antoine artous, actualité de la théorie de la valeur de marx. a propos de moishe postone, temps,...

17
Publié sur Contretemps (http://www.contretemps.eu ) L'actualité de la théorie de la valeur de Marx. A propos de Moishe Postone, Temps, travail et domination sociale Lectures [1] L'actualité de la théorie de la valeur de Marx. A propos de Moishe Postone, Temps, travail et domination sociale DOMPDF_ENABLE_REMOTE is set to FALSE http://www.contretemps.eu/sites/default/files/images/Klee_BattleScene.large.jpg L'actualité de la théorie de la valeur de Marx. A propos de Moishe Postone, Temps, travail et domination sociale [2] S’il a participé au dernier congrès Marx International à Paris en septembre 2007, Moishe Postone, professeur d’histoire à l’université de Chicago, est peu connu en France. Seul un recueil de trois articles avait été publié, en 2003, sous le titre Marx est-il devenu muet ? Face à la mondialisation. Edité en langue anglaise en 1993 - avec une réédition en 2003, -Temps, travail et domination sociale n’a pas été discuté en France alors qu’il a donné lieu à de nombreux débats dans le monde anglo-saxon[1] . C’est un livre important. D’abord, par le caractère particulièrement ambitieux de son projet, formulé dès son sous-titre : « Une réinterprétation de la théorie critique de Marx » ; ensuite, par la force de sa critique de ce qu’il appelle le « marxisme traditionnel » et de sa propre lecture de Marx, développée à partir de la question décisive dans la tradition marxiste de la critique du travail, en lien avec la problématique de la critique de l’économie politique. Enfin, même s’il s’agit d’un livre « théorique » qui se situe à un fort niveau d’abstraction, Postone ne cache pas ses présupposés politiques. Il s’agit de relire Marx et de critiquer le « marxisme traditionnel » à la lumière de l’histoire du siècle passé des expériences du « socialisme réellement existant » et plus généralement de ce qu’il appelle l’évolution néo-libérale du capitalisme. La conception marxienne du dépassement du capitalisme ne peut pas être comprise ni « en termes de dépassement du seul marché », ni en termes « d’extension à toute la société de l’ordre planifié qui règne dans l’atelier puisque Marx décrit cet ordre comme celui de l’assujettissement total des travailleurs au capital » (p. 489). Ce livre de 600 pages se divise en trois grands ensembles : une critique du « marxisme traditionnel », une discussion serrée avec des auteurs de l’école de Francfort et une « reconstruction de la critique marxienne » à partir des textes de la « maturité » ( Grundrisse, Capital…). Il serait vain de prétendre « résumer » ici un tel livre, ou traiter l’ensemble des discussions qu’il engage, d’autant que la plupart des thèmes abordés ont fait l’objet de longs débats dans les années 1960-1980[2] . Un des défauts du livre est d’ailleurs de quasi d’ignorer (au moins dans les références) ces débats ; du coup, on a parfois l’impression que Postone est le seul à porter une critique radicale du marxisme traditionnel…. Outre cette critique, mon propos est de reprendre de façon discutante les thèmes tournant autour de la critique de l’économie politique, de la théorie marxienne de la valeur et du travail. D’abord, ils me semblent intéressants pour éclairer certains débats actuels ; ensuite ils permettent de prendre langue avec des auteurs français qui, eux aussi, ont développé la thématique de la critique de l’économie politique et remis en cause une lecture « ricardienne » de la théorie marxienne de la valeur, tout en développant (en particulier Jean-Marie Vincent) une critique du travail[3] . Au demeurant, cette mise en relation n’est pas fortuite. En effet, ces auteurs français ont accordé une place importante au livre d’Isaak RoubineEssais sur la théorie de la valeur de Marx qui vient d’être réédité[4] . Cet économiste russe des années 1920, qui disparut dans les camps staliniens, a été le premier à mettre clairement en évidence les ruptures de Marx avec la théorie de la valeur-travail de l’économie politique classique, notamment à travers la catégorie de travail abstrait. Sous cet angle d’ailleurs, je renvoie à mon introduction à cette nouvelle édition (que l’on trouve sur le site) pour une histoire plus détaillée sur la réactivation des débats sur la théorie de la valeur où l’on retrouve ces auteurs[5] .

Upload: valentin-huarte

Post on 16-Nov-2015

5 views

Category:

Documents


0 download

DESCRIPTION

Antoine Artous, Actualité de La Théorie de La Valeur de Marx. a Propos de Moishe Postone, Temps, Travail Et Domination Sociale

TRANSCRIPT

  • Publi sur Contretemps (http://www.contretemps.eu)

    L'actualit de la thorie de la valeur de Marx. A propos de Moishe Postone, Temps, travail et domination sociale

    Lectures [1]

    L'actualit de la thorie de la valeur de Marx. A propos de Moishe Postone, Temps, travail et domination socialeDOMPDF_ENABLE_REMOTE is set to FALSEhttp://www.contretemps.eu/sites/default/files/images/Klee_BattleScene.large.jpg

    L'actualit de la thorie de la valeur de Marx. A propos de Moishe Postone, Temps, travail et domination sociale [2]

    Sil a particip au dernier congrs Marx International Paris en septembre 2007, Moishe Postone, professeur dhistoire luniversit de Chicago, est peu connu en France. Seul un recueil de trois articles avait t publi, en 2003, sous le titre Marx est-il devenu muet ? Face la mondialisation. Edit en langue anglaise en 1993 - avec une rdition en 2003, -Temps, travail et domination sociale na pas t discut en France alors quil a donn lieu de nombreux dbats dans le monde anglo-saxon[1].

    Cest un livre important. Dabord, par le caractre particulirement ambitieux de son projet, formul ds son sous-titre : Une rinterprtation de la thorie critique de Marx ; ensuite, par la force de sa critique de ce quil appelle le marxisme traditionnel et de sa propre lecture de Marx, dveloppe partir de la question dcisive dans la tradition marxiste de la critique du travail, en lien avec la problmatique de la critique de lconomie politique.

    Enfin, mme sil sagit dun livre thorique qui se situe un fort niveau dabstraction, Postone ne cache pas ses prsupposs politiques. Il sagit de relire Marx et de critiquer le marxisme traditionnel la lumire de lhistoire du sicle pass des expriences du socialisme rellement existant et plus gnralement de ce quil appelle lvolution no-librale du capitalisme. La conception marxienne du dpassement du capitalisme ne peut pas tre comprise ni en termes de dpassement du seul march , ni en termes dextension toute la socit de lordre planifi qui rgne dans latelier puisque Marx dcrit cet ordre comme celui de lassujettissement total des travailleurs au capital (p. 489).

    Ce livre de 600 pages se divise en trois grands ensembles : une critique du marxisme traditionnel , une discussion serre avec des auteurs de lcole de Francfort et une reconstruction de la critique marxienne partir des textes de la maturit (Grundrisse, Capital). Il serait vain de prtendre rsumer ici un tel livre, ou traiter lensemble des discussions quil engage, dautant que la plupart des thmes abords ont fait lobjet de longs dbats dans les annes 1960-1980[2]. Un des dfauts du livre est dailleurs de quasi dignorer (au moins dans les rfrences) ces dbats ; du coup, on a parfois limpression que Postone est le seul porter une critique radicale du marxisme traditionnel.

    Outre cette critique, mon propos est de reprendre de faon discutante les thmes tournant autour de la critique de lconomie politique, de la thorie marxienne de la valeur et du travail. Dabord, ils me semblent intressants pour clairer certains dbats actuels ; ensuite ils permettent de prendre langue avec des auteurs franais qui, eux aussi, ont dvelopp la thmatique de la critique de lconomie politique et remis en cause une lecture ricardienne de la thorie marxienne de la valeur, tout en dveloppant (en particulier Jean-Marie Vincent) une critique du travail[3].

    Au demeurant, cette mise en relation nest pas fortuite. En effet, ces auteurs franais ont accord une place importante au livre dIsaak RoubineEssais sur la thorie de la valeur de Marx qui vient dtre rdit[4]. Cet conomiste russe des annes 1920, qui disparut dans les camps staliniens, a t le premier mettre clairement en vidence les ruptures de Marx avec la thorie de la valeur-travail de lconomie politique classique, notamment travers la catgorie de travail abstrait. Sous cet angle dailleurs, je renvoie mon introduction cette nouvelle dition (que lon trouve sur le site) pour une histoire plus dtaille sur la ractivation des dbats sur la thorie de la valeur o lon retrouve ces auteurs[5].

    http://www.contretemps.euhttp://www.contretemps.eu/lectureshttp://www.contretemps.eu/lectures/lactualite-theorie-valeur-marx-propos-moishe-postone-temps-travail-domination-socialehttp://www.contretemps.eu/lectures/lactualite-theorie-valeur-marx-propos-moishe-postone-temps-travail-domination-sociale

  • Le marxisme traditionnel selon Postone

    Par la catgorie de marxisme traditionnel , Postone ne vise pas un courant prcis du marxisme, ni un ensemble dauteurs mais une matrice de lecture de Marx. Elle consiste opposer la dynamique de socialisation des forces productives dveloppe par le capitalisme la proprit prive et lanarchie du march. La production industrielle est alors pense comme la base future du socialisme, via lappropriation collective des moyens de production. La critique du capitalisme, poursuit Postone, se centre sur une forme de circulation des produits du travail (le march) et non une forme production. Il sagit en fait dune critique du capitalisme faite du point de vue du travail , alors quil sagit de dvelopper, avec Marx, une critique du travail sous le capitalisme (p. 19).

    Nous allons retrouver ces thmes qui vont sclairer, notamment en ce qui concerne le travail. Lon pourrait discuter de la catgorie de marxisme traditionnel . Pour ma part, je pense quil faudrait parler de contradictions et de tensions au sein mme du marxisme (y inclus Marx), dont beaucoup ont t dailleurs discutes durant la priode de ractivation dun travail sur Marx, dans les annes 1960-70. Comme je lai dj signal, il est dommage que Postone ny fasse pas plus rfrence. Il crit par exemple quil nexiste pas de logique neutre de dveloppement des forces productives et que la production industrielle est faonne par le capital, qu'elle est la matrialisation des forces productives et des rapports de production (p. 520). La formule semble tout droit sortie de cette priode qui a vu, notamment, se dvelopper des critiques sur lconomisme d'un certain marxisme, qui escamote le fait que forces productives et rapports de production sont totalement imbriqus.

    Cette matrice est bien illustre par Engels danslAnti-Dhring. Pour lui, Le dveloppement de la grande industrie traduit une socialisation des forces productives dont le dveloppement est seulement bloqu par la proprit prive et lanarchie du march. Cette socialisation est porte par la classe ouvrire. Lorsque la classe ouvrire prend le pouvoir politique, il suffit dtatiser la production (supprimer la proprit prive) pour que cette socialisation sexprime. LEtat commence disparatre et lon peut passer ladministration de la production, travers le plan qui remplace le march comme forme de rgulation.

    Cela est devenu une vision dominante dans les premires dcennies du XX sicle, mme si, on le sait, des ruptures soprent sur la question de lEtat. Karl Kautsky, thoricien de la social-dmocratie allemande prsente le socialisme comme lextension de ladministration des chemins de fer lensemble de la socit. DanslEtat et la rvolution, Lnine explique que, une fois tatise, la grande industrie capitaliste est une base conomique toute prte pour la dictature du proltariat. Plus tard, il prsentera le taylorisme comme une organisation scientifique de la production dont doit se saisir le proltariat. La plupart des auteurs marxistes critiques de lpoque pensent que, une fois tatise, la gestion de lconomie relve simplement dun niveau technologique, organis travers le plan[6].

    Sil serait quelque peu simpliste dimputer le devenir de la rvolution russe une certaine lecture de Marx, il est manifeste que ce devenir (celui de lEtat-plan bureaucratique qui domine et exploite les travailleurs travers lorganisation industrielle) donne un certain clairage cette thmatique. Et il est ncessaire de souligner que lavnement du capitalisme suppose une double dpossession des producteurs ; et cest l aussi un thme des annes 1960-70. La premire, classiquement souligne, est dordre juridique, avec le dveloppement de la proprit prive des moyens de production. La seconde concerne la matrise technico-administrative du procs de production. Dans les formes de production prcapitaliste, la production est essentiellement rgie par un procs de travail individuel (Marx), dont le producteur direct a la matrise, alors que le capitalisme dveloppe un travailleur collectif (Marx). Mais ce procs de production collectif sorganise directement sous la frule du capital, travers une dpossession, sans cesse renouvele, de la matrise des producteurs directs. DansLe Capital, Marx a des analyses remarquables ( oublies par Engels) sur le dveloppement dune nouvelle forme de domination quil dsigne sous le terme de despotisme dusine et quil traite travers la catgorie de subsomption (soumission) relle du travail par le capital.

    On retrouvera cette question avec lanalyse du travail capitaliste. Mais, il faut souligner que cette construction dun travailleur collectif (au sens de procs de travail collectif) structur par le capital, permet de comprendre que la question nest pas seulement celle de la domination du capital sur le travail, mais galement celle de la domination du travail capitaliste, comme forme sociale, sur les producteurs.

    Et le march ?

  • Tout comme lanalyse du capitalisme ne relve pas de la seule sphre de la circulation, poursuit Postone, la valeur ne doit pas tre comprise comme exprimant seulement la forme de richesse mdiatise par le march (p. 185), elle renvoie galement une forme sociale spcifique, la marchandise, produite non pas par le travail en gnral mais par une forme spcifique de production. Cest l, on le verra, une question dcisive. Toutefois un problme apparat avec la formule seulement . Postone multiplie ce type de formule dans son livre (on ne peut pas faire appel seulement au march), sans que lon sache trs bien la place qu il faut accorder aux rapports marchands. En fait, Postone ne traite pas ne de place structurante de ces rapports dans le procs de valorisation.

    Ou alors, il le fait en distinguant une phase historique du capitalisme libral, dans laquelle la place du march est importante, dune phase historique post-librale dans lequel la place de la circulation devient marginale. Cest l une analyse dveloppe dans les annes 1930-40 par des auteurs de lcole de Francfort et dautres face aux dveloppements des formes tatiques (New Deal, nazisme, stalinisme) cristallisant, selon eux, diverses formes de capitalisme dEtat et/ou une convergence de nouveaux systmes tatiques de domination. Je ne veux pas rependre ici les dbats sur ces caractrisations. Il me semble toutefois que les dveloppements historiques ultrieurs ont montr la place toujours centrale du march dans le dveloppement du capitalisme ; surtout (ce que faisait Marx) si lon raisonne au niveau mondial.

    Limportant nest pas tant cette discussion que de constater labsence de rigueur critique de Postone (eu gard celle quil dploie pour dautres catgories) dans lapproche de la catgorie de march. Il ne semble connatre que la version librale du march autorgul . Le march a toujours t une ralit construite socialement. Ici aussi, il faut poursuivre le retour critique sur une certaine tradition marxiste (sappuyant sur certaines faiblesses duCapital) qui considre le march et lEtat comme deux entits extrieures lune lautre, alors quelles sont constitutives lune de lautre ; ainsi les analyses du rapport montaire et du rapport salarial font apparatre la place constitutive de lEtat dans ces rapports. Et comme le font remarquer Pierre Salama et Tran Hai Hac, lopposition de la tradition marxiste entre un march, qualifi danarchiste oppos un plan, suppos rationnel, est un facteur qui a pouss croire quil suffisait de remplacer le march par le plan (en fait lEtat) pour sorienter vers une gestion consciente de lconomie[7].

    Ce nest certes pas le cas de Postone. Mais, il est tonnant de voir comment la place de lEtat nexiste pas dans ses analyses du capital. De faon plus gnrale, Marx analyse le capitalisme comme un rapport marchand dexploitation. Cest une source de difficult (il faut articuler deux niveaux danalyse[8]), mais cest galement ce qui fait la spcificit de lapproche de Marx dans lanalyse du rapport dexploitation capitaliste et dans la figure du salari comme travailleur libre . On verra que Postone gomme cette dimension. Une chose est de rcuser une vision de la classe ouvrire comme classe sociale porteuse dune vraie socialisation par le travail, autre chose est de gommer les contradictions portes par la figure du travailleur libre .

    La critique de lconomie politique

    Toutes ces remarques nenlvent rien lintrt de lapproche de Postone qui entend fonder le marxisme comme thorie critique partir de la thmatique de la critique de lconomie politique marxienne, et, plus particulirement des textes dits de la maturit ; cest--dire de la priode duCapital dont le sous-titre est critique de lconomie politique . La rfrence la critique lconomie politique est une constante dans luvre de Marx, notamment partir desManuscrits de 1844.

    Cette formule traduit sans nul doute non seulement une posture critique face au monde tel quil va , mais galement une approche scientifique (pistmologique) constante consistant spcifier lobjectivit particulire du rapport conomique, et plus gnralement du rapport social, du socio-historique Cette objectivit est bien relle, mais elle est toujours spcifie historiquement. Cest ainsi quil faut comprendre la formule de Marx dans le livre 1 duCapitalo il traite du ftichisme de la marchandise : Les catgories de lconomie bourgeoise sont des formes de lintellect qui ont une vrit objective, en tant quelles refltent des rapports sociaux rels , mais historiquement situs[9]. Il ne faut pas entendre de faon mcanique cette formule de reflet que Roubine emploie galement. Ces catgories sont un lment structurant du social qui a toujours une dimension idelle, comme le souligne Maurice Godelier[10].

    Cela dit, le sous-bassement de cette critique volue. Dans lesManuscrits de 1844, elle est porte par un discours anthropologique sur le travail, considr comme essence de lhomme ; cest--dire comme cadre transhistorique dauto-production de lhomme en tant qutre humain. Le jeune Marx loue dailleurs lconomie politique davoir mis au jour cette dimension du travail, mais cette essence apparat de faon aline dans le capitalisme. La critique est donc, en quelque sorte, extrieure lconomie politique dont les auteurs sont dailleurs censs exprimer scientifiquement la ralit de la socit bourgeoise.

    Dans la priode duCapital, lapproche est trs diffrente : Marx entend remettre en cause lconomie politique classique sur le terrain mme de la connaissance des rapports conomiques. Cest pourquoi - et Marx a des formules dans ce sens - ,

  • Le Capital a t souvent prsent simplement comme une uvre poursuivant leffort de scientificit de lconomie politique, en particulier de Ricardo pour qui le travail est la substance de la valeur ; y compris chez des marxistes critiques[11].

    Or cest en tout cas ma lecture -, Marx ne vise pas fonder une science de lconomie, il sagit pour lui de remettre en cause les prsupposs de lconomie politique classique (Smith, Ricardo) qui traite les catgories conomiques comme des donnes transhistoriques naturelles. La thorie ricardienne de la valeur travail est une catgorie ftichise [12], selon la formule de Pierre Salama et Tran Hai Hac, au sens o elle naturalise ce qui est le produit de certains rapports sociaux, faisant ainsi du travail une catgorie transhistorique. Comme lcrit Postone : Ricardo na pas reconnu la dtermination historique de la forme de travail lie la forme marchandise, il la transhistoricise (p. 91).

    La catgorie de forme sociale

    En rcusant cette problmatique transhistorique, Marx ractive sa problmatique de la spcificit de lobjectivit du socio-historique. Trs souvent, crit Postone, les catgories de la critique de Marx ont t prises pour des catgories purement conomiques alors quelles devraient tre comprises en tant que dtermination de ltre social sous le capitalisme (p. 37). La formule est trs proche de celle de Roubine sur ftichisme : il nest pas seulement un phnomne de la conscience, cest aussi un phnomne de ltre social [13].

    Outre quil rend compte de la thorie du ftichisme de la marchandise dans son lien avec la thorie marxienne de la valeur, Roubine prend au srieux la catgorie marxienne de travail abstrait, jusqualors peu traite dans les commentaires. Elle est pourtant importante puisque lun des apports de Marx est dexpliquer que cest le travail abstrait qui cre la valeur. Marx lui-mme a des formules qui suggrent que le contenu de ce travail abstrait une ralit purement physiologique (dpense dnergie). Si cest le cas, remarque Roubine, on voit mal comment la valeur serait, elle, une forme sociale objective, mme si lie des rapports sociaux spcifiques. Postone cite Roubine ce propos et explique bien comment le travail concret, qui produit la valeur dusage, et le travail abstrait, qui produit la valeur, ne se rapportent pas deux types de travail diffrents, mais aux deux aspects du mme travail dans la socit dtermine par la marchandise (p. 215).

    Je vais revenir sur larticulation de lensemble des catgories de la thorie marxienne de la valeur, mais il faut souligner avant quune des particularits de Roubine est davoir insist sur limportance de la catgorie de forme sociale chez Marx, afin de rendre compte dune objectivit non pas matrielle, mais sociale, cest--dire renvoyant des rapports sociaux historiquement situs. Ainsi une table considre comme marchandise a une matrialit physique (du bois, par exemple) lorsquelle considre comme valeur dusage ; par contre, comme valeur, elle ne contient pas une once de matire, tout en ayant une objectivit sociale.

    Postone insiste lui aussi fortement, du point de vue pistmologique, sur la notion de forme sociale ou de forme sociohistorique. De ce point de vue, comme je lai dj soulign, la rfrence la mthode marxienne de la critique de lconomie politique suppose une certaine approche de la spcification historique du social. Ainsi que lcrit Postone, la critique de Marx nimplique pas une thorie de la connaissance au sens propre, mais bien plutt une thorie de la constitution de formes sociales historiquement spcifiques qui sont des formes dobjectivit et de subjectivit sociales (p. 323).

    Ou encore, pour reprendre une formule dtienne Balibar, la socit (comme ensemble de rapports sociaux) produit des reprsentations sociales dobjets en mme temps quelle produit des objets reprsentables et des formes dindividualisation sociohistorique des individus[14]. Ainsi, pour prendre cet exemple, les rapports sociaux capitalistes gnrent une forme dobjectivit particulire des produits du travail (la marchandise), mais galement une certaine figure sociale de lindividu changiste (le sujet du droit moderne). Et cette forme dindividuation est contradictoire avec celle gnre dans le procs immdiat de production (le procs de travail) que Marx dsigne sous la figure du travailleur parcellaire , simple appendice de la machine.

    La valeur comme forme sociale

    Marx ne se contente pas de remettre en cause les prsupposs de lconomie politique, il entend galement produire une meilleure connaissance des rapports de production capitalistes en termes danalyses conomiques mais galement de conceptualisation. Et lon voit bien dailleurs que cette faon de faire de la science est porteuse de difficults et de contradictions (donc, de lectures diffrentes possibles de textes de Marx). Dautant plus que les modles scientifiques de lpoque sont trs marqus par le positivisme.

  • Du point de vue conceptuel, Marx prend comme point de dpart lconomie politique classique, en particulier la thorie valeur de Ricardo pour qui le travail est la substance de la valeur dchange. Trs souvent, y compris dans le marxisme critique et/ou radical[15], on se contente de souligner la rupture de Marx par rapport Ricardo en ce qui concerne lanalyse de la survaleur (plus value) : elle est produite par une marchandise un peu particulire, la force de travail, dont la valeur dusage est de produire de la valeur. Pour le reste, on a limpression que Marx sest content de plus ou moins historiciser les catgories de Ricardo, alors quil produit son propre systme conceptuel dans lanalyse mme de la marchandise[16]. Voyons plus en dtail.

    Sous le capitalisme, pratiquement tout sachte et se vend, cest--dire prend la forme de marchandises. Comme forme sociale, chose sociale (Marx), la marchandise se prsente, selon Marx, sous deux aspects : valeur dusage et valeur. Comme valeur dusage[17] (bien matriel et/ou service) les marchandises visent satisfaire tel ou tel besoin particulier (utilit du produit) et se distinguent ainsi les unes des autres. Comme valeur, la marchandise a la proprit de schanger dans des proportions dtermines valeur dchange avec dautres marchandises ; cest ce qui fait lunit des marchandises.

    Le travail concret est celui qui produit la marchandise sous langle de la valeur dusage ; il sagit donc du travail comme activit technique de production dun objet (bien et/ou de services). Par dfinition, les travaux concrets sont diffrents les uns des autres. Le travail abstrait produit la marchandise considre sous langle de la valeur ; il dsigne une qualit commune, homogne de tout travail, indpendamment de sa forme concrte, en faisant abstraction des formes techniques de production.

    Le systme conceptuel de Ricardo est diffrent puisquil ne parle que du couple valeur dusage/valeur dchange et de travail en gnral. Marx dit dailleurs explicitement que, outre sa thorie de la plus-value, son apport conceptuel par rapport lconomie politique classique est lanalyse du double caractre du travail. Marx ne se contente donc pas dhistoriciser lapproche de Ricardo, il introduit deux concepts particuliers exprimant quil ne renvoie pas au travail en gnral, mais un travail spcifi historiquement : le travail abstrait qui est la substance de la valeur.

    La catgorie de travail abstrait cristallise la spcificit (et la difficult) de la thorie marxienne de la valeur. Son homognit ne provient pas de la nature, mais dun rapport social spcifique. Il dsigne le caractre social (valid socialement) du travail sous le capitalisme. Cest travers lchange marchand que se comparent (sgalise) les diffrents travaux et se cristallisent le travail abstrait comme forme sociale. Dans ce cas-l, le travail abstrait est dit tel car il fait abstraction des formes concrtes. Cest l me semble-t-il, lapproche dominante dans la priode duCapital. Je renvoie lannexe 1 sur le travail abstrait pour un retour plus dtaill sur ces discussions et des remarques sur Postone qui rencontrent des difficults dargumentation cause de son absence de rfrence au march.

    Enfin, Smith et Ricardo (et Aristote) font rfrence la seule valeur dchange, la plus visible socialement. Lintroduction de la catgorie de valeur exprime la critique porte par Marx lconomie politique classique. La seule proccupation de cette dernire est lanalyse de la commensuralit des marchandises (la mesure de la proportion dans laquelle elle schange) ; cela est logique car la cration de la valeur par le travail est une donne naturelle. Pour Marx, au contraire, le problme est de comprendre dans quelle condition historico-sociale le travail produit de la valeur. Pourquoi les produits du travail se prsentent comme marchandises ayant une valeur ? La thorie marxienne est une thorie non pas de la valeur-travail, mais de la valeur comme forme sociale des produits du travail et, plus gnralement, une thorie de la forme valeur des acteurs et des relations sociales , comme lcrit Jean-Marie Vincent[18] .

    Travail et domination

    La production capitaliste ne produit pas les marchandises pour leur valeur dusage, mais comme simple porte-valeur, comme simple support du procs de valorisation. Largent ne devient du capital que si ce dernier sauto-valorise, sil cre de la valeur. On connat lapproche de Marx. Il met en vidence lexistence dune marchandise particulire la force de travail dont la valeur dusage est de produire de la valeur. La survaleur (lauto-valorisation du capital) est alors la diffrence entre le salaire (cens reprsenter la valeur dchange de la force de travail marchandise) et la valeur cristallise dans la marchandise produite par le travail salari.

    Marx analyse ici la spcificit de lexploitation capitaliste dans sa diffrence avec, par exemple, lexploitation fodale dans laquelle lexploitation prend une forme directe, visible : les paysans vont travailler sur le domaine du seigneur ou lui fournissent directement du surproduit. Dans ce cas, et lexemple vaut pour toutes les formes prcapitalistes, Marx explique que la socit se structure travers des rapports personnels de dpendance. Comme lcrit Postone, le travail est enchss ( encastr disait Karl Polanyi[19]) dans des rapports sociaux non dguiss , qui affirment explicitement les hirarchies sociales.

    Lavnement du capitalisme se traduit donc par une profonde rorganisation des rapports sociaux et de lobjectivit du social, notamment en ce qui concerne le travail. Ce dernier se dsencastre des rapports sociopolitiques et la socit met au centre les activits de production. Pour caractriser ce basculement, Postone explique que le travail devient la nouvelle forme de mdiation sociale qui innerve lensemble des rapports sociaux. On notera que Postone, alors mme quil souligne que la caractristique du nouveau systme est que

  • les individus sont forcs de produire et dchanger des marchandises pour survivre (p. 237), nindique pas lautre face de cette nouvelle mdiation: la gnralisation des rapports marchands, dont le point darrive est prcisment la marchandisation de la force de travail. On peut certes en discuter, mais il est indniable que dansLe CapitalMarx entend rendre compte dun procs social de production (et plus gnralement de socialisation) dans lequel des procs de production prive se transforment en production sociale, via le march[20]

    Cela dit, lavnement du capitalisme nest effectivement pas rductible au dveloppement de la proprit prive des moyens de production. Les producteurs perdent galement la matrise dun procs de production qui, sorganise comme un procs collectif, au travers du travailleur collectif (Marx). Mais ce dernier se structure travers une forme de domination particulire de domination que Marx caractrise comme despotisme dusine , ce travailleur collectif se cristallise sous la forme de lorganisation capitaliste du travail. Cette nouvelle forme historique de domination se dploie galement hors de lentreprise, afin de fabriquer la marchandise force de travail (pour constituer la force de travail comme marchandise). Notamment avec ce que Marx appelle la subsomption (soumission) relle du travail par le capital.

    La soumission relle ne veut pas dire que le capital se contente de dvelopper une domination sur un procs de travail qui, lui, garderait une figure plus ou moins artisanale. Il produit, notamment avec le machinisme, un systme spcifique de production et de domination. Et lon peut dire avec Postone que, sous le capitalisme, le travail nest pas seulement lobjet de la domination : il est la source constitutive de la domination (p. 415). Au demeurant, ds 1977, dans un article intitul La domination du travail abstrait , Jean-Marie Vincent avait soulign comment le procs de valorisation transformait le travail en une srie de formes sociales abstraites qui modle lactivit des individus[21].

    Si lon tire la thorie marxienne de la valeur du ct de Ricardo et dun discours transhistorique sur le travail, lclairage est diffrent. Laxe dominant devient lmancipation du travail. Comme le souligne Jean-Marie Vincent[22], Engels donne le ton en faisant du travail un rfrent naturel de la valeur et en considrant le travail comme un lment cl de toute socit. Il est un lment anthropologique fondamental qui a connu beaucoup de transformation dans lhistoire, mais il est rest toujours domin, y compris sous le capitalisme qui permet denvisager un socit tout entire centre sur le travail enfin mancipe. Le principe ontologique de la socit apparat ouvertement, alors que sous le capitalisme il est cach , crit Postone (p. 98).

    La figure du travailleur libre

    Postone se ne contente pas de critiquer les problmatiques faisant de la classe ouvrire une classe porteuse de lmancipation du travail. Il ajoute : le classe ouvrire fait partie intgrante du capitalisme au lieu den incarner la ngation (p.35). Il ne faut pas se tromper de discussion. Postone nignore pas que le rapport dexploitation capitaliste gnrent des conflits sans cesse renouvels, il souligne que ces conflits ne sintgrent pas dans une contradiction antagonique, pour employer une vielle catgorie, mais font partie des mcanismes contradictoires de reproduction du capital. Et il est vrai que sa tendance rvolutionner les forces productives nest pas leffet dune simple logique conomique , mais lexpression sans cesse renouvele, de la lutte des classes. En effet, pour le dire vite, il sagit de dvelopper la plus-value relative par des gains de productivit et/ou de remodeler sans cesse le procs de travail afin de briser les rsistances des travailleurs.

    Il faut toutefois entrer plus en dtail dans lanalyse du rapport dexploitation capitaliste[23]. Il se traduit par la gnralisation du salariat qui ne renvoie pas seulement la marchandisation de la force de travail, mais la figure du travailleur libre qui soppose celle du producteur dpendant comme lesclave et le serf. Jai dj signal comment le rapport salarial saisissait lindividu travers un procs dindividuation contradictoire : dune part comme individu libre et gal ; dautre part comme travailleur parcellaire soumis au despotisme dusine. Il faut bien comprendre les enjeux de cette contradiction.

    Tout dabord, la saisie du salari comme sujet de droit (galit et libert) est certes une forme qui dissimule un contenu (lexploitation), elle nest pas pour autant de pure forme et/ou une simple superstructure juridique, elle gnre des formes de socialisation contradictoire la logique de soumission relle du travail au capital. Plus gnralement, alors que le statut de lesclave ou du serf est entirement structur par le rapport dexploitation comme rapport de domination, la domination (hors procs de travail) du capital sur la reproduction de travail nest pas donne ; notamment parce que cette reproduction ne se fait pas travers une domination directe du capital. Et cela a naturellement des consquences au sein du procs de travail immdiat.

    Je ne vais pas entrer ici en dtail dans ces analyses[24]. Je voulais simplement souligner que les rapports dexploitation capitaliste (donc les luttes de classes) produisent bien une srie de contraction qui prennent racine dans, justement, la spcificit de ce systme dexploitation. La figure du travailleur libre, qui fait la spcificit de lexploitation capitalisme, produit des dynamiques irrductibles la domination capitaliste.

  • Les individus sont domins par des abstractions

    La thmatique de labstraction comme forme moderne de domination dveloppe par Postone est dimportance. Elle est prsente chez Marx, notamment dans lesGrundrisse. Contrairement aux rapports personnels , les rapports de dpendance se manifestent de manire telle que les individus sont dsormais domins par des abstractions, tandis quauparavant ils taient dpendants les uns des autres[25] . Pour autant Marx ne jette aucun regard romantique sur les socits o rgnaient des rapports personnels (de dpendance), Postone non plus dailleurs. Ni Jean-Marie Vincent qui, en France, a fortement fait rfrence la dialectique des abstractions relles [26] comme forme spcifique de domination produite par le procs de valorisation. Les rapports sociaux se coagulent en dehors des hommes, se placent en extriorit par rapport aux relations sociales plus immdiates, parce quils finissent par dpendre dabstractions sociales.

    La rencontre de Postone et Jean-Marie Vincent sur cette thmatique et sur la catgorie dabstraction relle doit beaucoup la confrontation permanente des deux auteurs avec lcole de Francfort. Et cela en rfrence la critique de lconomie politique, mal connue par ce courant qui a tendance dvelopper une lecture conomiste duCapital. Par contre, pour Postone et Jean-Marie Vincent le mouvement de domination des abstractions sociales et la dialectique des abstractions relles relve dabord de la dialectique de la forme valeur et non pas de celle des diffrentes figures de la raison (raison instrumentale). Comme lcrit Postone : Le travail social en tant que tel nest pas une activit instrumentale ; mais le travail sous le capitalisme est, lui, une activit instrumentale. (p. 268)

    Postone ptit dailleurs dun handicap dans lanalyse par son refus de prendre en compte la dimension structurante des rapports marchands et donc de traiter frontalement la thorie du ftichisme de la marchandise qui est pourtant lautre face de la thorie marxienne de la valeur. Le ftichisme, cest ce mouvement travers lequel le produit du travail se transforme en une chose sociale . Isaak Roubine montre que cest un lment cl du procs dabstraction des relations sociales. Les marchandises sont des choses sociales (Marx) qui ne se contentent pas de cacher les rapports sociaux entre les hommes, elles les organisent, fonctionnant alors,via le march, comme lien mdiateur entre les hommes.[27]

    Les expriences du socialisme rel ont montr que la domination des individus par des abstractions sociales na pas t supprime mais renforce, sous un certain angle. Pour Postone, cela ne pose pas de problmes thoriques particuliers puisque ces pays, qui avaient marginalis le march, taient une simple variante de capitalisme. Il sagissait de formes contrles par lEtat lEst (et) de formes centres sur lEtat lOuest (p. 572). Si on ne le pense pas cest mon cas il faut montrer comment ces mcanismes dabstraction sociale se sont cristalliss travers le ftichisme de ltat-plan (voir annexe 2).

    Reste, justement, la question de ltat dont Postone ne dit pas un mot. La chose est assez tonnante. On dira quil sen tient lanalyse des catgories centrales de la critique de lconomie politique . Justement, les dbats des annes 1960-1980 ont montr que lon ne pouvait se contenter de faire de ltat une simple superstructure , mais quil fallait rendre compte de sa prsence ds la forme dexposition gnrale de ces catgories. Il est en particulier difficile danalyser la marchandisation de la force de travail sans prendre en compte la prsence constitutive de ltat. Mais lon a vu que Postone ne traite pas du rapport salarial.

    En fait cet oubli de ltat renvoie un problme plus profond. Postone parle du caractre impersonnel, abstrait et gnralis dune (nouvelle) forme de pouvoir dpourvu de lieu institutionnel concret ou personnel rel ( p. 564). Certes, ltat moderne rompt avec celui des socits prcapitalistes, o la domination passe travers des rapports personnels de dpendance et le pouvoir politique est toujours concret . Mais sil devient un pouvoir politique impersonnel et abstrait , il nen joue pas moins un rle structurant dans la production et la reproduction des rapports sociaux.

    Un dveloppement contradictoire

    Sil naime pas trop la catgorie de classe, cest bien lexploitation capitaliste que Postone renvoie afin de traiter la trajectoire de la production. Parce que le but de la production capitaliste est la survaleur, il engendre une pulsion incessante vers laugmentation de la productivit ce qui finit par conduire au dpassement du travail humain immdiat par les forces productives du savoir socialement gnral comme premire source sociale de richesse matrielle. Cependant et cest essentiel , la production capitaliste est et demeure fonde sur la dpense de temps de travail humain prcisment parce que son but est la survaleur (p. 501).

    La citation est un peu longue, mais ncessaire[28]. Postone commente en effet des passages desGrundrisse et plus gnralement une thmatique de Marx. Pour le dire vite, Marx insiste sur les possibilits ouvertes par le dveloppement capitaliste des forces productives et, notamment, par le dveloppement de la science dans la production. Il est question dune production o lhomme se comporte en surveillant et en rgulateur du procs de production

  • et o le temps de travail immdiat ncessaire la production de richesse tend disparatre au profit de cette productivit et intelligence cristallises socialement.[29] Ces passages sont remarquables par lintuition thorique du devenir dont fait preuve Marx, mais ils ont ouvert galement sur de nombreuses interprtations et discussions.

    Ainsi, ils ont t repris par des thoriciens de la fin du travail ou du capitalisme cognitif pour annoncer louverture dune nouvelle phase du capitalisme dans lequel la valeur aurait (plus ou moins tendanciellement) disparu ou devenu une coquille vide, en lien avec une production devenue immatrielle ; il faudrait nuancer le propos car on y retrouve des auteurs trs diffrents (Andr Gorz, Tony Negri, Carlo Vercellone) et des problmatiques volutives[30]. Limportant ici est de souligner que, outre quil montre bien que le procs de valorisation nest pas li la matrialit physique dun produit[31] , Postone affirme clairement quil sagit dune tendance contradictoire porte par le dveloppement du capitalisme, car ce dernier est fond sur la survaleur produite par la dpense du temps de travail. Il ajoute avec raison que cela se traduit par des phnomnes de renforcement de la parcellisation du travail immdiat. En ce sens, mais en ce sens seulement, on peut reprendre une formule d'Andr Gorz : Le capitalisme cognitif est la crise du capitalisme [32].

    Cest une contradiction interne au dveloppement des forces productives capitalistes, prcise Postone. Pas seulement. Ici encore, il faut distinguer deux niveaux de discussion. Par ce type de formule Postone veut rcuser juste titre toute approche laissant croire que ce dveloppement serait porteur dune sociabilit gnrique comme le croyait un certain marxisme. Mais il porte bien une dynamique de socialisation de la production, mme si elle existe sous la forme dune socialisation capitaliste qui se cristallise dans les abstractions sociales dont nous avons parl. Postone le dit sa faon : le capital est la forme relle dexistence des capacits de lespce (et non plus celles des seuls travailleurs) qui se constituent historiquement sous une forme aline en tant que forces socialement gnrales (p. 512). Cette contradiction ouvre donc sur un possible port, contradictoirement, par le dveloppement du capitalisme.

    Thorie critique et stratgie

    Ce nest pas le renvoi aux capacits de lespce, et non pas des seuls travailleurs, qui pose problme, mais la rfrence la problmatique de lalination. Dans son livre, il critique plusieurs reprise la thmatique de lalination des textes de jeunesse en particulier lesManuscrits de 1844 car ils dvelopperaient une problmatique essentialiste a-historique, visant retrouver une essence humaine dj constitue, mais qui tait perdue. Par contre, dans les textes de la maturit, il sagit de dpasser lalination non pas par la rappropriation dune essence ayant exist antrieurement, mais la rappropriation de ce qui sest constitu sous une forme aline (p. 57). Il est ncessaire de critiquer la problmatique essentialiste qui se traduit dans la thorie de lalination des textes du jeune Marx[33] Mais il est important de comprendre que contrairement ce que dit Postone, pour le jeune Marx lessence humaine nest pas dj constitue : elle se construit travers lhistoire.

    Ainsi, lorsque dansLes Manuscrits de 1844, lorsque le jeune Marx explique que le travail est lessence de lhomme, il ne fait pas rfrence une essence ayant exist dans le pass . Il connat Hegel : cest une essence qui sest construite historiquement et qui se prsente sous une forme aline dans le capitalisme. Le dpassement de cette alination permet donc cette essence de se raliser ; le travail non alin devient en fait lexpression de la libre auto-activit de lhomme. Cest pourquoi cette poque la perspective de Marx est celle de labolition du travail, que lon retrouve dailleurs dansLIdologie allemande. Dans lesGrundrisse, Marx explique que le travail ne se transforme jamais en un jeu , comme lavancent certains socialiste utopiques (comme Fourier). Mais la perspective de transformation du travail en modle dauto-activit libre rapparat aussi dans un texte aussi tardif que laCritique du programme de Gotha.

    Il existe donc une utopie rcurrente chez Marx de transformation du travail en activit libre. Elle permet de comprendre comment ct de lvolution du mouvement ouvrier qui, sous des formes diverses, va valoriser la figure de lhomo faber du producteur et donner un statut quasi ontologique la production, se soit maintenu un marxisme critiquant les formes de travail capitaliste, tout en maintenant une problmatique dmancipation centre sur le travail. Postone ne se situe pas tout fait dans cette logique, il parle simplement dabolition du travail proltarien , sans que lon sache trs bien ce que cela veut dire. Postone prend comme point de dpart la critique de lconomie politique des textes de maturits, mais fait en quelque sorte une rgression vers les textes de jeunesse et la thmatique de lalination pour rsoudre les problmes rencontrs.

  • Contrairement son ambition affirme, ces analyses de lalination et de son dpassement recoupent en dfinitive assez largement une posture classique dans la tradition marxiste ; elles permettent notamment le dploiement dun discours radical sur labolition du travail proltarien sans trop cependant sattarder sur le contenu de ce dpassement. Sinon en voquant, brivement, la possibilit dune rorganisation radicale de la production sociale sur la base dune presque complte automatisation des activits qui sont aujourdhui ralises au travers du temps de travail immdiat (le travail immdiat restant serait organis sous forme de rotation des tches) et un revenu universel. Cest l une problmatique utopique, au mauvais sens du terme : elle nengage pas le prsent. En fait on rencontre ici une question essentielle pour la thorie critique dans ses rapports avec une problmatique dmancipation : celle de la dimension stratgique.

    Postone rcuse, juste titre, toute inscription du futur dans une ncessit historique, dont le marxisme aurait la grille de lecture scientifique et dont le proltariat serait le porteur. Il faut galement ajouter que la problmatique de lalination des textes de jeunesse est inscrite dans une vision tlologique du devenir historique. Comment situer alors une thorie critique si elle nest plus pense comme expression dune rationalit dj en marche dans lhistoire et si lon ne veut pas se contenter de faire appel de simples normes thiques ? Il ne sagit pas de rabattre toute llaboration dune thorie critique sur la dimension stratgique ni, encore moins, davoir une vision troite et instrumentale de la catgorie de stratgie qui, ici, doit tre comprise comme une mise en perspective dun possible historique partir du prsent et de ses contradictions[34]. Force est de constater que la rfrence que fait Postone lalination gomme tout recours possible un discours stratgique.

    Travail et mancipation

    Dans lesGrundrisse sur lesquels insiste beaucoup Postone on rencontre pourtant une autre faon de problmatiser lmancipation du travail, signale par Ernest Mandel ds les annes 1960 : une dialectique entre temps de travail et dveloppement du temps libre[35]. On la retrouve dans la conclusion du livre III duCapital. Postone fait rfrence cette dernire, mais sous un autre angle. Il est vrai que cette problmatique cadre mal avec celle de labolition du travail. Selon Marx, le rgne de la libert ne peut commencer qu partir du moment o cesse le travail guid par la ncessit . Il ne peut donc se situer dans la sphre de la production, qui sera toujours ncessaire. Marx nuance toutefois en prcisant quune certaine libert peut y exister si les producteurs associs lhomme socialis rglent de manire rationnelle leurs changes organiques avec la nature et les soumettent leur contrle commun au lieu dtre domins par la puissance aveugle de ces changes . Mais le vritable panouissement de la puissance humaine commence au-del : la rduction du temps de travail est la condition fondamentale de cette libration [36].

    La distinction entre le rgne de la libert et celui de la ncessit est issue de la philosophique classique. Toutefois, Marx le distord en partie pour faire de la libert et de la ncessit des valeurs relatives qui se conditionnent lune et lautre. Est-ce qu'il peut exister une certaine libert dans la production? De plus et cela est important par rapport une certaine tradition marxiste -, lmancipation nest pas pense comme un mouvement historique dbouchant sur le rgne de la libert , mais comme un procs historique sans fin, pourrait-on dire port par cette dialectique du temps de travail et du temps libre. Et elle ne tmoigne pas dune volont dappropriation productiviste de la nature : il sagit (au contraire) dorganiser rationnellement, les rapports que nous entretenons avec elle, et non dontologiserlhomo faber. Par ailleurs, dans lesGrundrisse, Marx souligne comment le dveloppement du temps libre peut transformer les activits des individus au sein de la production.

    Il sagit donc dmanciper (de transformer) le travail, tout en smancipant du travail. Il faut partir de cette problmatique pour mettre en perspective historique certains axes contemporains de discussion. moins de reprendre en compte lutopie de la transformation du travail en activit libre lhorizon qui claire le prsent nest pas celui de la disparition du travail, mais de sa transformation travers cette dialectique du temps de travail et du dveloppement du temps libre. Dans ce cadre, on peut dailleurs se demander comment traiter la perspective classique dabolition du salariat. Si on voit bien ce que veut dire abolition de lexploitation capitaliste, la figure de labolition du salariat est plus floue ; moins de rver un retour la production artisanale.

    On peut discuter pour savoir si, long terme, il serait possible de dvelopper une allocation universelle pour tous qui remplace le salaire. Je ny suis pas trs favorable et lon retrouve ici ma remarque sur labolition du salariat. Mais, dans le moment historique actuel, il me semble que cette dialectique doit sarticuler avec des revendications assez classiques (droit lemploi, rduction du temps de travail, dveloppement des minima sociaux..), et une problmatique gnrale de dmarchandisation de la force de travail ; notamment par le dveloppement de la part socialis du salaire et/ou dextension des zones de gratuit.

  • Cette dialectique du temps de travail et du temps libre dbouche sur la remise en cause de la centralit du travail. Sil est difficile den faire une perspective immdiate (je ne reviens pas sur les dbats et les expriences passs), elle doit tre clairement affirme comme horizon li la remise en cause du procs de valorisation capitaliste. Postone parle ce propos dapparition de nouvelles formes de mdiations sociales, dont bon nombre seraient de nature politique (p. 546). La formule est bonne, mais elle ouvre deux grands dbats.

    Le premier, dj signal, porte sur lanalyse de la place structurante de ltat dans les rapports sociaux ; on ne peut contourner la question. Je vois mal comment mettre en place de nouvelles formes de mdiations sociales, notamment politiques, sans une perspective de dmocratisation politique radicale de cet Etat.

    Mais cela veut aussi dire et cest le second dbat, que ne traite pas non plus Postone quune telle approche suppose de remettre en cause lutopie marxiste du dprissement de lEtat, comprise comme disparition de tout pouvoir politique. Il faut donc manier avec prudence la catgorie des producteurs associs qui, dans la tradition marxiste, t souvent quivalente une problmatique de dissolution de la politique dans le social ; plus prcisment de dissolution de la politique dans lauto-administation de la production industrielle.

    En guise de conclusion

    Le livre de Postone ouvre donc des dbats facettes multiples. Il faudrait discuter plus en dtail de sa vision des expriences du socialisme rel du sicle pass qui, manifestement, surdtermine son approche de la dynamique des formes dvolution vers un despotisme planifi, organis, bureaucratique, engendr dans la sphre de la production (p.489) qui aurait pris le contrle de lensemble de la socit.

    Il est ncessaire de critiquer de cette vision et loubli des rapports marchands par Postone. Mais il est tout aussi important de revenir de faon critique sur toute une tradition marxiste radicale et anti-stalienne qui sest souvent contente de dfendre une version dmocratique de lEtat-plan contre sa version bureaucratique. Il ne sagit pas de refaire lhistoire, mais il faut clairement expliquer que la seule rfrence cette version dmocratique (plan + conseils ouvriers) est devenue obsolte.

    Toutefois, dans cet article jai choisi un autre angle dattaque qui me semble dune plus grande actualit et qui tourne essentiellement auteur de la critique de lconomie politique, de la thorie marxienne de la forme valeur et de la critique du travail. Un des intrts du livre de Postone est de prendre comme cadre gnral un thme rcurrent du moment historique prsent (analyse et critique du travail) en les articulant directement une ractualisation des dbats sur les lectures de Marx[37].

    [1] Moishe Postone,Marx est-il devenu muet ? Face la mondialisation, traduit par Olivier Galtier et Luc Mercier, La Tour dAigues, LAube, 2003 ;Temps, travail et domination sociale, Mille et une nuits, 2009. Postone est professeur au dpartement dHistoire et dEtudes juives de luniversit de Chicago.

    [2] Pour un retour et une mise en perspectives sur ces discussions, voir Tran Hai Hac,RelireLe Capital. Marx, critique de lconomie politique et objet de la critique de lconomie politique, deux tomes, Lausanne, Page deux, 2003. Cest un livre remarquable sur lequel je mappuie beaucoup.

    [3] Faute de place, je ne traite pas directement des discussions de Postone avec lcole de Francfort (ses dveloppements critiques sur Habermas sont particulirement intressants), toutefois le rapport avec ces auteurs est prsent. Notamment parce que Jean-Marie Vincent, qui je renvoie beaucoup, a maintenu un dialogue permanent avec eux et a crit, dans les annes 1970,La thorie critique de lcole de Francfort, Galile, 1976.

    [4] Isaak Roubine,Essais sur la thorie de la valeur de Marx, introduction par Antoine Artous, Syllepse, 2009.

    [5] Je ne vais pas multiplier les renvois mon propre travail, mais je signale deux livres qui touchent directement au sujet :Travail et mancipation sociale. Marx et le travail, Syllepse, 2003 ;Le ftichisme chez Marx. Le marxisme comme thorie critique

  • , Syllepse, 2006.

    [6] Voir, par exemple, E-B Pasukanis,La thorie gnrale du droit et le marxisme (EDI, 1970) et Eugne Preobrajensky, La nouvelle conomique (EDI, 1965).

    [7] Pierre Salama, Tran Hai Hac,Introduction lconomie de Marx, coll. Rpres , La Dcouverte, 1992 p. 3 et 4.

    [8] Dans les formes prcapitalistes, le rapport dexploitation et le rapport de domination sont imbriqus tout au long de la production/reproduction du rapport social de production. Le serf reste un serf dans lensemble des sphres sociales. Par contre, dans le rapport de production capitaliste, il existe une dissociation entre le statut des individus dans la circulation et dans le procs immdiat de production.

    [9] Karl Marx,Le Capital, I.1. Editions sociales, 1962, p. 88. Rappelons que Marx distingue lconomie politique classique (Smith, Ricardo), qui produit des connaissances, de lconomie vulgaire , simplement apologtique.

    [10] Maurice Godelier,Lidel et le matriel, Fayard, 1984.

    [11] Dans les annes 1960, cest le cas, par exemple, dauteurs aussi diffrents quHenri Lefebvre ou Ernest Mandel qui tirent la thorie marxienne de la valeur du ct de Ricardo, en injectant la dimension critique de lextrieur, au nom dune sociologie marxiste de lalination que lon pourrait construire partir desManuscrits de 1844.

    [12] Pierre Salama Tran Hai Hac,Introduction lconomie de Marx, op. cit. p.20.

    [13] Isaak Roubine,Essais sur la thorie de la valeur de Marx, op. cit. p. 40.

    [14] tienne Balibar,La Philosophie Marx, La Dcouverte, coll. Repres , 1993, p. 66. Alors, dans la tradition althussrienne , lauteur occultait la question du ftichisme et de la forme valeur, dans ce livre, il rend compte de faon trs pertinente (et synthtique) des enjeux pistmologiques et philosophiques de cette approche.

    [15] Par exemple, Ernest Mandel ne traite pas de la catgorie de travail abstrait dans,La formation de la pense conomique de Karl Marx, Franois Maspro, 1967.

    [16] Voir deux petits livre face daccs facile : le chapitre 1 dIntroduction lconomie de Marx (op. cit.) de Pierre Salama et Tran Hai Hac etBrve histoire de la pense conomique dAristote nos jours ( Champs Flammarion, 2005) qui situe trs bien la place de Marx.

    [17] Pour Marx, mais je ne reviens pas sur cet aspect, la dtermination de la valeur dusage nest pas naturelle , mais socio-historique.

    [18] Jean-Marie Vincent,Critique du travail. Le faire et lagir, Paris, Puf, 1987, p. 103.

    [19] Karl Polanyi,La Grande Transformation, Paris, Gallimard, 1983.

  • [20] Avec lavnement du capitalisme, le travail devient effectivement le centre et le fondement de lactivit et cette situation perdure dans le socialisme rel . Si dans le premier cas, la mdiation sociale dominante est le march, dans le second cas, on peut effectivement dire que le travail est une mdiation sociale centrale, la socialisation se faisant travers lEtat-plan et la place accord par le systme au statut de travailleur. Cela dit, la caractristique de ces socits est le fait que, via ltatisation des moyens de production, cest la politique qui domine.

    [21] Jean-Marie Vincent, La domination du travail abstrait , inCritiques de lconomie politique, oct.-dc. 1977.

    [22] Jean-Marie Vincent,Un autre Marx. Aprs les marxismes, Editions Page deux, 2001, p.214. Il est intressant de noter que lauteur fait ces remarques dans des pages de discussions critique des textes dErnest Mandel.

    [23] Si, dans la ligne de Marx, il analyse le rapport de production comme rapport dexploitation, Postone rcuse la rfrence des classes sociales, catgories quils renvoient dans les poubelles du marxisme traditionnel . Il argumente trs peu ce propos, sinon en caricaturant de faon extrme la rfrence aux classes ; ainsi la bourgeoisie serait une classe qui manipulerait la production industrielle pour ses propres intrts.Je ne vais ici discuter cet aspect. Pour ce qui concerne mon approche, je ne crois pas que les classes sociales soient des entits sociologiques prexistantes, elles sont des effets de rapport dexploitation et de leur particularit (la catgorie de classe ne me semble pas adquate dans les socits prcapitalistes). Naturellement les classes, dans leur existence concrte, existent comme formes sociologiques (volutives), mais, une fois encore, le point de dpart est le rapport dexploitation et les relations conflictuelles quil structure. Postone tourne dailleurs en rond sur cette question. Ainsi il explique que la lutte des classes nest un lment moteur du dveloppement historique du capitalisme que du fait du caractre intrinsquement dynamique des rapports sociaux qui constituent cette socit (p.475). Mais, justement, ces rapports sociaux sont des rapports dexploitation qui gnrent un type particulier de confit social (lutte des classes)

    [24] Voir Tran Hai Hac,Relire Le Capital , op. cit. t. 1, section 62, Le double caractre des forces productives dveloppes par le capital p. 289 305.

    [25] Karl Marx,Grundrisse, inuvres, t. II, Paris, Gallimard, Pliade , 1968, p. 217.

    [26] Dans,Un autre Marx (op cit., p. 266), Jean-Marie Vincent dfinit les abstractions relles comme des formes de pense sociale ossifies qui organisent les pratiques et les institutions par-dessus la tte des hommes .

    [27] Dans le ftichisme la marchandise, cette nest pas saisie comme un rapport social , mais perue comme une chose sociale dont les attributs sont naturels. Comme les individus entre en contact entre eux travers lchange de ces choses sociale , qui ont leur propre mouvement, ce sont bien elles qui structurent les relations sociales.

    [28] Notons au passage que la crise et lcroulement des pays du socialisme rel est, entre autres, lie au fait quils ont t incapables davoir cette dynamique.

    [29] Karl Marx,Grundrisse, op. cit.p 305 307.

    [30] Pour une discussion critique du capitalisme cognitif, voir Michel Husson, Sommes nous entre dans le capitalisme cognitif? ,Critique communiste, n 169/170, Fin du travail et revenu universel ,Critique communisten 176, 2003 et Jean-Marie Harribey, Le cognitivisme, nouvelle socit ou impasse thorique et politique ? ,Actuel Marx, n 36, 2004.

    [31] La grandeur de la valeur dpend dune mesure abstraite et non pas dune quantit matrielle concrte. En tant que forme sociale, la marchandise est compltement indpendante de son contenu matriel (p. 261).

  • [32] Andr Gorz,Limmatriel, Galile, 2003, p. 47.

    [33] Chez Marx, lalination nest pas une catgorie psycho-sociologique, dcrivant les mutilations subies par les individus. Elle a une dimension ontologique, au sens o cest une faon de poser le social. Lhomme cre son essence en se confrontant lobjectivit et en la transformant (dialectique sujet-objet). Mais cette objectivation est aussi une alination, cest--dire une perte de soi. Il sagit alors de rcuprer cette essence aline (de lui permettre davenir), de rconcilier ainsi lhomme gnrique et la socit ; do la disparition des mdiations sociales et la marche vers une socit qui devient transparente elle-mme.

    [34] Henri Maler,Convoiter limpossible. Lutopie avec Marx. Malgr Marx, Albin Michel, 1995.

    [35] Ernest Mandel,La formation de la pense conomique de Karl Marx, op. cit.

    [36] Karl Marx,Le Capital, livre III,uvres op. c. p 1487.

    [37] De ce point de vue, le quatrime de couverture de ldition franaise du livre prsentant Postone comme un chevalier blanc qui sera dnonc par les "marxistes de tout poil" est totalement ridicule.

    Annexe 1

    propos du travail abstrait

    La premire difficult que lon rencontre propos de la catgorie marxienne de travail abstrait est non seulement son oubli par le marxisme traditionnel, mais galement des difficults de conceptualisation de Marx dansLe Capital. Je ne reviens pas sur la lecture dveloppe dans le texte ci-dessus, dans la ligne de celle de Roubine. Je voudrais ici revenir sur certaines variantes dans les dterminations de cette catgorie et les problmes que cela rvle.

    1) Lvolution des problmatiques de Marx

    Dans leCapital, quelles que soient les difficults dinterprtation, il clair que le travail abstrait vise, dune part, dfinir le travail crateur de valeur et, dautre part, est li au rapport marchand, car cest travers lchange des marchandises que sgalisent les diffrents travaux. Et cest seulement dansLe Capital que le concept apparat rellement. Cela dit, les clairages ports sur la catgorie dpendent galement de lvolution des problmatiques de Marx.

    Ainsi, si on lit la catgorie travers la problmatique desManuscrits de 1844, le travail abstrait et en gnral labstraction apparaissent comme une forme suprme dalination, le travail concret renvoyant alors au bon travail, celui de type artisanal. DansMisre de la philosophie, Marx rompt avec Proudhon qui, justement, vhicule une vision artisanale du procs de travail ; et cette rupture est une volution importante.

    Pour Marx, dans ce livre, la dtermination de la valeur par le temps de travail est gnre par la production capitaliste dans laquelle les travaux sont galiss par la subordination de lhomme la machine ou par la division extrme (). Le balancier est devenu la mesure de deux ouvriers (). Le temps est tout, lhomme nest plus rien ; il est tout au plus la carcasse du temps [1].

  • La modernit des analyses ne doit pas faire oublier que, ce faisant, Marx ne rsout pas le problme de lgalisation sociale des travaux puisquil en reste au niveau du procs immdiat de travail, avec comme seules rfrence des travaux concrets (au sens duCapital) qui par nature sont diffrents les uns des autres. Au demeurant, Marx se rclame alors de Ricardo et na pas encore produit le concept de marchandisation de la force de travail (pour Ricardo cest le travail qui est une marchandise) qui est indispensable pour traiter de la place de lchange dans lgalisation des divers travaux concrets. Et il ne faut pas confondre la mise en uvre de standards de temps dans le travail abstrait permettant de quantifier lactivit productive selon un temps moyen avec le travail abstrait dont parleLe Capitalet qui concerne la production sociale.

    3) Le travail abstrait via Lukacs

    DansHistoire et Conscience de classe (1923), o il tente de ractiver la thmatique marxienne du ftichisme travers sa propre thorie de la rification, Lukacs renvoie ce passage deMisre de la philosophie. Et il va chercher les racines du travail abstrait dans lvolution du procs immdiat de production qui passe par la manufacture puis le machinisme et porte une rationalisation sans cesse croissante, une limination toujours plus grande des proprits qualitatives et individuelles du travail humain [2]. Cest une catgorie reproduisant la dcomposition du travail en units abstraites et individuelles, sous leffet du dveloppement du procs capitaliste caractris par le principe de rationalisation bas sur le calcul, la possibilit du calcul.

    En fait ici (et dans sa thorie de la rification), Lukacs se tourne plus du ct de Max Weber et de sa mise en relation de lavnement du capitalisme et du principe de rationalit. Mais il sintresse peu aux analyses duCapital sur la marchandise et la propre conceptualisation de Marx ce propos. Cette rfrence la seule logique interne du procs de travail est dautant plus forte quil naccorde gure dimportance au concept de marchandisation de la force de travail. En fait Lukacs a une approche plutt ricardienne de la thorie de la valeur et sintresse aux questions de la quantification, du point de vue de ses effets ngatifs.

    Cela dit,Histoire et conscience de classe (dclar non orthodoxe par le III Internationale) est un livre remarquable. Et sa reprise critique de la thmatique wbrienne de la rationalit va avoir une influence souterraine forte, notamment dans lcole de Francfort et une certaine tradition marxiste critique. Quel que soit lintrt des analyses que cela a permis de produire, lapproche est porteuse dquivoques et dimpasses bien illustres en France par Andr Gorz. Outre la thmatique de la rationalit instrumentale (bien dcortique par Postone), lapplication de la science la production devient le facteur dexplication du dveloppement du capitalisme et la loi de la valeur perd de plus en plus de sa pertinence car elle serait lie la seule grande production industrielle en dclin.

    4) Travail abstrait et procs dabstraction sociale

    Chez les auteurs franais cits dans larticle qui font rfrence Roubine, il existe des nuances, mme si tous font du moment de lchange des produits un moment structurant. Dans les analyses de Jean-Marie Vincent sur la dialectique sociale de la forme valeur, qui fonctionne comme substance sujet (un peu la faon de lesprit hglien), le travail abstrait apparat comme un moment de cette dialectique. Et, peu peu, le travail abstrait a t identifi lensemble des formes sociales abstraites qui domine les individus travers le procs de soumission relle du travail au capital.

    La problmatique des mtamorphoses de la forme valeur a permis Jean-Marie Vincent dcrire des pages remarquables sur la dialectique des formes sociales capitalistes, mais il a parfois tendance dissoudre les diffrents niveaux danalyse. Tran Hai Nac, lui, se centre sur le niveau de lchange (qui est bien celui trait par Marx sur ce sujet) pour expliquer que la forme dexistence du travail abstrait est la monnaie ; cest elle qui exprime et mesure la valeur des marchandises.

    Ayant pris comme point de dpart les analyses de Jean-Marie Vincent, jai t progressivement convaincu par lapproche de Tran Hai Hac. Et je crois quil faut, du point de conceptuel, distinguer le moment de la catgorie de travail abstrait (forme dexistence du travail social sous le capitalisme) de la dialectique plus gnrale de domination porte par des formes sociales abstraites et des abstractions sociales. Dautant que ces derniers phnomnes ont exist galement dans le socialisme rel .

    5) Le travail abstrait chez Postone

    La question du travail abstrait comme forme objective capitaliste, est au centre des analyses de Postone. Cela permet des analyses souvent intressantes, notamment quand il reprend la thorie marxienne de la forme valeur ; mme si son refus de toute rfrence lchange marchand le dsquilibre souvent.

  • La dtermination du travail abstrait par Postone nentre dans aucune des grandes problmatiques que je viens dnoncer ; et cest peut-tre pour cela quelle est difficile saisir (en tout cas pour moi). En fait Postone pose lexistence du travail abstrait en mme temps quil nonce sa thse fondamentale : sous le capitalisme, le travail nest pas mdiatis par des rapports sociaux, il se constitue lui-mme en mdiation. Il sauto-ojective, en quelque sorte comme cadre de structuration des rapports sociaux. Et cela se traduit par un procs social qui, un extrme, concerne le travail concret et, lautre extrme, le travail abstrait.

    On retrouve le problme soulign dans larticle. Le capitalisme met le travail au centre de la vie sociale. Mais cela ne veut pas dire que le travail devient la seule mdiation sociale qui auto-produirait, dans son mouvement dobjectivation, lensemble des rapports sociaux.

    [1] Karl Marx,Misre de la philosophie, uvres, t 1, op. cit. p 29

    [2] Georg Lukacs,Histoire et conscience de classe, Les Editions de Minuit, 1960, p. 115.

    Annexe 2

    Le ftichisme de lEtat-plan et la valeur-indice

    Je ne crois pas que lon puisse qualifier les Etats bureaucratiques du socialisme rel de variante de capitalisme dEtat, mme si, par ailleurs, jai tir un bilan critique des traditions danalyse trotskistes ou trotskisante de lURSS[1]. Cela dit, je ne veux pas reprendre ici ces discussions mais traiter de certains problmes de conceptualisation gnrale lis lanalyse de ces Etats. Il ne sagit pas de gommer les histoires particulires (le totalitarisme stalinien est le produit dune contre-rvolution), mais de souligner certains traits gnraux. Ce faisant, cest une faon de poursuivre la discussion avec Postone sur ce terrain.

    1) Un certain aveuglement

    Une certaine tradition du marxisme critique anti-stalinien de tradition trotskiste, qui par ailleurs dfendait une perspective authentiquement marxiste (dprissement de la loi de la valeur et de lEtat, etc.), a vhicul un certain aveuglement thorique (li des aspects du marxisme traditionnel ) sur la question de ltatisation des moyens de production travers le plan. Celui-ci nest pas peru comme un rapport social spcifique ; plus exactement, il est peru comme porteur par nature dune forme de production transparente elle-mme. Ainsi, pour Ernest Mandel, dans lconomie sovitique le salariat est une simple catgorie comptable ; il na aucune paisseur sociale et lon voit mal comment il pourrait tre une forme sociale cristallisant un rapport de domination et dexploitation sur des producteurs directs toujours spars de la matrise des moyens de production. Plus gnralement, Ernest Mandel parle dun mode de production socialis o les produits du travail fonctionnent galement dans la transparence, cest--dire comme simple valeur dusage, la planification sovitique tant organise sur la base dobjectifs en nature (quantification directe de la production).

    2) Le plan comme rapport social

    Il nexisterait donc plus de mdiations sociales (dans la production) au sens que Postons donne ce mot. Cela parat difficile. Mais en gnral, les auteurs qui refusent cette simplification se contentent de reprendre les catgories forges par Marx (valeur dusage et valeur) pour la marchandise. Une fois encore, je ne vois pas comment il peut exister des marchandises sans march.

  • Grard Roland est lun des rares essayer de spcifier en fonction des pays du socialisme rel . En URSS, la quantit jouait un rle central dans la production, mais si les objets taient diffrents sous langle de la valeur dusage du point de vue du consommateur, ils fonctionnent comme quivalant du point de vue du plan. Le rapport entre les producteurs et lobjet est donc dtermin non par la valeur dusage, mais par lindice statistique du plan que nous appellerons la valeur-indice et qui reprsente la forme de mdiation fondamentale dans le mode de production sovitique [2].

    Lindice statistique se donne comme simple indice de quantit, mais lorsquil se transforme en plan, il devient un rapport social qui commande et value lactivit. La valeur indice exprime alors un rapport de subordination de lorganisme infrieur lorganisme suprieur.

    3) Etat-plan et abstractions sociales

    On peut discuter des analyses de Grard Roland sur lURSS de lpoque. Lapproche est remarquable par la faon dont elle montre comment un indice statistique, qui apparat comme une simple donne technique, fonctionne en fait comme une forme sociale structurant les rapports des producteurs lobjet produit et, plus gnralement, les conditions de production de ce rapport social spcifique qu'est le plan. Plus exactement, c'est ce que lon peut appeler lEtat-plan, puisque le plan en question nest pas pensable sans tatisation de la production (il peut exister dautres formes de planification).

    Les caractristiques politiques concrtes de lEtat-plan peuvent tre diffrentes, mais ceux-ci sont tous issus de la mme matrice. Ils se prsentent comme une institution cristallisant les fonctions administratives lies la gestion des moyens de production devenus proprit collective et fonctionnant comme une mme force sociale de travail. Et cela alors que les producteurs nont pas la matrise directe dun procs de travail devenu collectif et qui, ce titre (et contrairement au procs de travail artisanal) gnre des fonctions administratives spcifiques. Le ftichisme de lEtat-plan, qui renvoie une objectivit sociale bien relle, laisse croire quil cristallise ces fonctions administratives (et politiques, les deux sont imbriqus) de la coopration des travailleurs associs alors quil les confisque et les transforme en une mcanique de domination impersonnelle sur les producteurs.

    Cest travers cette mcanique que se cristallisent les abstractions relles et les formes sociales abstraites, selon des modalits diffrentes (pour partie) des formes capitalistes. En effet, dans ces socits les rapports sociaux se prsentent comme des rapports entre personnes, au sens o il sont directement politiques. Mais cette dimension politique se structure au travers de formes sociales abstraites qui flottent au-dessus de la tte des travailleurs, mais galement, dun certain point de vue, de celle des bureaucrates : le parti reprsente le proltariat, le plan est lexpression de la coopration des travailleurs, etc.

    4) Les effets du travailleur collectif

    Ces questions renvoient un problme peu trait (Postone nen parle pas) qui concerne la catgorie de travailleur collectif apparue avec le capitalisme. Bien sr les formes dorganisation de ce travailleur collectif doivent tre radicalement transformes, mais on voit mal comment il pourrait disparatre, moins de rver un retour lartisanat ou une abolition du travail. Dans le procs de travail individuel, le producteur a un accs direct la matrise du procs de travail et la possession (qui nimplique pas ncessairement la proprit prive), alors que ce nest pas le cas dans le travailleur collectif, dautant que, je le rappelle, il ne concerne pas le seul atelier, mais la socit toute entire.

    Cela veut dire que, dune part, linsertion du producteur dans le travailleur collectif est toujours mdiatise (il doit entrer dans un procs de travail qui le dpasse largement) et, dautre part, que lexistence du produit du travail passe par des mdiations, non pas seulement dans la sphre de la circulation, mais dans celle de la production. Sous cet angle, il se maintient toujours une certaine sparation. Pierre Naville a t un des premier souligner que cet aspect de la sparation (le producteur nest plus soud aux moyens de production) est porteur dune dynamique mancipatrice[3].

    Contrairement aux socits pr-capitalistes mais ici de faon analogue la production capitaliste -, les socits post-capitalistes sorganisent sur la base dune objectivation du travail comme travail social qui prend une forme abstraite, au sens ou il sobjective dans une forme sociale diffrente des divers travaux concrets. Cela pour deux raisons : dune part, lexistence dun travailleur collectif et, dautre part, la ncessit dune galisation des produits du travail[4].

  • Pour rendre compte de ses analyses, Grard Roland explique quil emploie la catgorie de valeur dans le cadre dune anthropologie conomique . On aura compris que je ne suis pas partisan dun discours transhistorique. Par contre, le dveloppement du capitalisme introduit bien des ruptures historiques avec les formes prcapitalistes dont certaines sont des acquts (Marx) pour penser lavenir. Et cest pour cette raison que lon rencontre les problmes de conceptualisation que je viens de traiter ; on les rencontre dailleurs sur dautres terrains (abolition du salariat, dprissement de lEtat, etc.).

    5) A propos du despotisme

    Postone (il nest pas le seul) prsente souvent le socialisme rel comme un systme social dans lequel les formes de domination analyses par Marx propos du despotisme dusine se seraient tendues toute la socit. On avait bien les racines dune telle affirmation, mais elle ne peut avoir quune simple valeur analogique. En toute rigueur, elle est fausse car le despotisme dusine capitaliste sarticule avec le march ; et cest cette articulation qui permet de comprendre la dynamique densemble. Des diffrences existent galement au sein de lorganisation du procs de travail immdiat. Ainsi, selon Pierre Rolle[5], la planification sovitique laissait une autonomie relativement importante aux collectifs de production dans lorganisation du travail cause, justement, de lorganisation du plan en termes seulement quantitatifs.

    [1] Antoine Artous, Trotski et lanalyse de lURSS , Ernest Mandel et la problmatique des Etats ouvriers ,Critique communiste n157, hiver 1999. Ces deux textes sont disponibles en libre accs sur le site d'Europe solidaire sans frontires (ESSF), l'adresse : http://www.europe-solidaire.org/

    [2] Grard Roland,Economie politique du systme sovitique, LHarmattan, 1989, p. 58.

    [3] Pierre Naville,De lalination la jouissance, Anthropos, 1974 (1re dition 1957).

    [4] Voir sur ce sujet mes changes avec Tran Hai Hac dans la revueVariations, printemps 2005.

    [5] Pierre Rolle,Le travail dans les rvolutions russes, Page deux, 1998.

    Antoine Artous [3]

    URL source: http://www.contretemps.eu/lectures/lactualite-theorie-valeur-marx-propos-moishe-postone-temps-travail-domination-sociale

    Liens:[1] http://www.contretemps.eu/lectures[2] http://www.contretemps.eu/lectures/lactualite-theorie-valeur-marx-propos-moishe-postone-temps-travail-domination-sociale[3] http://www.contretemps.eu/auteurs/antoine-artous

    http://www.contretemps.eu/auteurs/antoine-artoushttp://www.contretemps.eu/lectures/lactualite-theorie-valeur-marx-propos-moishe-postone-temps-travail-domination-socialehttp://www.contretemps.eu/lectures/lactualite-theorie-valeur-marx-propos-moishe-postone-temps-travail-domination-sociale