construction des connaissances, langage et...
TRANSCRIPT
Colloque pluridisciplinaire :
« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 1
COGIS Danièle
IUFM de Paris 56 bd des Batignolles 75017 PARIS [email protected]
CONSTRUCTION DES CONNAISSANCES, LANGAGE ET ORTHOGRAPHE :
VERS UN NOUVEAU CONTRAT DIDACTIQUE
Mots clés : orthographe – verbalisations métagraphiques – construction – interaction –
didactique
Si la construction des connaissances semble une idée entendue aujourd’hui,
derrière ce consensus, n’y a-t-il pas plutôt un grand malentendu quand on observe des
pratiques de classe qui laissent toujours aussi peu de place à l’activité mentale et
langagière des élèves, et où l’hypothèque de l’évaluation semble toujours biaiser
l’apprentissage ?
Cet article s’intéresse au rôle fondamental du langage dans la construction des
connaissances dans un domaine encore peu interrogé sous cet angle, celui de
l’orthographe, et qui semble a priori fort éloigné d’une telle approche.
Traditionnellement établie comme une discipline scolaire à part entière,
autocentrée sur ses préoccupations, ses modes d’enseignement et d’évaluation sous
le regard d’une société obsédée par la faute et exigeant des résultats quasi immédiats,
l’orthographe est appréhendée aujourd’hui selon d’autres points de vue :
§ théorisée par la linguistique structurale, l’orthographe du français est décrite
comme un plurisystème graphique des plus complexes en raison de sa
Colloque pluridisciplinaire :
« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 2
morphographie particulièrement lourde, peu prédictible par la phonographie
(Catach, 1980 ; Jaffré, 1997) ;
§ forme matérielle du langage écrit, elle est intrinsèquement liée aux processus
d’écriture et a, de ce fait, bénéficié des recherches théoriques et didactiques dans
le domaine de la production écrite (Reuter, 1996 ; Fayol, 1997) ;
§ envisagée dans une perspective psycholinguistique, et dans le prolongement des
travaux consacrés à l’entrée dans l’écrit (Ferreiro, 1988), son acquisition apparait
comme le résultat à long terme de processus actifs propres au sujet.
En accédant à l’écrit et en apprenant l’orthographe, les élèves n’apprennent pas
seulement un nouveau savoir, mais entrent dans de nouvelles sphères d’échanges et
s’engagent dans un autre rapport au monde, rapport où le langage devient objet et
instrument de connaissance dans une communauté culturelle et discursive fondée sur
la culture écrite (Vygotski, 1934/1997 ; Lahire, 1993 ; Olson, 1994 ; Bernié, 1998).
Pour montrer ce rôle du langage dans la construction des savoirs
orthographiques, on se réfèrera à des recherches récentes qui partent de ce que
disent de jeunes scripteurs lorsqu’ils explicitent leurs choix graphiques au cours
d’entretiens (Jaffré, 1995), ainsi qu’à certaines observations empiriques en classe.
Après avoir examiné l’enseignement traditionnel de l’orthographe au regard de
quelques contradictions et de récentes recherches, cet article se propose de montrer
en quoi, le langage étant un point nodal de l’acquisition de l’orthographe,
l’apprentissage tire parti de nouvelles formes scolaires fondées sur les échanges en
classe ; cette approche débouche sur un nouveau contrat didactique à la lumière de la
notion de communauté discursive scolaire (Bernié, 2002).
Colloque pluridisciplinaire :
« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 3
I. Un enseignement en question
La confrontation entre les principes et les méthodes de l’enseignement
traditionnel de l’orthographe et les résultats auxquels il estime parvenir aurait dû depuis
longtemps conduire à des modifications profondes. Dans quel secteur, en effet, se
plaint-on autant de la médiocrité des résultats sans reconsidérer ses façons de faire ?
Mais, par bien des côtés, il y a de l’exception française dans cet enseignement.
Un enseignement extra-ordinaire
L’enseignement traditionnel de l’orthographe se caractérise par la combinaison
de deux couples d’activités, à savoir les leçons-exercices et les dictées-corrections.
Partant de là, plusieurs contradictions internes peuvent être relevées :
– on estime que l’orthographe du français est une des plus difficiles du monde ;
pourtant, on l’évalue au CE2, après seulement deux ans d’apprentissage systématique
de l’écrit1 ;
– on est obligé de proposer la même orthographe aux novices qu’aux experts
(alors qu'on peut, par exemple, étudier la respiration en sciences comme un échange
au niveau des poumons avant de l’aborder au niveau de toute cellule de l'organisme) ;
pourtant, en dictée, on n’accorde aux premiers qu’un crédit de dix ou vingt points sur
ce que feraient les seconds ;
– on enseigne l’orthographe essentiellement comme un savoir ; pourtant, c’est en
tant que savoir-faire que le niveau orthographique des élèves est véritablement évalué
(écrits scolaires ou professionnels) ;
1 « Les résultats en orthographe restent très moyens, qu’il s’agisse de l’orthographe lexicale (mots invariables) ou de l’orthographe grammaticale (marques du pluriel) » (MEN-DPD, 2001, 13).
Colloque pluridisciplinaire :
« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 4
– on constate tous les jours que publications et courriels n’échappent pas aux
« coquilles » ; pourtant, on attend des élèves une perfection orthographique dans la
moindre de leur prise de notes ;
– on admet que la réussite des exercices par les élèves, leur connaissance des
règles et les multiples corrections auxquelles les enseignants s’astreignent et les
astreignent ont peu d’effet ; pourtant, on continue à compter sur le rappel des règles,
les exercices et les corrections pour remédier aux problèmes des élèves.
Arrêtons là cette énumération qui fait apparaître bien peu rationnels les
présupposés et les choix de cet enseignement et dont le paradoxe est finalement de
ne pas accorder à l’apprentissage la place qu’il nécessite.
Un cadre périmé qui résiste
Depuis les années soixante-dix, les recherches dans des champs très divers
n’ont pas manqué, donnant à la fois des clés pour décrypter les constats et des pistes
pour une intervention didactique en adéquation avec ces constats.
Effectivement, la mixité de l’orthographe française avec des phénomènes tels
que la plurifonctionnalité des graphèmes, la morphographie en partie silencieuse et
combinée à une grande part d’homophonie/hétérophonie, suffisent à expliquer
l’impossibilité d’une maîtrise rapide de l’orthographe française. Effectivement, il y a une
rupture entre connaître des règles d’orthographe et mettre en œuvre des procédures
orthographiques. Effectivement, la complexité des opérations simultanées en
production écrite place tout scripteur en situation de surcharge mentale et provoque
des « ratés de gestion ». Effectivement, pour un élève qui doit écrire dans des formes
culturelles peu familières ou totalement inconnues, la complexité de l’élaboration d’un
discours monogéré est décuplée, alors que sa connaissance du fonctionnement de
l’orthographe est encore limitée.
Colloque pluridisciplinaire :
« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 5
Cependant, le plus décisif se situe sur le plan psycholinguistique, avec la mise en
évidence des représentations des élèves : comme dans les autres disciplines, ceux-ci
développent sur le système graphique du français des conceptions qui jouent un rôle
crucial dans l’apprentissage. Ces conceptions, très variées et instables au départ,
donnent naissance à quelques procédures graphiques majeures, parmi lesquelles des
procédures de type morphosyntaxique finissent par dominer. La méthodologie des
entretiens a ainsi permis de se dégager de la problématique de la « faute » et des
« difficultés » des élèves mesurées par le nombre d’écarts à la norme, symptômes
supposés de dysfonctionnements, et voie royale vers l’échec scolaire (Cogis, 2001), au
profit d’une description de la dynamique de l’acquisition débouchant à long terme sur la
maîtrise de la norme (Bousquet et al., 1999 ; Brissaud, Cogis, 2002). Mais les
conceptions peuvent aussi se figer à un niveau de formulation inadéquat et faire
obstacle à l’acquisition de la norme. Il importe alors que l’activité cognitive des élèves
s’exerce sur leurs conceptions pour les faire évoluer, ce qui implique de nouvelles
formes didactiques.
Dans l’approche traditionnelle, au croisement du linguistique et du
psychologique, deux séries de phénomènes conduisent à surévaluer les
connaissances réelles des élèves, ce qui empêche de prendre la mesure du travail à
mener.
D’une part, du fait que Kamel respecte le singulier dans elle était ridé et Céline le
féminin dans les sœur jalouse, on en tire — à tort — l’idée qu’ils peuvent le faire dans
des main ridé ou les sœurs éné. Or, étant donné certaines caractéristiques de notre
orthographe (cas non marqués du singulier ou du masculin, e diacritique pour noter
une consonne finale, notamment), il est possible de produire une graphie attendue non
comme l’application d’une règle d’accord, mais par une procédure phonographique,
inefficace dans un cas sur deux.
Colloque pluridisciplinaire :
« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 6
D’autre part, du fait que les élèves emploient les termes féminin, nom, pluriel,
verbe, on tire — toujours à tort — l’idée qu’ils savent ce que c’est et on impute à de
l’inattention la non-application des règles afférentes. Or les entretiens métagraphiques
montrent à quel point ce que les élèves entendent par ces mots diffère de ce que ces
mots recouvrent en réalité. Quand on suit de près ce qu’ils disent, on s’aperçoit de très
nombreuses approximations, de glissements sémantiques, de confusions, qui passent
souvent inaperçues, mais qui témoignent d’une construction notionnelle largement
encore inachevée. On retrouve là l’analyse de Vygotski sur la différence entre les mots
utilisés par les enfants et les adultes : s’ils désignent les mêmes objets et permettent
de communiquer, leur signification et les opérations cognitives mises en jeu ne
coïncident pas.
L’enseignement traditionnel, qui classe les fautes en fonction du savoir achevé,
répète les règles connues dans une métalangue vide de sens et ne travaille pas les
conceptions à l’origine d’erreurs qui ne peuvent que se reproduire, gaspille un temps
non négligeable dans des exercices ou des corrections qui ne correspondent pas aux
besoins cognitifs des élèves.
Pourtant, tous les constats critiques semblent impuissants à susciter une autre
approche didactique. Même un dispositif aussi léger que la relecture différée des écrits,
pratiquée par tout expert, dont l’efficacité et l’intérêt pour la réflexion métalinguistique
ont été dépeints (Fabre, 1990 ; Angoujard, 1994 ; Cogis, 2000) engendre une certaine
réticence, alors qu’elle épargne du travail à l’enseignant. C’est d’ailleurs ce qui suggère
qu’on touche là à une remise en cause plus profonde. Exposer le savoir et corriger les
erreurs ne sont-ils pas les maîtres mots du métier de professeur ?
C’est en montrant la réalité des représentations des élèves, les effets des
interactions verbales dans la construction des connaissances orthographiques et les
atouts de certains dispositifs que l’on peut espérer ouvrir une brèche dans la
Colloque pluridisciplinaire :
« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 7
conception monolithique de l’enseignement de l’orthographe pour en faire un
enseignement ordinaire, qui intègre pleinement la dimension de l’apprentissage.
II. Le langage, creuset de la construction des connaissances orthographiques
L’orthographe matérialise une énonciation écrite, sa codification porte sur des
objets construits historiquement par le langage (lettres, mots, classes, structures,
règles), sa transmission se fait par un discours formalisé dans une métalangue, son
acquisition nécessite la médiation du langage : écrire est une activité métalinguistique
qui oblige à comprendre la fonction des lettres qu’on inscrit sur la page, comme on va
le voir dans deux types de situations, un entretien et une séquence en classe.
Le rôle médiateur des verbalisations métagraphiques
Certains entretiens de recherche sont remarquables en ce sens qu’un travail de
transformation s’y effectue en direct. On s’intéressera à l’un de ceux où les interactions
et l’activité langagière participent de la construction des connaissances
orthographiques aux yeux mêmes du sujet. Le travail cognitif s’y accomplit par le biais
des deux fonctions majeures du langage que sont la communication et la
représentation. En effet, le travail d’explicitation que requiert l’entretien amène l’élève à
revenir sur son action et à déployer pour l’autre ses procédures et les objets sur
lesquels portent celles-ci. De ce fait, l’élève a une certaine prise sur ses propres
opérations mentales et peut exercer un certain contrôle2.
• Une belle fleur noir ?
D’abord, Manuel, CE2, hésite : « Quand il y a e, c’est au féminin, donc là je me
dis qu’il doit y avoir un e… Je suis pas très sûr ». Il a d’ailleurs écrit plus loin la fleur
noire, avec un e, mais, même après réflexion, il ne sait pas lequel est le bon.
2 On ne peut proposer qu’une synthèse de ce qui apparaît comme des mouvements de pensée dans cette interaction verbale.
Colloque pluridisciplinaire :
« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 8
L’examen d’araignée blanche et d’une fourmi verte l’amène à dire que blanche
est au féminin, mais verte le fait encore hésiter : « Je l’ai vu beaucoup de fois, mais,
peut être il n’y a pas de e, mais je suis pratiquement sûr qu’il y en a un » ; il se ravise
très vite : « Oui… Pas avec le mot fourmi devant… Parce que c’est au féminin, et au
féminin, on met toujours un e. Pas dans tous les mots, mais… ».
C’est alors le moment de revenir à la seconde fleur noire. Il fait un premier
constat : « Si je trouve, soit j’enlève le e, soit je le mets aux autres… ». Il ajoute : « À
mon avis, il y a quand même un e ». S’il hésite encore, il penche pour e : « C’est une
fleur… Ça me fait penser qu’il y a un e à mon avis. C’est au féminin. Une fleur, on dit ».
Et de préciser : « C’est e qu’il arrive quand c’est au féminin ». À la question de savoir si
ce qu’il a dit va changer des choses, il répond : « Oui, qu’il faudra rajouter un e au
premier », ce qu’il fait.
Cette décision diffère par bien des points la correction d’une faute. En lieu et
place d’une devinette (« Tu n’as pas oublié quelque chose à noir ? »), ou d’une
exécution sur injonction (« Quelle est la règle ? »), les dix minutes qui séparent noir de
noire font en effet passer l’élève d’une intuition hésitante à une certitude agissante.
L’interaction l’amène à envisager successivement le rôle du e et ses limites (pas tous
les mots), le paradigme d’une unité lexicale (noir/noire/noirs/noires), le genre féminin
de blanche et de verte, la relation entre mot source (fourmi) et mot cible (verte), entre
le déterminant et le genre. Pourtant, les interventions de l’adulte ne lui ont apporté
aucune information directe.
• Un ciel bleue ?
Le travail d’élaboration est relancé avec l’examen d’un dernier item, une fourmi
bleue. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, il n’est nullement question d’une
marque d’accord : bleu s’écrit toujours bleue. Mais il s’interroge devant un ciel bleue :
« Il y a un e, mais ça me fait quand même hésiter… Parce que c’est un ciel bleu », en
Colloque pluridisciplinaire :
« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 9
appuyant sur le déterminant un. Par contre, il n’hésite pas pour un ciel noir : « On ne
mettrait pas de e à un ciel noir parce que c’est masculin ».
Son hésitation croît au fur et à mesure qu’il compare un ciel noir, un ciel rouge et
un ciel bleue. Il repère le rôle diacritique du e dans rouge et résume ainsi le problème :
« Il y a des exemples qui n’ont pas de e et il y a des exemples qui en ont ». En réponse
à la question de savoir ce qui guide le choix, puisqu’il connaît toutes les formes de noir,
il répond : « Ça dépend… C’est le nom commun ou l’adjectif… Non, c’est adjectif
plutôt ».
Un nouveau cycle s’enclenche alors, plus rapide, qui amène Mathieu à conclure :
« Avant je croyais que ça s’écrivait comme ça, maintenant j’en suis moins sûr ».
Dans cette partie de l’entretien, le problème qui surgit avec bleu se construit
totalement dans l’interaction. La tension naît du décalage entre un savoir déjà-là, une
conception ancienne (bleu s’écrit toujours bleue) et les contenus de savoirs construits
depuis le début de l’échange sur les différentes fonctions du e. Les rapprochements et
les contradictions modifient la posture épistémique initiale : d’une position de certitude,
elle évolue vers l’expression d’un doute souligné comme croissant et enfin vers la
reconnaissance d’une évolution (avant/maintenant) précédant de peu l’ultime
vérification qui viendra sceller la remise en cause de la conception erronée : s’alignant
sur le paradigme de noir, bleue pourra s’écrire bleu.
Ainsi, en explicitant ses savoirs et ses doutes, l’élève construit discursivement
des objets linguistiques, en l’occurrence les constituants de la notion d’accord en
genre ; amené à rapprocher des éléments d’ordre lexical, graphique, morphologique,
syntaxique, il manipule des propriétés et progresse du concept encore flou de féminin
vers le concept de genre, en donnant un contenu à ce que la règle permettra ensuite
de synthétiser. Ce parcours notionnel constitue l’acte d’apprendre. Dans ce travail
cognitivo-langagier, les nombreux rephrasages, les reformulations, les arguments et
Colloque pluridisciplinaire :
« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 10
les objections proférés en direction de l’autre s’adressent avant tout à lui-même —
discours extérieur avant de devenir discours intérieur, selon l’hypothèse de Vygotski.
Bien sûr, rien de cela ne serait possible sans l’enseignement préalable reçu et
dont on perçoit la trace. C’est bien l’enseignement qui tire le développement, toujours
selon Vygostki. Mais, s’il se limite à la présentation de faits linguistiques dans un
discours magistral assorti de quelques exercices d’application et de corrections des
fautes, il est insuffisant.
Ce travail de reprises, de redites, ces verbalisations qui examinent les objets de
discours sous toutes les coutures, ces bribes de raisonnement pas à pas, ces retours
en arrière passagers, ces graphies transitoires, c’est bien ce qui permet de construire
comme appartenant aux mêmes classes et de rassembler sous une même étiquette
des éléments très divers. Tant que ce travail d’élaboration n’est pas achevé, les élèves
n’ont pas recours à la métalangue, ils utilisent les mots en mention. C’est ici une autre
des sources de l’inefficacité de l’enseignement traditionnel qui fait de la règle et de la
métalangue le tout de la connaissance orthographique, alors qu’elles sont surtout le
point d’arrivée : Manuel retrouve à la fin les termes nom et adjectif dont il a une
certaine connaissance. Dans la situation interactive, l’élève remanie des éléments de
son savoir actuel et les coordonne pour atteindre un niveau supérieur de
conceptualisation : l’usage spontané de la terminologie témoigne non seulement d’un
gain en clarté cognitive, mais d’une nouvelle posture métalinguistique.
Si, pour comprendre et assimiler l’orthographe, les élèves ont besoin de passer
par des interactions verbales, il faut alors pouvoir répondre à cette nécessité dans la
classe même. Dans cette optique, de nouvelles formes scolaires ont vu le jour, telles
que la dictée sans faute (Angoujard, 1994) ou l’atelier de négociation graphique (Haas,
2002). On va s’intéresser ici à un dispositif didactique similaire, la phrase dictée du
Colloque pluridisciplinaire :
« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 11
jour, et à la manière dont il permet la construction des connaissances orthographiques
(Cogis, Ros Dupont, à paraître)3.
La controverse orthographique, un rouage fondamental
Une phrase étant dictée, les graphies des élèves sont collectées au tableau :
l’existence d’un problème à résoudre se lit dans la présence de propositions différentes
pour un même mot. La classe s’engage alors dans une discussion, parfois aux allures
de controverse, dont le but est de déterminer quelle est la bonne et pour quelle raison.
Au fur et à mesure, les graphies non pertinentes sont effacées. Si un accord ne peut se
faire, elles sont conservées pour un travail ultérieur. On va suivre l’activité d’un CM2
confronté à quatre reprises au déterminant leur4.
• leurs chambre ?
Lors de la deuxième séance, la phrase Une fois rentrés chez eux, les sept nains
découvrirent une jeune fille endormie dans leur chambre est dictée. Voici les graphies
recueillies :
leure chambres
leurs chambre
leur
Le cas de leure est vite réglé, leurs est en passe de l’être : « C’est au singulier, il
y a qu’une seule chambre ». Mais un élève fait une objection, en s’appuyant sur la
première séance, où les trois petits cochons se réfugiaient chacun dans leur maison :
« Ils étaient chacun dans une seule maison, mais là, il faut un s à leur, car c’est une
chambre pour tous ».
3 Ce dispositif, mis au point au sein d’un groupe de formateurs de l’ IUFM de Paris, est repris actuellement dans un certain nombre de classes. 4 Merci à Joëlle Hardy-Vulbeau, maitre-formateur à l’ IUFM de Paris et à ses élèves, ainsi qu’aux professeurs -stagiaires qui ont participé à ce travail en janvier 2003, en menant notamment les séances 2 et 4.
Colloque pluridisciplinaire :
« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 12
La classe se divise alors en deux camps irréductibles. Devant l’impossibilité d’un
accord, les deux graphies litigieuses sont encadrées et le débat suspendu jusqu’à sa
reprise.
Cette séance a permis de révéler un conflit cognitif masqué lors du premier
travail : pour une dizaine d’élèves, en effet, leurs chambre est une graphie logique,
« parce que c’est la chambre de tous les nains ». Le conflit ne se résout pas, car les
adversaires utilisent une même procédure de type morphosémantique, tout en
construisant une référence différente pour sélectionner une marque plutôt qu’une autre
(nombre de chambres vs nombre de nains). En outre, ils ont tous le sentiment
d’appliquer la règle enseignée. Seul, un élève avance un argument morphosyntaxique :
« Si c’est chambre au singulier, il n’y a pas de raison de mettre leur au pluriel », mais le
débat est clos, comme le lui signifie une élève.
L’enseignante de la classe met donc en place un autre type de travail dans la
troisième séance. Les arguments étant rappelés au tableau, les élèves doivent
observer un corpus de neuf phrases. Ils repèrent alors la concordance entre nom et
déterminant (leur lettre/leurs chaussures ), et dégagent les notions d’objet et de
possesseur, parallèlement aux variations en genre et en nombre, ce qu’un tableau
avec tous les possessifs formalise ensuite.
• leurs dure journée ?
Lors de la séance qui les confronte à nouveau à leur, le débat prend une autre
allure à partir des graphies suivantes 5 :
5 Voir Annexe.
Colloque pluridisciplinaire :
« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 13
leur dure journé
e
leurs dur journé
dûre journai
s
dure
nt
Sabine a choisi leur : « J’avais pensé une journée », tandis que Cléa engage le
débat là où il s’était arrêté à la deuxième séance, en soulignant la contradiction de la
proposition d’un élève : « Il y a un truc bizarre, un s à leur, ça veut dire qu’il faut un s à
dure et à journée, et pourtant, Roland, il a pas mis de s à dure et à journée ». Réponse
de l’interpellé : « Ils sont sept, les nains, leurs, c’est à eux ».
Ces deux répliques ont réactualisé la controverse. Mais l’argument déjà débattu
et réfuté lors du travail sur corpus a été repéré et est immédiatement contesté par
remue-ménage de la classe. De fait, seuls deux élèves vont soutenir cette position
dans le débat qui s’ensuit.
Les premiers échanges pointent la relation entre leur et journée : « Oui, mais
c’est une journée, c’est pas plusieurs ». Anne renchérit en rappelant l’acquis
précédent : « Mais on a travaillé dessus, sur leur avec s et leur sans s. Leur, ça va pas
avec les sept nains, ça va avec journée ». Non sans peine, Roland admet qu’elle a
raison. Un élève fait alors la synthèse : « Il y a deux orthographes possibles : soit c’est
tout au singulier, soit c’est tout au pluriel ».
Leurs est sur le point d’être effacé quand Maria en reprend la défense et s’attire
la même salve de contre-arguments. Elle accepte finalement de se rallier, mais, au
dernier moment, elle doit reconnaître qu’elle n’a pas compris.
Colloque pluridisciplinaire :
« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 14
En trois répliques, on passe alors d’une réexplication à l’identique : « C’est les
sept nains qui sont fatigués de leur dure journée de travail, donc c’est une journée », à
la formulation de Marguerite qui amorce un argument morphosyntaxique : « Là, le
groupe, c’est leur dure journée », propos requalifié ensuite par Cléa en termes
métalinguistiques : « Le groupe nominal, c’est leur dure journée ». C’est alors que
Roland, à l’origine du conflit du jour, fait une annonce, adoptant pour de bon cette fois
le point de vue du singulier : « Je pense que je me suis trompé, ça peut pas être leur
dure journée à eux, à plusieurs… ». Sauf pour une élève, l’obstacle référentiel a donc
cédé.
Plusieurs éléments sont à noter. D’une part, dans une séance où il semble se
passer peu de chose6, c’est bien du différent qui s’introduit : la plupart des élèves
admettent la compatibilité entre leur et le singulier en dépit d’un signifié antagonique.
Comme dans l’entretien avec Mathieu, le changement semble passer par de
nombreuses redites : pas moins de sept « une (seule) chambre » sont proférés, leur
assignant par l’intonation un statut de preuve. On peut voir dans cette mise en écho
l’indice d’une prise de conscience en chaîne de cette chose inouïe, à savoir le singulier
de leur, dans le mouvement défini par Vygotski qui va de l’interpsychique à
l’intrapsychique.
C’est sans doute la raison pour laquelle la classe ne sanctionne pas, comme elle
sait le faire, ces redites qui n’en sont pas à ses yeux. De fait, elle ne traite pas de la
même manière Roland qui, selon elle, ne tient pas compte du savoir construit
collectivement dans la troisième séance et considéré comme s’imposant à tous
désormais, et le même Roland qui refait une dernière fois le constat du singulier de
leur en disant qu’il s’était trompé et qu’il a maintenant vraiment compris ; de même, elle
6 Selon plusieurs professeurs -stagiaires à l’issue de l’observation de la séance.
Colloque pluridisciplinaire :
« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 15
peut redire avec patience une explication « étayante » pour Maria qui vient d’admettre
son incompréhension.
Pendant le débat, on voit donc que la réflexion silencieuse continue, comme en
témoignent notamment ce cheminement de Roland, mais aussi celui de Marguerite ou
de Cléa au travers de leurs différentes interventions.
D’autre part, Maria qui a semblé tirer la classe en arrière l’a fait avancer. En effet,
dans leur effort d’explicitation, Marguerite et Cléa ont poussé plus loin la réflexion et
ouvert la voie morphosyntaxique en parlant de groupe, puis de groupe nominal. C’est
le signe qu’elles commencent à appréhender les mots d’une phrase d’un autre point de
vue, autant comme des évènements particuliers que comme des faits linguistiques
généralisables. Comme chez Mathieu, le recours à la métalangue survient à la fin d’un
parcours plutôt sinueux, en tant que résultat du travail cognitif.
Enfin, la confrontation à la norme est décisive dans l’évolution de la classe. Mais
cette confrontation a un autre statut que l’habituelle présentation de graphies normées.
En effet, depuis le début de leur scolarité, ces élèves de CM2 ont eu leur content de
leçons, d’exercices, de corrections sur les notions en jeu. Cela ne les a pas empêchés
de construire des combinaisons impossibles, qu’ils n’ont évidemment jamais vues
écrites, sinon par eux, telles que leurs chambre ou leurs dure journée. Dans cette
séquence, le recours à un corpus avec le travail de clarification qu’il provoque vient
apporter une réponse à une question que les élèves se posent vraiment après deux
séances où elle n’a pas pu être tranchée définitivement (elle restera encore vive
jusqu’à la fin de la quatrième). Le débat, qui a mené les élèves jusqu’au point de
rupture, les rend prêts à prendre en compte le réel linguistique : littéralement, on ne
perçoit que ce que l’on peut comprendre.
De fait, c’est tout le rapport entre norme et graphies des élèves qui bascule : si la
première reste le but de l’apprentissage, les secondes, posées a priori comme des
Colloque pluridisciplinaire :
« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 16
productions intelligentes et considérées comme des propositions, ont le statut d’écrits
de travail soumis a posteriori à la réflexion critique de tous.
Grâce à l’étayage de l’enseignant qui régule les échanges, soutient et relance le
débat, facilite le travail par l’inscription des graphies au tableau ou l’oriente en
introduisant au moment opportun un tiers extérieur pour rompre la tension entre deux
positions qui s’affrontent sans pouvoir se dépasser, les élèves sont amenés à expliciter
leurs procédures, confronter leurs savoirs actuels, prendre conscience de certaines de
leurs conceptions et, à terme, à remettre celles-ci en cause.
Ainsi, le langage est doublement impliqué dans la construction des
connaissances orthographiques : en tant qu’objet d’apprentissage — notions
orthographiques construites dans le langage et pour le langage écrit —, et en tant que
lieu d’accomplissement — verbalisations et interactions verbales ouvrant peu à peu
l’accès aux concepts scientifiques. À la différence de l’entretien de recherche qui ne
vise pas l’apprentissage, mais le déclenche parfois, l’enjeu véritable de la controverse
orthographique est bien d’amener les élèves à faire un pas dans ce que Vygotski a
appelé la zone de développement prochain, hors de la pression de la norme et d’une
évaluation trop hâtive et nécessairement négative.
Les déplacements ne sont d’ailleurs pas les mêmes. Pour certains, c’est la prise
en compte de la possibilité du singulier de leur qui prévaut à présent, mais ils
conservent une procédure de type morphosémantique (« une seule journée ») ; pour
d’autres, qui avaient sans doute admis cette possibilité lors d’une séance précédente,
c’est la nécessaire concordance entre mots qui vont ensemble (leur dure journée).
Quelques-uns, en un pas de plus, s’approprient des savoirs enseignés7 et commencent
à réélaborer la notion de groupe nominal en tant qu’ensemble unifié par des marques,
c’est-à-dire sur la base d’une propriété morphosyntaxique : pour ceux-là, la
7 Le groupe nominal a été étudié au début de l’année.
Colloque pluridisciplinaire :
« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 17
réorientation du concept spontané de pluriel comme dénombrement du réel par le
concept linguistique du nombre a commencé (procédure morphosémantique vs
procédure morphosyntaxique).
Apparaît ainsi nettement le rôle d’une argumentation qui, aussi bien en situation
duelle (entretien) qu’en collectif (CM2) ou en petits groupes (atelier de négociation
graphique) vise autant à convaincre l’autre qu’à explorer un point particulièrement
délicat et encore mal connu (Nonnon, 1996). La dispute8 au sein de la communauté
sociodiscursive que forme la classe se révèle donc un rouage essentiel de
l’assimilation de l’orthographe : les remaniements qu’elle produit constituent le
mouvement de l’apprentissage.
Vers un nouveau contrat didactique
L’école jusqu’à présent s’est peu souciée de la manière dont les élèves
construisent leurs connaissances orthographiques, alors qu’on sait que les acquisitions
n’obéissent pas à la programmation a priori des leçons et exercices, ni à la pauvreté
tyrannique des corrections. La phrase du jour (ou tout dispositif similaire qui ne vise
pas à corriger des fautes, mais à travailler les raisonnements et notions
métalinguistiques), se révèle donc comme un lieu privilégié d’intégration des
connaissances par le langage, la pièce manquante de l’enseignement traditionnel. À
l’instar d’autres disciplines, il s’agit bien d’établir un nouveau contrat didactique que le
concept de communauté discursive scolaire aide à cerner.
Du côté des élèves, le sens qu’ils confèrent à la situation de communication leur
permet d’entrer avec une relative aisance dans une activité de réflexion où le langage
est un objet de connaissance. Grâce aux échanges qui mettent l’accent sur des
propriétés que certains perçoivent et d’autres pas (et inversement), la classe parvient à
8 « Discussion entre deux ou plusieurs personnes sur un point de théologie, de philosophie ou de science » (Littré).
Colloque pluridisciplinaire :
« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 18
composer des objets plus complexes, qui impliquent des concepts d’un autre ordre, en
rupture avec le sens commun et les concepts spontanés.
Dans ce cadre, de nouvelles attitudes qui renvoient aux pratiques sociales de
référence se construisent avec des buts propres à l’école. Ayant le choix des
thématisations, les élèves apprennent à observer des faits linguistiques, à chercher, à
comparer, à définir des critères et des propriétés, à classer, à dénommer, à trouver des
contre-exemples, à s’appuyer sur des sources de savoir diverses (connaissances déjà-
là, leçons antérieures, ouvrages spécialisés), à spécifier le nécessaire et le possible, et
pas seulement le vrai et le faux (Orange et al., 2001), à aller vers un contrôle conscient
des processus.
Des changements de posture se dessinent ainsi, qui viennent de l’intérieur de
l’activité : par exemple, c’est la même Cléa qui, en soulevant le caractère impératif de
la concordance en nombre, lance la controverse et qui, avec la dénomination de
groupe nominal, la clôt, faisant appel à un savoir externe, un outil conceptuel
historiquement constitué, en circulation dans la communauté des linguistes sous le
terme de syntagme nominal.
Les élèves apprennent également à argumenter, à s’écouter, à se soumettre à la
critique des pairs, à nouer leur apport à celui des autres, à évaluer l’effort de
coopération et la pertinence de la contribution de chacun dans une activité dont le but,
le fonctionnement, la mémoire, sont co-assumés : autrement dit, ils sont partie
prenante dans la construction du contrat de communication impliqué par le dispositif
d’apprentissage.
Du côté de l’enseignant, le nouveau contrat didactique exige beaucoup, puisqu’il
s’agit d’une mise en retrait délibérée dans les échanges et dans la présentation du
savoir, condition pour que s’ouvre un espace interlocutif qui permette aux élèves de
penser/parler/apprendre. C’est donc bien lui qui détient la clé. Or, si l’on en juge par les
Colloque pluridisciplinaire :
« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 19
réactions en formation, la posture de la « réticence didactique » (Sensevy, Quilio,
2002) ne va pas de soi9.
Pourtant, le domaine de l’orthographe, terrain d’élection des formes
traditionnelles d’enseignement, pourrait devenir, paradoxalement, un levier pour
contribuer à instaurer d’autres pratiques d’enseignement à l’école, notamment si les
jeunes enseignants se reconnaissent dans cette autre configuration de leur métier :
être le garant du savoir orthographique, sans nécessairement devoir l’exposer par la
parole et la démonstration magistrales, reconnaître le travail sous la faute
d’orthographe considérée comme graphie intermédiaire, saisir les progrès dans
l’évolution des procédures graphiques, privilégier l’activité étayée de sujets estimés
capables d’une réflexion intelligente, qui apprennent dans les interactions verbales et
des situations d’apprentissage ouvertes plutôt que dans l’exécution de tâches limitées
et les exercices routiniers — bref, s’ils forment avec leurs élèves une communauté
discursive scolaire, où chacun a un rôle à tenir dans l’activité commune d’observation
réfléchie de la langue. Cette transformation à faire n’a donc rien d’un ajustement léger.
La convergence actuelle des didactiques devrait constituer un atout pour cette
« révolution copernicienne » (Bucheton, Bautier, 1996).
En travaillant au plus près de leurs représentations, les élèves, particulièrement
ceux habituellement considérés comme faibles, en difficulté, en échec, éloignés de la
culture écrite, découvrent que la langue fonctionne comme un système de relations
entre unités et non de façon aléatoire10, à tout jamais hors de leur portée. Engagés
dans un travail intellectuel et vivant une nouvelle expérience du langage et de la
langue, ces élèves découvrent un rôle social/scolaire différent ; ils peuvent ainsi
9 Doutes régulièrement formulés en formation initiale ou continue du premier et du second degré : « Ça prend du temps », « Ils disent des choses fausses », « Ils fixent des graphies erronées », « On pourrait quand même leur dire ce que c’est », « C’est plus simple de rappeler la règle ». 10 La classe de CM2 (de bon niveau) a déclaré récemment : « C’est pour ça qu’on fait de la grammaire, il y a des règles qui nous servent à écrire ! ».
Colloque pluridisciplinaire :
« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 20
amorcer un nouveau rapport au langage et au savoir, et trouver la possibilité de
construire une tout autre image d’eux-mêmes (Brossard, 1982 ; Bautier, 2002) et d’une
discipline qui n’est plus nécessairement synonyme de dénigrement et d’humiliations.
Au contraire, l’orthographe semble même pouvoir devenir un outil concret pour
participer à la réflexion générale que le langage suscite chez les êtres humains —
voire éprouver la curiosité et la pugnacité du linguiste, quand des discussions se
poursuivent au-delà de la porte de la classe sur une question restée en suspens.
Références bibliographiques
Angoujard, A. (Éd.) (1994), Savoir orthographier, Paris : Hachette/INRP.
Bautier, É. (2202), Du rapport au langage : question d’apprentissages différenciés ou
de didactique ? Pratiques n° 113-114 (pp. 41-54).
Bernié J.-P. (1998), Éléments théoriques pour une didactique interactionniste de la
langue maternelle. In M. Brossard et J. Fijalkow (Éds.) (pp. 155-197). Apprendre à
l’école : perspectives piagetiennes et vygotskiennes, Bordeaux : PUB.
Bernié J.-P. (2002), L'approche des pratiques langagières scolaires à travers la notion
de « communauté discursive », Revue française de Pédagogie n° 141 (pp. 77-88).
Bousquet S., Cogis D., Ducard D., Massonnet J., Jaffré J.-P. (1999), Acquisition de
l’orthographe et mondes cognitifs, Revue française de Pédagogie n° 126 (pp. 23-
37).
Brissaud C. et Cogis D., (2002), La morphologie verbale écrite, ou ce qu’ils en savent
au CM2, Lidil n° 25 (pp. 31-42).
Brossard M. (1982), Approche interactive de l’échec scolaire, Psychologie scolaire
n° 38 (pp. 12-28).
Colloque pluridisciplinaire :
« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 21
Bucheton D. et Bautier, É. (1996), Interactions : co-construction du sujet et des savoirs,
Le Français aujourd’hui n° 113 (pp. 24-32).
Catach N. (1980), L’Orthographe française, Paris : Nathan.
Cogis D. (2000), Et l’orthographe ? In J.-M. Fournier (Éd.), La rédaction au collège.
Pratiques, normes, représentations (pp. 142-164), INRP, Rapports de Recherches.
Cogis D. (2001), Difficultés en orthographe : un indispensable réexamen, Revue
française de linguistique appliquée VI-1 (pp. 47-61).
Cogis D. et Ros Dupont, M. (à paraitre), Les verbalisations métagraphiques :
un outil didactique en orthographe ?, Dossiers de l’éducation.
Fabre C. (1990), Les Brouillons d’écoliers ou l’entrée dans l’écriture, Grenoble :
Ceditel/L’Atelier du Texte.
Fayol M. (1997), Des idées au texte. Psychologie cognitive de la production verbale,
orale et écrite, Paris : PUF.
Ferreiro E. (1988), L’écriture avant la lettre. In H. Sinclair (Éd.), La Production de
notations chez le jeune enfant — Langage, nombres, rythmes et mélodies (pp. 17-
70), Paris : PUF.
Haas G. (2002), Une nouvelle activité orthographique : l’atelier de négociation
graphique. In G. Haas (Éd.), Apprendre, comprendre l’orthographe autrement, de la
maternelle au lycée (pp. 59-72), CRDP de Bourgogne.
Jaffré J.-P. (1995), Les explications métagraphiques. Leur rôle en recherche et en
didactique. In R. Bouchard et J.-C. Meyer (Éds.), Les Métalangages de la classe de
français(137-138), DFLM, Actes du 6e colloque.
Jaffré J.-P. (1997), Des écritures aux orthographes : fonctions et limites de la notion de
système. In L. Rieben, M. Fayol, C. Perfetti (Éds.), Des orthographes et leur
acquisition (19-36), Lausanne-Paris : Delachaux et Niestlé.
Colloque pluridisciplinaire :
« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 22
Lahire B. (1993), Culture écrite et inégalités scolaires. Sociologie de l’échec scolaire à
l’école primaire, Lyon : PUL.
MEN-DPD (2001), Évaluations CE2-sixième. Repères nationaux septembre 2000, Les
dossiers, n° 124.
Nonnon É. (1996), Activités argumentatives et élaboration de connaissances
nouvelles : le dialogue comme espace d’exploration, Langue française n° 112
(pp. 67-87).
Olson D. (1994, trad. 1998) L’univers de l’écrit. Comment la culture écrite donne forme
à la pensée, Paris : Retz.
Orange C., Fourneau J.-C., Bourbigot J.-P. (2001), Ecrits de travail, débats
scientifiques et problématisation à l’école élémentaire, Aster n° 33 (pp 82-111).
Reuter Y. (1996), Enseigner et apprendre à écrire, Paris : ESF.
Sensevy G. et Quilio S. (2002), Les discours du professeur. Vers une pragnatique
didactique, Revue française de Pédagogie n° 141 (pp. 47-56).
Vygotski L. (1934), Pensée & Langage, réédition (1997) Paris : La Dispute.
Colloque pluridisciplinaire :
« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 23
ANNEXE
Séance n° 4 : leur dure journée
M désigne le professeur-stagiaire qui mène la séance, F un formateur.
1- La bonne graphie leur : « une journée »
M. : Sabine, pourquoi tu as écrit leur sans s ?
Sabine : Moi, j’avais pensé une journée et c’est les sept nains. Moi, j’ai pas
pensé à mettre un s.
F. : Et tu penses qu’il en faut un ?
Sabine : Non.
2- Problème : critère de nécessité
Cléa : Moi, je trouve qu’il y a un truc bizarre, un s à leur, ça veut dire qu’il faut un
s à dure et à journée, et pourtant, Roland, il a pas mis de s à dure et à journée.
3- Argumentation de type morphosémantique
M. : Roland, pourquoi tu avais mis leurs avec un s ?
Roland : Parce qu’ils sont sept, les nains, leurs, c’est à eux.
Remue-ménage dans la classe.
M. : Explique-nous.
Roland : Non…
M. : Va jusqu'au bout de ton idée.
Roland : Parce que c’est eux qui sont fatigués de leur journée, dure.
M. : Si je te suis bien, leur avec s, ça se rapporte au fait qu’ils sont fatigués ?
Sabine : Oui, mais c’est une journée, c’est pas plusieurs.
Roland : Oui, mais c’est eux tous…
Élèves : Oui, mais…
M. : Pas tous à la fois.
Colloque pluridisciplinaire :
« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 24
Roland : C’est eux tous…
4- Référence aux acquis : relation leur/journée
Anne : Mais on a travaillé dessus, sur leur avec s et leur sans s. Leur, ça va pas
avec les sept nains, ça va avec journée.
M. : Tu as entendu ?
F. : Et qu’est-ce que tu en penses ?
Roland : Que c’est bon.
F. : C’est-à-dire ?
Roland : Qu’est-ce qu’elle a dit, mais j’avais pas vu, parce que c’est leur journée
à eux tous.
Élève : Moi, je suis pas d’accord.
Anne : En plus, si il y avait pas plusieurs nains, on dirait sa dure journée et pas
leur dure journée.
M. S’il y avait un seul nain, on dirait sa dure journée.
Elle écrit au tableau sa dure journée.
5- Synthèse
Élève : Il y a deux orthographes possibles : soit c’est tout au singulier, soit c’est
tout au pluriel.
6- Problème : critère de possibilité
Élève : Ça fait peut-être deux jours qu’ils sont dans leurs tunnels, qu’ils rentrent
et ils vont se coucher…
M. : Il y a plusieurs journées ou une seule ?
Élève : On peut pas savoir.
M. : Ah bon ?
Élève : Une, ça parait logique, mais on pourrait dire qu’il y a deux journées.
M. : Donc, là, on est d’accord, on est dans le cadre d’une seule journée.
Colloque pluridisciplinaire :
« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 25
7- Reformulations
Élève : Quand il y a leur, ça appartient à plusieurs, mais là il y a une seule
journée.
Marguerite : La journée, elle est toute seule.
Sabine : Moi, je serais d’accord pour un s si c’était plusieurs journées, mais là,
c’est une journée, donc pas de s.
M. : Bon, alors, vous êtes tous d’accord pour éliminer leurs ?
8- Problème : retour au morphosémantique
Maria : Non, moi je ne suis pas d’accord. Parce que c’est la journée des sept
nains, parce que je sais pas, ils sont plusieurs, alors…
M. : Donc tu penses que comme ils sont plusieurs, il faudrait mettre un s, c’est
ça ?
Maria : Oui, parce qu’ils disent leurs profonds tunnels, ils parlent pas de la
journée.
Line : Non mais, je suis pas d’accord, c’est une dure journée de travail.
M. : Tu as entendu ?
Maria : Oui.
M. : Tu n’es toujours pas d’accord avec ça ?
Maria : Ben si, je suis d’accord.
M. : Tu as compris l’argumentation de Line ?
Maria : Oui, un peu.
M. : Tu pourrais la reformuler ?
Maria : Oui, ben parce que… Non, j’ai pas compris.
9- Construction d’une argumentation de type morphosyntaxique
Line : C’est les sept nains qui sont fatigués de leur dure journée de travail, donc
c’est une journée.
Colloque pluridisciplinaire :
« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 26
Marguerite : Et aussi, quand on a fait la dictée, on n’est pas censé savoir que…
on le sait qu’à la fin que ce sont les sept nains qui sont fatigués, alors que là, le
groupe, c’est leur dure journée. Et là, on est sûr de savoir.
Cléa : Et après on avance. En tout cas, Maria, on peut savoir que leur, ça
s’adresse à dure journée, car le groupe nominal, c’est leur dure journée, alors
que pour tunnels, c’est de profonds tunnels, c’est pas leurs de profonds tunnels.
10- Décision
Roland : Je pense que je me suis trompé, ça peut pas être leur dure journée à
eux, à plusieurs…
M. : Bon, on va peut-être supprimer leurs, tout le monde est d’accord ?
Élèves : Oui.
F. : Maria, tu n’es pas complètement d’accord, mais tu sais qu’on y reviendra.