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    MME Jo ArdittyMireille Prodeau

    Donner des instructions en langue maternelle et en langue

    étrangèreIn: Langages, 33e année, n°134, 1999. pp. 68-84.

     Abstract

    This article proposes an interactional re-analysis of an experiment whose purpose was to study instructions produced by fluent

    (native) and less fluent speakers of a language. After describing the general characteristics of the experimental procedure, we

    compare the instructional discourse of a French speaker and of a semi-beginner in French, first in interaction with a partner 

    supposed to perform the instructions, then alone in front of a tape-recorder. Linguistic and rhetorical variation is found in each text

    and related to the tension due to the combination of cognitive difficulties and face-work. The second situation shows a

    sophistication in both subjects' strategies to overcome these difficulties as well as experimentation of new linguistic devices on

    the part of the second language learner.

    Citer ce document / Cite this document :

     Arditty Jo, Prodeau Mireille. Donner des instructions en langue maternelle et en langue étrangère. In: Langages, 33e année,

    n°134, 1999. pp. 68-84.

    doi : 10.3406/lgge.1999.2193

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1999_num_33_134_2193

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_lgge_24http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_lgge_820http://dx.doi.org/10.3406/lgge.1999.2193http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1999_num_33_134_2193http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1999_num_33_134_2193http://dx.doi.org/10.3406/lgge.1999.2193http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_lgge_820http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_lgge_24

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    Jo ARDITTY

    et

    Mireille PRODEAU

    Université de Paris 8

    et

    GDR 113

    DONNER

    DES

    INSTRUCTIONS

    EN

    LANGUE

    MATERNELLE

    ET

    EN

    LANGUE ÉTRANGÈRE*

    Le

    présent

    article se propose de ré-analyser

    dans une

    optique

    interactionnelle

    les

    comportements verbaux

    obtenus dans

    le cadre d'un dispositif expérimental

    visant

    à

    étudier la manière dont des

    individus

    de langue

    différente

    structurent

    des

    instruc

    tionsonnées à

    un

    partenaire l. La

    syntaxe

    des

    instructions ou la manière dont

    s'établit

    le

    repérage

    spatial, au

    centre des travaux précédents

    (cf. Prodeau, 1996,

    1998),

    ne

    nous laisseront

    pas indifférents,

    mais

    l'on

    développera davantage ici les

    répercussions

    sur

    la

    dynamique

    du discours

    des

    contraintes liées

    à

    la

    fois

    aux

    difficultés cognitives de tâche

    et au

    fait qu'on

    ne

    l'accomplit

    pas

    seul,

    même

    quand le

    seul « partenaire » présent

    est un

    magnétophone.

    Donner

    des

    instructions

    c'est tenter de

    faire agir

    l'autre,

    mais

    de façon distincte

    à la fois de l'ordre et de la

    requête.

    Là, le

    sujet parlant

    se pose en

    responsable

    de la

    demande d'action,

    qu'il établisse une

    relation de dominance face

    à

    l'exécutant

    potentiel

    ou qu'il

    se

    place comme

    dominé

    sollicitant l'action

    de l'autorité. Ici,

    l'exécutant

    est

    censé être déjà convaincu de la ustification finale de la série d'actions

    à accomplir ; l'instructeur

    ne

    fait que relayer auprès de lui ce que nécessite la

    réalisation de l objectif. Cela n'exclut

    pas un

    certain

    travail

    de figuration pour

    *

    Noue

    sommes

    particulièrementredevables

    à

    Marité Vasseur, qui noue

    a

    aidée

    à calibrer

    notre

    propos

    et à Lorenza Mondada,

    grâce

    à qui

    noue espérons avoir

    mieux dégagé les points essentiels. Un grand

    merci

    aussi

    à

    Odile Sureau, pour sa patience,

    ses

    relectures

    attentives

    et

    ses propositions

    toujours

    pertinentes de

    clarification.

    1.

    Dans la

    partie

    française de ce programme 14 francophones

    et

    10 anglophones ont joué en anglais

    le

    rôle

    d'instructeurs

    et 15 anglophones et 10 francophones

    l'ont fait en français.

    Nous

    nous

    limiterons ici

    aux

    productions

    en français.

    Pour les instructeurs, l'expérience se

    déroule

    en

    trois

    temps :

    a. visionnement d'un film

    muet montrant

    comment effectuer le montage.

    Les instructeurs

    peuvent

    se

    repasser le

    film

    autant

    de fois qu'ils

    le

    veulent et/ou

    dialoguer

    avec l expérimentatrice ;

    b. instructions données en face à face à un exécutant naïf. Les instructeurs peuvent ainsi

    contrôler

    la

    bonne exécution de chaque

    opération

    ;

    c.

    instructions

    données au

    magnétophone

    à un

    auditeur

    éventuel,

    la

    consigne

    étant

    d'être aussi

    précis

    et

    détaillé que

    possible

    ; les instructeurs doivent prendre en compte les difficultés d'intercompréhension

    apparues

    dans

    la phase

    2 pour améliorer leur production.

    Le

    matériel se compose de :

    — trois cubes de taille

    identique,

    deux verts et un rouge, percés

    au

    centre de

    chacun

    de leurs

    axes par

    des

    trous dont deux comportent un pas de vis ;

    — deux rondelles, l'une

    plus

    épaisse

    et

    violette, l'autre

    plus fine et

    en bois brut ;

    — deux vis rouges à tête hexagonale, totalement semblables, et deux grandes vis vertes, l'une à tête

    hexagonale,

    l'autre

    à

    tête ronde

    ;

    — une petite

    planchette

    rectangulaire

    percée

    de

    trois

    trous

    dans le sens

    de la longueur.

    L'objet

    à

    monter comporte deux grandes parties

    dont

    les pièces s'agencent

    à

    chaque

    foie

    autour de

    l'axe

    constitué

    par

    l'une des

    deux grandes

    vie.

    Ces deux parties

    s'adaptent

    l'une

    à l'autre

    à angle droit à travers

    l'un des cubes. Les deux petites vis complètent

    le

    montage. Ce dispositif a été choisi par

    des

    chercheurs de

    Heidelberg de manière

    à

    voir comment les instructeurs arrivent

    à

    différencier les pièces

    à

    utiliser, et

    leequellee

    ile

    choisissent comme

    repères

    pour

    placer

    les

    autres.

    68

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    s'assurer une collaboration harmonieuse

    à

    cette double tâche, discursive et man

    uelle et

    pour

    rendre manifeste le

    caractère second,

    « délégué

    », de

    la responsabil

     tée l'instruction.

    Le

    montage

    à faire effectuer

    est

    complexe et les difficultés de conception et de

    formulation peuvent mettre en cause la face de l'un et de l'autre

    des

    partenaires et

    provoquer

    des

    variations dans

    la

    gestion

    de

    leur

    relation.

    Seront-elles

    plus

    ou

    moins

    fortes selon que l'instructeur

    s'exprime dans

    sa

    langue

    ou

    dans

    une

    langue

    il

    débute ? Selon que l'exécutant est présent ou

    absent

    ? Tels

    sont

    les problèmes que

    nous comptons

    aborder,

    d'abord

    à travers une analyse globale du

    dispositif,

    puis

    en

    nous

    concentrant

    sur

    les productions en français d'un francophone

    et d'une quasi-

    débutante.

    Nous espérons montrer que les différences de maîtrise de la langue

    n'empêchent pas de reconnaître une forme générale commune aux textes

    produits,

    mais qu'elles se

    manifestent

    au niveau

    de la

    sophistication

    de la structure

    textuelle

    et

    des

    actes de

    figuration.

    C'est également là que devrait se

    marquer

    le

    passage

    d'une

    situation

    en

    face à face à une situation

    médiatisée,

    qui pourrait se traduire chez le

    francophone

    comme

    chez l'alloglotte

    par

    la

    recherche

    de moyens

    linguistiques

    nouveaux, mais

    éventuellement distincts.

    1.

    Contraintes et libertés découlant

    du

    dispositif

    expérimental

    et de la

    situation d'interaction

    1.1. Construire une

    relation

    de transmission de consignes

    La recherche a été présentée aux participants comme devant permettre d'amél

    iorer

    'efficacité

    informationnelle

    des

    notices

    de

    montage.

    Cela

    pourrait paraître

    suffisant

    pour éveiller chez eux un certain type d'expérience culturelle, un certain

    modèle de texte

    à

    construire ou

    à interpréter.

    Mais la

    notice

    de montage privilégie en

    général un

    autre système sémiotique (l'image),

    et lorsque

    celui-ci

    est

    complété

    par le

    langage, l'emploi

    exclusif de l'infinitif

    laisse

    scripteur et lecteur

    dans l'anonymat

    et

    la

    généricité.

    L'instruction en

    face à face (situations

    d'apprentissage)

    s'appuie

    généralement sur

    l exemple. Or

    le geste, comme

    l'image,

    est

    ici interdit

    aux

    instruc

    teurs. e

    que l'on attend qu'ils

    produisent

    est « un

    texte

    ».

    Selon une

    approche

    désormais traditionnelle

    2,

    ce texte peut être décrit comme

    répondant

    à

    une question

    globale, du

    type Qu'est-ce que je dois faire avec ces

    pièces

    ?

    Les pièces,

    et

    donc

    les

    étapes pour

    atteindre l'objectif,

    étant

    multiples,

    on

    peut

    s'attendre

    à une

    décomposition en

    questions locales,

    ordonnées chronologique

    mentEt maintenant qu'est-ce que

    je dois

    faire (de cette pièce)

    ? 3. On trouve

    en

    effet

    de nombreuses

    séquences qui suivent ce modèle :

    2.

    Cf. entre autres Klein & von Stutterheim (1991). La

    recherche

    dont

    fait partie

    la

    présente

    étude s 'est

    jusqu'ici

    appuyée

    sur le cadre

    théorique

    en vigueur dans le réseau d'équipes auquel appartiennent

    ces

    deux chercheurs

    (cf.

    Klein &

    Perdue, 1992),

    mais nous n'avons pas jugé

    utile ici

    de

    reprendre

    la

    terminologie particulière

    à cette école.

    Pour plus

    de details sur les propriétés

    syntaxiques des textes

    produits, cf. Prodeau

    (1998).

    3. Nous

    appellerons

    « ensemble » toute série de

    propositions

    correspondant

    à la

    manipulation

    d'un

    même objet (et

    donc

    épuisant

    les

    questions

    qu est-ce

    que

    j'en

    fais ?).

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    (1)

    GAIL (alloglotte, devant le magnétophone)

    séquence de texte question

    sous-jacente

    vous allez prendre une

    rondelle

    violet

    qu'est-ce

    que je fais ?

    voue

    allez

    ajouter

    cette

    rondelle

    à

    le vis

    vert

    qu'est-ce

    que j'en fais

    ?

    puis

    vous

    allez prendre

    une

    cube

    rouge

    puis

    qu'est-ce

    que je

    fais ?

    et

    cette

    fois

    vous

    allez

    visser

    le

    cube

    à

    la

    vis

    et

    qu'est-ce

    que

    j

    en

    fais

    ?

    maintenant vous mettez cette truc sur la table

    maintenant qu'est-ce

    que je fais ?

    Ce

    type

    d'ordonnancement des propositions, que C.

    von Stutterheim

    a baptisé mode

    « pro totypique » de traitement de la tâche, s'accompagne

    au

    niveau de

    leur struc

    ture nterne de la mention, en principe dans cet ordre :

    (éventuellement)

    du décalage

    temporel ; de l'agent ; de la modalité ; de l'action ; de l'objet sur lequel

    celle-ci

    s'effectue ; et (éventuellement) de la position cible.

    Mais cette

    description

    ne

    dit

    rien du choix des actions jugées pertinentes, de

    l'évaluation

    du

    degré

    de

    détail, de

    redondance,

    et

    d'implicitation acceptable

    par

    l'exécutant, de la capacité d'inférence que

    l'on

    peut lui prêter,

    ni du

    degré de

    personnalisation/impersonnalisation

    susceptible

    d'assurer

    sa

    collaboration.

    Les

    textes

    produits

    pourront

    donc

    à

    la fois différer à

    l'intérieur de

    ce modèle et s'en

    écarter sur divers points. L'identification

    des

    pièces

    ou

    de leurs parties peut néces

    siterune

    description détaillée (ex : type de

    trou

    dans

    un cube

    de telle couleur). Les

    instructeurs

    devront

    donc choisir

    entre intégrer ces informations dans

    les proposi

    tions

    nstructionnelles

    à

    l'aide

    de syntagmes adjectivaux

    ou prépositionnels

    ou

    alterner séquences d instructions

    et

    séquences

    descriptives.

    Ils

    peuvent

    opter pour

    une présentation

    analytique,

    décomposée, des opérations

    (ex. 1)

    ou pour une dé

    marche plus

    synthétique

    (ces deux stratégies sont vraisemblablement corrélées avec

    une

    répartition

    différente

    des

    injonctions et des descriptions) :

    (2) GAELLE (française, devant le

    magnétophone)

    faire glisser

    dessus encore

    le

    rectangle

    à trois trous

    par un

    des trous d'une des extrémités

    {présentation de l'objet rectangle + mouvement et

    manière,

    indiqués par

    glisser

    +

    parcours

    :

    par un des

    trous

    d'une

    des extrémités}

    Ils peuvent ajouter l'indication du but global

    ou

    des buts partiels, des

    comment

    airest/ou

    évaluations

    de leur performance ou celle de leur partenaire, bouleverser

    l'ordre des

    constituants

    de leurs énoncés

    pour

    insister sur

    un

    aspect particulier de

    l'injonction ou utiliser divers

    procédés pour

    rendre celle-ci moins directe et assurer

    ainsi

    une meilleure gestion de la

    relation.

    1.2.

    L'intervention du

    partenaire

    dans

    la construction

    du d iscours

    Même lorsqu'il est absent,

    l'exécutant

    intervient

    dans

    la

    construction du

    di

    scours : « parler, c'est anticiper le calcul interprétatif de l'autre » (Flahaut, 1978).

    Ce travail

    est

    bien sûr plus

    facile

    lorsque la représentation que l'on peut se faire du

    partenaire

    est

    confirmée

    ou

    modifiée

    par sa

    présence.

    Dans

    la situation en face

    à face,

    l'intervention est

    avant

    tout gestuelle

    ;

    l exécu

    tione la consigne est le

    test

    de la compréhension, voire de

    l'anticipation

    (la

    formulation complète

    de la

    consigne devient inutile) :

    la

    situation provoque

    des

    attentes

    et

    une représentation

    de

    ce

    que

    peut

    être

    une

    «

    suite

    normale

    »

    Lorsque

    ces

    70

  • 8/18/2019 article_lgge_0458-726x_1999_num_33_134_2193 (1)

    5/18

    attentes sont déçues, contredites par la

    formulation

    de la

    consigne ou

    insuffisantes

    pour

    l'interpréter, le

    gestuel est encore

    le

    mode d'intervention privilégié : non-

    exécution,

    accompagnée

    le plus souvent d'une mimique.

    Mais le

    feed-back

    peut également être langagier : il s'agit généralement

    de

    la

    répétition de la partie

    focale

    de la consigne (objet à prendre ou position cible), avec,

    selon

    l intonation,

    une

    valeur

    positive

    (j'ai

    compris)

    ou

    interrogative

    (c'est

    bien

    ça

    que tu veux dire

    ?).

    Le doute peut aussi s'exprimer, lorsque l'objet à manipuler

    appartient à

    un ensemble

    d'objets semblables,

    par des questions

    d'identification :

    Celui-là

    ?

    Lequel ?,

    ce qui implique déjà au moins une

    compréhension

    partielle.

    Or

    la

    prononciation

    d'un instructeur alloglotte peut être telle que

    les capacités

    d'inférence

    de l'exécutant francophone

    sont

    prises en défaut. Celui-ci

    peut

    alors, en

    répétant le

    début du syntagme

    qui

    pose problème, demander

    une

    reprise de

    la

    consigne. La négociation

    du sens qui s'ensuit doit contrebalancer les

    risques que

    l'incompréhension

    présente

    pour la face à la

    fois

    de l'exécutant,

    qui

    doit avouer son

    incapacité à

    jouer

    son rôle,

    et

    de

    l'instructeur,

    qui s'est avéré

    incapable

    de

    trans

    mettre la

    consigne

    efficacement. L'aveu explicite d'incompréhension (Non, je ne

    comprends

    pas.

    Qu'est-ce

    que

    tu veux

    que

    je fasse

    ?

    un seul

    exemple

    dans

    les

    données)

    correspond

    à

    une attaque trop directe

    à

    la face de l'autre (même si c'est la

    sienne

    propre

    qui est d'abord

    mise

    en avant) pour qu'on ne l'évite

    pas s'il

    n'est

    pas

    ressenti comme

    absolument

    nécessaire.

    S'il

    existe des

    cas

    de négociation du lexique,

    ils

    débouchent rarement sur

    une aide

    efficace

    à moyen

    terme. Quant à

    l'aide syntaxique,

    elle est

    inexistante. De toute

    façon,

    l'instructeur alloglotte

    est

    trop pris par sa tâche

    immédiate

    pour enregistrer,

    et à

    court terme, autre

    chose que le

    vocabulaire indispensable.

    Le

    caractère exceptionnel des aides (et des demandes directes d'aides) est sans

    doute lié au dispositif et aux

    consignes,

    qui

    focalisent

    la tâche à accomplir et ne disent

    rien

    des

    collaborations

    permises.

    Les

    partenaires

    s'en

    font

    une

    représentation

    minimale :

    les

    instructeurs peuvent encourager

    l'exécutant

    par des

    évaluations

    positives ou prendre en compte (et à leur compte)

    un

    mauvais

    aboutissement

    par une

    ou plusieurs

    tentatives

    de

    reformulation

    ; les exécutants

    peuvent

    demander

    une

    réitération,

    par

    gestes

    ou par une brève

    question de vérification de leur

    hypothèse

    de

    compréhension. Aller

    au-delà

    pose

    trop

    de problèmes de

    face, d'autant

    que l'inter

    action

    ne

    se fait pas

    sans témoin.

    1.3. L'expérimentatrice comme

    ressource et

    comme

    regard

    Elle ne

    se

    contente

    pas

    de

    présenter

    l'expérience

    et

    de

    donner

    les

    consignes.

    Elle

    fournit

    aussi

    l'aide

    lexicale

    aux

    alloglottes

    les

    plus

    faibles en français,

    avant leur

    confrontation

    avec des exécutants francophones :

    elle

    leur demande

    s'ils

    ont

    le

    vocabulaire

    adéquat

    pour

    nommer

    les

    pièces,

    confirme

    ou infirme

    leurs

    tentatives

    de

    nomination et fournit les éléments lexicaux manquante. Les alloglottes

    ne

    réussissent

    pas

    toujours à les intégrer

    et

    l'on tente alors de se rabattre

    sur un substitut

    plus

    facilement assimilable. Cette

    aide,

    qui renforce encore la priorité donnée au voca

    bulaire est ponctuelle, limitée et décalée dans le temps

    par

    rapport à la tâche à

    accomplir. Elle est parfois complétée par

    des encouragements du

    regard. Mais ce

    regard

    peut

    aussi renforcer la tension qu'éprouvent les instructeurs :

    dans

    les deux

    phases

    d'enregistrements,

    ils

    doivent

    se

    montrer

    à

    la

    hauteur

    à

    la

    fois

    face à

    71

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    6/18

    l'exécutant,

    du

    point

    de vue interactionnel

    comme

    de

    l'efficacité pratique

    de

    leurs

    consignes,

    et face au

    jugement

    extérieur de

    l'expérimentatrice

    et

    de

    la communauté

    de chercheurs

    qu'elle et le magnétophone représentent.

    Et cette observation

    va

    renforcer la

    préoccupation pour les

    normes, interactionnelles et linguistiques, à

    respecter.

    2.

    Deux

    manières de gérer la situation

    en

    face à face

    2.1.

    Opal

    Après des études

    secondaires

    difficiles, cette jeune noire

    a bénéficié

    des

    program

    mes'aide aux minorités et

    intégré,

    après une mise

    à niveau,

    une formation

    universitaire en marketing

    international,

    pour

    laquelle elle effectue un

    séjour en

    France.

    Sa

    formation en français

    se

    limite

    à

    un cours

    intensif mis en

    place par

    l'organisme

    chargé des

    échanges et aux

    cours

    de FLE qu'elle suit

    à Paris

    8 au

    moment du

    recueil

    de

    données.

    Elle

    semble

    désireuse

    de

    multiplier

    ses contacts

    avec

    les francophones

    et

    souhaite prolonger son

    séjour

    pour suivre

    un

    cours plus spécial

    isé

    ans

    le

    domaine du

    marketing.

    Voyons comment

    elle

    procède.

    A. Le mode prototypique.

    Dès qu'on

    lui indique que l'enregistrement en face

    à

    face

    peut commencer, Opal

    entame

    la série

    de

    consignes,

    ordonnées chronologiquement

    :

    (3) OPAL (alloglotte) et D. (française)

    1. О : tu [a] besoin de [prâdr]

    le

    /

    la

    grand verte vis

    2.

    (0)( 0

    ) (

    0

    )

    un cube vert

    3.

    dans

    le

    trou sans

    la vis tu [a] besoin

    de

    [mi] la vis

    et

    opère

    de

    la

    même

    manière

    au

    début

    de

    la

    deuxième

    partie

    :

    (4) 31. après tu [a] besoin de

    [pri]

    l'autre

    vis

    grand

    verte

    32.

    (0) tu

    [a] besoin de

    [pri]

    / [apri] la [rôndul]

    blanche

    33. et

    (0) (

    0

    ) [met] dans / [met] / [met]

    ça dans

    la [vize]

    Ces deux exemples illustrent la

    manière

    dont Opal construit

    chaque

    ensemble

    à

    l'intérieur du

    montage quand, d'une part, rien ne

    vient l'interrompre

    et

    que,

    d'autre

    part, elle n'a

    pas

    à

    signaler un

    phénomène

    particulier :

    (a) introduction de la pièce à manipuler 4 :

    décalage

    temporel)

    + tu +

    {a

    besoin

    de}

    +

    prendre

    +

    objet

    à

    saisir

    (b)

    opération à

    effectuer

    sur cette pièce :

    (et) + 0 + 0 + mettre + (objet

    à manipuler)

    + position

    cible

    Une première

    variation

    est

    illustrée

    par

    3 : l antéposition de

    la position cible.

    Elle concerne le type de trou

    (fileté

    ou

    non)

    dans lequel doit

    passer

    la vis 5. C'est la

    position qui

    exige

    le plus de discrimination,

    qui

    provoquera d'ailleurs

    quelque

    4. Dans

    les exemples 3

    et

    4, l'opération

    est

    répétée car le début de chaque grande

    sous-partie

    nécessite

    la saisie de deux

    pièces

    différentes.

    5.

    Chaque

    fois

    que

    ce

    type

    d'élément

    apparaît dans

    le texte, il

    provoque

    la

    même

    opération.

    72

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    7/18

    confusion

    chez Opal comme

    chez

    plusieurs autres instructeurs, et qu'il

    est

    donc

    nécessaire de

    mettre en

    vedette. Le même principe

    est illustré

    entre autres en 24 :

    (5) 23. {met}

    sur

    la table

    tout

    24. mais dans la

    partie

    qui reste en

    dehors

    la vis

    tu

    [a] besoin

    de [me]

    la

    cube rouge avec

    le

    trou

    avec le

    [vi]

    La forme

    particulière de la

    consigne

    vise à interdire à la partenaire (d'où

    le

    mais)

    d'interpréter 23 comme marquant la fin d'un

    épisode

    essentiel du

    montage.

    Le

    placement en 23 de l élément à manipuler

    en

    fin de

    proposition

    indique

    lui

    aussi un

    statut particulier : il s'agit ici de l'ensemble déjà

    monté.

    À ces variations

    près, le passage

    d'un ensemble à un

    autre

    est indiqué par

    l'alternance des schémas d'énoncés (a)+(b) /

    (a)+(b)...

    plus que

    par la

    présence,

    asystématique, de marqueurs

    temporels ou

    d'autres connecteurs en début de (a).

    La

    véritable

    démarcation

    est

    en fait assurée

    par

    l'évaluation

    positive

    (oui voilà

    c'est ça)

    du mouvement

    effectué par D.

    Opal ne prend

    donc

    l'initiative que de deux types de

    propositions

    :

    consignes

    (avec

    parfois

    des

    éléments

    descriptifs

    complexes)

    et

    évalua

    tions

    sur

    elle-même

    et

    provoquant

    reformulation,

    ou

    sur sa

    partenaire).

    Seule

    celle-ci

    est susceptible de modifier

    cette

    alternance.

    B. L'interaction et

    ses

    tensions.

    Les

    premières interventions

    verbales

    de

    D

    sont des

    questions

    d'identification

    et

    elles

    entraînent l'apparition d'autres types

    de

    proposi

    tions

    (6) 3. О : dans le trou sans la vis tu [a] besoin de [mi]

    la

    vis

    dans

    quoi ?

    sur

    le trou sans vis vous [a] \

    lequel

    ?

    je ne [se] pas

    ah la

    vis [se] le truc avec

    un cercle devant

    et

    l'autre partie [se] le part sans vis

    [se] le part sans le

    cercle

    ah d'accord d'accord

    donc tu [a] besoin de

    [mi]

    la

    vis sur le trou sans

    vis

    D interrompt la

    quasi-répétition

    de 5, et 6 montre qu'il

    ne

    s'agit pas d'un

    problème

    d'audition. L'aveu paradoxal d incompétence d'Opal en 7 lui

    permet

    sans doute de

    former

    une hypothèse sur la

    nature du

    problème : elle le traite comme un manque de

    définition

    (la

    vis

    c'est...)

    descriptive.

    Ses

    approximations terminologiques,

    compens

    éesar

    la

    construction

    d'objets

    par

    opposition,

    n'empêchent pas la

    compréhension

    de

    D,

    qui

    ratifie

    l éclaircissement

    en 11. Opal peut

    donc reconnecter

    son

    discours

    en

    reformulant 3.

    Les instructions correspondant

    au

    deuxième

    ensemble

    sont interrompues

    par

    une correction phonétique ([rôndul]

    =>

    rondelle), qu'Opal ratifie en intégrant la

    nouvelle forme à son

    énoncé,

    et par le fait que D effectue le mouvement

    final

    alors

    que seul le

    verbe

    a

    été prononcé, ce qu'Opal sanctionne par

    une

    évaluation positive.

    3.

    4.

    5.

    6.

    7.

    8.

    9.

    10.

    11.

    12.

    0

    D

    0

    D

    0

    D

    0

    6.

    Les

    énoncés

    qui

    n'expriment pas

    directement

    une

    consigne

    font

    l'objet

    d'un

    retrait

    supplémentaire.

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    8/18

    (7)

    18.

    19.

    20.

    21.

    22.

    23.

    24.

    25.

    26.

    27.

    28.

    29.

    30.

    D

    О

    D

    О

    On

    arrive

    alors

    à

    la séquence

    suivante :

    donc

    tu

    [pri]

    /

    [apri]

    la

    cube

    rouge

    qu'est-ce que je fais de

    ce

    cube là ?

    ah d'accord

    tu

    [va mEt] dans le

    trou

    avec

    le vis

    tu

    [vœ

    mEt]

    /

    [mEt]

    sur

    la table

    tout

    mais

    dans

    la

    partie

    qui [rEst] en

    dehors

    la vis

    tu

    [a] besoin

    de [me]

    la

    cube

    rouge

    avec le trou avec le

    [vi]

    vous [a]

    /

    vous

    /

    tu [a]

    besoin

    de

    [vize]

    de visser

    quoi

    ?

    eh la vis

    verte

    [atâ]

    [mEt]

    /

    tu

    [a] besoin de [met] sur la

    table

    oui [se]

    ça d'accord

    [se]

    comme

    ça

    voilà d'accord

    Les formes

    utilisées

    ici par Opal

    varient

    non

    seulement quant au

    verbe

    ([pri]

    I

    [apri]) mais

    aussi

    quant aux

    modalités

    et aux formes d'adresse. L'habituel [a besoin

    de} alterne avec

    [va]

    et [vœ] 7

    ainsi

    qu'avec la forme

    verbale

    nue à

    valeur

    d'injonct

    ion

    t

    vous apparaît deux fois en 25 en

    concurrence

    avec

    tu.

    Même si l'on ne

    prête

    pas à Opal la

    connaissance

    précise

    des

    valeurs standard

    de distance

    (vous) et

    de

    familiarité, de solidarité, ou

    au

    moins d'égalité de

    statut

    (tu), on

    ne

    peut interpréter

    ces alternances que comme des indices de tension.

    Les interventions précédentes de D

    n'ont

    pu que

    souligner

    sa maîtrise supérieure

    sur le plan

    pratique

    comme sur le plan linguistique,

    et

    sa question d'anticipation en

    19

    empiète

    sur

    le

    domaine

    d'Opal

    et

    la

    place

    donc

    davantage

    encore

    en position

    basse. En 20, le

    d'accord

    d'Opal

    signifie

    en fait à D de

    ne pas

    la brusquer. Mais le mal

    est

    fait : Opal formule la

    consigne

    23 avant que 21 n'ait

    été

    réalisée.

    D,

    ne

    compre

    nant

    ans doute pas que les arguments de mettre sont aussi

    implicitement

    ceux de

    visser

    en 25, demande à

    Opal

    de compléter

    son

    énoncé.

    Cette

    initiative a

    la même

    valeur relationnelle

    que

    les précédentes,

    et accroît

    encore

    la

    tension

    (cf. [atâ]), qui

    retombe

    en 30

    (la consigne

    a pu être formulée, exécutée, évaluée) mais

    ne

    disparaît

    pas totalement :

    (8) 31. après tu [a] besoin de

    [pri]

    l'autre vis grand verte

    32.

    tu

    [a] besoin de [pri] / [apri] la

    [rôndul]

    blanche

    33.

    et

    [mEt]

    dans

    /

    [met]

    /

    [met]

    ça

    dans

    la [vize]

    34.

    après tu [a]

    besoin

    de

    [pri]

    l'autre

    vert la cube

    35. ah non la

    planche

    36.

    [Ze ublije]

    37. tu [a] / tu [a] besoin de

    [pri]

    la planche

    7. Cette alternance est sans

    doute

    liée

    à ce qui

    ее passe

    dans la

    LM d'Opal :

    are

    gonna et wanna

    noue

    semblent indiquer

    moins de

    déférence envers l'allocutaire que need

    to.

    Ceci n est qu'en apparence

    contradictoire

    avec

    ce que

    nous

    disons ci-dessous

    de

    l'emploi

    de

    vous, car

    la

    distance n'implique pas

    forcément

    la

    déférence.

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    9/18

    38.

    39.

    40.

    41.

    42.

    43.

    D :

    0 :

    et

    [m£t] sur

    l'extérieur

    pas le [mijœ] /

    milieu

    [me] la planche dans

    /

    [me] la vis

    sur

    la

    planche

    l'extérieur

    quel trou ?

    trou

    l'extérieur l'extérieur

    oui

    [se]

    ça

    Les

    hésitations sur les formes

    verbales

    ont sans doute au moins autant

    à

    voir

    avec

    le

    problème

    de planification

    (cube

    ou planche comme élément suivant) qu'avec la

    préoccupation pour

    la

    langue. Mais c'est bien

    un problème

    de

    langue

    (l'ordre

    des

    arguments

    de dans)

    qui, non corrigé immédiatement en

    33,

    intervient

    dans les

    reprises menant à la dernière

    formulation

    de 40.

    La

    tension a donc plusieurs

    causes

    - les problèmes de conceptualisation

    et

    de

    formulation liés au montage aussi bien que les

    problèmes

    de

    relation

    avec l'exécut

    ante. a forme incomplète

    du SN en 47 et la répétition du

    verbe

    en 49

    montrent

    qu'elle est encore présente pour la réalisation de l'ensemble suivant :

    (9)

    44.

    45.

    46.

    47.

    48.

    49.

    D :

    0 :

    D :

    0 :

    et

    maintenant

    tu

    [a]

    besoin

    de

    [pri]

    à

    la

    cube

    vert

    et sur le trou sans la vis \

    qu'est-ce que je fais ?

    trou sans vis

    oui

    [met] / [met] sur la /

    {D.

    effectue

    le

    g<

    Mais désormais Opal

    semble

    s'accoutumer aux réactions de sa partenaire

    et le

    montage se termine d'une façon qui illustre de manière plus

    harmonieuse,

    à travers

    l'alternance de

    consignes

    (éventuellement seulement amorcées — cf. 55) et d éva

    luations,

    la

    dépendance

    mutuelle

    du geste

    et

    de

    la

    parole

    :

    (10) 50.

    donc

    maintenant

    sur le

    cube

    rouge sur une de la trou avec

    le

    vis tu [a]

    besoin

    de

    [vize]

    l'autre

    51.

    [met] sur

    la table

    52.

    tu [a] besoin

    de

    avoir tout

    53. mais la planche [a] besoin de [rest] sur la table

    54. non [se] bien la première

    fois

    55. mais la

    planche

    tu [a] besoin de /

    56.

    oui [se]

    comme ça

    57. l'autre côté voilà

    58.

    donc

    maintenant

    sur

    le trou

    sans

    vis

    sans

    la

    planche l'autre

    vert

    cube

    59. oui [se]

    ça

    [se]

    celui-là

    60.

    tu

    [a] besoin de [met]

    dans les deux

    côtés

    le petit le petit vis

    rouge

    61.

    D : sans ?

    62. О :

    avec

    vis

    avec

    le vis

    63. et voilà

    64. l'autre côté

    La question de vérification de D

    en

    61 amène Opal

    à

    se corriger, mais sans les

    conséquences des questions

    précédentes,

    et l'on

    trouve en

    52

    et

    53 une innovation :

    derrière

    la

    modalité habituelle,

    le

    verbe

    d'action

    est

    remplacé

    par

    un

    verbe

    statif,

    75

  • 8/18/2019 article_lgge_0458-726x_1999_num_33_134_2193 (1)

    10/18

    qui

    peut

    même

    avoir

    un

    sujet inanimé. On a donc

    une

    forme intermédiaire entre la

    consigne stricte et la description

    -

    une

    description prospective

    indiquant certains

    aspects

    du résultat à

    atteindre.

    Le caractère indirect

    et impersonnel est

    ainsi

    renforcé

    en

    même temps que la structure rhétorique se diversifie.

    C. S

    'appuyer

    (quand

    même)

    sur

    la

    partenaire.

    Les

    différentes initiatives

    de

    D

    sont

    la

    preuve

    de sa faculté d'anticipation, d'inférence à partir de la situation. Si elles

    troublent Opal, elles lui confirment

    aussi

    qu'elle

    peut

    s'appuyer sur cette faculté

    dans

    son

    dosage

    du degré

    de

    détail,

    de

    redondance ou

    d'implicitation

    (même

    si

    ses

    calculs peuvent se

    révéler inadéquats).

    Et

    cette

    faculté, Opal

    ne

    manque

    pas

    de la

    postuler :

    — absence d introduction

    et

    de conclusion formelle : la situation est suffisamment

    définie, (1) par la présentation de

    l'expérience

    et les consignes, (2) par le fait que

    l'exécutante peut

    constater qu'il n'y

    a plus de pièces à

    manipuler

    ;

    utilisation

    de SN définis

    comportant

    un,

    quelque fois

    deux, modificateurs

    discr

    iminants

    pour

    introduire

    tous

    les

    éléments

    uniques

    (ils

    sont

    sur la

    table)

    et

    de

    l'autre pour

    renvoyer au deuxième

    élément d'une paire ;

    — implicitation d'un élément déjà introduit (toujours quand l'une de ses parties

    [ex.

    : le trou sans vis] est désignée comme position cible).

    Non qu'il n existe aucune redondance

    dans

    ce texte, tant

    dans

    la

    description

    des

    objets

    (pour les vis, on pourrait se

    contenter

    de

    mentionner soit la

    taille soit

    la

    couleur)

    que pour les

    instructions

    : le

    fait

    d'opérer une action sur un élément

    présuppose

    qu'on

    s'en soit

    saisi,

    or Opal ne

    se dispense de

    consignes

    d'introduction

    que

    dans

    le dernier

    tiers du

    montage, qui

    concerne,

    à

    l'exception des

    vis rouges, des

    éléments

    déjà

    manipulés.

    Ce

    type

    de

    redondance

    semble

    davantage

    à

    la

    prégnance

    du mode de traitement adopté

    qu'à

    des préoccupations

    interactionnelles

    contraire

    mentla redondance de

    certaines

    évaluations

    (cf.

    30, ex. 7) ou à la répétition à des

    fin d'insistance (l'extérieur vs. milieu, 38-42, ex. 8).

    En

    résumé,

    les difficultés de conceptualisation

    et

    de formulation

    liées

    à

    la

    complexité de l'assemblage

    créent des

    tensions manifestes

    dans

    le discours

    d'Opal,

    de

    même

    que les réactions de

    D

    qui,

    malgré (ou à cause de) sa

    bonne

    volonté, la

    rappellent à son statut ďalloglotte. Opal réussit cependant

    à gérer la situation avec

    ses moyens linguistiques

    rudimentaires en

    procédant pas à pas, en décomposant les

    instructions dans un cadre syntaxique

    et rhétorique quelque

    peu

    rigide

    mais qu'elle

    finit

    par

    assouplir,

    et en

    s'appuyant

    sur

    les

    capacités

    d'inférence

    de

    sa

    partenaire.

    2.2.

    Pierric

    Etudiant

    non

    bachelier, Pierric a

    repris ses

    études après avoir exercé diverses

    professions

    en France

    et

    à l'étranger (manutentionnaire, bibliothécaire,

    responsab

    l 'une

    entreprise

    de transport...). Au moment des enregistrements,

    il est

    monit

    eur

    d'auto-école,

    formateur

    de

    formateurs

    et examinateur dans ce

    domaine.

    Il

    s'intéresse

    particulièrement

    à

    la

    pédagogie

    et aux langues

    étrangères (s'ajoutent à sa

    licence d'anglais des études de chinois

    et

    d'hébreu

    ainsi

    que des notions d'arabe).

    Voici

    son

    texte

    :

    76

  • 8/18/2019 article_lgge_0458-726x_1999_num_33_134_2193 (1)

    11/18

    (11)

    PIERRIC

    (fr.)

    et

    H. (fr.) 8

    1.

    P

    : pour

    commencer

    il faut prendre deux

    des

    petite

    cubes

    2. on va appeler

    ça

    des cubes

    d'accord ?

    1'. deux

    des petite cubes

    3. dans ces /

    4. chacun

    de

    ces

    cubes comporte des

    trous

    5. certains

    sont

    des trous

    à

    vis

    6. certains

    sont

    des trous

    libres

    hein

    ?

    7. donc pour

    l'instant on

    va relier ces

    deux

    cubes

    7'. un rouge et un vert

    7 . avec une

    des

    grandes

    vis

    8. puisqu'on

    a deux

    sortes

    de

    vis

    d'écrous

    9. donc

    tu prends un cube

    vert

    et un cube rouge et une

    des grandes vis

    10.

    le tout étant de

    relier

    mettre faire passer la vis dans le

    cube

    vert

    dans la

    partie qui

    ne

    se visse pas

    11. ensuite

    entre

    les deux on doit

    utiliser le

    joint

    violet

    12.

    et

    ensuite

    on

    va

    visser

    cette

    vis

    qui

    dépasse

    sur

    le

    cube

    rouge

    dans une

    des

    parties qui ne

    se

    vissent pas

    13. ensuite

    on

    va /

    14.

    ça

    c'est une

    partie

    15.

    donc on

    peut laisser

    ça

    de

    côté

    16.

    la

    deuxième

    partie qu'on va ensuite assembler à celle-ci

    17. mais

    il faut

    d'abord

    commencer

    à

    l'assembler

    16'. va se composer de la seconde grande vis

    de la petite

    rondelle

    blanche

    16 . que

    l'on

    enfile dans la vis

    18. ensuite

    on

    va mettre

    la plaquette

    de

    bois qui

    comporte

    trois trous

    18' la

    petite

    plaquette

    de

    bois

    qui

    comporte

    trois

    trous

    18 . dans un

    des

    trous extérieurs

    19. H: j'enfile

    lavis ?

    20.

    P

    : oui

    21. ensuite à cet assemblage

    on

    va

    ajouter le dernier

    cube dans une

    des

    parties

    qui ne

    comporte

    pas de pas de vis

    21'. que

    l'on

    va

    visser sur

    le cube rouge

    22. le

    dernier

    mouvement de cet

    assemblage

    va consister à fixer

    les deux petits boulons restante

    22'.

    les

    deux petits

    boulons

    rouges sur le cube vert

    22 . celui qui n'est pas contre la plaquette de bois

    22' .

    donc

    en

    face

    à

    face

    dans

    une des

    deux

    pas

    de

    vis

    23. H : dans

    n'importe

    quel côté

    ou

    quoi

    ?

    24. P : il suffit

    qu'ils soient

    face

    à

    face

    25. H : ah bon

    26. P : hm voilà

    27.

    et vous pouvez

    maintenant brancher votre

    téléviseur

    28. et essayer

    votre

    télécommande

    8. Le

    lecteur

    s'étonnera peut-être

    de

    voir

    un

    2

    s'intercaler

    entre 1 et

    1', ou

    des séquences du type

    7,

    7',

    7 .

    Nous

    essayons

    par

    de

    rendre compte

    des

    interruptions

    et

    reconnexions

    des

    énonciations.

    77

  • 8/18/2019 article_lgge_0458-726x_1999_num_33_134_2193 (1)

    12/18

    A.

    Un

    autre type de structuration. Pierric

    estime

    nécessaire d'indiquer à sa par

    tenaire à chaque

    moment important,

    où ils en

    sont

    dans

    le montage

    : pour

    commenc

    era с

    est

    une

    partie, la deuxième partie, le dernier

    mouvement

    de cet assemblage.

    Il

    marque également les ensembles internes à

    ces

    parties par (et)

    ensuite. Mais cette

    préoccupation va plus

    loin.

    Sa partenaire doit savoir

    ils vont, avoir une vision

    prospective

    de ce qu'il

    y

    a à faire : la deuxième partie

    qu'on

    va ensuite assembler

    à

    celle-ci.

    Les instructions de

    forme

    canonique, bien moins nombreuses que chez Opal,

    alternent avec des commentaires sur ce qui vient d'être

    dit,

    des

    descriptions

    d'objets

    et des

    descriptions

    prospectives et globales de parties

    du

    montage. En outre, la

    syntaxe des énoncés s'enrichit souvent de reprises, d'incises et

    d'enchâssements.

    Tout cela ne

    va

    pas sans

    causer parfois, pour

    Pierric, des

    problèmes de

    planification,

    et pour H

    une certaine

    perplexité.

    B. Un démarrage difficile.

    Comme dans l'interaction

    précédente,

    le

    besoin

    de

    descriptions

    se

    manifeste

    très

    tôt

    (4-6),

    ici

    à

    l'initiative

    de

    Pierric, qui anticipe

    une

    éventuelle incompréhension de H.

    La

    description des trous a une justification

    pratique, à la différence de la négociation des termes

    cubes et

    vis (2, 8),

    qui

    font

    partie

    du

    vocabulaire courant.

    Celle-ci

    fait partie des moyens mis en

    œuvre

    pour

    s'assurer

    la bienveillance de sa partenaire, avec la prise à témoin en 6 (hein) et, en 2,

    à la

    fois

    le d'accord

    et

    l'emploi de on. En disant on

    va,

    Pierric se fait porte-parole de

    l'ensemble toi et

    moi,

    uni par un contrat de collaboration à un projet commun, qui,

    au-delà

    du

    problème

    de vocabulaire,

    va

    pouvoir

    s'étendre

    à

    l'ensemble

    de la tâche.

    Ce on va consensuel se

    substitue à

    l'impersonnel

    il faut de 1, et la tâche imposée

    devient accomplissement volontaire et mené conjointement.

    Le

    puisque de 8

    confirme cette

    volonté

    de s'appuyer

    sur ce que l'autre ne peut

    qu'admettre. De

    même

    qu'avec

    hein

    et

    d'accord, la demande d'acquiescement

    peut

    difficilement

    être

    reje

    tée.

    Ces précautions ont

    un coût

    : 1,

    partiellement repris

    en 1',

    et son

    complément 7

    ne peuvent

    être

    exécutés

    et

    doivent être

    réitérés

    en 9-10.

    Cela

    explique

    sans doute le

    passage à une instruction plus directe (tu prends), qui contraste avec le caractère

    collaboratif du reste du

    texte.

    À cette personnalisation maximale répond

    l'imper-

    sonnalisation de 10. L'alternance des modalités (il faut

    I on

    va

    I

    tu prends

    I

    le tout

    étant de)

    manifeste

    l'alternance tension-euphémisation 9. Les

    deux

    ensembles qui

    suivent

    prolongent cette alternance (on doit

    I on

    va) et ne diffèrent

    du traitement

    prototypique-analytique que par l'absence de

    consigne

    de saisie.

    Sur

    sa lancée,

    il

    amorce

    même

    une

    consigne supplémentaire du

    même type

    (13)

    avant

    de s'apercevoir

    qu'il peut indiquer la fin de l'épisode.

    Et

    l'on peut

    déceler

    une connotation de

    soulagement

    en

    15 :

    on peut laisser

    ça

    de côté.

    С

    Un

    autre

    type

    de

    collaboration. La

    stratégie globaliste

    et prospective

    de Pierric

    s'affirme

    alors

    pleinement. En

    16-16'

    et

    22, il remplace on

    par un sujet inanimé

    (la...

    partie, le.

    mouvement)

    pris comme objet de description

    (se

    composer de, consister

    9.

    Ce

    phénomène,

    analysé par Vion (1992 : 237-248) a déjà été illustré par le commentaire des exemples

    (7)

    à

    (9)

    d'Opal

    ;

    cf.

    aussi

    Arditty

    (1991).

    78

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    13/18

    à).

    Les pièces

    à manipuler

    sont

    introduites de

    manière

    impersonnelle et l'opération

    qu'elles

    doivent

    subir

    enfouie dans

    une

    proposition subordonnée (que l'on enfile, à

    fixer...).

    Ce mode de traitement alterne cependant avec

    des

    instructions plus canoniques

    (18,

    21) et

    n'empêche pas

    une

    certaine décomposition de l'action, reposant sur

    la

    prosodie

    et

    sur

    les

    reprises

    pour

    accompagner

    les

    gestes

    de

    H

    :

    intonation

    d'inachè

    vement e la première

    et

    de la deuxième partie de 16', séparées

    et suivies

    d'une

    pause,

    en même

    temps

    que H

    saisit

    le

    premier

    puis

    le

    second objet avant

    d'effectuer

    le mouvement

    prévu,

    correspondant

    à

    16

    ; quasi-répétitions de

    18' et 22

    '-22

    qui

    laissent le temps à H de choisir l'objet souhaité.

    La

    répartition redondance/implicitation n'est donc

    pas

    ici du même

    ordre

    que

    chez Opal, même si Pierric recourt aussi à la déixis et si la perception que H doit

    avoir de la situation et sa connaissance pratique

    du

    monde sont mises à contribution

    pour interpréter

    entre

    les

    deux

    en 11,

    rétablir l'ordre

    des

    arguments

    de

    dans

    en

    16

    ou compenser

    l imprécision du

    vocabulaire (utiliser, encore une fois en 11 ou

    ajouter

    en

    21).

    Les

    répétitions

    déjà

    mentionnées

    et

    la

    forme

    longue

    des

    SN 10

    sont

    en

    partie

    justifiées

    par l'adaptation au rythme de l'autre. A cela s'ajoutent en 18-18'-18 deux

    autres

    phénomènes

    :

    (a) l'adjonction

    d'une relative

    à

    un SN déjà

    suffisamment

    discriminant (la plaquette de

    bois)

    permet de thématiser l'élément pertinent pour

    l'action

    suivante (trou) ;

    (b)

    l'emploi de petite

    n'a aucune

    valeur

    descriptive

    mais

    contribue au ton

    de collaboration

    familière

    que Pierric souhaite donner

    à

    l'interac

    tion

    H, silencieuse jusque là,

    propose

    une fin pour 18 et la question de vérification

    (23)

    montre sa volonté de coopérer. Il y a

    donc un

    changement dans la conception que

    H se fait de son

    rôle

    :

    jusque

    exécutante passive qui attend une formulation

    pleinement

    compréhensible pour

    manipuler, elle devient une

    partenaire

    active,

    devançant

    par

    ses

    questions

    la

    fin

    de

    la

    consigne.

    Quant

    à Pierric, il

    ne se

    contente

    pas

    d'un

    simple voilà pour conclure. Il propose

    en

    27-28

    le passage de la collaboration à la

    complicité

    et transpose son

    rôle,

    celui de

    sa partenaire

    et

    la nature de l'objet dans

    un

    autre

    monde

    où,

    technicien

    s'adressant

    à une cliente,

    il

    emploie

    le vous qu'il avait exclu de

    leur

    relation.

    C'est en

    lui-même,

    dans sa perception de la

    difficulté

    de la tâche et les contraintes

    supplémentaires

    qu'il

    se donne

    par

    souci de

    l'accomplir en

    prévenant les

    difficultés

    de l'autre

    et

    en la

    tenant

    constamment

    au

    fait des buts à moyen terme, qu'il

    faut

    chercher la source

    des tensions,

    qu'il module grâce à la souplesse de son système

    rhétorique.

    Son

    clin d'oeil

    final

    montre qu'il les

    a

    surmontées.

    3. Deux façons

    d'interagir avec l'absent

    3.1. Pierric

    Pierric tire deux leçons essentielles de son interaction avec H :

    10. Ainsi,

    les trous libres

    introduits

    en

    6 sont systématiquement

    repris

    sous

    la

    forme partie qui {ne se

    visse

    pas

    I

    ne

    comporte

    pas

    de

    pas

    de

    vis).

    79

  • 8/18/2019 article_lgge_0458-726x_1999_num_33_134_2193 (1)

    14/18

    (a)

    Ayant été

    obligé d'interrompre à

    plusieurs reprises

    ses

    premières consignes

    pour

    décrire

    les axes

    qui

    traversent les cubes,

    il

    décide de consacrer

    le

    début de son

    texte

    à l'énumération-description de l'ensemble des pièces

    :

    (12)1.

    ok

    donc

    on

    dispose [...(2)...]

    1'. de

    trois

    cubes de couleur

    1 .

    deux

    cubes

    verts

    et

    un

    cube

    rouge

    1' .

    les trois

    cubes étant percés de

    trous

    1 .

    certains des trous

    étant

    des

    trous

    à vis

    1' . d'autres

    des trous

    libres

    3. vous disposez aussi [...]

    4.

    vous disposez

    ensuite [...]

    4 .

    et d'une plaquette de bois [...] comportant

    trois

    trous

    (b) Lors

    du

    démarrage

    du

    deuxième épisode, sa

    présentation

    prospective de l

    ssemblage

    des deux sous-parties

    s'était avérée prématurée.

    Du

    coup,

    il

    décide aussi

    d'abandonner

    une

    de ses

    ambitions premières

    indiquer

    à

    l'autre

    les

    buts

    intermédiaires

    — même

    s'il

    continue à signaler la macro-structure de son texte u.

    Les

    deux

    décisions qu'il tire des difficultés rencontrées lui

    permettent

    de tra

    vailler

    davantage à

    la

    cohésion

    de son discours, en

    combinant

    la

    technique

    de

    l antéposition avec la pronominalisation et la relativisation :

    (13)

    5. alors première

    chose vous

    prenez

    un cube

    vert

    dans

    votre main

    5'. dans lequel vous glissez une

    des

    grandes

    vis

    5 . dans un

    des trous

    qui

    ne comportent

    pas de pas de

    vis

    6. ensuite au bout de

    ce

    cube vous y

    ajoutez

    le joint

    violet

    1 1

    deuxième partie

    vous

    prenez

    la

    seconde

    vis

    qui

    se termine

    par

    un

    écrou

    vert

    12. et vous y enfilez

    le

    second joint

    12'.

    qui est le

    joint

    blanc

    12 . sur

    lequel vous enfilez la plaquette qui comporte trois trous

    sur le trou extérieur

    Comme

    le

    montre 11-12 , les unités

    du

    textes ne concernent plus

    nécessairement

    la manipulation d'une seule pièce,

    mais sont des énonciations

    complexes

    comprenant

    une consigne

    de type

    classique

    et, pour le

    premier

    épisode

    et le début

    du

    deuxième,

    au moins une

    autre

    enchâssée

    dans

    une

    subordonnée.

    Cela est cohérent

    avec

    la

    préférence

    de Pierric pour les syntagmes longs

    (5 ),

    censés s'adapter

    au

    rythme

    d'exécution

    supposé

    :

    12'

    est

    ici

    l'équivalent

    des

    répétitions

    qu'il

    utilisait

    avec

    H

    et

    l'on

    trouve ailleurs,

    avec la même valeur, une

    apposition explicative

    :

    le

    troisième

    cube, le deuxième

    cube vert

    (cf.

    aussi 15'

    infra).

    Le

    contrôle de

    l exécution

    n'étant

    plus possible, cette redondance accrue se

    combine

    aussi avec

    une augmentation

    de la

    précision des termes renvoyant aux actions : glisser et enfiler

    remplacent utiliser

    et

    relier face à

    visser, et

    ces verbes sont systématiquement accompagnés de la descrip-

    11. Le premier épisode est encadré par

    alors

    première

    chose

    et с

    est la première

    partie

    de l'objet ; le

    second

    commence

    par deuxième partie et ce qu'il

    nommait

    le dernier mouvement. est signalé par ensuite

    pour

    terminer...

    Enfin certains ensembles,

    mais moins

    systématiquement

    que

    dans

    la première

    version,

    sont

    également signalés

    par

    ensuite.

    80

  • 8/18/2019 article_lgge_0458-726x_1999_num_33_134_2193 (1)

    15/18

    tion du trou correspondant. Fixer, utilisé pour la dernière opération, peut sembler

    vague, mais à ce

    stade

    aucune confusion n'est

    plus

    possible et un effort

    supplément

    airest

    fait pour préciser la

    position

    des pièces à l'intérieur de l'objet

    monté

    :

    (14)

    15 . [•••]

    deux

    petites vis

    à bout rouge

    15' .

    que vous allez fixer sur chacun /

    sur

    chacune

    des faces

    opposées

    d'un

    des

    cubes

    du cube

    vert

    qui

    n'est

    pas directement relié

    à

    la

    plaquette

    de

    bois

    La

    différence

    de relation

    au

    partenaire se manifeste

    évidemment

    aussi dans

    le

    choix

    de la forme d'adresse, les

    modalités

    et les appels plus ou moins

    implicites

    à la

    collaboration. A quelques exceptions près,

    {vous

    + présent de l'indicatif} remplace le

    {on va + V} de la situation précédente :

    on

    ne

    peut rallier un inconnu au projet

    commun avec les mêmes moyens.

    Il

    reste toutefois des traces de demandes de

    collaboration,

    à la fois

    — dans

    un

    démarrage semblable du texte (ok donc

    on

    dispose

    pour

    monter cet objet

    de

    trois

    I

    bon

    I

    cubes,

    on

    va

    les

    appeler

    des

    cubes

    hein ?)

    l'hésitation

    soulignée

    par

    bon manifeste encore une

    certaine

    insécurité

    ;

    — dans

    le

    marquage

    diaphonique

    qui présente

    une spécification comme

    ayant déjà

    été

    prévue par

    l'auditeur (en vissant

    [...] évidemment dans une

    des

    faces

    qui

    ne

    comportent pas de pas de vis) ;

    et

    dans

    le

    fait de terminer

    par une

    transposition de la

    situation

    (normalement

    vous n'avez plus qu'à

    tester votre instrument,

    il

    devrait

    fonctionner) évidemment

    moins bien

    réussie

    que

    dans

    la première

    situation. L'interlocuteur

    est absent et

    Pierric ose moins le

    registre

    ludique, mais, toujours conscient de la difficulté de la

    tâche

    (ensuite..

    il vous reste

    I

    il doit rester

    sur votre

    table

    deux

    petits

    écrous

    rouges

    reformulation

    que reprend

    normalement),

    il

    adopte

    l'ironie,

    tournée contre

    lui-même et ses

    capacités

    d'instructeur.

    3.2. Opal

    Comme Pierric, mais à

    l'initiative

    de

    D,

    Opal a dû

    interrompre

    ses premières

    consignes pour

    y

    insérer une description des trous. Elle le

    fait maintenant d'elle-

    même, avec son mélange particulier de métalinguistique et de descriptif et sa

    construction des objets

    par opposition,

    mais de

    manière

    plus systématique

    et

    en y

    ajoutant

    une conditionnelle

    (6')

    qui

    a

    valeur

    de

    suggestion

    (=

    regardez)

    :

    (16)4. et après

    on

    [a] besoin de [apri] un de

    le

    cube

    vert

    5.

    et

    sur le truc sans vis

    6.

    ça [vœ dir]

    6'.

    si on [vwa] le

    cube

    6 .

    on [рое

    vwar]

    le

    petit

    cercle

    dans

    dedans le cube

    6 '.

    et

    on

    [pœ

    vwar]

    un

    autre trou sans cercle

    dans le cube

    7. le

    trou

    sans

    cercle ça [vœ dir]

    trou sans vis

    8.

    l'autre avec

    le cercle ça

    [vœ

    dir] trou

    avec

    vis

    9. donc sur

    le

    trou sans vis

    [.

    ]

    81

  • 8/18/2019 article_lgge_0458-726x_1999_num_33_134_2193 (1)

    16/18

    5/9 montre qu'elle conserve et même

    développe son

    recours à

    l'antépoeition pour

    attirer l attention

    du partenaire

    sur la position cible tout

    en

    augmentant la cohésion

    du

    discours.

    Elle n'élargit

    pas, comme Pierric,

    à

    une enumeration des

    pièces

    mais

    produit une

    longue

    séquence descriptive

    vers la fin du texte

    :

    (17)

    28. et après

    on

    [a fe]

    ça on

    [a] besoin la

    planche

    /

    28'. quand

    on

    [a

    fe]

    la

    planche

    on

    [a]

    un petit

    L

    avec

    tout

    la

    partie

    que

    tu

    [a] eh [fini /

    finir]

    de [me]

    ensemble

    dans la planche

    29.

    au

    lieu de [forme]

    une

    boîte

    29'. on

    [a] besoin de [form]

    quelque

    chose comme un

    Z

    30. donc la planche [e] /

    31. *for example* quand on [vwa] le rouge

    31'. le [bwa] rouge de en

    bas

    le premier vert

    32.

    la

    planche aussi [a] besoin de [etr] en bas le

    l'autre

    vert

    Ce passage

    contient plusieurs

    innovations

    : utilisation de subordonnées pour

    indiquer

    la

    forme

    des

    états

    résultats (précisions

    absentes

    de son

    texte

    précédent

    et

    de

    ceux de Pierric) ; emploi accru des

    verbes

    d'état, combinés comme en 32 avec la

    modalité habituellement réservée aux instructions 12 ; apparition de formes verbal

    esomplexes

    ce sont clairement les

    distinctions

    aspectuelles

    qu'Opal

    cherche à

    faire percevoir.

    Si

    quelques

    alternances [pri] I [apri] montrent encore

    une

    recherche de la

    forme

    verbale « de base », en rapprochant les autres [a] préverbaux

    et le

    [a] eh

    [fini

    /finir]

    de...

    de l'exemple suivant,

    il

    devient clair

    qu'Opal

    cherche là à exprimer le

    révolu,

    et

    l'opposition

    entre

    révolu proche et plus lointain,

    notamment

    pour distin

    guer es différentes parties

    du

    montage.

    (18)25. et après on [a] besoin de [apri] la partie qu'on a

    déjà [fe]

    25'. le

    cube

    vert et le

    cube

    rouge

    26. et [met] dedans

    le

    nouveau partie que vous [et] en

    train de

    [vjë]

    de finir

    [apri]

    27.

    donc

    dedans le rouge

    27'. qui

    [e

    me]

    sur la table plate

    27 .

    sur le trou sans vis on [a] besoin de [vize]

    la

    dernière

    partie

    que tu [a

    vœnir]

    de finir

    Cet effort supplémentaire (qui

    accroît

    la

    tension, comme

    on

    peut le

    constater en

    28'

    et

    30-31,

    ex.

    17)

    est

    cohérent

    avec

    cet

    autre élément

    nouveau

    qu'est

    le

    signal

    ement e la macro-structure :

    outre

    la distinction

    entre

    les parties opérée

    dans

    l'ex.

    18,

    le

    texte

    commence par ok la

    première partie on [a]

    besoin de... et

    se termine

    par

    une

    conclusion,

    également marquée par la

    préoccupation aspectuelle :

    sur la

    fin on

    a

    un

    petit truc qu'on [a fini] de [fe]. Mais

    le

    procédé

    le

    plus

    original,

    même s'il

    est

    appliqué

    une

    première fois juste

    avant la fin de

    la

    deuxième grande partie,

    est

    l insertion du dialogue (question rhétorique + réponse en principe évidente) dans le

    monologue :

    12.

    Celle-ci est

    d'ailleurs devenue facultative : en 11,

    on

    a la [rôdul] violet a valeur de consigne de

    saisie

    d'un

    nouvel

    objet,

    cf.

    aussi

    ex.

    20.

    82

  • 8/18/2019 article_lgge_0458-726x_1999_num_33_134_2193 (1)

    17/18

    (19)22.

    [kes]

    gui [rest] ?

    23. [se] le cube vert

    33.

    donc

    [kes] qui

    [rest]

    ?

    34.

    [se] le

    deux vis

    petits rouges

    35. le

    petits

    rouges

    donc on

    [a] besoin de [vize] sur le premier

    cube

    vert

    35'.

    que

    [vuzave]

    35 .

    qui [e]

    au-dessus

    du violet

    35' .

    sur le trou avec vis

    36. on [a] besoin de [vize] les

    deux

    de chaque côté de le

    cube

    33-36

    montre

    à quel

    point

    la syntaxe

    d'Opal

    s'est complexifiée

    pour accroître à

    la fois

    redondance

    et

    précision

    et inclure

    des appels

    à la

    collaboration

    de l'autre

    (comme

    en

    16-17 : ...[mut] sur

    la table

    à

    plat d'accord).

    Cependant, à l'exception de 35', c'est

    on qui

    apparaît comme forme d'adresse et non

    plus

    le tu employé avec D :

    sans

    affirmer

    qu'elle

    a perçu toutes les

    distinctions

    faites

    par

    les francophones à

    l'inté

    rieur

    du

    système

    des

    formes

    d'adresse,

    on

    peut

    dire

    que

    son

    choix

    d'un

    moyen

    qui

    sera

    compris comme renvoyant à

    quiconque écoute

    cette cassette n'est pas dû au

    hasard. Elle

    passe

    ainsi, comme Pierric, même si les formes diffèrent, à un

    degré

    supérieur

    d'impersonnalisation.

    4.

    Le

    dispositif expérimental

    comme

    dispositif

    d'apprentissage

    Au

    cours

    de

    cette expérience, tous

    les

    instructeurs ont

    appris,

    par essais et

    erreurs, grâce aux réactions

    de l'exécutant dans

    la situation en face

    à

    face,

    à

    gérer

    deux

    situations nouvelles pour

    eux.

    Ils ont dû

    chercher

    à structurer à la

    fois

    leur

    représentation

    des

    mouvements

    qu'exigeait

    le

    montage

    de

    l'objet,

    et

    un

    discours

    qui

    puisse

    en

    rendre compte, et

    pour

    cela

    déjouer les pièges

    cognitifs,

    mémoriels et

    perceptuels

    imaginés

    par les chercheurs. Ils ont dû calculer les moyens

    d'enrôler

    l'exécutant

    présent, puis

    l'absent, dans

    la tâche commune

    qu'on

    leur proposait, en

    adaptant vocabulaire, modalités et formes d'adresse.

    Leurs comportements évoluent au cours de l'expérience, en général vers

    une plus

    grande efficacité et une plus grande souplesse : les performances linguistiques et

    discursives

    d'Opal

    et

    de Pierric se modifient

    au cours

    du

    face à face et d'une

    situation

    à

    l'autre.

    Tous

    deux augmentent la

    précision

    et la redondance de leurs instructions

    et

    systématisent les moyens de

    rendre

    les

    consignes moins

    directes.

    Opal

    finit

    par

    marquer

    comme

    Pierric

    la

    macro-structure.

    Lui

    abandonne

    les

    aspects

    les

    plus

    lourds

    de sa démarche globalisante,

    elle

    consacre une partie

    importante

    de ses

    efforts

    à décrire

    les états

    résultants.

    Il

    cherche à rendre

    son texte plus clair

    et

    plus

    cohésif

    sans lui faire

    perdre

    sa

    souplesse. Elle s'éloigne

    sensiblement, dans

    son

    second texte, du « mode prototypique ».

    Tout

    ceci

    est

    accompli

    par

    l'extension de

    moyens déjà présents dans la

    première

    situation.

    En revanche le

    travail

    linguistique

    mené

    par Opal sur le

    marquage

    du révolu est

    totalement nouveau.

    Sans

    qu'on

    puisse préjuger

    d'effets

    à moyen

    ou

    à

    long terme, et

    encore moins postuler un développement

    linéaire,

    le dispositif utilisé offre, sur

    le

    problème

    de l'acquisition,

    une

    entrée

    qui

    diffère aussi bien des études longitudinales

    classiques,

    qui

    comparent

    des

    états

    de connaissances

    à

    différents

    moments

    de

    la

    vie

    83

  • 8/18/2019 article_lgge_0458-726x_1999_num_33_134_2193 (1)

    18/18

    des

    sujets observés

    sans

    toujours se donner les moyens de

    prendre

    en

    compte

    les

    différences de

    situation,

    que d'études plus interactionnistes,

    qui

    recherchent dans

    l'immédiateté du

    face

    à

    face les « séquences

    potentiellement

    acquisitionnelles ».

    Nous

    ne savons pas où Opal

    a trouvé les modèles linguistiques

    qu'elle teste

    ici. Mais

    nous

    voyons une

    partie du travail

    qu'elle

    accomplit pour se les approprier dans

    une

    nouvelle situation

    où elle

    peut donner à leur emploi toute sa pertinence

    et où

    la

    nécessité

    de

    redondance

    justifie

    la

    surabondance

    des

    formes

    travaillées.

    Tous es

    instructeurs

    n'ont

    pas

    exploité

    de la même façon les caractéristiques du

    dispositif. Seule une étude des

    constantes et

    des variations

    inter-sujets

    (complétée

    par l'analyse d'autres types de situation) pourrait apporter un début de

    réponse à

    la

    question

    : « Structure-t-on son

    discours

    différemment

    selon son degré de maîtrise de

    la langue ? ». Nous

    pouvons

    déjà

    dire

    que cette

    réponse

    sera

    pour

    le

    moins

    nuancée

    si elle tient compte des différences individuelles et

    des

    effets de l'interaction. Notons

    toutefois

    que

    tous

    les alloglottes

    ont

    apporté

    la

    preuve

    que, même avec

    des

    moyens

    réduits,

    ils étaient capables

    de

    construire un

    discours

    adapté, et que

    ce

    sont

    eux qui

    ont globalement le plus modifié

    leur

    comportement en passant

    du

    face à face

    à

    la

    situation

    médiatisée.

    Pour cela, comme les francophones, ils ont bénéficié de

    l'apport

    des

    exécutants,

    co-responsables

    des

    textes produits, y

    compris

    en leur absence.

    Divers par

    leur

    tendance

    à

    l'anticipation

    et

    à

    l'intervention,

    bref

    par leur

    conception de leur

    rôle

    (elle-même

    influencée

    par leur perception de leur partenaire-instructeur), les

    exé

    cutants ont contribué à la représentation que les

    instructeurs

    pouvaient se faire d'un

    auditeur absent, et donc à la construction des seconds textes et

    à

    leur diversité.

    Et

    si

    instructeurs et

    exécutants ont appris — appris

    au moins

    à

    interagir ensemble

    c'est que la réalisation de la

    tâche

    représentait

    pour

    eux un enjeu et

    mettait

    en cause

    leur

    propre

    image, et qu'ils s'y

    sont

    investis, suffisamment pour

    co-construire

    à

    la

    fois

    un

    discours

    efficace

    et

    l'objet

    qu'il

    fallait

    monter.

    84