sexy brothers - episode 1 : chrys (french...
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Enceinte.Malgré la chaleur estivale, Marley Jameson ne put s’empêcher de frissonner en se laissant
tomber sur lebancd’un square, àquelquescentainesdemètresde l’appartementqu’ellepartageaitavecChrysanderAnetakis.Lesoleilbrillaitdanslecielnew-yorkais,maiselleavaitlachairdepoule.
Stavros,legardeducorps,neseraitcertainementpascontentqu’elleaitdisparusansprévenir.Chrysander non plus, d’ailleurs, quand il apprendrait qu’elle n’avait pas respecté les consignes desécurité.Maiscommentaurait-ellepuserendrechezlemédecinaccompagnéed’ungardeducorps?Elle n’aurait même pas eu le temps de rentrer à l’appartement que Chrysander aurait déjà été aucourantpourlebébé.
Commentallait-il réagir ?Malgré leursprécautions, elle était enceintedehuit semaines.Sansdoute avaient-ils été négligents la dernière fois où Chrysander était revenu d’un long voyaged’affairesàl’étranger.Ils’étaitmontréinsatiable.Etelleaussi.
Ellesesentitrougirenyrepensant.Illuiavaitfaitl’amourtoutelanuit,luimurmurantengreccesmotstendresetdouxqu’elleaimaittant.
Jetantuncoupd’œil à samontre, elle fit lagrimace. Il seraitde retourdansquelquesheures,maiselleneparvenaitpasàsedécideràrentrerpouraffronterlasituation.Ilfallaitpourtantqu’ellesechangeavantsonarrivée.Pasquestiondel’accueillirenjeanetT-shirtdélavés.Acontrecœur,ellefinitparseleverpourregagnerl’immeubleluxueuxoùChrysanderpossédaitunappartement.
—Tutemonteslatête,murmura-t-elleenapprochantdelaported’entrée,qu’unportierouvritavecempressement.
Marleyredevintsongeusedèsqu’elleseretrouvaseuledansl’ascenseur,posantmachinalementlamain sur sonventre encoreplat. Incapablede sedébarrasserd’une sourdeappréhension, elle semordillaleslèvres.Maisbientôtlesportess’ouvrirentdirectementdansl’entréedel’appartement,audernierétagedel’immeuble.
Elle se dirigea vers la salle de séjour, abandonnant ses chaussures dans l’entrée. Elle étaitéreintée etmourait d’envie de s’allonger sur le canapé.Elle devait pourtant d’abord réfléchir à lafaçondontelleallaitaborderavecChrysanderlesujetdeleurrelation.
Quelquesjoursplustôt,ellen’auraitpasvulamoindreraisondes’inquiéter.Maislesrésultatsdel’analysedesangl’avaientsecouée,etelles’interrogeaitàprésentsurlessixmoispassésaveclui.Ellel’aimaitdetoutsoncœur,sanstropsavoirpourautantoùenétaientleschosesentreeux.Quandilétait avec elle,Chrysander semontrait attentionné.Leurs relations amoureuses étaient fantastiques.
Maiselledevaitsepréoccuperdel’avenirdesonbébé,etelleattendaitbienplusdel’hommequ’elleaimaitquequelquesnuitstorrides,lorsquesonemploidutempsdeP.-D.G.leluipermettait.
EllepassadanslachambredemaîtreetsursautalorsqueChrysandersortitdelasalledebains,uneserviettedetoiletteautourdesreins.Ilsouritlentementenl’apercevant.Chaquefoisqu’elleposaitlesyeuxsurlui,elleéprouvaitlemêmechocquelapremièrefois,etuneondedechaleurlaparcourutdelatêteauxpieds.
—Tu…tuesrentréplustôtqueprévu,parvint-elleàdire.—Jet’attendais,Marley,répondit-ild’unevoixrauque.Illaissalaserviettedetoiletteglisseràsespiedset,envoyantsonsexefièrementdressé,Marley
sentit ledésir l’embraser. Il se rapprochad’elle commeun tigrede saproieet l’enlaçaaussitôt ens’emparantdesabouche.
Marleypoussaunpetitgémissement, et ses jambes sedérobèrent souselle.Ellenepouvait sepasser de lui, n’était jamais rassasiée. Il suffisait qu’il la touche pour qu’elle sente son corpss’enflammer.
Il délaissa bientôt sa bouche, explorant de ses lèvres son visage et son cou tout en tirantimpatiemment sur son T-shirt.Marley plongea les doigts dans ses cheveux noirs, l’attirant encoreplusprèsd’elle.Soncorpsdur,minceetmusclé,étaitceluid’unprédateur.Sesmouvementsavaientunegrâceféline,etelleavaitl’impressionqu’ilsavaitjouerdesessensationscommed’uninstrumentparfaitementaccordé.
Ellenoualesbrasautourdesoncoualorsqu’ill’allongeaitsurlelit.—Tuesbientropvêtue!murmura-t-ilenfaisantglissersonT-shirtau-dessusdesatête.Ellesavaitqu’ilsauraientdûs’arrêter.Ilfallaitqu’ilsparlent.Maisilluiavaitmanqué.Toutson
corps le réclamait, presque douloureusement, et peut-être voulait-elle aussi goûter ces instants unedernièrefoisavantqueleschosesnechangentirrévocablement.
Ildégrafasonsoutien-gorge,etelleneput retenirunnouveaugémissement lorsqu’ilsemitàcaressersesmamelons,plussensiblesquejamais.Ilsétaientaussiplussombres,etellesedemandas’ill’avaitremarqué.
—Jet’aimanqué?murmura-t-il.—Tulesaisbien,répondit-elledansunsouffle.—J’aimequetumeledises.—Tum’asmanqué,dit-elleensouriant.Il continua à la dévêtir, faisant voler son jean et ses sous-vêtements aux quatre coins de la
chambre.Bientôtellesentitsoncorpssurlesien,puisauplusprofondd’elle-même.Elle s’arqua contre lui, l’étreignantde toutes ses forcespendantqu’il lui faisait l’amour avec
voracité.C’étaittoujoursainsi.Leurbesoinl’undel’autreétaittelqu’illesconsumaittoutentiers.Illa serracontre luiavecpassion, luichuchotantdesmots tendresengrec.Lacaressedesavoix lesaccompagnajusqu’àl’orgasme,puiselleseblottitcontrelui,comblée.
Elle dut ensuite s’endormir, car lorsqu’elle rouvrit les yeux, Chrysander était allongé contreelle,enlaçantseshanchesd’ungestepossessif.Il laregardaitaveclangueur,sesyeuxdorésbrillantcommeceuxd’unfauverepu.
C’étaitlemomentoujamaisd’aborderlesujetquiluitenaitàcœur.Alorspourquoisesentait-elleterrifiéeàl’idéedeparleravecluideleurrelation?
—Chrysander,commença-t-elleàmi-voix.—Qu’ya-t-il?demanda-t-ild’unairunpeuméfiant,commes’ilavaitperçusoninquiétude.—J’aimeraisteparler.
Ils’étiradetoutsonlongets’écartalégèrement,pourmieuxlavoir.Ledrapglissajusqu’àleurshanches.Ellesesentitvulnérable,exposée,etsemitàtremblerlorsqu’ilpritundesesseinsdanssamain.
—Dequoiveux-tuparler?—Denous,répondit-ellesimplement.Sonvisagesefermaaussitôt.Illaregardaaveclassitude,etunetelleindifférencequ’elleenfut
effrayée.Elleavaitl’impressiondelevoirs’éloignerd’elle,littéralement.Unbourdonnementlesfitsursauter.Chrysandermurmuraunjuronetdécrochal’Interphone.—Oui?dit-ild’untonsec.—C’estRoslyn.Puis-jemontervousvoir?Reconnaissant la voix de l’assistante deChrysander,Marley se raidit de la tête aux pieds. La
soirée était déjà bien avancée, mais Roslyn n’hésitait pas à venir à l’appartement, alors qu’ellen’ignoraitpasqu’ilnevivaitpasseul.
—Je suis trèsoccupépour lemoment,Roslyn.Celapeut sûrement attendreque jevousvoiedemainaubureau.
—Malheureusement, non. J’ai besoin de votre signature sur un contrat qui doit partir avant7heuresdemainmatin.
—C’estbon,montez!réponditChrysander.Ilselevad’unbondetsedirigeaversl’armoirepouryprendreunpantalonetunechemise.—Pourquoivient-elleaussisouventici?demandaMarleyàvoixbasse.—C’estmonassistante, réponditChrysander,surpris.C’estson travaildemejoindre làoù je
suis.—Ycomprischeztoi?— J’en ai pour un instant, se contenta-t-il de répondre en boutonnant sa chemise. Nous
continueronsnotreconversationtoutàl’heure.Marley le regarda s’éloigner, plus oppressée que jamais. Elle aurait volontiers remis la
discussionàplustard,maiselledevaitabsolumentluidirequ’elleétaitenceinte,etellenepouvaitpasluiparlerdubébésansêtresûredesessentimentsàsonégard,etdesesprojetspourl’avenir.
Lesminutess’écoulèrent,etelledevintdeplusenplusanxieuse.Elle remitson jeanetsonT-shirt,pournepassesentirenpositiond’inférioritéquandil reviendrait.Etdirequ’elleavaitprévud’êtrel’imagemêmedel’éléganceetdelasérénitéaumomentd’abordercetteconversation!
Chrysanderrevintenfin,l’airpréoccupé.Voyantqu’elles’étaitrhabillée,illuilançaavecunpetitsourire:
—Jetepréfèrenettementnue,agapimou.Ellesouritàsontour,émuecommetoujoursquandill’appelait«monamour»engrec.—Desproblèmesaubureau?—Toutauraitdûêtreréglédepuislongtemps.Ilmanquaitjusteunesignature.Ilserapprochad’elleavecl’aird’unfauveaffamé,toutendéboutonnantsachemise.—Chrysander…ilfautquenousparlions.Ileutl’airirritémaisfinitparpousserunsoupirrésignéens’asseyantàcôtéd’ellesurlelit.—Commetuveux.Qu’est-cequitepréoccupe?Craignantdeperdresesmoyenssiellerestaitaussiprèsdelui,elles’installaàl’autreboutdulit.—J’aimeraissavoircequeturessenspourmoi,commenttuenvisagesnotrerelation…etnotre
avenir.
Elle lui jetaun coupd’œil, inquiètede sa réaction. Il la regardait d’un airmorose, les lèvrespincées.
—Voilàdoncoùonenest!répondit-ild’unairsombre.—Que veux-tu dire par « où on en est » ? balbutia-t-elle. J’ai juste besoin de connaître tes
sentiments pour moi. De savoir si nous avons un avenir. Tu parles toujours de nous au présent,expliqua-t-elleavecmaladresse.
Ilsepenchaverselleetluiglissaunemainsouslementonpourlaregarderdroitdanslesyeux.—Iln’yapasde«relation»entrenous,luidit-ilsèchement.Tusaistrèsbienquelesrelations,
cen’estpaspourmoi.Tuesmamaîtresse,unpoint,c’esttout.Marleyeutl’impressiond’avoirétégiflée.Sidérée,ellelefixad’unairbouleversé.—Tamaîtresse?répéta-t-ellelagorgeserrée.Elle n’aurait pas eu d’objection à « petite amie », « compagne », « copine »… Mais
«maîtresse»?Laconsidérait-ilcommeunefemmeentretenue,payéepoursesservicessexuels?Ellesentitlanauséel’envahir.Lerepoussant,elleselevaets’éloignadelui.Illadévisagead’un
airstupéfait.—C’est toutceque je suispour toi ?Unemaîtresse?demanda-t-elled’unevoixérailléepar
l’émotion.
***
—Tun’espastoi-même,luirépondit-ilavecimpatience.Rassieds-toi,jevaisallertechercherunverre. J’ai euune semaine fatigante, et tun’esmanifestementpasbien.Cen’estvraimentpas lemomentdeparlerdetoutça,paspluspourtoiquepourmoi.
Irrité,ilselevaetsedirigeaàgrandspasverslacuisine.Ilavaitpassétoutelasemaineàtendredespiègesà lapersonnequiessayaitde le ruinerenvendant ses secretsà laconcurrence,et s’ilyavait une chose dont il n’avait vraiment pas besoin, c’était une querelle avec une maîtressehystérique!
IlpréparaunverredejusdefruitspourMarleyetseversaunebonnedosedecognac.Ilsentaitvenirlamigraine.
IlsouritenapercevantleschaussuresdeMarleyenpleinmilieudel’entrée;àsonhabitude,elles’enétaitdébarrasséeàpeinesortiedel’ascenseur,etavaitabandonnésonsacsurlecanapé.
Cen’étaitpasunefillecompliquée;c’étaitbienpourquoi ilavaitétésurprisparsaréactionàl’instant.Celane lui ressemblaitvraimentpas.Marleyn’étaitpascollante ; sansquoi, leur relationn’auraitjamaisduréaussilongtemps!
Leur«relation»?Nevenait-ilpasde luiexpliquerqu’iln’yavaitpasderelationentreeux?Elleétaitsamaîtresse,riendeplus.
Iln’auraitpasdûluidireleschosesaussicrûment.Elledevaitêtresouffranteetavaitbesoind’unpeudetendresse.Cetteseuleidéeluidonnaitenviedefuir,maisaprèstoutelleavaittoujoursétélàpourluiquandilrentraitfatiguédesesvoyagesd’affairesoudesesréunions.C’étaitsontourdeluidonnerautrechosequeduplaisirsexuel.
Il s’apprêtait à regagner la chambre lorsqu’un papier dépassant du sac deMarley attira sonregard.Ils’arrêtanetenfronçantlessourcilsetposalesdeuxverressurlatable.
Ilnepouvaitencroiresesyeux.Il attrapa la liasse de documents et la feuilleta, sentant une colère noire l’envahir. Marley !
Marleyétaitlapersonnequiletrahissait!Ilauraitvoulupouvoirlenier.Détruirelespreuvesetfaire
commesiellesn’avaientjamaisexisté.Maisellesétaientlà,soussesyeux:ilavaitentrelesmainslesfaux documents qu’il avait volontairement laissés traîner cematin, dans l’espoir de découvrir quivendaitlessecretsdel’entrepriseàsonconcurrent.Ellen’avaitvraimentpasperdusontemps!
Soudain,toutdevintclair.C’étaitàpeuprèsàl’époqueoùelleétaitvenuevivreavecluiquelesplansd’architecteavaientcommencéàdisparaître.Elleavaittravaillépourl’entreprise,et,mêmes’ill’avait convaincue de renoncer à son poste pour se consacrer à lui, elle était toujours autorisée àcirculeràsaguisedanslesbureaux.
Maisquelimbécileilavaitété!LecoupdetéléphonedeStavros,quelquesheuresplustôt,luirevintbrusquementàlamémoire.
Sur lemoment, il avait juste étéunpeu irrité et s’était promisde rappeler àMarleyqu’elledevaitrespecterlesrèglespoursapropresécurité.Alorsquec’étaitluiquin’étaitpasensécuritéavecelle!Elles’était rendueàsonbureaupuisavaitdisparupendantplusieursheures.Et,commeparhasard,desdocumentsvolésàl’entrepriseseretrouvaientdanssonsac!
Lepoingcrispésurlespapiers,ilsedirigeadroitverslachambre.Marleyétaittoujoursassisesurlelitettournaversluiunvisagebaignédelarmes.Quellecomédienne!
—Tuasunedemi-heurepourpartird’ici,luidit-ild’untonsec.Marleylefixa,abasourdie.—Jenecomprendspas,répondit-elled’unevoixétranglée.— Tu as une demi-heure pour faire tes bagages avant que j’appelle le vigile et qu’il te
raccompagneenbas.Elleselevad’unbond,incapabledecomprendrecequ’ilsepassait.Commentlasituationavait-
ellepusedégraderàcepoint?Ellen’avaitmêmepaseuletempsdeluiparlerdubébé.—Quesepasse-t-il,Chrysander?Pourquoies-tufurieuxcontremoi?Est-ceparcequej’aimal
réagiquandtum’asditque j’étais tamaîtresse?J’aiétébouleversée ; jecroyaisquenosrelationsallaientplusloinquecela.
— Il te restevingt-huitminutes, répliqua-t-il froidement.Tucroyaisvraimentque tupourraist’entireraussifacilement?poursuivit-ilenluimontrantuneliassededocuments.Tum’asmentiettum’astrahi,tun’asplustaplaceici.
Marleysesentitvaciller,maisilnefitpaslemoindregestepourluivenirenaide.—Jenesaispasdequoituparles,répondit-elleàvoixbasse.J’ignoretoutdecesdocuments.— Tu es une voleuse, rétorqua-t-il avec une moue méprisante. Estime-toi heureuse que je
n’appelle pas la police. Mais je te préviens que si jamais tu t’approches de moi à l’avenir, c’estexactementceque jeferai.Tuauraispucouler l’entreprise,avec tesmanigances.Malheureusementpour toi, tu as été prise à ton propre piège : ces documents sont des faux, et tu es tombéedans lepanneau.
—Unevoleuse?répéta-t-elleavecnervosité.Elle lui arracha les papiers et essaya de comprendre, mais les mots et les graphiques se
brouillaient devant ses yeux. Elle aperçut un courriel provenant manifestement de l’entreprise deChrysander, et quelquesmots lui sautèrent aux yeux : dossier confidentiel ; plans détaillés ; appeld’offresinternational;photocopiedesdessinsd’architecte…Ellen’avaitpaslamoindreidéedecedontils’agissait.
Ellelevalesyeuxversluienayantl’impressionquelemondes’écroulaitautourd’elle.—Tum’accusesd’avoirvolécesdocuments?—Ilsétaientdanstonsac.N’essaiepasdelenier.Contente-toidedéguerpir : il terestevingt-
cinqminutes.
Lagorgenouée,elleavaitl’impressiondenepluspouvoirrespirer,nipenser,niréagir.Ellesedirigeaverslaporte,hébétée,sanssongeràprendresesaffaires.Toutcequ’ellevoulait,c’étaitfuir.Dans l’entrée, elle s’appuya un instant au chambranle et se retourna pour regarder Chrysander. Ilconservaunairimplacable,lestraitsdurs,leregardglacé.
—Commentas-tupumecroirecapabled’unechosepareille?murmura-t-elle.Aveugléeparleslarmes,elles’engouffradansl’ascenseur,et,aurez-de-chaussée,leportierlui
proposad’unairinquietdeluiappeleruntaxi,maisellerefusad’ungesteets’éloignaentitubant.Lanuitétaittombée,maisellen’yfitpasattention,pasplusqu’auxlarmesquiluicoulaientsurle
visage.ElleobligeraitChrysanderàl’écouter.Elleattendraitjusqu’aumatin,pourluidonnerletempsdesecalmer,puiselleretourneraitlevoiretluiparlerait.Cen’étaitqu’unimmensemalentendu.Ilyavaitforcémentmoyendeluifaireentendreraison.
Elle était si bouleversée qu’elle ne remarqua pas l’homme qui la suivait.Aumoment où elleallaittraverserlarue,ellesentitqu’onl’attrapaitparlebras,etsescrisdeterreurfurentrapidementétouffésparunsacqu’onluijetasurlatête.
Ellesedébattitdetoutessesforcesmais,enunriendetemps,sonagresseurl’obligeaàmonteràl’arrièred’unvéhicule.Uneportièreclaqua,elleentenditdesbribesdeconversation,puislevéhiculedémarra.
2
Troismoisplustard.
Assisàsonbureaudanssonappartementnew-yorkais,Chrysanderréfléchissaitd’unairsombre,fixantsanslesvoirlesdocumentsdevantluitandisquelatélévisiondébitaitlesdernièresnouvellesensourdine.Ilauraitdûavoirl’espritenpaix,àprésentquesonentrepriseétaithorsdedanger,maislefaitqueMarleyl’aittrahicontinuaitàletorturer.
Il n’était à NewYork que pour quelques heures. Son frère Theron l’attendait le lendemain àLondrespourdonnerlepremiercoupdepiochedeleurnouvelhôtel—unhôtelquin’auraitjamaisvulejoursiMarleyétaitparvenueàsesfins.Chaquefoisqu’ilrepensaitàlafaçondontlui,leP.-D.G.d’AnetakisInternational,avaitétémanipuléettrahiparcettefemme,ilavaitenviedehurlerderage.Acaused’elle,leurprincipalconcurrents’étaitappropriédeuxdeleursprojets.Ilauraitdûladénonceràlapolice,maisilavaitététropfaiblepours’yrésoudre.
Ilnes’étaitmêmepasdébarrassédesesaffaires.Ils’étaitditqu’ellereviendraitleschercher,etavaitmêmevaguement espéréqu’elle luidonnerait ainsi l’occasionde luidemanderpourquoi elleavaitfaitunechosepareille.Ils’enoccuperaitlaprochainefoisqu’ilreviendraitàNewYork.Ilétaitvraimenttempsdetournerlapage.
Lorsqu’il crut entendreunevoixprononcer lenomdeMarley Jameson, ilpensa toutd’abordquec’étaitunsimpleéchodesessombresruminations,maisàlasecondeoccurrence,ilcompritquelavoixétaitcelleduprésentateurdetélévision.Unjournalistesetenaitdevantl’entréed’unhôpital,etilfallutquelquesinstantsàChrysanderpourvraimentsaisircequ’ildisait.Lereportercommentaitàprésent des images plus anciennes,montrant une femme sur un brancard, avec à l’arrière-plan unbâtimentàl’abandon.Chrysandersepenchapourmieuxvoir,incrédule.C’étaitMarley!
Ilselevad’unbondpourattraperlatélécommandeetaugmenterleson.Marleyavaitétéenlevéeetvenaitd’êtrelibérée.Onignoraitencoreparquietpourquoielleavait
étéretenueprisonnière,maiselleétait restéeplusieurssemainesencaptivité.Lesravisseursavaientréussiàéchapperàlapolice,quin’avaitprocédéàaucunearrestation.
Chrysander craignit un instant d’entendre le journaliste prononcer son propre nom, avant desongerqu’ilyavaitpeuderisques.SaliaisonavecMarleyétaitrestéesecrète,àlafoispourpréserversavieprivée,etpour lasécuritédesonentreprise.Lorsqu’ilavaitcomprisqu’elle l’avait trahie, ils’étaitfélicitédes’êtretoujoursgardéd’étalersesrelationspersonnellesenpublic.Iln’auraitjamaissupportéquesonentourageapprennequ’ils’étaitlaissédupercommeunimbécile.
Acetinstant,lacaméramontralevisageapeuréetexsanguedeMarleyengrosplan,etilsentitun étrange pincement au cœur. Elle avait lamême expression que le soir où il avait découvert sa
trahison.Pâlecommeunlinge,bouleversée,etvulnérable.Maislederniercommentairedujournalistelelaissapantois:lajeunefemmeétaitapparemment
enceintedequatreoucinqmois;lamèreetl’enfantnesemblaientpasavoirsouffertphysiquementdeleurcaptivité.
—Théémou,murmura-t-ilenréfléchissantàtoutevitesse.Sansplusattendre,ilattrapasontéléphoneportableetsortitdesonappartement.Ilétaitàpeine
arrivé dans le hall de l’immeuble que son chauffeur se garait devant l’entrée. Chrysander montaaussitôtàl’arrièretoutencomposantlenumérodel’hôpitaloùMarleyavaitétéemmenée.
***
—Sasantéphysiquenemedonnepasd’inquiétude,expliqualemédecin.Surleplanémotionnel,enrevanche,jen’endiraispasautant.
Chrysanderbouillaitd’impatienceenécoutant lemédecin.Dès sonarrivéeà l’hôpital, il avaitgagnéleserviceoùMarleyavaitétéadmiseet,commelepersonnelsoignantluirefusaitl’accèsàsachambre, il s’était présenté comme son fiancé, exigeant qu’elle soit examinéeparun spécialiste. Ildevaitàprésentattendrelefeuvertdumédecinpourêtreautoriséàlavoir.
—Elleestdoncindemne,conclut-il.—Jen’aipasdit cela. Jevousai seulementexpliquéqu’iln’yavait riendegrave sur leplan
physique.—Danscecas,dites-moiclairementcequejedoissavoir.Lemédecinlefixauninstantavantdeposersesnotessursonbureau.—MlleJamesonasubiungravetraumatisme.Ilm’estimpossibledel’évaluerplusprécisément,
carellen’agardéaucunsouvenirdesacaptivité.—Pardon?s’exclamaChrysanderavecincrédulité.—Enfait,ellen’amêmeaucunautresouvenir.Elleapudonnersonnom,maisc’estàpeuprès
toutcequ’elle se rappelle.Ellen’avaitmêmeplusconscienced’êtreenceinteavantquenous le luiapprenions.
Chrysanderfourrageadanssescheveuxenjurantàmi-voix.—Ellenesesouvientderien?Riendutout?—J’aibienpeurquenon.Elleestextrêmementfragile,vulnérable.C’estpourquoivousdevezà
toutprixéviterde l’inquiéter.Elledoitporter sonbébépendantquatremois encore, et se remettred’uneexpérienceextrêmementéprouvante.
—Jen’aiaucuneintentiondel’inquiéter,rétorquaChrysanderavecirritation.J’aijustedumalàcroirequ’elleneserappellerien.
— Ces dernières semaines ont été traumatisantes pour elle. Son amnésie est sans doute unmécanismededéfensemisenplaceparlecerveau,letempsqu’ellerécupèreetsoitassezfortepourseconfronteràcequiluiestarrivé.
—L’ont-ils…Chrysanderneputserésoudreàprononcerlemotetsecontentadedemander:—L’ont-ilsmolestée?L’expressiondumédecins’adoucit.—L’examenmédicaln’a révéléaucunmauvais traitementphysique.Mais il est impossiblede
savoirprécisémentcequ’elleaenduré tantqu’elleneserapasenmesuredenous le révéler.Nousdevonsêtrepatientsetéviterdelaquestionnertantqu’ellen’estpasprête.Commejevousl’aidit,elle
est extrêmement fragile ; il faut éviter de lui en demander trop, trop vite, sinon les conséquencespourraientêtredramatiques.
Chrysanderétouffaunnouveaujuron.—Jecomprends. Jeveilleraiàcequ’elle soitentouréed’unmaximumd’attentions.Puis-je la
voiràprésent?—Vouspouvezlavoir,réponditlemédecind’untonhésitant.Maisilvaudraitmieuxnepastrop
luiparlerdesonenlèvement.—Vousmedemandezdeluimentir?ditChrysanderenluijetantunregardnoir.—Jevousdemandeseulementdenepas l’inquiéter.Racontez-luisaviequotidienne.Lafaçon
dontvousvousêtesrencontrés.Touteslespetiteschosesdelaviecourante.Toutefois,lepsychiatredel’hôpitalquej’aiconsultésuggèred’éviterdansunpremiertempsdeluiparlerdesacaptivitéetdelafaçondontelleaperdulamémoire.Enfait,nousignoronsengrandepartiecequiluiestarrivé;mieux vaut donc éviter des hypothèses qui pourraient se révéler totalement fausses. Il lui faut ducalme.Danssonétat,unnouveautraumatismepourraitavoirdegravesconséquences.
Chrysanderacquiesçad’unsignedetête.Ilvoulaitsavoirauplusvitecequis’étaitpassé,maislesconseilsdumédecinparaissaientsensés. IléviteraitdoncdepresserMarleydequestionssiceladevaitluinuire,ounuireaubébé.Iljetauncoupd’œilàsamontre.Ildevaitencores’entreteniraveclespoliciers,maisilvoulaitd’abordvoirMarley.
—Jevaisdemanderàl’infirmièredevousconduireàsachambre,ditlemédecin.
***
Marleyavaitl’impressiond’émergerd’unépaisbrouillard.Elleprotestaàvoixbasseenouvrantlesyeux.Ellen’avaitvraimentaucuneenviede recouvrer laconscience.Etreplongéedans lenoir,ignorantedecequil’entourait,luiconvenaittrèsbien.
Aquoibons’éveiller?Savien’étaitplusqu’unnéantentourédeténèbres.Laseulechosequ’elleparvenaitàserappeler,c’étaitsonnom:Marley.
Elleessayaunefoisdeplusdetrouverdesréponsesauxquestionsquiassaillaientsonespritdèsqu’elles’éveillait.Maissonpassén’étaitplusqu’unevasteétenduedéserte.Lesréponsessemblaientflotterdevantelle,toujourshorsd’atteinte.
Elletournalatêtesurl’oreiller,biendécidéeàreplongerdansl’oublidusommeil,lorsqu’unemain attrapa fermement la sienne. Une vague de panique l’envahit avant qu’elle ne se souviennequ’elleétaitensécuritéàl’hôpital.Maisellen’enretirapasmoinsvivementsamain.
—Neterendorspastoutdesuite,glykiamou,ditunevoixmasculine.Déroutée,elle se tournaverscet inconnudont lavoixgrave luiavait fait l’effetd’unechaude
caresse. Etait-elle censée le connaître ? Savait-il qui elle était ? Etait-il le père de l’enfant qu’elleportait?
Elleportainstinctivementlamainàsonventrearronditoutenledévisageant.C’étaitunhommeimposant.Grand,mince,lesyeuxcouleurd’ambre,illafixaitd’unairdangereuxetrésolu.Iln’étaitmanifestementpasaméricain.
Comme si cela avait de l’importance ! Elle éclata presque de rire devant l’absurdité de sesréflexions,enunmomentoùelleauraitdûexigerdesavoirqui ilétait,etpourquoi ilvenaitàsonchevet.
—Notrebébévabien,dit-ilenréponseaugestedeMarley.
Elle se raidit en comprenant qu’il venait en effet de revendiquer la paternité de son bébé.Commentpouvait-ellenepas lereconnaître?Elleessayadésespérémentdetrouverunsemblantdefamiliaritéàsestraits,maisneparvintqu’àaccroîtresonmalaiseetsapeur.
—Quiêtes-vous?finit-elleparmurmurerd’unevoixinquiète.Une petite flamme brilla dans ses yeux d’or,mais son visage nemontra rien de ses pensées.
L’avait-elleblessé en révélantqu’ellene le reconnaissait pas ?Elle essayade semettre à saplace,d’imaginercequ’elleauraitressentisilepèredesonenfantavaitparuignorerquielleétait.
Ilapprochaunechaisedulitets’assit.Quandilluipritlamain,elleseforçaànepaslaretirer.—JesuisChrysanderAnetakis.Tonfiancé.Elleledévisagea,essayantdedéterminers’ildisaitlavérité.Illaregardaitd’unaircalme,sans
émotionapparente.—Jesuisdésolée,répondit-elleenessayantdecontrôlersavoixtremblante.Jenemesouviens
pas…—Je sais.Lemédecinm’aprévenu.Mais peu importe ce dont tu te souviensounonpour le
moment.L’important,c’estquetutereposesetterétablisses,afinquejepuisseteramenercheznous.—Cheznous?répéta-t-elleensesentantpaniquer.—Oui,cheznous.—Oùest-ce,«cheznous»?Elle s’en voulait d’avoir à poser la question, d’être là, impuissante, à parler avec un parfait
inconnu. A cela près qu’il était manifestement tout sauf un inconnu. Ils avaient eu des relationsintimes, elle avait dû être amoureuse de lui. Ils étaient fiancés, et elle portait son enfant.Tout celan’aurait-ilpasdûsuffireàréveillersessouvenirs?
—Netetracassepasainsi,glykiamou,dit-ildoucement.Jevoisbienquetutefaisbeaucouptropde souci. Prends les choses comme elles viennent. Le médecin a affirmé que tous tes souvenirsfiniraientparterevenir.
Elleagrippasamainetregardaleursdoigtsentrelacés.—C’estvrai?Etsijamaiscen’étaitpaslecas?Lapaniquel’envahitdenouveau,l’oppressantàtelpointqu’ellecrutétouffer.Chrysanderluicaressadoucementlajoue.—Calme-toi,Marley.Cen’estpasbonpourtoinipourlebébédet’inquiéterainsi.L’entendreprononcersonnomluifituneffetétrange.Elleavaitbeauserappelersonidentité,
elleavaitl’impressionqu’ilparlaitd’uneétrangère.Elles’étaitsentiesiperdueenserendantcomptequ’ellen’avaitaucunsouvenirdesapropreexistencequ’elleavaitfinipardouterdesonproprenom.
—Pouvez-vousmedonnerquelquesdétailssurmoi,siinsignifiantssoient-ils?Elleétaitàdeuxdoigtsdel’implorer,etellesentitleslarmesluimonterauxyeuxetluinouerla
gorge.—Nousaurons tout le tempsdeparler, répondit-ild’un tonapaisantenécartantgentiment les
mèches qui lui tombaient sur les yeux. Pour l’instant, repose-toi. Je vaism’occuper de te ramenercheznous.
C’étaitladeuxièmefoisqu’ilparlaitde«chezeux»,maisilneluiavaittoujourspasditoùilsvivaient.
—Oùest-ce,«cheznous»?demanda-t-elledenouveau.— Jusqu’à maintenant, « chez nous », c’était ici, à New York. Je voyage souvent pour mes
affaires,mais nous partagions un appartement en ville. J’ai toutefois l’intention de t’emmener surmonîledèsquetupourrasvoyager.
Elle fronça les sourcils,décontenancée. Il avaitdit toutcelad’un tonsi impersonnel !Sans lamoindrejoie,lamoindreémotion,commes’ilsecontentaitdelireuntexte.
Commes’ilsentaitqu’elles’apprêtaitàluiposerd’autresquestions,ilsepenchaverselleetluiposaunbaisersurlefront.
—Repose-toi,glykiamou. Je dois prendre des dispositions.Lemédecin a dit que tu pourraissortird’iciquelquesjourssitoutvabien.
Ellefermalesyeuxaveclassitudeetsecontentad’acquiescerdelatête.Ilrestaquelquesinstantsdeboutàlaregarder,puisellel’entendits’éloigner.Unefoislaportefermée,ellerouvritlesyeuxetsentitleslarmesluicoulersurlesjoues.
Elle aurait dû être soulagée à l’idée de ne pas être seule. Mais la présence de ChrysanderAnetakis ne lui avait pas apporté le réconfort auquel elle aurait pu s’attendre. Elle éprouvait plusd’appréhensionquejamais,sanssavoirpourquoi.
Elle se pelotonna sous le drap et ferma les yeux, aspirant à retrouver l’engourdissement dusommeil.
Lorsqu’elleseréveilla,uneinfirmièresetenaitprèsd’elle.—Parfait, vous voilà réveillée ! dit-elle d’un ton enjoué. J’ai apporté votre repas.Vousvous
sentezprêteàmanger?Marleysecoualatête.Cetteseuleidéeluidonnaitlanausée.—Laissezleplateau.Jeveilleraiàcequ’ellemange.Marleyrelevalatête,surprise,etaperçutChrysander,quilaregardaitd’unairpresquefarouche.
L’infirmièreluisouritetditàMarley,ens’apprêtantàsortir:—Vousavezdelachanced’avoirunfiancéaussidévoué.—Oui,j’aidelachance,murmuraMarleyensedemandantpourquoielleavaitunetelleenvie
depleurer.Dès que l’infirmière eut refermé la porte, Chrysander rapprocha la chaise du lit et posa le
plateaudevantMarley.—Tudoismanger.—Jen’aivraimentpasfaim,répondit-elleavecnervosité.—Maprésencet’est-elledésagréable?—Ce…Elleauraitvoululenier,maiscen’auraitpasététotalementvrai.Commentpouvait-elleluidire
qu’ill’intimidait?Elleétaitcenséel’aimer.Avoirfaitl’amouraveclui,ajouta-t-elleintérieurementensentantsonvisages’empourprer.
—Aquoipenses-tu?dit-ilenluiprenantlamainetenlacaressantmachinalement.—A…àrien,répondit-elleendétournantlevisage,carlamanièrequ’ilavaitdeladévisagerla
mettaitmalàl’aise.—Tuaspeur,etc’esttoutàfaitcompréhensible.Ellesetournadenouveauverslui.—Celanevousmetpasencolère,quej’aiepeurdevous?Franchement,jesuisterrifiée.Jene
mesouvienspasdevousnid’aucunautreaspectdemavie.Jeportevotreenfant,etjenemesouviensabsolumentpasdenotrevieensemble.
Ellecrispalespoingssurledrap,leramenantsurellecommepourseprotéger.Chrysander avait une expression presque sévère. Etait-il réellement en colère ? Faisait-il un
effortpourlecacher?
—Tuastoi-mêmeexpliquéleschoses.Tunetesouvienspasdemoi,jesuisdoncuninconnupour toi. Je n’ai plus qu’à… gagner ta confiance, dit-il en ayant l’air de trouver ce dernier motparticulièrementdétestable,maislevisagetoujoursimpassible.
—Chrysander…,commença-t-elled’untonhésitant.Elleavaitespéréqueprononcersonprénoméveilleraitaumoinsunsouvenirenelle,maisson
espritrestadésespérémentvide.—Oui,glykiamou?—Quem’est-ilarrivé?Commentmesuis-jeretrouvéeici?Commentai-jeperdulamémoire?Il luireprit lamain,etcettefoiselleenfutréconfortée.Sepenchantverselle, il luicaressala
jouedesamainlibre.—Tuveuxallertropvite.Lemédecinabienditquetudevaisprendretontemps.Pourl’instant,
l’important, pour toi et pour notre enfant, est que tu teménages. Tout te reviendra quand tu serasprête.
Ellesoupiraencomprenantqu’ilnecéderaitpas.—Repose-toi,dit-il en se levant et en lui effleurant le frontde ses lèvres.Tupourrasbientôt
sortird’ici.Elle aurait voulu se sentir réconfortée par ses paroles. Au lieu de cela, une telle peur de
l’inconnu l’envahit qu’elle crut suffoquer. Elle sentit la sueur dégouliner sur son visage, et lesquelquesbouchéesqu’elles’étaitforcéeàavalermenacèrentderemonteràlasurface.Chrysanderlafixad’unairinquietpuis,sansunmot,appuyasurlasonnette.
L’infirmièrearrivaaussitôt.Enapercevant levisagedécomposédeMarley,elles’empressadeluifaireunepiqûreenluidisantd’untonapaisant:
—Iln’yapasderaisondepaniquer.Vousêtesensécuritéici.MaisMarleynepouvaitsedébarrasserdel’angoissequil’oppressait.Commentl’aurait-ellepu,
alors qu’elle allait bientôt se retrouver au-dehors, dans un environnement tout aussi inconnu quel’hommedontelledépendrait?
Chrysanderrestaitdeboutprèsdulit,laregardantattentivement,couvranttoujourssamaindelasienne.Bientôt,ellesesentitgagnéeparunengourdissementbienfaisanteteutl’impressiondeflottersurunemerapaisée.LesparolesdeChrysanderfurentladernièrechosequ’elleentendit:
—Dors,glykiamou.Jeveillesurtoi.Bizarrement,cettepromesseparvintàlaréconforter.
***
Chrysander resta dans la pénombre à regarder Marley dormir. Il se sentait si crispé que lamigrainelegagnait.
La respiration de la jeune femme était saccadée, et son visage semblait tendu jusque dans lesommeil.Ilserapprochaduliteteffleurasonfrontpâle,commes’ilavaitpudissipersonangoisseduboutdesesdoigts.
Malgré sa faiblesse, elle était toujours aussi jolie. Ses boucles sombres se répandaient surl’oreiller.Doucement,ilenécartaunedesonfront.Sescheveuxavaientpousséetneformaientpluscecasquedemèchesnoiresquivolaientdetouscôtésquandelleriait.
Sonvisageavaitperdudesafraîcheur,maisilespéraitquedèsqu’elleauraitrecouvrélasanté,elleretrouveraitceteintlumineuxqu’ilavaittantaimé.Etl’éclatdesesyeuxbleusoùdansaittoujoursunelueurdegaietélorsqu’elleétaitheureuse.
Iljuraàmi-voixets’écartadulit.Avait-ildoncdéjàoubliéqu’ellen’étaitqu’unesimulatrice?Ellen’avait jamaisétévéritablementheureuseavec lui.D’ailleurs,cen’étaitpas lebonheurqu’elleavaitcherchépendanttouscesmoispassésensemble,maislemoyendeleruiner.
Ill’avaittoujoursconsidéréecommeunesimplemaîtresse,maiselleavaittoutdemêmeoccupéuneplaceàpartdanssavie.LafortunedesAnetakisn’avaitétépourriendansleurrelation…oudumoinsétait-cecequ’ilavaitcru.Alorsqu’enréalité iln’yavaiteuque l’argentet la trahisonentreeux.Ilauraitdûyêtrehabitué,vusonexpériencedesfemmes.
Pourtant,ledésirqu’iléprouvaitpourellen’étaitpasmort.C’étaitunevéritabledrogue,etilnesevoyaitpass’enpasser.
Il secoua la têted’unair sombre.Elle attendait unenfantdont il était le père : c’était la seulechosequicomptait.Cetenfantlescontraindraitàsecôtoyer,etleuravenirseraitinéluctablementlié.Mais il pouvait se contenter de les protéger, elle et leur bébé, et de leur assurer une existenceconfortable.Elleréchaufferaitsonlit,etilnepouvaitnierquecetteperspectiveétaitparticulièrementplaisante.
Mais,endehorsdecela,ellen’obtiendraitriendelui,etsurtoutpassaconfiance.
3
Deuxjoursplustard,Marleyattendaitnerveusementledépart,assisedansunfauteuilroulant,lesdoigtscrispéssurlacouvertureposéesursesgenoux.Asescôtés,Chrysanderécoutaitattentivementlesconseilsdelasurveillante.Marleylissalesplisdelatuniquedegrossessequ’unedesinfirmièreslui avait procurée. Tout le monde s’était montré extrêmement gentil, et elle paniquait à l’idée dequittercecocondouilletpours’aventurerdansununiversdontellen’avaitaucunsouvenir.
Mais lasurveillanteavait terminé,etChrysanderpoussaMarleyvers lasortie.Lesoleil lui fitclignerdesyeux.Unelimousineattendaitàquelquesmètresdelaporte,etChrysandersoulevaMarleydesonfauteuilcommeunfétudepaillepourl’asseoiràl’arrière.Quelquessecondesplustard,ilssecoulaientdanslacirculationets’éloignaientdel’hôpital.
Marleyfixalepaysagenew-yorkaisquidéfilaitderrièrelesvitres.Lavilleelle-mêmeluiétaitfamilière,ellereconnaissaitcertainsmagasins,certainsbâtiments,maisellen’avaitabsolumentpaslesentimentd’êtrechezelle,danssaville.Chrysanderneluiavait-ilpourtantpasditqu’ilsvivaientici?
Ilss’arrêtèrentdevantunbelimmeublecontemporain.Chrysanderl’aidaàdescendredevoitureet,lasentantchanceler,luipassaunbrasautourdelataillepourl’aideràgagnerl’entrée.Quandlesportes de l’ascenseur s’ouvrirent, elle eut le sentiment d’avoir déjà vécu cette scène. L’espace dequelques secondes, il lui sembla qu’un souvenir voulait remonter à la surface, et elle essayadésespérémentdedissiperlesténèbres.
—Quesepasse-t-il?demandaChrysander.—Jesuisdéjàpasséeici,murmura-t-elle.—Tut’ensouviens?—Non.J’aijustel’impressiondequelquechose…defamilier.Jesaisquejesuisdéjàvenueici.—Nousavonsvécuici…plusieursmois.C’estnormalquetuaiescetteimpressiondedéjà-vu.Lesportesdel’ascenseurserouvrirent,maisMarleynesortitpasimmédiatement.L’expression
qu’ilavaitutiliséeétaitbizarre.«Nousavonsvécu ici»?Nevivaient-ilspasdanscetappartementquelquesjoursauparavantencore,justeavantcetaccidentdontellen’arrivaitpasàsesouvenir?
Chrysanders’arrêtapourl’attendreetluitenditlamain.—Viens,Marley.Noussommescheznous.Elleglissasamaindanslasienneets’avançadansl’entréed’unappartementsomptueux.Quand
ilsarrivèrentdanslesalon,elleeutlasurprisedevoirunegrandejeunefemmeblondeveniràleurrencontre.
—Bienvenue,monsieurAnetakis,dit-elleàChrysanderenluisouriantetenposantlamainsurson bras d’un geste familier. J’ai déposé sur votre bureau tous les contrats qui requièrent votre
signatureainsiquevosmessages,classésparurgence.Jemesuisaussipermisdevouscommanderundînerchezuntraiteur,certainequevousn’auriezaucuneenviedesortiraprèslesépreuvesdecesderniersjours,ajouta-t-elleenjetantunregardglacialàMarley,quieutsoudainl’impressiond’êtretotalementinsignifiante.
Marleyneputs’empêcherdefroncerlessourcilsenl’entendantparlerdes«épreuves»vécuesparChrysander,commes’ilétaitleseulconcerné.
—Merci,Roslyn,réponditChrysander.Vousn’auriezpasdûvousdonnertoutcemal.Marley,ajouta-t-ilenl’attirantcontrelui,voiciRoslynChambers,monassistante.
Marleyluiadressaunsourirehésitant.—Raviedevousrevoir,mademoiselleJameson,ditRoslynd’unairgracieux.Voilàlongtemps
quenousnenousétionspasrencontrées.Celadoitbienfairedesmois.—Roslyn…,intervintChrysander.Marley était de plus en plus déconcertée. Cette femme était de toute évidence parfaitement à
l’aisechezeux,etpourtantellenel’avaitpasvuedepuisplusieursmois?Entoutcas,siunechoseétaitclaire,c’étaitlafaçonpossessivedontelleregardaitChrysander.
—Jevouslaisse,ditRoslynensouriantaimablement.Jesuissûrequevousavezbeaucoupdechosesàvousdire.Appelez-moisivousavezbesoindequoiquecesoit,ajouta-t-elleensetournantversChrysanderetenluiposantdenouveaulamainsurlebras.Jeviendraiaussitôt.
—Merci,murmuraChrysander.Lajeunefemmeregagnal’entrée,sestalonsaiguillesrésonnantsurlesolenmarbre.Ellesourit
àChrysanderenattendantquelesportesdel’ascenseursereferment.Marleydétournaleregard,lagorgesoudainserrée.Chrysandersetenaitàsescôtés,trèsraide,
commes’ils’attendaitqu’elleréagisse.Maiselles’engardabien.Elleluiposeraitplustardlesmilleetunequestionsquisebousculaientdanssatête.
—Viens,luiditChrysanderenluientourantlesépaulesdesonbras,tudevraisêtreaulit.—J’aipassésuffisammentdetempsaulitcommecela,répondit-elled’unevoixferme.—Alorsinstalle-toiaumoinssurlecanapé.Jevaist’apportertonrepas.Manger.Sereposer.Mangerencore.Marleyavaitl’impressionquec’étaientlesseulsaspectsde
saviedontChrysandersepréoccupait.Ellesoupiratoutenlesuivantjusqu’ausalon.Ill’installadansunprofondcanapéencuiretl’enveloppad’unecouverture.
Ilavaitbeausemontrerprévenant,Marleyletrouvaitétrangementcompassé.Maisellefinitparse dire que, si la situation avait été inversée, si lui l’avait oubliée, elle n’aurait probablement pasvraimentsucommentsecomporterellenonplus.Ilsortitdelapiècepuisrevintauboutdequelquesminutesavecunplateauqu’ilplaçaàsaportée.Leboldesoupeavaitl’airappétissant,maisMarleynesesentaitvraimentpaslamoindreenviedemanger.Elleétaittroptroublée.
Ilpritunechaiseet s’assitprèsd’elle,puis se relevapourarpenter lapiècede longen large,commeunfauveencage.Ildénouasacravateetôtasesboutonsdemanchettes.
— Votre… ton assistante, Roslyn… n’a-t-elle pas dit qu’elle t’avait laissé du travail ? luidemanda-t-elleenseforçantàpasseraututoiement.
—Letravailpeutattendre,répondit-il,levisagefermé.—Tuas l’intentiondemeregarder faire lasieste? répliqua-t-elleensoupirant.Toutvabien,
Chrysander.Tunepeuxpaspassertesjournéesàveillersurmoi.Situdoist’occuperdetesaffaires,vas-y,jet’enprie.
Illafixauninstant,l’airindécis.
—C’estvraiqu’ilyacertaineschosesdontilfautquejem’occupeavantquenousnequittionsNewYork.
Marleysentitunevaguedepaniquel’envahirmaiss’efforçaderestercalme.—Nousallonspartirbientôt?—Oui.Jemesuisditqu’onallaitpasserquelquesjoursici,letempsquetutereposesetquetu
récupèresencoreunpeu.Puisnousprendronsmon jetpourallerenGrèce,etde làunhélicoptèrepourl’île.J’aiprévenumesemployésdepréparerlamaison.
—Tuessirichequecela?luidemanda-t-elleavecunecertainegêne.Ilsemblasurprisparsaquestion.—Mafamillepossèdeunechaîned’hôtels.Lenomd’Anetakisévoquaitquelquesvaguessouvenirsassociésauximagesd’unhôtelluxueux
enpleincentre-ville.L’ImperialParkHotelaccueillaittoutessortesdegenscélèbresetimmensémentriches,etmêmedesmembresdefamillesroyales.Sepouvait-ilqu’ilsoitundecesAnetakis-là?Ellepâlitetcrispalespoingsensentantquesesmainssemettaientà trembler.C’étaitsansdoutelaplusrichefamilleaumondedanslesecteurhôtelier.
—Maiscomment…commenttoietmoi…Elleneparvenaitmêmepasàacheversaphrase.Puisunepenséeplustroublanteencoreluivintà
l’esprit.Sepouvait-ilqu’ellesoitdumêmemilieuquelui?Ellesentitlafatiguel’envahiretsemassalestempesduboutdesdoigts.Chrysanderfutaussitôt
auprèsd’elle.Illapritdanssesbrasetlaportajusqu’àlachambre.Illaposadoucementsurlelit,laregardantd’unairinquiet.
—Repose-toi,àprésent,glykiamou.Elleacquiesçad’unsignedetêteetsepelotonnasouslacouverture,épuisée.Ellen’enpouvait
plusdetoutescesquestionsquisebousculaientdanssatête,detousceseffortspoursesouvenirdupassé.
***
Chrysanderselaissatombersursonfauteuiletsepassalesdoigtsdanslescheveux.Touteunesériedemessagesl’attendaitsursonbureau,et ilenaperçutundesonfrèreTheron,etunautredesonfrèrePiers.
Illesparcourut,malàl’aise.Ilnepourraitpasreculerindéfinimentlemomentdelesappeler.Ilsavaient certainement reçu sesmessages et devaient être curieux d’en savoir plus. Comment diableallait-illeurexpliquerlasituationimpossibleoùilsetrouvait?Etcommentréagiraient-ilsquandilleurannonceraitqu’ilemmenaitchezeux,enGrèce,lafemmequiavaitessayédelesruiner?
Mais il ne servait à rien de se poser toutes ces questions, et avec une grimace il composa lenumérodeTheron.
Dèsquesonfrèrerépondit,illuidemandaengrec:—Comments’estpasséel’inaugurationduchantier?— Ah, Chrysander, enfin ! dit Theron d’un ton brusque. Je me demandais si j’allais devoir
prendre l’avion pour enfin obtenir des réponses. Attends-moi dix secondes, ajouta-t-il, j’appellePiers. Ça t’évitera d’avoir à le rappeler. Je sais qu’il est aussi impatient que moi d’entendre tesexplications.
—Etdepuisquanddois-jedesexplicationsàmespetitsfrères?demandaChrysanderd’untonmauvais.
Theronparuttrèsamusé,etuninstantplustardPierslesrejoignitautéléphone:—Bonsang,Chrysander,quesepasse-t-il?— Il semblerait que vous allez bientôt devenir oncles, dit Chrysander en contrôlant son
irritation.Unlongsilenceaccueillitsadéclaration.—Tuessûrquecebébéestletien?demandafinalementTheron.—Marleyestenceintedecinqmois;ilyacinqmois,j’étaisleseulhommedanssonlit.Jele
sais.—Demêmequetusavaisqu’ellevolaitnosdossiers?rétorquaPiers.— Ça suffit, Piers, dit calmement Theron. L’important est de décider ce que tu vas faire,
Chrysander.Detouteévidence,onnepeutpasfaireconfianceàcettefemme.Quellesexplicationst’a-t-elledonnées?
—C’estcompliqué,grommela-t-il.Elleestamnésique.Sesdeuxfrèresnepurentreteniruneexclamationd’incrédulité.—C’estcommode,tunetrouvespas?objectaPiers.—Elleteracontedessalades,lançaTherond’unairdégoûté.—Moiaussi,j’aieudumalàlecroireaudébut,reconnutChrysander.Maisdepuis,jel’aivue.
Elleestici,chezmoi.Ellearéellementperdulamémoire.Ilétaitimpossibledefeindreunetellevulnérabilité,oucetteexpressionenpermanenceperdueet
douloureuse qui voilait l’éclat de ses yeux bleus. La voir souffrir ainsi lui faisait mal, et il s’envoulait d’être aussi faible. Après tout, n’avait-elle pasmérité de souffrir autant qu’elle l’avait faitsouffrir?
—Qu’as-tul’intentiondefaire?demandaTheron.—Dèsqu’elle sera suffisamment forte, nousprendrons le jet pour aller sur l’île.Elle y sera
mieuxpoursaconvalescence,etnousseronsmoinsexposésàlapresse.—Ne peux-tu pas l’installer quelque part jusqu’à ce que le bébé soit né et que tu puisses te
débarrasserd’elle?Acaused’elle,nousavonsperdudeuxprojetsdeplusieursmillionsdedollars,etc’estnotreprincipalconcurrentquivaenprofiter.
IlsegardabiendedirequeChrysanders’était laisséduperpar lafemmeavecqui ilcouchait,maisChrysandern’avaitpasbesoinqu’onleluirappelle.Ilétaitaussiresponsablequ’elledecequiétaitarrivé,etavaitfaitcourirdegravesrisquesàuneentreprisequesesfrèresetluiavaientmisdesannéesàconstruire.
—Jenepeuxpasl’abandonnerpourlemoment,secontenta-t-ilderépondrecalmement.Ellen’aaucunefamille,etpersonnepours’occuperd’elle.Elleportemonenfant,etjeferaicequ’ilfautpourla sécurité et la santé du bébé. Selon lemédecin, son amnésie est probablement temporaire ; c’estsimplementunmécanismededéfensedel’organisme,enréactionautraumatismequ’elleasubi.
— Que t’a dit la police à propos de cet enlèvement ? demanda Piers. Ont-ils arrêté lesresponsables?
— Je me suis brièvement entretenu avec eux à l’hôpital, et j’ai rendez-vous demain avecl’officierchargédudossier.J’espèreavoirplusdedétails.Jeleurannonceraiaussimonintentiondel’emmenerenGrèce.
—Manifestement,tadécisionestprise,remarquaTheron.—Oui.Piers parut sur le point de protester, mais Theron poursuivit sans lui laisser le temps
d’intervenir:
—Fais ceque tudois faire,Chrysander.Piers etmoipouvonsnousoccuperde la société.Etpourcequeçavaut,félicitationspourcetenfant.
—Merci,murmuraChrysanderavantdecouperlacommunication.Ilreposasontéléphone,irrité.Saconversationavecsesfrèresn’avaitfaitquesouligneràquel
pointlasituationétaitintenable.Ilnedoutaitabsolumentpasquel’amnésiedeMarleyfûtréelle;elleavait totalementoubliéqui il était, et le faitqu’elle luiavaitvolédesdocumentsconfidentiels.Ellen’avaitmanifestementaucuneidéedelasituationentreeux.
C’étaitbienpourquoiiln’avaitpaslechoix.Illagarderaitprèsdelui,veilleraitsurelleetferaiten sorte qu’elle bénéficie des meilleurs soins possibles. Il engagerait quelqu’un pour lui tenircompagnie quand il ne pourrait pas être là.Cela lui permettrait demaintenir une certaine distanceentreeux,maisaussid’êtreaucourantenpermanencedel’évolutiondesonétat.
Etpouruntempsilessaieraitd’oubliersacolèreetlatrahisonquil’avaitmotivée.
4
Lelendemainmatin,Marleypritsonpetitdéjeunersousl’œilattentifdeChrysander.Illuisouritquandelleparvintenfinàterminerl’omelettequ’illuiavaitpréparéeetl’encourageaàboiresonjusdefruits.
Ellesesentaitangoissée,maisaussiheureusequecethommeprenneainsisoind’elle,mêmesiellen’étaitpastrèssûredelaplacequ’elleoccupaitdanssavie.Ilsemontraittoutàlafoisattentionnéet distant. Elle n’arrivait pas à déterminer si c’était pour éviter de l’effrayer, compte tenu de sonamnésie,ous’ils’étaittoujourscomportéainsiavecelle.
Ellesemordillalalèvred’unairabsent.Sic’étaitlàsoncomportementhabituel,elleétaitfolled’avoir acceptéune telle relation !Comment avait-elle pu avoir envied’épouser unhommequi latraitaitavecunetellepolitesse,commesielleétaituneparfaiteinconnue?
C’étaitpourtantcequ’ilsétaientl’unpourl’autreencemoment:deparfaitsinconnus.Dumoinsl’était-ilpourelle.Elle fut soudainenvahieparunsentimentdecompassionàsonégard.Cedevaitêtrehorriblepour luidevoirquesa fiancée, la femmequ’ilaimaitet s’apprêtaitàépouser, l’avaittotalementoublié.Ellen’arrivaitmêmepasàimaginercequ’ilpouvaitressentir.
Ill’avaitobservéependanttoutlepetitdéjeuneretavaitdûpercevoirsonmalaise,maisilneditrienavantd’avoirdébarrassélatableetdel’avoirinstalléedanslesalon.Ils’assitalorsprèsd’ellesurlecanapé,laregardantattentivement.
—Tuparaisinquiète,cematin,Marley.Sonregardétaitsiscrutateurqu’elleenfutembarrassée.—Jemedisaisjustequecettesituationdevaitêtreaffreusepourtoi.—Queveux-tudire?Elle détourna le regard, soudain gênée et encore plus incertaine. Il lui prit le menton pour
l’obligeràleregarder.—Dis-moipourquoicettesituationestaffreusepourmoi.Elleeutsoudainconsciencede l’absurditédesa remarque.Cethommepouvaitobtenir toutce
qu’ildésiraitetnes’enprivaitsansdoutepas: lepouvoir, larichesse, lerespect…Etvoilàqu’elleallaits’imaginerqu’ildevaitsouffrirqu’unefemmecommeellel’aittotalementoublié.Elleenauraitpresqueéclatéderiresiellenes’étaitpassentieaussiperdue.
— J’essayais d’imaginer ce que je ressentirais à ta place, expliqua-t-elle d’un ton triste, siquelqu’unquej’aimaism’oubliait.Jecroisquejemesentirais…rejetée.
Distraitement,ilcaressaleslèvresdeMarleydesonpouce,etunfrissonlaparcourutdelatêteauxpieds.
—Tuaspeurquejemesenterejeté?demanda-t-ilavecunlégersourire.—Cen’estpaslecas?Quelle importance,dans lefond?Elles’envoulaitd’avoiraussipeuconfianceenelle-même.
Non seulement elle n’avait pas lemoindre souvenir de cet homme,mais elle était incapable de serappelersielleavaitréellementcomptépourlui.Ellenesupportaitpasd’êtreaussipeusûredeleurrelation.
Ellesesentitsiembarrasséequelerougeluimontaauxjouestandisqu’ilcontinuaitàlafixer.—Tun’espasresponsabledecequit’estarrivé,Marley,dit-ilenfin.Jenetelereprochepas,et
jenet’enveuxpas.Ceseraitmesquindemapart.Il ne lui paraissait vraiment pas être un hommemesquin.Dangereux, un peu inquiétant,mais
certainementpasmesquin.Avait-ellepeurdelui?Ellefrissonna.Non,pasdelui.Cequil’inquiétait,c’étaitdepenserqu’elleavaitpuavoirdesrelationsintimesaveccethommeetnepass’ensouvenir.Çadevaitpourtantêtreuneexpérienceinoubliable.
—Quem’est-ilarrivé,Chrysander?demanda-t-elled’untonpresqueimplorant.Sesmainstremblaient,etellelesserradetoutessesforcesl’unecontrel’autrepourmasquerson
désarroi.—Tu as eu… un accident,glykiamou, répondit-il en soupirant. Lemédecin affirme que ton
amnésieesttemporaire,etqu’ilestessentielquetuteménages.—Unaccidentdevoiture?dit-elle,étonnée.Elle se sentait épuisée et curieusement apeurée,mais elle n’avaitmal nulle part et n’avait pas
remarquélemoindrehématomesursoncorps.—Oui,répondit-ilaprèsunecourtehésitation.—Grave ? ne put-elle s’empêcher d’insister, levantmachinalement lamain vers sa tête pour
vérifierqu’ellen’avaitpasdebosseoudecontusion.—Non,pastrèsgrave.—Alorspourquoiai-jeperdulamémoire?Ai-jesubiuntraumatismecrânien?Jen’aipourtant
pasmalàlatête.—Tantmieux.Maiscen’estpasuntraumatismecrânienquiacausétonamnésie.—Quoi,alors?demanda-t-elle,deplusenplusperplexe.—D’aprèslemédecin,c’estunmécanismededéfense,unemanièreinstinctivedeteprotégerdu
souvenirtraumatisantdel’accident.Elle fronça les sourcils, cherchant désespérément à déchirer le voile de ténèbres qui
obscurcissaitsonesprit.Cen’étaitpaspossiblequ’iln’yaitpaslamoindrelueur,lamoindreétincelledesouvenir!
—Etpourtant,jen’aipasétéblessée.—J’ensuistrèsheureux.Maistuasdûavoirtrèspeur.—Quelqu’und’autrea-t-ilétéblessé?Denouveauildétournaleregard,l’espaced’uneseconde.PuisilportalamaindeMarleyàses
lèvrespourydéposerunbaiser,etellesesentittressaillirdelatêteauxpieds.—Non,répondit-ilaugrandsoulagementdeMarley.—Siseulementjepouvaismerappeler!Jenepeuxm’empêcherdemedirequ’ilsuffiraitd’un
effortpouryparvenir,maisdèsquej’essaiedemeconcentrersurlepassé,moncœursemetàbattrelachamade.
—C’estprécisémentpourquoijenetienspasàparlerdecetaccidentavectoi.Lemédecinabienditqu’ilfallaitt’évitertoutcequipeutt’angoisser.Tudoischassercetaccidentdetonespritetneplus
penser qu’à recouvrer tes forces. Te tourmenter de la sorte ne peut pas être bon pour notre bébé,ajouta-t-ilplusdoucement,posantsamainsurleventrearrondideMarleyd’ungesteprotecteur.
Touchée,elleposaàsontoursesdeuxmainssurcelledeChrysander,etàcemoment-làlebébéremuasousleursdoigts.Chrysanderretiraaussitôtsamaincommes’ils’étaitbrûlé.
Marley le regarda, interloquée.Quand il reposa samain sur le ventre deMarley, il tremblaitlégèrement.Denouveau,lebébédonnaunpetitcoupdepied.
—C’estincroyable,murmuraChrysander.Ilavaitl’airtellementstupéfaitqu’elleneputs’empêcherdesourire.Maislaperplexitésemêlait
àsonamusement.—Cen’esttoutdemêmepaslapremièrefoisquetulesensbouger?demanda-t-elleàmi-voix,
toutenmaudissantcetteamnésiequil’obligeaitàposerlaquestion.Il restaunmomentsansrépondre,continuantàpalperdoucement leventredeMarley,puisdit
avecuncertainembarras:— J’étais souvent parti pour mes affaires. Je venais juste de rentrer à NewYork quand j’ai
appristonaccident.Nousnenousétionspasvusdepuis…quelquetemps.Marley poussa un soupir de soulagement. S’ils avaient été séparés pendant un moment, cela
expliquaitbiendeschoses.—Quelretouràlamaisonpourtoi!Tuparsenvoyageenlaissantderrièretoiunefemmequi
portetonenfantetquis’apprêteàt’épouser,ettoutcequetutrouvesàtonretour,c’estunefemmequitetraitecommeunparfaitinconnu.
Elle jetamachinalementuncoupd’œilàsamaingaucheenfaisantallusionaumariage,et futdéconcertéeden’yvoiraucunebague.S’empressantdemasquersontrouble,ellereportasonregardsurChrysander.
— Tout ce qui compte, c’est de vous avoir retrouvés, le bébé et toi, en bonne santé, dit-ilsimplement.
Ils’écartalégèrementd’elle,maisilsemblaitfascinéparleventrearrondideMarleyetparlapetiteviequ’ilabritait.
Lebourdonnementdel’Interphonelesinterrompit,etChrysanderselevapourrépondre.Marleyessaya de deviner à qui il parlait, mais il invita simplement quelqu’un à monter à l’appartement.Revenuprèsd’elle,illuipritlesdeuxmains.
—C’estune infirmièreque j’aiembauchéepourveiller sur toi. J’aiun rendez-vousdansuneheure,auqueljedoisabsolumentmerendre.
— Mais je n’ai pas besoin d’infirmière, Chrysander ! Je peux parfaitement rester seule icipendantquetut’occupesdetesaffaires.
—Fais-moiplaisir,glykiamou.Jeseraibeaucoupplustranquilleentesachantentredebonnesmains.Jenevoudraispasquetuaiesunproblèmeenmonabsence.
Ellesouritdevanttantdesollicitude.—Combiendetempsseras-tuabsent?demanda-t-elled’untonquiluiparutsipathétiquequ’elle
s’envoulutd’êtreàcepointvulnérable.Ilselevaenentendantlesportesdel’ascenseurs’ouvrir,etsecontentaderépondre:—Nebougepas.Jerevienstoutdesuite.Marley se laissa aller contre le dossier du canapé, rassérénée par sa prévenance. Quelques
secondesplustard,ilrevintavecunefemmesouriante.ElleadressaunlargesourireàMarleyetluiditd’unevoixagréable:
—VousêtessansdouteMarley.Jesuisraviedevousrencontrer.JesuisMmeCahill…ouplutôtPatricia,sivouslevoulezbien.
Marleyluisouritàsontour,latrouvantsympathique.—M.Anetakism’aexpliquécequ’ilattendaitdemoi,et je feraidemonmieuxpourprendre
biensoindevous.—Etqu’attend-ilexactementdevous?Faisantminedenepass’apercevoirdesacontrariété,ils’empressadedire:—J’aidemandéàPatriciadeveilleràcequetutereposes.Etmaintenant,jesuisdésolé,maisje
doism’absenter.Jereviendraiàtempspourquenousdéjeunionsensemble.—Celameferaplaisir,dit-elleenseradoucissant.Ilsepenchaverselleetluieffleuralefrontdeseslèvres,puiss’éloigna.Ellelesuivitdesyeux,
conscientedemontreràquelpointelledépendaitdelui.SetournantversPatricia,elledéclaraensouriant:—JesuisbienplusenformequeneleprétendChrysander.Al’écouter,onpourraitmecroire
infirme.—C’est unhomme, réponditPatricia d’un air complice.Vous savez comment ils sont !Mais
bon,sereposern’ajamaisfaitdemalàpersonne.Jevaisvousaccompagneràvotrechambre,etjeprépareraiunbonthépourvotreréveil.
Marleyn’eutpasletempsdecomprendrecequiluiarrivaitqu’elleseretrouvaeneffetdanssonlit,couvertureremontéejusqu’aumenton.
—Vousêtesvraimentexperte!lança-t-elleàPatricia.—Toute bonne infirmière sait amener ses patients à faire ce qu’ils n’ont pas envie de faire,
répondit-elle avec bonne humeur.Etmaintenant, je vous laisse vous reposer, que votre fiancé soitsatisfaitdevousetdemoiàsonretour.
Marley l’entendit s’éloigner. Son regard s’arrêta sur la cheminée, qui faisait face au lit.Chrysander avait alluméun feu la veille au soir, pluspour le plaisir de regarder une flambéequepourlachaleurqu’elleprocurait,carilfaisaittrèsbondansl’appartement.Ilétaitchaufféparlesol,cequeMarleyappréciaitbeaucoupcarelleavaittoujoursadorésebaladerpiedsnusàlamaison.
Elle fut soudain toutexcitée :c’était lapremière foisqu’ellesesouvenaitdequelquechose laconcernant !Yavait-ild’autres traitsdesapersonnalitédontellesesouvenait?Deschosesqu’elleaimait?Elleseconcentradetoutessesforces,maisenfutquittepoursentirsonmaldetêterevenir.
Lebébéremua,etelleposalamainsursonventrepoursuivresesmouvements.Ellesepritàsourire,oubliantsafrustration.Elleavaitcertesperdulesouvenirdesonpassépourlemoment,maiselleavaitunavenirenviable:lemariage,etunenfant.Siseulementellepouvaitserappelercommentelleenétaitarrivéelà!
Ellepoussaunefoisdeplusunprofondsoupir, se résignantàvivreauprésent.Si lemédecinavaitraison,ellefiniraitparrecouvrerlamémoire.
Quandelleseréveillauneheureplustard,ellesesentaitpleined’unenouvelleénergie,etelledécidad’enprofiterpourexplorerlevasteappartement,cequ’ellen’avaitpasoséfairesouslesyeuxdeChrysander.Mais, à chaque nouvelle pièce qu’elle découvrait, elle se sentait un peu plusmal àl’aise : comment se sentir chez elle alors que la décoration et l’ameublement reflétaient lapersonnalitédeChrysander?Elleavaitl’impressiond’êtreenvisite,presqueuneintruse.
En entrant dans la chambre demaître, elle fut encore plus troublée. La pièce où Chrysanderl’avaitinstalléeétaitapparemmentunechambred’amis.Surlemoment,elleavaitététropfatiguéeet
désorientée pour y prêter attention.Mais cette vaste pièce ne lui donnait pas non plus le sentimentd’êtresachambre.
LapiècevoisineétaitmanifestementlebureaudeChrysander,avecsesmeublesdeboissombretypiquementmasculins.Unebibliothèquecouvraittoutunpandemur,etungrandbureauenacajouoccupait le centre de la pièce. Elle y aperçut un ordinateur portable et décida d’en profiter pourconsulterinternet.Illuisuffitd’effleurerlepavétactilepourquel’écranseréveille.Ellen’avaitdoncpas tout oublié ! Son amnésie la privait de ses souvenirs personnels, mais elle n’avait pas effacétoutessesconnaissances.
Elle passa tout d’abord une demi-heure à chercher des informations sur l’amnésie, mais lesdifférentssitessemblaientprendreunmalinplaisiràsecontredirelesunslesautres,aupointdeluidonnermalàlatête.ElledécidaensuitedeserenseignersurChrysander.
Elle fut presque effrayée de voir à quel point il était riche et puissant. Ses deux frères et luidétenaientunepartimportantedel’industriehôtelièremondiale.Enrevanche,internetétaitquasimentmuetsursaviepersonnelle,etelleenfutintensémentfrustrée.
Mais elle n’avait qu’à être un peu moins lâche : il suffisait de lui poser directement desquestions !Après tout, il était son fiancé, sonamant. Ilsavaientconçuunenfantensemble,et il luiavait demandé de l’épouser. Une fois de plus, elle regretta de n’avoir aucun souvenir de cesmoments;celaluiauraitsûrementpermisd’avoirunpeuplusconfianceenelle.
—Quefais-tulà?LavoixcinglantedeChrysanderlaprittotalementparsurprise,etellesursautaviolemment.Ilse
tenait sur le seuil, les lèvres pincées, les yeux étincelants de colère. Sans lui laisser le temps derépondre,ilfonçadroitsurelle.
—Chrysander!Tum’asfaitpeur,protesta-t-elleensentantsoncœurbattreàtoutrompre.—Jet’aidemandécequetufaisais,répéta-t-ild’untonglacial,contournantlebureaupourvenir
àcôtéd’elle.— J’étais juste en train de surfer sur internet, expliqua-t-elle, blessée par son attitude. Je ne
pensaispasquetuauraisuneobjectionàcequej’utilisetonportable.—Jepréfèrequetunetouchesàriendansmonbureau,répondit-ild’untonsec,enrabattantle
couvercledel’ordinateur.Ellesemitlentementdebout,lefixantsanscomprendre.Leslarmesluibrûlaientlespaupières.Il
la regardait avec un tel…mépris. Elle frissonna de la tête aux pieds, n’ayant plus qu’une envie :mettreautantdedistancequepossibleentreeux.
—Jesuisdésolée,dit-elled’unevoixétoufféeparleslarmes.Jevoulaisjusteessayerdetrouverdesinformationssurmoi…surtoi…surcettehorribleamnésie.Jenetoucheraiplusàrien.
Etsansplusattendreelles’enfuit,craignantdenepouvoircontrôlerseslarmesunesecondedeplus.
***
Chrysander la regarda s’éloigner en jurant àmi-voix, puis rouvrit le portable.Un bref coupd’œil à l’historique du navigateur ne révéla que des recherches sur les pertes de mémoire, et laconsultationdequelquesarticlessursonentreprise. Ilvérifiaensuite si sesdossiersprofessionnelsavaientétéouverts.Aucunnel’avaitétédepuisqu’ilavaitquittél’appartement.
Iljuradenouveau.Ilavaitmalréagimais,dèsqu’ill’avaitvueentraind’utilisersonordinateur,ils’étaitméfié.Ils’étaitdemandésisonamnésien’étaitpasqu’unecomédiedestinéeàmasquerune
nouvelletentativepourleruiner.Il se prit la tête entre lesmains, fourrageant dans ses cheveux. Son entretien avec le policier
chargé de l’enquête sur l’enlèvement de Marley avait été frustrant au possible. Ils n’avaientpratiquement aucune piste, et la seule personne qui aurait pu leur dire ce qui s’était passé étaitamnésique!
Contrairementàcequ’avaitlaisséentendrelapresse,Marleyn’avaitpasétélibéréeparlapolice.Elleavaitétéabandonnéeparseskidnappeurs,etunappelanonymeavaitprévenulespoliciersdesaprésencedansunimmeubledésaffecté.Aleurarrivée, ilsavaient trouvéunejeunefemmeenceinte,apeuréeetmanifestementenétatdechoc.Quandelles’étaitréveilléeàl’hôpital,ellenesesouvenaitplusderien,commesisavieavaitcommencélejourmême.
Tantdequestions,tantd’inconnues!L’officier de police judiciaire lui avait cependant clairement fait comprendre qu’il devait
redoublerdevigilance. Iln’yavaitaucuneraisondecroireque lesmalfaiteursallaientabandonnerleurprojet,etilsétaienttoujoursenliberté.Maisilsdevraientluipassersurlecorpsavantqu’illeslaisses’enprendredenouveauàMarleyouàsonenfant.Ils’étaitattenduquel’officiers’opposeàcequ’ellequitteNewYork,maislepolicieravaitreconnuquec’étaitsansdoutelasolutionlaplussûre,etluiavaitsimplementdemandédeleprévenirdèsqu’ellerecouvreraitlamémoire.Detoutefaçon,Chrysandersemoquaitpasmaldel’avisdupolicier;laseulechosequicomptaitdésormaisétaitdeveilleràlasantédeMarleyetdel’enfantqu’elleportait.
Ilspartiraientdonclelendemain,etilluirestaitbeaucoupàfaired’icilà.Ilavaitdéjàprévenuson équipede sécurité, àNewYork et sur l’île,mais il avait encoredenombreux appels à passer.Pourtant, il ne parvenait pas à s’en occuper, revoyant sans cesse le visage bouleversé de Marleylorsqu’ill’avaitchasséedesonbureau.Ilavaitbeausedirequ’ildevaitseremettreautravail,qu’iln’avaitpasàsesoucierdesesétatsd’âme,iln’yarrivaitpas.
Ilselevabrusquementetpartitàsarecherche.
***
Marleyétait deboutdevant sondressing, fixant sans lesvoir lesvêtements rangésdevant elle.Elle finit par essuyer ses larmes et essayade se concentrer.Elle fit glisser un cintre après l’autre,maisellenesereconnaissaitvraimentpasdanscesvêtementsélégants.Surlesétagères,enrevanche,elleaperçutunepiledejeansdélavés,àcôtédeT-shirtssoigneusementpliés,etfutaussitôtcertainequec’étaitlegenredevêtementsqu’elleavaitaiméporteravantsonaccident.Maiselleeutbeaulesdéplierl’unaprèsl’autre,ellenetrouvaaucunpantalondegrossesse.
Dépitée,ellerevintauxtenuessurcintre,sansentrouveruneseulepourunefemmeenceintedecinqmois.Elleseregardadanslaglace:ellen’étaitpasencoreénorme,maissonventreétaittoutdemêmetroprondpourlesvêtementsqu’elleavaitsouslesyeux.
EllesentitlaprésencedeChrysanderavantmêmedel’apercevoir.Lentement,ellesetournaverslui.Ill’observauninstant,puissonexpressions’adoucitquandillavitessuyerseslarmes.
—Jesuisdésolé,Marley,dit-ilens’approchant.Seredressant,elleleregardadroitdanslesyeux.—Jen’auraispasdûmeservirdetesaffaires.Manifestement,nousmenonsdesexistencestrès
séparées.Jetedemandejustedemelaisserunpeudetempspourmeréaccoutumeràcettemanièredevivre.
—Dequoiparles-tu?Iln’estpasquestionquenousvivionsdesexistencesséparées.
—C’estpourtantévident,répondit-elled’untonqu’ellevoulaitindifférent.J’aimachambre,ettoilatienne.Nosvêtements,nospossessions,noslitssontséparés.C’estàsedemandercommentjesuistombéeenceinte!
Elleinspiraàfondavantdeposerlaquestionquiluitenaitleplusàcœur.—Pourquoim’épouses-tu,Chrysander?Magrossesseest-elleunaccident?Ai-jetantetsibien
faitquetun’aspluseud’autresolutionquedem’épouser?Ellesavaitbienqu’elledevaitsemblerhystérique,maiselleétaitsibouleverséeparcequis’était
passéentreeuxqu’elleneparvenaitplusàcontrôlersesparoles.Elleavaitbesoindeserassurer,deseconvaincrequ’elleavaitmenéuneexistenceheureuse.
—Théémou!Viensici.Sansluilaisserletempsdeprotester,ill’entraînaverslelitets’assitàcôtéd’elle.Ellejetauncoupd’œilendirectiondelaporte.— Où est Patricia ? demanda-t-elle, ne souhaitant vraiment pas mener cette discussion en
présencedetémoins.—Elleestpartiequandjesuisrevenudemonrendez-vous.Jusqu’ànotredépartpourlaGrèce,
elletetiendracompagniequandjeseraiabsent.Surl’île,elleséjourneraavecnousjusqu’àcequetun’aiesplusbesoind’elle.
Marleyneputcachersadéception.—Voyons,Chrysander,jen’aivraimentpasbesoind’elle!J’espéraisqu’unefoissurl’îlenous
serionsseulstouslesdeux.A la façondont il la regarda,ellecompritqu’ilétait loindepartagercetespoir,etelleen fut
profondémentblessée.— Quoi que tu en dises, tu n’es pas totalement remise, et il n’est pas question que tu
compromettestaconvalescence.Tasantéesttropimportantepourmoi.Tuesenceinte,ajouta-t-ilavecunpeuplusdedouceur,ettuassubiuntraumatismegrave.Ilestnormalquejeveuilleprendresoindetoi.Mais,pourenreveniràmonimpolitessedetoutàl’heure,jetedemandepardon.Jen’avaispasledroitdeteparlercommejel’aifait.
Elleaccueillitsesproposavecunpetitrirededérision,etillaregardad’unairinterloqué.— Tu es vraiment loin du compte en parlant d’impolitesse, dit-elle froidement. Tu t’es tout
simplementconduitcommeledernierdesgoujats.Toutsonvisages’empourpra,maisilrépondit:—Tuasraison.C’estpourquoijetedemandepardon.Jen’aiaucuneexcuse.J’aieubeaucoupà
fairepourpréparernotredépart,etj’aipassémesnerfssurtoi.C’estimpardonnable,maisj’espèretoutdemêmequetuvoudrasbienmelepardonner.
—J’acceptetesexcuses,dit-ellesimplement.—Pourlereste…Ilsepassalamaindanslescheveux,d’unairembarrassé.—Nous nemenons pas des existences séparées,Marley, et ce ne sera pas le cas non plus à
l’avenir. D’autre part, tu ne m’as pas obligé à t’épouser. Je t’interdis de dire une chose pareille.Simplement…
Ils’interrompitensoupirant.—Simplement,vucequit’arrive,jemesuisditquejenepouvaispasdécemmenttedemander
de partager une chambre et un lit avec un homme dont tu ne te souvenais pas. Je ne voulais past’imposerunechosepareille.
Elle eut soudainhonted’avoirprispourde l’indifférence cequin’était queprévenancede sapart.Ellepoussaunprofondsoupirenrépondant:
—J’aicru…—Qu’as-tucru,glykiamou?—J’aicruquetunevoulaispasdemoi,dit-elleensesentantidiote.Illaissaéchapperunjuronetpritsonvisageentresesmains.Illafixaunlongmoment,sesyeux
mordoréssemblantjeterdeséclairs,puissepenchaverselle.Marleysentitsonsoufflesurseslèvres,et une tellevaguededésir l’envahit qu’elle crut défaillir.Ellenevoulait plus riend’autreque sonbaiser. Lorsque Chrysander s’empara enfin de sa bouche, ce fut comme si un courant électriqueparcourait tout son être. Instinctivement, elle s’arqua pour se lover plus encore contre lui, et ilapprofondit son baiser. Il la serra contre lui, etMarley poussa un petit gémissement en sentant sedurcirlapointedesesseins.
Ellepassalesbrasautourdesoncou,plongeantlesdoigtsdanssescheveuxnoirs.Unsentimentde paix et de sérénité l’enveloppa tout entière, qu’elle n’avait pas ressenti depuis qu’elle s’étaitréveilléeàl’hôpital.
Chrysandermurmuraquelquesmotsd’unevoixrauquepuiss’arrachaàleurétreinte,lesoufflecourt,uneflammededésirdanslesyeux.
—Toncorpssesouvientdemoi,glykiamou,mêmesi toncerveaum’aoublié,dit-il avecunorgueilpurementmasculin.
Elleauraitdûletrouverarrogant,maissonévidentesatisfactionluiredonnaunpeuconfianceenelle-même.
—Jen’aiplusrienàmemettre,dit-elletoutàcoup,etellesentitsonvisages’empourprerens’apercevantdel’absurditédesaremarqueàcetinstant.
Cebaiserl’avaittellementtroubléequ’elleavaitditlapremièrechosequiluiétaitpasséeparlatête,pouressayerdemasquersonémotion.
— Pourquoi n’ai-je pas de vêtements de grossesse ? poursuivit-elle. Je n’en ai pas encoreacheté?
—Jesuisdésolé,glykiamou,réponditChrysanderd’unaircontrarié.Jen’yaipaspensé.Ilestvraiquetunepeuxpas tebaladerpartoutenjean…mêmesi j’adoreça,ajouta-t-ilavecunsourirepleindesous-entendus.
Voyant l’air perplexedeMarley, il semit à rire, et ce rire grave et sensuel la fit de nouveauvibrerdedésir.
—Tun’aimespasportertesjeansquandjesuislà,expliqua-t-il.Tudistoujoursquetudoisêtreélégantequandnoussommesensemble,mais je t’assurequetupourraisporterunsacquetuseraistoujoursaussibelle.
Ellerougitàcecomplimentetluisourit.—Jesuisvraimentendessousdetoutdepuistasortiedel’hôpital!Jetefaispleurersansraison,
et jenepensemêmepasà t’achetercedont tuasbesoin.Jevaisyremédier toutdesuite.Maseuleexcuseestquejemesuispluspréoccupédetasécuritéetdetasantéquedetesvêtements.
— Tu n’es pas en dessous de tout ! Tu esmerveilleux… sauf, bien sûr, quand tu te conduiscommeungoujat, ajouta-t-elle en souriantpour le taquiner.Cequim’arrive adûêtre trèspéniblepour toi, et tu as fait preuve d’une patience incroyable. Je suis désolée d’avoir réagi comme uneharpie.
Illuicaressalajoue,etuninstantellecrutqu’ilallaitdenouveaul’embrasser,maisilrépondit:
—Jenevaiscertainementpastelaisserdirequetuesdésolée,Marley.Tut’inquiètessanscessede ce que la situation a de pénible pour moi, mais c’est toi qui as souffert. Je vais aller passerquelquescoupsdetéléphonepourtetrouverdesvêtementsplusappropriés,ajouta-t-ilenselevant.
—Pourquoinepasallerfairelesmagasins,toutsimplement?—Tu n’es pas suffisamment remise. Je souhaite que tu te reposes.Nous partirons pour l’île
demainmatin,dèsquetuaurasrevulemédecinetqu’ilt’aurajugéecapabledevoyager.—Demain?Déjà?—Oui.Ilfautdoncquejemedépêchesijeveuxquetesvêtementssoientlivrésàtemps.Elleacquiesça,sentantqu’ilétaitinutiled’insister.Ilétaitclairqu’ilavaitl’habituded’obtenirce
qu’ilvoulaitdanslesplusbrefsdélais.S’ilestimaitqu’ilpouvaitluifairelivrerunenouvellegarde-robeenl’espacedequelquesheures,quiétait-ellepourendouter?
—Etmaintenant…,commença-t-il.Mais elle l’interrompit d’un geste de lamain.Elle commençait à suffisamment connaître son
expressionetsontonpoursavoirqu’ilallaitluiordonnerdesereposer.—Situmedisunefoisdeplusd’allermereposer,jetepréviens,jerisquedehurler.Sonvisagesefermaetellesentitqu’ilallaitprotester.— Je t’en prie,Chrysander. J’ai fait la sieste pendant que tu étais absent.Et de toute façon tu
m’avaispromisquenousdéjeunerionsensemblequandtureviendraisdetonrendez-vous.J’aifaim!dit-elleensouriant.Quedirais-tudemanger?
Iljuradenouveauàmi-voixpuisrépondit:—Biensûr.Manifestement,j’aidécidédetenégligersurtouslesplans.Vienst’asseoirdansla
cuisine.Jevaisnousprépareràmanger.
5
Le lendemain matin, Marley enfila une des tenues chic que venait de livrer une boutiquespécialiséedanslesvêtementsdegrossesse.Chrysanderavaitinsistépourqu’ellevoieunobstétricienavantleurdépartpourlaGrèce,etilsserendirentensembleàlaclinique,encadréspardesgardesducorpsembauchésparChrysander.Marleyétaitunpeuembarrasséequ’ilssoientainsiaccompagnésd’unevéritableescorte,maisétaitaussitrèstouchéedelasollicitudedontfaisaitpreuveChrysander.
Dès leurarrivée,une jeune infirmière lesfitentrerdans lecabinetdumédecin,puis les laissaseuls.ChrysanderpritMarleydanssesbraspourl’installersurlatabled’examen.Aulieudes’asseoirà côté, il resta devant elle, sans la lâcher, lui frictionnant doucement les bras de manièreréconfortante.Ellese laissaallercontre lui,posant la jouesursa largepoitrine,et fermalesyeux,tandisqu’illuimassaitledos.
Laportes’ouvrit,etMarleys’écartavivementdeChrysander,maisilnesemblaitabsolumentpaspressédelalâcher.Illuipassaunbrasautourdesépaulesenlaserrantcontrelui,toutensaluantlemédecin.Aprèsquelquesquestionsgénéralessursonétatdesanté,celui-cileurdit:
—J’aimeraispratiqueruneéchographiepourêtresûrquetoutsepassenormalement.—Vousavezdesraisonsdevousinquiéter?demandaChrysanderenfronçantlessourcils.— Non, non, c’est juste une mesure de précaution. Dans la mesure où vous partez pour
l’étranger et oùMlle Jamesona subi un choc récemment, je souhaite juste vérifier que le bébé sedéveloppecommeilconvient.
Chrysanderacquiesçad’unsignedelatêteenprenantlamaindeMarley.Dèsquelemédecinsefutabsenté,ilsetournaverselle.
—Net’inquiètepas,glykiamou.Jeresteavectoi.— Je nem’inquiète pas, répondit-elle en souriant.Comme je n’aimêmepas été blessée dans
l’accident,jenevoispasderaisonpourquelebébéaitsouffert.Curieusement,ilsemblaembarrasséparcetteréponse.Quelques instantsplus tard, lemédecin revint etdemandaàMarleyde s’allonger sur la table.
Lorsqu’illuidemandadebaisserlégèrementsonpantalonetdereleversonchemisierpourdégagerlazoneabdominale,Chrysanderluijetaunregardnoir.
— Je ne peux pas pratiquer une échographie si la zone abdominale n’est pas visible, dit lemédecind’unairamusé.
Chrysander sechargea lui-mêmed’arranger lesvêtementsdeMarley, ladécouvrantaussipeuquepossible,puisrestaauprèsd’elle.
Lemédecin fit glisser la sonde sur le ventre deMarley, et une image assez floue apparut àl’écran.
—Souhaitez-vousconnaîtrelesexedel’enfant?demandalemédecinavecungrandsourire.— Oui, répondit Marley, émue. Mais seulement si tu le souhaites aussi, murmura-t-elle à
Chrysander.—Sic’estceque tusouhaites,moiaussi, répondit-ilensourianteten luiposantunbaiserau
creuxdelamain.LemédecincontinuaàpromenerlasondesurleventredeMarley.Quelquessecondesplustard,
ilralentitsonmouvement,etl’imagedevintplusnetteàl’écran.—Félicitations,c’estungarçon,ditlemédecin.—C’estlui?murmuraMarley,impressionnée,enobservantcequiressemblaitàdeuxjambeset
àdesfessesarrondies.—Ehoui!Unbeaupetitdiable,n’est-cepas?— Il est magnifique, dit Chrysander d’une voix rauque. Merci,glykia mou, ajouta-t-il en se
penchantversMarleyetenluiposantunbaisersurlajoue.—Pourquoimeremercies-tu?—Pourmonfils.Il ne quittait plus l’écran des yeux,manifestement captivé par ce petit être qui se préparait à
naître,etMarleysesentitenvahieparuneimmenseémotion.—J’aiterminé,vouspouvezvousrhabiller,ditlemédecin.ChrysanderaidaMarleyàrajustersesvêtementspuisl’aidaàs’asseoir.—Toutvousaparunormal,pourlebébé?—Absolument.VeillezseulementàcequeMlleJamesonvoieunobstétricienàvotrearrivéeen
Grèce.Jeneprévoispasdeproblèmes,carlebébéetellesontapparemmentenparfaitesanté,maisilvauttoujoursmieuxêtrerégulièrementsuiviependantunegrossesse.
—J’airecrutéunmédecinetuneinfirmièrequiséjournerontenpermanencesurl’îleavecnous,ditChrysander.Elledevraitêtrebiensuivie.
Lemédecinapprouvad’unsignedetêteavantdeprendrecongédeMarleyensouriant:—Prenezbiensoindevous,mademoiselle,ettousmesvœuxpourvotregrossesse.Elleleremercia,etquelquesinstantsplustardChrysanderetellerejoignaientleurlimousine.—Tu te sens bien ? lui demanda-t-il alors que le chauffeur démarrait. L’avion nous attend à
l’aéroport,maissituesfatiguéenouspouvonsattendrequetutesoisreposéepourpartir.—Nosbagagessontdéjàlà-bas?—Oui.J’aidemandéqu’ilssoientportésàl’aéroportpendantquenousétionsàlaclinique.—Nouspouvonspartirtoutdesuite,danscecas.Jemereposeraidansl’avion.Il se pencha vers l’avant pour donner ses ordres, puis referma la vitre qui les séparait du
chauffeur.Elleleregarda,unpeuintimidée.—Es-tucontentàproposdenotrefils,Chrysander?Illafixaquelquessecondes,commeinterloqué,puisl’attiraverslui,l’asseyantpresquesurses
genoux.Posantlamainsursonventre,ilencaressal’arrondid’ungestetendre.—T’ai-jedonnél’impressionquejen’étaispascontent?—Non,non,pasdutout,jemeposaisjustelaquestionparcequ’àprésentquenoussavonsque
c’estungarçon,ilmesembletellementplusréel.
—Jesuistrèscontentquenousayonsunfils,maisj’auraisaiménotrebébétoutautants’ils’étaitagid’unefille.Dumomentqu’ilestenbonnesanté,jesuisheureux.
—Moi aussi.Si seulement jepouvais recouvrer lamémoire, ajouta-t-elle avecun soupir, leschosesseraientparfaites.Cettejournéesepassesibien.
—Ne lagâchepasenregrettantquelquechoseque tunecontrôlespas,dit-ilen luiposantundoigtsurleslèvres.Toutfiniraparterevenir.Celaprendraletempsqu’ilfaudra.
—Tuasraison,biensûr.Jevoudraisjuste…—Quevoudrais-tu,glykiamou?—Merappelermonamourpourtoi,dit-elledoucement.LesyeuxdeChrysanders’assombrirent,etl’espaced’uninstantMarleyeutpeurenvoyantson
expression.Ilsemblaitenproieàunmaelströmd’émotionscontradictoires.—Peut-êtreapprendras-tuàm’aimerdenouveau,répondit-ilenfin.—Tumefaciliteslatâche,dit-elleavecunsourire.Elleseblottitcontrelui,apaisée.Mais,toutàcoup,unepenséedérangeantevintl’assaillir.Elle
avaitparlédesonamourpourluiet,mêmesielleneparvenaitpasàselerappeler,ellesentaitauplusprofondd’elle-mêmequ’ilavaitexisté.Maisiln’avaitrienditdesonamourpourelle.Pasuneseulefois, depuis l’accident, il ne lui avait exprimé ses sentiments. Pasmême à l’hôpital.N’était-ce pascurieuxqu’iln’aitpascherchéàluidirequ’ill’aimait,mêmesiellenepouvaitpasserappelerleurexistencecommune?
Ellerelevala tête,mais lesquestionss’évanouirentsurses lèvresquandellevitqu’ilavait lesyeuxrivésàunpetittéléviseurfixéprèsdelaportière.Renonçantàl’interrompre,ellesecontentadejouirdelachaleurdesoncorps.
Elledutsomnoler,carquandellerelevalatêteilsétaientàl’aéroport.Ils gagnèrent rapidement l’avion. Il y régnait une température agréable, et il lui parut
extrêmementconfortable.—Ilyaunlitàl’arrière,luiditChrysanderenlaguidantversunsiège.Aprèsledécollage,tu
pourrast’allonger.—Parfait!Elle regarda avec curiosité autour d’elle et aperçut l’équipe de sécurité qui montait dans la
cabine.—Pourquoit’entoures-tud’autantdegardesducorps?Ellesentitqu’ilseraidissait.—Jesuistrèsriche.Certainespersonnespeuventvouloirs’enprendreàmoi…ouàceuxquime
sontchers.—Ilyavraimentbeaucoupderisques?—C’estletravaildeceshommesdeveilleràcequ’iln’yenaitpas.Net’inquiètepas,Marley.Je
feraiensortequenotreenfantettoisoyezensécurité.—Jenem’inquiétaispaspourcela,dit-elled’unairperplexe.J’essaiejustedecomprendreton
univers.—Notreunivers,rectifia-t-ilenlaregardantdroitdanslesyeux.C’estnotreunivers,Marley.Tu
enfaispartie.—J’essaie,Chrysander,dit-elleen se sentant rougir. J’essaiede toutesmes forces.Maisc’est
difficilequandjemeheurtesanscesseàmonamnésie.Nem’enveuxpass’ilmefautdutempspourmeréhabituer.
— Je te demande pardon de t’avoir parlé aussi brusquement. Nous allons bientôt décoller,ajouta-t-ilensepenchantversellepourbouclersaceinturedesécurité.
Quelquesminutesplustard,l’avionsemitàroulerverslapistededécollage,etelleserenfonçadanssonfauteuil,essayantdechasserdesonesprittouteslesquestionsquiyaffluaient.
Delonguesheuresplustard,ilsatterrirentàunpetitaéroportdeCorinthe.Chrysanderl’aidaàdescendresurletarmacetlaguidaversunhélicoptèrequilesattendaitàquelquesmètresdelà.
—L’îleestàunquartd’heured’iciparhélicoptère,expliqua-t-il en lisant laquestionsur sonvisage.
L’appareils’élevaau-dessusdeCorintheetsedirigeaverslamer.Apercevantauloindesruinesantiques,ellesetournaversChrysanderpourluidemandercequec’était,maisiln’étaitpasquestiondesefaireentendreaveclebruitdesrotors,etilluitendituncasqueavecmicro.
— C’est le temple d’Apollon, lui expliqua-t-il. Si tu veux, nous reviendrons y faire un tourquandtuserasremiseduvoyage.
—Volontiers.Elleseretournaverslehublotpouradmirerlavasteétenduebleuequimiroitaitsouseux,mais
déjàelledistinguaitunetacheàl’horizon.—C’estlà-basquenousallons?luidemanda-t-elle.Illuifitsignequeoui.—L’îleaunnom?—Anetakis,luirépondit-il.—J’auraisdûdeviner,dit-elleenriant.Ainsi, il possédait une île entière ! Et il lui avait donné son propre nom ! Mais cela ne la
surprenaitpas:pourcequ’elleavaitpuenvoirjusque-là,l’arroganceétaitmanifestementlasecondenaturedesonfiancé…
Commeilsapprochaientdel’île,ellesesentitsoudainenvahieparuneterribleangoisseàl’idéede ne rien savoir de ce qui l’attendait. Chrysander devina manifestement son inquiétude car il sepenchaverselleetpritsesmainsentrelessiennes.
—Tun’asvraimentaucune raisonde t’inquiéter,glykiamou. Je suis sûr que tu te plairas surl’île,ettuaurastoutletempsdetereposeretdereprendredesforces.
Elle ne chercha pas à le contredire, sachant que c’était un combat perdu d’avance, mais ellen’avaitaucuneintentiondepassersontempsà«reprendredesforces».
Ilsseposèrentsuruneaired’atterrissagesituéeàl’arrièred’uneimmensemaison.Elleobservaleslieux,espérantqu’undéclicallaitseproduiredanssamémoire,maisauboutdequelquesinstantselleeutlacertitudequec’étaitlapremièrefoisqu’ellevoyaitcetteîle.
—Viens,luiditChrysanderenluiprenantlamain.Labriseestfraîche,ettuvasavoirfroid.L’hélicoptères’éloigna,etellecommençaàsuivreChrysanderpours’arrêteraussitôt.—Qu’ya-t-il?luidemanda-t-il,surpris.Cequil’entouraitétaitmerveilleux,c’étaitcommedepénétrerauparadis,maiscesmerveilles
n’éveillaientaucunsentimentdefamiliarité,etcelalaterrifiait.Chrysanderrevintverselleetjuraens’apercevantqu’elletremblait.
—Jenesuisjamaisvenueici,dit-elleàvoixbasse.—Eneffet.C’esttapremièrevisitesurl’île.—Nous sommes fiancés,mais jene suis jamaisvenue surcette îleque tuconsidèrescomme
cheztoi?
—NousnoussommesinstallésensembleàNewYork,Marley,répondit-il,levisagefermé.Jetel’aiexpliqué.
Marleysesentaitdeplusenplusdéroutée.Commentsepouvait-ilqu’ilsn’aientjamaisséjournéensemblesurl’île,neserait-cequ’unefois?Renonçantàcomprendredansl’immédiat,ellelelaissalui prendre la main et ils empruntèrent une longue allée sinueuse pour rejoindre la maison. Enapprochantduportaild’entrée,Marleyaperçutunepiscinedontl’eauazuréemiroitaitausoleil.Uneimmenseterrasses’étendaitderrièrelamaisonetentouraitlebassinquiseprolongeaitjusquedanslamaisonenpassantsousunearche.
—Lapiscineestchauffée,luiexpliquaChrysanderens’effaçantpourlalaisserentrer.Letempsest trop fraispour sebaignerdehorsencette saison,mais si lemédecin t’yautorise, tupourras tebaigneràl’intérieurdelamaison.
Ellelevalesyeuxaucielmaiss’abstintdeprotestercontrecesprécautionsexagérées.Maindanslamain,ilspénétrèrentdansunevastesalledeséjour,quicommuniquaitaveclacuisineetlasalleàmanger.
LeregarddeMarleyfutattirépard’immensesbaiesvitréesdonnantsuruneseconde terrasse,elleaussiavecpiscine;àl’arrière-plan,onapercevait lamerEgée.MaisellefutstupéfaitedevoirapparaîtreunefemmeportantunminusculeBikini.
Elle reconnut l’assistantedeChrysander.Quediable faisait-elle là?Sanscompterqu’il faisaitvraimenttropfroidpourprendreunbaindesoleilàl’extérieurdansunetelletenue.
Ellesetournaverseux,etMarleyfutcertainequesasurprise,enlesapercevant,étaitfeinte.—MonsieurAnetakis!s’exclama-t-elle,sansmontrerlamoindreintentiond’enfilerlepeignoir
qu’elleavaitàlamain.Jecroyaisquevousn’arriviezquedemain.Seslongscheveuxblondsluitombaientjusqu’auxreins,etMarleys’aperçutavecstupeurquele
basdesonmaillotétaitenfaitunstring.— J’espère que vous ne m’en voudrez pas d’avoir profité de votre magnifique piscine,
poursuivitRoslynenposantunemainparfaitementmanucuréesurlebrasdeChrysander.—Maisnon,vousavezbienfait,luiréponditChrysanderaveccourtoisie.M’avez-vousinstallé
monbureau,commejevousl’aidemandé?—Biensûr.J’espèrequeçanevousposerapasdeproblèmesijepasseunenuitdeplusici?Je
n’airéservél’hélicoptèrequepourdemainmatin.MarleynefutabsolumentpasdupedesgrandsairsinnocentsdeRoslynetcommençaàsesentir
oppressée.RetirantsamaindecelledeChrysander,elles’éloignapournepasavoiràsupporterpluslongtempslessimagréesdesonassistante.
—Iln’yaaucunproblèmeàcequevousrestiez,Roslyn.J’espèrequevousaccepterezdedîneravecnouscesoir,ajouta-t-ilpoliment,tandisqueMarleymontaitlesmarches.
Ellen’avaitaucuneidéed’oùellesmenaient,maisl’étagesemblaitl’endroitidéalpouréchapperàcettefemmequi l’irritaitau-delàde tout.ElleétaitpresquearrivéeaupalierquandChrysander larejoignit.
—Tuauraisdûm’attendre!Jen’aimepasdutouttevoirseuledansl’escalier.Tut’imaginessitutombais?Al’avenir,jeveuxquetuaiestoujoursquelqu’unavectoi.
—Tun’espassérieux!protesta-t-elle,abasourdie.Ilfronçalessourcils,n’appréciantmanifestementpasletonsurlequelelleluiavaitrépondu.—Jesuisabsolumentsérieuxquandils’agitdetasantéetdecelledenotreenfant.Elle poussa un soupir exaspéré, mais Chrysander fit mine de ne pas l’entendre et l’escorta
jusqu’àunevastechambre.C’étaitmanifestementlachambredemaître.
—C’estmachambre?demanda-t-elle.—C’estnotrechambre.Elle se sentit rougir jusqu’aux yeux, et le souffle lui manqua en s’imaginant partager cet
immense lit avec Chrysander. Il la regardait attentivement et futmanifestement ravi d’observer saréaction.
—Maispeut-êtreas-tudesobjections?suggéra-t-il.—Non…Non,non,répéta-t-elleensecouantlatête.Un sourire sensuel envahit lentement son visage tandis qu’il la regardait d’un air de fauve
affamé.—Bien.Noussommesd’accord,danscecas.—Ehbien…enfait…non,pastoutàfait,bégaya-t-elle.—Ahbon?Elleluttapournepasselaissersubjuguerparcettevoixchaudeetsensuelle,quidéjàmenaçait
defaired’elleunjouetentresesmains.Seredressant,elleluiditd’untondedéfi:—Jen’aipasbesoind’êtreaccompagnéedanslesescaliers,Chrysander.Jenesuispasinfirme,
etjen’aiaucuneenvied’êtretraitéecommetelle.—Etmoi,jepréfèrequetuaiesquelqu’unavectoi.—Iln’estpasquestionquejesoistraitéecommeuneprisonnière,àquil’oninterditdefairele
moindrepassansungardeàsestrousses,riposta-t-elleencroisantlesbrassurlapoitrineetenluijetantunregarddedéfi.
Asagrandesurprise,ilsemblasedétendreetsemitàrire.—Qu’ya-t-ildesidrôle?luidemanda-t-elle.—Toi,glykiamou.Tun’asvraimentpaschangé !Toujoursàme tenir têteet àm’accuserde
vouloirt’imposermesvolontés,dit-ilensouriantetenhaussantlesépaules,acceptantmanifestementsadéfaite.
—Ehbien,puisquenousnousentendonssibien,peux-tumedirecequecettefemmefaitici,àsepavanerquasimentnue?
Lesmots luiétaientàpeinesortisde labouchequ’elleregrettasaformulation.Etdirequ’elles’étaitpromisdeposerlaquestiond’untonléger!Elles’étaitplutôtcomportéecommeunemégèrejalouseetacariâtre!
Chrysanderserenfrognaaussitôt.—Tunel’asjamaisaimée,maisjetepriederesterpolie.—Jenel’aijamaisaimée?répétaMarley.Ettunetedemandespaspourquoi?TournantledosàChrysander,ellesedirigeaverslafenêtrequidonnaitsurlapiscine;surla
gauche,unjardinséparaitlesdeuxbassins.—Pourquoiest-elleici,manifestementcommechezelle,alorsquec’estlapremièrefoisquej’y
viens?ElleseraiditensentantlesmainsdeChrysanderseposersursesépaules.— Roslyn voyage souvent avec moi. Cette fois-ci, je lui ai demandé de prendre un hôtel à
Corinthe de façon qu’elle puisse venir rapidement si j’ai besoin d’elle, sans que sa présencecontinuellet’incommode.
Illuieffleuralatempedeseslèvres.— Quant au fait que tu ne sois jamais venue ici, l’occasion ne s’est pas présentée, tout
simplement.QuandjerevenaisàNewYorkaprèsavoirétéabsentplusieurssemainesd’affilée,j’avaisplusenviedepassermontempslibreavectoiquedevoyagerencore.
Marleyseretournaversluiet,sansréfléchir,l’enlaçaenseblottissantcontrelui.—Jesuisdésolée.Cetteamnésieesttellementfrustrante!Iln’empêchequejen’appréciepasde
voir l’assistantepersonnelledemonfiancésebaladerdans lamaison,sanspresqueriensur ledospourmasquersescharmes.D’autantqu’ellesembleparfaitementàl’aiseici,oùjedevraismesentirchezmoimaisoùjemesensétrangère.
—Sicelapeut teréconforter, jen’aipasprêté lamoindreattentionàsescharmes, répondit-ild’untonamusé,cequinefitquerenforcersonirritation.
Elle essaya de s’arracher aux bras de Chrysander, mais il la serra au contraire contre lui.Relevant la tête, elle lut un tel désir dans ses yeux qu’elle en eut le souffle coupé. Elle se passanerveusementlalanguesurleslèvres,etChrysander,avecuneexclamationétouffée,s’emparadesabouche.
Elleeutaussitôtl’impressionqu’ungigantesqueincendievenaitd’éclaterenelle.Aucundoute,soncorpsn’avaitrienoubliédeceluideChrysanderetleréclamaitdetoutessesforces.Illuicaressales lèvres de sa langue, avide de baisers, et elle s’ouvrit à lui en laissant échapper un petitgémissement.Leurslanguessemêlèrent,brûlantes,électrisées.
Elle sentit ses jambes se dérober sous elle,mais il la soutint, pressant étroitement son corpscontrelesien.Elles’agrippaàsesépaules,voulantsefondreenlui.
Passant les mains sous son chemisier, il dégrafa son soutien-gorge avec une adresseconsommée,etMarleysentitsesmamelonssedurcirsouslacaresse.Lorsqu’ilabandonnasaboucheet qu’elle sentit ses lèvres descendre le long de son cou, elle se mit à trembler sans pouvoir secontrôler,aspirantàselivrertoutentièreàlui.Commes’ill’avaitentendue,ilpritlapointed’undesesseinsdanssabouche.
—Jet’enprie,murmura-t-elle.Ilrelevalatête,interdit.—Théémou!Unpeuplusetjetefaisaisl’amoursurlamoquette.Il rajusta rapidement les vêtements deMarley, la laissant tremblante et désorientée. Effrayée
aussipar l’intensitéde sondésirdèsqueChrysander l’avaitprisedans sesbras.Tout soncorps leréclamaitpresquedouloureusement.
—Nemeregardepascommecela,marmonna-t-il.—Comment?demanda-t-elled’unevoixmalassurée.—Commesitunedemandaisqu’unechose:quejeteportesurnotrelitettefassel’amourtoute
lanuit!Jerisquedenepasmemaîtrisertrèslongtemps.Elleeutunrireétrangléetessayadereprendresoncalme,malgréletourbillond’émotionsque
suscitaientenellesesparoles.—Etsic’étaitcequejevoulais,enfait?—Lemédecin va arriver d’ici quelques instants, répondit-il en lui caressant la joue. Je veux
qu’ilt’examineetqu’ils’assurequelevoyagenet’apastropfatiguée.Tasantépasseavanttout.—Jecroisquejeviensd’essuyerunmagnifiquerefus,murmura-t-elle.Ilréagitsivitequ’ellen’eutpasletempsdeseressaisir.Illapritdanssesbras,lacouvantdeses
yeuxdefauve:—Neprendspasmonrefuspourdudésintérêt,murmura-t-ild’untondangereux.Jetepromets
que,dèsquelemédecinm’aurarassurésurtonétatdesanté,tuserasdansmonlit!Illarelâcha,etelles’éloignadequelquespasenvacillant.— Il me semble entendre l’hélicoptère, reprit-il. Ce doit être le médecin et Mme Cahill. Tu
devraisterafraîchirettemettreàl’aise.Jevaisdireaumédecindemontertevoir.
Marleyacquiesçadelatête,commeabrutie,etleregardas’éloigner.Dèsqu’ileutdisparu,ellese laissa tomber sur le lit en serrant sesmains l’unecontre l’autrepour lesempêcherde trembler.Commentpouvait-elleréagiraussiintensémentaucharmedecethomme,alorsque,pourlemoment,il était un étranger pour elle ?Sansdoute avait-il raison.Son corps le reconnaissait,même si soncerveau l’avait temporairement oublié. Elle aurait dû en être réconfortée, mais l’intensité de sonattirancepourluil’effrayait.Enl’espacedequelquesminutes,elles’étaittotalementabandonnée.
Serappelantquelemédecinn’allaitpastarderàarriver,etnevoulantpasluidonnerlamoindreexcusepourlarenvoyeraulit,ellesedépêchadegagnerlasalledebainspours’humecterlevisage.
Ellepassalamaindanssesbouclesetfronçalessourcilsenapercevantsonrefletdanslemiroir.Sa coiffure lui paraissait bizarre. Une brève image lui traversa l’esprit. Elle se revit, riant, lescheveux beaucoup plus courts, le visage auréolé d’unemasse de boucles indisciplinées. Elle avaitbeaun’avoirplusdesouvenirs,elleétaitcertainequ’ellepréféraitportersescheveuxcourts.Alorspourquoilesavait-ellelaisséspousserautant?Ellesecoualatêteetsepromitd’yremédierdèsquepossible.
Onfrappaàlaportedelachambre,etellesedépêchadesortirdelasalledebains.Chrysanderentra,suivid’unhommeplusâgéetdePatricia,quiluiadressaungrandsourire.
—Marley,dit-ilenluipassantunbrasautourdelataille,jeteprésenteleDrKarounis,undesmeilleurs obstétriciens d’Athènes, qui a aimablement accepté de te suivre pendant notre séjour surl’île.
—Enchanté,mademoiselleJameson,ditcourtoisementlemédecin.Elleluisouritavecunpeudenervosité.—Enchanté, docteurKarounis.Chrysander est très attentionnémais exagèreunpeu. Il n’était
certainementpasnécessairedevousdérangerdepuisAthènes.—Ilveutque tout sepassepour lemieuxpour lebébéetpourvous,dit leDrKarounisavec
bonhomie.Quipourraitleluireprocher?—Vousavezsansdoute raison,dit-elleavecunpetit sourire.Mais faitescequ’il fautpour le
persuaderquejevaistoutàfaitbien.Etquejesuisparfaitementcapabledemedéplacerseuledanslesescaliers,ajouta-t-elleavecunregardencoinàl’intentiondeChrysander.
—C’estvraimentpeudechose.Tupeuxfairecelapourmoi,glykiamou,dit-il, imperturbable.Tunemettraspaspluslongtempsàmonteroudescendrelesescalierssituesaccompagnéequesituesseule,etj’aurail’espritbeaucoupplustranquille.
Ilavaitvraimentl’artdeluidonnerl’impressionqu’elleétaituneenfantdéraisonnable!—Trèsbien,soupira-t-elle.Etmaintenant,sivousvoulezbiennouslaissertouslesdeux,dit-elle
enregardantChrysanderetPatricia.Chrysanderportasamainàseslèvresetyposaunbaiser.— Quand le Dr Karounis aura fini, je te suggère de prendre un long bain et de te reposer
jusqu’audîner.Jeviendraitechercherquandceseral’heurededescendre.Elleacquiesçad’unsignedetête,etChrysanderluilançaunregardtriomphal.Puisils’éloigna
enfermantlaportederrièrelui.
6
Entre la visite dumédecin et un long bain relaxant,Marley oublia totalement la présence deRoslyn dans la maison. Lorsque Chrysander vint la chercher pour l’escorter dans l’escalier, ellel’accueillitavecunsourire.
Ils’arrêtadevantellepourlaregarder,puisluieffleuraleslèvresd’unrapidebaiseravantdelaprendreparlamain.
—Tuesmagnifique.Tuasmeilleuremineetsemblesplusreposée.— Le Dr Karounis a déclaré que j’étais en parfaite santé. Il n’y a donc aucune raison de
t’inquiéter.—C’estunetrèsbonnenouvelle,glykiamou.Maindanslamain,ilsdescendirentaurez-de-chaussée,etMarleyseraiditenapercevantRoslyn
prèsdel’entréedelasalleàmanger.ElleauraitpuposerpourVoguedanssarobehautecouturequimoulait chaque centimètre de son corps.Marley eut tout à coup honte de son pantalon et de sonchemisierdegrossessetrèsordinaires,etfutàdeuxdoigtsdeseprécipiteràl’étagepoursechanger.Mais iln’étaitpasquestionquecette femmes’aperçoivequ’ellepouvait ladéstabiliser.Relevant latêteavecdéfi,elleseforçaàsourire.
—Sij’avaissuquevousnevoushabilliezpaspourledîner,j’auraischoisiuneautretenue,ditRoslynavecungestequinefaisaitquesoulignersondécolletéplongeant.D’habitude,vousaimezquel’on soit en tenuede soirée, ajouta-t-elle en s’adressantdirectement àChrysander et englissantunregardencoinàMarleypourvoirsielleappréciaitqu’elleensacheplusqu’ellesurseshabitudes.
Passant unbras autour de la taille deMarleyd’un air nonchalant, il l’entraîna dans la salle àmangerenrépondantàRoslyn:
—LeconfortdeMarleypassevraimentavant tout.Sanscompterquenous sommesvenus icipourêtreentrenous;iln’yadoncaucuneraisondefairedescérémonies.
Marleyauraitvoululuisauteraucoupourleremercierdesaréponse.MaisRoslynneparutpasparticulièrementaffectéeparcetterebuffade.
—Viens,glykiamou.MmeCahilletleDrKarounisnousattendent.Ils passèrent devant Roslyn, et Marley eut l’impression de sentir son regard mauvais sur sa
nuque.Lanourritureétait sansdoutedélicieuse,maiselleaurait étébien incapablededirecequ’elle
avaitmangé.Ellesouritàsedonnerdescrampesetdonnamachinalementlesréponsesqu’exigeaitlaconversation avec Patricia et le Dr Karounis, mais toute son attention était concentrée sur leséchangesàmi-voixentreChrysanderetRoslyn.
Ademitournéverssonassistante,ill’écoutaitetluirépondaitd’unairgrave.Unefoislerepasterminé,commeilnemontraitaucuneintentiond’interrompresaconversationaveclajeunefemme,assiseunpeutropprèsdelui,Marleyjetasaserviettesurlatableetquittalatable.
Chrysanderrelevalatêted’unairsurpris.—Toutvabien?— Parfaitement, répondit-elle, les dents serrées. Ne te dérange surtout pas, je monte dans la
chambre.Sans lui laisser le tempsde répondre, elle tourna les talons et s’éloigna aussi calmement que
possible.Elleétaitàpeinearrivéeaupieddel’escalierquePatricialarattrapa:—M.Anetakis ne souhaite pas que vous circuliez seule dans l’escalier, dit-elle en la prenant
gentimentmaisfermementparlecoude.Marley se retourna, mais Chrysander ne l’avait pas suivie. Elle sentit un frisson amer la
parcourir. Il se souciait peut-être de sa santé, mais manifestement pas au point de renoncer à lacompagniedeRoslyn.
Arrivée dans la chambre, elle s’approcha de la fenêtre pour admirer le bassin et les jardinsbaignésparleclairdelune.Ellen’avaitpasdutoutsommeil,etellesavaitqu’elleneparviendraitpasàdormir,pas tantque les tensionsque ledîneravait faitnaîtren’auraientpasdisparu.Lespectacleétait enchanteur,etelle resta toutunmoment immobileàenprofiter.Puiselleallaprendreunpulldansledressingetsedirigeaversl’escalier.Marcherdanslejardinparviendraitpeut-êtreàdissipersonirritation.
Sans plus se soucier dumécontentement de son fiancé empressé quand il apprendrait qu’elleavaitenfreintsesordres,Marleydescenditl’escaliersansfairedebruit,maiselleneputs’empêcherdesecramponner fermementà la rampe…Quelle idiote !Voilàqu’elles’était laisségagnerpar laprudenceexcessivedeChrysander.
Unmurmuredevoixprovenaittoujoursdelasalleàmanger,etelles’empressadeseglisseràl’extérieur. La fraîcheur de la nuit la surprit,mais c’étaitmalgré tout une soiréemagnifique. Ellesuivitl’alléequicontournaitlapiscineetmenaitaujardin.Unclapotisdevaguessefaisaitentendredanslelointain.Commeellepénétraitplusavantdanslejardin,lebruitdejetsd’eausesurimposaàceluidelamer,etelleaperçutavecravissementunefontaineilluminée.
Elle se rapprocha, respirant l’air vif de la nuit. Elle frissonnait malgré son pull mais étaitréticenteàl’idéederenoncerdéjààcepaysagemagnifique.
—Tunedevraispasêtreici.LavoixdeChrysanderlafitsursauter,etaumêmemomentil luiposalamainsurl’épaule,la
contraignantàsetournerverslui.Sesyeuxbrillaientdecolèreetilavaitlevisagefermé.—Commentm’as-turetrouvéeaussivite?demanda-t-elle,refusantdeluiprésenterdesexcuses.—J’aisuoù tuétaisdèsque tuasquitté lamaison.J’aidesgardesducorpspartoutsur l’île,
ajouta-t-ilenvoyantsonairsurpris.Ilsm’ontavertidèsquetuessortiesurlaterrasseetnet’ontpasquittéedesyeuxdepuis.
Ellegrimaçaenregardantalentourpouressayerdelesrepérer.—Nousétionsconvenusquetunecirculeraispasseuledanslesescaliers,ettunedevraispas
sortiraprèslatombéedelanuitsijenesuispasavectoi.— Tu pouvais difficilement m’accompagner où que ce soit, collé comme tu l’étais à ton
assistanteElleavaitessayédedirecelasurletondelaplaisanterie,maissavoixlatrahitetellecrispales
poings,furieused’avoirmontrésafrustration.
—Jet’ainégligéependantledîner,etjet’endemandepardon.J’avaisplusieurspointsàrégleravecRoslynavantsondépartdemainmatin.Jen’iraipasaubureaupendantnotreséjour,etmêmesijepeuxtravailleràpartird’ici,jepréfèreteconsacrermontemps.
Tout en parlant, il l’avait attirée contre lui, et elle se sentit faiblir.Elle détestait la jalousie etauraitvoulucroirequecen’étaitpasdanssontempérament,maiscommentpouvait-elleenêtresûre?Avait-elletoujourséprouvéunetelleinsécuritéàl’égarddeChrysander?Elleespéraitquenon,carcen’étaitvraimentpasunesituationàlarendreheureuse.
Elleappuyalefrontcontresapoitrineetfermalesyeux.Sonodeurmasculinel’enveloppaittoutentière, masquant la senteur iodée de la mer et les parfums du jardin. Sa chaleur la gagnait,réconfortante,apaisante.
—Jesuisdésolée,murmura-t-elle.— Promets-moi que tu renonceras à ce genre d’escapade, dit-il doucement en lui prenant le
menton pour la regarder dans les yeux. Je ne peux pas vous protéger, notre enfant et toi, si tu nem’écoutespas.
Elleplongeasonregarddanslesien,etledésirincandescentqu’elleyvitluicoupalesouffle.Ellesecontentad’acquiescerdelatête.Ellenevoulaitplusparler,n’aspiraitplusqu’àsesbaisersetàsescaresses.
—J’aivu leDrKarounis,dit-ild’unevoixsourde, luieffleurant la jouedudoigtavantde leposersurseslèvres.
—Etqu’a-t-ildit?demanda-t-elle,suffoquantpresque.Ilsepenchaetlasoulevadeterre.—Ilnevoitaucuneraisonpourquejenefassepasl’amouravectoi.—Tuluiasparlédeça?dit-elled’unevoixétranglée,simortifiéequ’elleenfouitsonvisage
danssoncou.—Jenevoudraispasvousfairecourirlemoindrerisque,àtoiouànotreenfant,dit-ilenriantà
voixbasse,jedevaisdoncêtresûrquejepouvaistefairel’amourtoutelanuit.Ilremontal’alléeendirectiondelaterrasse,laportantsanslemoindreeffort.—Chrysander!protesta-t-elle.Tunepeuxpasmeportercommecelasitoustesgardesducorps
ontlesyeuxrivéssurnous.Ilsvontdevinercequenousallonsfaire.Ilseremitàrire,sansmontrerlamoindreintentiondelaposeràterre.—J’adorequandtuesembarrassée,glykiamou.Cesontdeshommes.Ilsdevinentdonctrèsbien
mesintentions.Plusmortifiéeque jamais, elle se serracontre lui,nevoulantpas risquerd’avoir àcroiser le
regardd’undesgardesducorps.Ilseglissaparunedesportes-fenêtresetcommençaàgravirl’escalier.Marleysesentaitdeplus
enplusnerveuse.Elleavaittoutàlafoisenvieetpeurdecequiallaitseproduire.Ellesavaittropbienqu’elle perdait tout contrôle d’elle-même dès qu’il la touchait, et qu’elle devenait totalementvulnérable.Or, tantqu’elle restait incapablede se rappeler lanaturede leur relation, elledevait seprotégerémotionnellement.
Chrysanderl’allongeasurlelitetladévoradesyeux,lesyeuxbrillants.Posantlamainsursajoue, il caressa lentement tout son corps jusqu’à son ventre arrondi, relevant son chemisier pourl’effleurerdeses lèvres.Songesteétaitempreintd’une telle tendressequ’elleen futprofondémentémue.Avoixbasse,illuidemanda:
—Est-cevraimentcequetuveux?—Oui…
—Debiendesfaçons,c’estnotrepremièrenuitensemble,dit-ild’unevoixsourde.Jeneveuxrient’imposer.
Ellenoua lesbrasautourde soncou, l’attirantversellepour lui offrir sabouche.Toutes sesincertitudess’évaporèrentdèsqu’ellesentitseslèvresbrûlantessurlessiennes.
—Jeteveux,répondit-elleavecpassionquandils’écartapourlaregarder,haletant.Il se mit debout, la dominant de toute sa taille, et elle le contempla, tremblante de désir. Il
commençaàdéboutonnersachemise,etellesentitsonpoulss’accélérer.Lentement, faisant durer chaque geste, il se dévêtit sans la quitter des yeux, laissant choir sa
chemiseàterrepuisdéfaisantsonceinturon.Elleeutsoudainlacertitudequ’elleavaitdéjàvécuunescène similaire,qu’il avaitdéjàainsi jouéavec sondésir et son impatience, jusqu’àcequ’elle soitquasimentprêteàl’implorer.
—Tuasdéjàfaitcelapourmoi,murmura-t-elle.—Cela teplaît, oudumoins est-ce ceque tum’asdit. J’aime satisfaire la femmedemavie,
répondit-ilavecunregarddefauveaffamé,toutensedébarrassantdesonpantalon.Ilfitenfinglissersoncaleçonlelongdesesjambes,révélantsonsexedressé,etelledéglutit.Il
étaittoutsimplementsuperbe,unhommedanstoutesabeautéetsapuissance.Ellefrissonnalorsqu’ilsepenchaverselle.
—Etmaintenant,àtontour,glykiamou.Instinctivementprisedepanique,ellecroisalesbrassur lapoitrine.Allait-il la trouverbelle?
Saurait-ellesusciterlemêmedésirenluiqu’ilsuscitaitenelle?Doucement,ils’emparadesespoignetsetluiécartalesbras.—Netecachepas.Tuesmagnifique,etjeveuxt’admirerdelatêteauxpieds.Ellesemouillaleslèvresetsentitsesseinssegonfler,protestantcontrelesoutien-gorgequiles
emprisonnait.Ellen’avaitsoudainplusqu’uneenvie:sentirlapeaudeChrysandercontrelasienne,soncorpscontrelesien,sansaucunobstacle.
Ilcommençaàluiôtersonchemisier,etdeseslèvresdessinauncheminlelongdesamâchoire,jusqu’aulobedesonoreille.Marleyeutl’impressionquesavuesebrouillaitetquelesouffleallaitluimanquer.
Lorsqu’elle retrouva un semblant demaîtrise, elle fut stupéfaite de s’apercevoir qu’il l’avaittotalementdéshabilléeenunclind’œil.Avecunsourirearrogantettaquin,ilfitvolersonminusculeslip de dentelle à l’autre bout de la pièce avant de s’allonger sur elle en posant lamain d’un airprotecteursursonventrearrondi.Puissacaressesefitplussensuelleetgagna lentement lesreplishumidesdesonsexe.
—Chrysander!dit-elleensuffoquantdeplaisir,toutens’arquantdetoutsoncorpscontrelui.Sondésirdevintpresquedouloureuxlorsqu’ilpritlapointedesonseindanssabouche,touten
lacaressantauplusintimedesonêtre.—J’aitellementenviedetoi,murmura-t-il.Donne-toiàmoi.Donne-moitonplaisir.Lentement,illapénétra,prenanttendrementsoindenepasécrasersonventrearrondisousson
poids,puisilsemitàondulerenelle,d’abordlentement,puisdeplusenplusvite,commeguidéparles halètements de plaisir qui s’échappaient de sa bouche. C’était divin. C’était… évident. Pour lapremièrefois,elleavaitlesentimentd’êtreàlaplacequiluirevenait.Unsentimentd’appartenancetelqu’elleeneutleslarmesauxyeux.Maisbienvitelesspasmesdelavoluptéremplacèrentseslarmes,etelles’abandonnaentresesbraspuissants, le laissant laconduireauseptièmecielet l’yrejoindreavecunlongcrirauque,uncrivibrantdepassionquirésonnaàsesoreillescommelaplusbelledesmusiques.
Quand,lebattementfoudeleursdeuxcœursàpeineapaisés,ilfitminedes’écarterd’elle,elleprotestafaiblement.
—Jesuistroplourd,murmura-t-ilens’allongeantcontreelle,jenevoudraispastefairedemal.Il l’attira contre sa poitrine et plaça une main sur son ventre. Ils restèrent un long moment
silencieux,puisMarleydemandatoutbas:—Ç’atoujoursétécommeça?Entrenous…?Ilrestauninstantsansrépondrepuismurmura:—Non,glykiamou.Cesoir,c’était…c’étaitencoremieux.Elles’endormitlesourireauxlèvres,entouréedelachaleurdeChrysander.
7
LesoleilinondaitlachambrequandMarleys’éveilla.Elleentrouvritlesyeuxpuissepelotonnasous les draps. De la main, elle chercha le corps de Chrysander mais ne rencontra que le vide.Fronçant les sourcils, elle s’assit et parcourut la chambre des yeux, mais il n’était nulle part. Lebourdonnementcaractéristiqued’unhélicoptèreattirasonattention,etelleselevapourregarderparlafenêtre.
Chrysandersetenaitàquelquesmètresdel’appareil,aucôtédeRoslyn.Elleluiadressaunsignede tête et monta à bord. Quelques secondes plus tard, l’hélicoptère disparaissait en direction ducontinent,etMarleyneputretenirunsoupirdesoulagement.
Elle se doucha rapidement et enfila un peignoir avant de retourner dans la chambre pours’habiller.ElleytrouvaChrysanderquil’attendaitmais,alorsqu’elles’attendaitqu’ill’embrasse,illuiditd’untonbref:
—Jetelaisset’habiller.MmeCahillviendratechercherd’iciunedemi-heure.Puis,sansunautremot,iltournalestalonsetsortitdelachambre.Marleyleregardas’éloigner,
stupéfaite et blessée jusqu’au plus profond du cœur. Après leur intimité de la nuit passée, elle nes’étaitcertainementpasattenduequ’illatraiteaussifroidement.
Elle fit un effort pour se ressaisir.Elle avait suffisammentde sujets de réflexionpournepasperdreson tempsavec les sautesd’humeurd’unhommeaussi fantasque.S’ilavaitdessoucisetnevoulaitpasluienparler,iln’avaitqu’àsedébrouillertoutseul!
Elle sortitde lachambred’unehumeurmassacrante, tout sentimentdebien-êtreetde sérénitéenvolé. Elle n’allait certainement pas rester là à l’attendre, simplement parce qu’il le lui avaitordonné.Sonobsessionàproposdel’escalierétaitdetoutefaçonparfaitementridicule.
Arrivée à mi-parcours, elle aperçut Chrysander au pied des marches. Ses yeux jetaient deséclairs.Elleeutunmomentd’hésitationpuis sedécidaàcontinuer.Elle trouvaitunpeumesquinetinfantiledeledéfieràproposdechosesaussiinsignifiantes,maiselleavaitenviedel’irriter.
Elleluilançaunregarddedéfienarrivantaurez-de-chaussée.Ilpâlitmaisneditrienetfitminede la prendre par le coude pour la conduire à table. Elle se dégagea et le précéda dans la salle àmanger.
Ils déjeunèrent sans échanger unmot.Marley se contenta deboire son thémécaniquement, lesilence de plomb de Chrysander lui donnant plus envie de fuir que de goûter aux fruits sur sonassiette.
A plusieurs reprises, elle ouvrit la bouche pour lui demander ce qui lui arrivait, mais sonexpressionl’endissuada.Renonçantfinalementàfairesemblant,ellerepoussasonassiette.
Chrysanderluijetaunregarddésapprobateur:—Tuasbesoindemanger.— Il est difficile de manger quand il règne un silence de mort à la table du petit déjeuner,
répondit-elled’untonsec.Il lui jeta un regard incendiaire et parut sur le point de répliquer,mais à cet instant un bruit
d’hélicoptèresefitdenouveauentendre.—Onsecroiraitsurunhéliport,cematin!murmura-t-elle.—Cedoitêtrelejoaillier.Jereviens.Lejoaillier?Elleleregardas’éloigner,surprise.Pourquoidiableavait-ilbesoind’unjoaillier?
EtoùpouvaientbienêtrepassésPatriciaetleDrKarounis?Leurprésenceluiauraitaumoinsévitéd’avoiràsupporterseulelesilenceorageuxdeChrysander.
Ellepassasurlaterrasseetfermalesyeux,goûtantlacaressedelabrisemarine.Lefonddel’airétaitfrais,maislesoleilbrillaitetelledécidadedescendrejusqu’àlaplage.Aquelquedistancedelamaison, l’alléedalléedu jardindevenaituncheminsableux,etelle finitparôter ses sandalespourjouirduplaisirdusablechaudsoussespieds.
Lesvaguessemblaientl’inviter,sibienqu’elles’aventurajusqu’aubord,pataugeantcommeuneenfant dans l’eau tiède, d’un bleu de carte postale. Un véritable paradis, dont Chrysander était lepropriétaire.
La brise soulevait ses boucles et les faisait voltiger autour de son visage. Après plusieurstentativesinfructueusespouressayerdelesdiscipliner,ellerenonçaenriant.Ellejetauncoupd’œilverslamaison,maiscommepersonnenevenait,ellecontinuaàmarcherauborddel’eau.Leclapotisrégulierdesvagueslacalmait,etbientôtlatensionaccumulées’évanouit.Ellesesentaitenpaixici,etensécurité.
Surprisequecemotluisoitvenuàl’esprit,elles’arrêta.Pourquoineseserait-ellepassentieensécurité ? Chrysander s’entourait d’un véritable mur humain, avec tous ses gardes du corps ; siquelqu’unétaitensécurité,c’étaitbienelle!Etpourtant,jusqu’àleurarrivéesurl’île,elleavaitétéenpermanencesurlequi-vive,àdeuxdoigtsdelapanique.
—Tuasperdulatête,etpasseulementlamémoire!semorigéna-t-elleàmi-voix.Apercevant un tronc d’arbre échoué sur le sable, elle alla s’y asseoir et poussa un soupir de
contentement.Lespectacleetlebruitdesvaguesétaientsiagréablesqu’ellen’avaitplusaucuneenviedebouger. Il faisait si bonqu’elle était tentéede sedébarrasserde sesvêtementspour allernager,maisl’idéed’avoirunedemi-douzainedegardesducorpscommespectateursl’endissuadatrèsvite.
Unmouvementattirasonregard,etellevitChrysanderapprocheràgrandspas.Ellesoupiradefrustration.S’arrêtantdevantelle,illafixad’unairmécontent.Puis,secouantlatête,ilvints’asseoirauprèsd’ellesurletroncd’arbre.
—Manifestement,mesgardesducorpsnevontpasmanquerd’occupationavectoi,glykiamou.Ellehaussalesépaulessansrépondre.—Quefais-tuici?demanda-t-ild’untonégal.—Jeprofitedelaplage.C’esttellementbeau.—Si jeprometsde t’y ramener, acceptes-tude remonter à lamaisonavecmoi ?Le joaillier
nousattend,etildoitretournersurlecontinentdèsquepossible.— Pourquoi est-il venu ici ? Habituellement, ce sont plutôt les clients qui se déplacent à la
boutique,non?Chrysander se leva en lui adressant un regard plein d’arrogance qui signifiait clairement
qu’avec lui,c’étaient les joailliersquisedéplaçaientetnon l’inverse. Il lui tendit lamainetelle la
prit,résignée.—Tun’esvraimentpasdrôle,grommela-t-elle.Dèsqu’ilssemirentàmarcher,elleessayadelibérersamainmaisillagardafermementdansla
sienne.Cethommeétaitunvéritablemystère,àsoufflerconstammentlechaudetlefroid!Dans la bibliothèque, ils trouvèrent unhommeâgéqui arrangeait desprésentoirs couverts de
velourssurlebureaudeChrysander.IlrelevalatêteenlesentendantarriveretleuradressaunlargesourireenvenantsaluerMarley.
Elles’assit,fascinéeparlechatoiementdespierresprécieusesetl’éclatdesdiamants,ettournaunregardinterrogatifversChrysander,quiavaitprisplaceàsescôtés.
—J’aidemandéàMonsieurdevenirpourquenouspuissionschoisirtabague.—Jenecomprendspas,répondit-elle,embarrassée.Chrysanderpritsamaingaucheetlaportaàseslèvres.—Ilestimportantpourmoiquetuportesmabague,glykiamou.Nousne l’avionspasencore
choisie…quandtuaseutonaccident.Ilesttempsd’yremédier!—Oh!Elle était si surprise que les mots lui manquaient. Elle reporta son attention sur les bagues,
intimidée.Elles étaient énormes, etmanifestement si chères qu’elle ne voulaitmêmepas connaîtreleurprix!Aprèsenavoiressayéplusieurs,sapréférenceseportasurl’uned’entreelles,maisellehésitaàledire,depeurd’offenserChrysander,etcontinuadoncàessayerlesbijouxqueluiprésentaitlejoaillier.
—Celle-ci,ditChrysander,etelles’aperçutavecsurprisequ’ilavaitsélectionnélabaguequ’elleconvoitait.
Lejoaillierluitenditlebijou,etChrysanderlepassaaudoigtdeMarley.C’étaitunebaguepluspetiteetplussimpleque lesautres,maiselle luiallaitparfaitement.Unsolitaire tailléenémeraudebrillaitàsondoigt,etellen’eutsoudainplusaucuneenviedel’ôter.
—Elleteplaît?ditChrysander.—Jel’adore,murmura-t-elle.Maissituenpréfèresuneautre,jeseraitrèscontenteaussi.—Nousprenonscelle-ci,répondit-ilens’adressantaujoaillier.Celui-ci les félicita de leur choix, et bientôt Chrysander le raccompagna à l’hélicoptère, non
sansavoirintimél’ordreàMarleydenepasbougerd’oùelleétait.Elleneputs’empêcherderireenleregardants’éloigner.Ilavaitprobablementl’habituded’être
obéiaudoigtetà l’œildèsqu’ilouvrait labouche.Elle fut soudainhorrifiéeà l’idéequ’elleavaitpeut-êtreétécommeluiavantsonamnésie.Puisellehaussalesépaules.Elleavaitpeut-êtreperdulamémoire,maisellenepouvaitpasavoirradicalementchangédepersonnalité.
Sonestomacvideluirappelasoudainqu’ellen’avaitpasprisdepetitdéjeuner,etellesedirigeavers la cuisine pour y remédier. Mais elle n’eut pas le temps d’ouvrir le réfrigérateur que déjàChrysanderétaitderetour.
—Pourquoiétais-jesûrquetuneseraispasàl’endroitoùjet’ailaissée?—Peut-êtreparcequetunemel’aspasdemandégentiment?rétorqua-t-elleavecunsourire.Ilsemitàrire,d’unriregraveetsensuelquilafitfrissonnerdelatêteauxpieds.—J’aidemandéaupilotederevenirdansuneheure.Situtesensenforme,nouspourrionsaller
visiterlesruinesquetuasremarquéeshier,etpeut-êtrefaireunpeudetourisme.—Quelle excellente idée ! dit-elle en oubliant totalement ce qu’elle était venue faire dans la
cuisineetensejetantdanslesbrasdeChrysander.—Serais-tuprêteàmepardonnerden’êtrevraimentpasdrôle?demanda-t-ilavecunpetitrire.
— Quel rancunier ! lui lança-t-elle avec une grimace amusée. Mais oui, j’accepte de tepardonner.Etmaintenant,jevaismechanger.
Elle se dirigea vers l’étage mais il l’attrapa par la main et la ramena vers lui, sa bouche àquelquescentimètresdelasienne.
—Tunecroispasquej’ailedroitàunerécompense?murmura-t-il.—Peut-êtreunepetiterécompense,répondit-elled’unevoixenrouéeparledésir.Ils’emparadesabouche,etellesesentitfondreentresesbrasettremblerdetoussesmembres.
Quandillarelâcha,laflammedudésirbrillaitdanssesyeux.—Jeferaismieuxdetelaisseraller techanger,oubiennotrepromenadevaseterminerdans
monlit…—Etsinousdécidionsdecommencernotrepromenadepartonlit?
***
Quand,unpeuplustard,l’hélicoptèreseposaàCorinthe,unevoiturelesattendait,et,àlagrandesurprisedeMarley,Chrysanderlafitmonteràl’avantavantdeprendrelevolant.
—Jesaisconduire,luidit-ild’unairamusé.—C’est simplement que je ne t’avais encore jamais vu auvolant.Enfin, je veuxdire, jamais
depuis…—Jesaiscequetuveuxdire,Marley.C’estvraiquejeneconduispastrèssouvent.Jepréfère
généralementprofiterdemesdéplacementspourm’occuperdemesaffaires,maisj’aiunevoitureicietuneautreàNewYork.
Ilspassèrentunegrandepartiedelamatinéeàsepromenerparmilesruines.Illuirésumaleurhistoire, mais elle était surtout sensible à cette magnifique journée et au fait qu’ils soient enfinensemble,sansassistantehorripilante,sansmédecinniinfirmière,sanstéléphoneetsansfax…Toutcedontellerêvait!
—Tun’aspasécoutéunmotdecequejet’airaconté,glykiamou,ditsoudainlavoixamuséedeChrysander,pénétrantsarêverie.
—Jesuisdésolée, répondit-elleen rougissantetense tournantvers lui. Je suis raviedecettepromenade,vraiment!
—Es-tuprêteàretournersurl’île?J’espèrequetunet’espastropfatiguée?Il était urgent de le convaincre qu’elle était en pleine forme, ou bien il allait la ramener à
l’hélicoptère,etcettejournéeidéaleprendraitfin!—Tunem’asjamaisparlédetafamille…Oudumoinsjenem’ensouvienspas.—Queveux-tusavoir?—Toutcequetuveuxbienm’endire.Tesparentssont-ilstoujoursvivants?Tuneparlesjamais
d’eux.Sonvisages’assombrit,etelleregrettaaussitôtsaquestion.—Ilssontmortsilyaplusieursannées,dansunaccidentàborddeleuryacht.—Jesuisvraimentdésolée,dit-elleenglissantsamaindanslasienne.Jenevoulaispasremuer
dessouvenirsdouloureux.—C’était ilya longtemps,répondit-ilenhaussant lesépaules,mais ilétaitévidentquec’était
toujoursunsujetparticulièrementpéniblepourlui.Elles’apprêtaitàparlerd’autrechose lorsqu’il fronça lessourcilset sortit sonportabledesa
poche,vérifiantrapidementquil’appelaitavantderépondre.
—Roslyn,dit-ild’untonbref.MarleyseraiditetretirasamaindecelledeChrysander.Onpouvaitvraimentfaireconfianceà
cetteassistantedemalheurpourchoisirlemauvaismomentpourappeler!Elledevaitavoirundondesecondevue.
Chrysander avait l’air de plus en plus tendu, et quand il regarda dans sa direction, elle eutl’impressionqu’ilnelavoyaitpas.
—Toutvabienici,dit-il.VérifiezavecPierscommentleschosessepassentpourl’hôteldeRioetrappelez-moi.
Puis,aprèsunlongsilence,ilajouta:—Non,j’ignorequandnousretourneronsàNewYork.Iljetauncoupd’œilàMarley,etellefutcertainequeRoslynparlaitd’elle.—Biensûrquenon,poursuivit-il.J’apprécievosefforts,Roslyn.Vousserezlapremièreavertie
dèsquejedécideraidequitterl’île.Marley s’éloigna, irritée par cette conversation. Quelques instants plus tard, il referma son
téléphoneet,commeelles’yattendait,sonattituden’étaitplusdutout lamêmequandil revintverselle. Il la regardait quasiment avec suspicion, sans qu’elle ait la moindre idée de ce qui avait puprovoquercerevirement.Etcen’étaitpasuneillusion:sonhumeuravaitradicalementchangé.
—Désolépourcetteinterruption,dit-ilpresquecérémonieusement.Dequoiparlions-nous?—Parle-moideteshôtels,dit-ellesansréfléchir,cherchantàluichangerlesidées.Sonvisagesefigea.—Queveux-tusavoir?—Jenesaispas,dit-elleens’asseyantsurunbancquidominaitlesruines.N’importequoi.Où
sont-ilssitués?Jecroisquevouspossédezl’ImperialParkHotel,àNewYork,n’est-cepas?Ilconfirmad’unsignedetête.—Etoùsontlesautres?Vousêtesprésentsdanslemondeentier?Jet’aientenduparlerdeRio
deJaneiro.Vousyavezunhôtel?Son visage était soudain devenu un masque rigide, et elle en fut ébahie. Avait-il horreur de
parler de son travail ? Il ne lui en avait presque rien dit jusque-là, alors qu’elle aurait voulu toutsavoirdecequil’intéressait.
— Nous avons des hôtels dans les principales métropoles, répondit-il enfin. A New York,Tokyo,LondresetMadrid,etd’autres, unpeupluspetits, ailleurs enEurope.En cemoment, noustravaillonsàunprojetàRio.
—AucunàParis?Ceseraitpourtantbienpournosweek-endsenamoureux, luidit-elleenletaquinant.
Mais sabonnehumeurdisparut, remplacéeparune sourdeappréhension,quandelle s’aperçutqu’il la dévisageait d’un air glacial. Il semblait en colère.Non, lemot était trop faible. Il semblaitfurieux!
—Non,aucunàParis,répondit-illesdentsserrées.Savoixétaitsidurequ’elles’écartaunpeudelui.—Jesuisdésolée…Ilétaitàprésentd’unehumeurmassacrante,maisellen’avaitpaslamoindreidéedecequiavait
provoqué ce changement. Manifestement, elle avait le chic pour choisir les mauvais sujets deconversation.Maissiellenepouvaitluiparlernidesafamillenidesesaffaires,yavait-ilvraimentdessujetsqu’ellepouvaitabordersansrisquerdelemettreencolère?
Elleseleva,irritéeàsontour.
—Tuasraison.Nousdevrionssansdouterentrer.Elle se détourna pour rejoindre la voituremais elle s’était levée trop brusquement, et, tout à
coup,lepaysagesemitàtournoyer,etelletombacommeunemasse.
***
QuandMarleyrepritconnaissance,lapremièrechosequ’elleentenditfutunevoixfurieusequiparlait à toute vitesse en grec. Elle ouvrit les yeux et mit un instant à comprendre qu’elle étaitallongéesurunetabled’examendansuneclinique.Chrysanderluitournaitledosets’entretenaitavecunmédecin.
—Chrysander,dit-elled’unevoixfaible.Ilseprécipitaaussitôtàsescôtés.—Commenttesens-tu?luidemanda-t-ilenlafixantintensément.As-tumalquelquepart?Elleessayadeluisourire,maisellesesentaittoujourstrèsfaible.Lemédecins’approchaàson
touretluitenditunverre.—Buvezceci,mademoiselleJameson.Vousfaitesdel’hypoglycémie,etcejusdefruitsdevrait
vousfairedubien.Chrysanderluipritd’autoritéleverreetenlaçaMarleypourl’aideràs’asseoiretàboire.—Aquandremontevotredernierrepas,mademoiselleJameson?Lemédecinlaregardaitavecunecertainesévérité,etellesesentitrougir.—Jen’aipasprisdepetitdéjeuner,reconnut-elle,embarrassée.—Et tun’aspratiquement rienmangéhier soir nonplus ! ajoutaChrysander en étouffant un
juron. Jen’auraisvraimentpasdû t’amener ici aujourd’hui. Je savaispourtantbienque tuavais leventrevide,maisjen’airienfaitpouryremédier.
—Cen’estpastafaute,Chrysander,dit-elleenesquissantunsourire.J’étaissicontentedeveniriciavectoiquejen’yaipluspensé.
—C’estàmoideprendresoindetoietdenotreenfant,répondit-ild’unairtêtu.—Fortheureusement,iln’yariendegrave,intervintlemédecinensouriant.Unbonrepas,etil
n’yparaîtraplus!Jesuggèretoutdemêmequevouspassiezlerestedela journéeàvousreposer,pourneprendreaucunrisque.
—J’yveilleraipersonnellement,ditChrysander.Marley soupira. A l’évidence, il se tenait pour responsable de son évanouissement, et elle le
connaissaitdésormaissuffisammentpourêtresûrequ’iltiendraitparole.Ellepouvaitd’oresetdéjàserésigneràpasserlerestedelajournéeaulit!
Commelemédecinvenaitdeleurdirequ’ilspouvaientpartir,Marleyfitminedeselever,maisChrysanderl’enempêchaenlaprenantdanssesbras.Dèsqu’ilspassèrentleseuil,unevoituresegaradevantlaporteetlechauffeursortitpourleurouvrirlaportière.Chrysanderseglissaàl’arrièresanslalâcheruneseuleseconde.
—Tun’auraspasencorebeaucoupconduitaujourd’hui,murmura-t-elle.—Jenepeuxpasàlafoisconduireettetenirdansmesbras,dit-ilcommesilaréponseallaitde
soi.—Jen’aipasbesoinquetumetiennestoutletempsdutrajet!—Quetuleveuillesounon,jeprendraisoindetoi.Résignée à ne plus avoir son mot à dire de la journée, elle se blottit contre sa poitrine,
l’entourantdesesbras.Illuicaressalescheveuxenmurmurantdesmotsengrec.Elleétaitpresque
endormiequandlavoitures’arrêta.Chrysanderlarepritdanssesbrasetsedirigeaàgrandspasversl’hélicoptère.—Rendors-toisitupeux,glykiamou,dit-ildoucementenl’installantàsaplace.Chrysander avait manifestement passé ses ordres par téléphone, car, à leur arrivée sur l’île,
Patricialesattendaitavecunrepaschaud,etMarleypoussaunsoupirdecontentementenavalantsapremièrecuilleréedesoupe.
— Il n’est plusquestionque tu sautesun seul repas ! lui ditChrysanderd’unevoixpleinedereprochesenlaregardantmanger.
—Jen’aijamaiseul’intentiondejeûner.C’estunconcoursdecirconstances.—Ehbien,jeveilleraiàcequeçanesereproduiseplus.—Sijecomprendsbien,tuvasrecommenceràn’êtrevraimentpasdrôle?luidemanda-t-elleen
luisouriantd’unairtaquin.Il lui lança un regard noir, qui lui rappela tout à coup ce qui s’était passé juste avant qu’elle
s’évanouisse,etelleleconsidérad’unairpensif.—Qu’ya-t-il?luidemanda-t-il.Ellereposasacuillère.—Toutàl’heure,quandnousvisitionslesruines,pourquoit’es-tumisencolère?Sonexpressionrestaneutre,maisilétaitclairquelaquestionneluiplaisaitpas.—Pour rien.Despréoccupations liéesàmon travail, répondit-il commes’iln’yattachaitpas
d’importance.Elle le fixa d’un air dubitatif puis renonça à insister. S’il ne voulait pas lui dire ce qui le
tracassait,songea-t-elletristement,ellen’avaitsûrementaucunmoyendelefaireparler.Dèsqu’elleeutfinidemanger,Chrysanderlapritdenouveaudanssesbrasetlaportajusqu’à
leurchambre.Ill’allongeasurlelitetentrepritdeladéshabiller.Quandileutterminé,elleneportaitplusquesonsoutien-gorgeetunslipendentelle,etilsedétourna,larespirationoppressée.
—Chrysander,murmura-t-elle.Ilseretournaverselle,touslesmusclestendus.—Resteavecmoi,veux-tu?Nouspourrionsfairelasiesteensemble.Jemesenstrèsfatiguée,
finalement.S’iln’avaitpaseu l’airaussiperdu,elleauraitéclatéde rire.Maiselle fitdesonmieuxpour
gardersoncalmetoutenleregardantsedébattreaveclui-même.Finalement,ilsemitàsedéshabillerensilenceetnegardaquesoncaleçonavantdes’allongerprèsd’elle.
Presqueaussitôt,iljuraàvoixbasseavantdeserelever.Ellelevitfouillerdansunecommode,etenreveniravecundesesT-shirtsqu’illuitenditendisant:
—Enfile-le,tuserasplusàl’aisepourdormir.Ill’aidaàs’asseoiretdégrafasonsoutien-gorge,puisluienfilaleT-shirt,lesmainstremblantes.—Tuesmieuxcommecela?luidemanda-t-ildoucement.—Bienmieux,répondit-elle,lavoixenrouée.Ils’allongeaàcôtéd’elleetlapritdanssesbras.Elleremuaunpeu,cherchantlapositionlaplus
confortable.Soudainellesefigeaensentantsonsexedurcontresesfesses.Maisquandelleessayades’écarterdelui,illuimurmuraenresserrantsonétreinte:
—Arrêtedebouger…Lesjouesenfeu,elles’efforçadesedétendre.Dèsqu’ill’avaittouchée,toutesafatigues’était
envolée;elleallaitavoirdumalàs’endormiravecsoncorpscontrelesien!
Sa chaleur la pénétra peu à peu. Il lui caressait les cheveux enmurmurant doucement à sonoreille.Desmotsgrecsqu’ellenecomprenaitpasmaisdontellepercevaitl’intentionapaisante.Puiselle poussa un soupir de contentement quand la main de Chrysander glissa sur son bras, sur sahanche, sur sa cuisse, puis elle se laissa bercer par le souffle régulier de sa respiration. Il s’étaitendormi.Etelleaimaitl’idéed’êtreprisonnièredesonsommeil.
Ellesesentit soudainenvahied’un immensebien-êtrequisechangeaenun immensebonheurquandellecompritquelesentimentsansnomqu’elleressentaitétaittoutsimplementdel’amour.
Elle l’aimait.Ellen’auraitpasdûêtresurprise,maisàprésentqu’elleavaitprisconsciencedesessentiments,elledevaits’avouerqu’ellen’enavaitpasétécertainependantlespremiersjoursdesonamnésie.N’aurait-ellepasdûlesavoirauplusprofondd’elle-même?
Ilétaitindéniablementcompliqué.Complexe,durparmoments,réservé.Maisqu’importait!Sielle avait réussi une première fois à briser le rempart dont il s’entourait, elle était certainementcapablederecommencer.
Elle se laissagagnerpar le sommeil à son tour, sachantclairementquel seraitdésormais sonobjectifquotidien.
8
Deslèvreschaudesrépandirentunepluiedebaiserssursonépaulepuisdescendirentlelongdesonbras.MarleyouvritlesyeuxetaperçutlatêtebrunedeChrysander.
—Quelleagréablefaçondeseréveiller!murmura-t-elle.Ilrelevalatêteetellecroisasesyeuxmordorés.—Commenttesens-tu,glykiamou?Roulantsurledos,elleluicaressalescheveux.—Beaucoupmieux.J’ail’estomacpleinetj’aifaitunebonnesieste:quepourraitdemanderde
plusunefemmeenceinte?—Notre fils n’a pas beaucoup dormi, fit remarquer Chrysander en passant la main sur son
ventrearrondi.—Non,ilesttrèsactifencemoment,répondit-elleensouriant.L’obstétricienm’aexpliquéque
lesbébésremuaientsurtoutpendantledeuxièmetrimestre.SansquitterleventredeMarleydesyeux,manifestementfasciné,ildemanda:—Ilsnebougentpluspendantlederniertrimestre?—Pasautant.Ilsn’ontplusbeaucoupdeplace,surtoutaucoursduderniermois.—Ceserasansdouteplusfacilepourtoidetereposeràcemoment-là.Commepourluifaireécho,ellesemitàbâiller.—Tuesencorefatiguée,dit-ilaussitôt.—Jesuisenceinte.Jesupposequejevaisêtrefatiguéependantlesdix-huitannéesàvenir.Mais
jemesenstrèsbien,jet’assure,Chrysander.Allez,levons-nous!Commes’iln’avaitpasentenducequ’ellevenaitdedire,ils’installaàcalifourchonsurelle,tout
en prenant soin de ne pas peser de tout son poids, puis il lui dit avec un sourire plein de sous-entendus:
—Tumeparaisbienpresséedetelever.Pourquoidonc?Elle rougit et lui envoya une bourrade dans la poitrine. S’allongeant contre elle, il se mit à
l’embrasser,mordillantseslèvresavecsensualité.—J’aibienenviedetegarderaulitjusqu’àdemainmatin,murmura-t-il.Elle lui noua les bras autour du cou et lui rendit son baiser. Dès qu’il la touchait, dès qu’il
l’effleuraitdesonsouffle,ellen’avaitpluslamoindrevolonté.Ellesentaitsonsexedurcontresoncorps,etellebrûlaitdelesentirenelle…
Maissoudain,ilsereleva,manifestementàcontrecœur.Ellelefixa,sidérée.Ilétaitévidentqu’ilavaitenvied’elleautantqu’elleavaitenviedelui:pourquois’éloignait-il?
—Jeneveuxpastefatiguer,dit-ildoucementenécartantunemèchedecheveuxdesajoue.Tuaseuunejournéedifficile,agapimou.
Ils’interrompit,commesurprisd’avoirlaissééchappercesmots.Agapimou.Monamour.C’étaitlapremièrefoisdepuisl’accidentqu’ill’appelaitcommeça.Ellenesavaitplusquoipenser:elleétaitheureusequ’ilaitprononcécesmots,maisilsluiavaientmanifestementéchappé.
Leregardsoudaindistant,ilsedirigeaversledressing,s’habillaetsortitdelachambre.Elle se leva à son tour pour s’habiller.Depuis l’accident, leurs relations étaient bizarres.Elle
n’arrivait pas à être sûre des sentiments de Chrysander pour elle, et ses efforts manifestes pourmaintenirunecertainedistanceentreeuxladéconcertaient.Etait-celiéàsonamnésie?
Si seulement lamémoire pouvait lui revenir !Si seulement elle pouvait lui faire comprendrequ’elle l’aimait, et que le fait qu’elle ait oublié qu’elle l’avait aimé avant l’accident était sansimportance.Laseulesolutionétaitde le luimontrer,etd’espérerquesonamnésienedureraitplustrèslongtemps.
***
Assisdanssonbureau,Chrysanderfixaitlafenêtredonnantsurlaplage.Marleyétaitauborddel’eau,lespiedsnus,etsarobedegrossessefrissonnaitsouslabrise.Illasurveillaitdeprèsetavaitdonnél’ordreauxgardesducorpsd’enfairedemême,surtoutdepuisqu’elles’étaitévanouie.
Ilvenaitd’avoirunelongueconversationtéléphoniqueaveclepolicierchargédel’enquêtesurl’enlèvement deMarley. Il n’avait toujours pas procédé à la moindre arrestation et n’avait pas lamoindrepiste.Lesravisseurscontinuaientdoncàreprésenterundangerpourelleetpourlebébé.Ilserralespoings.Lasituationétaitinacceptable!Lepolicierluiavaitpromisdeleteniraucourantdel’évolutiondel’enquête,maisChrysandern’étaitpassatisfait.Ilvoulaitdesrésultats.Ilvoulaitfairepayerleurforfaitauxhommesquiavaientosés’enprendreàelle.
IlreportasonattentionsurMarley.Elleétaittoujoursauborddel’eau,tournéeverslelarge;labrise faisait voler sesmècheset elle essayaitde les remettre enplace,mais c’était uncombat sanscesse renouvelé, et cela la faisait rire. Malgré la distance qui les séparait, il ressentait son rirejusqu’auplusprofonddelui-même.Elleétaitbelleet insouciante,profitantdel’instantprésentsansarrière-pensée…
Commemalgrélui,lesouvenirdesmomentsheureuxqu’ilsavaientvécusensembleluirevint.Certes,iln’avaitpasappréciéleurrelationàsajustevaleuràl’époque,maiselleavaitétéfrancheetsans complications. Alors, se demanda-t-il pour la millième fois, comment Marley avait-elle pufinalementletrahir?Ilauraitpresquepréféréqu’elleletrompeavecunautrehomme.Maiselles’enétaitpriseàsafamille,àsesfrères,etcela,ilnepouvaitleluipardonner.
Oudumoinsétait-cecequ’ils’étaitditjusque-là.Il ne savait plus vraiment où il en était.Une grande partie de lui-même était toujours très en
colère.Maisunepetitevoixluimurmuraitqu’ilétait tempsdetournerlapage,d’oubliercequ’elleavaitfaitetdesaisircettechancederecommencerdezéro.Peut-êtreneserappellerait-ellejamaiscequi s’était produit et, pour être tout à fait honnête, il devait reconnaître que cela lui faciliterait leschoses.
Ilcontinuaàl’observeretrepensaàleursescarmouches,àsonrefusobstinédefairecequ’illuidemandait.Danslefond,ils’enamusait,carilsentaitbienqu’ellen’étaitpasréellementirritéecontrelui,qu’elleletaquinaitplusqu’autrechose.Ilavaitconsciencedelaprotégeràoutrance.Maislefaitque ses ravisseurs soient toujours en liberté le terrorisait. Elle était sienne, et il n’avait pas su la
protégerquandelleavaiteubesoindelui.Peuimportaitqu’ellel’ait trahi.S’iln’avaitpaslaissésacolèreprendrelepassurlaraison,elleetleurbébén’auraientpasétéuneproieaussifacilepourcessalopards!
Letéléphoneinterrompitsesréflexions.—Bonjour,monsieurAnetakis,ditsonassistante.—Ah,Roslyn.Avez-vouscontactéPiersàproposducontratdeRio?—Oui,etilm’achargéedevousdirequesivousrépondiezautéléphone,ilvousinformerait
lui-mêmedelasituation.—Jemechargedemonfrère,répondit-il,amusé.—Si possible, il faudrait quevousparticipiez à unevisioconférencedemain soir à 7heures,
heuregrecque. Jevaisvous envoyeruncourriel avec tous lesdétails.TheronetPiersyprendrontpart,maisM.Diegoapréciséqu’ilsouhaitaitvousparlerpersonnellement.
—Jeserailà.—Etcommentvontleschosesdevotrecôté?Chrysanderfronçalessourcilsenjetantuncoupd’œilàMarley,quicontinuaitàcontemplerles
vagues.—A-t-ellerecouvrélamémoire?poursuivitRoslyn.—Non,répondit-ild’untonbref.Ilyeutuninstantdesilence,etilcompritqu’ellehésitaitàluidirecequ’ellepensait.—Sic’esttout…— Avez-vous envisagé la possibilité qu’elle puisse feindre l’amnésie ? demanda-t-elle
précipitamment.—Pardon?—C’estvrai,quelmeilleurmoyenpouvait-elletrouverd’apaiservotrecolèrequedeprétendre
qu’elle a tout oublié ? Vous ne pouvez même pas être sûr que l’enfant est le vôtre. Elle a passéplusieursmoisencaptivité.Commentsavoircequis’estpassé?
—Celasuffitcommeça,luirépliqua-t-ild’untonsec.—Mais…—Jevousaiditquecelasuffisait.—Commevousvoudrez.Jevousrappellerais’ilyadeschangements.Chrysanderraccrochaetsetournaaussitôtverslaplage,maisMarleyavaitdisparu.Roslynavait-elle raison,cetteamnésien’était-ellequ’unecomédie? Il s’étaitposé laquestion
quandMarleyétaitsortiedel’hôpital,maissoninstinctluisoufflaitquenon.Celadit,nes’était-ilpascomplètement trompé à son sujet ? Si quelqu’un lui avait dit, six mois auparavant, qu’elle étaitcapabledeletrahir,ill’auraitvertementremisàsaplace.
Unefoisdeplus,lacolèreetlaperplexitél’envahirent,etilsepassalamainsurlevisageaveclassitude.Danslefond,peuimportait.Elleétaitenceintedesonfils,etcelaseulcomptait.Ilpouvaitfermerlesyeuxsurbeaucoupdechoses,àprésentqu’ilallaitdevenirpère.
Unbruitàlaporteluifitleverlesyeux.Marleyvenaitd’entrer,levisageilluminéd’unsourireradieux.Sesyeuxbrillaient…debonheur.
Ilsentittoutessestensionss’envoler.—Tuenaseuassezdelaplage?— J’aurais dû me douter que tu saurais exactement où j’étais, dit-elle d’un air faussement
contrarié.
— J’étais aux premières loges ! répondit-il en montrant la fenêtre. Comment te sens-tuaujourd’hui?Pastropfatiguée?
Elle s’était avancée jusqu’à son bureau et il faillit lui faire signe de venir s’asseoir sur sesgenoux,maisilseravisa.
—Jesuisenpleineforme,Chrysander.Tut’inquiètesbeaucouptrop.Jen’aipasbesoinquetumecouves!Onpourraitcroirequejesuislapremièrefemmeàêtreenceinte.
—Tueslapremièreàportermonenfant.—C’estvrai,reconnut-elleenriant.Jeveuxbient’accorderdescirconstancesatténuantesparce
quec’estlepremier.Pournotredeuxièmebébé,j’espèrequetuteconduirasenhommeraisonnable!Ilsentittoussesmusclesseraidiretluttapournepaslemontrer.Undeuxièmeenfantsuggérait
une relation durable. Certes, il avait l’intention de lui demander de l’épouser, mais il n’avait pasréfléchi à tout ce que cela impliquait, au fait qu’elle occuperait une place permanente dans sonexistence.
Aurait-il dû l’installer dans un appartement et embaucher du personnel pour veiller sur ellejusqu’àlanaissancedel’enfant,puisneplusjamaislarevoir?
—Qu’ya-t-il,Chrysander?Ya-t-ilunproblème?Il releva la tête.Elle le regardaitd’unair inquiet,ouplutôtdésorienté,presqueapeuré. Il jura
toutbas.Ilnevoulaitvraimentpasqu’ellesoitmalheureuse.—Non,non,glykiamou,s’empressa-t-ilderépondreenluitendantlamain.Aucunproblème.Elle hésita une fraction de seconde puis vint se blottir dans ses bras. Elle s’installa sur ses
genouxetluidemandaensemordillantlalèvre,manifestementtroublée:—Tunesouhaitespasavoird’autresenfants?—Jen’yaipasencorevraimentréfléchi.Notrepremierenfantn’estpasencorené!—C’estvrai.Jemedisaisjustequecommetuavaisdesfrères,tuvoudraissansdouteplusieurs
enfants.Nousn’enavonsjamaisparlé?Aprésent,jemedisquej’adoreraisavoirunegrandefamille.Peut-êtrequatreenfantsentout.Maisjenemerappellepassij’aitoujoursditcela,conclut-elled’unairtourmenté.
Touchéparsadétresse,ill’embrassasurlefront.—Nousavonsvraimentletempsd’ypenser.Tudoisd’abordm’épouser,dit-ild’unairtaquin.
Attendonsquenotrefilssoitnéavantdesongeràagrandirlafamille!Unsourireilluminasonvisageetluicoupalesouffle.—C’estmerveilleuxdet’entendreprononcercemot,dit-elletoutbas.—Quelmot?—Famille.Jen’aipasdefamille,àcequel’onm’adit.Jesuistellementémuedepenserquetoi
et moi aurons la nôtre. Je me sens parfois si seule, comme si je n’avais jamais eu personne,murmura-t-elleenfrissonnant.
—Tun’esplusseule,luirépondit-ildoucement.Tunousas,notrefilsetmoi.C’étaitunepromesse, et il se surprit à laprononcer sansarrière-pensée. Il necomprenaitpas
vraimentcommentilpouvaitêtreprêtàs’engagerenversunefemmequiluiavaitfaitautantdemal,maisilsavaitensonforintérieurqu’ilnepourraitjamaisplussedédire.
— Tu devrais aller te reposer, reprit-il d’un ton ferme. Je vais demander à Mme Cahill det’accompagneràl’étage.
Elleleregardad’unairmécontentetéchappaàsonétreinte.—Jesuisparfaitementreposée,Chrysander.Cettepromenadesurlaplagem’afaitbeaucoupde
bien.
—Iln’empêchequ’une courte siestene te ferait pasdemal. J’ai du travail à finir,mais je terejoindraidèsquej’auraiterminé,etnousdîneronsensemble.
Ellelefixauninstant,manifestementdéçue,puisacquiesçasansriendireetsortitdelapièce.EllerefermalaportedoucementderrièreelleetaperçutPatriciaquis’approchait.—Etes-vousprêteàmonter?demandal’infirmièreensouriant.—Vousvoulezlavérité?réponditMarleyenessayantdeprendreuntonléger,carelleaimait
bienPatricia.Jeseraisravied’étoufferChrysanderaveccesmauditsoreillerssurlesquelsilveutquejepassemavie.
—Danscecas,quediriez-vousd’unetassedethésurlaterrasse?dit-elleenriant.—Ceseraitfantastique!ditMarley,toutdesuitedemeilleurehumeur.Unebriseocéanelesaccueillitdèsqu’ellespassèrentlesportes-fenêtres.—J’espèrequevousneverrezpasd’inconvénient à ceque leDrKarounis se joigne ànous,
continuaPatricia,etMarleyremarquaqu’ellerosissaitenprononçantsonnom.Nousprenonslethéicitouslesaprès-midi.
—J’enserairavie.Patriciapartitpréparerlethé,etMarleyneputs’empêcherdepenserqu’ellesesentaittrèsseule
malgré sa présence et celle duDrKarounis. Et très frustrée. Chaque fois que Chrysander ou ellecommençaitàsedétendreetqu’ilspartageaientuninstantd’intimité,ellepouvaitêtresûrequ’ilallaitfairemarche arrière dans laminute qui suivait. Elle était certaine qu’il avait installé Patricia et lemédecin sur l’île pourmaintenir une distance entre eux. Certes, il se souciait de sa santé,mais ilsemblaitsurtouttrouvercommodedefaireappelàPatriciachaquefoisqueleursrelationsdevenaienttroppersonnelles.
Ellen’arrivaitvraimentpasàcomprendrequellesortederelationelleavaitentretenueaveccethomme.Siseulementellepouvaitserappelerouposerdesquestionsàsonentourage!Avait-elleétéàcepointcoupéedumondependanttoutletempsoùelleavaitvécuavecChrysander?
—Allons,lasituationnepeutpasêtresigrave,ditPatriciad’untonlégerenposantunplateaudevantMarley.Vousdonnezl’impressiond’avoirtoutelamisèredumondesurlesépaules.
—Oh,cen’estrien.Jeréfléchissais,dit-elleenseforçantàfairemeilleurvisage.Le Dr Karounis arriva et Marley sourit en observant son attitude envers Patricia. Ils étaient
manifestementattirés l’unpar l’autre,etcela luifaisaitdubiendelesvoirheureux.Elleaurait toutdonnépourjouird’unerelationaussipaisible.
Poussant un soupir, elle commença à boire son thé en contemplant les jardins. Peut-êtrecherchait-elle simplement à aller trop vite.Quoi qu’il en soit,même si elle ne pouvait espérer unmiracledujouraulendemain,ildevaitbienyavoirmoyend’abattrelerempartérigéparChrysander.Ilneluirestaitplusqu’àletrouver.
9
Leurs journéeset leursnuitscommencèrentà suivreun rythmerégulier.Necraignantplusdenuireàsasanté,Chrysanderfaisaitl’amouràMarleytouteslesnuits,lapossédantavecunepassionquilalaissaitpantelante.Maislematinvenu,elletrouvaittoujourslelitvideàcôtéd’elle.
Elleavaitprisl’habituded’allerletrouver.Leplussouvent,ilétaitdanslabibliothèque,occupéàtravailler. Il levait la têteen l’entendantarriver,et, l’espaced’uninstant,ellevoyait laflammedudésir briller dans ses yeux, puis il se ressaisissait et se contentait de lui dire bonjour avant de seremettreàlatâche.Iln’auraitpuluidireplusclairementqu’ellepouvaitdisposer.
Ellepassaitdonclaplupartdesesmatinéesseule,ouavecPatriciaetleDrKarounis.Chrysandernereparaissaitquepourledéjeuner,maisilconsacraitsesaprès-midiàMarley.
Ellel’avaitconvaincudel’accompagnersurlaplage,mêmes’ilgrommelaitrégulièrementqu’ilfaisait trop frais et qu’elle risquait de se fatiguer. Elle attendait ces moments avec impatience,heureusedesetrouverenfinseuleavecluietdelevoirgénéralementsortirdesaréserve.
Chrysanderenprofitaun jourpour l’emmener s’asseoir sur levieux troncd’arbreéchoué. Ilcontemplalamerpendanttoutunmomentpuissetournaverselle,l’airgrave.
—Nousdevrionsnousmarierbientôt,dit-il.Jouant avec sa bague, elle s’étonna intérieurement que cette conversation ne soit pas plus
joyeuse.—Jevoulaistelaisserletempsdeteremettre,etleDrKarounisestimequec’estlecas.—Quandpenses-tuorganiserlacérémonie?demanda-t-elle,unpeuplusdétendue.—Dèsquepossible.Jeneveuxpasquenotreenfantsoitunbâtard.Ellefronçalessourcils,blessée.Cen’étaitpasvraimentlamanièrelaplusromantiquequisoit
deluidemanderdel’épouser.D’unautrecôté,ellenesouhaitaitpasnonplusqueleurenfantnaissehorsmariage.Ellese trouvasoudainégoïsted’avoirespéréqu’il justifieraitsahâteparsonamourpourelle.
—Veux-tum’épouser,glykiamou?Jeprendraisoindetoietdenotreenfant,ettunemanquerasderien,jetelepromets.
Elle luttapourcontrôlersonvisage,maisplus ilparlait,moinscemariage lui faisaitenvie. Ilsemblait le présenter comme un contrat commercial. Elle ne voulait pas d’un mariage froid etclinique.
Luiprenantlementon,ilplongeasonregarddanslesien.—Aquoipenses-tuainsi?Ellen’avaitpasenviedeluidirelavéritéetsecontentad’acquiescerdelatête.
—Est-ceoui?—Oui,murmura-t-elle.Jet’épouseraidèsquetuaurasorganisélacérémonie.Ileutl’airsatisfaitetluieffleuraleslèvresd’unbaiser.—Tuneleregretteraspas,glykiamou.Quellemanière bizarre de présenter les choses ! Comment aurait-elle pu regretter d’épouser
l’hommequ’elleaimait,lepèredesonenfant?Ellesedemandas’ilavaittoujoursétéaussidifficileàcomprendre,etsiellel’avaitaiméendépitdecela.Manifestement,oui.
Alors qu’ils remontaient vers la maison, elle glissa sa main dans la sienne, cherchant à seréconforter.Aprèsunelégèrehésitation,illaserradoucement.Alors,encouragéeparcepetitgeste,ellechassasesincertitudesdesonesprit.
***
Cesoir-là,MarleyétaitentraindepassersanuisettequandChrysanders’approchadanssondosetl’enlaça.Ilposaaussitôtlesmainssursonventreetsemitàluimordillerlecoujusqu’aulobedel’oreille.Elleeneutlachairdepouleetsesentittremblercontresapoitrine.
—Jetepréfèrenettementnue,agapimou,dit-ilenluiembrassantlanuque.Sesmots résonnèrentenelle,éveillant l’échod’unsouvenir.Pendantune fractiondeseconde,
elle le revit qui la regardait, les yeux brillants de désir, et lui disait cesmêmesmots. Elle essayadésespérémentdeseraccrocheràcettebribedesouveniretdeserappeler toute lascène,maiselles’évanouitaussivitequ’elleluiétaitapparue.
Frustrée,ellefermalesyeuxets’abandonnaauplaisirqueluidonnaientsescaresses.Il fitglisserunebretelleet lasuivitdeses lèvres tout le longdesonbras.Puis il fitdemême
aveclaseconde,jusqu’àcequelevêtementdesatintombeàsespieds.Unsentimentdevulnérabilitél’envahitquandelleseretrouvanuedevantlui,àl’exceptiond’une
culotteendentelle.Elle sursauta lorsqu’il semit à la caresseravec sensualité,dessinant sonventrearrondipuisremontantjusqu’auxglobesdesesseins.Seslèvresseposèrentdenouveausursoncou,etellefrissonnadedésirlorsqu’ilsemitàtaquinerlapointedesesseinsdesonpouce.
—Jeteveux,murmura-t-ild’unevoixrauque.Tuessibelle,agapimou.Viensavecmoi.Il était si facile d’oublier ses doutes et son insécurité lorsqu’elle était ainsi au creux de ses
bras…Lorsqu’ilsfaisaientl’amour, iln’yavaitplusnibarrièresniréticencesentreeux.Ellevivaitpources instantsoù il la faisait sienne,où il luimontrait,bienmieuxquenepouvaient le faire lesmots,cequ’ellesignifiaitpourlui.
Elleseretournaetluinoualesbrasautourducou.—Embrasse-moi,murmura-t-elleàsontour.Poussantungémissementpresquedouloureux,ils’emparadesaboucheavecavidité.Sesgestes
étaientimpatients,cesoir,commes’ilnepouvaitserassasierdesoncorpsetnepouvaitattendredelaposséder.
Ill’allongeasurlelitsansabandonnersaboucheunseulinstant,puissedébarrassavivementdesesvêtementsavantdelarejoindre.
—Fais-moil’amour,Chrysander.Deseslèvres,ildessinalescontoursdesonvisagepuisdescenditlelongdesoncoujusqu’àses
seins,mordillantunepointepuisl’autre,caressantlesmamelonsdesalangue.Descendanttoujours,sabouchesefitplustendrepoureffleurerlesrondeursdesonventreavecunetellerévérencequ’elleenfuttouchéejusqu’auxlarmes.
L’émotionluinouaitlagorgeaupointqu’elleavaitpeineàrespirer.Siseulementilspouvaientresterainsiàjamais.Acetinstant,iln’yavaitplusd’obstaclesentreeux,plusdesecrets,ellesesentaitaiméeetdésirée.
Seslèvresdescendirentplusbasencore,etellegémitlorsqu’illuiécartadoucementlescuissespourtitillerdeseslèvressonboutondechair.
— Chrysander ! cria-t-elle quand le plaisir fut intenable. J’ai envie de te sentir en moi,maintenant…
Il se redressa et la dévisagea pendant unmoment qui lui parut interminable, une étincelle dedésirbrûlantaufonddesyeux,puisils’allongeaenfinsurelle.
—Tusenssibon,agapimou,dit-ilenlapénétrantlentement.Elle ferma les yeux et l’attira vers elle avec un soupir de contentement. Elle lui caressa les
cheveux,lanuqueetlesépaulestandisqu’ilallaitetvenaitdoucementenelle.PuisseslèvresretrouvèrentcellesdeMarley,etilétouffasoncrideplaisirquandillapénétra
plusprofondément.—Donne-moitonplaisir,àmoiseul.Elle s’arqua contre lui, tout son corps se raidissant à l’approche de l’orgasme, et le plaisir
déferlaenunmillierdevaguessuccessives. Il laserracontre luien lacaressantetmurmurad’unevoixétrangementvulnérable:
—Jenesuisjamaisrassasiédetoi.Elleouvritlesyeux;illacontemplaitd’unairàlafoispassionnéettourmenté.Puisillapénétra
de nouveau, avec toujours plus de vigueur. Sans un mot, il l’emmena jusqu’à un paroxysmeindescriptible.Ellesesentaitflotterlibrement,surunocéandevoluptésansfin.
Ainsi débuta la nuit. A peine était-elle redescendue des sommets où il l’avait entraînée qu’ilrecommençaitàluifairel’amour,insatiable.Illapossédasansfaiblir,contrôlantsoncorpsavecunetelleaisancequ’elleenétaitétourdie.
Ilss’endormirentjusteavantl’aube,épuisés.Malgré lavagued’euphorie sensuellequi laportait,Marleyeutunsommeil troublé.La façon
dontChrysander lui avait fait l’amour avait éveillé des échos en elle, comme si, pour la premièrefois,illuiavaitdonnéunaperçudeleurviecommuneavantl’accident.
Dans ses rêves, elle luttaitpourouvriruneporte ferméeàdouble tour, sachantquede l’autrecôtésetrouvaientsavieetsessouvenirs,toutcequiluiétaitarrivédanssonexistence.Elletiraitsurcetteportedetoutessesforces,puissemettaitàtambourinerensanglotant,exigeantqu’onluiouvre.Elle s’y déchirait les onglesmais parvenait enfin à l’entrouvrir. La lumière passait à flots puis setarissaitsoudainementsousundéferlementdepeuretdedésespoir.Ellecomprenaitalorsqu’ellenevoulaitpassavoircequ’ilyavaitdel’autrecôté.
Bouleversée,elle lâchait laportequiserefermaitbrutalement, la laissant tremblanteetglacée.Non!Elleavaitbesoindesavoir!Savoirquielleétait,cequiluiétaitarrivé.
—Marley.Marley!LavoixdeChrysandervintinterrompresonrêve.—Réveille-toi,glykiamou.C’estjusteunrêve.Tuesensécurité,avecmoi.ElleouvritlesyeuxetvitChrysanderagenouilléprèsd’elle,quilaregardaitavecinquiétude.Il
avaitallumélalampedechevet,etelleluienfutreconnaissante.Sonrêveavaitétésisombrequ’elleavaitl’impressiond’étouffer.
Elles’aperçutquesesjouesétaientmouilléesdelarmes.Sapaniquecommençaitàs’estomper,mais son cœur battait encore à tout rompre, et elle ne parvenait pas à dissiper l’impression de
malheurimminentprovoquéparsonrêve.Ellevoulutparler,rassurerChrysander,maistoutcequ’elleparvintàfaire,cefutdesemettreà
sangloter.C’étaitcommesi savolonténe luiappartenaitplus.Alors, tendrement, il lapritdanssesbras,laserrantcontreluipourcalmersestremblements.
—Là, là,Marley,murmura-t-il d’unevoix apaisante.Tuvas te rendremalade si tu continuesainsi.
Ellerestaunlongmomentblottiecontrelui,craignantplusquetoutqu’ilnerelâchesonétreinte.Lorsque,enfin,ellearrivaàsecalmer,illareposadoucementsurl’oreiller.
—Qu’est-cedoncquit’afaitaussipeur,agapimou?Les images de son rêve revinrent l’assaillir sans qu’elle parvienne à leur donner un sens.
Heureusement,sapaniqueavaitreflué,etavecellel’impressiondesuffoquer.—J’étaisdevantuneporte,dit-elled’unevoixmalassurée,et je savaisquede l’autrecôté se
trouvaientmessouvenirs.J’avaisbeauessayer,jeneparvenaispasàl’ouvrir.J’aifinalementréussiàl’entrebâiller,mais…
—Maisquoi?demanda-t-ildoucement.—J’étaisterrifiée,paralysée.J’ailâchélaporte,etelles’estaussitôtreferméeenclaquant.Ils’allongeaauprèsd’elleetl’entouradesesbras.—C’étaitjusteunrêve,glykiamou.Ilnepeutpastefairedemal.Tuaspeurdel’inconnu,c’est
naturel.Elle commença à se détendre peu à peu, apaisée par la chaleur de son corps, tandis qu’il lui
caressaitledosd’unmouvementrégulier.—Çavamieux?Veux-tuquej’appelleleDrKarounis?—Non,çava,maintenant.Vraiment.Jemesenssibête.—Tun’aspasàtesentirbête.Essaiedeterendormir.Jecrainsdenet’avoirgardéeéveilléetrop
longtemps hier soir, ajouta-t-il d’une voix soudain enrouée, et elle frissonna de plaisir en sesouvenantcommentill’avaitgardéeéveillée.
Avecunbâillement,elleseblottittoutcontreluietselaissagagnerparunprofondsommeil.
***
Chrysanderselevaàl’aube,quelquesheuresplustard.Iln’avaitpasréussiàserendormiraprèsle cauchemar de Marley. Il était parvenu à l’apaiser et elle avait sombré dans un sommeil plustranquille, mais il était resté éveillé, agité par de sombres pensées. Leur situation était vraimentintenable,etilnevoyaitpascommentcelaallaitpouvoirserésoudre.
PrenantsoindenepasréveillerMarley,ilpritunedoucheets’habillaavantdedescendre.Pourune fois, plutôt que de commencer la journée à son bureau, il se dirigea vers la plage oùMarleyaimait tant se promener. Il faisait très frais, mais il ne s’en rendit pas compte, plongé dans lacontemplationdesvaguesvenantmourirsurlerivage.
LepassédeMarley,leurpassé,lamenaçaitdanssonsommeil.Encesinstantsoùellebaissaitlagarde,sessouvenirsessayaientderemonteràlasurface,etqueferait-illejouroùcelaseproduirait?
Ilsesentaitépuiséparleconflitqueselivraientsessentimentscontradictoires.Ilauraitdûêtreencolère,etparmomentsill’était.Maisici,surcetteîleisoléedurestedumonde,ilétaittellementfaciled’oublierlestrahisonspassées,lesmensongesetlesfaux-semblants,etdeprétendrequ’iln’yavaitplusqueMarleyetlui,etleurenfantànaître.
Jamaisencore,tantdanssavieprofessionnellequepersonnelle,ilnes’étaitsentiaussidémuni,aussi indécis. Pouvait-il lui pardonner d’avoir essayé de les ruiner, ses frères et lui ? C’était laquestion à un million de dollars, songea-t-il en fixant l’horizon, car s’il en était incapable, ilsn’avaient aucun avenir. Le jour où Marley recouvrerait la mémoire, la situation changeraitirrévocablement,etildevraitchoisirentresecramponneràsonressentiment,ouallerdel’avantenluiaccordantsonpardon.
Or,iln’étaitpassûrd’êtrecapabledetantdegénérosité.Cequ’il savait, c’étaitqu’il était irrésistiblement attirépar elle,mêmeen sachantdequoi elle
était capable.Elle était enceinte de son fils,maismême si cela n’avait pas été le cas, il n’était pascertainqu’ilauraitétécapabledesedétournerd’elle.
Desbrasmincesluienlacèrentsoudainlataille,etuncorpstièdeselovacontresondos.Baissantles yeux, il aperçut les mains de Marley entrecroisées sur son ventre, et il les recouvritinstinctivementdessiennes.
Ellel’enlaçaitétroitement,etilsentaitsajouepresséecontrelui.Elleétait…àsaplace.Lentement, il détacha lesmains deMarley de façon à pouvoir se retourner vers elle. Elle le
regardaavectendresseavantdeseblottircontresapoitrine.—Bonjour,luidit-il,incapablederefrénerledésirqu’ilressentaitpourelle.—Jesuispasséepartonbureauetjemesuisinquiétéeennet’ytrouvantpas.—Inquiétée?répéta-t-il,surpris.—C’estbienlapremièrefoisquejenetetrouvepasdanstonbureau,dit-elled’untonléger.Et
commetun’étaisnullepartdanslamaison,j’aipensé…quetuétaispeut-êtreparti.Illapritparlesépaules,d’ungesterassurant.—Jeneseraispaspartisansteprévenir,glykiamou.Avait-elledoncunetelleopiniondelui?Maiscommentleluireprocher,alorsqu’ilavaitérigé
un véritable rempart entre eux en s’assurant de la présence constante de Mme Cahill et duDrKarounis.
—Veux-tufaireuntouravecmoi?demanda-t-elle.Jevienstoujoursmepromenersurlaplagependantquetutravailles.Amoinsquetunesoistropoccupé?
Illuipritlamainetlaportaàseslèvres.—Jene suispas tropoccupéquand il s’agit de toi et denotre enfant.Maisnedevrais-tupas
plutôttereposer?Elle poussa un véritable cri d’exaspération qui le surprit par sa véhémence. Lui arrachant sa
main,ellesecampadevantlui:—Tutrouvesvraimentquej’ail’airdevouloirmereposer?luilança-t-elleavecunregardoù
semêlaient lacolèreet ladéception.Ecoute,Chrysander, si tuneveuxpaspasserunmomentavecmoi,dis-le-moi,maiscessedeteréfugierderrièremonprétendubesoindemereposer!
Tournantlestalons,elles’éloignaàgrandspaslelongdel’eau,lelaissantstupéfait.Ilsepassalamaindanslescheveuxpuisseprécipitaderrièreelle.
—Marley!Marley,attends!L’attrapant par le coude, il l’obligea à se tourner vers lui et fut bouleversé de voir qu’elle
pleurait.Elledétournalevisageenessuyantseslarmesdesamainlibre.—Va-t’en, je t’enprie, dit-elle d’unevoix étranglée.Va faire cequi peut bien t’occuper jour
aprèsjour,j’attendraipourtevoirmonrendez-vousdecetaprès-midi.Elleétaitsimanifestementblesséeetamèrequ’ilcompritqu’ellen’avaitabsolumentpasétédupe
deladistancequ’ilavaitinstauréeentreeux.Illuipritlementondoucement,l’obligeantàleregarder,
etessuyaseslarmes.—Iln’estpasquestionderendez-vousentrenous,Marley.—Ahnon?Elleluiéchappaets’éloignadeplusieurspasavantdepoursuivre:—J’aiessayéd’êtrepatiente,maisjenecomprendspascequisepasse,ninotrerelation,nitoi,
nimoi. Je ne sais vraiment pas comment tu fonctionnes, Chrysander, et je suis lasse d’essayer decomprendre.J’aiessayéd’êtreforte,denerienexigerdetoi,maisjen’enpeuxplus.J’aipeur.Jenesaispasquijesuis.Jemesuisréveilléeunbeaujouretj’aidécouvertquej’étaisenceinte,jepartagemon lit avecun inconnuquiprétendêtremon fiancéet lepèredemonenfant,maisau lieudemesentiraimée,désirée,jesuistotalementdécontenancéepartafaçondetecomporter.Tufaissoufflerlechaudetlefroid,etjenesaisjamaisd’unesecondeàl’autreàquoim’attendre.Jen’enpeuxplus.
Chrysandereutl’impressionqu’unétauluienserraitlapoitrine,l’empêchantderespirer.—Queveux-tudire?demanda-t-ilavecappréhension.—Pourquoim’épouses-tu,Chrysander?répondit-elled’unairlas.Est-ceseulementàcausedu
bébé?Ilfronçalessourcils,n’aimantpasdutoutsesentirainsiacculé.—Tuesfatiguéeetàboutdenerfs.Rentrons,nouspoursuivronslaconversationauchaud…—Jenesuispasfatiguée!répliqua-t-elle,furieuse.Jenesuispasàboutdenerfs,etj’enaiplus
qu’assezdetesairsprotecteurs.Detoutefaçon,jenecroispasàtoninquiétudepourmasanté;c’estjusteunrefugecommodepourtoi,chaquefoisquejecommenceàposerdesquestions.
Ilouvritlabouchepourprotester,maiscommentaurait-ilpunier?D’unautrecôté,ilnevoulaitvraimentpasqu’ellesetourmente.Çanepouvaitpasêtrebonpourlebébé.
—Qu’ya-t-ildansmonpasséquimefaitsipeur?murmura-t-elle.Monrêvedelanuitdernièrem’aterrifiée.Jemesuisréveilléecematinavecunsentimentdefrayeur,pasparcequejen’arrivepasàmesouvenir,maisparcequej’aipeurquelamémoiremerevienne.
Ellelefixagravement,d’unairimplorant.—Dis-moi,Chrysander, j’aibesoindesavoir :commentétait-ceentrenousavant l’accident?
Commentnoussommes-nousrencontrés?Etions-noustrèsamoureux?Ilsetournaverslelarge,glissantlesmainsdanssespoches.—Tutravaillaispourmoi,dit-ilàcontrecœur.Elleserapprochadelui,sansletoucher.—Où?Al’hôtel?—Non,ausiègedel’entreprise.Tuétaismonassistante.—MaisRoslynesttonassistante,etelleal’airparfaitementàl’aise,commesiellefaisaitcela
depuisdesannées.—Tun’aspasétémonassistantependantbienlongtemps,répondit-ilsanspouvoirrefrénerun
sourire.J’avaistropenviedetemettredansmonlitpourpouvoirmeconcentrersurmontravail.Jet’aiconvaincuededémissionneretdevenirvivreavecmoi.
Ellenesemblapasparticulièrementréjouieparcetteréponse.— Si je comprends bien, c’est ton habitude de me déplacer à ta guise, comme un pion sur
l’échiquier.Ilétouffaunjuron,maisunefoisdeplusilnepouvaitguèrenierqu’ilavaitétérésoluàparvenir
àsesfinsavecelle.—Etjen’aipasprotesté?demanda-t-elle.J’aidémissionnépourallervivreavectoi,sansrien
dire?
— Tu semblais aussi heureuse avec moi que moi avec toi, répondit-il avec un haussementd’épaules.
—Etnotrebébé,était-ilprévu?— Je ne dirais pas « prévu », dit-il en choisissant sesmots avec soin,mais ta grossesse n’a
certainementpasétéunemauvaisenouvelle.Elleeutl’airencoreplusmalheureusequ’auparavant.Ellesedétourna,maisilavaiteuletemps
devoirqu’elles’étaitremiseàpleurer.—Pourquoies-tusitriste,cematin,glykiamou?demanda-t-ilensoupirantetenlaprenantdans
sesbras.Quepuis-jefaireoudirepourteremonterlemoral?Ellerelevalatête,lesyeuxpleinsdelarmes.—Tupeuxcesserdem’éviter ;cesserdeme traitercommeune invalidesousprétexteque tu
t’inquiètespourmasantéoupourcelledubébé;cesserdefairecommesimonpasséétaitunezoneinterdite.
Ilpritunelongueinspiration.—Trèsbien,j’essaieraidefairemoinsdezèleàproposdetasanté,mêmesijemeréservele
droitdem’enpréoccuper.Elle sourit enfin, et il en éprouva un tel soulagement qu’il chancela presque. Il n’avait pas
compriscombienlebonheurdeMarleyétaitimportantpourlui.N’était-cepasinsensédesapart,vulepeudecasqu’elleavaitfaitdesonproprebonheurparlepassé?
Ellesepenchaversluipourl’embrasser,etill’étreignitconvulsivementenprenantpossessiondeseslèvres.
—Merci,dit-elleens’arrachantàsonétreinte.Jevoudraisjuste…Elles’interrompitavecunairderegretmélancolique.—Quevoudrais-tu,glykiamou?—Jevoudraisquenoussoyonsheureux,dit-elled’unevoixenrouéeparl’émotion.Jevoudrais
êtresûredelaplacequej’occupedanstavie;recouvrerlamémoire;et,plusquetout,jevoudraisavoirlesentimentquetumedonnesplusqu’uneparcelledetoietdetontemps.
Illaregardad’unairpensif.Avantsonamnésie,ellen’avaitjamaisparléaussifranchement.Elles’étaitmontrée peu encline à formuler ses désirs et ses besoins,mais éprouvait-elle déjà une tellefrustration?Luienavait-ellevouludeseslonguesabsences,delafaçondontilavaitgéréleurviecommune à sa guise, sans guère se soucier d’elle ? Etait-ce pour cela qu’elle l’avait trahi, pourqu’enfinilfasseattentionàelle?
—Moiaussi jeveuxquetusoisheureuse,Marley.Je leveuxdetoutesmesforces.Etsi jenepeuxpasteconvaincredelaplacequetuoccupesdansmaviepardesimplesparoles,j’espèreteleprouverparmesactes,aufildutemps.
Son sourire le réchauffa jusqu’au fond du cœur. C’était comme de voir le soleil se lever àl’horizon.Elleluitenditlesdeuxmainsetluidit:
—Viensmarcheravecmoi.Incapabledeluirefuserquoiquecesoitencetinstant,ill’enlaçaets’éloignaavecellelelongde
lagrève.
10
Marleys’agenouillasurlaterrefraîchedujardinetarrachalesquelquesmauvaisesherbesquipoussaientparmilesfleurs.CommeChrysanderétaittoujoursprislematin,elleavaittrouvéd’autresoccupations, au grand étonnement du jardinier qui venait entretenir la propriété deux fois parsemaine.
Depuis leur explication sur la plage, Chrysander avait cessé de faire appel à Patricia et auDrKarounischaquefoisqu’ilavaitlamoindreinquiétude.Ilsétaienttoujourslà,prêtsàintervenirsibesoinétait,maisleurprésences’étaitfaitetrèsdiscrète,etMarleyétaitmêmelibredecirculerseuledanslesescaliers!
Iln’avaitpasrenoncéàs’occuperdesesaffaireschaquematin,maisils’interrompaitletempsde prendre le petit déjeuner avec elle. Puis ils se séparaient, etMarley commençait son petit jeu,inventantchaquejourunnouveaumoyendelerendrefou.Ilavaitpromisdeneplusl’ennuyerenluidemandant constamment de se reposer, mais il avait bien du mal à tenir sa promesse quand ildécouvraitàquoielleavaitconsacrésamatinée.
Dèsqu’ilavaitfinisontravail,ilvenaitàsarecherche,etlejouroùillatrouvaàquatrepattesdanslejardin,entraindedésherber,ellecrutqu’ilallaitavoirunecrisecardiaque.Sansluilaisserletempsdeprotester,illapritdanssesbrasetlaportaàl’étage,ladéshabillaetluifitcoulerunbainchaud. Elle dut retenir son fou rire quand il prétendit lui interdire de jamais recommencer, sousprétexte qu’elle mettait la vie de leur enfant et la sienne en danger, et se promit sur-le-champ deretourneraujardindèsqu’ilauraitlestalonstournés.
Celadevintunpetitjeuentreeux,mêmesielleétaitapparemmentlaseuleàs’enamuser.Cematin-là,Marleyattendaitdoncsonarrivéeavecjubilation.Ellel’entenditpousserunsoupir
à fendre l’âme derrière elle et se sentit soulevée de terre. Elle tourna vers lui de grands yeuxinnocentsetsouritsereinementtandisqu’illuijetaitunregardnoiretsedirigeaitàgrandspasverslamaison,grommelantpendanttoutletrajet:
—J’aipromisdenepastesurprotéger.J’aicesséd’insisterpourquetuaillestereposeretjet’aimêmepermisdemonteretdescendreseulel’escalier.
Ellelevalesyeuxauciel.—Maistulasseraislapatienced’unsaint!Comme il l’avait déjà fait les fois précédentes, et comme elle l’espérait fermement, il la
déshabillaetladéposadanslabaignoiredéjàremplie.Illaregardaselaversansdétournerlesyeuxuninstant,lacontemplantcommeuntigreaffamé,etellesemitàrireens’enfonçantunpeuplusdans
l’eau tiède.Elle prit tout son tempspour se laver, veillant à nepasoublier lamoindreparcelle depeau,etluiadressaungrandsourire,maisilnesedépartitpasdesonairsombre.
—Toutetaséductionnetetirerapasd’affaire,glykiamou!—Dumoinsai-jemaséductionpourmoi,luirétorqua-t-ellesanssedémonter.—Pourquoiinsistes-tupourmeprovoquer?Jemefaisdescheveuxblancs,etc’estentièrement
tafaute.Elle levalesyeuxvers luisansdécelerunseulcheveublancsursa tête,et leregardad’unair
sarcastique:— Pauvre Chrysander ! Serais-tu trop décrépit pour tenir tête à une pauvre petite femme
enceinte?—Jevaistemontrersijesuisdécrépit,gronda-t-ilenlasoulevantdelabaignoire.Ilprit àpeine le tempsde la sécher avantde sediriger àgrandspasvers la chambrepour la
déposersurlelit,etdesedéshabilleràsontour.—Jedevraisvraimentteprovoquerplussouvent,murmura-t-elle.Jecroisquejemeferaistrès
bienàl’idéed’êtrerégulièrementpunie.—Espècedefriponne!dit-ilens’allongeantsurelle.C’était toujours lui quimenait le jeuquand ils faisaient l’amour, et elle savait instinctivement
qu’ilenavait toujoursétéainsi,maiselleavaitàprésentenviederenverser lesrôles.Delerendreaussifoudedésirqu’illefaisaitavecelle.
Ellelerepoussa,etilfronçalessourcilsenseredressant.Plaçantlesmainssursesépaules,ellele força à s’allonger sur le dos. Puis elle s’assit à califourchon sur ses jambes, s’amusant de sasurprise.
—Jeveuxtecaresser,Chrysander,murmura-t-elle,etellejoignitlegesteàlaparole,posantlesmainssursesjambesetremontantlentementlelongdesescuisses.
—Jenevoudraissurtoutpastefrustrer,luirépondit-il,lesyeuxsombresdedésircontenu.Encoreintimidée,elletouchasonsexed’ungestehésitant,etlesentitaussitôtseraidirsoussa
main.S’enhardissant,ellesemitàlecaresserenunlentva-et-vient.Undouxgrondementmontadesagorge,etellevitunegouttedesueurperlersursonfront.Il
étaitsplendideavecsoncorpsminceetmusclé,virildelatêteauxpieds.Elle se pencha vers lui et posa ses lèvres sur son ventre, dessinant ses abdominaux puis
remontant jusqu’à sa poitrine.Une fine toisonmarquait lemilieu de son buste, et elle y passa lesdoigts,excitéeparcefrôlementsursapaume.Commeellehésitaitàcontinuer,sachant trèsbiencequ’elle désirait fairemais n’osant pas encore passer à l’acte, il sembla deviner son incertitude et,plaçantlesmainssurseshanches,illasoulevaetlafitglissersursonsexedressé.Ellefermalesyeuxenlesentantpénétrerauplusprofonddesonintimité.
—Tumetues,glykiamou,dit-ild’unevoixentrecoupée.C’estsibon.Tuessidouce.Heureuse de lui donner du plaisir, elle continua à lui faire l’amour, répandant une pluie de
baiserssursapoitrinetandisqu’ilguidaitsesaudacieuxmouvements.Marleysentait toutsoncorpstrembler,maisellevoulaitl’attendrepourpartageravecluicesmomentsdepurevolupté.Bientôtilseraiditsouselle,etellesentitsesmainssecrispersurseshanches.Ilsecambrapours’unirencoreplusintimementàelle,etensembleilss’abandonnèrentàl’orgasme.
About de forces, elle se laissa aller contre lui, et il la serra contre sa poitrine, caressant sescheveuxtandisqu’ilsreprenaientleursouffle.Puisilseretiradoucementetl’aidaàs’allongercontrelui.
—C’étaitbien?demanda-t-elle,unpeuembarrassée.
—Sic’étaitmeilleurencore,répondit-ilenriant,jedeviendraisvraimentvieuxavantl’âge!—Maiscelat’aplu?Tunevaspasmeconsidérercomme…unedévergondée?—Celam’abeaucoupplu,répondit-ilenluiposantunbaisersurlenez.Enfait,jemedemande
mêmesijenevaispast’encourageràjardiner!Elleeutunpetitrire,interrompuparunbâillement.—Dors,maintenant,luidit-ilavectendresse.Jeteréveilleraipourledîner.—Jen’aipasbesoindedormir,grommela-t-elle,maisdéjàsesyeuxsefermaient.
***
Lelendemain,Marleyrenonçaaujardinetsedirigeaverslapiscinechauffée.Ellenevoulaitpasque Chrysander pense qu’elle était une femme terriblement prévisible. Mais tout en enfilant sonmaillot,elleneputs’empêcherdesourire.Enfait,cequ’ellevoulaitsurtout,c’étaitqueChrysanderlavoiedanssonnouveaumaillot.Qu’ilaitenvied’ellerienqu’enlaregardant…
Ellepoussaunlongsoupir.Elleétaitenfaitentraind’essayerdeséduireChrysander,ouplutôtde faire en sorte qu’il tombe de nouveau amoureux d’elle. N’était-ce pas le monde à l’envers ?Puisqu’il se souvenait de leur relation d’avant l’accident, n’était-ce pas plutôt lui qui aurait dûsouhaiter qu’elle soit de nouveau amoureuse de lui ? Elle avait conscience de l’aimer, mais ellen’avait pas encore prononcé cesmots, et elle se demanda d’où venaient ses réticences. Sans douteétait-celiéàladistancequ’ilsemblaitsouhaitermaintenirentreeux.Ellevoulaitqu’ill’aimeautantqu’elle l’aimait, et tant qu’ellene serait pas sûreque ce soit le cas, ellenepourrait lui avouer sessentiments.
Setournantverslemiroir,elleajustaleBikinijusqu’àêtreparfaitementsatisfaitedurésultat.Lehautmoulaitsapoitrineetfaisaitparaîtresesseinsplusvolumineuxqu’ilsnel’étaientenréalité.Lebas…Elle sourit en se tournant pourmieux l’examiner.Cen’était pas un string…pas vraiment…maisilmettaitcertainementenvaleurlesrondeursdesesfesses.
Se redressant, elle posa une main sur son ventre. Chrysander le caressait et l’embrassaitfréquemment, apparemment fasciné par les changements de son corps. Pourvu qu’il continue à latrouversexyenmaillotdebain!
Il était temps de s’en assurer. Elle attrapa le peignoir de soie assorti et l’enfila. Il n’était pasquestionquelesautreslavoientdanscettetenue.Ellel’avaitachetéepourChrysanderetpourluiseul.
Elle gagna discrètement la piscine sans rencontrer personne et descendit dans l’eau avecprécaution ; elle était tiède, c’était absolument divin ! Elle flotta quelques instants sur le dos,paresseusement,puisfitdeslongueursenrestantsousl’eauaussilongtempsquepossible.Quandelleremonta à la surface et s’accrocha auborddubassin, elle aperçut unepaire democassins en cuir.Levantlatête,ellevitqueChrysanderl’observait,lesbrascroisés,l’airfaussementsévère,essayantdemasquerunsourire.
—L’eauestbonne,glykiamou?—Trèsbonne.—Etmoiquimeréjouissaisparavancedet’arracheràtonjardinage,murmura-t-il.Ellerougitenserappelanttoutcequiavaitsuivicetteinterruption.—Tum’aides?luidit-elleenluitendantlamain.Illaprit,etelleluiattrapalepoignetdesamainlibre,plaquantsesdeuxpiedscontrelaparoide
la piscine et tirant de toutes ses forces. Il poussa un cri de surprise en se sentant basculer tête lapremièredansl’eau.
Il remontaà la surfaceen toussant, et la regardad’unair si férocequ’ellecraignitde l’avoirréellementmis en colère. Puis il jeta un coup d’œil à ses vêtements trempés et éclata de rire. Sedépêchant d’échapper à sa vengeance, elle regagna lesmarches et sortit du bassin.Elle lui jeta unregardpar-dessussonépauleetvitqu’ilrestaitbouchebéeendécouvrantledosdumaillotdebain.
Arrivéeenhautdesmarches,elle se tournapourqu’ilpuisse lacontemplerdeprofil,puis fitminedereprendresonpeignoir.
—Pasquestion,mamignonne,dit-ild’unevoixmenaçante.Enunclind’œililsortitdubassinetl’enlaçapourlaramenerverslebassin.—Chrysander,tesvêtements!s’écria-t-elleenriant.—Grâceàtoi,ilssontfichusdetoutefaçon.—Jesuisdésolée.—Jen’encroispasunmot,rétorqua-t-ilenriantàsontour.Illadéposadoucementdansl’eauet,seredressant,luiditd’unairsévère:—Tunebougespasd’ici!Ellesemitàrire,maiss’interrompitenlevoyantsedéshabiller.Sachemiseatterritlapremière
surledallage,révélantsapoitrinemusclée,puisilsedébarrassadeseschaussurestrempées.Quandilcommençaàdescendrelafermeturedesonpantalon,ellerougit,maisrienn’auraitpulacontraindreàdétournerlesyeux.Etàl’évidence,constata-t-elleavecplaisir,ilétaittrèsexcité…Sonentreprisedeséductionavaitparfaitementréussi.
Ilplongeadanslebassinpuisl’attiracontrelui,l’embrassantavecfougue.—Cemaillotdevraitêtreinterditparlaloi,dit-ilencouvrantsagorgedebaisers.—Ilneteplaîtpas?demanda-t-elled’unairinnocent.Jepeuxm’endébarrasser,situveux.— Oh, il me plaît tout à fait, murmura-t-il. Et il va encore plus me plaire quand je vais te
l’enlever.Elle lui échappa et plongea, s’éloignant de lui aussi vite qu’elle le pouvait.Elle remonta à la
surfaceunpeuplusloin,maisilavaitdisparu.Troptard,ellel’aperçutsouselle.Ill’attrapaparlesjambes et l’entraîna vers le fond du bassin. Sa bouche rejoignit la sienne et il remonta avec ellejusqu’àl’airlibre.Luinouantlesbrasautourducou,ellesourit.
—Jesupposequejevaisdevoirmerepentird’avoiraffirméquetun’étaisvraimentpasdrôle.—Etcomment!—Jeseraisbienpuniesitumeforçaisàsortirdubassinpourm’entraîneràl’étage,dit-elled’un
airingénu.Ill’embrassadenouveau,luicoupantlesouffle.Glissantlesmainssousl’arrondidesesfesses,
illasoulevaetelleluienlaçalatailledesesjambes.—Tiens-toibien,glykiamou,murmura-t-il.Jevaisteforceràsortirtoutdesuite.Ilmonta lesmarches avecprécautionet ladéposa surunedes chaises longues.Elle s’aperçut
qu’il avait apporté deux serviettes de bain avec lui. Il avait donc prévu dès le départ de venir larejoindredansl’eau!
Illuiessuyalescheveuxpuislecorps,s’attardantauxendroitslesplussensibles,latouchantetlacaressant jusqu’à ce qu’elle soit prête à demander grâce. S’asseyant à califourchon sur la chaiselongue,ils’inclinaverselle.
—Tuestoutchaud,murmura-t-elle.—Tuasfroid?luidemanda-t-ild’unevoixenrouée.Quepuis-jebienfairepourteréchauffer?Elle l’attira encore plus près, l’enlaçant de ses bras. Glissant les doigts dans ses cheveux
mouillés,ellel’embrassaavecfougueetilluiretournasonbaiser.Ellesentaitsonsexeduretbrûlant
contresonventre,etuneflammesemblas’allumerauplusprofonddesoncorpsetl’embrasertoutentière.Ellelevoulait.Passionnément.
—Emmène-moiàl’étage,luimurmura-t-elletandisqu’il traçaitdeseslèvresunsillondefeusursoncouetsurlesglobesdesesseins.
Unbruitdeportelesfitsursauter.Chrysanderjuraenseredressantetenattrapantuneserviettepourlacouvrir.MarleyseraiditenapercevantRoslynpar-dessussonépaule.
Sa surprise laissa aussitôt la place à la colère. Cette femme avait fait irruption dans leur vieprivéesansmêmeprévenirdesonarrivéepartéléphone!
—Quefaites-vousici?demandaChrysanderd’untonglacial.—Jesuisdésoléedevousinterrompre,ditRoslyn,manifestementtoutsaufdésolée.Ellejetauncoupd’œiltriomphalàMarleymaisavaitreprissacontenancehabituellequandelle
seretournaversChrysander.— Plusieurs dossiers réclamaient votre attention, et il m’a semblé préférable de vous les
apporterplutôtquedemefierautéléphoneouàinternet.— Ils ont pourtant toujours rempli leur fonction, répliqua-t-il d’un ton sec. Etmaintenant, je
croisqu’ilvaudraitmieuxquevousalliezm’attendredansmonbureau.—Biensûr,monsieur.Jenevoulaispasvousdéranger.Marley tremblait de tous ses membres, ayant vraiment froid à présent. Cette femme avait
vraimentl’artdechoisirsonmoment.—Jesuisdésolé,ditChrysanderenl’aidantàserelever.Ill’enveloppad’uneservietteetlaserracontrelui.—Jevaisteraccompagneràl’étagepourquetupuissespasserdesvêtementspluschauds.Jene
devraispasenavoirpourtrèslongtemps,etjereviendraitevoirdèsquej’auraifini.Marley acquiesça de la tête,mais elle savait que lemoment de grâce était passé. Chrysander
n’étaitplusdutoutd’humeuràjouer,etleurpassionétaitretombéegrâceàsamauditeassistante.
***
Chrysanderentradanssonbureau,profondémentirrité,etlançaunregardglacialàRoslyn.—Jen’appréciepasdutoutcetteintrusion,luidit-ild’untonbref.Vousn’avezpasàvenirici
sansprévenir,etsansmapermission.Ellepâlitetaccusavisiblementlecoup.—Cetteîleestréservéeàmavieprivée,etvousn’êtespasautoriséeàalleretvenircommevous
lefaitesaubureau.Est-cecompris?—Oui,monsieur,répondit-elled’unevoixblanche.—Bien.Qu’yavait-ildoncdesiimportantquevousnepuissiezmel’annoncerpartéléphone?—J’aidécouvertqued’autresplansavaientétévolés.—Quoi?Ilsemitàjurer,etilluifallutuninstantpours’apercevoirqu’ilparlaitengrec,alorsqueRoslyn
necomprenaitpasunmotdecettelangue.—Quelsplans?reprit-il.Dites-moitoutdepuisledébut.—Cesontdesplansanciens,quevousaviezrejetés.Enfait,cesontlespremiersplansdel’hôtel
deRio.Maisiln’empêchequ’elleadûlesvendreàMarcelliaveclesautres,carl’hôtelqu’ilestentraindeconstruireàRomeluiressemblecommedeuxgouttesd’eau.J’aivumoi-mêmeleurprojetilyadeuxjours.
—Mesfrèressontaucourant?demanda-t-ilensentantlaragelegagner.—J’aipenséquevouspréféreriezlesavertirvous-même.Ilapprouvad’unsignede têteet sedétournapour regarderà l’extérieur.Chaque foisqu’il se
sentaitprêtàtournerlapageetàoublierlatrahisondeMarley,cettehistoirerevenaitlehanter.Comment avait-elle pu avoir accès aux plans ? Certes, il n’avait rien fait pour protéger les
secrets de l’entreprise quand il était à l’appartement. Autant il prenait des mesures de sécuritédraconiennesaubureau,autantilavaitétéinsouciantavecelle,n’ayantjamaisimaginéqu’ellepouvaitprésenterunrisquepourluietpoursesfrères.
Comment pouvait-il envisager de vivre avec elle s’il ne pouvait jamais lui faire confiance ?N’était-cepasstupidedebâtirunerelationtemporaireavecelle,alorsquetouts’écrouleraitlejouroùellerecouvreraitlamémoireetdevraitaffronterlesconséquencesdesatrahison?
Pourtant,uneseuleimages’imposaitàlui:laréactiondeMarleylesoiroùilavaitdécouvertlesdocuments dans son sac. Elle avait semblé totalement bouleversée et horrifiée. Etait-il possible defeindreàcepoint?
Pour la première fois, il prit le temps de comparer la femme qu’elle avait été avant sonenlèvementetcellequ’ilcôtoyaitdepuis.Ilnedécelaitaucunedifférence.Laseuleincohérenceétaitsatrahison.
—Chrysander,ditRoslynd’unevoixdouce.Sonvisagesefermaenl’entendantutilisersonprénom.Iln’auraitpassudirepourquoicelale
gênaitdelapartdequelqu’unavecquiiltravaillaittouslesjoursdepuisdenombreuxmois,maisiln’avaitjamaisautoriséaucundesesemployésàlefaire.
—Vousn’allezpasluipermettrederecommencer,n’est-cepas?continua-t-elle.—Non,celanesereproduirapas,dit-ild’untonsecenseretournantverselle.Sacolèren’étaitpasentièrementdirigéecontreMarley.Sansqu’ilsachetroppourquoi,ilétait
vraimentirritéqueRoslynsepermettedelemettreengardecontreMarley.Sonassistanteeutl’airembarrassé.—J’espèrejustequ’ellenevapassaboterceprojet-làaussi.C’estvraimenttropimportant.—Jenevoispasenquoicelavousconcerne.Jem’occuperaideMarley,dit-ilsiabruptement
qu’ellepâlit.—Jesuisdésolée.Cetteentrepriseetcetravailsonttrèsimportantspourmoi.J’aitravaillédur
pourvousetpourleprojetdeParis.Chrysander se détendit un peu et soupira. C’était vrai qu’elle avait travaillé dur, et il pouvait
comprendre qu’elle soit en colère contreMarley,même s’il estimait cette colère injustifiée. Il futsurpris par cette pensée, car cela voulait dire qu’une partie de lui n’arrivait pas à croireMarleycapabled’untelacte.
— Je comprends vos inquiétudes, Roslyn. Malgré tout, je persiste à dire que cela ne vousconcernepas.Sic’esttoutcequevousvouliezmedire,jevaisappelerl’hélicoptèrepourqu’ilvousramèneàCorinthe.
Elleeutl’airdevouloirprotester,puisyrenonça.Unedemi-heureplustard,Chrysanderlaraccompagnaitjusqu’àl’aired’atterrissage.Dèsqu’elle
futpartie,ilretournaàgrandspasverslamaison.Sacolèreetsesincertitudess’évanouirentlorsque,enentrantdanslachambre,iltrouvaMarley
assisesurlelit,enveloppéed’unesimpleserviette,l’airtristeetdistant.S’agenouillantdevantelle,illuiposalamainsurlajoue.
—Qu’ya-t-il,agapimou?Tunetesenspasbien?
Ellesourit,sansquelesourireparvienneàréchauffersesmagnifiquesyeuxbleusquipétillaientdemaliceuninstantplus tôt. Ilvoulait retrouvercetéclatdanssonregard,retrouver lemomentdebonheur,auborddelapiscine,queRoslynleuravaitvolé.Revenirenarrière,avantquesonassistanteluidonnelesnouvellesquirisquaientdetoutchangerentreMarleyetlui,unefoisencore.
—Jesuisdansunesituationimpossible,reconnut-elle.Illaregardaavecperplexité,décontenancéparlatristesse,larésignationaveclaquelleelleavait
ditcela.—Queveux-tudire?demanda-t-ildoucementenluicaressantlajoue.—Jen’appréciepasqu’elleaitcarteblancheici.C’estcheznous.Nousdevrionspouvoirfaire
l’amour,nousamuserensemble,sansavoiràcraindred’êtresurprisparuneétrangère.Maissijediscela,sijereconnaisquejenel’aimepasetquejeneveuxpaslavoirici,jedonnel’impressiond’êtreuneharpiemaladedejalousie.Jenepeuxpasgagner!
Elles’interrompituninstant,puisrepritenleregardantavecuneintenseémotion:—J’enaiassezquetutedétournesdemoiaprèschacundesespassages.Ellevienticisousun
prétexteprofessionnel,etquandellereparttun’espluslemême,tuesdistant.Cesdernièressemainesont été simerveilleusesque jene supportepasqu’elle ait débarqué ici aujourd’hui et que, déjà, tut’éloignesdemoi.
Sesyeuxétaientpleinsdelarmes,etilenfutbouleversé,cartoutcequ’elleavaitditétaitvrai.Etluiquiavaitcrupouvoirluicacherlessentimentsconflictuelsquil’habitaient!
IlpritlamaindeMarleyetlaportaàseslèvres.—Jesuisdésolé,agapimou,quesaprésence tesoitaussipénible,désolédenepasm’enêtre
aperçu.Celanese reproduiraplus. Je luiaidéjàditqu’ellenedevait sousaucunprétextevenir icisansavoiraumoinsprislapeinedetéléphoner.
—Jepourraissupportersaprésence.Jenevaispasprétendrequej’aimecettefemme,maisjepourrais la tolérer.Ceque jene supportepas, c’est de sentir que tu t’éloignesdemoi chaque foisqu’elleparaît.Commejenemesouviensderien,jenepeuxmêmepasmedirequejesuisridiculeetqu’iln’yarienentretonassistanteettoi.
— Tu crois que j’ai une liaison avec elle ? demanda-t-il, stupéfait, sans pouvoirmasquer larépulsionqueluiinspiraitcetteidée.
Ellesecoualatêteavecvigueur.—Oh,jem’expliquevraimentmal!J’essaieseulementd’expliquerque,pourmoi,toutcelaest
nouveau. Je ne me souviens pas de notre vie avant l’accident, si bien que c’est comme si jerecommençais toutàzéro. Jenepeuxm’empêcherdemanquerdeconfianceenmoiquand jevoisqu’elleessaiedesapernotrerelation.
Illaserradanssesbras,nesachantquoirépondre.IlétaitprobablequeRoslynvoulaiteneffetl’éloignerdeMarley,luireprochantd’avoirvoléleprojetd’hôtelàParis.Etvoilàqu’unautreprojetdel’entrepriseAnetakisallaitsortirdeterresouslenomdeMarcelli.Peuimportaitquecesoientdesplansqu’ilsavaientfinalementabandonnés.Marleynepouvaitlesavoiràl’époque.
Lasituationétaitvraiment impossible. Ilétaitsurprisdeserappeleravecquellecolère ilavaitaccueillilesparolesdeRoslyn.SapremièreréactionavaitétédedéfendreMarleyetd’interdireàsonassistantedeparlerd’elledanscestermes.Maiscommentl’aurait-ilpu,quandRoslynavaitraison?
Toutcequ’ilsavait,c’étaitqu’ilnevoulaitpasvoirMarleymalheureuse.C’étaitidiot,vutoutlemalqu’elleluiavaitcausé,maisilvoulaitchasserlatristessedesesyeux.Et,puisqu’ilnepouvaitpaschangerlepassé,ilveilleraitjusteàcequeRoslynneremettejamaislespiedssurl’île.C’étaitceque
Marleydésirait,etluiaussi.L’îleétaitleurdomainepréservé;riennedevaitvenirs’immiscerentreeux.
11
Chrysander mit fin à sa conversation téléphonique avec une grimace. Piers venait de luidemanderde retourner àNewYork, et il avait accepté avecune réticencequi lui était étrangère. Ilavaitaussidûrévéleràsesfrèresqu’unautreprojetavaitétévolé;commeilfallaits’yattendre,ilsétaient furieux contre Marley. Alors, comment réagiraient-ils lorsqu’ils apprendraient qu’il étaitfermementdécidéàl’épouserauplusvite?
Iln’arrivaitpasàdéciders’ilvalaitmieuxqueMarleyl’accompagneouqu’ellerestesurl’île,où elle risquerait moins d’être confrontée au retour de ses souvenirs, et où elle échapperait àl’animositédesesfrères.
Envahiparunemigrainenaissante,ilsemassalestempesensoupirant.C’étaitsansdouteégoïstedesapartdesouhaiterqu’ellenerecouvrejamaislamémoire.Maisilsavaitbienque,lejouroùcelase produirait, tout serait irrévocablement changé entre eux.Or les semaines qu’ils avaient passéesensemblesurl’îleavaientdissipésarage.Enfait,ilnesesouciaitplusdesavoirsielleavaitmentietvolé;ilvoulaitpréservercequ’ilsavaientbâti,continueràvivreavecellecommeilslefaisaientàprésent.Siellerecouvraitlamémoire,ilsseraientcontraintsdefairefaceaupassé.Etillaperdrait.
Cette pensée le dérangeait plus qu’elle n’aurait dû.Mais, après tout, elle était enceinte de sonfils:n’était-cepasuneraisonsuffisantepoursouhaiteréviterqueleursrelationsnes’enveniment?
Leursmomentsprivilégiéssurl’îlel’avaientamenéàseremémorerleurvieensemble.Ils’étaitrendu compte qu’il ne l’avait jamais appréciée à sa juste valeur, qu’il avait considéré commeparfaitementnormalqu’elleacceptedepassersavieàl’attendre.Maisilsavaitàprésentàquelpointilavaitétéimportantpourluidelaretrouverchaquefoisqu’ilrevenaitdevoyage.
Elle était drôle et insouciante, douce et aimante, tout ce qu’il souhaitait pour lamère de sonenfant.
Etpourtantellel’avaittrahi.Onenrevenaittoujourslà!—Chrysander?IlrelevalatêteetaperçutMarleyàl’entréedelapièce.Ilessayadesesecouer,espérantqueson
expressionn’étaitpasaussisombrequesespensées.L’atmosphèreentreeuxétaitplustenduedepuislavisitedeRoslyn.
—Qu’ya-t-il,glykiamou?—Toutvabien?Elleavaitmanifestementperçusonhumeurmorose,vucommeellehésitaitàlerejoindre.—Viens, dit-il en lui tendant lamain et en l’attirant sur sesgenoux. Jedois retourner àNew
York.
—Quand?— Demain matin. Un de nos contacts haut placés sera présent à une réception que nous
organisonsàNewYork.PiersetTheronavaientprévudel’accueillirsansmoi,maisilveutnousvoirtouslestrois,etilesttropimportantpournotreprochainhôtelpourquejepuisserefuser.
Elleeutl’airdéçu,et,oubliantsesréticences,ils’entenditluiproposer:—Tuveuxveniravecmoi?—Jenetegêneraispas?répondit-elle,lesyeuxbrillantsdeplaisir.—Tunemegênes jamais,agapimou. Je croisque ce serait unebonne idée.Nouspourrions
annoncernosprojetsdemariage.Mesfrèresvoudrontterencontrer,ajouta-t-il,s’enthousiasmantpeuàpeu.Nouspourrionsmêmeprofiterd’êtreàNewYorkpournousmarieravantderevenirici.
Plustôtilssemarieraientetmieuxceserait,ajouta-t-ildanssonforintérieur.—Danscecas,jeserairaviedet’accompagner!s’exclama-t-elleenluinouantlesbrasautour
ducouetenl’embrassantavecfougue.Iln’eutpasletempsdeluiretournersonbaiserquedéjàelles’éloignaitenannonçant:—Ilfautquej’aillefairemavalise!—Tuastoutletemps,protesta-t-ilenriantetenessayantdelaretenir.Maiselledisparutendirectionde l’étage,et il resta seul, fixant laportepar laquelleelleétait
sortie. Il aurait dû être soulagé de savoir que bientôt ils seraient mariés, qu’elle seraitirrévocablementliéeàlui,etpourtantilneparvenaitpasàdissipersoninquiétude.
***
LejetdeChrysanderatterritenfind’après-midiàNewYork,oùunelimousinelesattendait.Unhommeàl’allureintimidantesetenaitàcôté.
—Theron!s’exclamaChrysander.Jenem’attendaispasàtetrouverici.—N’ai-jepasledroitdeveniraccueillirmonfrère?répondit-ilavecuneesquissedesourire.—Theron, je teprésenteMarley,ditChrysanderen l’enlaçantpar la taille.Marley,voicimon
frèrecadet,Theron.—Jesuisraviedevousrencontrer,dit-elleensouriant.Maissonsourires’évanouitquandTheronsecontentadelaregarderd’unairimpassible,sansle
moindresourire.Instinctivement,elleserapprochaunpeuplusdeChrysander.Theron la toisaitd’unœilglacialet,quand ilaperçut labaguedefiançaillesqu’elleportait, il
s’assombritencoreetjetaunregardnoiràChrysander.—Jetepried’êtrecourtois,luiditChrysanderàvoixbasse,maisMarleyfutfrappéeparsonton
cinglant.—Enchanté,ditenfinTheronavecraideur,toutesonattitudecontredisantsesparoles.Puisiltournalestalonsetrejoignituneautrevoiture,garéenonloindelà.MarleylevalesyeuxversChrysander,stupéfaite.—Queluiarrive-t-il?—Cen’estrien,glykiamou.Jesuisdésoléqu’ilaitétésigrossier.Celanesereproduirapas.—Maispourquoia-t-ilétégrossier?Noussommes-nousdéjàrencontrés?Jesupposequeoui,
puisquec’esttonfrère.L’ai-jeoffensé?M’a-t-iltoujoursdétestée?—Non,vousnevousétiezpasencorerencontrés,réponditChrysanderenmontantenvoiture.
Net’inquiètepas,tun’yespourrien,c’estjustesamanièred’être.
Sa voix était tellement changée que Marley fut sûre qu’il lui mentait. Puis le téléphone deChrysandersonna,etils’empressaderépondre,lalaissantfulminerensilence.
Tout cela ne tenait pas debout. Pourquoi son frère l’aurait-il détestée dès leur premièrerencontre?Etcommentpouvait-ellen’avoirjamaisfaitlaconnaissancedelafamilledesonfiancé,dupèredesonenfant?
Elleselaissaallercontreledossier,poussantunsoupirdefrustration.Unechoseétaitsûre,elleallaitprofiterdesonséjouràNewYorkpourtenterd’obtenirdesréponses.Ildevaitbienyavoirunmoyendemettrefinàsonamnésie,etelleallaitletrouver.Depréférenceavantlemariage.
Maisunenouvelleépreuvel’attendaitàleurarrivéeàl’appartement,enlapersonnedeRoslyn.MonDieu!Etait-ellecondamnéeàtrouvercettefemmeconstammentchezelle?
RoslynadressaàChrysanderunsourirechaleureux.Biendécidéeànepas la laisseremporterunenouvellevictoire,Marleynes’éloignapaspendantqu’elleluidétaillaitsonemploidutemps.Elleluiparlaittoutbas,d’unevoixcharmeuse,luitouchantfréquemmentlebras.Elleaccueillitunedesesremarquesavecunriredegorge,toutenignorantsuperbementlaprésencedeMarley.
Cette femmeavait vraimentdu toupet ! songeaMarley,bouillonnantde ragecontenue.Si ellen’avaitpasétéenceinte,elleauraitétéfortementtentéedelamettredehorsàcoupsdepieddanslesfesses.MaisChrysanderseraittellementhorrifiéqu’ilvalaitmieuxrenonceràcefantasme.
Roslynsemblaenfinprêteàpartir,etMarleysesentit toutàcoupplus légère.Maisquand lesportesdel’ascenseurs’ouvrirent,unnouveauvisiteurensortit.
EllefutàdeuxdoigtsdedemanderàChrysandercombiendepersonnesavaientainsiaccèsàleurappartement,etseretintjusteàtemps.
—Jenesavaispasquenousavionsorganiséunejournéeportesouvertes!lançaChrysander.Si, un peu plus tôt, Theron avait manifesté sa désapprobation sans beaucoup de subtilité, le
nouveauvenu,queChrysander lui présenta commeson frèrePiers, s’embarrassa encoremoinsdecourtoisie,lafoudroyantouvertementduregard.
—Jepeuxtedireunmot,Chrysander?lança-t-il.—Faitescommesi jen’étaispaslà!rétorquaMarleyentournant lestalonsetensedirigeant
verssachambre,ulcéréeparcetaccueilglacial.Elle n’avait pasmême refermé la porte qu’elle entendit les voix irritéesdesdeux frères.Elle
hésita un instant, tentée d’écouter leur conversation. Mais avait-elle vraiment envie d’entendre cequ’ils pouvaient dire à son propos ?Avec un soupir, elle y renonça, puis elle s’assit sur le lit.Levoyage n’avait pas été fatigant, mais elle avait envie de se réfugier sous les couvertures. Ellecommençait à avoir mal à la tête ; peut-être qu’une courte sieste lui permettrait de chasser lestensions;peut-êtremêmen’yaurait-ilpluspersonnedansleurappartementàsonréveil!
***
Quand elle se réveilla, elle avait changé de lit. Elle cligna des yeux, incrédule, puis compritqu’elleétaitdanslachambredeChrysander,etl’aperçutàl’autreboutdelapièce,quilaregardait.
—Jedevaisêtreplusfatiguéequejenelecroyais,dit-elleenessayantdeprendreuntonléger.Jenemesuismêmepasrenducomptequetum’avaisapportéeici.
—Tudormirasdansnotrechambre,dansnotrelit.—Oui,biensûr.Jen’aipasréfléchi.J’aijustereprismachambredeladernièrefois.—Taplaceestici,déclara-t-ilenserapprochantetens’asseyantsurlelit.Avecmoi.
Elleessayadedéchiffrersonattitude.Onauraitditqu’ilessayaitdeseconvaincrelui-même,etdeconvaincreautrui.
—Tesfrèresnem’aimentpas,dit-elledoucement.—Mesfrèresn’ontpasleurmotàdire,répondit-ild’unairglacial.J’annoncerainotremariage
lorsdelaréception,après-demain,etnousnousmarieronsdanshuitjours.Etmanifestement iln’yavaitpasàdiscuter!ChrysanderAnetakisavaitparlé, iln’yavaitplus
qu’às’exécuter.—Tut’habilles?proposa-t-ilensepenchantpourl’embrasser.Jet’emmènedînerdansunbon
restaurant.—Duhomard?demanda-t-elletoutexcitée,avantdes’exclamer:Duhomard!Chrysander,je
mesuisrappeléquelehomardétaitmonplatfavori!—Aquiledis-tu,glykiamou,répondit-ilavecunsourire,enl’embrassantdenouveau.Saufque
parlepassé,jelefaisaislivrerici,etnouslemangionsaulit,dansleplussimpleappareil…Elleauraitadorérecommencercommeparlepassé…Mais,puisqu’ilavaitenviedesortir,elle
sechangearapidementetillaconduisitdansunrestaurantélégantoùonleuravaitréservéunetabletranquille, à l’écart des autres dîneurs. La lumière tamisée lui rappelait Noël, et elle songea avecnostalgieque,d’iciunmois,lesruesseraientilluminées,etlaplupartdesboutiquesetdesrestaurantsseraientdécorésdeguirlandesetdehoux.Ellesouritd’unairrêveurens’imaginantleNoëlqu’ellepasseraitavecChrysander.
—Tuparaistotalementperduedanstespensées,agapimou.Et,vulesourirequiilluminaittonvisage,j’espèrequetupensaisàmoi.
Elle tourna les yeux vers lui, contemplant son visage bronzé doucement éclairé par leschandellesposéessurlatable.
—Jem’imaginais passantNoël avec toi, et jeme rappelais combien j’aimais les fêtes de find’année.
Illafixaintensément,avecunéclatdansleregardqu’elleneputinterpréter.— C’est la deuxième fois aujourd’hui que tu retrouves un souvenir, un goût. Ton amnésie
semblesedissiper.Ilavaitditcesderniersmotsd’unevoixblanche,sansjoie,etl’espaced’uninstantelleimagina
qu’iln’avaitpeut-êtrepasenviequ’ellerecouvre lamémoire.Maisellechassaaussitôtcettepenséeparasiteetdéclara:
—Ellesedissipebienlentement,j’enaipeur.Quelquesbribespar-cipar-là,etcesontplutôtdessensationsvaguesquedevraissouvenirs.
—Çafiniraparvenir.Soispatiente!Elleacquiesçadelatête,etchassalafrustrationquimenaçaitdel’envahir.Iln’étaitpasquestion
degâchercettesoiréeetlemerveilleuxrepasqu’ellepartageaitavecChrysander.Pourunefoisqu’iln’yavaitnisafamillenisamauditeassistante!
—Voudrais-tu aller faire lesmagasins, demain ? lui demanda-t-il, changeant brusquement desujet. J’ai une réunion de bonne heure, mais nous pourrions déjeuner ensemble avant d’aller techoisirunetenuepourlaréceptiond’après-demain…etunerobepourlemariage!
—Tuessûrquetuveuxquejet’accompagneàcetteréception?— Comme j’envisage d’annoncer notre mariage, les gens se poseraient des questions si tu
n’étaispaslà.Amoins,biensûr,quetun’aiespasenviedevenir.—Non,cen’estpasça.Jeseraisravied’yaller.C’estjustequejen’étaispassûre…
—Parfait, c’est réglé. Je t’emmènerai faire des courses demain, après t’avoir donné un bonrepas.
—At’entendre,onpourraitcroirequejesuisunchat!—Çameplaîtbeaucoup,cetteidéequetusoismonpetitchat,rienqu’àmoi,répondit-ilavecun
souriresensuel.Marley sentit le désir l’envahir comme un raz-de-marée, et elle prit une gorgée d’eau pour
essayerdecombattrelavaguedechaleurquimontaitenelle.—Jecroisquel’idéenetedéplaîtpasnonplus,murmura-t-ild’unevoixgraveetrieusequila
fitrougirjusqu’àlaracinedescheveux.—Jeveuxbienêtretonpetitchatoun’importequoid’autre,dumomentquejesuisàtoi,dit-elle
d’unevoixenrouée,enleregardantdanslesyeux.—Tuesmienne,agapimou,dit-ilenluiprenantlamainetenentrelaçantleursdoigts.—Alors,ramène-moiàlamaisonetfais-moil’amour,répondit-elletoutbas.
12
Lelendemainmatin,Chrysanderselevadebonneheure.L’embrassantsurlefront,illuipromitderevenirlachercheràmidi.Marleybâillaàfendrel’âmeetmurmuraunaurevoirsiensommeilléqu’ilsortitdelachambreenriantdoucement.
Quand elle se réveilla pour de bon, elle s’aperçut qu’il lui restait plusieurs heures avant ledéjeuner.Iln’étaitpasquestiondelespasseràtournerenronddansl’appartement.
Avec tous les gardes du corps dont s’entourait Chrysander, l’un d’entre eux allait sans doutepouvoirluiservirdechauffeur.Restaitàtrouverunbutd’excursion.
Illuivintsoudainàl’espritque,vul’obsessiondeChrysanderpoursasécurité,ellen’étaitsansdoute jamais sortie sans être accompagnée. Dans ce cas, l’un des gardes pourrait sûrement luiindiqueroùelleaimaitserendre,avantl’accident.
Toutexcitéeàcetteidée,ellesedépêchadeprendreunedouche,etunedemi-heureplustardelledescenditdanslehall.Unhommesolidementbâti,qu’elleavaitentenduChrysanderappelerStavros,setrouvaitprèsdelaported’entrée,etellesedirigeaverslui.
—Bonjour,mademoiselleJameson,dit-ilavecunaccentgrecprononcé.Quepuis-jefairepourvous?
Elleremarquaqu’ils’étaitdiscrètementpositionnédevantlaportepourl’empêcherdesortir,etfaillitenrire.
—JesuissûrequeChrysandervousaditque…quej’aiperdulamémoire.Ilacquiesçadelatête,etsonexpressions’adoucit.—Jemedemandaissij’avaisdesgardesducorps,avantmonaccident.—J’étaismoi-mêmechargédevousprotéger.—Ah,quellechance!Vousallezsansdoutepouvoirm’aider.J’aimeraisallerfaireuntour,mais
je ne sais pas vraiment où. Jeme disais que si vousme suiviez partout, vous pourriez sans doutem’emmenerdansdesendroitsquej’aimaisbien.
Illafixauninstant,commes’ilréfléchissaitàsademande,puissortitsonportabledesapocheetcomposaunnuméro.Ilprononçaquelquesphrasesrapidesengrec,hochalatêteplusieursfois,puisluitenditl’appareil:
—M.Anetakisvoudraitvousparler.—Oh, ce n’est pas vrai !Vous n’avez vraiment pas perdu de temps à rapportermes faits et
gestes,luilança-t-elleavecunregardaccusateurquilelaissaparfaitementimpassible.—Qu’as-tuencoreinventé,agapimou?demandaChrysanderenriantautéléphone.
Elle poussa un petit soupir.Chaque fois qu’il l’appelait «mon amour » de sa voix chaude etcaressante,ellesesentaitlittéralementfondredetendresse.
—Jevoulais juste aller faireun tour. Je seraide retour à tempspournotredéjeuner, je te lepromets.
—Passeunebonnematinée,maisfaisattentionànepastroptefatiguer.Situvoisqueturisquesd’êtreenretard,demandeàStavrosdem’appeler,etjevousrejoindraipourledéjeuner.Celat’éviterad’avoiràretourneràl’appartement.
— Entendu, dit-elle avant de raccrocher. Il va vraiment falloir que nous parlions de votrefâcheusetendanceàcafarder!lança-t-elleàStavrosenluirendantsontéléphone.
— Je peux vous assurer que nous avons déjà eu ce genre de conversation par le passé,mademoiselleJameson,répondit-il,paslemoinsdumondedécontenancé.
Elle ne put s’empêcher de sourire et l’écouta donner quelques ordres brefs en grec. Presqueaussitôt, une voiture vint se garer devant la porte d’entrée. Elle s’installa à l’arrière, et les deuxhommesàl’avant.
Stavrosseretournaverselleenouvrantlacloisondeverreetluidemanda:—Oùsouhaitez-vousaller,mademoiselleJameson?—Jenesaispas!répondit-elleenriant.Pouvez-vousm’emmenerdansdesendroitsoùj’aimais
merendre?Ilacquiesça,etilscommencèrentàparcourirlesruesencombréesdeNewYork.Leurpremier
arrêt fut devant un petit café, à quelques centaines de mètres de l’appartement. Stavros ne s’étaitmanifestementpasattenduqu’elledescende,carilpinçaleslèvresd’unairdésapprobateurquandelleouvritlaportière.Maislesdeuxhommesl’escortèrentsansriendireàl’intérieurducafé.
C’était un endroit accueillant, empli de rires et de conversations, et elle s’imagina aisémentprendreplaceàunetable,maiscelan’éveillapaslemoindresouvenirenelle.
Ilss’arrêtèrentensuitedevantunpetitmarché.Voyantsonairsurpris,Stavrosluidit:—VousaimiezcuisinerpourM.Anetakis,surtouts’ilavaitétéabsentpendantunlongmoment.
Nousvenionsicifairelescourses,etc’étaitmoiquidevaisportertouslessacsauretour,ajouta-t-ilavecunpetitsourire.
—J’étaisunetellepeste?luidit-ellepourletaquiner.—J’avaisgrandplaisiràvousaccompagner.—Jen’endoutepasuninstant!Etmaintenant?Les deux étapes suivantes furent une bibliothèque et une petite boutique d’objets d’art, des
endroitsagréables,maisquineluiévoquèrentrien.Enrevanche,quandlavoitures’arrêtadevantunsquare,ellesentitunepaniquemomentanéel’envahir.
—Quelquechosenevapas?luidemandaStavros,quiétaitsortidelavoiturepourluiouvrirlaportière. Peut-être devrions-nous rentrer ? Il est presque l’heure de votre rendez-vous avecM.Anetakis.
—Non,uninstant.Ellevoulaitvoircesquare,elleenavaitbesoin.Undéclics’étaitproduitdanssonesprit,etelle
voulaitessayerdesavoirpourquoi,mêmesicen’étaitpasconfortable.Ellecommençaàmarcherlelongdel’allée,s’emmitouflantdanssonmanteau.Ilnefaisaitpas
vraimentfroid,lesoleilbrillait,maisellesesentaitfrissonnerauplusprofondd’elle-même.Elles’assitsurunbancetpassalesmainssurlapierrefroide.Uneombredetristessepesaitsur
elle,sansraisonapparente,maiselleétaitcertainequ’elleétaitdéjàvenueicietqu’elleyavaitressentidelapeur,del’incertitude.
Elles’étaitàtelpointrepliéesursespenséesqu’ellenes’aperçutdelaprésencedeStavrosquelorsqu’illuiposalamainsurl’épauleenluidemandantd’unevoixinquiète:
—Vous êtes souffrante ?Vousvoulezque j’appelleM.Anetakis ?Ouque je vous emmène àl’hôpital?
—Non,non,toutvabien.C’estjustequejesuissûred’êtredéjàvenueici.Jelesens.—Vousdisiezsouventquec’étaitvotrelieuderéflexion.—Ehbien,jedevaisbeaucoupréfléchir!murmura-t-elle.—Peut-êtredevrais-jeproposeràM.Anetakisdenousrejoindreaurestaurant,luidit-ilenjetant
uncoupd’œilàsamontre.Letempsd’alleràl’appartement,vouspourriezdéjàêtreàtable.Elleaccepta,etill’aidaàserelever,restantàsescôtésletempsderetourneràlavoiture,aulieu
demarcherderrièreellecommelesautresfois.— Stavros, soyez gentil, n’inquiétez pas Chrysander. Il me renverrait sur-le-champ à
l’appartementetdansmonlit.—Ilauraitpeut-êtreraison.—Vous êtes vraiment un rabat-joie, lui lança-t-elle en faisant la grimace. Je suis censéeme
choisirunerobedemariée.Jepeuxdifficilementlefairedepuismonlit!Stavrossemblaseretenirdesourire.Uninstantplustard,ilouvritlacloisonvitréeetluidit:—SiM.Anetakismeposelaquestion,jediraiquenousavonspasséunematinéetranquilleen
ville.—Jesavaisbienquevousn’étiezpastotalementdéraisonnable,rétorqua-t-elle,toutesabonne
humeurrevenue.Pendantledéjeuner,ChrysanderdemandaàMarleycomments’étaitpasséesamatinée,etellelui
décrivit lesdifférentslieuxoùStavrosl’avaitemmenée.Maisquandelles’intéressaàsontouràcequ’ilavaitfait,iléludasesquestions.Voulantàtoutprixéviterdegâcherleuraprès-midiensemble,elles’empressadechangerdesujet:
—C’estuneréceptionchicàlaquellejedoist’accompagner?—Toutdépendcequetuentendspar«chic».—Danscecas,jepeuxyallerenjeanetentuniquedegrossesse?luirépondit-elleavecunpetit
sourire.— Je n’aurais aucune objection à un jean, répondit-il en riant,mais je n’ai aucune envie que
quiconque,àpartmoi,tevoiedansunpantalonaussimoulant.—Jesuisdonccenséeporterunerobedesoirée?demanda-t-elleensoupirant.—Net’inquiètepas,glykiamou,jechoisiraiunerobequit’iraparfaitement.—Entoutcas,pasquestionquejeportedestalonsaiguilles!—Bien sûr que non. Je suis sûr qu’il est tout à fait déconseillé à une femme enceinte de se
soumettreàpareilletorture.Tut’imagines,situperdaisl’équilibre?—Jepourraispeut-êtreyallerpiedsnus?— Et peut-être devrais-je envisager une bonne fois pour toutes de te garder à la maison,
enferméeàdoubletourpourplusdesécurité,luirétorqua-t-ilenriant.Ellefinitsonplatdepâtesetrepoussal’assietteàcontrecœur.—Unvraidélice!D’ailleurs,j’aibeaucouptropmangé.—Tuasbesoindeprendredupoids.Tuestropmincepourlemoment.—Sijecontinueàmangercommeça,jenerentreraidansaucunedesrobesquetuenvisagesde
m’acheter.Tucroisqu’ilexistedesrobessuper-chicpourfemmesenceintes?—Fais-moiconfiance,Marley.Noustetrouveronsquelquechosedeparfait.
—Etcommentsefait-ilquetut’yconnaissesautantenrobes?—Tunecroistoutdemêmepasquejevaisrépondreàunequestionaussicompromettante?lui
dit-ilavecunpetitsourire.Elleeutvitelapreuvequ’ilétaiteneffettrèsdoué.Illuitrouvaunerobeparfaitedèslesecond
essayage.Unmodèle tout simple de soie blanche, avec de fines bretelles, dont la coupe classiquemettaitenvaleursesformesdefuturemère.
— Ça me fait paraître… très enceinte ! dit-elle en se tournant pour demander l’avis deChrysander.
—Tuesabsolumentravissante,luimurmura-t-il.Jesuissûrquetouteslesfemmesquiattendentunbébéaimeraientêtreaussibellesquetoidanscetterobe.
Il avait l’air tellement sincère qu’elle dit aussitôt à la vendeuse qu’elle la prenait. Sonapprobationétaittoutcequicomptaitpourelle.
—Etpourtarobedemariée,agapimou,tuveuxunmodèletraditionnel?—Non,quelquechosedeplussimple,jecrois.La vendeuse leur montra plusieurs modèles magnifiques, et Marley les essaya en observant
attentivement les réactionsdeChrysander.Jusqu’àcequ’elle tombeamoureused’unerobedans lestonspêche,quitombaitjusqu’ausolenlargesplisàpartirdelataille.Elleaccentuaitsasilhouettedefemme enceinte de tellemanière qu’elle se sentit réellement belle et féminine. Et, à la façon dontChrysanderlaregardait,ilétaitcertainementdumêmeavis.
Ensortantdelaboutique,ill’entraînaversunejoailleriesituéetoutàcôté,oùilschoisirentuneparuredediamantsassortieàsarobedemariée.Déjàétourdieparlamagnificencedecesbijoux,ellenesutabsolumentplusquoidirelorsqu’ilchoisitensuiteuncollieretdesbouclesd’oreilleensaphir,qu’illuisuggéradeporteravecsarobeblancheàlaréception.
—Ilss’accorderontàmerveilleàlacouleurdetesyeux,agapimou.Etensuite,luimurmura-t-ilàl’oreille,j’espèrebientevoirlesportersansriend’autre.
Elle rougit et s’empressa de jeter un regard alentour, pour vérifier que personne d’autre nel’avaitentendu.
—Tumegâtesvraimenttrop,Chrysander,luidit-ellelorsqu’ilsrevinrentàlavoiture.—J’aibienledroitdegâtermapetitefemme,dit-ilavecnonchalance.—Jedoisavouerqueçameplaîtbien.—Heureusement,carj’ail’intentiondecontinuer,etilseraitdommagequecelaneteplaisepas.Impulsivement, elle se rapprochade lui sur le siègeet l’embrassa sur les lèvres. Ilpoussaun
soupirétrangléetlapritdanssesbras.Etelleseserraétroitementcontrelui.—Mercipouraujourd’hui.J’aieuunejournéemerveilleuse.—J’ensuisravi,répondit-ildoucementencaressantsescheveux.Ellerelevalatêteetfitminedes’écarterdelui,maisilnedesserrapassonétreinte.—Suis-jeunebonnecuisinière?luidemanda-t-elleenleregardantdanslesyeux.—Pardon?—Stavrosm’aditquej’aimaiscuisinerpourtoietquej’allaisaumarchéfairemescourses.Je
medemandaissijemedébrouillais.Unecurieuseexpressionsepeignitsursonvisageetilrépondit:— C’est vrai que tu faisais la cuisine. Je n’y avais plus pensé ces derniers temps, mais tu
préparaissouventledînerlesjoursoùjerentraisdevoyage.—Tuétaissouventabsent?
—J’enaibienpeur.J’allaissouventà l’étrangerpourmesaffaires.Nousrestionsparfoisdessemainessansnousvoir.
—J’aidûmalàl’imaginer,dit-elledoucement.Nousn’avonsétéséparésquequelquesheurescematin,maistum’asmanqué.
—Toiaussi,glykiamou,répondit-ilenl’embrassant.
13
Marleyseregardad’unœilcritiquedanslemiroirentirantsurlesplisdesarobe.Dessaphirsbrillaientàsesoreilles,etlecollierassortimettaitenvaleursondécolleté.
—Tuestrèsbelle,agapimou.ElleseretournaeteutunpetitchocenvoyantChrysander.Sonhabitnoirsurmesureluiallaità
laperfection,soulignantsasilhouetteathlétique.Lachemiseblanchecontrastaitavecsapeaubronzée,sescheveuxnoirsetsesyeuxmordorés.
—Toiaussi,réussit-elleenfinàdire.—Jesuistrèsbelle?répéta-t-ilenriantetens’avançantverselle.Jesuissûrquetupeuxtrouver
mieuxqueça.—Magnifique?Beaucommeundieu?Sibeauquej’aienviedetesauterdessusetdet’arracher
toustesvêtements?—Voilàquimeconvienttoutàfait.—Jeneplaisantaispas,murmura-t-elle.—Tuesprête?Lavoiturenousattend.Ellepritunegrandeinspirationetregardasabaguedefiançaillespoursedonnerducourage:—Aussiprêtequejeleseraijamais.Illapritparlamainetl’attiracontrelui.—Ceneserapassiterrible.Jeseraiavectoitoutelasoirée.Ellesemitsurlapointedespiedspourl’embrasser.—Jemanquetotalementdecourage,jelesaisbien.Ilexplora lentementses lèvres,avecunetellesensualitéqu’ellefrissonna,sesentantprivéede
touteforce.Quandilsseséparèrent,ellevitqu’ilétaitaussitroubléqu’elle.—Jecroisquenousdevrionspartir,dit-ild’unevoix rauque,oubiennousn’ironsnullepart
avantdemainmatin.Quelques minutes plus tard, quand ils approchèrent de l’hôtel, Marley aperçut plusieurs
limousines qui attendaient de déposer leurs passagers devant l’entrée. Le luxe et l’élégance despersonnesquidescendaientdevoitureetpénétraientdansl’hôtelluidonnèrentsoudainlesentimentden’êtreabsolumentpasprêtepourcetteréception.
Maisellen’avaitpluslechoix.Ilss’arrêtèrentenfinàleurtour,etChrysandervintl’aideràsortir.Illuioffritlebras,etilsse
dirigèrent vers le hall illuminé. En entrant dans l’immense salle de bal, Marley se sentit plus
impressionnéeque jamais.Unorchestrede jazz, installé suruneestrade, jouait en sourdine, etdesserveurscirculaiententrelesinvités,offrantduvin,duchampagneetdespetits-fours.
Chrysandermurmuraquelquesmotsàunserveurenprenantunverredevinsurunplateau,etl’hommerevintbientôtavecunverred’eauminéralepourMarley.
Parcourant la salle du regard, elle gémit intérieurement en apercevant Theron et Piers, puisRoslyn. Elle avait toujours su qu’ils seraient présents, mais elle avait espéré les éviter aussilongtempsquepossible.Ehbien,cene seraitpas lecas ! sedit-elleenvoyantTherons’approcherd’eux.
Elle pensa s’échapper en prétextant le besoin d’aller aux toilettes, mais Chrysander la tenaitfermementparlebras,commes’ilavaitdevinésonintention.
—Chrysander,ditTheronenguisedesalutation.Marleysefigea,nesachantàquois’attendre,maisTherontournabrièvementlesyeuxverselle
etlasaluad’unesimpleinclinationdelatête.C’étaitloind’êtrechaleureux,maisaumoinss’était-ilabstenudel’ignorertotalement.
Ils échangèrent quelques propos sans importance, puis Theron suggéra à Chrysander derejoindrePiersetunvieilhommedistinguéquisetenaitàsescôtés.Elleauraitvoululelaisserallerseul,maisChrysanderluipritlebras,etelles’avançaaveclui,redoutantcequiallaitsuivre.
PiersfronçalessourcilsenlavoyantaucôtédeChrysander.LevieilhommeetsafemmeleuradressèrentunlargesourireetsaluèrentChrysanderpoliment.
— Senhor et senhora Vasquez, dit Chrysander, permettez-moi de vous présenter MarleyJameson.Marley,jeteprésentelesenhoretlasenhoraVasquez,venusduBrésilpouraffaires.
Marleyleursouritetéchangeaquelquesmotspolisaveceux,toutencommençantàsedétendre.PiersetTheronneluimanifestaientquedel’indifférence;sileschosesenrestaientlà,ellearriveraitsansdouteàsurvivreàlasoirée.
Soudain,Chrysander la prit par lamain et se tourna vers le reste du groupe, une expressiontenduesurlevisage.
—Marleyaacceptédedevenirmafemme,etnouspensonsprofiterdenotreséjouràNewYorkpourcélébrerlemariage.Nousserionstrèshonoréssivousacceptieztousd’êtreprésents.
Roslyn, qui se trouvait derrière Chrysander, étouffa un cri de stupéfaction. Elle repritrapidementcontenance,maislemalétaitfait,songeaMarley.Commentsepouvait-ilquel’annoncedeleurmariageaitpulasurprendreàcepoint?Maiscemystèren’étaitrienparrapportàlaréactiondesfrèresdeChrysander.PiersetTheronsemblaienteuxaussichoquésetladévisageaientavecunefranchehostilitémalgréleregardimpérieuxqueleurjetaitChrysander.Décontenancée,blessée,ellesemitàtremblercontreChrysander,etilresserrasonétreinte,commes’ilcomprenaitsonenviedefuir.
Comment pouvaient-ils tous être surpris par cette nouvelle ? Chrysander et elle étaient déjàfiancés au moment de l’accident, et pourtant ils se conduisaient tous comme si la situation étaitnouvelle.Etdésagréable.
Les Vasquez, et quelques personnes qui avaient entendu l’annonce de Chrysander, leuradressèrent les compliments d’usage, puis la conversation se fit plus mondaine. Marley restaitsilencieuse,n’entendantplus riendeséchanges.Si seulementellepouvait s’enfuir loind’ici !MaisChrysanderlaserraitcontrelui,laretenantàsescôtés.
Lasoirées’écoula lentement.Régulièrement,des invitésvenaient lesféliciterdeleurprochainmariage, et bientôt toute la salle sembla être au courant. Marley n’en pouvait plus de sourire, et
Chrysanderdutfinirpars’apercevoirdesatensioncarill’entraînaverslapistededansealorsquel’orchestreentamaitunairdejazzlentetmélodieux.
Ellepoussaunprofondsoupirens’abandonnantentresesbras.—Merci.J’enavaisvraimentbesoin.Illuisouritetsepenchaversellepourluiposerunbaiseraucoindeslèvres.— Tu es la plus belle femme de toute la salle. Tous les hommes te regardent en ayant
ouvertementenviedet’entraînerdansleurlit,etsijem’écoutaisjelesréduiraistousencharpiesurplace.
—Bravopourcenuméroduparfaitmacho!luidit-elleavecunpetitsourire,maisjepréféreraisvraiment que tu me ramènes à la maison et que tu trouves une autre manière d’exprimer tonarrogancemasculine.
—Nemetentepas!—J’étaisparfaitementsérieuse…—J’aimeraisvraimentteprendreaumot,maisjecrainsd’êtrecoincéicijusqu’àlafin.Situen
asassez,jepeuxdemanderàStavrosdeteraccompagneràl’appartement.CommesielleallaitlelaissericiavecRoslyn!Toutelasoirée,lesfrèresdeChrysanderetsonassistantes’obstinèrentàlatraiterenpestiférée,
maislaplupartdesautresinvitéssemontrèrentparticulièrementaimablesavecelleetfirentensortede l’inclure dans leurs conversations, si bien qu’elle finit par prendre un peu de plaisir à cetteréception.
IlsefaisaittardquandChrysandersepenchaverselleetluimurmura:—Ilfautquejeparleàmesfrères.Celanetedérangepassijet’abandonnequelquesinstants?—Biensûrquenon,luirépondit-elleensouriant.Detoutefaçon,ilfautquej’ailleauxtoilettes.
Valesrejoindre.Ill’embrassapuissedirigeaverseux.Marleypritsontempsdanslesalonréservéauxfemmes.
Elle avait besoin d’un répit, après toutes ces conversations et tous ces regardsmeurtriers que luiavaientadresséslesAnetakis.
—Tunepeuxpaspasserlerestedelasoiréeàtecacherici,finit-elleparmurmurer.Seredressant,ellesedirigeaverslasalledebal.Enpassantdevantunsalonderéuniondontla
porte était entrouverte, elle reconnut la voix de Chrysander. Elle hésitait à continuer quand elleentenditPierslanceraveccolère:
—Bon sang, Chrysander, quel besoin as-tu de l’épouser ? Installe-la quelque part jusqu’à lanaissancedel’enfant,etqu’onn’enparleplus.Tunevastoutdemêmepastelieràelleetluidonneraccèsàtoutcequetupossèdes!
— Elle est enceinte de mon fils, répondit Chrysander d’une voix glaciale. J’ai choisi del’épouser,etcelaneregardepersonned’autrequemoi.
Elle s’approcha de la porte, sans se soucier d’être vue. De quel droit Piers parlait-il àChrysandersurceton?
—Vousnepouvezpasvouloirsérieusementl’épouser!criaRoslynd’unevoixperçante.Avez-vousoubliéqu’elleaessayédevousruinerenvolantlesprojetsdel’entreprise?IlsuffitpourtantderegarderleshôtelsquiseconstruisentàParisetàRome.Voshôtels,Chrysander.Malheureusement,ilsportentlenomdevotreconcurrent.
Marley eut l’impression qu’un essaim d’abeilles s’abattait sur elle, la martyrisant de leursaiguillons.Milleetunequestionssebousculaientdanssatête,etsoudaincefutcommesiuneporte
cédait,laportequiluidéfendaitl’accèsàsessouvenirs,etleflotdupassésedéversasurellecommeunraz-de-marée.
Elles’agrippade toutessesforcesauchambranle,aubordde l’évanouissement.Sonpassé luirevint d’un coup, comme dans un film en accéléré. Elle revit Chrysander, furieux, qui l’accusaitd’avoirvolédesplans,qui luiordonnaitdesortirdesonappartementetdesavie.Elleéprouvadenouveau lapaniquede l’enlèvement, puis revécut les longsmoispassés à attendrequeChrysanderrépondeauxdemandesderançon.Demandesqu’ilavaitsystématiquementignorées,indifférentàsondésespoiretàsaterreur.
Ill’avaitabandonnée.Jetéecommeunobjetsansimportance.Ilavaitrefusédepayerundemi-milliondedollarspoursalibération,unesommedérisoirepourquelqu’und’aussifortuné.
Toutn’avaitétéquemensonges. Iln’avaitcesséde luimentirdepuisqu’elles’était réveilléeàl’hôpital.Ilnel’aimaitpasetnedésiraitpasvivreavecelle.Illaméprisait!
Pourlui,ellenevalaitmêmepascinqcentmilledollars!Unedouleurinsupportableluitraversalapoitrine,etelleeutl’impressiondesebriserenmille
éclats.Iln’avaitrienfaitpouressayerdelasauver.Uncridedouleur lui échappaet résonnadans lapièce.Tous lesoccupants se tournèrentvers
elle.Therongrimaça,etPierssemblasoudainembarrassé.PuisellecroisaleregarddeChrysanderetlutlavéritédanssesyeux.
Il s’avança vers elle, et elle recula en trébuchant. Elle n’en pouvait plus ! Les larmes luibrouillaient lavue,mais l’imageduvisagehagarddeChrysander lapoursuivait,etelles’enfuitendirectionduhall.Elle l’entendit quiprononçait sonnom,mais elle continua à courir.Les sanglotsl’empêchaient de respirer. Elle trébucha de nouveau puis se rattrapa, n’ayant qu’une idée en tête :échapperàChrysander.
ElleavaitpresqueatteintlaportelorsqueStavrossortitd’unrenfoncementetlasaisitàbras-le-corps.Ellesedébattitdetoutessesforces,nesongeantqu’àpartirloin,leplusloinpossible,etellefinitparluiéchapper.Maiselleperditl’équilibreets’écroulasurlesol.Stavross’agenouillaauprèsd’elle,luidemandantsielles’étaitblessée,etellecompritqu’elleétaitpriseaupiège.
Ladouleurtournoyadanssoncorps,neluilaissantaucunrépit.EllefermalesyeuxensentantlesmainsdeChrysanderglissersursoncorpstandisqu’illuidemandaitavecanxiétésielleavaitmalquelque part, mais elle était incapable de lui répondre. Elle se recroquevilla sur elle-même,indifférenteaufaitqu’ellesetrouvaitdanslehalld’unhôtel.
Chrysander la souleva dans ses bras, répétant son nom encore et encore. Il jurait d’une voixenrouée,puisilordonnaàquelqu’und’appelerunmédecin.Quelquesminutesplustard,illaportaitentresesbrasdansunechambred’hôtelvide.
Dès qu’il la posa sur le lit, elle se recroquevilla de nouveau en position fœtale. Elle frémitlorsqu’illuiposalamainsurlebrasavecsollicitude:
—Jet’enprie,arrêtedepleurer,agapimou.Tuvastefairedumal.Elle avait déjàmal.Mal au plus profond d’elle-même. Alors qu’est-ce que cela pouvait bien
changer?Ellefermalesyeux,maisdeslarmesbrûlantescontinuaientàsillonnersonvisage,malgréleseffortsdeChrysanderpourlesessuyer.
Elleauraitvoulus’échapper.Gagnerunlieuoùellen’auraitpastantsouffert.Commeautraversd’unépaisbrouillard,elleentenditChrysanderparleravecunmédecin.Quelques instantsplus tard,ellesentitlapiqûred’uneseringue,maiselleneréagitpas.Plusriennecomptait.Bientôt,unetorpeurl’envahit, et la douleur diminua. Ses pensées se firent confuses tandis que le sommeil la gagnait.
L’oubli.Ellel’accueillitavecreconnaissanceets’enenveloppapourfuirversunlieuoùiln’yavaitplusnidouleurnitrahison.
***
Chrysanderarpentaitlachambredelongenlarge.Marleyétaitdevenuecommefollededouleur,et lemédecinavait jugépréférabled’intervenir toutde suite,pouréviterqu’ellene souffreencoreplus.Quandilseredressa,ilregardaChrysanderd’unairsombre.
—Est-elleblessée?demandaChrysanderavecfrayeur.Etlebébé?Lemédecinl’attiraàl’autreboutdelapiècepournepasdérangerMarley.—Sesblessuresnesontpasphysiques.Sic’était lecas, jepourraissansdouteyfairequelque
chose.Sessouffrancessontpsychologiques.Siellevientderecouvrerlamémoire,commevousmel’avezexpliqué,c’estcelaquiluicauseunesouffranceinsupportable.
—Quepeut-onfaire?demandaChrysanderavecimpatience.Onnepeutpaslalaissercommecela.
Ilnepouvaitsupporterde lavoirpâlecommeun linge, lesyeuxhabitésparunedouleursansnom.
—Vousdevriezrentrerchezvouspourqu’elleretrouveunenvironnementplusfamilier.Elleabesoind’unmédecin:paspoursasantéphysique;quelqu’unquipuissel’aiderpsychologiquement.
—Unpsychothérapeute?— C’est un moment délicat, lui dit le médecin en le regardant dans les yeux. Elle est
extrêmementfragile,etlafindesonamnésiepourraitprovoquerunegravedépression.Sonexpressions’adoucitetilposasamainsurl’épauledeChrysander.—Lasituationestdifficile,maisc’estsansdoutepourlemieux.C’estunebonnechosequela
mémoireluirevienne,mêmesic’estmanifestementtrèsdouloureux.Chrysandern’enétaitpassisûr.Aprésentqu’elleavait recouvré lamémoire,ellesavaitaussi
qu’ill’avaitchasséedesonappartementetpratiquementlivréeàsesravisseurs.Elleallaitserappelerlesparolescruellesqu’il luiavaitadressées,etserappeler la responsabilitéqu’elleavaitdanscetteaffairedésastreuse.
Ilsepassalamaindanslescheveux.Ilauraitdonnétoutl’ordumondepourqu’ellenerecouvrejamaislamémoire…Puisilrevitsonvisage,ladouleurdanssesyeux.Iln’avaitluaucunsentimentdeculpabilitéoudehontesursonvisage ;n’était-cepasparadoxal,de lapartdequelqu’unqui luiavaitvolécesdocuments?Toutcequ’ilavaitvu,c’étaitunedétresseinfiniequiluiavaitfaitl’effetd’uncoupdepoignardenpleincœur.
Un sentiment de malaise s’empara de lui. Il était soudain certain que les choses les plusdéplaisantesparmilessouvenirsenfouisdanslamémoiredeMarleyleconcerneraient,lui.
14
Marley n’eut que vaguement conscience de ce qui se passait autour d’elle.Après sa premièreplongéedans l’oublidusommeil,ellesentitqu’on laportaitdansunevoiture.Elleentendit lavoixinquiète de Chrysander qui s’adressait à elle tout bas, mais elle se renferma dans la bulle qui laprotégeaitdumondeextérieur.
Lorsqu’elle se réveilla de nouveau, elle mit un instant à comprendre où elle était, puis ellereconnutlachambreetlelit,etuneangoisseinsupportablel’envahitaussitôt.
Il ne pouvait pas avoir eu la cruauté de la ramener dans cet appartement où ils avaient vécuensembleetd’oùill’avaitbrutalementchassée!
Elle s’attendait à une nouvelle crise de larmes, mais tout ce qu’elle ressentit fut un curieuxdétachement,unsentimentdevideassociéaubesoindefuir.
Elle s’assit et s’aperçut que Chrysander dormait dans un fauteuil près de la fenêtre, affaissécontrel’accoudoir,lesvêtementsfripés,levisageassombriparunebarbenaissante.
Unefoisencore,ellefutsurprisedeneressentirnicolèrenifurie;elleétaitcommeanesthésiée,incapabledepenseràautrechosequ’àpartirauplusvite.
Elleseleva,songeauninstantqu’elleferaitmieuxdesechanger,maisellenevoulaitsurtoutpasréveiller Chrysander. Non, le plus urgent était de disparaître. Elle ne pourrait jamais croiser sonregard,sachantqu’ilavaitportédesaccusationsaussihorriblescontreelleetl’avaitlaisséeàlamercidesravisseurs.
Sonpouceeffleurasabaguedefiançailles,etellel’ôtavivement.Elleétaitfroideaucreuxdesamain.Sansfairedebruit,ellelaposasurlatabledechevetpuissortitdelapièce.
Piedsnus,elletraversal’appartementetgagnal’ascenseur.Ellecrutqu’elleallaits’effondrerenrevivant cette nuit où elle avait pris ce même ascenseur alors que son univers s’écroulait autourd’elle. Les accusations de Chrysander résonnaient encore en elle. Comment avait-il pu la croirecapable d’une chose pareille ? Cette question tournoyait sans fin dans sa tête, et elle aurait voulupouvoirluihurlerdes’arrêter.
Arrivéeaurez-de-chaussée,ellesongeasoudainquelesgardesducorpsdeChrysanderdevaientsurveillerlaported’entréeetqueleportiernelalaisseraitjamaissortirdanslatenueoùelleétait.
Elle sedirigeavivementvers laportedederrière,mais s’aperçutà tempsqu’elleétaitgardéeelleaussi.Alors,mueparuneespèced’énergiedudésespoir,elleseglissadanslecouloirdeslocauxtechniques,rejoignitl’entréedeserviceetdébouchadehorsauxpremièreslueursdujour.
***
Chrysander se réveilla avec un épouvantable torticolis et essaya de trouver une position plusconfortable.Ilavaiteul’intentiondepasserlanuitavecMarleyaucreuxdesesbras,maiselleavaitréagiavecune telleviolencechaquefoisqu’ilavaitessayéde la toucherqu’ilavaitdû renoncerets’étaitréfugiédanslefauteuil.
Il avait suivi le conseil du médecin et téléphoné à une psychothérapeute dès son retour àl’appartement.Elledevaitvenirdanslamatinée,etChrysanderespéraitjustequeMarleyaccepteraitdeluiparler.
Ilouvritlesyeux;apercevantlelitvide,ilselevad’unbondetavaitdéjàatteintlaportequandilremarqua sa bague de fiançailles sur la table de chevet. Un sentiment de panique l’envahit. Ilparcouruttoutl’appartementàsarecherche.Elleavaitdisparu.
Il seprécipitadans l’ascenseur encomposantunnuméro sur sonportable.Dèsque lesportess’ouvrirentdanslehall,ilbonditau-dehorsetfaillitpercuterStavros.L’empoignantbrusquement,illuidemanda:
—Oùest-elle?—Nousnel’avonspasvue,monsieur.Nouslacroyionsavecvous,personnenel’avue.Chrysanderlerepoussaenjurantviolemment:—Elleestpartie.Appelezvoshommes!Jeveuxquevouslaretrouviezimmédiatement.Paracquitdeconscience,ilallainterrogerleportier,quisemblaitaussistupéfaitquelegardedu
corps.Théé!Oùpouvait-ellebienêtre?Ellen’étaitvraimentpasenétatdecirculerdansNewYork,et
lesgensquil’avaientenlevéeétaienttoujoursenliberté.Ils’apprêtaitàsortiràsarecherchequandTheronpassalaported’entrée.—Chrysander!Jevoulaismontertevoir.CommentvaMarley?—Elleadisparu.—Disparu?Maiscomment?—Jenesaispas,dit-ilavecungested’impuissance.Elleestpartie,etjedoislaretrouver.—Nousallonslatrouver,Chrysander,fitTheronenluiposantlamainsurl’épaule.Chrysanderpritunelongueinspirationetprononçalesmotsquiluibrûlaientleslèvresdepuis
unmomentdéjà:—Ilyaquelquechosequejenecomprendspasdanstoutecettehistoire,Theron.Quandellea
recouvrélamémoire,jen’ailuaucuneculpabilitésursonvisage.C’étaitcommesielleavaitreçuuncoupterrible,commesic’étaitellequiavaitététrahie.
***
Marleyfrissonnaens’asseyantsurlebancdepierreetserralesbrassursapoitrinepouressayerdecontenirsestremblements.Ellesavaitdésormaiscequil’avaitattiréeici.C’étaitvraimentsonlieude réflexion. Quelques heures avant ce dernier soir, elle était venue ici, craignant la réaction deChrysanderquandelleluiapprendraitsagrossesse.Elleavaiteuraisond’êtreinquiète.Ilneluifaisaitpasconfiance.Ilnel’aimaitpas.Etils’étaittotalementdésintéressédesonsortlorsqu’elleavaitétéenlevée.
Ellerefusadeselaisserenvahirparlessouvenirs.C’étaittropdouloureux.Aumoinssavait-ellemaintenantpourquoielleavaitchoisid’oublier.Toutescessemainespasséeslapeurauventre,tandisquesesravisseursattendaientqueChrysanderpaielarançondemandée,n’étaientriencomparéesàladouleurqu’elleavaitressentieencomprenantqueChrysanderl’avaitabandonnée.
Commentpouvait-onavoirlecœuraussisec?N’aurait-ilpasétéprêtàpayerpourlibérerquique ce soit d’autre,mêmeunparfait inconnu ?Elle n’avait jamais imaginé qu’il pouvait être à cepoint insensible. Mais il l’avait mise dehors sans lui accorder la moindre pensée. Elle était samaîtresse, une femmequi lui permettait d’assouvir ses pulsions sexuelles, rien d’autre.Elle devaitêtrefollepourtomberamoureused’unhommepareil,etdeuxfoisdesuiteencore!
Ellegémitetfermalesyeux,sentantunedouleurinsoutenablel’envahir.Jamaisellen’avaiteuaussimal,jamaisellen’avaitétéaussiperdue.
Elleposalesmainssursonventre,etleslarmesqu’elleavaitcrutariesjaillirentdenouveau.Commentavait-ilpuêtreaussihypocrite?Ildevaitbiensavoirqu’ellefiniraitparrecouvrerla
mémoire,etpourtantilavaitpassédessemainesàtoutfairepourqu’elleretombeamoureusedelui.Ilavait prétendu éprouver de l’affection, de la passion pour elle. Pourquoi, pourquoi un jeu aussiméprisable?
Etait-ceunstratagèmepourlapunir?Pourlafairesouffrir,commesiellen’avaitpasdéjàassezsouffert?Ellen’avaitjamaisimaginéqueChrysanderpouvaitêtreaussicruel.Maisellenesavaitriendel’hommeàquielles’étaitdonnée!
Ellerestaunlongmomentàsebalancerd’avantenarrière,lesbrasnouéssurleventrecommepourprotégersonenfant.Leventforcitetellefrissonna,sansmêmes’enrendrecompte.
—Marley?ditunevoixcirconspecte.Elle releva les yeux. Theron se tenait à quelques pas et la regardait avec inquiétude. Rien
d’étonnant à ce qu’il ait été aussi hostile à ce que Chrysander l’épouse, s’il la prenait pour unevoleuse!
Ellebaissalatête,résolueàluicacherseslarmes.Ils’accroupitdevantelleetluiposalamainsurlebras.—Jevaisteramener,glykiamou.Tunepeuxpasresterici,c’esttropdangereux.Elletressaillitenl’entendantprononcerlesmotstendresqueChrysanderaimaitutiliser.Ellene
voulaitplusjamaislesentendre.Ellesecoualatêteetretirasonbras,commepourseprotéger.Ilaperçutsespiedsnusetétouffaunjuron.— Tu ne peux pas rester ici pieds nus, il fait beaucoup trop froid. Laisse-moi te ramener à
l’appartement.—Non!dit-elleviolemment.Jeneveuxpasyretourner.Elleseglissaversl’autreextrémitédubanc,etilavançalamainpourl’empêcherdefuir.—Marley,penseàtonbébé.Laisse-moiteramener.Tuesgelée.—Jeneveuxpasretourneràl’appartement,dit-elleavecdésespoirenselevant,prêteàfuir.—Jenepeuxpastelaisserpartir.Tuestropmalheureuse,ettuvasattraperlamort.—Qu’est-cequecelapeutbientefaire?Jesuisunevoleuse, l’aurais-tuoublié?Jesuis juste
unefilledejoiequiapristonfrèreaupiègeetaessayédevousruiner,lança-t-elleavecamertume.—Sijeprometsdenepasterameneràl’appartement,proposaTheronavecdouceur,acceptes-
tudeveniravecmoi?Jenepeuxpastelaisserici,Marley.Ellevacilla,etillarattrapaaumomentoùsesgenouxsedérobaientsouselle.Laprenantdans
sesbras,ilsedirigeaverslasortiedusquare.—Laisse-moitranquille,protesta-t-elle.—Cen’estpaspossible,petitesœur.—Jesuisjustelaputaindetonfrère!dit-elleavecdésespoir.—Théé!Nedisplusjamaisunechosepareille!—C’estpourtantvrai,murmura-t-ellesanspouvoircontrôlerseslarmespluslongtemps.
Ellefermalesyeux,renonçantàlutter.C’étaittellementplusfaciledefuiruneréalitéàlaquelleellevoulaitéchapper.Ellesemauditd’avoirrecouvrélamémoire.Celal’avaittotalementdétruite.
15
Chrysander entra au pas de charge à l’Imperial Park Hotel, renvoyant les employés quiaccouraient pour le saluer. Quelques instants plus tard, il pénétrait dans la suite luxueusehabituellement réservée auxhôtes demarque.Theron était dans le salon, etChrysander lui jeta unregardnoir.
—Pourquoinel’as-tupasramenéeàl’appartement?—Elleétaitprêteàfuirquandj’aiparlédelefaire.J’aidûluipromettredel’emmenerailleurs.Chrysanderpoussaunjuronetfermalesyeux,sepassantlamainsurlevisaged’ungestelas.—Elleestàdeuxdoigtsdeladépression,ditTheronàvoixbasse.Demandeàlathérapeutede
venirlavoirici.Peut-êtrepourra-t-ellel’aider.—Tusemblesinquietpourelle,ditChrysanderenluijetantunregardsurpris.— Elle est enceinte de mon neveu. Et j’ai été frappé, moi aussi, de voir qu’elle ne semble
éprouver aucune culpabilité. Toute son attitude donne à penser qu’elle a été blessée jusqu’au plusprofondducœur.Celam’afaitmaldelavoircommeça.Jen’avaissoudainqu’uneenvie,c’étaitdelaprotégercontrecequilafaisaitsouffrir.
—Oùest-elleàprésent?—Elledort.Elles’estendormiependantletrajetetn’apasouvertlesyeuxquandjel’aiportée
jusqu’ici.Chrysandersedirigeaverslachambreets’approchadulitpourlacontempler.Elledormait,et
pourtantsonvisagecrispéexprimaitunprofonddésespoir.Ilavançalamainavechésitationet luieffleurala joue,remettantenplaceunemèchederrière
sonoreille.Ellenesemblapasenavoirconscience.Sesbouclesbrunesencadraientsonvisage,pâlecomme un linge. Ses yeux étaient cernés et rougis par les pleurs. Il sentit sa gorge se nouerdouloureusementdevantcetteprofondedétresse.
Enretournantdanslesalon,ilappelalathérapeuteetluidemandadeveniràl’hôtel.PuisilsetournaversTheron:
—Oùl’as-tutrouvée?—Dansun square, àquelques centainesdemètresde l’appartement.Elle étaitpiedsnus, sans
même un pull ou unmanteau ! Elle semblait totalement perdue, totalement inconsciente de ce quil’entourait.
—C’estcommeçadepuisqu’ellearecouvrélamémoire,ditChrysanderenjurant.Maisjen’aipas lamoindre idéedeceque jepeuxfairepourelle, reconnut-il avecun sentimentd’impuissancecommeiln’enavaitjamaiséprouvé.
—Lacrois-tutoujourscoupable?—Jenesaispas.Parfois,jemedisqueçan’aplusd’importance,avoua-t-ilens’attendantàlire
desreprochesdanslesyeuxdeTheron.Maissonfrèreluijetaunregardcompréhensif.—Quandjel’aivuesurcebanc,franchement,çan’avaitplusd’importancepourmoinonplus.Lathérapeutearrivaquelquesminutesplustard,etChrysanderluiexpliquacequis’étaitpassé
depuisleurretouràNewYork.Iln’aimaitguèredéballerainsisavieprivée,maisilvoulaitquecettefemmeaittouslesélémentsnécessairespourvenirenaideàMarley.Ilneluicachadoncrien,depuisladécouvertedesdocumentsjusqu’auprésent.
Lathérapeutes’abstintdetoutcommentaireetdemandajusteàvoirMarley.—Elleserepose,luiexpliqua-t-il,maisvouspouvezallerdanssachambreetattendrequ’ellese
réveille.Jenevoudraispasqu’elles’angoisseetqu’elleessaiedefuir.Quandilsentrèrentdanslachambre,Marleys’agitalégèrement,etChrysanderfitaussitôtunpas
verselle,maislathérapeutel’arrêtad’ungeste.—Laissez-moiluiparler,dit-elledoucement.Ilhésitauninstant,puisfinitparaccepterd’unsignedetête,secontentantdesortirdelachambre
etdelaisserlaporteentrebâilléedefaçonàpouvoirentendre.Ilyeutunlongsilence,puisunmurmuredevoixluiparvint.Lathérapeutefuttoutd’abordla
seule à parler, cherchant manifestement à apaiser Marley. Puis il entendit la voix tremblante deMarley,etiltenditl’oreille.
—Jesuisalléevoir lemédecin le jouroùChrysanderest revenude l’étranger.Quand ilm’aapprisque j’étaisenceinte, j’aiétébouleversée.Jenesavaispasdu toutcommentChrysanderallaitréagir.Jevoulaisluidemandercommentilconcevaitnotrerelation…cequ’ilressentaitpourmoi.
—Etalors?demandalathérapeuted’untonencourageant.IlcomprenaitàprésentlesquestionsdeMarleycesoir-là,etilsesentithonteuxenl’entendant
continuer.—Ilm’aditqu’iln’yavaitpasderelationentrenous,quej’étaissamaîtresse.Unefemmequ’il
payaitpouravoirdesrelationssexuellesaveclui,dit-elled’unevoixsanstimbre.Ilauraitvouluprotester,luidirequ’ilnel’avaitjamaisconsidéréecommeuneprostituée.—Ensuite,ilm’aaccuséede…Elleneputcontinueretsemitàsangloter.—Prenezvotretemps,Marley,ditlathérapeuted’unevoixapaisante.—Iladitquejeluiavaisvolélesplansd’undeseshôtelspourlesvendreàsonconcurrent.Etil
m’achassée.—Etlesaviez-vousvolés?—Vousêteslapremièrepersonneàprendrelapeinedemeposerlaquestion,ditMarleyd’une
voixéteinte.Chrysander eut l’impression qu’elle l’avait giflé. Elle avait raison. Il n’avait posé aucune
question.Ill’avaitjugéeetcondamnéesansl’entendre.—J’étaiscomplètementabasourdieetn’avaisjamaisvucesdocuments.Jenesaispascomment
ilapumecroirecapabled’unechosepareille.Les larmes qu’elle refoulait lui firent plus demal qu’un poignard en plein cœur. Qu’avait-il
fait?—Ensuite…Seslarmesl’empêchèrentdepoursuivre.
Ilyeutunlongsilence,etilentenditlathérapeuteessayerderéconforterMarley.—Ques’est-ilpasséensuite,Marley?—J’aiquittél’appartement,maisjevoulaisretournerlevoirlelendemain,quandilauraiteule
tempsdesecalmer,pouressayerdeluifaireentendreraison,etpourluidirequej’étaisenceinte.Jeme disais que s’il voulait bien m’écouter, j’arriverais à le convaincre qu’il se trompait sur moncompte.
—Etques’est-ilpassé?Chrysandersepenchapourmieuxentendre,craignantcequiallaitsuivre.— Un homme m’a jeté un sac sur la tête et m’a forcée à monter dans une voiture. Il m’a
emmenéeàl’autreboutdelavilleetm’aditqu’unerançonseraitexigéepourmalibération.J’étaisterrifiée.J’avaistellementpeurqu’ilnousfassedumal,àmonbébéouàmoi.
Chrysanderserralespoings,essayantdecontenirsarage.— Ils ont envoyé deux demandes de rançon,murmura-t-elle. Et par deux fois il a refusé de
payer.Ilm’aabandonnée.MonDieu,ilm’aabandonnéeauxmainsdeceshommes.Jenevalaismêmepascinqcentmilledollarsàsesyeux!
Elle éclata en sanglots déchirants et Chrysander sentit son cœur se briser. Sainte Vierge ! Iln’avaitjamaisreçulamoindredemandederançon.Jamais!Ils’éloignadelaporteets’appuyaàlacloison,serrantlespoings,mûparunerageimpuissante.Ils’aperçutquesesjouesétaientmouilléesmaisnefitpasungestepoursécherseslarmes.
Quelquesinstantsplustard,lathérapeutesortitensilencedelachambre.Ils’attendaitqu’elleleregardeavecreproche,maiscefutplutôtdelacommisérationqu’illutdanssesyeux.
—Je lui aidonnéuncalmant.Elle était presquehystérique. Il lui faut avant toutdu repos.Laréalitéqu’elledoitaffronteresttrèsdouloureuse,c’estpourquoielleserefermesurelle-même.C’estle même processus de préservation qui a entraîné son amnésie. A présent que ce mécanisme dedéfenseadisparu,elleessaiedetrouverunautremoyendeseprotéger.Montrez-vouscompréhensif,et donnez-lui du temps. N’hésitez pas à m’appeler, ajouta-t-elle en se dirigeant vers la sortie. Jeviendraiimmédiatement.
—Merci,répondit-ild’unevoixenrouée.Aprèssondépart,ilretournadanslesalonetselaissatombersuruncanapé.—GrandDieu!dit-ild’unevoixlasse.—J’aientendu,luiditTheronavecsympathie.—Ellen’ajamaisrienvolé.Théé,jen’aijamaisreçudedemandederançon!Ellecroit…elle
croitquejel’aiabandonnéeàcessalopards,quejen’aipasvoulupayerundemi-milliondedollarspoursalibération.
—Nousdevronsmeneruneenquête,luiditTheronenluiposantlamainsurl’épaule.Chrysander acquiesça d’un signe de tête. Il repensait au soir où tout avait commencé, et il se
forçaàrepassertoutelascènedanssonesprit.Quandileuttoutàcouplarévélationdecequis’étaitpassé, ilsemauditden’avoir jamaispris le tempsd’yréfléchir.C’étaitpourtant tellementévident!Maisilavaitététropencolèreettropmeurtriparcequ’ilavaitperçucommeunetrahisondelapartdeMarley.
—Roslyn,dit-ild’unevoixblanche.—Tonassistante?—Elleétaitlà.JusteavantquejetrouvelesdocumentsdanslesacdeMarley.Cedoitêtreelle
quilesyamis.
Puis il repensaauxdemandesderançon,et ilpâlitencomprenantcequis’étaitproduit.Toutedemandede rançon aurait été envoyée à sonbureau.L’adressede ses résidencespersonnelles étaittenuesecrète.Sidemandesderançonilyavaiteu,ellesavaientdoncétéinterceptées.ParRoslyn.
Ilselevad’unbondetsetournaverssonfrère.—ResteiciavecMarley.Veilleàcequ’ellenesortepasetàcequel’onprennesoind’elle.Je
vaisfairevenirunmédecin.Theronsemitdeboutàsontour.—Quevas-tufaire,Chrysander?— Je vais aller m’assurer que mes déductions sont justes, dit-il d’une voix dangereusement
calme.—Attends!Chrysanders’arrêtapourregardersonfrère.—Tudevraisappelerlapolice,Chrysander.Situl’interrogesseuletquetuobtienssesaveux,
celaneserviraàrien.Tuserasleseultémoin.Chrysander serra lespoingsde frustration.Mais ildevaitbien reconnaîtrequeson frèreavait
raison.Iln’étaitpasquestionqueRoslyns’entireàsiboncompte.Ilpouvaitcertesfairedesavieunenfer,maiselleresteraitlibre.Ilvoulaitquejusticesoitfaite.
***
Chrysander arpentait son bureau new-yorkais en attendant l’arrivée deRoslyn. Il aurait vouluêtreavecMarleyetbouillaitd’impatience.Sonétatrestaitinchangé.Quandelles’étaitréveillée,elleavait été distante, présente sans l’être. C’était comme si elle s’était réfugiée dans un lieu où il nepourraitplusluifairedemal.
Ilfermalesyeuxpourseconcentrer.EnentendantRoslynentrer,ilseraidit.Ilétaitdansuntelétatderagequ’illuiauraitvolontierstordulecou,maisilseforçaàsourireetàfairecommesiderienn’était.
—Vousvouliezmevoir?dit-elle.—Eneffet,répondit-ilenluijetantunregardsuggestifmalgrélarépulsionqu’elleluiinspirait.Sesyeuxs’éclairèrentaussitôt,etelleprituneposeprovocante.— Je viens juste de comprendre jusqu’où vous n’avez pas hésité à aller pour attirer mon
attention,continua-t-ilavecunpetit rire.Lesfemmesaimentàdirequeleshommessont longsà ladétente,maisjecroisavoirbattutouslesrecords.
La confusion se peignit sur son visage et elle continua à jouer les innocentes, pas encorecertaine d’avoir compris à quoi il faisait allusion. Mais son langage corporel et sa façon de leregardermontraientquelgenredepetitesalopec’était!
—Pourquoinem’as-tupasditquetumevoulais?Roslynsouritenl’entendantlatutoyer.—Çanousauraitévitébiendescomplications,ajouta-t-ilavecunclind’œil.Aulieudecela,je
mesuisretrouvédansunerelationdontjen’arrivaispasàmedépêtrer,mêmesijedoisreconnaîtrequetuastoutfaitpourm’aideràensortir.
Ellesedétendit toutàfaitet ildutfaireuneffortsurhumainpourmasquersondégoût.C’étaitétrange,maisiln’avaitjamaisremarquéàquelpointellemanquaitdecharme.
—Commentt’es-tudébrouillée?luidemanda-t-ild’untoncomplice.
Il l’écouta,horrifié, luidétaillerlafaçondontelles’yétaitprisepourfairecroirequeMarleyavaitvolélesplans.Lekidnappingavaitétéunbonusauquelellenes’attendaitpas,etlorsqu’elleavaittrouvélademandederançonparmisoncourrier,elleyavaitvuuneoccasionrêvéedesedébarrasserdeMarleyunebonnefoispourtoutes.
EllevoulaittellementprouveràChrysanderquesadévotionétaitsansbornesqu’ellereconnut,sansmêmes’enapercevoir,avoirvendulesplansdeshôtelsàsonconcurrent.Etilsutàcet instantqu’ilpouvaitjeterbassonmasque.
—Vous avez donc volé les plans pour les vendre àMarcelli, dit-il alors d’un ton si glacialqu’elle pâlit visiblement. Puis vous vous êtes arrangée pour queMarley paraisse coupable, faisantainsid’unepierredeuxcoups:vousavezrécoltéunjolipactoleenvendantlesprojets,etvousavezcruchasserMarleydemaviepourprendresaplace.
Comprenantàquelpointilvenaitdeladuper,elleluijetaunregardfurieux.— Et quand les demandes de rançon sont arrivées àmon bureau, vous les avez détruites en
espérantquoi,Roslyn?qu’ilsallaientlatuer?Il était dans un tel état de rage qu’il tremblait. Il ne voyait plusRoslynmaisMarley, seule et
effrayée,enceintedesonfilsetvulnérable.Persuadéenonseulementqu’illahaïssaitmaisqu’ill’avaitabandonnéeàsonsort.Ilsesentaitprèsdepleurer.
Roslynsemblaseressaisiretleregardaavecdédain.—Vousnepourrezrienprouver.—Ceneserapasnécessaire,répondit-ild’unevoixbrève.Appuyantsurleboutondel’Interphone,ilajouta:—Vouspouvezvenir,lieutenant.Roslynchancelaenvoyantentrertroispoliciers.—Tunepeuxpasfaireça!hurla-t-elle.Jet’aime,Chrysander.J’étaisprêteàtoutpourtoi!IlsecoualatêteettournaledostandisquelespoliciersemmenaientRoslynaprèsluiavoirpassé
les menottes. Il n’avait aucune envie de l’écouter plus longtemps. Tout ce qu’il voulait, c’étaitretournerauprèsdeMarley.
—Pardonne-moi,agapimou,murmura-t-il.
***
Marley eut vaguement conscience que quelqu’un la prenait dans ses bras. Ce n’était pasChrysander. Elle l’aurait immédiatement reconnu. La panique faillit l’envahir, mais une voixrassuranteluiparlaitengrecetenanglais.
—Net’inquiètepas,petitesœur.Tuesensécurité.—Oùallons-nous?demanda-t-elled’unevoixfaible.—Dansunlieusûr.Chrysanderveillerasurtoi.Elle voulut protester que Chrysander ne ferait rien pour elle, mais elle n’avait plus aucune
énergie.Aunmoment,elleentenditlavoixdeChrysanderets’envoulutdesentiraussitôtsapaniques’évanouir.
Quelqu’unluieffleuralefrontdeseslèvres,arrangeasescouverturesetcaressasescheveux,etelleeutl’impressionqu’unedoucechaleurlapénétraittoutentière.
—Tuesensécurité,agapimou.Jenepermettraiplusjamaisquel’ontefassedumal.—Jetedéfendsdem’appelercommecela,cria-t-elle.
Maiscontre touteraisonellefutrassérénéepar lapromessedeChrysanderetsombradansunsommeilapaisé.
***
Quand elle se réveilla, son esprit avait retrouvé une lucidité qui lui avait fait défaut depuisqu’elle avait recouvré la mémoire. Tant mieux. Même si elle savait bien qu’elle ne pouvait quesouffrirenserappelantlesévénementsdesderniersmois.
Elle avait l’impression d’avoir dormi une semaine tellement elle se sentait reposée. Peut-êtreétait-ce le cas. Elle n’avait aucune idée du temps qui s’était écoulé, et, si le passé n’était plus unmystère,ellen’avaitqu’unsouvenirconfusdesderniersjours.
A contrecœur, elle repoussa les couvertures et s’assit au bord du lit. La chambre où elle setrouvaitétaitvaste,éclairéeparplusieursfenêtres,etellelavoyaitpourlapremièrefois.
Ellesedirigeaverslasalledebains,immenseetd’unluxeinimaginable,etellejetaunregardd’envieà labaignoireà remous.Elleavaitbeaun’avoirqu’unsouvenir très indistinctdesderniersjours, elle était sûreden’avoirpasprisdebaindepuis longtemps, et elle en ressentaitvraiment lebesoin.
Elle se penchapour ouvrir les robinets, et, en se relevant, sursauta en apercevantChrysanderdansl’embrasuredelaporte.
Ils’approchaaussitôtetlaretintparlebrasenlavoyantvaciller.—Jesuisdésolédet’avoirfaitpeur,glykiamou.Cen’étaitvraimentpasmonintention,maisje
mesuisinquiétéenvoyantquetun’étaisplusdanstonlit.—Jevoulaisjusteprendreunbain.—Jepréfèreque tune soispas seule ici,dit-ilgentiment. JevaisdemanderàMmeCahillde
venir,pourqu’ellesoitàportéedevoixsituasbesoind’elle.Ellefermalesyeuxuninstantenrespirantàfond,puisellelefixacalmement.—Arrêtons lesmensongesentrenous,veux-tu,Chrysander?Tun’asvraimentpasbesoinde
prétendrequejecomptepourtoi.—Tucomptesbeaucouppourmoi,agapimou,dit-ild’unevoixaltérée.Et, sans lui laisser le temps de répondre, il sortit de la salle de bains. Patricia arriva presque
aussitôtaprès,etenquelquesminutesMarleyseretrouvadansunbaintièdeetparfumé.—Où sommes-nous, Patricia ?Et comment se fait-il que vous soyez ici ? Je vous croyais à
AthènesavecleDrKarounis.—M.Anetakism’ademandéderevenirdefaçonquejepuissem’occuperdevous.Ilnesavait
vraiment plus quoi faire. Comme l’idée de retourner à l’appartement semblait vous êtreinsupportable,ilvousaamenéeici.
—Etc’estoù,ici?—Danssamaison.NoussommesàenvironuneheuredeNewYork.C’estbeaucouppluscalme,
etils’estditquecelavousconviendraitsansdoutemieux.Marleysentit les larmesluimonterauxyeux.Ellequi lesavaitcrudéfinitivement taries!Elle
ignoraitqu’ilpossédaitunemaisonendehorsdeNewYork,etc’étaitencoreundeceslieux,commel’île, où ils n’étaient jamais venus ensemble pendant tous ces mois de vie commune. Encore unepreuvequ’ellen’avaitpaseubeaucoupd’importancedanssavie!
—Ilaététrèsinquietpourvous,ditPatriciadoucement.Nousl’avonstousété.
Marleysecoualatête,incrédule.Chrysanderlahaïssait.Ilnel’avaitjamaisaiméeetelleavaitététropstupidepours’enrendrecompte.
—Quevais-jefaire?murmura-t-ellepourelle-même.Quelleidéeavait-elleeuderenonceràsonappartement,àsontravailetàtouteautonomiepour
aller vivre avec Chrysander ? Elle avait été aveuglée par son amour pour lui, convaincue qu’ilsavaientunavenirensemble.
— Vous devriez sortir de la baignoire, suggéra Patricia. Il est temps de vous sécher et dedescendremanger.
Marleyse laissamaternerparPatricia.Enenfilantunpantalonconfortableetunchemisierdegrossesse,elleposalamainsursonventreendemandanttoutbasàsonfilsdeluipardonner.
Ellen’avaitpasledroitdes’effondrer.Sonenfantavaitbesoind’elle.Chrysander l’attendait sur le palier. Il n’essaya pas de lui parler,mais il lui prit le bras pour
l’aideràdescendre,etellelelaissafaire,n’ayantplusenviedeluttercontrelui.Ellegardalesilenceelleaussi,tropbouleverséepouravoiruneconversationsensée.
Ils prirent place à une petite table donnant sur un jardinmagnifiquement entretenu. Le soleilentrait à flots par les baies vitrées, et sa chaleur lui fit du bien. Chrysander posa devant elle uneassietteavectoutunassortimentdemets,maisellesecontentadepousserlanourritured’uncôtéetdel’autre,enévitantsonregard.
L’entendantpousserunprofondsoupir,ellefinitparleverlesyeuxverslui.Sonexpressionétaitsi sombre qu’il semblait affligé par tous lesmaux de l’enfer. L’idée était si absurde qu’elle auraitvoulurire,maisellefuthorrifiéedesentirleslarmesluimonterauxyeux.
—Ilfautquenousparlions,Marley.J’aibeaucoupdechosesàtedire,commença-t-ild’unevoixbizarrementétranglée.Maistudoisd’abordmangerpourreprendredesforces.Tasantéetcelledenotreenfantpassentavanttout.
Ellebaissadenouveau la têtepouréviterd’avoiràsoutenirsonregard.Puiselleentendituneporte claquer au loin, et quelqu’un approcher àgrandspas.Relevant la tête, elle vitTheron entrerdanslapièce,manifestementtrèsencolère.Maissansluilaisserletempsdeparler,Chrysanderluiditd’untonferme:
—JesuissûrquecequetuasàmedirepeutattendrequeMarleyaitfinidemanger.Theron la regarda d’un air inquiet et acquiesça d’un signe de tête.Alors elle sentit la colère
l’envahir. Une fois de plus, ils ne voulaient pas parler devant elle, quoi qu’ils aient à dire ! Etcomment s’en étonner, puisqu’ils la considéraient comme une voleuse ! Elle sentit une vague dechagrindéferlersurelle,et,sansréfléchir,elleselevabrusquementet,sansleuradresserlaparole,elletournalestalonsetsortit.
—Marley,net’envapas!protestaChrysander.Seretournantverslui,ellelefixad’unregardglacial.—Jenevoudrais surtoutpasvousdéranger. Je comprends trèsbienquevousnevouliezpas
parlerdevantquelqu’unquiatentédevousruineretatrahivotreconfiance.
***
—Théé!cen’estpasdutoutcequejevoulaisdire.Marley?Attends,bonsang!Mais,sansl’écouter,Marleyavaitdéjàquittélapièce.Chrysander la regardas’éloigneren jurantàmi-voix.Commentpouvait-ilespérer rétablir les
chosesentreeux?Elleledétestait,etquiauraitpuleluireprocher?
IlseretournaversTheron,quiavaitobservéledépartdeMarleyd’unairpréoccupé.—Qu’yavait-ildoncdesiurgent,Theron?Sonfrèresortitunjournalpliédesapocheetlelançasurlatable:—Ça.Chrysandersemitàjurercommeuncharretierendécouvrantlaune:unarticlerelataitdefaçon
mélodramatique toute son histoire avecMarley, accompagné par une photo deMarley portée parTheron,lejouroùelles’étaitenfuiedel’appartement,etdedeuxautresphotosdeRoslynetdelui-même.
Ilexpédialejournalàl’autreboutdelapièced’ungesterageur.—Iln’yaqueRoslynpouravoirfaitça.Aucundemeshommesn’auraitparléàlapresse.—Comme tu l’as fait arrêterpourvol, et pour avoir intercepté lesdemandesde rançon, elle
s’estsansdouteditqu’ellen’avaitrienàperdreettoutàgagnerendonnantaupublicsaversiondeschoses,etenprétendantquevousaviezeuuneliaison.
—Jemaudisvraimentlejouroùj’aiembauchécettefemme!DirequeMarleyauraitpumouriràcausedemastupidité!
—Tul’aimes.Cen’étaitpasunequestion,etChrysandersecontentadehocherlatête.Ill’aimait.Maisilavait
réussiàtuerl’amourdeMarleypourlui,etpardeuxfois.Ilsepritlatêteentrelesmains.—Siellenemepardonnejamais,jenepourraipasleluireprocher,dit-ild’unevoixsourde.Je
nemepardonnepasmoi-mêmecequej’aifait.—Valaretrouver,Chrysander.Votreréconciliationdépenddetoi.Ilseleva.Oui,Theronavaitraison;ilétaittempsd’essayerd’obtenirlepardondeMarley.S’il
lepouvait.
16
Marley était debout devant la fenêtre de sa chambre, les yeux vides. Rien de ce que faisaitChrysander n’aurait dû pouvoir la blesser désormais, et pourtant elle ne pouvait s’empêcher desouffrir.
—Marley.ElleaperçutChrysanderàl’entréedelapièce.Sestraitsétaienttirés,etilsemblaitpréoccupé.Il
luisemblaaussilireautrechosedanssesyeux:delatristesseet…delapeur?Ilfitquelquespasenavant,l’airhésitant.—Ilfautquenousparlions.Elleseraidit,essayantdeseprotégerparavancedecequiallaitsuivre.Ilallaitluidemanderde
partir.Elledétournalevisagemaisacquiesça.Ilavaitraison,ilfaudraitbienqu’ilsparlentunjouroul’autre;autantlefairetoutdesuite.
Illuipritlementondanslamainettournadoucementsonvisageverslui.—Nemeregardepascommecela,agapimou.Jenesupportepasdetevoiraussitriste.—Jet’enprie,dis-moijustecequetuasàmedire.Nefaispasdurerleschoses.—Vienst’asseoir.Elle le laissa l’entraîner vers le lit. Il s’assit à côté d’elle, raide,manifestementmal à l’aise.
Soudain,elleeneutassezd’attendreetlaissaparlersacolère:—Tum’asmenti!dit-elled’untoncinglant.Depuisquetum’asretrouvéeàl’hôpital,toutn’a
étéquemensonges.Tutemoquesbiendemoi.Quandtum’asfaitl’amour,c’étaitenmeméprisant,maistum’asfaitcroirequetuavaisdel’affectionpourmoi.Commentpeut-onseconduireainsi?
Révoltéeettremblante,ellesecouvritlevisagedesmains.—Tutetrompes,dit-ildoucement,écartantsesmainsetenportantuneàseslèvres.Tucomptes
beaucouppourmoi.Quandjet’aifaitl’amour,çan’ajamaisétéenteméprisant.C’estvraiquejet’aimentipourdeschosessansimportance.Lemédecinm’avaitrecommandédenepast’inquiéter,etdelaisser ta mémoire revenir seule. Mais je n’ai pas menti pour ce qui compte vraiment, Marley.Commel’affectionquej’aipourtoi.S’agapo,glykiamou.
Ellebaissalatête,sentantleslarmesluibrûlerlespaupières.Commeelleauraitvoululecroire!—Jemesuiscomplètementtrompéàtonsujet,Marley.Elle releva la têteet le fixa, sidérée.Avait-ellevraimententenduChrysander reconnaîtrequ’il
s’étaittrompé?Ilsemblaitprofondémenthonteux,etprofondémenttriste.
—Ilyacertaineschosesquetudoissavoir,poursuivit-il.Jen’ai jamaisreçudedemandesderançon.J’auraisremuécieletterrepourtelibérer.Aucunerançonn’auraitététropélevée.J’ignoraistotalementquetuavaisétéenlevée.
—Commentas-tupul’ignorer?—Roslyn a détruit les demandes de rançon. Tu avais raison de ne pas l’aimer, et je t’ai fait
courirunterribledangerennetenantpascomptedetonintuition.Marleyeut l’impressionqu’unventde tempêtesoufflait soussoncrâne. Iln’avaitpas reçu les
demandesderançon?Elleportaunemaintremblanteàseslèvres.—J’aicru…Elles’interrompit,tropémuepourcontinuer.—Qu’as-tucru,agapimou?demanda-t-ildoucement.—Quetumehaïssais,murmura-t-elle.Queturefusaisdepayerparcequetuétaisconvaincuque
j’avaisessayédeteruiner;quejenevalaispascinqcentmilledollarsàtesyeux.Ilpoussaunsourdgrondementet lapritdanssesbras.Sesmains tremblaientet il la serraità
l’étouffer.—J’aiétéunimbécile.J’aieutortdet’accuser,etjen’aiaucuneexcuse.Elles’écartadeluienleregardantdanslesyeux.—Tunecroisplusquej’aivolécesdocuments?—Non.C’estRoslyn,etelleaglissécespapiersdanstonsacpourmefairecroirequetuétais
coupable.Ils’interrompitenpassantunemaindanssescheveux.—Maisaprès tonenlèvement, j’avaisbeaucroireque tuavaisessayédeme ruiner,çaneme
semblaitplustrèsimportant.Toutcequicomptaitpourmoi,c’étaitquetuaiesretrouvélaseuleplacequiestlatienne:auprèsdemoi.
Avecunembarrasmanifeste,ilajouta:—Cesoir-là,quandtum’asdemandécommentjeconcevaisnotrerelation…j’aieupeur.Elleneput refrénerson incrédulité.QueChrysanderpuisseavoirpeurdequoiquecesoit lui
paraissaitridicule.—J’aipenséquetuétaismalheureuse,quetuvoulaisplusquecequejetedonnais.Etçam’amis
encolère,parcequejen’étaispasprêt.Jevoulaisêtreleseulàdéciderducoursdenotrerelation,sibienquejet’airepousséeentedisantquetuétaismamaîtresse.
Ellesentitsoncœurs’affolerenvoyantsonairvulnérable.—Qu’essaies-tudemedire?murmura-t-elle.—Quejet’aime,glykiamou.S’agapo.Sesyeuxs’embuèrentquandellecompritqu’ilvenaitpardeuxfoisdeluidéclarerqu’ill’aimait.—Jenesuisvraimentpastrèsdouépourtelemontrer,ajouta-t-ilavecunemouededérision.
J’étais trop orgueilleux pour tout simplement t’avouermes sentiments. Je crois que je ne pouvaismême pasme les avouer àmoi-même. Tout ce que je savais, c’était que je ne voulais pas que tupartes,etquandjet’aicrumalheureuseavecmoi,celam’amisencolère.Aprèsça,entrouvantcesdocumentsdanstonsac,j’aiétéàlafoisbouleverséetfurieux.Jenepouvaispascroirequetuétaisprêteàmevoler.
—Etpourtant,tul’ascru,dit-elled’unevoixdouloureuse.Ildétournaleregard,l’airmalheureux.— J’étais furieux comme jamais je ne l’avais été. J’ai cru que tu étais à la solde de mon
concurrentetquetum’avaisutilisé.Sibienquejet’aichassée.Et,Dieumepardonne,àcausedemoi
tuasétéenlevée.Elle ferma les yeux, ne voulant pas se rappeler sa peur et son désespoir pendant toutes ces
semainesdecaptivité.Mêmesielleavait recouvré lamémoire,cetépisoderestait flou.Peut-être lerefoulerait-elletoutesavie.
—Tum’aimes?répéta-t-elle.Tantdechosesavaientchangéenl’espacedequelquesminutesqu’ellen’avaitpasencoreeule
tempsd’ypenser,etseulscestroismotssemblaientcompterpourlemoment.Illarepritdanssesbras,latenantcommeunobjetprécieuxd’unegrandefragilité.—Jen’aivraimentpasfaitcequ’ilfallaitpourtelemontrer,maisoui,jet’aime.Jeveuxavoir
unechancedeteleprouver.Jeveuxquetum’épouses.Jet’enprie.Ellesecoualatête,n’arrivantpasàcroirequ’illasuppliaitsihumblement.—Tuveuxtoujoursm’épouser?Illaserracontrelui,pressantseslèvressursescheveux.—Jenetedemandepasdemerépondremaintenant.Jesaisquej’aiditbeaucoupdechosesqui
t’ontbouleversée.Maisdonne-moiunechance,Marley.Tuneleregretteraspas,jetelejure.Jeferaiensortequeturetrouvestonamourpourmoi,quejamaistun’aiesàregretterdem’avoiraccordéunbienaussiprécieux.
Elle devait avoir perdu l’esprit. Chrysander la tenait dans ses bras, lui disait qu’il l’aimait etvoulaitl’épouser!
Doucement,ils’écartaetluiposaunbaisersurleslèvres.—Réfléchis-y,agapimou.Prendsletempsqu’iltefaudra,j’attendrai.Il se leva, comme s’il avait perçu son désir de rester seule, puis sortit en se retournant une
dernièrefois.Marleyresta longtempsassisesur le lit, fixant laportesans lavoir.Elle tremblaitde toutson
corps. Il l’aimait?Roslynavaitdissimulé lesdocumentsdanssonsacpuisdétruit lesdemandesderançon?
Ellefrissonna.Roslynl’avaitdoncdétestéeàcepoint?Ouétait-cejustequ’elleétaitprêteàtoutpourséduireChrysander?Peut-êtreunpeudesdeux.Oupeut-êtreencoreavait-elletoujourstravaillépourleconcurrentdesAnetakis.
Les événements des derniers jours restaient très douloureux. Comment aurait-elle pu toutoublierenuninstant,simplementparcequ’illuiavaitprésentédesexcusesetproposédel’épouser?Ellenepouvaitmêmepas luidire à son tourqu’elle l’aimait, car ilne la croirait jamais si elle lefaisaitmaintenant.
Soupirantdelassitude,elles’allongeaenchiendefusil.Jamaisellen’avaitétéaussiépuisée,àlafoisphysiquementetémotionnellement.Elle semassadoucement leventre, souriantquandson filsgigotaetdonnadescoupsdepiedsoussesdoigts.
—Quedois-jefaire?murmura-t-elle.Elle avait si peur d’accorder de nouveau sa confiance et son amour à Chrysander. Elle avait
aussipeurdedevoirvivresanslui.Malgrétoutlemalqu’illuiavaitfait,laseulepenséedelequitterluiétaitunetorture.
Ellefermalesyeuxuninstant.Ellenepouvaitprendreunedécisionaussiimportanteenquelquesminutes.Tropdechosesendépendaient.Elledevaitpenseràsonenfant.Etàelle-même.
***
Aucoursdesjoursquisuivirent,Chrysandersemontraplusattentionnéquejamais.Illuidisaitsouventqu’ill’aimait,toutenveillantànepaslabousculer.Ilsemblaittrèssoucieuxaussidenepasutiliserl’attirancephysiquequ’ilséprouvaientl’unpourl’autrepourinfluencersadécision,etelleluienfutreconnaissante.
Deuxjoursaprèssanouvelledemandeenmariage,ilsreçurentlavisitedesesfrères.Sesentanttoujoursmalà l’aiseethonteuseenleurprésence,mêmesiellen’avaitrienfaitpourmériter leursreproches,elleessayades’esquiver,pensantqu’ilsvoulaientparlerdel’entreprise.Maisc’étaitellequ’ilsétaientvenusvoir.
—Notreconduiteenverstoiaétéimpardonnable,petitesœur,ditTheron.Piersacquiesçadelatêteenajoutant:—Je comprendrais tout à fait que tuneveuilles jamaisnouspardonner.Nous avons étédurs
avec toi.Nousn’avonsaucuneexcusepour t’avoir traitéecommenous l’avonsfait, surtoutdans lamesureoùtuesenceintedenotreneveu.
Ilétaitclair,àvoirleurvisage,qu’ilssesentaientréellementcoupables,etilsavaientl’airtrèsembarrassés,maisMarley n’avait aucune idée de ce qu’elle pouvait dire ou faire pour dissiper lemalaise.
Theronfinitpars’avanceretl’embrassersurlesdeuxjoues,bientôtimitéparPiers.Ellejetauncoupd’œilàChrysander,quil’observaitd’unairsolennel.Sestraitsétaienttirésetil
semblait avoir maigri. Il avait l’air… malheureux, comme s’il avait perdu ce qu’il avait de plusprécieuxaumonde.
Pouvait-ils’agird’elle?Ellesesentitpresqueparalyséeàcette idée.Adressantunsourire tremblantàTheronetPiers,
ellelespriadel’excuseretsortitprécipitamment.Malgrélefroid,ellegagnalaterrasse,essayantdesecalmeretdevoirclairenelle-même.Elle
repensaàsessentimentsdesderniersjours.Il l’avait trahieet luiavaitmenti.Soudain,ellen’enfutplusaussisûre.Luiavait-ilréellementmentiàproposdesessentimentspourelle?
Ce qu’elle lisait sur son visage, c’était ce qu’elle ressentait elle-même. Il était perdu.Commeelle, il souffraitmanifestementbeaucoup.S’il l’avaitvéritablementhaïe,pourquoi luiaurait-il jouéune telle comédie quand elle avait perdu lamémoire ? Pourquoi se serait-il senti des obligationsenversunefemmequ’ilconsidéraitcommeunevoleuse?
—Tuportessonenfant,murmura-t-elle.Sagrossessejustifiaitqu’ilaitvouluveillersursasantéetsurcelledesonenfant,maisilaurait
toutaussibienpu le faireensuivant leconseildeTheroneten l’installantailleursquechez lui.Etpourquoi aurait-il essayé de la séduire, pourquoi lui aurait-il fait l’amour et se serait-il conduitcommes’iléprouvaitdel’affectionpourelle?
L’aimait-il?Iln’étaitpaslegenred’hommeàprononcercesmotsaisément.Aucoursdesmoisoùilsavaientvécuensemble,avantsonenlèvement,ilneluiavaitjamaisparlédesessentiments.Maisilluiavaitmontrédemilleetunefaçonsqu’ellecomptaitpourlui.Etilluiavaitditsonamour,deuxjoursplustôt.
Pouvait-elledenouveauluiaccordersaconfiance?Cetteidéeluifaisaitpeur,etenmêmetempslarassérénait.Ladécisionnedépendaitqued’elle.Sonaveniraussi.
Elle continuaun longmoment à tourner et retourner cesquestionsdans sa tête,mais au fondd’elle-même elle savait ce qu’elle désirait, tout en ayant conscience que ce n’était peut-être pas lechoixleplussage.Maisc’étaitlechoixdesoncœur,etleseulqu’ellepouvaitfaire.
Elle rentra dans lamaison et partit à la recherchedeChrysander.Elle se sentait extrêmementnerveuse,maiselleétaitconvaincued’avoirprislabonnedécision.
Elle le trouva làoùelle l’avait laissé,deboutdevant la fenêtre,unverreà lamain.Ses frèresétaientpartis,etunlourdsilencerégnaitdanslapièce.Ellehésitauninstant,rassemblantsoncourage.Ilsemblaitn’avoirpasfermél’œildepuisplusieursjours.Sonpantalonétaitfroissé,sachemiseétaitboutonnéedetravers.Malrasé,ilavaitlescheveuxenbataille.
Etpourtantilluiparaissaitsidésirable!Elleauraitvoulusejeterdanssesbras,sepressercontreluietlelaisserdissipersespeursetsesdoutesparsescaresses.Elleavaitlagorgesinouéequ’ellesedécidaàparler,sachantquesielleattendaituneminutedeplus,ellesemettraitàpleurer.
—Chrysander,dit-elledoucement.Ilfitvolte-face.—Tuvasbien,agapimou?Quepuis-jefairepourtoi?Jesuisdésolésimesfrèrest’ontfaitde
lapeine.Elle essaya de rire,mais son rire devint un sanglot. Respirant profondément, elle se força à
reprendresoncalme.—Jeveuxt’épouser,dit-elle.Unfeusombreilluminasesyeuxdorés,etillasaisitparlesépaules,lafixantcommes’ilvoulait
liredanssonâme.—C’estvrai?demanda-t-ild’unevoixenrouée.Elleréponditd’unsignedetête.Fermantlesyeux,illapressacontreluiàl’étouffer.Pendantunlongmoment,ilrestasansrien
dire,puisilfitunpasenarrièrepourmieuxlavoir:—Tuessûre?—Jevoudraisunecérémonietoutesimple,dit-elleavecnervosité.Aussidiscrètequepossible.—Nousferonstoutcequetuvoudras,dit-ilenprenantsonvisageentresesmains.—Etjevoudrais…Elledétournaleregard,hésitantàcontinuer.—Queveux-tu,agapimou?Dis-moi.Jeferaitoutcequetumedemanderas.—Jen’aipasenviederesterici,dit-elleàvoixbasse.Jevoudraisretournersurl’île.Il sembla se détendre et prit sesmains dans les siennes, dénouant ses doigts crispés pour les
entrelacerauxsiens.—Nouspartironsdèsquenousseronsmariés.—C’est vrai ? dit-elle avec un immense soulagement. Tu nem’en veux pas de te demander
cela?—Tonbonheur est la seule chosequi comptepourmoi.Et ceque tudemandes est si peude
chose.Commentpourrais-jetelerefuser?Noushabiteronssurl’îlepuisquec’estcequetudésires.Jevaism’enoccupertoutdesuite.
***
Chrysanderneperditpasdetempsàpréparerleurmariageet leurdépartpourl’île.Ildéplaçatous ses rendez-vous professionnels et veilla à faire livrer avant leur départ tout ce dontMarleypouvaitavoirbesoin.Ellefutimpressionnéepartoutcequ’ilavaitaccompliensipeudetemps.
Lapolicevoulut l’interroger,etellepassaplusieursheuresépuisantesà leur fournir les raresdétailsdontellesesouvenait.Lesravisseursnel’avaientpasmolestéeetavaientmêmeeudeségards
une fois qu’ils s’étaient rendu comptequ’elle était enceinte. Ils avaient jeté leur dévolu sur elle enraisondesesrelationsavecChrysander,etl’avaientsuiviejusqu’aumomentoùelleétaitsortiesansgardeducorps.Endemandantunerançonpeuélevée,ilsespéraientl’obtenirsansdifficulté.Voyantleurs demandes rester sans réponse, ils avaient renoncé et s’étaient arrangés pour que la police laretrouve.
Commepouradoucirlessombresmomentsqu’ellevenaitdepasseràseremémorerlesdétailssinistresdesonhistoire,Chrysanderfitsonmaximumpourqu’ilssemarientleplusvitepossible,etàsagrandesurpriseMarleyseretrouvalesurlendemainàprononcersesvœuxdevantuneassistanceréduite,oùnesetrouvaitquelesfrèresdel’hommequ’elleaimaitetquelques-unsdeleursrelationslesplusproches.Etsitôtlacérémoniefinie,ilspartirentpourl’aéroport.
Chrysander aurait préféré retarder un jour de plus leur propre départ, mais Marley voulaitretournerauplusvitesurl’îleoùelleavaitétésiheureuse.NewYorkluirappelaittropdemauvaissouvenirs.
Quand l’hélicoptère les déposa enfin sur l’île, quelques heures plus tard, Marley se sentaitépuisée par le voyage, mais infiniment soulagée. Enfin, ils étaient chez eux. Avec un sourire,Chrysanderlapritdanssesbraspourlaporterjusquedanslamaisonetn’acceptadelalâcherqu’unefoisarrivédansleurchambre.Illaposasurlelit,ladéshabillaet,àsongranddépit,luiremontalescouverturesjusqu’aumenton.
Puis il seglissaàcôtéd’elleet secontentade la tenircontre lui, commes’il avaitpeurde latoucher.N’ytenantplus,elleseredressaetrallumalalampe.
—Quesepasse-t-il,Marley?Çanevapas?Elle l’observa unmoment et, voyant combien il semblait crispé et inquiet, elle comprit qu’il
avaitpeur.—Fais-moil’amour,murmura-t-elled’unevoixchargéededésir.Sesyeuxs’assombrirentetsarespirationdevintsaccadée.—J’aibesoinquetumefassesl’amour.—Tuessûredetoi,agapimou?Jeneveuxrient’imposersitun’espasprête.—Jesuissûre.Avecunsoupirquiétaitpresqueuneplainte,illapritdanssesbras,l’embrassantetlacaressant
avecunetendresseinfinie,chaquegesteempreintd’uneretenuequitouchaitàlarévérence.Marley sentit le plaisir l’envahir en vagues successives quand il prit son mamelon dans sa
bouche,entitillantlapointedesalangueetdeseslèvres.Puis,posantunemainprotectricesursonventre,ilcouvritsapoitrineetsoncoudebaisersavantdes’emparerdesabouche.
—S’agapo,glykiamou.S’agapo,murmura-t-ild’unevoixsiémuequ’elleeneutleslarmesauxyeux.
Quandenfinils’allongeasurelle,prenantgardedenepaspeserdetoutsonpoids,ellel’attiracontreelle,voulantsentirsoncorpsduretbrûlant.
—Viens,murmura-t-elle,s’ilteplaît.J’aibesoindetoi.Illapénétralentement,veillantànepasluifairedemal.Maisellenevoulaitpasqu’illatraite
aussi précautionneusement.Elle levoulait tout entier.Se cambrant contre lui, elle noua ses jambesautourdeseshanchesetl’attiraenelle.Unsanglotdedésiretdeplaisirmontadesagorge,etpourunefoissadouleurrefluadanslepassé.Iln’yavaitplusquelemomentprésent,etcethommequ’elleaimait.
Avec lui, elle atteignit des sommets de volupté, encore plus hauts et plus intenses que ceuxqu’elleavaitdéjàconnusentresesbras,etlorsqu’elleenredescenditChrysanderlaserracontreluien
luimurmurant desmots d’amour.Elle se blottit entre ses bras, souhaitant que leurs deux corpsnefassentplusqu’un.Elleavaitbesoindececontact.Besoindelui.
—Nemelaissepasm’éloigner,dit-elletoutbas.—Jamais,agapimou.
***
Marleyseglissahorsdulitetpassaunpeignoir.Chrysanderdormaittoujoursprofondément,lebrasétendudanssadirection,commepourl’étreindre.
Il lui avait fait l’amour toute la nuit, et ils s’étaient endormis juste avant l’aube, épuisés. Soncorpsvibraittoujoursdelasensationdesescaresses,deseslèvressursoncorps,desesmainssursapeau.Ellelecontemplaunmomentetlaissas’épanouirlesourirequinaissaitenelle.Ellenedevaitpluscontinuerà les torturerainsi tousdeux.Aprésent,elleétait sûred’elle.Commeellene l’avaitjamaisété.Elleavaittoujourspeur,maiselleétaitcertainedesonchoix,etelleétaitaussicertainequesespeursdisparaîtraientàleurtour,avecletemps.
Elledescendit lesescaliersensouriantd’avanceauxreprochesqueChrysandernemanqueraitpasdeluiadresser,parcequ’ellenel’avaitpasattendu.Ellefitundétourparlacuisinepours’offrirunpetitpainetunverredejusdefruits,puisellepassadansleséjour,d’oùellepouvaitvoirlamer.
C’estlàqueChrysanderlaretrouva.Ill’enlaçatendrement,plaçantsesmainssousl’arrondidesonventretoutenl’embrassantdanslecou.
—Tut’eslevéedebonneheure,agapimou.—Jeréfléchissais,murmura-t-elle.Elle se retourna dans ses bras et rencontra son regard inquiet. Ils se regardèrent un long
moment,puisChrysanderluidemandad’unevoixtremblante:—Ai-jeunechancequetum’aimesunjour,Marley?Oubienl’ai-jelaisséepasseràjamais?Elleleregardaavecdouceureteutl’impressionquesoncœurs’épanouissait,gonflédetoutson
amourpourlui.—Jet’aimedéjà.Jet’aitoujoursaimé,Chrysander,ajouta-t-elle,émueparsavulnérabilité.Dès
l’instantoùjet’airencontré,j’aisuquetuseraisleseulhommedemavie.—Tum’aimes?répéta-t-ilcommes’iln’osaitlecroire.—Jenepouvaispas te ledireplus tôt.ANewYork, la situationétait tropcompliquée.Tune
m’auraispascruesijetel’avaisditlejouroùtum’asdéclarétessentiments.Jevoulaisrevenirici,oùnousavonsétéheureux.Jevoulaisquenotreviecommenceici.
Ill’enlaçaetlaserracontrelui,tremblantcommeunefeuille.D’unevoixaltéréeparl’émotion,illuimurmuradesmotstendres.Alternantentrelegrecetl’anglais,illuiditcombienill’aimait,etcombienilétaitdésolédetoutlemalqu’illuiavaitfait.
Puis il la prit dans ses bras et l’emporta à l’étage, où il lui fit de nouveau l’amour avec unedouceurpassionnée.Plustard,latenantétroitementpresséecontrelui,illuidéclaraencaressantsescheveux:
—Jet’aimetant,gynaikamou.Jeneméritepastonamour,maisjet’ensuisreconnaissantetjepasserailerestedemavieàlechérir.
— Je t’aime aussi, Chrysander. Je t’aime tant ! Nous serons heureux ensemble. Je te rendraiheureux.
Etc’estcequ’ellefit.
Epilogue
LehasardvoulutqueMarleysoitenpleinmilieudel’escalierlorsqueletravailcommença.Elles’agrippaàlarampe,pliéeendeuxparunecontractionquiluicoupalesouffle.Neluiavait-onpasditquelespremièresdouleursétaientlégères?
Lesdieuxavaientmanifestementdécidédelapunirpouravoirvouludescendrel’escaliersansprévenir Chrysander ! Pendant quelques semaines, quand elle était encore loin du terme, il s’étaitmontréplusconciliantetavaitacceptéqu’ellecirculeseuledanslamaison.Maisdèsqueladatedel’accouchementavaitapproché, ilavaitdenouveauinsistépourqu’ellenedescendejamaisseule.Ilseraitfurieuxquandilapprendraitqu’elleétaitpasséeoutre.
Ellerestaaccrochéeàlarampe,respirantàfondenattendantqueladouleurpasse.Quandelleentendit lespasdeChrysander à l’étage, elle se redressa et fit de sonmieuxpour se composerunvisageserein,envain.Ilapparutbientôtsurlepalieretlaregardad’unairréprobateur.
—Maisquevais-jebienpouvoirfairedetoi,agapimou?demanda-t-ilengrommelant.—M’emmener à l’hôpital ? suggéra-t-elle en sentantunenouvelle contraction lui déchirer le
ventre.—Marley!Letravailacommencé?Sansmême attendre sa réponse, il la souleva de terre et descendit précipitamment l’escalier,
appelantàgrandscris lepilotede l’hélicoptère,qui séjournait sur l’îledepuisdeuxsemainespourpouvoiremmenerMarleyàtoutmoment.
—Net’inquiètepas,machérie,ditChrysander,renonçantpourunefoisaugrec.Nousseronsàl’hôpitalenunriendetemps.
—«Chérie»?dit-elleavecunpetit rirequi se transformaenungémissement. J’aivraimentmal,Chrysander.
Ilpâlitengrimpantdansl’hélicoptèreavecelle.—Jen’acceptequelesmotstendresengrec.C’estbeaucoupplussexy!—Glykiamou,gynaikamou,agapimou,luimurmura-t-ilàl’oreille.Madouce,mafemme,mon
amour.— Beaucoup mieux, dit-elle en souriant, mais son sourire devint une grimace quand
l’hélicoptères’élevadanslesairs.Chrysanderfutcommefoupendanttoutletrajet.Lepiloteseposasurletoitdel’hôpital;des
brancardiers les attendaient et emmenèrent tout de suiteMarley à l’intérieur. Une heure plus tardseulement, Marley donnait naissance à Dimitri Anetakis, pour le plus grand soulagement deChrysander.
— Il est magnifique, agapi mou, murmura-t-il en se penchant vers eux, fasciné, tandis queDimitricommençaitàtéterplacidement.
—Ilestparfait,réponditMarley,émerveillée.Oh,Chrysander,toutesttellementparfait!Ill’embrassaavectendresse,lecœurdébordantd’amour.—S’agapo,gynaikamou.Prenantsonvisageentresesmains,elleluisourit.—S’agapo,Chrysander.Etjet’aimeraitoujours.
TITREORIGINAL:THETYCOON’SPREGNANTMISTRESS
Traductionfrançaise:JOSEEBEGAUD
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©2009,MayaBanks.
©2009,2014,Harlequin.
Levisueldecouvertureestreproduitavecl’autorisationde:
Silhouette:©ROYALTYFREE/SHUTTERSTOCK
Réalisationgraphiquecouverture:DPCOM
Tousdroitsréservés.
ISBN9782280333122
Tousdroitsréservés,ycomprisledroitdereproductiondetoutoupartiedel’ouvrage,sousquelqueformequecesoit.Celivreestpubliéavecl’autorisationdeHARLEQUINBOOKSS.A.Cetteœuvreestuneœuvredefiction.Lesnomspropres,lespersonnages,leslieux,lesintrigues,sontsoitlefruitdel’imaginationde l’auteur, soit utilisés dans le cadre d’uneœuvre de fiction.Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou décédées, des entreprises, desévénementsoudeslieux,seraitunepurecoïncidence.HARLEQUIN,ainsiqueHetlelogoenformedelosange,appartiennentàHarlequinEnterprisesLimitedouàsesfiliales,etsontutiliséspard’autressouslicence.
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