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MME Celia RobertsBernadette GrandcolasMME Jo Arditty
Acquisition des langues ou socialisation dans et par le discours
? Pour une redéfinition du domaine de recherche sur
l'acquisition des langues étrangèresIn: Langages, 33e année, n°134, 1999. pp. 101-115.
Abstract
This paper recasts the process of learning to use a second language as language socialisation (SLS). But also identifies some
limitations of SLS. The social aspects of language learning and use include not only a study of second language interaction but
also the wider social outcomes of intercultural encounters. Detailed analyses of encounters between minority workers and
gatekeepers from the majority group are used to illuminate the socio-cultural knowledge necessary for SLS. They also shed light
on the ways in which minority workers are ideologically positioned in interaction and so on the potentially hostile environment for
language learning. The link between SLS and wider social processes is illustrated through Gumperz's work on intercultural
communication.
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Roberts Celia, Grandcolas Bernadette, Arditty Jo. Acquisition des langues ou socialisation dans et par le discours ? Pour une
redéfinition du domaine de recherche sur l'acquisition des langues étrangères. In: Langages, 33e année, n°134, 1999. pp. 101-
115.
doi : 10.3406/lgge.1999.2195
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1999_num_33_134_2195
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_lgge_166http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_lgge_821http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_lgge_24http://dx.doi.org/10.3406/lgge.1999.2195http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1999_num_33_134_2195http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1999_num_33_134_2195http://dx.doi.org/10.3406/lgge.1999.2195http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_lgge_24http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_lgge_821http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_lgge_166
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Celia
Roberts
Thames
Valley University
ACQUISITION
DES LANGUES OU
SOCIALISATION
DANS ET PAR LE DISCOURS
?
Pour
une redéfinition du domaine de la recherche
sur
l acquisition des langues étrangères
x
1. Introduction
L'emploi
des termes
«
interaction
»
et
«
discours
»
renvoie
toujours,
d'une
manière
ou d'une autre, à
quelque chose
de social. Mais si l'on
réfère au
social et au
contexte socio-culturel dans les processus du développement langagier, ce
n'est
souvent que pour lui
accorder
un
rôle
marginal. De
même,
rares
sont les
chercheurs
qui
s intéressent à l'importance sociale de l'acquisition d'une langue seconde.
Par
«
importance sociale
»
j'entends l effet produit par la
multitude
d interactions qui
se
jouent
quotidiennement sur les identités sociales, les appartenances à
des groupes
sociaux et les relations
entre
ces groupes, mais aussi les conséquences de ces
rencontres interculturelles
pour
les
individus,
membres de
ces groupes. Le présent
article tente d'évaluer dans quelle mesure les individus réussissent ou non
à
cons
truire ensemble
et localement
du
sens,
comment ils
relient
ce
sens à des ensembles
plus
larges
d'expériences et de connaissances, et
les
conséquences
sociales
qui
en
découlent.
Il s intéresse
également
à la manière dont ces interactions participent à la
constitution de processus
sociaux
plus vastes et
qui
influencent
en retour le dérou
lement de ces
rencontres, fournissant
ainsi des
conditions
favorables
ou
non à la
production
et à l interprétation des discours. La
notion
de contextualisation, em
pruntée à Gumperz, nous aidera à
analyser
la
socialisation des
travailleurs migrants
dans une langue seconde.
Dans
un
grand
nombre
de villes de l'Europe de l'Ouest
et
du Nord,
l'environne
mentultilingue a remplacé la situation monolingue. Les travailleurs migrants
adultes qui
essaient
d'y
construire une nouvelle vie
représentent un
groupe
particu
lièrement
significatif
pour
les
chercheurs
qui s'appliquent
à
cerner
le
domaine
des
études sur l'acquisition. Pour beaucoup d entre eux, le contact avec le groupe
majoritaire
s effectue dans des lieux institutionnels —
au
travail ou dans des ren
contres avec l administration —
où
leur compétence dans la nouvelle langue
est
mise
à l épreuve.
L'analyse
des
interactions et
des progrès relatifs de
ces
locuteurs
dans
un
monde
indifférent et souvent hostile
amène
le
chercheur à
ne pas
considérer
les
individus seulement comme
des apprenants
en langue,
mais aussi
comme
des
êtres
sociaux
qui s efforcent
de réaliser des
objectifs
souvent contradictoires. Comme
le
1. Je
tiens
à
remercier Mike
Baynham
et
Ben
Ramp
ton,
ainsi
que
les
éditeurs
intellectuels
de
ce
numéro, Jo Arditty
et
Marie-Thérèse
Vasseur,
pour
leurs commentaires
sur
des versions
de
cet
article.
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dit
Bourdieu, « ce
qui
parle, ce
n'est
pas
l'énoncé ou la
langue, mais la personne
sociale
tout entière
». Prendre
en compte
la
«
personne sociale
tout entière »
suppose que
l'on
adopte une approche plus globale dans l'étude du développement
d'une langue seconde, qu'il s'agisse de théorie ou de méthodologie.
2.
La perspective sociale dans
l'acquisition
d'une langue seconde (ALS) et
ses limites
2.1. Interaction et
pragmatique en
ALJS
L'interaction
en
ALS
a
évidemment fait l'objet de
nombreux
travaux, qui
étudient
comment certains
moyens conversationnels provoquent
l'apparition
de
certains
éléments linguistiques.
Dans une veine plus dialogique, des approches
récentes
mettent
l'accent
sur
la
négociation
de
«
l'input
compréhensible
»
dans
l interaction sociale. Mais cette focalisation sur le dialogue collaboratif
ne
modifie
guère
la conception
traditionnelle
du langage comme produit à acquérir plutôt que
comme discours, comme processus social, dans lequel les membres d'une commun
autée socialisent. Si l'on définit maintenant les
apprenants
comme « constitués
socialement »,
comme «
des
êtres
responsables qui
montrent
des
dispositions, enra
cinées
dans
leur histoire
discursive,
pour
penser
et agir d'une
certaine
façon »
(Lantolf et
Pavlenko, 1995
:
116),
l'objectif de
l'apprentissage
du dialogue
reste
défini par l'aptitude à utiliser
les
unités linguistiques. D'un point
de
vue
méthodol
ogique, les analyses se
concentrent
sur
un
trait particulier du langage, non sur
l'examen
en
profondeur des interprétations
et
des réactions locales. Il n est donc pas
étonnant
qu'il
n existe
pratiquement pas
d'indices
ethnographiques
confirmant
les
conclusions
auxquelles
arrivent ces chercheurs. La pragmatique de l interlangue
semblerait apporter un éclairage nouveau sur la
personne
sociale globale. Mais
en
dépit de ses
préoccupations
pour les facteurs
contextuels,
les questions
essentielles
pour
ce
type de
recherche
restent liées
au
concept étroit
de
l'apprenant
et
de ses
capacités à
réaliser des
actes de parole spécifiques. Cette recherche reste essentie
llementognitive, comme l'indique la
reconnaissance
par les auteurs de l importance
potentielle
des phénomènes
socio-culturels :
«
Ce
serait
une
erreur
de considérer
les
problèmes du
développement
de la
PIL
(Pragmatique
Interlangagière)
dans
des
termes
purement
cognitifs,
tant
les
stratégies de l'action langagière sont étroitement liées à
l identité
personnelle et
sociale » (Kasper et Schmidt, 1996 : 159).
Malgré
cette prise
de
position,
les problèmes d identité sociale n ont pas à
ce
jour
été sérieusement
pris
en compte par les pragmaticiens
de
l interlangue, pas plus
d'ailleurs que d'autres
problèmes
qui dépassent
le contexte immédiat
de l'énoncé.
Enfin,
les recherches qui abordent
l'acquisition
des langues
secondes
d'un
point
de
vue
interactionnel et/ou pragmatique
perpétuent la
tendance
plus générale dans ce
domaine à
réifier
la
langue,
ce
qui
fait que
le français, l'anglais et
les
autres
langues
sont
traitées,
sans la moindre
remise en
question,
comme
des
« langues
sources
»
homogénéisées
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2.2.
Perspectives
sociolinguistiques
en
ALS
D'un point de
vue
sociolinguistique, les travaux
actuels sur l'acquisition d'une
langue
seconde
demeurent « asociaux » :
apprendre à
interagir dans la
langue
est un
phénomène dont
la
portée
sociale
reste ignorée.
Le
point
de vue sociolinguistique se
préoccupe
moins
du système
linguistique
et
de
tels
ou
tels
éléments
spécifiques du
développement pragmatique ou
discursif
que de la langue vue comme
un
ensemble de
normes, de la diversité linguistique et des
idéologies.
Cette
approche plus
globale
s intéresse
plus
spécifiquement
à
l interaction
en
tant que pratique communicative,
à la manière dont cette pratique nous
aide
à
comprendre des phénomènes
sociaux
plus vastes et
à impact
que ces
derniers
ont
en
retour sur les interactions Cette
mise
en relation
des
éléments
globaux
(le
macro)
et locaux (le micro) dans la théorie
sociolinguistique restitue
aux interactions leur valeur
de
lieux où les
travailleurs
migrants
ne
sont pas
seulement exposés
à de l'input compréhensible
qu'ils
sont
capables
de négocier, mais
où ils
sont
aussi
des acteurs sociaux
qui
mettent
en œuvre
leur compétence émergente
en
langue seconde pour tenter de réaliser des
objectifs.
En
redonnant aux
apprenants
leur
statut
d'acteurs
sociaux,
on met
en lumière
les
problèmes
d identité sociale. Le lien
entre langue
et identité sociale et ses
implications
pour Г
ALS
donnent
Heu
à des recherches de plus
en
plus nombreuses
où
linguistique appliquée et
sociolinguistique
se rejoignent.
Dans
ces travaux,
on
considère l'apprenant comme un individu ayant
des
identités multiples et souvent
contradictoires. Pierce (1995), par exemple, analyse
l investissement
personnel et
social
de
femmes
migrantes
dans
leur
apprentissage de l'anglais, et
montre
comment
il se manifeste dans leurs interactions, où différentes facettes de leurs identités
sociales sont mises
tantôt en avant tantôt
à Г arrière-plan. L identité se
modifie
à
travers
le
temps et
l'espace :
l activité
langagière,
l identité sociale et
l'appartenance
ethnique
sont
liées de
manière inextricable
et
examinées
dans
le
cadre de
phénomèn
sociaux
plus globaux.
A
partir du
moment où
l'on
fait
appel à ces
notions
d identité
sociale,
la tradition dominante qui traite l'ALS comme un
phénomène non
social
est
remise
en
question.
3.
Socialisation langagière
L'une
des
alternatives
possibles
à cette absence
de prise
en compte du
social
est la
perspective
connue
sous le nom de
socialisation langagière.
Ce
concept,
d'abord
développé
en
anthropologie
pour
décrire
le
processus par lequel
un enfant s intègre
peu
à
peu
à
la
communauté
dans
lequel
il
grandit,
a
été
récemment
élargi
à
la
socialisation
dans une
seconde langue
(SSL -
Duff, 1996). Il
inclut
à
la fois la
socialisation requise dans l utilisation
de la
langue
lors de séquences interactionnel-
les
spécifiques
et
le
processus de socialisation
par la
langue — moyen
indirect
de
développer des connaissances socio-culturelles. Alors que le paradigme dominant
en
ASL
a été la création et l expérimentation de modèles censés
décrire
comment tel ou
tel
phénomène linguistique est perçu, mis
en
mémoire et récupéré, les travaux sur la
socialisation langagière s'appuient sur l'observation participante.
Des
études sur les
travailleurs
migrants, fondées sur
l utilisation
de
la
langue
en
situation, fournissent
des
données plus proches
des
études
portant
sur la socialisation de
l enfant.
Les
données
de
ce
type
nous
offrent
un
éclairage
sur les
processus
de
SSL, à
condition
de
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les
compléter par
des
données
ethnographiques
sur
les
événements langagiers, ainsi
que sur
les parcours
et identités
individuels des participants. Dans l'exemple
su i
vant
Marcello, travailleur italien
en
Allemagne,
est interviewé par
T, conseiller à
l'Agence pour
l'Emploi.
Exemple
1
2
1.
M
:
wir muss
vergessen
il
faut
oublier
2.
T :
ja
+ gut + dann
hátten
wir die saache
fur heute
ok
bon
ça suffit pour
aujourd hui
3 und wenn sie also
in
zukunft noch fragen haben kommen sie bei mir vorbei ja
et
si vous avez un
jour d autres questions passez me
voir
d accord
4. M: ja
oui
5.
T : ok
6. M
:
so
und
jetzt mues
ich
gehen
bon faut que
j'y aille
7. T
:
8. M
: < >
9. T :
wiedersehen
au revoir
10. M
: wiedersehen danke
au
revoir
merci
(Bremer et al., 1996 : 60-61)
Le
temps
pris
en 5 par
les
actions
non verbales de
T
et
le fait qu'elles déclenchent
chez Marcello non plus le simple phatème ja, mais
une
topicalisation explicite de
l'acte de départ permettrait, à
première
vue, d interpréter
ce qui
précède comme
un
exemple d'échec
pragmatique.
4
ne
suffit
en
effet pas
à
considérer que Marcello a
identifié
les signaux
linguistiques
de
préclôture
de T, tels ja,
gut,
ou
l'opposition
entre
fur heute et le
in
zukunft qui situe les
actions évoquées dans
l'avenir, alors que
sa réaction aux indices
non-verbaux
est
claire
: T est bel et bien
en
train de
prendre
congé.
Mais l'enjeu
dépasse
largement
celui du repérage de quelques
signaux
de préclô
ture
regrettons
au
passage
que
les
signaux
non
verbaux,
éléments
décisifs de
l environnement interactif,
soient rarement
pris
en
considération
par la
pragmati
queinguistique). On peut voir dans
cette
séquence
un moment
de socialisation
langagière, d'apprentissage d'un type de discours institutionnel : pour
comprendre
quand, comment et
pourquoi
le conseiller met
fin à
l entretien , Marcello doit
apprendre à gérer les rencontres
avec l administration
selon
les
normes,
les rapports
sociaux
et les objectifs
en
usage dans
ce
type d entretien.
2. Conventions de transcription :
+ Courte pause < > Commentaire
sur
la
manière
de
parler,
etc.
[ ]
Chevauchement
xxxx)
Mot
inaudible
ou omis
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Les
données ethnographiques
en provenance
d'expériences vécues
par
des tra
vailleurs migrants lors d entretiens avec
des
administrations (Bremer et al.
1996
;
Gumperz, 1982a et b
;
Roberts et al.,
1992)
semblent indiquer que les
interpréta
tions
es
droits,
des
responsabilités
et
des
attentes qui concernent
des
objectifs
spécifiques, ainsi que les
limites
de ce qui constitue le domaine personnel, peuvent
être
très
différentes
chez
le migrant
et
chez
le
fonctionnaire
qui
le
reçoit.
Dans
l'exemple ci-dessus,
une
des difficultés que
rencontre
Marcello tient
à
ce que l en
tretien
s'achève
d'une manière peu satisfaisante.
Alors
que
pour les
conseillers
pour
l'emploi, ces entretiens
sont
l'occasion de
discuter
les préférences professionnelles
de
l interviewé,
les travailleurs migrants s'attendent
plutôt
à
obtenir
des
informat
ionsrécises sur
des
emplois précis. C'est lorsqu'ils
les ont obtenues
qu'ils
s'atten
dent
ce
que l entretien
soit
terminé. Or ici le conseiller met fin à la
rencontre
alors
que, après
avoir obtenu quelques
renseignements
sur Marcello,
il
s est
contenté
de
lui prodiguer quelques vagues
conseils.
La
socialisation
langagière implique
à la fois
l interprétation de signaux pragmat
iques,
ui peuvent
être, comme
dans
cet
exemple,
multiples
et
redondants,
et
la
mise
en relation
de cette
interprétation
avec celle des enjeux
et
des
fonctions
des situations
où apparaissent ces signaux.
Les exemples de divergences
sont
également fréquents lorsqu'il
s agit
de catégo
riser expérience
professionnelle, technique, et
de l'exercice des responsabilités
— souvent, en
conséquence, du
statut social. Dans l'exemple suivant,
Ilhami,
travailleur turc
en Allemagne, lors
d'un
entretien en
vue d'un stage dans
un
garage,
doit répondre
à une
question
sur la profession
de son père.
Exemple
2
1.
T
:
e
was
arbeiť
dein
vater
was
macht
er von
beruf
?
que fait
ton père quel
est son métier
?
2. I : metalberuf
[und]
dans
le
métal
3. T :
[ja]
und
oh et
4.1: schnellpreese
emboutissage
à wxxxx
5. T
: in der schnellpresse
in
w.
dans
l emboutissage
à wxxxx
6. I : [ja] mhm
oui
7. T :
[ja]
und dort
tut er metali
?
et là il travaille le métal
?
8.1: metali [und]
le métal
et
9. T
: [aha]
10. I : die machen auch das macht au
s
papier
ils
font aussi
ça fait
aussi du
papier
11
T
: mhm ah so ist das
mhm ah с est comme ça
(Bremer
et
al.
1996
:
63)
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Les
multiples
relances de
T dans cette
séquence
manifestent le caractère insatis
faisant
pour lui des réponses d'Ilhami. Mais
il
n'explicite
jamais
ce qu'il
cherche
à
savoir.
Or,
ce que montrent de
nombreux
entretiens d'embauché, c'est que le
recruteur potentiel
ne
se
contente
pas de renseignements sur les compétences tech
niques mais cherche à
connaître
le ou
les postes
occupés, c est-à-dire le statut social
du
demandeur
et,
éventuellement,
comme ici, de
membres
de
sa
famille
-
interpré
tation
u'Ilhami n'envisage
pas
ou
refuse
d envisager. Thomas (1983) parlerait ici
encore d'échec
socio-pragmatique.
Mais ce terme
tend
à mettre l'accent sur
les
difficultés
pragmatiques,
plutôt que d'éclairer le
processus
de
socialisation
langa
gière.
4. Quelques problèmes liés
au modèle
SLS
4.1.
Le
modèle SLS et l'apprentissage
On peut voir le modèle SLS comme
un modèle
d'apprentissage :
avec
le temps,
l'apprenant prend
part
à
la vie interactionnelle
de
sa nouvelle communauté et,
progressivement,
est initié à ce
que l'on
tient pour les discours spécifiques de cette
communauté. La
conception
de
l'apprentissage
sous-jacente à
un
tel modèle
est
que
l'on apprend en agissant. Ainsi,
par
exemple, les interactions
du travailleur
migrant
avec son
contremaître
lui apprennent à évaluer son
rôle lorsqu'il
doit répondre à des
critiques sur la
qualité
d'un produit (Clyne
1994). Cet apprentissage correspond
en
partie à
ce
que Rogoff appelle
« l orchestration
sociale de
la
pensée à travers les
institutions culturelles
et
les techniques
normatives
de
résolution
de problèmes
»
(Rogoff, 1984 : 5). Mais la socialisation va bien au-delà d'un
apprentissage
cognitif
dans
des
contextes
sociaux.
Elle
présuppose
un
processus
d'appartenance
à
la
nouvelle
communauté. Et c est
ici que la notion de SLS devient
problématique,
dans
la mesure où elle suppose que « les groupes sont des touts socioculturels homogènes
et que leurs membres potentiels finissent par atteindre le terme d'une expertise
qui
ferait d'eux
des
membres à part entière »
(Rampton, 1995b
: 487).
Le
modèle d'apprentissage de la SLS n'explique donc pas tout. Il
ne
prend que
très
partiellement en compte les relations
entre
les
discours
auxquels sont soumis les
apprenants
et les
apprenants
eux-mêmes. En d'autres termes, ce modèle est par trop
fonctionaliste.
Il minimise le
problème
global d identification
des
rôles et d identité
personnelle
que
posent l'apprentissage
et l utilisation
d'un nouveau
discours,
ainsi
que la
nature
construite
des
contacts
interculturels
dans
des sociétés
plurielles
et
fragmentées
On
ne
peut se
contenter de présenter la
socialisation par
le langage comme le
moyen d'acquérir la
compétence
socioculturelle, comme
si
cette connaissance cor
respondait à un
ensemble stable de connaissances.
L'idée d'une initiation progress
iveux
discours
préexistants d'une communauté
renvoie
à un modèle fonctionnel,
simpliste,
qui ne
correspond
pas
aux données que nous
avons
recueillies. De
tels
entretiens
ne
servent pas
seulement
à transmettre,
même
indirectement, les
connais
sances ocioculturelles nécessaires, ce sont des
lieux
de
construction
des identités
sociales, des lieux
où
les
interactants
se voient
attribuer
des places
et où
ils se
positionnent eux-mêmes.
C'est
dans
le
cadre
de
formations
discursives
particulières
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que
les gens
s expriment.
Dans
le cas des travailleurs migrants,
cela
inclut les
discours
liés à l'appartenance ethnique et sociale (et plus généralement au
racisme),
à
leur
compétence
de communication, à leur compétence telle
qu'elle
est perçue
ainsi
qu'au positionnement
local
qui apparaît
lors
de chaque interaction.
4.2. Se positionner
dans
et par le
discours
Un examen
détaillé de
la façon dont
les
interactants
se
positionnent et sont
positionnés
éclaire
certains
des problèmes
que rencontre
une
vision orthodoxe
de
la
socialisation langagière. Les différents travailleurs
migrants
s investissent dans les
interactions et
dans
le
processus de socialisation langagière de manière
différente et
sont eux-mêmes définis de manière
relativement différente par
la société
d'accueil.
Le programme de recherche Acquisition d'une
langue
seconde par
les
travailleurs
migrants (Perdue, 1993 ; Bremer et al., 1996)
offre
de nombreux exemples de ces
divers
positionnements.
C'est ce qu'illustre par exemple le contraste entre deux
informateurs
italiens
en
Grande-Bretagne
qui se
renseignent en
vue
d'un
achat
dans
une agence immobilière (Roberts et Simonot,
1987)
:
l'une
des
stratégies de Santo,
qui contribue à
l'impliquer dans
la
conversation,
est de faire
des
commentaires
généraux d'ordre
évaluatif
Exemple
3
1 N :
then
you might get one for about fifty or sixty
+
alors vous
pourriez
en
trouver
un pour cinquante ou soixante
or say forty-eight sixty something like
that
ou disons
quarante
huit
soixante
quelque chose comme
ça
2
S
:
very
expensive area
anyway
quartier
très cher de toutes façons
3. N :
well this this
is
expensive this
is less expensive
ben
là I là с est
cher
là с est moins
cher
alors que les stratégies d'Andréa sont d'ordre réactif ;
il tend
à
ne
développer que les
thèmes que l agent immobilier a
implicitement approuvés
:
l.N :
blackstock
road, er that s a one
bedroom
flat
Ыаск
stock
road, euh y
a
qu une chambre
2. A : yeah
ouais
3.
N : it s not
two
bedrooms
y
a
pas deux chambres
4.
A
: mhm
Les efforts
de socialisation que Santo déploie pour
maintenir le Hen
conversat
ionnel
orsqu'il
a
affaire
à des prestataires de services
a
pour conséquence qu'il
obtient
d'eux
des commentaires plus
utiles
et plus détaillés. Les
interactions aux
quelles
participe
Andrea
sont
moins réussies et n offrent pas d'occasions d appren
re
maîtriser ce type
d implication
conversationnelle
et,
comme le montre l obser
vation thnographique,
le marginalisent progressivement
sur
le plan
social
comme
sur
le
plan
du
discoure
(Roberts
Simonot,
1987).
107
-
8/18/2019 article_lgge_0458-726x_1999_num_33_134_2195 (1)
9/16
Chez d'autres
informateurs du programme, l'apprentissage des connaissances
socioculturelles
est
teinté par
leur expérience de vie
dans
une société raciste.
Abdelmalek, travailleur marocain
qui vit en
France,
interrogé sur
ses
stratégies
de
politesse, explique
par
exemple comment il
a
appris
à se
concilier les
plus racistes
de
ses interlocuteurs
en
se montrant particulièrement poli
à
leur égard (Bremer et
al.
1996).
Des
données recueillies dans des
usines
britanniques
multilingues illustrent
également
les
positionnements
stratégiques adoptés
par certains
travailleurs
mi
grants pour essayer de co-construire
un argument en
leur faveur.
Dans l'exemple qui
suit,
IA
essaie d'obtenir un travail pour son fils dans l'usine
où il
travaille. Le
problème
est
que son fils n'a que 16
ans et n'a
pas
le
droit de faire
les
55 heures
hebdomadaires réglementaires :
Exemple
5
1. Madame B. : Can t help him
J peux
rien
faire
pour
lui
:
2.
IA :
What
for?
Pourquoi
?
3. Me В : All the men
in this mill
are on 55 hours
Tous les hommes
ici
font 55 heures
4. IA : 55 hours
?
55
heures
?
5
Me В.: All the men
Tous les hommes
6. IA: Old men?
Les hommes âgés
?
7.
MeB.
:
All
men
Tous les hommes
8. IA : Young men
and
just 8 hours every day
Les jeunes
juste
8 heures chaque
jour
9. Me S
: But Mrs
В
says not the OLD men.
All
the
men
-
Mais
Madame B. ne
dit pas
les hommes âgés, mais tous les
hommes,
everybody -
must work 55
hours.
tout le monde doit travailler 55 heures
10.
Me B.
: Ladies
work
40 hours
Les dames font quarante heures
11.
IA
: This is young boy, the
same
like lady (rire)
Lui,
jeune
garçon,
la
même
chose
qu une dame
12 They are too young.
Ils
sont
trop jeunes
If not
wanted then
too long time. just 40 hours per week
Si pas
voulus
alors (=
parce que) temps
trop
long
(sous-entendu : qu on les prenne) juste 40
heures
par
semaine
(Roberts
et
al.
1992
:
39)
En
dépit du malentendu
qui surgit en
6, IA,
en
8 et 11-12,
commence
à négocier
un contournement
des
règles de
l entreprise.
Il e fait
en
s'appuyant sur l affirmation
de Madame B. qu'il prolonge
par
sa propre caractérisation
des
jeunes
gens et,
pour
que
celle-ci ne
soit
pas
vue comme
une stratégie de
distanciation
mais
bien
de
108
-
8/18/2019 article_lgge_0458-726x_1999_num_33_134_2195 (1)
10/16
solidarité,
il indique
par
son
rire
que leur assimilation à des femmes
doit
être prise
comme une
plaisanterie.
Il
se
trouve dans
de
bonnes conditions
pour améliorer
sa
compétence socio-culturelle : ses affirmations reçoivent un écho favorable chez
Madame
B.
et
à
la fin de
l entretien elle
accepte de parler du
fils
de
IA
au contremaît
re
La
nature
contingente
d'un
tel
positionnement
interactif
souligne
la
variabilité
des
normes de
production
et d interprétation d'une situation
d'interaction à l'autre.
Mais ces
normes
dépendent aussi de
conditions
socio-politiques
qui
dépassent ces
situations
—
comme
par
exemple les inégalités
qui existent dans
une
société
multi
lingue stratifiée. C'est
pourquoi un modèle
SLS doit également rendre
compte
des
idéologies
qui
nourrissent les interactions
en
même temps qu'elles y sont
construites.
4.3. Pratique langagière et idéologie
En
envisageant le langage comme une pratique
sociale,
nous percevons mieux
l élément
idéologique
dans
les
interactions.
Le
terme
« pratique »
a
été
l'objet
de
nombreuses discussions
dans les
études appelées « New
Literacy Studies
»
3
en
Grande-Bretagne
et
aux Etats-Unis.
S
'agissant
en
l'occurrence de
littéracie,
on
entend par «
pratique
»
à la
fois
l'acte et les connaissances
et
représentations
qui
s y
attachent.
Ainsi, ce qui peut compter comme
compétence de lecteur-scripteur dans
un
sous-groupe social est
déterminé
par ceux qui occupent
une
position dominante
dans la société. Les pratiques de
lecteur-scripteur
sont donc
profondément liées
à
l identité et à la
position
sociale.
Cette
notion de
« pratique
»,
englobant
à
la fois l'action et
les idéologies
qui
l entourent, a également été utilisée et débattue par la linguistique critique et
anthropologique. Fairclough (1992) insiste sur
le
fait que les pratiques langagières
ne
se construisent pas seulement
à
partir des connaissances
socio-culturelles,
mais aussi
à partir des discours produits avant, pendant et après l interaction.
Ceci
pose
entre
autres la question de ce qu'est le locuteur d'une langue
donnée, de
ce qu'est un
locuteur non natif, de ce que certains appellent la langue-cible, etc. Même si cette
problématisation a influencé la linguistique appliquée, elle n'a
eu que peu d'impact
dans les courants dominants en
ASL. Or
les
idéologies
en vigueur sur le langage
catégorisent
par
exemple le travailleur migrant comme « non natif » «
locuteur
de
langue
seconde »,
« piètre
communicateur »,
etc.
Et
ces
catégorisations,
qui
nourr
issent les interactions et
en
sont nourries, se retrouvent dans les discours plus
généraux
sur
la
langue
et
l ethnicité.
Dans
la tradition britannique,
deux
ensembles de discours sur l ethnicité sont
en
conflit.
La
première
tendance
est patente
dans
la
politique gouvernementale
comme
dans le discours populaire.
C'est
une vision essentialiste des groupes ethniques, qui
tend à
assimiler pays,
langue
et ethnicité
et à rejeter les
groupes
ethniques
minorit
aires ur la
base
de leur incompétence
en
anglais
(voir
Gilroy, 1987,
pour une
3
NDT
:
Sur le
modèle
des
Suisses
et des Canadiens
noue
traduirons
par « littéracie »
le
terme anglais
qui renvoie au
domaine
de l accèe et de la
relation à
la langue écrite
et/ou
savante lorsque le contexte ne
permettra pas
une paraphrase plus
éclairante
ex. :
« compétence
pratique de
lecteur-scripteur »
ci-dessous).
109
-
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11/16
discussion). Aux Pays-Bas,
van Dijk et
ses
associés ont mis
à jour
des processus
similaires dans les discours de
l élite,
qui
montrent :
«
.comment les croyances ethniques s expriment, s'acquièrent et
se
répandent
à
travers le
groupe dominant de
manière stratégique,
c est-à-dire comme élément
de la gestion
des
problèmes ethniques, de la reproduction du pouvoir de l'élite et
de
la
domination
des
blancs
»
(Van
Dijk
et
al.,
1997
:
165).
Les données recueillies
dans
des entreprises britanniques à la
fin
des années
1970
(Roberts et al., 1992) fournissent
un
exemple extrême de
ce premier ensemble
de
discours.
Dans
le cadre d'une procédure
normale
de recrutement,
l'un
des
respon
sables
posait
en
anglais la série habituelle de
questions
aux
candidats.
L'un d'eux,
originaire du
Sud-Est asiatique, venait de
répondre
à
plusieurs questions d ordre
personnel
et
sur son expérience
professionnelle
antérieure, quand
on
lui
demanda
Parlez-vous anglais ?,
question
à
laquelle il
répondit En quelle langue
croyez-vous
que
je
vous
parle en ce moment
? Conformément
au discours
ambiant
à l'époque,
selon lequel il
était peu
probable
que
quelqu'un arrivant
d'Asie du Sud-Est parlât
anglais,
ce
responsable
était
convaincu
d'avoir
à
nouveau affaire à quelqu'un
d incompétent
en anglais et la
preuve vivante
du contraire ne semblait
pas suffire
à
ébranler cette certitude. Il n'est pas difficile d imaginer les
résultats
d'une
rencontre
de ce type ni les tensions qu'elle
est
susceptible d engendrer chez
un travailleur
migrant qui a
besoin
de
devenir
un
membre actif de la nouvelle communauté,
ainsi
catégorisé de manière insultante par un membre de cette
communauté
comme
ne
parlant
pas
la langue.
Le
second ensemble
de discours trouve
sa
source
dans les Etudes Culturelles
menées
en
Grande-Bretagne
et en particulier
dans la
notion,
développée par Hall,
des
«
nouvelles ethnicités
»
(Hall, 1988) et ce que
Hewitt
a appelé les
«
vernaculaires
locaux
multiraciaux
»
(Hewitt,
1986). Des
recherches
récentes
ont
montré
la
désta
bilisation des ethnicités
héritées
et l émergence de nouvelles identités ethnolinguis-
tiques,
qui
mettent
en
cause les idées
essentialistes
et orthodoxes de
langue
et de race
(Hewitt,
1986 ; Gilroy, 1987 ;
Rampton, 1995a).
Selon ce second ensemble de
discours, le
processus de socialisation dans
une
langue seconde
ne
consiste
pas
simplement à
devenir un communicateur compétent
dans un
groupe
social
donné. Il
s agit plutôt d'un processus
hybride qui
consiste
à
apprendre
à
devenir membre d'une communauté tout en restant différent
— à avoir
plusieurs
identités et
affiliations
sociales à plusieurs
langues
(Pierce, 1995), cette
multi-appartenance
nfluençant
à
son tour les formations sociales qui déterminent
ce
que
signifie
la
socialisation
5. Contextualisation et
processus
sociaux
plus vastes
Le lien entre la
SSL
et ces processus sociaux plus globaux est
bien
illustré
par
les
études de Gumperz et leur reformulation récente
dans Eermans
et al. (1997).
Le
reste de l'article examinera plus
en
détail ce rapprochement. Comme l affirme
Levinson dans
le même volume :
«
...
ce
sont
les effets
sociologiques
à grande échelle d'une multitude de
petites
interactions
qui
continuent
à nourrir son
intérêt
(celui
de
Gumperz)
pour
les
110
-
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12/16
conversations,
surtout
quand
il se préoccupe du
sort
de l'individu
pris
dans
ces
forces plus
vastes.
»
(Levinson,
1997 : 24)
Nombre
des
éléments centraux pour une
redéfinition
de l'acquisition d'une
langue
seconde comme phénomène social sont correctement rendus
dans
cette formulation.
L'accent mis sur le micro — l'analyse
détaillée
des conversations — est
lié à
sa
pertinence
au niveau
du macro
—
celui
des
processus
sociaux
à
grande
échelle
où
les
réseaux, les identités
et
les liens sociaux se structurent
et
sont restructurés. Dans
cette
optique,
une
redéfinition de
l'ASL
doit
prendre en compte le
fait que,
comme
l affirme Gumperz, les
individus
sont pris dans ces mouvements sociaux. Chaque
rencontre
où différentes
langues sont
en
présence
est
donc à la fois
une occasion
de
socialisation, m ais aussi
un
lieu où les discours
dominants
sur le langage et l ethnicité
restent le cadre dans lequel identités et
relations
se manifestent, même
lorsque
les
liens interpersonnels
s'appuient
sur
des
conventions de respect.
C'est
peut-être
pourquoi Levinson parle du « sort » des individus,
dans
la mesure où les
interact
ions
ocioculturelles
qui
se
déroulent couramment
dans des
lieux institutionnels
sont
des
rencontres inégales.
La préoccupation de Gumperz pour
la
dimension linguistique de
l'action
sociale
permet de voir
comment l'association
d'indices
linguistiques et
de
la connaissance
de
Г arrière-plan culturel et social contribue (ou non) à l'implication des individus dans
la
communication et
aux
résultats qui en découlent au niveau
individuel
comme au
niveau collectif. Ce
qui
l intéresse
ce
sont
donc
les pratiques communicatives
(au
sens
où «
pratique
»
a été défini ci-dessus).
Pour
analyser ces pratiques, Gumperz
utilise une
panoplie éclectique et,
comme le
suggère Levinson, son approche
n'a
rien
de la netteté théorique de
l'Analyse
Conversationnelle
(Levinson, op.
cit. : 24).
Gumperz
utilise des notions pragmatiques dans ses procédures
interprétatives,
mais
au
sein
d'une
perspective
sociologique
plus
vaste.
Il
a
également
été
très
influencé
par
l Analyse Conversationnelle. Comme dans
l'AC,
son analyse est centrée sur les
procédures
des
participants, sur la
manière
dont ils utilisent leurs ressources
interactionnellee
pour
maintenir l interaction
et
créer un
niveau
commun d'inter
prétation.
Mais, pour Gumperz,
l'AC est
limitée, dans
la mesure où
les interprétat
ions
es participants sont
vues comme
dépendant de
l'ordre
séquentiel plutôt que
d'une implication active.
Et pour Gumperz
cette implication repose sur
deux termes
clés : « inference conversationnelle » et « contextualisation ».
La
capacité de
comprendre
les
interactions
et d intégrer
socialement
des commun
autésnouvelles de
pratiques
nécessite un certain
partage des processus
d infé-
rence.
Les
interlocuteurs ne partagent
pas forcément conclusions
et
interprétations
sur
le
sens
des choses,
mais leur
traitement
des
situations
est suffisamment
proche
pour
qu'ils puissent interagir et
accomplir au
besoin
certains
types de « réparat
ions
Il
ne
s agit
en
aucun cas de partage
absolu,
aucune
conclusion
sur le sens
des
choses
ne
va de soi, chacune doit être co-construite.
Et,
comme je l'ai
suggéré
plus
haut,
être
compétent ne signifie pas
seulement apprendre à gérer
le
discours
institu
tionnel, puisque ce
sont
justement les discours institutionnels qui
peuvent
mettre
l alloglotte
dans
une position
de
résistance ou au moins
d'ambiguïté par
rapport
à
la
communauté majoritaire.
Cependant
le
processus de socialisation, malgré son
ambiguïté, doit s'appuyer
sur
la négociation du sens
local
à
travers
l inférence conversationnelle. Le problème
est
le
suivant
:
quels
sont
les liens
entre
les
signes
linguistiques
que
les
participants
111
-
8/18/2019 article_lgge_0458-726x_1999_num_33_134_2195 (1)
13/16
doivent
traiter et l inférence conversationnelle ? Gumperz a proposé la notion
d'« indices de contextualisation » pour rendre
compte
de la manière dont ces signes
sont
reconnus
par les participants. La contextualisation comprend :
« toutes
les
activités
des
participants qui
justifient,
maintiennent,
modifient,
révisent, annulent
tous
les
aspects
du contexte,
qui
à leur tour sont responsables
de
l interprétation
d'un
énoncé
dans
son
lieu
d'occurrence
»
(Auer,
1992
:
4).
Les indices de contextualisation sont définis comme :
«
des
constellations de
traits
de
surface
dans la
forme
du message... Les moyens
par
lesquels les
locuteurs
indiquent
la nature
de l activité
et les
auditeurs
l interprètent, comment le contenu
sémantique
doit être compris et comment
chaque
phrase
est liée à ce qui
précède
et ce qui
suit
»
(Gumperz, 1982a : 131).
Ces indices servent à mettre
en
avant
ou
à faire
ressortir un trait linguistique
particulier par rapport à d'autres, et
ainsi à
évoquer des interprétations
en
situa
tion.
Par
exemple, le conseiller pour l'emploi dans l'exemple
1
prépare la
clôture
de
la séquence
avec
les
mots
ok
et bon, prononcés tous
les
deux
avec une intonation
descendante.
Ces indices de contextualisation
sont
les marques habituelles dans une
interaction
de la clôture d'un sujet ou d'une «
activité
»
(Gumperz, 1982a).
Les indices de contextualisation mettent
en
jeu des connaissances d'arrière-plan
liées aux
connaissances
traditionnelles en linguistique et
pragmatique, et aussi au
domaine des relations sociales,
aux
droits
et aux obligations, aux idéologies linguis
tiques,
etc.
(cf. le commentaire
de l'exemple
2
ainsi
que
Tyler,
1995,
à propos de
la
négociation interactive du statut des participants).
Les indices de contextualisation
ne
sont pas seulement chargés
d'un poids
social
et culturel important, la manière dont ils
renseignent
sur le
contexte les rend
problématiques pour
le locuteur
minoritaire.
Dans
sa proposition d'un cadre
d'anal
yseour les indices de
contextualisation,
Levinson
insiste
à juste titre sur
le fait
que
message
et contexte ne
sont pas
en
opposition —
le
message
peut
être
porteur
du
contexte ou
le manifester (Levinson,
1997
: 28). Ce
qui
fait que parvenir à
un
certain
niveau
de compréhension
mutuelle
et pouvoir
tirer
des leçons de
cette
expérience
sont
des
processus extrêmement complexes. Selon Levinson, les indices de contex
tualisation
renseignent
sur le
contexte
de manière
particulière.
L'indice est :
«...
un
rappel
conventionnel,
comme
un
noeud à son
mouchoir, où le
contenu du
rappel
est déterminé par inference.
Aussi on
ne peut pas
dire que
l'«
indice
»
encode
ou
évoque
immédiatement
l'arrière-plan
interprétatif,
il
ne
sert
que
de
coup de pouce au processus
d'inférence... Le
processus interprétatif peut être
guidé
par
des
principes pragmatiques généraux de type gricéen, et
donc
présent
res traits relativement universel,
alors
que les « indices » n ont rien d'uni
versel et tendent même à
se
différentier selon les sous-groupes culturels »
(Levinson,
1997 : 29).
Plusieurs problèmes se
posent
ici pour les
locuteurs
des minorités
linguistiques.
Il leur
faut
d'abord repérer l existence d'un indice (exemple :
un
trait prosodique
particulier peut avoir
une
signification
conventionnelle
dans
une langue
ou
une
variété
de
langue
et
pas
dans
une autre). Ensuite, comme le
suggère
Levinson, ce
n'est
pas
un
indice spécifique qui révélera
directement
l'arrière-plan
socio-culturel.
112
-
8/18/2019 article_lgge_0458-726x_1999_num_33_134_2195 (1)
14/16
Il
ne
fera que déclencher
le
processus d inférence. Sauf si les
interactants
partagent
les mêmes procédures interprétatives, on
ne peut
savoir
quels
aspects des connais
sances 'arrière-plan peuvent être mobilisées. En troisième
lieu,
il
faut
tenir compte
du caractère réflexif des indices de contextualisation : la langue fabrique le
contexte
tout autant que le
contexte
fabrique la langue. Aussi les interlocuteurs appartenant
aux
groupes
majoritaire
et
minoritaire peuvent-ils
avoir
des
jugements
différents,
linguistiquement
et contextuellement,
à
chaque instant
du déroulement
de
l'interac
tionun indice prosodique
mal
décodé peut par exemple induire une série de
presuppositions à propos de
la
perspective du
locuteur,
ce
qui crée un nouveau
contexte
interprétatif
et place l interaction
à un
niveau
différent.
Ces problèmes sont
fondamentaux
pour la compréhension de ce que
signifie
«
être
socialisé
dans
une
langue
seconde » La signification des indices de contextual
isation
e
peut être apprise que grâce à une longue exposition aux pratiques
communicatives du groupe ou réseau d'où vient le
locuteur
de la
langue majoritaire
:
« C'est dans
une
exposition de longue
durée à
(...) l'expérience communicative
dans des
réseaux
institutionnalisés
de
relations,
et
non
dans l'appartenance
à
la
communauté linguistique en tant que
telle,
que
peuvent
s'enraciner une culture
et des pratiques inférentielles partagées
»
(Gumperz,
1997
: 15).
La
nécessité de cette
longue
exposition
ou
immersion vient de ce que, comme
je
l'ai
dit, le lien
entre l indice
et le
contexte est indirect. Les indices fonctionnent de
manière
relationnelle,
c est-à-dire
par contraste avec
ce qui n'a
pas été
dit ou vient
d être
dit,
etc. (Gumperz 1992). De plus, nombre des propriétés formelles de la
contextualisation,
entre autres
certains aspects
de la prosodie, sont difficiles à
analyser. Enfin, elles se rapportent plus au contexte qu'au message, alors que c'est
vers
le
traitement
du message que l'apprenant a
tendance
à porter son attention.
Tout
cela explique
le
caractère fuyant des indices de contextualisation.
Tout aussi
important
est
le fait
que les
indices contextuels
sont des
marqueurs
d'appartenance à un groupe
particulier.
Savoir utiliser et interpréter
un
indice
donné
montre,
au moins au moment
de l interaction, que l'on
fait
partie du groupe.
Au contraire, si
un
indice
n est
pas repéré,
un
malentendu
se crée,
avec
pour
conséquence
immédiate l isolement
et la disqualification de l alloglotte du
statut
de
membre émergent de la
communauté
communicative. C'est
pourquoi
des différences
interactives minimes peuvent avoir d importantes conséquences sociales à la fois
pour
l individu,
qui
peut, par exemple, se voir refuser
un logement
ou
un
travail, et
pour
l'ordre social,
dans
la mesure où elles contribuent
à
la
structuration
des
relations
ethniques
dans
une
société multilingue.
En
conséquence, la contextualisation fonctionne à la
fois au
niveau micro,
guidant
(ou non)
pas
à pas les processus d interprétation,
et au
niveau macro,
en
indexant
« ces
valeurs
implicites
d identité relationnelle et de pouvoir (...) connues
sous
le nom de culture »
(Silverstein, 1992
:57). Les significations locales et les
phénomènes
idéologiques globaux sont profondément intriqués. Il
ne
suffit
pas
de
parler d'échec pragmatique ou même de
socialisation
dans un corps
stable
de
connaissances socio-culturelles. Il s agit davantage d'une bataille pour le sens, et ce
à différents niveaux.
Tout élément
en
provenance
d'un côté ou
de
l'autre
peut
manquer
de stabilité et
créer
en
situation
des
contextes nouveaux et déroutants. Mais
la
bataille autour
du
sens
se
déroule
aussi
à
un
niveau
plus large,
socio-politique.
Il
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s agit
de savoir ici
ce qui est
considéré
comme sens. Prenons
l'exemple de l'interac
tion'un migrant
au
sein d'un
organisme
social ou à une
administration. Qu'est-ce
que le
représentant
de cette administration
a
le droit de savoir
?
Qu'est-ce qui est
considéré
comme
un
témoignage
adéquat
et
pertinent
?
Sur quelle
base
le candidat
sera-t-il jugé ? L'incertitude qui règne dans ces interactions
fait
vite place
au
caractère
péremptoire,
a
posteriori, des
jugements
et
des positions,
puisque
c'est
le
fonctionnaire,
en
tant que représentant d'une institution sociale importante, qui
contrôle la manière dont la réalité est représentée
et contribue
au discours
dominant
sur les identités des minorités.
Même si
le fonctionnaire
se montre respectueux,
les
travailleurs
migrants, comme je
l'ai indiqué plus haut
dans le cas d'Abdelmalek,
sont
conscients du
racisme
qui existe dans le groupe
dominant et
il est peu
vraisem
blableans ces conditions que la
rencontre
aboutisse à un processus orthodoxe de
socialisation.
Il
est possible que
e migrant
développe sa compétence à
interpréter
des
indices de changement de topique,
voire
à comprendre les objectifs de ce type
d entretien.
Mais
la nouvelle compétence née de
ces
connaissances socio-culturelles
peut avoir
pour
contrepartie ambiguïtés, anomalies ou résistance.
La
socialisation
implique
un
sens d'« appartenance »
à
une nouvelle
communauté,
or les institutions
où la socialisation langagière peut
se faire
représentent le
différent,
l'« autre
», et
même
l hostile
et le discriminatoire.
L'instabilité du sens et le conflit à propos du sens
créent un ensemble
complexe de
conditions sociales,
dans
lequel
on
peut ou non trouver un
potentiel
de
succès
communicatif
et matériel, qui contient ou non un potentiel de
socialisation
dans la
langue
et d'appétence
pour
ce
processus.
Etant donné
les discours
en
vigueur sur
les
minorités
ethniques,
chaque interaction interculturelle
peut
tout à la fois générer
des
conditions défavorables à
l'apprentissage
de
la langue et
venir renforcer
ces
discours
chaque fois qu'un
malentendu
ne
peut
se
résoudre.
6. Quelques implications méthodologiques
Le lien entre
le
micro
et le
macro dans la redéfinition de l'ALS
comporte
des
implications
méthodologiques
comme des implications théoriques. Comme
plusieurs
exemples l'ont
montré
dans cet
article,
l'analyse du texte, utilisant l'analyse convers
ationnelle et une optique
sociolinguistique et inter
actionnelle,
est essentielle à la
compréhension de l'ordre
séquentiel
de l interaction, mais elle
a
besoin
d'être
complétée
par
les méthodes ethnographiques. L'AC se préoccupe des procédures
générales utilisées
par
les
participants dans
la
réalisation
d'une
interaction
;
les
chercheurs ont aussi
besoin
d'une méthode qui leur permette de
rendre
compte
des
processus d'inférence
en situation.
Dans
la
communication
interculturelle, la
com
préhension
des manières
conventionnelles d interpréter le
sens
dans un groupe
particulier
passe
pour l'analyste
par
la
participation
aux
routines
quotidiennes de
ce
groupe.
Les méthodes ethnographiques sont
également
nécessaires pour comprendre la
subjectivité des interactants (Bremer et al., 1996 ; Gumperz, 1982b ; Pierce, 1995).
Les entretiens ethnographiques et la participation régulière à la vie de sous-groupes
particuliers aident l'analyste à comprendre comment les travailleurs migrants
se
positionnent
dans
les entretiens
asymétriques
et
à
analyser
l effet
à
long
terme
de
ces
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interactions
sur la
motivation
individuelle, l investissement personnel et social et la
construction
des identités
sociales à l intérieur
des
relations de
domination
qui
caractérisent une société multilingue.
7.
Conclusion
L'examen
de l environnement
à l intérieur duquel un groupe
particulier — les
travailleurs migrants dans une société multilingue
stratifiée
—
doit
développer sa
compétence
communicative
nous
a amenée à poser plusieurs questions sur Г ASL et
sa perspective relativement asociale. La « socialisation
dans
la
langue
»
offre
une
meilleure
description
du processus qui amène
à
devenir un
acteur
social
dans
une
nouvelle
langue,
mais,
dans
sa forme orthodoxe, elle
ne
rend
pas
vraiment
compte
des
liens
entre les micro-processus
interactionnels et les
macro-problèmes sociaux.
Les discours du
racisme, de l indifférence et de la stratification nourrissent les
différences interactives locales,
les
malentendus
et
l'opposition
latente ou
déclarée,
en
même
temps
qu'ils
s'en
nourrissent.
Les
environnements créés
par
ces
forces
sociales, aux niveaux
micro
et macro, produisent des
conditions
de compréhension et
de production
complexes et
souvent défavorables à la compréhension
et
à la
product
ione discours
dans
une
langue
seconde.
En examinant ces conditions,
il
est possible de
commencer
à redéfinir le proces
sus'acquisition d'une langue seconde, mais ce
faisant,
la possibilité même d'une
socialisation orthodoxe
en
langue
seconde se
trouve
remise
en
question. Apprendre
à appartenir à une communauté
nouvelle
peut aussi signifier apprendre à résister, ou
du moins adopter une attitude ambiguë envers les connaissances et les
discours
socio-culturels qui la constituent. Comme
dans
beaucoup
d'autres
domaines
théori
ques
t
pratiques,
la
transformation
de
l'Europe
de
l'Ouest
en
société
multilingue
éclaire
le
processus
d'acquisition d'une langue
seconde
et place la
dimension sociale
au
centre de la redéfinition du champ
traduit par Bernadette
GRANDCOLAS et Jo ARDITTY
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