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Alimentation et attentes sociétales : la contribution des additifs et ingrédients Colloque du 9 octobre 2008 SYNPA – Syndicat national des producteurs d’additifs et d’ingrédients de la chaîne alimentaire – 66, rue la Boétie – 75008 Paris Tél. 01 40 62 25 80 – www.synpa.org ACTES DU COLLOQUE 05/03/09

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Alimentation et attentes sociétales :

la contribution des additifs et ingrédients

Colloque du 9 octobre 2008

SYNPA – Syndicat national des producteurs d’additifs et d’ingrédients de la chaîne alimentaire –

66, rue la Boétie – 75008 Paris –

Tél. 01 40 62 25 80 – www.synpa.org

ACTES DU COLLOQUE

05/03/09

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Intervenants

Mot de bienvenue

- Catherine MIGNOT, présidente du SYNPA

Conférence introductive

- Gérard PASCAL, directeur de recherche honoraire à l’INRA

Première table ronde

- Jean BIZET, vétérinaire, sénateur de la Manche, vice-président de la commission aux affaires européennes au Sénat

- Jean-Yves DOURMAD, ingénieur de recherche à l’INRA de Rennes, responsable de l’équipe élevage, environnement et bien-être animal

- Louis ORENGA, directeur du centre d’information des viandes (CIV)

- Stéphane RADET, directeur du syndicat national de l’industrie de la nutrition animale (SNIA)

- Philippe SCHMIDELY, professeur de sciences animales au département sciences de la vie et santé à AgroParisTech

Deuxième table ronde

- Pascale HÉBEL, directrice du département consommation du CREDOC

- Jean Louis LAMBERT, sociologue et économiste spécialisé dans le domaine alimentaire, membre du comité d’expert du PNNS (programme national nutrition santé)

- Ambroise MARTIN, professeur de nutrition et de biochimie à la faculté de médecine de Lyon, membre du comité stratégique du PNNS, membre du comité des experts en nutrition de l’AFSSA

- Éric SEYNAVE, président de la commission qualité & consommation de l’ANIA (association nationale des industries alimentaires)

- Gérard PASCAL, directeur de recherche honoraire à l’INRA

Synthèse

- Christian BABUSIAUX, a exercé les fonctions de directeur général de la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, puis de président du Conseil national de l’alimentation et de l’Institut national de la consommation.

Journée animée par Brigitte MILHAU, journaliste

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SOMMAIRE

INTRODUCTION ___________________________________________ 2

CONFERENCE INTRODUCTIVE _____________________________ 4

TABLE RONDE nº 1 : ALIMENTATION ANIMALE ____________ _ 7

TABLE RONDE Nº 2 : ALIMENTATION HUMAINE____________ 18

Introduction : "Evolution des attentes du consommateur en alimentation __________________________18

Débat _______________________________________________________________________________24

SYNTHÈSE _______________________________________________ 31

Avec l’aimable autorisation des intervenants.

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INTRODUCTION Catherine MIGNOT

Mesdames, Messieurs,

Bonjour et bienvenue à chacun. Pour ceux que je n’aurai pas l’honneur de connaître, je suis Catherine MIGNOT, la présidente du SYNPA. Je suis ravie de vous accueillir au nom du Conseil d’administration dans ce lieu assez unique.

Nous avons le plaisir de revoir certains de nos anciens administrateurs. Malheureusement, Jeanne Ribault n’a pas pu être présente parmi nous aujourd’hui. Jeanne aura largement marqué le SYNPA puisqu’elle était présente depuis sa création. Elle a donc vu le SYNPA en parallèle aux évolutions réglementaires qui ont accompagné les produits de nos adhérents.

Le SYNPA représente aujourd’hui 44 sociétés fabriquant des additifs pour l’alimentation animale, des additifs pour l’alimentation humaine, des enzymes, des nutriments. Nous tenons beaucoup à cette dualité alimentation animale/alimentation humaine pour plusieurs raisons et notamment le fait que tous ces produits sont maintenant couverts par la même réglementation européenne, les procédures sont de plus en plus proches et chaque partie peut bénéficier d’une fertilisation croisée.

1968 – 2008 : le SYNPA est né le 25 avril 1968, année riche en événements.

Le Conseil d’administration a souhaité marquer ses 40 ans avec l’organisation de ce colloque.

40 ans peuvent paraître jeunes lorsqu’on les fête dans cet hôtel particulier dont la construction a été décidée en 1640 par la Dame Catherine Potiers. Après avoir été en partie détruit par un incendie, cet hôtel a hébergé des personnalités illustres tels que M. de La Béraudière (protecteur de Watteau), la famille Luynes et le marquis de Poulpry.

Il fut le siège du Comité de la section de la Fontaine-de-Grenelle, puis il fut occupé par un commandant de la Garde nationale, puis devint le siège de la municipalité.

En1820, le baron Portal y installa l'Académie de médecine qui y demeura jusqu'en 1848. En 1849, le Comité monarchiste dit « Comité de la rue de Poitiers » y tint de nombreuses séances.

En1919, l'hôtel fut loué au « Club de la Renaissance française » fondé par l'Association pour la Rénovation nationale, plusieurs polytechniciens faisant partie de cette association.

Ce n’est qu’en 1923 que la Maison des polytechniciens devient locataire avant de devenir propriétaire de ce magnifique édifice.

Mais 40 ans, à l’échelle humaine représentent déjà une part importante de l’espérance de vie, la totalité ou presque de la vie professionnelle !

Le SYNPA a toujours été animé d’une volonté de dialogue et de discussions tant avec les professionnels de la chaîne alimentaire qu’avec les politiques, les scientifiques et les relais médiatiques.

Son objectif est la promotion de nos métiers et de nos produits en expliquant leur importance et leur nécessité pour la mise à disposition de produits sûrs et sains, destinés aux hommes et aux animaux.

La sécurité a été et est bien évidemment au cœur du débat. Elle est un pré requis incontournable et la réglementation s’est bâtie de manière à assurer cette sécurité alimentaire.

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Au-delà de la sécurité, le critère de qualité est majeur pour les consommateurs. Là encore, les additifs et ingrédients entrant dans la chaîne alimentaire jouent un rôle. La qualité peut se décliner sous bien des aspects et n’a pas la même connotation pour l’alimentation animale et humaine. C’est une exigence fondamentale dans les deux domaines.

Ces deux critères de sécurité et de qualité sont ceux qui ont bercé les 40 premières années du SYNPA et la construction de la réglementation de la chaîne alimentaire dans son ensemble.

Nous constatons désormais que certains consommateurs ajoutent à ces critères des exigences d’un autre type et nous parlons de plus en plus du consommateur citoyen, soucieux de son environnement et de sa planète. La logique de développement durable prend une importance grandissante.

Le SYNPA a donc souhaité entrer dans ce débat et positionner les ingrédients. C’est pourquoi nous échangerons dans quelques instants sur le thème « Alimentation et attentes sociétales : la contribution des additifs et des ingrédients ». Je remercie grandement le comité d’organisation pour tout le travail préparatoire à ce colloque.

Après une présentation par Gérard Pascal, deux tables rondes successives pour l’alimentation animale puis l’alimentation humaine permettront de discuter ce vaste sujet.

Les débats seront animés par Brigitte Milhau . Nous espérons qu’ils seront fructueux et je tiens d’ores et déjà à remercier les différents intervenants d’avoir accepté d’être parmi nous aujourd’hui pour nous apporter leur vision de ce vaste sujet et les participants pour les nombreuses questions qu’ils ne manqueront pas de poser.

Je laisse la parole au professeur Gérard Pascal pour la conférence introductive.

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CONFERENCE INTRODUCTIVE

Gérard PASCAL

Pour limiter la durée de mon intervention, je parlerai essentiellement de mon expérience en matière d’additifs en alimentation humaine, sur la base des 40 ans de recherche – à l’INRA essentiellement– et d’expertise au plan national (CSHPF1, CIIAA 2), européen (SCF3) et international (JECFA4) que j’ai maintenant à mon actif.

Évolution du contexte réglementaire

À la fin des années 1970, le CNERNA - Centre national d’études et de recherches sur la nutrition et l’alimentation - a travaillé en toute sérénité sur une méthodologie d’évaluation toxicologique des additifs, qui a abouti à une circulaire de l’administration publique décrivant les lignes directrices de présentation des dossiers, à destination des professionnels, pour l’évaluation des additifs en alimentation humaine. En même temps, des travaux ont été réalisés concernant un inventaire des additifs, pour tenter de simplifier la réglementation nationale en attendant les directives européennes, qui sont arrivées en 1989 – directive cadre – et 1994/1995 pour des directives plus spécifiques. Nous vivons actuellement une période de réflexion sur une réforme qui devrait déboucher sur une procédure d’autorisation uniforme, pour les additifs comme pour les enzymes et les arômes alimentaires.

Évolution des structures d’expertise

Il s’agit en France de la naissance de l’AFSSA -Agence française de sécurité sanitaire des aliments-, qui a regroupé dès 1999 – et qui aurait pu le faire plus largement – l’ensemble des instances, comités et commissions qui concernaient la sécurité de l’alimentation humaine et animale. L’AFSSA a intégré des sections du conseil d’hygiène, la commission interministérielle et interprofessionnelle de l’alimentation animale, et la commission des produits diététiques, suite à la loi de sécurité sanitaire de 1998.

Au niveau européen, une importante modification a eu lieu suite à la crise de la « vache folle », qui a mis en évidence plusieurs dysfonctionnements au niveau européen, en particulier l’absence de séparation entre l’évaluation des risques et la gestion des risques. Il a donc été créé au niveau européen une Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA), qui a pris en charge les activités de plusieurs comités scientifiques, dont le Scientific Committee on Food (SCF), le Scientific Committee on Animal Nutrition (SCAN), etc.

Au plan international, il n’y a pas eu de changement majeur, pas même au JECFA. Il n’y a pas de réglementation internationale en matière de sécurité sanitaire des additifs. L’agence européenne joue un rôle différent du JECFA.

1 Comité Supérieur d’Hygiène Publique de France. 2 Commission interministérielle et interprofessionnelle de l’alimentation animale 3 Scientific Committee on Food 4 Joint FAO/OMS Expert Committee on Food Additives

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Évolution scientifique de l’évaluation des risques

La science a beaucoup progressé, même si cela ne s’est traduit que par des modifications mineures des méthodologies d’évaluation ou du contenu des dossiers d’évaluation. Cela s’explique par le fait que les nouvelles approches méthodologiques doivent être validées. Elles sont longues à standardiser et à traduire sur le plan réglementaire.

Les conséquences récentes de la génomique et de la postgénomique, c'est-à-dire les méthodes de transcriptomique, de protéomique et de métabolomique, apparaissent comme des progrès scientifiques majeurs, mais restent des méthodes à valider pour répondre aux questions plus pointues des consommateurs d’aujourd’hui.

Tendances lourdes

Les attaques médiatiques contre l’agriculture sont légion, comme celles contre l’industrie alimentaire, qui répandent l’idée que le consommateur court des risques majeurs en termes de santé. Le « chimique » est pointé du doigt, et avec lui les intrants, les engrais, les résidus de pesticides, les méthodes de production agricole, le productivisme, les additifs et les arômes, qui sont autant de « poisons ». À l’inverse, la promotion est faite du « naturel », du sain, du non transformé, de l’éthique, du biologique, ce qui est très bien, mais encore faut-il étudier les conditions de mise en œuvre de tout cela.

Quelle est la substance chimique qui a fait l’objet du plus grand nombre de travaux scientifiques et dont le dossier représente plusieurs mètres cubes ? C’est sans doute l’aspartame et pourtant il fait l’objet sur Internet d’articles faisant le procès du « tueur silencieux », l’accusant des pires maux. Ainsi les troubles dont sont victimes les soldats américains ayant fait la première guerre en Irak seraient dû à la consommation de Coca-Cola light édulcoré à l’aspartame ! Il faut trier l’information et tenter de rétablir la vérité et écrire l’histoire véridique de l’aspartame, ce à quoi je participe.

Les risques du « naturel »

Dès 1987, au sein du SCF, nous nous étions inquiétés de la tendance au remplacement des colorants de synthèse par des colorants dits « naturels », c'est-à-dire extraits de sources plus ou moins bien caractérisées. Nous avions insisté sur le fait que le naturel n’est pas un gage d’innocuité, et qu’il ne dispense pas d’une étude toxicologique classique.

Les risques du « naturel »

• Colouring matters (Opinion expressed by the SCF, 10 December 1987):– « The Committee is also aware that there have been significant

technological advances in the isolation, preparation and extraction of colouring matters from natural sources. The Committee expresses considerable concern at the tendency for foods to be increasingly coloured by so-called « natural » colouring matters and be labeled as such. This tendency results in misinterpretation by the consumer that such product are a priori safe. The Committee deplores this commercial exploitation of the lack of consumer awareness of the situation and recalls its opinion expressed in the 12th Series (on intolerance and hyper sensitivity) and the 14th Series (general safety).

Evolution scientifique de l’évaluation des risques

• Une exigence accrue en matière de géno-toxicologie;

• De nouvelles exigences: immuno-toxicologie, neuro-toxicologie, hormono-toxicologie;

• De nouveaux concepts: seuil de préoccupation toxicologique, marge d’exposition;

• Des projets de mise en œuvre de nouvelles technologies à valider: transcriptomique, protéomique, métabolomique.

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C’est toujours le cas vingt ans après, alors que les pressions se multiplient pour éliminer les colorants artificiels au profit des colorants « naturels ».

C’est une nouvelle attaque contre les industriels produisant ces produits ; l’idée selon laquelle certains colorants artificiels sont responsables de l’hyperactivité des enfants a été répandue à la suite d’une publication d’une équipe de Southampton, très reprise par les médias, en dépit d’une réaction d’un comité d’experts de l’AESA, au niveau européen, qui a déclaré que cette publication n’apportait rien de nouveau par rapport à l’évaluation des colorants et de l’acide benzoïque, qui étaient l’objet de cette étude. Les parlementaires européens considèrent néanmoins que cet article doit être pris en compte, et, dans le cadre de l’harmonisation de l’évaluation des additifs, des arômes et des enzymes, souhaitent que soit précisé, sur l’étiquetage des produits contenant des colorants azoïques, que ceux-ci « peuvent avoir un effet nuisible sur l’activité et l’attention des enfants », et cela, malgré l’avis de l’Autorité européenne de sécurité des aliments. Face à cela, nous nous sentons quelque peu désarmés.

Ajoutons qu’une note du Conseil européen datant de juillet 2008 et concernant les substances aromatiques – pour lesquelles des accords ont déjà été obtenus – précise que le principe de précaution devra être l’un des facteurs à prendre en compte pour leur autorisation. Nous ne savons pas encore selon quelles modalités.

Autre exemple d’acharnement médiatique, l’affaire concernant un autre édulcorant, le sucralose, dont les risques majeurs présumés – modifications d’activités enzymatiques au niveau de l’intestin – sont relayés dans tous les médias, spécialisés mais aussi grand public. La firme a réagi, avec un argumentaire que je partage totalement, ce qui n’empêche pas le lynchage.

Il y a également la lutte entre les tenants de la gastronomie moléculaire et certains grands chefs traditionalistes, qui mettent souvent en cause des additifs comme les carraghénanes, ou qui peuvent déclarer que l’azote liquide est un gaz dangereux !

Conclusion

Pour conclure, je souhaite partager avec vous les propos du philosophe Luc Ferry. A l’occasion d’un récent colloque à l’Académie des Sciences consacré aux biotechnologies végétales, il a présenté une conférence essentiellement axée sur le principe de précaution. Constatant « que le problème politique aujourd’hui consiste pour le citoyen à reprendre la main sur le cours du monde », il concluait «qu’il faut faire face aux peurs que suscite cette dépossession » et « échapper au réflexe de peur et au retour de l’obscurantisme ». Il déclarait enfin que : « La première mesure à prendre aujourd’hui, si on veut redonner un sens au principe de précaution – et je ne suis pas un adversaire acharné du principe de précaution qui peut être très utile si manié avec intelligence et mesure – c’est éviter le retour de l’irrationalisme, de l’obscurantisme ; rien n’est plus grave aujourd’hui que cet affaiblissement de la science, ce déclin des vocations scientifiques – et cela est perceptible dans les organismes de recherche – je pense que c’est beaucoup plus grave que mille autres pollutions qui font l’objet du discours écologiste, et je pense que la première chose à faire est de réfléchir aux moyens de donner à la recherche scientifique l’attrait qu’elle a perdu aux yeux des jeunes générations. » C’est à cela que je voudrais employer mes dernières années d’activité.

J’appelle Brigitte Milhau qui va animer les deux tables rondes.

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TABLE RONDE Nº 1 : ALIMENTATION ANIMALE Brigitte MILHAU

Bonjour à tous, je suis ravie d'être parmi vous. Tout d'abord nous sommes là pour fêter un anniversaire, les 40 ans du SYNPA, et un anniversaire ça se fête dans la joie et la bonne humeur. Je sais qu'il ne s'agit pas d'un mariage mais tout de même d'une union entre le SYNPA et les consommateurs. Et les 40 ans sont les noces d'émeraude, pierre de couleur verte comme la nature et l'espérance, l'espérance d'un monde dans lequel les additifs et ingrédients retrouveront leurs lettres de noblesse.

Je tenais à remercier tout particulièrement toute l'équipe du SYNPA de m'avoir proposé d'animer cet après-midi. Je les remercie et les félicite pour leur courage car demander à un journaliste d'animer un débat sur les additifs alimentaires n'est pas sans risque. D'ailleurs nous parlerons de la perception des médias à ce sujet.

Mais pour tout vous dire, je ne regrette vraiment pas d'avoir accepté bien sûr et avant tout pour la qualité des intervenants que j'ai eu l'opportunité de rencontrer, et qui vont bientôt venir me rejoindre, mais aussi pour m'avoir fait réfléchir sur un sujet pour lequel j'avais moi aussi une opinion négative sans fondement objectif.

J'ai pris conscience de plusieurs choses notamment de la différence qui existe entre le consommateur et le citoyen et aussi du fossé quasi abyssal entre rationnel et émotionnel.

Et lors de nos deux tables rondes, je crois que l'idée force est de partir du constat implacable à savoir que les consommateurs changent et de réfléchir à comment rapprocher les producteurs et les mangeurs et nous verrons à quel point les additifs et les ingrédients ont un rôle majeur à jouer dans le rapprochement.

Une question nous intéresse particulièrement, que je pose pour tous les intervenants de la première table ronde : quels ont été les changements les plus importants de ces dernières années concernant l’alimentation animale ?

Louis ORENGA

Dans les années 1960, nous étions face à des acheteurs, dans les années 1970, face à des consommateurs, et nous faisons maintenant face à des acheteurs consommateurs citoyens.

Jean-Yves DOURMAD

Aux contraintes d’efficacité techniques liées à la production se sont ajoutées d’autres contraintes liées à la demande sociétale, en particulier au niveau de l’impact sur l’environnement et au mode de production, notamment concernant le bien-être animal.

Stéphane RADET

L’évolution du contexte mondial a conduit à une hausse des échanges qui est à prendre en compte. Le poids de la réglementation est également un facteur important de changement.

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Philippe SCHMIDELY

Le changement a été impulsé par la nécessité de concilier deux composantes de la sécurité : alimentaire, en produisant les quantités suffisantes, et sanitaire. Elles ont poussé le monde des additifs à s’adapter.

Jean BIZET

Le champ est devenu un espace social, avec irruption de la société civile. Une sorte de droit d’ingérence de la société civile s’est développé, et les politiques se voient souvent contraints de légiférer, de temps en temps dans l’urgence et dans l’émotionnel, ce qui n’est pas efficace.

Brigitte MILHAU

Le consommateur est-il citoyen ?

Louis ORENGA

Dans les années 1960, le marché était concentré sur les acheteurs qui souhaitaient disposer de produits en quantité. Les producteurs produisaient pour mettre à disposition des personnes de quoi s’alimenter. Dans les années 1970, le consommateur voulant faire un choix est apparu. Le marketing s’est développé afin de répondre à une demande de consommateurs de plus en plus diversifiés. Nous nous sommes alors penchés sur la question de savoir comment répondre aux vraies demandes des consommateurs, qui n’étaient plus une simple question de sécurité alimentaire et d’approvisionnement.

Les attentes sociétales qui, quant à elles, sont apparues à la fin des années 1980 ne concernent pas, à proprement parlé, l’acte de consommation mais la place du produit et des métiers dans l’évolution de notre santé. Ces attentes sont émises par des personnes ou organismes ou associations qui par définition ne sont pas des spécialistes des métiers, à la différence des acteurs du métier, les « sachants ». Ces attentes sont donc souvent perçues comme irrationnelles de la part des professionnels. En outre, nous ne sommes plus maîtres de notre activité, car ces personnes ou organismes ou associations s’emploient à nous dire ce que nous devons faire sans toujours maîtriser l’ensemble des éléments. Cela aboutit à une situation où les attentes sociétales deviennent antinomiques avec le comportement réel du consommateur et les contraintes professionnelles. Aujourd’hui un ensemble de secteurs économiques s’inquiète. Si nous nous plions à certaines exigences sociétales, cela peut finir par nuire, à terme, au consommateur et aller à l’encontre même de la demande, exprimée par des personnes qui ne mesurent pas les conséquences de ce dont ils parlent.

La répartition entre les trois piliers, acheteur, consommateur et citoyen n’est pas fixe, elle évolue constamment et dépend de la catégorie des personnes, du contexte et du domaine d’activité. Par exemple, l’affectivité et les attentes ne sont pas les mêmes pour les productions animales ou pour le végétal. Cela crée un ensemble très complexe à gérer. Il faut remettre les facteurs dans l’ordre : l’essentiel reste de nourrir les gens avec des produits économiquement accessibles à tous, ce qui ne signifie pas qu’il ne faille pas se préoccuper de bien-être animal et d’environnement. Il ne faudrait pas inverser l’ordre des facteurs, sinon les cahiers de charge seront certes fantastiques mais à des prix inabordables. Le risque est alors que les produits viennent d’ailleurs, à des prix plus compétitifs mais sans répondre aux attentes sociétales.

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En termes de communication, le XXe siècle a été caractérisé par une opposition frontale entre le secteur économique qui fait appel à la « publicité privée », vantant ses produits, et le secteur de l’information, la sphère journalistique. Il faut, pour le XXIe siècle, évoluer et mettre en place dans le domaine économique une culture de l’information, qui ne soit pas du marketing de marque, mais qui soit de l’information sur les produits et les métiers. Les crises des dernières années n’étaient pas une remise en cause du marketing et des marques, mais plutôt une interrogation de la société sur les produits et les métiers. Il s’agit d’évoluer vers une troisième voie de communication, qui ne remet en cause ni le rôle des journalistes et de la presse, ni le marketing et les marques.

Brigitte MILHAU

Vous avez évoqué le bien-être de l’animal : en quoi les additifs interviennent-ils dans le bien-être de l’animal ?

Jean-Yves DOURMAD

Le bien-être animal passe aussi par le fait de fournir aux animaux les nutriments dont ils ont besoin. C’est la première règle à satisfaire lorsqu’on élève des animaux. Avec les ingrédients que l’on utilise, l’utilisation d’additifs est indispensable pour respecter cette règle et apporter aux animaux les quantités de vitamines, de micronutriments et de nutriments majeurs dont ils ont besoin pour assurer leur croissance, une reproduction normale, et leur bien-être et leur santé de façon générale. Il n’est pas si évident de faire des régimes équilibrés sans les additifs.

Par ailleurs les demandes sociétales ont, ces dernières années, amené des contraintes nouvelles aux fabricants d’aliments en termes de résistance des animaux dans des périodes de stress, par exemple le sevrage pour les porcs. La période de sevrage est une période difficile pour l’animal. Dans le passé, des facteurs de croissance étaient utilisés pour mieux passer ces périodes de stress. Ces pratiques ne sont plus autorisées. Les formulations des régimes ont donc dû évoluer, et les nutritionnistes ont mis au point des techniques, tel que l’abaissement de la teneur en protéines des régimes grâce à l’incorporation d’acides aminés, qui permet de mieux équilibrer l’apport protéique et de diminuer l’excès de protéines qui constitue un risque pour la pathologie digestive.

Concernant l’environnement, cela fait environ vingt ans que nous nous intéressons aux influences de la nutrition animale, avant que cela ne devienne un phénomène « grand public ». L’environnement est devenu un élément très important par rapport à l’acceptabilité de l’élevage en général. Les nutritionnistes et les fabricants d’aliments ont joué un rôle important pour l’environnement, par des approches simples, comme donner des régimes mieux équilibrés et apporter des nutriments sous des formes plus biodisponibles. Cela demande un effort de développement des produits. Il faut disposer par exemple d’enzymes, des phytases, qui vont rendre le phosphore plus digestible, ce qui permettra d’en réduire les quantités dans les effluents et de réduire les risques d’eutrophisation des eaux liés à l’épandage des effluents. Toute cette démarche a été finalement assez rapide et rendue possible par le développement rapide de ces ingrédients.

Depuis quelques années, on parle beaucoup de gaz à effet de serre et d’ammoniac. Les techniques mises en place pour réduire l’excrétion d’azote sont également efficaces pour l’ammoniac. D’autres techniques, par exemple l'ajout de certains acidifiants, permettent d’aller plus loin, en agissant sur le métabolisme de l’animal, en modifiant les caractéristiques des effluents et en réduisant le risque d’émission et de volatilisation. Pour les émissions de gaz à effet de serre, le dernier rapport de la FAO

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a montré que l’élevage y contribuait de façon importante, même si ce n'est pas de façon prédominante. Le raisonnement alors mené vise à produire la même quantité d’aliments – viande, lait, œufs – en utilisant moins de nourriture, pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, par unité produite (kg de viande, litre de lait, œuf...). Il n’y a donc pas d’antagonisme dans ce domaine entre efficacité et environnement. Concernant les réductions d’excrétion de phosphore, d’azote et d’émission d’ammoniac, l’évolution des techniques initiée par les demandes sociétales empêche tout retour en arrière. Les régimes moins riches en protéines et en phosphore, qui sont produits aujourd’hui ne coûtent finalement pas plus chers, ce qui constitue le bon côté des contraintes qui ont été imposées.

Stéphane RADET

Les attentes et l’évolution des connaissances peuvent générer des contraintes au niveau de la production pouvant se traduire par des dispositions réglementaires qui ont un coût dans l’application.

Il y a des différences entre l’acte d’achat, les attentes du consommateur et celles de la société. Les filières de production s’attachent à l’acte d’achat, qui fait vivre économiquement les filières. Lorsqu’il y a un décalage trop important entre l’acte d’achat et les attentes, qui peuvent générer des contraintes réglementaires, nous pouvons alors perdre des parts de marché au profit de produits d’importation.

La nutrition animale, au travers des additifs notamment, a beaucoup évolué depuis 30 ans, et plus particulièrement depuis 10 ans. Nous avons d’importantes pistes de valorisation en termes de communication, qui n’ont jamais été explorées. Ainsi la masse réglementaire dans laquelle les professionnels doivent s’inscrire au niveau de l’utilisation, l’évaluation, l’autorisation, notamment en termes de sécurité et d’efficacité des additifs, n’est pas perçue par le consommateur final. Le message ne passe pas sur le niveau d’excellence des filières de production animale en France, et il faudrait insister sur ce point, ne serait-ce que pour rassurer les inquiétudes, et apporter des réponses en amont de la naissance de ces inquiétudes. Le cadre réglementaire et les bonnes pratiques professionnelles peuvent permettre de rassurer l’utilisateur final du produit.

Philippe SCHMIDELY

La hausse de la population mondiale, soit 9 milliards d’individus en 2050, est un véritable challenge. Sur la base de la consommation d’un Brésilien, c’est-à-dire un individu à la consommation moyenne, il faudra produire deux fois plus de viande, soit 420 millions de tonnes, et deux fois plus de lait, soit un peu plus d’1 milliard de tonnes. Il y a donc un véritable challenge en matière de sécurité des futurs besoins alimentaires de la planète.

En comparaison, les contraintes en matière de production animale paraissent quelque peu dérisoires, car il n’y a que deux façons d’augmenter la production : augmenter le nombre d’animaux, en dépit des contraintes sur l’occupation des sols, solution vers laquelle nous nous sommes peu tournés, même si la Chine par exemple commence à la pratiquer, ou augmenter l’efficacité de la production par tête d’animal, et le secteur des additifs a un rôle fondamental à jouer dans cette efficacité. Il ne faut pas oublier que, historiquement, les additifs ont été utilisés avant tout pour augmenter la production, même s’ils sont aujourd’hui aussi destinés à augmenter le bien-être, mieux conserver les aliments et moins impacter l’environnement.

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Il faut remettre cela à l’esprit du citoyen et du consommateur : l’objectif du secteur de l’alimentation animale est de produire. Et ce n’est pas par l’agriculture biologique telle qu’elle est définie aujourd’hui au niveau européen que nous répondrons aux défis alimentaires des trente années à venir.

Il y a un fabuleux challenge à assurer la couverture des besoins alimentaires de la planète tout en polluant moins et en assurant la sécurité sanitaire. La sécurité sanitaire passe en partie par les additifs. La réglementation actuelle assure à tous, au producteur de l’additif, à l’utilisateur, au consommateur tous les éléments de sécurité nécessaires. Il va falloir, à un moment donné, justifier les additifs non seulement au travers des questions de bien-être et d’environnement, mais bien également au travers de questions de production. Il s’agit d’imaginer une agriculture basée sur une ‘intensification écologique’ qui a pour objectif de nourrir la planète tout en assurant la sécurité sanitaire.

Brigitte MILHAU

Il s’agit peut-être d’un problème d’ordre sémantique : c’est une affaire de mots. Le problème est que résumer c’est perdre de la justesse. Alors que prendre le temps d’expliquer permet d’être mieux compris et bien interprété. En communication, il faut être court et par définition l’information donnée est alors incomplète. Communiquer c’est accepter la non-maîtrise.

Qu’en est-il des politiques, sont-ils concernés par ces évolutions ?

Jean BIZET

Ces mots ne sont pas politiquement corrects, mais il va falloir rétablir la notion de productivité en agriculture. Nous sommes à un virage. Le Président de la République, en tant que Président de l’Union, va donner le « la » en matière de bilan de santé de la PAC d’ici la fin de l’année. En 2013, l’architecture financière de la PAC, 42 milliards d’euros, devrait être revue. Sa réforme anticipée ne devrait pas se résumer à une problématique budgétaire. Une prospective doit être assurée dans la mesure où d’ici une quarantaine d’années, la population mondiale atteindra 9 milliards d’individus. L’acte premier d’un agriculteur est de produire des biens de consommation, et il faudra produire plus et produire mieux. Jusqu’ici, les agriculteurs français n’ont pas spécialement abîmé la planète. Nous avons une réponse qui doit être, en la matière, de dimension européenne. Il y a une fracture entre une Europe du Sud, de production, et une Europe du Nord constituée essentiellement de marchands. L’envolée récente des cours des céréales a fait prendre conscience à certains pays parmi les 27 qu’il faut changer de mode de fonctionnement, mais le pas reste à franchir entre la perception et la mise en oeuvre.

Les sociétés latines sont inquiètes car crispées par la mondialisation, mais c’est une réalité. 80% de nos concitoyens sont des citadins qui ne savent plus comment est produit un litre de lait ou un steak, ce qui entretient d’ailleurs l’inquiétude, par le biais de la distanciation. Nous sommes obligés d’importer 75 % des besoins en protéines végétales pour nourrir le cheptel européen, dont 95 % voire 99 % sont d’origine OGM. Il n’y a pas de drame à cela, car les études scientifiques menées ces vingt dernières années n’ont pas pu prouver de nocivité en la matière. Pourtant il n’y a pas d’acceptation sociétale en la matière, car les politiques, de droite comme de gauche, n’ont pas été suffisamment courageux. La dernière loi votée au Parlement, transposition de la directive 2001/185, n’est pas une loi fondatrice sur les biotechnologies, mais une façon de calmer le jeu. La société française ne mute plus que par paliers

5 Directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement et abrogeant la directive 90/220/CEE du Conseil - Déclaration de la Commission

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alors que les choses vont très vite. Cela est inquiétant. Nos outils de production ne doivent pas être démantelés. Le découplage des aides à la production agricole, les fameux DPU6, était « OMC compatible », mais a démotivé les agriculteurs. Cela pourrait entraîner le départ d’un certain nombre d’outils de transformation. Il est ennuyeux, dans un environnement internationalisé, de ne pas prendre les bons virages, alors que le cycle de Doha n’est toujours pas conclu. L’Europe est prête à perdre des parts de marché faute de courage politique.

Concernant l’ingérence dans la chaîne alimentaire, elle est le propre de notre société, et se trouve décuplée par Internet. Le fait de s’intéresser à la chaîne alimentaire n’est pas un problème en soi, mais n’oublions pas que certaines personnes savent mieux que les autres : les chercheurs et les scientifiques. Or, ceux-ci sont moins entendus, car ils savent moins bien communiquer, et la parole leur est également moins donnée. Les politiques se retrouvent coincés entre tout cela, et finissent par légiférer sous la pression et dans l’émotionnel, ce qui encourage les erreurs. La loi de 1998 qui a permis la création de l’AFSSA et la mise en réseau avec l’AESA, suite aux travaux de nos collègues Huriet et Descours, a été une très bonne chose, mais nous ne savons pas utiliser, en Europe et à l’international, les outils à disposition pour mettre en place des clauses de sauvegarde pour actionner l’accord sanitaire et phytosanitaire, car cela n’est pas dans nos cultures. Si nous voulons protéger les consommateurs, cela est possible, mais il faut également leur dire la vérité : past is not beautiful, small is not beautiful. L’assiette est un repère du citadin, dans une société d’inquiétude, et le citadin étant un urbain, il se réfère à l’agriculture d’autrefois. Le mal est profond.

Brigitte MILHAU

Il y a donc un réel problème de communication sur les additifs en général. Qui doit communiquer ? Les politiques ? Les professionnels ? Les scientifiques ?

Louis ORENGA

Le problème est que nous sommes davantage dans la cacophonie que dans la polyphonie. Aussi nos concitoyens sont peu souvent confrontés aux consensus mais le plus souvent à la mise en avant des dysfonctionnements. Cela conduit, en matière de communication, suivant un système hérité du siècle passé, à opposer la publicité qui est émise par le secteur économique et perçue souvent comme trompeuse, et l’information autour de la presse qui, elle, est perçue comme évènementielle et outil de promotion des dysfonctionnements. La vraie question est de trouver une troisième voie qui permettra de rompre avec une approche de distanciation des gens par rapport aux produits et aux métiers. Il faut avoir des émetteurs crédibles de ces nouveaux messages, qui se soient mis d’accord sur ce qui doit être dit. Ces émetteurs doivent inspirer la confiance en réunissant à la fois des professionnels, des politiques, des associations de consommateurs, des scientifiques, etc... Aujourd’hui, chacun défend sa boutique, sans dialogue, et nous arrivons à des incohérences. On nous dit à la fois qu’il faudrait moins de bovins pour réduire les gaz à effet de serre, et donc qu’il faut manger moins de viande – je fais l’impasse sur le fait que les bovins produisent essentiellement du lait, 70% des bovins en Europe produisent aussi du lait. À côté de cela, les végétariens approuvent les produits laitiers, mais ne veulent pas de viande. À ce moment-là, on laisse les animaux dehors sans jamais les abattre, et les environnementalistes se mettent alors à leur tour à critiquer car il y a trop d’animaux. Personne ne peut arbitrer dans ces conditions, il faut retrouver un pilote dans l’avion et certains équilibres en matière de communication. Cela passe par le fait de repérer des instances qui pourront donner une information 6 Droit à paiement unique.

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générale, et non pas segmentée, et trouver des espaces d’information qui ne soient pas des espaces publicitaires.

Ces problématiques sont d’autant plus importantes dans le cas de situation de crise comme celle de la vache folle ou de la grippe aviaire. En effet, il est souvent préconisé d’utiliser la publicité au travers de spots. Nous ne savons pas donner une information en quinze secondes. De plus, il n’est pas question de faire intervenir des personnalités ou experts au sein d’un spot publicitaire. Nous nous sommes souvent heurtés aux problèmes d’information en cas de crise car la réglementation en matière de communication dans les grands média n’a pas prévu autre chose que la publicité. Il y a donc un problème réglementaire qui pourrait être posé dans le cadre des réflexions législatives sur la publicité.

Il y a enfin un problème de culture, lié au fait de pouvoir donner une information en temps de paix. Que tout le monde se mobilise en temps de crise, c’est très bien, mais il faut pouvoir donner des repères et des informations en temps de paix, pour ne pas arriver à des attentes sociétales qui n’ont plus rien à voir ni avec la réalité économique des opérateurs ni avec la demande des consommateurs. Il faut pouvoir développer cette information pour prévenir les crises, et surtout pour éviter des distorsions de concurrence. Lorsqu’une analyse de coût est faite, que ce soit sur l’environnement, le bien-être animal, le sanitaire, etc..., si cela coûte un euro, il faut prévoir trois euros pour l’expliquer aux concitoyens. Aucune entreprise ne pourrait se permettre de créer un produit, d’avoir une nouvelle technologie, et de ne pas communiquer dessus auprès des personnes. C’est pourtant ce qui est fait en termes de société. Le développement de l’information est au citoyen ce que le développement marketing a été au consommateur.

Brigitte MILHAU

L’on peut se demander si vous avez la conscience tranquille. En effet, pourquoi avoir attendu tout ce temps, pourquoi ne pas avoir communiqué, si vous avez la conscience tranquille ?

Philippe SCHMIDELY

Les nutritionnistes nous informent sur les besoins humains, qui sont visiblement changeants dans le temps, avec plus ou moins de protéines animales, végétales, etc... Communiquer dans ces conditions est difficile, et nous sommes obligés, dans un premier temps, de communiquer sur des choses moyennes, comme la quantité de protéines animales nécessaires par jour. Derrière ces données perdurent des incertitudes, et des modes de consommation se développent. Les lobbies agroalimentaires y ont également leur intérêt, et des communications ou allégations sont faites le plus souvent sur des bases scientifiques, mais en sachant qu’un niveau scientifique moyen du consommateur est délicat à atteindre. Il a par exemple été dit récemment, dans certaines émissions, que les consommateurs de viande contribuaient à la production de gaz à effet de serre au travers des ruminants. L’information émise par le journaliste consiste à parler des « pêts » du ruminant et à les quantifier à 400 à 600 litres de méthane par jour : cela est totalement faux puisque le ruminant « éructe » ce méthane. Le niveau de connaissance du consommateur moyen, parce qu’en effet il a été éloigné depuis longtemps du processus de production, ne nous permet pas de nous exprimer clairement et simplement à ce niveau.

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Brigitte MILHAU

Beaucoup de personnes du métier refusent quand même de venir s’exprimer, contraints par leur hiérarchie ou pour d’autres raisons.

Jean-Yves DOURMAD

Ce n’est pas forcément le rôle premier du chercheur de faire de la communication. Son rôle est de chercher et de publier les résultats, ce qui est une forme de communication, moins « paillette ». Cependant, dans le domaine de la production animale, nous n’avons peut-être pas suffisamment l’habitude de communiquer sur nos pratiques. Nous ne communiquons souvent que dans des contextes de crise.

Dans d’autres pays, j’ai vu des émissions, de type scientifique, présentant aux enfants et adolescents la façon dont fonctionne une vache, dont on produit du lait, dont on élève des porcs. En France, cela n’existe pas, alors que la science est une merveilleuse clé d’entrée pour expliquer les choses aux personnes et les aider à raisonner, à formuler leur propre opinion. Cela n’est apparemment pas dans l’habitude française de communiquer sur des choses qui ne font pas de bruit, effectivement. Il s’agit bien pourtant de former un esprit scientifique à la population, afin que celle-ci soit critique par rapport aux informations qu’elle reçoit.

Stéphane RADET

On peut rêver d’un monde où il suffirait que le professionnel dise au consommateur « ayez confiance », mais ce n’est pas le cas.

Le système a besoin d’un relais dans la diffusion de l’information, et cela peut être la puissance publique. Nous avons un système réglementaire, de veille et d’analyse très performant, en Europe et également en France. La puissance publique pourrait accompagner le message du professionnel en le cautionnant. Nous pouvons avoir la conscience tranquille par rapport aux productions, mais les pouvoirs publics ont un rôle à jouer, de par leur importance en termes médiatiques, sur la perception de notre environnement professionnel et des consommateurs sur ces aspects.

Brigitte MILHAU

Je crois fondamentalement que la fierté de son métier peut être un facteur important de bien-être. Même s’il est difficile d’entendre que les additifs de demain serviront à augmenter la production, il faudra bien pourtant un jour l’admettre, et pour cela le dire et l’expliquer.

Jean-Yves DOURMAD

Je voudrais préciser qu’en terme de communication, le plus important, pour le consommateur, mais aussi pour le citoyen, reste le produit, et les additifs jouent un rôle important par rapport à la qualité du produit. Le produit animal est un vecteur de nutriments pour l’homme, et ces nutriments dépendent aussi de la façon dont les animaux sont eux-mêmes nourris. Par exemple, on trouve des oméga 3 dans les produits animaux, car ils sont intégrés dans les aliments, et ce faisant, des antioxydants sont aussi nécessaires pour les conserver. Si des aliments sont bons diététiquement pour l’homme, c’est aussi souvent parce qu’on a mis des additifs dans les aliments des animaux qui les ont produits. Il faudrait communiquer davantage sur ce cheminement.

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Philippe SCHMIDELY

L’eurobaromètre est une estimation, réalisée au niveau européen, des opinions de tout un chacun sur des sujets très variés. Le dernier en date, paru en 2006 ou 2007, posait la question de savoir qui, face à des risques biologiques, est le plus légitime pour communiquer. Il est apparu que les plus légitimes étaient Greenpeace et WWF, et que les organisations professionnelles étaient les moins légitimes, précédées de peu par les chercheurs et les universités.

Il y a donc un contraste entre les attentes du public et certains détenteurs de la connaissance. La légitimité du chercheur, du scientifique, du professionnel, de l’expert, est très faible, et est de plus en plus remise en cause. Il vaut mieux être membre de Greenpeace – je n’ai rien contre Greenpeace – ou du WWF, et prédire des catastrophes qui seront de toutes façons oubliées si elles n’arrivent pas, car on n’est alors pas taxé de collusion financière, contrairement aux autres. La communication par la science, par l’expertise assure les verrous sécuritaires, mais ne permet pas tout.

Brigitte MILHAU

La perte de crédibilité des scientifiques remonte à de sombres affaires telle que celle du sang contaminé.

Jean BIZET

Je souhaite revenir sur le principe de précaution, abordé par Gérard Pascal. Cela n’a pas été facile de légiférer au Parlement concernant le principe de précaution, et je comprends les scientifiques et les industriels qui ont appréhendé ce principe comme un principe d’inaction – cf. le rapport de la commission Attali. Il n’était pas possible de faire autrement. Ce principe était déjà inscrit en pointillés dans plusieurs traités internationaux, et la France devait se doter d’un principe. Cependant, l’article 57 de la Charte de l’Environnement précise, concernant le principe de précaution, que « seules les autorités publiques, dans leur domaine d’attribution, peuvent le mettre en œuvre ». Ce principe a donc été circonscrit. S'il était utilisé il y a quelques années, par Greenpeace et WWF, comme un principe d’incantation, voulant devenir un principe d’inaction, les articles 88 et 99 de la Charte de l’Environnement précisent au contraire, que ce principe doit générer des actions « proportionnées et transitoires », et nous renvoient à la recherche et au développement. S’il faut omettre les articles 8 et 9 et ne retenir que ce principe de précaution comme moteur de l’inaction, il faudra alors avoir le courage politique d’écrire un principe d’innovation. Ce phénomène d’utilisation du principe de précaution comme principe d’incantation, se produit semble-t-il de moins en moins, mais il ne faut pas oublier que c’est à la recherche et développement d’apporter des solutions suite à des interrogations.

Brigitte MILHAU

Qu’en est-il de l’innovation et de la recherche et développement dans le secteur des additifs ?

7 Article 5. - Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en oeuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. 8 Article 8. - L'éducation et la formation à l'environnement doivent contribuer à l'exercice des droits et devoirs définis par la présente Charte. 9 Article 9. - La recherche et l'innovation doivent apporter leur concours à la préservation et à la mise en valeur de l'environnement.

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Jean-Yves DOURMAD

La communication est certes importante, mais n’oublions pas que le marché mondial des productions animales va doubler dans les quarante ans à venir. L'évolution sera limitée dans nos pays développés, mais très importante dans les pays émergeants. Dans ce contexte, certes des contraintes s’accumulent, et c’est sûrement l’innovation qui va permettre de profiter de ces opportunités de développement. Un regard vers le passé montre que le monde des productions animales et des additifs a su innover, et c'est dans cette capacité à innover que s'ouvrent les perspectives d’avenir.

En tant que chercheur, le principe de précaution est de prévenir ce qui peut arriver, et ceci justifie d’initier des recherches, comme celles relatives aux OGM. Initier des recherches sur les OGM c’est appliquer le principe de précaution par rapport aux risques à venir, car il faudra peut être utiliser ces techniques lorsqu’il y aura 9 milliards d’habitants sur la planète et que nous serons limités en terme de ressources alimentaires.

Jean BIZET

Mettre en place des recherches est un point positif, mais il y avait dans le domaine des biotechnologies 1 000 recherches en 1996, et plus aucune 10 ans après, car elles ont toutes été détruites. Nous vivons une société extraordinaire, mais les fondamentaux ne sont plus mis à leur juste place. Nous sommes dans une société de droit, et le curseur va devoir être remis là où il doit être.

Question du public

Les accords de Doha n’ont pas été signés au niveau mondial, et pourtant nous avons élevé des barrières importantes au niveau européen, par l’exigence de qualité de la réglementation européenne. Quelles conséquences macroéconomiques cela peut-il représenter pour l’Europe ?

Stéphane RADET

Au niveau de l’alimentation animale, les importations sont contrôlées au niveau du produit fini, en l’occurrence la viande. Pour l’alimentation animale européenne, le poids de ces contraintes, réglementaires ou autres, est immédiat. L’interdiction d’un produit en alimentation animale, les conditions de production de l’aliment ou d’élevage n’apparaissent pas sur les viandes importées. C'est-à-dire qu’il y a là un risque de voir importer de la viande et des aliments à base de viande, produite à partir d’animaux ne répondant pas aux critères européens de production et d’alimentation animales. Il s’agit d’une distorsion de concurrence qui nuit directement aux productions locales, européennes et françaises, et il faut veiller, au moment de répondre à des attentes sociétales ou autre, à bien avoir en tête le pendant de la conséquence de la disposition réglementaire ou contractuelle au travers du cahier des charges. Sans jeter la pierre aux pouvoirs publics, les organisations professionnelles sont dans leur rôle lorsqu’elles dénoncent ces distorsions de concurrence. Il faut un relais qui explique que nous avons besoin de produire sur le territoire national et communautaire, et il faut pour cela veiller à ce que les productions soient pérennisées avec des conditions acceptables par les professionnels.

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Louis ORENGA

L’approche collective devrait être instaurée dans les échanges. L’étiquetage de l’origine des viandes bovines est obligatoire en Europe : l’origine nationale pour un pays européen, l’origine « pays tiers » pour un pays hors Union européenne. Un pays qui exporte en Europe, va mettre en place l’étiquetage de l’origine sur un faible pourcentage de sa production. Les pays qui ont le droit d’hormoner peuvent très bien gagner beaucoup d’argent et faire, grâce à cela, du dumping en Europe, en exportant en Europe des produits non hormonés, qui représente une faible part de leur production. Cela constitue une forme de distorsion de concurrence « passive ». Ce n’est pas parce qu’un pays doit appliquer pour accéder au marché européen les mêmes contraintes que les producteurs européens, qu’il est aussi contraint que nous, car ces contraintes ne s’appliquent pour lui que sur une proportion infime de sa production. La traçabilité pour donner l’origine sur les produits label rouge et l’AOC fut aisée, à l’époque sur de petites quantités, mais celle sur tous les produits a représenté un véritable coût économique global pour la France et pour l’Europe. Il faut distinguer les distorsions de concurrence « proactives » et les distorsions de concurrence « passives », car des pays, qui, n’ont pas les mêmes contraintes que les pays européens, peuvent toujours répondre aux exigences communautaires sur une fraction de leur production, déstabilisent nos propres marchés en faisant du dumping sur une petite partie de leur production.

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Le triptyque de la consommation alimentaire en 2008

Prix

Santé

(prévention / sécurité)

Plaisir

(terroir, goût)Commodité

(gain de temps)

TABLE RONDE Nº 2 : ALIMENTATION HUMAINE

Introduction : « Evolution des attentes du consommateur en alimentation ».

Pascale HÉBEL

Nous allons reprendre le point de vue du consommateur acheteur citoyen.

L’alimentation est aujourd’hui devenue un sujet de société. Elle l’était il y a 10 ans seulement sur l’aspect pouvoir d’achat, elle l’est aujourd’hui quant à la nutrition, et lorsqu’il s’agit de comprendre comment l’on s’alimente et comment le principe d’incorporation intervient de la manière de consommer. Les choses évoluent vite, les représentations de l’alimentation bougent, l’actualité a des effets importants sur les arbitrages de consommation.

Au premier pilier de l’alimentation qui est le partage, la convivialité, le plaisir, cœur du modèle traditionnel français, se sont ajoutés deux autres piliers : le service, ou demande de praticité, de commodité, qui est en lien direct avec le rôle des additifs, et la santé/sécurité, dont la vache folle a été le révélateur, et qui a déclenché de vastes campagnes de communication de la part des industriels ou des pouvoirs publics.

À la question « qu'est-ce que bien manger ? » depuis toujours la réponse était celle du goût. En 2007, le consommateur français répond l’équilibre, et une majorité de personnes insistant sur l’équilibre alimentaire sont des jeunes. Il y a un renversement des comportements avec les nouvelles générations, qui sont mieux éduquées et donc plus expertes, même si elles ne sont pas « sachantes ». On peut leur expliquer plus de choses.

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Depuis le passage à l’euro, le ralentissement des dépenses alimentaires est-il conjoncturel ou structurel ? Va-t-il continuer, notamment en raison de l’inflation de 7 % qui a touché les dépenses alimentaires en 2008, avec une explosion des demandes de produits à bas prix depuis 2002 ?

Le nombre de personnes comparant les prix entre les magasins a augmenté de 16 % en un an. Le secteur de l’alimentation est le plus visé dans la recherche de prix bas.

La part des dépenses de l’alimentaire – incluant le hors domicile et les boissons alcoolisées – dans le budget total est restée stable sur une décennie avant 2002, avec une baisse d’un point en 10 ans. Puis, à partir du passage à l’euro, nous sommes passés de 21,3 % à 19,6 %, soit une baisse rapide de 1,7 % en 4 ans.

Les consommateurs cherchent donc à réduire leur budget alimentaire.

Coefficients budgétaires de l’alimentation(hors domicile et à domicile yc boissons alcoolisées)

Des arbitrages des consommateurs en défaveur de l’alimentation depuis 2003 – effet structurel ?

Source : Comptabilité nationale, INSEE

Poids : 35,7 en 1959

-1,7 pt en 4 ans-1 pt en 10 ans

23,923,7

23,523,523,6

23,222,9

22,622,3

22,122,122,3

21,821,5

21,021,3

20,8

20,3

19,919,6

21,821,5

21,321,321,3

21,221,3

21,4

25,325,0

24,4

19,0

20,0

21,0

22,0

23,0

24,0

25,0

26,0

1977

1980

1982

1985

1988

1990

1992

1995

1997

1999

2001

2003

2005

2007

Les Français comparent de plus en plus les prix entre commerces

« Ces derniers mois, est-ce que vous comparez les prix entre commerces : plus que d’habitude, autant que d’habitude, moins que d’habitude ? »

Source : CRÉDOC, enquêtes consommation

23,9%

64,7%

9,6%

1,8%

33,5%

58,6%

6,4%1,5%

50,8%

1,8%4,5%

42,9%

Plus que d'habitude Autant que d'habitude Moins que d'habitude Ne sait pas

2005 2006 2007 2008

+16 pt

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Ils recherchent de moins en moins la qualité, de plus en plus les premiers prix plutôt que les marques, et vont changer leur comportement alimentaire en cessant la consommation de certains produits. 60 % de la population française déclare en 2008 changer sa façon de consommer et réduire sa dépense. La question posée est donc de savoir si cela va durer. Le consommateur va-t-il se mettre durablement au hard discount ?

Sommes-nous capables, en termes d’innovation au niveau des additifs et ingrédients, de répondre de façon adéquate aux attentes des consommateurs ? On peut imaginer que ces attentes, structurelles, évoluent selon les générations.

Certaines générations sont en rupture par rapport aux générations précédentes, comme c’est le cas pour la génération dite « hypermarché », celle de la société de consommation, avec 2,3 M d’individus supplémentaires par rapport à celle d’avant. Cela contribue à créer de nouvelles évolutions sur les marchés.

Chaque génération va créer de nouveaux marchés.

Le modèle hypermarché est adapté à la génération correspondante, qui a des tailles de ménage plus importantes qu’aujourd’hui. Elle a vu apparaître la publicité, la télévision couleur, de nouveaux produits, notamment étrangers. A partir cette génération, les comportements alimentaires vont évoluer et les représentations vont changer.

Vient ensuite la génération « aliments services », qui correspond à une augmentation de l’activité féminine suite à mai 1968, qui augmentera dans les générations suivantes. Il y a une demande d’aliments transformés et de produits pratiques.

Les générations suivantes vont connaître le développement du « low cost », produit de qualité mais moins cher en jouant sur la présentation des produits et sur un modèle économique différent.

Les nouvelles générations, «plateaux repas », sont dans un état d’esprit différent par rapport à l’alimentation. Le budget alimentaire de la génération de nos grands-parents était de 30 %. Pour les générations les plus jeunes, cela n’est plus que 13 %. Beaucoup moins de temps est consacré à l’ensemble du processus alimentaire : les courses sont faites moins souvent, les tâches ménagères sont plus partagées entre hommes et femmes. L’alimentation est moins présente dans l’esprit : moins d’argent (en euro constant) et moins de temps y sont consacrés.

Rationnement

1917 à 192680 à 89 ans

20 ans en 1942

Les générations viventdes évènements différents

Hypermarché

1947 à 195650 à 59 ans

20 ans en 1972

Plateaux repas

1977 à 198620 à 29 ans

20 ans en 2002

Réfrigérateur

1927 à 193670 à 79 ans

20 ans en 1952

Robot électrique

1937 à 194660 à 69 ans

20 ans en 1962

Aliments services

1957 à 196640 à 49 ans

20 ans en 1982

Low Cost

1967 à 197630 à 39 ans

20 ans en 1992

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0

200

400

600

800

1000

1200

13-22 18-27 23-32 28-37 33-42 38-47 43-52 48-57 53-62 58-67 63-72 68-77 73-82 78-87 83-92

Les jeunes générations recherchent des plats tout prêts qui se conservent

Effets d’âge et de génération sur les conserves et plats préparés à base de viande

Génération

ALIMENT-SERVICES

(1957-1966)

Génération

REFRIGERATEUR

(1927-1936)Génération

RATIONNEMENT

(1917-1926)

Génération HYPERMARCHES

(1947-1956)

Génération LOW COST

(1967-1976)

Génération PLATEAU-REPAS

(1977-1986)

Génération PRIVATIONS

(1907-1916)

Génération ROBOT-ELECTRIQUE

(1937-1946)

En euros 2000 par an par ménage

Source : Enquêtes Budget des ménages, INSEE

Les nouvelles générations cherchent donc des produits leur permettant de gagner du temps, et d’éviter les corvées, d’où une demande forte de produits se conservant plus longtemps et demandant moins de temps de préparation. On recherche plus de temps pour les loisirs.

Cela se traduit ainsi par un fort effet générationnel sur les plats préparés et conserves à base de viande.

Si l’on suit la génération « réfrigérateur », quelque soit son âge, elle a toujours eu le même niveau de dépense en euro constant en plats préparés à base de viande ; et son niveau de dépense est plus élevé que la génération précédente.

La génération « Hypermarchés » (mai 68) est celle qui atteint, au même âge, le plus haut niveau de dépenses pour ces produits tout prêts. Celles-ci se stabilisent, après le départ des enfants du foyer.

Il y a une augmentation de la demande de produits tout prêts, liée aux générations. Cette tendance augmentant à chaque génération, le marché ne peut donc que croître. Les produits transformés vont inéluctablement remplacer les produits bruts, en ce qu’ils représentent une réponse à une demande en termes de gain de temps et de praticité. Jusqu’où les technologies, les innovations peuvent-elles aller pour répondre à ces attentes en termes de produits plus pratiques ?

Que peut-on dire de la montée des préoccupations « santé » ? Quelle place pour le plaisir et la qualité ?

La montée des préoccupations santé a été sensible depuis le passage à l’euro, avec l’augmentation de l’obésité, la crise ESB, une forte cacophonie et une médicalisation des messages. Cela a créé pour le consommateur une forme de culpabilité par rapport à sa façon de s’alimenter. De plus en plus de personnes considèrent en effet qu’elles mangent mal et se posent des questions.

À la question « Selon vous les produits alimentaires présentent-ils des risques pour la santé ? », le nombre de réponses positives augmente fortement en 2000 et en 2003, au moment des crises ESB. En 2007, le niveau est revenu à la normale.

Tranche d'âge

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En termes de critère d’achat, les garanties de sécurité occupent en France la première place, avant même le prix – en Allemagne, le prix est devant. Le prix arrive en deuxième place, le label « origine France » en troisième.

Jusqu’en 2007, les critères de qualité – labels – constituaient une motivation d’achat importante. Ce critère « label de qualité » s’est écroulé en 2008 de 10 %, dépassés par les critères environnementaux.

La marque, comme critère d’achat, a également baissé de 12 %.

83%

78%

81% 82%

76%

77%78% 79%

72%75%

71%

68%70% 67% 68%

58%

53%

65%66%

65%

45%

50%

55%

60%

65%

70%

75%

80%

85%

90%

1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

Le produit présente desgaranties d’hygiène et desécurité

Le prix est compétitif

Avant 2007: Le produit estfabriqué en France2007 et 2008 : Le produitest d'origine française

Le produit porte un labelde qualité

La marque vous inspireconfiance

Les critères « label » et « marque » comme motivation d’achat sont en chute libre…

« Voici plusieurs raisons d’acheter des produits de consommation. Pour chacune d’entre elles, dites-moi si elle vous incite personnellement (beaucoup, assez, un peu, pas du tout) à acheter un produit. » - Réponses « beaucoup » + « assez »

Source : CRÉDOC, enquêtes consommation

Forte progression du risque des traitements de cultureEn pensant aux risques liés à l’alimentation sur la santé des personnes, quels sont ceux qui vous

inquiètent le plus ? En 1er ? En 2ème ? En 3ème ?

1er cité

17,0

19,0

14,0

8,0

15,0

6,0

5,0

1,0

18,1

17,7

10,2

7,7

7,3

7,3

5,8

2,7

1,4

15,021,7Les traitements sur les cultures

Les épidémies animales

Les OGM

Contamination des aliments par les polluants présents dansl'environnement (exemple Tchernobyl)

Les colorants ou les conservateurs

Une alimentation déséquilibrée trop grasse ou trop riche en sucre

La présence de microbes / bactéries sur les produits alimentaires

Le dépassement des dates limites de conservation

Les allergies alimentaires

(Ne sait pas)

2006 2007

•Source : Baromètre alimentation 2007, Ministère de l’agriculture et de la pêche, CRÉDOC

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La baisse de la demande sur la qualité est continuelle depuis le début des années 2000 : de moins en moins d’attention est portée à ce critère. Les garanties écologiques du produit, composante citoyenne du critère d’achat, sont désormais passées devant le label et la marque, après l’effondrement de ces deux critères. D’autres critères ont baissé, dans le contexte actuel : l’éthique, le soutien des causes humanitaires et du droit des salariés.

Nous vivons une période où la préoccupation santé est forte, où le budget consacré à l’alimentation est moindre. Les dernières analyses montrent un certain retour à une alimentation qui revient à ses sources, mais la communication santé a distancié les individus par rapport à leur alimentation, notamment chez les plus jeunes. Nous avons créé une distance alors que nous étions culturellement très ancrés dans l’alimentation.

Le contexte actuel, avec les effets psychologiques des hausses de prix, rattrape une tendance de fond de défiance perceptible depuis 2002 en ce qui concerne l’alimentation et notamment les fruits et légumes, dont la consommation baissait sans hausse des prix. Mais que va-t-il se passer si la dimension plaisir est totalement abandonnée au profit d’une dimension santé – 10% à 15% des Français ne raisonnent plus qu’en termes de santé – et si les consommateurs finissent par abandonner la bonne qualité ? Cela peut conduire à des extrêmes, comme pour la femme cadre urbaine qui fait ses courses en comptant les calories, qui peuvent s’avérer néfastes. La recherche de prix bas est également une tendance lourde. Ces deux extrêmes nous conduisent vers de nouvelles bases. Le plaisir ne devrait-il pas être remis au goût du jour pour dépasser ces deux tendances ?

Manger pour vivre13%

Recherche de la qualité

19%

Recherche de prix bas23%

Alimentation plaisir22%

Alimentation santé15%

Alimentation diversifiée

8%

Source : Baromètre de l’alimentation, CREDOC pour le Ministère de l’agriculture

Typologie des consommateurs en 2007

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Débat entre les intervenants

Brigitte MILHAU

Comment le sociologue analyse-t-il ces changements et évolutions ?

Jean-Louis LAMBERT

Depuis quarante ans, en plus de l’évolution de la place des femmes dans la société, les effets de l’urbanisation sur les modes de vie ont été importants. Avec la hausse du niveau de vie, cela explique en grande partie la montée de ce que j’appelle les produits « prêts à manger ». Une part croissante de la population est en recherche de services de gain de temps associés aux aliments. Cela oblige les professionnels offreurs à, entre autres, utiliser des ingrédients et des additifs pour répondre à cette demande, et ils le font bien.

A la méconnaissance, s’ajoute la frustration de plus en plus grande des urbains de ne pas vivre dans un environnement de nature, notamment d’éléments vivants animal et végétal. Ils ont perdu complètement toute idée de la violence qui existe dans la nature pour le maintien de la survie de chaque espèce, qu’elle soit animale ou végétale. Les « hyperurbains » finissent par avoir une notion mythifiée d’une nature pure et parfaite dans laquelle « tout le monde il est bon tout le monde il est gentil », y compris les loups et autres animaux sauvages, qu’ils ne différencient plus de leurs animaux domestiques. Cette notion de « nature pure et parfaite » est lourde de conséquences. Par rapport aux autres produits de grande consommation, et encore jusqu’à récemment, les « mangeurs » s’approvisionnaient en aliments dans un environnement de nature situé dans leur espace de vie. Cela a sans doute marqué les représentations sociales, expliquant que l’aliment est un des rares domaines où cette référence au naturel soit si marquée.

Brigitte MILHAU

Des « visites à la ferme » sont organisées avec les écoles, qui relèvent plus du monde de Martine qu’autre chose, multipliant les contacts avec poussins et canetons dans un déni total de la réalité. C’est un peu la même chose au salon de l’agriculture.

Jean-Louis LAMBERT

Le système de production et de distribution s’est complexifié et internationalisé. Les personnes s’approvisionnaient en proximité il y a encore quelques dizaines d’années, mais ne voient aujourd’hui plus les aliments que sous des emballages dans les hypermarchés. La chaîne de production est une blackbox, une boîte noire marquée par l’absence de communication, absence entretenue par les images bucoliques. Les évolutions des représentations culturelles semblent se faire moins vite que celles des systèmes techniques et économiques. Le retard semble s’accroître.

Ambroise MARTIN

« Ce qui est bon à manger doit être bon à penser ». Les sociologues nous ont beaucoup éclairé sur la difficulté à faire changer les comportements alimentaires et sur un certain nombre de risques liés à des générations ne voyant plus que des aliments emballés, sur lesquels le Parlement européen pousse à inscrire les informations nutritionnelles et surtout celles à risque. C’est une bonne chose de prendre la nutrition au sérieux, mais il ne faut réduire l’aliment à sa seule fonction de nutrition, et, au sein de cette

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fonction, à celle porteuse de risque cardiovasculaire ou de cancer. Cela devient quelque peu dramatique, et je me réjouis que le ministère de l’Agriculture ait encouragé la réflexion sur le plaisir et le goût dans le cadre du PNNS.

Concernant les allégations santé sur les produits, nous sommes encore au milieu du gué. La réglementation a été adoptée fin décembre 2006, mais beaucoup de travail technique reste à fournir. Nous travaillons beaucoup à l’Autorité européenne de sécurité des aliments pour la validation des 3 000 allégations que nous a transmises la Commission européenne, extraites de la liste des 43 000 transmises par l’ensemble des États membres. Nous devons rendre un avis d’ici juillet 2009, puis la Commission rendra sa décision en janvier 2010. À partir de ce moment-là, les industriels ne pourront plus utiliser que ce qui sera inscrit sur cette liste, ou alors ils devront monter un dossier. Un sérieux tri devrait être fait, et l’utilisation des allégations sera conditionnée par le respect des profils nutritionnels. Il est donc possible que cela calme l’enthousiasme « nutrition santé » qui s’est emparé des industriels. Un rééquilibrage pourrait se faire entre les différents aspects de l’alimentation : nutrition, praticité, plaisir, et prix.

Pascale HEBEL

Les jeunes générations sont moins prêtes à acheter plus cher pour des signes officiels de qualité, et achètent moins souvent des labels de qualité.

Éric SEYNAVE

La perception de qualité est ce qui pousse le consommateur à choisir un produit plutôt qu’un autre. Ces derniers mois ont été difficiles pour ceux qui ont investi dans ce domaine, notamment parce que les produits dits « premiers prix » ont fait d’énormes progrès, et se sont rapprochés, en termes de qualité, des standards élaborés par les grandes marques.

Le consommateur est suivi à la loupe mais chaque crise sanitaire fragilise la relation qui relie le consommateur et le fabricant. De nouveaux paradoxes apparaissent : pendant trente ans, l’objectif a été de produire en quantité suffisante. Aujourd’hui, pour le consommateur, l’offre n’est plus un problème et il a l’embarras du choix, sauf peut-être à dire qu’il consomme trop. L’épidémie d’obésité ne fait qu’exacerber ce sentiment et en une génération, nous sommes passé de l’obsession de produire plus à celle de consommer moins.

Le consommateur considère que l’environnement est maltraité et rêve d’un retour à la nature tel le bon sauvage de Rousseau. L’aliment transformé est souvent perçu comme « contre nature », et nous devons gérer ce paradoxe, car ces produits sont plus pratiques et plus rapides à préparer, donc plus demandés. Ces contradictions sont difficiles à gérer et souvent mal comprises du grand public.

Le point crucial est le niveau de confiance de la population dans la chaîne alimentaire. Confiance du consommateur vis-à-vis de l’industrie, des pouvoirs publics vis-à-vis des scientifiques, du consommateur envers tous ceux qui communiquent sur le sujet, que ce soit les leaders d’opinion, les politiques ou les acteurs économiques (industriels, distributeurs, etc…). Que ce soit en alimentation animale ou en alimentation humaine, la problématique est de restaurer et de préserver cette confiance, en évitant de désigner systématiquement des boucs émissaires. Malheureusement, ce rôle échoit souvent aux industriels !

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Brigitte MILHAU

Finalement, il ne faut donc pas avoir peur d’en parler. Les additifs sont indispensables à l’alimentation actuelle. Ce sont donc deux messages simples sur lesquels il est possible de communiquer. Pourquoi cela n’est-il pas fait ? Pourquoi l’additif alimentaire conserve-t-il une image négative ?

Éric SEYNAVE

Cela fait environ 8 000 ans, depuis qu’il cherche à améliorer son alimentation, que l’homme utilise des additifs pour la rendre plus sûre et plus agréable, tel que le sel, le salpêtre, etc. Les industriels ont certes accéléré le processus durant les cinquante dernières années, mais cela s’est fait dans le souci permanent de la sécurité et de la qualité des aliments. La France a longtemps été précurseur dans ce domaine. Mais le problème est que l’additif, conçu dans une perspective de sécurité et de qualité, est au contraire perçu aujourd’hui comme un danger et comme un risque.

Ambroise MARTIN

Lors d’un groupe de travail du PNNS sur la place de la nutrition à l’école, nous nous sommes rendu compte que la problématique des additifs n’apparaissait que dans les programmes d’une unique section technologique. Les sociologues ont attiré notre attention sur le fait que l’image de l’alimentation diffusée à travers l’ensemble des manuels scolaires est rurale et artisanale, aussi bien par les exemples que par les illustrations et photographies – une jolie vache seule dans un champ, et non pas une batterie de poulets. Nous sommes conditionnés dès l’enfance. Une approche plus réaliste sur les modes de production des aliments pourrait éviter ce décalage de perception, qui est une des raisons de la genèse des crises.

Jean-Louis LAMBERT

Les recherches en sciences sociales sur ce sujet-là sont loin d’être suffisantes. Le problème est sans doute lié à un manque d’informations, aussi bien sur les formations de base que sur les informations communiquées par l’ensemble des professionnels. La réalité de l’évolution du système de production a sans doute été camouflée en entretenant des images bucoliques.

Mais le problème ne va pas être résolu avec de simples informations, car nous, les « mangeurs », ne réagissons pas vis-à-vis des aliments comme pour les autres produits. L’approche professionnelle et scientifique d’un aliment ne doit pas faire oublier celle du mangeur, qui se demande simplement s’il a envie de le manger.

Ainsi un pourcentage très élevé d’individus, confrontés à la présence d’un cheveu dans leur potage, enlève ce cheveu. Si le potage a été préparé par un membre de la famille, cela ne pose pas de problème, mais s’il est industriel, il y a rejet du potage, et à plus forte raison si cela se produit dans un restaurant. De la même façon, plus de la moitié des personnes acceptent de finir l’assiette d’un membre de leur famille, moins de 5 % sont susceptibles de terminer celle d’un inconnu dans un restaurant. Nous raisonnons donc autant en termes de pureté et d’impureté imaginaire qu’en termes scientifique.

Le problème est que contrairement au sel, que nous trouvons dans la nature et que nous ne faisons que collecter, les additifs sont le résultat d’une grande intervention de l’homme dans la nature. Cette intervention embarrasse les gens, qui pensent que la vie et la mort sont contrôlées par la nature.

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Lorsqu’il est dit à des personnes que la sélection génétique existe depuis le début de l’histoire de l’humanité, il est répondu que les espèces sélectionnées venaient de la nature. Des croisements ont été faits, mais cela était des croisements au sein de la même espèce. Les nectarines étaient rapportées à la nature, la castration du chapon excusée culturellement. Pour les OGM, le problème est que l’homme est considéré comme « créant du vivant », donc apprenti sorcier. Nous sommes sur un registre de pensée magico-religieuse, qui n’est pas du tout celui utilisé par les professionnels et les scientifiques. C’est donc la cacophonie. Les mêmes informations ne déclenchent pas les mêmes effets. Le fait de communiquer sur les additifs d’origine naturelle passe certes mieux, mais lorsqu’on essaie de dire que cela n’a pas de sens du point de vue scientifique, ce n’est pas accepté.

Gérard PASCAL

Nous avons parlé de la perception, et non pas des comportements. Nous avons évoqué des réponses à des questions qui ne correspondent souvent pas au comportement réel du consommateur. Il faut aussi ajouter des études d’économie expérimentale.

Le terme d’ « additifs » raisonne avec celui de « chimie », et « chimie » est antinomique de « naturel ». La chimie évoque également les résidus de pesticides, les accidents liés aux industries chimiques. Cette chimie serait à bannir, mais il ne faudrait pourtant pas oublier que tout ce que nous utilisons au quotidien, comme nos vêtements, doit quelque chose à la chimie.

Pourquoi les additifs ? Les additifs sont une vieille histoire. La liste de Villejuif remonte à plus de trente ans, et ressurgit régulièrement, sans que personne ne parvienne à lutter contre cette perception des additifs alimentaires. On peut parler d’ « additifs martyrs » en ce qui concerne les carraghénanes ou l’aspartame. S’attaquer à ces produits, cela fait vendre. On ne peut pas lutter contre les articles de la grande presse qui touchent un nombre considérable de consommateurs. En termes de communication, les scientifiques doivent s’engager et ne pas rejeter la faute de la désinformation sur les autres partenaires, mais cela reste très difficile.

J’ai dû assumer des positions difficiles lors de la crise de la vache folle – on me considérait alors comme un traître à la nation parce que le comité européen que je présidais n’avait pas suivi la position française – et lorsque j’ai voulu expliquer les raisons de la position prise à Bruxelles, il m’a fallu deux mois pour obtenir un tiers de page dans Le Monde. Les personnes qui avaient une position alarmiste avaient pu s’exprimer beaucoup plus facilement. Il faut avoir l’accès aux grands médias, et la question se pose de savoir comment le scientifique peut avoir accès à ces grands médias. La dernière fois que j’y ai eu accès, c’était à la télévision et ça concernait les OGM, mon nom a été déformé et hors du contexte, on a réussi à me faire dire le contraire de ce que j’avais dit lors de l’interview, sur une séquence d’une dizaine de secondes. Je m’interroge : faut-il communiquer dans les médias si le discours de la communauté scientifique, donc celui de l’expertise collective, n’a plus aucune valeur ?

Jean-Louis LAMBERT

Il y a des points communs avec l’industrie du médicament, puisque les médicaments, comme les aliments, s’ingèrent et touchent au domaine de la vie et de la mort.

Il y a une opposition faite entre les scientifiques et les profanes. Ce dernier terme était utilisé pour distinguer les quidams des hommes sacrés. Cela signifie que nous avons, dans nos représentations, fait glisser l’univers de la science derrière le rôle traditionnel des prêtres. Et nous attendons de la science ce que nous attendions des prêtres, ou du pape, à savoir que le scientifique détienne la vérité. Mais cela

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est antinomique avec la conception scientifique. Lorsque les scientifiques traitent d’un sujet sur lequel il ne peut y avoir de consensus, faute de connaissances suffisantes, les profanes sont alors désorientés, car les savants ne savent plus. Les scientifiques, une fois descendus de leur piédestal sacré, deviennent alors des impurs, plongés dans la mêlée économique de l’ « argent sale », et perdent leur crédibilité et la confiance qu’ils inspirent.

Brigitte MILHAU

N’y a-t-il pas une volonté d’avoir une perception erronée de la nature, pour ne pas voir la réalité, comme l’élevage des poulets en batterie ?

Jean-Louis LAMBERT

Lors de la crise de la vache folle, la peur a été amplifiée lorsqu’on a appris qu’il y avait une éventualité de transmission à l’homme. Mais avant cela, quel était le principal rejet ? Une partie des mangeurs ont été choqués par le fait d’apprendre que les nourritures données aux vaches étaient faites à partir d’os, de plumes, de sang, récupérés dans les abattoirs, autant de choses que le mangeur moderne destine à la poubelle. Dans l’imaginaire du mangeur, les « déchets » donnés aux vaches se sont donc naturellement retrouvés directement dans leur assiette. De plus, il y avait la notion de transformation des vaches d’herbivores en carnivores. Tout cela rimait avec impureté et représentait une forme de transgression des lois de la nature, qui justifiait, dans l’imaginaire de certains mangeurs, le fait qu’il y ait des malades, comme forme de punition.

Gérard PASCAL

Un ouvrage datant de 1907 relate pourtant l’intérêt des farines animales pour l’alimentation des vaches laitières, faisant référence à une communication de l’Académie de l’agriculture datant de 1873.

Brigitte MILHAU

Comment faire alors pour communiquer ? Aujourd’hui sur Internet, on trouve des informations concernant les additifs, qui sont souvent farfelues. Ne pas communiquer, c’est laisser la place à d’autres. Il serait peut-être bien de créer un petit livre objectif expliquant ce que serait la vie sans additifs.

Ambroise MARTIN

Les scientifiques sont contraints par le temps pour communiquer : nous ne pouvons pas tout faire. Nous essayons néanmoins de continuer à communiquer, au travers de colloques comme celui-ci, au travers de la formation des professionnels dont nous avons la charge.

Nous essayons de faire notre métier le mieux possible, en mettant en place des systèmes d’expertise qui peut-être un jour pourront retrouver la confiance en étant fiables et transparents, tant au niveau de la sélection des experts – attirer les meilleurs – qu’au niveau de la qualité, à travers des processus de valorisation de l’expertise. L’expertise collective doit être développée, ainsi que les meilleurs modes de gestion des conflits et déclarations d’intérêts. Il faut être transparent. Pour ma part, il sera indiqué sur le site de l’EFSA que j’ai été invité par le SYNPA. Il faudrait d’ailleurs que cela ne soit pas qu’à sens unique. Il est exigé du scientifique une transparence que l’on ne demande pas toujours au militant

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d’ONG. Mais j’essaie plutôt de développer de façon positive ce que l’on nous demande, en étant à l’écoute et en essayant de dialoguer au maximum avec les autres acteurs de la chaîne, en essayant de pousser au Conseil national de l’alimentation pour le développement d’une autre expertise que celle strictement scientifique. C’est la seule visible, tandis que l’expertise sociétale n’est pas organisée, et cela manque aux décideurs qui doivent s’y appuyer pour prendre leurs décisions.

Éric SEYNAVE

Nous manquons d’espace pour des communications collectives. Sur ces thèmes, il est toujours préférable de faire intervenir des organisations professionnelles qui peuvent donner une information pédagogique, sans être taxées de défendre telle ou telle marque ou des intérêts particuliers. Le colloque du SYNPA va dans ce sens. Nous devons commencer par discuter et partager ces principes entre nous. Nous devons ensuite communiquer largement en utilisant les supports les mieux adaptés (Internet, presse, colloques et audiovisuel). Il est également important de bien comprendre le comportement des consommateurs et les études sont des outils indispensables pour nourrir nos réflexions.

Brigitte MILHAU

Si vous parvenez à ce que le consommateur vous défende, vous aurez gagné. Et pour cela, il faut commencer par lui expliquer ce que sont les additifs.

Ambroise MARTIN

Un numéro hors série de 60 millions de consommateurs vient de sortir et s’intitule « Manger sain ». Il inclut un petit chapitre sur les additifs, et offre une clé de décodage. « Les additifs sont tous évalués par les agences de sécurité et sont considérés comme sains, dans l’état actuel des connaissances… ». Les trois points de suspension entretiennent la permanence d’un certain doute.

Pascale HÉBEL

Sur les OGM, l’acceptabilité est de plus en plus forte, grâce aux débats qui ont eu lieu sur le sujet, au moment du vote de la loi. Le rejet était lié à l’ignorance, et aujourd’hui, certains avantages des OGM sont cités par les consommateurs.

Gérard PASCAL

En termes de communication des scientifiques, il faut savoir que les jeunes scientifiques, dans les organismes de recherche et les universités, ne veulent plus communiquer auprès des grands médias –radios et télévisions – car ils ont peur des risques de ce type de communication. Pour nous les plus anciens, je pense que le plus efficace consiste à aller sur place dans les lycées, les universités, et à dialoguer avec les jeunes. Dans le cadre de « l’Université de tous les savoirs », l’étape suivante consiste en une série de dialogues entre des scientifiques et des classes de lycée. J’ai ainsi par exemple participé à une conférence/débat sur les OGM au lycée de Garges les Gonesse-Sarcelles, et cela a été passionnant. Les premières réactions sur les OGM étaient très négatives, puis les jeunes et leurs enseignants ont été amenés à se poser des questions qui les ont fait progresser dans leur réflexion. Cela est pareil dans les universités, notamment auprès de celles traitant des sciences économiques et

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sociales. Il faut convaincre les jeunes que leurs a priori sont souvent faux, et surtout les conduire à recouper des informations et à faire fonctionner à plein leur esprit critique.

Question du public

Une fois que le regroupement est fait pour une action collective, il faut acquérir ensuite une certaine légitimité. L’évolution de la réglementation a favorisé ce genre d’élément. Cela est vrai pour les additifs, les compléments alimentaires, l’alimentation et les étiquetages. Mais il ne faut pas sous-estimer les problèmes que nous pouvons rencontrer avec :

- Les consommateurs, au travers d’associations de consommateurs dotées d’un a priori éminemment négatif envers les représentants du « grand capital ».

- Les scientifiques, qui peuvent porter des jugements sur notre activité. N’est-il pas possible que des sièges occupés par les experts dans les comités d’expert de l’AFSSA le soient par des gens qui ont travaillé dans des sociétés et qui savent en quoi consiste la réalité économique ?

Ambroise MARTIN

C’est effectivement un important débat. Cela existait avant dans les groupes de travail du Conseil supérieur d’hygiène publique de France. Cela avait des avantages, mais il a été jugé, à la création de l’AFSSA, que les inconvénients les dépassaient, car une enceinte scientifique n’est pas le lieu de considérer les aspects économiques. Nous avons des missions très précises d’évaluation de la sécurité, de l’innocuité des substances et de la véracité du discours santé qui leur est associé. Ce n’est pas à nous de juger de l’intérêt économique d’un secteur. Les comités sont ainsi faits que les frontières entre l’évaluation scientifique stricte et la gestion, au travers des différentes recommandations, sont parfois mouvantes et floues. Dans les comités européens, les différences de culture permettent d’évacuer plus facilement tout ce qui n’est pas d’ordre scientifique, ce qui est plus difficile au niveau national.

Les associations de consommateur sont dans le conseil d’administration de l’AFSSA, au même titre que des représentants des industriels, mais au sein des comités d’expert, il n’y a que des scientifiques.

Gérard PASCAL

Il est effectivement dommage que des membres de comités d’experts spécialisés puissent porter des jugements sans être informés des réalités du terrain. Il faut cependant reconnaître que les professionnels ont quand même une responsabilité par rapport à cela. Nous avions réussi à obtenir, il y a 20 ans, au sein du conseil d’hygiène, que des scientifiques émanant de l’industrie soient intégrés aux groupes de travail en raison de leurs compétences. Cela a rapidement conduit à une représentation formelle des professionnels, et les choses ont alors dégénéré, avec la défense d’intérêts catégoriels. C’est la raison de la situation actuelle et de leur exclusion totale des instances d’expertise

Question du public

Les journalistes, qui nous prennent pour des cibles faciles, en recourant au sensationnel. Il faudrait au contraire qu’ils se débarrassent de leurs a priori.

Brigitte MILHAU

Il est à souhaiter que les additifs soient mieux acceptés à l’avenir. Il y a là rencontre de deux méfiances entre les producteurs et les mangeurs, et entre les producteurs et les journalistes. Il serait bien de passer de la méfiance à la confiance.

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SYNTHÈSE

Christian BABUSIAUX.

Je vais tenter d’insister sur les éléments positifs mais sans dissimuler les réalités, même si elles peuvent paraître rudes, que votre industrie devra à mon sens, prendre en compte et assumer pour faire face au double défi que représentent pour vous le contexte économique d’une part, les réactions des consommateurs et de l’opinion d’autre part.

Vous le savez bien, et c’est de cette réalité qu’il faut partir pour être efficaces, pour l’opinion et pour une grande partie des médias, les additifs technologiques ont une connotation négative, comme les colorants, parfois considérés comme trompeurs pour le consommateur voire, comme présentant un risque cancérigène. Mais une partie des additifs nutritionnels a une image positive, comme les produits vitaminés, les oligoéléments ou autres ingrédients alimentaires, qui suscitent un véritable intérêt chez le consommateur, parce qu’ils sont considérés comme porteurs de santé ou de « forme », de bonne condition physique. Il y a donc une ambivalence dans la perception des additifs, et l’attitude des consommateurs face à votre industrie peut basculer d’un côté comme de l’autre. Tout n’est pas noir, et si l’opinion est toujours sensible aux aspects négatifs, elle attache de plus en plus d’intérêt aux aspects positifs des additifs.

Dans ce contexte ambivalent et instable, il faut repérer les tendances lourdes.

La première est que les questions de prix et de pouvoir d’achat vont, dans la période à venir, être très probablement déterminantes. À cet égard, le contexte n’est pas près de se stabiliser, et nous allons certainement assister au prolongement d’une situation dans laquelle le prix des matières premières varie fortement, bouleversant sans cesse les sources d’approvisionnement et induisant des substitutions fortes dans la composition des produits de l’industrie alimentaire. Ces fluctuations interviendront sur un fond d’évolution du niveau général des prix qui peut lui-même suivre deux scénarios. L’émission monétaire incontrôlée des dernières années a conduit à des bulles spéculatives sur les matières premières, l’immobilier et les produits financiers. Dans cette situation, les bulles peuvent crever, entraînant une déflation, c'est-à-dire un fort tassement des prix, ou à l’inverse, comme cela est arrivé dans le passé, entraîner une inflation généralisée qui, en quelque sorte, fasse que le niveau général des prix rattrape les bulles, et qui éponge les dettes des acteurs économiques et des Etats en diminuant leur valeur réelle. On peut aussi concevoir que se succèdent deux phases : une de dépression-déflation puis une d’inflation. Il faut aujourd’hui considérer que toutes les industries doivent s’apprêter à vivre une période prolongée d’incertitude.

Une autre tendance lourde est celle du pouvoir d’achat stagnant, voire déclinant, pour les salariés depuis l’été 2001 ; et il y a peu de chance pour que cela s’arrange dans la période à venir. Dans ce contexte, l’alimentaire subit la concurrence d’autres consommations obligées, telles que la santé (10 %), les cotisations retraites (5 %), les loyers (10 %), l’énergie et les transports (10 %), auxquelles s’ajoutent les dépenses de communication au travers de différents abonnements (téléphone, fournisseurs d’accès). Avec l’alimentation, on aboutit à un total d’environ 40 % à 45 % de consommations contraintes. L’alimentation représente donc entre 1/5 et 1/4 des consommations ressenties comme obligées par le consommateur. Or, elle en est aujourd’hui l’un des postes les plus adaptables – l’énergie par exemple l’est vraisemblablement moins. L’industrie alimentaire, confrontée à cette compétition qui se joue pour les consommateurs entre leurs consommations obligées, va chercher à jouer sur les additifs et ingrédients pour s’adapter à cette réalité en baissant ses coûts.

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Outre ces facteurs tenant aux prix et au pouvoir d’achat, il faut, pour comprendre les attitudes des consommateurs, faire la différence entre les perceptions des consommateurs et leur comportement. Dans les comportements concrets, la praticité des produits demeure un aspect très déterminant pour le consommateur. En ce qui concerne la perception des produits, celle-ci demeure marquée par la méfiance des consommateurs, mais il faut éviter deux erreurs dans l’interprétation. Il ne faut pas croire que cette méfiance se focalise nécessairement sur l’industrie des additifs. A l’inverse, il ne faut pas croire qu’on puisse totalement surmonter cette méfiance. La confiance comme la méfiance sont des choses subjectives. Vous êtes souvent attaqués, mais vous n’êtes pas les seuls. La méfiance existe vis-à-vis de l’alimentation, mais elle s’exprime également vis-à-vis de tout ce qui est complexe, qu’il s’agisse de produits ou de services : en témoignent les évènements actuels sur les produits financiers, qui confirment l’idée selon laquelle « ce qui est complexe est dangereux ». Dans le domaine de l’alimentation, les « accrocs » survenus sur des problèmes de sécurité alimentaire, sont source d’une méfiance durable et il serait contre-performant de nier cette réalité. Ils ont certes entraîné des réactions excessives dans la perception par l’opinion et dans la présentation des faits dans les médias mais ils montrent que tout n’était pas parfait. Ce qui explique leur écho dans l’opinion, c’est qu’ils sont intervenus dans un contexte de méfiance et d’individualisme grandissant. Le « sans additif », le simple, a dès lors un attrait pour les consommateurs. Les journalistes ne sont pas tendres avec vous, mais je vous rappelle que l’opinion n’est pas non plus tendre avec les journalistes, comme avec la publicité, dont les citoyens se méfient là encore, de plus en plus. Pour ce qui vous concerne, la méfiance joue d’autant plus que l’aliment est une consommation obligée. Le consommateur est à juste titre moins méfiant vis-à-vis d’un produit auquel il peut renoncer. Le fait que l’additif n’apparaisse pas clairement, et que la compréhension de la raison de son utilisation ne soit pas chose aisée, est pour le consommateur un facteur supplémentaire de méfiance. Il ne faut donc pas critiquer cette méfiance, mais plutôt la prendre en compte, vivre avec elle, l’incorporer dans le comportement de l’entreprise.

Nous sommes dans une société qui connaît un accroissement des phénomènes de substitution. Les mouvements des matières premières, les progrès de la chimie pour transformer les produits, la mondialisation avec l’information rapide des consommateurs – société de zapping – l’explique. Les effets de substitution réalisés par un consommateur « zappant » en fonction de son intérêt direct vont accroître durablement l’instabilité pour les industries.

Dans ce contexte apparaît, depuis environ 18 mois, une sorte de syncrétisme santé/environnement, qui à la fois renforce et complique le partage entre le « sans » et le « avec », des produits pouvant être à la fois préjudiciables pour l’environnement et bons pour la santé, ou inversement. La contrainte santé/environnement, la recherche de produits qui concilient ces deux aspirations sont à mon sens durables : l’espérance de vie étant de plus en plus longue, les gens supportent de moins en moins les « accidents » de santé. Ils sont de plus en plus sensibles à l’environnement. Ce n’est pas une simple mode, mais une tendance lourde.

Se pose alors la question de l’image et de la communication, qui a été largement débattue dans ce colloque. Pour vous, il s’agit de faire pencher la balance du bon côté entre l’image négative – liée à la perception de certains de vos produits et parfois véhiculée injustement - et celle positive, dont bénéficie une autre partie de votre activité. Cette question est évidemment importante.

Certains intervenants ont mis en relief le rôle que l’État pourrait jouer en la matière. Permettez-moi d’être dubitatif sur ce point. L’Etat arrive à un niveau de crédibilité très bas dans les sondages, et en particulier sur les sujets alimentaires, et ce niveau est situé guère au dessus de celui de l’industrie elle-même. De plus, il n’a aujourd’hui que peu de moyens, et cela va continuer dans la mesure où les moyens de l’Etat vont désormais être absorbés à soutenir l’économie et à faire face à une dette qui se

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creuse de façon exponentielle. Il s’apprête à devenir famélique, étranglé entre la baisse de ses recettes induite par la crise et le poids de ses engagements. En outre, ses forces dans votre domaine sont dispersées. En matière de politiques de l’alimentation, persiste un jeu des quatre coins entre l’AFSSA10, la DGAl11, la DGS12 et ce qu’il reste de la DGCCRF13. S’y ajoute le rôle de l’InVS14. Chaque institution a des qualités, mais il n’est pas possible d’avoir une parole cohérente, claire, unique, et convaincante de l’État dans un tel contexte d’atomisation institutionnelle.

Aux yeux de l’opinion, les études d’opinion le montrent constamment, les plus crédibles ne sont ni l’Etat ni même les experts, ce sont les associations de consommateurs, malgré les limites de leurs moyens et parfois des réactions que vous estimez injustes.

Il faut bien sûr travailler sur la communication comme l’ont souligné plusieurs intervenants mais, dans ce contexte, ne vouloir travailler que sur la voix de la communication serait risqué à plusieurs titres.

D’abord, il ne faut pas s’acharner à vouloir redresser l’image sur des terrains trop minés, sur des sujets à caractère fortement passionnel. Sur ces sujets, je ne crois pas que vous puissiez prendre autre chose qu’un profil bas. Sur les OGM par exemple, il faut prendre acte que ce sujet est miné et passionnel, et reconnaître que toutes les informations données par l’Etat et par l’industrie au public dans ce domaine n’ont pas été très claires, concernant les cultures ou les conditions d’expérimentations par exemple. Indépendamment même du fond du sujet, le terrain est aujourd’hui trop dégradé par les erreurs antérieures.

Ensuite, on ne communique durablement que ce que l’on est, au-delà de la magie verbale dont l’effet ne dure qu’un instant. Pour une industrie, l’essentiel se situe dans le moyen et long terme, c’est-à-dire dans un travail de fond sur la réalité de ce qui se passe dans les usines, dans les circuits de distribution, dans la composition des produits. Les images véhiculées par la publicité restent trop idylliques et peuvent être contre-performantes à terme parce qu’elles entretiennent un décalage entre la réalité du produit et ce qu’il affirme être, donc créent un risque de crise de confiance quand cette réalité apparaît. Le consommateur est méfiant envers la publicité, justement en raison de ce décalage excessif, même si par définition la publicité ne peut que reposer en partie sur le rêve.

Il n’est pas possible de miser sur l’État, car celui-ci est lent alors que le contexte est de plus en plus mobile. L’essentiel est l’adaptabilité de l’entreprise. L’État peut accompagner des initiatives, comme en témoigne la possibilité désormais ouverte aux entreprises de signer des chartes d’engagement volontaire, projet sur lequel vous le savez, j’ai travaillé début 2008 avec les ministères concernés. Dans les temps durs à venir, l’atout majeur sera l’adaptabilité à l’évolution des mentalités et à la situation économique qui risque de voir se multiplier les microcrises sur certains approvisionnements ou les prix de certaines matières premières. L’industrie des additifs se trouve au carrefour de toutes ces contraintes : environnement, santé, économie, société, prix, perception des consommateurs.

Dans ce contexte, le SYNPA, avec la richesse de ses diverses composantes et sa capacité de réflexion professionnelle, peut avoir aujourd’hui un apport encore accru pour compléter par des actions collectives celle des entreprises et en contribuant à leur nécessaire adaptabilité. Les défis que vous avez à relever sont autant de perspectives stimulantes, et notamment pour le SYNPA.

10 AFSSA : Agence française de sécurité sanitaire des aliments 11 DGAl : Direction générale de l'alimentation 12 DGS : Direction générale de la santé 13 DGCCRF : Direction générale de la concurrence, de la consommation et la répression des fraudes 14 InVS : Institut de veille sanitaire