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MME Jo ArdittyMireille Prodeau
Donner des instructions en langue maternelle et en langue
étrangèreIn: Langages, 33e année, n°134, 1999. pp. 68-84.
Abstract
This article proposes an interactional re-analysis of an experiment whose purpose was to study instructions produced by fluent
(native) and less fluent speakers of a language. After describing the general characteristics of the experimental procedure, we
compare the instructional discourse of a French speaker and of a semi-beginner in French, first in interaction with a partner
supposed to perform the instructions, then alone in front of a tape-recorder. Linguistic and rhetorical variation is found in each text
and related to the tension due to the combination of cognitive difficulties and face-work. The second situation shows a
sophistication in both subjects' strategies to overcome these difficulties as well as experimentation of new linguistic devices on
the part of the second language learner.
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Arditty Jo, Prodeau Mireille. Donner des instructions en langue maternelle et en langue étrangère. In: Langages, 33e année,
n°134, 1999. pp. 68-84.
doi : 10.3406/lgge.1999.2193
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1999_num_33_134_2193
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_lgge_24http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_lgge_820http://dx.doi.org/10.3406/lgge.1999.2193http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1999_num_33_134_2193http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1999_num_33_134_2193http://dx.doi.org/10.3406/lgge.1999.2193http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_lgge_820http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_lgge_24
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Jo ARDITTY
et
Mireille PRODEAU
Université de Paris 8
et
GDR 113
DONNER
DES
INSTRUCTIONS
EN
LANGUE
MATERNELLE
ET
EN
LANGUE ÉTRANGÈRE*
Le
présent
article se propose de ré-analyser
dans une
optique
interactionnelle
les
comportements verbaux
obtenus dans
le cadre d'un dispositif expérimental
visant
à
étudier la manière dont des
individus
de langue
différente
structurent
des
instruc
tionsonnées à
un
partenaire l. La
syntaxe
des
instructions ou la manière dont
s'établit
le
repérage
spatial, au
centre des travaux précédents
(cf. Prodeau, 1996,
1998),
ne
nous laisseront
pas indifférents,
mais
l'on
développera davantage ici les
répercussions
sur
la
dynamique
du discours
des
contraintes liées
à
la
fois
aux
difficultés cognitives de tâche
et au
fait qu'on
ne
l'accomplit
pas
seul,
même
quand le
seul « partenaire » présent
est un
magnétophone.
Donner
des
instructions
c'est tenter de
faire agir
l'autre,
mais
de façon distincte
à la fois de l'ordre et de la
requête.
Là, le
sujet parlant
se pose en
responsable
de la
demande d'action,
qu'il établisse une
relation de dominance face
à
l'exécutant
potentiel
ou qu'il
se
place comme
dominé
sollicitant l'action
de l'autorité. Ici,
l'exécutant
est
censé être déjà convaincu de la ustification finale de la série d'actions
à accomplir ; l'instructeur
ne
fait que relayer auprès de lui ce que nécessite la
réalisation de l objectif. Cela n'exclut
pas un
certain
travail
de figuration pour
*
Noue
sommes
particulièrementredevables
à
Marité Vasseur, qui noue
a
aidée
à calibrer
notre
propos
et à Lorenza Mondada,
grâce
à qui
noue espérons avoir
mieux dégagé les points essentiels. Un grand
merci
aussi
à
Odile Sureau, pour sa patience,
ses
relectures
attentives
et
ses propositions
toujours
pertinentes de
clarification.
1.
Dans la
partie
française de ce programme 14 francophones
et
10 anglophones ont joué en anglais
le
rôle
d'instructeurs
et 15 anglophones et 10 francophones
l'ont fait en français.
Nous
nous
limiterons ici
aux
productions
en français.
Pour les instructeurs, l'expérience se
déroule
en
trois
temps :
a. visionnement d'un film
muet montrant
comment effectuer le montage.
Les instructeurs
peuvent
se
repasser le
film
autant
de fois qu'ils
le
veulent et/ou
dialoguer
avec l expérimentatrice ;
b. instructions données en face à face à un exécutant naïf. Les instructeurs peuvent ainsi
contrôler
la
bonne exécution de chaque
opération
;
c.
instructions
données au
magnétophone
à un
auditeur
éventuel,
la
consigne
étant
d'être aussi
précis
et
détaillé que
possible
; les instructeurs doivent prendre en compte les difficultés d'intercompréhension
apparues
dans
la phase
2 pour améliorer leur production.
Le
matériel se compose de :
— trois cubes de taille
identique,
deux verts et un rouge, percés
au
centre de
chacun
de leurs
axes par
des
trous dont deux comportent un pas de vis ;
— deux rondelles, l'une
plus
épaisse
et
violette, l'autre
plus fine et
en bois brut ;
— deux vis rouges à tête hexagonale, totalement semblables, et deux grandes vis vertes, l'une à tête
hexagonale,
l'autre
à
tête ronde
;
— une petite
planchette
rectangulaire
percée
de
trois
trous
dans le sens
de la longueur.
L'objet
à
monter comporte deux grandes parties
dont
les pièces s'agencent
à
chaque
foie
autour de
l'axe
constitué
par
l'une des
deux grandes
vie.
Ces deux parties
s'adaptent
l'une
à l'autre
à angle droit à travers
l'un des cubes. Les deux petites vis complètent
le
montage. Ce dispositif a été choisi par
des
chercheurs de
Heidelberg de manière
à
voir comment les instructeurs arrivent
à
différencier les pièces
à
utiliser, et
leequellee
ile
choisissent comme
repères
pour
placer
les
autres.
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s'assurer une collaboration harmonieuse
à
cette double tâche, discursive et man
uelle et
pour
rendre manifeste le
caractère second,
« délégué
», de
la responsabil
tée l'instruction.
Le
montage
à faire effectuer
est
complexe et les difficultés de conception et de
formulation peuvent mettre en cause la face de l'un et de l'autre
des
partenaires et
provoquer
des
variations dans
la
gestion
de
leur
relation.
Seront-elles
plus
ou
moins
fortes selon que l'instructeur
s'exprime dans
sa
langue
ou
dans
une
langue
où
il
débute ? Selon que l'exécutant est présent ou
absent
? Tels
sont
les problèmes que
nous comptons
aborder,
d'abord
à travers une analyse globale du
dispositif,
puis
en
nous
concentrant
sur
les productions en français d'un francophone
et d'une quasi-
débutante.
Nous espérons montrer que les différences de maîtrise de la langue
n'empêchent pas de reconnaître une forme générale commune aux textes
produits,
mais qu'elles se
manifestent
au niveau
de la
sophistication
de la structure
textuelle
et
des
actes de
figuration.
C'est également là que devrait se
marquer
le
passage
d'une
situation
en
face à face à une situation
médiatisée,
qui pourrait se traduire chez le
francophone
comme
chez l'alloglotte
par
la
recherche
de moyens
linguistiques
nouveaux, mais
éventuellement distincts.
1.
Contraintes et libertés découlant
du
dispositif
expérimental
et de la
situation d'interaction
1.1. Construire une
relation
de transmission de consignes
La recherche a été présentée aux participants comme devant permettre d'amél
iorer
'efficacité
informationnelle
des
notices
de
montage.
Cela
pourrait paraître
suffisant
pour éveiller chez eux un certain type d'expérience culturelle, un certain
modèle de texte
à
construire ou
à interpréter.
Mais la
notice
de montage privilégie en
général un
autre système sémiotique (l'image),
et lorsque
celui-ci
est
complété
par le
langage, l'emploi
exclusif de l'infinitif
laisse
scripteur et lecteur
dans l'anonymat
et
la
généricité.
L'instruction en
face à face (situations
d'apprentissage)
s'appuie
généralement sur
l exemple. Or
le geste, comme
l'image,
est
ici interdit
aux
instruc
teurs. e
que l'on attend qu'ils
produisent
est « un
texte
».
Selon une
approche
désormais traditionnelle
2,
ce texte peut être décrit comme
répondant
à
une question
globale, du
type Qu'est-ce que je dois faire avec ces
pièces
?
Les pièces,
et
donc
les
étapes pour
atteindre l'objectif,
étant
multiples,
on
peut
s'attendre
à une
décomposition en
questions locales,
ordonnées chronologique
mentEt maintenant qu'est-ce que
je dois
faire (de cette pièce)
? 3. On trouve
en
effet
de nombreuses
séquences qui suivent ce modèle :
2.
Cf. entre autres Klein & von Stutterheim (1991). La
recherche
dont
fait partie
la
présente
étude s 'est
jusqu'ici
appuyée
sur le cadre
théorique
en vigueur dans le réseau d'équipes auquel appartiennent
ces
deux chercheurs
(cf.
Klein &
Perdue, 1992),
mais nous n'avons pas jugé
utile ici
de
reprendre
la
terminologie particulière
à cette école.
Pour plus
de details sur les propriétés
syntaxiques des textes
produits, cf. Prodeau
(1998).
3. Nous
appellerons
« ensemble » toute série de
propositions
correspondant
à la
manipulation
d'un
même objet (et
donc
épuisant
les
questions
qu est-ce
que
j'en
fais ?).
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(1)
GAIL (alloglotte, devant le magnétophone)
séquence de texte question
sous-jacente
vous allez prendre une
rondelle
violet
qu'est-ce
que je fais ?
voue
allez
ajouter
cette
rondelle
à
le vis
vert
qu'est-ce
que j'en fais
?
puis
vous
allez prendre
une
cube
rouge
puis
qu'est-ce
que je
fais ?
et
cette
fois
vous
allez
visser
le
cube
à
la
vis
et
qu'est-ce
que
j
en
fais
?
maintenant vous mettez cette truc sur la table
maintenant qu'est-ce
que je fais ?
Ce
type
d'ordonnancement des propositions, que C.
von Stutterheim
a baptisé mode
« pro totypique » de traitement de la tâche, s'accompagne
au
niveau de
leur struc
ture nterne de la mention, en principe dans cet ordre :
(éventuellement)
du décalage
temporel ; de l'agent ; de la modalité ; de l'action ; de l'objet sur lequel
celle-ci
s'effectue ; et (éventuellement) de la position cible.
Mais cette
description
ne
dit
rien du choix des actions jugées pertinentes, de
l'évaluation
du
degré
de
détail, de
redondance,
et
d'implicitation acceptable
par
l'exécutant, de la capacité d'inférence que
l'on
peut lui prêter,
ni du
degré de
personnalisation/impersonnalisation
susceptible
d'assurer
sa
collaboration.
Les
textes
produits
pourront
donc
à
la fois différer à
l'intérieur de
ce modèle et s'en
écarter sur divers points. L'identification
des
pièces
ou
de leurs parties peut néces
siterune
description détaillée (ex : type de
trou
dans
un cube
de telle couleur). Les
instructeurs
devront
donc choisir
entre intégrer ces informations dans
les proposi
tions
nstructionnelles
à
l'aide
de syntagmes adjectivaux
ou prépositionnels
ou
alterner séquences d instructions
et
séquences
descriptives.
Ils
peuvent
opter pour
une présentation
analytique,
décomposée, des opérations
(ex. 1)
ou pour une dé
marche plus
synthétique
(ces deux stratégies sont vraisemblablement corrélées avec
une
répartition
différente
des
injonctions et des descriptions) :
(2) GAELLE (française, devant le
magnétophone)
faire glisser
dessus encore
le
rectangle
à trois trous
par un
des trous d'une des extrémités
{présentation de l'objet rectangle + mouvement et
manière,
indiqués par
glisser
+
parcours
:
par un des
trous
d'une
des extrémités}
Ils peuvent ajouter l'indication du but global
ou
des buts partiels, des
comment
airest/ou
évaluations
de leur performance ou celle de leur partenaire, bouleverser
l'ordre des
constituants
de leurs énoncés
pour
insister sur
un
aspect particulier de
l'injonction ou utiliser divers
procédés pour
rendre celle-ci moins directe et assurer
ainsi
une meilleure gestion de la
relation.
1.2.
L'intervention du
partenaire
dans
la construction
du d iscours
Même lorsqu'il est absent,
l'exécutant
intervient
dans
la
construction du
di
scours : « parler, c'est anticiper le calcul interprétatif de l'autre » (Flahaut, 1978).
Ce travail
est
bien sûr plus
facile
lorsque la représentation que l'on peut se faire du
partenaire
est
confirmée
ou
modifiée
par sa
présence.
Dans
la situation en face
à face,
l'intervention est
avant
tout gestuelle
;
l exécu
tione la consigne est le
test
de la compréhension, voire de
l'anticipation
(la
formulation complète
de la
consigne devient inutile) :
la
situation provoque
des
attentes
et
une représentation
de
ce
que
peut
être
une
«
suite
normale
»
Lorsque
ces
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attentes sont déçues, contredites par la
formulation
de la
consigne ou
insuffisantes
pour
l'interpréter, le
gestuel est encore
le
mode d'intervention privilégié : non-
exécution,
accompagnée
le plus souvent d'une mimique.
Mais le
feed-back
peut également être langagier : il s'agit généralement
de
la
répétition de la partie
focale
de la consigne (objet à prendre ou position cible), avec,
selon
l intonation,
une
valeur
positive
(j'ai
compris)
ou
interrogative
(c'est
bien
ça
que tu veux dire
?).
Le doute peut aussi s'exprimer, lorsque l'objet à manipuler
appartient à
un ensemble
d'objets semblables,
par des questions
d'identification :
Celui-là
?
Lequel ?,
ce qui implique déjà au moins une
compréhension
partielle.
Or
la
prononciation
d'un instructeur alloglotte peut être telle que
les capacités
d'inférence
de l'exécutant francophone
sont
prises en défaut. Celui-ci
peut
alors, en
répétant le
début du syntagme
qui
pose problème, demander
une
reprise de
la
consigne. La négociation
du sens qui s'ensuit doit contrebalancer les
risques que
l'incompréhension
présente
pour la face à la
fois
de l'exécutant,
qui
doit avouer son
incapacité à
jouer
son rôle,
et
de
l'instructeur,
qui s'est avéré
incapable
de
trans
mettre la
consigne
efficacement. L'aveu explicite d'incompréhension (Non, je ne
comprends
pas.
Qu'est-ce
que
tu veux
que
je fasse
?
—
un seul
exemple
dans
les
données)
correspond
à
une attaque trop directe
à
la face de l'autre (même si c'est la
sienne
propre
qui est d'abord
mise
en avant) pour qu'on ne l'évite
pas s'il
n'est
pas
ressenti comme
absolument
nécessaire.
S'il
existe des
cas
de négociation du lexique,
ils
débouchent rarement sur
une aide
efficace
à moyen
terme. Quant à
l'aide syntaxique,
elle est
inexistante. De toute
façon,
l'instructeur alloglotte
est
trop pris par sa tâche
immédiate
pour enregistrer,
et à
court terme, autre
chose que le
vocabulaire indispensable.
Le
caractère exceptionnel des aides (et des demandes directes d'aides) est sans
doute lié au dispositif et aux
consignes,
qui
focalisent
la tâche à accomplir et ne disent
rien
des
collaborations
permises.
Les
partenaires
s'en
font
une
représentation
minimale :
les
instructeurs peuvent encourager
l'exécutant
par des
évaluations
positives ou prendre en compte (et à leur compte)
un
mauvais
aboutissement
par une
ou plusieurs
tentatives
de
reformulation
; les exécutants
peuvent
demander
une
réitération,
par
gestes
ou par une brève
question de vérification de leur
hypothèse
de
compréhension. Aller
au-delà
pose
trop
de problèmes de
face, d'autant
que l'inter
action
ne
se fait pas
sans témoin.
1.3. L'expérimentatrice comme
ressource et
comme
regard
Elle ne
se
contente
pas
de
présenter
l'expérience
et
de
donner
les
consignes.
Elle
fournit
aussi
l'aide
lexicale
aux
alloglottes
les
plus
faibles en français,
avant leur
confrontation
avec des exécutants francophones :
elle
leur demande
s'ils
ont
le
vocabulaire
adéquat
pour
nommer
les
pièces,
confirme
ou infirme
leurs
tentatives
de
nomination et fournit les éléments lexicaux manquante. Les alloglottes
ne
réussissent
pas
toujours à les intégrer
et
l'on tente alors de se rabattre
sur un substitut
plus
facilement assimilable. Cette
aide,
qui renforce encore la priorité donnée au voca
bulaire est ponctuelle, limitée et décalée dans le temps
par
rapport à la tâche à
accomplir. Elle est parfois complétée par
des encouragements du
regard. Mais ce
regard
peut
aussi renforcer la tension qu'éprouvent les instructeurs :
dans
les deux
phases
d'enregistrements,
ils
doivent
se
montrer
à
la
hauteur
à
la
fois
face à
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l'exécutant,
du
point
de vue interactionnel
comme
de
l'efficacité pratique
de
leurs
consignes,
et face au
jugement
extérieur de
l'expérimentatrice
et
de
la communauté
de chercheurs
qu'elle et le magnétophone représentent.
Et cette observation
va
renforcer la
préoccupation pour les
normes, interactionnelles et linguistiques, à
respecter.
2.
Deux
manières de gérer la situation
en
face à face
2.1.
Opal
Après des études
secondaires
difficiles, cette jeune noire
a bénéficié
des
program
mes'aide aux minorités et
intégré,
après une mise
à niveau,
une formation
universitaire en marketing
international,
pour
laquelle elle effectue un
séjour en
France.
Sa
formation en français
se
limite
à
un cours
intensif mis en
place par
l'organisme
chargé des
échanges et aux
cours
de FLE qu'elle suit
à Paris
8 au
moment du
recueil
de
données.
Elle
semble
désireuse
de
multiplier
ses contacts
avec
les francophones
et
souhaite prolonger son
séjour
pour suivre
un
cours plus spécial
isé
ans
le
domaine du
marketing.
Voyons comment
elle
procède.
A. Le mode prototypique.
Dès qu'on
lui indique que l'enregistrement en face
à
face
peut commencer, Opal
entame
la série
de
consignes,
ordonnées chronologiquement
:
(3) OPAL (alloglotte) et D. (française)
1. О : tu [a] besoin de [prâdr]
le
/
la
grand verte vis
2.
(0)( 0
) (
0
)
un cube vert
3.
dans
le
trou sans
la vis tu [a] besoin
de
[mi] la vis
et
opère
de
la
même
manière
au
début
de
la
deuxième
partie
:
(4) 31. après tu [a] besoin de
[pri]
l'autre
vis
grand
verte
32.
(0) tu
[a] besoin de
[pri]
/ [apri] la [rôndul]
blanche
33. et
(0) (
0
) [met] dans / [met] / [met]
ça dans
la [vize]
Ces deux exemples illustrent la
manière
dont Opal construit
chaque
ensemble
à
l'intérieur du
montage quand, d'une part, rien ne
vient l'interrompre
et
que,
d'autre
part, elle n'a
pas
à
signaler un
phénomène
particulier :
(a) introduction de la pièce à manipuler 4 :
décalage
temporel)
+ tu +
{a
besoin
de}
+
prendre
+
objet
à
saisir
(b)
opération à
effectuer
sur cette pièce :
(et) + 0 + 0 + mettre + (objet
à manipuler)
+ position
cible
Une première
variation
est
illustrée
par
3 : l antéposition de
la position cible.
Elle concerne le type de trou
(fileté
ou
non)
dans lequel doit
passer
la vis 5. C'est la
position qui
exige
le plus de discrimination,
qui
provoquera d'ailleurs
quelque
4. Dans
les exemples 3
et
4, l'opération
est
répétée car le début de chaque grande
sous-partie
nécessite
la saisie de deux
pièces
différentes.
5.
Chaque
fois
que
ce
type
d'élément
apparaît dans
le texte, il
provoque
la
même
opération.
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confusion
chez Opal comme
chez
plusieurs autres instructeurs, et qu'il
est
donc
nécessaire de
mettre en
vedette. Le même principe
est illustré
entre autres en 24 :
(5) 23. {met}
sur
la table
tout
24. mais dans la
partie
qui reste en
dehors
la vis
tu
[a] besoin
de [me]
la
cube rouge avec
le
trou
avec le
[vi]
La forme
particulière de la
consigne
vise à interdire à la partenaire (d'où
le
mais)
d'interpréter 23 comme marquant la fin d'un
épisode
essentiel du
montage.
Le
placement en 23 de l élément à manipuler
en
fin de
proposition
indique
lui
aussi un
statut particulier : il s'agit ici de l'ensemble déjà
monté.
À ces variations
près, le passage
d'un ensemble à un
autre
est indiqué par
l'alternance des schémas d'énoncés (a)+(b) /
(a)+(b)...
plus que
par la
présence,
asystématique, de marqueurs
temporels ou
d'autres connecteurs en début de (a).
La
véritable
démarcation
est
en fait assurée
par
l'évaluation
positive
(oui voilà
c'est ça)
du mouvement
effectué par D.
Opal ne prend
donc
l'initiative que de deux types de
propositions
:
consignes
(avec
parfois
des
éléments
descriptifs
complexes)
et
évalua
tions
sur
elle-même
et
provoquant
reformulation,
ou
sur sa
partenaire).
Seule
celle-ci
est susceptible de modifier
cette
alternance.
B. L'interaction et
ses
tensions.
Les
premières interventions
verbales
de
D
sont des
questions
d'identification
et
elles
entraînent l'apparition d'autres types
de
proposi
tions
(6) 3. О : dans le trou sans la vis tu [a] besoin de [mi]
la
vis
dans
quoi ?
sur
le trou sans vis vous [a] \
lequel
?
je ne [se] pas
ah la
vis [se] le truc avec
un cercle devant
et
l'autre partie [se] le part sans vis
[se] le part sans le
cercle
ah d'accord d'accord
donc tu [a] besoin de
[mi]
la
vis sur le trou sans
vis
D interrompt la
quasi-répétition
de 5, et 6 montre qu'il
ne
s'agit pas d'un
problème
d'audition. L'aveu paradoxal d incompétence d'Opal en 7 lui
permet
sans doute de
former
une hypothèse sur la
nature du
problème : elle le traite comme un manque de
définition
(la
vis
c'est...)
descriptive.
Ses
approximations terminologiques,
compens
éesar
la
construction
d'objets
par
opposition,
n'empêchent pas la
compréhension
de
D,
qui
ratifie
l éclaircissement
en 11. Opal peut
donc reconnecter
son
discours
en
reformulant 3.
Les instructions correspondant
au
deuxième
ensemble
sont interrompues
par
une correction phonétique ([rôndul]
=>
rondelle), qu'Opal ratifie en intégrant la
nouvelle forme à son
énoncé,
et par le fait que D effectue le mouvement
final
alors
que seul le
verbe
a
été prononcé, ce qu'Opal sanctionne par
une
évaluation positive.
3.
4.
5.
6.
7.
8.
9.
10.
11.
12.
0
D
0
D
0
D
0
6.
Les
énoncés
qui
n'expriment pas
directement
une
consigne
font
l'objet
d'un
retrait
supplémentaire.
73
-
8/18/2019 article_lgge_0458-726x_1999_num_33_134_2193 (1)
8/18
(7)
18.
19.
20.
21.
22.
23.
24.
25.
26.
27.
28.
29.
30.
D
О
D
О
On
arrive
alors
à
la séquence
suivante :
donc
tu
[pri]
/
[apri]
la
cube
rouge
qu'est-ce que je fais de
ce
cube là ?
ah d'accord
tu
[va mEt] dans le
trou
avec
le vis
tu
[vœ
mEt]
/
[mEt]
sur
la table
tout
mais
dans
la
partie
qui [rEst] en
dehors
la vis
tu
[a] besoin
de [me]
la
cube
rouge
avec le trou avec le
[vi]
vous [a]
/
vous
/
tu [a]
besoin
de
[vize]
de visser
quoi
?
eh la vis
verte
[atâ]
[mEt]
/
tu
[a] besoin de [met] sur la
table
oui [se]
ça d'accord
[se]
comme
ça
voilà d'accord
Les formes
utilisées
ici par Opal
varient
non
seulement quant au
verbe
([pri]
I
[apri]) mais
aussi
quant aux
modalités
et aux formes d'adresse. L'habituel [a besoin
de} alterne avec
[va]
et [vœ] 7
ainsi
qu'avec la forme
verbale
nue à
valeur
d'injonct
ion
t
vous apparaît deux fois en 25 en
concurrence
avec
tu.
Même si l'on ne
prête
pas à Opal la
connaissance
précise
des
valeurs standard
de distance
(vous) et
de
familiarité, de solidarité, ou
au
moins d'égalité de
statut
(tu), on
ne
peut interpréter
ces alternances que comme des indices de tension.
Les interventions précédentes de D
n'ont
pu que
souligner
sa maîtrise supérieure
sur le plan
pratique
comme sur le plan linguistique,
et
sa question d'anticipation en
19
empiète
sur
le
domaine
d'Opal
et
la
place
donc
davantage
encore
en position
basse. En 20, le
d'accord
d'Opal
signifie
en fait à D de
ne pas
la brusquer. Mais le mal
est
fait : Opal formule la
consigne
23 avant que 21 n'ait
été
réalisée.
D,
ne
compre
nant
ans doute pas que les arguments de mettre sont aussi
implicitement
ceux de
visser
en 25, demande à
Opal
de compléter
son
énoncé.
Cette
initiative a
la même
valeur relationnelle
que
les précédentes,
et accroît
encore
la
tension
(cf. [atâ]), qui
retombe
en 30
(la consigne
a pu être formulée, exécutée, évaluée) mais
ne
disparaît
pas totalement :
(8) 31. après tu [a] besoin de
[pri]
l'autre vis grand verte
32.
tu
[a] besoin de [pri] / [apri] la
[rôndul]
blanche
33.
et
[mEt]
dans
/
[met]
/
[met]
ça
dans
la [vize]
34.
après tu [a]
besoin
de
[pri]
l'autre
vert la cube
35. ah non la
planche
36.
[Ze ublije]
37. tu [a] / tu [a] besoin de
[pri]
la planche
7. Cette alternance est sans
doute
liée
à ce qui
ее passe
dans la
LM d'Opal :
are
gonna et wanna
noue
semblent indiquer
moins de
déférence envers l'allocutaire que need
to.
Ceci n est qu'en apparence
contradictoire
avec
ce que
nous
disons ci-dessous
de
l'emploi
de
vous, car
la
distance n'implique pas
forcément
la
déférence.
74
-
8/18/2019 article_lgge_0458-726x_1999_num_33_134_2193 (1)
9/18
38.
39.
40.
41.
42.
43.
D :
0 :
et
[m£t] sur
l'extérieur
pas le [mijœ] /
milieu
[me] la planche dans
/
[me] la vis
sur
la
planche
l'extérieur
quel trou ?
trou
l'extérieur l'extérieur
oui
[se]
ça
Les
hésitations sur les formes
verbales
ont sans doute au moins autant
à
voir
avec
le
problème
de planification
(cube
ou planche comme élément suivant) qu'avec la
préoccupation pour
la
langue. Mais c'est bien
un problème
de
langue
(l'ordre
des
arguments
de dans)
qui, non corrigé immédiatement en
33,
intervient
dans les
reprises menant à la dernière
formulation
de 40.
La
tension a donc plusieurs
causes
- les problèmes de conceptualisation
et
de
formulation liés au montage aussi bien que les
problèmes
de
relation
avec l'exécut
ante. a forme incomplète
du SN en 47 et la répétition du
verbe
en 49
montrent
qu'elle est encore présente pour la réalisation de l'ensemble suivant :
(9)
44.
45.
46.
47.
48.
49.
D :
0 :
D :
0 :
et
maintenant
tu
[a]
besoin
de
[pri]
à
la
cube
vert
et sur le trou sans la vis \
qu'est-ce que je fais ?
trou sans vis
oui
[met] / [met] sur la /
{D.
effectue
le
g<
Mais désormais Opal
semble
s'accoutumer aux réactions de sa partenaire
et le
montage se termine d'une façon qui illustre de manière plus
harmonieuse,
à travers
l'alternance de
consignes
(éventuellement seulement amorcées — cf. 55) et d éva
luations,
la
dépendance
mutuelle
du geste
et
de
la
parole
:
(10) 50.
donc
maintenant
sur le
cube
rouge sur une de la trou avec
le
vis tu [a]
besoin
de
[vize]
l'autre
51.
[met] sur
la table
52.
tu [a] besoin
de
avoir tout
53. mais la planche [a] besoin de [rest] sur la table
54. non [se] bien la première
fois
55. mais la
planche
tu [a] besoin de /
56.
oui [se]
comme ça
57. l'autre côté voilà
58.
donc
maintenant
sur
le trou
sans
vis
sans
la
planche l'autre
vert
cube
59. oui [se]
ça
[se]
celui-là
60.
tu
[a] besoin de [met]
dans les deux
côtés
le petit le petit vis
rouge
61.
D : sans ?
62. О :
avec
vis
avec
le vis
63. et voilà
64. l'autre côté
La question de vérification de D
en
61 amène Opal
à
se corriger, mais sans les
conséquences des questions
précédentes,
et l'on
trouve en
52
et
53 une innovation :
derrière
la
modalité habituelle,
le
verbe
d'action
est
remplacé
par
un
verbe
statif,
75
-
8/18/2019 article_lgge_0458-726x_1999_num_33_134_2193 (1)
10/18
qui
peut
même
avoir
un
sujet inanimé. On a donc
une
forme intermédiaire entre la
consigne stricte et la description
-
une
description prospective
indiquant certains
aspects
du résultat à
atteindre.
Le caractère indirect
et impersonnel est
ainsi
renforcé
en
même temps que la structure rhétorique se diversifie.
C. S
'appuyer
(quand
même)
sur
la
partenaire.
Les
différentes initiatives
de
D
sont
la
preuve
de sa faculté d'anticipation, d'inférence à partir de la situation. Si elles
troublent Opal, elles lui confirment
aussi
qu'elle
peut
s'appuyer sur cette faculté
dans
son
dosage
du degré
de
détail,
de
redondance ou
d'implicitation
(même
si
ses
calculs peuvent se
révéler inadéquats).
Et
cette
faculté, Opal
ne
manque
pas
de la
postuler :
— absence d introduction
et
de conclusion formelle : la situation est suffisamment
définie, (1) par la présentation de
l'expérience
et les consignes, (2) par le fait que
l'exécutante peut
constater qu'il n'y
a plus de pièces à
manipuler
;
—
utilisation
de SN définis
comportant
un,
quelque fois
deux, modificateurs
discr
iminants
pour
introduire
tous
les
éléments
uniques
(ils
sont
là
sur la
table)
et
de
l'autre pour
renvoyer au deuxième
élément d'une paire ;
— implicitation d'un élément déjà introduit (toujours quand l'une de ses parties
[ex.
: le trou sans vis] est désignée comme position cible).
Non qu'il n existe aucune redondance
dans
ce texte, tant
dans
la
description
des
objets
(pour les vis, on pourrait se
contenter
de
mentionner soit la
taille soit
la
couleur)
que pour les
instructions
: le
fait
d'opérer une action sur un élément
présuppose
qu'on
s'en soit
saisi,
or Opal ne
se dispense de
consignes
d'introduction
que
dans
le dernier
tiers du
montage, qui
concerne,
à
l'exception des
vis rouges, des
éléments
déjà
manipulés.
Ce
type
de
redondance
semble
davantage
dû
à
la
prégnance
du mode de traitement adopté
qu'à
des préoccupations
interactionnelles
contraire
mentla redondance de
certaines
évaluations
(cf.
30, ex. 7) ou à la répétition à des
fin d'insistance (l'extérieur vs. milieu, 38-42, ex. 8).
En
résumé,
les difficultés de conceptualisation
et
de formulation
liées
à
la
complexité de l'assemblage
créent des
tensions manifestes
dans
le discours
d'Opal,
de
même
que les réactions de
D
qui,
malgré (ou à cause de) sa
bonne
volonté, la
rappellent à son statut ďalloglotte. Opal réussit cependant
à gérer la situation avec
ses moyens linguistiques
rudimentaires en
procédant pas à pas, en décomposant les
instructions dans un cadre syntaxique
et rhétorique quelque
peu
rigide
mais qu'elle
finit
par
assouplir,
et en
s'appuyant
sur
les
capacités
d'inférence
de
sa
partenaire.
2.2.
Pierric
Etudiant
non
bachelier, Pierric a
repris ses
études après avoir exercé diverses
professions
en France
et
à l'étranger (manutentionnaire, bibliothécaire,
responsab
l 'une
entreprise
de transport...). Au moment des enregistrements,
il est
monit
eur
d'auto-école,
formateur
de
formateurs
et examinateur dans ce
domaine.
Il
s'intéresse
particulièrement
à
la
pédagogie
et aux langues
étrangères (s'ajoutent à sa
licence d'anglais des études de chinois
et
d'hébreu
ainsi
que des notions d'arabe).
Voici
son
texte
:
76
-
8/18/2019 article_lgge_0458-726x_1999_num_33_134_2193 (1)
11/18
(11)
PIERRIC
(fr.)
et
H. (fr.) 8
1.
P
: pour
commencer
il faut prendre deux
des
petite
cubes
2. on va appeler
ça
des cubes
d'accord ?
1'. deux
des petite cubes
3. dans ces /
4. chacun
de
ces
cubes comporte des
trous
5. certains
sont
des trous
à
vis
6. certains
sont
des trous
libres
hein
?
7. donc pour
l'instant on
va relier ces
deux
cubes
7'. un rouge et un vert
7 . avec une
des
grandes
vis
8. puisqu'on
a deux
sortes
de
vis
d'écrous
9. donc
tu prends un cube
vert
et un cube rouge et une
des grandes vis
10.
le tout étant de
relier
mettre faire passer la vis dans le
cube
vert
dans la
partie qui
ne
se visse pas
11. ensuite
entre
les deux on doit
utiliser le
joint
violet
12.
et
ensuite
on
va
visser
cette
vis
qui
dépasse
sur
le
cube
rouge
dans une
des
parties qui ne
se
vissent pas
13. ensuite
on
va /
14.
ça
c'est une
partie
15.
donc on
peut laisser
ça
de
côté
16.
la
deuxième
partie qu'on va ensuite assembler à celle-ci
17. mais
il faut
d'abord
commencer
à
l'assembler
16'. va se composer de la seconde grande vis
de la petite
rondelle
blanche
16 . que
l'on
enfile dans la vis
18. ensuite
on
va mettre
la plaquette
de
bois qui
comporte
trois trous
18' la
petite
plaquette
de
bois
qui
comporte
trois
trous
18 . dans un
des
trous extérieurs
19. H: j'enfile
lavis ?
20.
P
: oui
21. ensuite à cet assemblage
on
va
ajouter le dernier
cube dans une
des
parties
qui ne
comporte
pas de pas de vis
21'. que
l'on
va
visser sur
le cube rouge
22. le
dernier
mouvement de cet
assemblage
va consister à fixer
les deux petits boulons restante
22'.
les
deux petits
boulons
rouges sur le cube vert
22 . celui qui n'est pas contre la plaquette de bois
22' .
donc
en
face
à
face
dans
une des
deux
pas
de
vis
23. H : dans
n'importe
quel côté
ou
quoi
?
24. P : il suffit
qu'ils soient
face
à
face
25. H : ah bon
26. P : hm voilà
27.
et vous pouvez
maintenant brancher votre
téléviseur
28. et essayer
votre
télécommande
8. Le
lecteur
s'étonnera peut-être
de
voir
un
2
s'intercaler
entre 1 et
1', ou
des séquences du type
7,
7',
7 .
Nous
essayons
par
là
de
rendre compte
des
interruptions
et
reconnexions
des
énonciations.
77
-
8/18/2019 article_lgge_0458-726x_1999_num_33_134_2193 (1)
12/18
A.
Un
autre type de structuration. Pierric
estime
nécessaire d'indiquer à sa par
tenaire à chaque
moment important,
où ils en
sont
dans
le montage
: pour
commenc
era с
est
une
partie, la deuxième partie, le dernier
mouvement
de cet assemblage.
Il
marque également les ensembles internes à
ces
parties par (et)
ensuite. Mais cette
préoccupation va plus
loin.
Sa partenaire doit savoir
où
ils vont, avoir une vision
prospective
de ce qu'il
y
a à faire : la deuxième partie
qu'on
va ensuite assembler
à
celle-ci.
Les instructions de
forme
canonique, bien moins nombreuses que chez Opal,
alternent avec des commentaires sur ce qui vient d'être
dit,
des
descriptions
d'objets
et des
descriptions
prospectives et globales de parties
du
montage. En outre, la
syntaxe des énoncés s'enrichit souvent de reprises, d'incises et
d'enchâssements.
Tout cela ne
va
pas sans
causer parfois, pour
Pierric, des
problèmes de
planification,
et pour H
une certaine
perplexité.
B. Un démarrage difficile.
Comme dans l'interaction
précédente,
le
besoin
de
descriptions
se
manifeste
très
tôt
(4-6),
ici
à
l'initiative
de
Pierric, qui anticipe
une
éventuelle incompréhension de H.
La
description des trous a une justification
pratique, à la différence de la négociation des termes
cubes et
vis (2, 8),
qui
font
partie
du
vocabulaire courant.
Celle-ci
fait partie des moyens mis en
œuvre
pour
s'assurer
la bienveillance de sa partenaire, avec la prise à témoin en 6 (hein) et, en 2,
à la
fois
le d'accord
et
l'emploi de on. En disant on
va,
Pierric se fait porte-parole de
l'ensemble toi et
moi,
uni par un contrat de collaboration à un projet commun, qui,
au-delà
du
problème
de vocabulaire,
va
pouvoir
s'étendre
à
l'ensemble
de la tâche.
Ce on va consensuel se
substitue à
l'impersonnel
il faut de 1, et la tâche imposée
devient accomplissement volontaire et mené conjointement.
Le
puisque de 8
confirme cette
volonté
de s'appuyer
sur ce que l'autre ne peut
qu'admettre. De
même
qu'avec
hein
et
d'accord, la demande d'acquiescement
peut
difficilement
être
reje
tée.
Ces précautions ont
un coût
: 1,
partiellement repris
en 1',
et son
complément 7
ne peuvent
être
exécutés
et
doivent être
réitérés
en 9-10.
Cela
explique
sans doute le
passage à une instruction plus directe (tu prends), qui contraste avec le caractère
collaboratif du reste du
texte.
À cette personnalisation maximale répond
l'imper-
sonnalisation de 10. L'alternance des modalités (il faut
I on
va
I
tu prends
I
le tout
étant de)
manifeste
l'alternance tension-euphémisation 9. Les
deux
ensembles qui
suivent
prolongent cette alternance (on doit
I on
va) et ne diffèrent
du traitement
prototypique-analytique que par l'absence de
consigne
de saisie.
Sur
sa lancée,
il
amorce
même
une
consigne supplémentaire du
même type
(13)
avant
de s'apercevoir
qu'il peut indiquer la fin de l'épisode.
Et
l'on peut
déceler
une connotation de
soulagement
en
15 :
on peut laisser
ça
de côté.
С
Un
autre
type
de
collaboration. La
stratégie globaliste
et prospective
de Pierric
s'affirme
alors
pleinement. En
16-16'
et
22, il remplace on
par un sujet inanimé
(la...
partie, le.
mouvement)
pris comme objet de description
(se
composer de, consister
9.
Ce
phénomène,
analysé par Vion (1992 : 237-248) a déjà été illustré par le commentaire des exemples
(7)
à
(9)
d'Opal
;
cf.
aussi
Arditty
(1991).
78
-
8/18/2019 article_lgge_0458-726x_1999_num_33_134_2193 (1)
13/18
à).
Les pièces
à manipuler
sont
introduites de
manière
impersonnelle et l'opération
qu'elles
doivent
subir
enfouie dans
une
proposition subordonnée (que l'on enfile, à
fixer...).
Ce mode de traitement alterne cependant avec
des
instructions plus canoniques
(18,
21) et
n'empêche pas
une
certaine décomposition de l'action, reposant sur
la
prosodie
et
sur
les
reprises
pour
accompagner
les
gestes
de
H
:
intonation
d'inachè
vement e la première
et
de la deuxième partie de 16', séparées
et suivies
d'une
pause,
en même
temps
que H
saisit
le
premier
puis
le
second objet avant
d'effectuer
le mouvement
prévu,
correspondant
à
16
; quasi-répétitions de
18' et 22
'-22
qui
laissent le temps à H de choisir l'objet souhaité.
La
répartition redondance/implicitation n'est donc
pas
ici du même
ordre
que
chez Opal, même si Pierric recourt aussi à la déixis et si la perception que H doit
avoir de la situation et sa connaissance pratique
du
monde sont mises à contribution
pour interpréter
entre
les
deux
en 11,
rétablir l'ordre
des
arguments
de
dans
en
16
ou compenser
l imprécision du
vocabulaire (utiliser, encore une fois en 11 ou
ajouter
en
21).
Les
répétitions
déjà
mentionnées
et
la
forme
longue
des
SN 10
sont
en
partie
justifiées
par l'adaptation au rythme de l'autre. A cela s'ajoutent en 18-18'-18 deux
autres
phénomènes
:
(a) l'adjonction
d'une relative
à
un SN déjà
suffisamment
discriminant (la plaquette de
bois)
permet de thématiser l'élément pertinent pour
l'action
suivante (trou) ;
(b)
l'emploi de petite
n'a aucune
valeur
descriptive
mais
contribue au ton
de collaboration
familière
que Pierric souhaite donner
à
l'interac
tion
H, silencieuse jusque là,
propose
une fin pour 18 et la question de vérification
(23)
montre sa volonté de coopérer. Il y a
donc un
changement dans la conception que
H se fait de son
rôle
:
jusque
là
exécutante passive qui attend une formulation
pleinement
compréhensible pour
manipuler, elle devient une
partenaire
active,
devançant
par
ses
questions
la
fin
de
la
consigne.
Quant
à Pierric, il
ne se
contente
pas
d'un
simple voilà pour conclure. Il propose
en
27-28
le passage de la collaboration à la
complicité
et transpose son
rôle,
celui de
sa partenaire
et
la nature de l'objet dans
un
autre
monde
où,
technicien
s'adressant
à une cliente,
il
emploie
le vous qu'il avait exclu de
leur
relation.
C'est en
lui-même,
dans sa perception de la
difficulté
de la tâche et les contraintes
supplémentaires
qu'il
se donne
par
souci de
l'accomplir en
prévenant les
difficultés
de l'autre
et
en la
tenant
constamment
au
fait des buts à moyen terme, qu'il
faut
chercher la source
des tensions,
qu'il module grâce à la souplesse de son système
rhétorique.
Son
clin d'oeil
final
montre qu'il les
a
surmontées.
3. Deux façons
d'interagir avec l'absent
3.1. Pierric
Pierric tire deux leçons essentielles de son interaction avec H :
10. Ainsi,
les trous libres
introduits
en
6 sont systématiquement
repris
sous
la
forme partie qui {ne se
visse
pas
I
ne
comporte
pas
de
pas
de
vis).
79
-
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14/18
(a)
Ayant été
obligé d'interrompre à
plusieurs reprises
ses
premières consignes
pour
décrire
les axes
qui
traversent les cubes,
il
décide de consacrer
le
début de son
texte
à l'énumération-description de l'ensemble des pièces
:
(12)1.
ok
donc
on
dispose [...(2)...]
1'. de
trois
cubes de couleur
1 .
deux
cubes
verts
et
un
cube
rouge
1' .
les trois
cubes étant percés de
trous
1 .
certains des trous
étant
des
trous
à vis
1' . d'autres
des trous
libres
3. vous disposez aussi [...]
4.
vous disposez
ensuite [...]
4 .
et d'une plaquette de bois [...] comportant
trois
trous
(b) Lors
du
démarrage
du
deuxième épisode, sa
présentation
prospective de l
ssemblage
des deux sous-parties
s'était avérée prématurée.
Du
coup,
il
décide aussi
d'abandonner
une
de ses
ambitions premières
—
indiquer
à
l'autre
les
buts
intermédiaires
— même
s'il
continue à signaler la macro-structure de son texte u.
Les
deux
décisions qu'il tire des difficultés rencontrées lui
permettent
de tra
vailler
davantage à
la
cohésion
de son discours, en
combinant
la
technique
de
l antéposition avec la pronominalisation et la relativisation :
(13)
5. alors première
chose vous
prenez
un cube
vert
dans
votre main
5'. dans lequel vous glissez une
des
grandes
vis
5 . dans un
des trous
qui
ne comportent
pas de pas de
vis
6. ensuite au bout de
ce
cube vous y
ajoutez
le joint
violet
1 1
deuxième partie
vous
prenez
la
seconde
vis
qui
se termine
par
un
écrou
vert
12. et vous y enfilez
le
second joint
12'.
qui est le
joint
blanc
12 . sur
lequel vous enfilez la plaquette qui comporte trois trous
sur le trou extérieur
Comme
le
montre 11-12 , les unités
du
textes ne concernent plus
nécessairement
la manipulation d'une seule pièce,
mais sont des énonciations
complexes
comprenant
une consigne
de type
classique
et, pour le
premier
épisode
et le début
du
deuxième,
au moins une
autre
enchâssée
dans
une
subordonnée.
Cela est cohérent
avec
la
préférence
de Pierric pour les syntagmes longs
(5 ),
censés s'adapter
au
rythme
d'exécution
supposé
:
12'
est
ici
l'équivalent
des
répétitions
qu'il
utilisait
avec
H
et
l'on
trouve ailleurs,
avec la même valeur, une
apposition explicative
:
le
troisième
cube, le deuxième
cube vert
(cf.
aussi 15'
infra).
Le
contrôle de
l exécution
n'étant
plus possible, cette redondance accrue se
combine
aussi avec
une augmentation
de la
précision des termes renvoyant aux actions : glisser et enfiler
remplacent utiliser
et
relier face à
visser, et
ces verbes sont systématiquement accompagnés de la descrip-
11. Le premier épisode est encadré par
alors
première
chose
et с
est la première
partie
de l'objet ; le
second
commence
par deuxième partie et ce qu'il
nommait
le dernier mouvement. est signalé par ensuite
pour
terminer...
Enfin certains ensembles,
mais moins
systématiquement
que
dans
la première
version,
sont
également signalés
par
ensuite.
80
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8/18/2019 article_lgge_0458-726x_1999_num_33_134_2193 (1)
15/18
tion du trou correspondant. Fixer, utilisé pour la dernière opération, peut sembler
vague, mais à ce
stade
aucune confusion n'est
plus
possible et un effort
supplément
airest
fait pour préciser la
position
des pièces à l'intérieur de l'objet
monté
:
(14)
15 . [•••]
deux
petites vis
à bout rouge
15' .
que vous allez fixer sur chacun /
sur
chacune
des faces
opposées
d'un
des
cubes
du cube
vert
qui
n'est
pas directement relié
à
la
plaquette
de
bois
La
différence
de relation
au
partenaire se manifeste
évidemment
aussi dans
le
choix
de la forme d'adresse, les
modalités
et les appels plus ou moins
implicites
à la
collaboration. A quelques exceptions près,
{vous
+ présent de l'indicatif} remplace le
{on va + V} de la situation précédente :
on
ne
peut rallier un inconnu au projet
commun avec les mêmes moyens.
Il
reste toutefois des traces de demandes de
collaboration,
à la fois
— dans
un
démarrage semblable du texte (ok donc
on
dispose
pour
monter cet objet
de
trois
I
bon
I
cubes,
on
va
les
appeler
des
cubes
hein ?)
où
l'hésitation
soulignée
par
bon manifeste encore une
certaine
insécurité
;
— dans
le
marquage
diaphonique
qui présente
une spécification comme
ayant déjà
été
prévue par
l'auditeur (en vissant
[...] évidemment dans une
des
faces
qui
ne
comportent pas de pas de vis) ;
—
et
dans
le
fait de terminer
par une
transposition de la
situation
(normalement
vous n'avez plus qu'à
tester votre instrument,
il
devrait
fonctionner) évidemment
moins bien
réussie
que
dans
la première
situation. L'interlocuteur
est absent et
Pierric ose moins le
registre
ludique, mais, toujours conscient de la difficulté de la
tâche
(ensuite..
il vous reste
I
il doit rester
sur votre
table
deux
petits
écrous
rouges
—
reformulation
que reprend
normalement),
il
adopte
l'ironie,
tournée contre
lui-même et ses
capacités
d'instructeur.
3.2. Opal
Comme Pierric, mais à
l'initiative
de
D,
Opal a dû
interrompre
ses premières
consignes pour
y
insérer une description des trous. Elle le
fait maintenant d'elle-
même, avec son mélange particulier de métalinguistique et de descriptif et sa
construction des objets
par opposition,
mais de
manière
plus systématique
et
en y
ajoutant
une conditionnelle
(6')
qui
a
valeur
de
suggestion
(=
regardez)
:
(16)4. et après
on
[a] besoin de [apri] un de
le
cube
vert
5.
et
sur le truc sans vis
6.
ça [vœ dir]
6'.
si on [vwa] le
cube
6 .
on [рое
vwar]
le
petit
cercle
dans
dedans le cube
6 '.
et
on
[pœ
vwar]
un
autre trou sans cercle
dans le cube
7. le
trou
sans
cercle ça [vœ dir]
trou sans vis
8.
l'autre avec
le cercle ça
[vœ
dir] trou
avec
vis
9. donc sur
le
trou sans vis
[.
]
81
-
8/18/2019 article_lgge_0458-726x_1999_num_33_134_2193 (1)
16/18
5/9 montre qu'elle conserve et même
développe son
recours à
l'antépoeition pour
attirer l attention
du partenaire
sur la position cible tout
en
augmentant la cohésion
du
discours.
Elle n'élargit
pas, comme Pierric,
à
une enumeration des
pièces
mais
produit une
longue
séquence descriptive
vers la fin du texte
:
(17)
28. et après
on
[a fe]
ça on
[a] besoin la
planche
/
28'. quand
on
[a
fe]
la
planche
on
[a]
un petit
L
avec
tout
la
partie
que
tu
[a] eh [fini /
finir]
de [me]
ensemble
dans la planche
29.
au
lieu de [forme]
une
boîte
29'. on
[a] besoin de [form]
quelque
chose comme un
Z
30. donc la planche [e] /
31. *for example* quand on [vwa] le rouge
31'. le [bwa] rouge de en
bas
le premier vert
32.
la
planche aussi [a] besoin de [etr] en bas le
l'autre
vert
Ce passage
contient plusieurs
innovations
: utilisation de subordonnées pour
indiquer
la
forme
des
états
résultats (précisions
absentes
de son
texte
précédent
et
de
ceux de Pierric) ; emploi accru des
verbes
d'état, combinés comme en 32 avec la
modalité habituellement réservée aux instructions 12 ; apparition de formes verbal
esomplexes
où
ce sont clairement les
distinctions
aspectuelles
qu'Opal
cherche à
faire percevoir.
Si
quelques
alternances [pri] I [apri] montrent encore
une
recherche de la
forme
verbale « de base », en rapprochant les autres [a] préverbaux
et le
[a] eh
[fini
/finir]
de...
de l'exemple suivant,
il
devient clair
qu'Opal
cherche là à exprimer le
révolu,
et
l'opposition
entre
révolu proche et plus lointain,
notamment
pour distin
guer es différentes parties
du
montage.
(18)25. et après on [a] besoin de [apri] la partie qu'on a
déjà [fe]
25'. le
cube
vert et le
cube
rouge
26. et [met] dedans
le
nouveau partie que vous [et] en
train de
[vjë]
de finir
[apri]
27.
donc
dedans le rouge
27'. qui
[e
me]
sur la table plate
27 .
sur le trou sans vis on [a] besoin de [vize]
la
dernière
partie
que tu [a
vœnir]
de finir
Cet effort supplémentaire (qui
accroît
la
tension, comme
on
peut le
constater en
28'
et
30-31,
ex.
17)
est
cohérent
avec
cet
autre élément
nouveau
qu'est
le
signal
ement e la macro-structure :
outre
la distinction
entre
les parties opérée
dans
l'ex.
18,
le
texte
commence par ok la
première partie on [a]
besoin de... et
se termine
par
une
conclusion,
également marquée par la
préoccupation aspectuelle :
sur la
fin on
a
un
petit truc qu'on [a fini] de [fe]. Mais
le
procédé
le
plus
original,
même s'il
est
appliqué
une
première fois juste
avant la fin de
la
deuxième grande partie,
est
l insertion du dialogue (question rhétorique + réponse en principe évidente) dans le
monologue :
12.
Celle-ci est
d'ailleurs devenue facultative : en 11,
on
a la [rôdul] violet a valeur de consigne de
saisie
d'un
nouvel
objet,
cf.
aussi
ex.
20.
82
-
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17/18
(19)22.
[kes]
gui [rest] ?
23. [se] le cube vert
33.
donc
[kes] qui
[rest]
?
34.
[se] le
deux vis
petits rouges
35. le
petits
rouges
donc on
[a] besoin de [vize] sur le premier
cube
vert
35'.
que
[vuzave]
35 .
qui [e]
au-dessus
du violet
35' .
sur le trou avec vis
36. on [a] besoin de [vize] les
deux
de chaque côté de le
cube
33-36
montre
à quel
point
la syntaxe
d'Opal
s'est complexifiée
pour accroître à
la fois
redondance
et
précision
et inclure
des appels
à la
collaboration
de l'autre
(comme
en
16-17 : ...[mut] sur
la table
à
plat d'accord).
Cependant, à l'exception de 35', c'est
on qui
apparaît comme forme d'adresse et non
plus
le tu employé avec D :
sans
affirmer
qu'elle
a perçu toutes les
distinctions
faites
par
les francophones à
l'inté
rieur
du
système
des
formes
d'adresse,
on
peut
dire
que
son
choix
d'un
moyen
qui
sera
compris comme renvoyant à
quiconque écoute
cette cassette n'est pas dû au
hasard. Elle
passe
ainsi, comme Pierric, même si les formes diffèrent, à un
degré
supérieur
d'impersonnalisation.
4.
Le
dispositif expérimental
comme
dispositif
d'apprentissage
Au
cours
de
cette expérience, tous
les
instructeurs ont
appris,
par essais et
erreurs, grâce aux réactions
de l'exécutant dans
la situation en face
à
face,
à
gérer
deux
situations nouvelles pour
eux.
Ils ont dû
chercher
à structurer à la
fois
leur
représentation
des
mouvements
qu'exigeait
le
montage
de
l'objet,
et
un
discours
qui
puisse
en
rendre compte, et
pour
cela
déjouer les pièges
cognitifs,
mémoriels et
perceptuels
imaginés
par les chercheurs. Ils ont dû calculer les moyens
d'enrôler
l'exécutant
présent, puis
l'absent, dans
la tâche commune
qu'on
leur proposait, en
adaptant vocabulaire, modalités et formes d'adresse.
Leurs comportements évoluent au cours de l'expérience, en général vers
une plus
grande efficacité et une plus grande souplesse : les performances linguistiques et
discursives
d'Opal
et
de Pierric se modifient
au cours
du
face à face et d'une
situation
à
l'autre.
Tous
deux augmentent la
précision
et la redondance de leurs instructions
et
systématisent les moyens de
rendre
les
consignes moins
directes.
Opal
finit
par
marquer
comme
Pierric
la
macro-structure.
Lui
abandonne
les
aspects
les
plus
lourds
de sa démarche globalisante,
elle
consacre une partie
importante
de ses
efforts
à décrire
les états
résultants.
Il
cherche à rendre
son texte plus clair
et
plus
cohésif
sans lui faire
perdre
sa
souplesse. Elle s'éloigne
sensiblement, dans
son
second texte, du « mode prototypique ».
Tout
ceci
est
accompli
par
l'extension de
moyens déjà présents dans la
première
situation.
En revanche le
travail
linguistique
mené
par Opal sur le
marquage
du révolu est
totalement nouveau.
Sans
qu'on
puisse préjuger
d'effets
à moyen
ou
à
long terme, et
encore moins postuler un développement
linéaire,
le dispositif utilisé offre, sur
le
problème
de l'acquisition,
une
entrée
qui
diffère aussi bien des études longitudinales
classiques,
qui
comparent
des
états
de connaissances
à
différents
moments
de
la
vie
83
-
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18/18
des
sujets observés
sans
toujours se donner les moyens de
prendre
en
compte
les
différences de
situation,
que d'études plus interactionnistes,
qui
recherchent dans
l'immédiateté du
face
à
face les « séquences
potentiellement
acquisitionnelles ».
Nous
ne savons pas où Opal
a trouvé les modèles linguistiques
qu'elle teste
ici. Mais
nous
voyons une
partie du travail
qu'elle
accomplit pour se les approprier dans
une
nouvelle situation
où elle
peut donner à leur emploi toute sa pertinence
et où
la
nécessité
de
redondance
justifie
la
surabondance
des
formes
travaillées.
Tous es
instructeurs
n'ont
pas
exploité
de la même façon les caractéristiques du
dispositif. Seule une étude des
constantes et
des variations
inter-sujets
(complétée
par l'analyse d'autres types de situation) pourrait apporter un début de
réponse à
la
question
: « Structure-t-on son
discours
différemment
selon son degré de maîtrise de
la langue ? ». Nous
pouvons
déjà
dire
que cette
réponse
sera
pour
le
moins
nuancée
si elle tient compte des différences individuelles et
des
effets de l'interaction. Notons
toutefois
que
tous
les alloglottes
ont
apporté
la
preuve
que, même avec
des
moyens
réduits,
ils étaient capables
de
construire un
discours
adapté, et que
ce
sont
eux qui
ont globalement le plus modifié
leur
comportement en passant
du
face à face
à
la
situation
médiatisée.
Pour cela, comme les francophones, ils ont bénéficié de
l'apport
des
exécutants,
co-responsables
des
textes produits, y
compris
en leur absence.
Divers par
leur
tendance
à
l'anticipation
et
à
l'intervention,
bref
par leur
conception de leur
rôle
(elle-même
influencée
par leur perception de leur partenaire-instructeur), les
exé
cutants ont contribué à la représentation que les
instructeurs
pouvaient se faire d'un
auditeur absent, et donc à la construction des seconds textes et
à
leur diversité.
Et
si
instructeurs et
exécutants ont appris — appris
au moins
à
interagir ensemble
—
c'est que la réalisation de la
tâche
représentait
pour
eux un enjeu et
mettait
en cause
leur
propre
image, et qu'ils s'y
sont
investis, suffisamment pour
co-construire
à
la
fois
un
discours
efficace
et
l'objet
qu'il
fallait
monter.
84