vigneron printemps 2012 vigneron

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VIGNERON Printemps 2012 84 VIGNERON Printemps 2012 85 UN PARCOURS ATYPIQUE, UNE CURIOSITÉ AUX AGUETS, UN VRAI SENS DU PARTAGE... MARCO PELLETIER EST L’EXCELLENT CHEF SOMMELIER DU CÉLÈBRE BRISTOL, LE PALACE PARISIEN DE LA RUE DU FAUBOURG-SAINT-HONORÉ. Il nous vient du Québec marco pelletier par orianne nouailhac photos mathieu garçon

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Page 1: VIGNERON Printemps 2012 VIGNERON

VIGNERON Printemps 201284 VIGNERON Printemps 201285

UN PARCOURS ATYPIQUE, UNECURIOSITÉ AUX AGUETS, UN VRAI SENSDU PARTAGE... MARCO PELLETIER ESTL’EXCELLENT CHEF SOMMELIER DU

CÉLÈBRE BRISTOL, LE PALACE PARISIENDE LA RUE DU FAUBOURG-SAINT-HONORÉ.

Il nous vient du Québec

marcopelletier

par orianne nouailhacphotos mathieu garçon

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d’un palace. “En 1997, à la fin de mes études, j’ai décidé de prendre un étésabbatique en France. J’avais organisé quelques années plus tôt un voyagescolaire en Europe avec ma classe et cela m’avait profondément marqué.Je rêvais de travailler dans un bistrot français. Ça tombait bien : la mèred’une de mes amies avait un bistrot à Épernay. J’ai atterri dans un minus-cule appartement, avenue de Champagne.” L’été sabbatique se transforme finalement en année sabbatique.Impossible de repartir alors que les vendanges approchent ! Levoilà donc dans les vignes chez Jacquesson et Michel Lagache. Defil en aiguille, il reste aussi pour les vinifications. Mais il faudra at-tendre son retour au Canada pour sentir la force de la vocationnaissante : “J’ai alors cherché un travail, mais les chantiers de construc-tion m’intéressaient finalement beaucoup moins que les vignes et le vin.J’ai donc décidé de devenir sommelier.”De 1997 à 2000, il retrouve les bancs d’écoliers à l’Institut dutourisme et de l’hôtellerie du Québec (ITHQ) et se distingue parune bourse d’excellence qui lui ouvre les portes d’un stage dans unRelais&Châteaux en France. “C’était mon rêve, d’autant qu’au Qué-bec, l’achat du vin est un monopole de la SAQ, la Société des alcools duQuébec. Cela ne laisse pas de marge de manœuvre pour les coups de cœur,les découvertes, ce qui est pourtant le sel de notre métier. On ne peut passortir des clous.”Notre apprenti sommelier débarque ainsi au Mou-lin de l’Abbaye à Brantôme, dans le Périgord, l’établissement deRégis Bulot, alors président des Relais &Châteaux. Celui-ci lemettra en contact avec Michel Rostang, le chef parisien deuxétoiles, chez qui Marco Pelletier obtient son premier poste et ren-contre un mentor : Alain Ronzatti. Le chef sommelier le prendsous son aile, lui inculquant notamment la première vertu du som-melier : l’humilité. “Je passais mes jours de congés dans le vignoble où jepoursuivais mon apprentissage. Et Alain Ronzatti ne cessait de me répé-ter quelque chose qui est resté pour moi une vérité à suivre : ‘Les stars, cesont ceux qui font le vin, pas ceux qui le servent’ !”Après quatre ans chez Rostang, Marco Pelletier est repéré parJean-Claude Vrinat, qui le propulse chef sommelier : “Se retrouverdu jour au lendemain à gérer 425000 bouteilles dans un lieu aussi my-thique que Taillevent a de quoi vous donner quelques ulcères à l’estomac.J’y ai appris la gestion rigoureuse et millimétrée.”Une qualité qui a sansnul doute retenu l’attention du Bristol au moment de choisir, enaoût 2008, son chef sommelier parmi une trentaine de candidats.Car un palace se doit d’être une machine parfaitement huilée oùl’excellence est la norme et le sans-faute le quotidien. Marco Pelle-tier découvre l’impérieuse nécessité de batailler sur plusieursfronts en même temps : le restaurant gastronomique, le room-ser-vice, le bar, les banquets, et bientôt la brasserie, le 114Faubourg. Quelques mois après son arrivée, il a la chance de vivre, aux côtésde l’équipe, l’obtention de la troisième étoile pour Éric Frechon,propulsant le chef du Bristol dans le club des meilleurs du monde.Un challenge passionnant. Et de fait, la carte des vins du restaurantgastronomique va changer de dimension sous l’œil avisé de notresommelier canadien. De 400 références en 2008, elle en détientaujourd’hui pas moins de 2500 pour 100000bouteilles, un bond

Adeux pas du palais de l’Élysée, le Bristol cultiveles bonnes relations diplomatiques. À cetteheure matinale où les moins pressés s’attar-dent encore autour du petit déjeuner, on en-tend déjà parler dans toutes les langues : des

Américaines, venues pour la Fashion Week, s’enthousiasment,perchées sur quinze centimètres de talons griffés Louboutin ; desBrésiliens s’installent dans les canapés moelleux ; des Allemandesconversent en regardant passer d’un œil amusé le plus célèbrehôte du Bristol, le chat de la maison, un ragdoll aux yeux couleurlagon qui, telle une star, avance avec superbe, en ignorant sonmonde. Souvent, on aperçoit un journaliste politique ou un mi-nistre mais, toujours, la discrétion est de mise. C’est la signature duBristol, fleuron de la famille Œtker(*) également propriétaire duChampagne Alfred Gratien : ni show-off ni bling-bling, la classedans la sobriété. Au milieu de ce ballet de nationalités, il en est une, plus inatten-due, que l’on retrouve en la personne de Marco Pelletier, le chefsommelier. Ne vous fiez pas à son accent – désormais inexistant –,il est un pur produit québécois, natif de Montréal. Accueillant, vo-lubile, en permanent émerveillement, il n’a rien de ces sommeliersblasés ou arrogants qui, à défaut de vous faire partager leur plaisir,vous imposent leur savoir. Rien ne prédestinait ce fils d’ouvriersagricoles, diplômé en génie civil, à se retrouver sous les lambris

AU CŒUR DU BRISTOL,FLEURON DE LA

FAMILLE OETKER, LEJARDIN À LA FRANÇAISEOÙ IL FAIT BON FLÂNERÀ LA BELLE SAISON.

LE NOUVEAU RESTAURANTGASTRONOMIQUE,ÉPICURE, SCELLE

L’ALLIANCE D’UN CHEFVIRTUOSE ET D’UN

SOMMELIER ÉMÉRITE.

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en avant encouragé par le nouveau directeur du Bristol, aux com-mandes depuis le printemps 2010 après avoir dirigé le Four Sea-sons GeorgeV: Didier Le Calvez, un amateur de vin, par ailleurs vi-gneron à Puisseguin, en Saint-Émilion, avec son Château Clarisse. À la tête d’une équipe de sept sommeliers, Marco Pelletier gèrece stock de 100 000 bouteilles réparties entre quatre caves destockage sous l’hôtel et une cave de vieillissement en dehors de Pa-ris. “J’ai épuré et diversifié à la fois, apportant notamment une touchebourguignonne plus soutenue à notre carte des vins. La clientèle chinoise etla clientèle brésilienne, en constante augmentation au Bristol, apprécientbeaucoup de trouver chez nous 95 % de vins français. Par ailleurs, je mesuis fixé deux priorités : proposer des vins aboutis, ni trop jeunes ni tropvieux mais déjà dans leur plus belle expression. Ensuite, ne pas acheter debouteilles aux enchères pour éviter les mauvaises surprises. Ça, c’est l’écoleTaillevent : ne jamais mettre en péril la relation avec le client en prenant lerisque de le décevoir. Tous nos vins sont en provenance directe des do-maines et châteaux.”

Marco Pelletier estime d’ailleurs que son rôleest d’être le lien entre le vigneron et le client,inspiration de ses fameuses soirées œnolo-giques du 114 Faubourg où, chaque pre-mier lundi du mois, un vigneron vient pré-

senter son vin avant un dîner préparé par le chef des lieux, ÉricDesbordes. Il se souvient ainsi de Gilles Berlioz, du domaine épo-nyme à Chignin, en Savoie ; de Jacky Barthelmé du domaine Al-bert Mann, incontournable en Alsace ; de Patrick Bize, du do-maine Simon Bize& Fils, à Savigny-lès-Beaune ; de GérardBoulay en Sancerre, vignerons de père en fils depuis 1380 ou en-core de Vincent Dureuil-Janthial à Rully, en côte chalonnaise. “Lagrande force de l’Europe, et de la France en premier lieu, ce sont ces terroirsimmuables que l’on ne pourra jamais déraciner, délocaliser. Ces hommesen sont les représentants bien vivants.” Des terroirs que l’on retrouve dans la cave personnelle de notresommelier, amoureux du Douro, du Piémont, de la Bourgogne etde la vallée du Rhône. Il avoue un immense faible pour le portoQuinto do Noval Nacional et pour les vins de Giuseppe Rinaldi, àBarolo ou Andrea Sottimano, à Barbaresco, des traditionalistesqui ont, dans cette région du Piémont, sa préférence : “J’aime les vinsplaisir, non pas ceux de la tendance mondiale à la surextraction et auboisé absolu, une tendance qui, Dieu merci, tend à se dissoudre. Le vin estun breuvage, il doit désaltérer, non pas nourrir, emplir la bouche. La diges-tibilité et la fraîcheur sont essentielles.” Une philosophie qu’il partage,dans un parfait accord, avec le chef Éric Frechon, dont la cuisinejuste et ciselée à la perfection, jouant sur certains de ses plus beauxplats l’alliance de la terre et de la mer, se marie aux grands vinsblancs de Bourgogne. Dans la nouvelle salle du restaurant gastronomique, rebapti-sée Épicure, on atteint vraiment l’expérience de la haute gastro-nomie dans toute sa splendeur. La salle est sobre, conçue par l’ar-chitecte d’intérieur Pierre-Yves Rochon sur les directives de la

QUELQUES COUPS DE CŒUR DE MARCO PELLETIER

SANCERRE CLOS DE BEAUJEU

DOMAINE BOULAY,2010“Les Boulay sont vignerons à Chavignoldepuis 1380 ! Ce clos est situé sur unefaille kimméridgienne très rare à

Sancerre, ce qui nous procure un vin detrès grande salinité et de pureté.”

PORTO COLHEITAGARRAFEIRANIEPOORT, 1977

“Hors catégorie et unique dans le Douro,ce vin, produit à moins de dix millésimesdepuis 1931, a été élevé pendant deuxans en fûts et ensuite dans des bonbonnesen verre pendant plus de vingt-huit anspour n’être commercialisé qu’en 2011.”

VOUVRAY DEMI-SECDOMAINE DU CLOSNAUDIN, 2008

“Issu du sensuel cépage chenin blanc, cevin de Philippe Foreau est la référence surl’appellation. Un vrai caméléon tant sacapacité d’adaptation est grande : sec,demi-sec, moelleux et effervescent et letout sur une même et unique terre !”

SAVAGNIN AMPHOREDOMAINE STÉPHANE

TISSOT, 2009“Après le vin jaune… voici le vin

‘orange’, tout simplement remarquabletant par sa texture tannique en boucheque par sa définition aromatique

d’écorce d’orange et de houblon. Pouramateurs de hors-piste !”

RULLY PREMIER CRU LES MARGOTÉS

DOMAINE DUREUIL-JANTHIAL, 2007

“Sûrement l’un des vignerons les plusdoués de sa génération, maîtrisantparfaitement l’équilibre entre lamodernité et la tradition. Vincent

Dureuil-Janthial dit toujours qu’il fautécouter les anciens ! Amen.”

CÔTE-RÔTIECORDELOUX DOMAINEBENETIÈRE, 2006

“Plus petit embouteilleur de la vallée duRhône, ce domaine à taille humaine(2hectares avec une production 50%condrieu, 50% côte-rôtie) fait tout àl’ancienne et à la main. Ce vin est d’unstyle quasi bourguignon vu son élégance.”

BELLET CLOS SAINT-VINCENT,

2009“Un des vins les plus équilibrés du sud dela France. Positionné au croisement de labrise de la Méditerranée et du vent fraisdes Préalpes du Sud, ce vin issu du cépagerolle (vermentino) a tout pour plaire !”

JURANÇON DEMI-SEC CLOS JOLIETTE,

1989“Après la vente en 1986 de ce terroir

historique (moins de 2hectares), aucunvin n’avait été mis sur le marché. Seulsquelques privilégiés ont pu goûter, dubout des lèvres et au compte-gouttes, cefabuleux nectar sorti de nulle part.”

DE 400 RÉFÉRENCES À L’ARRIVÉE DE MARCOPELLETIER, LA CAVE

DU BRISTOL EN AFFICHEDÉSORMAIS PLUS DE 2500POUR 100000 BOUTEILLES.

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propriétaire Maja Oetker : lourds rideaux, marbre italien ausol, cheminée pour réchauffer les journées d’hiver. Elle donnedésormais sur le jardin à la française du Bristol, une petite mer-veille où l’on aime prendre le temps de savourer le printemps etl’été. Les assiettes Raynaud, au motif safran dessiné par Pierre-Yves Rochon, sont une très belle réussite, tout autant que les im-posants verres à eau en cristal de Baccarat aux pieds ciselés à lamain ou que les couverts en argent Christofle sur lesquels sontgravées les fleurs du jardin.

Dans la bataille des palaces parisiens, le Bristoln’est définitivement pas en reste et la virtuositéde son chef n’est plus à prouver : langoustineslégèrement tiédies sauce au yuzu ; macaroniartichaut-truffe gratiné au parmesan ; turbot

vapeur, citronnelle, jus de turbot aux herbes, chou pak-choï, puréede carotte-gingembre ou encore le superbe Origami, chocolatManjari en origami, lait de coco glacé, élixir de chocolat chaud, duchef pâtissier Laurent Jeannin dont l’on pensait pourtant son pré-cieux chocolat Nyangbo insurpassable. Sur ce déjeuner, MarcoPelletier nous a proposé un auxey-duresses de Jean-Marc Vincent,un vin empreint d’une belle minéralité avec un nez de pierre à fusil,de pain toasté ou de noisette, se mariant, tel un caméléon, à cettesuccession de plats. “Avant d’aimer les vins, j’aime les gens”, nous dira encore MarcoPelletier qui semble en effet s’illuminer en salle, au contact duclient. Il n’est pas nécessaire qu’il ouvre un nectar prestigieux pourêtre heureux de constater le plaisir au coin des lèvres d’autrui. “Évi-demment, j’ai des souvenirs incroyables liés à de grandes étiquettes,comme ce Romanée-Conti 1990, ce Latour 1959, ce Haut-Brion 1951mais aussi cette verticale du Clos Joliette, des millésimes 1989 à 2005, unevéritable exclusivité (aucune bouteille n’avait été commercialisée après1986, date à laquelle le clos avait été revendu et quasiment laissé à l’aban-don) autour d’un terroir mystérieux et magique d’un petit hectare dans leJurançon, un vin parfois comparé à Yquem dans des dégustations dans lesannées 1970.”Mais sa plus belle émotion reste celle du vignerondevant sa “création”. Car Marco Pelletier façonne avec deux amisseptuagénaires, Jean Terrade et Gérard Pantanacce, un joli “vin dejardin”, le vin de Galouchey, sur leur terroir de 0,94 hectare à Bey-chac-et-Caillau, près de Libourne. Le trio fait tout, y compris égre-ner à la main pendant les vendanges ! “Être vigneron, c’est un immenseplaisir et, pour un sommelier, c’est une expérience unique. Cela rendmoins arrogant, ça remet les pieds sur terre et les idées en place. À mon avis,les apprentis sommeliers ne passent pas assez de temps dans la vigne et lecuvier pendant leur formation à l’école.” Un sommelier vigneron ! Voilà qui n’est pas pour déplaire au di-recteur Didier Le Calvez, pointure internationale de l’hôtellerie deluxe et vigneron, lui aussi, à ses heures. Au Bristol, le vin est décidé-ment entre de bonnes mains.e(*) Outre le Bristol, la famille Oetker est également propriétaire de l’hôtel Eden Roc au Cap d’Antibes, du château Saint-Martin à Vence, du Brenners Park Hôtel dans la Forêt-Noire, du palais Namaskar qui ouvrira à Marrakech en 2012 et du Bristol Abu Dhabi qui ouvrira en 2013.

MARCO PELLETIER A FAITSIENNE LA DEVISE DE SONMENTOR ALAIN RONZATTI:« LES STARS, CE SONT

CEUX QUI FONT LE VIN, PASCEUX QUI LE SERVENT!»