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Social Compass 59(2) 221–238 © The Author(s) 2012 Reprints and permission: sagepub. co.uk/journalsPermissions.nav DOI: 10.1177/0037768612440966 scp.sagepub.com social compass Les croyances religieuses sont-elles des croyances comme les autres ? Charles-Henry CUIN Université Bordeaux Segalen, France Résumé La thèse « continuiste » chère au paradigme cognitif défendu par R Boudon, selon laquelle la rationalité est une propriété indivise et intemporelle de la pensée humaine, dans tous les domaines où elle s’exerce, peut-elle s’appliquer aux croyances religieuses, qui passent souvent pour être de celles qui sont les plus étrangères à toute rationalité ? L’auteur commencera en distinguant deux types de raisons d’endosser une croyance, c’est-à-dire de tenir un énoncé pour vrai ou vraisemblable. Les premières concernent les procédés par lesquels cette croyance est acquise, et sont donc extérieures à celle-ci ; les secondes sont indépendantes de cette acquisition et concernent les processus cognitifs mis en œuvre afin d’éprouver les contenus internes de cette croyance. Dans ce dernier cas, sans doute de plus en plus caractéristique de nos sociétés, l’auteur examinera la rationalité des arguments les plus fréquemment mobilisés par les croyants eux-mêmes : l’argument cognitif de l’évidence et l’argument instrumental de l’efficacité pratique. L’auteur tentera alors de déterminer dans quelle mesure ce dernier argument est cohérent avec une conception rationnelle des conduites de croyance et si, comme la conception boudonienne y invite, il peut ou non être ramené à une rationalité de type « cognitif ». Enfin, sera analysé le degré de résistance de l’hypothèse « cognitive » lorsque l’on prend en compte la spécificité sémantique des croyances religieuses. Mots-clés argumentation, croyances religieuses, foi, rationalité, sociologie cognitive Pour toute correspondance : Charles-Henry Cuin, Université Bordeaux Segalen, Centre Émile-Durkheim (UMR 5116), 3ter, place de la Victoire, 33000 Bordeaux Cedex, France Email : [email protected] Article

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Social Compass59(2) 221 –238

© The Author(s) 2012Reprints and permission: sagepub.

co.uk/journalsPermissions.navDOI: 10.1177/0037768612440966

scp.sagepub.com

socialcompass

Les croyances religieuses sont-elles des croyances comme les autres ?

Charles-Henry CUINUniversité Bordeaux Segalen, France

RésuméLa thèse « continuiste » chère au paradigme cognitif défendu par R Boudon, selon laquelle la rationalité est une propriété indivise et intemporelle de la pensée humaine, dans tous les domaines où elle s’exerce, peut-elle s’appliquer aux croyances religieuses, qui passent souvent pour être de celles qui sont les plus étrangères à toute rationalité ? L’auteur commencera en distinguant deux types de raisons d’endosser une croyance, c’est-à-dire de tenir un énoncé pour vrai ou vraisemblable. Les premières concernent les procédés par lesquels cette croyance est acquise, et sont donc extérieures à celle-ci ; les secondes sont indépendantes de cette acquisition et concernent les processus cognitifs mis en œuvre afin d’éprouver les contenus internes de cette croyance. Dans ce dernier cas, sans doute de plus en plus caractéristique de nos sociétés, l’auteur examinera la rationalité des arguments les plus fréquemment mobilisés par les croyants eux-mêmes : l’argument cognitif de l’évidence et l’argument instrumental de l’efficacité pratique. L’auteur tentera alors de déterminer dans quelle mesure ce dernier argument est cohérent avec une conception rationnelle des conduites de croyance et si, comme la conception boudonienne y invite, il peut ou non être ramené à une rationalité de type « cognitif ». Enfin, sera analysé le degré de résistance de l’hypothèse « cognitive » lorsque l’on prend en compte la spécificité sémantique des croyances religieuses.

Mots-clésargumentation, croyances religieuses, foi, rationalité, sociologie cognitive

Pour toute correspondance :Charles-Henry Cuin, Université Bordeaux Segalen, Centre Émile-Durkheim (UMR 5116), 3ter, place de la Victoire, 33000 Bordeaux Cedex, France Email : [email protected]

Article

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AbstractCan the ‘continuity thesis’ upheld by R Boudon – that rationality is an undivided and permanent property of human thought in all fields in which it operates – include religious beliefs, which are often viewed as those most unrelated to any rationality ? The author will begin by distinguishing two types of reason for endorsing a belief, that is for holding a statement to be true or likely. The first type concerns the processes by which a belief is acquired, and are therefore exterior to it ; the second are independent of the acquisition process, and concern cognitive processes used to test the internal contents of this belief. In the latter case, probably the more characteristic of our societies, the author will examine the rationality of the arguments most often used by believers themselves in order to justify their adherence to beliefs : the cognitive argument of the evidence for them and the instrumental argument of their practical efficacy. Then the author will try to determine to what extent these arguments are consistent with a rational conception of belief behaviours (is it possible to believe something for its usefulness ?) and if, as Boudon’s conception leads us to suppose, they may or may not be reduced to rationality of the ‘cognitive’ type. Finally, the author will examine how well the ‘cognitive’ hypothesis stands up when one takes into account the specific semantics of religious beliefs, that is to say, the ‘semi-propositional’ character of most of their statements.

Keywordsargumentation, cognitive sociology, faith, rationality, religious beliefs

Le développement du paradigme « cognitif » de Raymond Boudon (1990, 1999a, 2003) au cours de la période récente a rendu d’importants services théoriques et méthodologiques à la sociologie des croyances. En proposant d’appliquer un principe de symétrie (Dubois, 2000) à l’étude des croyances tant positives (qu’elles soient « vraies » ou fausses) que normatives, son auteur a délivré les sociologues du préalable de l’évaluation du caractère plus ou moins rationnel de leur contenu cognitif pour décider de la nature des processus intellectuels et sociaux qui conditionnent leur endossement par les acteurs : l’explication par la rationalité des acteurs n’est plus réservée aux seules croyances « vraies », mais peut également concerner celles qui sont généralement imputées à des déterminismes (des « causes ») internes ou externes. Ce principe conduit désormais à privilégier les « raisons subjectives » des croyants par rapport aux causes objectives de leur adhésion, y compris lorsque celle-ci concerne des énoncés objectivement non rationnels. Nous découvrons ainsi que, dans bien des cas, l’on peut avoir de « bonnes raisons » subjectives d’adhérer à des croyances fragiles, douteuses ou même fausses, et que nos raisons d’adhérer à des croyances normatives ne diffèrent pas essentiellement de celles pour lesquelles nous endossons des croyances positives.

La thèse « continuiste », selon laquelle la rationalité est une propriété indivise et intemporelle de la pensée humaine, dans tous les domaines où elle s’exerce, peut-elle toutefois englober les croyances religieuses ? La réponse est sans doute positive si l’on considère celles-ci comme des croyances assertoriques comme les autres. Leurs énoncés peuvent alors être rangés parmi ceux auxquels nous pouvons – éventuellement – accorder

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notre crédit, non pas par excès de crédulité ou par insuffisance de rationalité, mais bien, au contraire, parce que l’exercice même de la raison nous conduit à les partager au nom de l’expérience, de l’information disponible ou d’une logique de sens commun. Toutefois, les croyances religieuses passent souvent pour être de celles qui sont les plus étrangères à toute rationalité. Quand elles ne sont pas imputées à une pure et simple perversion de la raison, à une intempérance émotionnelle ou à une irrésistible inculcation culturelle, elles peuvent aussi être considérées comme relevant, non pas du domaine cognitif proprement dit, mais plutôt de celui de « dispositions » à agir, non réflexives, et toujours déjà là – une « forme de vie » selon Wittgenstein (Pouivet, 2006). La question n’est donc pas mince de déterminer si l’hypothèse « cognitive » proposée par Boudon peut être étendue au monde des croyances religieuses, c’est-à-dire si l’on peut faire l’économie, non seulement des hypothèses naturalistes ou culturalistes adverses, mais aussi – et plus hardiment encore – instrumentales et axiologiques.1

Il ne s’agit évidemment pas de trancher théoriquement entre explications irrationalistes et rationalistes (Boudon, 1999a : 63) – ce que seule l’investigation empirique peut faire au cas par cas –, mais bien de déterminer si les croyants peuvent avoir aussi de « bonnes raisons » de croire ce qu’ils croient. Il ne s’agit donc pas davantage de faire l’exégèse des arguments philosophiques, voire théologiques, présentés en faveur de conceptions rationnelles des croyances religieuses et de la foi.2 Le concept boudonien de « rationalité cognitive » est radicalement distinct de celui de rationalité objective : les croyants (religieux ou profanes) ne sont pas seulement des individus plus ou moins bien équipés de compétences cognitives mais, avant tout, des acteurs socialement situés, porteurs de projets conjoncturels et riches d’expériences diverses. Si leur réflexivité est réelle, elle n’est pas nécessairement rompue à toutes les pratiques analytiques possibles et imaginables. Et si leurs préoccupations épistémiques ne sont pas négligeables, elles sont aussi très largement pratiques. Qu’il soit ou non légitime au regard de la Raison (ou, plutôt, de l’une de ses conceptions philosophiques) d’endosser des croyances religieuses est une question ; que l’on puisse avoir ou non d’excellentes raisons subjectives de le faire en est une autre, indépendante de la précédente.

Dans une telle enquête, la question d’une définition substantielle des croyances religieuses ne nous semble pas préjudicielle. On peut, au-delà des conflits de définition classiques, décider de considérer comme étant de type religieux les croyances collectives relatives à un monde surnaturel hypothétique, lié à un « charisme fondateur » (Willaime, 1995). De ce fait, ces croyances ne sont pas susceptibles de faire l’objet des procédures objectives et réglées d’observation et de vérification propres aux phénomènes « naturels » – comme c’est le cas des croyances normatives, par exemple. Pour certains, ces énoncés sont vrais (aussi vrais que des énoncés scientifiques). Pour d’autres, ils sont faux. Pour d’autres encore, ils ne sont ni vrais, ni faux ; seulement rationnellement indécidables. Dans ce dernier cas, ils ne peuvent faire l’objet que d’un acte de « foi ».

Y a-t-il donc, au sens boudonien, de « bonnes raisons » ou encore des « raisons fortes »3 de partager des croyances religieuses qui ne se prêtent généralement pas à la vérification, entendue selon les critères habituels de cet exercice ? On commencera en distinguant deux types de raisons d’endosser une croyance, c’est-à-dire de tenir un énoncé pour vrai ou vraisemblable. Les premières concernent les procédés par lesquels cette croyance est

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acquise, et sont donc extérieures à celle-ci ; les secondes sont indépendantes de cette acquisition et concernent les processus cognitifs mis en œuvre afin d’éprouver les contenus internes de cette croyance. Dans ce dernier cas, sans doute de plus en plus caractéristique de nos sociétés, on examinera la rationalité des arguments les plus fréquemment mobilisés par les croyants eux-mêmes pour justifier leur adhésion à ces croyances : l’argument cognitif de l’évidence et l’argument instrumental de l’efficacité pratique. On essayera alors de déterminer dans quelle mesure ce dernier argument est cohérent avec une conception rationnelle des conduites de croyance (peut-on croire quelque chose par utilité ?) et si, comme la conception boudonienne nous y invite, il peut ou non être ramené à une rationalité de type « cognitif ». Enfin, sera analysé le degré de résistance de l’hypothèse « cognitive », lorsqu’est prise en compte la spécificité sémantique des croyances religieuses, c’est-à-dire le caractère « semi-propositionnel » de la plupart de leurs énoncés.4 L’argumentation s’appuiera sur des matériaux empiriques d’origine variée, de première ou seconde main.5

Raisons de croire quelqu’un et raisons de croire quelque chose

Comme toutes les croyances reçues, les croyances religieuses peuvent recevoir leur légitimité de la rationalité des procédures par lesquelles elles sont reçues. S’il n’est pas vraiment rationnel d’accorder foi aux affirmations du sorcier, du gourou, du maître ou du prêtre, simplement parce qu’ils sont socialement fondés à dire le vrai, on peut, en revanche, avoir de « bonnes raisons » de penser que leurs compétences religieuses sont comparables à celles dont il est possible de vérifier empiriquement la validité, et qu’ils sont aussi crédibles lorsqu’ils affirment l’existence d’une divinité ou prescrivent un rituel que quand, par exemple, ils prédisent, avec un succès constant, la survenue de telle configuration stellaire ou qu’ils recommandent une thérapeutique éprouvée comme efficace : pourquoi mettre en doute le discours religieux du prêtre qui, dans le domaine profane, fait preuve d’un savoir généralement si pertinent et qui, surtout, possède des connaissances ignorées des profanes et que ces derniers sont incapables de comprendre ? Après tout, nos croyances religieuses ne sont pas reçues autrement que nos croyances objectivement les mieux établies, y compris les savoirs scientifiques : nous les recevons généralement par les mêmes voies et selon les mêmes procédures. Ainsi, sauf à être astronomes, historiens ou géographes, nous pouvons croire à l’existence de Dieu pour les mêmes raisons que celles qui nous incitent à croire à celle de Pluton, de Charlemagne ou de la ville de Pékin, si cette ville nous est inconnue.

Dans tous ces cas, le raisonnement plus ou moins explicite du croyant prendrait la forme :

Si X affirme que [p, q, r]et si je constate empiriquement que p, q, r sont habituellement vrais ;alors, lorsque X affirme que [s, t, u]et que les raisons objectives d’adhérer à [s, t, u] me sont inaccessibles,j’ai de « bonnes raisons » d’accorder à [s, t, u] la même validité qu’à [p, q, r].

Cuin : Les croyances religieuses sont-elles des croyances comme les autres ? 225

Il n’est pas certain que ce type de légitimation des croyances se raréfie avec les progrès de la modernité. Sans doute les formes traditionnelle et, à un moindre degré, charismatique de l’autorité cognitive tendent-elles à le céder à ses formes rationnelles, soit les sciences et les techniques, dont la légitimité sociale est fondée sur des critères explicités qui, même s’ils sont toujours difficilement accessibles aux profanes, sont cependant réputés faire l’objet de débats ouverts et de consensus démocratiques entre experts acquis aux vertus de l’argumentation empirico-rationnelle. Sans doute les individus modernes sont-ils invités, autant que faire se peut, à exercer leur rationalité de façon plus directe et personnelle. Toutefois, si les croyances reçues le cèdent progressivement aux croyances acquises et éprouvées (Hervieu-Léger, 1999), au moins sur le plan de leur cohérence avec des connaissances scientifiques et techniques élargies et sur celui de leur utilité pratique, l’autorité d’un certain nombre d’individus et d’institutions reste forte. Le savoir légitime continue à être délégué – et avec d’autant plus de confiance que ses émetteurs sont identifiés, à juste titre ou non, comme relatifs aux domaines « scientifique » ou technique (Chevalier, 1986).6 En sorte que les croyances et pratiques religieuses revêtent de plus en plus fréquemment les oripeaux conceptuels les plus abscons des sciences de la nature (magnétisme, énergie, ondes, complexe espace-temps, etc.) (Renard, 1986) et qu’elles sont largement sélectionnées en fonction de leurs performances supposées – et souvent subjectivement ressenties – en matière thérapeutique et/ou spirituelle (Champion et Hervieu-Léger, 1990).

Pour le sociologue, les croyances religieuses contemporaines sont donc loin d’avoir perdu cette forme de légitimité que leur confère le caractère plus ou moins rationnel des conditions sociales de leur acquisition. À cet égard, les « bonnes raisons » qu’il pouvait soupçonner chez les croyants des sociétés traditionnelles n’ont pas disparu, mais les références institutionnelles se sont diversifiées. La question est maintenant de savoir dans quelle mesure l’hypothèse « continuiste » peut s’appliquer aux mécanismes cognitifs concernant les contenus mêmes des croyances religieuses. Il s’agira ici d’examiner si l’adhésion à des croyances de type religieux est susceptible d’être expliquée, non pas par des « causes » indépendantes de la rationalité des croyants, mais par des « raisons subjectives » et, ainsi, d’échapper au jugement de non-rationalité, voire d’irrationalité, parfois formulé à leur égard (Bronner, 2007a).

L’argument cognitif de l’évidence

Un argument largement utilisé en faveur d’une explication rationnelle des croyances religieuses est celui de l’inégale intensité de l’acte de croire. C’est le doute, plus ou moins fort, qui caractériserait celles-ci (Pouillon, 1993) : si convaincu soit-il, le fidèle imputerait une moindre probabilité à la vérité de ses croyances religieuses qu’à celle de la plupart de ses croyances profanes. C’est pour cela qu’il pourrait donner crédit à des énoncés épistémologiquement hétérogènes sans ressentir d’incohérence entre le fait de croire en quelque chose de certain et celui de croire en quelque chose de possible. Dans de très nombreux cas, l’argument est recevable ; il constitue même, pour les esprits les plus anti-religieux, une raison de ne pas désespérer totalement de la rationalité humaine. Il reste qu’il délaisse les cas, également nombreux, où les croyants sont absolument

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persuadés de la vérité de leurs croyances et où ils croient avec la même certitude que Dieu existe, qu’il y a une vie après la mort et qu’ils ont pris du café au petit-déjeuner.

La « foi », au sens religieux du terme, consisterait ainsi dans une suspension volontaire et assumée, non pas de l’examen rationnel, mais du doute auquel il peut conduire en l’absence de preuves difficilement réfutables ou bien encore en présence d’incongruités expérimentales ou logiques, considérées comme non dirimantes.7 Après tout, il n’est pas foncièrement irrationnel de croire 1) en un énoncé que rien ne vérifie totalement, mais que rien non plus ne contredit définitivement, ou encore 2) en un énoncé réunissant un nombre équivalent d’arguments favorables et défavorables. On sait bien que, à l’instar de la logique vulgaire, la démarche scientifique classique est plus volontiers vérificationniste que falsificationniste (Popper, 1991) et que les « anomalies » empiriques d’une théorie solidement arrimée à un « paradigme » historiquement légitime peuvent souvent être réduites par l’ajout d’hypothèses ingénieuses (Kuhn, 1972 ; Lakatos et Musgrave, 1970). La question de l’existence d’une vie après la mort illustrerait assez bien le premier cas (inexistence de contradiction empirique), celle de la bonté infinie de Dieu le second, que toutes les théodicées s’efforcent de « rationaliser ». On a affaire ici à la définition kantienne de la foi : « Quand le jugement n’est suffisant que subjectivement, et qu’en même temps il est tenu pour objectivement insuffisant, il s’appelle foi » (Kant, 1942).

Les croyances magiques constituent, pour les sciences sociales, un cas exemplaire de croyances objectivement fausses et, cependant, endossées collectivement par des individus dont il n’est généralement pas possible de soupçonner ni la sincérité, ni la santé mentale. À l’encontre les explications « irrationalistes » courantes (naturalistes, émotionnalistes, culturalistes, symbolistes, etc.), une importante tradition sociologique défend le caractère subjectivement rationnel de ces croyances qui ne le sont objectivement pas (Horton, 1993 ; Sanchez, 2007). C’est ainsi, nous dit Durkheim (1994, livre III), que les membres de certaines tribus australiennes ont des motifs raisonnables de croire en l’efficacité de la danse de la pluie, dans la mesure où la pluie attendue fait rarement défaut, même tardivement, au moment où elle est sollicitée, c’est-à-dire à la saison normale des pluies … Boudon (1999b) a modélisé fort clairement les ressorts de cette croyance, tout en faisant l’économie de l’hypothèse utilitariste. Il constate, en effet, que les « bonnes raisons » subjectives de croire en l’efficacité de ce rituel sont fondées sur des expériences relativement solides : non seulement la pluie tombe souvent au moment où elle doit normalement tomber, mais encore, lorsqu’elle ne tombe pas, il suffit souvent de refaire un rituel certainement mal accompli pour que, à la longue, la pluie se mette à tomber. Ainsi, même si la procédure intellectuelle qui conduit à cette conclusion est peu satisfaisante au regard de l’épistémologie moderne, elle est tout à fait compréhensible dans le contexte cognitif des sociétés concernées et il n’est nullement besoin de l’imputer à des « causes » socioculturelles telles qu’une « mentalité primitive » (Lévy-Bruhl, 1960), ignorante des règles de base de la logique.8

L’observation empirique la plus commune montre que les croyants sont nombreux à évoquer le « bons sens » pour justifier leurs croyances religieuses (Charron et al., 1992 ; Lemieux et Milot, 1992). Comme celle de l’Horloger de Voltaire, l’existence de Dieu ou, plus largement, d’une entité transcendante intentionnelle et agissante s’impose en vertu directe du principe de causalité nécessaire. L’explication est aussi banale que cohérente : il ne peut exister d’effets sans cause(s), le monde ne peut pas être sans avoir été produit (« créé »), les régularités naturelles sans avoir été réglées. Sans doute le récit de la Genèse

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n’est-il plus considéré comme intégralement vrai que par quelques sectateurs plus bruyants que nombreux et probablement a-t-il peu à peu cédé du terrain devant les progrès des sciences de la terre et de la vie (Lecourt, 1992). Mais ces connaissances n’ont fait que reculer le terme de la régression explicative sans affecter en rien la croyance en une causalité primordiale que les explications scientifiques ne sont évidemment pas en mesure d’identifier (Cuin, 2000). On observe, cependant, que les publics les plus acquis aux thèses évolutionnistes modernes résistent majoritairement à l’indéterminisme de la théorie darwinienne, à laquelle ils préfèrent le finalisme d’une intuition typiquement lamarckienne (Bronner, 2007b).

Qu’il s’agisse de biais relatifs aux compétences cognitives des sujets ou d’une information et d’une culture scientifiques défaillantes ou simplement inexistantes, les limitations objectives de la rationalité des croyants circonscrivent l’exercice de cette rationalité, mais ne l’abolissent pas. Le sociologue et l’anthropologue sont donc à même de rendre compte des causes sociales et culturelles, non point tant des contenus irrationnels des croyances, que des processus rationnels qui produisent ces dernières. Si les croyants sont bien « responsables » de leurs croyances, cette responsabilité doit être mesurée à l’écart existant entre ces croyances et les ressources cognitives, non pas disponibles, mais accessibles en fonction de la situation qui est la leur. P Engel (2001) montre, au terme d’une pénétrante analyse, que nous ne sommes « responsables » de nos croyances que dans la mesure où nous nous conformons ou non, pour décider de les adopter, à des normes qui ressortissent à un registre légitime de preuve rationnelle.

Le Principe de Clifford selon lequel « c’est un tort, toujours, partout et pour quiconque de croire quoi que ce soit sur la base d’une évidence insuffisante » ne peut raisonnablement s’appliquer qu’aux philosophes et aux scientifiques ; il doit, en revanche, épargner tous ceux qui, ne faisant pas profession ou vocation de savants, ne sont pas déontologiquement tenus d’investir l’essentiel de leur activité intellectuelle dans la recherche rationnelle de la vérité,9 mais s’en tiennent légitimement à l’« évidence disponible », c’est-à-dire à celle que procurent les normes sociales et culturelles.

Quand des croyants disent qu’il est, à leurs yeux, « évident » que Dieu existe (ils parlent plutôt, d’ailleurs, de « quelque chose », d’« une force supérieure », « une volonté »), on peut leur reconnaître des « raisons fortes » de le croire. Quand ils confessent leur foi dans une « vie après la mort » (ils disent le plus souvent : « Il y a quelque chose … »), ils peuvent avoir de « bonnes raisons » d’adopter une croyance, sans doute invérifiable, mais qu’aucun fait empirique n’a jamais infirmé et qui est soutenue par des expériences mentales multiples, telles que la persistance du souvenir des morts ou encore l’influence de ce souvenir sur les conduites des vivants qui le partagent.10 Quand ils tentent – pour les plus informés d’entre eux – de résoudre la contradiction entre une création originelle et l’évolution des espèces en affirmant des thèses néo-lamarckiennes qui voient la création comme une œuvre permanente de Dieu, ils appliquent une logique de sens commun, qui n’a rien de foncièrement déraisonnable s’ils ne sont pas biologistes.

L’argument instrumental de l’efficacité pratique

On a pu invoquer, au titre de la thèse rationaliste, l’argument selon lequel la croyance serait une conduite active à travers laquelle l’acteur endosserait le contenu de ses croyances pour des raisons qui ne tiennent pas seulement – ou principalement – à la

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véracité ou à la vraisemblance de ce contenu, mais pour des raisons pratiques tenant, par exemple, à l’intérêt que l’on peut avoir à croire telle chose plutôt que telle autre ou à ne pas la croire plutôt qu’à la croire. Cette hypothèse n’est pas négligeable. Dans le domaine religieux, elle a été défendue par des penseurs aussi autorisés que B Pascal (avec la parabole du « pari ») ou que W James (2005) ; elle jouit aujourd’hui, dans la sociologie anglo-saxonne, d’un succès largement lié à celui du Rational Choice Model (Young, 1997).

De fait, les croyants ont très souvent conscience de l’« utilité » d’un certain nombre de leurs croyances. L’une des rares études empiriquement étayées qui aient été menées dans ce domaine l’établit sans ambiguïté : « L’utilité est de loin la qualité la plus souvent évoquée quand on veut justifier son adhésion à une ‘croyance’ donnée » (Charron et al., 1992 : 42).11 On pourra objecter qu’il s’agit là de justifications, de « rationalisations » ex post, qu’il n’est pas légitime d’inférer l’explication d’une conduite de ses conséquences et que, comme nous l’avons souligné, les raisons subjectives doivent être soigneusement distinguées des causes objectives. Il n’est cependant pas moins vrai que c’est bien en vertu d’expériences personnelles bénéfiques que ces acteurs conservent, voire renforcent, leur adhésion à des postures cognitives qu’ils n’ont généralement pas élaborées eux-mêmes, mais qu’ils ont rencontrées dans leur milieu culturel : la croyance dans les bienfaits de la Providence, dans l’efficacité de la prière ou de l’ascèse, dans la performance de certains rituels (l’absolution, la bénédiction, l’exorcisme, l’ablution, l’agapè, etc.), mais aussi, plus largement, la croyance dans une vie après la mort pour accepter la mort, dans la distinction entre le bien et le mal pour guider les conduites ou, tout simplement, dans la force de la foi pour franchir les obstacles ou soulever les fameuses « montagnes ».12 Même si les sujets s’abusent sur cette utilité ou sur l’origine des résultats ainsi rencontrées, il serait parfaitement illégitime de mettre en doute la sincérité des expériences qu’ils rapportent. D’une part, certaines de ces croyances peuvent effectivement produire chez leurs porteurs les bénéfices qu’ils en espèrent directement ou indirectement. Une croyance peut être utile tout en étant fausse. Ainsi, le fait de croire dans les vertus rédemptrices (pour l’âme) du sacrement de pénitence n’est probablement pas sans effets sur la sérénité du pécheur et le recouvrement d’une représentation positive de lui-même ; ou encore, en croyant s’adresser à Dieu ou à l’un de ses saints, le fidèle qui prie trouve peut-être l’interlocuteur bienveillant qui lui fait défaut dans la vie sociale. D’autre part, les sujets peuvent avoir, même s’ils se trompent, de « bonnes raisons » subjectives de penser que leurs croyances leur sont utiles, qu’elles leur procurent du bien-être ou qu’elles les engagent à agir conformément à leurs souhaits ou à ce qu’ils jugent bénéfique pour eux ou pour leur entourage. Après tout, les sciences sociales auraient mauvaise grâce de ne pas reconnaître ce que la pharmacologie a scientifiquement établi et mesuré dans le domaine des « effets placebo ».

Mais si l’on peut comprendre aisément qu’une croyance soit utile à celui qui la partage, qu’elle lui procure des ressources cognitives satisfaisantes, on comprend moins facilement comment l’utilité d’une croyance peut justifier son endossement. Dans ce cas, il faudrait pouvoir rendre compte du processus cognitif par lequel une raison pratique devient une raison épistémique.13 C’est tout le problème de la distinction entre croire qu’une croyance est utile et croire qu’une croyance est vraie parce qu’elle est utile.

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Dans le domaine de l’action, les sociologues sont familiarisés avec la forme « conséquentialiste » de la rationalité, qui permet de comprendre que l’on adopte une conduite en raison des effets, généralement positifs, que l’on en attend. Sauf à considérer les croyances comme des conduites actives, intentionnelles, la notion d’« utilité espérée » est toutefois difficilement transposable du niveau des conduites à celui des croyances. Si l’exercice de la raison peut, sous certaines conditions, être considéré comme une conduite intentionnelle, c’est-à-dire qui dépend d’un choix subjectif, le produit cognitif de cet exercice paraît être indépendant de la volonté de l’acteur : je peux choisir de résoudre un problème en tirant au sort parmi des solutions possibles, mais, si je choisis plutôt de le résoudre de manière rationnelle, la solution trouvée semble bien s’imposer à moi indépendamment de ma volonté, de mes goûts ou de mes préférences.

Et pourtant, les croyants interrogés ne disent pas seulement que leurs croyances peuvent leur apporter des bienfaits : ils disent aussi, très souvent, que c’est parce qu’elles leur apportent ces bienfaits qu’il les croient vraies. Aussi, sauf à réduire totalement les croyances religieuses à des savoirs pratiques permettant d’obtenir certains bénéfices de nature cognitive ou émotionnelle, voire de nature physique (magie), il convient d’examiner si elles peuvent aussi être expliquées comme les produits de la mise en œuvre d’une rationalité de type « cognitif », c’est-à-dire de la conviction subjectivement rationnelle que leur utilité pratique fonde leur valeur épistémique, leur « vérité ». En d’autres termes, et quoi qu’il en soit du statut épistémique objectif de ce raisonnement, les acteurs sociaux ont-ils de « bonnes raisons » de penser qu’une croyance utile est une croyance vraie, qu’elle est vraie puisqu’elle est utile ?

Utilité cognitive et utilité pratique

De façon générale, la conception utilitariste des croyances doit absolument distinguer leur utilité cognitive et pratique. Une croyance peut trouver sa légitimité dans les services qu’elle rend à une autre en la renforçant ou, tout simplement, en la laissant intacte : il est « utile » à l’antisémite de croire sans autre forme de procès que les Juifs sont nécessairement perfides ou au chrétien pré-copernicien, que la Terre qui a vu naître le fils de Dieu n’est pas une planète parmi d’autres, mais occupe la place centrale du cosmos. Il s’agit du phénomène bien connu de la recherche par les croyants d’une consonance entre leurs croyances ou entre leurs conduites et leurs croyances (Festinger et al., 1956). Bref, je crois B parce que je crois A, et que B est cognitivement corrélé à A. Dans ce cas, toutefois, l’utilité est de nature essentiellement cognitive.

Une autre « utilité » cognitive possible des croyances religieuses est relative à leur fonction herméneutique. L’observateur ressent parfois l’impression que le croyant « choisit » sa croyance parce qu’elle lui apporte une ressource cognitive qui n’est pas celle de la « vérité », mais du « sens ». Le croyant semble ainsi avoir trouvé dans sa croyance une réponse satisfaisante à la question de la signification de l’état du monde et des conduites humaines. Cette question est indépendante de celle de l’ontologie (« qu’est-ce que c’est ? ») et la réponse qui y est apportée ne tient pas nécessairement lieu d’explication du monde, que le croyant peut tout aussi bien (et de plus en plus volontiers aujourd’hui) déléguer entièrement à la science et à ses savoirs. Le croyant considère qu’elle est une question légitime (c’est-à-dire à laquelle il est nécessaire d’obtenir une réponse) et, à

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juste titre d’ailleurs, qu’elle n’est pas satisfaite par les réponses ontologiques. Il serait donc subjectivement (et peut-être même objectivement !) rationnel de recourir au non-rationnel pour obtenir cette réponse indispensable que les savoirs rationnels ne sont pas en mesure de fournir.14

Une autre raison « utilitaire » justifie d’adhérer à une croyance : lorsque celle-ci a pour effet de provoquer des conduites qui s’avèrent favorables au croyant. Dans ce cas, la croyance n’a pas d’utilité cognitive intrinsèque ; ce sont ses conséquences pratiques qui sont utiles. La croyance en telle formule magique, quelle que soit son origine, trouve évidemment un renfort décisif dans la réalisation, même occasionnelle, du phénomène attendu – et ce renfort sera d’autant plus puissant que ce phénomène est favorable au croyant.

La tradition philosophique « pragmatiste » n’hésite pas, pour sa part, à faire de l’efficacité pratique d’une connaissance le critère de sa vérité. Ainsi, pour F Ramsey, les conditions de vérité d’une croyance sont déterminées par les actions utiles auxquelles cette croyance conduit : « Les conditions de vérité d’une croyance sont les conditions réelles qui garantissent le succès de l’action que la croyance est susceptible de produire, quel que soit le désir en jeu » (Dokic et Engel, 2001 : 71).15 Les croyants mettraient donc en œuvre un raisonnement ramséien simplifié à outrance, sans le savoir. L’utilité pratique de leurs croyances justifierait celles-ci, ou les renforcerait lorsqu’elles sont mises en cause, selon le syllogisme plus ou moins explicite suivant :

Une croyance est vraie si elle correspond à l’état du monde.Si elle correspond à l’état du monde, elle est utile pour agir efficacement.Cette croyance C m’inspire des actions qui se révèlent efficaces, donc cette croyance C est vraie.

Tout observateur un peu attentif verra sans difficulté que ce raisonnement est un sophisme. Comme le disent les logiciens, il « affirme le conséquent » : une croyance peut être fausse et avoir des conséquences pratiques heureuses. Pourtant, on peut comprendre que l’on adhère à un tel raisonnement, ce que nous faisons d’ailleurs souvent dans des circonstances diverses. Après tout, même si l’on a formellement tort de penser que nos croyances sont vraies parce qu’elles sont utiles, on aurait tout autant tort de penser le contraire. En général, on est porté à penser que la probabilité qu’une croyance soit vraie est d’autant plus forte qu’elle est utile (Bronner, 2007a). Et puis, surtout, il ne s’agit pas de n’importe quelle conséquence, mais bien d’une conséquence heureuse – et l’on se débarrasse sans doute moins facilement d’une théorie qui rend des services que d’une autre qui n’en rend pas …

Je crois que Dieu est infiniment bon et, donc, qu’il m’aime.Cela me conduit, lorsque je rencontre des difficultés, à garder espoir plutôt qu’à sombrer dans un cruel désespoir.Donc, Dieu est infiniment bon et il m’aime.

Ainsi, en justifiant leurs croyances par l’utilité (objective ou subjective, là n’est pas la question) des conduites qu’elles leur inspirent, les croyants ne commettent pas de fautes

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logiques pires que celles auxquelles conduit la logique de sens commun. Ils indiquent seulement que leurs croyances sont performatives et qu’ils ont, de ce fait, de « bonnes raisons » de les partager. Certains vont même plus loin et affirment, conformément aux attendus du « pari » de Pascal, que c’est leur expérience de l’efficacité de conduites rituelles qui les a disposés à embrasser les croyances sous-jacentes. C’est le cas de beaucoup de récits de conversion religieuse, où le profane est d’abord séduit par les bénéfices spirituels et moraux de certains exercices qui lui sont proposés par ses initiateurs (Vendassi, 2008). De façon somme toute très « durkheimienne », les fidèles seraient conduits à penser que les actes qu’ils accomplissent ne peuvent pas ne pas être sans objet – qu’il n’est pas possible qu’ils prient quelqu’un ou quelque chose qui n’existe pas (Durkheim, 1994 : 96 et suivantes). Et c’est a posteriori, c’est-à-dire à l’issue de leur expérience de la prière ou de toute autre forme de conduite religieuse, qu’ils identifieraient la croyance correspondante en adoptant celle que le « marché » des biens de salut (Stolz, 2006) met à leur disposition aux coûts cognitifs et sociaux les moins élevés.

Dans une telle perspective (que notre propos n’est pas d’examiner), les croyances religieuses ne seraient pas, pour l’essentiel, des principes cognitifs dont découleraient des conduites (comme dans les paradigmes de l’action rationnelle), mais, au contraire, des produits cognitifs générés par des conduites dans lesquelles les croyants trouvent des satisfactions plus ou moins importantes – le plus souvent des soutiens existentiels indispensables. On rejoindrait donc la conception « dispositionnelle » des croyances religieuses qui, selon R Pouivet, est celle de Wittgenstein : « La croyance religieuse et l’engagement existentiel ne peuvent pas être séparés. … On ne prie pas parce que l’on croit, mais croire, c’est, par exemple, prier. La pratique religieuse ne découle pas de la croyance, comme une conclusion de prémisses, mais la croyance consiste dans une pratique » (Pouivet, 2006 : 363).16

La force cognitive des rituels

Durkheim, dans un passage des Formes élémentaires, propose une explication de la solidité de certaines croyances objectivement irrationnelles qui va au-delà de l’argument de la confirmation empirique accidentelle et qui peut donc, du même coup, rendre raison de l’attachement perdurant à des croyances démenties ou faiblement soutenues par les faits. Les Australiens, rapporte-t-il, croient qu’il faut imiter l’animal totem dans ses différents comportements pour que celui-ci se reproduise et, partant, que la survie du clan soit assurée. Ici, on a affaire à la justification d’une croyance évidemment fausse (on peut provoquer la reproduction de l’animal totémique) par une autre croyance (cette reproduction est favorisée par l’imitation rituelle de cet animal). Sans doute cette dernière croyance est-elle « utile » pour satisfaire celle selon laquelle la survie du clan est assurée par la survie de son totem, mais cette utilité n’est pas directement vérifiable par le croyant, elle reste tout imaginaire même si la survie effective de l’espèce animale totémique peut être considérée comme une preuve empirique de l’efficacité du rituel …17 Selon Durkheim, parce que les sujets constatent les effets positifs de la mise en œuvre rituelle d’une croyance sur leur « état moral », ils pensent avoir vérifié le bien-fondé objectif de cette croyance : « L’efficacité morale du rite, qui est réelle, a fait croire à son efficacité physique, qui est imaginaire. … la vraie justification des pratiques religieuses

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n’est pas dans les fins apparentes qu’elles poursuivent, mais dans l’action invisible qu’elles exercent sur les consciences, dans la façon dont elles affectent notre niveau mental. » (Durkheim, 1994 : 513–514) L’hypothèse avancée par Durkheim est que les croyants déduiraient la vérité de leurs croyances dans le domaine qu’elles concernent explicitement de leur efficacité dans d’autres domaines – en particulier dans le domaine « moral ».18 Ainsi, les croyants adhéreraient à certaines croyances au moins autant pour les bénéfices qu’ils retirent de l’exercice même des conduites qu’elles engendrent que pour ceux qu’ils en escomptent explicitement.

On a là un bel exemple de reconstruction de la rationalité subjective d’un comportement cognitif, qui a sans doute vocation à interpréter de nombreuses croyances religieuses. Ce serait bien l’existence d’effets collatéraux favorables de certaines pratiques rituelles qui « justifierait » l’efficacité de ces pratiques et, par effet de contagion explicative, les croyances qui les sous-tendent ou qui leur sont corrélatives – selon le « raisonnement » suivant :

Si S croit que C [A est vrai ou AA’]et si cette croyance C produit des effets non attendus A’’ favorables à SAlors S estimera avoir vérifié Cmême si A est invisible ou si A’ n’est pas toujours observé.

La rationalité est donc bien de type cognitif, et non pas de type utilitaire. Si le sujet S endosse C, c’est essentiellement parce qu’il s’est convaincu de la capacité de C à justifier des conduites (rituelles) qui ne sont pas dépourvues d’effets, c’est-à-dire qui font la preuve, sinon de leur efficacité, du moins de leur effectivité ; par exemple, pour peu qu’il ne soit pas très versé en psychologie clinique, il pourra dire : « je ne sais pas vraiment si Dieu entend toutes mes prières, mais je sais bien, en revanche, que prier me procure une grande sérénité et, donc, que Dieu ne peut pas ne pas y être pour quelque chose ». En outre, cette théorie expliquerait la nature même du rituel en identifiant les effets favorables de l’accomplissement de ce rituel sur des individus inquiets pour la survie de leur communauté. Des cérémonies religieuses telles que la danse de la pluie ou les Intichiuma australiens posséderaient, en effet, des vertus tout à la fois intégratives et libératrices de tensions psychiques : « Leur premier effet est … de rapprocher les individus, de multiplier entre eux les contacts et de les rendre plus intimes. Par cela même, le contenu des consciences change. » (Durkheim, 1994 : 497).

Que conclure alors des mérites respectifs des thèses utilitariste et cognitive en matière d’explication des croyances religieuses ? En faveur de la première thèse, on constate que les croyants semblent souvent adopter des croyances qui justifient des pratiques bénéfiques pour eux-mêmes. C’est parce que ces pratiques sont bénéfiques qu’ils endosseraient les croyances correspondantes. Et, de fait, les théories anglo-saxonnes du Rational Choice en matière religieuse permettent d’expliquer le « papillonnage » contemporain des individus d’une religion à l’autre et, surtout, l’étonnante faculté qu’ils ont de se procurer des biens de salut fort hétérogènes, voire hétéroclites, sur le « marché » religieux (Hervieu-Léger, 1999). En faveur de la thèse cognitive (Boudon), on peut avancer que le lien subjectif entre conduites (pratiques religieuses) et croyances relève d’une rationalité en termes de « bonnes raisons ». Qu’ils infèrent les croyances des

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pratiques ou les pratiques des croyances, les croyants ont des raisons compréhensibles de penser que l’efficacité des pratiques justifie les croyances, ou que les croyances vraies débouchent sur des pratiques efficaces.

La thèse cognitive permet donc de comprendre pourquoi et comment des raisons pratiques peuvent se muer en raisons épistémiques – comment on passe de la justification des pratiques à la justification des croyances. La portée de la thèse utilitariste se limiterait, de la sorte, à l’explication des choix des pratiques spirituelles et la thèse cognitive permettrait de prolonger cette explication par celle des croyances.

L’argument sémantique : contre la thèse rationaliste ?

Nous nous sommes placés, jusqu’ici, dans l’hypothèse où les croyances religieuses ne différaient des croyances « ordinaires » que par leur résistance à une mise à l’épreuve empirique satisfaisant pleinement aux critères de l’épistémologie moderne. On peut maintenant approfondir notre enquête en prenant en compte une autre spécificité de ces croyances, à savoir le statut sémantique lui-même des énoncés auxquels elles se rapportent.

De fait, pour reprendre quelques-uns des exemples utilisés précédemment, des énoncés tels « Dieu existe » ou « il y a une vie après la mort » ne sont pas, au plan existentiel, assimilables à « la Terre est ronde » ou « deux et deux font quatre ». Leur différence ne tient pas au caractère vrai ou même vérifiable des seconds et non des premiers, ni à leurs degrés respectifs de certitude, mais au fait que les objets qu’ils concernent et à propos desquels ils portent des affirmations possèdent des qualités existentielles tout à fait particulières. De telles croyances ont, en effet, pour objet des propositions incomplètes ou, selon l’expression de D Sperber (1982), des énoncés « semi-propositionnels ». De telles croyances peuvent « recevoir autant d’interprétations propositionnelles qu’il y a de manières de préciser le contenu conceptuel de [leurs] éléments », en sorte que le fait de constater qu’un individu les partage ne permet absolument pas préjuger de l’interprétation que celui-ci leur donne. Le plus souvent, selon Sperber, « le locuteur ou l’auteur [de ces croyances] n’a pas pour intention d’exprimer une proposition précise. Il veut plutôt ouvrir un champ d’interprétations possibles et inciter l’auditeur ou le lecteur à explorer ce champ en y cherchant l’interprétation la plus pertinente pour lui » (1982 : 73). Ce n’est que dans les cas où ces croyances sont tenues pour factuelles par leurs auteurs, leurs propagateurs ou leurs porteurs eux-mêmes, qu’elles doivent être considérées comme irrationnelles (et, évidemment, fausses). Mais « la foi du charbonnier » n’est pas nécessairement la plus courante et, en général, les croyances religieuses ne peuvent être d’emblée justifiables d’interprétations causalistes (dues à un défaut de rationalité) ou relativistes (entièrement déterminées par leur contexte culturel d’énonciation). Ainsi, l’on peut partager une représentation apparemment irrationnelle, croire à un mythe ou à un article de foi, sans pour autant adhérer à leurs versions factuelles respectives, c’est-à-dire aux énoncés empiriques qui y correspondent. On peut croire le plus sincèrement du monde qu’il y a une vie après la mort ou que le Christ est présent dans l’hostie, sans croire pour autant que cette vie est identique à celle que nous vivons ou que nous ingérons le corps tout entier d’un homme d’une trentaine d’années (Piette, 2003).

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Le croyant estime sans doute que certaines interprétations de ces propositions sont vraies, mais qu’elles sont inconnues et inconnaissables (ce sont des « mystères » avouent clairement certaines religions), et il adhère non tant aux faits qu’elles expriment qu’aux représentations qu’elles suscitent – ici, peut-être, à l’idée que la mort n’est pas la fin de toute manière d’être ou à celle que l’on communie à certains principes. Les croyants eux-mêmes ne les tiennent, d’ailleurs, généralement pas pour « vraies » (au sens factuel du terme), mais seulement pour contenant de la vérité et, à ce titre, pour des croyances auxquelles il ne serait pas raisonnable de ne pas adhérer. De même que les Nuer étudiés par Evans-Prichard croient que les jumeaux sont bien des oiseaux, sans affirmer pour autant qu’ils possèdent un bec et des plumes (Sperber, 1982 : 79), les Grecs de l’Antiquité croyaient sincèrement que les dieux vivaient au ciel, mais ils auraient été bien étonnés, nous dit P Veyne (1983), d’en apercevoir un en levant la tête.19

Croire en ces « représentations semi-propositionnelles » ne serait donc rationnel que sous réserve de croire qu’il existe, parmi toutes les interprétations possibles, une interprétation qui est factuellement vraie, mais dont l’expression factuelle est indécidable et nous est donc inconnue : je crois fermement que l’une des interprétations de cette proposition est vraie ; ne sachant toutefois pas laquelle, je donne mon adhésion à cette proposition en l’état.

C subsume les énoncés empiriques C1, C2, Cn …Il existe un énoncé Cx qui est vraiCet énoncé est inconnu________________________________________C est donc non vrai, mais contient une véritéJ’ai donc raison de croire C

On peut ainsi croire en l’existence d’une « vie après la mort » au prétexte que la « vie » dont il s’agit n’est certainement pas celle que nous connaissons, mais une autre forme d’existence aux caractéristiques insoupçonnables. Il s’agit donc d’une adhésion par défaut de décidabilité – et c’est sans doute parce que l’esprit humain est à la recherche de tout ce qui peut combler cette lacune qu’il se précipite sur le moindre signe favorable, même très indirectement, à la corroboration de son choix.

Paradoxalement, les progrès de la connaissance scientifique du monde ont stimulé les croyances de ce type (Bronner, 2003). La science est, en effet, grande utilisatrice de concepts dont elle peut donner l’exacte signification, mais dont la vulgarisation ouvre la voie aux spéculations les plus hardies. Ce qui est vrai depuis longtemps de la notion de force, l’est progressivement devenu de celles, par exemple, de magnétisme, d’énergie, d’onde, d’antimatière ou encore de relativité spatiotemporelle. L’emploi non conceptualisé de ces notions dans des représentations métaphysiques rencontre un succès croissant dans le domaine des croyances relatives aux thérapies tant physiques que morales, à la communication avec l’Au-delà, ou encore aux effets de la pensée sur la matière (Champion, 1993). Il est d’ailleurs significatif que la croyance dans les parasciences croisse avec le niveau d’instruction, ainsi qu’avec l’intérêt personnel porté aux questions scientifiques et avec le degré individuel de connaissance scientifique (Boy et Michelat, 1986 ; Boy, 200220). Les raisons en sont sans doute multiples : d’une part, le progrès

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scientifique repousse les limites du légitimement explorable ; d’autre part, il met en évidence des phénomènes encore largement mystérieux ; enfin, il confirme souvent des hypothèses aussi hardies qu’inouïes. Si les énoncés scientifiques sont normalement dépourvus de « sens », ils sont, en revanche, de puissants stimulants de l’imagination métaphysique et leur emploi au sein de « représentations semi-propositionnelles » leur offre une immunité empirique providentielle qui fait le succès d’une grande partie des NRM (New Religious Movements) (Hervieu-Léger, 2001 ; Dawson, 2003).

Conclusions

Les croyances religieuses ne sont pas, à l’évidence, des croyances « comme les autres ». Ni analytiques, ni normatives, ni axiologiques, elles affirment la vérité de propositions généralement invérifiables ou, plus encore, immunisées par décision épistémique contre toute vérification. Mais elles n’ont pas non plus l’exclusivité de ces caractéristiques : les énoncés qui sont au fondement tant des paradigmes scientifiques que des idéologies politiques sont tout aussi infalsifiables que ceux qui dirigent les croyances religieuses (« Il existe une force de gravité », « L’histoire de l’humanité est l’histoire de la lutte des classes » ou encore « Dieu a créé le monde »).

Toutefois, il semble légitime de leur appliquer le « principe de symétrie » avec les autres. Cette application ne suppose évidemment pas que ces croyances relèvent toutes, toujours et exclusivement de la « rationalité cognitive » théorisée par R Boudon. Dans certains cas, qui ne sont appréciables qu’empiriquement et selon les individus ou les situations dans lesquelles ils se trouvent, elles peuvent apparaître plus provoquées par des « causes » (culturelles, sociales, émotionnelles, voire cognitives21) que par des « raisons », ou encore justifiables conjointement par les unes et les autres.22 En revanche, il serait illégitime d’exclure a priori l’hypothèse « continuiste », dont le moindre mérite n’est pas de prendre au sérieux, dans les domaines religieux et spirituel, le paradigme de la modernité – c’est-à-dire d’une extension de la rationalité au domaine même de la spiritualité, de l’objectivement non rationnel ou a-rationnel (Martin, 1978).

Notes

1. R Boudon a accordé une attention constante au traitement de la question de la rationalité des croyances magiques et religieuses dans les classiques de la sociologie et de l’anthropologie, et tout particulièrement chez Durkheim et chez Weber (Boudon, 1999a, 1999b, 2001).

2. Pour une présentation générale, voir : Pouivet, 2003, 2007. 3. La distinction boudonienne entre « raisons fortes » et « bonnes raisons » recouvre à peu près

celle qui distingue la pleine conviction de ces « situations où un sujet accepte une conclusion parce qu’il ne parvient pas à trouver un système de raisons supérieur à celui qui conduit à la conclusion en question et où il éprouve en même temps un sentiment intuitif de doute sur la validité de ce système » (Boudon, 2003 : 139).

4. Précisons enfin que la problématique de la croyance religieuse et, plus largement, de la foi est infiniment plus large que celle de la crédulité et de la crédibilité, et qu’elle touche essentiellement aux rapports des individus avec le monde et le sens qu’il faut lui donner, avec les autres et les normes sociales, et avec eux-mêmes et leur identité subjective. Dans les lignes qui suivent, on n’aborde donc que l’aspect très partiel de la rationalité qu’il est possible d’attribuer à ces conduites, sans préjuger de leur nature essentielle.

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5. On constatera, tout au long de ce texte, que les exemples sont presque exclusivement choisis dans la culture religieuse chrétienne, qui est celle que nous connaissons le moins mal …

6. Voir également : Habermas, 1990. 7. Il est, à cet égard, intéressant de lire dans une récente encyclique vaticane : « Je désire seulement

déclarer que la réalité et la vérité transcendent le factuel et l’empirique, et je souhaite affirmer la capacité que possède l’homme de connaître cette dimension transcendante et métaphysique d’une manière véridique et certaine, même si elle est imparfaite et analogique. » (Jean-Paul II, 1998, §83 ; nous soulignons).

8. Nous avons proposé ailleurs (Cuin, 2005) le concept d’une rationalité pragmatique permettant d’expliquer que nous adhérions à des croyances éventuellement fausses, fragiles ou douteuses en vertu de l’utilité objective des conduites que ces croyances nous permettent de justifier et, donc, d’accomplir.

9. Le principe de Clifford et la conception « déontologique » de la rationalité sont exposés dans: Pouivet, 2003 : 12 et suivantes.

10. L’anthropologie naturaliste contemporaine propose des explications ingénieuses de la croyance dans la « survie » des défunts, fondées sur des considérations cognitivistes. Voir : Barrett, 1996 ; Boyer, 2001 ; Atran, 2002. Pour une vue d’ensemble : Clément, 2003.

11. « … plus que d’une utilité générale, c’est d’utilité bien spécifique que font état les répondants : ‘cela m’est utile’, ‘j’ai pu, grâce à la Providence, surmonter ma maladie’, ‘j’ai été capable, parce que j’avais en moi la force de passer à travers cette épreuve’, ‘cela me permet de vivre’, ‘cela m’a permis de trouver du travail’, ‘[l’énergie cosmique] m’a permis d’échapper à son influence’, ‘[la prière] m’a fait surmonter ma faiblesse’ » (Lemieux et Milot, 1992 : 210).

12. « Le fidèle qui a communié avec son Dieu n’est pas seulement (ni surtout) un homme qui voit des vérités nouvelles que l’incroyant ignore ; c’est un homme qui peut davantage. Il sent en lui plus de force, soit pour supporter les difficultés de l’existence, soit pour les vaincre. Il est comme élevé au-dessus des misères humaines, parce qu’il est élevé au-dessus de sa condition d’homme » (Durkheim, 1994 : 595 ; souligné dans le texte).

13. Cette distinction est reprise de : Engel, 2001.14. L’âne de Buridan aurait été bien inspiré de confier au hasard le soin de désigner l’ordre dans

lequel il devait vider les sacs d’avoine …15. Ces deux auteurs présentent une analyse particulièrement approfondie et finalement très

critique du Principe de Ramsey : « Selon le pragmatisme ramseyen, les conditions de vérité des croyances sont celles qui garantissent la réussite de l’action. Or une action est réussie lorsque le désir qui la motive est satisfait. PR revient donc à définir les conditions de vérité des croyances par référence aux conditions de satisfaction des désirs. Mais peut-on déterminer les secondes indépendamment des premières ? » (Dokic et Engel, 2001 : 84).

16. Voir également : Héran, 1986.17. C’est ainsi que, dans de nombreux cultes, les prêtres mettent en œuvre des rituels propres à

provoquer des phénomènes naturels qui se produiraient évidemment en l’absence de toute action (eg. le « lever » quotidien du soleil, la crue annuelle d’un fleuve ou le retour cyclique des saisons).

18. Durkheim ajoute d’ailleurs, à l’intention des contemporains : « De même, quand les prédicateurs entreprennent de convaincre, ils s’attachent beaucoup moins à établir directement et par des preuves méthodiques la vérité de telle proposition particulière ou l’utilité de telle ou telle observance, qu’à éveiller ou à réveiller le sentiment de réconfort moral que procure la célébration régulière du culte » (1994 : 514–515).

19. On connaît la belle expression de J Pouillon (1993 : 26) : « C’est l’incroyant qui croit que le croyant croit. »

20. Il est à noter que les individus de niveau d’instruction scientifique supérieure font exception.

Cuin : Les croyances religieuses sont-elles des croyances comme les autres ? 237

21. Au sens des « biais cognitifs » de la psychologie naturaliste (voir, sur ce point : Bronner, 2003, 2007a).

22. La thèse selon laquelle les croyances d’un individu sont le produit de sa socialisation est insignifiante tant que l’on n’a pas rendu compte des raisons pour lesquelles cet individu les accepte et les conserve, c’est-à-dire de ce qui les fonde à ses yeux.

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New York : Routledge.

Biographie

Charles-Henry CUIN est professeur à l’Université Bordeaux Segalen et chercheur au Centre Émile-Durkheim (UMR 5116). Ses travaux concernent en particulier l’histoire et l’épistémologie des sciences sociales, ainsi que, plus récemment, la sociologie cognitive et des croyances religieuses. Adresse : Université Bordeaux Segalen, Centre Émile-Durkheim (UMR 5116), 3ter, place de la Victoire, F-33000 BORDEAUX CEDEX, France. Email : [email protected]