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Votre père travaillait sur une exploitation maraîchère et arboricole d’un hectare. Quelles productions y faisait-il ? Cette petite surface étai-elle suffisante pour faire vivre une famille ? Aviez-vous des frères et sœurs ? J’ai une sœur qui est plus jeune que moi de 9 ans. La surface de l’exploitation maraîchère était de l’ordre d’un hectare et vingt ares. Il s’y ajoutait une parcelle attenante qui était louée. Il y avait une utilisation et valorisation diversifiées de cette sur- face orientée vers les produits les plus demandés à une époque où il n’y avait pas de surproduction et où l’on recher- chait d’abord la qualité. Il y avait des cerisiers et surtout des raisins de table chasselas et muscat de Frontignan ainsi que des fraisiers. Pour le maraîchage, il y avait des asperges, des salades, des radis, des épinards. Je me souviens avoir participé au sarclage de ces plantes, à la cueillette des raisins de table. Il n’était évidemment pas question de produire sur cette peti- te surface des melons ou tomates par exemple largement pro- duits dans le comtat Venaissin, à Cavaillon et Châteaurenard Roger Rouvier,Toulouse, le 26 avril 2005 Roger Rouvier Je suis né le 3 août 1935 dans un mas de la plaine de Beaucaire (département du Gard) chez mes grands-parents paternels où logeaient mes parents. Père était agriculteur avec une petite surface agricole d’un peu plus d’un hectare où il était à la fois maraîcher, arboriculteur et horticulteur. Mère était marchande des quatre saisons au marché de Beaucaire où elle vendait ses produits. La plaine de Beaucaire qui est nommée plus complètement territoire de Beaucaire-Fourques est une unité naturelle formée d’alluvions récentes, basse et uniformément plate, d’une superficie de 25 000 hectares environ. Elle est limitée par le canal de navigation du Rhône à Sète qui part de Beaucaire (c’est le canal du Midi de Sète à Toulouse), du nord-est au sud-ouest, le Rhône à l’est, le Petit Rhône au sud. L’on y trouvait quelques exploitations comme celle de mes parents (et grands-parents paternels) dans sa partie haute le long du canal de navigation, et des exploitations de viticul- ture ou polyculture dans sa partie plus basse. J’ai donc grandi immergé dans ce milieu agricole ainsi que dans celui de Tarascon-sur-Rhône (entre Beaucaire et Tarascon, il y a un pont sur le Rhône et l’on passe du Languedoc à la Provence lorsqu’on le traverse). Tarascon est plus proche de la région de cultures maraîchères spé- cialisées du Comtat Venaissin et de Châteaurenard. J’ai fait mes étu- des primaires d’abord à Tarascon où j’étais chez mes grands-parents maternels (qui habitaient près de l’école) ; ensuite mes parents sont venus habiter à Beaucaire où j’ai fait la dernière année à l’école pri- maire (1946) dans la classe du certificat d’études élémentaires. J’ai su par la suite que mon instituteur avait conseillé à mes parents de m’orienter vers les études secondaires. Cela voulait dire aller au lycée de Nîmes pour y être pensionnaire, puisque la distance de 25 km entre Beaucaire et Nîmes ne se faisait pas facilement et rapide- ment à l’époque. Mes parents m’ont donc posé la question de savoir si je voulais aller au lycée de Nîmes pour poursuivre des études si cela m’intéressait. J’ai répondu oui. Je pense qu’ils auraient insisté si j’avais répondu non, mais je les remercie encore de m’avoir donné ce choix. Nous voilà donc partis avec père, après un lever à 4h30 en début juillet 1946 à bicyclette par un très beau matin pour aller à Nîmes où il fallait se présenter à 7h30 au lycée pour l’examen d’en- trée en 6 ème dont les épreuves commençaient à 8h. Je crois que je n’a- vais pas très bien compris le problème de maths, je devais être impressionné et surtout avoir beaucoup sommeil. Grâce à mon insti- tuteur, j’ai été admis à l’entrée en 6 ème et j’ai opté pour une 6 ème B avec latin (que j’ai gardé jusqu’en 1 ère ) et anglais comme première langue vivante. Donc, j’ai fait mes études secondaires au lycée de garçons de Nîmes qui est situé près des arènes romaines. En 1952, j’ai passé le premier bac. En juillet 1953, j’ai passé le bac math élem. et en sep- tembre le bac philo, parce que la philo m’intéressait beaucoup. À l’is- sue du bac math élem., je me suis orienté vers une prépa Agro. Pourquoi ? L’agriculture m’intéressait bien sûr et j’étais issu d’un milieu rural mais d’autres facteurs ont joué dans cette orientation : j’ai un ami avec qui j’ai été dans les mêmes classes de la 6 ème à la terminale, avec lequel nous travaillions ensemble au lycée, son père était ingé- nieur des Eaux et Forêts. Ses parents (sa mère était professeur de biologie) m’avaient invité chez eux pour des randonnées à la maison fores- tière. J’avais donc entendu parler de l’Institut national agronomique (INA) Paris dont l’École des Eaux et Forêts de Nancy était une école d’ap- plication ; cet ami s’est orienté en prépa Agro. Nous voici donc tous les deux en prépa Agro dans la fume Rabelais du petit lycée (qui a pré- cédé le lycée Joffre) de Montpellier. Pour la deuxième année de prépa, je suis allé au lycée Henri IV à Paris parce qu’il se disait qu’en pré- parant dans un lycée parisien on avait plus de chances de réussir le concours d’entrée. Je pense qu’en fait les chances étaient égales par- tout et qu’il suffisait de travailler beaucoup pour réussir. Le lycée de Montpellier était très bon et les professeurs faisaient beaucoup tra- vailler les élèves. Mais j’avais fait une demande et un dossier pour aller au lycée Henri IV et celle-ci avait été acceptée. J’ai donc dû aller faire ma deuxième année de prépa au lycée Henri IV dont je garde aussi un bon souvenir des camarades et des professeurs. J’ai intégré l’INA Paris, à l’issue de ma deuxième année de prépa, en octobre 1955. 211 5 ème conférence internationale de Biométrie. Cambridge, 1963. Photo : ©INRA

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Votre père travaillait sur une exploitation maraîchère et arboricole d’un hectare. Quelles productions y faisait-il ?Cette petite surface étai-elle suffisante pour faire vivre une famille ? Aviez-vous des frères et sœurs ?

J’ai une sœur qui est plus jeune que moi de 9 ans. La surfacede l’exploitation maraîchère était de l’ordre d’un hectare etvingt ares. Il s’y ajoutait une parcelle attenante qui était louée.Il y avait une utilisation et valorisation diversifiées de cette sur-face orientée vers les produits les plus demandés à une

époque où il n’y avait pas de surproduction et où l’on recher-chait d’abord la qualité. Il y avait des cerisiers et surtout desraisins de table chasselas et muscat de Frontignan ainsi quedes fraisiers. Pour le maraîchage, il y avait des asperges, dessalades, des radis, des épinards. Je me souviens avoir participéau sarclage de ces plantes, à la cueillette des raisins de table.Il n’était évidemment pas question de produire sur cette peti-te surface des melons ou tomates par exemple largement pro-duits dans le comtat Venaissin, à Cavaillon et Châteaurenard

Roger Rouvier, Toulouse, le 26 avril 2005 �

Roger RouvierJe suis né le 3 août 1935 dans un mas de la plaine de Beaucaire (département du Gard) chez mes grands-parents paternels où logeaient mes

parents. Père était agriculteur avec une petite surface agricole d’un peu plus d’un hectare où il était à la fois maraîcher, arboriculteur et

horticulteur. Mère était marchande des quatre saisons au marché de Beaucaire où elle vendait ses produits. La plaine de Beaucaire qui est

nommée plus complètement territoire de Beaucaire-Fourques est une unité naturelle formée d’alluvions récentes, basse et uniformément

plate, d’une superficie de 25 000 hectares environ. Elle est limitée par le canal de navigation du Rhône à Sète qui part de Beaucaire (c’est le

canal du Midi de Sète à Toulouse), du nord-est au sud-ouest, le Rhône à l’est, le Petit Rhône au sud. L’on y trouvait quelques exploitations

comme celle de mes parents (et grands-parents paternels) dans sa partie haute le long du canal de navigation, et des exploitations de viticul-

ture ou polyculture dans sa partie plus basse. J’ai donc grandi immergé dans ce milieu agricole ainsi que dans celui de Tarascon-sur-Rhône

(entre Beaucaire et Tarascon, il y a un pont sur le Rhône et l’on passe du Languedoc à la Provence lorsqu’on le traverse).

Tarascon est plus proche de la région de cultures maraîchères spé-

cialisées du Comtat Venaissin et de Châteaurenard. J’ai fait mes étu-

des primaires d’abord à Tarascon où j’étais chez mes grands-parents

maternels (qui habitaient près de l’école) ; ensuite mes parents sont

venus habiter à Beaucaire où j’ai fait la dernière année à l’école pri-

maire (1946) dans la classe du certificat d’études élémentaires. J’ai

su par la suite que mon instituteur avait conseillé à mes parents de

m’orienter vers les études secondaires. Cela voulait dire aller au

lycée de Nîmes pour y être pensionnaire, puisque la distance de 25

km entre Beaucaire et Nîmes ne se faisait pas facilement et rapide-

ment à l’époque. Mes parents m’ont donc posé la question de savoir

si je voulais aller au lycée de Nîmes pour poursuivre des études si

cela m’intéressait. J’ai répondu oui. Je pense qu’ils auraient insisté

si j’avais répondu non, mais je les remercie encore de m’avoir donné

ce choix. Nous voilà donc partis avec père, après un lever à 4h30 en

début juillet 1946 à bicyclette par un très beau matin pour aller à

Nîmes où il fallait se présenter à 7h30 au lycée pour l’examen d’en-

trée en 6ème dont les épreuves commençaient à 8h. Je crois que je n’a-

vais pas très bien compris le problème de maths, je devais être

impressionné et surtout avoir beaucoup sommeil. Grâce à mon insti-

tuteur, j’ai été admis à l’entrée en 6ème et j’ai opté pour une 6ème B avec

latin (que j’ai gardé jusqu’en 1ère) et anglais comme première langue

vivante. Donc, j’ai fait mes études secondaires au lycée de garçons de

Nîmes qui est situé près des arènes romaines. En 1952, j’ai passé le

premier bac. En juillet 1953, j’ai passé le bac math élem. et en sep-

tembre le bac philo, parce que la philo m’intéressait beaucoup. À l’is-

sue du bac math élem., je me suis orienté vers une prépa Agro.

Pourquoi ? L’agriculture m’intéressait bien sûr et j’étais issu d’un milieu rural mais d’autres facteurs ont joué dans cette orientation : j’ai un

ami avec qui j’ai été dans les mêmes classes de la 6ème à la terminale, avec lequel nous travaillions ensemble au lycée, son père était ingé-

nieur des Eaux et Forêts. Ses parents (sa mère était professeur de biologie) m’avaient invité chez eux pour des randonnées à la maison fores-

tière. J’avais donc entendu parler de l’Institut national agronomique (INA) Paris dont l’École des Eaux et Forêts de Nancy était une école d’ap-

plication ; cet ami s’est orienté en prépa Agro. Nous voici donc tous les deux en prépa Agro dans la fume Rabelais du petit lycée (qui a pré-

cédé le lycée Joffre) de Montpellier. Pour la deuxième année de prépa, je suis allé au lycée Henri IV à Paris parce qu’il se disait qu’en pré-

parant dans un lycée parisien on avait plus de chances de réussir le concours d’entrée. Je pense qu’en fait les chances étaient égales par-

tout et qu’il suffisait de travailler beaucoup pour réussir. Le lycée de Montpellier était très bon et les professeurs faisaient beaucoup tra-

vailler les élèves. Mais j’avais fait une demande et un dossier pour aller au lycée Henri IV et celle-ci avait été acceptée. J’ai donc dû aller

faire ma deuxième année de prépa au lycée Henri IV dont je garde aussi un bon souvenir des camarades et des professeurs. J’ai intégré l’INA

Paris, à l’issue de ma deuxième année de prépa, en octobre 1955.

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5ème conférence internationale de Biométrie. Cambridge, 1963.

Photo :©INRA

Propos recueillis par B. Desbrosses et Ch. Galant

qui étaient tout proches. Mes parents avaient aussi entreprisdes cultures florales comme les œillets au printemps, les chry-santhèmes pour l’automne qui nécessitaient une culture parti-culière de façon à fleurir exactement pour la Toussaint. Toutesces cultures exigeantes en temps de travail nécessitaient éga-lement beaucoup de soins et de patience. J’ai beaucoup apprisà ce contact. Il n’était pas fait appel à de la main-d’œuvre sala-riée pour certaines opérations de récolte. Mes parents faisaienttout eux-mêmes, dans de longues journées de travail. L’objectifétait d’approvisionner un marché local par une vente directesur le marché de Beaucaire, à la différence des maraîchersayant des surfaces plus grandes à proximité de Tarascon, les-quels travaillaient sur d’autres produits destinés à être expé-diés sur les marchés des grandes villes notamment Paris. Maisle revenu restait très modeste et sans les bourses de lycéen etd’étudiant auxquelles j’ai eu droit, je n’aurais sans doute paspu faire les études secondaires ni supérieures qui nécessitaientque je sois pensionnaire.Ma sœur n’a pas fait d’études secondaires. Elle est restée avecmes parents et les a aidés puis elle s’est mariée et a fondé unefamille.

Vous avez passé le bac philo. N’avez-vous pas eu envie depoursuivre des études dans cette discipline ?

Ma copie du bac philo a été lue devant le jury. C’était un sujetdevenu depuis récurrent autour de “Peut-on dire que l’Hommeest libre ?”. D’une part, j’avais eu des professeurs de françaisdepuis la seconde puis de philo en terminale dont l’enseigne-ment m’avait beaucoup intéressé. Ce qui me passionnait dansune dissertation de français ou de philo, c’était le raisonne-ment logique qu’il fallait développer à partir d’une synthèse deconnaissances des auteurs pour répondre au sujet posé sui-vant le raisonnement dialectique classique thèse, antithèse etsynthèse. C’était pour moi un jeu intellectuel auquel je m’ap-pliquais, comme à un devoir de maths. Mais ce n’était pas aupoint d’envisager d’en faire mon métier et j’ai choisi une autrevoie. Il m’en est resté le goût de bien rédiger.

Avez-vous passé d’autres concours à la suite de la prépa ?

J’avais présenté deux concours, celui de l’INA Paris et celui del’École des industries agroalimentaires qui était à Douai (cetteécole est maintenant à Massy-Palaiseau). Bien que Douai soitréputé et que j’y aie été reçu dans un bon rang, j’ai choisi sanshésiter d’entrer à l’INA Paris.

Quels sont vos souvenirs de vos années d’études à l’Agro ?Avez-vous été marqué par certains professeurs ?

Ils sont très bons. Nous étions logés à la Cité universitaire, bou-levard Jourdan, au pavillon de l’Agro, en chambres pour deuxen première année puis individuelles pour les deux années sui-vantes. Il fallait aller au 16 de la rue Claude Bernard pour sui-vre les cours qui commençaient à 8 heures. Cela prenait 10 mnen bus ou à bicyclette et 20 mn à pied.Il y avait des cours aussi l’après-midi et des TP de chimie quipouvaient durer toute la journée et jusqu’à 19h ou plus lors-qu’il fallait déterminer la composition quantitative et qualitati-

ve d’un mélange. On allait chercher pour le déjeuner un sand-wich dans la rue Mouffetard toute proche. J’ai un très bon sou-venir de l’ambiance avec les camarades des différentes prépasd’origine arrivant à se mélanger avec le temps, des profes-seurs, des excursions sur le terrain pour aller “agronomier” etdes voyages d’études qui intervenaient en 3ème année, annéede spécialisation.La plupart des professeurs m’ont marqué par leur personnali-té et la qualité de leur enseignement, que ce soit en physio ani-male ou végétale, sciences du sol, chimie organique, biochimievégétale, microbiologie, statistiques mathématiques appli-quées à l’expérimentation agricole (André Vessereau), indus-tries agro-alimentaires (Jean Keilling)... et bien sûr en agricul-ture et élevage, spécialisation que j’ai choisie pour la 3ème

année. C’est un point fort de cette formation sur les sciencesdu vivant et de la nature qui donne une culture vaste que j’ap-précie encore aujourd’hui.En agriculture, j’ai bénéficié du cours de René Dumont, profes-seur d’agriculture comparée. Cet agronome d’exception qui amarqué son temps, nous enseignait l’étude comparée desexploitations agricoles. Le cours se présentait plutôt sous for-me de conférences qu’il donnait parfois en venant de l’aéro-port où il venait d’arriver d’un de ses voyages. En agriculturetoujours, les professeurs Cyril-Etienne Riedel et Michel Delpechet leurs assistants étaient de très bons enseignants dont je mesouviens. C’est la zootechnie qui m’a sans doute le plus mar-qué. J’ai eu les cours de zootechnie spéciale du professeurAndré Leroy qui fut un précurseur fondateur de la zootechnie(mise en place du premier contrôle laitier en France avant laDeuxième Guerre mondiale). Julien Coléou a pris la suite etdéveloppé la chaire moderne des sciences animales à l’Agro.Jacques Delage donnait le premier cours de sélection animaleen France et Pierre Charlet qui donnait le cours de zootechnieétait passionnant (et impressionnant) par sa connaissance desraces animales et des reproducteurs individuels. Cet enseigne-ment passait très bien aussi du fait des excursions remarqua-blement bien organisées dans plusieurs régions agricoles deFrance.

C’est ce qui a déterminé votre choix de la génétique animale ?

Cela a au moins prédéterminé. Mon stage de fin de 1ère annéed’Agro pendant l’été chez François Lange dans le Pays de Cauxqui sélectionnait la race normande, et l’intervention auprès desélèves de l’Agro de Raymond Février, directeur de la station d’élevage au centre national de recherches zootechniques(CNRZ) à Jouy-en-Josas ont ensuite été déterminants. Il y a éga-lement eu les circonstances. En effet, j’aurais pu aussi m’orien-ter vers l’agriculture ou l’horticulture, compte tenu de mon envi-ronnement initial, mais cela ne m’a pas effleuré la pensée. Entrele 17 juillet et le 8 septembre 1957, à l’issue de la deuxièmeannée d’Agro, j’avais pu participer à un voyage d’étude de 34élèves de ma promotion aux États-Unis et au Canada et j’avaispris un stage pratique de quelques jours dans une grandeexploitation maraîchère (85 hectares) du Québec. Au retour,comme il fallait faire aussi un stage de 2ème année assez com-plet, j’avais fait un stage pratique dans une exploitation agrico-le de polyculture chez Francis Laurent, ingénieur agronome del’INA dans la plaine de Beaucaire. Mon rapport de stage mon-tre que ce que l’on appellerait aujourd’hui agriculture durable

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se pratiquait en fait à l’époque et de façon rentable : contrôledes parasites des cultures par les assolements, rotation des cul-tures, façons culturales, maîtrise de la fertilité des sols et de l’hu-mus par les engrais verts, les cultures de légumineuses, utilisa-tion raisonnée des engrais chimiques.Le cours de Jacques Delage en génétique et sélection animaleétait nouveau et essayait, pour expliquer les index de sélection,de se dégager de la théorie des coefficients de piste (“pathcoefficients”) qui historiquement avait été développée parSewal Wright et utilisée jusqu’à la fin des années 50 pourexpliquer les covariances génétiques entre apparentés et éta-blir les index de sélection génétique. Quand à l’héritabilité d’uncaractère, elle était bien introduite comme le coefficient derégression linéaire du génotype sur le phénotype. Cela m’étaitapparu intéressant mais c’était une introduction. Je pensaisqu’il faudrait développer les bases pour pouvoir l’appliquer àdes situations plus générales. Le cours de Jacques Delage engénétique et sélection animale joint à celui de Henri Heslot engénétique des populations m’avait donné envie de chercher àen connaître plus. L’élevage n’est pas développé dans la plai-ne de Beaucaire, sauf quelques bergeries de moutons mérinosd’Arles qui hivernent en stabulation dans la plaine et transhu-ment en montagne dans les Alpes pendant l’été. J’étais curieuxde connaître autre chose que ce que je connaissais déjà unpeu. Cette curiosité me poussait donc à rechercher un stagepratique en exploitation -en fin de première année- qui soitdans une exploitation d’élevage. Les circonstances favorablesont fait que je rencontre François Lange qui exposait desbovins reproducteurs de race Normande au concours généralagricole de Paris et qui a été d’accord pour me prendre enstage en juillet-août 1956. Il était un sélectionneur importantde bovins laitiers de race Normande. Il conduisait un troupeaud’une centaine de vaches normandes toutes traites et soumi-ses au contrôle laitier sur une grande exploitation herbagèrede prairies naturelles. Il gardait des taureaux en vue de leur uti-lisation en reproduction qui était en monte naturelle et aussien insémination artificielle. Toute la production de lait étaittransformée en beurre sur l’exploitation. Comme je faisais unstage pratique, je participais à toutes les opérations de l’éleva-ge et de l’exploitation agricole avec les ouvriers agricoles quiétaient nombreux (plus d’une vingtaine). Pendant les soirées,François Lange m’expliquait le fonctionnement de l’exploita-tion, les objectifs de sa sélection et comment il la pratiquait.Cela m’avait beaucoup plu et c’est peut-être pour cela aussique je me suis intéressé a l’élevage. L’INRA offrait des postesd’agent contractuel scientifique (ACS) et M. Raymond Févriervenait dans un amphi parler de l’INRA et de ce que l’on pou-vait y faire comme recherches, et dans le fond il cherchait descandidats. Ceux qui étaient intéressés étaient ensuite invités àune visite sympathique. C’est ainsi qu’avec deux camarades depromo qui sont entrés à l’INRA en élevage nous avons visitéavec quelques chercheurs qui étaient déjà à l’INRA au CNRZ,le Haras du Pin en Normandie où l’on nous avait offert unexcellent repas dans une auberge normande.

C’est ainsi que vous êtes entré à l’INRA ?

J’y suis rentré comme agent contractuel scientifique (ACS) enoctobre 1957, recruté par monsieur Jean Bustarret. J’ai donc

choisi la session “agriculture élevage” pour ma troisièmeannée d’Agro. J’ai fait le stage de troisième année d’agro aulaboratoire de Jacques Poly qui était encore à l’Agro à cemoment-là, avec Bertrand Vissac qui m’avait demandé de faireune étude bibliographique sur la génétique des bovins viande(étude que nous devions faire ensemble avec un camarade depromotion, Yves Renou qui était entré à l’INRA au CNRZ aulaboratoire d’étude de la viande de Bernard-Louis Dumont).

Et après, vous avez été recruté à Jouy ?

Entre la fin de ma 3ème année d’Agro en juillet 1958 et mondépart au service national en novembre 1958, j’ai passé deuxà trois mois au CNRZ à Jouy-en-Josas dans l’équipe de géné-tique (puisque j’avais déjà opté pour la génétique animale) dePaul Auriol où j’ai été très bien accueilli. Paul Auriol travaillaitsur les vaches laitières du rameau Pie rouge de l’est dans leJura où je suis allé en déplacement avec lui pendant un week-end à l’occasion d’un concours de bovins reproducteurs. Il m’afait connaître les activités de son équipe. J’étais dans le bureauoù Erwin Knoertzer (entré à l’INA Paris en 1951) était orientésur les recherches porcines. Après avoir résilié mon sursis d’in-corporation, j’ai été appelé sous les drapeaux au mois denovembre ; ayant fait une préparation militaire élémentaire airquand j’étais à Montpellier et la préparation militaire supérieu-re quand j’étais à l’Agro, j’avais demandé à être affecté dansl’armée de l’air ce qui fut accepté. J’ai donc été incorporé àl’EOR de l’armée de l’air qui se trouvait sur la base deCarpiquet à Caen. Après 3 mois, il y avait un amphi situ pourle choix d’une spécialité. Ma candidature au Centre d’étude etd’instruction psychologique de l’armée de l’air (CEIPAA) àVersailles a été retenue par le commandant de ce Centre quiétait venu pour s’entretenir avec les candidats (il y en avait unecinquantaine pour un seul poste).Au début de l’entretien, ce commandant m’a posé la question :Pourquoi voulez-vous faire cela ? Lorsque j’avais commencéma réponse en déclarant : Je suis ingénieur agronome et j’ai-me étudier la variabilité... ce commandant qui avait déjà eu un

Roger Rouvier, Toulouse, le 26 avril 2005 �

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Voyage d’études (groupe de la promotion INA P55) au Canada, 1957.

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INRA

Propos recueillis par B. Desbrosses et Ch. Galant

Agro dans son service m’a dit immédiatement : Vous êtesAgro, je vous prends. Le CEIPAA qui était installé dans les“petites écuries” de Versailles, dans un bâtiment classé monu-ment historique, était chargé d’établir des questionnaires àfaire passer aux appelés (de façon anonyme) pour connaîtreleurs motivations vis-à-vis de l’armée. Je m’y suis trouvé encontact avec d’autres ingénieurs d’autres grandes écoles. Lesquestionnaires étaient construits suivant des méthodes mathé-matiques ; ce qui conduisait à des interprétations des réponsessuivant des méthodes statistiques et informatiques. Le servicetravaillait sur l’utilisation de méthodes de la statistique mathé-matique et l’analyse factorielle dont les applications étaient àleur tout début en France et l’on m’avait demandé des étudesde méthodes d’analyse statistique. Je ne m’occupais pas de l’établissement de ces questionnaires. On m’avait demandénotamment de chercher des équations permettant de prédirela réussite ou l’échec au lâcher des élèves pilotes de l’école depilotage de Marrakech. Cela devait me conduire à chercher ducôté des analyses de variance et de régression. J’avais déjà unintérêt pour les études des méthodes statistiques qui étaientjuste au début du développement de leurs applications enFrance à l’époque et je voulais me former aussi pour les recher-ches que j’aurais à conduire à l’INRA. Je me suis donc inscrit àl’Institut de statistiques de l’université de Paris (ISUP) cycle long(deux années d’étude) dont j’ai obtenu le diplôme de statisti-cien en juillet 1961. Cette formation de base en statistiquesmathématiques m’a été très utile à l’INRA où je suis revenu àJouy-en-Josas au mois de février 1961. Paul Auriol m’a alorsconduit chez Raymond Février pour connaître mon affectation.

Vous revenez à Jouy en février 1961 et vous rencontrez monsieur Raymond Février pour choisir votre point de chute.Quelles étaient les possibilités qui vous étaient offertes à ce moment-là ?

Déjà, j’avais indiqué que j’étais intéressé par la génétique ani-male. Donc, je venais voir Raymond Février, sachant que jeserais en génétique animale.

Pourquoi la génétique animale, plutôt que l’élevage par exemple ?

J’avais compris, à la suite de l’enseignement reçu à l’Agro, auxstages que j’avais faits et à mon court séjour au CNRZ en 1958,que c’était un domaine de recherche finalisé très nouveau quidevait se développer et qu’il faudrait y appliquer des méthodesde génétique quantitative elles-mêmes à développer, ce quim’intéressait. Il y avait aussi le rapport de stage que j’avais faiten troisième année d’Agro sur la génétique des bovins viande.Maintenant sur quelle espèce ? Raymond Février me dit :Est-ce que les bovins viande vous intéresseraient ? J’ai répon-du oui, cela me paraissant nouveau, intéressant et économi-quement important. Raymond Février m’a alors immédiate-ment répondu : Vous allez travailler avec Bertrand Vissac sur lesbovins viande. Bertrand Vissac travaillait dans l’équipe deJacques Poly, rue de l’Estrapade à Paris, et donc il a fallu quej’aille à Paris. Cela ne m’arrangeait pas d’aller travailler à Paris,

j’aurais préféré aller à Jouy-en-Josas. Il y avait la question dulogement, surtout que le salaire de l’INRA n’était pas très élevé.Avec mon épouse (nous nous sommes mariés en 1959 et notrepremière fille est née en 1961, la deuxième en 1971 après ladécentralisation à Toulouse), nous avions un petit logement àViroflay qui était près de Versailles et de Jouy. À partir de sep-tembre 1961, nous avions loué en co-location grâce à de jeu-nes collègues et amis du CNRZ une grande maison ancienne àChaville-Velizy, sur une commune très proche de celle de Jouy-en-Josas. Il y avait un car de ramassage. Il était aussi possiblede faire le trajet à pied ou à bicyclette malgré une côte pourmonter sur le plateau de Villacoublay (comme l’a fait PhilippeMérat, chercheur en génétique avicole, qui était pour moi unjeune “ancien” qui avait fait l’ISUP).Vous me demandez combien je touchais, c’était de l’ordre de600 F par mois au début c’est-à-dire un peu moins qu’au ser-vice militaire où j’étais sous-lieutenant, et mon loyer s’élevait à280 F par mois.J’aurais préféré aller à Jouy qui était plus près du lieu où noushabitions, et qui était à la campagne, plutôt qu’à Paris rue del’Estrapade. Il y avait là la station centrale de génétique anima-le dont Jacques Poly était le directeur.À mon arrivée, son équipe de scientifiques était constituée parMarcel Poutous, Jean-Jacques Lauvergne, Michel Gillois,Bertrand Vissac. Elle s’est étoffée rapidement avec l’arrivéenotamment d’ingénieurs et techniciens lorsque le matérielinformatique a été mis en place dans le courant de l’année1961. Marcel Poutous s’occupait de la sélection des bovins laitet donc de l’établissement des index de sélection des taureauxde race laitière mis en testage sur la production laitière de leursfilles, ce qui était très important pour les centres d’inséminationartificielle. En effet, les livres généalogiques et les centres d’insémination artificielle s’intéressant au testage laitieravaient demandé à la station de génétique une méthode d’utilisation des résultats du contrôle laitier pour classer lesreproducteurs mâles d’après les performances laitières de leursfilles. Il en est sorti la méthode de calcul d’index de productionlaitière qui était la méthode de comparaison aux contemporai-nes, méthode de référence jusqu’à l’avènement du Best LinearUnbiased Predictor (BLUP) développé par Charles Henderson àpartir des années 75. Michel Gillois, de formation universitaire,s’était orienté vers la génétique des populations animales. Enutilisant, comme Georges Malecot qui avait publié en 1948 LesMathématiques de l’hérédité et qui donnait un cours à l’ISUP,le raisonnement probabiliste, Michel Gillois conduisait des tra-vaux théoriques qui ont abouti à sa thèse de doctorat sur larelation d’identité en génétique (1964). Ces travaux ont permisde généraliser les notions de coefficient de parenté et deconsanguinité en considérant simultanément les 4 gènes situésaux 4 loci homologues de deux individus consanguins et appa-rentés quelconques. Il s’est orienté ensuite vers la génétiquecellulaire. Jean-Jacques Lauvergne conduisait des travaux sur lagénétique de la coloration du pelage principalement chez lesovins. Ces travaux précurseurs à l’époque (comme tous les tra-vaux de l’équipe) se sont généralisés et développés de nosjours par la recherche des bases de génétique moléculaire dela coloration. Bertrand Vissac s’était orienté sur la génétique etsélection des bovins viande. Ensuite Jean-Claude Flamant estarrivé dans cette équipe pour travailler sur les ovins lait.Jacques Poly développait son équipe aussi avec des chercheurs

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de formation universitaire en biologie (Arturo Peramon,Françoise Hulot et Jacques Ouhayoun). Il disait aux jeunes cher-cheurs qu’il fallait d’abord acquérir une solide formationméthodologique, il donnait des orientations justes et cet envi-ronnement de recherche était favorable à une orientationméthodologique. Dans son équipe, il y avait Mme Tassencourtqui venait du laboratoire du professeur Georges Teissier où elleavait contribué aux études sur l’allométrie de croissance et àcelles utilisant l’analyse en composantes principales. JacquesPoly avait établi des relations scientifiques avec le professeurAlan Robertson du département de Génétique de l’universitéd’Edinburgh qui maîtrisait les nouveaux concepts de la géné-tique quantitative et les expériences de sélection sur animauxde laboratoire. La première édition du livre fameux de D.S.Falconer qui était dans ce département, Introduction to quan-titative genetics est datée de 1960. C’est un best-seller de lagénétique quantitative qui a été réactualisé plusieurs fois, jus-qu’à l’introduction de la notion de Quantitative Trait Locus(QTL), c’est-à-dire de locus ayant un effet sur les caractèresquantitatifs, dans la quatrième édition de 1996. Ces relationsscientifiques se sont ensuite étendues à l’organisation de sémi-naires avec l’Animal Breeding Research Organisation (ABRO)qui était à Edimbourg en Écosse. À Paris, Jacques Poly avaitdéveloppé les relations avec l’université et notamment avec leprofesseur Teissier qui a créé le premier DEA de génétiquequantitative en France ; ce qui a permis la formation à cette dis-cipline de nombreux chercheurs d’organismes publics derecherche et d’ingénieurs généticiens des firmes de sélection.Ce DEA unique en France, a ensuite continué avec les direc-tions des professeurs Maxime Lamotte puis Jean Genermond.Après ma thèse de 1969, j’ai été appelé à y enseigner, avec lacollaboration d’Yvette Dattée, les méthodes de sélection et desbases de génétique quantitative, de 1969 à 1975 et de 1980à 1985 et j’ai ainsi contribué à former plusieurs chercheurs.Il était prévu que cette équipe aille s’installer à Jouy, mais il yavait un problème de locaux. J’ai été un des premiers à aller àJouy, où j’ai retrouvé quelques collègues généticiens au dernierétage du château. Ensuite, un bâtiment préfabriqué a été cons-truit où s’est installée, en 1963 je crois, toute la génétique ani-male, les généticiens avicoles restant à la station de recherchesavicoles dirigée par René Péro, station qui existait depuis l’im-plantation du CNRZ à Jouy-en-Josas.

Revenons aux thématiques concernant les bovins viande.Les études d’amélioration génétique des bovins viande enétaient à leur tout début ; les responsables Jacques Poly etBertrand Vissac en étaient au stade préliminaire très importantde la réflexion sur les plans d’amélioration génétique à propo-ser pour le futur. Bertrand Vissac m’avait proposé d’analyser lavariabilité phénotypique de plusieurs caractères de conforma-tion mesurés sur chaque animal et de trouver des expressionsmathématiques de la croissance et de la morphologie corpo-relle des animaux ; il s’agissait d’étudier des méthodes pourl’amélioration de la production de viande des bovins des racesallaitantes. Comme nous allons le voir, c’était un besoin, maisles données individuelles qu’il aurait fallu utiliser pour l’analy-se de la variabilité génétique étaient encore inexistantes. Nousavons eu la loi sur l’élevage mais en décembre 1966 et noussommes en 1961.

Nous sommes donc plusieurs années avant le vote de cette loi.

L’objectif de l’équipe de Jacques Poly était de travailler en liai-son avec les éleveurs de façon à ce qu’ils développent un sys-tème de contrôles de performances en ferme d’animaux iden-tifiés individuellement dont on connaîtrait donc les performan-ces individuelles et les généalogies. Cela est nécessaire pourles analyses de la variabilité génétique et la sélection. Ce tra-vail d’identification, de mesure et d’enregistrement des perfor-mances individuelles était nouveau. Cela devait permettre defaire la sélection sur les performances et non uniquement surles standards de race. Il a été la base de la sélection françaisedes animaux de ferme dont les résultats placent la France à unhaut niveau international pour la génétique animale. L’amé-lioration génétique des animaux de ferme était envisagéecomme une action collective. Les contrôles individuels enferme allaient être complétés par des contrôles individuels et(suivant le caractère) sur descendance en station. Pour la sélec-tion des taureaux de races laitières, le testage en ferme de cestaureaux sur les performances laitières de leurs filles allait sedévelopper. C’était l’époque où se préparait la loi sur l’élevagequi est due essentiellement au génie de Jacques Poly qui a ren-contré Edgar Faure, tous deux étant jurassiens. Le contrôle lai-tier existait déjà. Pour les bovins viande, les syndicats d’éle-veurs développaient les contrôles de performances bouchères,pesaient les animaux à des périodes successives pour étudierla croissance et prenaient des mensurations corporelles pourdéfinir la conformation et étudier la morphologie. Une dizainede mensurations corporelles (la longueur totale, la hauteur augarrot, la hauteur de poitrine, la largeur de poitrine, la largeuraux hanches, la largeur aux trochanters, la longueur du bassin,le tour de poitrine, le tour spiral, le tour du canon) pouvaientêtre prises pour définir les variations de morphologie corporel-le et les relations avec les rendements en morceaux de la car-casse ou le développement musculaire. On s’intéressait aussiau rapport viande/os des carcasses, et déjà aux variations de la composition anatomique. Il était fait appel à l’INRA pour l’analyse et l’utilisation des résultats.

Comment étaient choisies les exploitations sur lesquelles vous faisiez ces mesures ?

Bertrand Vissac s’en occupait en relation avec la Fédérationnationale des organismes de contrôle de performances desanimaux de boucherie (FNOCPAB) créée en 1960 et quiregroupait les syndicats d’éleveurs. Un syndicat de contrôle desperformances des bovins Limousins avait été créé à Limogesen janvier 1959.

Était-ce essentiellement chez les sélectionneurs ?

C’était des éleveurs d’un syndicat de contrôle de performancesqui utilisaient les résultats pour un appui technique et pour lasélection de reproducteurs. À partir des années 70, les résul-tats ont aussi été utilisés pour une sélection à l’échelon collec-tif par les centres d’insémination artificielle. C’était basé sur levolontariat. Cependant les mensurations corporelles externesétaient prises dans un but expérimental au début des années60. À la fin des années 50, les chercheurs avaient été sollicités

Roger Rouvier, Toulouse, le 26 avril 2005 �

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Propos recueillis par B. Desbrosses et Ch. Galant

pour établir des formules de barymétrie permettant d’estimerle poids vif par une formule de régression du logarithme dupoids vif sur le logarithme du tour de poitrine.

Les éleveurs étaient-ils coopératifs ?

Oui, ils étaient coopératifs. Avec un ou deux techniciens de l’équipe nous arrivions dans les élevages et nous prenions lesmensurations corporelles des animaux. Le syndicat Limousinétait intéressé par 10 mensurations corporelles sur des ani-maux identifiés individuellement pour le contrôle de la confor-mation et du développement corporel. Ensuite, il fallait analy-ser ces données. Du fait de ma formation sur les méthodes d’a-nalyse à plusieurs variables considérées simultanément,comme l’analyse factorielle, j’avais été chargé de développerles méthodes pour ces analyses. Il s’agissait d’analyser la varia-bilité phénotypique conjointe de plusieurs caractères mesuréssur chaque animal qui étaient en corrélation pour exprimer etétudier la variabilité morphologique. L’analyse factorielle quej’ai développée dans un premier temps permettait de considé-rer les caractères tous ensemble et non plus deux à deux seu-lement, de dégager un facteur général qui exprimait la taillegénérale ou format des animaux, des facteurs de groupe et desfacteurs spécifiques. J’avais aussi à analyser des résultats dedécoupe des carcasses. Un objectif était de définir la confor-mation des animaux et d’étudier les relations avec la produc-tion de viande.

Et vous alliez dans quelles régions ?

Je suis allé de nombreuses fois dans le Limousin.

Il y en avait d’autres dans le Charolais ?

Il y en avait également dans le Charolais et nous avons prisaussi des mensurations corporelles sur des bovins Charolais.Sur le Charolais, les chercheurs étudiaient, déjà, le caractèreculard des bovins.

Ces études ne s’appuyaient pas sur des données recueilliesdans des domaines expérimentaux ?

Il n’y avait pas encore de domaines expérimentaux en bovins.La station de testage porcine au CNRZ fonctionnait déjà. Il yavait quelques vaches expérimentales culardes et quelquesbovins expérimentaux au domaine INRA de La Minière. Ledomaine expérimental pluri espèces de la génétique qui estcelui de Bourges, a démarré en 1963 avec une expérimenta-tion pour améliorer la prolificité des ovins par croisement desbrebis Berrichonnes du Cher avec une race très prolifique, laRomanov. L’implantation du domaine expérimental de LaVerrerie à Carmaux pour créer une lignée mâle cularde pour lecroisement terminal (qui s’appellera INRA 95 en 1971) a étéfaite à partir de 1965. Ces choix de recherches expérimentalesont été faits suivant les orientations de Jacques Poly, dans lesannées 1961-1962.Donc, ces études visaient à connaître les performances desanimaux et des races pour préparer les programmes expéri-mentaux futurs ainsi que les dispositifs pour la sélection que laloi sur l’élevage a ensuite prévus. Auparavant, des outils,

comme l’outil informatique, devaient être mis en place pourpouvoir analyser un grand nombre de données de performan-ces d’animaux de généalogies connues. La station centrale degénétique animale s’est dotée en 1961, rue de l’Estrapade, dupremier ordinateur qui était un IBM 1620.

Et qu’est devenue l’équipe Auriol ?

La station centrale de génétique animale est restée, JacquesPoly est devenu directeur du département de Génétique ani-male qui a été créé en 1964. L’équipe Auriol s’est intégréedans le département de Génétique animale.

Intégrant des travaux sur la production laitière.

En effet, en 1958 Paul Auriol m’avait emmené pour un dépla-cement dans le Jura et il m’avait montré ses travaux sur la pro-duction laitière des bovins de race Montbéliarde. Paul Auriolest parti à la FAO à Rome où il a fait carrière en gardant sonstatut INRA. Guy Ricordeau s’est orienté sur l’améliorationgénétique de la prolificité des ovins et des caprins lait, orienta-tions qu’il a développées après sa décentralisation à Toulouse.Les recherches sur la sélection des bovins laitiers qui utilisaientdéjà l’insémination artificielle pour le testage en fermes destaureaux et la diffusion du progrès génétique à partir des tau-reaux favorablement testés avaient été prises en charge parMarcel Poutous.Pour les bovins viande, on en était au tout début et il fallaitpréparer l’avenir. Il m’avait été demandé d’analyser les don-nées qui étaient phénotypiques et de trouver à partir de cesanalyses des méthodes d’expression mathématique de lavariabilité morphologique des bovins.Il fallait trouver une méthode d’expression de la variabilitémorphologique prenant en compte parmi le grand nombre demesures prises celles qui seraient les plus intéressantes pourcette expression. Toutes choses égales par ailleurs (et notam-ment l’âge) un animal plus grand qu’un autre a en moyennetoutes ses mensurations corporelles plus grandes. Un animalplus lourd qu’un autre a en moyenne des poids de tous sesmorceaux de découpe plus lourds, il a en moyenne plus demuscle, os et gras. Certains parlaient même d’une loi d’harmo-nie anatomique, ce qui voulait dire que les mesures corporel-les auraient été strictement proportionnelles à la taille généra-le ou format de l’animal. Les méthodes développées ont per-mis de mettre en évidence un facteur (ou une composante) detaille générale qui est une combinaison des caractères analy-sés qui rend compte en effet d’une plus grande partie de lavariabilité totale, mais aussi d’autres combinaisons de caractè-res qui sont indépendantes de la première et entre elles et quirendent compte de variations de forme à taille générale fixée :par exemple type longiligne ou “compact” ; ou présence deplus de morceaux nobles dans la carcasse et de moins de basmorceaux ; ou plus de muscle et moins de gras (ou réciproque-ment). Il a été montré par la suite que certains gènes à effettrès importants peuvent augmenter ces variations de formecomme le gène culard des bovins que l’équipe de BertrandVissac cherchait déjà à identifier. J’ai fait une première commu-nication originale, préparée avec Bertrand Vissac, à la 5ème

conférence internationale de biométrie à Cambridge en sep-tembre 1963, sur “Application des méthodes d’analyse facto-

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rielle à l’étude de la variabilité morphologique de carcasses debovins adultes”, qui a été suivie par une publication dansBiométrie-Praximétrie parue dès 1964.

Ces méthodes ont-elles été développées à l’INRA par la suite ?

À partir de mes premiers travaux qui en effet ont ouvert la voie,les applications de ces méthodes ont été développées aussipar la nouvelle station de biométrie avec Richard Tomassoneet Claude Millier, chercheurs avec lesquels j’ai eu des contactsscientifiques à cette époque. Ces personnes ont été mobiliséespour de nombreuses applications dans des secteurs autres quela génétique. Ces méthodes ont été très largement utilisées àl’INRA sur plusieurs espèces et productions. Je me suis orientévers les utilisations en génétique ainsi que vers d’autres espè-ces que les bovins à viande, comme le poulet et le lapin. Par lasuite, j’ai aussi diversifié mes thématiques de recherche.Sur le plan des méthodes, j’ai évolué très rapidement de l’ana-lyse factorielle à l’analyse en composantes principales dont lespropriétés mathématiques me paraissaient plus commodes àutiliser et dont l’utilisation s’est ensuite généralisée à l’INRA etailleurs. Cela m’a conduit à donner une publication scientifiqueoriginale dans Biometrics en 1966 sur “L’analyse en compo-santes principales et ses rapports avec l’analyse discriminatoi-re” (suivie par une publication “Pondération des valeurs géno-typiques dans la sélection par index sur plusieurs caractères”parue en 1969).Jacques Poly m’avait demandé si je serais intéressé à aider l’équipe de physiologie animale à l’ENSA de Montpellier, diri-gée par Louis Dauzier, qui avait le projet d’étudier l’allométriede croissance des organes et tissus du lapin. C’était une espè-ce nouvelle qu’il venait de me demander d’étudier. Il s’agissaittoujours de la même thématique sur les méthodes en vue del’amélioration de la production de viande. En effet, les différen-ces de composition corporelle mises en évidence entre ani-maux de même âge où de même poids proviennent de diffé-rences dans la croissance relative des tissus. Les lois généralesde la croissance des tissus osseux, musculaires et gras avaientété mises en évidence par Hammond chez les bovins et décri-tes dans le livre de Brody (Bioenergetics and Growth) qui étaitune référence pour les chercheurs qui voulaient trouver les“lois” de la croissance des animaux de ferme. Il restait à met-tre en évidence les variations dues à l’espèce, la race et l’ani-mal. Les recherches s’orientaient vers l’expression mathéma-tique de la croissance relative d’un tissu corporel ou organepar rapport au tout (le poids total des tissus ou du corps) parl’équation d’allométrie établie par Julian Huxley (1932). C’étaitsimplement l’équation d’une droite de régression du logarith-me du poids de la partie du corps sur le logarithme du poidsdu corps tout entier. Si le coefficient de régression est égal à 1,la partie du corps considérée croît comme le corps tout entier,s’il est supérieur où inférieur à 1 elle croît proportionnellementplus ou moins vite. Georges Teissier avait utilisé cette relationd’allométrie pour étudier la croissance relative chez l’arthropo-de Maia squinado mâle dont la croissance se fait de façon dis-continue au cours de mues successives. Au cours de ces muesinterviennent les changements de croissances relatives de par-ties par rapport au tout, ce qui se traduit par des changementsde pentes de la relation d’allométrie. Un des problèmes quiétait posé était de déterminer les points de changement de

pente donc de croissances relatives chez les espèces à crois-sance continue (et non discontinue) comme les mammifères.Le travail sur un matériel expérimental qui était en mêmetemps un animal producteur de viande, le lapin, allait permet-tre de trouver une solution à cette question notamment. Noussommes donc allés à Montpellier avec Jacques Poly et lors devisites suivantes j’ai étudié avec Louis Dauzier et son équipe leprotocole expérimental que Jean Cantier a mis en œuvre etdont je me suis chargé de l’analyse statistique des résultats.Les lapins mâles et femelles, d’une souche commune grise éle-vée au laboratoire de l’ENSA Montpellier, étaient abattus à 9âges successifs de 12 à 182 jours, ces âges d’abattage étantchoisis de façon à ce qu’il y ait un recouvrement des poids vifsentre deux âges successifs. De plus à chaque stade (âge) d’a-battage les lapins destinés à cette expérimentation étaientchoisis sur 3 courbes de croissance de façon à obtenir unéchantillon représentatif de faible effectif. Les lapins abattusétaient soumis à une dissection anatomique complète mise aupoint par Jean Cantier et son équipe (une cinquantaine demesures par animal). J’ai pu réaliser l’analyse statistique desdonnées, sur plusieurs années d’études, grâce aux calculs faitsà l’atelier mécanographique de la station de génétique quan-titative et appliquée à Jouy-en-Josas et la collaboration deBertrand Vissac pour mes relations avec cet atelier. La premiè-re publication scientifique de Jean Cantier et al., 1969, intitu-lée Allométrie de croissance chez le lapin (Oryctolagus Cuni-culus). Principaux organes et tissus a été suivie de 4 publica-tions scientifiques qui ont décrit en détail la croissance de tis-sus et de leurs éléments (différents muscles, os et dépôts degras) chez le lapin. Ce travail a aussi servi à Marcel Bénéventpour l’étude de la croissance relative des organes et tissus desmoutons. Il a servi de modèle pour une recherche très origina-

Roger Rouvier, Toulouse, le 26 avril 2005 �

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5ème conférence internationale de Biométrie avec C.I. Bliss. Cambridge, 1963.

Phot

o :©

INRA

Propos recueillis par B. Desbrosses et Ch. Galant

le de Fernand Ricard au domaine du Magneraud sur la varia-bilité génétique de la croissance relative des éléments de lacomposition corporelle du poulet (programme EGDEV, étudegénétique du développement corporel).

À travers ces différents travaux, quels objectifs poursuiviez-vous ?

Je cherchais des applications à la génétique des méthodes bio-métriques que j’étudiais. Les questions qui se posaient dans cedomaine étaient très vastes. Il s’agissait de l’analyse et l’estima-tion de la variabilité génétique des caractères d’intérêt zootech-nique et économique, et de la qualification génétique desreproducteurs à sélectionner. Comment indexer les animaux,c’est-à-dire estimer leur valeur génétique pour des caractèresquantitatifs et en particulier pour plusieurs caractères ? Pour-quoi analyser la variabilité génétique ? Sur un plan de recher-che finalisée, c’était pour estimer les paramètres génétiques,héritabilités et corrélations génétiques, qu’il faut utiliser pourcalculer les index de sélection. Il était essentiel de mieux connaî-tre les bases des index de sélection sur plusieurs caractères pourles applications à la sélection notamment des petites espècesagricoles comme le lapin. La sélection sur valeurs phénoty-piques individuelles était bien connue. Lanoy Hazel (1943) étaitle premier à avoir établi un index de sélection sur plusieurscaractères et sur valeurs phénotypiques individuelles. Les espè-ces polytoques comme la poule, le lapin, les porcins, sont sou-mises à un plan d’accouplement hiérarchique suivant lequel unmâle est accouplé à plusieurs femelles (chaque femelle étantaccouplée à un seul mâle) qui produisent chacune plusieursdescendants. Pour estimer la valeur génétique d’un animal, l’onpouvait donc prendre en compte en plus de la performancephénotypique de cet animal, les performances des apparentésqui sont les frères et sœurs. Cela augmenterait la précision del’index et donc l’efficacité de la sélection des caractères de fai-ble héritabilité comme ceux de reproduction. Un très petit nom-bre d’auteurs avaient discuté le mode d’établissement desindex de sélection sur un caractère prenant en compte lesvaleurs phénotypiques individuelles du caractère et celles desapparentés de la même famille. Il y avait Jay Lush pour les por-cins et Michaël Lerner pour la poule. Les bases méthodolo-giques devaient être précisées pour pouvoir traiter des situa-tions générales. Jean-Pierre Boyer, généticien à la station derecherche avicole, avait fait une première publication originalesur les index de sélection sur plusieurs caractères parue dansLes Annales de Zootechnie en 1958 qui s’intitulait “Théorie etcalcul des index de sélection”. Ce travail utilisait les coefficientsde piste de Sewal Wright, ce qui empêchait une généralisationà des situations quelconques pour les liens de parenté et lestailles de famille. Le professeur Jacques Delage avait moderniséson cours de génétique à l’Agro en introduisant la notion derégression du génotype sur le phénotype dans la sélection pourun seul caractère et dans des cas simples. Cela m’a conduit àconcevoir une méthode générale et didactique de calcul desindex de sélection sur plusieurs caractères. L’utilisation de lathéorie de la régression linéaire multiple en analyse à plusieursvariables et une première application du calcul matriciel (toutnouveau en France à l’époque) en génétique m’ont permis degénéraliser les résultats de Jean-Pierre Boyer et ceux du petitnombre d’auteurs précédents, ce qui a abouti à ma thèse de

3ème cycle “Contribution à l’étude des index de sélection sur plu-sieurs caractères”. La formulation générale du modèle statis-tique utilisé a permis de considérer aisément tous les cas pos-sibles de sélection, en prenant en compte toute l’informationdisponible des caractères mesurés sur les animaux et leursapparentés connus. Les paramètres qui interviennent sont lescovariances entre phénotypes, entre phénotypes et génotypesd’individus apparentés. En utilisant la technique du calcul matri-ciel et les propriétés statistiques de la régression linéaire multi-ple à une ou à plusieurs variables, ainsi que des moyens de cal-cul informatique, il devenait possible d’étudier les efficacitésrelatives de diverses méthodes de sélection et de rechercherl’optimum du plan d’accouplement lorsque le nombre totald’individus contrôlés est fixé, questions qui préoccupaient leschercheurs à l’époque. Ces résultats ont été une référence pourles chercheurs généticiens aussi bien dans le public que dans leprivé (et y compris en amélioration des arbres forestiers pourl’équipe de Baradat et aussi en amélioration des plantes avecles séminaires de Lusignan organisés par André Gallais.). Ils ontservi à la formation de plusieurs chercheurs et ingénieurs géné-ticiens (cours au DEA de génétique quantitative dès 1969,cours approfondi de génétique des animaux domestiques del’INA organisé par Jacques Bougler) ; il y a eu aussi ma missionde tuteur scientifique de jeunes chercheurs pour leur prépara-tion du concours d’assistant INRA. Cela m’a donné aussi legoût pour l’enseignement.Au début des années 80, il y a eu l’avènement du Best LinearIndex Prediction (BLUP) développé par Henderson d’abordpour l’indexation des taureaux laitiers en testage évalués surdescendance. La base de génétique quantitative restant lamême, il s’agit de nouveaux progrès auxquels mes jeunes col-lègues du département de génétique animale ont grandementcontribué. Le BLUP permet de corriger sans biais pour les effetsfixes non génétiques et de prendre en compte facilement pourles calculs les performances de tous les apparentés connus. Enmême temps, l’introduction du modèle mixte d’analyse devariance permettait d’estimer sans biais les composantes desvariances et covariances génétiques, paramètres qu’il restenécessaire de connaître pour pouvoir calculer les index desélection notamment.

Quelles données avez-vous utiliséescomme support de ce travail au cours des années 60 ?

Il n’y avait pas encore de données disponibles sur les bovinsviande pour des analyses de la variabilité génétique et des étu-des de sélection. Jacques Poly m’avait proposé dès 1961 alorsque j’étais encore rue de l’Estrapade à Paris, de m’orienter surle lapin. Il fallait, d’une part définir un programme expérimen-tal en génétique du lapin pour une installation expérimentaleà venir qui devait être installée au CNRZ et, d’autre part don-ner un appui en sélection en ferme à une organisation profes-sionnelle qui se mettait en place avec l’aide du ministère del’Agriculture. J’avais donc prévu qu’il faudrait un certain tempspour acquérir les données sur le lapin, et que par contre il fal-lait que je me prépare à les analyser très rapidement avec debonnes méthodes dès qu’elles deviendraient disponibles.Jacques Poly à la même époque m’a demandé d’aller auMagneraud pour étudier avec Léon-Paul Cochez et FernandRicard l’appui méthodologique qu’ils pourraient me demander.

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Ces deux événements ont déterminé mes orientations derecherche articulées autour de l’analyse et l’estimation de lavariabilité génétique de plusieurs caractères considérés simul-tanément et des méthodes d’indexation et de sélection despetites espèces d’intérêt agricole, Le Magneraud me fournis-sant les données support de ce travail et des objectifs scienti-fiques. J’ai aussi produit, plus tard, lorsque des données sontdevenues disponibles, quelques publications scientifiques surles bovins viande, dont une avec Jean-Louis Foulley sur laméthode d’établissement d’index de sélection quadratiquesdes taureaux de races à viande à partir de la valeur écono-mique de leurs descendants, parue en 1971.Ce sont les recherches en collaboration avec Le Magneraud quim’ont fourni les données que j’ai utilisées comme support de cetravail. Le Magneraud avait été acquis vers 1955 par l’INRApour les recherches en sélection avicole (espèce Gallus) et cons-tituait le premier centre de sélection des souches avicoles fran-çaises. Le directeur, Dr Léon-Paul Cochez, de formation vétéri-naire, y conduisait la sélection des souches ponte et de pouletsde chair. Le Magneraud faisait la sélection des souches pures.Des multiplicateurs procédaient au croisement de ces soucheset diffusaient les poussins d’un jour aux éleveurs producteursd’œufs de consommation. La sélection des souches ponte étaitorientée vers des souches pondeuses d’origine WyandotteBlanche et Rhode Island Red. Compte tenu d’une demande decertains marchés pour des œufs très roux, une sélection pourdes œufs à coquille très colorée avait utilisé des gènes d’unerace locale, la Marans. Les objectifs de sélection des souchesponte étaient définis. Des chercheurs aux États-Unis avaientcommencé les recherches sur la variabilité génétique et la sélec-tion des caractères ponte, sur la poule Leghorn notammentdepuis une vingtaine d’années. Quelques publications scienti-fiques de base existaient.On savait que la sélection des souchesponte était une sélection sur plusieurs caractères qui étaientconnus. Comme nous allons le voir, il restait à améliorer laméthodologie des index de sélection sur plusieurs caractères.

Comment avez-vous procédé pour améliorer cette méthodologie des index ?

Pour le poulet de chair, hormis la vitesse de croissance, il res-tait à définir les caractères à sélectionner pour améliorer saproduction de viande. Dans ce but, ainsi que pour acquérir lesconnaissances utiles, Fernand Ricard étudiait la variabilitégénétique de la croissance, de la conformation corporelle et dela composition anatomique du poulet de chair dans des sou-ches expérimentales. La génétique avicole du Magneraud étaitexcellente et en avance à l’époque. Léon-Paul Cochez avaitadapté la méthodologie de Michaël Lerner (1950). Pourchaque caractère à sélectionner, il calculait, après avoir corrigéles données pour l’effet du lot d’éclosion (transformationProbit définie par Léon-Paul Cochez), l’index de sélection del’animal candidat à la sélection, en tenant compte des perfor-mances individuelles et des performances moyennes de familledes pleines sœurs pour les caractères de ponte qui ne s’expri-ment que chez la femelle (les mâles étaient indexés d’après lesmoyennes de famille des pleines sœurs). C’était déjà l’index desélection combinée tenant compte des performances indivi-duelles et des performances d’animaux apparentés proches (le coefficient de parenté de deux sœurs est de 0.25 et celui

des relations génétiques additives est de 0.5). Chez la poulecomme chez les espèces polytoques de mammifères où lafemelle donne plusieurs descendants par mise bas, la prise encompte de la moyenne de famille en plus de la valeur indivi-duelle permettait d’accroître la précision de l’index de sélectionde façon intéressante surtout pour les caractères de faible héri-tabilité comme la taille de portée des mammifères. La précisionde l’estimation de la valeur génétique était fortement augmen-tée et donc le progrès génétique attendu de la sélection. Léon-Paul Cochez faisait déjà une sélection sur plusieurs caractèresà partir d’une combinaison linéaire de coefficients judicieuse-ment déterminés des index combinés calculés pour chaquecaractère séparément. Dans les souches ponte, il fallait, parsélection génétique simultanément augmenter, le nombred’œufs pondus, la solidité de la coquille, tout en maintenant lepoids de l’œuf et le poids de la poule à des optimum, certainsde ces caractères étant génétiquement antagonistes. Le critè-re de sélection sur plusieurs caractères qui avait été développépar quelques auteurs à l’époque était une combinaison linéai-re avec des coefficients donnés des valeurs génétiques additi-ves de chaque caractère, ces coefficients étant les valeurs éco-nomiques unitaires relatives des caractères considérés. Cescoefficients économiques pouvaient être variables dans l’espa-ce et dans le temps ou avec le niveau du caractère, ce qui danscertains cas limitait l’intérêt de cette méthode d’indexation.Léon-Paul Cochez était le premier à utiliser une autre métho-de. Les coefficients de l’index de sélection devaient être choisisde façon à ce que les progrès génétiques attendus de la sélec-tion sur chaque caractère soient dans des rapports définis.C’était déjà une sélection sur objectifs. Ces objectifs surchaque caractère pouvaient être définis par comparaison deleurs niveaux dans la souche sélectionnée à ceux des souchesles plus compétitives sur le marché. Ce calcul se faisait parapproximations successives sur les machines à calculer électromécaniques au Magneraud en 1961. Léon-Paul Cochez m’a-

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Œufs de poule de race Marans.La couleur de la coquille

est un caractère génétique.

vait demandé de trouver la solution pour un calcul direct descoefficients d’index. Dans mon travail de thèse, je me suis atta-ché à obtenir directement l’index de sélection sur plusieurscaractères dans tous les cas de sélection et à donner les pro-priétés de ces index (précision notamment). J’ai donné notam-ment, répondant aux questions que Léon-Paul Cochez m’avaitposées, les applications à la sélection faite au Magneraud.Celles-ci ont pu être utilisées avec la venue de l’ordinateur.Les questions qui se posaient dans l’amélioration génétique dupoulet de chair étaient de déterminer comment utiliser lesmensurations corporelles (du vivant, de la carcasse) dont lesprises de mesures se développaient et de savoir comment onpourrait modifier la composition corporelle en obtenant plusde muscles pectoraux et moins de gras, par exemple. Dans lacollaboration que j’ai apportée à Fernand Ricard, nous avonsà travers 11 publications scientifiques conjointes parues de1965 à 1969, (plus les communications à des congrès et sémi-naires) défini les méthodes et analysé la variabilité génétiquedes mensurations corporelles du vivant, de la carcasse, de larépartition des parties corporelles, de la viande et de l’os, et durapport viande/os de poulets de deux souches. Nous avonsétudié l’efficacité d’index de sélection indirecte du poids deviande à poids d’os constant chez le poulet. Ces résultats ontété utilisés par les sélectionneurs privés. Ces collaborationsavec Le Magneraud m’ont permis de constituer des basesscientifiques solides en génétique quantitative et méthodes desélection que j’ai utilisées et développées sur le lapin puis plustard sur les palmipèdes.

Nous allons maintenant pouvoir aborder la genèse de vos recherches sur le lapin !

Ces collaborations scientifiques et les nombreux contacts avecLe Magneraud ont été déterminants pour mon orientation derecherches en génétique et sélection. Comment l’orientationde mes recherches sur l’amélioration génétique du lapin dechair, auxquelles je me suis beaucoup attaché et auxquelles j’aiconsacré plus de 20 ans de ma carrière de 40 ans et 8 mois autotal a-t-elle été déterminée ? Jacques Poly m’a dit un jour àbrûle-pourpoint en début 1961, dans la salle (où il y avait unetrès longue table qui servait de table de travail pour plusieursd’entre nous et autour de laquelle se prenait aussi le repas demidi) de la rue de l’Estrapade, Rouvier tu pourrais t’occuper dulapin. Le lapin était un animal complètement inconnu sur leplan zootechnique à l’époque. On n’en parlait pas dans l’en-seignement agronomique. On savait qu’il y en avait beaucoupdans les clapiers des fermes, mes parents en avaient élevédans les années 1950. J’avais entendu la phrase de JacquesPoly, mais je continuais sur mes travaux en cours que je venaisd’engager qui déjà m’occupaient complètement. Peu de tempsaprès il me dit : Rouvier, où en est ton projet sur le lapin ? Jedois voir Jean Bustarret demain, il faut que je lui donne un projet. J’ai alors compris que ce n’était pas une boutade, quec’était un projet auquel il tenait et qu’il cherchait quelqu’undans son équipe pour s’en occuper. J’ai dit : Il me faut un peuplus de temps. Donc je me suis mis à l’ouvrage sur le lapinaussi. Pour l’INRA, le lapin étant considéré comme animalexpérimental en génétique mais aussi comme animal zootech-nique producteur de viande. Il y avait une demande des éle-veurs et du ministère de l’Agriculture pour que l’INRA engage

des recherches sur cette espèce nouvelle. Dans l’élevage fran-çais, il y avait à l’époque (1961) un mouvement avec des éle-veurs qui voulaient développer un élevage rationnel. L’onconsommait au moins 180 000 tonnes de viande de lapins paran qui étaient produites par les élevages familiaux, dont cer-tains pouvaient être très importants comprenant jusqu’à 50-80 lapines reproductrices. Des éleveurs étaient en train d’intro-duire des méthodes plus modernes d’élevage du lapin, commela cage métallique à fond grillagé, introduction qui s’accompa-gnait de celle des races nouvelles Néo-Zélandaise Blanche etCalifornienne. Ces races, venues de Californie (pour la Néo-Zélandaise Blanche) et d’Angleterre (pour la Californienne)étaient adaptées à l’élevage sur grillage alors que les racesfrançaises comme le Fauve de Bourgogne, l’Argenté deChampagne, le Géant Blanc de Bouscat, qui avaient toujoursété élevées sur litière n’étaient pas adaptées à la tenue surgrillage. Ces éleveurs qui voulaient améliorer et rationaliser laproduction de viande de lapin avaient contacté le ministère del’Agriculture qui avait demandé à l’INRA d’engager des recher-ches sur le lapin. J’ai commencé en faisant l’inventaire de ceque l’on trouvait dans la littérature et en contactant les éle-veurs de lapins (éleveurs de races et ceux qui se regroupaientdans un syndicat national d’éleveurs de lapins de chair) pourconnaître la situation des élevages et les questions qui seposaient.

Et vous avez fait un état des lieux. Pouvez-vous nous en direun petit peu plus à ce sujet ?

C’était en 1961, Jacques Poly m’avait demandé de faire unprogramme en génétique sur le lapin pour un élevage expéri-mental qui devait être implanté au CNRZ à Jouy-en-Josas en1962-63, et de donner, en collaboration avec le responsable àla direction de l’élevage du ministère de l’Agriculture, un appuiscientifique aux éleveurs qui voulaient réaliser un contrôle deperformances des aptitudes maternelles des lapines dans leursélevages à des buts de sélection. Il y avait très peu de bases

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scientifiques connues de l’amélioration génétique du lapin ettrès peu de bases également pour son élevage rationnel.Depuis le début du 20ème siècle, le lapin avait été utilisé par unpetit nombre de chercheurs comme animal expérimental pourétudier : la génétique de la coloration et la structure du pela-ge ainsi que l’hérédité de la taille corporelle par croisementsentre races de tailles adultes extrêmes (W.E Castle dont la pre-mière publication sur l’hérédité chez le lapin est datée de1909), le poids adulte pouvant varier de 1 à 8 entre races depoids extrêmes ; les influences maternelles liées aux différen-ces de taille adulte et de prolificité entre races sur le poids à lanaissance et la croissance pondérale (Ole Venge qui a publiéen 1950 les résultats de ses travaux réalisés en 1938-1948 eten 1946-1949). Ses caractéristiques biologiques aussi biendans le domaine de la reproduction que de la croissance enfaisaient un mammifère de choix sur le plan expérimental etsur celui de ses potentialités zootechniques : ovulation provo-quée par l’accouplement, durée de gestation courte (31 jours)et précocité de mise à la reproduction (5 mois) ; ce qui conduità un intervalle de génération qui peut être court, possibilitépour la lapine de conduire simultanément la gestation et lalactation, espèce polytoque [8 lapereaux nés par portée (en1961)], existence de différences de taille adulte entre races (1à 8 kg de poids adulte). Une quarantaine de races avaient étésélectionnées suivant les standards de race par les “éleveursamateurs” pour les concours dans les expositions, c’est-à-diresuivant une sélection sur valeur phénotypique basée sur lacoloration de la fourrure, la structure du poil, la morphologie etla taille corporelle. Par contre, le lapin domestique était alorsun “inconnu” sur le plan zootechnique et sur celui de sa géné-tique quantitative. Il n’y avait pas encore de revue spécialisée,ni de publications scientifiques, sauf la revue Vos Lapins consa-crée aux lapins de race. Les rares études le concernant étaientcelles conduites à la station de Fontana (Californie) sur les fac-teurs de variation génétique et non génétique des performan-ces d’élevage des lapines de race Néo-Zélandaise Blanche, quifurent publiées par Wade C. Rollins et collègues en 1963-1964seulement alors que cette station fermait. Au Danemark, il yavait une station de testage des lapins en cours de fermeture,quelques études avaient été conduites par Ole Venge en Suèdeet H. Niehaus en Allemagne. J’ai donc demandé une missionréalisée en septembre 1961.Au Danemark, j’ai visité cette sta-tion de testage des lapins mâles de différentes races ; àMariensee, en Allemagne, j’ai rencontré H. Niehaus qui étudiaitle lapin angora. Il disposait d’un élevage expérimental delapins assez important conduit de façon traditionnelle en cla-piers et orienté vers les études de physiologie. En Suède, j’airencontré Ole Venge et j’ai ramené des informations : il venaitde trouver que la lapine allaite sa portée une seule fois par 24heures. Cette information a été très utile notamment pour étu-dier la production laitière de la lapine, en vue de connaître lesbesoins alimentaires de lactation (il suffisait de peser la lapineavant et après tétée). Elle est utile aussi pour les études dephysiologie de la lactation.En France où le premier groupement de producteurs de lapinsa été constitué en 1969 seulement, la production commençaità s’organiser par une spécialisation naisseurs/engraisseursautour d’abattoirs dans des régions fortes productrices(Drôme,Vendée, Deux-Sèvres). Les lapereaux étaient ramassésau sevrage chez les naisseurs et étaient regroupés pour leur

engraissement. Les modes d’utilisation des 6-7 millions delapines constituant le cheptel national étaient très diversifiés,dans le cadre d’une majorité de petits élevages. Ce cheptel serépartissait entre les sélectionneurs de races suivant les stan-dards, les producteurs de viande à partir de lapines “commu-nes” (blanches ou grises) provenant de croisements divers nonplanifiés ou en races pures. Les principales races utilisées pourla production étaient alors des races françaises commel’Argenté de Champagne, le Fauve de Bourgogne, le Blanc deVendée, le Grand Russe, le Géant Blanc du Bouscat, le Géantdes Flandres. Cet élevage se faisait en clapiers et les animauxétaient donc élevés sur litière. À partir de 1960, l’élevage aévolué vers une rationalisation, par l’introduction de racessélectionnées en Angleterre pour un élevage sur grillage(Californienne, Néo-Zélandaise Blanche).

Mais là vos investigations ne portaient pas seulement sur les aspects génétiques. Elles concernaient aussi l’élevage du lapin.

Pour pouvoir faire de la bonne génétique, il fallait d’abord maî-triser l’élevage. J’ai collaboré avec Michel Prud’hon et L. Bel àla station de physiologie de la croissance à Montpellier quiavait un élevage expérimental de lapins “communs” gris. Ilsdevaient s’intéresser à la zootechnie du lapin pour conduire cetélevage et répondre aux questions des éleveurs locaux. C’estla station de l’élevage des porcs au CNRZ, dirigée par AlainRérat qui devait s’occuper des recherches sur l’élevage et l’ali-mentation du lapin. Sardi Di Letto, technicien recruté par cettestation, m’a secondé sur le plan élevage à partir de 1962, enattendant le recrutement du scientifique élevage du lapin :François Lebas arrivé en 1964-1965 pour son stage de 3ème

année de l’ENSA de Grignon. J’ai donc dû faire un état deslieux en visitant de nombreux élevages en ferme et étudier ceque faisaient les éleveurs les plus avancés. À l’époque il fallaitaussi aller sur le terrain.

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Pouvez-vous nous décrire les systèmes d’élevage pratiqués par ces éleveurs de pointe ?

Dans l’élevage traditionnel, le rythme de reproduction étaitextensif (présentation de la lapine au mâle après un sevrage, engénéral tardif, à l’âge de 56 jours des lapereaux) ; ce qui condui-sait à seulement 3 portées par lapine et par an. Les reproduc-trices étaient élevées en clapiers sur litière ; ce qui, même si elleétait changée fréquemment, présentait des risques d’atteintede coccidiose (la coccidiose était le risque de maladie le plusimportant du lapin élevé en clapiers). L’alimentation se faisait àpartir des produits de la ferme, ce qui rendait difficile une ali-mentation équilibrée pour une production plus intensive ouplus rationnelle, l’eau était distribuée dans des gobelets enquantité souvent insuffisante. Une mutation s’opérait chez deséleveurs de pointe, notamment chez les naisseurs. Ils introdui-saient la cage grillagée à fond métallique avec boîte à nid,l’abreuvement automatique par pipette et l’aliment granulécomplet, ainsi que les races importées en général d’Angleterre,Néo-Zélandaise Blanche et Californienne qui étaient adaptéesà l’élevage sur grillage. Certains de ces éleveurs sélectionnaientle Fauve de Bourgogne pour l’adaptation à l’élevage sur grilla-ge. Ces éleveurs étaient demandeurs de la mise en place d’uncontrôle de performances dans leur élevage de façon à amélio-rer les aptitudes maternelles des lapines. Les questions du ryth-me de reproduction à adopter, de son intensification, et de l’âgeau sevrage étaient posées. Ces éleveurs n’étaient pas des pro-ducteurs spécialisés de lapins, ils étaient parfois de nouveauxéleveurs de lapins, c’était souvent la femme sur l’exploitationagricole qui s’occupait d’un élevage de lapins. En même temps,l’élevage fermier traditionnel s’améliorait en utilisant l’aliment granulé comme complément de la ration alimentaire àbase de produits de la ferme et se spécialisait autour de grandsabattoirs en naisseurs et engraisseurs. Ces éleveurs étaientdemandeurs de mâles améliorateurs pour la croissance et lesqualités d’abattage et de carcasse. Les objectifs des éleveurs depointe concernaient donc les améliorations à la fois des quali-tés des carcasses produites et de la productivité numérique desmères. C’est donc dans ces contextes que j’ai dû concevoir, en1961, le programme de l’élevage expérimental de lapins de lagénétique et mon appui aux éleveurs qui s’organisaient.

Quel était donc votre programme de recherches sur le lapin au CNRZ et comment l’avez-vous réalisé ?

L’élevage expérimental de lapins de la station de génétiquequantitative et appliquée a été installé en 1962-1963 auCNRZ à Jouy-en-Josas, suivi peu de temps après par l’élevageexpérimental qui relevait de la station d’élevage des porcs. Lesobjectifs que j’avais définis pour les programmes de rechercheexpérimentale étaient de mettre au point des techniques d’é-levage plus intensives et rationnelles, de constituer 6 souchesà partir des races les plus utilisées et prometteuses pour ana-lyser la variabilité phénotypique et génétique de leurs perfor-mances en race pure et en croisement. Il fallait améliorer lerythme de reproduction des lapines. Un des objectifs géné-tiques était d’estimer les paramètres génétiques (héritabilités)de caractères d’importance économique relatifs à l’indice deconsommation et à la composition anatomique des carcasses,caractères que l’on ne pouvait pas mesurer facilement enferme, et rien n’était connu à ce sujet. Ces objectifs ont été

réalisés dans la période 1961 à 1969. Dans cette même pério-de,la recherche en génétique animale a donné un appui aupremier contrôle de performances en ferme du lapin dans leMonde, réalisé par le Syndicat national d’élevage et d’amélio-ration du lapin de chair (SNEALC) sous l’impulsion de son pré-sident monsieur Pierre Baneye et avec l’aide du premier tech-nicien, Jean Malbert, en vue d’une sélection en race pure surles performances d’élevage.Il a fallu d’abord que je me préoccupe, en relation avec mescollègues et les éleveurs, de l’amélioration des méthodes d’é-levage très peu étudiées jusqu’alors et principalement du ryth-me de reproduction à adopter. Des éleveurs avaient indiquéque la lapine accepte facilement le mâle sitôt après la misebas. La possibilité d’obtenir, avec la lapine, une portée élevéetous les 31 jours grâce à une reproduction continue par sailliepost partum des lapines allaitantes (pas d’anoestrus de lacta-tion) et à un sevrage précoce (à l’âge de 28 jours des lape-reaux au plus tard) était très séduisante pour certains éleveurs,d’autant plus que la lapine accepte facilement le mâle sitôtaprès la mise bas. Cependant nos premières observationsmontraient que dans ce cas le taux de gestation ainsi que lataille de portée à la naissance étaient diminués. Dans uneexpérimentation conduite avec le même protocole et au mêmemoment sur des lapines Argenté de Champagne au CNRZ etdes lapines communes grises à l’ENSA de Montpellier, nousavons comparé 3 rythmes de reproduction, les rythmes trèsintensif, semi intensif et extensif (Prud’hon et al. 1969). Le ryth-me de reproduction que nous avons défini comme optimumconsistait à présenter la lapine au mâle 10-11 jours après lamise bas, en sevrant les lapereaux à l’âge de 28 jours, dans lebut d’atteindre 7-8 portées par lapine et par an, sans diminuerles effectifs de lapereaux nés vivants et sevrés par portée. Lesprogrès réalisés parallèlement sur l’alimentation de la lapinepermettaient d’adopter ce rythme. Ce rythme de reproductionest utilisé depuis en sélection des souches et par tous les éle-veurs en élevage rationnel du lapin.

De quel matériel animal disposiez-vous pour conduire vos recherches ?

Sur le plan du matériel animal, mon projet pour l’élevage expé-rimental au CNRZ était de comparer 6 races de lapins, que mesnombreuses visites d’élevages dans plusieurs régions de Franceavaient permis d’identifier comme les plus intéressantes pourles éleveurs. De 1961 à 1969, j’ai donc commencé par consti-tuer puis sélectionner 6 souches, troupeaux fermés d’effectiflimité, à partir d’un échantillonnage, pour 4 d’entre elles quiétaient des races françaises, de reproducteurs choisis dans plu-sieurs élevages des races Fauve de Bourgogne, Argenté deChampagne, Géant Blanc du Bouscat et Petit Russe. Les troispremières avaient de bonnes conformations bouchères et crois-sances, le Petit Russe de format moyen donc de vitesse decroissance plus faible avait une bonne conformation bouchèreet une fertilité femelle plus élevée. Le problème de trouver àacquérir des lapins Néo-Zélandais Blancs et Californiens debonnes origines se posait. L’INRA m’a accordé une missionpour aller participer au congrès mondial de biométrie qui avaitlieu à Sydney en septembre 1967 (j’y étais un des deux scien-tifiques de l’INRA avec le chef de département de Biométrie).

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Le billet d’avion Tour du Monde que j’avais négocié m’a faitpartir vers l’Est et m’arrêter au retour notamment à San Diego,Californie, où Wade C. Rollins qui était chercheur sur les bovinsviande à l’université de Davis, Californie, avait organisé en rela-tion avec un technicien d’élevage, des visites d’élevages delapins. J’avais déjà rencontré Wade C. Rollins au CNRZ où ilétait venu lorsqu’il était en année sabbatique à l’AnimalBreeding Organization (ABRO) à Edinburgh et je l’avais invitéun soir à la maison pour discuter plus longuement. Il m’avaitconseillé très utilement sur mon programme lapin en me disantsimplement : Constituez vos souches et étudiez vos souches.Une souche de lapins, comme une souche de poules, est unepopulation génétiquement fermée et d’effectif limité. Cela asuffi pour me confirmer dans l’idée que c’était ce qu’il fallaitcommencer par faire. Il avait organisé en Californie du sud mavisite de trois élevages de race Néo-Zélandaise Blanche, engrandes unités de 1 000, 600 et 400 mères lapines en repro-duction. Les lapines produisaient en cages métalliques grilla-gées (une lapine et une boîte à nid par cage) installées sur unseul étage sous un toit sans parois latérales. Les lapereaux res-taient dans la cage de la mère jusqu’à l’âge de 56 jours quiétait aussi l’âge de vente pour la boucherie, la lapine était alorsprésentée au mâle et les lapines produisaient 4 portées par an.Le marché demandait un lapin léger et ce système permettaitde limiter le nombre de cages d’élevage puisqu’il n’y avait pasbesoin de cages pour l’élevage en engraissement post sevrage.Ces élevages marchaient très bien. À chaque visite, j’ai deman-dé à l’éleveur s’il me vendrait des reproducteurs, les deux pre-miers visités m’ont répondu qu’ils n’exportaient pas, le troisiè-me m’a répondu qu’il exporterait.Voilà donc comment 5 jeuneslapines et 5 jeunes mâles Néo-Zélandais Blancs sont arrivésdans l’élevage expérimental de la génétique au CNRZ en début1968, après que J.-P. Caire, le responsable de l’élevage expéri-mental, soit allé les chercher et les faire dédouaner à Orly.

Comment avez-vous utilisé ces animaux ?

Je les ai soumis à un rythme de reproduction intensif avec pré-sentation de la lapine au mâle dès la mise bas pour une sailliepost partum, pour des contrôles du 20 mai 1968 pour la pre-mière mise bas contrôlée jusqu’au 15 avril 1969 pour la derniè-re mise bas contrôlée. D’après les fiches d’enregistrementtenues par Danielle Demerson, technicienne de l’élevage à l’époque, que j’ai gardées en archives, les nombres de portéesnées par lapine dans cette période de 11 mois sont de 9, 10,11, 9, et 9 pour chacune des 5 lapines respectivement. Lesnombres de portées conduites jusqu’à l’âge de 21 jours étaientde 9, 10, 10, 8, et 9, le nombre total de lapereaux sevrés parlapine était en moyenne générale de 58 (avec une valeur supé-rieure de 69), le poids total de lapins vivants à 84 jours produitpar lapine en ces 12 mois de reproduction était en moyenne de96 kg (soit 24 fois le poids vif de la lapine !) avec l’une des cinqlapines produisant 134 kg de lapins vivants à l’âge de 84 jours.Cette expérience avait donc permis de mettre en évidence lefort potentiel de production de viande de la lapine et ses apti-tudes maternelles remarquables. Cela a été exploité ensuitedans le programme de sélection pour obtenir une lapine àhaute productivité numérique qui a été demandée par les éle-veurs et organisations économiques regroupés.

Quelques femelles et mâles supplémentaires ont été comman-dés pour constituer la souche de Néo-Zélandaise Blanche del’INRA qui par la suite a été nommée A1077. Au cours de cevoyage fructueux, j’ai échangé des idées que j’ai utilisées pourorienter mes recherches en génétique et méthodes de sélectionavec Sewal Wright, Michaël Lerner et ses étudiants à l’universi-té de Davis, Californie, Tom Sutherland et ses collègues à FortCollins, Colorado, notamment. La souche de lapin Californiennea pour origine également des visites d’élevage, dans le Maine-et-Loire. Le Dr Varenne était le directeur des services vétérinai-res de ce département. Son laboratoire travaillait sur la patho-logie du lapin compte tenu de l’importance de cette productiondans ce département et donnait un appui au syndicat nationald’élevage et d’amélioration du lapin de chair SNEALC qui avaitinstallé son siège à Angers. Il m’avait conduit dans un élevagede lapines de race Grand Russe dont la prolificité m’était appa-rue extraordinaire. Le Grand Russe, comme le Californien est unlapin blanc aux yeux rouges et à extrémités (nez, oreilles) colo-rées. Ce patron de coloration est dû au gène himalayen qui estun allèle de la série albinos. Dans le bâtiment d’élevage d’unevingtaine de lapines reproductrices, il y avait une multitude depetits lapins qui couraient partout.J’ai donc eu un coup de cœur pour ces lapins et j’en ai achetéquelques-uns à la dame qui s’occupait de cet élevage. Je les airamenés dans la nuit pour les installer dans l’élevage expéri-mental au CNRZ. Avec ces lapins Grand Russe que j’ai croisésavec des lapins Californiens, cédés par l’élevage de FrançoisLebas, pour apporter l’aptitude à la tenue sur grillage, la sou-che Californienne nommée ensuite A1066 a été constituée.Elle a été utilisée avec la A1077 en sélection du lapin pourobtenir une lapine à forte productivité numérique qui étaitdemandée par la profession à partir de 1969.

Quelles étaient les principales questions que vous posaient les éleveurs à cette époque ?

En plus des questions sur la maîtrise de la reproduction, leséleveurs posaient des questions sur les possibilités de sélec-tionner sur les caractères de croissance post sevrage, d’en-graissement et de qualité bouchère des carcasses. Les étudesintra souches de races françaises que je conduisais m’ont per-mis d’obtenir les premières estimations des paramètres géné-tiques (héritabilités et corrélations génétiques lorsque c’étaitpossible) pour répondre à ces questions. C’est ainsi qu’à partir

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Réunion du bureau et autorités,4ème congrès mondial de cuniculture,Convention Center Budapest, 1988.

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des contrôles de performances individuelles des lapereaux de42 à 84 jours (qui était l’âge d’abattage) dans l’élevage de lastation de génétique quantitative au CNRZ, élevés pour lesbesoins expérimentaux en cages individuelles, j’ai obtenu lespremières estimations des héritabilités des caractères de crois-sance, d’engraissement et de qualité bouchère (Rouvier, 1970).Les premiers résultats indiquaient déjà l’intérêt de la prise encompte de l’indice de consommation en plus de la vitesse decroissance pour réduire le coût alimentaire de l’engraissementau cours de la période sevrage-abattage (héritabilité de l’indi-ce de consommation à vitesse de croissance fixée de 0,30).Cela contrairement aux idées reçues sur le poulet à l’époquequi étaient que la sélection sur la croissance seule entraînaitune baisse corrélative de l’indice de consommation qui étaitsuffisante. Dans le but d’exprimer l’efficacité de l’utilisation ali-mentaire des animaux en croissance, de façon originale, j’avaisétabli les équations de régression pour mesurer l’incidence dela quantité d’aliment consommé sur le gain de poids et lepoids moyen dans la période sevrage-abattage. Il était montréde plus que la prise en compte d’éléments de la compositionanatomique améliorait la prédiction de la quantité consom-mée moyenne (présenté à une réunion de la FEZ et publié en1969 dans Ann. Génét. Sél. Anim. 1, 197). Cela aurait puouvrir la voie à une expérience de sélection sur la consomma-tion alimentaire résiduelle chez le lapin, comme un peu plustard cela a été fait de façon remarquable par le laboratoire degénétique factorielle sur la poule et le poulet. Mais il était troptôt et il y avait d’autres priorités. Dans une étude sur 2 000lapins issus de fermes et contrôlés à l’abattage dans la salled’abattage de Vic Fezensac dans le Gers, j’ai calculé les hérita-bilités du rendement à l’abattage. Les valeurs élevées trouvéesindiquaient la possibilité de contrôler aisément par sélectionl’évolution de ce caractère.Le lapin constituait une référence pour mes collègues tra-vaillant sur gros animaux comme les bovins pour les recher-ches sur les possibilités de modifier la répartition tissulairedans les carcasses. Marie Claude Scheller avait été recrutéecomme technicienne pour des dissections anatomiques. J’aianalysé les résultats d’une dissection anatomique complète,suivant la technique mise au point par Louis Dauzier et sonéquipe, de 160 lapins abattus à l’âge commercial de 84 jours,appartenant aux trois souches issues des trois races Fauve deBourgogne, Argenté de Champagne, Grand Russe (Rouvier,1970). Les estimations des héritabilités obtenues pour le poidsdes muscles à poids d’os constant, dans des régions ou dansl’ensemble de la carcasse indiquaient la possibilité de modifierpar sélection le rapport muscle/os, même en maintenant l’étatd’engraissement constant. Une dissection anatomique simpli-fiée aurait permis une sélection indirecte sur le rapport mus-cle/os des carcasses. Ce projet de recherche expérimentale n’apas pu être mis en œuvre compte tenu des priorités tournéesvers les demandes professionnelles et au service des éleveursque nous avions arrêtées.

Comment les organisations professionnelles s’inscrivaient-elles dans les programmes de recherche sur le lapin conduits par l’INRA ?

Le SNEALC s’est constitué, avec l’aide du ministère del’Agriculture et d’un technicien, Jean Malbert, en 1962 avec

l’objectif de contrôler les aptitudes maternelles des lapines etd’utiliser les résultats pour la sélection dans les élevages. Lesreproducteurs mâles et femelles étaient identifiés individuelle-ment, les généalogies étaient enregistrées. Les caractèrescontrôlés étaient le nombre de lapereaux nés totaux et nésvivants par portée, les tailles et poids de portées à 21 et 56jours. Je participais aux réunions de ce syndicat et m’occupaisen relation avec le centre de calcul mécanographique de la sta-tion centrale de génétique animale au CNRZ de la conceptiondes fiches d’enregistrement des généalogies et performancesdes animaux ainsi que de l’exploitation immédiate des résul-tats. Il fallait en effet fournir aux éleveurs des résultats rapide-ment après les contrôles pour leur permettre un choix survaleurs phénotypiques de leurs animaux. J’ai réalisé une ana-lyse statistique de ces performances d’élevage pour des lapi-nes des races Néo-Zélandaise Blanche et Fauve de Bourgognesur 5 942 portées de 7 élevages contrôlées dans les années1966 à 1969 (Rouvier et al., 1973). Compte tenu du grandnombre de facteurs de variation non génétiques et non contrô-lés qui intervenaient, souvent en interaction, il n’était pas pos-sible d’estimer les héritabilités de ces caractères. L’on savaitdéjà d’après les résultats de Wade C. Rollins publiés en 1963que les héritabilités des nombres de nés vivants, sevrés parportée et du poids total de portée au sevrage étaient faiblesmais significatives. Les valeurs trouvées pour les répétabilités(la répétabilité est une limite supérieure de l’héritabilité) dansnotre échantillon analysé laissait supposer de faibles valeursdes héritabilités. Ces résultats montraient donc que la variabi-lité génétique intra race des caractères d’aptitudes maternellesdes lapines mesurés en ferme était faible et les facteurs dumilieu importants. Une sélection était cependant possible. Ilfallait pour cela chercher une méthode de sélection qui, avecdes accouplements et des méthodes d’élevage planifiés, aug-menterait la précision de l’estimation des valeurs génétiquesadditives de ces caractères et le progrès génétique attendu àleur sélection intra souche. Le croisement de souches pouvaitdonner un gain additionnel en présence d’hétérosis ou decomplémentarité entre aptitudes des souches croisées. J’aidonc cherché une solution dans ce sens.En 1968, les sélectionneurs de lapins privés qui effectuaient lescontrôles de performances en ferme ont demandé que soitétudié un programme de sélection du lapin de chair à l’éche-lon national et j’ai été chargé d’étudier un projet que j’ai pré-senté au département de génétique animale. Le chef de dépar-tement (Jacques Poly) avait alors indiqué que l’INRA ne pou-vait pas faire la sélection du lapin avec ses propres moyens etil m’avait alors demandé d’élargir ce projet en tenant comptedes besoins professionnels et dans le cadre d’une concertationtrès large à l’INRA entre disciplines et à l’extérieur de l’INRAavec les professionnels et le ministère de l’Agriculture. Il y a eule recrutement de Jean-Louis Vrillon, ingénieur, dans le dépar-tement de génétique animale pour aider le chef de départe-ment sur les questions de gestion. Compte tenu des dévelop-pements prévus, Jacques Poly l’a orienté sur le lapin. J’aiconduit une concertation avec la profession (SNEALC, Instituttechnique de l’aviculture) et le ministère de l’Agriculture, ainsiqu’à l’INRA (réunion à Nouzilly en juillet 1969 avec PierreAycardi, Pierre Schellenberg, François Lebas, et leurs équipes).Les objectifs professionnels étaient toujours les améliorationsà la fois des qualités des carcasses produites et de la produc-

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tivité numérique des mères avec un objectif de 50 lapereauxsevrés par lapine et par an en moyenne (contre les 30 lape-reaux sevrés par lapine et par an en 1970). Il y avait un besoinde reproducteurs améliorés sur les plans zootechnique et sani-taire pour une production de viande de lapins qui était endéveloppement et qui allait atteindre presque les 300 000 ton-nes par an dépassant le poulet en valeur au début des années1970 (Sinquin, 1973). D’où la proposition d’un programmeexpérimental comprenant un testage en station sur les quali-tés d’engraissement (sélection sur l’indice de consommation),de carcasse et de la viande de 6 souches de mâles de croise-ment terminal (mâles C) sélectionnées par les sélectionneursprivés qui se sont regroupés dans la société de sélection et detestage des souches de lapins mâles (SOLAM), et une sélectionde deux souches de lapins femelles (A et B) à partir desquellesles organismes professionnels regroupés dans la société desélection de souches de lapins femelles (SOLAF) produiraientet diffuseraient les lapines métisses de haute productiviténumérique issues de leur croisement. Il s’agissait donc d’uncroisement dit à double étage de mâles C accouplés à desfemelles métisses AB pour des unités d’élevages spécialiséspour la production de viande de lapin. Il y avait aussi unedemande de mâles C à utiliser en croisement terminal sur leslapines de l’élevage fermier. Les organismes économiques etprofessionnels regroupés et le ministère de l’Agriculture ontdemandé formellement à l’INRA d’assurer la sélection des sou-ches de lapins femelles A et B dans ses installations et d’assu-rer le testage des souches de lapins mâles de type C dans unestation de testage gérée par l’INRA, demande que JeanBustarret, directeur général de l’INRA, a acceptée. Au niveaude la recherche, il fallait définir un protocole de sélection origi-nal pour la sélection des souches de lapins femelles, l’appliqueravec rigueur dans des installations qui permettraient l’élevageen ambiance protégée suivant la proposition de PierreSchellenberg (station de pathologie aviaire), et aussi choisircelles qui se combineraient le mieux en croisement. Il fallaitaussi définir un protocole de testage original et utilisant l’insé-mination artificielle pour produire en station de testage lesdescendants des mâles à tester. Il y a eu, en juillet 1970, ladécentralisation toulousaine d’équipes du département deGénétique animale qui étaient à Jouy-en-Josas, décentralisa-tion qui s’était bien sûr préparée avant.

Quelles étaient les raisons de cette décentralisation ?Pourquoi a-t-on choisi Toulouse ?

Je me souviens avoir entendu évoquer une décentralisationtoulousaine de la génétique animale pour la première foisdans une réunion de la station de Jacques Poly rue de l’Estra-pade, c’était en 1961. Donc, je pense que cela était inscrit dansun schéma de décentralisation depuis longtemps, le CNRZ àJouy-en-Josas étant trop petit (et de plus situé dans un siteprotégé de la vallée de la Bièvre) pour que le développementdes recherches en productions animales puisse y être envisagé.De plus,Toulouse allait devenir un pôle universitaire important.Il y a eu Clermont-Ferrand (centre de Theix) pour l’élevage des ruminants, Tours (Nouzilly) pour la physiologieanimale, la pathologie et la station de recherches avicoles,Rennes Saint-Gilles pour l’élevage porcs, puis Toulouse dontj’ai entendu à nouveau parler seulement après ces décentrali-

sations importantes, mais il y avait alors des restrictions bud-gétaires et cela était devenu plus difficile. Daniel Brisebois quiétait directeur des services agricoles de la Haute-Garonne abeaucoup aidé, je crois en relation avec Jean Bustarret, pourtrouver l’emplacement de l’INRA à Auzeville.

On aurait pu mettre le lapin à Tours, par exemple.

Aucune unité du département de génétique animale n’avaitdécentralisé à Tours (Philippe Mérat et le laboratoire de géné-tique factorielle étaient restés à Jouy avec leurs installationsexpérimentales à la Minière). La génétique animale ne pouvaitpas se disperser géographiquement et déjà elle devait décen-traliser en partie à Toulouse. Pour donner un appui dans ledomaine de la pathologie, de la prophylaxie hygiénique etsanitaire du lapin, la station de pathologie aviaire qui se trou-vait déjà à Tours a engagé des recherches sur la pathologie dulapin à partir du début des années 70 avec Pierre Yvoré qui sesont développées ensuite avec le recrutement de PierreCoudert puis de Dominique Licois.

Il y avait plusieurs productions qui étaient concernées par la décentralisation à Toulouse. Il n’y avait pas que le lapin.

Les équipes décentralisées ont constitué trois laboratoires degénétique des petits ruminants (Guy Ricordeau) dont lesrecherches portaient sur l’amélioration génétique des ovinscaprins avec la responsabilité scientifique du domaine de LaFage (Jean-Claude Flamant), des installations nouvelles sur ledomaine de Langlade et un suivi de la station de testage capri-ne de Moissac en Lozère, le laboratoire de génétique cellulai-re avec Michel Gillois, Claude Chevalet, Philippe Mulsant, et lelaboratoire de méthodologie génétique dont j’étais responsa-ble. Il aurait pu y avoir une décentralisation aussi de chercheurssur les bovins viande. En effet, c’était dans la perspective decette décentralisation toulousaine aussi que l’implantation surle domaine expérimental de La Verrerie à Carmaux (Tarn) pourla sélection d’un troupeau souche destiné à procréer des tau-reaux culards pour le croisement par insémination artificielleavait été envisagée dés 1965. Cette installation s’est faite sousla responsabilité de Guy Fabre de 1965 à 1994, la guidancescientifique des programmes étant assurée au CNRZ à Jouy-en-Josas (François Ménissier) par l’équipe Bovins viande de lastation de génétique quantitative et appliquée. Les program-mes de recherche des chercheurs décentralisés du laboratoirede méthodologie génétique étaient orientés vers l’acquisitionde connaissances finalisées des mécanismes biologiques descaractères à sélectionner (Françoise Hulot et JacquesOuhayoun), les recherches de méthodologie de la sélectionappliquées à la sélection du lapin pour la création du progrèsgénétique, les expérimentations en sélection et croisement dulapin, ce dont je m’occupais avec Bernard Poujardieu, Jean-Louis Vrillon s’occupant du suivi technique. Il avait été doté dematériels informatique et mécanographique qui étaient en faitl’ordinateur IBM 1620, les trieuses et interclasseuses, (on enétait encore aux cartes perforées !) venues du CNRZ, pour unatelier de calcul automatique dont B. Poujardieu assurait laguidance scientifique. Les installations pour l’élevage expéri-mental de lapins avaient été construites sur le site d’Auzeville

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Propos recueillis par B. Desbrosses et Ch. Galant

pour être fonctionnelles dès juillet 1970. Elles ont été complé-tées très vite par une salle d’abattage. Un laboratoire avait étééquipé pour les recherches conduites par Jacques Ouhayounsur la croissance du tissu musculaire et par Françoise Hulot surles composantes biologiques de la taille des portées. Dès1970, dans la gestion des moyens en personnel technique dulaboratoire de méthodologie génétique, j’avais mis la prioritésur le recrutement d’un analyste programmeur (Roger Duzert)et du responsable de l’élevage expérimental de lapins(François Tudela), dans le but de répondre aux besoins collec-tifs des programmes expérimentaux des chercheurs du labora-toire. Danielle Demerson, technicienne lapin qui travaillait avecmoi à Jouy, nous a suivis dans cette décentralisation. Cet éle-vage expérimental a donc commencé à fonctionner dès juillet-septembre 1970, avec les techniciens d’élevage, Frédéric Ruizqui venait de Jouy-en-Josas et Yves Andreuzza recruté surplace à la suite d’un entretien en présence de SérénoFioramonti dans la cabane de chantier qui était située à l’en-trée du centre actuel. Le premier objectif de l’élevage expéri-mental était de tester sur le plan génétique le plan national desélection du lapin dont j’étais le responsable scientifique. J’aitoujours eu en effet une démarche scientifique avec hypothè-ses, test d’hypothèses et analyse des résultats pour une pour-suite de la démarche...

C’est la rigueur scientifique...

Avec une rigueur que Jacques Poly avait qualifiée de “granderigueur cartésienne, associée à une persévérance et grand soindans la réalisation des études”. Pour améliorer la productionde viande de lapin, le schéma de croisement de souches sélec-tionnées à double étage mâle C x femelle croisée (A x B), telque je l’ai exposé plusieurs fois (Rouvier, 1969, 1980), étaitjustifié. Charles Smith, chercheur à l’ABRO, avait montré dès1964 que l’intérêt de ce schéma de croisement dépend descaractères à améliorer et de leurs paramètres génétiques intraet entre souches. Il était clair qu’il fallait sélectionner les carac-tères de croissance, engraissement, efficacité de l’utilisationalimentaire, qualité des carcasses et de la viande dans des sou-ches de mâles de type C et les caractères de reproduction chezles femelles A et B. C’était bien l’orientation que les organisa-tions économiques et professionnelles regroupées et le minis-tère de l’Agriculture avaient donnée. Les sélectionneurs de laSOLAM devaient sélectionner les souches de mâles C dansleurs élevages et en utilisant le centre de testage qui a com-mencé à fonctionner au domaine de Langlade à partir de1972. L’INRA devait trouver et sélectionner une lapine croisée(métisse) à forte productivité numérique. Ce programme abénéficié d’une convention entre l’INRA et ACTA-ITAVI pourl’obtention d’une lapine métisse à haute productivité, d’unecollaboration avec l’ITAVI (premiers testages en ferme de lapi-nes croisées) et avec la société de sélection des souches delapins femelles (SOLAF) dont le président était Pierre Baneyepour la multiplication des souches. Le choix d’une lapine croi-sée productive qui devait être accouplée à un mâle de croise-ment terminal nécessitait l’étude de deux générations succes-sives de croisements. Nous avons donc réalisé une expérimen-tation en croisement dans l’élevage expérimental de lapins àAuzeville en 1970-1972, à partir des 6 souches de lapins quej’avais constituées dans l’élevage expérimental au CNRZ.

L’objectif était de choisir une souche de mâles de croisementterminal parmi les trois souches du laboratoire Fauve deBourgogne, Argenté de Champagne et Géant Blanc duBouscat et principalement de choisir les deux souches à sélec-tionner pour produire la lapine métisse à haute productiviténumérique. Ces deux souches femelles devaient être choisiesparmi les trois souches du laboratoire qui étaient laCalifornienne, la Néo-Zélandaise Blanche et la Petite Russe.Dans une première génération, des mâles Fauve de Bourgo-gne, Argenté de Champagne, Géant Blanc du Bouscat,Californien, Néo-Zélandais Blanc, Petit Russe ont été accou-plés avec des lapines des trois souches Californienne, Néo-Zélandaise Blanche, Petite Russe. Pour la deuxième génération,seules les lapines des 9 types génétiques issues des accouple-ments suivant un plan de croisement factoriel (252 lapines enreproduction au total) entre les trois souches Californienne,Néo-Zélandaise Blanche, Petite Russe, ont été élevées. Ellesont été accouplées et ont donné des descendants contrôlésavec des mâles Fauve de Bourgogne, souche mâle qui avaitdonné les meilleurs résultats. L’analyse des résultats a conduità choisir la souche Californienne et la souche Néo-ZélandaiseBlanche, ainsi que le sens du croisement du mâle Californienaccouplé à la lapine Néo-Zélandaise Blanche pour obtenir lalapine métisse à haute productivité numérique, c’est-à-direcapable de sevrer au moins 50 lapereaux par an (sans détério-ration de la vitesse de croissance des lapereaux) qui étaitdemandée (au lieu des 25-30 lapereaux). Un test complémen-taire de cette lapine métisse a été mis en place dans des lycéesagricoles en collaboration avec ceux-ci. Ce sont ces deux sou-ches que nous avons sélectionnées à partir de 1975 dans lecentre de sélection des souches de lapins femelles (SOLAF)après qu’il ait été construit au domaine de Langlade

Combien de mises bas cela représentait-il ?

Nous avions obtenu, en rythme de reproduction semi intensifdéfini et étudié précédemment, 6 à 7 mises bas par lapine etpar an. Un problème est apparu, que les chercheurs ont étudiépar la suite sans pouvoir vraiment le résoudre et pour lequelun palliatif a été trouvé par les éleveurs. De l’ordre de 10% à15% (à l’époque) des jeunes lapines mises en reproductionfont une première portée puis décèdent sans cause patholo-gique apparente. Le palliatif est d’avoir un excédent de jeuneslapines en élevage et de les utiliser immédiatement en rempla-cement pour que les cages de reproduction soient utilisées defaçon optimum. La durée d’une bande de lapines en reproduc-tion en élevage rationnel avait été définie à une année, bienque l’espérance de durée de vie de la lapine soit bien supérieu-re, du fait d’une baisse des performances avec le numéro deportée et surtout de la nécessité de vide sanitaire dans l’éleva-ge. Celui-ci consiste à entrer tous les reproducteurs ensembledans une cellule propre.

Là, vous avez un schéma de production qui paraît optimal à l’époque. Le diffusez-vous parmi les éleveurs ?

Les sélectionneurs de la SOLAM faisaient une première sélec-tion des mâles envoyés au centre de testage sur leur vitesse decroissance individuelle ; à l’issue du testage une deuxièmesélection parmi les mâles testés était faite suivant un index de

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1 La demande de reproductrices se développait mais les responsablesde la génétique de l’INRA considérantque les sélectionneurs privés étaienten mesure de s’impliquer davantagedans la production de ces géniteursn’ont pas souhaité engager lesmoyens supplémentaires (équipement,main-d’œuvre) qui auraient permis de dépasser largement et durablementce quota de 2 500 femelles A1077 grand-parentales diffusées chaque année par l’Institut.

valeur génétique, que nous établissions, pour améliorer l’effi-cacité de l’utilisation alimentaire en engraissement (en dimi-nuant l’indice de consommation) et le rendement à l’abattage.Les mâles étaient testés sur les lapines métisses AxB, l’interval-le de génération était maintenu court (un an) et ce schémaavait été optimalisé. Il répondait à un besoin et tout le mondesavait bien que la croissance pondérale, caractère d’héritabili-té moyenne à forte, pouvait se sélectionner en ferme, et que lasélection sur l’indice de consommation et les qualités bouchè-res nécessitait des contrôles et une sélection en station.L’encadrement ingénieurs (Jean-Louis Vrillon, A. Centis puisAlbert Roustan, INRA, René Donal, ITAVI) permettait de maîtri-ser ce schéma et d’apporter l’appui aux sélectionneurs de laSOLAM qui diffusaient les mâles améliorateurs aux éleveurs.L’INRA était chargé de la sélection des souches de lapinsfemelles et de la diffusion des mâles grand-parentaux (A) etdes femelles grand-parentales (B) aux multiplicateurs regrou-pés dans la SOLAF qui produisaient par croisement de cesmâles et femelles les lapines métisses (AxB) et les diffusaientaux éleveurs producteurs de lapins de boucherie. Il s’agissaitd’un schéma maintenant très classique de sélection multiplica-tion et diffusion du progrès génétique qui était entièrementoriginal et novateur pour le lapin à l’époque (Rouvier, 1972).Les ingénieurs Albert Roustan, Jean-Louis Vrillon et RenéDonal (ITAVI) ont mis en place ce schéma en 1975. Dès que lecentre de sélection des souches de lapins femelles a été cons-truit au domaine de Langlade, il y a eu transfert dans ce cent-re pour la sélection des souches Californienne (A1066) et Néo-Zélandaise Blanche (A1077). Nous avons accru l’effectif dechaque souche, constitué une souche témoin non sélectionnéeafin de mesurer le progrès génétique réalisé au cours desgénérations successives et mis en œuvre la méthode de sélec-tion intra souche que j’avais établie et présentée au départe-ment dès 1968. Il s’agissait d’une expérimentation en sélec-tion et croisement pour la création d’un matériel génétiquenouveau pour l’élevage. Lors de l’ouverture du centre de tes-tage en 1972, le ministère de l’Agriculture avait ouvert 7 pos-tes de techniciens et ingénieurs mis sur postes INRA qu’il mefallait autofinancer, cela jusqu’en 1979 lorsque le ministère aaffecté complètement ces postes à l’INRA. Dans un premiertemps, il fallait autofinancer ces postes, ainsi que le fonction-nement, ce qui m’a créé quelques préoccupations mais nousavons pu tenir tous les engagements.

Quels étaient alors vos financements ?

Le lapin n’étant pas pris en compte par la loi sur l’élevage, lesquestions de sélection et testage n’étaient pas discutées dansune instance comme la CNAG. Le programme était conçucomme une recherche en sélection du lapin pour à la foisrépondre à une demande des professionnels et en mêmetemps apporter des résultats scientifiques. L’expérience a bienmontré que les deux objectifs étaient très compatibles. LeFORMA et l’ACTA-ITAVI avaient financé les investissements(bâtiments d’élevage en ambiance protégée) et le matérieléquipement. Le centre de testage qui recevait les mâles à tes-ter et à sélectionner sur descendance puis les rendait auxsélectionneurs qui les utilisaient dans leur troupeau de sélec-tion suivant le schéma qui avait été établi, ne pouvait pas s’au-tofinancer. La seule recette était la vente des lapereaux de bou-

cherie issus du testage des mâles en croisement terminal. LeFORMA avait attribué une subvention de fonctionnement pour3 ans dont le relais à été pris par le ministère de l’Agriculturependant deux années. Le fonctionnement du centre de sélec-tion des souches de lapins femelles était équilibré par la ventedes reproducteurs mâles et femelles grand-parentaux des sou-ches A1066 et A1077 aux multiplicateurs associés dans laSOLAF qui produisaient les lapines parentales. Cette diffusionde reproducteurs INRA a commencé en 1975, après la phased’expérimentation en croisement en 1970-1972, puis unephase d’essais dans des élevages de production et dans deslycées agricoles, et l’INRA, devait limiter le nombre de grand-parentales A1077 à 2 500 maximum par an, l’ITAVI étant char-gé de répartir ces reproducteurs entre les partenaires profes-sionnels 1. En 1984, ce quota n’étant plus suffisant, l’INRA aproposé à ses partenaires qui se sont alors regroupés dans leSyndicat des sélectionneurs de lapins de chair français (SYSE-LAF) d’ajouter un étage au schéma de diffusion en créant, chezsix sélectionneurs associés, des souches homologues des sou-ches A1066 et A1077. Celles-ci continuent à être sélection-nées à l’INRA et diffusent des reproducteurs arrière-grand-parentaux au lieu de reproducteurs grand-parentaux. La diffu-sion potentielle des souches expérimentales de l’INRA est alorspassée de 37 500 femelles parentales à 562 500 par an. Audébut des années 90, le quota de 2 500 femelles A1077 étantà nouveau atteint, l’INRA a suggéré à ses partenaires de diffu-ser la souche A1077 par la voie mâle, ce qui a multiplié par sixla diffusion potentielle (cf “Les lignées originales de l’INRA :historique, développement et impact sur les productions ani-males”, INRA Prod. Anim. Hors série 1996, 41-56). L’INRA adonc continué, comme le ministère de l’Agriculture l’avaitdemandé, la sélection des souches de base de lapins femelle,plus en amont au niveau des reproducteurs arrière-grand-parentaux.

En France, quelle est notre consommation annuelle de viande de lapin ?

C’est de l’ordre de 80 000 tonnes de carcasses par an, c’est-à-dire à peu près la production de viande de mouton etagneau. Dans les années 70, on était à 300 000 T et cette

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Photo :©INRA

Saragosse.

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diminution était tout à fait imprévue. Pourtant la viande delapin est une viande diététique, mais elle est plus chère à pro-duire que celle de dinde et de poulet par exemple. Pour déve-lopper à nouveau cette production, il serait intéressant dediminuer le coût alimentaire de production par une sélectionsur l’efficacité alimentaire et aussi d’augmenter le rendementen viande dans la carcasse. Nous avions montré dans lesannées 70 qu’une sélection orientée vers ces objectifs seraitpossible.

Pouvez-vous nous résumer votre activité de généticien du lapin, pour que l’on comprenne bien vos apports cognitifset leurs applications pratiques ?

Pour contribuer à répondre aux besoins qui étaient expriméspar les organisations économiques et professionnelles regrou-pées et par le ministère de l’Agriculture, ma thématique derecherche sur le lapin s’était orientée sur la création de maté-riel génétique nouveau pour l’élevage. J’ai recherché et déve-loppé une méthodologie de sélection intra souche et de croise-ment qui a abouti à l’obtention d’une lapine croisée à hauteproductivité numérique utilisée par les éleveurs et conduit lesrecherches de sélection de la souche de mâle de croisementterminal. En même temps, sur la génétique du lapin, j’ai assu-ré à partir de 1970 l’animation scientifique des programmes de recherche des chercheurs du laboratoire. Auparavant, ainsique je l’ai indiqué précédemment, en collaboration avec le syn-dicat national d’élevage et d’amélioration du lapin de chair j’avais mis en place un contrôle de performances en ferme desaptitudes maternelles des lapines puis analysé les résultats(Rouvier, 1972). Ceux-ci montraient l’importance des effets nongénétiques que l’on appelle effets fixes tels que les effets éle-vage, année de naissance et saison ainsi que leurs interactions,et qu’il serait donc difficile et long d’obtenir un progrès géné-tique que les éleveurs souhaitaient rapide à l’époque sur lescaractères économiques de rythme de reproduction et de taillede portée sevrée. Des contrôles de performances en ferme etabattoir à Vic-Fezensac m’avaient permis de montrer l’exis-tence d’une variabilité génétique du rendement à l’abattage.En même temps, j’avais constitué et sélectionné les 6 souchesde l’élevage expérimental qui ont été utilisées pour obtenir lesparamètres génétiques de caractères d’intérêt économique etpour l’expérimentation en croisement conduite à Auzeville en 1970-1972 qui a permis de démontrer la supériorité de lalapine croisée issue du croisement du mâle de la soucheCalifornienne et de la femelle de la souche Néo-ZélandaiseBlanche. Il fallait trouver une méthode de sélection intra souchepermettant d’obtenir un nouveau progrès génétique sur la taillede portée. On savait ce caractère faiblement héritable et donc ilétait jugé a priori difficile à sélectionner par une sélection intrasouche dans une population d’effectif limité. Cela m’a conduità la recherche d’une méthode de sélection originale du lapindont j’avais l’idée précise déjà en 1968 puisque cette théma-tique m’avait servi d’exemple pour discuter les efficacités desindex de sélection dans mon enseignement à l’université (DEAde génétique quantitative) et au cours approfondi d’améliora-tion génétique des animaux organisé par l’INA Paris.Cette méthode reposait à la fois sur les plans d’accouplementet sur l’indexation des candidates à la sélection, pour accroîtrela productivité numérique des lapines, dans le cas d’un trou-

peau fermé d’effectif limité et de générations séparées. Celle-cia été appliquée à la sélection des souches INRA de lapinsfemelles depuis 1975 et fut un autre apport majeur à l’amélio-ration génétique du lapin. La méthode d’indexation des lapinesa été basée sur la connaissance des trois premières portées etune sélection combinée prenant en compte les performancesde la mère et des collatérales, le renouvellement du noyau desélection se faisant à partir des issues des deux premières por-tées, ce qui permettait d’accroître la précision de l’estimationdes valeurs génétiques additives de façon notable et l’intensi-té de sélection sans accroître l’intervalle de génération.Un mode de conduite des reproducteurs en groupes de repro-duction a permis de contrôler l’augmentation de la consangui-nité (Gérard Matheron et Roger Rouvier, 1977) dans une popu-lation d’effectif limité sélectionnée. J’avais associé à cetterecherche Gérard Matheron, jeune chercheur au laboratoirepuis à la station d’amélioration génétique des animaux. J’avaistrouvé en 1972, dans l’expérience de croisement, que la souched’origine Néo-Zélandaise Blanche (INRA 1077) complémente,par son effet génétique additif grand-maternel favorable sur lataille et poids de portée au sevrage, celle d’origine Californienne(INRA 1066) qui avait un effet génétique additif maternel favo-rable sur le nombre de lapereaux nés et sevrés par portée sevrée(Jean-Michel Brun et Roger Rouvier). Nous avions donc orientéensuite les recherches de Gérard Matheron en collaborationavec Françoise Hulot sur l’acquisition de connaissances utilesdes mécanismes biologiques de la taille de portée et de sescomposantes (taux d’ovulation, viabilité embryonnaire) ainsique sur la mise en évidence des actions conjointes des effetsdes gènes directs, maternels et grand-maternels.La souche A1066 (Californienne) était sélectionnée sur la taillede portée à la naissance et la souche A1077 (Néo-ZélandaiseBlanche) était sélectionnée sur la taille de portée au sevrage.Sur le plan de la recherche en sélection, le lapin a été un bonmatériel pour montrer qu’il a été possible d’accroître un carac-tère de faible héritabilité, la taille de portée, dans une souchede faible effectif, par une méthode de sélection optimalisée.À la 20ème génération de sélection, un progrès génétique de0.08 lapereau sevré par portée et par génération de sélectionen moyenne dans les souches de base a été estimé. Parailleurs, un effet d’hétérosis maternel important est apparu,comme conséquence de cette sélection des souches. Au total,la taille moyenne de portée à la naissance qui était de 7 à 8lapereaux en 1970 est passée à 10 lapereaux vingt ans plustard, le nombre de sevrés par portée est passé dans cettemême période de 6,5 à 8,5 lapereaux en moyenne 2.Les recherches sur la sélection et le testage des souches demâles de croisement terminal m’ont conduit à développer,après avoir estimé les paramètres génétiques des caractères àsélectionner, un premier index de sélection sur descendance àpartir de la valeur économique qui tenait compte de la quan-tité d’aliment consommé, de la croissance et du rendement àl’abattage du lapereau en engraissement. Les premièresrecherches sur la qualité de la viande de lapin étaient dévelop-pées par Jacques Ouhayoun avec qui j’avais engagé, dès1972, la constitution d’une souche synthétique par croisemententre Argenté de Champagne et Néo-Zélandaise Blanche pourune sélection expérimentale sur la vitesse de croissance post-sevrage, de façon à étudier le progrès génétique réalisable. Parailleurs, Jean Razungles orienté vers des recherches méthodo-

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2 Le but des expériences de croisement était d’estimer les effetsgénétiques du croisement qui sont :les effets génétiques additifs directs,indirects (maternels et grand-mater-nels) et les effets d’hétérosis direct et maternel. Ceux-ci sont aussi appelés paramètres génétiques du croisement. Un effet génétiquedirect est l’effet de gènes de l’individusur un caractère de cet individu.Un effet génétique maternel ou grand-maternel est l’effet des gènes d’une mère ou grand-mèresur un caractère mesuré sur son descendant : fils ou fille, petit-fils ou petite-fille. Ainsi, la production laitière d’une femelle influence le poids au sevrage de ses descen-dants. C’est une influence maternellequi se traduit par un effet maternel sur le poids au sevrage. Un effetgrand-maternel résulte d’un effetmaternel sur l’influence maternelle de sa fille. Les caractères de taille et de poids de portée des lapines sont considérés comme des caractères des produits.

logiques de sélection avait fait de nouvelles études d’optimisa-tion du testage appliqué au lapin (plan de testage à risqueminimum compte tenu de la variation du progrès génétiqueréalisé autour de son espérance).J’animais donc sur le plan scientifique les recherches du labo-ratoire de méthodologie génétique, puis de la station d’amé-lioration génétique des animaux. Les données collectées surles souches de lapins que j’étudiais ont fourni les données uti-lisées par Claude Chevalet pour sa recherche de thèse docto-rale sur l’estimation des composantes génétiques de la varian-ce chez le lapin et pour plusieurs communications scientifiquesoriginales des chercheurs du laboratoire au 1er congrès mon-dial de génétique appliquée à l’élevage qui s’était tenu àMadrid en 1972.

Pour le lapin, où en est-on dans les années 80 ? Qui prend le relais ?

Au 1er janvier 1980, Bernard Bibé a été nommé directeur de lastation d’amélioration génétique des animaux. La méthode desélection et de croisement pour obtenir une lapine croisée àhaute productivité numérique avait montré son efficacité etouvert la voie pour l’augmentation de la productivité numé-rique de la lapine, il fallait continuer pour étudier les progrèsgénétiques sur le long terme, rechercher des critères nouveauxde sélection... Par ailleurs le ministère de l’Agriculture avaitdemandé que l’INRA continue la sélection des souches femel-les de lapin de chair. J’ai donné à l’Académie d’Agriculture deFrance une synthèse sur les travaux de recherche français surla sélection du lapin au cours des 10 dernières années (1970-1980) qui avait le mérite de faire le point sur cette question(Rouvier, 1981). Gérard Matheron a pris le relais sur le lapin. Ily avait une équipe qui était bien formée pour continuer.Lorsque, en 1983, Gérard Matheron est parti au centre derecherches Antilles et Guyane en Guadeloupe, Hubert deRochambeau que j’avais formé à l’occasion d’un programmede coopération sur le lapin avec le Mexique a été rappelé del’INA Paris où il était enseignant pour être recruté par l’INRA.Il a pris le relais. Sur le lapin, les opérations de sélection et detestage des souches de lapins mâles chair qui avaient étéconduites jusqu’en 1978 avaient permis de répondre auxobjectifs fixés à ce programme, en sélectionnant et identifiant2 souches de mâles de croisement terminal amélioratrices pourplusieurs caractères (Rouvier, 1981). Les recherches de sélec-tion du mâle de croisement terminal auraient pu continuernotamment pour améliorer l’efficacité de l’utilisation alimen-taire du lapereau à l’engraissement et la qualité des carcassesmais les responsables à l’époque ont eu d’autres priorités. Leprogramme de sélection des deux souches de lapins femellesétait en très bonne voie pour continuer. L’INRA en était entiè-rement responsable, il était très bien maîtrisé et il a eu en effetles développements mentionnés précédemment jusqu’à nosjours ; il y avait un étoffement scientifique important et du per-sonnel pour continuer à partir de la base de résultats que nousavions obtenus. Jean-Michel Brun a confirmé une orientationd’analyse de plans de croisement chez le lapin et de rechercheméthodologique sur la sélection récurrente réciproque ousélection à deux populations. J’ai continué sur cette espèce àlaquelle j’étais très attaché en analysant des données existan-

tes pour des publications scientifiques auxquelles j’ai associéde jeunes collègues, rédigeant quelques synthèses et dévelop-pant, à la demande des collègues, de nouveaux programmesde coopération scientifique internationale que je venais d’en-gager avec l’Espagne (Fernand Orozco, INIA Madrid ; RafaelValls Pursals, Catalogne ; Manolo Baselga, université deValencia, Institut agronomique méditerranéen de Saragosse,Saragosse). Mes activités de formation et de recherches coopé-ratives avec Saragosse peuvent être qualifiées de durables.Depuis 1964, j’ai apporté mon concours de façon continued’abord au centre de Aula Dei en méthodes de statistiquesmathématiques dans le cadre d’un cours de l’OCDE qui avaitpour objectif de former les futurs cadres de la recherche agro-nomique espagnole. Ensuite en génétique animale à l’Institutdu centre international de hautes études agronomiques médi-terranéennes (IAMZ) dans le cadre de son cours supérieur deproduction animale, cycle de sélection animale, et cela jus-qu’en 2006 (ce cours a ensuite été modifié). Ce cours del’IAMZ a formé plusieurs jeunes chercheurs qui ont fait leurMaster à l’INRA.À partir de 1985, il m’a été demandé d’animer un groupe derecherches en réseau de l’IAMZ sur le développement du lapindans les pays méditerranéens du CIHEAM, à partir des raceslocales, aidé par le professeur Manolo Baselga à l’université deValencia qui a pris le relais dans les années 1995. Nous avonsréalisé 3 séminaires et publications Options méditerranéennessur les races locales de lapins.Par contre, le programme de coopération avec la direction del’élevage et des petites espèces du Mexique que j’avais enga-gé en 1975 avec le support du ministère des Affaires étrangè-res et le service des relations internationales de l’INRA, n’a pasété continué après ma dernière mission en 1981. Ce program-me avait donné des résultats remarquables pour l’améliorationdes ressources alimentaires des petits éleveurs mexicains etinversement l’INRA y a trouvé des lapins Rex chinchilla intéres-sants en tant que ressource génétique.Début 1980, le nouveau chef de département de génétiqueanimale, François Grosclaude m’avait dit que Jacques Poly pro-

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Conférence sur la génétique du lapin au Mexique, responsables de la direccion general de Avicultura y especies menores. Vétérinaires et éleveurs, 1975.

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posait de m’impliquer de façon plus importante dans des pro-jets concernant la génétique et la sélection des oies. J’ai accep-té. L’expérience m’a montré qu’il fallait cependant du courageaprès 20 ans de travail scientifique sur la génétique et la sélec-tion du lapin pour me réorienter complètement sur la géné-tique d’une nouvelle espèce très différente.

À l’époque, aviez-vous déjà travaillé sur la génétique des oies ?

Lors de la préparation thématique de la décentralisation tou-lousaine, l’équipe qui allait constituer le laboratoire de métho-dologie génétique avait inscrit une option de recherches sur lagénétique des oies, sachant l’importance de la productionattachée à cette espèce dans le sud-ouest. Dès 1972,Raymond Février, inspecteur général de la recherche agrono-mique avait d’abord organisé des réunions à la station expéri-mentale des oies d’Artiguères et à Mont-de-Marsan, à laquel-le j’avais été convié, avec Georges Monachon directeur de lastation. Jean Bustarret était présent. Auparavant GeorgesMonachon m’avait invité à visiter la station avec Jean-PierreBoyer qui s’occupait de la génétique à Artiguères et qui étantà Nouzilly souhaitait passer le relais à un collègue plus jeuneet plus proche géographiquement de la station que lui-même.Il en résultait une lettre de Raymond Février au laboratoire deméthodologie génétique qui lui demandait d’exploiter sur leplan de l’analyse génétique les données recueillies par la sta-tion expérimentale de l’oie d’Artiguères qui pourraient s’y prê-ter d’une part, et d’autre part d’étudier pour la profession, à lademande du président Jacques Castaing et de l’ITAVI, un pro-gramme de sélection de l’oie à foie gras que la Professionpourrait mettre en œuvre. Il y avait donc un besoin et unedemande de recherches finalisées sur l’amélioration génétiquedes oies à foie gras compte tenu de l’importance économiquede cette production pour les exploitations agricoles du sud-ouest et les conserveurs. Le centre technique de conserves deproduits agricoles (CTCPA) avait dès sa constitution en 1951pris en charge le domaine d’Artiguères, près de Mont-de-Marsan, domaine qui avait été mis en place après la fin de laDeuxième Guerre mondiale par la fédération nationale dessyndicats de conserveurs de produits agricoles. Le but était de développer un centre de recherches et d’expérimentationconsacré à l’étude des problèmes relatifs à l’élevage et à l’engraissement des palmipèdes producteurs de foie gras(source Bernard Vuatrin, ingénieur agronome, directeur géné-ral du CTCPA, 1957). Le CTCPA s’était donc intéressé très tôtà l’amélioration de l’oie à foie gras en créant le domained’Artiguères qu’il a demandé à l’INRA de reprendre en 1962,époque où le domaine a relevé de la station de recherches avi-coles (dirigée par René Péro) qui était au CNRZ à Jouy-en-Josas. En 1972, Jean-Pierre Boyer, généticien à la station derecherches avicoles qui avait été décentralisée à Tours Nouzilly,avait défini le système de contrôles des performances et dereproduction pedigree permettant d’enregistrer les généalo-gies ; avec Georges Monachon, ils avaient constitué des sou-ches d’oies. L’on pouvait donc faire de la génétique et j’aiaccepté la proposition de Jean-Pierre Boyer. Après plusieursdéplacements entre Auzeville et Artiguères, à partir de 1973,en accord avec Georges Monachon, j’ai défini une orientationde la gestion génétique des souches d’oies à Artiguères.

Donc entre 75 et 79 vous définissez, en liaison avec Georges Monachon, de nouvelles orientationsde sélection pour Artiguères. Pouvez-vous nous préciser en quoi consistaient ces nouvelles orientations ?

Il y avait à la station d’Artiguères un certain nombre de sou-ches qui étaient gérées et dont les objectifs de sélectionétaient à définir. Il y avait des souches à aptitude “foie gras”,l’oie Landaise et l’oie de Masseube, et des souches à aptitudeviande, l’oie du Rhin. Georges Monachon avait introduit l’oiedu Rhin, meilleure pondeuse que l’oie Landaise, pour étudierles possibilités d’amélioration de la ponte de l’oie Landaise parcroisement. Jusqu’en 1980 je m’occupais d’une gestion géné-tique des souches d’oies de la station, j’étudiais leurs perfor-mances, et j’ai pu mettre en place une expérience de sélectionen concentrant les efforts sur la souche d’oie Landaise. J’avaispris contact aussi avec Jean-Claude Blum de la station derecherches avicoles (SRA) qui travaillait sur le foie gras. À par-tir de 1980, en collaboration avec Daniel Rousselot-Pailley, quiavait succédé à Georges Monachon à la direction de la stationd’Artiguères, de nouvelles orientations se sont développées. Ilm’avait fallu d’abord, pendant plusieurs années prendreconnaissance de la biologie et de la zootechnie de cette nou-velle espèce mais aussi du contexte socio-économique de cetteproduction de foie gras d’oie. Je disais à mes collègues, surtoutà partir de 1980, Attention, l’oiseau n’est pas un mammifère.Cela est évident, mais il fallait prendre en compte les différen-ces fondamentales sur le plan biologique.

Les techniciens ont dû également s’adapter à de nouveaux animaux, à de nouvelles expérimentations...

Les ingénieurs et techniciens qui se sont impliqués se sont for-més, à partir de 1980 lorsque les programmes sur les oies se sont développés avec la prise en charge de l’établissementde logiciels pour la gestion informatique des troupeaux d’oiespuis de canards et l’installation de l’élevage expérimental de canards à Auzeville. Cela s’est très bien passé et la stationd’amélioration génétique des animaux (SAGA) a acquis unecompétence sur les palmipèdes aussi.

Reprenons les différentes problématiques développées au sujet de la sélection des oies.

Dès 1973, Raymond Février et René Pero m’avaient envoyé enmission pour visiter les instituts de recherche sur les oies enHongrie et en Pologne. À la SAGA, nous avons tout d’aborddéveloppé les travaux d’analyse et d’estimation des facteursde variation génétiques et non génétiques des caractères d’in-térêt économique. Conduits avec la collaboration de BernardPoujardieu (qui m’a toujours apporté une collaboration et unsoutien scientifique efficaces), ces travaux ont fourni des sujetsde stage à de nombreux étudiants, utilisant les données déjàcollectées et en cours de collecte à Artiguères. Ces études ontpermis d’acquérir les connaissances nécessaires à la conduitede programmes de génétique appliquée à cette station. L’oieproduit un foie gras très réputé et de haute qualité. L’oie pré-sente l’inconvénient d’avoir une ponte très saisonnée en éle-vage dans les conditions naturelles, avec une ponte de courtedurée (4 mois), de faible intensité (maximum de 50% en pla-teau de ponte) et d’être une faible productrice d’oisons. Cela

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limitait fortement les possibilités d’organisation de la produc-tion, les producteurs organisés devant obtenir une productiond’oisons tout au long de l’année. Déjà la station d’Artiguèresproposait des programmes lumineux pour contrôler les pério-des de ponte, cela nécessitant l’utilisation de bâtiments d’éle-vage fermés. En utilisant successivement au long de l’annéeplusieurs bandes d’oies conduites en reproduction avec unprogramme lumineux dont la durée de ponte restait limitée à3-4 mois, l’on arrivait à désaisonner la production d’oisons.Une priorité était donc d’améliorer la production d’oisons parcycle de ponte de l’oie dans des souches à foie gras. D’autresquestions se posaient : comment augmenter le poids du foiegras sans détériorer sa qualité technologique et comment aug-menter le rendement en muscles pectoraux. Il avait été trouvéque lorsque le poids du foie gras augmentait, en moyenne letaux de fonte lipidique à la stérilisation augmentait aussi. Lesmuscles pectoraux des oies sont moins développés que ceuxdes canards et le magret d’oie se valorisait peu. Voilà pour laproblématique. Quelle fut la thématique ? Jean-Pierre Boyeravait montré sur la souche d’oies Landaises d’Artiguères, unantagonisme génétique entre les productions de foie gras et d’oisons, les jars dont les descendants gavés produisaient le plus de foie gras ayant des filles qui produisaient le moinsd’oisons et réciproquement. Dans un premier temps, les re-cherches de sélection ont donc été orientées vers l’accroisse-ment du nombre d’oisons produits par oie par cycle naturel deponte et du poids du foie gras, puis vers l’amélioration de laqualité des produits (foie gras, magret). Pour essayer de romp-

re l’opposition entre poids du foie gras et nombre d’oisons, en1976 j’avais constitué à partir du troupeau d’oies Landaises dela station deux souches (appelées Landaise 00 et Landaise 01)sélectionnées sur ces deux objectifs complémentaires pour lesaméliorer ensuite par le croisement entre le mâle Landais (L00)et l’oie Landaise (L 01). La souche L01 était sélectionnée pouraugmenter les nombres d’œufs pondus et d’oisons avec unecontrainte sur le maintien du poids du foie gras ; la souche L00était sélectionnée pour accroître le poids du foie avec maintiendu nombre d’oisons produits. Ces souches étaient sélection-nées en faible effectif, l’intervalle de génération était de deuxans, les oies de un an étaient utilisées pour leur testage foiegras. À partir de 1974, (afin de répondre à la deuxième ques-tion de la lettre de Raymond Février), j’ai participé à plusieursréunions avec la SICA “foie gras” de Saint-Sever et le présidentJacques Castaing pour les aider à définir un schéma de sélec-tion des oies à foie gras. Ces études ont été reprises ensuitedans un cadre plus large avec l’ITAVI et une interprofessionfoie gras. En 1980, les professionnels et les conserveurs se sontregroupés dans la SICA SEPALM et ont construit leur centre desélection de l’oie à Souprosse dans les Landes. Une conventionde recherche avait été établie avec la SICA SEPALM par laquel-le l’INRA s’engageait à donner un appui scientifique et tech-nique pour l’amélioration de l’oie à foie gras ; nous collabo-rions avec les ingénieurs de cet organisme qu’il m’avait étédemandé de former (François Salzman de 1980 à 1990, MarcRoussely qui a pris le relais). Au début des années 80 la gui-dance scientifique en génétique de la station d’Artiguères m’a

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Oies landaises en élevageà Artiguères.

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été confiée par Pierre Mauléon, directeur scientifique des pro-ductions animales. Depuis cette date et jusqu’à mon départ àla retraite en 2000, j’ai développé une collaboration scienti-fique étroite avec Daniel Rousselot-Pailley, directeur de la sta-tion et son équipe. L’INRA a alors étoffé la station d’Artiguèresen techniciens. L’objectif de sélection que la SICA SEPALM s’était donné en 1980 était d’accroître les poids et la qualitédes foies gras et des paletots, tout en maintenant le nombred’oisons produits par oie et saison de ponte à un niveau suffi-sant (25 oisons en deuxième ponte), en sélectionnant uneseule souche pour des raisons économiques. Il s’agissait desélectionner une souche lourde, la SICA SEPALM souhaitantproduire des foies gras lourds et de la viande. Il était demandéà la station d’Artiguères de continuer la sélection des souchesL00 et L01, souches d’oie Landaise légères et relativementbonnes pondeuses ; ces deux qualités étant recherchéesrespectivement par la SICA SEPALM et les conserveurs. Nousnous sommes donc orientés, avec les ingénieurs ITAVI RenéDonal et Madame Evelyne Sazy, vers la constitution de cettesouche à partir d’un échantillonnage d’animaux issus des éle-vages de terrain qui suivaient un contrôle de performances etavaient les performances foie gras moyennes les plus élevées.Le programme de sélection de la souche ainsi constituée étaitbasé sur des contrôles de performances individuelles en sta-tion de sélection pour les caractères de reproduction et un tes-tage foie gras en ferme avec contrôles dans les salles d’éviscé-ration professionnelles. Il m’a été demandé d’aller exposer ceschéma dans une réunion à Mont-de-Marsan. Ce testage foiegras en ferme a pu être suivi grâce à Evelyne Sazy, ingénieurITAVI. C’était un élément clé du protocole de sélection que l’onm’avait chargé d’optimiser et de proposer. Pour la sélection enstation à Souprosse de la SICA SEPALM, dans les premièresannées, avec Bernard Poujardieu nous avons calculé les indexde sélection. En attendant le recrutement de l’ingénieur géné-ticien (François Salzmann qui a pris le relais) de la SEPALM, etsa formation, j’ai dû réaliser cette sélection faisant ainsi etaussi fonction de généticien de la SICA SEPALM dans un pre-mier temps. Après 3 générations de sélection, le poids du foiegras s’est accru de 130 grammes (de 700 g à 830 g) enmoyenne. En même temps, la station d’Artiguères avait trouvéune nouvelle technologie de gavage permettant de gaver en14 jours au lieu des 3 à 4 semaines traditionnelles. Cette évo-lution phénotypique du poids de foie à l’issue du gavage cor-respondait aux prédictions sur le progrès génétique suivant laméthode de sélection que j’avais publiée d’abord (Rouvier etal., 1982) et proposée à la SICA SEPALM. Dans le mêmetemps, il avait fallu s’orienter à la station d’Artiguères en col-laboration avec la discipline élevage, l’interprofession et leCTCPA, vers la recherche d’une mesure de la qualité technolo-gique des foies gras d’oies utilisable en génétique. La mesurequi a été trouvée est le taux de fonte lipidique d’un morceaude foie gras frais de 60 g après appertisation. Ce résultat futaussi un apport important de la station d’Artiguères.Dans une expérience de croisement factoriel des souchessélectionnées conduite à Artiguères, nous avons trouvé que lecroisement entre le jars SEPALM lourd et l’oie L01 légère etplus productive donnait des oisons qui gavés produisaientautant de foie gras que les oisons de la souche Sepalm en pur,en moyenne des deux sexes, et de qualité technologique plu-tôt améliorée (Rouvier et al., 1992).

L’aboutissement de cette première série de travaux s’est fait en1990, les objectifs ayant été atteints. La SICA SEPALM a ache-té à l’INRA la souche Landaise 01 pour utiliser les femelles encroisement avec les jars de la souche SEPALM lourde. À la sta-tion d’Artiguères les deux souches L00 et L01 ont été recroi-sées ensemble pour en faire une souche synthétique, laLandaise L07 qui a été utilisée pour les recherches expérimen-tales ultérieures. Celles-ci se sont orientées, en collaborationavec la SICA SEPALM (Marc Roussely), vers des études plusfines des critères de qualité des foies gras et des magrets enmême temps que nous maintenions notre appui scientifique àla sélection. Nous avons aussi engagé une nouvelle théma-tique en étudiant la production de viande : serait-il possible deproduire plus de viande avec une oie que l’on veut gaver ?

Pouvez-vous nous présenter ces travaux sur la production de viande d’oie ?

J’animais un programme de coopération scientifique avec lastation sur les oies de Koluda Wielka en Pologne sur la géné-tique et l’élevage de l’oie à rôtir. Cette station disposait d’unesouche d’oies blanches qui avait montré dans le passé unedouble aptitude foie gras et viande. Elle était réputée prolifiqueet aussi pour son développement musculaire ; ce qui nous inté-ressait pour notre problématique. La Pologne a abandonné legavage sous la pression des “Verts” défenseurs du bien-êtreanimal. La station de Koluda Wielka continuait une sélectionde deux souches d’oie polonaise pour la production de vian-de d’oie qui est une production traditionnelle en Pologne etdans l’est de l’Allemagne. Nous avons pu obtenir ces oiesPolonaises pour les étudier à la station d’Artiguères dans lecadre de notre questionnement : comment produire à la foissuffisamment d’oisons, du foie gras et de la viande, en utilisantcette oie Polonaise. La station d’Artiguères a engagé plusieursprogrammes de recherche expérimentale sur ce thème, quenous n’avons pas pu suivre pendant suffisamment de temps niavec suffisamment d’animaux. Nous avons cependant montréque le développement des muscles pectoraux de l’oie pourraitse sélectionner. De plus, l’oie Polonaise qui se gavait mais pro-duisait moins de foie gras que l’oie Landaise était un matérielexpérimental de choix pour les recherches sur les mécanismesbiologiques et génétiques de la formation du foie gras et celaa été utilisé par les chercheurs qui étudient les mécanismesphysiologiques de la formation du foie gras. Nous avons aussiréalisé à Artiguères une expérience QTL foie gras avec unprotocole de type F2 en croisant cette souche d’oie Polonaiseavec la Landaise L07 dont les résultats zootechniques sont res-tés dans les tiroirs parce qu’il y a eu à l’époque d’autres prio-rités que l’oie pour la détection des marqueurs moléculairespour la recherche de QTL. Les souches d’oies à rôtir de la sta-tion d’Artiguères ont été cédées à un sélectionneur profession-nel, dans le cadre d’une convention de recherche et d’un par-tenariat.À partir des années 95, l’INRA disait de plus en plus qu’il fau-drait développer à Artiguères les programmes canards, ce quiétait raisonnable. Mais il fallait le faire à moyens constants.Cela voulait donc dire aussi qu’il fallait réduire les programmessur les oies. Les programmes oies d’Artiguères se sont réduitspetit à petit, donc le nombre de souches d’oies aussi, et lesprogrammes canards qui y existaient déjà depuis 1986 se sont

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beaucoup développés à partir de 1996 pour y exister complè-tement en 2001.Pour terminer sur l’oie à foie gras, la mission a été remplie vis-à-vis de la SICA SEPALM. Nous avons aidé à la réalisation du pro-grès génétique et nous lui avons cédé une souche productive.

Vous venez d’évoquer les programmes canards qui se développent sur le site d’Artiguères et vous avez parlédes recherches sur l’oie en nous disant qu’elles avaientmaintenant une place moins importante. Cela veut-il dire que ces recherches vont, à terme, être abandonnées ?

Nous avons beaucoup travaillé pour améliorer la ponte et lafertilité des oies, ceci avec Daniel Rousselot-Pailley, ses collabo-rateurs de la station d’Artiguères et nos collègues de la stationde recherche avicole de Tours. Sur le gavage et la qualité desfoies, des progrès importants ont été faits rapidement à la sta-tion d’Artiguères. Je crois avoir déjà mentionné que dès 1981la station d’Artiguères avait montré que l’on pouvait obtenirun poids de foie de 800 g en moyenne en 13 jours de gavage,alors qu’il était encore courant sur le terrain de gaver les oiespendant 3 semaines. J’avais exposé ce résultat à une réuniond’éleveurs et responsables professionnels à laquelle MmeEvelyne Sazy (ingénieur ITAVI qui a beaucoup travaillé sur l’oieet m’a apporté une collaboration technique très importante)m’avait demandé de venir, un dimanche après-midi après lerepas en plein mois de juillet dans une salle de cinéma trèschaude d’un village de Dordogne. Même avec la chaleur etaprès le repas, la salle avait sursauté en entendant 13 jours degavage... La méthodologie d’analyse de la qualité technolo-gique des foies gras, mesurée par la fonte lipidique à l’apper-tisation, a été établie à la station d’Artiguères. Il se trouve quel’oie à gaver ne s’est pas développée puisque la production defoie gras d’oie est en régression, alors que la production decanards gavés a explosé, passant de l’ordre de 2 millions decanards gavés par an en 1981 à plus de 43 millions de canardsmulards mâles gavés en 2006. En 2006, la France a produit500 tonnes de foie gras d’oies et 19 000 tonnes de foie grasde canards.

Comment s’explique cette diminution de la production de foie gras d’oie ?

Par le succès du canard mulard qui est un animal rustique, unanimal qui se gave bien parce qu’il a un fort appétit et uneforte aptitude à la formation du foie gras. Le mulard se gavebeaucoup plus facilement que l’oie, en deux repas de gavagepar jour au lieu de 6 pour l’oie (3 repas avec repasse). Lemulard peut faire maintenant un foie gras lourd et de qualitébien qu’ayant une fonte lipidique à la stérilisation supérieure àcelle du foie gras d’oie. Il peut être consommé sous différentespréparations, entier en conserve stérilisé ou en mi-cuit ou cru,ou en bloc de foie gras. De plus, le mulard se valorise aussi parses magrets, le magret de canard est apparu au début desannées 70 en tant que produit culinaire ayant beaucoup desuccès. Les muscles pectoraux de l’oie, moins développés queceux des canards, ne se valorisent pas sous forme de magret.L’oie produit moins de viande que le canard. La dernière rai-son, et peut-être non des moindres, est liée à la maîtrise de la

reproduction de la cane commune mère du mulard, il est alorsdevenu possible de planifier la production de canetonsmulards à gaver sur toute l’année ; ce qui permet une organi-sation rationnelle de la production.

Existe-t-il des demandes spécifiques pour le foie gras d’oie ?C’est un foie gras de qualité tout de même ?

L’avantage de l’oie c’est la production d’un foie gras de hautequalité technologique et de qualité gustative particulière(finesse du grain). Il est donc idéal pour la préparation enconserves et il y a un marché à l’exportation. Mais la produc-tion française a diminué (500 T en 2006) à la différence decelle du foie gras de canard qui s’est considérablement déve-loppée (19 000 T en 2006).

Pourquoi ?

Parce que le foie gras d’oie est cher à produire (faible prolifici-té de l’oie, coût élevé de l’oison d’un jour, 3 gavages par jourau lieu de deux pour le canard, valorisation de l’oie unique-ment par son foie et peu par la viande). La production françai-se de foie gras d’oie est en grande partie une production decircuit court (abattage, transformation et vente à la ferme) ; lesimportations restent importantes pour les besoins des conser-veurs qui ont un marché à l’exportation aussi.

II y a un coût de production de l’oie qui est plus élevé, ce qui donne un foie gras plus cher. Pour autant, ce segmentde marché du foie gras va quand même se maintenir.

C’est exact, le coût de production des produits de l’oie gavé estplus élevé que celui des canards mulards même si l’on utilisedes oies lourdes qui produisent plus de foie gras et de viandeque des oies plus légères comme celles des souches que nousavons étudiées à la station d’Artiguères. En France, je penseque les productions et les transformations à la ferme vont semaintenir parce qu’elles sont moins intensives et qu’elles valo-risent mieux la qualité.

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Élevage de canards destinés au gavage pour le foie gras.

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Propos recueillis par B. Desbrosses et Ch. Galant

Par rapport à ces créneaux, y a-t-il des travaux de recherchequi sont conduits en dehors de l’INRA ?

Un facteur limitant est à mon point de vue la faible productiond’oisons par oie. Les recherches pour essayer d’intensifier lareproduction des oies, qui avaient été bien engagées, mérite-raient d’être poursuivies, on devrait y arriver ! Mais qui va s’enoccuper ? Du côté de l’élevage, surtout pour une productionfermière et moins intensive, nous avions avec Daniel Rousselot-Pailley et Gérard Guy engagé des recherches sur l’utilisation del’herbe par les oies au pâturage. Est-ce une piste ? À ma con-naissance, si la station INRA d’Artiguères arrête les recherchessur les oies, la station professionnelle de Coulaures, en Dordo-gne, continue des travaux pour l’amélioration de l’élevage et laproduction des oies gavées. La SICA SEPALM continuait soneffort de sélection de l’oie à gaver, un autre sélectionneur privéavec lequel nous avons travaillé en partenariat dans le cadred’une convention de recherche continuait la sélection de sou-ches d’oies à rôtir et à gaver. Enfin, les recherches sur l’oie à rôtircontinuent à intéresser la Pologne, Taiwan, et j’ai vu en Chineplusieurs races locales d’oies.

Maintenant parlons du canard. À partir de quand vous y êtes- vous intéressé ?C’est à partir de 1983 que j’ai travaillé sur ces espèces nouvel-les et ce fut une initiative personnelle de m’y intéresser audébut. En effet, lors de mes déplacements fréquents dans lesLandes, j’avais remarqué que les éleveurs souhaitaient gaverdu canard mulard, mais que celui-ci était très difficile à produi-re en tant que caneton d’un jour. Par ailleurs, j’avais entendudire que la SICA SEPALM projetait de mettre en place unesélection de la cane Pékin comme mère du mulard, et elledevait donc mettre au point les nouvelles techniques de sélec-tion pour cette production nouvelle. Nous étions au début desannées 80 à une période charnière pour les productions decanards et pour l’orientation des couvoirs. En effet, la sélectionet la production de Barbarie pour la viande étaient en pleindéveloppement en Pays de Loire, les accouveurs de cetterégion cherchaient à réorienter l’accouvage des œufs de lacane Pékin pour produire des canetons mulards. Le mulard est

un hybride intergénérique infertile issu du croisement entre lemâle Barbarie (Cairina Moschata) et la cane commune (Anasplatythynchos), cane de race Rouen (race locale) ou Pékin (racegénéralement utilisée en France). Les éleveurs du sud-ouestavaient remarqué que ce mulard était relativement facile àgaver et donnait un foie gras lourd et de qualité. Mais dansl’accouplement naturel entre mâle Barbarie et cane commune,le taux de fertilité des œufs n’était que de 20% à 30%, et l’in-sémination artificielle n’était pas maîtrisée en France. La nonmaîtrise de la reproduction de la cane commune comme mèredu mulard était donc le facteur limitant majeur de la produc-tion de mulards.En 1982, une offre a été faite par le conseil national des scien-ces (NSC) de Taiwan transmise à l’INRA par la représentation dela France à Taipei qui était une invitation pour un séjour de 3mois de recherches sur le canard. En passant devant le panneaud’affichage du secrétariat de la station d’amélioration génétiquedes animaux, mon attention a été retenue par la lettre d’invita-tion qui y avait été affichée avec une note manuscrite du chef dedépartement de Génétique animale (François Grosclaude) quidisait : Est ce que cela intéresserait Rouvier ? J’ai accepté cettemission et suis allé au centre de recherches sur le canard “DuckResearch Center” (DRC), station de Ilan de l’Institut de recher-che sur l’élevage de Taiwan (Taiwan Livestock Research Institute,TLRI) pour y conduire des recherches de génétique et de physio-logie des canards du 26 février au 20 mai 1983. J’y ai rencon-tré pour la première fois et dès mon arrivée Chein Tai (qui étaitvenu m’accueillir à Taipei et a facilité mon immersion dans la cul-ture chinoise), jeune chercheur généticien qui dirigeait le DRC etterminait sa thèse faite à l’université de Davis en Californie. Lesrecherches ont été faites en équipe avec Chein Tai, son épouseJiu Jane Liu Tai qui avait contribué à la mise au point de l’insé-mination artificielle de la cane commune mère du mulard etcontinuait les recherches en physiologie de la reproduction surce sujet et toute l’équipe du DRC.Le principal programme de recherches du DRC en 1983 étaitaxé sur l’amélioration de la production du canard mulard àrôtir. Un programme original de sélection de souches avait déjàété mis en œuvre depuis plusieurs années : l’insémination arti-ficielle pour produire les canetons mulards étant maîtrisée, leDRC avait fait des sessions de formation et tous les éleveursl’utilisaient depuis une dizaine d’années. Deux souches grand-parentales étaient sélectionnées pour produire un mulard àplumage blanc, la Tsaiya Blanche bonne pondeuse et légère etla Pékin plus lourde, qui croisées entre elles produisaient unecane métisse appelée Kaiya utilisée pour produire les canetonsmulards par insémination artificielle deux fois par semaineavec la semence de canard de Barbarie.

Autour de quelles questions avez-vous orienté vos activitésau cours de ce premier séjour à Taiwan ?

Mes recherches étaient très intensives - mes horaires de travailau DRC étaient de 8h du matin à 20h ; ce qui m’a permis, avecles conférences que j’ai données dans les universités à Taipei,Taichung et au siège du TLRI à Hsinhua Tainan, qui ont étépubliées dans Livestock Research Journal, d’établir des rela-tions confiantes. Mes investigations étaient documentées pardes références bibliographiques trouvées sur place, par des

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Équipe du centre de recherches sur le canard, génétique et physiologiede la reproduction, 1983.

Photo :©INRA

analyses de données obtenues sur place et par une initiation àla pratique de l’élevage et de l’insémination artificielle chez lecanard. Ma conclusion était que la maîtrise de la techniqued’insémination artificielle (IA) constituait la clé de la produc-tion de canetons mulards. J’avais identifié aussi le facteur prin-cipal de la réussite des IA qui était la mise en place de lasemence dans la voie génitale femelle. Le taux de fertilité desœufs à canetons mulards contrôlé dans un couvoir de Ilan,proche du DRC, était de 71% en moyenne, avec une variationentre élevages de 65% à 81%, un mâle pouvant servir 40canes (au lieu de deux dans l’accouplement naturel), commeje l’avais présenté dès 1983 et publié dans une publication col-loque INRA qui décrivait aussi la technique d’IA utilisée(Rouvier et al., 1984. Les Colloques de l’INRA, 29 :360-367).La cane Kaiya était plus légère que la cane Pékin utilisée enFrance et il fallait montrer l’adaptation de la technique d’insé-mination artificielle taiwanaise au matériel animal français. Lematériel génétique taiwanais n’était pas le même que celui uti-lisé en France par les éleveurs. Il fallait expérimenter afin derépondre aux questions posées par les chercheurs sur les rôlesrespectifs du matériel génétique et de la maîtrise de l’IA sur le taux de fertilité en production de mulards. Dans une séried’études expérimentales, conduites grâce à la collaboration deRené Babilé (au domaine de Monlon de l’ENSAT), de FrançoisSalzmann et Marie-Madeleine Mialon à la SEPALM àSouprosse, et de Frédéric Ruiz technicien d’élevage, qui avaitappris à pratiquer l’IA de la cane mère du mulard, j’ai doncmontré l’utilisation d’une méthode d’insémination artificielle dela cane Rouen ou Pékin qui permettait d’obtenir 70% à 75%d’œufs fécondés en moyenne, sur une longue période de ponte,sans que l’éclosabilité des œufs à mulards soit diminuée(Rouvier et al., 1987, 1988). Ces travaux conduits à la SAGAavec la collaboration de chercheurs de l’ENSAT et de la SICASEPALM ont donc ouvert la voie au développement de la pro-duction de mulards pour le gavage. Des travaux de rechercheconduits en collaboration ont permis à la SICA SEPALM de met-tre en œuvre une méthode de sélection entièrement originalede sa cane Pékin d’origine européenne en utilisant l’insémina-tion artificielle comme méthode de reproduction pour le testdes canes reproductrices. La SICA SEPALM qui, avec François

Salzmann et son équipe, a eu un rôle de pionnier dans cettesélection a aussi été la première à diffuser la technique d’insé-mination artificielle auprès des accouveurs. Ces résultats ontouvert la voie à une organisation professionnelle de la filièrecanard mulard à gaver et aux autres sélectionneurs qui ontaussi utilisé cette avancée technologique. Le nombre de mu-lards gavés par an en France qui était de l’ordre de 2 millionsen 1983 est passé à 43 millions et six cent mille mulards mâlesgavés en 2006.Cependant le taux de fertilité en Barbarie ou en Pékin pur, en IAdeux fois par semaine est de 90% au moins et ce taux de ferti-lité était 15 points de pourcentage en dessous en IA pour lemulard. Il fallait donc rechercher si l’amélioration du taux de fer-tilité des œufs à mulard par voie génétique était possible. Deplus, il était intéressant d’étudier les possibilités de gènes deforte ponte et fécondité que l’on pouvait trouver dans une sou-che comme la Tsaiya Brune qui est une cane très pondeuse uti-lisée pour la production d’œufs de consommation. À l’issue demon séjour au DRC en 1983, nous avions proposé d’établir unprogramme de coopération scientifique avec échange de maté-riel génétique, idée qui avait été reçue favorablement par le pro-fesseur H. H. Huang au conseil de l’agriculture (COA) de Taiwanet par Bernard Bibé à la SAGA. Le professeur H. H. Huang étaitvenu en mission à la SAGA à l’automne 1983 et un projet deprotocole expérimental qui nécessitait un échange de matérielgénétique à conduire en collaboration scientifique avait étéenvisagé. Dans un premier temps, nous allions orienter et con-centrer nos efforts de recherche sur l’étude génétique de la caneTsaiya Brune. Par ailleurs, j’avais constitué, pour nos besoinsexpérimentaux, une petite population de canes Rouen, racelocale intéressante (qui l’est toujours aujourd’hui pour certainescaractéristiques) et qui avait permis aussi de faire à Artiguèresles premières études expérimentales INRA de gavage descanards mulards dès 1986 ; sur ce sujet il y avait une fortedemande de l’interprofession qui s’organisait et constituait sespropres centres expérimentaux pour les études du gavage(comme l’AGPM à Pau-Montardon). Cette coopération scienti-fique avec Taiwan dès son début a été tout à fait féconde et utileà la structuration de la filière canards mulards française et pourle développement des recherches à l’INRA.

Roger Rouvier, Toulouse, le 26 avril 2005 �

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Cane et canard Tsaiya Brune TLRI1.

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os :

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RA -

TLRI

Propos recueillis par B. Desbrosses et Ch. Galant

Elle a été utile à la filière française mais à Taiwan qu’y ont-ils gagné ?

Dès le début, les recherches ont été conduites en collaborationscientifique sur des thèmes d’intérêts communs, notre apporta d’abord été méthodologique, il y a eu ensuite des formationsde doctorants, des publications scientifiques communes et lacoopération entre l’INRA et le conseil de l’agriculture (COA) deTaiwan s’est étendue au canard mais aussi à d’autres espèces,thématiques et secteurs. À partir du début des années 1990,Jean-Paul Poivey m’a aidé par une contribution scientifiqueforte à ces développements. Sur la thématique du canardmulard, les collaborations ont permis une synergie de moyenssur une production pour laquelle il y avait très peu de moyensde recherche en France à l’époque. Elles ont permis aussi dedégager nos propres programmes de recherche sur le canardmulard à l’INRA, alors qu’ils étaient encore complètementinexistants début 1983.Lors de l’échange de chercheurs en 1986, entre Roger Rouvieret Dr Chein Tai alors chef de département de Génétique ani-male du TLRI, à partir de la définition de programmes expéri-mentaux, des projets de programmes de coopération scienti-fique ont été discutés. Des œufs à couver de Tsaiya Brune etde cane de race Rouen ont été échangés. La thématique com-mune dégagée concernait l’analyse génétique de la durée dela période fertile de la cane commune mère du mulard et l’a-nalyse génétique de la cane Tsaiya Brune. Les oiseaux présen-tent la particularité remarquable de pouvoir pondre des œufsfécondés pendant un temps plus ou moins long après uneseule insémination naturelle ou artificielle, les spermatozoïdesétant stockés dans les glandes spermatiques ou glandes utéro-vaginales, d’où ils sont relâchés pour aller féconder les ovulespondus dans le haut de l’oviducte. Le nombre de spermatozoï-des stockés et la durée du stockage mais aussi du pouvoirfécondant déterminent une variation entre animaux et espècesde la durée de la fertilité. La durée de la période fertile (oudurée de la fertilité) est le temps en jours entre l’inséminationet le dernier œuf fécondé pondu. Lorsque l’on étudie, lors d’untest de fertilité, l’évolution du taux de fertilité par jour en fonc-

tion du nombre de jours après une seule IA, on constate quecelui-ci se situe à un niveau plus ou moins élevé au départ etdiminue ensuite plus ou moins rapidement. Cette évolutionconditionne la fréquence des inséminations nécessaires pourobtenir un taux de fertilité moyen convenable. Dès 1986, sui-vant l’idée originale de Chein Tai, nous avons expérimentéensemble sur un troupeau de 348 canes Tsaiya Brune quenous avons soumises à un test de fertilité. L’analyse des résul-tats faite immédiatement, en collaboration avec Jean-PaulPoivey et publiée en 1994, montrait que le meilleur critère desélection sur la durée de la fertilité de la cane commune encroisement intergénérique semblait être le nombre d’œufsfécondés du 2ème au 15ème jour après IA avec la semence mélan-gée de canard de Barbarie. La première valeur publiée de l’hé-ritabilité de ce caractère est de 0,29 pour la composante pèreet de 0,38 pour la composante mère. Cela ouvrait la voie àl’expérimentation en sélection sur ce caractère nouveau.

Comment avez-vous poursuivi ces travaux sur la durée de la fertilité des canes ?

Cette thématique de la durée de la fertilité de la cane commu-ne mère du mulard a pu être développée grâce à la thèse deYu-Shin Cheng. Il fallait mettre en place une expérience desélection. La question qui se posait était de déterminer s’il étaitpossible d’accroître par voie génétique la durée de la fertilitéet la fertilité au-dessus des 75% de taux de fertilité, et d’insé-miner une seule fois par semaine au lieu des deux fois parsemaine requises tout en améliorant le taux de fertilité moyen.En même temps, il fallait connaître les évolutions d’un certainnombre de caractères corrélés. Pour répondre à ces questionsune expérience de sélection a été mise en place au TLRI àHsinhua en 1992 par Yu-Shin Cheng et ses collègues dans lecadre de son sujet de thèse doctorale réalisée à la SAGA etsoutenue à l’Institut national polytechnique de Toulouse en1995. L’objectif était de mesurer des réponses directes et cor-rélées à la sélection. À partir de la même population de base,la souche Tsaiya Brune, deux lignées ont été dérivées : l’unesélectionnée sur le nombre d’œufs fécondés, mesurés pendant18 jours, après une seule insémination artificielle avec de lasemence mélangée de canard de Barbarie, l’autre conduite enlignée témoin non sélectionnée de façon à pouvoir mesurer laréponse génétique à la sélection. Après la soutenance dethèse, 3 publications conjointes sont parues et plusieurs com-munications à des séminaires et à des congrès. L’expérience apu être conduite en expérience de sélection de longue durée(11 générations de sélection) et il a été montré qu’il n’y avaitpas de plateau de sélection. Dés la 7ème génération de sélectionun progrès génétique important était mis en évidence à la foissur la durée de la fertilité et sur le nombre de canetons mulardséclos vivants par cane. Il était montré qu’une sélection est pos-sible pour inséminer une seule fois par semaine la cane com-mune pour produire le mulard avec un taux de fertilité amélio-ré (89%). Ces résultats sont utiles pour la production decanards mulards dans les deux pays. Ces résultats ont ouvertla voie à une expérimentation en sélection conduite par Jean-Michel Brun (SAGA) à Artiguères sur une souche (INRA 44)mieux adaptée à la production de mulards, sélectionnée direc-tement sur le critère de fertilité avec une seule IA par semaine,dès que les moyens expérimentaux l’ont permis.

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Au centre de recherches sur le canard avec le directeur Cheng-Taung Wang et J.-P. Poivey, 1992.

Photo :©INRA

Le sujet de thèse de Yi Hao Hu qui étudiait la sélection duBarbarie sur la croissance dans les conditions climatiques et d’élevage de Taiwan, a conduit aux premières études sur la mor-talité embryonnaire très précoce des mulards à partir de nosdonnées expérimentales. En effet la question qui était poséeétait de déterminer si une mortalité embryonnaire très précocene pourrait pas expliquer au moins partiellement une fertilitéapparente plus faible en croisement intergénérique (75%) qu’enpur (90%). J’ai ensuite animé sur le plan scientifique un déve-loppement de ces recherches sur la fécondité de la cane com-mune mère du mulard, dans un cadre pluridisciplinaire à l’INRA(SAGA, Cytogénétique ENVT-INRA, SRA, Artiguères).Une expérience originale de croisement factoriel réalisée àTaiwan au centre de recherche sur le canard de Ilan en colla-boration avec Dr Chein Tai et l’aide de Yi-Hao Hu a cherché àmieux comprendre le déterminisme du dimorphisme sexuel enpoids qui est très important chez le Barbarie : dans une expé-rience de croisement factoriel entre deux souches de barbarieet de Pékin, il apparaissait un dimorphisme sexuel en poids enfaveur des mâles chez le barbarie en croissance, ce qui étaitbien connu, mais aussi un dimorphisme sexuel en poids enfaveur des canetons mâles dans le croisement du mâle Pékinavec la cane Barbarie alors qu’il était faible dans le croisementréciproque et chez le Pékin en pur. Les résultats de l’analyse dela croissance des canetons Barbarie et Pékin purs et des deuxcroisements réciproques mettaient en évidence une contribu-tion de la femelle Barbarie pour accroître le dimorphismesexuel en poids du canard par une diminution de la croissan-ce de ses descendants femelles et non de sa descendancemâle que ce soit en pur ou en croisement. Suivant une hérédi-té Mendélienne, il était suggéré que, outre les effets habituelsdes gènes liés au sexe (chromosome Z), des gènes codants dela partie non pseudo autosomale du chromosome W duBarbarie déprimeraient la croissance par comparaison avec lechromosome W du Pékin (Tai et Rouvier,1998).

Vous avez donc participé à des recherches sur le canardmulard réalisées à Taiwan en collaboration avec le TLRI.Quelles recherches sur le canard mulard conduisiez-vous à la SAGA ? Pourriez-vous nous dire ensuite comment se sontdéveloppées les collaborations scientifiques avec Taiwan ?

Après des premiers essais dans un bâtiment serre installé vers1984, celles-ci ont commencé lorsque les installations expéri-mentales canards et un petit couvoir de la SELAP dont FrançoisTudela était le responsable technique ont été construits aucentre INRA de Toulouse-Auzeville. Je devais évidemmentprendre en compte la thématique gavage et production de foiegras qui n’était pas étudiée par les chercheurs de Taiwan orien-tés uniquement sur la production de mulards à rôtir (“canardlaqué”). Une collaboration avait donc été établie avec DanielRousselot-Pailley et la station d’Artiguères pour contrôler danscette station l’élevage gavage des mulards produits à la SELAP.En fait, nous avions commencé dès 1985 à produire des cane-tons mulards élevés à Auzeville (dans un premier temps defaçon à démarrer les recherches, j’avais passé un accord avecun couvoir du Lauragais auquel Frédéric Ruiz portait les œufsà incuber) et qui étaient transportés à Artiguères pour les étu-des de gavage. Dès que l’effectif de canes contrôlées est deve-nu plus important, les œufs à incuber pour faire éclore des

canetons mulards ont été transportés à Artiguères. L’amé-lioration de la productivité numérique de la cane communemère du mulard restait une préoccupation majeure à l’époque.Pour y répondre, les premières expérimentations (1989-1990)ont donc recherché les possibilités d’amélioration de la pro-duction de mulards pour le gavage en utilisant une cane trèsféconde et légère, la Tsaiya Brune, en recherchant les paramè-tres génétiques du croisement. Une expérimentation de croise-ment factoriel entre les races de canes communes Tsaiya Bruneet Pékin Européen (de type medium) utilisées en inséminationartificielle avec la semence de canard de Barbarie a été condui-te. Les performances de reproduction étant contrôlées à laSELAP (sélection lapins palmipèdes) et celles de croissance etgavage des mulards à la station d’Artiguères. Le croisementavec la Tsaiya Brune améliorait considérablement la ponte, lafertilité et donc la production de canetons. Les performancesde croissance et gavage des canetons mulards étaient contrô-lées à la station d’Artiguères où Gérard Guy secondait DanielRousselot-Pailley pour les études d’élevage gavage (NadineSellier s’occupant de la reproduction). Les canetons mulardsissus des canes métisses du croisement entre Tsaiya brune etPékin ont produit un foie gras dont le poids et la qualité tech-nologique (qui bénéficiaient d’un effet d’hétérosis maternelfavorable) correspondaient aux demandes du marché, mais ilsproduisaient moins de viande que les mulards issus de la mèrePékin. Il avait été conclu que le croisement entre un canardPékin plus lourd et la cane Tsaiya qui est une cane très fécon-de (plus de 300 œufs pondus en moyenne à l’âge de 500

Roger Rouvier, Toulouse, le 26 avril 2005 �

237

Discussion des programmes de coopération scientifique

avec François Grosclaude, directeurscientifique, Mau-Ying Tjiu,

commissaire, Province de Taiwan(direction provinciale Agriculture

et forêt) et Chein Tai, directeurgénéral du TLRI, 1995.

Équipe de génétique moléculaire et quantitative avec le Prof. Mu Chiou Huang,chef de département Sciences animales et le Dr Yu-Shin Cheng, TLRI.

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RA

Propos recueillis par B. Desbrosses et Ch. Galant

jours) pour produire une cane métisse très féconde mériteraitd’être considéré pour l’amélioration de la production demulards. Cette perspective n’a pas encore été exploitée du faitde la forte orientation professionnelle pour l’obtention d’unmulard à plumage blanc très lourd et la sélection de plusieurssouches de canes Pékin. Ces données ont permis de plus, encollaboration avec Jean-Michel Brun, une étude originale del’influence de l’âge et du gavage sur la composition anato-mique des canards mulards mâles des 4 génotypes.À partir de 1990, en utilisant un matériel génétique originalcédé par la recherche de Taiwan dans le cadre des collabora-tions scientifiques, nous avons constitué à la SELAP une nou-velle souche dénommée INRA 44, légère, qui présentait l’avan-tage d’être féconde, de produire des mulards à plumage blancqui étaient demandés par le marché. Ces mulards produisaientautant de foie gras que les mulards lourds demandés par lemarché, avec un plus faible coût alimentaire mais les magretsétaient plus légers, comme Gérard Guy l’avait montré par uneexpérimentation à la station d’Artiguères (communication auxjournées de la recherche sur les palmipèdes à foie gras). Cematériel génétique intéressait donc les sélectionneurs et l’in-terprofession “foie gras”. Cette souche a été cédée par con-vention de recherche aux trois sélectionneurs privés de canePékin mère du mulard à gaver. Cette convention s’est poursui-vie avec l’un des trois sélectionneurs par une sélection expéri-mentale, à laquelle j’ai apporté mon appui scientifique, decette souche dans ses installations. Les données collectées ontpu être utilisées par mes collègues pour des estimations desparamètres génétiques des caractères de reproduction. Parailleurs, les données collectées sur cette souche suivant lesexpérimentations que j’avais conduites à la SELAP et àArtiguères sur plusieurs générations ont été utilisées par mescollègues pour des analyses et estimations de la variabilitégénétique des caractères d’intérêts. Cela a ainsi contribué àobtenir les premières estimations des paramètres génétiquesdes caractères de production des mulards gavés et les corréla-tions génétiques des caractères en pur et en croisement. Cetteconnaissance était nécessaire pour optimiser les schémas desélection de la cane commune mère du mulard. J’ai animé etinitié d’une part, un programme interdisciplinaire (1996-2001)qui visait à étudier les effets du système de reproduction(canes communes inséminées avec la semence soit de canardcommun soit de canard de Barbarie) et de l’âge de la cane surla moyenne et la variabilité de plusieurs critères de durée de lapériode fertile. Cette expérimentation était conduite parNadine Sellier à la station d’Artiguères ; d’autre part, une expé-rience de sélection de 5 ans (1998-2003) pour le nombred’embryons mulards vivants au mirage à 7 jours d’incubationavec une seule insémination artificielle par semaine. J’ai établides conventions de recherche avec la région Midi-Pyrénées surla thématique des facteurs de variation génétique de la viabi-lité embryonnaire entre espèces parentes du mulard utiliséesen pur et en croisement ; ce qui avait conduit à compléternotre dispositif expérimental par la constitution d’une souchenouvelle de canard de Barbarie. J’avais aussi, pour que nos tra-vaux de recherches expérimentales répondent mieux à l’évolu-tion des objectifs professionnels qui étaient l’obtention d’unmulard lourd, après avoir montré l’influence prépondérante dela mère Pékin sur la croissance du mulard, initié la constitutiond’une souche de canards Pékin lourds. Le développement, la

valorisation des résultats des recherches expérimentales aussibien sur les oies que sur les canards ont été grandement faci-lités par la mise en place de la gestion technique des élevagespour leur suivi et la constitution de bases de données (Marie-Christine Batut pour les palmipèdes, en relation avec les tech-niciens responsables du suivi des contrôles techniques). Lorsde mon départ à la retraite, le relais a été pris pour le suivi desrecherches expérimentales puis pour l’analyse génétique desrésultats par Jean-Michel Brun et l’équipe palmipèdes.

À cette époque, étiez-vous également impliqué dans différentes missions scientifiques au plan international ?

En même temps, j’animais des collaborations scientifiquesinternationales (avec la Pologne sur les oies, avec l’Université deHalle Wittenberg sur les oies et canards) dans des programmesbilatéraux pour une synergie des recherches. Il m’a été deman-dé d’organiser le 11ème symposium européen sur les palmipèdes(Nantes, 1997). Celui-ci, organisé en collaboration avec la bran-che française de la WPSA et plusieurs collègues de l’INRA et desunités de sélection, a débouché en séance de clôture sur la pro-position d’organisation de la 1ère conférence mondiale sur lespalmipèdes. Cette organisation a été prise en charge par labranche taiwanaise de la WPSA, à l’université nationale deChung Hsing (NCHU), Taichung les 1-4 décembre 1999, où jefus l’un des conférenciers principaux ; je rappelle que plusieurschercheurs de l’INRA y ont également participé. Cela fut monpremier contact un peu approfondi avec cette université (où j’a-vais cependant donné une conférence aux étudiants du dépar-tement des sciences animales en 1983), le doyen de son collè-ge d’agriculture (professeur Ming Tsao Chen) et le départementdes Sciences animales où je devais revenir ensuite comme pro-fesseur invité par l’université et pour collaborer aux recherchessur la cane Tsaiya en génétique quantitative et moléculaire dansle laboratoire du professeur Mu Chiou Huang.Sur un plan plus général des collaborations scientifiques inter-nationales, je développais la coopération bilatérale de l’INRAavec le LRI-COA Taiwan (les instituts de recherche agronomiquede Taiwan ont été regroupés au début des années 2000 par leCOA, le TLRI s’est appelé LRI-COA avec LRI pour LivestockResearch Institute). À ce point de vue, j’étais le correspondantde l’INRA auprès du COA et à partir de 1990 j’ai été appelé, enconcertation avec le chef de département de génétique ani-male (Bernard Bibé), le directeur de la SAGA (Hubert deRochambeau) et la mission des relations internationales(Isabelle Bordier) à l’animation scientifique de nombreuses mis-sions dans les deux sens ainsi qu’à l’accompagnement de délé-gations. Le “Mémorandum of Understanding on coopérationbetween the Institut national de la recherche agronomique,French Republic and the Council of Agriculture, Republic ofChina, 1991 May 23” signé à Taipei par le président Douzouqui était assisté de Jean Razungles, directeur des relations inter-nationales, et le COA, avait défini 6 thèmes de coopérationscientifique initiale d’intérêts communs. La signature de cetaccord a constitué une forte impulsion initiale pour des collabo-rations scientifiques notamment dans les applications de laméthodologie du modèle mixte en génétique et sélection et surle lapin Rex. Une deuxième impulsion forte a suivi en 1995,année où François Grosclaude, directeur scientifique des

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Productions animales, a été invité par le COA pour une missionà Taiwan et m’avait demandé de l’accompagner. En retour, lorsd’une mission à l’INRA d’une délégation du Commissaire dudépartement Agriculture et Forêt de la Province de Taiwan, etd’une réunion à la DG INRA, des extensions de ces collabora-tions scientifiques en production animale et dans le secteur duvégétal furent décidées, incluant 9 thèmes en productions ani-males et 3 thèmes en biotechnologies végétales.

Le champ des thématiques couvert par ces collaborationsscientifiques était donc assez vaste ?

Les collaborations scientifiques se sont étendues alors auxpoulets, porcins, chèvre laitière à Taiwan (biotechnologies de lareproduction) ainsi qu’à des thèmes de physiologie et nutritionanimale en climat chaud. Une évaluation et une discussion desperspectives ont été réalisées par une mission de Bernard Bibé,chef de département de Génétique animale et Michel Picardde la SRA en 1996. Le thème génétique avicole a été initié lorsd’une mission de Francis Minvielle en 1997 et développé àpartir de 1999 par Michèle Tixier-Boichard, le thème cartegénétique des canards a été développé à partir de 2001 lorsde mon séjour au laboratoire du professeur Mu-Chiou Huangà NCHU. Un thème nutrition porcine en climat chaud a étédéveloppé. Des contributions essentielles de Jean-Paul Poiveyet du groupe informatique et gestion technique des troupeauxde la SAGA ont permis au LRI d’installer les systèmes d’évalua-tion génétique, d’analyse et d’estimation de la variabilité géné-tique ainsi que de gestion technique des troupeaux, notam-ment chez les canards et les oies, et d’engager un projet desélection sur les chèvres laitières. Lors d’une mission longue,Jean-Paul Poivey a aidé le LRI-COA à développer un program-me de sélection de la chèvre laitière. Il fallait d’abord établir lesystème de collecte des données, en station et en ferme, etchercher à établir le système de contrôle laitier des chèvres àTaiwan. Un programme expérimental a été mis en œuvre à lastation de Heng-Chung, LRI-COA, visant à comparer les perfor-

mances des chèvres filles de boucs d’IA sélectionnés, d’origineFrance et d’autres origines notamment USA. Le rôle central del’IA pour diffuser le progrès génétique et aussi les possibilitésdu transfert d’embryons pour obtenir rapidement un troupeaufemelle de performances améliorées, ont conduit les responsa-bles de la station de Heng Chung à développer un programmede recherches en collaboration scientifique avec la station dephysiologie animale INRA sur la technologie de la reproduc-tion des chèvres. Une collaboration de Capri-IA a abouti à untransfert de technologie d’IA ainsi qu’à démontrer l’intérêt dela génétique caprins lait française. Le premier symposium don-nant le bilan et les perspectives de ces collaborations scienti-fiques a eu lieu à Toulouse les 19-20 avril 1999.Les actes du colloque intitulés “Proceedings symposium scien-tific cooperation in agriculture between Institut national de larecherche agronomique (France) and Council of Agriculture(Taiwan, ROC)” comprennent 26 articles en sciences des pro-ductions et produits animaux et 10 articles en productions etbiotechnologies végétales, articles qui sont pour la plupart desarticles conjoints. Ce symposium, organisé avec la DG INRA, lamission des relations internationales (Philippe Ferlin, IsabelleBordier), l’Institut français de Taipei, mes collègues et les res-ponsables taiwanais (Yu-Shin Cheng qui était mon correspon-dant) a réuni une cinquantaine de chercheurs intéressés àpoursuivre et à développer les collaborations scientifiques. Le30 novembre 1998, une délégation taiwanaise conduite par leprésident du COA avait visité l’INRA et avait eu une réunionavec Guy Paillotin, président de l’INRA pour discuter des pro-longements de la coopération scientifique et de ce séminaireconjoint déjà prévu pour 1999. Le bilan des travaux conjoints(Chein Tai et al., ce symposium), indique en conclusion queentre 1983 et 1998, il y eut 34 missions de l’INRA vers le LRI-COA incluant 3 missions de plus d’un mois. Il y eut 35 missionsdu LRI COA et de la direction provinciale de l’agriculture etforêts vers l’INRA, incluant deux doctorants (séjour de 3 ans)et 5 missions d’un mois. Ces échanges ont permis la réalisa-tion de programmes de recherche conjoints, l’analyse et la

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Canards mulards de génotype Inra 44 destinés au gavage.

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publication des résultats, ainsi que l’enseignement réciproquede nouvelles technologies. Ce symposium a ouvert dans unrésumé de conclusions les projets de développement des col-laborations scientifiques sur plusieurs espèces, la génétiquedes canards, la sélection et les technologies de la reproductiondes chèvres à Taiwan, la génétique porcine, les interactionsnutrition/environnement chez les truies allaitantes, les porce-lets en croissance, la génétique des poulets. Ce dernier thèmeva se développer avec un nouveau partenaire taiwanais, NCHUet un doctorant enseignant-chercheur de cette université ChenChih Feng (département des Sciences animales), qui est venuse former au laboratoire de génétique factorielle avec MichèleTixier-Boichard.Trois thèmes de recherche qui ont été identifiéspar les participants seront conduits par la suite : génétique etsélection animales incluant les systèmes de management tech-nique des données et la physiologie de la reproduction pourles différentes espèces, la résistance et l’adaptation à la cha-leur, l’analyse de génome avec l’identification de marqueursmoléculaires notamment chez les canards.

L’organisation de ce symposium a-t-elle constitué un pointd’orgue à votre carrière ?

Ce symposium sur les collaborations scientifiques bilatérales aeu lieu en avril 1999 et j’ai dû partir à la retraite, atteint par lalimite d’âge de 65 ans en août 2000. J’étais donc toujours enpleine activité de recherche jusqu’à cette date et en mêmetemps je préparais une relève scientifique. Lorsque Jean-MichelElsen a été nommé directeur de la SAGA en 1999, il a conduitune nouvelle organisation de la station en équipes par espè-ces ainsi que sur des thèmes transversaux. Cette nouvelleorganisation, comparable à celle de la station de génétiquequantitative et appliquée au CNRZ, me paraissait plus opéra-tionnelle et plus “lisible” vis-à-vis de nos interlocuteurs profes-sionnels. J’ai été chargé de l’animation scientifique de l’équipepalmipèdes. Il fallait prévoir des évolutions et des réorienta-tions dans les programmes de recherche sur les palmipèdespour plusieurs raisons. L’interprofession “foie gras” était deve-nue très demandeuse de recherches pour améliorer les pro-duits du canard mulard gavé. La direction de l’INRA nous dis-ait qu’il fallait développer les recherches sur les canards maisà moyens constants ; ce qui conduisait à réduire celles sur lesoies. La direction avait décidé aussi que tous les moyens expé-rimentaux canards devaient être regroupés à Artiguères.

L’élevage expérimental de canards d’Auzeville (SELAP) où jeconstituais nos souches de base pour les nouvelles orienta-tions des recherches expérimentales devait donc être transféréà Artiguères. Avec Daniel Rousselot-Pailley, nous avons étudiéau cours de plusieurs réunions la faisabilité de ce transfertpuisque même avec les économies d’échelle une partie desmoyens utilisés à Auzeville devait accompagner ce transfertdes canards. Des nouvelles thématiques émergeaient et pou-vaient être abordées avec l’arrivée de Catherine Larzul orien-tée vers l’analyse de la variabilité génétique des caractères decroissance et de qualité de la viande. Les discussions portaientsur de nouvelles orientations de recherches expérimentalespour des études comme celles des effets respectifs du pèreBarbarie et de la mère cane commune Pékin sur les caractèresdes produits du mulard gavé, sur la génétique de l’efficacitéalimentaire du mulard en croissance, et le bien-être animalcompte tenu des questions posées par Bruxelles. Enfin, dans lebut final de détection de QTL, un premier projet d’établisse-ment de carte génétique du canard a été défini avec la colla-boration du laboratoire de génétique cellulaire (Alain Vignal etcollègues) en associant les 3 sélectionneurs privés. Commesuite à la coopération scientifique que j’avais développée avecHeinz Pingel à l’université de Halle (Allemagne), cette univer-sité nous a cédé une souche de canard Pékin sélectionnée surl’efficacité alimentaire du canard Pékin en croissance et la sou-che témoin. Cela a permis à l’équipe d’engager les premièresrecherches sur l’efficacité alimentaire des mulards, recherchesqui restent à développer. J’ai donc préparé le matériel géné-tique original pour les études futures et optimalisé des proto-coles expérimentaux pour préparer les expérimentations futu-res. Il fallait travailler à moyens constants pour répondre à plu-sieurs questions nouvelles et donc optimaliser les effectifs d’animaux des protocoles et la probabilité d’obtenir des résul-tats significatifs dans les expériences de sélection ou de croise-ment à prévoir pour répondre à ces questions. En mêmetemps, une dernière expérience de sélection nouvelle sur lesoies a été programmée dans la suite des travaux engagés pouraméliorer la production d’oisons (Jean-Michel Brun et collè-gues). En même temps aussi un plus grand nombre deconnaissances génétiques pouvaient être diffusées aux jour-nées de la recherche sur les palmipèdes à foie gras. En 2000,j’étais à la retraite le 3 août mais j’ai été occupé jusqu’au 30août par les recherches et par la transmission de connaissan-ces et de savoir-faire.

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Réunion à la direction générale de l’INRA. Développement

des collaborations scientifiques avec M. Tso-Kwei Peng, ministre

de l’agriculture (président du COA) et Guy Paillotin.

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Pouvez-vous nous parler de tous ces programmes nouveaux sur la croissance, sur l’efficacité alimentaire, sur les aspects bien-être animal sur le canard ? Qui prend le relais des recherches génétiques sur le mulard ?

J’ai cherché à optimaliser des protocoles peu de temps avantmon départ à la retraite, ensuite ce sont d’autres chercheurs quiont continué et pris la relève dans le domaine de la program-mation expérimentale. Celle-ci est toujours nécessaire pour tes-ter des hypothèses et acquérir les connaissances utiles : “lacage d’élevage est le laboratoire du généticien” disait Jay Lush.Un des grands projets que j’ai simplement initié avant mondépart à la retraite et auquel je tenais depuis longtemps estcelui de l’établissement de la carte génétique des canards envue de recherche de QTL ; qu’est-ce qu’un QTL ? La plupart descaractères d’intérêt économique et auxquels la sélection s’inté-resse sont des caractères à variation continue, soumis aux effetsdes gènes et du milieu, dits caractères quantitatifs. Depuis SirRonald Fisher, la théorie classique de la génétique quantitativeest que de nombreux gènes ajoutent chacun leurs effets suppo-sés petits pris individuellement pour constituer la valeur géné-tique additive de l’animal pour un caractère. Des gènes à effetstrès importants ont été identifiés, certains depuis longtemps,comme le gène bien connu de nanisme lié au sexe chez la poulepar exemple. Ce n’était pas le cas de ces gènes dont les effetssur les phénotypes ne sont pas suffisamment importants pourqu’ils puissent être identifiés facilement par l’analyse des

valeurs phénotypiques observées. La “révolution” des techno-logies de l’ADN à partir du début des années 80 a permis dèsles années 90 d’identifier des QTL qui sont des segments dechromosome où se trouvent des gènes qui ont un effet sur lescaractères quantitatifs, effets que l’on peut donc mesurer. CesQTL sont identifiés grâce à leur co-ségrégation avec un mar-queur génétique ; les marqueurs génétiques existant sur l’ADNsont des fragments d’ADN qui correspondent à des locus avecdeux ou plus de deux allèles. Sans effet sur les caractères, ilssont utilisés comme marqueurs de QTL. Pour une détection deQTL, il faut établir une carte génétique des marqueurs utilisés,qui donne la localisation de ces marqueurs sur les chromoso-mes. Il est possible aussi, dans la même expérimentation d’éta-blir la carte génétique et de détecter les QTL. Dans un premiertemps, début 2000, j’ai contribué à initier une recherche pourl’établissement de cartes génétiques des canards à partir desmarqueurs ADN (microsatellites du canard commun et ducanard de Barbarie parents du mulard) en associant les sélec-tionneurs privés, suivant un protocole que Jean-Michel Elsenavait défini. Ensuite, un protocole de type backcross utilisant lessouches expérimentales de la SAGA,généraliste pour un certainnombre de caractères de la mère du mulard et du mulard, a étédéfini et mis en œuvre, avec une dotation de crédits régionauxet nationaux, dans un cadre pluridisciplinaire à la stationd’Artiguères (2005- 2008). Ce programme vise à établir la carte génétique et à détecter les QTL ; Christel Marie-Etancelinen assure l’animation scientifique. Les mesures portent sur

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Canetons pékins sur litière.

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les femelles d’un croisement en retour (backcross) et sur lesmulards et comportent des caractères nouveaux. Parmi ceux-ci,il y a chez les femelles la mesure de l’efficacité de l’utilisationalimentaire entre les âges de 30 et 40 semaines et chez lesmulards gavés : les caractères de gavage, de qualité des pro-duits (foie gras, magrets), les paramètres de comportement etde stress. Des paramètres de santé comme le test de résistanceau portage des salmonelles sur les mulards femelles à l’âge de4 semaines sont mesurés. La durée de la fertilité est égalementmesurée en pur et en croisement avec le Barbarie. J’ai indiquéce protocole bien que n’y ayant pas contribué parce que lamesure de ces différents caractères, en vue d’en analyser ledéterminisme génétique, indique bien l’évolution des objectifset thématiques de recherche qui se dessinaient lors de mondépart à la retraite.Toujours avant mon départ à la retraite, j’avais eu à optimali-ser des projets de protocoles d’expérience de sélection, notam-ment sur l’efficacité alimentaire du mulard, et de croisementsfactoriels entre Barbarie et cane Pékin pour l’étude des carac-tères des produits. Les questions scientifiques nouvelles qui seposaient concernaient surtout les caractères du mulard.Catherine Larzul avait été recrutée pour s’orienter sur la géné-tique des palmipèdes à la SAGA et donc prendre le relais. Nousl’avions formée et présentée à nos partenaires français etétrangers pour les recherches de génétique des palmipèdes àson retour de Jouy-en-Josas où elle avait été doctorante sur lagénétique porcine. Pour des raisons personnelles, elle estretournée à Jouy-en-Josas tout en poursuivant les travaux derecherche sur les palmipèdes par l’analyse des résultats desprogrammes qui avaient été engagés. Elle a apporté sa contri-bution sur les plans de la méthodologie et de l’obtention deparamètres génétiques chez le canard et les oies pour la vian-de. En même temps, Jean-Michel Brun s’était orienté sur lespalmipèdes de façon plus importante tout en gardant une acti-vité de recherche sur les lapins. Isidore Canope qui avait étéaccueilli à la suite d’une mobilité comme ingénieur palmipèdes“interface” et que j’avais également formé sur les palmipèdesest parti à la retraite et a été remplacé par Marie-MadeleineMialon-Richard ; elle est donc retournée à la SAGA fin 2000où elle s’est remise sur la thématique palmipèdes, sujet surlequel elle nous avait apporté sa collaboration dans la périodede démarrage des recherches pour l’amélioration de la produc-tion de canards mulards (années 84-90). Puis elle est partie aucentre de Clermont-Ferrand - Theix pour des raisons personnel-les, retournant à des études du comportement des bovins. Uningénieur a pu être recruté en remplacement. À la suite demon départ à la retraite, Catherine Larzul a été animatrice del’équipe palmipèdes puis ce fut Jean-Michel Brun remplacémaintenant par Christel Marie-Etancelin qui, après avoir tra-vaillé sur les ovins, s’est orientée sur les palmipèdes. Elle estresponsable du programme QTL des canards, programme plu-ridisciplinaire qui intéresse notamment les deux régionsAquitaine et Midi-Pyrénées ainsi que le CIFOG. Un doctorantvient d’être affecté à la SAGA pour contribuer à l’analyse deQTL canards. La direction de la SAGA avec Jean-Michel Elsenavait bien recommandé en 1999 une priorité de recherche surles palmipèdes à foie gras. Je suis très satisfait de l’aboutisse-ment de ce dispositif de recherches pour améliorer des produc-tions économiquement et socialement importantes en prenanten compte toutes les évolutions thématiques nécessaires.

Dans les 5 ou 10 prochaines années, peut-on raisonnablement envisager que les apports de la génomique débouchent sur des applications concrètesdans la sélection du lapin et des palmipèdes à foie gras ?

Le séquençage du génome de ces espèces est en cours, desprogrammes expérimentaux de détection de QTL ont été réali-sés (canards) ou sont en projet (lapins), l’émergence des nou-veaux marqueurs ADN que sont les SNP (Single NucleotidePolymorphism) est prise en compte. Des recherches expérimen-tales utilisant le lapin sont prévues sur la sélection génomique(sélection basée sur la prédiction de la valeur génétique à par-tir de l’information moléculaire des SNP). Cela fait que leséquipes de recherche en intégrant des données moléculairesdans l’analyse de la variabilité génétique vont pouvoir identi-fier des gènes ou marqueurs ayant un effet sur des caractèresquantitatifs d’importance économique, difficiles à mesurer telsque ceux relatifs au métabolisme lipidique et à la qualité desproduits qui en découle (canards), à la résistance aux maladies,et proposer des outils de génomique aux sélectionneurs. Jepense que dans les 10 prochaines années, les apports de lagénomique, appuyés sur les recherches indispensables dansles unités expérimentales pour leur transfert aux sélection-neurs, pourront déboucher sur des applications concrètes dansla sélection du lapin et des canards à foie gras.

Pour les espèces sur lesquelles vous avez travaillé, les généticiens ont-ils été interpellés sur la question du bien-être animal ? La prise en compte de ce conceptauquel sont sensibilisés un nombre grandissant de nos concitoyens est-elle susceptible selon vous d’impactersignificativement les programmes de recherche des généticiens dans les années à venir ?

Je n’ai pas eu à m’occuper de ces questions prises en chargepar les chercheurs sur le comportement animal. L’interpro-fession foie gras a demandé à l’INRA de faire des recherchespour évaluer les critiques portées en Europe vis-à-vis de la pra-tique du gavage qui pourrait porter atteinte au bien-être ani-mal. Plusieurs recherches ont été conduites dans les domainesde la physiologie, du comportement, de la nociception (oudouleur) permettant de répondre à ces questions. Enfin, la filiè-re devra s’adapter aux directives européennes concernantd’ailleurs toutes les espèces (pour en savoir plus voir dansINRA mensuel n°118, décembre 2003, l’article de Gérard Guyet Daniel Guéméné) et les recherches de l’INRA devront aiderà cette adaptation. Il y a maintenant des développements nou-veaux incluant la génétique.

Nouveau retraité, l’INRA vous confie la mission pour poursuivre le développement des collaborations scientifiques avec Taiwan, parlez-nous de cette période.

À partir du 1er septembre 2000, j’étais invité par NCHU àTaichung, Taiwan et mon épouse était également invitée àm’accompagner. J’ai été en même temps chargé de missionpar l’INRA auprès du chef de département de Génétique ani-male (Bernard Bibé) pour continuer à développer les collabo-rations scientifiques avec le COA et NCHU, et préparer le relaisde ces collaborations scientifiques.

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Cela s’est déroulé de septembre 2000 jusqu’en décembre2002 avec un retour de quelques mois en début 2002. J’étaisdans le laboratoire du professeur Mu-Chiou Huang, départe-ment des Sciences animales du “College of Agriculture” deNCHU. Les études supérieures agronomiques à Taiwan se fontdans les universités, suivant le système anglo-saxon des diplô-mes de Bachelor (équivalent à la licence, c’est en fait un niveaubac+4), suivi pour ceux qui le veulent du Master of Science(deux ans d’études) et du doctorat pour ceux qui s’oriententvers la recherche. Il y a une forte sélection des étudiants pourle choix de l’université. NCHU est classée parmi les meilleures.Le professeur Mu-Chiou Huang m’avait proposé un program-me de recherche de son laboratoire sur l’analyse génétique dela cane Tsaiya Brune. Il s’agit d’un laboratoire de génétiquemoléculaire et quantitative qui est orienté principalement enmoléculaire et notamment sur le développement de la techno-logie des marqueurs moléculaires. Je me suis donc attaché àconduire des recherches intégrant la génétique quantitative etla génétique moléculaire pour prolonger des travaux de recher-che sur les canards. C’est ainsi que, après concertation avec l’équipe palmipèdes de la SAGA et le laboratoire de génétiquecellulaire, et consultation du laboratoire de génétique factoriel-le (mission du professeur Mu Chiou Huang à l’INRA en février2001), une expérience de détection de QTL a été mise en placeau LRI-COA à Hsinhua, Taiwan, à partir de 2002. J’ai étéamené à assurer l’animation scientifique de cette recherche. Lebut était de trouver des QTL de durée de la fertilité et de lafécondité de la cane commune mère du mulard. Il fallait défi-nir le type de protocole à mettre en œuvre. Un protocole detype F2 a été défini, à partir d’un croisement entre la lignée deTsaiya Brune sélectionnée sur la durée de la fertilité par Yu-Shin Cheng et la souche de canard Pékin sélectionnée parla station de Ilan, LRI-COA, (ancien Duck Research Center)comme grand-père du mulard à rôtir. Il avait été décidé, enl’absence de carte génétique de marqueurs microsatelliteschez le canard à cette époque, de développer des marqueursAFLP (de l’anglais :Amplified Fragment Length Polymorphism).Il s’agissait d’une technologie relativement nouvelle dans sesapplications aux animaux. Ces marqueurs AFLP étaient suppo-sés abondants et pouvoir être obtenus plus rapidement que lesmarqueurs microsatellites parce que ne nécessitant pas dedéveloppement préalable. Il restait cependant des difficultés àrésoudre et il n’y avait pas eu d’applications sur les canards. Cefut le travail de thèse de Chang Wen Huang, étudiant enMaster of Science puis doctorant au laboratoire du professeurMu-Chiou Huang, de développer des marqueurs AFLP pourétablir une carte génétique du canard commun, à partir del’ADN des animaux de l’expérience QTL. En même temps, j’aicontinué à coordonner les différents programmes de recher-ches coopératives entre l’INRA et le COA jusqu’en décembre2002, moment où Jean-Paul Poivey a pris le relais.

Quelles étaient vos conditions de travail à Taiwan ? En tant que professeur invité, comment avez-vous vécu cette période ?

Les Taiwanais sont très accueillants. J’ai pu conduire à la foismes activités d’enseignement, de recherche et de développe-ment des collaborations scientifiques entre l’INRA et le COA.Nous étions logés dans un appartement sur le campus de l’u-

niversité. Sur le plan recherche et enseignement, j’ai été trèsbien accueilli au laboratoire du professeur Mu-Chiou Huang etauprès des professeurs (une vingtaine) du département desciences animales de l’université et j’ai rencontré aussi plu-sieurs professeurs d’autres départements. Une quinzaine d’é-tudiants, en master ou doctorants, travaillaient au laboratoireoù j’étais co-tuteur (co-conseiller) de la thèse de Chang WenHuang. La langue de communication était l’anglais. J’allaisdonc fréquemment à ce laboratoire qui est au 4ème étage dubâtiment, sans ascenseur.Au rez-de-chaussée, un vaste bureau(où je pouvais donner des séminaires ou des cours pour unequinzaine de personnes) et un micro-ordinateur avec con-nexion Internet avaient été mis à ma disposition (ce bureau estaffecté aux visiteurs scientifiques et enseignants de longuedurée). Je donnais une quinzaine d’heures de cours par semes-tre (5 matinées de 3 heures), de génétique quantitative auxétudiants et de sélection animale aux diplômés Bachelor, cecidans le cadre de Master of science. Cela m’a donné l’occasionde rédiger mon cours en anglais. Avec mon épouse, qui setrouvait souvent avec moi dans les locaux universitaires, nousétions fréquemment invités à participer aux activités festivesdes étudiants (des repas pour les fêtes traditionnelles, en fin oudébut de trimestre, la fête pour l’anniversaire de la naissancede Confucius...) qui se déroulaient souvent sur place dans leslocaux du département des sciences animales. Chang Wennous aidait pour toutes les questions pratiques ; ce qui était

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C.T. Wang, C.C. Huang, C.C. Cheng et Bernard Bibé, mars 1998.

Visite d’une délégation taïwanaise (avec le Dr Yu-Shin Cheng), septembre 2005.

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très apprécié parce qu’il fallait alors utiliser la langue chinoise.Je le remercie encore pour son grand dévouement et sa gen-tillesse. Nous avons été invités par le professeur Yen Pai Lee(génétique avicole) et son épouse à une sortie organisée pourses étudiants qui nous a fait connaître le sud-est de Taiwan,l’île verte et leurs spas. En même temps, en tant que chargé demission INRA, j’ai organisé plusieurs échanges de missions decollaborations scientifiques dans les deux sens, dont une mis-sion invitée par le COA de la DG INRA, j’ai accompagné et aidédes missionnaires. Je réalisais fréquemment (deux à trois foispar mois) des déplacements au LRI-COA à Hsinhua, pour y tra-vailler avec Yu-Shin (cela nous permettait aussi de parler fran-çais) sur l’analyse de résultats du programme canard et lesrédactions scientifiques, où avec mon épouse nous étions invi-tés par le directeur général Cheng Taung Wang à loger dansune des chambres d’hôtes très confortables pour visiteurs, cequi rendait possible ces déplacements. Nous avons aussi eul’occasion de participer à la fête du LRI Hsinhua vers la mi-juillet. Je me souviens de l’excellence et de la gentillesse del’accueil, à de nombreuses occasions, de Cheng Taung Wang etde son épouse. Au cours de ces visites répétées, nous avonsétabli de solides relations avec plusieurs chercheurs taiwanais,et tous nous ont montré leur très beau pays. Nous avons étéinvités à visiter la station du LRI aux Pescadores, ce qui a étél’occasion de visiter cet archipel. Nous avons vu la station duLRI à Taitung (sud-est de Taiwan) qui étudie le petit porc noiret nous sommes allés dans l’île aux orchidées où la tribu Amivit encore de façon ancestrale (habitat semi enterré) en utili-sant la pêche (poissons volants qui sont conservés séchés) etce porc qui y est donc en réserve génétique naturelle. Nousnous sommes de même déplacés à la station du LRI de Ilan àLotung pour les programmes canards discutés avec Yi-Hao Huet cette station, plusieurs fois mais moins souvent qu’àHsinhua parce que Lotung est plus loin de Taichung que Tainan(six heures de train au lieu de deux heures, avant la mise enfonction du train à grande vitesse qui fonctionne depuis 2007).Nous étions attendus et nous y étions toujours très bienaccueillis par Yi Hao, ses collaborateurs et son épouse. J’ai doncpu contribuer aussi à une production scientifique sur les palmi-pèdes en étant co-auteur de plusieurs publications (avec Jean-Paul Poivey aussi) et communications scientifiques. Après monretour, en décembre 2002, j’ai donc gardé les contacts, ami-caux et scientifiques en continuant les collaborations scienti-fiques sur les programmes canards en cours et les dossiers quirestaient à analyser. Avec mon épouse, nous avons gardé unexcellent souvenir de cette période également très active pournous. Nous garderons aussi un excellent souvenir de ce beaupays, de la gentillesse et du savoir-vivre de ses habitants.

On va peut-être passer aux questions relatives à vos responsabilités à l’INRA. Vous avez été responsable d’un laboratoire, pouvez-vous nous parler de cette mission ? Dans quelles conditions avez-vous été amené à exercer ces responsabilités ? Qui vous l’ademandé ? Comment avez-vous abordé ces fonctions ?

J’ai été naturellement amené à aborder déjà cette questionlors d’un développement sur mes responsabilités et activitésscientifiques au sein de l’institution. J’ai été responsable dulaboratoire de méthodologie génétique de 1970 à 1975, sur

proposition de Jacques Poly alors chef de département deGénétique animale. Ensuite, j’ai été le premier directeur de laSAGA lors de sa création en 1975 sur proposition de RaymondFévrier, jusqu’en 1979, ainsi que des stations constituées pourréaliser le plan national de sélection du lapin, c’est-à-dire lastation de testage des souches de lapins mâles (mise en fonc-tionnement en 1972) et le centre de sélection des souches delapins femelles (mis en fonctionnement en 1975). J’ai aussi entant qu’administrateur adjoint aidé Claude Jouret lorsqu’il étaitadministrateur du centre INRA de Toulouse.En 1970, le laboratoire de méthodologie génétique devaitdévelopper les méthodes mathématiques de la sélection avecle lapin comme matériel animal expérimental en génétique, etréaliser les recherches expérimentales en sélection et croise-ment du plan national de sélection du lapin de chair. Les orien-tations scientifiques des chercheurs avaient été définies par lechef de département avant notre départ de Jouy-en-Josas etc’est lui qui donnait les orientations des scientifiques recrutéspar la suite. Je me suis attaché à impulser une formation desjeunes scientifiques, à mettre en place une animation scienti-fique des recherches et à dégager les moyens de travail. J’avaisaussi le souci des publications scientifiques importantes pourla carrière des scientifiques, sachant qu’en génétique quantita-tive il faut compter avec le temps pour le déroulement desgénérations des animaux et le recueil des données en nombresuffisant. J’ai donc toujours eu le souci que les orientationsscientifiques des chercheurs soient bien définies en accordavec eux et dans le cadre des orientations du laboratoire ou dela station définies avec le chef de département. Les scienti-fiques venus de Jouy-en-Josas étaient Bernard Poujardieu, spé-cialiste des méthodes de statistiques mathématiques et de cal-cul informatique, qui avait la responsabilité de la gestion del’atelier de calcul informatique comprenant le matériel ramenéde Jouy-en-Josas, ainsi que Jacques Ouhayoun et FrançoiseHulot de formation biologique. Le potentiel de recherche surles méthodes et sur le lapin du laboratoire a été étoffé par lerecrutement de scientifiques : Jean Razungles pour les métho-des mathématiques de la sélection et Gérard Matheron pourla génétique du lapin, arrivés au laboratoire dès 1973. Lesorientations des deux chercheurs de formation biologique por-taient sur l’étude des composantes biologiques de caractèresdu lapin de chair, avec des objectifs d’acquisition de connais-sances nouvelles et de connaissances utiles pour la sélection.Jacques Ouhayoun a commencé par l’étude des composantesbiologiques de la croissance du muscle du lapin (multiplicationet grandissement cellulaire), il a ensuite été le premier à étu-dier les fibres musculaires du muscle du lapin (nous étions allésensemble voir Christian Valin au centre INRA de Theix) et laqualité de sa viande. Françoise Hulot était orientée sur l’analy-se de composantes biologiques (ovulation, fécondation) de lataille de portée de la lapine (j’avais suggéré un plan de croise-ment factoriel des trois souches du laboratoire, Californienne,Néo-Zélandaise Blanche et Petite Russe qui me semblaientêtre les mieux adaptées pour cette recherche) ; ce qui étaitimportant vis-à-vis du programme de sélection des souches delapins femelles sur la taille de portée. Jacques Poly avait affec-té au laboratoire un ingénieur INRA de développement quiétait Jean-Louis Vrillon que j’ai formé sur le lapin. Il a contri-bué, en relation avec la station de pathologie aviaire, à laconception et à la réalisation de la station de testage des sou-

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ches de lapins mâles et du centre de sélection des souches delapins femelles qui étaient conçus de façon entièrement origi-nale comme élevage en ambiance protégée. Il a défini les opé-rations techniques de la sélection des souches de mâles decroisement terminal et les premières applications de l’insémi-nation artificielle de la lapine. L’utilisation de cette techniqueétait nécessaire au niveau de la station de testage des souchesde mâles de croisement terminal qui recevait les mâles à tes-ter venant de 6 sélectionneurs et était un élevage en ambian-ce protégée. J’avais dû orienter, en accord avec le chef dedépartement, le laboratoire vers l’étude de cette technique quenous étions les seuls à devoir utiliser à l’époque. Plus tard, lesrecherches sur l’insémination artificielle des lapines qui estmaintenant utilisée comme technique de reproduction ont étédéveloppées par Michèle Theau-Clément dans le cadre dugroupe lapin de la SAGA. La sélection des souches de lapinsfemelles avait donné lieu à une convention de recherche avecl’ACTA-ITAVI dont l’objet était l’obtention d’une lapine croiséeà haute productivité numérique. Cette convention avait prévula mise à disposition pour deux ans d’un ingénieur pour étu-dier les modes de diffusion du progrès génétique, ce fut Jean-Michel Brun. Après avoir réussi le concours d’assistant, il s’estorienté ensuite vers les analyses de plans de croisements et lesétudes de sélection pour le croisement. J’avais été chargé derecruter un ingénieur pour l’ITAVI, René Donal qui a été mis àla disposition de l’INRA et du laboratoire en 1972 au momentde la mise en fonctionnement du centre de testage des sou-ches de lapins mâles pour aider les sélectionneurs de ces sou-ches regroupés dans la SOLAM.Voilà donc en résumé et com-plément de ce qui a été dit précédemment les objectifs dulaboratoire de méthodologie génétique au moment de ladécentralisation toulousaine et la façon dont nous nous étionsorganisés pour les réaliser.

Pouvez-vous évoquer la constitution et la gestion de la SAGA ?

En juillet 1975, la SAGA est née de la fusion des laboratoiresde génétique des petits ruminants et de méthodologie géné-tique. L’inspecteur général Raymond Février m’a proposé laresponsabilité de ce regroupement et j’ai donc été le premierdirecteur de la SAGA, aidé de Guy Ricordeau, directeur adjoint,qui m’a apporté pendant plus de 4 ans, avec LéonTchamitchian, un concours et un appui très importants dans lagestion de la station. Les objectifs et les thèmes ainsi que l’or-ganisation de la nouvelle station ont été exposés dans l’article“Regards sur... la station d’amélioration génétique des ani-maux” dans Le bulletin de l’INRA n°92 avril/octobre 1976 quenous tenons à disposition des personnes qui seraient intéres-sées par l’histoire des recherches. Cette fusion conduisait à unemutualisation de certains moyens (documentation, informa-tique, secrétariat...), à un meilleur accueil des jeunes et nou-veaux chercheurs. L’orientation des chercheurs restait uneorientation par espèce, ce qui était encore nécessaire à l’époquepour raisonner les schémas de sélection de chaque espèce enbonne connaissance de la filière, des interlocuteurs et parte-naires professionnels et du ministère de l’Agriculture.Avec GuyRicordeau, nous avions cependant établi des thèmes transver-saux pour faciliter le dialogue des chercheurs notamment desdeux laboratoires d’origine. Nous avions ainsi les thèmes sui-vants : amélioration génétique de la production laitière chez

les ovins et les caprins ; amélioration génétique des caractèresde reproduction et de la productivité numérique des ovins, deslapins de chair et des lièvres (il nous avait été demandé dechercher à améliorer l’élevage du lièvre en captivité pour lesbesoins du repeuplement) ; étude de la valeur des souches demâles de croisement terminal et sélection de celles-ci, étudedes caractères de croissance, chez les ovins et les lapins ; étudede l’adaptation des génotypes à différents milieux et notam-ment aux milieux difficiles (chez les ovins, expérimentationspluridisciplinaires et plurisectorielles au domaine de La Fage) ;amélioration génétique de l’oie et du lièvre ; méthodologiegénétique, estimation de la valeur génétique des reproduc-teurs, optimisation génétique des schémas de sélection. Lessynthèses par espèce étaient réalisées par les ingénieurs dedéveloppement. La direction technique des domaines, desinstallations expérimentales était assurée par des ingénieursresponsables. Le domaine de Langlade (ovins, lapins) est deve-nu un domaine géré par la station, avec Francis Eychennecomme responsable. Les productions concernées étaient à l’é-poque des productions de qualité quantitativement déficitairesqu’il fallait développer. Il y avait un consensus sur cette orga-nisation que nous avions discutée. J’ai eu à organiser desréunions à la station d’amélioration génétique des animauxpour qu’il y ait plus d’échanges entre les deux équipes initia-les et une certaine mutualisation de moyens notamment tech-niques ; ce qui m’a demandé un certain investissement entemps. Une question qui m’avait été posée par le chef dedépartement mais que nous n’avions pas pu résoudre parceque les moyens techniques qui étaient en pleine évolution n’é-taient pas encore au point, était celle du développement del’informatique pour les besoins des généticiens, et donc l’accèsau centre de traitement de l’information génétique (CTIG) à

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245Domaine expérimental de La Fage.

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Jouy-en-Josas. Mais une informatique de centre s’était mise enplace avec la station de biométrie.Il était important de développer les collaborations entre discipli-nes, et il s’est trouvé que des laboratoires ont souhaité sedécentraliser à partir de 1975. Ce fut d’abord le cas de FrançoisLebas, élevage du lapin, qui a souhaité en 1975 s’installer àToulouse ; ce qui a été possible immédiatement dès que ladirection a été d’accord parce que la SAGA a pu lui offrir deslocaux parmi ceux qui lui avaient été affectés au moment de ladécentralisation. (J’ai développé aussi une collaboration scien-tifique sur le lapin un peu plus tard avec Pierre Coudert qui amonté un élevage expérimental au Magneraud pour les recher-ches en pathologie du lapin). J’ouvre ici une petite parenthèsesur la décentralisation. Il y a aussi la biométrie avec JacquesBadia qui a décentralisé dans les locaux de la SAGA.

Et la faune sauvage aussi.

Cela a d’abord été la biométrie à la demande du chef dedépartement de biométrie, Pierre Arbonnier, qui m’avait ren-contré pour en discuter et j’avais bien sûr informé mon chef dedépartement. Cela ne posait pas au début de problème deplace puisque le matériel informatique géré par la biométries’est substitué à celui de la SAGA qui devait être remplacé, etla biométrie avait plus vocation que la SAGA à superviser uneinformatique de centre tout en maintenant une utilisation par-tagée avec la SAGA. C’était un plus pour le centre de Toulouseet le chef de département de Biométrie nous avait proposécette solution logique. La venue du laboratoire de FrançoisLebas était aussi un plus pour le centre et les recherches sur lelapin. Nous avions un laboratoire bien équipé qui allait êtreencore plus valorisé. Puis il y a eu la faune sauvage qui a faitla même demande. Il y avait aussi des points d’intérêts scien-tifiques communs puisque l’INRA avait demandé à la SAGA des’occuper d’un suivi de l’élevage du lièvre pour le repeuple-ment et avait donné un poste de technicien sur lequel GeorgesSaleil a été recruté pour donner un appui technique au grou-pement des éleveurs de lièvres du sud-ouest (GELSO). LaSAGA elle-même se développant, ainsi que ces laboratoiresnouvellement décentralisés, il a fallu se serrer pour l’intérêtgénéral. Il y a peut-être eu quelques tensions car il était trèsmal vu à l’époque d’exprimer un besoin pour de nouveauxlocaux... qui sont cependant arrivés plus tard parce qu’il s’agis-sait d’un besoin réel.

Nous n’avons pas beaucoup parlé jusqu’à présent des personnels techniques et administratifs.

Je parlerai des personnels techniques qui étaient sur des postesque l’INRA nous a donnés au moment de la décentralisationpour nous permettre de la réussir, avec des personnes venuesde Jouy-en-Josas ou recrutées sur place. Il est bien normal de sesouvenir ici de ces pionniers du tout début (sans oublier ceuxqui sont venus peu de temps après) qu’ils nous aient accompa-gnés venant du CNRZ ou qu’ils soient des “locaux” qui nousont rejoints sur place. Certaines personnes sont venues duCNRZ avec leur poste, certains postes sont venus avec leur titu-laire restant au CNRZ, enfin un petit nombre de postes nou-veaux a pu être créé. C’est Simone Caillet qui a été recrutée sur

le poste nouveau de secrétaire affectée au laboratoire deméthodologie génétique. Madame Andreuzza, recrutée aussisur place, s’occupait de l’entretien des locaux du laboratoire degénétique des petits ruminants et Mme Ruiz venue de Jouy-en-Josas s’est occupée de ceux de la méthodologie génétique.Nous avons eu un poste de documentaliste pour les deux labo-ratoires sur lequel Danielle Caste a été recrutée un peu plustard. Nous avions mis des priorités sur les moyens pour laconduite technique de l’élevage expérimental et sur l’informa-tique. Pour l’élevage expérimental de lapins, nous avons eu unposte de technicien d’élevage pourvu par François Tudela et despostes d’“animaliers” lapins, occupés par Frédéric Ruiz venu deJouy-en-Josas et Yves Andreuzza, recruté sur place. ClaudeJacquin nous a aidés un certain temps dans l’élevage expéri-mental lapins (Mme Jacquin étant affectée au laboratoire degénétique des petits ruminants). Le groupe qui s’occupait del’atelier de calcul “mécanographique” et informatique au CNRZ(Alain Février, Mr et Mme Lauro) nous avait suivis avec cet ate-lier. Nous avions décidé d’affecter un poste de technicien aurecrutement d’un informaticien. Ce fut Roger Duzert qu’avecBernard Poujardieu nous sommes allés chercher à l’IUT infor-matique de l’université de Rangueil. Voilà pour les postesinitiaux et les décisions prises pour notre organisation enconcertation avec le chef de département.

Quels critères ont été privilégiés pour le recrutement de ces techniciens ? C’était un enjeu important d’avoir des techniciens qualifiés.

En effet, c’était un enjeu très important, nous nous en occu-pions à plusieurs et la décision prise était collective. On regar-dait les diplômes, les stages et les activités antérieures des can-didats. Les candidats avaient un entretien avec des personnesdu laboratoire, la décision restait collective. Le candidat qui étaitretenu après l’entretien avait un stage probatoire qui pouvaitdurer jusqu’à 6 mois je crois. À l’issue du stage, il pouvait êtreou ne pas être retenu. Pour François Tudela par exemple, nouscherchions un chef d’élevage. Je l’avais déjà connu, alors qu’ilavait été recruté en main-d’œuvre occasionnelle, dans l’éleva-ge expérimental de lapins à Jouy-en-Josas, il venait de Carmauxoù je pense que Guy Fabre, directeur du domaine de Carmauxle connaissait. À l’issue de son contrat à Jouy-en-Josas, noussavions qu’il convenait pour cette fonction et qu’il pourrait évo-luer. Pour Yves Andreuzza, c’est Séréno Fioramonti qui me l’aprésenté pour un entretien qui a eu lieu dans la cabane dechantier utilisée lorsque le centre était en construction...

Par rapport aux modalités de recrutement qui sont en vigueur aujourd’hui, quelles réflexions cela vous inspire-t-il ?

La procédure était simple et finalement efficace. Le relationneljouait pour la présentation des gens mais en même temps celapermettait de mieux connaître les candidats. Il n’y avait pasencore trop de problèmes d’emplois, les candidats qui se pré-sentaient étaient très motivés. Il y avait l’entretien et le stage.Mais le système actuel était devenu nécessaire. Lorsqu’il y ades postes à pourvoir, il faut faire une large publicité. Il peut yavoir alors beaucoup de candidats et un concours est utile.

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Et un concours c’est statutaire. Avec les recrutements par voie de concours et surtout compte tenu du contexte de chômage actuel, souvent pour un poste disons d’adjointtechnique ou de technicien, vous allez avoir des candidatsqui seront des Bac+2, Bac+3. Que faut-il faire dans ces cas-là, faut-il surrecruter ? Je crois que c’est un problèmeauquel sont souvent confrontés les responsables de laboratoire, les responsables d’unité... Ils ont beaucoupde candidats avec un certain nombre de postulants surdimensionnés par rapport au poste proposé.

Le problème ne s’est pas posé pour moi. Cela se passaitcomme je vous l’ai indiqué et nous ne prenions pas des genssurdiplômés ; n’ayant jamais eu à engager de personne surdi-plômée par rapport au poste, je n’ai pas d’expérience sur cesujet. Je suppose cependant que cela peut être pénalisant derecruter un agent avec trop de diplômes supérieurs à la quali-fication requise.

En fait, les avis sont partagés. On entend effectivement le discours que vous venez d’évoquer,mais il y a aussi des responsables d’unité qui disent : au niveau adjoint technique, si je prends un BTS, il va peut-être s’adapter plus vite.

Je pense que le niveau du poste doit correspondre à ce quedemande la fonction ; nous avons aussi un rôle de formationau métier.

Toujours dans le registre des profils de recrutement, nous pouvons peut-être parler du recrutement des scientifiques. La plupart de vos collègues étaient passéspar l’Agro. À l’heure actuelle, les Agros sont de moins en moins nombreux parmi les jeunes recrutés. Quelles réflexions vous inspirent cette évolution quand on pense à l’avenir de notre institution ?

Le premier directeur de l’INRA fut un agronome, Charles Crépinqui avait fait l’École nationale d’agriculture de Grignon. Lorsqueje suis entré à l’INRA, c’était encore le début du développementdes recherches en productions animales, au CNRZ de Jouy-en-Josas installé sur le domaine de Vilvert dans la vallée de laBièvre, domaine qui avait été acquis en 1949. Le CNRZ, créé en1950, commençait à très bien se développer ; dès 1955 avecnotamment les stations de recherche sur l’élevage, de physiolo-gie animale, de microbiologie et de recherches laitières, derecherches avicoles et le laboratoire de biochimie. L’enseigne-ment sur ces sujets était bien développé à l’INA Paris, où lelaboratoire de zootechnie du professeur Leroy avait été un pré-curseur, à la fois sur le plan des connaissances scientifiques(physiologie, biochimie, génétique animale et végétale...) et surcelui des applications (avec visites et stages des étudiants enexploitations agricoles). Il en était de même pour l’enseigne-ment sur le végétal et en agriculture, les sciences du sol, l’éco-nomie agricole. Un recrutement majoritaire d’agros était donclogique au vu des recherches de l’Institut et des formations etcela fut le cas pendant encore quelques années car il s’agissaitavant tout, après la guerre, de développer l’agriculture et l’éle-vage. Il y a eu ensuite un étoffement et une diversification dessecteurs de recherche, avec intégration des recherches vétérinai-

res (d’où le recrutement de docteurs vétérinaires), la biométrie,les recherches forestières, les industries agroalimentaires, avecdes spécialisations, de nouvelles orientations, et l’Institut afficheaujourd’hui les sigles Agriculture, Alimentation et Environne-ment. Il y a eu une forte augmentation, justifiée, du nombre derecrutements. De plus l’INA PG, les Écoles nationales supérieu-res d’agronomie, les Écoles d’industrie agroalimentaire et l’Éco-le nationale d’horticulture n’auraient sans doute pas pu fournirle nombre suffisant de candidats motivés pour la recherchepublique ; une diversification des recrutements est donc norma-le. De façon générale, le recrutement a fait appel aussi à desingénieurs d’autres grandes écoles et à des formations spéciali-sées. On a vu par exemple, un développement des recherchesen biologie moléculaire. Je crois qu’il faudrait savoir maintenirl’équilibre entre des recherches sur la cellule et la molécule etcelles sur l’animal entier ou la plante entière dans leur milieu, etaussi continuer à connaître la finalité et les applications possi-bles des recherches. Donc, il faudrait à nouveau maintenir unrecrutement suffisant d’agros motivés, du moins à mon point devue puisque vous me le demandez. Cela d’autant plus que l’a-griculture reprend une place importante dans le pays et qu’unretour aux sources va peut-être devenir nécessaire.

Diriez-vous que les écoles d’agronomie ne préparent pas suffisamment aux sciences fondamentales ?

Je pense que la formation Agro, centrée sur les sciences de lavie avec une bonne connaissance des mathématiques, permetde s’adapter à un très large éventail de métiers et de fonctionset prépare aussi aux sciences fondamentales. À l’INRA de nom-breux Agros recrutés dans les années 60-70 ont su s’impliquerdans les recherches de génomique, de cartes génétiques, pourtrouver des gènes à effets importants sur les caractères écono-miques ou la résistance aux maladies. Le département de géné-tique animale a développé les recherches de génétique molé-culaire en coordination avec celles de génétique quantitative etqui visent directement à l’amélioration génétique. Des gènesayant un effet important sur des caractères économiques sonttrouvés et en même temps, sur un plan de recherche finaliséebasée sur l’utilisation des domaines expérimentaux, du matérielgénétique nouveau pour l’élevage a été créé (voir par exemple“Les lignées originales de l’INRA : historique, développement etimpact sur les productions animales” INRA Prod. Anim., horssérie 1996, 41-56). Les écoles d’agronomie ont évolué et uningénieur agronome a maintenant un choix très large pour sonorientation.

A fortiori, s’il prolonge ses études par un DEA. ou une thèse...

Oui, il peut continuer ainsi s’il souhaite s’orienter vers larecherche. Il y a maintenant une école doctorale à l’INA PG.Mais il a toujours été possible pour un Agro de faire un DEApuis une thèse s’il le souhaitait. Cependant les orientationsvers l’agriculture elle-même étaient devenues moins valorisan-tes, l’enseignement supérieur agronomique est en train d’évo-luer de façon importante et je me demande si l’on ne va pasmanquer de véritables agronomes avec le départ à la retraitedes anciens et une formation différente des jeunes. Si lesrecherches en agriculture doivent redevenir importantes, c’est

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une bonne politique de l’Institut, à mon point de vue, de s’attacher l’expérience des anciens pour permettre une forma-tion et un relais.

Pouvez-vous nous dire quel est votre rôle actuellement dans le groupe des Agro de Midi-Pyrénées ?

Le groupe Agro Midi-Pyrénées est un groupe des anciens élè-ves diplômés de l’INA PG qui fonctionne depuis une trentained’années. Il fut initié par un de nos anciens et René Péro en aassuré le développement. Il m’avait demandé dans les années80 d’en être le secrétaire et récemment mes camarades dugroupe m’ont demandé d’en être le président. Il s’agit d’ungroupe à l’intérieur de l’association “Les ingénieurs del’Agro”, d’anciens élèves de l’INA PG dont certains ont fait uneécole d’application comme l’École nationale du génie rural etdes eaux et forêts et qui sont domiciliés en Midi-Pyrénées. Unpremier rôle est de maintenir des relations amicales et convi-viales, de partager une culture agronomique et de suivre l’évo-lution des questions agronomiques. Chaque année au moinsune sortie sur un thème agronomique et culturel est organiséedans l’un des départements de la région Midi-Pyrénées enrelation avec la DDAF, avec une rotation entre les 8 départe-ments d’une année sur l’autre. En 2005, la sortie était dans lesud Aveyron avec la visite (technique) d’une laiterie puis descaves d’affinage du Roquefort, cela a donné l’occasion demieux connaître et de discuter sur la fabrication du fromage deRoquefort, de son marché, des aspects économiques de cetteproduction. À l’occasion de notre assemblée générale, nousavons eu un excellent exposé, suivi de discussions très ani-mées, de Bertil Sylvander sur la défense de l’origine des pro-duits associé à un exposé d’un de nos jeunes camarades quirevenait d’un stage d’étude sur les labels d’origine des pro-duits en Chine. Ces activités doivent aussi favoriser les contactsavec les jeunes Agros qui cherchent des conseils auprès desanciens, notamment pour l’emploi. Enfin, en collaboration avecl’Union des ingénieurs agronomes (UNIA), l’ENVT et l’Écolesupérieure d’agriculture de Purpan (ESAP), nous organisonsdes colloques. Un des plus récents avait pour thème les enjeuxde la sécurité alimentaire au niveau mondial. Il a été animé pardeux camarades venus de la FAO Rome. En 2007, notre grou-pe a fusionné avec l’UNIA pour faire une nouvelle association“Les Agros de Midi-Pyrénées” qui inclut les anciens de toutesles écoles d’ingénieurs agronomes, de l’agroalimentaire etd’horticulture. Cette association dont le siège est à l’ENSAT aparmi ses objectifs celui de promouvoir le développement dela recherche et de l’enseignement supérieur agronomique. Lecentre INRA de Toulouse pourra donc trouver un éventail trèslarge de contacts en agronomie auprès des “Agros de Midi-Pyrénées”.

Y a-t-il des personnes qui vous ont particulièrement marqué au cours de votre carrière ?

J’ai rencontré Jacques Poly pour la première fois dans son labo-ratoire à l’INA Paris fin 1957. Je me souviens qu’il m’avaitexposé au tableau noir sa recherche sur le paramétrage descourbes de lactation en vue de définir la périodicité du contrôle

laitier. J’ai travaillé ensuite avec lui quand j’étais à Jouy-en-Josas où il m’a conseillé pour l’établissement du plan de sélec-tion du lapin. C’est un homme que j’ai bien connu à cetteépoque, qui lisait à Jouy-en-Josas tous mes manuscrits en vuede publications scientifiques et qui a beaucoup compté pourma réflexion scientifique. Il m’a donné le sens et le goût de laméthode pour faire une bonne recherche. Il y a eu Léon-PaulCochez qui était Dr vétérinaire et que je suis allé rencontrerpour la première fois en 1961 au domaine du Magneraud dontil était le directeur et où il s’occupait de la sélection de la pouleet du poulet. Il y a créé la Poule Vedette INRA en trouvant com-ment utiliser le gène du nanisme lié au sexe que PhilippeMérat avait identifié à Jouy-en-Josas grâce aux observationsd’un technicien dans l’élevage. Lors de mes conversations avecLéon-Paul Cochez (qui se déroulaient jusqu’en soirée parfois àdes heures très avancées, Léon-Paul Cochez faisait sa sélectionavicole la nuit pour ne pas être dérangé), j’ai beaucoup eud’enseignements sur le savoir-faire que j’ai utilisés par la suitepour mes travaux de sélection des petites espèces animales. Ilm’a donné le goût des recherches génétiques pour la sélec-tion. Je parlerai enfin du professeur Guy Lefort qui était profes-seur de mathématiques à l’Agro Paris, que j’étais allé voir dansce commencement des années 60 à une époque où l’utilisa-tion des statistiques mathématiques en était vraiment à sondébut pour lui poser une question sur le calcul de l’intervallede confiance d’une estimation de l’héritabilité, question qu’ilavait résolue facilement. De là était née une collaboration quis’était rapidement étendue à tout le département de géné-tique animale. Il m’a conforté dans mon goût des recherchesde mathématiques appliquées à la génétique et à la sélectionanimales.Voici maintenant une réflexion plus personnelle qui pourraitêtre utile pour les jeunes. Sur le plan scientifique dans mes acti-vités de recherche, j’ai tuteuré et contribué à former plusieursjeunes chercheurs, conduit des recherches, apporté ma colla-boration, animé des équipes et programmes de recherche,coordonné l’activité de nombreuses équipes, tout en apportantmon appui scientifique et mes compétences au service de laprofession. Cela d’autant mieux que je conduisais en mêmetemps des recherches personnelles dans le cadre des orienta-tions scientifiques qui étaient définies. Pour les résultats derecherche, je pense que j’ai trouvé plusieurs résultats impor-tants au cours de ma carrière ; dans la recherche, il faut avoirun objectif à long terme et être très persévérant. Il me fallaitbeaucoup de réflexion et une concentration permanente.Parfois, mon épouse me disait : Mais où es-tu ? On dirait quetu n’es pas là ! En fait je pensais et cherchais une solution àune ou à des questions. Lorsque l’on trouve, on a parfois l’im-pression que cela arrive tout seul, que l’on trouve d’une minuteà l’autre. En fait, je pense que c’est parce que l’on a beaucoupréfléchi et travaillé avant. Il a fallu aussi passer du temps àdéterminer dans quelle bonne direction chercher.

Et vous trouvez que les représentants des jeunes générations vont trop vite ?

Non ce n’est pas cela ; bien sûr les moyens de calcul informa-tique actuels que les jeunes maîtrisent très bien permettent

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d’aller plus vite et de faire plus dans l’analyse statistique desdonnées que les machines à calculer électromécaniques oumême les premiers ordinateurs d’autrefois. Les moyens tech-niques permettent d’aller plus vite pour l’obtention des don-nées et leur analyse. Mais sur le fond il faut toujours passerbeaucoup de temps à la recherche.

Pensez-vous que l’INRA vous a occupé beaucoup de votre vie professionnelle et personnelle ?

Je ne le regrette pas et mon épouse qui m’a beaucoup aidé enme comprenant ne regrette pas non plus. Je la remercie ici deson aide qui m’a permis de me consacrer complètement à mesactivités professionnelles. Ainsi, l’INRA a occupé beaucoup detemps dans ma vie professionnelle et personnelle. Je ne regret-te rien parce que je le savais.

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Depuis notre entretien du 29 avril 2005, Roger Rouvier a poursuivi sa coopération avec Taiwan. Il y a séjourné à plusieurs repri-ses, notamment en septembre 2007 où il s’est vu remettre une médaille scientifique qui récompense son importante contribu-tion aux échanges académiques entre l’INRA et ses partenaires taiwanais. Nous lui avons demandé de rédiger une note pourrésumer ses principales activités franco-taiwanaises au cours de ces dernières années.À partir de janvier 2003, Jean-Paul Poivey a pris le relais et s’occupe de l’animation des collaborations scientifiques avec le COA de Taiwan etavec un nouveau partenaire. Ce nouveau partenaire est le conseil national des sciences (CNS, de l’anglais National Science Council) avec quiun accord conjoint INRA-CIRAD a été signé le 29 avril 2004. Plus récemment plusieurs possibilités de coopération et bourses pour étudiantsont été offertes dont des appels d’offres conjoints avec l’ANR ou avec l’Institut français de Taipei. J’ai continué à apporter ma collaborationscientifique sur la génétique du canard à mes collègues taiwanais pour l’analyse de résultats et la co-rédaction de publications scientifiquesconjointes et à l’équipe palmipèdes de la SAGA par des contacts et une contribution à des articles de synthèse. J’ai aussi aidé Chang WenHuang dans son travail de thèse qui était en cours. Cela m’a amené à développer mes connaissances sur les marqueurs génétiques et leur uti-lisation par des recherches bibliographiques. En même temps, je tiens à jour une documentation bibliographique dans les domaines qui m’in-téressent, avec l’aide de Carine Naudinat, SAGA (où je suis toujours bien reçu en visiteur), pour l’obtention des articles sous forme électro-nique. Cela me conduit à être co-auteur de deux publications scientifiques par an en moyenne et de communications scientifiques. En 2006,un symposium intitulé “2006 Scientific Cooperation in Agriculture Between Council of Agriculture (Taiwan, ROC) and INRA (France)” a étéorganisé conjointement par le Livestock Research Institute, COA, Taiwan et l’INRA (France). Il s’est tenu à Hsinhua, Tainan, du 7 au 10 novembre.Ce symposium était le retour de celui organisé à Toulouse en avril 1999. J’ai été invité à y donner une conférence sur “Status review and achie-vements of the cooperative research programs in animal production” dont j’ai rédigé le texte en collaboration. Ce symposium préparé par YuShin Cheng pour le LRI-COA et Jean-Paul Poivey pour INRA-CIRAD a été un grand succès. La délégation INRA-CIRAD conduite par BernardCharley, directeur scientifique du secteur animal et produits animaux, comprenait 20 chercheurs ; ce qui a permis des contributions équilibrées.Les actes du colloque incluent deux articles de recherches en agriculture (coopération TARI-INRA) ; deux articles en recherche forestière surl’écologie forestière et le défi des changements climatiques et quatre articles sur les poissons, engageant ainsi des collaborations scientifiquesdans ces domaines ; 35 articles dans les domaines de l’élevage, sur les palmipèdes, les porcins, les vaches, les chèvres, et sur la qualité de laviande et des œufs, qui ont été donnés en présentations orales ou posters. Le bilan des travaux a fait apparaître 21 publications scientifiquesconjointes dans des revues internationales et 4 thèses doctorales de chercheurs taiwanais réalisées dans des laboratoires de l’INRA, ainsi queplusieurs communications dans des congrès internationaux et des séminaires dans chacun des deux pays. Lors de ce symposium, le mériteagricole a été décerné par Jean-Claude Poimbœuf, directeur de l’Institut français à Taipei, au Dr Tai Chein pour son rôle majeur dans la coopé-ration entre l’INRA et le Taiwan Livestock Research Institute (actuellement LRI-COA) et ses bénéfices pour l’agriculture française. Une lettre deMarion Guillou lui a été lue et remise par Bernard Charley. J’ai eu lors de ce symposium le grand plaisir de voir que cette coopération, initiéeen 1983 sur la génétique et la sélection des canards, est développée de façon très large et s’étend aussi à l’agriculture, aux forêts et aux pois-sons. À l’issue du symposium, j’ai accompagné Christel Marie-Etancelin à la station de recherche sur les canards du LRI-Ilan pour une visite defaçon à aider pour la prise d’un relais des collaborations scientifiques et l’établissement de nouveaux programmes sur les canards.En juillet 2007, j’ai été invité par le professeur Mu-Chiou Huang et le CNS comme membre du jury de thèse de Chang Wen Huang qui a étésoutenue le 26 juillet à NCHU,Taichung. Cette thèse qui a été notée excellente établit la première carte génétique du canard commun unique-ment avec des marqueurs AFLP (260 marqueurs répartis dans 32 groupes de liaison). Le professeur Mu Chiou Huang avait déposé un deuxiè-me projet auprès du CNS pour un séjour de deux mois dans son laboratoire à NCHU pour donner des conférences aux étudiants en master etdoctorants et pour animer des séminaires sur les sujets de recherche des étudiants de son laboratoire. J’étais invité pour être récipiendaired’une médaille scientifique le 26 septembre 2007 à l’École normale de Taiwan à Taipei. Au cours d’une très belle cérémonie, j’ai reçu du pré-sident du CNS (ministre de la Recherche et de l’Éducation), ainsi que 4 autres scientifiques de renom dont un lauréat du prix Nobel et anciendirecteur de l’Academia Sinica, une médaille scientifique de “première classe”, six autres lauréats avaient des médailles de seconde et troisiè-me classe. L’Institut français à Taipei en a publié l’information dans La France à Taiwan “cette nouvelle distinction attribuée à des scientifiques,la plus haute à Taiwan, récompense un directeur de recherche français du centre de recherche de l’INRA Toulouse pour une contribution excep-tionnelle aux échanges académiques, pour avoir mené une coopération bilatérale de long terme dans le domaine de l’amélioration génétiquedes animaux et plus particulièrement du canard avec des résultats notamment dans la maîtrise de la reproduction de la cane commune mèredu mulard, dans l’augmentation de sa fertilité et fécondité qui ont des intérêts bilatéraux”.

Symposium novembre 2006.Remise de plaque par Dr Cheng

Taung Wang, président du comitéd'organisation, avec Dr Chein Tai

qui vient d'être décoré chevalier du Mérite agricole.

LRI-COA Hsinhua, Tainan, Taiwan.

Photo :©INRA

Propos recueillis par B. Desbrosses et Ch. Galant

Parmi les nombreux programmes de recherche dans lesquels vous avez été impliqué, quels sont ceux qui vous ont apporté le plus de satisfaction ?

L’enseignement au DEA de génétique quantitative (1969-1975 et 1980-1985) m’a permis, de faire connaître aux futurschercheurs généticiens les méthodes de sélection originalesque je venais d’établir, leurs premières applications ainsi queleurs bases de génétique quantitative. J’ai reçu les Palmes aca-démiques et le mérite agricole en 1976 et 1977.Dans mes premiers travaux de recherche, j’ai apporté une col-laboration scientifique dans les domaines de la méthodologied’analyses statistiques à plusieurs variables et de l’évaluationgénétique multicaractères pour plusieurs espèces. Cet apportméthodologique original à l’époque a rendu service à de nom-breux chercheurs et m’a permis d’acquérir une expérience engénétique quantitative et en sélection.La recherche pour le schéma national d’amélioration géné-tique du lapin de chair m’a conduit à concevoir puis appliquerla méthodologie de sélection intra souche et de croisementpour obtenir la lapine croisée à haute productivité numériquequi a été utilisée par les éleveurs. Ces programmes m’ontapporté beaucoup de satisfactions sur les plans des concerta-tions avec les diverses disciplines et avec la profession, des col-laborations scientifiques, des recherches personnelles et d’ani-

mation scientifique et de leurs aboutissements (lignées origi-nales de l’INRA).Les recherches sur les palmipèdes à foie gras conduisent à citerla collaboration scientifique avec la station d’Artiguères, unitéexpérimentale pluridisciplinaire, les recherches sur les oiesmais aussi le développement de celles, nouvelles, sur le canardmulard dans cette unité expérimentale, les travaux personnelssur le canard puis d’animation de l’équipe palmipèdes de laSAGA qui m’ont permis de transmettre mes résultats et monexpérience avant mon départ à la retraite. Plusieurs lignées ontété sélectionnées puis cédées à la profession ou sont utiliséespour la recherche. Je suis content d’avoir contribué de façonmajeure en 1983-1984 à la maîtrise de la technologie d’insé-mination artificielle de la cane commune mère du mulard enFrance dont le développement a permis celui de la productionde canards mulards pour le gavage ; d’avoir réalisé avecl’Institut de recherche sur l’élevage de Taiwan des recherchesen génétique dont les résultats permettent d’augmenter lesconnaissances scientifiques et d’améliorer de façon importan-te la fertilité de la cane commune mère du mulard ; d’avoircontribué au développement de recherches coopératives entrel’INRA, puis l’INRA-CIRAD et Taiwan, coopération qui s’estétendue à plusieurs espèces animales, disciplines et secteurs, àl’agriculture et à la forêt.

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Jean Bustarret • Raymond Février • Jacques Poly • Bertrand Vissac • Bernard Bibé • Pierre Mauléon • François Grosclaude • Génétique animale • bovins • viande • sélection animale/souche • loi sur l’élevage de 1966 • poulet • lapin • reproduction • croissance • croisement • insémination

artificielle • oie • foie gras • gavage • canard mulard • fertilité • QTL • production animale • amélioration génétique • progrès génétique • Jouy-en-Josas• Toulouse • Tours Nouzilly • Clermont-Ferrand - Theix • Taiwan • SAGA • ITAVI

ITEM

S

28 septembre 2007.Récipiendaire de médaille scientifique

présentée par Dr Chien-Jen Chen,ministre, Conseil national des Sciences.

Taipei,Taiwan.

Photo :©INRA