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24 Dossier I Diasporas indiennes dans la ville I Via l’Indochine : trajectoires coloniales de l’immigration sud-indienne Par Natasha Pairaudeau (1) , Doctorante, département d’histoire, School of Oriental and African Studies, université de Londres Le parcours des ressortissants tamouls de l’Inde française est lié à l’histoire mouvementée de l’indépendance des États de l’ex-Indochine. L’auteur reconstitue ici les trajectoires, jusqu’alors partiellement identifiées, qui ont d’abord conduit les Tamouls en Indochine française, puis, après la chute de Dien Bien Phu en 1954, Tamouls et Indo-Vietnamiens en France. Aujourd’hui, les identités de ces migrants, pour certains installés de longue date, sont aussi multiples que sont diversifiés les liens qu’ils entretiennent avec l’Indochine, l’Inde et la France. Marchands indiens, Cochinchine, vers 1910, carte postale, imprimerie Melle Cauvin. © D.R.

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24 Dossier I Diasporas indiennes dans la ville I

Via l’Indochine : trajectoires coloniales de

l’immigration sud-indiennePar Natasha Pairaudeau(1),

Doctorante, département d’histoire, School of Oriental and African Studies, université de Londres

Le parcours des ressortissants tamouls de l’Inde française est lié à

l’histoire mouvementée de l’indépendance des États de l’ex-Indochine.

L’auteur reconstitue ici les trajectoires, jusqu’alors partiellement

identifiées, qui ont d’abord conduit les Tamouls en Indochine française,

puis, après la chute de Dien Bien Phu en 1954, Tamouls et

Indo-Vietnamiens en France. Aujourd’hui, les identités de ces migrants,

pour certains installés de longue date, sont aussi multiples que sont

diversifiés les liens qu’ils entretiennent avec l’Indochine, l’Inde et la France.

Marchands indiens, Cochinchine, vers 1910, carte postale, imprimerie Melle Cauvin.

© D.R.

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L’expansion coloniale européenne en Asie du Sud-Est a créé dans cette région unedemande en main-d’œuvre, biens et services, honorée, dans une grande mesure, par desmigrants du sous-continent indien. Entre la dernière moitié du XIXe et la première partiedu xxe siècle, des mouvements d’une ampleur inconnue jusqu’alors entre l’Asie du Sud etl’Asie du Sud-Est ont conduit à des changements sociaux et économiques dont lesinfluences se font encore sentir aujourd’hui. De même que l’importance des interactionsentre l’Inde britannique et l’Asie du Sud-Est et leurs conséquences continuent d’être sous-estimées(2), les trajectoires qui ont relié les possessions françaises en Inde, en Asie du Sud-Est et dans l’océan Indien demeurent quasi inconnues.Nos recherches nous ont conduits à nous intéresser à la présence en France de migrantsd’origine tamoule ayant des liens étroits avec d’anciennes possessions françaises enIndochine et surtout avec les territoires qui composent l’actuel Vietnam. Les immigrantstamouls les plus anciennement établis en France ont la double caractéristique d’êtrepondichériens ou karikalais et d’avoir vécu une partie, sinon toute leur vie, en Indochinefrançaise avant de venir en France. Les vagues d’arrivées de migrants tamouls de l’Indefrançaise en France sont en réalité plus liées aux dates clés de l’histoire mouvementée del’indépendance de l’Indochine qu’au transfert des Établissements français dans l’Inde.En 1987, on comptait 20 000 Tamouls résidant en France, originaires des comptoirsfrançais d’Inde(3). S’y ajoutent entre 2 500 et 4 000 “Indo-Vietnamiens”, descendants métisnés d’unions tamoulo-vietnamiennes(4). La population de Tamouls originaires des anciensÉtablissements français d’Inde double si on inclut les Tamouls de nationalité française(5).Les Tamouls originaires des anciens Établissements français composaient approximative -ment 70 % de la population migrante indienne en France à la fin des années quatre-vingt(6).L’immigration tamoule des régions situées en dehors de l’ancien empire colonial françaiss’est intensifiée dans les dernières décennies. Même si l’immigration des Tamouls srilankais s’est accrue en France dans les années quatre-vingt-dix, l’histoire des trajectoiresindochinoises des migrants tamouls reste un élément essentiel pour comprendrel’émergence de la présence tamoule moderne en France(7). Ces trajectoires n’ont été jusqu’àprésent que partiellement identifiées(8).

L’Indochine, une seconde métropole

Dans la mesure où les marchands établis en Inde française contribuèrent au financement despremières expéditions en Cochinchine, organisées en vue de sa conquête par la France, iln’est pas surprenant de voir des Tamouls embarquer à Pondichéry à bord des navires servantau transport des troupes à destination de la Cochinchine, à la fin des années 1850. CertainsTamouls étaient engagés comme soldats et magasiniers ; d’autres pour garder les troupeaux,

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en charge de l’approvisionnement en lait des militaires et, plus tard, de la populationeuropéenne civile de Cochinchine.La conquête de la Cochinchine (1859) et son établissement comme colonie française (1867) acréé une demande d’assistants francophones pour la nouvelle administration. À partir de1860, de jeunes ressortissants tamouls des lycées français furent appelés de Pondichéry poury répondre. Rapidement, l’Indochine devint une “seconde métropole” qui offrait desopportunités de carrière à des Pondichériens francophones dont l’avenir en Inde française setrouvait limité par l’influence de l’Inde britannique(9). Dans ce groupe prédominaient descatholiques et des “renonçants”, c’est-à-dire des Indiens qui avaient choisi de profiter d’une loipromulguée en Inde française leur permettant d’obtenir un état civil français moyennant lerenoncement à leur caste et à leurs coutumes(10). La “renonciation” devint une procédure clépour obtenir des postes jusqu’alors réservés aux seuls citoyens français dans l’administrationfrançaise d’Indochine. Même si la demande d’emploi dans le secteur privé ou industriel étaitmoindre que dans l’administration, il y avait aussi de nombreux renonçants qui travaillaient(surtout comme comptables) dans les grandes maisons de commerce françaises en Indochine.L’armée contribua aussi à la venue de Tamouls en Indochine. Avec le traité de Paris de1763, l’Angleterre avait limité le nombre de soldats que la France était en droit de postersur son territoire en Inde. À partir de 1909, des soldats indiens de l’armée française furentmobilisés en Cochinchine. Beaucoup d’entre eux restèrent à la fin de leur mobilisationpour occuper des postes dans l’administration ou le secteur privé.Si le commerce des marchands musulmans de la côte de Coromandel existait depuis dessiècles dans la région du delta du Mekong, la croissance de Saigon et le développementéconomique de cette région sous la colonisation française créèrent des opportunitésnouvelles. Les trois communautés principales (les Marécars, Labbias et Rawthers) étaientprésentes en Indochine française. Elles travaillaient dans le commerce de textiles et denouveautés dans les villes moyennes du delta du Mekong et dans les villes importantesd’Indochine. Exerçant comme changeurs d’argent, elles étaient aussi engagées dans lecommerce de l’or et la bijouterie. En concurrence avec les Chinois, elles occupaient unrôle dominant dans l’affermage des marchés et des bacs dans le delta du Mekong. À Saigon,les Tamouls de l’Inde britannique avaient la réputation d’être plus doués en affaires queles Indiens français, mais leurs employés étaient généralement des Karikalais, embauchésà cause de leur connaissance de la langue et du système français.Quoique constituant le groupe de migrants de confession hindoue le plus important enCochinchine, la caste des prêteurs d’argent Nattukottai Chettiars ne suivit pas la trajectoirepostcoloniale vers la France métropolitaine. Pourtant, d’autres hindous tamouls de l’Indefrançaise, qui avaient éventuellement des liens avec la métropole, se retrouvèrent enIndochine. Ils travaillaient souvent dans le commerce et l’approvisionnement en biens deconsommation (lait, épicerie…) destinés à la petite communauté indienne.

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Quand débuta la Deuxième Guerre mondiale, nombreux étaient les Pondichériens etKarikalais qui avaient des parents, amis ou connaissances séjournant en Indochine. Danscertaines familles, plusieurs générations y avaient fait carrière. La force de cet attachementétait intensifiée par le fait que de nombreux migrants venaient de régions ou de villagestrès localisés dans les comptoirs français en Inde, et qu’ils déménagèrent ensemble pour

Marchand de lait tamoul en Cochinchine, annonce dans un journal vietnamien,

Lục Tỉnh Tân Văn, 26 février, 1914 © D.R.

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vivre dans le même voisinage à Saigon. Les familles de la caste Vellaja du village deReddiar Palayam à Pondichéry en sont un exemple(11). Un monument à la Grande Guerredans ce village indien témoigne de leur conscience collective d’être “saigonais”.

Mariage et mobilité

Certains Tamouls résidant en Indochine et disposant de moyens financiers suffisants,retournaient régulièrement en Inde. Mais les préférences matrimoniales ont aussi influencéle degré de mobilité des migrants. Les catholiques “renonçants” avaient tendance à semarier entre eux. Ceux qui travaillaient pour l’administration française avaient des congéspayés leur permettant de revenir en Inde. La combinaison de ces deux facteurs fit que trèspeu de migrants de cette catégorie coupèrent définitivement leurs liens avec l’Inde française.Les marchands musulmans les plus riches étaient eux aussi assez mobiles. Il était communde fonder deux familles, l’une en Inde, l’autre en Indochine. Pour nombre d’entre eux,cette stratégie était nécessaire pour maintenir leurs bases. Les enfants issus du mariage enInde étaient envoyés en Indochine pour travailler dans le commerce familial, tandis queles enfants issus de l’union mixte en Indochine étaient envoyés en Inde pour leuréducation. Ces unions mixtes n’étaient pas toujours officielles. Cependant, ces mariagesavaient l’appui moral du code islamique et de la communauté musulmane, et les épousesen Inde étaient généralement au courant de ces arrangements.Le double mariage des marchands musulmans constitue l’une des raisons de l’émergenced’une population indo-vietnamienne. Excepté ces riches marchands, les communautés demigrants tamouls étaient généralement moins prêtes à accepter les mariages mixtes, mais detelles unions existaient cependant. Les autres familles indo-vietnamiennes avaient desmoyens plus modestes, et rares étaient les opportunités pour elles de revenir en visite en Inde.De ce fait, les enfants grandissaient dans un environnement où les influences vietnamiennes(et parfois chames, laotiennes ou khmères) étaient plus fortes que les influences indiennes.

Les “rapatriés d’Indochine”

Le passage de migrants tamouls en Indochine a continué sans interruption jusqu’au début dela Deuxième Guerre mondiale. Même s’il fallut attendre encore quinze ans l’indépendancedes pays d’Indochine, le début de la guerre marqua l’arrêt des opportunités pour les migrantsde quitter l’Inde française pour l’Indochine. Dès septembre 1940 et pendant toute la durée dela guerre, les communications et les envois de fonds entre l’Indochine (dont le gouvernementétait pro-Vichy) et les comptoirs (qui soutenaient De Gaulle) furent suspendus. Après avoir

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vécu les privations de guerre, puis les violences de la brève période d’occupation militairejaponaise (mars 1945) suivies de l’insurrection des Viet Minh (septembre 1945), certainsmigrants indiens décidèrent de quitter l’Indochine définitivement, une fois lescommunications rétablies. La population d’Indiens résidant en Indochine diminua à cetteépoque. Ne restèrent que ceux qui y étaient anciennement implantés.Le premier afflux important, en France métropolitaine, de Tamouls ayant des liens avecl’Indochine suivit la chute de Dien Bien Phu en 1954. Les migrants tamouls dont lesressources économiques dépendaient de la présence française furent les premiers à partir.Dans cette catégorie se trouvaient ceux qui étaient employés par l’administration et par descompagnies privées françaises, et ceux qui étaient engagés dans l’armée. En revanche, lesmarchands tamouls, en majorité, poursuivirent leurs affaires dans les états indépendants del’ex-Indochine. Ils furent cependant obligés dequitter le Nord-Vietnam devenu communiste.Certains descendirent à Saigon ou au Cambodge,d’autres partirent au Laos. Peu de famillesindo-vietnamiennes partirent à cette époque,car elles étaient plus familiarisées avec laculture vietnamienne qu’indienne.Après l’indépendance du Vietnam, lesTamouls ayant des postes de fonctionnairesdans l’admi nistration coloniale, s’ils n’avaientpas atteint l’âge de la retraite, furent réassignésailleurs, souvent dans les possessions françaisesqui restaient en Afrique. Avec la décolonisation des États africains, ces Tamouls eurent despostes en France ou dans les départements d’outre-mer.Des engagés indiens et indo-vietnamiens dans l’armée française d’Indochine furentconduits en France après 1954, avec le départ d’Indochine de l’armée ; ils furent surtoutassignés dans des villes de garnison du sud de la France (Fréjus, Castres, Nîmes). Beaucoupd’entre eux s’y trouvent toujours(12).En dernier lieu, le Service des rapatriés d’Indochine a aussi permis à certains Tamouls del’Indochine de s’installer en France au cours de cette période. Cette agence organisa des centresd’accueil sur plusieurs sites à travers le territoire national, chargés de recevoir les citoyensfrançais de l’Indochine qui n’avaient pas de famille en France. Le terme de “rapatrié” étaitgénéralement utilisé, même si la plupart d’entre eux voyaient alors leur patrie pour lapremière fois. Les premières familles indo-vietnamiennes à venir en France arrivèrent par cebiais, ainsi que quelques descendants de renonçants résidant en Indochine. On trouvetoujours quelques Tamouls et Indo-Vietnamiens dans les deux sites les plus importants,Sainte-Livrade-sur-Lot (Lot-et-Garonne), et Noyant (l’Allier), même si beaucoup de jeunes ont

Les préjugés contre

les Indiens commencèrent

à se répandre après la

chute

de Saigon. Les migrants

tamouls étaient perçus

comme collaborateurs,

d’abord avec les Français,

plus tard avec

les Américains.

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aujourd’hui migré vers des centres urbains – Paris, Lyon – et dans l’est de la France.La façon dont la citoyenneté française pour les Tamouls – appelée “option” dans lesprocédures officielles – a été négociée au moment de la cession des territoires à l’Inde eut uneinfluence importante sur la croissance de la population tamoule en France métropolitaine.Les accords de Genève, qui scellèrent l’indépendance du Vietnam, eurent lieu au mêmemoment que les négociations portant sur la cession de l’Inde française, et les deux processus

Don des “Saigonnais” originaires de Reddiar Palayam, monument à la Grande Guerre

© Natasha Pairaudeau

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sont intimement liés. À la fin de la Deuxième Guerre mondiale, avec la chute dugouvernement de Vichy, la citoyenneté française fut accordée à tous les Indiens desÉtablissements français d’Inde. “L’option”, introduite dans la période précédant la cession– de facto – de l’Inde française, le 1er novembre 1954, leur donnait le droit de choisir entregarder la nationalité française ou adopter la nationalité indienne. Les procédures établiespour cette déclaration étaient complexes et restent toujours une source de controverses. Lesautochtones résidant dans les Établissements français d’Inde furent contraints de demanderla prorogation de leur nationalité française avant la date de facto de cession. Ceux quirésidaient en dehors de l’Inde française le 1er novembre 1954 (et les résidents en Indochineen faisaient partie) conservaient automatiquement leur nationalité française. S’ils voulaientla nationalité indienne, ils étaient obligés d’en faire la demande. Parmi les Indiens françaisrésidant à Pondichéry ou Karikal, beaucoup disent qu’ils n’étaient pas au courant desprocédures exactes et que, par conséquent, ils perdirent, contre leur volonté, leur nationalitéfrançaise. Pourtant, parmi les Tamouls résidant en Indochine, un groupe importantconserva la citoyenneté française. Ce lien officiel avec la métropole facilita leur transfert versla France plutôt que vers l’Inde après l’indépendance des pays d’Indochine.

La fuite indo-vietnamienne après la “chute” de Saigon

La victoire communiste au Sud-Vietnam en avril 1975 rendit la situation difficile pour lesIndiens commerçants, les familles indo-vietnamiennes et les quelques autres personnesd’origine tamoule qui étaient restées au Vietnam. À partir d’avril 1975, des commerces durentfermer et des contrôles sur le change furent mis en place(13). Sur le plan social, les préjugés contreles Indiens commencèrent à se répandre après la chute de Saigon. Les migrants tamouls étaientperçus comme collaborateurs, d’abord avec les Français, plus tard avec les Américains. Lesfamilles indo-vietnamiennes furent particulièrement touchées. Dans les jours qui suivirent lechangement de pouvoir, il devint clair qu’elles n’étaient plus bienvenues dans le pays.Pour ce qui est des Tamouls originaires de l’Inde française, leur situation au moment de lacession de l’Inde française et leur statut sous l’”option” déterminèrent les délais et lesconditions de leur départ en France. Ceux qui avaient la nationalité française furent rapatriés;d’autres arrivèrent en tant que réfugiés.Dans certains cas, plusieurs années de transition à Pondichéry ou Karikal furent nécessairesavant d’arriver en France. Beaucoup étaient des Indo-Vietnamiens envoyés en Inde rejoindreles branches tamoules de leur famille. Les retrouvailles ne furent pas toujours faciles. Biendes Indo-Vietnamiens ne parlaient pas le tamoul à leur arrivée. Pour la plupart, ilsreprésentaient les membres de la deuxième famille des marchands tamouls résidant au

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Vietnam. Même si la famille indienne était au courant de l’existence de la famillevietnamienne, leur venue en Inde était un événement inattendu pour tout le monde.Généralement, les Indo-Vietnamiens vécurent une courte période avec leur familleindienne avant d’établir un petit commerce et, plus tard, de déménager en France.La vague de Tamouls et d’Indo-Vietnamiens arrivés en France à la suite du triomphecommuniste au Sud-Vietnam s’installa dans les nouvelles villes de la banlieue de Paris, serépartissant entre trois départements : le Val d’Oise, le Val-de-Marne et la Seine-Saint-Denis.Les principaux centres islamiques fréquentés par les musulmans de l’ex-Inde française sesituent dans ces mêmes départements(14). Les Tamouls qui fuyaient l’ex-Indochine françaiseont été parmi les premiers commerçants à développer l’activité commerciale du Little Indiadu faubourg Saint-Denis.

Des identités tamoules et indo-vietnamiennes multiples

Le parcours des ressortissants tamouls de l’Inde française a ainsi pu être reconstitué, dans unpremier temps vers l’Indochine française et dans un deuxième temps vers la France, à lasuite du processus de décolonisation des États nouvellement indépendants de l’ex-Indochine. Détailler la situation actuelle de ces communautés n’est pas possible dansl’espace d’un court article. Cependant, les multiples liens de ces personnes avec l’Indochine,l’Inde et la France suggèrent une diversité de pistes à explorer.La multiplicité des formes des identités tamoule et indo-vietnamienne en France est d’unintérêt particulier. De nombreux Tamouls ayant des liens avec l’Indochine sont depuislongtemps intégrés dans la société française : faire référence à eux comme “migrants” n’estainsi pas vraiment approprié. Il faut remarquer aussi la façon dont l’histoire de la guerre etl’indépendance du Vietnam ont créé des contrastes significatifs, dans le bagage culturel, entreindividus provenant d’une même famille. Parmi les Tamouls et les Indo-Vietnamiens quivivent en France, il est possible de trouver des frères et sœurs qui, en fonction d’expériencesde vie très différentes, ont un sens de leur propre identité tout à fait variable d’un individu àun autre. Quelques Indo-Vietnamiens sont attirés vers les communautés de migrantsvietnamiens ; d’autres vers les milieux tamouls ; d’autres encore, vers des formes decommunauté moins définies par l’ethnicité.Les mouvements entre la France et les Unions Territories en Inde ont continué à être actifs depuisla cession. Et depuis la réouverture des pays communistes à la fin des années quatre-vingt, desTamouls et des Indo-Vietnamiens ont recommencéà circuler dans les pays de l’Indochine : pourrendre visite aux parents restés là-bas, pour retrouver les sites de leur enfance ou pour rétablir lecommerce. Mais, si les circuits du passé sont supplantés par ceux d’une nouvelle ère, les

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1. Nous tenons à remercier Vasoodeven Vuddamalay et Nourjehan Aly-Marecar-Viney pour leur aide dans le développement de la problématique de cet article.2. Baker, 1981.3. Delval, 1987, p. 155.4. Parmi lesquels 9 000 catholiques, 7 500 hindous et 3 500 musulmans.5. Niklas, 2006, p. 352.6. Delval, 1987 ; Manorama Yearbook, 1994 ; Niklas, 2006.7. La population sri lankaise en France a été évaluée à 35 000 personnes en 1993 (Moudiappanadin, 1993) et à quelque 60 000 en 1998. (Baumann, 1998, p. 116).8. Simon, 1981 ; Delval, 1987 ; Sebastia, 1999 ; Marius, 2002.9. Valmaire, 1922.10. Weber, 1978.11. Marius, 2002.12. Sebastia, 1999, p. 7.13. Chanda, 1984, p. 36.14. Delval, 1987, p. 153-155.

Notes

• Baker, Christopher, “Economic Reorganization and the Slump in South and Southeast Asia”, in Comparative Studiesin Society and History, 23 (3), 1981, p. 325-349.• Baumann, Martin, “Sustaining ‘Little Indias’. Hindu Diasporas in Europe”, in Gerrie ter Haar (ed.), Strangers andSojourners. Religious Communities in the Diaspora, Leuven, Peeters, 1998, p. 95-132.• Chanda, Nayan, “Indians in Indochina”, in K. S. Sandhu et A. Mani (eds.), Indian Communities in South East Asia,Singapore, Times Academic Press, 1984.• Delval, Raymond, Musulmans français d’origine indienne, Paris, Centre des hautes études sur l’Afrique et l’Asiemodernes, 1987.• Manorama Yearbook, Kottayam, Manorama Publishing House, 1994.• Marius, Claude, “Les Pondichériens dans l’administration coloniale de l’Indochine”, in Weber, J., éd., Les Relations entre la France et l’Inde de 1673 à nos jours, Paris, les Indes Savantes, 2002, p. 391-398.• Moudiappanadin, Joseph, “Tamouls, une communauté plurielle”, Accueillir, 191, 1993, p. 26-27.• Niklas, Ulrike, “France”, dans Brij V. Lal, éd., Encyclopedia of the Indian Diaspora. Singapore, Didier Millet, 2006.• Pairaudeau, Natasha, “Tamil Migrant Families and domestic life in colonial Vietnam”, conférence donnée dans le cadre de Vietnam’s Multiple Modernities Conference, Center for Research in the Arts, Social Sciences andHumanities, université de Cambridge, 29-30 juin 2005 (texte non publié).• Sebastia, Brigitte, “Les Pondichériens de l’Île-de-France. Études des pratiques sociales et religieuses”, mémoire deDEA, Toulouse, 1999.• Simon, Pierre-Jean, Rapatriés de l’Indochine. Un village franco-indochinois en Bourbonnais, Paris, L’Harmattan, 1981.• Valmaire, M., Rapport sur l’Enseignement dans l’Inde française du XVIIIe siècle à nos jours, Pondichéry, 1922.• Weber, Jacques, “Accumulation et assimilation dans les Établissements de l’Inde, la caste et les valeurs de l’Occident”, CRASOM, XXXVIII, 2-3 fév. 1978.

www.rapatries-vietnam.org.

Et documents trouvés dans les centres d’archives suivants : Centre des archives d’outre-mer, Aix-en-Provence, France ; National Archives Number One, Hanoi, Vietnam ; National Archive Number Two, Ho Chi Minh City,Vietnam ; National Archives of Cambodia, Phnom Penh, Cambodge.

Références bibliographiques