l-‘Abbæs

AÌmad ibn al-Îusain ibn Jahær BuÏtærHamy, E.-T. 25, 115Hannaway, Owen 25, 38, 39, 56, 76, 94Habsburg, Ludwig Wolfgang von 14Hapsperg, voir HabsburgHarlay de Champvallon 125Harvet, Israël 104Hauréau, Bernard 28Hawenreuter, I. L. 128Héliodore 31, 47Hellot, J. 60Helmont, voir Van HelmontHéraclite (et ps.-) 21, 26, 45, 46, 57, 58,

78, 80, 100, 119Hercule 23Hermès Trismégiste (voir aussi Tabula sma-

ragdina) 21, 23, 26, 27, 41, 45, 61,62, 65, 72, 73, 78, 80

Herold, B. J. 52Hervagius (Herwagen) 51Hésiode 21, 93Hesteau de Nuysement, Clovis 10, 34, 65,

69, 77, 78, 79, 80, 125Hipparque 45Hippase 21Hippocrate 21, 26, 41, 42, 49, 59, 83,

108, 109

148 Sylvain Matton

Hippon 21Hochedé de La Vigne, 126Hoefer, Ferdinand 25, 99Hoghelande, voir Van HoghelandeHohenheim, voir ParacelseHolmyard, E. J. 18Homère 21, 39, 87, 93Honorius d’Autun 52Hooykaas, Robert 87, 93Huffman, W. H. 53Hugues de Saint-Victor 44Husson, Bernard 23Hutton, S. 57Iargos, voir SergiusIsaac monachus 31Jæbir ibn Îayyæn 16, 27Jacob, A. 64, 67Jacquart, Danielle 12Jacquot, J. 57Jadaane, F. 11Jamblique 26Jamet, François 51Jean de Roquetaillade 89Jean Duns Scot 105Jean Scot Érigène 70Jehasse, J. 123Johannes de Rupescissa, voir Jean de Ro-

quetailladeJoly, Bernard 7-14, 32, 33, 67, 73-77, 83,

84, 92, 96, 99, 102, 108, 110, 115,122

Jones-Davies, M. 8Julien, empereur 132, 143Justin Martyr 116Kahn, Didier 18, 23, 26, 27, 30, 31, 35,

77, 78, 92, 123Khalid, voir ÎælidKhunrath, Heinrich 15, 122Kibre, Pearl 14Killy, Walther 120King, L. S. 113Kippingus, 56Kirsop, Wallace 10, 77, 125Kitæb sirr al-Ïalîqa 27Klutz, M. 56Knust, H. 22Komensky, voir ComeniusKopp, Hermann 87Kraus, Paul 16, 17, 27, 28, 130, 135Kroll, W. 45Kühlmann, Wilhelm 56Kühn, Karl-Gottlob 106

Lagrée, Jacqueline 9, 10, 11, 50Lang, C. L. 14Lange, Johann 103Langelott, Joel 65La Noue, François de 53Lanovius, voir La NoueLa Ramée, Pierre de 96La Violette, voir Du ChesneLe Boulluec, A. 116Le Brethon, Jean-Baptiste 20Leclerc, Jean 43Le Febvre, Nicaise 70Le Fèvre de La Boderie, Guy 45, 46Leibniz, G. W. 7, 12Lenoble, Robert 69Léon l’Hébreu 48Letrouit, Jean 18, 115Leucippe 26, 47, 100Libau, voir LibaviusLibavius, Andreas 38Liber definitionum 24Lindsay, Jack 13Linthaut, Henri de 22Lippmann, Edmund O. von 12Lipse, Juste 9, 12, 49, 50, 77, 79, 98,

103, 116, 118, 122-128London, J. D. 31Lory, Pierre 16Lotichius 121Lucain 61Lucas 21Lucrèce 108, 109, 116Lulle, voir Raymond LulleLusignan, Serge 26Macrobe 51Maier, Michael 67, 118, 119Maïer, Ida 11Mandosio, Jean-Marc 12, 15, 27Manget, Jean-Jacques 34, 63, 64Manilius 61Mansi, J. D. 53Marc-Aurèle 86Marcel, Raymond 45, 50, 62Marcellus Empiricus 29Marcellus Sidetes 29Margolin, Jean-Claude 10, 13, 22, 33, 57,

69, 120Marie de Médicis 80Marie la Juive 18, 19, 20, 23Martels, voir Von MartelsMastrangelo, G. 31Mattéi, Jean-François 12, 64

Alchimie et stoïcisme 149

Médicis, voir Côme Ier de MédicisMeier, P. 42Meitzner, B. 38Mélissus 21, 26Mennens, Guillaume 28, 39, 45, 46, 48,,

87, 88, 122Mercure, voir HermèsMerryweather, J. 60Mersenne, Marin 69Metzger, Hélène 10, 91, 113Moïse 20, 23, 26, 80Moltke, L. N. 60Moran, B. T. 43, 48, 49, 88Morani, M. 27More, Henry 43, 57Moreau, Pierre-François 10Morhof, Daniel Georg 64, 65, 67, 87Morienus 21Morin, Jean-Baptiste 25Moritz von Hessen-Kassel 43Mosheim, J. L. 53Mothu, Alain 56, 58Mouchel, Ch. 9Multhauf, Robert P. 13, 56MuÒÌaf al-jamæ‘a , voir Turba philoso-

phorumMylius, Johann Daniel 43, 47, 62Mynors, R. A. B. 29Nasr, H. 16Nauert, C. G. 61Nazari, Giovan Battista 23Nelli, René 8Némésius d’Émèse 27Neumann, Ulrich 120Nigidius 117Nimidio 23Nonius Marcellus 29Nuysement, voir Hesteau de NuysementOldroyd D. R. 9Oliver, R. P. 11Olympiodore 31Orphée 41, 61, 62, 64, 93, 132, 142, 144Osler, M. J. 11Ostanès 31Ott, L. 51Ovide 21, 39, 116Pagano, A. 44Pagel, Walter 93Pamele (Pamelius) 51Paquot, J.-N. 28Paracelse 14, 26, 31, 43, 53, 96, 116, 124Parménide 21, 26, 41, 100

Parnasse assiégé ou la guerre declarée entreles philosophes anciens et modernes(Le), voir Alary

Partington, James Riddick 33, 56, 99, 113Pascal, Pierre 44, 45Passmore, J. A. 57Patai, R. 18Paul, saint 38Paulmier-Foucart, Monique 26Paxamos 134Pelagius Africanus 31Penot, Bernard G[illes] 34Percolla, Vincenzo 15, 25Pereira, Michela 89, 111Pereirus, voir PereyraPereyra, Benito 54Perfetti, Amalia 23Perifano, Alfredo 14, 22Perna, Pietro 116Perotti, Niccolò 11Perrenot, Antoine, cardinal de Granvelle

123Perrone-Compagni, V. 61Pétrone 121Petrus Bonus 21, 22Peuckert, Will-Erich 56Pfeiffer, August 55Philogène 31Piccolomini, Francesco 47, 132-134, 142-

144Picinelli, F. 44Pico della Mirandola, Gianfrancesco 13Pico della Mirandola, Giovanni 13, 48Pierre Abélard 53, 54Pierre Lombard 53Pion (= Zénon) 138, 139Pistorius, Johann 48Pitcairn / Pitcarne / Pitcarnius 90Pizimenti, Domenico 123Planis Campy, David de 22, 80, 81Plantin, Christophe 125Platon (et ps.-) 13, 14, 17, 18, 21-26, 31,

41-50, 52, 54, 59, 63, 65, 72, 90, 95,99, 101, 108, 132, 142

Plessner, Martin 21Pline l’Ancien 29, 39, 81, 122Plotin 26, 47, 49, 72, 98, 105, 142Plutarque (et ps.-) 22, 115Pohlenz, M. 10Polémon 25Poliziano, Angelo 11Pollion 117

150 Sylvain Matton

Porret, Pierre 125Posidonius 31, 33, 98Possenti, A. 31Possevino, Antonio 55Pousse, François 20Prelog, J. 22Proclus 26, 49, 55Prost, A. 61Ptolémée 21, 31Puppius, Robertus Gulielmus F. 128Pythagore 21, 23, 26, 29, 41, 47, 62, 64,

100, 134-139Quattrami, Evangelista 22, 23, 41Quercetanus, voir Du ChesneRadouant, R. 12Ramus, voir La RaméeRasi, Rasis, voir RhazèsRattansi, P. M. 91, 120, 121Raymond Lulle (ps.-) 29, 86, 133, 143,

144Read, John 25Rémusat, Ch. de 54Repertorium ad intelligendum Testamentum

et Codicillum, voir Conclusio Sum-maria

Reuchlin, Johannes 48,Rhazès (ibn Zakariyyæ ar-Ræzi) 21Ricciardi, R. 103Riolan, Jean (le père) 12, 30, 104, 105,

106Ripley, George 593, 596, 641, 650, 737Risælat Mæriya ilæ Æras wa-su’æluhº wa-

jawæbuhæ lahº 18, 19Rist, Johannes 120Rochas, Henry de 88, 91, 93Rochas d’Aiglun, colonel de 88Roersch, L. 124Rollinat, Ch. 13Rondelet, Guillaume 77Rosinus 23, 24Rossellet, F. 123Rotondò, A. 58Rudolph, U. 21Rudrum, Alan 37Rupescissa, voir Jean de RoquetailladeRuska, Julius 21, 135, 137, 139S., sieur, voir Salomon, NicolasSachse, R. 12Salomon 23Salomon, Nicolas 19Santinello, G. 12, 54Sauvin, François 7

Schegk, Jacob 103Schiavone, M. 13Schmitt, Ch. B. 13, 54, 99Schopp (voir Bier), 11Schrevel, A.-C. de 51Schröder, G. 56Schyron 77Scoliaste d’Apollonius 93Secret, François 13, 25, 28, 30, 39, 44,

46, 80, 82, 123, 124Sénèque 11, 30, 32, 126, 127, 128Sergius 136, 137Servius 117Severinus, Petrus 26, 48, 49, 89Sezgin, Fuat 16, 17, 18, 20, 21, 28Shackelford, J. 49Sherrington, C. S. 104Simplicius 143Singer, Dorothea Waley 17Sipsius, Michael 53Skinner, Q. 54Small, J. 25Smith, P. H. 33Socrate 21, 23, 31, 38, 101Sophocle 116Sørensen, voir SeverinusSpanneut, M. 11Spigellius 7Spink, John Stefenson 42, 43, 56Stahl, G. E. 113Stéphane d'Alexandrie, voir ÉtienneSteinschneider, Moritz 17Stobée 82Strasser, G. F. 33Strauss, Lorenz 100Suavius, Leo, voir GohorySylvestre, voir Bernard SilvestreSymon (= Zénon) 21Synésius 23, 31Tabula smaragdina 73Tabuteau, R. 12Teich, M. 33Telle, Joachim 56, 57, 120, 123Thalès 78, 80, 93, 100Thébit 21, 23Theiler, W. 98Théodoric de Chartres 52Théophile 21, 31Théophraste 31, 41, 61, 62, 63Théophraste, voir aussi ParacelseThephi, voir ThéophileThomas d’Aquin, 44, 50, 105

Alchimie et stoïcisme 151

Thomasius, Jakob 12, 49, 53, 119, 120,121

Thorndike, Lynn 17, 24, 30, 44, 48, 51,56, 82, 88, 115

Toll, Jacob 28, 116, 118, 122, 123Tolomio, I. 12Toth, Laszlo 23, 44Traversari, Ambrogio 78Tribout de Morembert 11Trilogio della trasmutatione de’ metalli, tra

il Filosofo, il Teorico et il Pratico 23Trismégiste, voir Hermès TrismégisteTurba philosophorum 20, 21, 22, 23, 24Ullmann, Manfred 18‘UÚmæn ibn Suwaid al-IÏmîmî 21Vacandard, abbé 54Valentin, voir BasileValère Maxime 22Valla, Giorgio 12Vallensis, Robertus, voir Duval, RobertVallès, Francisco 82Van Helmont, Johann Baptista 93Van Hoghelande, Th. 104Vannier, L. 56Vaughan, Thomas 35, 36, 37Végèce 32Verbeke, G. 11, 12, 50, 51, 86Vigenère, Blaise de 35, 67, 69Villon, Antoine 92Vincent de Beauvais 26, 27Violette, voir Du Chesne

Virgile 21, 45, 52, 61, 117Vitimerus, voir PythagoreVivès, Juan Luis 49Von Martels, Zweder R. W. M. 33Walker, Daniel Pickering 57, 115Walkley, Thomas 734Wallas, G. 90Walter Burley (ps.-), voir De vita et mori-

bus philosophorumWeber, C. 12, 64Webster, J. 67Weiss 11, 52, 99Weisser, U. 27Wenley, R. M. 10Worm, Ole 49Xénocrate 25Zachaire, voir ZecaireZanta, L. 11Zecaire, D. 30Zénon (de Citium ou autre) 15, 20, 21, 23,

25, 26, 28, 31, 44, 46, 47, 75, 78, 79,80, 81, 86, 90, 93, 94, 100, 101, 119,127, 134-139

Zénon d’Élée 22Zénon l’épicurien 22Zenone, A. 23Zeumon (= Zénon), 21Zimon (= Zénon), 21Zoroastre 26, 45, 62Zorzi, Francesco, voir Georges de VeniseZosime de Panopolis 23, 24, 31