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SOMMAIRE4 RÉCIT D'EXPÉRIENCE - Trois enfants et la mer -

10 L'ÉVEIL DE L’ŒIL Territoire Pratique Vision

32 RÉCIT D'EXPÉRIENCE - La Guyane -

40 ŒIL ET PAYSAGE - La perception du sublime - Edmund Burke - Emmanuel Kant - Lucrèce - Confucius Didi Huberman - Walter Benjamin Caspar David Friedrich William Turner Ferdinand Holder Mark Rothko

76 RÉCIT D'EXPÉRIENCE - Montréal/Chicoutimi -

80 PAYSAGE URBAIN - Lumière artificielle/synthétique - Robert Venturi - Bruce Bégout Johann Rivat James Turrell

102 RÉCIT D'EXPÉRIENCE - New York -

106 DÉTAIL

112 BIBLIOGRAPHIE

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Trois enfants

et la merJe vois trois enfants âgés de 5 à 10 ans. Le plus petit muni d’une trottinette se presse, s’essouffle pour suivre les foulées des deux grands. Il ne fait pas très beau le ciel est gris, les manteaux sont gonflés par une multitude de couches. L’aire est vif, iodé, et s’engouffre dans les moindres recoins. Il remplit les poumons et donne une légère sensation de vertige.Les enfants sont impatients, euphoriques, courent et sautent sur tous ce qu’ils trouvent. La frustration scolaire de la semaine, mêlée à une densité atmosphérique chargée en ions, leur donne une respiration plus efficace, des performances sportives améliorées au même rythme que leur humeur, leur tonus et

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leur concentration. Je leur prédis un sommeil réparateur et une vulnérabilité au stress infime. Mais pour le moment place à la frénésie.Ils connaissent les lieux, les dunes de sable sont depuis longtemps déjà leur espace d’expérimentation, de parcours et de refuge. Des restes de béton armé, formes lisses et rongées par les marées, sont échoués sur la plage. Ruines d’une histoire qu’ils ne connaissent pas encore mais qu’ils s’approprient pour y créer la leur. Les plans inclinés sont gravis par les grands, dévalés sur les fesses par le plus petit. Le sable volatil agité par le vent vient piquer les joues et craquer sous les dents.

La plage est pour eux un espace sans limites, où leurs envies de création sont assouvies autant que celle de destructions. Tout ce qui y est construit est éphémère.Les voilà tous les trois à bout de souffle, des galets dans les mains, face à la mer. Ils regardent tous dans la même direction, esquissent des mouvements de balancier au rythme des vagues.Le petit commence à se rapprocher de l’eau puis s’arrête. Il laisse la pointe de ses chaussures effleurer l’allonge des vagues. Il regarde l’écume et s’agenouille pour écouter la mousse crépiter sur le sable.

PLAFF!!

Sans prévenir une gerbe d’eau vient lui monter à la figure, le faisant tomber à la renverse. Les deux grands dans leur subtile mesquinerie avaient cherché les cailloux les plus performants pour pouvoir créer la plus belle éclaboussure. Amusés que leur stratégie réussie et ayant prit le goût aux explosions aqueuses, ils continueraient de jeter le plus loin possible ces pierres. Sans aucun but ni cible à part l’horizon, seule ligne à dépasser pour gagner.

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Pris dans leur fougue de toucher cette ligne, ils négligèrent celles à leurs pieds. Ce qui leur coûta une paire de chaussettes mouillées jusqu’aux chevilles.Leurs réflexes face aux représailles de l’océan, qui lui, en avait marre de se prendre des cailloux sur le dos, ne sont pas assez rapides. Cela peut être en raison de leurs derniers combats qui ont absorbé leur énergie ou du manque de stabilité dans le sable. Leur attention se focalisa sur cette nouvelle ligne, véritable monstre mangeur de chaussures. Ils se prirent à jouer avec cette limite, narguant ce rythme incessant qui ne parvenait pas à les toucher. Trop prévisible.

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Archive vidéoCapture d’écran,

1998

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L’ÉVEIL DE L ’ Œ I L

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L’ÉVEIL DE L ’ Œ I L

-LA GENÈSE-

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Il y a un commencement, un élément déclencheur qui vient forger les prémisses d’une réflexion. Pour ma part, il s’agit du territoire dans lequel j’ai évolué. Un espace qui m’a forgé et qui a su éveiller mon corps et mon esprit. Ce développement est ce que j’appelle, l’éveil de l’œil. J’aborde mes recherches avec une méthodologie heuristique. J’explore la question à travers mon expérience et mon vécu, pour ensuite la comprendre, la clarifier et conceptualiser les découvertes faites lors de cette expérience. J’articule ainsi mes découvertes afin de pouvoir les communiquer et offrir un regard sur ce qui nous entoure. Je me suis découvert comme «homme spectateur», lié au territoire, nous développons notre regard. Ici je suis confronté à une impuissance face aux éléments naturels ce qui m’oriente vers la contemplation. Le rapport que je construis avec mon environnement éveil un questionnement sur l’impact qu’il peut avoir sur l’homme et sur sa représentation. Puis, je me suis placé comme «homme acteur», en m’affirmant grâce à une pratique. Il s’agit du sport de glisse, cette discipline m’a permis de découvrir une philosophie de vie, un esthétisme mais aussi de m’exprimer, affirmer mon corps et créer un lien tactile avec les différentes surfaces. Grâce à cet outil (Surf, Skate, Snow), je peux comprendre les caractéristiques de chaque surface que j’exploite, ses variations, sa formation, allant de l’océan et ses vagues aux architectures inclinées et bétonnés. La mise en relation de la vision et du touché m’oriente et me permette d’atteindre «l’homme réflexif». En exécutant un retour sur soi, sur sa pensée, cela permet une prise de conscience et un examen approfondi de sa propre démarche et ainsi saisir sa perception. Ma pratique artistique et le monde de l’art m’apparaissent comme étant des endroits pouvant accueillir toute cette expérience accumulée. Je cherche aujourd’hui à conceptualiser mon regard, mes questionnements pour ainsi les offrir dans un autre langage.

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Falaises de la HagueLe Landemer,

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TERRITOIRE-L’homme spectateur-

Je parle d’un territoire spécifique auquel j’appartiens, dans lequel j’ai forgé mon regard, mes racines et ma culture. La proximité que j’ai eu avec les éléments naturels, et plus précisément de la dualité entre Mer et Terre, m’a permis d’y voir toutes leurs supériorités face à l’homme. Une présence que je pourrais rapprocher de divine. Je suis né dans la campagne, dans un monde agricole qui a su me transmettre l’amour de la nature et de la terre. Le territoire, la région dans laquelle j’ai grandi est une péninsule dans le département de la Manche, situé au Nord-Ouest de la France. Ce territoire est une avancée de roches dans la mer, battues par les vents et les marées. Grandir face à l’océan m’a donné la possibilité d’ouvrir mon imagination, j’ai vécu dans une liberté de contemplation totale. Ou le paysage se livrait à moi dans sa forme la plus «brute» et «pure», où le contacte avec les éléments se fait naturellement et simplement.La notion «d’homme spectateur» apparaît en résonance à cette expérience. Il s’agit d’un positionnement face au monde qui se dévoile et de la relation intime que l’individu crée avec son environnement. Cette relation passe par l’apprentissage de nos sens, la vue est fondamentale pour l’observation cependant l’ensemble des sens doivent être mis à contribution pour se laisser envahir pleinement.

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J’ai toujours était fasciné par l’océan, par ce monde qui s’étend à perte de vue, la sérénité qu’il dégage mais également effrayé par sa force, son obscurité impénétrable et le tourment qui l’accompagne. L’océan a toujours était une source d’inspiration, de légendes et de fantasmes. Il nous offre l’horizon sans obstacle, l’image d’un ailleurs. Je reste fasciné par ce rapport à l’océan, par sa profondeur qui nous repousse autant qu’elle nous attire.

Tous étaient si affolés par l’image de la terre absente, qu’ils auraient, je crois, mangé de l’herbe avec plus d’enthousiasme que les bêtes. Enfin un rivage fut signalé; et nous vîmes, en approchant que c’était une terre magnifique, éblouissante.(…) Aussitôt chacun fut joyeux, chacun abdiqua sa mauvaise humer. Toutes les querelles furent oubliées, tous les torts réciproques pardonnés; les duels convenus furent rayés de la mémoire, et les rancunes s’envolèrent comme des fumées. Moi seul j’étais triste, inconcevablement triste. Semblable à un prêtre à qui on arracherait sa divinité, je ne pouvais, sans une navrante amertume, me détacher de cette mer si monstrueusement séduisante, de cette merci infiniment variée dans son effrayante simplicité, et qui semble contenir en elle et représenter par ses jeux, ses allures, ses colères et ses sourires, les humeurs, les agonies et les extases de toutes les âmes qui ont vécu, qui vivent et qui vivront !En disant adieu à cette incomparable beauté, je me sentais abattu jusqu’à la mort; et c’est pourquoi, quand chacun de mes compagnons dit: «Enfin ! «je ne pus crier que «Déjà !».

Baudelaire«Le spleen de Paris»

Déjà! p97-98

Lithographie, 201557x76cm

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Je me suis souvent reconnu en elle, comme si mes émotions étaient absorbées et renvoyées dans cette immensité sous différentes formes, le calme plat, les reflets du soleil sur l’eau, le rythme des vagues, la marée qui remonte, les rouleaux qui s’écrasent et laissent derrière eux un lit d’écume blanche, les remous sereins et tourmentés semblants parler de quelques âmes enfouies dans les profondeurs.Ses multiples facettes, aussi changeantes que l’esprit humain, me permettent de prendre du recul, comme s’il m’était possible de m’observer. On y guérit nos blessures. Elles forcent le spectateur à l’humilité. On ne s’amuse pas avec l’océan, il peut vous écraser et vous dévorer. Sa brutalité est dévastatrice et pourtant il peut être lumineux, délicat et tendre comme l’homme peut être brutal, mesquin, épouvantable et pourtant nous avons cette capacité de tendresse, de chaleur, d’empathie et de générosité.C’est face à tout cela que j’ai compris et accepté que chaque chose a son équilibre et que sur cet équilibre les deux opposés sont autant importants pour ressentir pleinement les choses comme ici la sérénité et le tourment. Dans un sens, la montagne et la mer sont identiques, la montagne s’élève avec le choc des plaques tectoniques puis retombent avec l’érosion. Semblable aux vagues qui lèvent et s’écroulent. Elles existent sur des échelles de temps différentes, rien de plus.La présence de l’homme sur la terre, le met dans une position de spectateur face au choc de l’élément eau. C’est ce sentiment d’impuissance qui me fascine, considérer la nature comme «divine», c’est-à-dire supérieure en tout point par rapport à l’homme. Mais la nature de l’homme est de comprendre les choses pour ensuite les maîtriser. L’homme voue un culte aux forces créatrices et supérieures mais il a également besoin de s’en affranchir, de les comprendre.

DOUBLE PAGE:«Les Broyés/ Les Divisés», 2015

Gravure sur bois86x44cm

«J’ai vu les montagnes comme les vagues s’écrouler», 2016Gravure sur bois, Acrylique sur toile70x 100 cm

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PRATIQUE-L’homme acteur-

Le passage à «l’homme acteur» met en évidence l’évolution de mon observation, par une analyse basée sur le corps dans l’espace. Cette transition se fait par le biais de la pratique du sport de glisse, considérée comme étant plus qu’un simple sport mais comme une philosophie de vie ou se mélange différentes cultures (musical, plastique…) dirigées par une énergie repoussant les limites du corps et de l’esprit.

La rencontre avec cette pratique m’a amené à étudier le paysage urbain, l’architecture (ruine, béton, plan incliné, …) mais aussi à développer mon esprit critique sur la société. Cela m’a permis d’exprimer mes émotions différemment, de créer un contact avec les différentes surfaces. J’y ai découvert une culture de l’image liée aux médias et à la culture populaire.Ce sport est une forme de développement personnel, les défis sont constants et obligent à utiliser l’esprit pour vaincre la matière. Il s’en dégage une sensation de liberté qui rapidement peut se transformer en obsession tenace. La glisse produit une sensation de vertige qui nous donne, l’espace d’un instant, la possibilité de détruire la stabilité de la perception.

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Les skaters par leur nature même, sont une guérilla urbaine. Ils font un usage quotidien de la charge et des structures technologique que leur offre le développement d’une ville, de mille manières que les architectes originaux ne pourraient rêver. Vous tracez des lignes lorsque vous roulez, vous appartenez à une certaine structure cognitive du skateboard. Vous êtes constamment entrain de redéfinir ce que sera votre trajectoire, vos objectifs. Vous prenez des décisions conscientes et ce sont

des décisions esthétiques. Donc, je pense que le reste du monde de l’art vient naturellement aux (skateboarders). Deux cents ans de technologies Américaine a involontairement créé une aire de ciment massive, au potentiel illimité. Mais ce ne sont que des esprits de 11 ans qui ont su voir ce potentiel. Nous parlons d’attitude, la capacité de faire face à un ensemble de circonstances prédéterminés et d’en extraire ce que vous voulez et jeter le reste. Le plus illégal ils le font, le plus

attrayant ils le deviennent.

Craig Stecyk«SkateBoarder Magazine«Vol. 2, No. 2 Fall 1975

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Cette sensation provoque une paralysie et développe une fureur aveugle, le but étant de maîtriser ce vertige. On ne peut jouir du vertige que par la maitrise du frisson. La passion moderne pour le risque, le choc s’enracine dans un contexte de crise du sens. En prenant le risque de mourir ou de se blesser, tout en se donnant les possibilités de s’en sortir, l’individu se prouve la valeur de son existence.La vitesse procure une griserie favorisant un sentiment d’exaltation, d’autosatisfaction, un relâchement des instances de contrôle du Moi. Un instant, elle donne le sentiment de s’appartenir, de maîtriser ses choix, loin du rythme et du stress des sociétés contemporaines. Cette pratique de la glisse fait appel à un état d’équilibre où chaque force en action agit de manière égale et garde le corps dans un état de repos qui peut être précaire. Cette notion d’équilibre contient deux opposés qui s’accordent sur un point central et cela dans une sorte d’interdépendance. Je considère chaque chose que je perçois mais également que je ressens, que ce soit physiquement ou psychologiquement, comme étant régis par cette notion d’équilibre. Il s’agit d’une régulation des forces et d’une compréhension d’un tout, car pour obtenir cet équilibre, il faut connaitre et comprendre ce qui le forme. Lorsque je suis face à l’océan je perçois sa force qui vient se confronter à une seconde, celle de la terre. Ces deux puissances s’affrontent dans une lutte infinie, laissant une zone marquée par leur impact et en perpétuelle évolution. Cet équilibre des forces est également perceptible dans nos émotions. Lorsque le tourment s’éveille au plus profond de nous et entre en conflit avec une sérénité déjà en place, une oscillation émotionnelle s’exerce sur notre esprit.

L’expérience accumulée durant notre vie nous permet de développer notre perception. Cet apport phénoménologique donne une importance particulière au sens du toucher, le fait de déployer des sens autres que celui de la vue permet de découvrir différentes facettes de notre espace. Ce rapport tactile de perception, nous permet d’appréhender l’espace dans sa totalité. La perception de notre monde ne peut se faire uniquement par la vue, elle demande également un rapport direct, un contact physique, un rapprochement avec la chose perçu.

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V I S I O N-L’homme réflexif-

La peinture est pour moi le moyen, par la création d’image, de faire passer des émotions, de traduire mon rapport au monde. Ce médium me permet de créer et d’exprimer le rapport que j’entretiens avec ma génération et mon environnement.Le regard contemplatif que j’ai développé, c’est révélé être proche de celui apporté par les peintres de la période Romantique (1770-1850). Proche de la nature et questionnant la place de l’homme, le romantisme promeut le sentimentalisme, le drame, le désordre et l’exaltation, la couleur et la touche. Cependant, je suis également né à une époque où les écrans sont partout et dans lequel défilent, devant nos yeux et dans un flux incessant, des images. Des images qui peuvent faire le tour du monde en un clic et être disponibles en permanence. Nous disposons de nombreux dispositifs techniques d’enregistrements, de reproductions qui ont bouleversé la pratique de la peinture.

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L’expérience est le moteur de ma réflexion. Le fait de percevoir les choses m’amène à essayer de les comprendre, les retranscrire pour en révéler les facettes invisibles ou accentuer l’atmosphère, l’aura que j’y perçois. Mais pour cela, il faut passer par un apprentissage comme je l’évoquais précédemment, l’expérience de la vue amène à celle du toucher qui conduit à la pensée et à la compréhension.Condillac parle de ce rapport au sens et à la réflexion dans «Le traité des sensations «datant de 1754. Il nous donne l’exemple de l’aveugle recouvrant la vue, à laquelle la jouissance de ce spectacle, du mélange de la lumière et de la couleur produite dans toute la nature ne lui est toujours pas accessible. Il s’agit là, de nouvelles sensations qu’il éprouve et seule la réflexion peut le lui faire découvrir et lui en donner la véritable jouissance. Il nous donne également l’image d’un tableau sur lequel nos yeux seraient fixés. Lorsque nous le voyons tout entier, nous ne pouvons pas encore nous former une idée déterminée. Pour cela, nous sommes obligés d’en considérer toutes les parties, les unes après les autres. Pour comprendre le sujet qui se présente face à nous, il nous faut passer par un ensemble d’expériences. Chacune d’elles, nous permet de saisir une facette de cet objet, en nous sensibilisant à différents modes de perception pour ainsi créer et enrichir notre réflexion. En rapportant cette analyse à ce que je développais plus haut. Pour atteindre l’éveil de l’œil, comprendre ce que je perçois, je me suis confronté à l’expérience du territoire qui a mis en exergue le sens de la vue et la profondeur du paysage. Mêlant cette expérience à celle du contact direct, grâce à ma pratique de la glisse, y intégra le sens du toucher. Tout cet apprentissage me donne accès à une perception de l’espace et au développement de la notion «d’homme réflexif». Ce terme évoque une prise de conscience, un désir de compréhension et d’explication. Je conçois l’art comme un renouvellement perpétuel, une évolution, un enseignement de ce qui s’est passé pour créer à nouveau sans jamais atteindre de but ultime.

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Quand une inquiétude passe, comme ombre ou lumière de nuage, sur vos mains et sur votre faire, vous devez penser que quelque chose se fait en vous, que la vie ne vous a pas oublié, qu’elle vous tient dans sa mains à elle et ne vous abandonnera pas. Pourquoi voulez-vous exclure de votre vie souffrances, inquiétudes, pesantes mélancolies, dont vous ignorez l’œuvre en vous? Pourquoi vous persécutez vous-même avec cette question: D’où vient tout cela, où va tout cela? Vous savez bien que vous êtes évolution et que vous ne désirez rien tant vous-même que de vous transformer.

Rainer Maria Rilke, «Lettres à un jeune poète», p62.

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La Guyane

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973, premiers pas en Amérique du Sud, deuxième plus grande région de France et seconde la moins peuplée. 98% du territoire est couvert d’une forêt équatoriale, le poumon de la planète, la forêt Amazonienne. Elle n’est pas vraiment considérée comme étant une destination touristique mais plutôt comme un territoire sauvage propice aux aventures les plus immersives . Si j’ai eu l’occasion d’aller la bas c’est parce que mon grand frère y a vécu plus de 3 ans.

Le climat équatorial humide offre une chaleur moyenne de 25 degrés et les précipitations annuelles déverse près de 3m d’eau par an. La forêt guyanaise est une forêt primaire qui contient une extraordinaire biodiversité qui reste extrêmement fragile. C’est une terre de mythe et de légende, son histoire est sombre et reste inscrite sur les murs des villes. On peut y ressentir une certaine souffrance liée au passé colonial, à l’esclavagisme ou encore à la ruée vers l’or encore présente dans les esprits. Mais ce qui reflète bien la rudesse de cette région, c’est lorsque vous parcourez les ruines des îles du diable et du Salut, célèbres pour avoir accueilli le capitaine Alfred Dreyfus ou encore le légendaire Papillon, où la végétation reprend ses droits avec une telle force et rapidité que l’on croirait y voir figé dans l’écorce des arbres qui ont poussés au milieu des cellules, les corps et esprits des bagnards meurtris par l’horreur quotidienne.

Nous sommes ici bien loin des paysages paradisiaques des cartes postales où les plages blanches au sable fin côtoient une mer transparente aux reflets turquoise. Ici le sable est sombre presque noir, venant du cœur de l’amazone par ses multiples fleuves chargés de vase, colorant les eaux d’un marron épais et inquiétant.

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Cependant le contact avec un paysage si hostile fait émerger un sentiment primitif, éveillant l’instinct, une soif de découverte où le corps se confronte à une nature profonde capable de le digérer. La Guyane offre des expériences uniques grâce à une proximité avec une nature souveraine. Un territoire rempli d’une pureté brute.

Je me souviens d’une expérience marquante par son paroxysme. Nous étions partis plusieurs jours en trek dans la forêt pour atteindre le site des «savanes roches». À plus de deux heures de route de la première ville, suivie d’une randonnée d’une après-midi, nous nous enfonçons de plus en plus profond dans une forêt où tout y est sur-dimensionné. Accueillis par un arbre aux feuilles rose, qui illumine, dans un contraste d’une végétation verte, le chemin menant à notre campement. Une fois au sommet des roches, une vue panoramique se déploie devant nous, dominant toute la canopée Guyanaise, au cœur d’une nature indomptable. Cette vue nous offre le spectacle d’un phénomène fascinant, la formation de nuages. Les nuages s’extirpent de l’épaisseur de la forêt dans un mouvement plein de douceur. Il s’agit d’un processus d’évapotranspiration, un transfert d’eau vers l’atmosphère par l’évaporation au niveau du sol et par la transpiration des plantes. L’eau du sol et l’eau interceptée par la canopée passent progressivement de l’état liquide à l’état gazeux, faisant éclore de la cime des arbres une portée de nuages.Notre campement se résume à une série de hamacs fixés aux arbres puis recouverts d’une légère toile alvéolée

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antimoustique. Cet abri rudimentaire est appelé «carbet», simple assemblage de bois sans mur, typique des cultures amérindiennes, nous offre une proximité constante avec

l’environnement. Le paysage est à couper le souffle, sans défense rien ne peut nous atteindre. La nature se montre dans toute sa générosité, envolée de couples d’Ara au plumage vivement coloré sur fond de coucher de soleil. Le crépuscule, la nuit tombe et nous emmène dans un nouvel univers. Ici pas de pollution lumineuse, nous entrons dans les abysses ponctués de lueurs étoilés. Le noir est profond, épais, étouffant, la lueur du feu réconforte. La forêt regorge de vie et lorsque la cécité arrive avec la nuit, les autres sens sont décuplés. L’odorat est pris par un mélange de feux de bois et de sueur encore humide. L’ouïe est elle en effervescence, une multitude de sifflements, de hululements, de cliquetis, mais à l’affût du moindre craquement. De nouveaux sons se réveillent avec la nuit tombée, un hurlement qui glace le sang, comme une âme errante en lévitation entre les arbres. Des singes hurleurs. «Baboune» le hurleur roux, plus facile à entendre qu’à apercevoir, il pousse un cri qui résonne jusqu’à

16 km à la ronde. Un souffle long et puissant semblable à une lamentation. À l’époque des premiers conquistadors espagnols, ce cri venu du fin fond de la forêt était considéré comme celui du diable. Lui seul était, selon eux, capable de glacer le sang de ses ennemis de cette façon.Au lendemain de cette nuit forte en émotions, nous prîmes la route du retour, encore bouleversé par tant de découverte et de beauté.

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Une fois de retour, sorti de la profondeur de la forêt, un second spectacle nous attendait. Cependant d’un tout autre genre, au paroxysme le plus total de notre monde. La Guyane est réputée pour deux choses. Premièrement, pour son contact direct avec la forêt Amazonienne que nous venions d’expérimenter dans ce qu’elle a de plus primitif. Et la seconde pour sa position géographique privilégiée, proche de l’équateur avec une large ouverture sur l’océan. Condition optimale pour la création d’un centre spatial. Depuis 1964, la Guyane abrite la porte spatiale de l’Europe, situé à Kourou à quelques heures de route de Cayenne.À peine sorti de la forêt, encore dans mes rêves, j’allais assister à une démonstration à la pointe de la technologie. Cette technologie qui nous permet de quitter la Terre, de sortir de l’atmosphère pour rentrer dans un espace de vide et d’infini où le temps et l’espace sont totalement bouleversés. Quel choc de vivre un tel décalage de réalité. Nous nous sommes alors posté sur un point d’observation, attendant le décompte et l’envolée fracassante de la fusée. Le lanceur était Ariane, à son bord un satellite de communication. Nous étions à plusieurs kilomètres de distance mais l’appareil avait toujours l’air aussi gigantesque. Périmètre de sécurité aérien, des hélicoptère de l’armée effectuaient des rondes au-dessus de nos têtes, dans une ambiance à la Apocalypse Now. J’étais déjà impressionné par la proximité que j’avais avec ces appareils, le décollage s’annonçait bouleversant.Le décompte se met en route, tout le monde à son appareil photo braqué sur le projectile, je retiens mon souffle dans une euphorie difficile à maîtriser. 5.4.3.2.1... Décollage…Un grondement lourd, une déflagration, des vibrations se font ressentir jusqu’à nos pieds. La fusée se décroche du sol, poussée par une flamme d’une puissance jamais vue, elle s’envole, la gravité n’a plus d’impact sur elle. La puissance du réacteur et telle que la flamme qui se déploie derrière déplace de trois fois la taille de la fusée. Elle illumine le ciel, déchire

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les nuages et grimpe de plus en plus haut. Tout le monde a le regard absorbé par ce spectacle à couper le souffle. On ne perçoit maintenant qu’une lueur dans le ciel, on m’annonce qu’elle à maintenant quitté notre atmosphère, cela aura prit quelques minutes seulement et la voilà en dehors de notre monde, dans ce ciel que je regardais hier et par lequel je me trouvais comme absorbé.

Après cet enchaînement d’expériences, cette frénésie de réalité opposants deux mondes, mon esprit s’est perdu pendant plusieurs heures. Prit dans un sentiment d’extase par ce qu’il y a de plus intense dans la confrontation des opposés.

Décollage de la fusée Ariane, vu du mont Carapa

Guyane

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ŒIL ET P A Y S A G E

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ŒIL ET P A Y S A G E

-La perception du sublime-

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Le «sublime», comment saisir ce sentiment? Est-il seulement un sentiment ou bien aussi un critère esthétique? Comment est-il identifiable? À quel moment et par qui? Ce concept est autant vague qu’intense et c’est pour ces raisons qu’il me suit depuis plusieurs d’années. Je suis, depuis mon enfance, sensible aux questionnements qui émergent de cette idée. L’éveil de mon œil s’est fait face aux paysages qui en abritent la plus forte intensité. Cependant comment percevoir quelque chose qui n’est pas visible mais qui libère une telle force au plus profond de vous? Je cherche à situer et comprendre comment le sublime est défini, perçu et comment il a évolué. J’aime être confronté à des sensations qui gardent une part de mystère, simplement pour avoir à l’esprit que tout n’est pas forcément maîtrisable, ni visible au premier regard.

C’est à partir du 18ème siècle et jusqu’aux Romantiques que l’on voit se développer un goût esthétique pour la nature sauvage, l’océan, la montagne, la tempête, la foudre. Les sentiments que ces récits et ses images suscitent ne sont pas ceux de l’harmonie mais ceux de la peur, du dépassement des limites de l’homme, de l’informe, de l’incompréhensible ou de l’infini. Ils semblent émerger d’une catégorie esthétique à part, celle du «sublime». Le romantisme envisage le paysage comme expérience et non comme représentation, le sublime apparaît comme la catégorie esthétique privilégiée d’une telle ambition. De nombreux philosophes et théoriciens, comme Edmund Burke avec «la recherche philosophique sur l’origine de nos idées du sublime et du beau» (1757-1759) et Emmanuel Kant avec «la critique de la faculté de juger» (1790), ont tenté de saisir cette sensation bouleversante.

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La passion causée par le grand et le sublime dans la nature, lorsque ces causes agissent le plus puissamment, est l’étonnement, et l’étonnement est cet état de l’Âme dans lequel tous ses mouvements sont suspendus par quelque degrés d’horreur. Alors l’esprit est si rempli de son objet, qu’il ne peut en admettre un autre, ni par conséquent raisonner sur celui qui l’occupe. De là vient le grand pouvoir du sublime, qui, bien loin de résulter de nos raisonnements, les anticipe, et nous enlève par une force irrésistible. L’étonnement, comme je l’ai dit, est l’effet du sublime dans son plus haut degrés, les effets inférieurs sont l’admiration, la vénération et le respect.

Edmund Burke, «La Recherche philosophique sur l’origine de nos idées du sublime et du beau»p101-102v

Si le 18e siècle voit le «sublime naturel» se préciser, l’émotion qu’il dégage remonte bien plus haut dans l’histoire. Lucrèce poète philosophe latin du 1er siècle av. J.C nous offre dans son livre inachevé «de la nature des choses», sous la forme d’un long poème passionné décrivant le monde selon les principes d’Épicure, peut être la première réflexion sur l’idée du sublime.

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On voit avec plaisir dans le sein du repos,Des mortels malheureux lutter contre les flotsOn aime à voir de loin deux terribles arméesDans les champs de la mort au combat animéesNon que le mal d’autrui soit un plaisir si douxMais son danger nous plaît quand il est loin de nous.Heureux qui retiré dans le temple des sagesVoit en paix sous ses pieds se former les orages,Qui rit en contemplant les mortels insensésDe leur joug volontaire esclaves empressés,Inquiets, incertains du chemin qu’il faut suivre,Sans penser, sans jouir, ignorant l’art de vivre,Dans l’agitation consumant leurs beaux jours,Poursuivant la fortune, et rampant dans les cours.Ô vanité de l’homme ! ô faiblesse ! ô misère !

Lucrèce «De la nature des choses»,

Passage dans la traduction de Voltaire(«Dictionnaire philosophique», art. «curiosité»)

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Pour que le sublime opère, il faut qu’une certaine distance intervienne entre la catastrophe, la contemplation du spectacle et le témoin. Cette condition est nécessaire pour qu’un plaisir se fasse ressentir. Burke précise que lorsque les dangers ou les douleurs sont trop proches, ils ne peuvent donner aucun délice et sont simplement terribles, mais à distance et avec certaines modifications, ils peuvent être délicieux. Cette distance est redoublée lorsqu’il s’agit d’une représentation, on parle ici de «sublime pictural». Une fascination s’exerce sur le spectateur qui ne peut arracher son regard de ce spectacle où se mêlent plaisir et effroi.L’opposition complexe du sublime et du beau est un sujet fondamental dans l’histoire de l’art. L’utilisation de la notion de sublime est différente de celle de la notion de beauté. Elles se confondent en histoire de l’art car la notion de sublime est souvent utilisée pour qualifier ce qui est ressenti comme souverainement beau. Pourtant dans l’usage philosophique de la notion de sublime, elle s’oppose à l’idée du beau. Ces deux significations évoquant l’une la beauté extrême et l’autre la terreur sublime sont capables de provoquer un plaisir immense, mais se différencient l’une de l’autre. Cette notion de sublime n’a cessé d’évoluer prenant la forme d’une émotion esthétique. Kant atteste dans ses écrits de ce sentiment de terreur, de l’expérience de la peur. Il prend comme exemple des rochers qui se détachent comme une menace, l’océan déchaîné, l’orage, les volcans, l’ouragan, le fleuve puissant évoquant une nature qui se déchaîné et met en péril la sûreté de l’homme. La nature est sublime dans le sens où elle en appelle à notre force intérieure. Cependant il évoque que le sublime n’est contenu en rien dans la nature mais davantage dans le sentiment que provoque en nous le vaste océan tant que nous nous trouvons en sécurité. La peur pétrifiante d’être englouti par la vague appelle la force qui est en nous de pouvoir y résister et le plaisir de l’épreuve nous anime de nouveau. Ce sentiment de peur pétrifiante et ce désir de la combattre se retrouvent dans la pratique du sport de glisse. Il est fondamental et provoque cette exaltation dans la maîtrise du frisson, l’affirmation de soi.

Le sublime se retrouve sous différents symboles évoquant davantage la spiritualité et la sérénité que la lutte et le tourment. L’image de la montagne nous amène au sublime d’élévation, considéré en Chine depuis les temps les plus reculés comme le lieu de la vie tant physique que mystique. En chinois, le paysage peint se dit «montagne et eau», Shanshui. Ces deux éléments sont en effet des symbolisations des forces à l’œuvre dans l’univers en constante mutation.

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L’eau correspondant au Yin (l’absence de lumière, la féminité, la souplesse, la lune et la terre) et la montagne au Yang (la lumière, la masculinité, le rigide, le soleil et le ciel). Confucius est un philosophe chinois, né en 551 av. J.C est mort en 479 av. J.C, qui a marqué sa civilisation et est considéré comme le premier éducateur de la Chine. Dans les «Entretiens de Confucius», recueil de l’essentiel de sa pensée, la pensée humaine est attachée à la montagne et l’eau, «l’homme bienveillant aime la montagne, l’homme sage aime l’eau» ce qui signifie que l’homme accompli apprécie les deux. Le sublime lorsqu’il est perçu stimule notre imaginaire par un renvoi constant entre ce que l’on voit et ce qui nous regarde. Ainsi, par ce retour sur soi, nous éveillons à ce qui nous entoure et prenons conscience de notre place parmi ces forces.

Le sublime est accessible au regard de la nature majestueuse mais ne résulte que de notre esprit, nous renvoyant à notre condition d’être humain. Serait-il donc possible d’atteindre ce sublime ailleurs? Dans la forme humaine ou encore dans d’autre types de paysage? Ce vertige que nous ressentons au plus profond de nous, qui nous effraie et nous fascine à la fois peut apparaître dans d’autre situations.

J’en arrive à l’image, plus exactement à la formation de l’image, ce qu’elle dégage par la figure représentée, son trait, sa touche mais aussi sa couleur.L’impact qu’elle produit sur l’œil puis l’esprit et finalement le cœur. Cette image qui nous vient d’une réalité et que chaque peintre tente d’en révéler toute sa profondeur.Platon nous expose dans son «allégorie de la caverne» une première critique des images et une reconnaissance de leur puissance effective. Lorsqu’il explique que les hommes suivaient les mouvements des ombres issus des images plutôt que la lumière du soleil, il formalisait ainsi l’acte d’image. Les images et leurs ombres sont plus puissantes que la lumière de la vérité et des idées.

Cette analyse de l’image tout comme du paysage nous renvoie constamment à nous-même. C’est cette relation entre ce que nous regardons et ce qui se revoit à nous que je tente de décrypter. Pour cela je m’appuierai sur les écrits du philosophe Didi Huberman «Ce que nous voyons, ce qui nous regard», qui traite d’une manière claire ce rapport entre l’image regardée et la figure regardante. Ce qui nous regarde, c’est le dedans de la chose représentée.

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Je cherche à comprendre ce saisissement du dedans par le sujet. Cela m’amène à l’expérience auratique, la présence d’une «aura», que l’on peut définir comme étant une constellation d’images, associées à la chose regardée par la mémoire du sujet. Cette notion nous renvoie directement à Walter Benjamin, pour qui la mémoire est un lieu de «fouilles archéologiques». Les objets du souvenir peuvent être considérés comme des lieux mémoriaux qui gravitent autour de l’objet auratique. Cet objet qui s’offre à nous, déploie ce que nous pouvons nommer ses images, ses images en constellation ou en arborescence, qui s’imposent à nous comme autant de figures associées, surgissant pour en faire une œuvre de l’inconscient. C’est ainsi que s’entrelacent le regard et la mémoire, nous offrant chacun une «forêt de symboles» qui nous est propre. L’aura nous entoure, nous saisit, elle est constituée d’espace et de temps. Il s’agirait donc, comme le mentionne Didi Huberman, «d’un espace œuvré qui viendrait du regardant et du regardé, du regardant par le regardé». Une représentation visuelle du monde que Walter Benjamin présentait avant tout comme un pouvoir de la distance, l’unique apparition d’un lointain, si proche qu’elle puisse être . Benjamin rend compte de cette expérience de l’aura dans sa formule, «Sentir l’aura d’une chose, c’est lui conférer le pouvoir de lever les yeux.». Il parle également d’un «choc» de la mémoire involontaire.Benjamin évoque l’aura en mentionnant ce rapport au lointain, de l’inapprochable au service de l’image de culte dont il est capital qu’on ne puisse l’approcher. Nous serons donc tentés de réduire l’aura à la sphère de l’illusion pure et simple, de la fascination, de la religion ou de l’hallucination.

Le culte a d’abord simplement désigné l’acte d’habiter un lieu et de s’en occuper, de veiller sur lui, de travailler la terre pour la faire produire. C’est un acte relatif au lieu et à sa gestion matérielle, symbolique ou imaginaire, c’est un acte qui simplement nous parle d’un lieu œuvré, d’une terre ou d’une demeure, d’une demeure ou d’une œuvre d’art. Il semble désormais impossible d’évoquer une valeur de culte, attachée à l’aura d’un objet visuel, sans faire une référence au monde des croyances et des religions. Cependant il est nécessaire de faire passer cette notion d’aura dans le domaine laïc. Rien n’y oblige, rien n’autorise ce forçage religieux, même si les premiers monuments de cette expérience appartiennent au monde religieux. C’est pour cela que l’absence et la distance ne sont pas des figures du divin. Ma distance, la distance comme choc, comme capacité à nous atteindre, à nous toucher. La distance optique capable de produire sa propre sensation tactile.

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La distance constitue l’élément essentiel de la vision en général, mais le toucher est autant important dans l’expérience de la distance et de la proximité. Dans l’expérience sensorielle, le temps et l’espace ne sont pas encore séparés en deux formes distinctes d’appréhension. Ainsi donc la distance n’est pas simplement la forme spatio-temporelle du sentir, c’est également la forme spatio-temporelle du mouvement vivant. C’est parce que je peux m’approcher de quelque chose que je peux faire l’expérience de la proximité et de l’éloignement. La profondeur spatiale n’est donc pas qu’un pur phénomène optique. Le sujet qui voit est un être doué de mouvement et ce n’est qu’à un tel sujet que l’espace se révèle dans toute sa distance. Dans la profondeur, l’espace se donne mais il se donne distant, c’est-à-dire qu’il se retire et en un sens se dissimule, toujours producteur d’un écart. Il reste inaccessible or il est toujours là, autour et devant nous. C’est dans cette expérience que nous ressentons l’aura, c’est-à-dire l’apparition de sa distance et le pouvoir de celle-ci sur notre regard.

Pour revenir à la pratique de la peinture, lorsqu’on décrit un paysage peint on oublie facilement que ce qui est décrit n’est pas la nature. Car ce que l’observateur a devant lui ne s’est pas formé à partir de conditions organiques ou physiques comme chaque élément dans l’organisme vivant d’un paysage par exemple. Ce qui structure et organise ce que nous voyons dans le tableau, les couleurs et les formes, ne peut être rien d’autre que l’action de l’artiste. En art la question de l’espace s’est toujours posé, même dans les formes les plus classiques. Par un travail de composition, la peinture nous offre la possibilité d’un ailleurs. La représentation de l’espace sous la forme de paysage ou de vues d’intérieurs est relativement récente. La peinture de paysage s’affirme comme un genre à part entière et devient un thème propice aux recherches sur la couleur, la lumière, l’espace.

Ce que les être incultes croient être la nature dans une œuvre d’art, ce n’est justement pas la nature (de l’extérieur) mais l’homme (de l’intérieur).

Goethe, «La théorie des couleurs»

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De nombreux peintres se sont accaparé cette notion de sublime, en étudiant la représentation du paysage, sensibles aux émotions et à la profondeur qu’elle nous renvoie. La peinture de paysage est avant tout un espace de lumière et de couleur, les peintres ont développé ce rapport aux couleurs pour toucher de plus près cette profondeur du sublime.

Bien entendu, on ne peut pas parler de peinture de paysage et de profondeur du sublime sans évoquer l’influence du peintre romantique allemand Caspar David Friedrich (1774-1840). Particulièrement connu pour son tableau («Le voyageur contemplant une mer de nuage» 1818), où l’on voit un homme dressé sur un haut rocher au-dessus des nuages, fixant la montagne la plus haute de ce paysage.Friedrich montre sans cesse des personnages plongés dans la contemplation de la nature: le spectateur dans l’image et le spectateur hors de l’image font la même chose. Mais pour ce dernier, le personnage fait partie de l’image. Il voit la nature représentée et en même temps, comme elle est perçue. Mais dans le tableau de Friedrich, l’homme représenté n’est justement pas une composante de la nature, il est confronté à elle. La grandeur de la nature ne peut donc qu’être expérimentée comme un monde transmis par un médiateur et c’est en même temps aussi une expérience intérieure dépeinte, une vision du monde qui déjà reflète celui-ci, et non le monde lui-même.

Cette phrase est la clé de son œuvre, elle exprime tout le travail de l’artiste romantique face à la nature. Il s’agit de mêler son propre état d’esprit issu de cette vision à la représentation de la nature.

Le peintre ne doit pas peindre seulement ce qu’il voit en face de lui, mais aussi ce qu’il voit en lui.

Caspar David Friedrich,«En contemplant une collection de peintures»traduction par Laure Cahen-Maurel, éditions José Corti, 2011

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Caspar David FRIEDRICHLe Voyageur contemplant une mer de nuages, 1818

Huile sur toile94.4 × 74.8 cm

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Cette phrase est la clé de son œuvre, elle exprime tout le travail de l’artiste romantique face à la nature. Il s’agit de mêler son propre état d’esprit issu de cette vision à la représentation de la nature.Cependant, je m’intéresse ici à un autre grand maître du paysage, initialement du romantisme lui aussi. Joseph Mallord William Turner (1775-1851) est un peintre anglais dont l’œuvre apparait comme la manifestation du monde pouvant être vécue intérieurement, comme un monde de la lumière et de la couleur. Une vision du monde en tant que monde pictural, dans lequel il sut trouver un style où la nature comme l’art peut se montrer sous un nouveau jour, ouvrant les prémisses de l’impressionnisme. Turner était un artiste très demandé, jeune dessinateur il fut d’abord apprécié pour son aptitude à reproduire. Les dons et l’intérêt de Turner ne se limitaient pas à copier la nature. Sa quête artistique fut marquée par les réflexions d’Edmund Burke sur le beau et le sublime, «la peinture de paysage doit être en accord avec l’infini, le grandiose, l’héroïque, avec la nature indomptée et étrangère à l’homme qu’elle laisse craintif et étonné, en bref avec le sublime.»Le peintre Claude Gellé, dit «le Lorrain» (1600-1682), considéré comme une figure emblématique du paysage dit classique français, influença Turner en fixant la clarté colorée, les dégradés de pastel, une concentration uniquement sur les effets de la lumière. Pour Turner, cela lui semblaient inimitables mais lui fond découvrir les différentes manières de peindre la lumière. Turner rédigea un traité, un livre d’études qu’il nomma «Liber studiorum» d’après le «Liber Veritatis» de Claude Lorrain. Une collection composée de 72 estampes réalisées entre 1807 et 1819 qui devaient illustrer les possibilités et les exigences des différents types de paysages. On critiqua dans ses représentations la recherche du sensationnel aux dépens de l’exactitude traditionnelle, on jugea que les toiles ne reproduisaient pas assez la nature.

«Liber studiorum»(«Livre des Études») collection d’estampes de Joseph Mallord William Turner

Aquarelle sur papier18,3x26cm

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Lac de Thoune

La cinquième peste de l’Egypte

Le Leader Sea Piece

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Turner n’a pas trouvé son style uniquement par son travail de dessinateur. Le maniement des aquarelles devint en même temps de plus en plus important pour lui. La technique de l’aquarelle était à la fin du 18ème siècle un procédé commun pour colorier les dessins. La coloration légère et précise des premières aquarelles de Turner nous fascine déjà. Les nuances sont extrêmement sobres et adroitement utilisées pour reproduire des situations de clair obscur. Au lieu de dessiner avant de mettre en couleur, il se mit à créer d’abord des fonds colorés à grands traits de pinceaux pour y inscrire ensuite son dessin et les autres détails. Turner commence à quitter par étapes la voie de la tradition picturale et du réalisme de la représentation. «Colour Beginning», ce qu’il nomme «structures de couleurs», est l’exemple même des esquisses qui l’amènent progressivement vers la lumière et la couleur pure. Construite simplement, avec de larges bandes de couleur horizontales superposées, la disposition des couleurs nous offre un horizon. Un puissant effet spatial dans une simple structure de couleur. Plus notre regard se fixe sur l’image, plus les possibilités d’interprétation apparaissent. L’image se prête à un jeu d’observation et de projection qui la rend plus vivante qu’on aurait imaginée. La couleur prend le rôle principal. Cette disposition de couleur nous renvoie directement au langage abstrait du peintre contemplatif, des années 60, Mark Rothko, sur lequel je reviendrai plus en détail dans la suite de ma réflexion. L’observateur prend part à l’évolution de la couleur, aux phénomènes atmosphériques qui, lorsque le soleil se couche, déploie sur le paysage ses couleurs flamboyantes et éphémères.Dans le travail de Turner, c’est la recherche des possibilités picturales de l’apparition de la lumière qui prend la plus grande place. Dans l’ensemble de ses tableaux, nous sommes confrontés à la lumière telle qu’elle apparait dans l’atmosphère. Turner découvre dans son art, ce que Goethe avait élaboré dans ses études scientifiques et rédigé dans sa «Théorie des couleurs», les conditions d’apparition de la lumière pour l’œil. Turner a montré le même endroit à différents moments de la journée et de l’année, les innombrables couchers et levers de soleil et les études sur les couleurs atmosphériques avaient pour objectif la représentation de cet élément naturel. Les nombreuses scènes nocturnes résultent également des effets de la lumière. Nous pouvons observer dans ses aquarelles tardives comment une relation objective se forme uniquement à partir des diverses touches de couleurs. Elles restent aussi visibles et deviennent ainsi purement descriptives, une tonalité en interaction avec d’autres touches de couleurs.

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Dans l’œuvre tardive de Turner, c’est la couleur qui devient maître du tableau. Grâce à la nature de la couleur, la nature de ce qui est montré dans le tableau peut-être directement vécu par le spectateur.

Goethe Traité des couleurs, 1809

Aquarelle originale

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La relation de Turner avec la théorie de Goethe est capitale pour comprendre le travail de ses dernières années. Cette théorie est, à l’époque de Turner, le seul essai pour enseigner comment se manifestent la lumière et la couleur qui reconnaissent les conditions physiques, psychologiques et esthétiques s’y attachant. Goethe écrit à propos de l’effet de structures de couleurs figuratives: «Si la totalité des couleurs sont apportées en tant qu’objet de l’extérieur à l’œil, elle le ravit, car c’est sa propre activité qui vient vers lui en tant que réalité.»S’il y a un élément dans le tableau qui est la nature, c’est bien la couleur. Que nous la rencontrions dans un tableau ou dans la nature, elle agit de la même façon et avec ses propres caractéristiques.

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Si elle apparaît dans le tableau elle n’en perd pas pour cela sa réalité propre à la nature. La loi de la nature et la loi picturale se montrent reliées dans la réalité de la couleur.

L’évolution de la peinture de W. Turner nous montre comment la couleur et la lumière agissent et font parti intégrante du rapport au sublime. C’est dans la couleur et la touche du peintre que se créer la profondeur et ce renvoi à nous-même, propre au sublime. Il est intéressant de pouvoir mettre en relation le travail de plusieurs grands peintres qui, durant leur vie, ont développé leur perception pour ainsi faire évoluer notre rapport au paysage mais aussi à la peinture.

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Colour Beginning 1819Aquarelle

22.5 x 28.6 cm

Joseph Mallord William TURNER Le Dernier Voyage du Téméraire, 1839

Huile sur toile91x122cm

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Ce qui m’amène à parler d’un des artistes majeur de la fin du XXème siècle et du début du siècle suivant, dont l’œuvre est encore peu connu en France malgré son influence indiscutable en Europe, ayant exercé le rôle essentiel de chef de file du symbolisme. Il s’agit du peintre suisse Ferdinand Hodler (1853-1918) qui inventa véritablement un style en développant des conceptions nouvelles d’expression de la sensibilité. Il réalisa des portraits et des autoportraits saisissants et su bouleverser, après l’impressionnisme, l’art du paysage. Issu d’une nouvelle génération, il poursuit l’étude du paysage, offrant une nouvelle manière de la percevoir. Paysagiste, combinant symétrie et répétition des formes, le peintre parcourt une autre voie que celle de l’impressionnisme. Sa théorie du «parallélisme», élaborée dans ses tableaux, révèle des harmonies colorées saisissantes. Les rapports de couleurs créant des vibrations anticipent, comme chez Turner, les tableaux abstrait de Mark Rothko. Il a su retranscrire, dans ses peintures, des accents grandioses et exprimer le sublime propre à son environnement.

Le dessin et la couleur sont mes seuls moyens d’expression. La signification intime de mes œuvres est représentée directement par la ligne, la composition et la couleur, il n’y a rien à deviner, il n’y a qu’à voir.(…) Ce n’est que la vérité telle que je la vois.

Ferdinand Hodler cité par Sylvie Patry p147

Ferdinand Hodler Le lac Léman vu de Chexbres, 1904

Huile sur toile70,5 x 108,3 cm

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Ferdiand HODLERCoucher de soleil surle lac Leman vu de Caux 1917

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Dans les années 1880, Hodler prit pour principe de composition les différentes symétries, qu’il qualifia de «parallélisme». Hodler pensait pouvoir découvrir l’ordre de la nature dans les paysages et les révéler dans sa peinture. Pour lui rien ne pouvait exister dans la nature ou dans l’art sans le parallélisme. Cette notion de parallélisme pourrait être rapproché à celle d’équilibre, qui se caractérise par la mise en relation de deux opposés qui s’accorderaient dans une sorte d’interdépendance.À partir de 1901, il réalisa de nombreux paysages sur les rives du lac Léman, suivant un schéma de composition alternant des bandes horizontales. Il prit conscience en 1917 qu’il avait délaissé la couleur en se consacrant des années durant à la forme et à la composition. Au cours des derniers mois de sa vie, le peintre créa une impressionnante série de vues du Léman avec la chaîne du Mont Blanc, dans lesquelles la variation des bandes du paysage et de la lumière, du rougeoiement de l’aube jusqu’à la pleine clarté de midi, constitue son sujet. On trouve chez Hodler des paysages sans limites, qu’il nomme «paysages planétaires «dans lesquelles apparait une dimension cosmique. Des paysages simples inondés de lumière, donnant l’impression de se tenir au bord de la terre, laissant le regard plonger librement vers l’éternité.Ferdinand Hodler s’est servi de l’abstraction comme d’un procédé visant à éliminer les détails pour rendre visibles l’ordre de la nature et sa profonde unité. Cependant ce n’est pas l’abstraction qui l’intéressait mais le symbole qui, avec la plus grande intensité possible, transmet les états d’âme, selon sa propre expression, à celui qui regarde le tableau.

Le symbole est une image sentimentale, c’est l’image d’une idée.

Note de F. Hodler 1882

Le peintre doit voir la nature comme une surface.

L’un des dix commandement écrit par F. Hodler.

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Voyez vous comme tout se résout là-bas en lignes et en espace? N’avez vous pas le sentiment de vous tenir au bord de la terre et de commercer librement avec le Tout? Ce sont de telles choses que je peindrai désormais!

Catalogue F. Hodler p185

Hodler décrit à son ami Johannes Widmer sa vision des «paysages planétaires»:

Lac de Thoune aux reflets symétriques, 1909Huile sur toile 67,5 x 92 cm

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Je poursuis mon analyse en remontant progressivement dans le temps, cherchant à mettre en évidence l’évolution de la notion de sublime dans ce rapport à la couleur, développé dans l’histoire de la peinture.J’en arrive au peintre Mark Rothko (1903-1970), protagoniste du groupe des expressionnistes abstraits fondé à New York pendant la période d’après-guerre. Il fait partie de cette génération d’artistes américains qui ont fondamentalement modifié la nature et la forme de la peinture abstraite. Fondateur d’une nouvelle peinture liée à l’évolution stylistique de la figuration vers un langage abstrait, mettant le spectateur en action face à l’œuvre. L’impact est saisissant lorsque l’on se retrouve face à ses masses de couleurs, elles nous engloutissent dans un espace de lumière. Rothko a dirigé son travail de peinture vers cette fusion sensorielle entre l’œuvre et le spectateur. L’expressionnisme abstrait apparaît comme nouveau, désignant une démarche consistant à exprimer des sentiments à travers une action picturale. Deux tendances aux positions artistiques différentes représentent en quelque sorte ce mouvement, l’un rattaché à l’artiste Jackson Pollock nommée «action painting» faisant de l’acte pictural le sujet de l’art et le second dans lequel nous retrouvons Mark Rothko, celui de la «Colorfield-painting» dans laquelle la puissance émotionnelle de la couleur est au premier plan.

Nous affirmons notre aspiration humaine et naturelle au sublime, à des émotions absolues. Nous ne sommes pas tributaires des accessoires usés d’une légende révolue et devenue antique. Nous fabriquons des images dont la réalité est évidente et qui viennent au monde sans support, sans béquille ou sans rapport avec des peintures dépassées, qu’elles aient été sublimes ou belles. Nous nous débarrassons du poids de la mémoire, de l’association, de la nostalgie, de la légende; du mythe et de tout ce qui a constitué les outils de la peinture de l’Europe occidentale.(…) Nous fabriquons des images à partir de nous-mêmes et de nos propres sentiments. L’image que nous créons est aussi lumineuse, réelle et concrète qu’une révélation, une images qui peut être comprise par tous ceux qui ne regardent pas à travers les lunettes nostalgiques de l’histoire de l’art.

Barnett Newman 1948Catalogue Rothko

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Les peintures produites dans la période dite «classique» de 1949 à 1970, sont caractéristiques de son œuvre. Représentant des figures de couleur rectangulaires et floues, ses peintures vont au-delà de l’abstraction.

Rothko d’un naturel difficile, anxieux et pessimiste, ne voit que l’expérience tragique comme seule référence de l’art. C’est prit par ce sentiment qu’il chercha à exprimer, dans sa peinture, l’essence du drame humain. Rothko voulait donner à la peinture le même impact que la musique et la littérature, il y trouvait son inspiration et du réconfort. Il cherche à éliminer tous les obstacles entre le peintre et l’idée et entre l’idée le spectateur, pour cela il commence à supprimer systématiquement dans ses tableaux tout élément rappelant la figuration. Il parle du désir d’expériences spirituelles, désir qui le poussera à expérimenter sur de nouvelles formes. «Multiforms» est une nouvelle série de tableaux, conçue en 1946, pouvant être considérée comme les prémisses de ses peintures «classiques».

Multiform, 1948.

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C’est à cette période qu’il commença à développer un nouveau langage de plus en plus abstrait. Des taches de couleurs multiformes, floues, sans pesanteur, qui semblent jaillir de l’intérieur du tableau.

Je souhaite affirmer sans réserve qu’à mon sens, il ne peut exister d’abstraction d’aucune sorte. Chaque forme ou chaque zone de la toile qui ne possède pas la même réalité vivante que la chair et les os, qui n’a pas la même vulnérabilité, la même réceptivité à la joie ou à la souffrance, n’est tout simplement rien du tout. Un tableau qui n’apporte pas un environnement dans lequel peut s’insuffler le souffle de la vie ne m’intéresse pas.

Catalogue Rothko

Mark RothkoSans titre, 1948

Huile sur toile114 x 85.4 cm

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Contrairement à Turner, qui accompagnait ses toiles de légendes donnant des indications sur une possible scène, Rothko se tient à ne donner aucun cadre à ses tableaux et ne leur donna plus de titres, ni aucune forme de description, se bornant à leur attribuer un numéro et une année.Grâce au format imposant de ses toiles et au jeu de composition de ses blocs de couleurs se détachant des bords, une impression d’espace de couleur en suspension nous envahit. Avec ce format, une sensation de pénétrer à l’intérieur du tableau se produit chez le spectateur. Rothko étudia même la distance idéale pour regarder ses tableaux. 45 centimètres, à cette distance le spectateur se retrouve aspiré dans les espaces de couleurs et peut éprouver la pulsation intérieure, le vertige devant l’insaisissable.Rothko utilise de fines couches de couleur, fortement diluées, qui lui permettent d’obtenir un effet de transparence et de luminosité. Son coup de pinceau et son sens de la proportion offrent à sa peinture une tension chromatique, intensifié par toutes ces variations de couleurs.

Malgré son succès international, il se sent souvent incompris ou du moins mal compris. Il refuse toute interprétation de ses peintures et affirme que les mots ne font que paralyser l’esprit du spectateur. Rothko a toujours affirmé ne pas être un artiste abstrait, il dira dans une interview:

Je ne m’intéresse pas au rapport entre la couleur et la forme ni à rien de tel. La seule chose qui m’intéresse, c’est d’exprimer des sentiments humains fondamentaux, la tragédie, l’extase, le destin funeste et ce genre de choses… Le fait que beaucoup de gens fondent en larmes en voyant mes tableaux prouve que je suis en mesure d’exprimer ce type de sentiments humains fondamentaux. Les gens qui pleurent en présence de mes tableaux font la même expérience religieuse que celle que j’ai faite en les peignant. Et si, comme vous venez de le dire, vous n’êtes touché que par les rapports entre les couleurs, l’essentiel vous échappe.

Catalogue Rothko

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La couleur devient donc un moyen d’expression lui servant de support pour communiquer son expérience émotionnelle et mystique au spectateur. À partir de 1957, il modifia sa palette pour se diriger vers des tons plus sombres comme le brun, le gris, le bleu et bien sûr le noir. Cela rendra ses peintures moins accessibles et plus mystérieuses encore. Il exécuta plusieurs grands formats pour une commande de la chapelle de Houston, trois triptyques, cinq peintures individuelles. Il laissa pour la première fois la moitié des peintures à l’état de monochromes et ajouta aux autres des rectangles noirs aux contours nets. Il rompt ici avec ses nuages de couleurs aux limites délicates et floues. Il poursuivit cette expérimentation des tons sombres jusqu’à la fin de sa vie. Sans doute le reflet de sa mélancolie et de la solitude dans laquelle il se retrouvait dans les dernières années de sa vie.

Intérieur de la Chapelle Rothko,un des trois triptyques de la gallerie

espace de culte ouvert en 1971 à Houston

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Au début des années 1960, l’expressionnisme abstrait commence peu à peu à décliner aux États-Unis. L’arrivée soudaine de jeunes artistes tels qu’Andy Warhol, Roy Lichtenstein, Jasper Johns se référant au Pop Art, un mouvement émergeant de l’univers de la mass médias et de la publicité, crée un engouement pour le quotidien, les produits manufacturés et deviennent rapidement populaires. Ce bouleversement eu lieu également en France avec l’apparition d’artistes comme Yves Klein, Arman, connus sous le nom de «Nouveaux Réalistes». Vont quand à eux prenant position pour un retour à la réalité par l’utilisation d’objets prélevés dans leur temps, ce renouveau vient bouleverser la domination de l’art abstrait, le rendant soudainement prétentieux et élitiste. Le Pop Art fut qualifié par certain membre des expressionnistes abstraits de l’école de New York comme de l’anti-art. La montée de ce nouveau dynamisme marque la fin de l’expressionnisme abstrait considéré comme passé. En 1966, Mark Rothko accepta la proposition de la Tate Gallery pour la création d’une salle Rothko permanente, avec le souhait que cette salle soit installée dans la partie la plus ancienne, non loin des tableaux de William Turner.

Mark Rothko,Trois des quinze Seagram murals à la Tate gallerie.

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Sans titre (Red), 1958Huile sur toile

208,4x124,5cm

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MONTRÉALCHICOUTI

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MONTRÉAL Amérique du Nord, espace fantasmé, rempli de symboles et de magie. La culture Nord Américaine nous évoque avant tout la puissance de l’image, de la consommation à outrance de produits en tous genres. Reine de l’énergie, de la vitesse. En tant qu’européen, l’Amérique du Nord est présente dans nos esprits. Grâce à son industrie du cinéma, j’ai pu m’imaginer des milliers de fois dans des paysages de Far West, dans les ruelles de Chicago ou New York ou encore sur les grandes routes qui traversent le désert. Toutes ces images gravitent dans notre imaginaire collectif car elles sont présentes dans notre quotidien, incrustées dans les villes pour nous offrir des codes simples et ludiques.

J’arrive alors sur ce continent, fasciné et effrayé. Big city, vertigineuse… Les premiers jours de voyage sont toujours difficiles. Le moral est bas car je me retrouve loin de certaines personnes. Je débarque de ma petite Normandie sur un continent dont j’ignore tout ou presque. Les rues sont gigantesques, le paysage est gris mais la neige fraîchement tombée donne un sentiment de légèreté. Je vis ma première expérience de gratte-ciel. Les reflets des lumières sur les vitres m’émerveillent, je reste bercé par un sentiment de crainte et d’excitation. Montréal est une ville merveilleuse que j’explore au rythme de ses lumières qui scintillent. Les couches de neige qui la recouvrent captent les émanations de lumières artificielles et créent des nappes de couleurs explosives. Départ pour le Saguenay à Chicoutimi. Après le Mont-Royal, direction les terres du Nord, «d’où l’eau sort». Je comprends mieux aujourd’hui la traduction amérindienne du mot «Chicoutimi», «jusqu’où c’est profond». Je trouve sans mal un covoiturage ou plutôt un «lift «pour ma destination, l’accent commence à s’imprégner dans mon oreille. «Ostie qu’y fsait frette en Criss».

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Je monte à l’arrière du véhicule, une sorte de Kangoo Canadien confort. Un chien occupe la deuxième place arrière, je lis dans son regard une certaine inquiétude en me voyant. Inquiétude partagée. Six heures pour s’apprivoiser. La nuit tombe peu de temps après notre départ, les lumières me bercent. La voiture est un moment de calme, je pense, je m’éloigne. Première marque de tendresse. La route défile, plus nous montons plus le temps se couvre, il neige un peu, il neige beaucoup, le vent s’accélère, le conducteur reste silencieux. J’imagine qu’ici les gens sont habitués. Des chasses neige nous ouvrent maintenant la route, c’est la première fois que je vois une telle machine d’aussi près. La neige vole de chaque côté, les gyrophares s’étalent dans la nuit. «La route va être plus longue, c’est plate… «nous dit le conducteur, sur un fond de NRJ radio Québec. Serein, pensant que tout était sous contrôle, j’entamais une petite sieste pour récupérer de ma journée et du décalage horaire qui faisait encore effet. «Je capote là! «La tempête faisait toujours rage et la route, complètement blanche, devenait de plus en plus compliquée, la visibilité était nulle. La lumière aveuglante des fars, amplifiée par le blanc immaculé, contrastait avec la nuit noire et impénétrable de la forêt environnante. Nous étions au milieu d’un grand parc national, la route coupait celui-ci en deux. De chaque côté s’étendait des rangés d’arbres, longés par des barrières de grillages qui empêchaient les animaux de traverser. Le conducteur qui commençait à vraiment paniquer décida de s’arrêter le plus vite possible. Après quelques kilomètres apparu au loin une lumière blanche, une aura qui dépassait la cime des arbres. Notre refuge? Qu’est-ce qui pouvait émettre une telle lumière? La visibilité s’améliore laissant apparaître la silhouette d’un bâtiment. Pétro Canada. Une station essence, seul lieu. Sa lumière est aveuglante, le plein jour sur plusieurs mètres à la ronde.

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Nous nous arrêtons donc dans ce point de ravitaillement, seul refuge sur des kilomètres à la ronde. Son architecture, sa lumière, sa symbolique me confirme bien mon arrivée en Amérique du Nord, royaume de la voiture. À l’intérieur, une diversité de boissons énergétiques, de condiments de multiples formes, une radiation de couleurs toutes plus vives les unes que les autres. Une fois apaisés et dopés, nous reprenons la route, encore quelques heures. Les kilomètres défilent, la tempête nous accompagne. Ici les éléments se font entendre.

Arrivé à Chicoutimi, l’inconnu, la nuit. La sortie de forêt laisse place à des rangés de hangars commerciaux, des carrefours à trois voix. Les magasins se ressemblent, seules leurs enseignes lumineuses en façade nous laissent comprendre ce qu’ils renferment. Arrivé à destination, où sommes-nous? Le conducteur épuisé par la lutte qu’il venait de mener, nous laisse sur un parking. Le vent souffle et s’engouffre à travers nos manteaux, complètement dépassés. Je lève la tête pour trouver un endroit où nous abriter, un second refuge face à la force des éléments. La même intensité. Devant moi la même aura. A&W, un Fast Food. Sans réfléchir, nous nous engouffrons à l’intérieur. Comme accueil, une chaleur accompagnée d’une odeur de friture. Des néons oranges, des écrans rétro-éclairés. Encore une fois quel symbole derrière cette architecture, ce service. Une fois à l’intérieur, je pus contacter la personne pouvant nous héberger, le périple pouvait enfin s’achever. Quel impact sur ma conscience de rencontrer ces deux bâtiments, hauts symboles de la culture Nord Américaine. Et quelle ironie de s’y réfugier.

ILLUSTRATION TITRE:«Refuge«2016

Acrylique, peinture aérosol sur toile120x85cm

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P A Y S A G E U R B A I N

- Lumière artificielle/synthétique -

En dirigeant notre regard vers des zones périurbaines ou urbaines nous pouvons distinguer un nouveau rapport au sublime. Émettre une hypothèse d’une mutation du sublime dû à l’évolution de nos paysages. Une sensation de vertige, d’élévation semblable à celle du sublime, qui émerge non plus devant des scènes de catastrophes où la peur et le danger nous saisiraient, mais davantage face aux sources de lumières exacerbées et artificielles des enseignes et autres éclairages publiques qui, par leurs limites insaisissables et leur éclat quelque peu démesuré, nous offrent cette impression de monumentalité. Je m’appuierai sur différents ouvrages liés à la lumière synthétique et au paysage urbain, prenant la ville de Las Vegas et son Strip comme symbole de cette démesure.

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Dans les paysages contemporains, le sublime est perceptible ailleurs, les villes se sont développées faisant émerger une nouvelle lumière, la lumière synthétique, artificielle. Dans son désir de tout maîtriser, l’homme a cherché à reproduire la lumière du soleil lorsque celui-ci venait à se coucher. La lumière a alors illuminé les nuits et dominé l’obscurité, dépassant l’aspect utile pour rentrer dans le grandiose, le tape à l’œil.Le paysage, aujourd’hui, est davantage régi par la lumière artificielle que naturel, lorsque la nuit tombe, c’est le véritable visage de la ville qui apparaît. Un nouvel espace de contemplation se livre à nous, scintillant, contaminant les différentes surfaces d’une nappe de lumière et de couleur. Les sources contrôlées de lumières colorées et artificielles à l’intérieur des clôtures sombres, formées par les façades des bâtiments constituant la ville, amplifient et influent l’espace en estompant ses limites physiques. Le spectateur se retrouve alors submergé, happé par un sentiment de monumentalité. Il ne s’agit plus du même ressenti, l’impact visuel est détourné, nous ne sommes plus au milieu d’une place entourée par les bâtiments mais parmi les lumières étincelantes de la ville pendant la nuit. Le rythme effréné des signaux commerciaux et routiers assaille l’œil avec violence jusqu’à le rendre totalement aveugle par sur-vision. L’hémorragie de lumière emporte la rétine dans un flux d’information, en un temps si court et dans un espace aussi réduit. Véritable illusion qui perturbe notre perception et noie notre système nerveux.

Las Vegas est sans aucun doute la ville qui concentre le plus de lumière synthétique, le Strip la nuit en fait un symbole de démesure la plus totale. De nombreux théoriciens, architectes, écrivains, cinéastes ont étudié et se sont inspirés de cette ville, de son histoire et de son fonctionnement, qui font d’elle un endroit unique. L’architecte Robert Venturi, dans son essai «L’enseignement de Las Vegas ou le symbolisme oublié de la forme architecturale» écrit avec l’implication de Denise Scott Brown et de Steven Izenour, paru en 1972, fait une analyse de cette ville et formule le concept de «hangar décoré». Cet ouvrage eut une influence majeure sur l’émergence du postmodernisme en architecture. Il y observe l’évolution et la standardisation de l’architecture des bâtiments au profit des enseignes scintillantes, chargées de symboles. Tout y est formé autour d’une rue, le Strip, où la communication domine l’espace. Las Vegas fourmille d’images symboliques dans un espace sombre, la lumière y est directe et les enseignes en sont la source. Elles ne reflètent pas la lumière venant de sources externes, comme c’est le cas dans la plupart des

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panneaux publicitaires et dans l’architecture moderne. Le mouvement mécanique de luminescence de néon est plus rapide sur le Strip, l’intensité de la lumière et le tempo de son mouvement sont augmentés pour pouvoir s’accorder à des vitesses et à des espaces plus grands, pour produire un impact plus fort. Encouragée par notre économie, la décoration de l’environnement de dispositifs de communication se développe, il s’agit de l’art publicitaire.

La carte postale a absorbé toute la réalité et l’a recrachée peu de temps après sous l’aspect d’un gruau psychédélique pour classe moyenne, des sensations extrêmes mais obtenues par des moyens légaux, sûrs et inoffensifs(…). L’aventure extrême sans danger, l’excitation totale sans angoisse et le frisson absolu sans la peur, voila en somme l’ultime discrimination sociale qu’a produite l’Amérique.

Bruce Bégout, ZEROPOLIS (Urbanité Psychotrope), p60

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Le philosophe et écrivain Bruce Bégout nous offre également dans son essai «ZEROPOLIS» paru chez Allia en 2002, son expérience du Strip. Il y dresse une observation de ce qui se déploie autour de lui et s’acharne à cerner les contours de Las Vegas, pour y voir les ombres de nos métropoles. Tout dans Las Vegas se résume en ses lumières. Le contraste est saisissant entre le jour qui irradie la ville d’une transparence parfaite et la nuit où les néons géants illuminent le ciel et effacent avec la plus grande facilité les étoiles. Le spectacle continue des arabesques multicolores, hautes de plusieurs mètres et suspendues au ciel, bouchent l’horizon et se reflètent sur les carrosseries étincelantes des voitures. La surface des rues et la matière des bâtiments sont sculptées au gré des couleurs changeantes des enseignes, dressées avec une fierté protectrice et inquiétante.La lumière du néon n’est pas sans évoquer l’expérience de la divinité, immatérielle et transcendante. La lumière artificielle est à la fois ici et ailleurs, instantanée et diffuse. Elle s’étend sur tous les objets, projette son aura sur l’horizon. Depuis des siècles, la lumière a toujours été attribuée au divin, éclairant sans se laisser voir. Lorsqu’elle devient l’élément principal de la vision urbaine comme à Las Vegas, elle accentue l’immatérialité de la ville et de ses habitants. Bruce Bégout aborde dans son analyse ce rapport au sublime. Il est également touché par la démesure des enseignes colossales et des hôtels gigantesques qui structurent le Strip de Las Vegas, qui provoque chez le spectateur un sentiment de vertige et d’illusion par la séparation de l’espace. Il parle de l’expérience nécessaire à l’apparition du sublime, développé par Burke et Kant à la fin du 18e siècle, qui implique l’impossibilité de comparer la taille de son propre corps à la grandeur quasi infinie qui lui fait face. Cependant, il évoque que rien n’y est à proprement sublime, que le grandiose laisse place ici au grotesque. L’exagération des proportions ne provoque chez lui qu’une extrême envie de rire.

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Même si l’architecture de Las Vegas est imposante et impressionnante en taille et en effets purement visuels, on ne peut pas dire que le sentiment que l’on ressent à sa vue ait quelque chose à voir avec une impression de respect ou d’effroi face à la magnitude. L’excès qui caractérise Las Vegas ne relève pas de la grandeur infinie mais de la simple emphase comique.

Bruce Bégout, ZEROPOLIS (Du Sublime au Grotesque), p82

Dans son observation, l’auteur est bien touché par une sensation qui se rapprocherait du sublime. La puissance qui se dégage de la lumière artificielle tend à créer cette impression de profondeur, d’infini. Elle agit sur la perception du spectateur et perturbe l’espace provoquant cet état d’étonnement qui est la condition avancée par Edmund Burke dans sa recherche philosophique sur l’origine de nos idées du sublime et du beau. Cette lumière qui traverse l’obscurité nous apparaît avec une intensité semblable à celle des astres. Elle devient alors objet de fascination et d’hallucination, mêlant plaisir et effroi. Cependant, lorsqu’il prend du recul, face à cette démesure propre à Las Vegas, il n’y voit plus que l’aspect grotesque d’une ville basée sur une seule et même idée, celle du divertissement et du simulacre. Le développement de la ville de Las Vegas, bâtie au milieu du désert aride de Mojave dans l’état du Nevada, a atteint une renommée mondiale pour ses casinos, faisant d’elle une véritable oasis artificielle. La force symbolique renvoyée par la ville, grâce aux enseignes et aux décors folkloriques en tous genres, provoque ce sentiment d’ironie empêchant d’atteindre la profondeur de l’inconscient.

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De la même manière que le paysage, de nombreux artistes ont évolué observant les mutations de leur époque en cherchant à les représenter. Il en va de la peinture comme du reste, l’art parle de son époque.Dans la continuité de la peinture de paysage, aux influences romantiques, l’artiste contemporain Johann Rivat, né en 1981, nous parle de ces «non-lieux». Il nous révèle dans sa peinture des espaces désincarnés où un sentiment de temporalité, venant non seulement des signes contemporains mais aussi par la perception d’un drame possible, d’un impalpable flottement de l’air du temps, baigne dans une lumière artificielle. Il y règne une atmosphère cinématographique ou l’inquiétude, l’incompréhension et la fascination se mélangent. La composition des toiles de Johann Rivat n’est pas sans rappeler celle de Caspar David Friedrich, peignant parfois au centre des éléments naturels déchaînés, une figure humaine de dos. Image caractéristique du romantisme où l’homme seul face à la nature traduit un drame existentiel, abandon à l’infini. Mais ici, l’objet a remplacé l’homme. Dans cette désolation d’un futur incertain, l’humain n’est plus au centre, seul reste sa trace. La sublime a voyagé à travers le filtre du 20e siècle, la littérature de science-fiction, les films catastrophes et la démesure de nos cités.

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Johann RIVATPineapple shiit, 2013

huile sur toile 46x61cm

Page de Gauche:Me and the colonel, 2009Alkyde et huile sur toile 300x220cm

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PAGES PRÉCÉDENTES:Gauche:Zhong Nan Hai, 2012Huile sur toile 195 130 cm

Droite:Echoing through the street, 2014

peinture à carrosserie et huile sur toile 260x195cm

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Ci-dessus:Ghost Gasoline, 2011

peinture à carrosserie sur toile 300x200cm

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La lumière est un moyen d’atteindre cet état de contemplation et ainsi de se connecter à la profondeur du sublime. James Turrell est un artiste Californien, né en 1943, qui n’utilise qu’un seul matériau, la lumière artificielle autant que naturelle. Il souhaite la faire interagir avec l’espace, créer des visions dans des lieux fermés et ouverts. Son travail produit un décalage entre la perception visuelle et intellectuelle de l’espace. Il sollicite les sens des spectateurs et joue de leur perception, il la bouscule et la trompe. Il pose ainsi les fondements de sa démarche, c’est à dire d’agir sur la perception de l’espace, empêcher une perception passive pour conduire le spectateur au dépassement de soi. La lumière est cette fois seul événement producteur. Turrell exprime sa volonté de faire en sorte que la lumière soit nature et artifice emmêlés et que cette lumière ainsi captée ou recréée soit considérée comme énergie motrice d’une perception pure de l’espace.

Il opère d’une manière semblable que celle d’un peintre. Il rapproche son travail à celui de la toile tendue sur châssis, il expérimente l’architecture, l’espace pour donner une forme à la lumière. On peut évoquer des similitudes avec l’œuvre de Mark Rothko, dans laquelle se dégage une sublimation du même ordre. Comme la couleur d’une peinture, la lumière a aussi des pouvoirs d’illusion. Cependant, même si la lumière qu’il utilise agit comme une peinture sur une toile, elle apparaît comme si elle créait l’espace, le spectateur est donc inclus en cet espace que la lumière façonne.

James TURRELLGanzfeld, 2006

Néon et lumière fluorescenteHouston

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La lumière est le matériau que j’utilise, la perception le médium. Mon travail n’a pas de sujet, la perception est le sujet, il n’y a pas d’image car la pensée associative ne m’intéresse pas.

James Turrell,Entretien avec Almine Rech«Rencontre 9»

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James TURRELLSkyspace, 2012

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Cratère Roden, vue d’avionConstruction depuis 1979 dans le désert d’Arizona.

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L’œuvre de Turrell fait surgir la qualité de la lumière dans le monde de la pénombre. Les différentes manières dont la lumière habite l’espace, une distinction qui semble aussi exister dans l’humeur du spectateur deviennent apparentes lorsque l’on traverse ses œuvres lumineuses. Les Ganzfeld Pièce sont des espaces qu’il crée pour permettre de rentrer dans la couleur. L’air prend une texture, l’espace semble illimité. Le spectateur se déplace dans l’œuvre, dans une sensation de flottement, absorbé par une atmosphère de couleur. Turrell crée une sorte de flottement qui contraint le spectateur à laisser de côté sa perspective objective. L’artiste cherche à flouter l’espace, diluer le spectateur dans la couleur.L’idée de structurer la lumière est une forme d’art antique, pour marquer certains événements. Dans son œuvre monumentale Roden Crater, James Turrell se réfère à des pratiques artistiques très anciennes. C’est en 1976, après 7 mois de recherche par survol, qu’il rencontra un cratère de volcan dans le désert en Arizona. Le projet se compose d’un parcours de douze chambres souterraines, ouvertes sur le ciel et liées à des événements célestes à différents moments du jour et de la nuit. Ses œuvres évoluent avec le temps, avec les phénomènes atmosphériques.

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James TURRELLCratère Roden, vue de l’intérieur

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Ça y est j’y vais! New York.

J’exalte, j’ai le tournis, je vais pouvoir découvrir de mes propres yeux l’une des plus grandes cités que porte le monde d’aujourd’hui. Quel symbole, mon imagination s’affole, je ne sais pas à quoi m’attendre. Je vois des tours, un réseau gigantesque de connexions en tous genres. Je sens que ce voyage va me marquer avant même de l’avoir vécu. C’est sans doute la ville la plus connue et la plus vue de la planète. J’ai l’impression d’avoir déjà parcouru ses rues. J’ai des flashs, toutes ces images, tous ces films et ces héros que j’ai pu voir. Je fantasme ses lumières, ses perspectives mais j’angoisse à l’idée de me retrouver écrasé par l’épaisseur de béton, étouffé par la foule. Je n’ai jamais été

confronté à une telle effervescence.Départ de Montréal direction New York-Manhattan-United States of America, Sept heures de bus.Je quitte Montréal, la plus grande ville

que je connais pour le moment, je passe un palier sur l’échelle de la démesure. Je prends conscience qu’il existe toujours plus gros, toujours plus grand. J’établis un premier contact avec les États Unis d’Amérique grâce à quelques billets que je garde en main. J’observe les détails, analyse les symboles, les inscriptions comme s’ils renfermaient un secret.

«In God We Trust «Cinq Dollars et un portait de Lincoln.

NEW YORK

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Nous traversons des plaines, la neige est encore là mais plus nous descendons plus elle s’estompe. Au bout de quelques heures de route la frontière apparaît, impossible de se tromper nous sommes bien aux portes des États Unis. Contrôle des douanes, étoiles blanches sur fond bleu, lignes rouges, lignes blanches, grillage et lampadaires. Des uniformes et des étoiles qui brillent mais pas de donuts en vue. L’atmosphère n’est pas à la rigolade, il faut montrer patte blanche. Il nous reste encore quatre heures de route avant l’apothéose. Petite escale dans une gare routière encore et toujours des drapeaux, impossible d’oublier notre destination ni l’endroit où nous sommes. Je commence à m’impatienter, la neige a cédé sa place à la pluie, le ciel est gris, la nuit tombe. Je suis heureux d’arriver sur place de nuit car je sais que cette ville ne dort jamais. Je veux voir son aura s’étaler dans le ciel, sentir ses lumières agresser ma cornée.Un tunnel. La porte de Manhattan est un tunnel, nous traversons ce portail pour rentrer dans un monde de démesure. Une fois sorti de ce long couloir, des lettres de lumières rouges d’une taille de 3 étages, installées sur la façade d’un immeuble, nous indiquent d’une façon sublime notre terminus. On y est, le fantasme devient réalité.Je descends du bus bercé par une sensation de vertige, légère ivresse causée par l’épuisement de la route et l’excitation d’une découverte qui ne saurait tarder. Du monde, beaucoup de monde. Je suis le flux, observe les directions à suivre. Nous montons dans le métro, encore ici une impression de connaître les lieux, je suis dans un décor de cinéma. Une fois rendu à Harlem Est, à notre hébergement, les bagages déposés, nous reprenons le métro direction Time Square.

Time Square, quelle impatience de pouvoir vivre ce spectacle. C’est un quartier en constante effervescence, à toute heure du jour et de la nuit, le symbole de l’activité de New York «la ville qui ne dort jamais». J’imagine la puissance de ces panneaux publicitaires démesurés projetant leurs lumières d’une intensité

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comparable à celle du jour.Je discute, échange mon ressenti avec les personnes qui m’accompagnent en se dirigeant vers la sortie du métro. Un escalier à monter et je serai dehors.

Démentielle.

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Le sublime ne doit pas être cherché dans les choses de la nature, mais seulement en nos Idées.

Emmanuel Kant, «Critique de la faculté de juger», p126

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Cette réflexion sur la faculté de penser, propre à l’homme, me renvoie à un détail d’une célèbre fresque de Michel Ange. Il s’agit de La création d’Adam, peinte dans la chapelle Sixtine au Vatican et achevée vers 1511, elle illustre un texte biblique où Dieu créa l’homme à son image. L’œuvre est célèbre pour le détail dans lequel l’index de Dieu, rejoignant celui d’Adam sans le toucher, donne vie à l’Homme. Cependant, c’est un autre détail qui m’intéresse ici, celui de la forme du drap qui s’étend derrière la représentation de Dieu. Il a fallu 500 ans pour qu’on remarque ce détail caché sous nos yeux. Cette forme que le drap prend pourrait être interprétée comme une représentation précise du cerveau humain. Le message serait donc, que le don divin ne vient pas d’une puissance supérieure mais uniquement de notre esprit.

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Michel-AngeLa Création d’Adam, 1512

Fresque de la Chapelle Sixtine, Restauration de 1980

280x570cm

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Émile ORANGE DNSEP 2016 - 2017

Ouvrage imprimé à l'Ecole Supérieure d'Arts et Médias de Caen - Cherbourg.