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CAS CLINIQUE Figure 1. Tomodensitométrie cervicale en coupe axiale montrant le KTT contenant un bourgeon charnu et des microcalcifications pariétales. 10 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale n° 334 - juillet-août-septembre 2013 Mots-clés Kyste du tractus thyréoglosse – Adulte – Carcinome papillaire – Technique de Sistrunk – Thyroïdectomie. Keywords Thyroglossal duct cyst Adult Papillary carcinoma Sistrunk’s technique Thyroidectomy. Dégénérescence maligne d’un kyste du tractus thyréoglosse révélant un carcinome papillaire de la thyroïde Degenerated thyroglossal duct cyst revealing a papillary thyroid carcinoma M. Mliha Touati 1 , C. Boursier 1 , J. Gauthier 1, 3 , C. Mounier 2 , B. Lombard 1, 3 1 Service d’ORL et de chirurgie cervico-faciale, hôpital d’instruction des armées Desgenettes, Lyon. 2 Service d’endocrinologie, hôpital d’instruction des armées Desgenettes, Lyon. 3 Laboratoire de chirurgie infodromique, hôpital d’instruction des armées Desgenettes, Lyon L a dégénérescence maligne d’un kyste du tractus thyréo- glosse (KTT) est rare, estimée à moins de 1 % des kystes opérés (1) , et peut révéler un carcinome thyroïdien. Le tableau clinique n’est pas spécifique, et le diagnostic de malignité est le plus souvent établi à l’examen anatomopatho- logique de la pièce opératoire. Cas clinique Un patient âgé de 48 ans, sans antécédent pathologique connu, vient consulter pour une tuméfaction cervicale antérieure isolée apparue 4 mois plus tôt, non compressive et augmentant rapidement de taille. L’examen clinique montre que ce patient est en bon état général. Sa tuméfaction cervicale médiane est en regard de l’os hyoïde, ferme, non douloureuse ; elle mesure 4 × 3 cm, ascensionne à la déglutition et à la protraction linguale, et il n’y a pas de signes inflammatoires en regard. Une autre tuméfaction plus petite, ayant les mêmes caractéristiques sémiologiques, est palpée 2 cm en dessous de la première. La palpation thyroïdienne est sans anomalie. Il n’y a pas d’adénopathie cervicale palpable. L’échographie cervicale montre que la masse principale, à contenu liquidien, est bien limitée. Elle mesure 33 × 30 mm et contient un bourgeon charnu et calcifié de 11 mm de diamètre. Entre le kyste et l’isthme thyroïdien, un nodule tissulaire hyper- vascularisé, bien limité, mesurant 22 × 20 mm, est relié au kyste par un manchon tissulaire de 6 mm de diamètre. La glande thyroïde est de taille normale, et présente 3 nodules hypoéchogènes (dont le plus volumineux mesure 12 mm de diamètre) au niveau du lobe droit, et un nodule de 5 mm au niveau du lobe gauche. Les aires ganglionnaires cervicales sont libres. Une ponction cytologique échoguidée est réalisée sur le bourgeon intrakystique et sur le nodule sous-jacent. L’examen cytologique évoque un carcinome papillaire sur le bourgeon, tandis que l’autre prélèvement n’est pas concluant. Le scanner cervical confirme la présence d’une formation kystique en contact étroit avec le corps de l’os hyoïde, de 36 mm de grand axe, très évocatrice d’un KTT, contenant un bourgeon charnu et des microcalcifications pariétales. Un nodule tissulaire de 21 × 20 mm est présent juste au-dessous du kyste, l’ensemble étant en conti- nuité avec la thyroïde par l’intermédiaire de la pyramide de Lalouette (figures 1 et 2). Le patient est opéré selon la technique de Sistrunk associée à une thyroïdectomie totale avec monitorage récurrentiel peropératoire

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  • CAS CLINIQUE

    ▲ Figure 1. Tomodensitométrie cervicale en coupe axiale montrant le KTT contenant un bourgeon charnu et des microcalcifications pariétales.

    10 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 334 - juillet-août-septembre 2013

    Mots-clésKyste du tractus thyréoglosse – Adulte – Carcinome papillaire – Technique de Sistrunk – Thyroïdectomie.

    KeywordsThyroglossal duct cyst – Adult – Papillary carcinoma – Sistrunk’s technique – Thyroidectomy.

    Dégénérescence maligne d’un kyste du tractus thyréoglosse révélant un carcinome papillaire de la thyroïdeDegenerated thyrogloss al duct cyst revealing a papillary thyroid carcinoma

    M. Mliha Touati1, C. Boursier1, J. Gauthier1, 3, C. Mounier2, B. Lombard1, 3

    1 Service d’ORL et de chirurgie cervico-faciale, hôpital d’instruction des armées Desgenettes, Lyon.2 Service d’endocrinologie, hôpital d’instruction des armées Desgenettes, Lyon.3 Laboratoire de chirurgie infodromique, hôpital d’instruction des armées Desgenettes, Lyon

    La dégénérescence maligne d’un kyste du tractus thyréo-glosse (KTT) est rare, estimée à moins de 1 % des kystes opérés (1), et peut révéler un carcinome thyroïdien. Le tableau clinique n’est pas spécifique, et le diagnostic de malignité est le plus souvent établi à l’examen anatomopatho-logique de la pièce opératoire.

    C a s c l i n i q u e

    Un patient âgé de 48 ans, sans antécédent pathologique connu, vient consulter pour une tuméfaction cervicale antérieure isolée apparue 4 mois plus tôt, non compressive et augmentant rapidement de taille. L’examen clinique montre que ce patient est en bon état général. Sa tuméfaction cervicale médiane est en regard de l’os hyoïde, ferme, non douloureuse ; elle mesure 4 × 3 cm, ascensionne à la déglutition et à la protraction linguale, et il n’y a pas de signes inflammatoires en regard. Une autre tuméfaction plus petite, ayant les mêmes caractéristiques sémiologiques, est palpée 2 cm en dessous de la première. La palpation thyroïdienne est sans anomalie. Il n’y a pas d’adénopathie cervicale palpable. L’échographie cervicale montre que la masse principale, à contenu liquidien, est bien limitée. Elle mesure 33 × 30 mm et contient un bourgeon charnu et calcifié de 11 mm de diamètre. Entre le kyste et l’isthme thyroïdien, un nodule tissulaire hyper-vascularisé, bien limité, mesurant 22 × 20 mm, est relié au kyste par un manchon tissulaire de 6 mm de diamètre. La glande thyroïde est de taille normale, et présente 3 nodules hypoéchogènes (dont le plus volumineux mesure 12 mm de diamètre) au niveau du lobe droit, et un nodule de 5 mm au

    niveau du lobe gauche. Les aires ganglionnaires cervicales sont libres. Une ponction cytologique échoguidée est réalisée sur le bourgeon intrakystique et sur le nodule sous-jacent. L’examen cytologique évoque un carcinome papillaire sur le bourgeon, tandis que l’autre prélèvement n’est pas concluant. Le scanner cervical confirme la présence d’une formation kystique en contact étroit avec le corps de l’os hyoïde, de 36 mm de grand axe, très évocatrice d’un KTT, contenant un bourgeon charnu et des microcalcifications pariétales. Un nodule tissulaire de 21 × 20 mm est présent juste au-dessous du kyste, l’ensemble étant en conti-nuité avec la thyroïde par l’intermédiaire de la pyramide de Lalouette (figures 1 et 2). Le patient est opéré selon la technique de Sistrunk associée à une thyroïdectomie totale avec monitorage récurrentiel peropératoire

  • CAS CLINIQUE

    Figure 4. Pièce opératoire en monobloc avec le KTT adhérant au corps de l’os hyoïde, l’isthme et les lobes thyroïdiens.

    ▼ Figure 3. Vue opératoire de la cervicotomie montrant le KTT, le nodule sous-jacent et l’isthme thyroïdien.

    ▲ Figure 2. Tomodensitométrie cervicale en coupe sagittale montrant le KTT, le nodule tissulaire sous-jacent au niveau de la pyramide de Lalouette.

    La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 334 - juillet-août-septembre 2013 | 11

    (figure 3), emportant en monobloc le kyste avec le corps de l’os hyoïde, le nodule sous-jacent ainsi que la glande thyroïde (figure 4). Les suites opératoires sont simples. L’examen anatomopatho-logique a montré la présence d’un carcinome papillaire de 11 mm de diamètre au sein du KTT, sans invasion de la paroi du kyste, et un autre foyer de 12 mm de diamètre au niveau du lobe thyroïdien droit. Un complément thérapeutique par IRAthérapie est entrepris. À l’issue, le patient est mis sous hormonothérapie freinatrice ciblant une valeur de TSH très effondrée. Avec un recul de 8 mois, l’évolution est favorable, sans signe de récidive.

    D i s c u s s i o n

    Les KTT sont les plus fréquentes des dysembryoplasies cervi-cales, représentant 40 % des malformations cervicales congé-nitales. L’âge de découverte se situe dans la majorité des cas dans la première décennie, mais on peut les rencontrer à tout âge (2).La dégénérescence maligne d’un KTT est une situation excep-tionnelle qui n'apparaît que dans moins de 1 % des cas (3), essentiellement chez l’adulte. La première description en a faite par Brentano en 1911 (in 4), et, depuis, plus de 200 cas ont été colligés dans la littérature internationale (1-4). Le carcinome papillaire est le type histologique le plus fréquent, il est retrouvé dans environ 80 % des cas (3).Certains auteurs, tels que Crile, estiment que le canal thyréo-glosse constitue une voie naturelle pour la dissémination de la tumeur, dont le point de départ serait la glande thyroïde (in 5). V. Mondin et al. ont rapporté qu’aucun cas de carcinome de type médullaire au sein des KTT dégénérés n’avait été décrit dans la littérature (3), ce qui est en faveur d’un développement de novo au sein du kyste. La prise en charge thérapeutique des KTT dégénérés fait donc l’objet de débats : faut-il ou non associer une thyroïdectomie totale à l’exérèse du kyste, selon la technique classique de Sistrunk ?P. Miccoli et al. ont rapporté 4 cas de carcinomes thyroïdiens découverts lors de thyroïdectomies totales faites systémati-quement sur une série de 10 cas de KTT dégénérés (6). Sur une série de 4 KTT dégénérés, A.L. Belnoue a rapporté 2 cas de carcinome papillaire de la thyroïde, dont 1 était concomitant au KTT, et l’autre apparu 15 ans après l’exérèse du kyste (5). Le développement synchrone d’un carcinome papillaire au sein de la thyroïde et du KTT peut s’expliquer aussi bien par le caractère multifocal de la tumeur que par un foyer méta-statique (5). Sur le plan clinique, le caractère dur, fixe, irrégulier du KTT et l’augmentation rapide de sa taille avec des adénopathies cervicales évoquent la dégénérescence maligne. À l’écho-graphie, la néoplasie doit être suspectée devant le contour irrégulier, la présence de végétations intrakystiques et/ou de calcifications (le cas de notre patient) [4]. L’envahissement des tissus de voisinage représente 20 % des cas, les métastases ganglionnaires se rencontrant dans 8 % des cas (1-5). La place

  • Juillet-Août-Septembre 201303

    Nouvelle formule

    Association françaisepour le développementde l’éducation thérapeutiqueAssociation régie selon la loi de 1901 (J.O. :15.07.87 N°28)

    CPPAP et ISSN : en coursTrimestriel

    Prochain numéro à paraître en septembre 2013…

    * Abonnez-vous au 01 46 67 62 74 / 87Publication trimestrielle

    EDIMARK éditeur de la nouvelle publication de l’AFDET

    Former, informer !Éducation thérapeutique :

    comment vous former et informer vos patients

    Publication à destination de tous les professionnels de santé

    CAS CLINIQUE

    de la cytoponction à l’aiguille fine reste discutable en raison du risque de faux négatif ; néanmoins, P. Miccoli et al. rapportent une sensibilité et une spécificité de 100 % chez 9 patients (6). Si le traitement d’un KTT est actuellement bien codifié selon la procédure de Sistrunk, les avis divergent dès qu’un carcinome est mis en évidence au sein du KTT. Plusieurs auteurs, notamment P. Miccoli et al., recommandent de compléter le geste chirur-gical initial par une thyroïdectomie totale, non seulement pour éliminer un éventuel carcinome thyroïdien associé mais également pour assurer un meilleur suivi par dosage de la thyro-globuline (6). Aussi, l’envahissement de la paroi du kyste par le processus carcinomateux, l’individualisation histologique d’un type vésiculaire ou épidermoïde et la présence d’un nodule thyroïdien devraient systématiquement aboutir à une thyroï-dectomie totale, d’autant plus que la concomitance des KTT dégénérés et des carcinomes primitifs de la thyroïde a été décrite dans 11 à 33 % des cas (5). C.P. Plaza et al. ont proposé en 2006 un intéressant algorithme pour le diagnostic, le traitement et le suivi des patients ayant un carcinome sur KTT, et ont défini des groupes de patients à haut risque de récidive et de mortalité pour lesquels la thyroï-dectomie totale s’imposait : âge supérieur à 45 ans, antécédent d’irradiation cervicale, mise en évidence d’une lésion nodulaire au niveau de la glande thyroïde, adénopathie cervicale, tumeur de plus de 1,5 cm avec invasion de la paroi du KTT (4). Lorsqu’une thyroïdectomie totale est couplée à l’exérèse du KTT, le suivi postopératoire comporte une scintigraphie du corps entier à l’iode 131 et un dosage de la thyroglobuline, qui devrait être indétectable. L’existence de résidus tumoraux à la scintigraphie conduit à une IRAthérapie postopératoire. L’hormonothérapie à dose freinatrice est toujours indiquée (1). Dans le cas de notre patient, le diagnostic préopératoire établi par la cytoponction du KTT ainsi que l’existence de nodules au niveau de la pyramide de Lalouette et du lobe thyroïdien droit nous ont incités à réaliser d’emblée la méthode de Sistrunk couplée à une thyroïdectomie totale.

    Le pronostic de ces tumeurs est généralement bon. S.G. Patel et al. ont estimé que la survie à 5 et à 10 ans était respectivement de 100 % et de 95,6 %, du fait de la rareté des métastases à distance (1). Cependant, le cancer papillaire thyroïdien reste un carcinome à développement très lent, les récidives pouvant survenir plusieurs années, voire des décennies, plus tard, d’où la nécessité d’une surveillance à vie.

    C o n c l u s i o n

    La dégénérescence maligne d’un KTT est une situation rare qui peut révéler un carcinome thyroïdien. Le carcinome papillaire est le plus fréquent. En l’absence d’atteinte thyroïdienne, le traitement demeure un sujet de débat, même si, actuellement, la plupart des auteurs recommandent d’associer une thyroïdectomie totale à la procédure de Sistrunk. ■

    M. Mliha Touati déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

    1. Patel SG, Escrig M, Shaha AR, Singh B, Shah JP. Management of well-diffe-rentiated thyroid carcinoma presenting within a thyroglossal duct cyst. J Surg Oncol 2002;79(3):134-9;discussion 140-1.2. Foley DS, Fallat ME. Thyroglossal duct and other congenital midline cervical anomalies. Semin Pediatr Surg 2006;15(2):70-5.3. Mondin V, Ferlito A, Muzzi E et al. Thyroglossal duct cyst: personal expe-rience and literature review. Auris Nasus Larynx 2008;35(1):11-25. 4. Plaza CP, López ME, Carrasco CE, Meseguer LM, Perucho Ade L. Manage-ment of well-differentiated thyroglossal remnant thyroid carcinoma: time to close the debate? Report of five new cases and proposal of a definitive algo-rithm for treatment. Ann Surg Oncol 2006;13(5):745–52.5. Belnoue A, Poupart M, Pignat JC. Intérêt de la thyroïdectomie dans la prise en charge des kystes du tractus thyréoglosse dégénérés. Ann Chir 2004;129(9):523-5.6. Miccoli P, Pacini F, Basolo S, Iacconi P, Puccini M, Pinchera A. Thyroid carci-noma in a thyroglossal duct cyst : tumor resection alone or a total thyroidec-tomy? Ann Chir 1998;52(5):452-4.

    Références bibliographiques