universalis ronsard

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RONSARD (Pierre de) 1524-1585 Article écrit par Gilbert GADOFFRE Prise de vue « C'est plus grand que Virgile et ça vaut Goethe », disait Flaubert de l'œuvre de Ronsard. Précisons qu'il la lisait dans une édition des Œuvres complètes – ce que nos contemporains font rarement –, après s'être aperçu que les anthologies vous privaient du meilleur : « Les plus belles choses en sont absentes. » Depuis cette époque, rien n'a changé. Ronsard est toujours sous le coup des contre-sélections qui le réduisent aux joliesses qui enchantaient Sainte-Beuve et Théodore de Banville. Pour découvrir l'émule de Virgile et de Goethe, il faut se faire explorateur. On se trouve alors en présence d'une œuvre extraordinairement complexe et foisonnante, bien faite pour dérouter les goûts néo-classiques et les simplifications scolaires, l'œuvre d'un écrivain de transition à mi-chemin entre la Renaissance et l'âge du baroque. I-Un poète Né dans une gentilhommière de la campagne vendômoise l'année où le roi François est au comble de la gloire, mais à la veille du désastre de Pavie, Ronsard appartient à la génération des fils de combattants des guerres d'Italie. Quand son père meurt, il a vingt ans et il suit avec Jean Antoine de Baïf les leçons de grec de Jean Daurat. C'est aussi l'année de la mort de Clément Marot et de la publication de la Délie de Maurice Scève. Trois ans plus tard, en 1547 (l'année de la mort de François I er et de l'avènement de Henri II), il a déjà écrit sa première ode, au collège Coqueret où Joachim du Bellay l'a rejoint. Il publie le premier livre des Amours, au moment où Henri II venge son père en reprenant Toul et Verdun aux impériaux (1552), et les Hymnes l'année de la paix d'Augsbourg et des mauvais présages des Prophéties de Nostradamus (1555). Il publie la première édition de ses Œuvres l'année de la mort de Du Bellay et de Scève, au moment de la conjuration d'Amboise et des états généraux d'Orléans (1560). Malgré le déchaînement des guerres civiles, il est, à quarante ans, au comble de la gloire. Poète officiel de la cour de Charles IX, organisateur et metteur en scène des fêtes, propagandiste de la politique royale, à l'heure où le concile de Trente va s'achever, où Calvin et Michel-Ange viennent de mourir, il se pose en porte-parole de la Contre-Réforme sans toujours bien comprendre ce qu'elle implique ni prévoir les prises de position qu'elle va susciter. Ronsard est en effet resté un homme de la pré-Réforme, plus proche des humanistes néo-platoniciens du début du siècle que des hommes nouveaux qui préparent les futurs combats entre théologiens jésuites et jansénistes. Malgré la force des courants contraires, la civilisation humaniste de la Renaissance se survit encore quelque temps autour des Valois. Au début des années 1570, c'est la fondation de l'Académie de poésie et de musique, les premiers sonnets à Hélène de Surgères, la rencontre avec le Tasse et Roland de Lassus, fêtés par le roi et la cour lors de leur passage à Paris, à l'heure où la victoire de Lépante libère la Méditerranée du péril turc. Mais les jours de Charles IX sont comptés. Avec lui, Ronsard perd tout en 1574. À cinquante ans, c'est une quasi-retraite du courtisan, car le plaisant et facile Philippe Desportes joue auprès de Henri III le rôle de poète favori – retraite mélancolique mais confortable d'un grand homme entouré de respect et comblé de bénéfices ecclésiastiques grâce auxquels il vieillit sans rigueurs, tout en écrivant ses recueils de sonnets à Astrée, à Hélène, et ses admirables derniers vers qui font d'un ancien poète de cour sur son lit de mort l'ultime héritier de Villon. Il meurt à Saint-Cosme, l'année même où le pire de ses futurs détracteurs, Malherbe, fait son entrée dans la république des lettres. II-Les mots du bonheur Ce que Malherbe et les hommes de sa génération ne parviendront jamais à comprendre, c'est que la poésie puisse être avant tout un message de joie. L'étude des lettres, avait écrit Ronsard en homme de la Renaissance, dans sa préface de 1550, est « l'heureuse félicité de la vie, sans laquelle on doit désespérer de pouvoir jamais atteindre au comble du parfait contentement ». C'est au poète qu'il revient de susciter un état de bonheur par les mots. Par les mots, et pas nécessairement par l'évocation du plaisir. La mélancolie amoureuse, la frustration, la hantise de la mort, des forces invisibles et du destin occupent une place beaucoup plus grande, dans les Œuvres complètes, que les galanteries. Les Amours eux-mêmes rendent un son plus riche dès qu'on renonce à y voir une autobiographie anecdotique et, d'ailleurs, bien trompeuse, car comment faire le départ entre l'anecdote, les stéréotypes italiens, la stylisation poétique, les trouvailles du langage ? Les

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  • RONSARD (Pierre de) 1524-1585Article crit par Gilbert GADOFFRE

    Prise de vue

    C'est plus grand que Virgile et a vaut Goethe, disait Flaubert de l'uvre de Ronsard. Prcisons qu'il la lisaitdans une dition des uvres compltes ce que nos contemporains font rarement , aprs s'tre aperu queles anthologies vous privaient du meilleur: Les plus belles choses en sont absentes. Depuis cette poque,rien n'a chang. Ronsard est toujours sous le coup des contre-slections qui le rduisent aux joliesses quienchantaient Sainte-Beuve et Thodore de Banville. Pour dcouvrir l'mule de Virgile et de Goethe, il faut sefaire explorateur. On se trouve alors en prsence d'une uvre extraordinairement complexe et foisonnante,bien faite pour drouter les gots no-classiques et les simplifications scolaires, l'uvre d'un crivain detransition mi-chemin entre la Renaissance et l'ge du baroque.

    I-Un poteN dans une gentilhommire de la campagne vendmoise l'anne o le roi Franois est au comble de la

    gloire, mais la veille du dsastre de Pavie, Ronsard appartient la gnration des fils de combattants desguerres d'Italie. Quand son pre meurt, il a vingt ans et il suit avec Jean Antoine de Baf les leons de grec deJean Daurat. C'est aussi l'anne de la mort de Clment Marot et de la publication de la Dlie de Maurice Scve.Trois ans plus tard, en 1547 (l'anne de la mort de FranoisIer et de l'avnement de HenriII), il a dj crit sapremire ode, au collge Coqueret o Joachim du Bellay l'a rejoint. Il publie le premier livre des Amours, aumoment o Henri II venge son pre en reprenant Toul et Verdun aux impriaux (1552), et les Hymnes l'annede la paix d'Augsbourg et des mauvais prsages des Prophties de Nostradamus (1555). Il publie la premiredition de ses uvres l'anne de la mort de Du Bellay et de Scve, au moment de la conjuration d'Amboise etdes tats gnraux d'Orlans (1560). Malgr le dchanement des guerres civiles, il est, quarante ans, aucomble de la gloire. Pote officiel de la cour de CharlesIX, organisateur et metteur en scne des ftes,propagandiste de la politique royale, l'heure o le concile de Trente va s'achever, o Calvin et Michel-Angeviennent de mourir, il se pose en porte-parole de la Contre-Rforme sans toujours bien comprendre ce qu'elleimplique ni prvoir les prises de position qu'elle va susciter. Ronsard est en effet rest un homme de lapr-Rforme, plus proche des humanistes no-platoniciens du dbut du sicle que des hommes nouveaux quiprparent les futurs combats entre thologiens jsuites et jansnistes.

    Malgr la force des courants contraires, la civilisation humaniste de la Renaissance se survit encorequelque temps autour des Valois. Au dbut des annes 1570, c'est la fondation de l'Acadmie de posie et demusique, les premiers sonnets Hlne de Surgres, la rencontre avec le Tasse et Roland de Lassus, fts parle roi et la cour lors de leur passage Paris, l'heure o la victoire de Lpante libre la Mditerrane du prilturc. Mais les jours de CharlesIX sont compts. Avec lui, Ronsard perd tout en 1574. cinquante ans, c'est unequasi-retraite du courtisan, car le plaisant et facile Philippe Desportes joue auprs de HenriIII le rle de potefavori retraite mlancolique mais confortable d'un grand homme entour de respect et combl de bnficesecclsiastiques grce auxquels il vieillit sans rigueurs, tout en crivant ses recueils de sonnets Astre, Hlne, et ses admirables derniers vers qui font d'un ancien pote de cour sur son lit de mort l'ultime hritierde Villon. Il meurt Saint-Cosme, l'anne mme o le pire de ses futurs dtracteurs, Malherbe, fait son entredans la rpublique des lettres.

    II-Les mots du bonheurCe que Malherbe et les hommes de sa gnration ne parviendront jamais comprendre, c'est que la posie

    puisse tre avant tout un message de joie. L'tude des lettres, avait crit Ronsard en homme de la Renaissance, dans sa prface de 1550, est l'heureuse flicit de la vie, sans laquelle on doit dsesprer de pouvoir jamais atteindre au comble du parfait contentement. C'est au pote qu'il revient de susciter un tat de bonheur par les mots. Par les mots, et pas ncessairement par l'vocation du plaisir. La mlancolie amoureuse, la frustration, la hantise de la mort, des forces invisibles et du destin occupent une place beaucoup plus grande, dans les uvres compltes, que les galanteries. Les Amours eux-mmes rendent un son plus riche ds qu'on renonce y voir une autobiographie anecdotique et, d'ailleurs, bien trompeuse, car comment faire le dpart entre l'anecdote, les strotypes italiens, la stylisation potique, les trouvailles du langage? Les

  • larmes verses sur la mort de Marie sont-elles vritables ou sont-elles des larmes d'emprunt verses pour lecompte du roi l'occasion de la mort de Marie de Clves? Y a-t-il mme dans l'idylle avec Marie autre chosequ'un vieux thme de la littrature courtoise mdivale: la jeune paysanne courtise par un seigneur? On nele saura sans doute jamais, et peu importe, car l'motion ne cesse d'tre un tat passif que dans la mesure ola mdiation du langage l'lve un timbre de sensibilit sans commune mesure avec ses origines.

    Il serait aussi vain de chercher dans les Amours un art d'aimer ou une inspiration rotique, car nonseulement les codes ont chang, mais nous ne sommes pas mme en mesure d'tablir un systme de relationsprcis entre celui que Ronsard nous prsente et ceux qui avaient cours dans la vie relle de sescontemporains. Ce qu'il nous offre n'est pas une copie du quotidien, mais un univers reconstruit. Avec deslments emprunts aux thmes de la tradition courtoise et la vie d'un gentilhomme franais du XVIesicle, ila su reconstituer par le langage un univers du bonheur, comme Fra Angelico et Van Eyck avaient peint leParadis avec des champs en fleurs, des fontaines et des bosquets. Pour ceux qui savent lire, la magie opretoujours. Ce matin une heure et demie, crivait Flaubert Louise Colet, trois cents ans aprs la publicationdes Odes (1550 et 1552), je lisais tout haut une pice qui me faisait presque mal nerveusement, tant elle mefaisait plaisir. C'tait comme si on m'et chatouill la plante des pieds; nous sommes bons voir, nouscumons et nous mprisons tout ce qui ne lit pas Ronsard sur la terre.

    III-La cration subjugue par la posieS'il avait pu prvoir ce commentaire tardif, Ronsard y aurait vu la confirmation de la thorie

    no-platonicienne des fureurs telle qu'il la rsumait dans l'Ode Michel de l'Hospital, l'anne mme o son amiPontus de Tyard la dveloppait dans le Solitaire premier (1552). La fureur potique passe des Muses au poteet du pote au lecteur, la manire des forces de l'aimant:

    Comme l'aimant sa force inspire Au fer qui le touche de prs, Puis soudain ce fer tir, tire Un autre qui entire aprs...

    Les Muses ne sont pas seules en cause: elles ne sont que le premier stade dans la srie des quatrefureurs. Elles savent rtablir, au niveau de la Nature, l'harmonie dans le chaos, mais elles peuvent, de l, vousconduire jusqu' la fureur dionysiaque, place sous l'gide du dieu des mystres et des initiations, qui, sontour, peut vous hausser jusqu' la fureur prophtique sous le signe d'Apollon, puis jusqu' la fureur vnusiennequi restaure l'entendement anglique, perdu ds la naissance par l'internement des mes dans des corps:

    Donne-nous encore la puissance D'arracher les mes dehors Le sale bourbier de leurs corps Pour lesrejoindre leur naissance.

    Ronsard n'est certes pas un philosophe, mais il a t form par des cercles humanistes qui lui ont donn, dfaut d'un corps de doctrine, un certain nombre de jalons de l'univers mental des no-platoniciens. Entre lathologie judo-chrtienne et la religion des Anciens, il n'y a, pour eux, que des diffrences de formulation etdes malentendus historiques. Ronsard ne fait que se conformer une tradition dj ancienne et systmatisepar Marsile Ficin quand il dclare dans l'Abbrg de l'Art potique franois de 1565: Les Muses, Apollon,Mercure, Pallas, Vnus et autres telles dits ne nous reprsentent autre chose que les puissances de Dieu,auquel les premiers hommes avaient donn plusieurs noms pour les divers effets de son incomprhensiblemajest. La mythologie fait ainsi figure de systme de reprsentation complmentaire qui rend possible unevision plus large des dimensions cosmiques de la pense religieuse.

    Pos sur le champ magntique des fureurs, le pote se sent donc au carrefour du visible et del'invisible, soustrait aux limitations de l'espace et du temps. Chacune de ses joies et de ses frayeurs serpercute jusqu'aux extrmits du cosmos. L'amour lui-mme est un lan biologique commun la vgtation,aux tres et aux astres, chaque nuance du dsir dans les Amours se trouve un quivalent dans les forces degermination de la Nature, de mme que dans les Hymnes (1555) le droulement des saisons a une doubleporte, cosmique et rotique.

    C'est peut-tre l que Ronsard se situe le plus loin de Ptrarque, mme quand il croit l'imiter. Chez l'uncomme chez l'autre, la Nature joue un rle important, mais, alors que le pote mdival regarde la Nature travers Laure, qui reste distincte d'elle comme la vierge Marie au milieu d'un dcor d'toiles, la Nature deRonsard absorbe avidement les femmes successives dont les ples silhouettes se retrouvent sous le vocable deCassandre, de mme que les pulsions de l'rotisme du pote se confondent avec les forces lmentaires, avecle vent, la germination, le soleil et la foudre.

  • Or' que Jupin point de sa semence Hume longs traits les feux accoutums, Et que du chaud de sesreins allums L'humide sein de Junon ensemence, Or' que la mer, or' que la vhmence Des vents faitplace aux grands vaisseaux arms, Et que l'oiseau parmi les bois rams Du Thracien les tanonsrecommence...

    Ici l'attaque brutalement rotique d'un dbut de sonnet de printemps est pourvue d'une amplificationcosmique d'une telle puissance qu'elle en acquiert une sorte de grandeur religieuse.

    Le contraste entre pote courtois et pote cosmique se traduit d'ailleurs dans le langage: l o il y a, chezPtrarque, invocation, prire la Nature, il y a chez Ronsard incantation, force des mots martels imposant auxchoses le poids d'une volont humaine. Les effets de rptition et d'accumulation si frquents dans les sonnets Cassandre ne peuvent se comprendre que dans le contexte des odes magiques Denise, sorcire du livredes Odes, bien loin de l'harmonieuse mlancolie des lgiaques italiens. Les thmes et les images peuvent tresemblables, mais il n'y a pas de commune mesure entre le climat psychologique des ptrarquistes et l'universpanthiste, la volont de puissance et les saillies baroques de Ronsard qui ont si longtemps drout les gotsno-classiques des critiques franais.

    Cette familiarit avec le cosmos qu'on ne retrouvera plus dans la posie franaise avant Claudel estchez Ronsard troitement associe une vision du monde qui est celle des hommes du XVIesicle. Leparalllisme entre le microcosme et le macrocosme ne se prsente pas comme une srie de mtaphoreslittraires, mais comme l'expression d'un ordre cosmique auquel on nous fait participer par l'image. Quand l'ilde Cassandre est compar au soleil, quand les coteaux et les rives du Loir sont qualifis de chevelus et debarbues, il ne s'agit pas d'artifices de style, mais de rfrence un ordre analogique universellementaccept. L'un des esprits les plus modernes de son poque, Ambroise Par, ouvrait son tude sur l'tiologie dela petite vrole par cette dclaration: Tout ainsi qu'au grand monde il y a deux grands luminaires, savoir lesoleil et la lune, aussi au corps humain il y a deux yeux qui l'illuminent, lequel est appel Microcosme, ou petitportrait du grand monde accourci, qui est compos de quatre lments comme le grand monde. De son ct,Lonard de Vinci, non content de comparer la terre un tre vivant dont les rochers seraient les os, les fortsla chevelure, les fleuves les veines, et le flux des mares la respiration, analysait le microcosme humain avecle mme ordre que suivait Ptolme dans sa Cosmographie, et divisait le corps humain en membrescomme il divise les provinces.

    Cet univers mental prscientifique s'interposerait entre Ronsard et l'homme du XXesicle si le langage nelui confrait pas une sorte de ralit suprieure. Car Ronsard ne dcrit pas la Nature, il la manifeste, il imposeau lecteur la sensation physique de sa parent occulte avec elle. Son soleil n'est pas le brillant soleil despotes prcieux, mais un dieu dvorant:

    Non la chaleur de la terre qui fumeAux jours d't lui crevassant le front;Non l'Avant-Chien, qui taritjusqu'au fondLes tides eaux, qu'ardent de soif il hume;Non ce flambeau qui tout ce monde allumeD'unbluetter qui lentement se fond...

    Le retrait du soleil et l'horreur de l'hiver nous laissent frissonnants, comme sous le coup d'une angoisse del'esprit et du cur:

    Or' que le ciel, or' que la terre est pleine De glas, de grle parse en tous endroits, Et que l'horreur desplus froidureux mois Fait hrisser les cheveux de la plaine...

    La fonte des neiges s'insinue en nous comme une caresse, grce au miracle des phonmes qui donnentaux mots la fluidit d'une source:

    Sur le printemps la froide neige fond En eau qui fuit sur les rochers coulante...

    Devant cette Nature en tat de perptuelle effervescence, que la posie rend comestible tout en luiconservant ses pouvoirs de menace, on ne peut que redire aprs Claudel: La cration sous nos yeux n'taitqu'un fait. La voici qui, subjugue par la posie, est devenue le paradis de la ncessit.

    C'est de Virgile que parlait Claudel, non de Ronsard. Mais il est significatif que les rles soient ainsi interchangeables. Car Ronsard, comme Virgile, ne se contente pas de trouvailles verbales: il les sertit dans des ensembles. L'incandescence des images n'est pas, chez lui, ornementale mais structurelle, dans la mesure o elle introduit entre les mots des systmes de rapport autres que ceux de la syntaxe et de la prosodie. l'intrieur des structures formelles hrites de Ptrarque, des Anciens ou des rhtoriqueurs, les relais visuels, phontiques et rythmiques se propagent en ondes concentriques et crent des structures parallles qui donnent au langage potique sa pulpe, sa profondeur de champ. C'est ce que n'avaient pas fait ses mules qui, partis des mmes modles, n'avaient retenu qu'un rpertoire de formes prosodiques et de thmes, et passaient le reste de leur vie, ds qu'ils avaient trouv leur formule, s'imiter. Ronsard casse le moule, au

  • contraire, ds qu'il a fini un ouvrage, quitte dcevoir ses amis. Aux Odes pindariques succdent les sonnetschants, puis les sonnets parls, puis les Hymnes, l'pope en dcasyllabes de La Franciade, les grandeslaisses d'alexandrins des lgies et des Discours en vers, les pitaphes, pour en arriver, la fin de sa vie, untype de sonnet qui n'a que de lointains rapports avec les sonnets Cassandre. Aucun essai ne rebute son gnieaventurier et mthodique. La diversit des expriences, les spectaculaires changements de manire, lesremaniements de textes chaque rdition des uvres, tout porte tmoignage d'un corps corpsinterminable avec le monde des formes qui ne prendra fin qu'avec la mort du pote. De sorte que plus on sefamiliarise avec Ronsard, plus l'image de l'picurien couronn de roses, transmise par la tradition scolaire,s'efface devant une autre image: celle d'un intellectuel anxieux et perptuellement insatisfait, en dpit de sesairs fanfarons, angoiss par le destin de son pays et de son glise, et dont les appels au soleil, aux forces de lavie, aux astres, l'amour, l't brlant, la musique sont autant d'efforts de conjuration par la lumire desmenaces et des forces de l'ombre.

    Gilbert GADOFFRE

    Bibliographie

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    Prise de vue