vinel nicolas - le judaïsme du carré sator de pompéi

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  • 7/22/2019 VINEL Nicolas - Le judasme du carr sator de Pompi

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    Revue de lhistoire desreligions2 (2006)

    Varia

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    Nicolas Vinel

    Le judasme cach du carr SATOR dePompi

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    Avertissement

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    Rfrence lectroniqueNicolas Vinel, Le judasme cach du carr SATOR de Pompi , Revue de lhistoire des religions [En ligne], 2 | 2006,mis en ligne le 19 janvier 2010, consult le 13 octobre 2012. URL : http://rhr.revues.org/5136

    diteur : Armand Colinhttp://rhr.revues.orghttp://www.revues.org

    Document accessible en ligne sur : http://rhr.revues.org/5136Ce document est le fac-simil de l'dition papier.Tous droits rservs

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    Revue de lhistoire des religions, 223 - 2/2006, p. 173 194

    NICOLAS VINEL

    Centre Philosophies et Rationalits

    Universit de Clermont-Ferrand

    Le judasme cachdu carr SATOR de Pompi

    Une dcouverte rcente dans le domaine des mathmatiques pythagori-ciennes conduit au dchiffrement du carr SATOR, dont le plus ancien exempleest Pompi. Il cache une autre inscription en latin, et en toutes lettres,qui prouve que cest un cryptogramme juif, fond sur lautel de bronzedEx 27 et le serpent de bronze de Nb 21, comme signe de reconnaissance etsymbole sotriologique pour la Diaspora. En outre, le mot SAUTRAN inscritsous le SATOR Pompi nest pas le salut dun certain Sautran(us) : devant

    la lettre N, qui symbolise le serpent dans lpigraphie judo-chrtienne,SAUTRA transcrit un impratif de la racine hbraque str cacher , dontlinfinitif absolu estSATOR.

    The hidden judaism of the Pompeiian SATOR square

    A recent discovery in the Pythagorean mathematical field leads to thedeciphering of the SATOR square, the earliest examples of which are in

    Pompeii. It hides another Latin inscription, in full, which shows that its aJewish cryptogram, based on the bronze altar in Ex 27 and the bronzeserpent in Nb 21, as an identification mark and a symbol of salvation forthe Diaspora. Furthermore, the word SAUTRAN below the SATOR inPompeii doesnt mean the greeting from someone called Sautran(us) :before the letter N, symbol of the serpent according to the Judeo-Christianepigraphy, SAUTRA transcribes an imperative of the hebrew root str tohide, the infinitive absolute of which is SATOR.

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    174 NICOLAS VINEL

    Depuis la fin du XIXe sicle, le carr SATOR a suscit des hypo-thses nombreuses et, disons-le, parfois peu raisonnables, mais dontle nombre et les excs mmes mesurent la fortune pigraphique de cepalindrome laube de lre chrtienne : au IIIe sicle en Angleterreet en Syrie, Doura-Europos ; au dbut du IIe en Hongrie ; enfin, etsurtout, au Ier Pompi. Rappelons quelques faits. Dans lhistoirede lexgse du SATOR, deux dcouvertes ont fait date, dix ansdintervalle. En 1926, quand le plus ancien SATOR connu datait duIIIe sicle, F. Grossser observa que le palindrome tait compos desmmes lettres que les deux mots Pater nosteret montra quil taitpossible, avec ses vingt-cinq lettres, de former la croix suivante 1 :

    1. Felix Grosser, Ein neuer Vorschlag zur Deutung der Satorformel ,Archiv fr Religionswissenschaft, 29, 1926, p. 165-169.

    R O T A S

    O P E R A

    T E N E T

    A R E P O

    S A T O R

    A P A T E R N O S T E R O

    A

    P

    A

    T

    E

    R

    O

    S

    T

    E

    R

    O

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    LE JUDASME CACH DU CARR SATOR 175

    Nombre dexgtes prirent sur cette anagramme une entire assu-rance : elle ne pouvait tre fortuite et constituait la preuve de lorigine

    chrtienne du carr. Or, lanne 1936 vit la dcouverte dun SATOR Pompi, sur une colonne de la palestre, o il est complt pardautres inscriptions : la mme main a crit au-dessous SAUTRANpuis, en caractres plus petits, VALE; une seconde main a ajout Dau-dessus et ANO au-dessous ; ce SATOR bien conserv permit M. Della Corte de reconnatre le fragment dun autre dans uneinscription mutile dcouverte en 1925, lintrieur dune maison 2.Antrieurs lruption du Vsuve, le 24 aot 79, ce sont ce jour les

    plus anciens exemples connus du palindrome. On souponna ds lorslanagramme de Grosser dtre une pure concidence, et lhypothsechrtienne fut conteste par ceux qui jugeaient improbable, cettedate, la cration dun tel cryptogramme par des chrtiens, voirelexistence mme dune communaut chrtienne Pompi. Lhypo-thse juive fut alors envisage, car on possdait dj plusieursindices srieux dune prsence juive3 (mme si la recherche rcentedoute quelle ait t nombreuse 4), mais aucun argument dcisif

    ne fut apport5. Beaucoup gardrent donc leur foi en linterprtationchrtienne de Grosser, dont lanagramme reste communment rpan-due6, bien quun article spirituel et magistral de Paul Veyne ait dissipune erreur si charmante7.

    2. Matteo Della Corte, Il crittogramma del Pater noster rinvenuto aPompei ,Atti della Pontificia Academia Romana di Archeologia, 12, 1936,p. 397-400 (photographie p. 398).

    3. Jean-Baptiste Frey, Les Juifs Pompi ,Revue Biblique, 42, 1933,p. 365-384.

    4. Voir Giancarlo Lacerenza, Per un riesame della presenza ebraica aPompei ,Materia giudaica, 6 (1), 2001, p. 99-103.

    5. Status quaestionis par Duncan Fishwick, On the origin of the rotas-satorsquare ,Harvard Theological Review, 57, 1964, p. 39-53.

    6. Jean Carmignac,Recherches sur le Notre Pre, Paris, Letouzey, 1969,p. 448-468 ; Rino Cammilleri, Il quadrato magico. Un mistero che dura daduemila anni, BUR, Milan, 20042.

    7. Paul Veyne, Le carr Sator ou beaucoup de bruit pour rien ,Bulletin

    de lAssociation Guillaume Bud. Lettres dHumanit, t. 27, 4e

    srie, n 4,dcembre 1968, p. 427-456.

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    176 NICOLAS VINEL

    Dans ces circonstances, les pages qui suivent nauraient jamais vule jour sans une dcouverte rcente dans le domaine des mathma-

    tiques anciennes, au sujet des carrs que nous appelons aujourdhui magiques ; ceux-ci sont connus avant lre chrtienne en Chineet quelques sicles plus tard en Inde, mais on les croyait absents dela tradition grco-romaine jusquau XIVe sicle, o un opusculebyzantin leur est explicitement consacr8 (les interprtes du SATORlui ont logiquement accord peu dintrt, du fait de son caractretardif9) ; or, comme on peut le lire dans la revue Archive for Historyof Exact Sciences, un passage du trait consacr par Jamblique

    (IIIe

    -IVe

    s.) larithmtique pythagoricienne, propos des carrsnaturels et non naturels de trois, implique non seulement une connais-sance minimale de ceux que nous appelons magiques , maispermet aussi dexpliquer leur dcouverte10. Sachant que le berceaudu pythagorisme est le sud de lItalie11, ce locus ouvre dembleune perspective nouvelle ltude du SATOR de Pompi : aurait-ilt chiffr grce un carr pythagoricien de cinq ?

    Cette perspective saccorde avec lhypothse juive, car, au Ier sicle,

    lassimilation de larithmtique grecque et du pythagorisme par lejudasme est atteste non seulement dans la Diaspora alexandrine,o Philon va jusqu associer le Ttragramme la Ttraktys12, maisaussi dans le judasme palestinien, car des lettres grecques furentutilises pour dsigner des nombres y compris dans le Temple mme(Shek. 3,2)13 et Flavius Josphe affirme sans ambages que les

    8. Paul Tannery, Le trait de Manuel Moschopoulos sur les carrs magiques.Texte grec et traduction ,Mmoires scientifiques, t. IV, Paris, Gabay, 19962,p. 26-60.

    9. Voir notamment Guillaume de Jerphanion, La formule magique SATORAREPO ou ROTAS OPERA. Vieilles thories et faits nouveaux ,Recherchesde Science Religieuse, 25, 1935, p. 214.

    10. Nicolas Vinel, Un carr magique pythagoricien ? ,Archive forHistory of Exact Sciences, 59 (6), 2005, p. 545-562.

    11. Voir Porphyre, Vita Pythagorae, d. Nauck, Leipzig, Teubner, 18862,p. 18-20.

    12. Philon,De vita Mosis, II, 115, d. Arnaldez, Cerf, Paris, 1967, p. 242.13. Gershom Scholem,La Kabbale, Gallimard, Paris, 20033, p. 511.

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    LE JUDASME CACH DU CARR SATOR 177

    Essniens ont adopt le mode de vie enseign par Pythagore14 (selonles mots de Martin Hengel, the essential thing is not the supposed

    Pythagorean influences, but the fact that Hellenistic observers likeJosephus [] could present them as Jewish Pythagoreans15 ) ; cela sajoute le thme inverse du larcin des Grecs et de loriginehbraque du pythagorisme, topos littraire rvlateur, lui aussi, deson assimilation par le judasme hellnis16.

    Cest pourquoi lhypothse dun cryptogramme juif utilisantlarithmtique pythagoricienne est lgitime. Sa validit sera tabliepar le dchiffrement du SATOR, qui savre la fois un signe de

    reconnaissance juif, aux dimensions de lautel de bronze dEx 27, etun symbole sotriologique, image du serpent de bronze de Nb 21 ;ce symbole est soulign par SAUTRAN, transcription dun impratifhbraque prcdant la lettreN, symbole du serpent dans lpigraphiejudo-chrtienne.

    I.ARAAEREA: UNTMOINPOURLADIASPORA

    La tradition biblique relative lautel des holocaustes attestequil possde, outre sa fonction liturgique, une importante valeursymbolique. Dans le livre de Josu, notamment, la Diaspora trans-jordanienne est confronte la problmatique de lexil : peut-onservir YHWH en terre trangre ? Ayant bti une reproduction delautel de YHWH, les tribus transjordaniennes rpondent en cestermes laccusation dinfidlit son culte (Jos 22,28-29) :

    Regardez la forme de lautel de YHWH que nos pres ont fait, nonen vue dholocaustes ou dautres sacrifices, mais comme un tmoinentre nous et vous. Loin de nous de nous rvolter contre YHWH etde nous dtourner aujourdhui de YHWH en btissant, pour y offrir

    14. Flavius Josphe, Antiquitates Judaicae, XV, 371. Dernier tat de larecherche dans Justin Taylor, Pythagoreans and Essenes. Structural parallels( Collection de la Revue des tudes Juives , 32), Peeters, Paris-Louvain, 2004.

    15. Martin Hengel,Judaism and Hellenism: Studies in their Encounter inPalestine during Early Hellenistic Period, Fortress, Philadelphia, 1974, t. I, p. 247.

    16. Voir Peter Gorman, Pythagoras Palaestinus , Philologus, 127, 1983,p. 30-42.

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    holocaustes, oblations ou sacrifices, un autel rival de lautel de YHWHnotre Dieu, rig devant sa demeure.17

    Cest donc dans sa forme que rside la fonction symboliquede lautel. Or, dans le livre de lExode, lautel de bronze construit parBealel a une forme trs particulire, conforme aux instructionsdivines reues par Mose en Ex 27,1-2 :

    Tu feras lautel en bois dacacia ; de cinq coudes de long et de cinqcoudes de large, lautel sera carr ; il aura trois coudes de haut. Tuferas ses quatre angles des cornes faisant corps avec lui, et tu leplaqueras de bronze.

    La valeur symbolique de ses dimensions est atteste dans le livredes Chroniques (IVe-IIIe s.), dont les chapitres 2 Ch 1-9 racontent laconstruction du temple de Jrusalem par Salomon. Celui-ci se rendtout dabord au lieu de culte de Gabaon, o se trouve la Tente de laRencontre : Lautel de bronze quavait fait Bealel, fils de Uri,fils de Hur, tait l devant la Demeure de YHWH (2 Ch 1,5). Deretour Jrusalem, Salomon ordonne de btir un temple, mais choisitpour lautel des holocaustes des dimensions plus imposantes : Il

    fit un autel de bronze, long de vingt coudes, large de vingt et hautde dix18 (2 Ch 4,1) ; quant celui dEx 27, il est pris commemodle dun socle plac sur le parvis du temple (2 Ch 6,13) :

    Salomon avait fait un socle de bronze quil avait mis au milieu de lacour ; il avait cinq coudes de long, cinq de large et trois de haut. Salomony monta, sy tint et sy agenouilla en prsence de toute lassembledIsral.

    Vu la correspondance de ces dimensions avec celles du SATOR,on peut se demander si elles avaient encore au Ier sicle la valeursymbolique quelles ont pour le Chroniste, trois sicles plus tt. Endautres termes, la forme de lautel dEx 27 tait-elle pour laDiaspora mditerranenne ce quest la forme de lautel de Jos 22pour la Diaspora transjordanienne : un signe de reconnaissance entrefidles de YHWH ?

    17. Les traductions sont celles de la Bible de Jrusalem, except pour leTtragramme transcrit YHWH et nehochettoujours traduit par bronze .

    18. Cf. 1 R 8,64 : Lautel de bronze qui tait devant YHWH tait troppetit.

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    LE JUDASME CACH DU CARR SATOR 179

    En effet, le SATOR de Pompi sinscrit dans une priode o lesjuifs ont d quitter Rome deux reprises : sous Tibre en lan 19 et

    sous Claude en lan 49, comme en tmoignent lesActes des Aptres19.Il est donc vraisemblable que certains aient utilis un tel signe dereconnaissance linsu des paens : les dimensions de lautel debronze constituaient une base particulirement pertinente pour uncryptogramme, visible mme une fois le carr chiffr. Grce quelchiffre ? Le locus pythagoricus de Jamblique permet de supposerque cest un carr non naturel de 5 respectant deux proprits : seslignes et colonnes ont une somme gale 65 ; 13, au centre du

    carr, est la moyenne arithmtique des couples de nombres prissymtriquement autour de lui, donc gaux 26 (13 + 26 + 26 = 65).Cest le cas du carr transmis par lopuscule byzantin20 :

    Dans lhypothse o le SATOR a une origine juive, un tel carr nemanque pas dintrt, puisque les nombres 13, 26 et 65 sont connuspour signifier le nom divin dans la gmatrie hbraque : 26 est lavaleur numrique du Ttragramme, 65 celle de sa forme lue Adona , 13 celle de ehad Un (Dt 6,4). Or la pratique de lagmatrie, ou isopsphie, est atteste Pompi par plusieurs inscrip-

    tions grecques21 : n 12* : Jaime celle dont le chiffre (arithmos) est (...) 1.

    19. Ac 18,2 : Un dit de Claude ordonnait tous les juifs de sloignerde Rome. Voir Leonard Victor Rutgers, Roman Policy towards the Jews:Expulsions from the City of Rome during the First Century C.E. , Classical

    Antiquity, 13, 1994, p. 56-74, repris dans The Hidden Heritage of DiasporaJudaism, Peeters, Louvain, 1998, p. 171-191.

    65 65 65 65 65 65 65

    11 24 7 20 3 654 12 25 8 16 65

    17 5 13 21 9 6510 18 1 14 22 6523 6 19 2 15 65

    20. Paul Tannery, Le trait de Manuel Moschopoulos , art. cit., p. 54.

    21. Corpus Inscriptionum Latinarum, t. IV, Suppl., Berlin, 1901, p. 460,557 sq.

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    n 4839 : celle dont 1 035 est le chiffre du beau nom (arithmos toukalou onomatos)

    n 4861 : Jaime celle dont 545 est le chiffre (arithmos). Trs tt, on a soulign le parallle entre ces inscriptions de Pompi

    et le texte contemporain de lApocalypse sur le chiffre de la Bte 22 :

    Ap 13,17 : le nom de la Bte ou le chiffre de son nom (ton arithmontou onomatos) Ap 13,18 : Son chiffre (arithmos), cest 666.

    Au vu de ces parallles contemporains du SATOR et de nombrestels que 1 035 ou 666, une isopsphie 65 pour Adona dans le

    carr pompien na rien dinvraisemblable. Certes, les spculationsde ce genre nous rebutent aujourdhui, et souvent bon droit, maisil faut savoir que mme dans la tradition chinoise, o la connais-sance du carr magique de trois est certaine avant lre chrtienne,le carr lui-mme nest attest explicitement quau Xe sicle, aftersome thirteen hundred years of hidden, private or cultic use 23 . Ilest donc possible que des raisons religieuses ou sotriques expliquentun aussi long silence entre le SATOR et le trait byzantin.

    Gershom Scholem souligne une telle tradition sotrique lie aupythagorisme dans le Sefer Yezira, le plus ancien texte connu de lamystique juive (IIIe-VIe s.), pour sa conception de la Cration partirde lettres et de nombres, qui tire probablement son origine de sourcesno-pythagoriciennes24 . Or la correspondance entre lettres etnombres est justement au cur du cryptogramme de Pompi, notam-ment parce que son centre N, 13e lettre des alphabets latin et grec(et qui vaut 13 par exemple sur des pices grecques du IIe sicle

    av. J.-C.25

    ), concide avec le centre du carr naturel de cinq, mais

    22. Antonio Sogliano, Isopsepha Pompeiana , Rendiconti della RealeAcademia dei Lincei, 10, 1901, p. 256-259.

    23. Steve Cammann, The magic square of Three in old chinese philosophyand religion ,History of Religions, 1, 1960, p. 37-80 (p. 45).

    24. Gershom Scholem,Les origines de la Kabbale, Aubier, Paris, 1966,p. 37.

    25. Otto Neugebauer, The exact sciences in Antiquity, New York, 19572,

    p. 9 : The months of issue are denoted by the letters A to M representing thenumbers 1 to 12 for an ordinary year, adding N = 13 for a leap year.

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    LE JUDASME CACH DU CARR SATOR 181

    surtout parce quil suffit de transformer ce carr naturel en carr Adona pour dchiffrer le carr SATOR.

    1) La croix centrale subit une rotation de 45 droite :

    2) La croix qui relie les angles opre la mme rotation, mais lespaires de nombres places symtriquement autour de 13, leur moyennearithmtique (1-25, 5-21, 7-19, 9-17), passent de lextrieur lintrieur, et vice-versa :

    1 2 3 4 5 11 24 7 20 36 7 8 9 10 4 12 25 8 1611 12 13 14 15 17 5 13 21 916 17 18 19 20 10 18 1 14 22

    21 22 23 24 25 23 6 19 2 15

    R O T A S T TO P E R A E E

    T E N E T NA R E P O E ES A T O R T T

    1 2 3 4 5 11 24 7 20 36 7 8 9 10 4 12 25 8 16

    11 12 13 14 15 17 5 13 21 916 17 18 19 20 10 18 1 14 2221 22 23 24 25 23 6 19 2 15

    R O T A S PO P E R A RT E N E T R S N S R

    A R E P O RS A T O R P

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    182 NICOLAS VINEL

    3) Restent huit nombres pairs qui correspondent aux A et O ; ilspermutent simplement entre eux :

    Ainsi dchiffr par le carr Adona , le cryptogramme contient,outre les deux TENET, les mots latins ARA AEREA autel de

    bronze26 :

    Il est crucial de noter la correspondance entre ce carr ARAAEREA et les instructions divines dEx 27,1-2 pour lautel de bronze : De cinq coudes de long et de cinq coudes de large, lautel seracarr []. Tu feras ses quatre angles des cornes faisant corps aveclui, et tu le plaqueras de bronze. chaque corne correspondun T, dont Tertullien (IIe s.) atteste quil est la transcription latine dutaw27, ce signe que Dieu ordonne dinscrire sur le front des justesen Ez 9,4 ; or cette scne se droule devant lautel de bronze (Ez 9,2) ; en outre, les cornes sont la partie la plus sainte de lautel,si bien que lon ne pouvait porter la main sur celui qui les saisissait :

    TENETexprime probablement cette ide dans le carrARA AEREA,comme plus tard la Vulgate de 1 R 1,50, tenuit cornu altaris ilsaisit une corne de lautel .

    R O T A S O OO P E R A A AT E N E TA R E P O A AS A T O R O O

    T T T O P O TE E A E R E A A E R E A

    N R S N S R R RE E A E R E A A E R E A

    T T T O P O T

    26. Le nom ara et ladjectifaereus sont courants dans le latin du Ier sicle ;la Vulgate choisira la traduction plus rare altare aeneum (Ex 38,30 ; 39,39 ;2 R 16,14, etc.).

    27. Tertullien,Adversus Marcionem, III, 22 (PL, d. Migne, t. II, col. 353) :Da signum TAU in frontibus virorum. Ipsa est enim littera Grcorum Tau,

    nostra autem T. Mets le signe TAU sur le front des hommes ; cest le Taudes Grecs, et notre T.

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    LE JUDASME CACH DU CARR SATOR 183

    Le SATOR montre donc que la forme de lautel des holocaustesavait toujours, laube de lre chrtienne, la valeur symbolique

    que lui attribue le Chroniste au IVe sicle, et quelle restait pour laDiaspora mditerranenne ce quelle est pour la Diaspora trans-jordanienne de Jos 22 : un tmoin (ed) entre nous que cest YHWHqui est Dieu (v. 34). Toutefois, ce nest pas sa seule valeur.

    II. SERPENSAEREA: UNSYMBOLESOTRIOLOGIQUE

    Outre cette fonction de tmoin, le SATOR navait-il pas une valeursotriologique, au sens o le salut, cest chapper quelque malphysique, au danger, aux mains dun ennemi28 ?En effet, selon Isae,lautel tmoin annonce la dlivrance future de la Diaspora (Is 19,19-20) :

    Ce jour-l, il y aura un autel ddi YHWH au milieu du pays dgypte[]. Ce sera un signe et un tmoin (ed) de YHWH Sabaot au paysdgypte. Quand ils crieront vers YHWH par crainte des oppresseurs,il leur enverra un sauveur et un dfenseur qui les dlivrera.

    Or le bronze est la matire dun autre symbole de salut, plus

    clbre encore, savoir le serpent fabriqu par Mose en Nb 21,6-9 : Dieu envoya contre le peuple les serpents brlants, dont la morsurefit prir beaucoup de monde en Isral. Le peuple vint dire Mose :Nous avons pch en parlant contre YHWH et contre toi. Intercdeauprs de YHWH pour quil loigne de nous ces serpents. Moseintercda pour le peuple et YHWH lui rpondit : Faonne-toi un Brlantque tu placeras sur un tendard (nes, smeion LXX). Quiconque aurat mordu et le regardera restera en vie. Mose faonna donc un serpentde bronze quil plaa sur ltendard (nes), et si un homme tait mordupar quelque serpent, il regardait le serpent de bronze et restait en vie.

    Limportance extrme de cet pisode pour la Diaspora alexan-drine contemporaine du SATOR est atteste par le livre de la Sagesse(Ier s. av.), qui fait du serpent de Nb 21 le symbolon de Dieu lui-mme(Sg 16,5-7) :

    Mme lorsque sabattit sur eux la fureur terrible de btes froces, etquils prissaient sous les morsures de serpents tortueux, ta colre ne

    28. Marcel Simon, Conceptions et symboles sotriologiques chez les

    juifs de la Diaspora , in U. Bianchi et M.J. Vermaseren,La soteriologia deiculti orientali nellimpero romano, Brill, Leiden, 1982, p. 781-802 (p. 781).

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    dura pas jusquau bout ; mais cest par manire davertissement etpour peu de temps quils furent inquits, et ils avaient un signe

    (sumbolon) de salut pour leur rappeler le commandement de ta Loi, carcelui qui se tournait vers lui tait sauv, non par ce quil avait sous lesyeux, mais par toi, le Sauveur de tous.

    De mme, dans son ouvrage sur les symboles juifs de la priodegrco-romaine, Goodenough29 rpertorie une amulette grecque quiporte dun ct linscription MOYCH Mose et, de lautre, ledessin dun serpent entre les mots IAW30 YHWH et CABAW Sabaot (cf. Is 19,20).

    Une fois de plus, dchiffr par le carr Adona , le SATOR

    sinscrit dans cette tradition, carARA etAEREA sont accompagnspar le nom SERPENS31 lensemble devant tre scell par ladernire pice manquante du carr :

    La synthse de lautel de bronze et du serpent de Nb 21 estcorrobore par Gense Rabba, qui souligne la parent entre les nomshbraques du bronze ou airain et du serpent :

    Le Saint, bni soit-Il, ordonna Mose : Fais-toi un serpent (saraf)sans prciser davantage. Et Mose de dire : Si je le fais en or (zahav),les deux mots ne correspondront pas, en argent (keseph), les deux motsne correspondront pas non plus. Je vais donc le faire en airain, et l les

    deux mots correspondront. Mose fit le serpent (nahach) avec de lairain(nehochet).32

    29. Erwin R. Goodenough,Jewish Symbols in the Greco-Roman Period,t. III, New York, 1953, ill. n 1135.

    30. Diodore de Sicile (Ier s. av. J.-C.) associe Mose le dieu appelIao (Bibliotheca historica, I, 94, 2, d. Vogel, Teubner, Leipzig, 1888).

    31. Sur le fminin SERPENS AEREA, voir Ernout-Meillet, Dictionnairetymologique de la langue latine, Klincksieck, Paris, 19944, p. 619 : serpens f.(scil. bestia) .

    P PA E R E A E R E A E R E AR S N S R S N S S N SA E R E A A E R E A E R E

    P P

    32. Midrach Rabba, t. I, 31, 8, trad. Maruani et Cohen-Arazi, Verdier,1987, p. 322.

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    LE JUDASME CACH DU CARR SATOR 185

    Ce midrash est vraisemblablement aussi ancien que le nomNehouchtn, donn au serpent de bronze de Mose quand, selon le

    livre des Rois, il tait honor dans le Temple 33. En Nb 21 mme,selon M. Morgen, si le rdacteur prsente lpisode comme unvnement voulu par Dieu, cest prcisment pour expliquer laprsence de cette croyance aux pouvoirs prophylactiques du serpentdairain qui a eu une certaine importance en Isral (II R 18,4) et nepas la confondre avec un culte idoltrique34 . Le SATOR dchiffrsinscrit dans cette tradition, puisquil savre la foisARA AEREA(nehochet) par ses dimensions et ARA SERPENS(nahach) par sa

    structure interne.En effet, une fois de plus, la correspondance entre le fond et la

    forme du cryptogramme est cruciale : de mme que la mentionARAAEREA correspond aux dimensions du carr, SERPENS montreque le palindrome imite la forme du serpent (tel l amphisbne ,ce serpent auquel les Grecs attribuaient deux ttes et la possibilitde se mouvoir en avant comme en arrire) ; SERPENScorrespondaussi la proprit dtre lu boustrophdon (alternativement de gauche

    droite et de droite gauche), qui trouve un parallle remarquable Pompi dans le serpentis lusus : ces deux mots latins, qui signi-fient le jeu du serpent , sont lincipit dune longue inscriptionqui offre un bel exemple de calligramme ; en effet, son texte critverticalement dessine un serpent quatre boucles, analogue au SATORci-dessous35 :

    33. 2 R 18,4 : Il mit en pices le serpent de bronze que Mose avaitfabriqu. Jusqu ce temps-l, en effet, les Isralites lui offraient des sacrifices ;on lappelait Nehushtn.

    34. Michle Morgen, Le Fils de lHomme lev en vue de la vie ternelle ,

    Revue des Sciences Religieuses, 68 (1), 1994, p. 9.

    R O T A S

    O P E R AT E N E TA R E P O

    S A T O R

    35. C.I.L., t. IV, Berlin, 1871, n 1595.

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    186 NICOLAS VINEL

    Nanmoins, contrairement au serpentis lusus, le SATOR na nidbut ni fin et revient toujours au point do il est parti lexact

    contraire des impies dans le livre de la Sagesse : Notre fin est sansretour, le sceau est appos et nul ne revient (Sg 2,5). Cest pourquoiil est SERPENS AEREA, car le serpent de Nb 21 est au Ier sicle unsymbole dternit et de rsurrection, attest non seulement en Sg 16(supra), mais aussi dans lvangile de Jean : Comme Mose levale serpent dans le dsert, ainsi faut-il que soit lev le Fils de lhomme,afin que quiconque croit ait en lui la vie ternelle (Jn 3,14-15).

    Cest le moment de commenter les inscriptions de la seconde

    main au-dessus et au-dessous du SATOR de la palestre : D etANO.Selon E. Testa, les ossuaires judo-chrtiens associent la lettre Ndes dessins de serpents et le serpent lui-mme apparat dans lesinscriptions duDominus Flevit sulla forma sinuosa di unaN36 ;ce symbolisme remonte lorigine mme des alphabets grec ethbreu, car le signe pictographique dont proviennent les lettres nuet nun tait un serpent et, ce titre, la lettreNest aussi un symboledternit (le C.I.L. relve prs de Pompi, Naples, une inscription

    o unNest isol sous les mots AETERNOFLORE37

    ). Or les ossuairestudis par E. Testa attestent aussi la lettre D. Rien dtonnant donc ce quune seconde main ait inscrit la fois D au-dessus du SATORet ANO au-dessous, le symbole du serpent tant complt par lesdeux lettres qui symbolisent lternit (le mme type de symbolismeapparat sur une amulette rpertorie par Goodenough, o un serpentimposant est entour par lA et lW du nom divin IAW38). Prcisonsque le symbolisme latin AO est bien attest dans lpigraphie judo-chrtienne, ct de lhbreu aleph-taw et du grec alpha-omga39

    ce dernier tant dj utilis par les Septante, au IIIe sicle40.

    36. Emanuele Testa,Il simbolismo dei Giudeo-Cristiani, Jrusalem, 1962,p. 142 (oss. 15, 46, 123) et 161.

    37. C.I.L., t. X, n 362 (cit par Testa, loc. cit.).38. Erwin R. Goodenough, Jewish Symbols, op. cit., ill. n 1167. Cf.

    n 1135 (supra), o le serpent est entour par IAW et CABAW (dformationmanifestement volontaire de Sabaot).

    39. Emanuele Testa, op. cit., p. 347 et 364.

    40. Voir Nicolas Vinel, LAlpha-Omega des Septante ,Revue Biblique,2006, t. 113 (en cours de parution).

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    LE JUDASME CACH DU CARR SATOR 187

    En dfinitive, la synthse de lautel de bronze et du serpent deNb 21 savre particulirement cohrente, notammentdu point de vue

    des sources bibliques. En effet, lpisode de Nb 21 est prcd enNb 17 par une tiologie du bronze de lautel des holocaustes, donncomme signe Isral. Cest la pice manquante du cryptogramme.

    III.ARA, AEREA, SERPENS: TROIS SIGNES POURLA DIASPORA

    Jos 22 montre que lautel des holocaustes ne vaut pas seulement

    par sa fonction liturgique, mais aussi par sa valeur symbolique, commetmoin pour la Diaspora. De ce point de vue, en tant quimage delautel de bronze, le SATOR saccorde avec la conception de la Tentede la Rencontre comme signe visible de la prsence de Dieu endehors de la Terre Sainte41.

    Or la notion de signe (hbreu t, grec smeion) dfinit lestrois mots inscrits en latin dans le cryptogramme, commencer parlautel de YHWH, dans le passage dIsae vu plus haut, propos dela Diaspora opprime : Ce sera un signe (t, smeion LXX) et untmoin de YHWH Sabaot au pays dgypte (Is 19,20). En Nb 17,1-4,cest au bronze mme de lautel que Dieu attribue cette fonction,aprs la querelle des encensoirs :

    YHWH parla Mose et dit : [] Ces encensoirs de pch sontsanctifis, au prix de la vie de ces hommes. Puisquon les a apportsdevant YHWH et quils sont consacrs, quon en batte le mtal enplaques pour recouvrir lautel. Ils serviront de signe (t, smeion LXX)aux Isralites. lazar, le prtre, prit les encensoirs de bronze quavaientapports les hommes que le feu avait dtruits. On les battit en plaques

    pour recouvrir lautel. Cette tiologie du bronze devait avoir beaucoup dimportance

    pour le judasme alexandrin, car les Septante linsrent en Ex 38,22,dans le rcit de la construction de lautel par Bealel : Il fitlautel de bronze avec les encensoirs de bronze appartenant auxhommes qui staient rvolts avec la communaut de Kor.

    41. Voir Bernard Renaud, La formation de Ex 19-40. Quelques points

    de repre ,Le Pentateuque. Dbats et recherches, Cerf, Paris, 1992 ( LectioDivina , 151), p. 106.

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    188 NICOLAS VINEL

    En troisime lieu, tcaractrise aussi le bton de Mose changen serpent, premier signe pour quIsral ait confiance en son

    guide (Ex 4,2-8). Sagissant de Nb 21, il y a le mot nes enseigne ,que la Septante traduit comme t, par smeion, et qui devientmme symbolon en Sg 16 (supra) : selon la formule de M. Morgen,lvnement de Nb 21 prend valeur de signe42 ; du reste, celanest pas propre la tradition alexandrine, car le Targum Onkelos deNb 21 traduit nes par at43, quivalent aramen de lhbreu t44 ;il savre donc que, dans la rception juive de Nb 21, la notionabstraite de tse substitue celle, concrte, de nes.

    Cest pourquoi il est parfaitement cohrent que, dans le crypto-gramme chiffr par le carr Adona , les lettres non utilises pourARA,AEREA et SERPENSforment prcisment le mot OT:

    Le SATOR, qui reproduit la forme de lautel de YHWH (Jos 22),en loccurrence celle de lautel de bronze, est bien conu comme un signe et un tmoin de YHWH (Is 19,20). Prcisons que le bilin-guisme latin-hbreu deARA (SERPENS) OTest attest dans la plusimportante inscription juive de Sicile, a bilingual that has anopening formula in Hebrew and then continues in Latin 45 , et

    42. Michle Morgen, Le Fils de lHomme lev en vue de la vie ternelle ,loc. cit.

    43. Targum du Pentateuque, t. III, d. Roger le Daut, Cerf, Paris, 1979,p. 194, n. 4.

    44. Marcus Jastrow,Dictionary of the Targumim, Talmud Babli, Yerushalmiand Midrashic Literature, t. I, Judaica Press, New York, 1996, p. 132.

    T O O T T O O T T O P O TA A A E R E A E R ER R S N S

    A A A E R E A E R E

    T O O T T O O T T O P O T

    45. Leonard Victor Rutgers, Interaction and Its limits: Some Notes on theJews of Sicily in Late Antiquity ,Zeitschrift fr Papyrologie und Epigraphik,

    115, 1997, p. 245-256, repris dans The Hidden Heritage of Diaspora Judaism,op. cit., p. 139-156 (p. 140).

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    LE JUDASME CACH DU CARR SATOR 189

    Pompi mme, dans une inscription prophylactique dcouverte en196046 :

    En outre, ce bilinguisme et la transcription latine de lhbreuapparaissent plus prs encore du SATOR, sous le carr lui-mme.

    IV. SAUTRAN: LASIGNATUREHBRAQUEDUSATOR

    On considre traditionnellement les mots SAUTRAN et VALEcomme le salut dun certain Sautran(us), non sans difficult du pointde vue de lonomastique latine, puisque M. Della Corte suggre delire Saturan(us)47. Or cette interprtation traditionnelle soulvetrois objections : 1) SAUTRANnest pas plus proche de VALEquede SATOR, dernier mot du carr ; 2) sa premire lettre est alignesur celle de SATOR, alors que VALEest nettement dcal ; 3) enfin,ses lettres ont la mme taille que celles de SATOR, tandis que celles

    de VALE, on la vu, sont beaucoup plus petites. Par consquent, siSAUTRANdoit tre rapproch dun mot, cest de SATOR.

    Ds lors, une question simpose : SAUTRANet SATOR ne seraient-ils pas forms sur une mme racine ? Le latin noffre aucune solution,mais lhbreu biblique atteste frquemment la racine str cacher :en Ex 3,6, quand Mose cache son visage devant le buisson ardent ; propos du sort de la Diaspora, qui fait partie des choses cachesselon Dt 29,27-28 ; pour exprimer la rsistance patiente dIsral en

    Is 49,2 : Il a fait de moi une flche acre, il ma cachdans soncarquois ; enfin, pour caractriser YHWH lui-mme dans le fameuxpassage dIs 45,15 : Tu es un Dieu qui se tient cach, le DieudIsral, celui qui sauve ! Lactualit de ce thme au dbut de lrechrtienne est atteste par Gense Rabba, qui commente Dn 2,22

    CHEREMPOINIVM

    46. Voir Isidoro Kahn, Un graffito recentemente scoperto a Pompei ,Annuario di Studi Ebraici, 1963, p. 35-40 ; David Noy,Jewish Inscriptions ofWestern Europe, t. I, Cambridge, 1993, n 39 ; Giancarlo Lacerenza, Per un

    riesame della presenza ebraica a Pompei , art. cit., p. 102.47. C.I.L., t. IV, Supplment (3), Berlin, 1952, p. 902.

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    190 NICOLAS VINEL

    ( Il dvoile les trfonds et le cach) dans une perspective sotrio-logique, en le rapprochant du Ps 31,21 : Tu caches au secretde ta

    face.48 De fait, sachant que la lettre Nest une image du serpent, lui-

    mme symbolon de Dieu, et doit tre considre part (comme lesouligne ANO inscrit par la seconde main), les mots SATOR etSAUTRA correspondent respectivement au paradigme de linfinitifabsolu (qatl) et celui de limpratif masculin singulier dit emphatique (qotlah)49. Pour ce dernier, la graphie pompienneSAUTRA est particulirement intressante : elle illustre le fait que,

    dans le latin du Ier sicle, la diphtongue AU est frquemmentcontracte en O, par exemple dans le nom aurum or , prononcorum50 ; on peut aussi le voir dans la correspondance de Cicron,chez Horace et sur les murs mmes de Pompi51 ; enfin, une anecdotervlatrice est rapporte par Sutone (IIe s.) au sujet de lempereurVespasien, mort le 23 juin 79, deux mois avant lruption du Vsuve : Quand, un jour, lancien consul Mestrius Florus eut fait remarquer Vespasien que, pour sexprimer correctement, il fallait direplaustra

    (chariots) plutt que plostra, celui-ci le salua le lendemain enlappelant Flaurus.52 Ces parallles contemporains de notreinscription montrent que SAUTRA peut sans difficult tre lu sotrah dautant plus que cette graphie latine concorde avec la fixationdfinitive de la vocalisation massortique (IXe s.) : distinct de O(holem),AUest apparent A comme le qames hatouph au qames.

    Cest pourquoi il est probable quun juif de la Diaspora, voyantdans le mot SATOR la racine stret la forme de linfinitif absolu,

    aura dlibrment inscrit au-dessous une autre forme de cette racine.

    48. Midrach Rabba, op. cit., I, 6, p. 39.49. Paul Joon, Grammaire de lhbreu biblique, Rome, 1923, 1996, p. 27

    et 108 sq. Le qal de str, sans occurrence biblique, est cependant attest dansles manuscrits de Qumran (voir le Theological Dictionary of the Old Testament,t. X, Michigan, 1999, p. 371 : Interestingly, the niphal and hiphil here are

    joined by occurrences of the qal. ).50. Max Niedermann, Phontique historique du latin, Klincksieck, Paris,

    1953, p. 65.

    51. Ibid. (C.I.L., t. IV, n 2353).52. Ibid., p. 66.

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    LE JUDASME CACH DU CARR SATOR 191

    Son choix de limpratif emphatique a deux justificationspossibles : 1) dun point de vue syntaxique, SAUTRA constitue avec

    SATOR une squence paronomastique frquente en hbreu biblique,o linfinitif absolu apporte une nuance emphatique en redoublantlide exprime par la forme verbale conjugue53 la seule objectionest que, quand cette forme verbale est un impratif, lhbreu bibliquepostpose linfinitif absolu de mme racine 54, mais lauteur delinscription navait videmment pas cette libert ; 2) SAUTRA estsuivi de la lettre N, image du serpent de Nb 21, lui-mme symbolonde Dieu dans le livre de la Sagesse et sur lamulette rpertorie par

    Goodenough.Cette analyse de SAUTRA Nest corrobore par larchologie smi-

    tique, car le Catalogue des sceaux ouest-smitiques de P. Bordreuilrpertorie le nomywstr, qui relve de la racine satarprotger,cacher et signifie que YW a abrit, cf. Ps. 91,1 Toi qui habites labri (beseter) du Trs-Haut 55 ; mieux encore, lOnomasticaaramaica de W. Kornfeld mentionne les formes stryh et strl, cest--dire deux squences du type str+nom divin (yh et l)56. Or,

    limpratifSAUTRA concorde parfaitement avec une telle squence,comme le montre lemploi des racines shmr garder et zkr sesouvenir ; en effet, leur infinitif absolu est utilis comme impratifou futur injonctif dans les commandements divins du Dcalogue :Dt 5,12 observe (shamr) le jour du Sabbat , Ex 13,3 souvenez-vous (zakr) ; en revanche, leur impratif emphatique sert formulerdes prires : Ps 25,20 Garde (shomrah) mon me , 2 Ch 6,42 Souviens-toi (zokrah) des grces faites David . Cest pourquoi,

    53. Paul Joon, op. cit., p. 348 sq. ; Takamitsu Muraoka,Emphatic wordsand structures in biblical Hebrew, Brill, Jrusalem-Leiden, 1985, p. 91 sq.(pour la racine str, cf. Dt 31,18 et la squence inf. abs. + inaccompli Hiphil).

    54. Paul Joon, loc. cit. ; Takamitsu Muraoka, op. cit., p. 89.55. Pierre Bordreuil, Catalogue des sceaux ouest-smitiques inscrits de la

    Bibliothque Nationale du Muse du Louvre, BNF, Paris, 1986, p. 54.56. Walter Kornfeld, Onomastica aramaica aus gypten, Bohlaus Nachf,

    Vienne, 1978, p. 65 ; cf.stryl dans Martin Noth,Die israelitischen Personen-

    namen im Rahmen der gemeinsemitischen Namengebung, Kohlhammer,Stuttgart, 1928, p. 158.

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    192 NICOLAS VINEL

    sous la forme dinfinitif absolu SATOR, SAUTRA Nest vraisembla-blement une prire de forme str+nom divin : Cache-moi, YHWH.

    Cest ce quaura voulu souligner la seconde main juive, en rptantla lettreNdansANO.

    CONCLUSIONS

    Nombre de publications sur le SATOR concernaient lorigine etle sens du mot AREPO, qui savre un pur accident, d des

    contraintes formelles que les auteurs du cryptogramme ne pouvaientsurmonter. Cette fausse piste, parmi dautres, a tenu les exgtesloigns de la solution du SATOR, qui runit deux domaines derecherche dont les points de contact sont rares : lhistoire des reli-gions et celle des sciences. En effet, cest un trait darithmtiquepythagoricienne qui permet de faire le lien entre ce cryptogrammejuif du Ier sicle et lopuscule byzantin du XIVe qui en a consign lacl, probablement sans le savoir treize sicles de tradition perdue

    ou souterraine, comme pour le carr magique chinois (supra).Les crateurs du SATOR, qui ont probablement vcu peu avant

    lre chrtienne, se situent dans la tradition de la Diaspora trans-jordanienne en Jos 22 : leur carr reproduit la forme de lautel deYHWH , en loccurrence lautel de bronze dEx 27, et ce non envue dholocaustes ou dautres sacrifices, mais comme un tmoin ;ce signe de reconnaissance sinscrit en outre dans la perspectivesotriologique dIs 19,19-20 : Ce jour-l, il y aura un autel ddi

    YHWH au milieu du pays dgypte []. Ce sera un signe et untmoin de YHWH Sabaot. De fait, chiffr par le carr Adona ,le SATOR est ARA AEREA par ses dimensions, SERPENSen tantque palindrome, mais aussi par sa lecture boustrophdon ( limagedu serpentis lusus pompien), et SERPENS AEREA parce quil nani dbut ni fin. Cest pourquoi il est aussi OT, conformment Nb 17,o Dieu fait du bronze de lautel un tpour Isral, et conformmentau Targum Onkelos de Nb 21, qui associe tau serpent de bronze.La correspondance entre le fond et la forme de linscription estfondamentale : de mme que lincipit serpentis lusus prouve que le

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    LE JUDASME CACH DU CARR SATOR 193

    calligramme dessine dlibrmentun serpent,ARA AEREA prouveque les dimensions du SATOR reproduisent dlibrmentcelles de

    lautel de bronze.En revanche, mme si le jeu sur la racine hbraque strconcorde

    parfaitement avec le caractre cryptographique du palindrome, ilest difficile de dire sil remonte sa cration premire : cest peut-tre une relecture personnelle de celui qui la grav sur la palestre et qui a fort peu de chances davoir aussi cr le cryptogramme.En tout cas, le SATOR est une cration juive, et celui de la palestrepompienne est aussi juif ; quant ceux inscrits Budapest (IIe s.),

    Circenster ou Doura-Europos (IIIe

    s.), rien ne permet de dcider sileurs auteurs taient juifs ou chrtiens, mais on peut penser que lejudasme aura dlaiss trs tt ce cryptogramme en latin, pour lesmmes raisons quil a finalement abandonn la version grecque desSeptante, devenue la Bible des chrtiens.

    [email protected] rue des Rasselins

    75020 Paris

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    Le SATOR de la palestre pompienne, daprs la photographie publie

    en 1936 par M. Della Corte, art. cit., (n. 2).