Café philo de Latresne

Philosophie et Science Y a-t-il du hasard ?

Compte-rendu de la rencontre du 15 janvier 2015

Introduction Version 1 du 16-1-15

Finalité ou hasard ? Le hasard est sans finalité, sans intention. Au cours d’une existence, les évènements sont livrés sans finalité. Un homme sans hasard n’existe pas. Dans un monde où il y a une finalité, il n’y a pas de hasard. (*1) Pour le philosophe historien Ernest Renan (1823-1892), dans le hasard, il y a disproportion entre la cause (une rencontre) et les effets (sur une vie). (*2)

Il n’y a pas de hasard, seulement notre ignorance La science chasse le hasard La mission scientifique de la sonde Rosetta a permis d’aller analyser les caractéristiques de l’eau sur la comète Churyumov-Gerasimenko. L’atterrisseur Philae a mesuré des caractéristiques de l’eau sur la comète qui sont différentes de celles de la Terre. De ce fait il n’est plus possible d’admettre que par hasard les comètes auraient apporté l’eau sur la Terre. Reste les astéroïdes ? Si le monde est totalement compréhensible, il n’y a plus de hasard.

Cause ignorée Pour Voltaire (1694-1778), le hasard n’est que « la cause ignorée d’un effet connu ». Le hasard n’existerait que dans la mesure de notre ignorance.

2 La connaissance peut abolir le hasard, c’est du moins ce que l’on pense à l’ère des Lumières et de l’Encyclopédie de Diderot.

La mesure de l’ignorance Pour Spinoza, c’est parce qu’il y a du déterminisme, que la connaissance est possible. Donc la connaissance prouve le déterminisme, il n’y aurait alors ni liberté ni hasard pour l’homme. Mais Spinoza se fait une haute idée de la liberté : « Une chose est libre quand elle existe par la seule nécessité de sa nature… Celui-là est libre qui est conduit par la seule raison ». Pour lui, la liberté n’est pas le libre-arbitre cartésien, mais l’autonomie, le fait d’agir par soi-même et selon ses propres normes, hors de l’emprise des illusions passionnelles.

Le destin n’est pas le hasard Nous recherchons toujours un sens à toutes choses. C’est ainsi que nous sommes amenés à mettre en place une superstition sous forme de finalité. La Fortune, le destin, quand ce n’est pas quelque divinité tient alors lieu de nécessité abolissant le hasard. Les connaissances récentes apportées par la science nous montrent au contraire que le monde n’est pas là pour nous faire plaisir. (*1) La superstition L’ignorance des probabilités tient au refus de considérer le hasard comme un fait objectif. Comme on ne croit pas au hasard, on ne joue jamais au hasard (par exemple cocher les 6 premières cases au loto). Il y a près de 30 ans, on a arrêté dans un aéroport un homme qui avait une bombe dans son sac. En réalité, par peur des terroristes, sachant que la probabilité qu’il y ait 2 bombes dans un avion était plus faible que celle qu’il y en ait une seule, il en avait déduit qu’il serait protégé en amenant sa propre bombe ! La superstition est une réaction magique face aux risques et au hasard. (*3)

3 Prêter attention au hasard Un monde sans finalité, créé par hasard, est un monde ingrat et désenchanté. Comment le supporter ? Par l’invention d’un autre monde issu de croyances ou d’étonnement comme dans le surréalisme. Dans ce cas, le ré enchantement du monde est le produit de l’attention portée à tout ce que produit le hasard, sans utilité ni sens. (*1)

Il y a du hasard puisque nous en sommes issus Le hasard est une chance Pour le penseur de la politique Machiavel (1469-1527), le hasard est ce qui donne des opportunités en convoquant la liberté. Chaque événement en lui-même est dépourvu de sens, il faut donc jouer du hasard en utilisant son flux, il devient alors condition de possibilité. (*1)

Le hasard est créatif Pour le naturaliste Charles Darwin (1809-1882), le hasard est ce qui produit des formes, mais sans intention particulière. Le hasard est alors la condition d’évolution des espèces, car il produit de la variation par mutation et de la sélection par l’adaptation au milieu, mais sans que l’on puisse prévoir ce qui va advenir. Nous devons notre existence au hasard.

4 Hasard universel ? Il y a comme une indétermination universelle qui fait que l’Univers semble obéir au libre jeu du hasard. Inversement il y a plutôt un déterminisme régional qui est le principe d’explication physique incontournable de beaucoup de phénomènes.

Hasard humain et hasard naturel Pour Aristote (384-322 av JC), tout a une cause, il y a hasard quand une cause ne produit pas l’effet attendu. C’est un hasard sans finalité mais non sans apparence de finalité, qui produit les choses. Il distingue dans le hasard tukhê (fortune, aléatoire), ce qui est le résultat d’une action, causée par l’homme (un lancer de dés) et automaton (fortuit) ce qui se produit par soi-même, lorsque aucune action n’a été engagée (un orage) . (*4)

La causalité est en nous, pas dans les choses Quand un événement en cause un autre, on pense savoir ce qu'est la connexion entre les deux termes de la causalité, Pour le philosophe David Hume (1711-1776), nous ne percevons rien d'autre dans une série d'événements que les événements qui la constituent et donc jamais les connexions. Mais d'où, hormis de la perception, tenir cette connaissance ? Hume nie que nous puissions avoir une idée de la causalité autrement que par le fait que deux événements se sont toujours succédé. Cette croyance fondée sur le développement de nos habitudes et de notre système nerveux est à proprement parler indémontrable. (*5)

5 L’homme détermine la Nature ? Questionner la nature, introduit un rapport sujet - objet. Pour comprendre le monde, il faut supposer un principe de détermination : quelque dieu, une nécessité logique, ou la causalité naturelle. Penser un objet, c’est comme le déterminer. Aux yeux de l’homme occidental, la nature est devenue un ordre de détermination. (*6) Hasard et déterminisme cohabitent Tout n’est pas hasard Le hasard dérivé de l’arabe al-zahr (jeu de dés) désigne aujourd’hui un événement imprévu. Cette imprévisibilité résulte soit : . D’une insuffisance des connaissances humaines (indétermination), . De la multiplicité et de l’enchevêtrement des causes (surdétermination), . D’une absence de déterminisme, ce qui correspond au vrai hasard. (*4)

Le hasard face aux contraintes Le hasard n’échappe pas aux contraintes et aux nécessités. Il y a donc des lois auxquelles le hasard doit se soumettre. Le hasard ne s’oppose pas à la nécessité. Il y a du hasard sans but, mais pas sans lois. Lorsque le niveau de contrainte est très élevé, alors il n’y a plus de différence qualitative entre un phénomène aléatoire et un phénomène déterminisme. (*2)

Les dunes résultent de l’effet du hasard (le vent) sur les lois (gravité, frottement...). Seules les traces de pas témoignent d’une intentionnalité.

6 La vie : un conservatoire de hasard Pour le biologiste Jacques Monod (1910-1976) : « Lors de la réplication des chaînes de polynucléotides de la double hélice de l’ADN se produisent des altérations purement accidentelles qui se produisent au hasard… …Elles sont la seule source de modifications du texte génétique, lui-même seul dépositaire des structures héréditaires de l’organisme… …Il en résulte que le hasard seul est à la source de toute nouveauté, de toute création dans la biosphère. La structure de l’ADN est donc un conservatoire du hasard ». (*7)

La liberté exclue-t-elle le respect ? La France et l’Occident ont largement manifesté le 11 janvier 2015 après le massacre de la rédaction de Charlie Hebdo, pour affirmer le sacré laïque que constitue la liberté d’expression. L’islam et l’Orient avaient aussi manifesté en 2006 pour que soit respecté leur sacré religieux qui n’autorise pas la représentation du divin et de ses prophètes. Dans ces conditions, la liberté d’expression peut-elle être absolue ? Y a-t-il des sacrés plus sacrés que d’autres ? Le respect de ce qui est différent de nous doit-il être otage de la liberté d’expression ?

Le questionnement philosophique aigu que pose Charlie Hebdo, c’est celui du choix entre : - éclairer les problèmes et donc mettre de l’huile sur le feu et ainsi être irresponsable, - ou bien de s’abstenir de choquer pour apaiser les susceptibilités, être responsable, mais alors de consentir... non pas à tout, mais peut-être à n’importe quoi.

7 Discussion : Le hasard intervient-il dans les circonstances de notre vie et modifie-t-il notre parcours ? . Trouver un travail (ce qui aujourd’hui relève déjà du hasard !) pour quelqu’un qui a ensuite un choix du lieu de ce travail et être accidenté sur le trajet vers ce lieu de travail est un exemple de hasard. . Le hasard est inquiétant car il témoigne de notre absence de contrôle de certaines phases de notre vie, nous serions comme les jouets de quelque chose. . Dans la vie quotidienne, un bon nombre d’accidents se produisent dans des circonstances qui semblent être liées à l’effet du hasard. . Certains évènements qui ne sont pas dus au hasard peuvent néanmoins se dérouler d’une façon imprévisible. . Le fait à la naissance de naître fille ou garçon relève encore aujourd’hui du hasard, mais à l’inverse on sait maintenant éviter le hasard de la transmission de certaines maladies des parents aux enfants à leur naissance. . Le hasard n’est pas la liberté, car alors nous ne décidons pas de notre avenir. . La seule chose qui compte, c’est ce que l’on fait de ces évènements qui nous arrivent et là c’est bien notre volonté et notre liberté qui sont concernées. Si le hasard oriente notre vie au fil des rencontres, notre volonté ne sert à rien, nous ne sommes pas libres, mais si tout est déterminé, il n’y a pas non plus de liberté et pourtant nous avons l’impression d’être libre ? . Le hasard ne serait-il pas simplement une impression ? . Il y a des choses qui à notre niveau nous apparaissent comme étant l’effet du hasard, mais qui, considérées à un autre niveau laissent apparaître des déterminismes. Il pourrait y avoir en quelque sorte un hasard pour nous, différant d’un hasard en soi. . La surdétermination, (multiplication et enchevêtrement de causes) permet d’expliquer beaucoup d’évènements qui dès lors ne sont plus le fait du hasard, qui sont bien déterministes, mais cependant imprévisibles. . La mort est certaine, mais l’instant de la mort pour chacun est indéterminé, imprévisible, même si elle obéit à un déterminisme, elle ne semble pas programmée. Qu’est-ce vraiment que le hasard ? . Le hasard commence pour nous avec l’imprévisibilité des choses. Il se renforce lorsque nous ne pouvons pas identifier de causalité, qu’il semble ne pas y avoir de déterminisme à l’oeuvre. Mais là où il n’y a pas de déterminisme, il n’y a pas de connaissance et il est peut-être impossible de dire ce qu’est le hasard. . Il y a des phénomènes de synchronicité, ce qui selon les travaux de C.G. Jung serait l'occurrence simultanée d'au moins deux événements qui ne présentent pas de lien de causalité, mais dont l'association prend un sens pour la personne qui les perçoit. Dans ce cas, il est possible de se poser la question de savoir s’il n’y aurait pas des niveaux de détermination supérieurs. La psychologie jungienne fait ainsi appel à des notions d’archétype, d’inconscient collectif. . Sur un temps court, le hasard, pour nous a toute son importance, mais sur un temps long, ce n’est plus le cas car alors l’exposition à des causes et donc à un déterminisme augmente.

8 La question du sens, c’est-à-dire du pourquoi n’est-elle pas plus importante que celle du comment ? . La question du sens c’est-à-dire de l’existence ou non d’une intentionnalité dans le monde se pose. Cette question est différente de celle de la causalité, laquelle agit de façon aveugle. Un monde qui n’aurait pas de sens serait insupportable car indifférent, glaçant, triste, affreux. . Le comment ne permet pas d’expliquer le pourquoi. . Le fait que le monde résulte d’une intention et d’un déterminisme ou du hasard ne change rien au fait que l’on puisse y trouver de la beauté. L’ordre de l’esthétique n’est pas sous la dépendance de l’ordre de la logique intrinsèque du monde. . Il y a aussi de la beauté dans le processus de transformation incessant de l’univers. . Depuis l’aube de l’humanité, afin de masquer l’effroi d’un monde indifférent à nous, les hommes ont interposé des croyances diverses, des dieux et puis un Dieu. Notre époque est fascinante car pour la première fois, l’hypothèse d’un monde qui se déploie par hasard est possible. Cette hypothèse est poussée par la science, ce n’est pas une certitude, car la science s’est déjà trompée. Mais c’est une alternative qu’il nous est possible d’explorer pour la première fois, elle ouvre des horizons nouveaux et si le monde nous est indifférent, il est néanmoins fascinant. . Jean Rostand disait : « Moins je suis amené à croire en Dieu et plus je comprends que d’autres en éprouvent le besoin ». L’art produit par les humains exprime –t-il de la liberté, par le hasard ou du déterminisme par des contraintes multiples ? . Certains arts utilisent des techniques très contraignantes, d’autres sont soumis à des règles elles aussi contraignantes et pourtant la variété des oeuvres produites traduit une forme de liberté. . Dans certains artisanats traditionnels, on entrepose des tissus dans la terre durant un certain temps. A l’issue de ce processus, des motifs variés apparaissent qui semblent dus au hasard même si des causes ont été agissantes dans la terre (chimiques, biologiques...) . Les artistes qui utilisent des bois de récupération après flottage, exposition aux intempéries et ayant des formes les plus improbables... donnent l’impression de se soumettre au hasard, mais ils vont aussi faire des choix qui relèvent de leur seul sens de l’esthétique. . Dans beaucoup d’inventions scientifiques ou techniques, le hasard semble y avoir eut un rôle. Y a-t-il du hasard dans internet, le réseau nerveux de la terre ? . Un moteur de recherche met en oeuvre un algorithme très déterministe et aussi très orienté économiquement, mais la hiérarchie qu’il affiche comme résultat d’une requête est soumis au hasard des publications qui sont mises en ligne à un instant donné. . Il est possible de favoriser un meilleur classement à l’issue du travail d’un moteur de recherche, par le choix d’un mot clé peu utilisé. Il y a peut-être une place pour le hasard, mais c’est une place subalterne. Y aurait-il du hasard dans tout ce qui est individuel (particule, personne) et du déterminisme dans ce qui est collectif (monde macroscopique, foule) ? . Les compagnies d’assurance s’appuient sur ce constat : elles ne peuvent pas prévoir si un assuré donné sera ou non victime d’un accident l’année suivante, mais elles peuvent connaître la distribution statistique des sinistres. . Dans l’exemple souvent cité en philosophie, du promeneur sur un trottoir qui reçoit malencontreusement sur la tête un pot de fleur tombé du balcon d’un étage supérieur d’un immeuble, le hasard semble à l’oeuvre.

9 . Non car il est possible de remonter deux chaînes de causalité, l’une relative au promeneur, l’autre relative au pot de fleur. . Dans ce cas, le hasard, l’évènement, c’est la rencontre entre ces deux chaînes de causalité. Par extension, la rencontre fortuite de toutes sortes de causalités explique probablement nombre de circonstances à caractère hasardeux. La vie est-elle issue du hasard ? . S’il n’y a pas de sens, la vie est insupportable. . Le fait qu’il y ait ou non un sens, qu’est-ce que cela change ? . La vie elle-même est le contraire du hasard, elle se reproduit, se développe, se maintient grâce au respect scrupuleux des instructions contenues dans le code génétique (le génome). La vie est de l’anti-hasard, mais elle est peut-être elle-même issue du hasard. . Avec l’épigénétisme, on a découvert qu’un même code génétique pouvait être interprété différemment selon certaines conditions de l’environnement. De plus ces expressions alternatives des gènes sont transmissibles aux cellules de générations suivantes. . Dans une optique matérialiste, il y a de la causalité partout, de ce fait il n’y a pas de hasard. . Le matérialisme n’exclut pas le hasard, ainsi qu l’a dit le premier matérialiste connu : « Tout ce qui existe dans l’univers est le fruit du hasard et de la nécessité ». Démocrite . Il se peut aussi que la vie, sans être issue du hasard, ne résulte pas pour autant d’une cause ultime. C’est le cas dans l’hypothèse de la réincarnation. Le flux de conscience en action (karma) est soumis à des nécessités qui ne sont ni de l’ordre du hasard ni de celui d’une finalité à l’oeuvre. Conclusion : ce qu’il est utile pour nous de retenir : . Laissons faire le hasard ! Car si le hasard existe, nous ne pouvons nous en abstraire. . Le hasard est comme dans un nuage de complexité. . La vie est comme absurde si elle est gouvernée par le hasard. Peut-on oser penser que le hasard soit à l’origine de la vie ? . La vie tire peut-être son origine de coïncidences elles-mêmes causées par quantité de choses. . Il n’y a peut-être pas de hasard, seulement des suites indéfinies de causes. . « Un hasard a donné à l’homme l’intelligence, il en fait usage, il a inventé la bêtise ». H. de Régnier Références : (*1) Baptiste Morizot - Le hasard - Philosophie - Arte - 2010 (*2) Baptiste Morizot - La vie est-elle une suite de hasards ? - Philosophie Magazine - Juillet 2011 (*3) Christian Godin - La philosophie pour les nuls - First - 2007 (*4) Christian Godin - Dictionnaire de philosophie - Fayard - 2004 (*5) http://fr.wikipedia.org/wiki/David_Hume (*6) S. Auroux & Y. Weil - Dictionnaire des thèmes de philosophie - Hachette - 1991 (*7) Jacques Monod - Le hasard et la nécessité - Seuil - 1970