xvie siècle : enquête en cours dans le minutier central

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I. Vérité / La draperie de Meaux dans le Minutier parisien / Colloque AFET, 17 et 18 nov. 2006. 1 La production textile de la région parisienne du Moyen Age à nos jours (colloque de l’Association Française pour l'Etude du textile, Paris, 17 et 18 novembre 2006) La draperie de Meaux au XVI e siècle : enquête en cours dans le Minutier central des notaires parisiens Isabelle Vérité (CNRS - Institut d’histoire moderne et contemporaine) « Au moien [desquelles ordonnances] la drapperie dudit Meaulx a esté par long temps de grant renon et proffit a Nous et a nostred. ville de Meaulx et au populaire du païs et des environs qui est la principalle marchandise dudit Meaulx. » Octobre 1498, confirmation par le roi Louis XII des statuts des tisserands en draps de Meaux, Arch. nat., JJ 231 nº 193, fol. 147-149v, au fol. 149. « Il n’y a aucunes manufactures dans la ville [de Meaux] ni dans l’élection. Les marchands de Picardie vont chez les laboureurs acheter les laines. » Fin du XVII e siècle, Mémoires des intendants sur l’état des généralités dressés pour l’instruction du duc de Bourgogne, t. I, Mémoires de la généralité de Paris, publié par A. M. de Boislisle, Paris 1881 (Collection de mémoires inédits sur l’histoire de France), p. 342. Les quelques observations réunies ici trouvent place dans le cadre de recherches sur « les territoires du drap, XIV e - milieu XVII e siècle », initiées par Jacques Bottin et Mathieu Arnoux 1 . Partant du constat de l’absence quasi totale de sources directes pour étudier la production du drap de laine sur cette période, ils ont proposé d’aborder la question des processus productifs et de leur organisation à travers un questionnement sur les marchés et les circuits commerciaux. Le choix du drap de laine comme objet central de ces processus productifs et de commercialisation tient autant à la possibilité de s’appuyer sur des études portant sur d’autres régions ou d’autres périodes qu’à l’intérêt du produit : un produit de consommation courante, quasiment indispensable à tous, mais varié et évolutif (« perte de qualité » ou changement total de qualités, nouveaux produits remplaçant ou se rajoutant à d’anciens). Paris a été retenue comme la place commerçante sur laquelle tester et améliorer la démarche, d’abord parce que de nouvelles recherches sur la draperie et le commerce des draps à Paris peuvent s’appuyer sur les travaux de Roger Gourmelon 2 , ensuite parce qu’avec ses quelque deux cents marchands drapiers dont l’activité se combine avec celle des teinturiers de la ville et du faubourg Saint-Marcel, la capitale du royaume organise et contrôle une grande part du commerce des draps du nord de la France. Concrètement, la première source parisienne mise à contribution fut le corpus des inventaires de marchands drapiers parisiens. Chaque inventaire permet de connaître à une date donnée, celle de son élaboration, d’une part les produits proposés à la vente (à partir du stock de draps), d’autre part l’état et la nature des dettes actives du marchand (créances en cédules, lettres obligataires, mémoires divers, créances inscrites au papier-journal encore à recouvrer), et au travers de ces dettes le réseau des clients du marchand. 1 Cf. la présentation de ces recherches sur le site de l’Insitut d’histoire moderne et contemporaine : http://www.ihmc.ens.fr/Recherches/TerritoireEconomie.php. Mathieu Arnoux et Jacques Bottin, « Les formes de l’intégration spatiale. Autour de Rouen et de Paris : modalités d’intégration d’un espace drapier (XIII e -XVI e siècles) », dans Revue d’histoire moderne et contemporaine, 48-2/3, avril-sept. 2000, p. 162-191 ; Iidem, « Les acteurs d'un processus industriel. Drapiers et ouvriers de la draperie entre Rouen et Paris (XIV e -XVI e siècle) », dans M. Arnoux et P. Monnet (dir.), Le technicien dans la cité en Europe occidentale 1250-1650, Rome, École française de Rome, 2004 (Collection de l'École française de Rome, 325), p. 347-386 ; Iidem, « L’organisation des territoires du drap entre Rouen et Paris (XIII e -XVI e siècles) », dans A. Becchia (dir.), La laine et la draperie en Normandie du XIII e au XX e siècle. Hommes, produits, entreprises et réseaux, Rouen, PUR, 2004, p. 171-199. Marie-Claude Bran consacre ses recherches aux activités économiques liées aux textiles en Basse-Normandie au Moyen Âge (thèse en préparation, Université Paris-VII, sous la dir. de M. Arnoux), Cyril Cresson achève une thèse sur l’organisation des territoires drapiers de Beauvais et Amiens dans la première modernité (thèse en préparation, Université Paris-I, sous la dir. d’A. Cabantous). Des corpus de dépouillements sont consultables à l’IHMC (inventaires après décès de marchands drapiers parisiens, registres des foires de Saint-Denis, textes normatifs et réglementaires, …). 2 Roger Gourmelon, L’industrie et le commerce des draps à Paris du XIII e au XVI e siècle, dactyl. et manusc., thèse de l’École des chartes, 1950, 2 vol. (consultable aux Arch. nat., 76 Mi 10) ; Idem, « Étude sur le rayonnement commercial des marchands drapiers parisiens au XVI e siècle », dans Bulletin philologique et historique (jusqu’à 1610) du CTHS, année 1961, 1963, p. 265-275.

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Page 1: XVIe siècle : enquête en cours dans le Minutier central

I. Vérité / La draperie de Meaux dans le Minutier parisien / Colloque AFET, 17 et 18 nov. 2006. 1

La production textile de la région parisienne du Moyen Age à nos jours (colloque de l’Association Française pour l'Etude du textile, Paris, 17 et 18 novembre 2006)

La draperie de Meaux au XVIe siècle : enquête en cours dans le Minutier central des notaires parisiens

Isabelle Vérité (CNRS - Institut d’histoire moderne et contemporaine)

« Au moien [desquelles ordonnances] la drapperie dudit Meaulx a esté par long temps de grant renon et proffit a Nous et a nostred. ville de Meaulx et au populaire du païs et des environs qui est la principalle marchandise dudit Meaulx. » Octobre 1498, confirmation par le roi Louis XII des statuts des tisserands en draps de Meaux, Arch. nat., JJ 231 nº 193, fol. 147-149v, au fol. 149. « Il n’y a aucunes manufactures dans la ville [de Meaux] ni dans l’élection. Les marchands de Picardie vont chez les laboureurs acheter les laines. » Fin du XVIIe siècle, Mémoires des intendants sur l’état des généralités dressés pour l’instruction du duc de Bourgogne, t. I, Mémoires de la généralité de Paris, publié par A. M. de Boislisle, Paris 1881 (Collection de mémoires inédits sur l’histoire de France), p. 342.

Les quelques observations réunies ici trouvent place dans le cadre de recherches sur « les territoires du drap, XIVe - milieu XVIIe siècle », initiées par Jacques Bottin et Mathieu Arnoux1. Partant du constat de l’absence quasi totale de sources directes pour étudier la production du drap de laine sur cette période, ils ont proposé d’aborder la question des processus productifs et de leur organisation à travers un questionnement sur les marchés et les circuits commerciaux.

Le choix du drap de laine comme objet central de ces processus productifs et de commercialisation tient autant à la possibilité de s’appuyer sur des études portant sur d’autres régions ou d’autres périodes qu’à l’intérêt du produit : un produit de consommation courante, quasiment indispensable à tous, mais varié et évolutif (« perte de qualité » ou changement total de qualités, nouveaux produits remplaçant ou se rajoutant à d’anciens). Paris a été retenue comme la place commerçante sur laquelle tester et améliorer la démarche, d’abord parce que de nouvelles recherches sur la draperie et le commerce des draps à Paris peuvent s’appuyer sur les travaux de Roger Gourmelon2, ensuite parce qu’avec ses quelque deux cents marchands drapiers dont l’activité se combine avec celle des teinturiers de la ville et du faubourg Saint-Marcel, la capitale du royaume organise et contrôle une grande part du commerce des draps du nord de la France.

Concrètement, la première source parisienne mise à contribution fut le corpus des inventaires de marchands drapiers parisiens. Chaque inventaire permet de connaître à une date donnée, celle de son élaboration, d’une part les produits proposés à la vente (à partir du stock de draps), d’autre part l’état et la nature des dettes actives du marchand (créances en cédules, lettres obligataires, mémoires divers, créances inscrites au papier-journal encore à recouvrer), et au travers de ces dettes le réseau des clients du marchand.

1 Cf. la présentation de ces recherches sur le site de l’Insitut d’histoire moderne et contemporaine : http://www.ihmc.ens.fr/Recherches/TerritoireEconomie.php. Mathieu Arnoux et Jacques Bottin, « Les formes de l’intégration spatiale. Autour de Rouen et de Paris : modalités d’intégration d’un espace drapier (XIIIe-XVIe siècles) », dans Revue d’histoire moderne et contemporaine, 48-2/3, avril-sept. 2000, p. 162-191 ; Iidem, « Les acteurs d'un processus industriel. Drapiers et ouvriers de la draperie entre Rouen et Paris (XIVe-XVIe siècle) », dans M. Arnoux et P. Monnet (dir.), Le technicien dans la cité en Europe occidentale 1250-1650, Rome, École française de Rome, 2004 (Collection de l'École française de Rome, 325), p. 347-386 ; Iidem, « L’organisation des territoires du drap entre Rouen et Paris (XIIIe-XVIe siècles) », dans A. Becchia (dir.), La laine et la draperie en Normandie du XIIIe au XXe siècle. Hommes, produits, entreprises et réseaux, Rouen, PUR, 2004, p. 171-199. Marie-Claude Bran consacre ses recherches aux activités économiques liées aux textiles en Basse-Normandie au Moyen Âge (thèse en préparation, Université Paris-VII, sous la dir. de M. Arnoux), Cyril Cresson achève une thèse sur l’organisation des territoires drapiers de Beauvais et Amiens dans la première modernité (thèse en préparation, Université Paris-I, sous la dir. d’A. Cabantous). Des corpus de dépouillements sont consultables à l’IHMC (inventaires après décès de marchands drapiers parisiens, registres des foires de Saint-Denis, textes normatifs et réglementaires, …). 2 Roger Gourmelon, L’industrie et le commerce des draps à Paris du XIIIe au XVIe siècle, dactyl. et manusc., thèse de l’École des chartes, 1950, 2 vol. (consultable aux Arch. nat., 76 Mi 10) ; Idem, « Étude sur le rayonnement commercial des marchands drapiers parisiens au XVIe siècle », dans Bulletin philologique et historique (jusqu’à 1610) du CTHS, année 1961, 1963, p. 265-275.

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I. Vérité / La draperie de Meaux dans le Minutier parisien / Colloque AFET, 17 et 18 nov. 2006. 2

Au cours de ces dépouillements, les mentions relatives à la draperie meldoise et à ses acteurs, ont été regroupées dans un dossier thématique dont un premier état est donné ici.

Quelques mots suffiront à expliquer pourquoi, dans le cadre de cette enquête plus générale sur l’organisation de la production et de la commercialisation des draps dans le premier Âge moderne, il a paru nécessaire de recueillir toutes ces bribes d’information pour les traiter un jour.

La draperie de Meaux n’a pas, jusqu’à présent, fait l’objet d’étude particulière, et il semble que les sources locales, celles conservées aux Archives de la Seine-et-Marne ou aux Archives municipales de Meaux, ne permettraient pas de mener une telle étude. Il est cependant admis que Meaux a produit, depuis le Moyen Âge, une draperie de qualité, réputée comme telle, dont la production était commercialisée par Paris, et que pour produire ces draps, une part très importante de la population de la ville travaillait dans les différentes branches de la production drapière (ouvriers de la laine, tisserands, foulons, tondeurs, teinturiers)3. Autre point d’accord : cette draperie aurait périclité dans le dernier tiers du XVIe siècle pour disparaître après la période de la Ligue, le lien étant souvent fait entre la conversion au protestantisme d’une part importante de la population meldoise dès les années 1540, le départ de cette population et le déclin de la draperie meldoise. Ainsi, Gustave Fagniez, dans son étude sur l’économie sociale sous Henri IV, date de cette époque un arrêt quasi total de nombreuses draperies des environs de Paris, dont celle de Meaux4. Olivier Bauchet, dans son étude sur les moulins à foulon de la région meldoise, propose une chronologie identique – sans toutefois la lier explicitement à la conjoncture et aux troubles politiques et guerres les accompagnant –, soit une forte progression de la draperie meldoise dans la première moitié du XVIe siècle, dont témoigne la création de nombreux moulins à foulon ou la conversion de moulins à cette activité, suivie d’une régression importante dès avant la fin du siècle5. Au-delà de ces quelques faits, il demeure bien difficile de fixer ou seulement définir des qualités, d’évaluer la production, de commencer à poser des schémas de production et de commercialisation. Et sur la seule question de la chronologie de la draperie meldoise, il semble nécessaire de la mieux préciser, certains documents et certains faits attestant de la poursuite de l’activité drapière dans la ville après 1594. Micheline Baulant, étudiant les inventaires après décès de Meaux, constate ainsi qu’à la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe siècle « Meaux était encore … une ville drapante active et les différentes étapes de la fabrication du drap y employaient une main d’œuvre importante de tisserands, de foulons, de tondeurs et de teinturiers »6. Et l’ordonnance colbertienne de 1669, rédigée suite aux plaintes des marchands drapiers parisiens pour fixer « les longueurs, largeurs et qualitez et teintures des draps, serges et autres étoffes de laine et de fil », mentionne les draps de Meaux7.

En décalant le regard, en partant du point d’observation que constitue Paris, c’est donc autant la chronologie de l’activité drapière de Meaux qu’on cherche à mieux fixer que la production même de la cité qu’on cherchera à mieux appréhender dans ses rapports avec l’activité commerçante de Paris.

3 La réputation des draps de Meaux est, par exemple, affirmée par l’auteur du Dit du Lendit rimé, pièce du début du XIVe siècle : « Or diroi du mestier hautain, qu’a matere miex apere, c’est cis qui tous les autres apere, ce sont li drapier que Dieu gart. (…) N’oubli pas Miaus ne Laigny, ne Chastiau Landon quant y fuy au Lendit. », Dit du Lendit rimé éd. par Gustave Fagniez, Documents relatifs à l’histoire de l’industrie et du commerce en France, t. II, Paris, 1900 (Collection de textes pour servir à l’étude et à l’enseignement de l’histoire), doc. n° 79, p. 173-179, vers 70-74 et 137-139. Sous le règne d’Henri IV, les marchands drapiers parisiens vantent encore, parmi d’autres productions françaises, les draps de Meaux : « Et faut considerer qu’entre les marchandises de drapperie qui sont apportees en ce Royaume d’Angleterre & autres lieux estrangers, qu’il n’y a aucune comparaison en bonté, & valeur & use aux draps qui se font en France, comme à Paris, Rouen, Meaux, Berry, Beauvais, & autres lieux où on drappe. », Avis du corps des marchands drapiers de Paris du 5 juillet 1599, édité à la suite de la Commission, édit et partie des mémoires de l’ordre & establissement du Commerce général des manufactures en ce royaume proposés par Barthélemy de Laffemas, Paris, Pautonnier, 1601, non paginé. 4 Gustave Fagniez, L’économie sociale de la France sous Henri IV, 1589-1610, Paris, Librairie Hachette et Cie, 1897, p. 82. 5 Olivier Bauchet, « Les moulins à foulon du pays meldois », dans Artisanat, industrialisation, désindustrialisation en Île-de-France (colloque de Meaux, 4-5 décembre 1999), Paris et Île-de-France, Mémoires, t. 51, 2000, p. 53-66. 6 Micheline Baulant, « Jalons pour une histoire du costume commun », Histoire et mesure, XVI - N° 1/2 – Varia, mis en ligne le 7 décembre 2005, disponible sur : http://histoiremesure.revues.org/document107.html, p. 15 et note 36 (20% des inventaires de la période 1591-1600 étudiés par M. Baulant concernent des personnes travaillant dans le secteur de la laine et du tissage des draps). 7 Nombreuses éditions de cette ordonnance, parfois accompagnée de celle sur les teintures des draps, de la même année ; par exemple Règlemens et statuts généraux pour les longueurs, largeurs et qualitez des draps, serges et autres étoffes de laine et de fil, et pour la jurisdiction des procez et différens concernans les manufactures, attribuée par le Roy aux maire et échevins des villes... [suivi des statuts des maîtres teinturiers en grand et bon teint des draps, serges et autres étoffes de laine, et des statuts des maîtres teinturiers de soie, laine et fil], Paris, P. Le Petit, J. Langlois, D. Foucault et S. Mabre-Cramoisy, 1669, In-4˚, 80 p.

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Les sources et leurs limites

Les premières sources mises à contribution sont donc les inventaires après décès parisiens conservés dans le Minutier central des notaires de Paris, aux Archives nationales : inventaires de marchands drapiers ou de leurs épouses, auxquels s’ajoutent quelques inventaires dressés à l’occasion de la cessation de sociétés commerciales ou de la séparation de biens entre époux. Jusqu’à l’année 1560 incluse, le corpus peut être établi de façon quasi exhaustive8 grâce aux deux volumes d’inventaires publiés par les Archives nationales9 : il se compose d’une petite centaine d’inventaires de marchands drapiers. Au-delà de l’année 1560 et jusqu’aux années 1640, le corpus, en cours de constitution, compte actuellement près de quatre-vingts documents10.

De la source historique que sont les inventaires après décès, les silences, les limites, voire les pièges sont désormais bien connus. Image fixée de la fortune mobilière d’un individu ou d’un couple à un moment précis de son existence, l’inventaire est un document statique. Il n’est pas exhaustif, ne donne pas la description de tous les meubles et objets remplissant une maison, soit que le notaire ou le priseur de biens néglige d’inventorier des objets de peu de valeur ou n’ayant aucune valeur marchande, soit que l’inventaire ne concerne que l’une des communautés, familiales ou d’affaire, abritées dans une demeure parisienne. La valeur des biens y est systématiquement sous-évaluée. Enfin, la fortune immobilière en est absente11.

Les parties des inventaires sur lesquelles nos recherches s’appuient plus particulièrement sont celles relatives au stock de draperie, aux dettes actives et aux dettes passives. Chacune présente des limites à rappeler.

Pour dresser l’inventaire de la marchandise de draperie, les notaires parisiens font appel à généralement deux marchands drapiers parisiens, rarement un seul ou trois. Et dans l’inventaire conservé en minute, c’est cet inventaire de draps, établi par des professionnels, que l’on trouve retranscrit12. Or certains marchands décrivent la marchandise de façon minimale, le but de l’opération à laquelle ils sont conviés étant de donner une valeur au stock de draperie : longueur de la pièce ou du coupon, sa couleur, son prix à l’aune suffisent pour cela13. D’autres précisent plus fréquemment l’origine du drap ou celle de sa teinture. Sans qu’il soit possible de déterminer si la plus grande abondance de tels renseignements est dépendante d’une plus grande application à la tâche effectuée, d’une plus grande compétence, ou de la possibilité même (donnée, par exemple, par la présence d’étiquettes sur les draps) de fournir des

8 Sous réserve de quelques inventaires après décès conservés parmi les minutes d’actes en liasse ou en registre. Citons, comme exemple significatif, l’inventaire de Guillaume Huvé, marchand et bourgeois de Paris, du 15 juillet 1482, conservé dans la liasse A.N., M.C., Et. LXI, 1 : cet inventaire n’est pas indiqué dans le répertoire de M. Jurgens signalé dans la note suivante, mais l’est en revanche dans la notice relative à Jean Boivin, notaire, de la base Etanot des Archives nationales (FRDAFANCH00MC_NANOTAIRE02858). 9 Madeleine Jurgens, Documents du Minutier central des notaires de Paris. Inventaires après décès, t. I : 1483-1547, Paris, Archives nationales, 1982. — Florence Greffe et Valérie Brousselle, Documents du Minutier central des notaires de Paris. Inventaires après décès, t. II : 1547-1560, Paris, Archives nationales, 1997. 10 Les références d'inventaires livrées par Roger Gourmelon dans sa thèse sur la draperie parisienne (cf. note 2), celles contenues dans les différents fichiers et bases du Minutier central, ont été accrues des références issues de nos propres dépouillements et de ceux de Robert Descimon. Robert Descimon, Gobelin et Canaye, entrepreneurs de teinturerie en draps à Saint-Marcel (mi XVe siècle-vers 1580), dactyl., mémoire de maîtrise sous la dir. de P. Vilar, Université de Paris, 1969, 180 p. ; R. Descimon a complété les résultats de cette première recherche par d’amples dépouillements dont il a rendu l’accès possible à l’IHMC, nous l’en remercions vivement. 11 Micheline Baulant, « Enquête sur les inventaires après décès autour de Meaux aux XVIIe et XVIIIe siècles » et « Typologie des inventaires après décès », dans Probates inventories ed. by A. Van Der Woude and A. Schuurman, Wangeninge, 1980 (A.A.G. Bijdragen 23), p. 141-148 et p. 33-42. — Daniel Roche, Le peuple de Paris : essai sur la culture populaire au XVIIIe siècle, nouv. éd., Paris, Fayard, 1998, p. 80-84.Olivier Poncet, « Inventaires après décès », dans Dictionnaire de l’Ancien régime, sous la dir. de L. Bély, Paris, PUF, 1996, rééd. 2002 (Quadrige), p. 677-678. 12 Voici un exemple montrant qu’il s’agit bien d’une retranscription : l’inventaire après décès de Marie Bigot, femme du marchand drapier parisien Guillaume Morin, porte comme date de début de réalisation le 11 août 1544 (A.N., M.C., Et. XIX, 269). Il commence par l’inventaire du stock de draperie, et continue par celui des meubles, inventoriés à partir du 20 août 1544. Or, dans la liasse A.N., M.C., Et. XIX, 165 se trouve l’inventaire particulier de la draperie de ce couple, recopié intégralement dans l’inventaire de Marie, mais daté du 8 août 1544. 13 Les marchands drapiers appelés à évaluer un stock de draperie ne calculent pas eux-mêmes la valeur d’une pièce : ce travail de calcul revient aux notaires ou à leurs clercs… et parfois n’est pas réalisé (par exemple dans l’inventaire de Pierre de Bailly, dressé en 1611, que nous utiliserons plus loin).

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informations sur l’origine des draps, il résulte que tous les inventaires de draps ne sont pas, pour l’historien, aussi riches les uns que les autres.

Les dettes actives qu’énumèrent les inventaires représentent des actifs potentiels de la succession. Au moment de l’inventaire, ce ne sont que des papiers sous forme de cédules, de lettres obligataires ou de parties écrites dans le papier journal du marchand. Elles informent d’une partie de l’activité commerciale de ce dernier, mais d’une partie seulement : les ventes ayant déjà fait l’objet d’un règlement ne sont pas visibles. Ce qu’on voit, ce sont d’abord les ventes à crédit ayant déjà entraîné l’établissement d’un papier, sans possibilité a priori de savoir ce que celles-ci représentent par rapport aux ventes comptant, ensuite des traces de dettes anciennes, parfois héritées et dont certaines sont d’ailleurs déclarées « douteuses » ou de « nulle valeur ». Quant aux dettes passives, elles sont rarement énumérées. L’inventaire après décès n’est en effet pas celui de la fortune du défunt, fortune mobilière et immobilière, mais l’inventaire des biens meubles (objets et dettes actives) dont la vente permettra d’abord d’exécuter le testament du défunt, souvent de régler ses funérailles, ensuite de régler ses dettes. Cependant, quand le survivant d’un couple de marchands drapiers parisiens fait transcrire par les notaires sa déclaration des dettes passives, l’occasion est enfin donnée de savoir auprès de qui le marchand achetait sa marchandise et les transformations qu’il y faisait apporter avant de la vendre.

Autant que possible, la source première que sont les inventaires, est complétée par le dépouillement – toujours en cours, bien évidemment – des minutes d’actes passées devant les notaires parisiens. La lecture de ces minutes, établies dans les mois qui précèdent et suivent la rédaction d’un inventaire éclaire souvent le contexte familial et social de cette rédaction. Dans le même temps, elle complète le tableau de la fortune du défunt – quand l’acte concerne le partage des biens immobiliers –, le devenir de la fortune mobilière inventoriée et celle de l’activité commerciale – quand se font les premiers règlements de dettes, ou quand la société dans laquelle le défunt était entrée est interrompue, par exemple.

Une confrontation des actes de la pratique, de la documentation notariale, avec les sources réglementaires et normatives, nous av ait semblé, depuis le début de notre enquête, nécessaire. Dans le cas de la draperie de Meaux, nous y avons eu recours autant que possible.

Enfin, si l’idée de départ de notre étude était de décaler le regard, de partir d’un regard parisien pour mieux appréhender la draperie de Meaux, il est apparu, à un moment des recherches, nécessaire de retourner vers les archives et sources meldoises. Dans cette démarche, le travail de dépouillement accompli par Micheline Baulant a bien sûr servi de guide et doit encore être mis à contribution.14 Outre la nécessité qu’il y aura à reprendre les inventaires des personnes travaillant dans le secteur de la laine, il faudra aussi envisager de dépouiller les riches archives notariales de Meaux. L’entreprise peut réserver quelques découvertes. Ainsi, en retournant consulter un acte de commande de 1604, qu’avait repéré Micheline Baulant, ont été identifiés les fragments d’un registre de Robert Harelle, courtier en draps de Meaux, pour les années 1585-1586 : document exceptionnel tant les papiers commerciaux sont rares pour cette période et cette zone, et document précieux pour l’enquête puisqu’il indique les marchands pour lesquels ce courtier travaillait, les tisserands auxquels il achetait des draps, et donne des indications sur les prix et les longueurs des draps fabriqués à Meaux en ces années 15.

14 La base informatique des inventaires briards que créa Micheline Baulant, est consultable au Centre de recherche historique ; grâce à Arlette Schweitz, ingénieur au CRH, nous avons pu en consulter certaines données. Une partie des articles et la bibliographie complète de Micheline Baulant ont récemment été réédité, Micheline Baulant, Meaux et ses campagnes : vivre et survivre dans le monde rural sous l'Ancien régime, textes rassemblés et édités par Arlette Schweitz, Gérard Béaur et Anne Varet-Vitu, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006. 15 Actuellement, quatre bifeuillets de ce registre ont été retrouvés, dans les minutes de Charles Harelle, notaires royal à Meaux au début du XVIIe siècle : Arch. dép. de la Seine-et-Marne, 143 E 2 (trois bifeuillets) et 143 E 3 (un bifeuillet rogné).

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Les draps de Meaux dans les inventaires des marchands drapiers parisiens

Le corpus d’inventaires après décès de marchands drapiers parisiens compte actuellement près de cent quatre-vingt items. Mais les inventaires dont a été exploitée la partie décrivant le stock de draperie ne sont encore que cinquante-trois. Or seulement neuf de ces cinquante-trois inventaires mentionnent des draps de Meaux — soit environ 17%, si ce pourcentage peut avoir un sens — également répartis sur la période16.

Cinq de ces neufs inventaires concernent des marchands drapiers en gros du quartier des Halles, domiciliés rue Saint-Honoré.

L’importance des stocks varie d’un inventaire à l’autre, de même l’indication par les marchands drapiers priseurs, de l’origine géographique des pièces de draps décrites. Ces informations sont résumées dans le tableau ci-dessous.

Inventaire Stock de draperie.

• Nombre d’items • Longueur en aune

Pièces portant mention d’origine géographique • Nombre d’items • Longueur en aune

Pièce de Meaux • Nombre d’items • Longueur en aune

Rapports des pièces de Meaux avec les pièces portant mention d’origine

1540, Hamelin • 48 • 259,114 a. (et quelques morceaux)

• 17 (soit 35,4%) • 86,291 a. (soit env. 33,3% du stock)

• 2 • 10,125 a.

• 11,7% des pièces inventoriées portant mention d’origine • 11,7% du stock portant mention d’origine

1544, Bigot • 119 • 652,458 a. (et quelques morceaux)

• 34 (soit 28,5%) • 219,25 a. (soit env. 33,6% du stock)

• 5 • 32,75 a.

• 14,7% des pièces inventoriées portant mention d’origine • 14,9% du stock portant mention d’origine

1547, Michel • 163 • 1 597,5 a.

• 35 (soit 21,5%) • 457,125 a. (soit 28,6% du stock)

• 6 • 43,5 a.

• 17,14% des pièces inventoriées portant mention d’origine • 9,5% du stock portant mention d’origine

1557, Coustart • 231 • 1 549,954 a. et 4 felins

• 94 (soit 40,7%) • 656,33 a. et 4 félins (soit 42,3% du stock auné)

• 13 • 64,125 a.

• 13,8% des pièces inventoriées portant mention d’origine • 9,77% du stock portant mention d’origine

16 1540, 3 juillet : inventaire de Jean Hamelin, marchand drapier et chaussetier de la rue Saint-Jacques (A.N., M.C., Et. XXXIII, 20). — 1544, 11 août : inventaire de Marie Bigot, femme de Guillaume Morin, marchand drapier de la rue Saint-Antoine (A.N., M.C., Et. XIX, 269). — 1547, 7 septembre : inventaire de Guillemette Michel, veuve depuis moins de trois mois de Guillaume Chenart, marchand drapier de la rue Saint-Honoré ; Guillemette a poursuivi l’activité marchande de son mari (A.N., M.C., Et. CXXII, 1287). — 1557, 22 septembre : inventaire de Pierre Coustart, marchand drapier de la rue Saint-Honoré (A.N., M.C., Et. CXXII, 1287). — 1579, 9 novembre : inventaire de Jean Guéret, marchand drapier (A.N., M.C., Et. XXIII, 131). — 1584, 23 juin : inventaire de Madeleine Joseph, veuve de Jean Guéret et épouse de Jacques Lustin, marchand drapier de la paroisse Saint-Barthélemy (A.N., M.C., Et. XXIII, 132). — 1595, 11 octobre : inventaire de Guillaume Plastrier l’aîné, marchand drapier de la rue Saint-Honoré (A.N., M.C., Et. VII, 81). — 1611, 8 février : inventaire de Pierre de Bailly, marchand drapier de la rue Saint-Honoré (A.N., M.C., Et. VIII, 580). — 1633, 13 juillet : inventaire d’Elisabeth de Compans, femme de Nicolas Yon le jeune, marchand drapier exerçant son activité en société avec son frère Simon, rue Saint-Honoré (A.N., M.C., Et. XVI, 232). Aucun des marchands drapiers appelés pour inventorier et priser la marchandise n’apparaît plus d’une fois dans cette fonction dans ces neuf inventaires. 17 L’inventaire de Guillaume Drouyn, marchand drapier de la rue Saint-Honoré, bien qu’il mentionne des draps de Meaux, n’a pas été retenu dans cette étude car il est en cours d’exploitation. Le stock de draps de Guillaume Drouyn compte 366 numéros, les indications d’origine des draps y sont très nombreuses, A.N., M.C., Et. LXXXVI, 172-173.

Années Nombre d’inventaires étudiés Nombre d’inventaires signalant des draps de Meaux

Antérieurs à 1551 28 3

1551-1594 16 3

1594-163317 9 3

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(suite du tableau) Inventaire Stock de draperie.

• Nombre d’items • Longueur en aune

Pièces portant mention d’origine géographique • Nombre d’items • Longueur en aune

Pièce de Meaux • Nombre d’items • Longueur en aune

Rapports des pièces de Meaux avec les pièces portant mention d’origine

1579, Guéret • 208 • 2476,53 a.

• 66 (soit 31,7%) • 1090,8 a. (soit 44% du stock)

•13 • 126,625 a.

• 19,7% des pièces inventoriées portant mention d’origine • 11,6% du stock portant mention d’origine

1584, Joseph • 281 • 3 865,33 a. (et quelques pièces non aunées)

• 121 (soit 43%) • 1 697,475 a. (soit env. 44% du stock)

• 3 • 9,875 a.

• 2,47% des pièces inventoriées portant mention d’origine • env. 0,6% du stock portant mention d’origine

1595, Plastrier • 35 • 385,625 a.

• 5 (soit 14,3%) • 53,5 a. (soit 13,9% du stock)

• 3 • 34,5 a.

• 60% des pièces inventoriées portant mention d’origine • 64,5% du stock portant mention d’origine

1611, de Bailly • 410 • 3 856,40 a. et 1 revêche

• 285 (soit 69,5%) • 2 652 a. (soit 68,77% du stock auné)

• 2 • 12,625 a.

• 0,7% des pièces inventoriées portant mention d’origine • 0,47% du stock portant mention d’origine

1633, Yon • 430 • 9 060,8 a., plus 50 revêches et 10 draps**

• 360 (soit 83,7%) • 7 503,50 a., plus 50 revêches et 10 draps (soit 82,8% du stock auné)

• 23 • 293,615 a.

• 6,4% des pièces inventoriées portant mention d’origine • 3,9% du stock auné portant mention d’origine

** Revêches de Beauvais déjà teintes, dont la longueur courante semble d’environ 21 aunes. Draps de Berry blancs, dont la longueur courante est d’environ 10,250 aunes une fois teints.

Autres origines des draps dans ces inventaires (entre parenthèses, nombre d’items) :

1540, Hamelin : Amiens (2), Aumale (2), Blangy (2), Étampes (1), Rosay (2), Sceau de Rouen (2), Vicomté (4).

1544, Bigot: Abbeville (4), Amiens (1), Angleterre (3), Beauvais (4), Berry (1), Espagne (1), Foucarmont (1), Gournay (1), Rouen (6), Saint-Arnoult (1), Sceau de Rouen (1), Vicomté (5).

1547, Michel : Abbeville (2), Amiens (2), Angleterre (3), Aumale (4), Blangy (1), Darnétal (1), Flandre (1), Espagne (1), Ris (2), Rouen (7), Sceau de Rouen (7), Vicomté (1).

1557, Coustart : Abbeville (1), Amiens (11), Angleterre (10), Aumale (8), Beauvais (3), Berry (14), Blangy (1), écosse (1), Foucarmont (3), Gournay (1),

1579, Guéret Amiens (2), Angleterre (6), Ascot (2), Beauvais (4), Berry (11), Hollande (1), Lormaye (2), Neuilly (1), Perpignan (2), Rouen (5), « Saint-Muscien » (1), Sceau de Limestre ou de Rouen (16),

1584, Joseph: : Amiens (6), Angleterre (14), Beauvais (11), Berry (45), Chartres (2), Espagne (4), Flandre (1), Foucarmont (1), Hollande (1), Limestre (7), Lormaye (1), Neuilly (1), « Saint-Duscen » (1), Sceau de Rouen ou du Roi (19), Senarpont (1), Sologne (3). — Le veuf mentionne également l’achat de 46 pièces de drap blanc de Romorantin réalisé début juin 1584.

1595, Plastrier : Angleterre (1), Senlis (1).

1611, de Bailly : Angleterre dont Londres et Norwich (34), Aumale (1), Beauvais (56), Berry (117), Blangy (2), Dieppe (3), Gisors (2), Limestre (40), Lormaye (1), Romorantin (10), Sceau de Rouen (17).

1633, Yon : Angleterre dont Londres (24), Beauvais (64), Berry (143), Darnétal (14), Dieppe (14), Dreux (22), Espagne (2), Limestre (5), Romorantin (2), Rouen (21), Sceau de Rouen (21), Ségovie (3), Valognes (1).

De ces quelques données chiffrées, on est donc enclin à considérer le drap de Meaux comme peu présent dans les boutiques des marchands drapiers parisiens. Cependant, si l’on confronte les données fournies par les neuf inventaires utilisés avec celles données par d’autres inventaires ou documents, on doit constater que sur ce point, l’enquête n’est pas terminée.

Prenons l’inventaire de Guillemette Michel, ouvert en septembre 1547 : il signale six pièces de frise de Meaux. Or l’inventaire de son mari, Guillaume Chenart18, ouvert le 7 juillet 1547, ne comporte pas de pièces 18 A.N., M.C., Et. CXXII, 1287.

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originaires de Meaux. D’ailleurs il ne signale que six origines géographiques (Abbeville, Amiens, Angleterre, Foucarmont, Ris, Rouen) tandis que celui de sa veuve en signale treize. Ajoutons que cet inventaire ne compte que 99 items, tandis que celui de sa veuve en compte 163. Et surtout – car on peut constater que les pièces de draps ont pu être réparties dans plusieurs items dans l’inventaire de Guillemette tandis qu’elles étaient groupées sous un seul dans celui de son mari – le stock de draperie ne se montait qu’à 1 015,875 aunes au moment de l’inventaire de Guillaume et était de près de 1 600 aunes au moment de la mort de Guillemette : celle-ci a donc effectué des achats après la mort de son mari, ou bien a reçu livraison de pièces commandées par son époux. Quoi qu’il en soit, c’est en juillet ou août que sont arrivées à Paris aussi bien les frises larges de Meaux que celles d’Angleterre, et un nombre important de blanchets (draps non teints) dont la provenance n’est pas mentionnée. Au final, de même qu’un inventaire doit toujours être analysé en envisageant l’âge de la personne décédée, il convient de l’envisager dans le cycle d’une activité commerciale, peut-être dans le cas présent dans un cycle saisonnier.

Puisqu’il vient d’être fait allusion à des draps blanchets, on peut examiner le fragment du courtier de draps meldois Robert Harelle qui couvre les années 1585-1586. Parmi les marchands pour lesquels Harelle effectue des achats de draps auprès des tisserands meldois ou aux foires de Meaux figure Michel Charpentier, gros marchand drapier parisien de la rue Saint-Honoré. Aux mois de mai et juillet 1585, de janvier et mars 1586, ce sont au minimum 62 pièces de draps blancs « de la ville » et 45 pièces de « draps des villages » qu’Harelle achète pour Charpentier. Or l’inventaire après décès de Michel Charpentier, commencé le 21 novembre 159019 ne mentionne aucune pièce de Meaux parmi les 329 pièces et lots de draps inventoriés, mais on y trouve en revanche une impressionnante énumération de draps noirs, de serges et d’estamets sans indication d’origine.

Plus tôt dans le siècle, l’inventaire après décès de Charles Guidier, de 1529, et celui de Perrette Coignet, veuve de Jehan Philippes, de 153920, illustrent que les draps de Meaux, s’ils sont bien achetés par les marchands parisiens, ont la fâcheuse particularité de disparaître en tant que tels dans les boutiques, une fois teints et apprêtés à Paris. Dans aucun de ces deux inventaires n’apparaît de drap de Meaux, mais les dettes envers des tisserands de Meaux que déclarent la veuve de Charles Guidier ou le fils de Perrette Coignet, montrent assez que Meaux est bien, dans cette première moitié de siècle une des places où s’approvisionnent les marchands drapiers parisiens. La veuve de Charles Guidier déclare des dettes montant à 1571 l. 59 s. 6 d.t. envers douze drapiers drapants meldois (et seulement à 377 l. 7 s. 7 d.t. envers cinq rouennais). Jehan Philippes le jeune, fils de Perrette Coignet déclare, en 1539, une dette de 419 l.t. envers six meldois (et de 410 l.t. envers quatre rouennais). Au milieu du siècle, le même processus est encore à l’œuvre : l’inventaire de la boutique de Jacques Chassebras, dressé en 1555 à l’occasion du décès de sa femme21, ne fait était d’aucun drap de Meaux parmi les 153 pièces énumérées, mais Jacques déclare au notaire qu’il a acquis récemment à Meaux même des draps pour un montant de 427 l. 1 s. 3 d.t., lesquels « sont a present sur les tinturiers et tondeurs ».

Alors si une part des draps fabriqués à Meaux ne sont plus, une fois apprêtés, distingués par leur origine dans les boutiques parisiennes, pourquoi d’autres, bien peu nombreux il est vrai, conservent-ils parfois leur appellation « de Meaux » ?

Dénominations et couleurs des draps de Meaux dans les inventaires

Dans les neuf inventaires de drapiers parisiens, comment sont signalées les pièces originaires de Meaux ? Deux termes seulement les désignent : celui de drap et celui de frise.

Le terme de drap est exclusif dans l’inventaire d’Hamelin, de 1540. Les deux pièces inventoriées sont teintes en noir, l’une de ces teintures est du « teint de Paris ».

C’est aussi seulement du drap de Meaux qu’on rencontre dans les cinq inventaires des années 1579, 1584, 1595, 1611 et 1633. Dans la boutique de Jean Guéret en 1579 comme dans celle de Nicolas Yon en 1633, les

19 A.N., M.C., Et. LXXXVI, 165. 20 A.N., M.C., Et. XXXIII, 10, fol. 469-484, inventaire après décès de Charles Guidier, marchand drapier de la rue de la Tonnellerie, 8 juillet 1529. — A.N., M.C., Et. LIV, 55, inventaire après décès de Perrette Coignet, veuve de Jehan Philippes, marchand drapier de la rue Saint-Honoré, 30 juillet 1539. 21 A.N., M.C., Et. LIV, 226 ter, inventaire d’Isabeau Guymier, épouse de Jacques Chassebras, marchand drapier de la rue de la Petite-Truanderie, 27 novembre 1555.

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teintes appliquées aux trente-six pièces ou coupons de draps de Meaux22 sont variées mais correspondent à trois domaines de la teinture de bon teint : la teinture en pastel ou guède (pour les bleus), puis en garance (pour les noirs) ou en gaude (pour les verts), la teinture en écarlate, enfin la teinture en guède ou pastel puis en cochenille, pour tous les cramoisis (écarlate violette, pourpre, pourpre brun, tanné cramoisi, passe-velours, cramoisi ou cramoisi brun, incarnat, mais aussi les gris brun de l’inventaire de Pierre de Bailly en 1611).

Quant à la frise de Meaux, elle est seulement mentionnée dans les inventaires de 1544, 1547 et 1557. Dans l’inventaire de Marie Bigot (1544) et dans celui de Guillemette Michel (1547), elle est le seul produit originaire de Meaux, de sorte qu’on pourrait envisager que dans les années quarante du XVIe siècle, les drapiers drapants meldois ont converti leur production vers un produit « nouveau », moins cher que l’ancien « drap de Meaux » mais qui ne doit pas être identifié avec les frises de très bas prix comme celles d’Amiens et d’Angleterre par exemple. Celles-ci, signalées dans les inventaires dès les première années du XVIe siècle, ne valent pas plus de 7 s.t. l’aune au long du siècle pour atteindre 13 s.t. en 1613. La frise de Meaux est un drap de qualité moyenne, si l’on se base sur son estimation (environ 40 s.t. l’aune), celle de l’inventaire de Guillemette Michel est qualifiée de « frise large » et est teinte en noir.

L’inventaire de Pierre Coustart, dressé en 1557, permet de comprendre que les drapiers drapants de Meaux ont produit en même temps du drap et de la frise. C’est le seul inventaire qui mentionne les deux qualités : six pièces de drap, toutes teintes en noir (estimées de 40 à 55 s.t. l’aune), et sept pièces de frise, soit noires soit de couleur (l’aune de frise noire est appréciée à 36 s.t., celle de couleur à 32 s. 6 d.t.).

En quittant les inventaires de drapiers parisiens, en poussant plus avant les investigations dans le temps, de nouvelles dénominations des draps de Meaux apparaissent.

Dans le registre de Robert Harelle, les draps que ce courtier de Meaux, achète ou aune pour des marchands de Paris, de Troyes ou de Lyon en 1585 et 1586, sont de plusieurs sortes, ou en tout cas désignés par plusieurs termes. Ce sont d’abord les « draps des villaiges » qu’apportent sur les foires et marchés de Meaux des marchands ou tisserands des villages environnant Meaux et qu’Harelle se contente d’auner pour les marchands parisiens. Mais l’essentiel de l’activité d’Harelle porte sur les draps de Meaux : ceux-ci sont appelés en une occasion « draps de la ville » mais de façon systématique des « blancs », c’est-à-dire des draps non teints. Le prix à l’aune de ces draps, qui varie du simple à près du triple (de 50 s.t. à 140 s.t.), est un élément important pour saisir qu’au moins en ces années 1585-1586, la production drapière de Meaux n’est pas du tout uniforme ; un même tisserand peut d’ailleurs proposer des draps de qualités très différentes. Enfin, Robert Harelle désigne par deux termes différents une même pièce de drap. Le 2 septembre 1585, il achète à un tisserand de Meaux un « banc frizé » qu’il revend le 11 septembre suivant à un marchand de Paris sous l’appellation « frize blanche ». Cette simple mention, qui devra encore être confirmée par d’autres, laisse supposer que les « frises de Meaux » inventoriés dans les boutiques des marchands drapiers parisiens, sont elles aussi des « draps frisés », peut-être seulement des draps dont les fibres ont été tirées pour former une nappe de boucles. Ce drap frisé qu’Harelle achète au prix de 65 s.t. l’aune (pour le revendre à 67 s. 6 d.t. l’aune, réalisant ainsi et en une semaine un profit de 3,7%) se situe, d’après son prix, parmi les draps de moindre qualité achetés par ce courtier meldois pour le compte des marchands de Paris, de Troyes ou de Lyon.

En 1603 et 1604, un marchand parisien de la rue Saint-Antoine, Claude Parfait, commande à des drapiers drapants de Meaux plusieurs pièces de draps23. Toutes ces commandes portent sur un même type de drap : le « passefin drap façon de Meaux » (dans les actes passés à Paris) ou « grand drap passefin » (dans celui passé à Meaux). « Passefin » est un terme rare, inconnu des dictionnaires et encyclopédies de l’époque moderne, mais auquel Cotgrave consacre une entrée. Dans son dictionnaire français-anglais, dont la première édition date de 161124, le « Passe-fin » y est défini comme un « excellent fine cloth ». Il faut effectivement retenir de cette dénomination l’idée d’un drap « au-delà » du drap fin, d’un drap d’excellente qualité, comme le sont les draps 22 Les draps de Meaux inventoriés dans ces deux boutiques représentent la moitié des pièces de Meaux repérés dans les inventaires parisiens actuellement exploités. 23 Contrats des 9, 14 et 21 janvier 1603, passés à Paris en la présence des drapiers drapants de Meaux et de Claude Parfait, A.N., M.C., Et. CVIII, 34, pièces 13, 19 et 38. Contrat du 4 décembre 1604, passé à Meaux entre un drapier drapant de la ville et Robert Harelle, courtier de draps et facteur de Claude Parfait, Arch. dép. de la Seine-et-Marne, 143 E 2. Vingt pièces de drap sont, au total, commandées. 24 Randle Cotgrave, A Dictionarie of the French and English tongues, Londres, printed by A. Islip, 1611. Cette première édition a fait l’objet de rééditions dès le XVIIe siècle, puis de réimpressions, et est finalement consultable sous forme numérisée sur le site Gallica de la Bibliothèque nationale de France.

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« oultreffins » d’Armentières25. « Passefin » et « outrefin » sont d’ailleurs deux termes utilisés en 1557 dans l’inventaire après décès d’un drapier drapant de Paris – peut-être l’un des derniers en activité dans la capitale – Thomas Quatorze, pour désigner à la fois une qualité de laine mise en œuvre par ce tisserand et des draps de sa fabrication26. Sans doute donc, « passefin » n’est pas une appellation commerciale, susceptible d’être reprise dans des inventaires de boutiques.

Longueur et largeur des draps de Meaux

Les inventaires après décès des marchands drapiers parisiens sont d’un très faible intérêt pour définir les dimensions des draps de fabrication meldoise. La largeur des draps n’y est jamais indiquée, quant à leur longueur, et même lorsque sont inventoriées des « pièces » de drap ou de frise, il est impossible de savoir si cette pièce est entière ou déjà entamée.

Longueur maximale des pièces de draps de Meaux dans les inventaires parisiens.

Inventaire Qualité de la pièce Longueur de la pièce

1540, Hamelin Drap 6,5 aunes

1544, Bigot Frise 14,125 aunes

1547, Michel Frise large 11,250 aunes

1557, Coustart Drap

Frise

9,75 aunes

7,5 aunes

1579, Guéret Drap 13,5 aunes

1584, Joseph Drap 3,875 aunes

1595, Plastrier Drap 13,75 aunes

1611, de Bailly Drap 9,25 aunes

1633, Yon Drap 10,375 aunes

Les statuts médiévaux des tisserands de Meaux, confirmés en 1498 par Louis XII, ne contiennent pas d’indication sur les dimensions des draps27. En revanche, des textes réglementaires plus généraux, fixant les impositions et taxes par exemple, en contiennent, tout comme les commandes de draps passées par Claude Parfait en 1603 et le registre du courtier Robert Harelle de 1585-1586. Dans tous ces documents, la longueur est celle d’un drap blanchet donc non teint, sans doute d’un drap foulé.

Regroupées, ces données laissent supposer un changement important de la production meldoise au XVIIe siècle, entre le début de ce siècle et l’ordonnance colbertienne : celle-ci fixe un drap de Meaux plus long mais surtout plus étroit que tout ce qui a été produit ou normé jusque là. Quant au tarif d’imposition parisien de 1593, on doit sans doute le comprendre comme faisant référence à un demi-drap.

25 Voir les ordonnances de la draperie d’Armentières rédigées au XVIe siècle, par exemple celle du 20 août 1565 qui réglemente la fabrication des draps de neuf quartiers, nouvellement introduite dans la ville et qui contient de nombreuses références à ces « oultreffins », Henri-E. de Sagher, Recueil de documents relatifs à l’histoire de l’industrie drapière en Flandre, Deuxième partie, Le Sud-Ouest de la Flandre depuis l’époque bourguignonne, Tome I, Documents généraux, Armentières, Caëstre, Bruxelles, 1951, p. 99-496, aux p. 193-194. 26 Inventaire après décès de Thomas Quatorze, marchand drapier drapant de la rue Saint-Victor, 14 décembre 1557, A.N., M.C., Et. VIII, 116, fol. 325-355. 27 Confirmation par le roi Louis XII des statuts des tisserands en draps de Meaux, octobre 1498, A.N., JJ 231 nº 193, fol. 147-149v. Voir leur édition en annexe.

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Longueur des pièces de drap de Meaux dans les textes réglementaires et les actes de la pratique.

Année Source Qualité du drap Longueur de la pièce Largeur

1582 Arrêt d’évaluation pour la levée du sol pour livre

Drap de Meaux 20 à 25 aunes

1585-1586

Registre du courtier Robert Harelle

Blanc ou drap de la ville

17 à 28,5 aunes.

Mais 80% des 221 pièces signalées mesurent entre 23 et 25,5 aunes

1593 Imposition des marchandises dans Paris

Drap de Meaux 10 aunes ou environ

1603 Commandes de draps par Claude Parfait

Passefins façon de Meaux

25 à 26 aunes 1,125 aunes entre les lisières

1669 Ordonnance sur les longueurs

Draps de Meaux, fins ou moyens

30 à 32 aunes 1 aune lisières comprises

Sources. 1582, Edict du Roy, par lequel sa Majesté veut et ordonne que le droict d’un sold pour livre soit levé par tout le royaume, sur les draps et tous ouvrages et manufactures de laine, aux charges contenues audict edict. Ensemble les lettres d’evaluation et l’arrest de la Court des Aydes, Paris, Frédéric Morel, 1583. — 1585-1586, fragments du registre du courtier de draps Robert Harelle, Arch. dép. de la Seine-et-Marne, 143 E 2. — 1593, « Tableaux de l’impositions des marchandises [entrant dans Paris], dressé à l’occasion de la trêve générale », 20 août 1593, dans Registres des délibérations du bureau de la ville de Paris, t. X, 1590-1594, éd. par Paul Guérin, Paris, 1902 (Histoire générale de Paris), p. 364-370, à la p. 365. — 1603, contrats de commande de draps de Meaux passés en janvier 1603 par Claude Parfait, marchand drapier et bourgeois de Paris, A.N., M.C., Et. CVIII, 34, pièces 13, 19, 38. — 1669, Règlemens et statuts généraux pour les longueurs, largeurs et qualitez des draps, serges et autres étoffes de laine et de fil, et pour la jurisdiction des procez et différens concernans les manufactures, attribuée par le Roy aux maire et échevins des villes… (cf. note 7).

Laines mises en œuvre par les tisserands meldois

Sur la question des laines mises en œuvre par les tisserands de Meaux, les statuts confirmés en 1498 n’apportent pas d’information : qualités et origines des laines autorisées dans cette draperie ne sont pas des questions abordées par ce texte normatif. En revanche, quelques inventaires après décès de drapiers et de marchands de laine parisiens, quelques actes du Minutier central évoquent la question des laines.

Dès la première moitié du XVIe siècle, les marchands parisiens fournissent aux drapiers drapants de Meaux tout ou partie des laines que ceux-ci tissent. En juillet 1545, l’inventaire après décès de la femme de Jacques Delacourt, marchand de cuirs et de laine de la rue au Feurre28 signale d’une part, parmi ses marchandises, une quantité importante de toisons de laine (3 143 toisons) ainsi qu’une petite quantité de laines blanche et noire (143 livres seulement), et d’autre part, parmi les dettes actives de Delacourt, des cédule émises en décembre 1544 par des marchands drapiers parisiens au profit de marchands de Meaux. Delacourt détient ces cédules par transport fait à son profit par les marchands de Meaux. Si les montants de ces créances sont relativement faibles (194 l.t. au total), la présence de ces créances parmi les actifs de Delacourt illustre les relations commerciales entre Paris et Meaux : vente par des marchands de cuir et laine parisiens de laine à des tisserands de Meaux, vente par ces derniers de leur production à des marchands drapiers parisiens29. Quelles laines cependant vend Jacques Delacourt aux Meldois ? Ici encore, l’inventaire de sa femme nous fournit une réponse à travers la longue énumération des baux de bêtes à laine contractés par Delacourt : des laines de l’Île-de-France et de la Brie30.

Mais les marchands parisiens, parce qu’ils sont impliqués dans un commerce à plus grande échelle, vendent aux tisserands meldois d’autre laines que celles d’Île-de-France et offrant d’autres qualités. Laines languedociennes peut-être, à suivre un acte de 1551 mettant en relation trois protagonistes : un groupe de cinq drapiers drapants meldois qui ont acheté en janvier et mars de cette année des laines pour un montant de 429 l.

28 7 juillet 1545, inventaire après décès de Marie Everard, femme de Jacques Delacourt, marchand, bourgeois de Paris, A.N., M.C., Et. CXXII, 302. 29 Dans cette relation triangulaire, les tisserands de Meaux paraissent quelque peu contraints par leurs fournisseurs parisiens, nous reviendrons plus loin sur cette question. 30 Les troupeaux de bêtes à laine (1 146 au total) sont sur les paroisses de Chelles, Noisy-le-Grand, Champs-sur-Marne, Torcy et Lognes d’une part, sur celles de Corbeil, d’Orly et de Fresnes d’une autre.

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9 s.t., un marchand d’Agde qui leur a vendu ces laines, enfin un marchand parisien, Nicolas Couppel à qui appartenaient les laines et qui reconnaît avoir reçu le montant de leur vente du marchand d’Agde (celui-ci conservant en ses mains les reconnaissances de dettes passées par les Meldois)31. Laines d’Espagne, et plus précisément de Valence selon un acte de 1578. En janvier de cette année, cinq drapiers drapants meldois contestent devant des notaires du Châtelet la qualité, et donc le prix, de la laine que leur a vendue Jean Lesaige, marchand drapier de Paris32. Si l’acte ne précise pas le nombre de balles qu’achetèrent ces Meldois en septembre 1577, il indique cependant l’origine de la laine : Valence. De plus, il précise que cette vente de septembre a été précédée d’une vente de laine analogue n’ayant pas donné lieu à litige, montrant ainsi que cet achat de septembre 1577 s’inscrit dans un circuit d’achat de laines bien établi.

Les actes relatifs à la vente de laine et postérieurs à 1578 confirment la place que continue de tenir Paris dans l’approvisionnement en laine des tisserands meldois, mais n’apportent pas de nouvelles informations sur l’origine et la qualité de ces laines.

En juin 1591, Michel Passart et François Sarrus, son gendre, marchands pelletiers du quai de la Mégisserie, s’accordent avec Nicolas Levasseur, marchand drapier de la rue Comtesse-d’Artois, devant notaires et suite à une sentence prononcé le 13 mars 1591 par les juge et consuls de Paris33. Levasseur transporte à Passart six créances qu’il détient sur des marchands de Bretagne montant ensemble à 2 747 ∇ 10 s. 2 d.t. (soit 8 241 l. 10 s. 2 d.t.) pour s’acquitter d’une dette qu’il a envers Passart et Sarrus montant 2 384 ∇ 10 s.t. (soit 7 152 l. 10 s.t.)34. Cette dette se compose pour 853 ∇ 40 s.t. d’une cédule émise par Levasseur en faveur de Passart en 1588 (soit près de 36% de la dette totale) et de dix-sept cédules émises d’octobre 1587 à décembre 1588 par Levasseur au profit de divers marchands, puis transportées (à des dates non mentionnées dans l’acte de 1591) par ces marchands à Passart et Sarrus. Or, onze de ces dix-sept cédules ont été émises par Levasseur en faveur de huit marchands de Meaux (pour un montant de 744 ∇, soit 31% de la dette totale35). Le schéma commercial est donc identique à celui déjà décrit dans l’acte de 1545 concernant Delacourt : un marchand drapier parisien (ici Levasseur) règle à des marchands drapiers drapants de Meaux ses achats de draps en émettant des cédules, théoriquement payables à un an, ces marchands drapiers paient avec ce papier commercial les laines qu’ils achètent aux Parisiens (Passart et Sarrus).

La Ligue n’a pas interrompu cette relation commerciale entre les deux places : après 1594, Paris reste un lieu d’approvisionnement en laine pour les Meldois. Non seulement en 1603 et 1604, Claude Parfait, quand il commande des draps à des tisserands meldois leur fournit la laine blanche qu’ils mettront en œuvre, mais surtout en 1601, l’inventaire après décès de la femme de Pierre Bruneau, maître tisserand en draps de Meaux36, fait état de dettes de ce dernier envers deux marchands de laine parisiens : de nouveau François Sarrus (dette de 345 ∇ 6 s.t.), et Jean Dupouget, marchand de la rue des Petits-Champs que l’on connaît pour intervenir dans le commerce de laines languedociennes37 (dette de 378 ∇).

Les acteurs et l’organisation du commerce

À partir de la documentation parisienne, les points qu’il est le plus aisé d’approcher sont ceux relatifs au temps, aux lieux et aux modes d’achat des draps de Meaux par les marchands parisiens ; les fragments du registre du courtier Robert Harelle viennent heureusement confirmer les éléments recueillis.

31 A.N., M.C., Et. VIII, 149, fol. 6., acte du 4 avril 1551.

A.N., M.C., Et., LXI, 83, acte du 2 janvier 1578. 33 A.N., M.C., Et. LXXXVI, 132, fol. 520-524v, acte du 26 juin 1591. 34 L’accord prévoit que si Passart et Sarrus perçoivent plus que cette somme de 2 384 ∇ 10 s.t., ils reverseront le surplus à Levasseur, ou bien lui rendront les créances dont ils n’auront pu percevoir le paiement. 35 Les six autres cédules que détiennent Passart et Sarrus ont été émises par Levasseur en faveur d’un marchand de Beauvais (pour la somme assez minime de 20 ∇) et de quatre personnes dont le seul nom n’a pas encore permis l’identification : rien n’empêche actuellement d’envisager que parmi ces quatre personnes se trouvent aussi des marchands de Meaux. 36 Arch. dép. de la Seine-et-Marne, 80 E 62, inventaire de Barbe Duru, épouse de Pierre Bruneau, maître tisserand de Meaux, 2 septembre 1601. 37 Un acte du 22 janvier 1592 fait état de la livraison à deux gros marchands merciers de Paris, de 38 balles de laine blanche et cardée de Languedoc par l’entreprise de Jean Dupouget, associé dans cette affaire avec deux marchands de Pézenas, A.N., M.C., Et. LXXXVI, 133, fol. 38-v.

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Achat de draps par commande

Les quatre actes de 1603 et 1604 par lesquels Claude Parfait passe commande de draps auprès de tisserands de Meaux restent actuellement exceptionnels par le type de relations économiques qu’ils mettent en lumière, ni du verlagsystem ni du kaufsystem. Ces relations s’inscrivent sur fond d’un métier organisé dans une ville « juree et de loy », comme le rappelle la confirmation de 1498 des statuts des tisserands de draps de la ville38.

Claude Parfait, marchand drapier parisien, est ici le donneur d’ordre. Il fournit la matière première aux tisserands : de la laine blanche avec laquelle ils fabriqueront des draps conformes à un échantillon que leur a montré le courtier Robert Harelle (le même que celui dont on a conservé les fragments de registre, ou bien son fils ?) et dont la longueur et la largeur sont définies par les contrats. Ces tisserands seront finalement payés à la pièce, ou plus précisément ici à l’aune. Le prix à l’aune précisé dans le contrat comprend le prix de la laine, la préparation de celle-ci, sa mise œuvre dans le tissage, probablement enfin le foulage du drap tombé du métier, son lanage, et de façon certaine sa livraison à Paris même. Le contrat prévoit donc que la valeur de la laine sera déduite du prix final du drap livré. Enfin, un délai de réalisation et de livraison de la marchandise est fixé, tout comme le mode de paiement des pièces fournies.

Acte du 9 janvier 1603 Acte du 14 janvier 1603 Acte du 21 janvier 1603 Acte du 4 décembre

1604 Noms des tisserands, métiers mentionnés

Jacques Boyvin, marchand drapier-drapant à Meaux

Macé de Cault, marchand drapier à Meaux

Jean Larimé et Nicolas Braille, marchands drapiers drapants à Meaux

Nicolas Poussain, marchand drapier à Meaux

Nombre de pièces

2 draps passefins 8 draps passefins 2 draps passefins chacun 6 draps passefins

Longueur et largeur

25 à 26 aunes de long 1,125 aune de large entre les lisières

25 à 26 aunes de long 1,125 aune de large entre les lisières

25 à 26 aunes de long 1,125 aune de large entre les lisières

(longueur non indiquée) 1,125 aune de large entre les lisières

Poids de laine fournie par Claude Parfait

318 livres nettes, toutes déductions faites (soit 159 livres pour un drap)

960 livres nettes, toutes déductions faites (soit 120 livres pour un drap)

320 livres nettes à chacun (soit 160 livres pour un drap)

(non mentionné)

Valeur estimée de la laine fournie

343 l.t. 1 035 l.t. 345 l.t. les 320 livres 1 162 l.t.

Prix à l’aune 6 l. 5 s.t. l’aune 6 l. 5 s.t. l’aune 6 l. 5 s.t. l’aune 7 l. 5 s.t. l’aune, plus 45 l.t. par pièce

Prix total des draps

312 l. 10 s.t minimum à 325 l.t. maximum

1 250 l.t. minimum à 1280 l.t. maximum

312 l. 10 s.t minimum à 325 l.t. maximum

1 442 l.t. (somme indiquée dans l’acte)

Lieu de livraison

Hôtel de Claude Parfait, à Paris Hôtel de Claude Parfait, à Paris

Hôtel de Claude Parfait, à Paris

(non mentionné)

Délai de livraison

2 mois 6 semaines :3 draps 1 mois suivant les 6 semaines : les 5 autres draps.

2 mois 2 draps avant le 20 janvier, les 4 autres le samedi franc de mars.

Conditions de paiement des draps

Les draps sont estimés à une valeur inférieure à celle de la laine fournie, mais Parfait doit à Boyvin la somme de 60 l.t. Au plus, Boyvin peut donc espérer toucher quelque 20 l.t. Cependant l’acte prévoit que Boyvin reste débiteur de Parfait, et il est contraint de nantir sa promesse avec deux cédules de marchands parisiens payables à six mois (montant ensemble à 197 l. 10 s.t.).

Paiement en deniers comptants par Parfait, si les draps excèdent la valeur de 1 035 l.t. Paiement par des cédules de marchands de Paris, payables à six mois, si les draps livrés sont d’une valeur inférieure à celle de la laine fournie.

La valeur de la laine fournie est a priori supérieure à l’estimation de la valeur des draps. Si tel est le cas, chacun paiera à Parfait le surplus du prix de la laine en cédules de marchands de Paris, payables à six mois. Dans le cas contraire, paiement en deniers comptants par Parfait.

L’acte ne prévoit pas que Poussain puisse devoir de l’argent à Parfait, une fois la livraison faite. Mais il devra accepter pour son paiement d’abord de reprendre une cédule que détient Parfait, ensuite des cédules sur des marchands de Paris et de Troyes.

38 Voir en annexe 1 l’édition des statuts des tisserands de draps de Meaux confirmés en 1498, et en annexe 2 celle des contrats des 14 janvier 1603 et 4 décembre 1604.

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Dans ces clauses relatives au paiement du travail, il est toujours envisagé que le travail réalisé ne vaudra pas, au final, le prix de la laine mise en œuvre, et cela en dépit d’un prix à l’aune fixé au départ et d’une définition précise du drap à fabriquer. Marché de dupes ou, sous l’apparence d’un marché librement contracté par les deux parties, façon pour Claude Parfait, d’obtenir règlement de dettes ? Dans deux contrats, la valeur de laine excède le prix fixé entre les parties pour la réalisation des draps (contrat avec Jacques Boyvin et contrat avec Jean Larimé et Nicolas Braille) ; dans les trois actes passés à Paris, il est toujours envisagé que les Meldois, après avoir livré les draps, restent redevables envers Claude Parfait et qu’ils s’acquittent de cette dette en lui transférant des cédules de marchands de Paris, payables dans un délai très court de six mois. Seul l’acte passé à Meaux, avec Nicolas Poussain ne prévoit pas que celui-ci, une fois qu’il aura livré ses draps, restera redevable envers Parfait ; en revanche, il précise que la première partie du paiement que fera Parfait consistera en l’effacement d’une dette due par Poussain, et le reste consistera en cédules de marchands de Paris ou de Troyes.

Pour bien comprendre ces actes, il faudrait pouvoir les comparer à d’autres commandes de draps, même passées auprès de tisserands d’autres villes ou région : nous n’en connaissons pas pour l’instant. En revanche,

Achat en foire des draps de Meaux par les marchands parisiens

Les foires de Saint-Denis, celle du Lendit qui se tient en juin et celle de la Saint-Denis en octobre, ne paraissent pas avoir été des lieux privilégiés par les drapiers drapants meldois pour vendre leur production.

Certes, au XIVe et au début du XVe siècle, la présence de marchands drapiers de Meaux sur ces foires, en particulier sur celle du Lendit, est attestée aussi bien par le Dit du Lendit que par la liste des « priz des loiges du Lendit » que donne le Livre vert de Saint-Denis (mais celle-ci livre peut-être, en ce début du XVe siècle, un état déjà ancien des villes dont sont originaires les marchands fréquentant la foire)39.

Mais pour les premiers temps de l’époque moderne, les sources disponibles, les registres des foires de Saint-Denis pour la fin du XVe siècle et jusqu’en 157940, répondent difficilement à quelques questions simples : les draps de Meaux sont-ils exposés à la vente sur ces foires, en quelle quantité – sinon en quelle proportion – et à quel moment du circuit de la consommation des draps ? Autrement dit, les drapiers drapants de Meaux viennent-ils vendre eux-mêmes leur production sur ces foires, ou confient-ils leur production à un commissionnaire, et quelle part de leur production pourrait être vendue de la sorte ?

La série des registres des foires de Saint-Denis est très lacunaire, et pas totalement homogène. On n’y relève que très peu de traces de marchands meldois. Seuls les registres de la fin du XVe siècle en mentionnent, d’ailleurs en petit nombre et en des lieux de la foire réservés aux drapiers-drapants venant exposer leur

39 L’auteur du Dit du Lendit rimé, pièce du premier tiers du XIVe siècle, n’oublie pas de mentionner « Miaux » parmi les villes dont sont originaires les marchands du « mestier hautain », c’est-à-dire les drapiers ; la pièce – dont la version manuscrite se trouve dans le ms BNF, ms fr 24432, fol. 261v-sq – a été plusieurs fois éditée, par exemple par Étienne Barbazan, Fabliaux et contes des poètes françois… nouv. éd. par Dominique-Martin Méon, Paris, 1808, t. II, p. 301-307 (cette édition a fait l’objet d’un reprint en 1976 par Slatkine Reprints, consultable sous forme numérique à la BNF), par Gustave Fagniez, Documents relatifs à l’histoire de l’industrie et du commerce en France, t. II, Paris, 1900 (Collection de textes pour servir à l’étude et à l’enseignement de l’histoire), doc. n° 79, p. 173-179, ou encore, d’après cette dernière édition dans l’Atlas de Saint-Denis des origines au XVIIIe siècle, sous la dir. de Michaël Wyss, Paris, 1996 (Documents d’archéologie française, 59), doc. 124, p. 390. — Cartulaire confectionné en 1411 sur ordre de l’abbé Philippe de Villette, le Livre vert est composé de deux volumes que complète un volume de tables alphabétiques réalisées au XVIIIe siècle, il est conservé aux Archives nationales, sous les cotes LL 1209-1211 (copie aux Archives municipales de Saint-Denis, GG 17-18). Le « priz des loiges du Lendit » occupe les p. 450-454 du ms A.N., LL 1209, Meaux est cité à la p. 454, parmi une centaine de villes d’où viennent les marchands exposant des draps au Lendit. 40 A.N., LL 1312, 1313 et 1314. Ces volumes offrent la réunion – malheureusement lacunaire –des registres du placier de la foire. Lorsqu’ils sont conservés, ces registres livrent pour la foire (de la Saint-Denis ou du Lendit) d’une année donnée et selon un parcours ritualisé, les noms des marchands ayant loué une ou plusieurs loges. Ces noms s’accompagnent parfois de la ville d’origine du marchand et de sa spécialité. Les registres n’ont pas été conservés de façon exhaustive. Pour la foire du Lendit (quinze jours en juin), sont conservés ceux des années 1487 à 1490, 1495 à 1497, 1518, 1533, 1530, 1537, 1571, 1575 et 1579 ; pour celle de la Saint-Denis (en octobre) les registres pour les années 1487, 1489, 1490, 1495 à 1497, 1527, 1529, 1535, 1539 et 140, enfin 1571. Rappelons que la foire du Lendit qui se tenait traditionnellement sur le champ de foire du même nom – mais certaines marchandises, comme la pelleterie, se vendaient dès 1444 dans le bourg – fut définitivement déplacée dans le bourg de Saint-Denis en 1556 et occupa dès lors le même espace que la foire de Saint-Denis, la place aux chevaux et sans doute d’autres marchés aux bestiaux se maintenant cependant hors de la ville. Pour un état de la question, voir Anne Lombard-Jourdan, « Les foires de l’abbaye de Saint-Denis. Revue des données et révision des opinions émises », B.E.C., t. 145, 1987, p. 273-338, à compléter par l’Atlas de Saint-Denis des origines au XVIIIe siècle, sous la dir. de Michaël Wyss, Paris, 1996 (Documents d’archéologie française, 59).

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production (ou peut-être seulement le reste de leur production, après avoir vendu la presque totalité de celle-ci à des marchands drapiers). Si, en 1487, un drapier de Meaux loue une loge dans la rue dite de Louviers41, en 1489 et en 1497, les Meldois s’installent aux « places de drapperie » ou « places sur terre », entourés d’autres drapiers drapants de l’Île-de-France (Senlis, Gisors, Lagny, etc.), pour y vendre quelques draps « blanchets », c’est-à-dire des draps non teints. Ces marchands doivent s’acquitter d’une taxe de 12 d.t. pour chaque pièce de drap exposée à la vente. En 1489, trois Meldois sont placés côte à côte et proposent ensemble sept draps ; ils y sont entourés d’un marchand de Senlis et d’un autre de Gisors, qui proposent chacun huit pièces, tandis qu’un marchand de Chaumont-en-Vexin42 met en vente dix draps et qu’un autre de « Illiertz près de Chams »43 en expose dix-sept44. Dans le registre du Lendit de 1497, un seul Meldois est mentionné parmi ceux qui occupent des places sur terre : Jehan Adam de Meaux expose dix pièces de drap et est donc taxé à 10 s.t. Mais le placier a noté dans son registre « Jehan Adam, de Meaulx, pour Meaux, Coully et Cressy45 » ; et cette précieuse indication permet de comprendre finalement que les marchands qui prennent des places sur terre n’exposent pas nécessairement leur seule production, qu’ils peuvent représenter d’autres fabricants de leur ville ou village, ou n’être que le facteur de plusieurs fabricants d’un même lieu, ou enfin, être des petits marchands revendeurs, ayant déjà acheté la production d’un ou plusieurs drapiers drapants et venant la revendre aux foires de Saint-Denis.

Enfin, les registres postérieurs à 1497, mais antérieurs au transfert de la foire du Lendit dans le bourg de Saint-Denis, signalent finalement que les places sur terre sont désormais affermées46. Dès lors, la source, déjà peu abondante, est tarie. Et elle n’a pas permis de savoir si, oui ou non, les foires de Saint-Denis pouvaient être un des lieux où s’approvisionnaient les marchands drapiers parisiens en draps de Meaux.

En revanche, la fréquentation des foires de Meaux, ou de la place de Meaux, par les marchands drapiers parisiens pour y acheter des draps est attestée par quelques inventaires après décès et par les fragments du registre du courtier Harelle.

Au Moyen Âge et à l’époque moderne, Meaux comptait cinq foires dans l’année. Les foires de la Saint-Sébastien (en janvier), de la mi-mai et de la Saint-Fiacre (le 30 août) ne duraient chacune qu’un jour. Deux autres foires étaient plus importantes : la foire de la Grignon qui se tenait les mardi et mercredi avant les Rameaux (« Pâques fleuries »), et celle de la Saint-Martin qui, depuis 1409, se déroulait sur quatre jours, les 10 et 11 novembre près de la léproserie Saint-Lazare, à l’est de la ville, et les 12 et 13 novembre en ville, devant la

41 A.N., LL 1313, fol. 30v, Nicolas Gorgete : son nom n’apparaît dans aucun autre registre. 42 Chaumont-en-Vexin, Oise, arr. Beauvais, ch.-l. de cant. 43 Localité non identifiée, peut-être Illiers-Combray, Eure-et-Loir, arr. Chartres, ch.-l. de cant. ; mais « Chams » évoque aussi Champs-sur-Marne (Seine-et-Marne, arr. Torcy, ch.-l. de cant.). 44 A.N., LL 1312, fol. 120v-121, pour les « places de drapperie », au fol. 121 pour les Meldois. Parmi les trois marchands meldois, seul Andry de La Granche apparaît dans des registres postérieurs, soit du Lendit et de la Saint-Denis, cependant à d’autres emplacements de ces foires, parfois avec une autre origine géographique et surtout l’indication d’un métier différent de celui de drapier ! Au Lendit 1495, un « Andry de La Granche », originaire de Paris occupe la sixième loge sur la Chaussée « a commencer a compter vers Sainct Denis, dotz vers Haulbervilliers » (A.N., LL 1312, fol. 329v). Au Lendit 1497, le même, à présent qualifié de pourpointier de Paris, occupe la huitième loge de la même rue (A.N., LL 1313, fol. 98v). Enfin, à la Saint-Denis 1497, Andry de La Granche occupe une loge dans la rue des tapissiers (A.N., LL 1312, fol. 485v). Mais Andry de La Granche n’apparaît pas dans les registres du Lendit pour les années 1490 et 1496, ni dans les registres de la Saint-Denis pour les années 1489, 1490, 1495 et 1496. 45 Coully : Couilly-Pont-aux-Dames, Seine-et-Marne, arr. Meaux, cant. Crécy-la-Chapelle. Cressy : Crécy-la-Chapelle, Seine-et-Marne, arr. Meaux, ch.-l. de cant. 46 Lendit 1518 : A.N., LL 1314, fol. 46, Jehan Martin le jeune, de Saint-Denis, prend à ferme ces places pour la somme de 10 l.t. Lendit 1522 : A.N., LL 1314, fol. 86v, Jehan Martin (probablement le même) prend à ferme les « quatre loges foraines au Landit » pour la somme de 8 l. 10 s.t. Lendit 1530 : A.N., LL 1314, fol. 203v, la veuve de Jehan Martin prend à ferme pour la somme de 32 l.t. les quatre loges aux blanchets et les places foraines. Lendit 1537 : A.N., LL 1314, fol. 185, Collette Bouchier, veuve de Simon Bardin, et à présent femme de Pierre Laillier prend à ferme les quatre loges aux blanchets et les places foraines pour les deux foires de l’année, soit 20 l.t. pour le Lendit et 12 l.t.. pour la Saint-Denis. Cette dernière indication elle-même permet d’envisager que le prix payé par la veuve de Jehan Martin, en 1530, couvrait également les deux foires de l’année ; elle signale enfin qu’à la Saint-Denis aussi, les marchands forains pouvaient disposer de places pour exposer leur production à la vente… ce que les registres de la Saint-Denis pour la fin du XVe siècle n’avaient pas laissé comprendre.

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cathédrale. En 1509, suite à un accord entre le maître de la léproserie et la ville et en échange d’une redevance versée par cette dernière à Saint-Lazare, la foire est installée pour les quatre jours en ville47.

L’inventaire après décès d’Ysabeau Guimier, épouse du marchand drapier parisien Jacques Chassebras, ouvert le 27 novembre 1555, confirme que la foire de la Saint-Martin peut être une occasion d’achat de draps de Meaux par les Parisiens48. Jacques Chassebras – dont aucun drap de Meaux n’est signalé dans sa marchandise – y déclare avoir acheté sur la dernière foire Saint-Martin à Meaux, « plusieurs draps » qui sont à présent chez les teinturiers et tondeurs pour un montant de 420 l. 6 d.t. Malheureusement Chassebras ne précise ni le nombre de pièces achetées ni auprès de combien de marchands il a effectué ses achats.

De la même façon, Robert Harelle note la présence de Michel Charpentier, marchand drapier parisien pour lequel il achète régulièrement des draps, sur la Grignon de 1586 : « Nota que mons. Charpentier est venu a la foire de Grignon qui estoit le XXVIe jour de mars l'an 1586 et a faict achapt de douze draps des villaiges, y comprins deux demys pour ung a luy envoyez »49. Et c’est à l’occasion des foires de la mi-mai 1585, de la Saint-Sébastien 1586 (le 14 et non le 20 janvier) que Robert Harelle aune des draps des villages destinés à ses commanditaires parisiens.

Deux autres inventaires font état d’achat de draps à Meaux même, mais à d’autres occasions que les foires de cette ville. L’inventaire dressé en mai 1557 à l’occasion de la dissolution de la société entre Germaine Legoix, veuve de Nicolas L Sellier, marchand drapier de Paris, et de son gendre Estienne Leroy, mentionne ainsi un «livre de pappier couvert de parchemyn intitulé ‘pappier de l’achapt pour le sire Estienne Leroy’ commençant le XXVIIe avril Vc LVII a Meaulx »50. A la fin du siècle, on relève de nouveau, dans l’inventaire de Michel charpentier qu’on vient de rencontrer sur la foire de Grignon 1586, un livre d’achat de draps qui s’ouvre par des achats faits à Meaux : « Item, un autre livre de papier relié et couvert de parchemin (…) commençant au XVIIe feuillet ‘A Meaulx, le XXe febvrier M Vc IIIIxx deux’ »51.

D’autres actes viennent confirmer, plus tôt dans le XVIe siècle ou à la toute fin de celui, les achats de draps effectués par les drapiers parisiens auprès de tisserands de Meaux, mais aucun ne donne de renseignements sur les lieux, les temps et les conditions de ces achats. En 1529 par exemple, à l’occasion de l’établissement de l’inventaire de Charles Guidier, marchand drapier de la rue de la Tonnellerie, sa veuve déclare des dettes montant à 1 643 l. 19 s. d.t. envers douze marchands de Meaux52. En 1539, lors de l’inventaire de sa femme, Jehan Philippes, marchand drapier de la rue Saint-Honoré, déclare une dette de 419 l.t. envers six marchands de Meaux53. Or, constatons-le encore une fois, aucun des inventaires de ces deux boutiques ne mentionne du drap de Meaux.

À la fin du siècle, en 1597, Geneviève Charpentier, la fille du marchand Michel Charpentier, déclare à l’occasion de l’inventaire après décès de son époux, Isaac Doreau, une dette de 615 l.t. envers six marchands de Meaux, dans cet inventaire non plus, on ne trouve pas trace de drap de Meaux dans la boutique54.

47 Suzanne Lebert, « Foires et marchés en Brie au cours des âges », Bulletin de la société littéraire et historique de la Brie, 23e volume, 1966, p. 16-22. — Abbé Denis, « les Foires de Meaux », Bulletin du syndicat agricole de l’arrondissement de Meaux, 2e année, n° 6, 15 juin 1889, p. 156-168. 48 A.N., M.C., Et. LIV, 226 ter. 49 Arch. dép. de la Seine-et-Marne, 143 E 2, liasse des actes de l’année 1606, 1er bifeuillet, 2v. 50 A.N., M.C., Et. III, 308, inventaire ouvert le 28 mai 1557. Les dettes, à partager entre les deux associés, envers des drapiers drapants de Meaux se montent à 2 646 l.t. en 20 cédules dont les plus anciennes datent de septembre 1556, mais aucun drap inventorié dans la boutique n’est désigné comme étant de Meaux. 51 A.N., M.C., Et. LXXXVI, 165, inventaire commencé le 21 novembre 1590. Là encore, dans le stock de draperie de Michel Charpentier ne se rencontre aucun drap de Meaux. 52 A.N., M.C., Et. XXXIII, 10, fol. 469-484, inventaire commencé le 8 juillet 1529. La veuve de Charles Guidier déclare par ailleurs une dette montant à 374 l. 7 s. 7 d. envers cinq marchands de Rouen. 53 A.N., M.C., Et. LIV, 55, inventaire de Perrette Coignet, femme de Jehan Philippes, 30 juillet 1539. Jehan Philippe déclare par ailleurs une dette montant à 410 l.t. envers quatre marchands de Rouen. 54 A.N., M.C., Et. XXXVI, Et. 124, inventaire commencé le 7 janviers 1597. La dette envers les marchands de Meaux s’additionne à une autre de 750 l.t. envers cinq marchands de Beauvais et une de 648 l.t. envers huit marchands de Rouen, les dettes pour marchandise de

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Revente des draps de Meaux par les marchands parisiens

Il nous paraît utile de signaler deux sources extérieures à Paris qui permettent de constater la présence de draps de Meaux dans les stocks de marchands drapiers de province, acquis auprès de marchands grossistes parisiens.

Les de Laran, marchands toulousains qui commercent toutes sortes de tissus (draps, étoffes de soie, toiles) et dont l’activité peut être suivie des environs de 1515 à 157055, achetaient aux foires de Saint-Denis ou directement auprès de marchands de gros parisiens (principalement Nicolas Hennequin, Pierre Vivien ou G. – Gervais ou bien son fils, Guillaume – Larcher, aux inventaires desquels on n’a pas pu se reporter56) les draps de Meaux : draps noirs et rouges, ordinaires ou fins, pressés ou non pressés, mais aussi draps de Meaux bleu, bleu céleste ou violet57

Jean Sirven, autre marchand drapier toulousain vendait lui aussi des draps de Meaux, sans qu’on sache comment il se le procurait : son journal des années 1559-1571 mentionne la vente, pour un montant de 225 l.t. de draps de Rouen et de Meaux aux consuls de Samatan58 qui les destinent à la confection de leurs robes et chaperons59.

Marchands parisiens et drapiers meldois : relations d’affaires ou relations familiales ?

Pour finir, nous voudrions faire état de quelques données, encore peu nombreuses, montrant que les relations entre Parisiens et Meldois ne sont pas uniquement des relations de marchands à tisserands, et peuvent se doubler de relations de maîtres à valets ou apprentis, sans doute aussi de relations familiales.

Nous avons ainsi repéré deux apprentis originaires de Meaux placés chez des drapiers parisiens. En 1530, à l’occasion de la dissolution de la société entre Simone Lescuyer et son gendre Jean Du Bourg, est mentionnée une dette de 20 l. 10 s.t. due par le Meldois Guillaume de Prunay pour l’apprentissage de son fils60. Le 25 juin

draps que déclare Geneviève Charpentier se montent donc à 2 013 l.t. Dans le même temps Geneviève déclare une dette de 3 840 l.t. envers son teinturier de Saint-Marcel. On remarquera enfin que, si dans l’inventaire, les dettes envers les marchands des trois places de Meaux, de Beauvais et de Rouen restent comparables en valeur, par un acte antérieur à l’ouverture de l’inventaire de son époux, Geneviève Charpentier s’est libérée de plusieurs cédules envers des marchands de Beauvais et de Meaux que détenaient par transfert des marchands parisiens et que la dette envers les Beauvaisois excédait de beaucoup celle envers les Meldois (1 850 l.t. contre seulement 75 l.t.), A.N., M.C.., Et. XXVI, 76, fol. 350-351v, acte du 26 novembre 1596. 55 Robert Doucet, « Les de Laran, marchands drapiers à Toulouse au XVIe siècle », dans Annales du Midi, 1942, p. 42-87. 56 L’inventaire de Gervais Larcher n’a pas été conservé. Gervais est probablement mort en 1550 ; un acte du 22 décembre 1550 fait état du partage de sa succession entre sa veuve, Marguerite Cosse, et ses cinq fils, dont Guillaume, alors marchand drapier et bourgeois de Paris (A.N., M.C., Et. VIII, 172, fol. 260-v). Gervais demeurait sous la Tonnellerie, une maison en face de la porte de la halle aux blés (mention dans un acte du 12 février 1516 n.st., analysé dans l’inventaire après décès commencé le 8 mars 1521 n.st. de Claude Moïfait, femme de Guillaume de Montdenis, marchand drapier et bourgeois de Paris, A.N., M.C., Et. CXXII, 1082). Paroissien de Saint-Eustache, Gervais avait été marguillier de la fabrique en 1514 (A.N., S 3334, pièce 1). Son fils Guillaume était marguillier de la même paroisse en 1563 (Ibidem). Par un acte du 8 août 1543, on sait que Pierre Vivien était marié à Anne Hotman, fille de sire Jean Hotman, marchand orfèvre et bourgeois de Paris et de Thomasse Lelorrain (A.N., M.C., Et. VIII, 184). En 1556, Anne était remariée à sire Guillaume Pichonnat (acte du 24 octobre 1556, A.N., M.C., Et. XXV, 51, fol. 220), l’inventaire de Pierre Vivien n’a donc pas été conservé. Nicolas Hennequin n’est connu que par un petit nombre d’actes, qui ne permettent pas de le bien cerner : le plus significatif est un acte du 12 janvier 1532 n.st. (A.N., M.C., Et. LIV, 6) qui montre que comme d’autres marchands grossistes parisiens – mais en moins grande quantité que d’autres, cependant –, il avait vendu deux ans auparavant, des draps à un marchand de Rodez, Gerault de Lunas. Nicolas Hennequin vivait encore en 1551 (acte du 11 mars 1551 n.st., A.N., M.C., Et. LXXXVI, 28). Il est probable que Nicolas Hennequin est lui aussi décédé avant 1560 et que son inventaire après décès n’a pas été conservé. 57 Robert Doucet, « Les de Laran,… », op. cit. note 55, p. 54, 56, 57, et p. 73 et 85. 58 Gers, arr. Auch, ch.-l. de cant. 59 Francis Brumont, « La géographie du commerce des draps à Toulouse au milieu du XVIe siècle », Annales du Midi, 2001, p. 497-508, à la p. 499. 60 A.N., M.C., Et. LIV, 5, acte du 28 juillet 1530. La société est dissoute à la suite du remariage de Simone, veuve en premières noces d’Henry Favereau, marchand drapier, avec Jean Bourcier, également marchand drapier.

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1542, Nicolas Vaunet, courtier juré de draps de la ville de Meaux place son fils Pierre, âgé de seize ans, en apprentissage chez Nicolas Alexandre, marchand drapier chaussetier de la place Maubert61.

À la fin du XVIe siècle, dans la famille Charpentier, c’est un Harelle qu’on rencontre. En novembre 1590, Jacques Harelle est l’un des six serviteurs présents dans la maison de Michel Charpentier, au moment de l’élaboration de l’inventaire après décès de son patron62. Au mois de janvier suivant, ayant quitté la famille Charpentier et peut-être Paris pour retourner vivre à Meaux, Jacques s’accorde avec les héritiers de Michel : ceux-ci lui remettent la somme de 69 ∇ 54 s.10 d.t. (soit 2 009 l. 14 s. 10 d.t.) que devait le père Jacques, Robert Harelle, en son vivant marchand de Meaux, à Michel Charpentier pour reste d’une livraison de marchandise de draps, et ce pour rester quittes du legs testamentaire prévu par la femme de Michel Charpentier en faveur de Jacques (50 ∇, soit 150 l.t.)63 et du reste des gages et salaires de Jacques. Ici donc les relations d’affaires qu’on avait constaté exister entre Michel Charpentier et Robert Harelle en 1585 et 1586 se prolongent dans des relations de travail entre Michel et ses héritier d’une part, et les fils de Robert d’une autre.

Le lien entre la famille Charpentier et la famille Harelle se maintient une fois ce règlement effectué puisque deux mois après, en mars 1591, les héritiers d’Anne Le Sellier, épouse de Michel Charpentier, choisissent de recourir aux services de Jacques Harelle et de son frère, Robert, tous deux marchands de Meaux, pour leur faire parvenir à Paris le blé produit par leur ferme de Tripilly près Meaux64.

Conclusion

Au terme de l’exposé de ces notes, il apparaît que l’enquête sur la draperie de Meaux doit être poursuivie. Dans le temps d’abord car il est clair que cette draperie s’est maintenue au-delà du début du XVIIe siècle, sans doute au moins jusqu’au temps des ordonnances colbertiennes qui la mentionnent encore. Sa disparition dans les trente dernières années du siècle peut peut-être aussi être documentée. L’enquête des années 1700 sur la généralité de Paris, citée en exergue, signale cette disparition. Et Savary des Bruslons, dans son dictionnaire universel du commerce, n’évoque même plus le souvenir de la draperie de Meaux et ses environs. Il signale seulement « une petite manufacture de serges » à la Ferté-Gaucher, et la mise en œuvre des laines briardes dans des manufactures extérieures à la région : « les laines de cette élection [celle de Meaux] ne sont pas bien fines ; cependant elles réussissent parfaitement dans certaines manufactures quand elles sont mêlées avec des laines étrangères, les marchands de Rouen, de Beauvais, & et Troyes en enlèvent tous les ans pour des sommes considérables, & ce sont ces laines que ceux de Beauvais envoyent laver à Senlis, comme on le dira dans la suite. »65

Approfondir la question de la définition des qualités de draps produits à Meaux et de leurs évolutions paraît possible. Il conviendra de repartir de la confirmation des statuts des tisserands de l’année 149866, de poursuivre l’enquête dans les sources parisiennes, sans omettre les archives meldoises. Les inventaires après décès de tisserands, foulons ou ouvriers de la laine de Meaux, repérés et exploités par Micheline Baulant dans ses travaux, doivent être repris à la lumière d’un questionnement nouveau, les minutes notariales de Meaux aussi. Un premier sondage dans les archives du présidial de Meaux laisse envisager l’intérêt de cette source67.

61 Ernest Coyecque, Recueil d'actes notariés relatifs à l'histoire de Paris et de ses environs au XVI˚ siècle. I. 1498-1545. Articles I-XXVI. Nos 1-3608, Paris, 1905 (Histoire générale de Paris.), acte nº 2320 62 A.N., M.C., Et. LXXXVI, 165, inventaire commencé le 21 novembre. Michel Charpentier et sa famille étaient des catholiques zélés sinon des soutiens des Seize durant la Ligue parisienne, la famille Harelle, de Meaux, est donc probablement une famille catholique. 63 A.N., M.C., Et. LXXXVI, 132, fol. 321-v, acte du 12 janvier 1591. 64 A.N., M.C., Et. LXXXVI, 132, fol. 416-417, acte du 31 mars 1591. 65 Jacques Savary des Bruslons, Dictionnaire universel de commerce, d’histoire naturelle et des arts & métiers…, nouv. éd., tome cinquième, Copenhague, 1765, col. 19. 66 On tirera certainement profit à comparer ces statuts avec ceux de villes voisines ou même plus éloignées, comme certaines villes normandes. 67 Par exemple, un acte du 10 décembre 1629 fait état d’un règlement intervenu dans le métier des tisserands en 1621, il évoque aussi les draps fabriqués à Meaux : non pas seulement des draps mais aussi de la serge, de l’estamet, de la frise, Arch. dép. de la Seine-et-Marne, 2 Bp 2191, liasse des actes de 1556 à 1653.

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L’apport de l’étude en cours a également été de fournir les noms de nombreux drapiers et autres travailleurs du secteur de la laine meldois, qu’on a évité de trop citer ici. Certains, comme les Harelle, les Baudichon ou les Brion semblent être suffisamment présents dans les sources pour envisager de suivre quelques carrières individuelles ou familiales.

Les actes du Minutier central ont également permis de constater que Meaux ne doit pas être seulement envisagé dans ses rapports à Paris, mais aussi avec les villes de Troyes et de Lyon. Ainsi, en janvier 1592, un transport de cédules fait par Jean Dupouget au marchand mercier parisien Michel Vayssière, lui-même associé en affaires avec des Parisiens et des Lyonnais, signale des cédules émises par des Troyens en faveur de Meldois68. Au total, un regard parisien sur la question du drap de Meaux, s’il se révèle incomplet, permet d’envisager, en fournissant quelques clés de départ, un retour vers les sources meldoises pour l’étude de la draperie de Meaux et de ses acteurs.

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ANNEXES

1. Confirmation des statuts et privilèges des tisserands de Meaux (1498)

Octobre 1498, Melun. — Lettres patentes par lesquelles le roi confirme les statuts et privilèges des tisserands de Meaux.

A.N., JJ 231, fol. 147-149V, nº 193.

Ind. : ORF, XXI, p. 129.

[En marge gauche : ] IXxx XIII.

Loys par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons a tous presens et a venir Nous avoir receu l’umble supplicacion des maistres tissarrans jurez en draps de noz ville, cité, marché et faulxbourgs de Meaulx et de nostre procureur ou baillyage dud. Meaulx adjoinct avecques eulx, contenant que nostred. ville est ville juree et de loy en laquelle furent japieça faictes plusieurs bonnes et belles ordonnances touchant les maistres d’icelle et si fut ordonné que les maistres et ouvriers desd. mestiers seroient contrains les entretenir, observer et garder pour le bien et utillité de la chose publicque sans aucunement les enfraindre. Entre lesquelz mestiers estoit et encores est le mestier de tissarrans en dras, de et sur lequel mestier de tisserrans en draps furent faictes plusieurs ordonnances qui sont utilles et prouffitables a la chose publicque et drapperie dud. Meaulx, desquelles la teneur s’ensuit.

[1] Et premierement que les maistres dud. mestier seront tenuz eslire chacun an le landemain de la solempnité et feste du tres hault mistaire du Saint Sacrement de l’ostel deux maistres d’entre eulx pour estres jurez et esgardes sur le fait dud. mestier esd. ville, marché et fauxbourgs de Meaulx. Et pareillement les verletz esliront l’un d’entre eulx qui sera maistre varlet. Lesquelz maistres et varlet feront le serment pardevant nostre bailly ou son lieutenant general aud. Meaulx de loyaulment visiter tous les ouvraiges dud. mestier qui se feront esd. lieux, faire corriger les faultes et faire bon rapport a justice de ce qu’ilz trouveront, garder les drois dud. mestier et de la confrairie d’icelluy en la maniere acoustumee et forme cy aprés declairee. Et sera led. maistre varlet contrainct a entendre es affaires consernans led. mestier en peine de cinq solz tournois d’amende a applicquer a lad. confrairie toutes et quantes foys qui sera requis vacquer es affaires dud. mestier et par lesd. maistres jurez, et en ce cas le maistre ou servira led. maistre varlet, sera tenu permectre et souffrir icelluy maistre varlet vacquer avec lesd. maistres jurez et par l’espace de deux ou trois eures le jour quant mestier sera.

[2] Item, lesd. maistres esleuz et jurez comme dit est pourront faire faire les sermens acoustumez de faire d’anciennecté oud. mestier a tous ceulx qui vouldront lever leursd. mestiers de tisseranderie de draps esd. ville, cité, marché et fauxbourgs dud. Meaulx, et pareillement les verletz besongnans dud. mestier.

[3] Item, nul ne pourra lever sond. mestier en lad. ville, cité, marché et faulxbourgs s’il n’est de ville juree et qu’il ayt esté experimenté par les maistres jurez dud. Meaulx savoir s’il sera souffisant et bon ouvrier, et payera a la confrairie dud. mestier trente livres de cire s’il n’est filz de maistre, ouquel cas ne sera tenu payer que vingt livres de cire ainsi que le portent et entrentiennent les lettres cy dessus transcriptes. Et avant qu’il puisse tiltre et tenir son ouvrouer, sera tenu bailler caucion souffisant jusques a la somme de six livres t. pour repparer, fournir et amender les mal façons et deffault qu’il pourroit commectre es draps et besongne de sond. mestier.

[4] Item, chacun varlet qui viendra de nouveau besongner en lad. ville et marché et fauxbourgs, de quelque lieu qu’il viengne, avant qu’il soit receu pour besongner aud. Meaulx sera tenu payer au maistre pour sa bien venue aux maistres dud. mestier cinq solz

68 A.N., M.C., Et. LXXXVI, 133, fol. 40-41v, acte du 22 janvier 1592. Le fait que Troyes et Lyon sont, comme Paris, des débouchés de la draperie meldoise a d’ailleurs été confirmé par les fragments de registre du courtier Robert Harelle.

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tournois pour une foys ainsi qu’il est acoustumé faire d’anciennecté, s’il ne plaisoit ausd. maistres permectre a icelluy varlet besongner tant qu’il ait gaigné pour ce faire. Et s’il ce voulloit faire et passer maistre et lever sond. mestier en lad. ville, marché et faulxbourgs, il n’y sera point receu s’il n’a esté apprentiz en ville juree par le temps de quatre ans et de ce souffisamment faire apparoir a ses despens.

[5] Item, ce ung varlet qui aura besongné en lad. ville, cité, marché et faulxbourgs, pourvueu qu’il soit de l’aprantissage dud. Meaulx ou d’aultre ville juree s’en va besongner ailleurs pourvueu que ce soit en ville champestre, et derechief il retourne besongner en lad. ville, il payera aux maistres jurez dud. mestier trois solz quatre deniers t.

[6] Item, et combien que par cy devant, chacun des maistres dud. mestier ayent acoustumé payer par an dix solz t. aux quatre termes a leur confrairie pour la constinuacion des messes qui sont celebrez, neantmoins pour ce que de present le nombre des maistres dud. mestier est augmenté, leur a esté moderee lad. somme de dix solz a cinq solz t., laquelle somme de cinq solz t. ilz seront tenuz payer ausd. quatre termes, c’est assavoir a la Saint Remy, Noel, Pasques [fol. 147v] et a l’Assumpcion Nostre Seigneur [sic pour Nostre Dame] pour entretenir les messes, service, luminaire et confrarie dudit mestier. Et pourront lesd. maistres jurez poursuivre et contraindre par voye de justice les autres maistres dudit mestier a paier lad. somme de cinq solz tournois, sans prejudice toutesvoyes que se le service divin acoustumé a celebrer ne se povoit continuer au moien de lad. diminucion de les remectre a lad. somme de dix solz tournois comme dessus.

[7] Item, et pareillement pour consideracion pour ce que le nombre des varletz dudit mestier est augmenté et selon la descripcion mise en ce prochain precedent article, chacun varlet paiera pour chacune sepmaine et ne besongnast il que deux jours ung denier parisis a lad. confrarie, et s’il ne besongne par deux jours en la sepmaine il ne paiera aucune chose.

[8] Item, nulz maistres dudit mestier ne pourra avoir ne tenir aprentilz s’il n’a tenu son mestier an et jour et si ne pourra faire tiltre led. aprentilz jusques a ce que icelui aprentilz ait paié trois livres de cire a la confrarie dudit mestier pour son entree et sa monstre a apprendre led. mestier ainsi que declairé est esd. lectres royaulx.

[9] Item, nul maistre ne pourra tenir aprentilz moins de quatre ans, et si n’en pourra tenir deux ensemble. Et quant led. aprentilz aura fait ses annees, son maistre le sera tenu livrer en place et presenter aux jurez dudit mestier, lesquelz ne le pourront recevoir sinon que son maistre soit content de luy. Et aussi si led. aprentilz n’est content de son maistre, lesd. jurez doivent et seront tenuz luy aider a pourchasser son droit. Et se tous deux sont contens l’un de l’autre, lesd. jurez doivent recevoir led. aprentilz et le faire chevalier et lui faire faire les sermens dudit mestier, en payant par icelui aprentilz quinze solz tournois au proffit de lad. confrarie, et ausd. maistres jurez qui le recevront a faire led. serment de chevalerie paiera deux solz six deniers tournois pour leurs sallaires et une paire de gans au maistre varlet pour l’avoir conduit et mené en place et presenté ausd. jurez.

[10] Item, nul varlet ne pourra lever son mestier esd. ville, marché et forsbourgs s’il n’a servy depuis qu’il sera hors d’aprentissaige et suyvi place an et jour.

[11] Item, nul ne pourra tiltre en draps depuis le derrenier coup de vespres sonnees en la grant eglise de Meaulx, sinon depuis le jour Saint Remy chef d’octobre jusques au premier jour de mars que lesd. maistres et ouvriers dudit mestier de texandrie en draps pourront besongner depuis le matin euvre qu’ilz puissent veoir et congnoistre a faire leursd. ouvrages jusques au soir soleil couchant. Et ne pourront besongner iceulx maistres qu’ilz ne puissent veoir et congnoistre, perceveoir [?] et distraire toute monnoie l’un de l’autre. Et les samedis seront tenuz laisser tout au premier coup de nonne s’ilz n’a a parfaire son drap en la maniere acoustumee, et en karesme au derrenier coup de complie. Au Jeudi Absolut, Vendredi aouré que l’on ne sonne point, l’on peult besongner jusques a cinq eurres, et se avoit son drap a achever l’on peut besonger jusques a la nuyt, et ainsi les vueilles des quatre jourz solempnelz, c’est assavoir Noel, Pasques, Pentecouste et Toussains. Se autrement le font, paieront les maistres dud. mestier quinze solz tournois d’amende, moictié au Roy nostre s. et l’autre moictié a lad. confrarie. De vespres les veilles de Nostre Dame, Toussains et Noel, seront tenuz laisser le tixtre au derrenier coup en la maniere acoustumee.

[12] Item, nul ne se pourra faire en versain [?] ne chasne fillee au touret pourveu que ce soit tresme, sur peine de confiscacion et de soixante solz tournois d’amende moictié au Roy nostre s. et l’autre a lad. confrarie.

[13] Item, nul ne pourra avoir laine si elle n’est juste au bon[fin du mot dans la reliure] [fol. 148] sur peine d’estre arse et brulee et de quinze solz tournois d’amende moictié a nous et l’autre a lad. confrarie.

[14] Item, nul ne doit et ne pourra tiltre a roux vuide que de trente deux roux au plus sans le congié des maistres jurez et esgars dudit mestier sur peine de quinze solz tournois d’amende a appliquer comme dessus.

[15] Item, nul ne pourra tiltre de nuyt sur peine de soixante solz tournois d’amende tant le maistre que le varlet, a appliquer comme dessus. Et ne pourront aucuns maistres tant de lad. ville, marché, forsbourgs et banlieue que des environs dud. Meaulx tenir ouvrouer sinon sur rue en lieu apparant que on puisse veoir et apercevoir et congnoistre la besongne qu’ilz feront, et ce pour obvier aux abuz et fraude qui se commectent quant lesd. maistres besongnent en lieux couvers et destournez et non en lieu patant et sur rue.

[16] Item, se ung maistre ou varlet dudit mestier va ouvrer en toille et derechief retourne besongner en drap, il doit estre et sera receu en paiant quinze solz tournois au proffit de lad. confrarie et s’il veult estre resident audit Meaulx, il doit renoncer a l’un desd. mestiers.

[17] Item, les maistres jurez dudit mestier seront tenuz deux foiz l’an, c’est assavoir a Noel et a la Saint Jehan Baptiste, revisiter les pesons des maistres ouvriers dudit mestier. Et s’ilz treuvent faulte en feront leur rapport a justice et seront lesd. maistres contrains a amender et faire reparer leursd. pesons. Et se pour seconde foiz sont trouvez faulx, pareillement en sera fait rapport par lesd. jurez a justice, et seront les pesons cassez et l’amenderont lesd. maistres a qui ilz seront de quinze solz tournois d’amende a appliquer c’est assavoir le tiers au Roy nostre sire, le tiers a lad. confrarie, et l’autre tiers ausd. jurez. Et se lesd. jurez sont defaillans de faire leurd. visitacion, ilz l’amenderont chacun de sept solz six deniers tournois moictié au Roy nostred. s. et l’autre moicté a ladicte confrarie. Et seront tenuz lesd. maistres forains dudit mestier tenans ouvrouer en quelques lieux qu’ilz soient, demourans a deux ou trois lieues a l’environ dudit Meaulx, subgectz a ladicte visitacion touchant lesd. pesons et ouvrages ausd. articles cy dessus nommez, et condempnez se faulte y a en pareille amende que ceulx desd. ville, marché et forsbourgs dudit Meaulx.

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[18] Item, tous les maistres dudit mestier seront tenuz de apporter leurs marques pour les faire enregistrer au registre dud. mestier, et ne les pourront aprés iceulx maistres changer sur peine de soixante solz tournois d’amende a appliquer comme dessus. Laquelle marque sera apportee au greffe dud. bailliaige et enregistree. Et pareillement seront tenuz les maistres demourans a deux ou trois lieues a l’environ dud. Meaulx comme dit est, apporter leurs marques ausd. maistres jurez et esgars aud. Meaulx sans ce qu’ilz puissent icelle changer ou muer sur lesd. peines comme dessus. Et s’il est trouvé aucun qui ait contrefait sa marque ou celle d’un autre maistre, il sera pugny d’amende arbitraire.

[19] Item, nul ne pourra mectre en besongne tresme ou il y ait bourre, granice [?], plot traict a yau [?] ne laine taincte en moulee sans le congié des gens et officiers du Roy nostred. s., appelez avec eulx les jurez dudit mestier. Et s’il estoit donné congié a aucuns ouvriers dudit mestier de faire aucunes des choses dessusd., il fault que lesd. jurez soient appelez a chacune façon dudit drap jusques au vestir afin que nul n’en soit deceu. Et ne doit avoir une lisiere oudit drap. Et qui le fera sans le congié desd. officiers, led. drap doit estre ars et bruslé par les gens du Roy nostred. s. Et si l’amenderont le maistre et le varlet chacun de six livres tournois, c’est assavoir soixante solz tournois au Roy nostred. s. et soixante solz tournois a la confrarie dudit mestier.

[20] Item, nul ne pourra ordy estaing taint avec chesne masbree sur peine de soixante solz [fol. 148v] tournois d’amende, moictié au Roy nostred. s. et l’autre moictié a lad. confrarie.

[21] Item, nul ne pourra tiltre treime tandré sur chaine blanche sans congié, ne trasme blanche sur estain taint sur peine de dix solz tournois d’amende a appliquer comme dessus.

[22] Item, l’estain et treime qui sera baillé ausd. tixerrans pour tiltre sera poisé au poix du Roy si bon semble aux parties a qui il appartiendra, et pareillement quant le drap tixu sera, pareillement il sera poisé et paieront ceulx a qui appartiendront lesd. draps deux deniers tournois pour le pesaige, ung denier tournois pour la laine, et ung denier tournois pour le drap.

[23] Item, seront tenuz lesd. maistres et ouvriers dud. mestier mectre es draps qu’ilz feront s’il y a difference en la tresme, a chacune difference mectre une fourchette pourveu que led. tixerrant puisse veoir et congnoistre promptement la difference de lad. tresme. Et si lad. forchette est ostee par malice, celuy qui l’aura ostee et qui aura commis lad. faulte l’amendera de soixante solz tournois, c’est assavoir quarente solz tournois au proffit du Roy et vingt solz tournois au proffit de lad. confrarie.

[24] Item, se les maistres dudit mestier font aucuns draps pour eulx, ilz seront tenuz marquer deux foiz leursd. draps de leurd. marque au premier chef l’une aprés l’autre. Et les autres draps qu’ilz feront pour autruy n’y mectront que une foiz la marque sur peine de soixante solz d’amende. Et se aucuns desd. maistres vouloit renoncer a besongner pour autruy ne mectra que une marque en son drap. Et se depuis qu’il aura renoncé il est trouvé besongnant pour autruy, il l’amendera de pareille amende de soixante solz tournois, moictié au Roy nostred. s. et moictié a lad. confrarie.

[25] Item, aussi seront tenuz lesd. maistres de faire leurs draps de une tresme sans qu’il y puissent faire queue sur peine de soixante solz tournois d’amende a appliquer comme dessus. Et ou il y auroit queue et difference de tresme, seront tenuz mectre crochet ou marque ainsi que seront tenuz faire pour autruy comme cy dessus et ou vingt troisiesme article est declarré et sur lesd. peines.

[26] Item, nul tixerrant ne pourra faire fouller le drap d’autruy ne marchander au foulon s’il n’est sien. Et s’il estoit chargé par celui a qui appartiendra led. drap de le bailler au foulon, si ne le pourra il faire sans appeler les maistres jurez dudit mestier pour par eulx le visiter avant que le bailler au foulon, sur peine de soixante solz tournois d’amende moictié au Roy et l’autre moictié a lad. confraire (sic).

[27] Item, quant les maistre ouvriers dud. mestier auront tixu ung drap pour autruy, il sera loisible a celui a qui appartiendra led. drap le faire visiter par les maistres jurez et esgars dudit Meaulx. Et s’il est trouvé qu’il soit bien fait, celuy qui ainsi le fera visiter paiera les fraiz de lad. visitacion. Et s’il est trouvé mal fait et qu’ilz y trouveront aucunes males façons, led. tixerrant restituera l’interest de celui a qui appartiendra led. drap, c’est assavoir pour chacune grape pourveu qu’elle passe trois duictes [?] ung denier tournois, pour chacune trape qui passe ung cartier pourveu qu’il en y ait plus de trois en la plaiee pour chacun costé deux deniers tournois, pour chacun faulx coup deux deniers tournois, pour chacun trou qui sera trouvé estre fait audit drap six deniers tournois, et du residu des males façons d’icellui, le tixerrant restituera l’interest a part au dit et ordonnance desd. jurez et l’amendera led. tixerrant de quinze solz tournois, moictié au Roy, l’autre moictié a lad. confrarie. Et s’il estoit trouvé qu’il y eust aucune faulte au rapport desd. jurez, ilz admenderont chacun de soixante solz au proffit du Roy nostred. s., et auront lesd. maistres pour leurs sallaires et vaccacion pour chacun drap cinq solz tournois.

[28] Item, si venoit aucun varlet ouvrier dud. mestier pour besongner en lad. ville, marché et forsbourgs qui ne fust de ville juree et il y avoit aucun maistre [fol. 149] en lad. ville, marché et forsbourgs qui eust de varlet necessité, il le pourroit mectre en besongne quinze jours et non plus sinon qu’il ne peust recouvrer de varlet, ouquel cas de necessité il le pourroit tenir jusques a ce qu’il eust trouvé ung qui fust de lad. ville ou d’autre ville juree.

[29] Item, seront tenuz les maistres jurez dudit mestier rendre compte chacun an aux autres maistres dudit mestier dans la quinzaine ensuyvant aprés le jour et feste du Saint Sacrement des deniers et cire de leurd. confrarie, en nostre presence ou de ceulx qui par nous a ce seront commis ou d’autres officiers du Roy nostred. s. en nostre absence, sur peine de quarante solz tournois a appliquer au proffit de lad. confrarie.

[30] Item, oultre seront tenuz lesd. maistres jurez en allant visiter par les ouvrouers par les maistres dud. mestier, regarder les draps qu’ilz trouveront esd. hostelz se il y aura aucune faulte, et se on trouve aucune, ilz seront tenuz faire leur rapport a justice afin de contraindre ceulx qui auront lesd. drap a reparer et amender lesd faultes.

[31] Item, nul tixerrant ne pourra marchander de faire drap a autruy s’il n’est fait soubz luy et marqué de sa marque et ne les pourront lesd. tixerrans bailler a autre pour tiltre sans le congié des maistres jurez ou de ceulx a qui seront lesd. draps. Et pareillement nul ne pourra marchander de tiltre ou faire tiltre draps s’il n’est ouvrier et maistre passé dudit mestier aud. Meaulx sur peine de sept solz six deniers tournois d’amende a appliquer comme dessus.

[32] Item, nous interdisons et defendons a tous maistres tixerrans en draps tant de la ville, marché et forsbourgs que de la banlieue dud. Meaulx de non mectre sur leur mestier ou tiltre aucuns draps sur les chesnes qui auront esté ordies par autre maistre sur peine de quinze solz tournois d’amende a appliquer comme dessus.

[33] Item, defendons ausd. maistres suborner ou sustraire les varletz dudit mestier l’un de l’autre sans le sceu et congié de leurs

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maistres pour obvier a plusieurs tums [?] plaintifz et doleances qui de ce sont par cy devant survenues, et ce sur peine de quinze solz tournois d’amende a appliquer comme dessus.

[34] Item, et se pour raison de ce qui dit est, sourdoit aucun debat, oposition ou quelque autre question, mandons au bailly de Meaulx ou a son lieutenant en avoir la congnoissance et non le prevost ne autres, mais icelles leur interdisons et defendons par ces mesmes presentes.

Et pour ces causes et autres, feuz nostres chers s[eigneurs] Loys derrenier decedé et Charles aussi derrenier decedé, Roys de France que Dieu absoille, manderent au bailly dudit Meaulx ou a son lieutenant par leurs lectres patentes faire entretenir icelles ordonnances cy dessus transcriptes de point en point selon leur forme et teneur sans enfraindre, et que en ce faisant ilz les fissent lire, publier et signiffier toutes et quantes foiz que besoing seroit, a ce que nul n’en peust pretendre cause d’irognance [sic]. En vertu desquelles [sic] mandemens, nostred. bailly de Meaulx ou sond. lieutenant fist lire, publier et signiffier icelles ordonnances cy dessus transcriptes, et en ce faisant condempna les maistres et varletz dudit mestier, et de leurs consentemens, a garder et entretenir lesd. ordonnances dont ne fut appellé ne reclamé. Au moien de quoy la drapperie dudit Meaulx a esté par long temps de grant renon et proffit a nous et a nostred. ville de Meaulx et au populaire du païs et des environs qui est la principalle marchandise dudit Meaulx.

Mais depuis ce, aucuns particuliers dud. mestier et autres ont voullu alleguer de mectre en avant que, obstant ce que lesd. ordonnances ne sont de nous emologuees, ratiffiees et approuvees, et que sur icelles n’y avons interposé nostre decret, que on ne les avoit peu et et (sic) ne povoient assubgectir a les entretenir, observer et garder. A ceste cause, iceulx supplians nous ont fait supplier et requerir que leur voulsissions ratiffier, decreter et approuver.

Pourquoy nous, ces choses considerees, voulans noz subgectz estre gouvernez et entretenuz en bon ordre et police et toutes les bonnes ordonnances faictes au bien, proffit et utilité de nous et de la chose publique de nostre royaume estre observees et gardees sans enfraindre, et aprés ce que nos amez et feaulx conseillers les maistres des Requestes ordinaires de nostre hostel, par lesquelz avons fait veoir et visiter icelles ordonnances cy dessus transcriptes, qui nous ont rapporté avoir trouvé lesd. ordonnances estre bonnes, [fol. 149v] justes, equites, raisonnables et proffitables aud. mestier et chose publique de nostre roiaume, icelles ordonnances cy dessus transcriptes et chacune d’elles avons louees, ratiffiees, confermees, decretees et aprouvees. Et par ces presentes, de nostre grace especial, plaine puissance et auctorité royale, louons, ratiffions, confermons, decretons et approuvons et tant et si avant que lesd. maistres, varletz et ouvriers d’icelui mestier en ont par cy devant joy et usé, voulons et nous plaist que doresenavant elles soient entretenues, gardees et observees comme loy, ordonnance et edict de tous ceulx et ainsi qu’il appartiendra sans enfraindre.

Si donnons en mandement par ces mesmes presentes au bailly de Meaulx pour ce que s’est en son povoir et bailliaige, et a tous noz autres justiciers, officiers ou a leurs lieux tenans et a chacun d’eulx si comme a lui appartiendra, que icelles ordonnances cy dessus transcriptes ilz facent tenir, observer et garder de point en point, et en ce faisant seuffrent et laissent lesd. supplians et chacun d’eulx joir et user plainement et paisiblement sans aucunement les enfraindre. Ains se aucune chose avoit esté fait ou tremis a l’encontre d’icelles, le reparent et remectent ou facent reparer et remectre sans delay au premier estat d’icelles. Et a ce que nul n’en puisse pretendre cause d’ignorance, les facent lire, publier et signiffier toutes et quantes foys que besoing en sera et comme on a acoustumé lire, publier et signiffier toutes et quantes foys que besoing en sera et comme on a coustumé lire, publier et signiffier telles et semblables ordonnances. Car tel est nostre plaisir. Et afin que ce soit chose ferme et estable a tousjours, nous avons fait mectre nostre seel a ces presentes, sauf en autres choses nostre droit et l’autruy en toutes. Donné a Melun ou moys d’octobre l’an de grace mil quatre cens quatre vings dix huit, et de nostre regne le premier. Ainsi signé « Pour le Roy a la relacion du Conseil, Villebresme. Visa. Contentor. D. Bude ».

2. Actes de commande de draps de Meaux par un marchand drapier parisien (1603 et 1604)

14 janvier 1603. — Contrat entre Claude Parfait, marchand et bourgeois de Paris, d’une part, et Macé de Cault, marchand drapier demeurant à Meaux, d’autre part, pour la fabrication et livraison de huit draps passefins façon de Meaux, dont la laine est fournie par Claude Parfait.

A.N., M.C., Et. CVIII, 34, pièce 19.

Fut present en sa personne Macé de Cault, marchant drappier demeurant a Meaulx, rue des Vielz Moulins, paroisse Sainct Remy.

Lequel a confessé et confesse que honn. homme Claude Parfaict, marchant bourgeois de Paris a ce present, luy a baillé et delivré et de luy a receu la quantitté de neuf cens soixante livres de layne necte, desduction faicte de quatre au cent et de dix sept livres pour chanvre, balle du sac et de la corde, qui sont la quantitté de six balles revenans le tout ensemble a la somme de mil trente cinq livres tournois ainsy qu’ilz ont ensemble estimé.

Pour d’icelle layne faire par led. de Cault aud. sr. Parfaict, comme il promect par la presente, huict passefins draps façon de Meaulx, esgaulx en bonté, a petittes lizieres, ayant chacune piece vingt cinq a vingt six aulnes de long de courtier et une aulne demy quart de large entre les lizieres, chef au milieu dud. drap, de la force d’un eschantillon qui est es mains de Harelle, courtier de draps demeurant a Meaulx, lequel eschantillon led. de Cault a dict avoir veu.

Et iceulx draps fournir et livrer en l’hostel dud. sr. Parfaict en ceste ville de Paris, sçavoir trois dedans six sepmaines prochaines et le reste ung mois aprez au plus tard.

Et ce moyennant le prix et somme de six livres cinq solz tournois pour aulne dud. drap, a desduyre sur lad. somme de mil trente cinq livres sy tant se monte. Et ou ilz ne monteroyent jusque a la valleur de lad. somme de mil trente cinq livres, led. de Cault sera tenu et promect bailler et payer le surplus aud. sr. Parfaict en promesses deues par marchans de Paris au contentement dud. sr. Parfaict, payables a six mois. Comme aussy sy lesd. draps montoyent plus que lad. somme de mil trente cinq livres, led. sr. Parfaict luy payera le surplus en deniers comptans en luy fournissant le dernier desd. draps (…) Faict et passé es estudes, l’an mil six cens troys, le quatorziesme jour de janvier apres midy.

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4 décembre 1604. — Contrat entre Robert Harelle, courtier de draps à Meaux et facteur de Claude Parfait, marchand drapier et bourgeois de Paris, d’une part, et Claude Poussain, marchand drapier drapant de Meaux, pour la fabrication et livraison de six pièces de grands draps passefins, dont la laine est fournie par Claude Parfait.

Arch. dép. de la Seine-et-Marne, 143 E 2.

Fut present en sa personne Claude Poussain, marchant drappier drappant dem. au Grand Marché de Meaulx, lequel voluntairement recongnoist et confesse avoir vendu et promect livrer a honneste personne Robert Harelle, courtier aulneur de draps dem. aud. Meaulx, a ce present, ou nom et comme facteur de honnorable homme Claude Parfaict, drappier bourgeois a Paris, assavoir la quantité de six pieces de grands draps passefins, ayans les lizieres goderonnees, portans une aulne demy quart de blanc entre deux lizieres, de la force de l’eschantillon presentement monstré aud. Poussain.

Lesquelz six draps ainsy comme dict est faictz et fasçonnez, ledict Poussain comme dessus, promect livrer en ceste maniere, assavoir deux pieces dans le jour de foire Sainct Sebastien prochain venant, et les aultres quatre restans aussy dans le jour du samedi francq du moys de mars prochain ensuivant, ou plustot sy faire ce peult.

Pour faire lesquelz drapz led. Poussain recongnoist et confesse par ces presentes avoir receu dud. Parfaict la quantité de six balles de layne montant ensemble a la somme de unze cens soixante deux livres t., dont icellui Poussain demeure d’accord et s’en tient pour contant.

Ceste presente vendition et marché de draps faictz moiennant la somme de sept livres cinq solz t. pour aulne et oultre la somme de quarente cinq livres t. pour chacune piece desd. six draps pour le contant d’iceux que led. Harelle oud. nom promect paier ou faire paier par led. Parfaict aud. Poussain. En quoy faisant sera tenu icellui Poussain reprendre en paye et pour argent contant certaine sa cedulle, laquelle led. sr. Parfaict a en ses mains en deduction de ce qu’il [doit ?] et d’aultant que la susdicte somme de unze cens soixante deux livres t. a quoy monte lesd. balles de layne avecq le contant desditz six draps qui seroit monte en total a la somme de quatorze cens quarente deux livres et par deça l’entiere valleur d’iceux draps, en ce cas promect led. Poussain bailler et fournir pour le pardessus cedulles bonnes et vallables de marchans de Paris ou Troyes aud. Parfaict et a son choix, et s’oblige par led. Poussain a la garenche d’icelles et lors de la delivrance du dernier drap. Car ainsy etc. Promectant etc. Obligant biens etc. Sortir etc. Demorant etc. Faict et passé en l’estude dud. notaires, ce jourd’huy samedi francq quatriesme jour de decembre mil six cens quatre aprés midy, en presence de Gabriel Dazy et Baktazard Rotes, clers aud. Meaulx.